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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 60ème jour de séance, 149ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 26 FÉVRIER 2003

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

        DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT
        SUR LA QUESTION DE L'IRAK 2

La séance est ouverte à quinze heures.

DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT SUR LA QUESTION DE L'IRAK

L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement sur la question de l'Irak et le débat sur cette déclaration.

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - Vous avez souhaité ce débat. Légitimement.

Depuis le début de cette nouvelle crise au Proche-Orient, le Gouvernement a veillé à informer aussi régulièrement et complètement que possible la représentation nationale.

Un premier débat au Parlement, en octobre, a permis de présenter les enjeux de cette crise et la position de la France. Chacun a pu s'exprimer et toutes les voix ont rappelé la nécessité de rechercher la paix et d'assurer le respect du droit international.

Ce nouveau débat s'inscrit dans un contexte particulier. La crise d'aujourd'hui, c'est peut-être la guerre de demain. Cette perspective mobilise les opinions publiques. Pour la première fois peut-être, la communauté internationale des Etats, rassemblés dans l'Organisation des Nations unies, agit sous les yeux vigilants d'une opinion publique mondiale.

Au-delà de la crise actuelle, c'est la confiance des peuples dans l'avenir du droit international qui est en jeu (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). En aucun cas et en aucun lieu, le droit de la force ne saurait supplanter la force du droit (Mêmes mouvements). Voilà le sens profond de l'engagement de la France et de sa diplomatie. Notre combat, c'est le combat du droit, et nous avons conscience de la responsabilité que nous portons.

Le sens de ce débat est de montrer la position de notre pays et de ses différents responsables politiques face à cette perspective, et dans cette situation internationale tendue.

Notre cadre de réflexion est déterminé par la résolution 1441, adoptée le 8 novembre dernier à l'unanimité par le Conseil de sécurité. Vous savez à cet égard le rôle déterminant joué par le chef de l'Etat et je salue aussi l'action du ministre des affaires étrangères, Dominique de Villepin (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Les inspections ont repris ; elles se déroulent sans incident depuis le 27 novembre et commencent à produire des résultats. C'est un progrès considérable, au regard de la situation d'octobre dernier.

Mais une question est aujourd'hui posée au Conseil de sécurité de l'ONU. Le chemin de la force ne serait pas plus court et plus sûr que celui des inspections ?

Dans ce débat, la France est fidèle au choix qu'elle a fait dès le départ, celui de la légalité internationale et de la responsabilité collective.

C'est un choix qu'elle assume face à l'ensemble des menaces globales auxquelles nous sommes confrontés. Qu'il s'agisse du terrorisme, de la prolifération des armes de destruction massive ou du crime organisé, la lutte contre ces nouveaux fléaux doit être collective.

Ces menaces ne peuvent se réduire à la seule question de la destruction, aussi indispensable soit-elle, des armes de destruction massive dont disposerait l'Irak. Ne nous méprenons pas sur leur réalité : ces menaces se nourrissent des ranc_urs et des frustrations suscitées par des crises persistantes, elles appellent une réponse alliant fermeté dans la lutte et volonté de s'attaquer aux racines du mal.

Prenons garde à ne pas nous tromper dans le choix des moyens pour parvenir à un monde plus sûr, plus équitable et plus prospère. C'est avec ces préoccupations et ces objectifs à l'esprit que, dès l'origine, la France a pris le parti du droit international ainsi que de la responsabilité.

La résolution 1441 permet de désarmer l'Irak dans la paix. Nous avons de bonnes raisons de penser que l'Irak a poursuivi des programmes d'armes de destruction massive prohibés, même si nous n'en avons pas la preuve.

La résolution 1441 propose une méthode légitime et efficace pour obtenir le désarmement. Légitime car elle a pour cadre le Conseil de sécurité et se situe dans le prolongement de toutes les résolutions adoptées sur l'Irak depuis 1990. Efficace car elle donne aux inspecteurs des pouvoirs sans précédent - mais son efficacité tient aussi à son adoption à l'unanimité par le Conseil de sécurité des Nations unies, ce qui constitue un moyen de pression déterminant sur l'Irak.

La France avait proposé une démarche en deux temps, préservant les prérogatives du Conseil de sécurité. C'est l'approche retenue par la résolution 1441 : le désarmement par la voie des inspections et, en cas d'échec, « sur la base motivée d'un rapport des inspecteurs », l'examen par le Conseil de sécurité « d'autres moyens des conséquences à en tirer sans en exclure aucune option y compris l'usage de la force. »

Le temps est toujours aux inspections. Dans ce contexte, en effet, la question est simple : doit-on considérer que le désarmement par la commission de contrôle des Nations unies est désormais dans l'impasse, ou, au contraire, que les possibilités en matière d'inspection offertes par la résolution 1441 n'ont pas encore été toutes exploitées ?

Les inspections ont donné des résultats. Elles ont repris alors que, jusqu'en novembre dernier, les Irakiens les refusaient ; MM. Blix et ElBaradei se rendent régulièrement à Bagdad pour faire le point avec les autorités irakiennes. En outre, elles se sont déroulées sans aucun incident depuis le 27 novembre 2002, ce qui est un réel progrès.

Les rapports de MM. Blix et ElBaradei ont fait état, le 17 février, d'informations significatives transmises par l'Irak. Même si elles restent insuffisantes, elles n'en dénotent pas moins des avancées incontestables.

Dans le secteur balistique, l'Irak doit maintenant procéder au démantèlement complet de son programme non autorisé, comme l'a demandé la semaine dernière M. Blix en exigeant qu'il commence dès le 1er mars.

Dans les domaines chimique et biologique, les Irakiens ont remis de nouveaux documents aux inspecteurs.

Dans le domaine nucléaire, le directeur général de l'Agence internationale pour l'énergie atomique a confirmé que l'AIEA estimait être en mesure de certifier dans les prochains mois le démantèlement du programme nucléaire irakien.

Des progrès dans la conduite des inspections ont également eu lieu : le survol de l'Irak par des appareils de reconnaissance aérienne a débuté le 17 février, et des entretiens privés se sont déroulés avec des scientifiques irakiens.

Mais nous devons aller beaucoup plus loin. Dès le 10 février, la France a fait des propositions pour renforcer l'efficacité des inspections et nous pressons les Irakiens de coopérer pleinement.

Nous venons de déposer à New York un deuxième mémorandum comportant de nouvelles propositions. L'objectif est double : hiérarchiser les questions de désarmement non résolues, et établir des échéanciers, domaine par domaine, pour accélérer le désarmement. Les autorités irakiennes doivent comprendre qu'on attend d'elles une coopération totale et sans délai.

Le recours à la force ne saurait être qu'une dernière extrémité. Il est impératif de maintenir la pression exercée par la détermination de la communauté internationale. L'unité manifestée par le Conseil de sécurité lors de l'adoption de la résolution 1441, soutenue par l'ensemble de la communauté internationale, a fait plier l'Irak.

Le déploiement militaire américain en cours a également joué un rôle déterminant. Cependant la guerre ne doit pas être aujourd'hui le moyen d'action de la communauté internationale. Personne ne peut affirmer que le chemin de la guerre serait plus court que celui des inspections.

M. Jean-Claude Lefort - Très bien !

M. le Premier ministre - Personne ne peut affirmer non plus qu'il pourrait déboucher sur un monde plus sûr, plus juste et plus stable. Car la guerre est toujours la sanction d'un échec (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF et du groupe des députés communistes et républicains).

Pour autant, la France n'a jamais exclu l'usage de la force pour faire respecter le droit. Comme le Président de la République l'a récemment souligné, la France n'est pas un pays pacifiste, et notre engagement sur de multiples terrains en témoigne. Mais l'usage de la force ne se justifie pas dans les circonstances actuelles car il y a alternative crédible et efficace à la guerre : désarmer l'Irak par les inspections (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

La position française a vocation à préserver l'unité de la communauté internationale.

Notre indépendance de jugement est compatible avec le souci de rassembler la communauté internationale. La France s'y est constamment employée.

Sur une question aussi lourde de conséquences, la France a recherché le maintien de l'unité du Conseil de sécurité et, plus largement, de la communauté internationale.

La France s'appuie sur les Nations unies et refuse l'unilatéralisme.

Notre démarche s'appuie sur les principes mêmes qui fondent l'ordre international : le multilatéralisme, synonyme de responsabilité collective, et qui est une nécessité morale pour les démocraties, mais aussi une nécessité politique pour la cohérence de l'action internationale ; et le respect de la légalité internationale qu'incarnent la charte des Nations unies et les résolutions du Conseil de sécurité.

Nos objectifs sont ceux de la communauté internationale. Le désarmement de l'Irak et son non-réarmement doivent être assurés.

Face à la montée de l'intolérance, face à l'aggravation des tensions, le rapprochement des peuples passe par la patiente affirmation d'une communauté de valeurs et de règles. C'est un message qui nous vient des peuples du monde entier : partageons ces valeurs, ces règles, cette nouvelle gouvernance internationale ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

Le récent débat public au Conseil de sécurité l'a à nouveau confirmé, la très grande majorité des Etats ont des positions convergentes avec les nôtres. Plusieurs organisations régionales se sont prononcées dans le même sens - je pense à l'Union africaine et à la Ligue des Etats arabes.

Notre position est le point d'équilibre de la communauté internationale ; elle concilie fermeté et respect de la légalité internationale, et propose d'explorer jusqu'au bout la possibilité d'une solution pacifique.

Les opinions publiques, en Europe et dans la plupart des pays du monde, soutiennent également l'approche française, qu'il s'agisse de la priorité accordée à la voie pacifique ou du respect de la légalité internationale.

La force de notre position et l'écho qu'elle recueille résultent aussi de sa cohérence : nous tenons à tous le même langage.

Avec les Etats-Unis, nos divergences sur l'Irak ne sauraient remettre en cause la force de notre relation (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP). Comme l'a rappelé récemment Colin Powell, nous sommes de vieux alliés, nous coopérons sur de nombreux dossiers essentiels, à commencer par la lutte contre le terrorisme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Le vaste mouvement de sympathie et de solidarité du peuple français avec le peuple américain qui s'est manifesté depuis le 11 septembre 2001, et qui ne s'est jamais démenti depuis, en est un éloquent témoignage (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Nous partageons sur l'Irak les mêmes objectifs que tous ceux qui ont voté, en conscience, la résolution 1441. Nous divergeons sur les moyens de les atteindre. Nous avons un devoir de vérité entre alliés qui se respectent.

Quelles que soient les évolutions, disons-le clairement à tous, la communauté internationale devra rester engagée en Irak : la question des sanctions, celle du désarmement, celle du programme humanitaire resteront posées en un lieu, et ce lieu, c'est le Conseil de sécurité de l'ONU (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Avec l'Union européenne, le Conseil européen extraordinaire du 17 février a permis de le constater, nous nous retrouvons sur l'essentiel : objectif du désarmement, reconnaissance du rôle du Conseil de sécurité, volonté de privilégier la voie pacifique, usage de la force comme dernier recours. Les clivages qui se sont exprimés lors du conseil des Affaires générales du 24 février n'ont porté que sur les questions de méthode. Assumons ces divergences. La construction de l'Europe politique ne doit pas être l'otage de cette crise ; l'Union a su faire face à d'autres difficultés.

Au sein de l'OTAN, tout en refusant la logique de guerre, la France reste solidaire de ses alliés et notamment de la Turquie au cas où cette dernière serait affectée par un conflit en Irak. Le Président de la République a multiplié les contacts avec son homologue turc pour s'en expliquer. Les autorités d'Ankara partagent notre position.

Aujourd'hui, une intervention militaire, alors que toutes les chances d'une solution pacifique n'ont pas été explorées, diviserait la communauté internationale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Elle serait perçue comme précipitée et illégitime. Démentant les critiques et les injures grossières adressées par certains à la France et à son Président, les débats des derniers jours aux Nations unies et les récentes manifestations à travers le monde ont montré que le recours à la force, dans la situation actuelle, susciterait une vague d'incompréhension et de suspicion (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

Elle accentuerait les fractures et les tensions dans un pays et une région complexes. Plusieurs fois centre du monde arabe dans le passé, l'Irak est à la fois un pays riche de ressources naturelles, un carrefour des religions et une entité nationale partagée entre des populations d'origines et de confessions diverses.

