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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 64ème jour de séance, 159ème séance

1ère SÉANCE DU MARDI 11 MARS 2003

PRÉSIDENCE de Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER

vice-présidente

Sommaire

      RETRAITE À TAUX PLEIN 2

      FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR 17

      RETRAITE À TAUX PLEIN (suite) 17

      NOMINATION D'UN DÉPUTÉ EN MISSION TEMPORAIRE 24

      A N N E X E ORDRE DU JOUR 25

La séance est ouverte à neuf heures.

RETRAITE À TAUX PLEIN

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Alain Bocquet et de plusieurs de ses collègues tendant à ouvrir le droit à la retraite à taux plein pour les salariés ayant cotisé quarante annuités avant d'atteindre l'âge de soixante ans.

M. Alain Bocquet, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - La présente proposition de loi poursuit un double objectif : réparer une injustice et faire progresser notre système de valeurs en inscrivant dans la loi une mesure de justice et de bon sens qui concerne plus de 800 000 Français, des hommes et des femmes dont le travail a contribué à l'enrichissement de notre société ; leurs cotisations sociales, au-delà du terme des quarante annuités que fixe la loi, ont financé nos systèmes de protection sociale et de retraite par répartition.

Le bien-fondé de notre proposition de loi est reconnu au-delà des clivages traditionnels de notre assemblée, comme l'a confirmé la récente réunion de la commission des affaires culturelles.

Sauf à devoir constater que la volonté politique fait une nouvelle fois défaut, comme je fus amené à le dénoncer voici quinze mois après le refus du précédent Gouvernement de donner suite à notre initiative, toutes les conditions sont réunies pour faire aboutir cette démarche.

On nous oppose toujours que ce n'est pas le moment, en invoquant hier les travaux du Conseil d'orientation des retraites, aujourd'hui le débat engagé sur les retraites.

Ces Françaises et ces Français, salariés de l'industrie, de l'artisanat, du commerce, des services, de l'agriculture ou du BTP ont dû quitter trop tôt les bancs de l'école pour rejoindre le monde du travail. Ils avaient quatorze ou quinze ans, ils allaient connaître les conditions de travail les plus difficiles, les rémunérations les plus basses ; ils appartiennent essentiellement au monde ouvrier - je rappelle que l'espérance de retraite d'un ouvrier est inférieure de six ans et demi à celle d'un cadre.

Combien pourraient témoigner des ravages du travail de nuit, du travail posté, des semaines de quarante-huit heures ou plus encore ! Combien pourraient faire état de maladies professionnelles ! Cette situation n'est pas sans conséquence sur les finances de la sécurité sociale et de l'Etat.

A cela s'ajoutaient l'évolution trop lente des conditions de travail, de la prévention des risques, des conditions de transport ou de logement déplorables, sans oublier, pour bien des hommes de cette génération, leur implication dans la guerre d'Algérie.

Ces décennies, que l'on qualifie superficiellement de « Trente glorieuses », furent d'abord des décennies de sacrifices qui confortèrent l'effort de redressement de l'après-guerre, assurèrent l'expansion de l'économie française et la progression du PIB. Ces sacrifices redoublèrent encore avec la casse de pans entiers de l'industrie dans les années soixante-dix et quatre-vingts.

Rien ne saurait justifier que ces femmes et ces hommes se voient refuser le droit légitime au repos auquel ils aspirent.

Les conclusions de notre débat seront révélatrices de la volonté de cette Assemblée et du Gouvernement de satisfaire une attente légitime ; elles nous éclaireront aussi sur les intentions de la majorité et du Gouvernement dans la réforme globale de notre système de retraites.

Refuser d'entendre ces centaines de milliers de nos concitoyens aviverait les inquiétudes que suscite l'annonce d'une refonte du droit à la retraite qui, pour l'immense majorité des Françaises et des Français, ne saurait être autrement définie que par le maintien de notre système de solidarité par répartition, la réaffirmation du droit à la retraite à 60 ans ; et, ainsi qu'en a témoigné la grande journée nationale d'action du 1er février dernier, par le rétablissement de l'indexation des pensions sur les salaires, la remise en cause du calcul sur les vingt-cinq meilleures années, un taux de remplacement minimal de 75 % et à l'alignement des retraites agricoles sur le régime général.

Nos concitoyens veulent l'alignement des droits de tous les salariés non en portant à quarante-deux ans ou plus la durée de cotisations mais en revenant aux 37,5 annuités pour tous.

Il ne faut donc pas tenir pour intangible le partage actuel de la valeur ajoutée entre les profits et les revenus alloués aux travailleurs.

D'où l'exigence de ne pas pérenniser la baisse - d'environ 10 points - de la part des salaires dans la richesse créée ces vingt dernières années, alors que dans un même temps, la productivité du travail augmentait de 50 % et de faire contribuer les profits financiers estimés à 265 milliards d'euros par an.

Le coût de la disposition que nous proposons a été débattu au sein de la commission des affaires sociales.

S'il va de soi qu'au montant de la pension de base viendrait s'ajouter la retraite complémentaire, cet élément relève de la négociation entre les partenaires sociaux. Selon le rapport, « l'accord du 10 février 2001 portant création de l'Association pour la gestion du fonds de financement de l'AGIRC et de l'ARRCO indiquait clairement que le versement d'une retraite complémentaire avant l'âge de 60 ans devait être rendu possible ».

Il revient donc au Gouvernement de prendre l'initiative et d'inciter à l'ouverture de véritables négociations sur ces objectifs.

Deux éléments supplémentaires sont à retenir : le nombre des bénéficiaires s'amenuise au fil des années puisque, s'ils sont aujourd'hui environ 180 000 âgés de 59 ans et 150 000 de 58 ans, il ne sont plus que 100 000 à avoir 56 ans et 98 000 à en avoir 55. L'Etat finance déjà plusieurs dispositifs de préretraite et l'allocation équivalent retraite pour les chômeurs. D'autre part, les exonérations de charges sociales patronales, qui ne créent aucun emploi, s'élèvent à environ 20 milliards d'euros par an. L'argent ne fait donc pas défaut pour financer cette mesure rapidement.

Rappelons aussi ses implications économiques. Ce droit nouveau octroyé à 800 000 salariés aura évidemment des conséquences pour l'emploi et l'embauche de nouveaux salariés aura à son tour des effets bénéfiques sur le financement de la sécurité sociale. Selon les spécialistes, un million de salariés supplémentaires apportent 1 % de PIB en plus dans les caisses de retraite. Il y a là de quoi répondre au Medef, et à ceux qui lui font écho, sur « les lendemains qui déchantent » s'agissant de l'avenir à long terme des retraites. Dans l'immédiat, c'est aussi pour relancer l'emploi des jeunes, alors que le chômage augmente et que les plans sociaux, comme à Metaleurop, se multiplient, que nous présentons cette proposition. Nombreux sont ceux qui, parmi les 800 000 hommes et femmes qui, au terme d'une vie de travail difficile, aspirent à en récolter les fruits, savent que leur départ en retraite peut libérer un emploi pour un jeune.