Le régime irakien est évidemment un sujet de préoccupation mais il ne doit pas masquer d'autres problèmes, tout aussi fondamentaux : le Proche-Orient ne connaîtra jamais la paix tant que le conflit israélo-palestinien n'aura pas trouvé une juste et harmonieuse solution (Applaudissements sur tous les bancs).

Comme l'a dit le Président de la République, cette région n'a pas besoin d'une nouvelle guerre mais d'un règlement politique, fondé sur le droit, seul à même de réduire les tensions, d'isoler les terroristes et ainsi d'ouvrir le chemin de la paix. Au moment où la communauté internationale entend régler la question du désarmement irakien, elle doit manifester la même détermination pour régler la crise du Proche-orient qui est, nous le savons bien, centrale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La guerre - et c'est là un point majeur - affaiblirait la coalition contre le terrorisme qui s'est formée au lendemain du 11 septembre. Elle provoquerait la recrudescence de ce phénomène qui nous menace tous.

Au-delà, la guerre ébranlerait l'ordre international, par la remise en cause de la sécurité collective, par la primauté accordée à la doctrine préemptive sur le principe de légitime défense. Nous ne voulons pas que la doctrine préemptive l'emporte sur le principe de légitime défense (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

Dans les circonstances actuelles, une deuxième résolution au Conseil de sécurité n'a pas de justification (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Ces considérations vont au-delà des enjeux immédiats de la crise irakienne : en défendant le Conseil de sécurité, nous défendons un lieu de droit ; en défendant les inspections, nous défendons une méthode de solution des conflits qui pourrait s'appliquer à d'autres pays ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Une deuxième résolution, autorisant le recours à la force, n'est pas justifiée tant que tous les moyens de parvenir au désarmement de l'Irak dans la paix n'ont pas été explorés. Or, le projet déposé lundi 24 février par les Anglais, les Américains et les Espagnols, et formulé en des termes généraux, est bien une autorisation de recourir à la force. Comme nous avons rejeté le recours automatique à l'usage de la force, la France rejette le recours automatique à cette deuxième résolution (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe des députés communistes et républicains). C'est la raison pour laquelle nous ne soutiendrons pas cette initiative.

Cette position est partagée par une majorité des membres du Conseil de sécurité. Elle nous semble pouvoir être soutenue par la communauté internationale. La déclaration tripartite franco-germano-russe, à laquelle s'est jointe la Chine, a permis à chacun de constater notre détermination. Nous avons proposé un renforcement des inspections pour désarmer l'Irak sans passer par la guerre : c'est le sens du mémorandum déposé au Conseil de sécurité. L'accueil fait à notre proposition le 14 février dernier a été favorable.

Voici, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés, quelle est la position du gouvernement français dans la crise irakienne. Plus que jamais nous souhaitons progresser dans cette voie, celle du désarmement dans la paix, celle de la sagesse de la France (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF, du groupe des députés communistes et républicains et des non-inscrits).

M. Alain Bocquet - Le monde est plongé dans une crise internationale majeure. L'inquiétude est grande. L'opposition de l'immense majorité de nos concitoyens à la guerre est à la fois profonde et légitime. Ces sentiments sont évidemment les nôtres.

Le moment est grave, les enjeux très élevés. Il s'agit de dire si nous voulons la guerre ou si nous ne la voulons pas. Il s'agit pour notre Parlement de contribuer à l'expression d'un choix crucial. Il s'agit de peser pour que les Européens soient capables de s'engager dans la voie d'une autonomie réelle et même d'une certaine dignité politique, pour la crédibilité de la construction européenne.

C'est l'heure de vérité pour la France et pour l'Europe.

Le défi est considérable. La pression américaine est énorme. Il fallait y résister et nous nous félicitons de la position défendue jusqu'ici par la France, comme nous nous félicitons du débat d'aujourd'hui, que nous avions demandé. Nous souhaitons d'ailleurs que la concertation prenne un caractère permanent et intervienne en amont des décisions essentielles.

Nous souhaitons également que jusqu'au bout notre pays agisse avec courage et détermination pour éviter la guerre, ce qui est encore possible. Dans ce but nous demandons, s'il le faut, un veto français à toute démarche qui chercherait à légitimer - comme s'y emploie la résolution anglo-américaine - cette guerre injustifiable de George Bush. Injustifiable, comme l'est l'idée même de la guerre préventive, à laquelle s'opposent des millions de gens dans le monde, y compris aux Etats-Unis. Notre groupe, Monsieur le Premier ministre, plaide pour un non catégorique à une guerre en Irak. Ce non est le choix le plus positif que puisse faire la France pour son rôle dans la communauté internationale, pour les valeurs auxquelles se réfère notre République et pour conserver à l'Union européenne une véritable chance. En premier lieu, parce que les Européens doivent occuper une place originale et forte dans un monde d'incertitudes ; ensuite, parce qu'un monde unipolaire ne peut qu'attiser les tensions et les rejets.

Le monde a besoin d'un rôle résolu de la France et de l'Europe. C'est aussi parce que notre pays, avec d'autres et conjointement à l'intervention des peuples, a su freiner les pressions bellicistes et montrer que la guerre n'était pas inévitable, qu'une situation exceptionnelle a pu se créer.

Certains s'en inquiètent et appellent à resserrer les rangs autour de Washington, dans une Alliance atlantique en crise et divisée. Mais quand les peuples et la quasi-totalité du monde se rassemblent pour rejeter la guerre, faut-il souhaiter que l'OTAN s'unisse pour la faire ? Est-ce légitime ? Où est la cause de la division, sinon dans l'acharnement de quelques gouvernements à vouloir imposer une politique de puissance pour des intérêts particuliers ? (Murmures sur plusieurs bancs du groupe UMP)

Naturellement, l'absence totale de légitimité d'une guerre américaine ne rend pas plus respectable à nos yeux la dictature criminelle de Saddam Hussein (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains, du groupe socialiste et sur de nombreux bancs du groupe UMP). N'a-t-il pas massacré les Kurdes et détruit leurs villages ? N'a-t-il pas réprimé de façon barbare les populations chiites ? N'a-t-il pas vidé les prisons en fusillant par centaines les opposants incarcérés pour délits d'opinion ? Nombreux sont les rapports et les témoignages qui décrivent l'horreur d'un système de torture, d'exécutions sommaires et d'arbitraire total. A la terreur, on voudrait, aujourd'hui, ajouter les malheurs d'une guerre, avec des dizaines, voire des centaines de milliers de vies brisées ou de morts : enfants innocents, femmes et mères, population civile sacrifiés, frappés aveuglément... Le peuple irakien a déjà trop souffert de ce régime machiavélique et infréquentable, qui fut pourtant naguère le destinataire de bien des complaisances économiques et politiques occidentales. Ce peuple n'est-il pas depuis plus de dix ans la première victime d'un embargo meurtrier et désastreux, dont Saddam Hussein s'est servi pour conforter son pouvoir ?

Si le mépris attesté des droits de l'homme et l'absence de démocratie en Irak constituaient les vraies raisons de la politique des Etats-Unis, alors pourquoi, pendant tant d'années terribles, n'a-t-on pas voulu entendre les souffrances du peuple irakien ? Pourquoi la voix des démocrates, des progressistes, des communistes irakiens fut-elle si peu écoutée ? Vous le savez, Monsieur le Premier ministre : les crimes barbares de cette dictature ne servent ici que de prétexte pour justifier la guerre. Qui peut croire, en effet, aux justifications que Georges Bush a construites de bout en bout ? Les inspecteurs de l'ONU font état d'un manque de preuves patent, concernant les liens supposés du régime irakien avec l'organisation terroriste Al Qaïda. Quant aux armes de destruction massive, on a peine à croire que l'indigence des infractions réellement constatées puisse justifier le déclenchement d'une entreprise militaire de vaste envergure, aux risques démesurés. Le processus d'inspection de l'ONU conforte donc ceux qui refusent de céder à la politique de force américaine. Il faut le poursuivre, d'autant que l'action conduite sur le terrain, de 1991 à 1998, par les émissaires de l'ONU, a plus fait pour le désarmement que la guerre précédemment déclenchée sur le territoire irakien (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe UMP).

Le niveau des pressions exercées par les Etats-Unis sur l'ONU et sur les pays d'Europe, y compris la Turquie, le montre : nous vivons un moment politique crucial, un nouveau palier dans la crise. Mais la formidable mobilisation des opinions publiques et des mouvements anti-guerre a introduit une nouvelle donne politique, qui se nourrit de plusieurs facteurs. C'est d'abord le sentiment latent que la guerre n'est pas la solution, mais constitue la politique du pire. Les réticences devant une logique de force brute sont d'autant plus fortes dans l'opinion publique que celle-ci, en général, perçoit bien - c'est vrai aussi de la Tchétchénie -, les mauvais prétextes invoqués pour allumer le feu de la guerre. Le vingtième siècle et les deux guerres mondiales ont conduit à bannir la guerre, et l'Organisation des Nations unies, dans sa charte, condamne le recours unilatéral à la force. Notre histoire aura beaucoup fait pour nous conduire à condamner la guerre en soi, et surtout un type de guerre qui ne cache pas son caractère impérialiste. C'est pourquoi la politique belliciste de l'administration américaine ne « passe » pas, et se voit rejetée par une opinion publique mondiale mue davantage par l'anti-hégémonisme que par l'anti-américanisme. Beaucoup perçoivent lucidement à quel point la guerre, et l'obsession de la justifier, sont source de régression.

S'il était si vrai que l'Irak est surarmé, pourquoi les Américains n'ont-ils pas saisi l'ONU avec plus d'insistance et de promptitude ? Comment expliquer qu'en 2001 et 2002 aucune des 105 résolutions examinées par l'ONU n'ait porté sur ces enjeux ? Quatre d'entre elles concernaient l'Irak : elles ne traitaient que des effets de l'embargo et des nécessités de l'aide alimentaire... (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Il est affligeant de voir que les dérisoires polémiques d'aujourd'hui font perdre à certains le sens des valeurs fondatrices de notre civilisation. Mais il est réconfortant de constater un nouveau contexte, dans lequel Georges Bush, politiquement isolé, peut difficilement convaincre en invoquant l'argument moral. Comme l'écrivait André Malraux, « la vérité d'un homme, c'est d'abord ce qu'il cache ». Les imprécations de Georges Bush sur le bien et le mal n'ont pas levé les suspicions sur la vraie nature de ses objectifs.

L'apport des mouvements anti-guerre a été décisif : ils ont contribué à éclairer les enjeux du débat politique. Ce qu'admettent de très nombreux responsables politiques, des millions de personnes, en France notamment, le pensent aussi. C'est pourquoi il est indispensable que la représentation nationale tout entière demeure à l'unisson de l'exigence de solutions, fermes mais politiques et négociées, dont notre peuple est porteur. Nos concitoyens ne comprendraient pas - et certaines prises de position récentes au sein de la majorité doivent, Monsieur le Premier ministre, vous alerter -, un fléchissement devant l'imminence du danger.

La guerre de Georges Bush est lourde d'immenses dangers. Pour le peuple irakien, nous le savons. Pour le peuple kurde aussi, qui redoute, à juste titre, une intervention militaire de la Turquie, laquelle vient de céder à l'injonction américaine en acceptant d'accueillir sur son sol 62 000 soldats. Danger également pour l'ensemble du Moyen-Orient et pour le monde musulman. Celui-ci vivrait une guerre américaine comme une provocation, une humiliation supplémentaire, une injustice s'ajoutant aux autres, notamment à celle que subit si durement le peuple palestinien. Nous ne sommes pas à l'abri, dans nos cités populaires, des conséquences difficiles d'une telle hypothèse. L'entreprise guerrière américaine ne ferait que nourrir les intégrismes et les terrorismes et aiguiser le prétendu « choc des civilisations ». Notre responsabilité est de refuser ce que Mohammed Arkoun nomme avec justesse « une tragédie historiquement programmée ».

L'illégitimité d'une entreprise militaire serait ressentie d'autant plus vivement que l'administration américaine pousse à la militarisation de l'économie et à la guerre pour asseoir sa domination et préserver ses intérêts géopolitiques et pétroliers dans une région d'importance stratégique. L'Irak, seconde puissance pétrolière du monde, fait à ce titre, l'objet des plus cyniques convoitises.

Certes le budget militaire des Etats-Unis équivaut à la somme des budgets militaires de tous les autres pays du monde. Mais cet extrémisme militariste n'en traduit que plus l'état de crise de ce pays. En choisissant l'épreuve de force avec l'Irak, les Etats-Unis feraient preuve, en fin de compte, d'une grande faiblesse. En s'obstinant à vouloir démontrer leur toute-puissance, ils ne feraient que révéler leur impuissance.

Les Etats-Unis ne peuvent, enfin, ajouter l'illégalité à l'illégitimité, en décidant la guerre sans l'aval du Conseil de sécurité. Un tel choix les situerait délibérément hors du droit et des institutions internationales, et cette régression créerait une situation lourde de périls.

Une telle évolution représenterait un grave danger pour l'avenir même des relations internationales. Un monde où règne la loi du plus fort ou un monde plus civilisé ? L'enjeu n'est rien moins que celui-là.

L'émergence d'un front contre la guerre, d'une ampleur inédite, ouvre de nouvelles perspectives. Ce qui s'est passé au Conseil de sécurité, au sommet franco-africain, au sommet des pays non alignés témoigne de l'hostilité de la majorité des pays du monde à la guerre. Les facilités militaires accordées aux Etats-Unis, comme la guerre elle-même, ont suscité de vives critiques parmi les pays de la Ligue arabe, dont on sait à quelles pressions, voire à quel chantage inavoué, ils sont directement soumis.

En Europe, les Quinze sont laborieusement parvenus à élaborer une position commune qui, si elle n'exclut pas l'usage de la force, doit tenir compte du puissant mouvement d'opinion. Les gouvernements italien et espagnol n'ont pas osé présenter à leurs parlements une motion de soutien à la politique de George Bush et ont été contraints de reprendre l'esprit de la position commune des Quinze. Quant au gouvernement britannique, il devra compter avec des dizaines de députés travaillistes et libéraux-démocrates opposés à la politique de Tony Blair.

Enfin, le 15 février dernier, de gigantesques manifestations, partout dans le monde, ont rassemblé des millions de gens pour la paix. Et rarement, dans l'histoire française récente, l'exigence de paix aura fait converger autant d'énergies.

Que le monde soit ainsi contre la guerre nous donne un formidable levier pour l'empêcher. La légitimité est du côté de la paix, du refus de la logique de guerre. En témoigne l'engagement actif des Eglises mais aussi de nombreux intellectuels, artistes, créateurs, prix Nobel américains, que je tiens à saluer pour leur courage et leur combat (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

Ces convergences redonnent de l'espoir en même temps qu'elles aident à voir plus loin.

Un des enjeux fondamentaux de cette crise internationale est de savoir, en effet, si la France et les Européens sauront trouver ensemble, des solutions durables et justes, aux grands problèmes du monde d'aujourd'hui, s'ils sauront construire une véritable communauté politique solidaire.

Pour certains, le choix serait celui d'un grand marché ultra-libéral lié à la puissance capitaliste américaine. Pour d'autres, il faudrait penser l'avenir en termes de puissance de l'Europe, sur le modèle du leadership américain... que les Quinze ne seraient d'ailleurs pas près d'atteindre. Mais dans un cas comme dans l'autre, la dépendance et la fragilité sont au bout de la route.

Aujourd'hui, l'alternative est claire. Ou bien l'option atlantiste conduira l'Europe à une forme d'inexistence, ou bien les Quinze s'attacheront, dans la durée, à répondre aux attentes politiques et sociales qui s'expriment en Europe même et, dans l'urgence, en Méditerranée, au Moyen-Orient, ou encore en Afrique. C'est d'autant plus urgent que les logiques de guerre et les budgets militaires exorbitants aggravent les crises économiques. Nous avions souligné, après le 11 septembre 2001, la nécessité d'un ambitieux grand plan euro-méditerranéen d'aide et de coopération. Il est encore plus nécessaire aujourd'hui.

Nous sommes à un moment de vérité pour la France et pour l'Europe. On voit aisément à quel défi immédiat serait confrontée la politique de partenariat euro-méditérranéen des Quinze si, du fait de la guerre, les extrémismes et le terrorisme déstabilisaient davantage encore cette région. Quelle serait la crédibilité de ce partenariat si les Quinze ne montraient pas une véritable capacité d'initiative pour contribuer à résoudre les conflits, en particulier celui du Proche-Orient, dans le respect des résolutions de l'ONU, dans le souci de la sécurité pour tous, et de la justice - enfin ! - pour le peuple palestinien qui a droit à un Etat souverain au même titre que le peuple voisin d'Israël. Au contraire, le peuple palestinien peut légitimement redouter que le déclenchement d'un conflit en Irak soit mis à profit par le gouvernement d'Ariel Sharon, pour tenter de rayer de la carte ses territoires (Murmures sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Jean-Claude Lefort - Il a raison !

M. Alain Bocquet - C'est pourquoi, tant que ce conflit ne sera pas en voie d'être résolu, le Moyen-Orient restera la zone d'instabilité et de violences qu'il est depuis des dizaines d'années.

La menace de guerre impose de poser plus globalement certains problèmes cruciaux. Celui d'abord de la démilitarisation et de la dénucléarisation dans l'ensemble de la Méditerranée et du Moyen-Orient : la France devrait, à ce sujet, prendre l'initiative d'une conférence mondiale contre la prolifération et pour le désarmement (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

Celui, ensuite, d'une revalorisation et d'une démocratisation de l'ONU. A cet égard, le défi des dirigeants américains à l'ONU - « ou vous votez la guerre, ou vous vous marginalisez » - constitue un inacceptable chantage.

Rien n'est plus faux que d'accréditer l'idée que l'utilisation par la France de son droit de veto ouvrirait une crise et détruirait l'ONU. En effet, depuis 1945, les Etats-Unis ont opposé 71 fois leur veto, la Grande-Bretagne 30 fois, la France seulement 18... et l'ONU est toujours vivante. Oui, la France, si nécessaire, doit utiliser son droit de veto pour empêcher la guerre (Interruptions sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Pierre Lellouche - Et l'URSS, combien de fois l'a-t-elle utilisé ?

M. Alain Bocquet - C'est au contraire si on laissait faire l'administration américaine dans son unilatéralisme irresponsable et arrogant (Interruptions sur quelques bancs du groupe UMP) que toute l'architecture institutionnelle internationale mise en place après la Deuxième Guerre mondiale serait en péril, en particulier l'ONU elle-même.

Lors de notre précédent débat sur la question, ma collègue Marie-George Buffet, avait souligné l'importance, pour notre assemblée, de se considérer comme saisie en permanence. Cela s'impose plus que jamais dans les circonstances actuelles. Les députés communistes et républicains veulent que la voix de la France contre la guerre, pour une issue politique et pacifique, se fasse entendre avec force et clarté jusqu'au bout.

J'emprunterai ma conclusion à Aristide Briand : « Tant que la guerre n'a pas lieu, il faut en parler comme si elle pouvait ne pas avoir lieu » (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur de nombreux bancs du groupe socialiste).

M. Alain Juppé - Au nom du groupe de l'UMP, je vous remercie, Monsieur le Premier ministre, d'avoir organisé ce nouveau débat sur l'Irak au moment décisif où tout peut basculer entre la paix et la guerre.

Si nous sommes toujours en paix aujourd'hui, nous le devons en grande partie à la diplomatie française qui, sous la conduite du Président de la République, la vôtre et celle de notre ministre des affaires étrangères, a réalisé, depuis plusieurs mois, un véritable sans-faute (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Oui, nous avons donné toutes ses chances à la paix et ce résultat remarquable a été atteint parce que notre action diplomatique a présenté, depuis le début, trois qualités essentielles : une vision claire des objectifs, de l'énergie et de la ténacité dans l'exécution, une volonté permanente de convaincre et de rassembler autour de nous la communauté internationale.

Nos objectifs, d'emblée fixés avec précision, n'ont jamais varié.

Il s'agit d'abord, pour nous, d'obtenir le désarmement de l'Irak. Car il n'a jamais fait de doute à nos yeux que le régime irakien constitue une menace pour la paix dans la région, et au-delà (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Il l'a montré, depuis plus de deux décennies, en n'hésitant pas à utiliser des armes chimiques contre son voisin, l'Iran, ou contre ses propres populations kurdes - sans oublier, bien sûr, l'invasion du Koweït. Les inspections décidés par l'ONU et l'AIEA au lendemain de la guerre du Golfe ont permis de recenser en Irak des armes de destruction massive - nucléaires, bactériologiques et chimiques - et d'ailleurs d'en détruire davantage, comme l'a souligné Mme la ministre de la défense, que l'on n'en avait détruit durant la guerre du Golfe. Il n'a jamais fait de doute, non plus, pour la France que le régime irakien est une dictature de la pire espèce, qui opprime son peuple et le réduit à la misère (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Ce rappel des positions françaises me paraissait nécessaire pour éviter les procès d'intention qui nous sont parfois faits ici ou là.

Notre deuxième objectif a toujours été de parvenir au désarmement de l'Irak dans le cadre de l'ONU et, plus précisément, en application des résolutions successives de son Conseil de sécurité. Cette exigence a deux raisons au moins. Une raison de principe, et même de droit. Dans la société internationale civilisée que nous avons l'ambition de construire, il ne doit plus appartenir à tel ou tel Etat - aussi puissant soit-il - de décréter unilatéralement la guerre (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Seules les Nations unies ont la légitimité requise pour décider de l'usage de la force en vue de faire appliquer leurs propres résolutions. Nous devons nous réjouir de constater que partout, même aux Etats-Unis, les opinions publiques sont attachées à cette règle. Une raison d'efficacité ensuite : si le désarmement de l'Irak est assumé par l'ensemble de la communauté internationale, ses chances de réussite sont évidemment accrues, moins d'ailleurs sur le plan militaire que sur le plan politique. L'adhésion des peuples devient, heureusement, une condition essentielle du succès de l'action politique.

Notre troisième objectif découle des deux précédents : nous voulons qu'avant de recourir, si nécessaire et en dernier ressort, à la force armée - parce qu'il est des cas où cela peut être nécessaire, et peut-être les Nations unies auraient-elles dû intervenir plus tôt en Bosnie -, toutes les possibilités d'obtenir le désarmement de l'Irak par des moyens pacifiques soient explorées.

C'est dans cet esprit que nous avons tout fait pour que les inspecteurs de l'ONU et de l'AIEA retournent en Irak où ils avaient fait leurs preuves entre 1991 et 1998. Nous continuons à affirmer que le temps des inspections n'est pas achevé et qu'une autre étape de l'action ne pourra être éventuellement franchie que sur la base des rapports de la commission de contrôle, de vérification et d'inspection des Nations unies et de l'AIEA. C'est seulement dans l'hypothèse où ces rapports feraient apparaître un blocage de la situation que nous sommes prêts, selon la formule maintes fois répétée, « à envisager toutes les options, sans en exclure aucune ».

Une fois ces objectifs fixés et clairement exprimés, notre diplomatie a déployé toute son énergie et fait preuve de toute sa ténacité pour en assurer l'exécution.