Il y a là une véritable urgence sociale, et le groupe UDF a fait une démarche similaire, Mme Comparini parlant dans sa proposition de « mettre fin à une injustice ». « L'homme injuste est celui qui fait des contresens » a dit Victor Hugo. Je ne doute pas de la volonté de notre Assemblée de suivre la voie de la justice, de la dignité, de l'efficacité et du progrès (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. Alain Néri - Je souhaite faire un rappel au Règlement. Le groupe socialiste, malgré tout le respect qu'il porte à Mme Ameline, s'étonne de l'absence du ministre, M. Fillon, pour un débat sur un sujet aussi important. Pour lui permettre de nous rejoindre, nous demandons une suspension de séance d'un quart d'heure.

Mme la Présidente - Une suspension ne saurait vous être accordée que pour réunir votre groupe.

M. Alain Néri - Il va de soi que le groupe socialiste va se réunir pour permettre à M. Fillon de nous rejoindre.

Mme la Présidente - Je vais suspendre la séance dix minutes. Mais je rappelle que c'est le Gouvernement qui choisit le ministre qui le représente.

La séance, suspendue à 9 heures 20, est reprise à 9 heures 30.

M. Gaëtan Gorce - Rappel au Règlement, fondé sur l'article 58, alinéa premier !

Comme l'a dit M. Néri, nous sommes ravis de débattre avec vous, Madame la ministre déléguée, mais, sur ce dossier important, nous attendions légitimement que le ministre des affaires sociales, chargé de la réforme des retraites, vienne rendre compte de la concertation en cours et nous présenter ses orientations. A propos du débat sur la décentralisation, nous avons pu constater que le Premier ministre préférait expliquer sa politique au Sénat plutôt qu'à l'Assemblée. Il serait tout aussi regrettable que M. Fillon préfère de même présenter sa politique aux médias plutôt qu'aux parlementaires ! La discussion de cette proposition nous donnait l'occasion d'engager un premier débat sur une réforme importante et, même si nous ne pouvons préjuger de rien en attendant les conclusions de la concertation ouverte avec les partenaires sociaux, il eût été normal que le Gouvernement vienne s'expliquer devant nous, plutôt que de fuir ses responsabilités ! Mais l'absence du ministre est peut-être révélatrice de l'absence d'une politique ou, à tout le moins, d'un refus de l'afficher - ce qui ne peut être que regrettable pour le pays comme pour cette Assemblée.

Mme la Présidente - Je répète que c'est le Gouvernement, et non l'Assemblée, qui décide de sa représentation.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Merci, Madame la présidente, d'avoir rappelé ce point et je tiens à saluer Mme Ameline, qui a assisté tout au long à la discussion du PLFSS et dont la compétence en matière de retraites ne peut donc être discutée. Il est d'ailleurs tout à fait sympathique que le Gouvernement pratique le travail d'équipe et que M. le ministre des affaires sociales puisse s'appuyer sur deux ministres délégués et deux secrétaires d'Etat (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Par ailleurs, je suis surpris que, sur une proposition qui, de l'aveu de M. Bocquet, a donné lieu à un intéressant travail en commission, vous commenciez par user d'artifices de procédure ! (Mêmes mouvements)

Nous tenons nous aussi des permanences et nous sommes aussi sensibles que vous aux questions sociales et humaines soulevées par ce texte. Elles concernent des hommes et des femmes entrés très jeunes dans la vie active, dont beaucoup ont connu des conditions de travail pénibles en contrepartie de salaires souvent modestes ; certains, déjà usés ou malades, ont payé le prix fort des restructurations et sont au chômage. Comme vous, nous souhaitons que leur situation soit examinée avec attention mais le groupe communiste savait parfaitement, en déposant cette proposition, que son adoption immédiate et en l'état était exclue (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). En effet, les actifs en cause ont un impérieux besoin des retraites complémentaires pour compléter leur revenu. Or la question de ces retraites complémentaires ne peut être réglée rapidement...

Cette adoption est également exclue parce que nous sommes au beau milieu de la concertation engagée par le Gouvernement avec les organisations syndicales et patronales, et à la veille d'une réforme.

Le sauvetage de notre système de retraite par répartition, si longtemps différé, est maintenant la priorité du Gouvernement. La concertation ouverte au début de l'année va bientôt s'achever et un projet de loi va nous être soumis. Les Français n'aiment ni les faux semblants, ni les faux-fuyants ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Alain Néri - Avec vous, ils sont servis !

M. le Président de la commission - S'agissant des retraites, vous feriez bien de vous souvenir de ce qu'a été votre attitude pendant plus de vingt ans !

Dès 2007, la France devra affronter les effets du vieillissement de sa population. Le temps n'est plus où l'on pourrait reculer ou demander un énième rapport : tous régimes confondus, le besoin de financement s'élèvera à 50 milliards d'euros en 2020 et, selon le Conseil d'orientation des retraites, si nous ne faisons rien, soit le montant des pensions sera divisé par deux vers 2040, soit le taux de cotisation progressera de 60 % ! Les Français ne nous pardonneront pas l'attentisme. Réformer les retraites, c'est défendre les retraités d'aujourd'hui et de demain et le Gouvernement réformera donc, nous soumettant les résultats de la concertation en cours dès cet été.

Ce dialogue est la condition sine qua non pour définir une politique stable et il doit donc primer (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. Jean-Claude Lefort - Qui fait la loi ?

M. le Président de la commission - Au présent stade, les partenaires sociaux sont les interlocuteurs privilégiés comme comptables des intérêts de leurs mandants mais les principaux responsables des partis politiques ont été et seront consultés. Sur un tel sujet, il faut rechercher le consensus comme on l'a fait en Allemagne et en Suède, pays sociaux-démocrates, mais aussi en Finlande et en Espagne, pays libéraux ! Plutôt donc que de nous affronter, nous ferions bien de travailler à des mesures aussi justes et équilibrées que possible. Mais on ne peut prétendre à la fois négocier avec les partenaires sociaux et imposer une solution comme y tend cette proposition (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste). Nous risquerions d'interrompre le processus en cours et de ruiner tous les efforts déployés pour dégager des orientations susceptibles de survivre aux alternances (Mêmes mouvements).

L'exercice est certes difficile et cette proposition soulève un problème réel mais, en matière de retraites, il en est bien d'autres qu'il faut résoudre : organisation de la solidarité entre les générations, évolution du taux de remplacement, questions de la réversion, de la pénibilité ou du cumul entre emploi et retraite, diversité des régimes, difficultés des poly-pensionnés, minimum contributif, etc. Sur tous ces points, il faut un débat de fond pour arrêter les solutions qui ne léseront personne et ne contribueront pas à opposer les Français les uns aux autres. Le meilleur texte possible sera celui qui permettra de sauver la retraite par répartition, enjeu essentiel de la réforme. Cela signifie que nous devons sortir notre système de l'impasse financière où vous l'avez laissé ! (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

J'ai bien compris que l'objectif du groupe communiste était de provoquer un débat...

Un député communiste et républicain - Et de décider !