En novembre dernier, le vote à l'unanimité de la résolution 1441 par le Conseil de sécurité, au terme d'un long travail de préparation diplomatique, a été pour nous un premier succès. Au fil des semaines, la France a constamment cherché à pousser jusqu'au bout la logique de cette résolution, en proposant à plusieurs reprises de renforcer les moyens matériels et juridiques des inspections. Cette semaine encore, la France a déposé un mémorandum qui définit des critères concrets pour faciliter le travail des inspecteurs et leur donner notamment un échéancier précis. Nous apportons notre confiance et notre soutien à MM. Blix et ElBaradei qui s'acquittent de leur très lourde mission dans un contexte particulièrement difficile et qui viennent à nouveau de faire état des progrès qu'ils enregistrent dans l'attitude irakienne.

Durant toute cette période, la diplomatie française a su éviter la maladresse à laquelle certains la poussaient, et qui l'aurait à coup sûr isolée : à savoir brandir, à contretemps, son droit de veto (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Le Président de la République, le Premier ministre, le ministre des affaires étrangères ont eu au contraire le souci permanent d'agir en concertation étroite avec tous nos partenaires extérieurs, et de rassembler la communauté internationale.

C'est vrai des Etats-Unis avec lesquels, malgré notre divergence, le dialogue demeure intense ; c'est vrai des gouvernements européens, avec des bonheurs divers ; c'est vrai de la Russie, de la Chine, et de tous les états membres du Conseil de sécurité, dont beaucoup ont applaudi Dominique de Villepin à New York le 14 février ; c'est vrai des chefs d'Etat d'Afrique, réunis récemment à Paris, qui ont adopté une déclaration se concluant ainsi : « Il y a une alternative à la guerre » ; c'est vrai encore de la Ligue arabe, ou du sommet des non-alignés. Cela fait du monde !

Bref, notre activité diplomatique a été exemplaire et efficace, puisqu'il n'y a pas la majorité des neuf voix requise, au Conseil de sécurité, pour adopter une résolution de guerre. Vous avez affirmé, Monsieur le Premier ministre, que le temps d'une telle résolution n'était pas venu.

Le rôle que nous avons joué nous a certes attiré les sarcasmes de la presse anglo-saxonne. Nous devons nous garder d'entrer dans une pareille polémique, et je félicite nos responsables pour leur sang-froid. Notre détermination sert la cause de la paix. Elle a touché juste au c_ur des peuples, y compris en Amérique du Nord, par exemple au Canada, je puis en témoigner. Dans ce combat qui n'est pas médiocre, j'ai presque envie de m'exclamer : « Bravo la France, et vive la France ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Le groupe UMP partage mon appréciation sur le rôle joué par notre pays au cours des derniers mois. Je sais aussi que nous nous interrogeons tous sur le dénouement de la crise. Notre stratégie aurait-elle atteint sa limite ? N'aurons-nous mené qu'un combat de retardement ? La décision américaine est-elle irréversible, et maintenant très proche ?

Je n'userai pas de la langue de bois. Certes nous voulons tous croire à une dernière chance d'éviter la guerre. Nous continuerons à déployer tous nos efforts dans la recherche d'un règlement pacifique. Mais les bruits de la mobilisation commencent à couvrir les voix qui appellent à la raison. Il ne sera pas dit en tout cas que nous n'aurons pas exprimé haut et fort nos inquiétudes. C'est pourquoi je veux mettre en garde contre les conséquences redoutables d'un conflit armé.

Conséquences sur les Nations unies. Plusieurs scénarios sont encore possibles, et avec Saddam Hussein tout peut arriver. Il n'a pas encore clairement répondu à l'injonction de M. Blix de détruire à partir du 1er mars les missiles Al-Samoud 2. Notre ministre des affaires étrangères a demandé que l'Irak se conforme à cette obligation. Il a également rappelé qu'en cas de blocage constaté par les inspecteurs, la France était prête à examiner toutes les options, sans en exclure aucune.

Deuxième scénario : l'Irak passe aux actes et MM. Blix et ElBaradei constatent que des progrès sont en cours. Y aurait-il, dans ce cas, une majorité de neuf voix au Conseil de sécurité pour approuver une résolution de guerre ? Tout porte à penser que non. L'intervention militaire américaine serait-elle néanmoins déclenchée, malgré l'absence de feu vert des Nations unies ? Les conséquences sur cette institution qui, malgré ses défauts, constitue la plus belle construction de l'esprit de paix que la communauté internationale ait jamais édifiée, seraient désastreuses.

Qui, demain, pourrait alors dire le droit et imposer des solutions politiques aux nombreux conflits qui déchirent la planète ? Comment imaginer que le pays des « Quatorze points » du Président Wilson et de la charte de San Francisco rompe ainsi avec son engagement, tout au long du XXe siècle, en faveur du multilatéralisme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe socialiste)

Conséquences ensuite sur le Moyen Orient.

Ici encore, les scénarios sont nombreux : la guerre serait-elle courte et propre, ou s'enlisera-t-elle comme souvent ? Je ne me hasarderai pas à faire un pronostic.

Notre divergence d'appréciation majeure avec l'administration américaine porte sur « l'après-guerre ». La thèse qu'on entend souvent à Washington est celle de la contagion démocratique. Une fois la dictature de Saddam Hussein renversée, on verrait progresser à Riad, à Damas et pourquoi pas à Téhéran, la démocratie et l'ouverture vers les valeurs occidentales. Dans la foulée, le conflit israélo-palestinien, qui est à l'origine de tout, trouverait tout naturellement sa solution.

Je crains que cette thèse optimiste ne se vérifie pas. Je ne suis pas sûr que les traditions et les mentalités des pays arabo-musulmans de la région soient propices à la propagation rapide d'une onde de choc démocratique « à l'occidentale ». Il y faudra une évolution en profondeur des sociétés et des peuples. Ne peut-on au contraire redouter qu'une occupation prolongée de l'Irak sous administration américaine ne finisse par provoquer des réactions de rejet dans les opinions publiques, et peut-être même une recrudescence de la menace terroriste ? Que dire du risque de déstabilisation de la région en cas d'atteinte à l'intégrité territoriale de l'Irak ? L'autorisation donnée à la Turquie de pénétrer au Kurdistan en échange de l'hospitalité qu'elle accorde aux troupes américaines ne porte-t-elle pas en germe bien des dangers ?

Conséquences, en troisième lieu, sur les relations entre la France et les Etats-Unis. Dominique de Villepin nous dit que ces relations ne sont pas en cause. De fait, ce que nous avons en commun, l'Amérique et nous, est essentiel : l'histoire, l'attachement à la démocratie et aux droits de la personne humaine, l'amour de la liberté. Personne n'a oublié ici la dette de sang que nous gardons envers la grande nation américaine qui, par deux fois, a apporté une contribution décisive à la libération de notre sol (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Le peuple américain sait bien qu'au lendemain du 11 septembre, la France unanime lui a manifesté sa solidarité. Il se souvient des mots et des gestes de Jacques Chirac se rendant personnellement à New York. De plus, la France s'est engagée sans hésitation au côté des Etats-Unis, dans la lutte sans merci contre le terrorisme. Oui, je le dis avec force à nos amis américains : la grande majorité du peuple français ignore le sentiment d'anti-américanisme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mais pourquoi faudrait-il que l'amitié et l'alliance nous interdisent la franchise ? Quand nous avons des divergences d'appréciation, nous revendiquons le droit de le dire, pour la défense de nos propres intérêts et peut-être même dans l'intérêt de l'Amérique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF). Nous avons aujourd'hui une divergence sur la manière de résoudre la crise irakienne et nous le disons sereinement.

Plus généralement, nous divergeons sur la manière de lutter contre les régimes qui menacent la stabilité et la paix internationales. S'agissant de la prolifération des armes de destruction massive, notamment nucléaires, comment peut-on penser que la méthode préconisée par les Etats-Unis en Irak pourrait s'appliquer demain en Corée du Nord, en Iran ou ailleurs ? La crise irakienne ne devrait-elle pas être au contraire l'occasion de progresser dans la mise en _uvre d'une « gouvernance mondiale » fondée sur le droit et sur l'action multinationale dans le cadre des Nations unies ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Conséquences enfin sur l'Union européenne elle-même. Evitons deux exagérations de sens contraire. La première est celle qui consiste à nier la difficulté, au prétexte que le dernier Conseil européen a pu, le 17 février, s'accorder. Il y a, en réalité, bel et bien clivage au sein de l'Union ainsi qu'avec bon nombre de pays candidats. L'autre exagération est celle du pessimisme intégral, prompt à dresser l'acte de décès de la construction européenne. L'Union a surmonté des crises tout aussi graves, et l'affirmation d'une opinion publique européenne, globalement en phase avec la politique que nous suivons, est au contraire un grand motif d'optimisme. L'Europe des citoyens se forge et nos gouvernements démocratiques devront en tenir compte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Dans ce contexte, le rendez-vous européen de 2004 prend toute sa gravité. Il ne s'agira pas seulement d'une négociation « technique », mais d'un rendez-vous politique, au sens le plus noble du terme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Ecrire une Constitution, ce n'est pas simplement fixer les modalités de l'élection du président du Conseil européen et de la Commission. C'est faire un choix politique : quel projet assignons-nous à l'Union européenne ?

Le Président de la République a raison de mettre chacun devant ses responsabilités, qu'il s'agisse de pays candidats ou des Etats membres. Voulons-nous, oui ou non, que l'Union européenne devienne un acteur politique à part entière sur la scène internationale ? Il ne s'agit pas là d'un choix de confrontation, mais d'une proposition de partenariat avec les autres pôles d'influence de la planète, au premier chef les Etats-Unis auxquels nous sommes liés au sein de l'Alliance atlantique et aussi avec la Russie, la Chine et d'autres.

Mais dans un partenariat, qui n'est pas un protectorat, chacun doit respecter l'autre et admettre l'expression des différences (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Nous sommes nombreux à rêver d'une Europe européenne, attachée à ses valeurs, maîtresse de sa politique extérieure, capable d'assurer sa sécurité dans le cadre de ses alliances. Sans cela, que signifieraient les partages de souveraineté auxquels nous sommes prêts à consentir ? La réponse n'appartient qu'à nous, Européens.

Je relisais hier l'avant-dernière scène de « La guerre de Troie n'aura pas lieu » de Jean Giraudoux, pièce jouée pour la première fois en 1935. Hector qui, dans son dialogue avec Ulysse, s'efforce de mettre dans le plateau de la balance tout le poids de la paix, y déclare : « Ce que je pèse, Ulysse ? Je pèse un homme jeune, une femme jeune, un enfant à naître. Je pèse la joie de vivre, la confiance de vivre, l'élan vers ce qui est juste et naturel ». Comme chacun sait, la guerre de Troie a quand même eu lieu. Nous, peuples de la vielle Europe, nous sommes trop instruits des malheurs de la guerre et des souffrances qu'elle a infligées à tant d'innocentes victimes pour ne pas tenter, jusqu'au bout, de donner encore une ultime chance à la paix (Mmes et MM. les députés UMP se lèvent et applaudissent longuement ; Mmes et MM. les députés UDF se lèvent et applaudissent également).

M. François Hollande - La guerre peut-elle être évitée ? Face à la détermination américaine de recourir à bref délai à la force, face à l'inconstante volonté de désarmer manifestée par l'Irak, il est vrai que les chances de la paix peuvent apparaître faibles. A moins que l'on ne pense, comme beaucoup ici, que la primauté du droit, les Nations unies et les opinions publiques peuvent encore l'emporter sur le déchaînement irréfléchi des armes...

Une guerre, surtout lorsqu'elle procède de la communauté internationale, est un acte grave. Elle ne peut être justifiée que par des motifs impérieux : un danger majeur pour la sécurité du monde, des violations caractérisées du droit international. Ce furent ces raisons qui, en 1991, nous conduisirent à approuver une intervention militaire, en Irak, après l'invasion du Koweït ; ce furent ces raisons qui nous convainquirent de participer aux opérations du Kosovo, puis qui, après les abominables attentats du 11 septembre, justifièrent l'intervention des Nations unies pour renverser le régime des talibans, dès lors que les liens de celui-ci avec Al Qaïda étaient non seulement démontrés, mais encore proclamés.

Nous sommes pour la paix : c'est notre tradition, notre volonté, notre aspiration. Mais nous avons toujours su prendre nos responsabilités en acceptant le conflit, avec ses risques, chaque fois qu'il pouvait permettre de préserver la stabilité et la primauté du droit. Aujourd'hui, cependant, rien ne justifie une guerre. Tout, même, commande de la prévenir, de l'empêcher.

Les motifs impérieux - nous sommes unanimes sur ce point - font défaut : il n'a pas été prouvé que l'Irak aurait encore des armes de destruction massive avec la capacité de les utiliser. Les inspections ont pu reprendre et ont produit plus de résultats que l'intervention militaire de 1991. Les inspecteurs doivent disposer du temps nécessaire à leur travail, temps évalué aujourd'hui même à plusieurs mois par Hans Blix. En dépit de ce qu'affirment les Etats-Unis, aucun lien n'a pu être établi entre le régime irakien et Al Qaïda. Dès lors, pourquoi faire la guerre ? Le désarmement par la paix progresse et les voisins de l'Irak ne sont pas directement menacés.

Et comment faire comprendre aux opinions arabes notamment que le désarmement devrait, en Irak, être imposé par la force alors qu'il est entravé en Corée du Nord ou simplement ignoré au Pakistan, deux pays dotés, eux, de l'arme nucléaire ? Comment faire admettre qu'une guerre serait nécessaire pour chasser un dictateur lorsqu'on en tolère, encourage, voire utilise tant d'autres, notamment dans cette même région du monde ? Comment faire partager l'idée d'une intervention militaire au prétexte que les résolutions des Nations unies seraient insuffisamment respectées, lorsque la seule puissance capable de se faire entendre dans la région reste indifférente à bien d'autres manquements tout aussi graves ? Pourquoi deux poids et deux mesures, comme le demandait déjà François Mitterrand en 1991 ?

Nous devons donc continuer dans la voie du désarmement par la paix. La France a pris en ce sens des initiatives que les Nations unies ont approuvées. Il faut soutenir jusqu'au bout ce refus de la guerre.

Celle-ci aurait bien évidemment des conséquences graves pour la population irakienne, Saddam Hussein étant habile à susciter une sorte de solidarité sordide en pleine tragédie humaine. Le pays serait déstabilisé, menacé d'éclatement. La Turquie pourrait être tentée d'intervenir au Kurdistan, l'Iran de voler au secours des chiites. Au lieu de prévenir la menace terroriste, on l'aggraverait. Enfin, cette intervention consacrerait l'unilatéralisme américain, les Etats-Unis décidant désormais seuls du sort du monde, en fonction de leurs propres critères ou intérêts.

Ce qui est en cause, c'est donc bien plus que le désarmement - nécessaire - de l'Irak ou le renversement - souhaitable - de Saddam Hussein : ce sont une conception du monde, une forme de régulation des conflits internationaux, le rôle des Nations unies, la primauté du droit. Il faut par conséquent engager la bataille pour la paix et le droit, en croyant en notre capacité de la gagner. Nous pouvons et nous devons l'emporter, comme l'affirmait avant-hier le chancelier Schröder.

De nombreux pays, en effet, s'opposent au recours à la force, et il est des circonstances où seul compte l'essentiel : les valeurs, les principes, le respect du droit, la République et la paix. Et, sur ce qui nous paraît nécessaire, juste et utile, il convient de nous rassembler ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. François Bayrou - Très bien !

M. François Hollande - Nous avons, Monsieur le Premier ministre, suffisamment de critiques à adresser à votre politique économique et sociale pour joindre aujourd'hui tous nos efforts aux vôtres, s'agissant d'une question aussi cruciale que la paix et la guerre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur plusieurs bancs du groupe UMP, du groupe UDF et du groupe des députés communistes et républicains)

La France est forte chaque fois qu'elle est unie sur une ligne claire. Puisque nous pouvons aujourd'hui défendre les mêmes positions avec l'appui d'une majorité de Français, ne nous privons pas de cette chance. Des foules considérables se sont mobilisées ces dernières semaines, en particulier dans les pays dont les gouvernements étaient plutôt enclins à suivre les Etats-Unis, mais aussi aux Etats-Unis mêmes. Cette mobilisation, cette prise de conscience citoyenne est un atout décisif !

Le choix est entre une deuxième résolution, à l'initiative des Etats-Unis, et le renforcement des inspections. Tout doit être fait pour éviter une deuxième résolution ou, si elle était déposée, pour constituer une majorité afin de la repousser. Mais, dans ce dernier cas, nous devons savoir que les pressions vont s'intensifier sur les pays récalcitrants, que les Etats-Unis vont essayer d'assimiler le refus de ce texte à un soutien, ne serait-ce qu'implicite, à Saddam Hussein. Le succès dépend donc de notre détermination. La France doit aller, le cas échéant, jusqu'au bout : jusqu'à user de son droit de veto, pour éviter l'aventure, la fuite en avant et le déchaînement des passions et des armes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Le veto, ce n'est pas seulement une arme de dissuasion, une menace, un chantage ou une agression. C'est le fait de dire non à la guerre préventive (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des députés communistes et républicains). C'est le moyen de refuser une couverture légale à une intervention illégitime, de ne pas couvrir du drapeau des Nations unies une cause qui n'est que celle de l'administration Bush ! (Mêmes mouvements) Y recourir serait dans la logique de la position adoptée par la France, qui considère sincèrement cette guerre comme inutile et dangereuse.

Nous n'en sommes certes pas encore là, mais le moment décisif approche. C'est pourquoi, au nom des socialistes, je demande qu'un autre débat soit prévu ici, cette fois avec vote, avant que la France n'ait à faire connaître sa décision (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des députés communistes et républicains).

Exclure, dès à présent, a priori le veto, comme certains le font, serait affaiblir notre position dans la négociation diplomatique qui s'engage (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur plusieurs bancs du groupe UMP). On nous objectera que notre opposition entraînerait une rupture irréversible avec les Etats-Unis. Mais ce ne serait pas la première de notre histoire récente : souvenons-nous de notre départ de l'organisation militaire en 1966 ou de notre contentieux à l'époque de la guerre du Vietnam.

Chaque fois, nous avons réussi à surmonter ces conflits parce que nos deux pays sont liés par leur histoire, par des dettes respectives, et partagent, heureusement, sur les libertés, les mêmes valeurs. Mais il ne s'agit pas là d'un conflit d'intérêts, ni d'un défaut de solidarité d'un allié à un maître. Nous avons dit notre horreur face aux attentats du 11 septembre. Il s'agit, entre les Américains et les Français - et je l'espère, les Européens -, d'une divergence sur la conception du monde et l'utilisation de la force. Celle des Etats-Unis est dominatrice et déstabilisatrice. La crise irakienne est à cet égard décisive. Si elle se dénoue par la force, le processus ne s'arrêtera pas. De nouvelles crises surgiront, et il ne sera plus possible d'arrêter la stratégie américaine à l'échelle de la planète. Si en revanche, elle se dénoue par la négociation au sein de l'ONU, la communauté internationale en sortira renforcée.

Certes, le rejet par le Conseil de sécurité de la résolution américaine peut ne pas décourager George Bush d'intervenir unilatéralement. Mais il sait aussi combien ce choix serait périlleux. Lors de l'ouverture du conflit, mais plus encore dans l'après-guerre. Comment gérer celle-ci dans la région sans la caution de l'ONU, sans la participation de l'Europe ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Nous détenons là un moyen de dissuasion essentiel, pour faire prévaloir le droit au Conseil.

Reste la question de Saddam Hussein. Vouloir la paix ne signifie pas tolérer son régime. C'est un dictateur de la pire espèce qui a tué des opposants et détourné les produits financiers du « pétrole contre nourriture ». Il faut donc continuer la pression, l'obliger à détruire les armes, soutenir l'opposition démocratique et s'efforcer de détacher son peuple de ce dictateur. Sans doute le mieux serait-il qu'il parte, et même qu'il soit jugé par la Cour pénale internationale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), cette CPI que, paradoxalement, les Etats-Unis ne reconnaissent pas ! Comment proclamer l'ingérence pour chasser un dictateur quand on ne reconnaît pas la justice internationale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Pour nous, la paix n'est pas l'impunité, comme la guerre n'est pas la justice. Mais la crise que nous traversons nous oblige, quelle que soit l'issue, à repenser le rôle des Nations unies et l'avenir de l'Europe.

Les institutions internationales doivent être renforcées, c'est la condition indispensable pour la paix, mais aussi pour le développement, la stabilité financière et la préservation de la planète. Cela exige de compléter les traités, d'amplifier les moyens et de démocratiser le fonctionnement des institutions internationales.

Face à la stratégie américaine, qui n'est rien d'autre que le retour de l'impérialisme et de l'unilatéralisme, avec en outre un élément personnel, presque religieux, apporté par George Bush, il convient de mettre en place un monde multipolaire fondé sur le droit, seule protection du faible contre le fort.

La France doit promouvoir le droit international, mais aussi les institutions internationales et leur capacité d'agir. La lutte pour une autre mondialisation est inséparable de la lutte pour la paix. C'est le même combat (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

De même, nous ne pouvons rester silencieux sur la question du Proche-Orient. Aucune initiative n'y a été prise ces derniers mois. Aucune pression n'a été exercée, notamment sur le gouvernement israélien. Là encore la France doit jouer son rôle, sans se borner à dire aux uns et aux autres ce qu'ils ont envie d'entendre.

L'Europe, enfin, sort affaiblie de l'épreuve de ces dernières semaines. L'unanimisme de façade n'a pas résisté et la solidarité atlantique a prévalu sur la solidarité européenne. Un grand débat doit s'ouvrir sur le projet européen. Voulons-nous une Europe réduite au marché, ou une Europe solidaire ? Voulons-nous une Europe dotée d'un projet de développement, ou une Europe qui se protège ?

La discussion doit s'ouvrir aussi sur les institutions, et pas seulement sur la présidence européenne. Nous devons aller jusqu'au bout du débat sur la défense européenne et sur l'élargissement. Les travaux de la Convention devront être prolongés autant qu'il le faudra, car la question est capitale. Et dans ce grand débat, sachons respecter les positions de chacun, en évitant entre Européens la condescendance que nous reprochons aux Américains à notre endroit (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Sachons comprendre l'histoire et la géographie de nos principaux partenaires pour ne pas les traiter comme des enfants. Mais le pire serait d'esquiver le débat, de nier nos divergences. Faisons vivre le couple franco-allemand, mais sans oublier de parler et d'agir avec tous. Il faut refonder une dynamique européenne à vingt-cinq, mais aussi commencer à travailler avec l'avant-garde européenne qui peut permettre de faire un saut vers une Europe plus forte et plus solidaire.

Nous vivons un moment important de l'histoire du monde qui va au-delà de la seule question irakienne. Il ne s'agit pas seulement d'éviter une guerre, mais une série de conflits suscités au nom d'un ordre du monde décidé unilatéralement, par une seule puissance.

Il ne s'agit pas seulement d'empêcher les Etats-Unis d'intervenir en Irak, mais de régler par la paix un problème posé à l'ensemble de la communauté internationale, celui du désarmement. Il ne s'agit pas uniquement d'arrêter une crise, mais de préserver la stabilité du monde. L'ONU joue là son avenir dans la période de l'après-guerre froide. L'Europe est l'instrument d'un monde multipolaire, elle ne peut être une simple union d'intérêts marchands. De la capacité de l'Europe à intervenir dépend aussi la stabilité du monde. Enfin, la France doit porter son message universel, celui de la paix, du droit, et de la justice internationale contre la force. Nous, socialistes, voulons que cette position soit tenue jusqu'au bout, sans relâche, ni faiblesse. Notre engagement ne variera pas. Ce sera toujours « Non à la guerre ! », et je souhaite que ce soit aussi celui de la France (Les députés socialistes se lèvent et applaudissent longuement).