M. le Président de la commission - Mais ce débat a maintenant lieu et chacun va pouvoir s'exprimer ! Cela étant, sur ma proposition, et pour les raisons que je viens d'exposer, la commission a décidé de ne pas présenter de conclusions sur cette proposition. Le Gouvernement ayant pris rendez-vous avec nous pour la discussion d'un projet, faisons lui confiance en attendant pour mener à bien sa tâche avec détermination, sans idée préconçue et dans un esprit de responsabilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Pascal Terrasse - Rappel au Règlement !

Plusieurs députés UMP - Sur quel fondement ?

M. Pascal Terrasse - Nous sommes prêts à débattre, Monsieur le président de la commission, et nous l'avons fait d'ailleurs, sereinement, en commission, mais nous pensions pouvoir le faire avec le ministre chargé du dossier des retraites. Or celui-ci se dérobe, comme s'il suffisait de s'exprimer dans la presse et de discuter avec les partenaires sociaux !

Cette dérobade ne peut qu'étonner. Nous ne mettons pas en cause vos qualités personnelles ni celles de votre travail, sur la parité notamment, Madame la ministre déléguée, mais en commission, sur les retraites, c'est le ministre des affaires sociales que nous entendons. Lorsque le Gouvernement doit présenter ses positions sur le sujet, il le fait par sa voix ou par celle du ministre de la fonction publique. Il est donc dommage qu'aujourd'hui, M. Fillon ne soit pas là pour participer à la discussion à laquelle nous aspirons tous. C'était pour lui l'occasion rêvée pour présenter ses orientations et son calendrier, dont nous n'avons toujours pas connaissance.

Certes, nous avons lu les journaux, mais enfin la politique n'est pas seulement affaire de médias.

Mme la Présidente - C'est l'article 94, alinéa 3, qui permettait ce rappel au Règlement.

M. Maxime Gremetz - J'ai été très surpris ce matin, Madame la ministre, de ne pas voir M. Fillon au banc du Gouvernement. Je ne vous mets pas en cause, mais sur un sujet de cette importance, sa présence était indispensable. Les « niches » parlementaires ne sont pas si fréquentes : c'est à peine en effet si nous pouvons présenter deux textes par an. Dans ces conditions, l'absence de M. Fillon ne traduit pas un grand respect du Parlement, ni du groupe qui a déposé la proposition de loi. La dernière fois, nous avions plus de chance, puisque la ministre en charge du dossier était là. Finalement, ce n'était guère mieux (Rires sur les bancs du groupe UMP), puisqu'elle nous avait expliqué que notre mesure coûterait 120 milliards et ne pouvait donc pas être acceptée... Mais au moins elle était là.

Loin de nous la volonté de nous substituer au nécessaire débat sur les retraites qui a été lancé par le Premier ministre à l'occasion de son discours devant le Conseil économique et social le mois dernier. Mais il y a dans ce pays des gens qui ont cotisé plus de quarante ans et qui devraient donc avoir le droit de prendre leur retraite, à taux plein, sans attendre soixante ans. Or tel n'est pas le cas. C'est cette anomalie que nous voulons corriger, ce matin.

Le chantier général de la réforme des retraites suppose des choix ambitieux et courageux, tirant les enseignements du passé tout en ouvrant des perspectives nouvelles. Personne aujourd'hui ne conteste la nécessité de consolider notre système, mais nous voyons que la réforme a tendance à ne s'occuper que de certains aspects et à en oublier d'autres.

Depuis la réforme Balladur, nous constatons une dégradation des prestations du régime général. Les pensions sont désormais calculées sur les salaires des vingt-cinq meilleures années - au lieu des dix meilleures- et elles sont indexées sur les prix et non plus sur les salaires. Ces dispositions se sont soldées par une perte de pouvoir d'achat des retraites.

La réforme des retraites doit relever le défi des vingt prochaines années. Lors d'un entretien accordé à un quotidien national, M. Fillon nous a éclairés sur ses intentions et je dois dire que ses déclarations ont provoqué inquiétude et consternation. J'ai bien peur qu'il nous prépare un véritable coup de force.

Nous nous inscrivons quant à nous dans cette réforme avec la ferme intention de faire émerger des droits nouveaux. Nous voulons revenir sur les dispositions iniques de M. Balladur, harmoniser public et privé par le haut, porter le taux de remplacement à 75 %, indexer les pensions sur les salaires, revenir au calcul sur les dix meilleures années et prendre en compte la pénibilité du travail ainsi que les périodes de formation. Mais surtout nous voulons consolider le système par répartition. Nous rejetons toute forme de capitalisation qui viendrait s'y substituer et nous invitons le Gouvernement à résister davantage aux sirènes du Medef qui réclame une augmentation de la durée d'activité, une hausse des taux de cotisation, un alignement du public sur le privé...

Sur la question du financement, le choix est simple : soit nous ne bougeons pas et ce seront toujours les mêmes qui paieront, ce qui ne suffira pas. Soit nous modifions l'assiette des cotisations patronales en prenant en compte la totalité des richesses créées par l'entreprise, sa politique de l'emploi et de formation. Si nous ne changeons rien, notre protection sociale court à sa perte et certains tenteront alors d'accréditer l'idée qu'elle a fait son temps et que son champ d'intervention doit être cédé au privé. Nous réfutons totalement cette analyse et nous ferons nos propositions le moment venu.

Dans l'immédiat, nous rejoignons la philosophie des propos du Président de la République lorsqu'il a déclaré : « Les Français sont prêts à accepter les réformes s'ils ont la conviction qu'elles sont conduites dans un esprit de justice ». Tel est bien l'esprit qui nous anime avec cette proposition de loi tendant à ouvrir le droit à la retraite à taux plein pour les salariés ayant cotisé quarante annuités avant d'atteindre l'âge de 60 ans. Ce n'est pas la première fois que la représentation nationale est amenée à se prononcer sur ce sujet, preuve s'il en fallait de l'importance du problème soulevé et de l'urgence qu'il y a à y répondre.

« Fatigués, usés » : ce sont les mots qui reviennent le plus souvent dans la bouche des hommes et des femmes rencontrés à l'occasion de l'élaboration de ce texte. Certains d'entre eux ont commencé à travailler à 14 ou 15 ans, ont accompli les tâches les plus ingrates et ont connu des conditions de travail dantesques. Privés d'une formation initiale digne de ce nom, ils ont essentiellement occupé des emplois peu qualifiés et précaires et touché les plus petits salaires. Semaine de 48 heures, emplois postés, mauvaises conditions de logement et de transport ont provoqué de nombreuses maladies professionnelles, trop longtemps négligées, sans parler des accidents de travail.

Ces hommes et ces femmes sont aujourd'hui près de 800 000. Ce sont des travailleurs de la métallurgie, de la sidérurgie, du textile, de l'automobile, de l'agriculture... Toute une série de branches lourdement frappées par les crises économiques des années soixante-dix et quatre-vingts. Alors qu'ils aspirent légitimement au repos, ils sont souvent touchés par de graves maladies professionnelles, encore très peu reconnues aujourd'hui. Je pense à la silicose pour les mineurs, aux effets des cabines de peinture sur l'appareil respiratoire ou encore à ceux, désastreux, de l'amiante. Usés et malades, ces salariés vivront moins longtemps que d'autres catégories socioprofessionnelles après l'âge de 60 ans - les statistiques hélas nous le disent.