M. Pierre Albertini - La guerre est toujours un saut dans l'inconnu. On sait quand on y entre, on ne sait pas quand ni comment on en sort. Ce débat sur l'Irak est donc doublement nécessaire. D'abord, pour exprimer publiquement et sans détours la position des élus que nous sommes. Certes, la conduite quotidienne des relations internationales revient au chef de l'Etat et au gouvernement. Mais la Constitution de 1958, fidèle aux traditions républicaines, a conféré au Parlement les décisions les plus importantes en ce domaine, la déclaration de la guerre et la ratification des traités. Ce partage des compétences suppose une information et un échange pour que la diplomatie de notre pays soit en phase avec la représentation nationale.

Le second objet de ce débat, c'est de prendre l'opinion à témoin au moment où la marche vers la guerre paraît, jour après jour, plus probable. Albert Camus écrivit dans un journal algérois, en 1939 : « Il n'y a de fatalité dans l'histoire que celle que nous y mettons ». Avant qu'il ne soit trop tard, il est nécessaire d'évaluer les conséquences, à moyen et à long terme, d'une intervention militaire en Irak. Et cela bien au-delà de la satisfaction immédiate que peut procurer à une grande puissance le recours à la force contre un pays de vingt millions d'habitants. La défense d'une cause, même juste, ne légitime pas le recours à la guerre si ce dernier présente pour la stabilité et la sécurité du monde des risques incalculables. L'Allemagne et la France qui se sont entre-tuées trois fois en moins d'un siècle ont constaté, par le sang et les larmes, que jamais leurs peuples n'en ont tiré de bénéfice durable.

Sachant que la force n'est qu'un ultime recours, je souhaiterais, au nom de l'UDF, poser trois questions : A quelles motivations, avouées ou cachées, l'attitude américaine obéit-elle ? La menace irakienne justifie-t-elle une guerre préventive aujourd'hui ? Quelle doit être, dans ce contexte, la position de la France ?

Par delà les proclamations martiales, les raisons des Etats-Unis sont de deux ordres. D'une part, la lutte contre le terrorisme, ce que le Président Bush appelle l'« axe du mal », et dont on a vu, le 11 septembre 2001, la traduction la plus barbare.

Dans cette perspective, la chute du dictateur irakien a au moins autant de sens, pour les Etats-Unis, que la destruction des armes de l'Irak. Elle s'accompagne de l'espoir d'y établir un régime, mieux disposé à l'égard des intérêts occidentaux.

D'autre part, le désir de prendre pied dans une région instable dont l'évolution prévisible n'est guère rassurante. Rappelons que l'Irak a des frontières avec l'Arabie saoudite, le Koweït, l'Iran, la Turquie, la Syrie et la Jordanie. Ses immenses réserves pétrolières sont d'autant plus convoitées que celles de l'Arabie saoudite, minée par les wahabites, pourraient échapper aux clients actuels. De plus, la persistance du problème israélo-palestinien peut inciter les dirigeants américains à s'installer dans cette zone, dans l'espoir d'imposer plus facilement leurs conditions de paix.

Outre ces objectifs plus ou moins avoués, l'attitude américaine n'est évidemment pas sans relation avec la proximité des élections présidentielles de 2004. Elu dans des conditions difficiles, après comptage et recomptage des bulletins, le Président et son équipe aimeraient aborder la prochaine campagne dans un climat plus favorable.

Ces différentes motivations se mêlent pour entretenir depuis plusieurs mois une dynamique interventionniste.

Mais l'Irak est-il une menace autorisant une guerre préventive ? A l'évidence, Saddam Hussein joue, depuis plus de dix ans, avec la sécurité du monde et avec les nerfs de son peuple. C'est un dictateur brutal, éliminant sans scrupules, et au besoin par l'arme chimique, ses opposants, Kurdes ou musulmans chiites, ne respectant pas ses obligations de désarmement, cherchant sans cesse à contourner la résolution 1441. Ce ne sont pas les quelques améliorations constatées ces derniers jours qui effaceront la mauvaise foi et les turpitudes des dirigeants irakiens. Personne ne doute que ce pays détient encore des armes chimiques et biologiques et des missiles dont la portée dépasse les 150 kilomètres autorisés.

Mais cette menace, comparée à d'autres dans le monde, est-elle suffisante pour conduire à une guerre préventive, avec son cortège de morts et de risques ? En toute conscience, nous ne le pensons pas. En dépit de la condamnation sans nuances du Président américain, l'Irak n'est pas aujourd'hui la source du danger le plus grave pour les intérêts du monde libre. Les attentats atroces des deux dernières années, qui ont aussi frappé notre pays, trouvent leur origine plutôt en Arabie saoudite et au Pakistan. 2003 n'est pas 1990, et l'Irak à lui seul, n'est plus en mesure de déstabiliser le Proche et le Moyen-Orient.

En revanche, les risques d'une action militaire intempestive sont considérables. Sur le peuple irakien d'abord, qui a déjà payé un lourd tribut. Sur l'opinion publique arabe ensuite, dont les tendances intégristes pourraient redoubler. Sur l'espoir, enfin, d'un règlement durable entre Israël et les Palestiniens. Certains analystes américains prônent même le démantèlement de l'Irak et une recomposition géopolitique de cette région. Mais à considérer les dégâts qu'engendrent souvent de tels calculs sans adhésion des peuples concernés, l'expérience devrait les inciter à une élémentaire prudence (« Très bien ! » sur divers bancs). A moins qu'ils ne songent à appeler ensuite l'Europe à l'aide pour calmer l'hostilité de populations humiliées. Est-ce notre vocation que de jouer ainsi la voiture humanitaire ?

Et que resterait-il de l'ONU, déjà affaiblie, si le recours à la force se faisait sans mandat du Conseil de sécurité ? Il faut être clair à ce propos : la résolution 1441, comme le projet que viennent de déposer les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l'Espagne, n'habilitent pas à intervenir militairement en Irak.

Dans ce contexte où la vision politique et la défense du droit vont de pair, quelle doit être la position de la France ? Jusqu'ici, notre pays, par la voix de son Président, a milité ardemment pour une solution internationale pacifique, reposant sur l'intensification des inspections et sur la surveillance en Irak. Cette attitude est juste et responsable, et nous l'avons soutenue.

Les fondements de l'analyse de l'UDF sont simples et inspirés par le bon sens. Il faut agir pour la paix et sans faiblesse. La France n'est pas la nation pacifiste que voudrait présenter une certaine presse. Elle a pris sa part dans la guerre du Golfe et en Afghanistan. Elle accroît aujourd'hui son effort militaire, elle combat le terrorisme et n'éprouve pour Saddam Hussein et ses acolytes aucune sympathie. Mais elle ne confond pas, dans un même jugement, des dirigeants sans conscience et un peuple sous le joug.

Il convient d'agir aussi dans l'intérêt de l'Europe à construire. Les divergences qui sont apparues à propos de l'Irak, dans une forme qui n'était pas toujours digne des enjeux, doivent être surmontées. Ainsi que le rappelle fréquemment François Bayrou, il y va de notre aptitude à peser dans le concert des nations. La France ne saurait cultiver un splendide isolement. Refusant de donner des leçons, elle doit aider nos partenaires à ouvrir résolument la porte de l'Europe politique. Or celle-ci passe inévitablement par une diplomatie et une défense communes (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UDF).

Il s'agit certes d'une _uvre de longue haleine - mais raison de plus pour commencer dès maintenant ! Posons les premiers jalons avant qu'un élargissement mal maîtrisé ne nous dilue dans un espace à finalité exclusivement économique. En même temps, le maintien de liens étroits avec la Russie, qui reprend sa place sur la scène internationale, est nécessaire pour mieux faire résonner la voix d'un continent fier de son histoire et de ses valeurs.

Mais que faire au moment où l'étau se resserre au sein du Conseil de sécurité ? Assurément, accroître les pressions sur l'Irak en vue d'un désarmement effectif et complet. Développer encore le système d'inspection sur place et de surveillance aérienne, comme le propose le mémorandum franco-germano-russe soumis au Conseil le 24 février, qui doit être assorti d'un calendrier précis. On peut sans doute aller plus loin encore pour empêcher Saddam Hussein de nuire.

Face au projet de résolution américano-britannique qui vient d'être présenté, sans l'être tout à fait, au Conseil, la France doit maintenir les voies d'un dialogue. Mais si la confrontation des points de vue tournait à l'affrontement, notre pays devrait redire avec fermeté sa volonté de rester à l'écart d'une intervention militaire (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UDF). Comme l'écrit André Gide, « c'est souvent lorsqu'elle est le plus désagréable à entendre qu'une vérité est le plus utile à dire » (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe socialiste). L'usage du droit de veto ne saurait donc être exclu. Se priver par avance d'une telle possibilité serait ruiner la cohérence de notre position, alors que des pressions de toutes sortes s'exercent sur les pays indécis. Car il faudra bien ensuite renouer les fils dans une région meurtrie, et seuls pourront le faire les Etats qui auront agi avec équité et modération (Mêmes mouvements).

L'amitié traditionnelle entre les Etats-Unis et la France, la reconnaissance que nous devons à nos libérateurs ne sont pas de vains mots. Mais elles impliquent le respect mutuel et non un alignement pur et simple. L'alliance atlantique est un partenariat, non une subordination (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

Au moment où le sort peut encore basculer, méditons ce jugement de Condorcet : « Les amis de la vérité sont ceux qui la cherchent et non ceux qui se vantent de l'avoir trouvée » (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, sur quelques bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

M. Noël Mamère - Parce que nous considérons que cette guerre est illégitime, parce que nous croyons que les nations ont le droit de définir leur politique, sans être soumises à l'hégémonie des grandes puissances, parce que nous refusons que cette guerre soit déclarée et menée en notre nom, permettez-moi, au nom des Verts, d'approuver ici la position de la France défendue jusqu'à ce jour par le Président de la République et le ministre des affaires étrangères (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Quand l'avenir du monde est en jeu, il n'y a plus place pour la polémique partisane. Et quand une posture politique est juste, il faut le dire clairement.

Cette guerre de l'administration Bush contre l'Irak vise d'abord à sauvegarder le mode de vie nord-américain, fondé sur la consommation et le gaspillage. Avec 5 % de la population mondiale, les Etats-Unis consomment 25 % de l'énergie du globe. La consommation de pétrole, par habitant, y est deux fois plus importante que dans l'Union européenne et le Japon réunis. le choix de ce modèle de développement est non seulement une insulte aux pays du Sud, mais aussi l'expression d'un mépris de l'Europe, qui commence précisément à rompre avec le « tout pétrole »... A cet égard, le refus de l'administration Bush de signer le protocole de Kyoto manifeste la différence culturelle entre l'hyperpuissance américaine et le modèle européen.

L'invasion de l'Irak constituera le premier test de la nouvelle doctrine de « l'action préventive », par laquelle les Etats-Unis s'arrogent le droit d'envahir des pays et de renverser des gouvernements hostiles à leurs intérêts. Ce n'est pas seulement la perspective d'une guerre dévastatrice qui est en jeu : c'est l'organisation méthodique de la mondialisation impériale, sur la base de la primauté de l'ordre américain dans tous les domaines. Parce qu'elle se nourrit des conséquences des inégalités Nord-Sud, liées à la globalisation libérale, et de l'alibi de la lutte contre le terrorisme, cette guerre globale est sans limites temporelles ni terrestres. Nous devrons choisir entre un leadership américain dans tous les domaines et une gouvernance multipolaire, entre l'unilatéralisme de la force et des institutions internationales démocratisées. Tel est le message que nous devons porter sans faillir avec, entre autres, l'Allemagne, l'Afrique du Sud et le Brésil. C'est le message que l'Europe, toute l'Europe - y compris les pays qui rejoignent notre « maison commune » - doit apporter aux peuples. Si les Etats-Unis font tout aujourd'hui pour diviser l'Europe, c'est qu'ils savent que pour nous la question de la paix est déterminante, car l'Europe s'est constituée pour en finir avec la guerre. Elle vit peut-être en ces jours tragiques son heure de vérité : sans un sursaut moral contre cette guerre insensée, l'Europe se précipitera dans la vassalisation. Le devoir de tout Européen convaincu est donc de tout faire pour empêcher cette guerre qui vise à réduire l'Europe à une zone de libre-échange dominée par les Etats-Unis.