Ne sont-ils pas la « France d'en bas » que le Premier ministre nous invite à écouter, ces travailleurs modestes qui ne demandent pas la charité mais tout simplement la reconnaissance d'un droit ? Un droit acquis au prix d'efforts gigantesques et de sacrifices au service de la nation.

En outre, cette mesure aurait un effet positif sur l'emploi en suscitant l'embauche de centaines de milliers de personnels, notamment des jeunes qui pourraient ainsi bénéficier enfin d'une embauche durable leur ouvrant les portes de l'autonomie. Elle enclencherait également une dynamique positive en faveur du retour à l'emploi de plusieurs centaines de milliers de personnes qui vivent du RMI ou des allocations chômage.

Cette dynamique aurait aussi un impact positif sur les finances de notre protection sociale, qui souffre actuellement d'un manque cruel de recettes, du fait notamment d'exonérations tous azimuts. La création de 800 000 emplois lui apporterait un surcroît de cotisations qui permettrait d'améliorer la couverture sociale.

Enfin, notre texte permettrait de conjuguer justice sociale et efficacité économique. Il susciterait un souffle d'espoir à l'heure où les vagues de licenciements se multiplient.

« Esprit de mai », « gouvernement de mission », « temps de l'action » : le Gouvernement, dès sa nomination, a eu recours à la surenchère rhétorique et cathodique pour expliquer aux Français que l'heure était venue de réhabiliter le volontarisme en politique. Après avoir suscité tant d'attentes, peut-il se permettre de les décevoir ?

En ces temps de vaches maigres, les marges de man_uvre budgétaires, nous dit-on, seraient particulièrement réduites.

Mme la Présidente - Je vous demande de conclure.

M. Maxime Gremetz - Pourtant, on a multiplié les baisses de cotisations patronales, réduit l'impôt sur le revenu, allégé l'ISF, supprimé le contrôle de l'utilisation des fonds publics... On laisse les grands groupes jouer comme ils veulent avec les deniers publics et on refuserait à des pauvres gens épuisés le droit à la retraite ! Ce n'est pas sérieux.

Le coût de la mesure est estimé à 3,9 milliards d'euros. Est-ce insurmontable ? Je ne le crois pas, d'autant que les emplois libérés donneront lieu au versement de cotisations. En outre, nous proposons d'impliquer davantage les entreprises dans le financement de la protection sociale par une réforme des cotisations patronales et un prélèvement sur les actifs financiers nés de la spéculation boursière.

Refuser de débattre de cette proposition reviendrait à saper le travail de communication du chef de Gouvernement pour se présenter comme un homme de dialogue, déjà mis à mal par le recours à l'article 49-3 pour interrompre le débat relatif à la réforme des modes de scrutin.

« Il n'y a de bonheur possible pour personne sans le soutien du courage », disait le philosophe Alain. Faisons _uvre de courage pour aller au-delà de la compassion à l'égard des salariés dont nous parlons ce matin et leur accorder le droit qu'ils méritent (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

M. Xavier Bertrand - N'était la constance dont fait preuve le groupe communiste, je serais tenté de dire que Monsieur Bocquet est un homme pressé. Sans doute, a-t-il été échaudé par le débat sans lendemain qui s'est tenu dans cet hémicycle en novembre 2001 (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), d'autant qu'après le grand discours sur les retraites de Lionel Jospin le 21 mars 2000, tout semblait possible, dans une conjoncture favorable.

La réforme des retraites n'est plus l'Arlésienne : la volonté politique ne faisant plus aujourd'hui défaut, le Parlement aura à en débattre avant l'été. D'aucuns s'étonneront donc que dès ce 11 mars nous discutions de cette proposition de loi. Mais s'il est prématuré de légiférer, ce débat n'en est pas moins digne d'intérêt, il est même légitime.

Il a été ce matin beaucoup question de chiffres, mais on ne saurait occulter la dimension profondément humaine de ce débat : les 800 000 bénéficiaires potentiels de la mesure proposée sont des hommes et des femmes qui travaillent depuis bien longtemps, souvent dans des conditions difficiles, et ils ont dû affronter des crises sectorielles graves dans la métallurgie, le textile, la sidérurgie.

Du reste, pour la moitié d'entre eux, ils ne sont plus salariés, soit qu'ils bénéficient d'un dispositif de cessation anticipée d'activité, soit qu'ils soient chômeurs. Plus soumis que d'autres aux maladies professionnelles, ils sont victimes de l'inégalité devant l'espérance de vie à 60 ans - qui est de dix-sept années pour un ouvrier et de plus de vingt-deux pour un cadre.

Quand je parle de ces salariés, je pense à ceux qui, dans ma circonscription, viennent me dire combien ils se sentent usés et aspirent à se reposer, combien ils aimeraient faire place à des jeunes et se consacrer à leurs proches. Mais la responsabilité d'un élu n'est pas seulement d'écouter, elle est aussi de dialoguer et d'expliquer.

Pourquoi ne pas attendre le mois de juin ? Légiférer dès aujourd'hui sur ce seul sujet ne risque-t-il pas de tronquer le débat global auquel nous aspirons ? La réforme de fond que le Gouvernement a engagée est placée sous le signe de la concertation, à laquelle les partenaires sociaux se montrent ouverts.

M. Alain Néri - Vous avez l'honnêteté de parler de concertation et non de négociation !

M. Xavier Bertrand - En outre, il serait pénalisant pour ceux qui sont visés par la mesure proposée ce matin de partir à la retraite avant 60 ans sans avoir adapté au préalable les régimes de retraite complémentaires, qui relèvent de la compétence des partenaires sociaux.

Enfin, on entend souvent qu'il s'agirait de régler une fois pour toutes la situation de 800 000 personnes, le recul de l'entrée dans la vie active supprimant le problème pour les années à venir. C'est faire peu de cas des jeunes qui continueront à ne pas vouloir ou à ne pas pouvoir faire d'études.

De même, le développement de l'apprentissage aura pour conséquence de pérenniser le nombre des salariés qui auront commencé à travailler et cotiser très jeunes.

Par ailleurs, nous ne pouvons occulter le coût du dispositif proposé d'autant que la réforme en cours a pour ambition de sauver nos régimes de retraite par capitalisation (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) - pardon, par répartition, je ne suis pas le seul à avoir fait ce lapsus !

Nous sommes tous profondément attachés à cette répartition, mais celle-ci est menacée par une excellente nouvelle : nous vivons de plus en plus longtemps. Dès 2006, nous allons être confrontés à un choc démographique.

Au moment où nous cherchons les voies d'une réforme nécessaire et juste, le groupe communiste apporte sa contribution au débat... en proposant d'alourdir la charge financière qui pèse sur nos régimes de retraites. Si rien n'est fait, ce sont 50 milliards d'euros qui manqueront en 2020, et 100 en 2040 ; or, la proposition communiste représente une charge supplémentaire de 13,6 milliards d'euros. Si la mesure se limite aux personnes âgées de plus de 58 ans, elle représente encore un coût de 5,2 milliards d'euros...