Enfin, cette guerre répond à un projet politique précis : recomposer le Moyen-Orient en y installant un régime qui servirait de modèle pour les pays arabo-musulmans. Le Président Bush et son équipe prétendent faire le bonheur des peuples malgré eux, ou sans eux : c'est la pax americana. Si ce « grand dessein » peut se traduire aujourd'hui par une expédition guerrière aux conséquences incalculables, c'est que l'Europe n'a pas su faire bloc pour proposer aux peuples et aux démocrates du Moyen-Orient les voies et le soutien nécessaires pour en finir avec la misère, le terrorisme et la dictature. La sanglante et féroce dictature irakienne, trop longtemps soutenue - y compris par notre pays -, doit être combattue fermement mais sans doute pas par le moyen de la guerre, qui déstabilisera tout le Moyen-Orient, permettra à l'armée turque d'entrer au Kurdistan irakien, poussera l'armée israélienne à une répression accrue des Palestiniens, et pourrait ouvrir la porte au transfert de centaines de milliers de Palestiniens vers la Jordanie. Sans oublier que la logique du « deux poids, deux mesures » ne pourra que renforcer le terrorisme, provoquer la frustration des peuples arabes et entraîner jusque dans notre pays des affrontements intercommunautaires.

Je me permettrai pour conclure une remarque critique. Comme le Président de notre assemblée, nous aurions souhaité nous prononcer par un vote sur deux questions précises. La première est celle de l'envoi ou non de soldats français ou de matériels militaires dans des opérations de soutien à la guerre américaine, quel que soit le résultat du vote du Conseil de sécurité ; la seconde est celle de l'utilisation du veto si le tandem anglo-américain trouvait une majorité au Conseil de sécurité. Un vote de toutes les forces politiques du pays, contre la guerre et contre toute participation de la France, aurait renforcé le Président de la République dans son action. Il aurait fortifié sa détermination, sans que nous ayons besoin de reprendre les termes de celui qui fut notre collègue, Danton : « de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace », Monsieur le Président ! Ce vote aurait été un message fort pour le monde quelques jours avant le vote sur la seconde résolution, et il aurait balayé les rumeurs sans fondement selon lesquelles la France pourrait s'aligner, in fine, sur la Maison blanche. L'impossibilité d'un tel vote me conduit à rappeler notre vieille divergence avec la conception de la Ve République : nous estimons que le contrôle de la politique extérieure de la France doit être exercé par le Parlement, loin de relever du domaine réservé du chef de l'Etat.

Les 14 et 15 février me sont parvenues deux bonnes nouvelles. Par la voix de la France, l'ONU a montré que, face au diktat de Washington, la communauté internationale aspirait à construire un Etat de droit international. Et de New York à Londres, de Sydney à Rome, de Florence à Porto Alegre, les peuples ont montré qu'ils refusaient la guerre durable et globale. Il nous reste quelques semaines, voire quelques jours, pour empêcher cette guerre, qui serait pour l'humanité une destruction spirituelle et morale. Nous devons empêcher ce désastre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Edouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères - La crise internationale actuelle est la plus importante et la plus dangereuse depuis l'effondrement de l'Union soviétique. Je me bornerai à deux réflexions. La première porte sur l'objet même de la question posée à l'ONU. S'agit-il de procéder au contrôle et à l'élimination des armes de destruction massive détenues par l'Irak ? Il est alors évident qu'il faut poursuivre les inspections, fût-ce en augmentant leurs moyens, et en précisant leur calendrier, ainsi que celui de la destruction des armes. S'agit-il, en s'en prenant à l'Irak, de lutter contre le terrorisme international ? Resterait à prouver que l'Irak a partie liée avec ce terrorisme et que l'attaquer ferait reculer cette menace. S'agit-il enfin de renverser le régime de Saddam Hussein et de remodeler politiquement la région ? Nul besoin dans ce cas d'attendre le résultat des inspections pour décider l'usage de la force. Telle n'est pas la position de la France.

L'enjeu de la crise actuelle c'est bien en effet de savoir quelle conception nous avons du droit international et du rôle de l'ONU ? Appartient-il à celle-ci, et à elle seule, de décider du recours à la force ? Ou cette décision revient-elle aux pays les plus puissants, non seulement pour faire respecter les décisions du Conseil de sécurité, mais aussi pour changer les régimes en place ?

On voit bien le sens du débat en cours entre les Etats-Unis, appuyés par la Grande-Bretagne et l'Espagne, d'un côté, et de l'autre la France, l'Allemagne et la Russie. Les premiers ont saisi le Conseil de sécurité d'une résolution qui affirme - sans attendre le rapport des inspecteurs, dont le Conseil sera saisi le 7 mars - que l'Irak n'a pas respecté ses obligations. Notre position est différente : nous pensons qu'il n'y a pas lieu à ce jour de déposer une nouvelle résolution, et que les inspections doivent se poursuivre, avec des moyens accrus et un calendrier plus précis. Dès lors, ou bien la résolution américaine est adoptée par le Conseil de sécurité et l'usage de la force sera légitimé ; ou elle ne l'est pas, et il y a tout lieu de craindre qu'ils passent outre.

Pouvait-on éviter d'en arriver là ? Pouvait-on convaincre les Etats-Unis qu'il était possible de contraindre l'Irak à respecter ses obligations sans recourir à la guerre ? De toute manière, il n'est plus temps. Les Etats-Unis ont déposé une résolution ; la France va devoir se prononcer. Doit-elle la voter, s'y opposer, s'abstenir ? Ce sera, me semble-t-il, fonction des circonstances, du rapport des inspecteurs, de l'attitude de l'Irak. Je souhaite que la décision française soit étroitement concertée avec les membres du Conseil qui partagent nos vues, en particulier les membres permanents. Il appartiendra au Premier ministre de nous dire comment il entend tenir notre assemblée informée.

Le moment est grave. Mais loin d'être isolée, l'action de la France, définie par le Président de la République et conduite par le Gouvernement, rencontre l'approbation de l'opinion publique internationale et d'une grande partie des pays membres de l'ONU. La France n'est pas isolée et elle n'a pas à craindre de l'être : ce qu'il lui faut, c'est agir avec courage, avec lucidité et sans agressivité envers quiconque, et c'est ce qu'elle fait. Nous ne pouvons accepter la marginalisation de l'ONU ; si celle-ci est récusée comme source du droit international, tout devient permis. Sachons nous regrouper autour du Gouvernement et l'encourager à continuer son action dans cette voie.

La France parviendra-t-elle à éviter la guerre et à faire respecter sa conception du droit ? C'est loin d'être certain, et le mois de mars verra probablement de graves événements. Est-ce à dire que l'effort de la France aura été inutile ? Certainement pas, et je suis convaincu que la suite le prouvera. Son action pour la paix lui permettra d'user de son influence pour que le monde corrige au mieux les effets de la violence qui risque de se déchaîner. C'est là la seconde réflexion que je veux soumettre à l'Assemblée : nous devons préparer l'avenir, et réfléchir aux conséquences qu'aura sur l'équilibre du monde ce conflit dont on peut craindre qu'il soit désormais inévitable.

Conséquences tout d'abord sur le Moyen-Orient. Il est inévitable qu'un conflit en Irak soit perçu par beaucoup comme une guerre de l'Occident contre les musulmans. Qui peut prévoir la durée des opérations, leur succès, leurs conséquences sur les populations civiles, sur les Etats voisins ? Il sera bien difficile de maintenir l'unité de l'Irak, même en mettant en place une administration militaire américaine. Comment éviter les troubles que risque de susciter sa mise en place, et une relance du terrorisme international, qui restera un grave danger pour des décennies ? La France sera d'autant mieux écoutée lorsqu'elle proposera les moyens de combattre le terrorisme et d'assurer l'unité de l'Irak, donc la stabilité de la région, qu'elle aura lutté pendant des mois pour préserver les chances de la paix.

Conséquences sur l'ONU, en second lieu. Elles seront évidemment différentes selon que les opérations militaires auront ou non reçu l'aval du Conseil de sécurité. S'il l'a donné, rien d'essentiel ne changera dans le fonctionnement des Nations unies. Dans le cas contraire, en revanche, la question du sens et de l'interprétation de la charte des Nations unies serait posée : qui ne voit combien un tel débat serait redoutable ?

Conséquences sur l'Alliance atlantique, en troisième lieu. Après l'effondrement des régimes communistes de l'Est, après le rapprochement entre la Russie et l'OTAN, on pouvait déjà se demander quel sens conservait l'Alliance. Ce n'est plus une alliance défensive de l'Ouest contre l'Est, mais une alliance tous azimuts regroupant un grand nombre de pays de l'hémisphère Nord et leur permettant de disposer d'un arsenal commun contre les menaces, d'où qu'elles viennent. Approuverons-nous cette conception nouvelle et demanderons-nous que le recours aux moyens de l'Alliance soit prévu avec plus de précision et mieux réglementé qu'aujourd'hui ?

Conséquences sur l'Union européenne, en quatrième lieu. On pouvait se demander si elle n'avait pas, en matière de politique étrangère et de défense, un pouvoir d'empêcher plutôt que d'agir. C'est d'ailleurs pourquoi nous avons soutenu le renforcement des capacités militaires de notre pays, décidé par le Président de la République, et les initiatives qu'il a prises pour mieux coordonner la défense des pays européens. En pareil cas, on est aussitôt soupçonné de vouloir, au sein de l'Alliance atlantique, faire de l'Union européenne un contrepoids des Etats-Unis.

M. Jean-Claude Lefort - Et alors ?

M. le Président de la commission des affaires étrangères - En quoi cela serait-il illégitime ? Au moment où l'Europe à 25 va décider de sa nouvelle constitution, l'organisation d'une politique étrangère et de défense commune est à l'ordre du jour. Dans un souci d'efficacité, celle-ci ne regrouperait dans un premier temps que ceux des pays membres décidés à aller de l'avant ensemble. Mais qui ne voit que la crise actuelle, qui voit s'opposer de grands pays européens, rendrait la création de ce groupe d'avant-garde plus qu'aléatoire ? Qui ne voit que le vote des décisions à l'unanimité le condamnerait à la paralysie ? Qui ne voit, en revanche, que le vote à la majorité qualifiée risquerait d'entraîner tel ou tel pays du groupe d'avant-garde dans des opérations militaires extérieures dont il ne voudrait pas ? Voilà qui ne facilitera pas la tâche de la Convention sur l'avenir de l'Europe ni de la CIG qui suivra.

C'est à tout cela qu'il faut nous préparer. Ne serions-nous pas écoutés au motif que nous n'aurions pas participé à une opération militaire en Irak ? Je crois tout le contraire. Nous serons d'autant mieux entendus qu'il faudra bien, après avoir taillé, recoudre. Peu de pays auront alors autant de légitimité que la France pour proposer, voire tenter, de rassembler (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

C'est pourquoi, Monsieur le Premier ministre, après vous avoir encouragé à poursuivre l'action de votre gouvernement au service de la paix, nous vous encourageons à vous préparer d'ores et déjà au rôle que notre pays devra jouer une fois passée l'épreuve d'une guerre dont nous voudrions nous convaincre qu'elle peut encore être évitée. Vous bénéficiez de l'appui d'une très large partie de l'opinion. Je suis certain que cet appui et cette confiance ne vous seront pas plus ménagés dans l'avenir qu'ils ne le sont aujourd'hui (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense - A nouveau, nous voici face à un de ces mouvements où l'Histoire peut basculer, n'ayant pas encore choisi entre le déclenchement d'une nouvelle guerre et le refus de l'inéluctable, tant que tous les moyens d'éviter l'affrontement armé n'ont pas été mis en _uvre. Je remercie le Gouvernement d'avoir permis à la représentation nationale d'apporter sa contribution au débat à ce moment si crucial pour la stabilité du monde. Depuis plusieurs semaines, sinon plusieurs mois, le Président de la République et le Gouvernement conduisent avec constance et cohérence une politique équilibrée, visant à aller jusqu'au bout de la logique du désarmement non violent de l'Irak, en privilégiant le droit sur la force. Cette position-clé a été encore clairement énoncée le 14 février dernier devant le Conseil de sécurité par le ministre des affaires étrangères, avec éloquence et talent, ralliant de nombreux pays à ses arguments.