Il n'est pas possible de dire à celles et à ceux qui ont commencé à travailler à 14 ou 15 ans que rien ne peut être fait. Il faut cependant avoir le courage de leur dire que nous cherchons, avant tout, à sauver les retraites.

Il est indispensable de relever le taux d'activité des salariés de plus de 50 ans, qui est l'un des plus bas d'Europe. Si l'âge légal de la retraite est fixé à 60 ans, les Français partent en moyenne à 58 ans. Une des solutions pour repousser l'âge effectif de départ est une politique active de formation des salariés, tout au long de la vie professionnelle.

C'est l'idée d'une deuxième carrière ; c'est aussi s'attacher à promouvoir l'égalité devant la formation continue à tout âge. Ce sera d'ailleurs un des thèmes de la conférence pour l'emploi qui se tiendra le 18 mars.

Réfléchissons aussi aux possibilités d'assouplir les règles applicables au cumul d'un emploi et d'une retraite, en développant les formules à temps partiel.

Un salarié bénéficiant de ce système me faisait part dernièrement de sa satisfaction, car il se préparait plus facilement à la retraite en ayant le sentiment d'être utile à son entreprise. Evidemment, la généralisation de tels dispositifs doit reposer sur la négociation entre les partenaires sociaux.

La pénibilité ne peut être absente du débat. Elle constitue un facteur d'inégalité entre les salariés, car elle est cause de très grandes disparités en matière d'espérance de vie. Il n'est pas question de laisser croire que la prise en compte de la pénibilité sera possible sans limites et qu'elle réglera tout mais les partenaires sociaux ont un rôle essentiel à jouer.

Il en va de même pour la réflexion sur les préretraites. L'évolution des mentalités, chez les employeurs comme chez les salariés, doit être une priorité. A cet égard, il nous semble important de favoriser la liberté de choix des salariés les plus âgés. Ainsi, ceux qui ont déjà 40 annuités et qui disent souvent avoir le sentiment de continuer à cotiser pour rien, souhaiteraient pouvoir rester en activité tout en augmentant leurs droits à pension. Ce système de surcote ne serait-il pas incitatif ? (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

La voie de la souplesse nous offre certainement de nombreuses possibilités. A chacun d'apporter ses idées et ses propositions.

Il existe deux façons d'aborder les débats de société. La façon polémique est la plus facile, mais aussi la plus stérile. Et puis elle n'est pas à la hauteur de l'enjeu car, vous l'avez dit Monsieur Bocquet, la réforme des retraites doit nous mener à dépasser les clivages partisans (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

Il me semble plus intéressant de replacer notre discussion dans son contexte : celui de l'impérieuse nécessité de sauver nos retraites. Si légiférer est prématuré, débattre est essentiel.

L'UMP a, pour sa part, décidé de s'engager résolument dans ce débat sur les retraites, par le dialogue avec les Français.

L'UMP a la conviction que la réforme en cours doit reposer sur trois principes : la sécurité, l'équité et la souplesse.

Personne ne peut rester sourd aux aspirations légitimes de nos compatriotes qui travaillent depuis longtemps, qui ont cotisé pendant 40 annuités sans avoir 60 ans et qui sont l'incarnation de ce que la valeur travail peut et doit représenter.

A ceux-là, je dis que mars 2003 n'est pas novembre 2001. Je dis que le débat de ce matin, contrairement à ce qui s'était passé sous le précédent gouvernement, ne sera pas sans portée, sans avenir et sans lendemain.

A tous, je donne rendez-vous dans quelques mois, pour que chacun prenne ses responsabilités ou plutôt pour qu'ensemble nous prenions nos responsabilités afin d'assurer l'avenir de notre patrimoine commun : les retraites ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Alain Néri - Parce que la question des retraites est cruciale pour notre société, je regrette l'absence de M. Fillon (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). On voit dans quel mépris sont tenus non seulement la représentation nationale, mais aussi les plus défavorisés, ceux qui ont exercé les métiers les plus durs. C'est inacceptable ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) M. Fillon, en refusant le débat, s'est discrédité.

Nous voulons donner le droit de vivre dans la dignité à ceux qui, après de longues années de dur labeur, aspirent légitimement à prendre leur retraite.

Plusieurs députés UMP - Il fallait le faire !

M. Alain Néri - En soutenant cette proposition, nous voulons aussi rappeler notre attachement à la retraite par répartition. Ce n'est pas inutile, car un lapsus révélateur vient de montrer que la droite, malgré toute ses dénégations, n'a peut-être pas renoncé à ses projets : c'est elle qui, favorable à la capitalisation, avait créé les fonds de pension Thomas ! Elle cherche maintenant à se refaire une virginité, avec un culot qui dépasse l'entendement !

Je veux aussi rappeler notre attachement au droit à la retraite à 60 ans. Il faut en outre que le montant de la pension soit décent : le taux de remplacement doit permettre aux plus modestes de vivre dans la dignité.

A qui s'adresse ce texte ? A ceux qui ont commencé à travailler jeunes, certains dès l'âge de 14 ans, dans des conditions particulièrement pénibles. J'ai été étonné d'entendre un orateur de la majorité parler de « compassion ». Ces travailleurs ont acquis des droits ! Ils ne demandent pas la charité, ils demandent justice ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP) J'ai entendu parler de « deuxième carrière ». Vous vous trompez de débat. Ces travailleurs sont usés par plus de quarante ans de travaux pénibles. Nombre d'entre eux souffrent de maladies professionnelles encore non reconnues. Cette usure prématurée, il faut en tenir compte. Et vous avez le front de proposer une « deuxième carrière » à quelqu'un qui a tourné du béton depuis l'âge de 14 ans !

De qui vous moquez-vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP) Il est temps, au contraire, de rendre justice à cette génération qui a souffert des privations de la seconde guerre mondiale et qui en 1945 n'a pas hésité à retrousser les manches pour redresser le pays. Certains d'entre eux sont allés en Algérie, à l'appel de la nation. Il faut leur reconnaître le droit à la retraite.

Nous pouvons et nous devons légiférer aujourd'hui. Mais cette proposition n'aura son plein effet que si elle s'accompagne d'une réforme des retraites complémentaires. C'est pourquoi, en novembre 2001, nous avons créé l'allocation équivalent retraite. Nous savions que les partenaires sociaux - mais n'ayons pas peur de citer le responsable, c'est-à-dire le Medef - refuseraient de payer les retraites complémentaires dès que ces travailleurs auraient eu droit à leur retraite de base. Nous ne pouvons nous contenter de leur offrir une pension de 3 000 francs. C'est pourquoi nous avons créé l'AER, en précisant d'ailleurs qu'il s'agissait d'un premier pas. Le moment est venu de faire le deuxième.

Le groupe socialiste a donc déposé un amendement pour demander que les partenaires sociaux adaptent le régime complémentaire aux assurés concernés.