Le bien-fondé de cette approche a été souligné dans leur rapport par MM. Blix et ElBaradei qui ont relevé que, jusqu'ici, les inspections avaient permis d'enregistrer des résultats non négligeables, cependant perfectibles. La résolution 1441, qui fixe le cadre juridique de ces inspections, donne en effet de larges pouvoirs aux inspecteurs, que ceux-ci doivent pouvoir exercer pleinement, ce qui exige parallèlement de renforcer les moyens mis à leur disposition. La France a ainsi décidé, joignant les actes à la parole, de mettre à leur disposition, depuis quelques jours, des avions d'observation Mirage IV. Il faut à cet égard saluer l'action déterminée de notre ministre de la défense (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Ce renforcement passe aussi par la coercition, et c'est là une position convergente de la communauté internationale. Le Président de la République a encore rappelé que l'envoi et le travail des inspecteurs n'avaient été possibles que grâce à la perspective, puis la réalisation effective, d'un déploiement considérable des forces armées américaines au nord comme au sud de l'Irak.

Le succès des inspections repose aussi sur une coopération pleine et entière de l'Irak. Des avertissements répétés et sans équivoque ont été adressés aux dirigeants irakiens pour les placer face à leurs responsabilités. Jusqu'à ce jour, leur comportement n'a pas répondu pleinement à cette exigence. Il convient donc de faire preuve de la plus grande méfiance, le passé ayant démontré leurs talents pour la dissimulation et le mensonge.

Nous sommes très nombreux à penser avec fierté sur ces bancs que la France a fait et fait entendre la voix de la raison, la voix de la paix. Cette option répond à des aspirations qui se manifestent massivement, chez nous, mais plus encore là où se creuse un décalage entre dirigeants et opinion publique, marquant une fois de plus l'intelligence des peuples.

Cette politique des inspections renforcées, qui maintient son cap, a suscité des incompréhensions qu'il faut dénoncer avec la même constance. Notre désaccord avec les Etats-Unis ne marque pas une quelconque hostilité à leur égard. Nous leur réaffirmons tout au contraire notre solidarité et notre compassion à la suite du drame du 11 septembre 2001.

Depuis lors, notre allié américain se trouve en situation de « guerre rentrée » contre un terrorisme insaisissable, qui mobilise toute son énergie, sans qu'aient été obtenus des résultats spectaculaires. Nous pouvons de ce fait comprendre leur volonté de transformer toute la zone arabo-persique afin d'en éradiquer toutes les formes d'intégrisme. Pour autant, il ne nous paraît pas admissible de faire donner la force armée avant que d'avoir épuisé toutes les autres voies, en raison notamment des risques incalculables d'effets pervers : regain du terrorisme, basculement de tous les pays de la zone dans l'instabilité et l'hostilité envers l'Occident, par un jeu concentrique de dominos dont nul ne sait jusqu'où il peut aller.

Cette politique ne peut non plus être interprétée comme une preuve de faiblesse, de renoncement, et encore moins de pacifisme. Il ne s'agit aucunement pour notre pays de craindre un recours à la force au nom d'un idéal flou et éthéré. La France tient une place de premier rang dans le concert des nations et, soucieuse de la préserver, ne renonce aucunement à assumer toutes ses responsabilités Elle est prête, si nécessaire, à user de la force militaire, mais en ultime recours, pour atteindre des objectifs clairs, acceptés de tous et légitimés par la communauté internationale.

D'autres, manipulant les opinions, voudraient faire de nous les protecteurs d'un dictateur. Pourtant, nous savons tous ici en quelle estime il faut tenir un régime qui, s'il a pu, un temps, représenter une promesse de modernisation et de sécularisation de la société irakienne, a définitivement sombré, depuis plus de quinze ans, dans une folie meurtrière soutenue par un pouvoir personnel et tyrannique des plus détestables. Nous savons tous quelles sont les souffrances du peuple irakien. Mais la légalité internationale doit être respectée : la résolution 1441 ne donne pas mandat pour un changement de régime. C'est sous la double pression de la diplomatie et de la présence militaire aux frontières, que le dictateur de Bagdad doit être amené à résipiscence, pour que son peuple recouvre la liberté (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP).

Les hypothèses d'évolution de la crise, comme leurs conséquences, sont nombreuses, et aucune ne doit être écartée. Ainsi en va-t-il de notre participation à une action militaire. Celle-ci ne doit intervenir qu'en dernier recours, mais elle doit être envisagée avec fermeté et détermination, nos armées disposant des moyens de participer activement et efficacement à une coalition internationale, comme j'ai pu encore le constater il y a quelques jours sur notre porte-avions.

Pour ce qui est de l'utilisation de notre droit de veto au Conseil de sécurité, elle doit jouer sur le cours des événements comme joue la dissuasion nucléaire, dont la force réside dans l'incertitude de sa mise en _uvre et le déclenchement dépend entièrement de l'appréciation portée sur la mise en jeu ou non de nos intérêts vitaux. Il serait totalement inconséquent de prendre position dès aujourd'hui sur l'utilisation ou non du droit de veto, dans des circonstances qui ne peuvent être sérieusement anticipées (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Par ailleurs, la situation dans la zone arabo-persique ne peut rester en l'état. Si le principe du maintien des frontières actuelles doit être respecté, il est du devoir de la communauté internationale d'aider, par la diplomatie et le soutien économique, au développement et au progrès de l'ensemble de ces pays. C'est la seule solution de long terme pour écarter ces foules, notamment les plus jeunes, des dérives de l'intégrisme et du terrorisme. C'est notre nouvelle « ardente obligation » que de reconquérir une paix durable, instaurer une « démocratie du désert » dans le respect des cultures, et sans vouloir faire le bonheur des peuples malgré eux.

La justesse de nos vues, auxquelles se sont ralliés, et continuent de se rallier un nombre croissant d'Etats, recèle pourtant un goût amer.

Des divergences se sont fait jour entre Etats européens, et l'Union européenne, y compris dans sa configuration future, va sortir de l'épreuve actuelle meurtrie, avec des séquelles qu'elle devra bien soigner, sous peine d'être condamnée à devenir un « machin » économique, sans volonté et sans âme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Au-delà de notre horizon national, il nous faut nous interroger sur la poursuite de la construction de l'Europe de la défense. Faut-il renoncer par avance à toute réalisation future dans ce domaine ? Pour ma part, je ne le pense pas, et nous devrons puiser une énergie nouvelle dans l'épreuve actuelle. L'Europe s'est toujours nourrie de ses affrontements pour se construire, et il y a aujourd'hui, pour le moins, matière à perspective de croissance. L'Europe a toujours tiré des épreuves sa force, marchant ensuite vers plus d'unité et plus de solidarité. Dans la tourmente présente, des signes d'espoir apparaissent. Les travaux du groupe de travail « défense » de la Convention proposent ainsi des engagements plus fermes des Etats membres pour la construction d'une défense et d'une diplomatie communes.

Les tensions, les incertitudes, les oppositions provoquées par la crise irakienne constituent une rude épreuve, tant pour les peuples que pour les dirigeants. Elles ne doivent pourtant pas tourner en affrontement extrême entre nations alliées et amies. L'Histoire saura reconnaître la grandeur et les bénéfices de la position défendue par la France.

Pour terminer, je forme à cette tribune le v_u que ce choix finisse par l'emporter et n'ait pas été qu'un épisode dans la crise irakienne. Et je souhaite, au nom de la commission de la défense, assurer au Président de la République et à vous-même, Monsieur le Premier ministre, notre soutien indéfectible (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Premier ministre - Je tiens tout d'abord à souligner l'extrême qualité de ce débat et la hauteur de vue des interventions. La position de la France sort incontestablement renforcée de ce débat.

Plusieurs orateurs y ont insisté, il ne saurait y avoir place pour une politique partisane sur ce sujet. C'est l'une des formes d'expression de la dignité française même.

Notre condamnation du régime de Saddam Hussein est sans ambiguïté. MM. Juppé et Hollande ont condamné une dictature de la pire espèce, et M. Albertini a dénoncé des dirigeants irakiens sans conscience imposant leur joug à leur peuple. Nous sommes donc tous au clair sur ce point.

En second lieu, nous partageons le même objectif, désarmer l'Irak, et nous sommes d'accord pour penser qu'il existe une alternative à la guerre pour y parvenir, qui réside dans les inspections. J'ai entendu un double appel au droit international : d'abord, l'ONU et le Conseil de sécurité doivent être la source du droit et le lieu d'expression de la communauté internationale ; ensuite, à l'occasion de ce conflit, est apparue une démarche nouvelle, celle des explications, et nous désirons explorer cette voie plus avant, car elle peut servir dans d'autres circonstances.

Une autre vision nous réunit, celle d'un monde multipolaire. Nous ne voulons pas d'une nouvelle guerre des religions, M. Balladur l'a bien dit. Nous souhaitons un monde diversifié, qui n'accepte pas la voix unique, qui nourrisse son dialogue entre ses différents pôles, sans chercher à s'aligner. Nous ne voulons pas d'un « choc des civilisations », ce n'est pas la vision française de la planète (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Enfin, ce qui nous lie au peuple américain, Alain Juppé l'a exprimé avec force, est très profond. Nous avons à son égard la gratitude du sang. La franchise avec laquelle nous voulons parler aux dirigeants américains n'altère en rien notre relation de proximité avec le peuple américain, auquel nous savons ce que nous devons et qui peut compter sur notre fidélité.

Sur tous ces sujets, la position française sort renforcée de notre débat.

Comment faire face à l'avenir ? M. Bocquet a demandé une concertation permanente entre le Parlement et le Gouvernement. Nous y sommes tout à fait prêts, sous la forme qu'appelleront les circonstances. Sur ce qui se passera prochainement au Conseil de sécurité, la France n'exclut aucune hypothèse, mais notre vocation est de convaincre, pour réunir une majorité au Conseil de sécurité. On parle aujourd'hui d'une deuxième résolution, dont nous ne voulons pas qu'elle soit soumise au Conseil de sécurité et dont nous ne pensons pas, du reste, qu'elle puisse rassembler une majorité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). J'ai entendu le message d'Edouard Balladur sur la nécessaire concertation avec les membres permanents pour construire une démarche commune.

Enfin, nous devons sans cesse reprendre nos efforts en faveur de l'Europe, qui, c'est vrai, a souffert de la crise actuelle. Reste que nous avons pu trouver des solutions communes, Mme Alliot-Marie le sait bien, à propos de la Macédoine. L'Europe, l'Histoire le prouve, se construit à la fois en franchissant les obstacles et en étant poussée par les peuples, qui aujourd'hui affirment une volonté et incitent les gouvernements à se rapprocher de la position de la France.

Plusieurs d'entre vous ont souligné combien le rôle de notre pays était important dans cette phase de discussion où nous voulons éviter la guerre, mais ont aussi appelé à réfléchir à la suite, et à une paix qui ne passe pas par un remodelage unilatéral de la région mais doit résulter de l'action de la majorité du Conseil de sécurité.

Comme le disait Guy Teissier, nous n'écartons pas la guerre, mais notre combat est celui de la paix. Nous voulons défendre une vision globale de la planète, celle qu'a défendue le Président de la République à Johannesburg, celle que nous défendons pour le développement des rapports Nord-Sud, celle que nous défendons pour l'Afrique. Il s'agit du combat pour le développement des pays les plus pauvres, pour le développement durable et pour la paix. C'est au service de ce monde que la France veut porter son message universel et son principe d'humanité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Prochaine séance ce soir, à 21 heures.

La séance est levée à 17 heures 40.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      François GEORGE


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