C'est aussi une mesure d'humanité que nous demandons. Je ne veux pas réécrire Germinal, mais ces travailleurs, nous les voyons dans nos permanences. Ce sont souvent nos anciens camarades de classe. Quand nous les regardons, nous avons un sentiment de honte et nous nous demandons : ont-ils bien le même âge que nous ? (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

N'ont-ils pas droit à la retraite, pour jouir un peu de la vie ? Si vous ne comprenez pas cela, vous ne comprenez pas le rôle d'un élu, qui consiste d'abord à se préoccuper du social. Au plan économique d'ailleurs, comment prétendre qu'on ne pourrait payer les retraites de personnes qui ont cotisé 40 ans, quand il est possible de baisser l'ISF ? De qui se moque-t-on ?

Il faut donner plus à ceux qui ont moins. Il faut donner droit à la retraite à ces travailleurs qui ont une espérance de vie moindre.

J'espère que, dans un sursaut républicain, vous aurez le courage de voter la proposition de M. Bocquet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Gilles Artigues - Le groupe UDF se réjouit du dépôt de cette proposition, qui a le mérite de poser clairement une bonne question. Il faudra que le Gouvernement lui trouve une solution, dans le cadre d'une réforme plus générale.

Je me félicite d'ailleurs que le Premier ministre ait pris en main le dossier des retraites, après de trop nombreux reports et rapports. Nous disposons maintenant d'un calendrier ; une direction a été fixée. Le débat semble donc ouvert, comme celui de la décentralisation, de l'assurance maladie ou de la réforme de l'Etat.

M. Rocard, en 1989, avait annoncé que la réforme des retraites pouvait faire sauter plusieurs gouvernements. Les choses ont évolué ; les Français ont compris qu'il faut prendre des décisions courageuses dès lors qu'il y a moins d'actifs et plus de retraités. En 2006, il y aura 800 000 départs à la retraite quand il y en a aujourd'hui 500 000 ; si l'on n'agit pas, les cotisations doubleront, leur durée sera allongée et les pensions seront diminuées. Les Français sont capables d'être les acteurs de cette réforme, c'est pourquoi M. Bayrou a proposé l'organisation d'un référendum. Il faudrait poser une question simple qui reposerait sur les trois piliers que sont la solidarité, l'équité, la liberté.

La solidarité, c'est la retraite par répartition et une solidarité nationale qui doit sans doute s'exprimer pour les trimestres non cotisés et pour permettre aux plus démunis d'avoir une retraite satisfaisante.

L'équité, c'est votre proposition de loi, Monsieur Bocquet. Nous recevons tous des personnes qui n'ont pas soixante ans et qui ont cotisé pendant quarante ans. Nous connaissons leurs difficultés. Comment, après quarante ans de cotisation, ne pas cotiser à perte ? Peut-être un système incitatif serait-il envisageable ? L'équité, c'est aussi une harmonisation entre le secteur public et le secteur privé. La manière dont on a traité les régimes spéciaux ne nous semble pas satisfaisante dès lors que l'effort doit être partagé par tous. Le groupe UDF, par la voix de Jean-Luc Préel, a proposé qu'une Caisse de retraite des fonctionnaires soit créée.

La liberté, c'est plus de flexibilité et de souplesse. Une proposition de loi déposée par Anne-Marie Comparini offrira la possibilité de poursuivre une activité au-delà de soixante ans.

L'UDF a toujours proposé une retraite à la carte qui permettrait de tenir compte de la pénibilité du travail et de certaines situations particulières - les personnes qui, par exemple, arrêtent leur activité pour élever leurs enfants.

Il faudrait également évoquer la retraite par capitalisation, la retraite complémentaire, l'égalité entre les hommes et les femmes, les difficultés rencontrées par les conjoints survivants - assurance veuvage ou pension de réversion -, la politique familiale qui pourrait contribuer à résoudre une partie du problème.

Les sujets sont trop nombreux pour réduire le débat et le vote au seul aspect de la proposition de loi de M. Bocquet, qui pose du reste un problème de financement en défavorisant les classes moyennes et les épargnants.

Le groupe UDF, désireux de laisser toute sa chance à la concertation en cours, ne votera pas cette proposition de loi mais prendra toute sa place dans le débat à venir sur les retraites. On peut juger une société sur la manière dont elle traite ses anciens (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

Mme Martine Billard - Au nom des députés écologistes, je remercie le groupe communistes et républicains d'avoir lancé ce débat sur la réforme des retraites, qui intéresse toute la société.

Les mesures annoncées par le Gouvernement tournent autour de l'allongement de la durée des cotisations. Certains défendent l'idée de la retraite à la carte, mais le choix est surtout laissé au patronat qui met les salariés usés au chômage ou en préretraite ; les salariés qui ont déjà cotisé pendant quarante ans, eux, n'ont pas le choix.

Ce texte ne sera pas voté ce matin, nous le savons, bien qu'il soulève des questions intéressantes.

Cette loi concerne ceux qui sont entrés sur le marché du travail à l'âge de quatorze ou quinze ans et qui ont connu des conditions de travail pénibles. Il faut en effet reposer la question de la pénibilité. Les conditions de travail et de production ont évolué ; de nouveaux métiers sont apparus, particulièrement pénibles. Une actualisation de la grille de pénibilité s'impose donc pour maintenir le principe du départ à taux plein avant soixante ans.

Le système des quarante annuités de cotisation est fondé sur les périodes d'activité salariale qui ne correspondent plus à l'actuel marché du travail. De nombreuses personnes connaissent le chômage, la précarité, les temps de formation qui ne sont pas pris en compte. Or, le Gouvernement n'a annoncé aucune mesure concernant ces périodes heurtées de l'activité salariale.

L'allongement de l'espérance de vie autoriserait, selon certains, l'allongement de la durée du temps de travail. Cela introduirait une nouvelle inégalité entre ceux qui auront la faculté de travailler plus longtemps et ceux qui ne le pourraient pas ; dans ce cas-là, les femmes devraient en outre travailler plus longtemps que les hommes puisqu'elles vivent plus longtemps !

Sommes-nous sur terre pour travailler ?

M. Jean-Marc Lefranc - Pas seulement. Pour chasser, aussi (Rires).

Mme Martine Billard - Vous pouvez bricoler ou regarder la télévision.

Nous travaillons parce qu'il faut produire des biens dont nous avons besoin, mais le travail n'est pas l'alpha et l'oméga de la vie sur terre. Nous revendiquons le droit de ne pas travailler plus qu'il n'est nécessaire pour produire ce dont les êtres humains ont besoin.

Vous videz de sa substance le système par répartition en introduisant la capitalisation et les fonds de pension qui créeront de nouvelles inégalités. Le texte de M. Bocquet ouvre un certain nombre de pistes intéressantes sur le plan du financement notamment par la taxation des revenus des biens mobiliers et immobiliers tout en exonérant l'épargne populaire. Il ne peut y avoir de bonne réforme des retraites sans réfléchir à l'extension de l'assiette des cotisations de l'assurance-vieillesse ; les Français, s'ils ne veulent pas travailler plus longtemps, sont prêts à payer davantage pour leur retraite.

Il faut poser la question de la taxation des revenus des placements financiers des entreprises qui sont les seules à ne pas subir de prélèvement social à la différence des personnes physiques.

Il faudra aussi envisager l'extension des cotisations patronales en modulant certes en fonction de la part des salaires car il n'est pas question de pénaliser l'emploi.

Nous avons ce matin un premier débat ; je ne peux qu'espérer que le Gouvernement n'attende pas la fin de l'été pour soumettre un projet de loi au Parlement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Mme Geneviève Levy - Cette discussion a un air de déjà vu.

M. Albert Facon - C'est une bonne proposition de loi !

Mme Geneviève Levy - Il n'y a pas si longtemps, le 27 novembre 2001, nous avions en effet examiné un texte identique, émanant des mêmes bancs.

M. Pascal Terrasse - Et que disaient alors vos amis ?

Mme Geneviève Levy - Partir à la retraite avant soixante ans quand on a suffisamment cotisé est un souhait parfaitement compréhensible ( Ah ! sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). C'est une demande sociale légitime, nous en sommes tous d'accord...

M. Albert Facon - Elle est des nôtres ! Elle va voter la proposition.

Mme Geneviève Levy - ...D'autant qu'il s'agit souvent de salariés ayant commencé à travailler très jeunes dans des métiers très pénibles.

En proposant ce texte, le groupe communiste fait donc preuve d'une certaine cohérence...

M. Jean-Claude Lefort - Une cohérence certaine !

Mme Geneviève Levy - Mais en 2001, Mme Guigou avait invoqué l'article 40 pour s'opposer à la proposition, creusant ainsi un peu plus le fossé entre les composantes d'une majorité très divisée.

M. Alain Néri - Ça va venir pour vous !

Mme Geneviève Levy - Elle expliquait alors que la question serait abordée à l'occasion d'une réforme globale que le gouvernement Jospin entendait mettre en _uvre rapidement, mais... après les élections.

Plusieurs députés UMP - Eh oui !

M. Albert Facon - C'est pour cela qu'il ne faut pas remettre à demain !

Mme Geneviève Levy - Votre bilan en matière de retraites, c'est une succession d'effets d'annonces.

M. Alain Néri - Et la retraite complémentaire des agriculteurs, c'est quoi ?

Mme Geneviève Levy - Les Français n'ont pas été dupes. Ils savent que multiplier les rapports et les groupes de travail n'a jamais tenu lieu de politique.

Votre immobilisme a des effets nocifs aujourd'hui. Malgré la croissance, le précédent gouvernement n'a rien fait pour sauvegarder notre régime par répartition...

M. Alain Néri - Il a abrogé la loi Thomas !

Mme Geneviève Levy - ...sinon vider régulièrement le fonds de réserve des retraites, notamment pour financer les 35 heures.

M. Albert Facon - Demandez à Mme Alliot-Marie de renoncer au deuxième porte-avions !

Mme Geneviève Levy - Que d'argent dépensé, qui aurait pu être utilisé pour assurer la survie de notre régime de retraite.

M. Alain Néri - En tout cas, nous, nous n'avons pas baissé l'ISF !

Mme Geneviève Levy - La discussion s'ouvre dans un contexte complètement différent de celui de novembre 2001...

M. André Chassaigne - Le tour de passe-passe commence !

Mme Geneviève Levy - Rompant avec l'immobilisme, Jean-Pierre Raffarin a fait de la réforme des retraites sa priorité, avec une enjeu clair : sauvegarder le régime par répartition et la solidarité entre les générations. Réformer les retraites, c'est aussi protéger les jeunes qui sinon, devront payer le prix fort.

La dégradation du rapport entre le nombre de cotisants et celui des inactifs ne nous laisse pas de choix. Selon le rapport du conseil d'orientation, si aucune réforme n'est engagée d'ici à 2040, il faudra soit diviser par deux le montant des retraites, soit augmenter les cotisations de 60 %. Aucune de ces solutions n'est évidemment acceptable.

Depuis janvier, le calendrier de la réforme est connu. La concertation avec les partenaires sociaux est en cours et fonctionne bien. Des groupes de travail ont été créés sur les aspects techniques. Tous, nous ne pouvons que souhaiter que cette réforme aboutisse. Pour cela, il faut respecter l'étape indispensable de la concertation.

M. Jean-Claude Lefort - Mais nous sommes tous d'accord là dessus.

Mme Geneviève Levy - En présentant une proposition alors que le dialogue se déroule, vous êtes en contradiction.

M. André Chassaigne - C'est bien alambiqué !

Mme Geneviève Levy - Comment appeler à la négociation avec les partenaires sociaux et en même temps vouloir imposer une solution ? (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste) Les partenaires sociaux ne pourraient-ils nous accuser d'hypocrisie ? (Mêmes mouvements)

C'est pourquoi il n'est pas opportun de légiférer aujourd'hui, mais dans le cadre d'une réforme globale pour ces salariés qui ont cotisé quarante annuités avant soixante ans.

M. Jean-Claude Lefort - Quand ils seront morts !

Mme Muguette Jacquaint et M. André Chassaigne - La voilà, l'hypocrisie !

Mme Geneviève Levy - Du reste adopter cette proposition serait une fausse solution, car les intéressés subiraient des abattements très élevés sur leur retraite complémentaire, à laquelle de surcroît, ils n'ont pas droit avant 55 ans...

M. Alain Néri - C'est pour cela qu'il faut voter l'amendement socialiste !

M. André Chassaigne - Tartuferie !

Mme Geneviève Levy - Ceux qui ont commencé à travailler le plus tôt seraient les plus pénalisés. C'est pour cela qu'il faut absolument passer par la négociation.

D'autre part, la question est indissociable du problème de l'activité après 50 ans. En effet, la moitié des 895 000 personnes concernées ne sont plus salariés, mais au chômage ou en préretraite. Or la faiblesse du taux d'activité des salariés de plus de 50 ans pèse lourdement sur l'équilibre du régime par répartition. Dans le secteur privé, l'âge moyen de cessation d'activité est de 58 ans et deux Français sur trois sont déjà inactifs au moment de la liquidation de leur retraite.

M. Maxime Gremetz - C'est faux !

Mme Geneviève Levy - Aussi y a-t-il consensus pour relever ce taux d'activité. L'exemple finlandais prouve l'intérêt d'une politique volontariste qui passe par la formation professionnelle, l'assouplissement des conditions de cumul entre emploi et retraite et un moindre recours aux dispositifs de préretraite.

Supprimer toute condition d'âge pour ne prendre en compte que la durée d'assurance irait à l'encontre de cet objectif. De nombreux pays ayant instauré des modulations dans le départ à la retraite ont d'ailleurs maintenu un âge minimum. Il est de 61 ans en Suède.

M. Bocquet avance que laisser partir ces salariés, c'est offrir des chances supplémentaires aux jeunes. C'est une erreur évidente. En Europe, la France cumule le taux le plus bas d'activité des salariés au-delà de 50 ans et une entrée au travail plus tardive. Dans les années à venir, notre problème sera plutôt l'emploi des salariés âgés que le chômage des jeunes.

M. Maxime Gremetz - Allez le dire aux grands groupes qui jettent ces travailleurs à la porte !

Mme Geneviève Levy - Par ailleurs, il faut garantir un niveau de remplacement suffisant, et donc éviter des départs trop précoces, en particulier pour des salariés qui risqueraient de se retrouver avec de très petites retraites pendant de longues années.

Prendre en compte les besoins collectifs nous oblige donc au réalisme.

M. Xavier Bertrand - Très bien !

Mme Geneviève Levy - Rien ne serait pire pour notre régime par répartition que la surenchère et la démagogie. Or il est difficile d'envisager une augmentation des dépenses de retraite alors que les régimes par répartition vont connaître dans les années à venir des problèmes d'équilibre considérables. Pour 2020, ce sont 50 milliards d'euros qu'il nous faut trouver.

M. Albert Facon - Recourez à l'ISF !

M. Pascal Terrasse - Et 10 milliards cette année pour la sécurité sociale.

Mme Geneviève Levy - Le débat de ce matin doit avoir une vertu pédagogique.

M. Albert Facon - Dommage que M. Fillon ne soit pas là pour l'entendre !

Mme Geneviève Levy - La réforme est en _uvre, mais les marges de man_uvre sont étroites. Donnons aux partenaires sociaux et au Gouvernement le temps de la réflexion nécessaire sur une réforme très attendue. Ces quelques mois sont indispensables. Ils pèsent peu au regard des années perdues par le précédent gouvernement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Même si nous n'allons pas aujourd'hui jusqu'au terme de l'examen de cette proposition, le débat aura permis de mesurer toute l'importance du défi à relever (Mêmes mouvements).

M. Pascal Terrasse - Nous aurions souhaité la présence de M. Fillon pour un débat de cet intérêt. Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour lui en transmettre le contenu.

Le groupe socialiste ne découvre pas aujourd'hui l'objet de la proposition : en 2001 déjà, le groupe communiste avait déposé un amendement, au projet de loi de financement de la sécurité sociale, tendant à ouvrir le droit à une retraite à taux plein avant l'âge de soixante ans. Adopté à l'unanimité par la commission des affaires sociales, cet amendement n'a pas été retenu par l'Assemblée mais sa discussion a néanmoins permis une avancée importante : la création de l'allocation équivalent-retraite.

Le 27 novembre 2001, M. Bocquet a aussi déposé une proposition de loi identique à celle dont nous discutons. L'article 40 lui a été opposé mais il ne me semble pas inutile de rappeler notre position de l'époque. Nous prenions bien sûr en compte le coût de la mesure - notre estimation différait d'ailleurs notablement de celle qui a été avancée l'an passé - mais, surtout, nous considérions que celle-ci devait s'inscrire dans une démarche globale, prenant notamment en compte la pénibilité et l'usure prématurée de certains salariés, ce qui exigeait de disposer d'un diagnostic indiscutable. Or, à l'époque, nous ne pouvions nous appuyer comme maintenant sur les travaux du Conseil d'orientation des retraites.

En outre, nous pensions que la mesure impliquait une négociation avec l'ensemble des partenaires sociaux : comment en effet imposer une réforme qui ne s'appliquerait qu'au régime général, en négligeant les régimes spéciaux et en se privant de l'appui des régimes de retraites complémentaires et de l'AGFF ?

Chacun sait qu'un salarié au SMIC, percevant un salaire net de 915 €, touche environ 530 € de pension, hors retraite complémentaire, lorsqu'il fait valoir ses droits à la retraite et que nombre de salariés âgés bénéficient de dispositifs plus avantageux lorsqu'ils sont privés d'emploi.

Notre position n'a pas varié depuis 2001 mais il semble maintenant qu'un consensus se dégage parmi les partenaires sociaux aussi bien que dans cette Assemblée. La demande est soutenue par une large majorité au sein du Conseil d'orientation et par les organisations syndicales. Rien ne paraît donc s'opposer à l'adoption de cette mesure de justice sociale - à moins que le Gouvernement ne la refuse aujourd'hui et peut-être même demain aussi, dans le cadre de sa réforme ! Nous attendons donc avec impatience ce que vous allez dire, Madame la ministre déléguée ! Vous nous répondrez sans doute que le débat n'est pas clos et qu'il est urgent d'attendre et les révélations récentes d'un grand quotidien ne sont pas pour nous rassurer.

Pour les Français, l'avenir des retraites est une question primordiale. Le système par répartition est un des éléments essentiels de notre pacte social et c'est sans doute pourquoi, en 1995, la méthode Juppé a suscité la mobilisation de plus d'un million de manifestants. Le gouvernement de Lionel Jospin a su tirer les leçons de cet épisode et il a créé les outils d'une concertation régulière. Nous avons travaillé à réduire les tensions que vous nous aviez léguées (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) en instituant le Conseil d'orientation des retraites -que vous ne remettez pas en cause - et nous disposons maintenant d'un diagnostic largement partagé qui devrait nous permettre de sortir de l'impasse.

Nous ne pouvons nous satisfaire de l'état actuel des choses mais la réforme des retraites ne se justifie que par les améliorations qu'elle apportera en contrepartie des efforts qu'elle imposera. Encore faut-il déterminer clairement dans quel sens on veut aller, pour éviter d'être contre-productif.

Toutes les enquêtes montrent que la retraite demeure un sujet de préoccupation essentielle pour les Français. Les questions que posent ceux-ci sont simples : quelle pension ? A quel âge et après quelle durée d'activité ? Nos compatriotes sont également bien informés, en dépit de la vision catastrophiste que le Gouvernement s'attache à répandre. Dès lors, les mesures à prendre pour assurer l'avenir de la répartition ne sauraient se réduire à de simples ajustements de paramètres de fonctionnement. Le débat doit notamment être élargi à l'ensemble de la politique de l'emploi car il serait vain de s'interroger sur l'évolution des conditions d'âge ou de durée d'activité en oubliant qu'aujourd'hui, une personne sur deux a cessé d'être active avant l'ouverture de ses droits à pension.

L'allongement de la durée de vie pose la question de l'aptitude au travail dans le temps et de la considération accordée aux salariés les plus âgés. Un allongement de la durée de cotisation obligera inévitablement à différer le départ à la retraite, c'est-à-dire à prolonger sa vie active, ce qui rendra plus aigu encore le problème du chômage, à un moment où le salarié est de plus en plus tôt considéré comme trop âgé, soit parce que son coût salarial est trop élevé pour son employeur, soit parce que sa capacité de travail ne répond plus aux exigences de rendement et de qualité. C'est pourquoi on ne peut ignorer les difficultés rencontrées par les jeunes pour accéder à un premier emploi ou le temps partiel subi. Durcir les conditions d'éligibilité à la retraite reviendrait à aggraver encore la concurrence parmi les salariés. Il importe donc de mieux utiliser les capacités de travail tout au long de la vie active et de relever en priorité le taux permanent d'activité.

Depuis vingt ans s'est développée en France une coalition d'intérêts _uvrant à reporter sur la collectivité le coût financier d'un départ anticipé en retraite des salariés. Pour les salariés, partir en préretraite c'est d'abord en finir avec la crainte du chômage. C'est en même temps s'assurer de revenus souvent jugés suffisants à une période de la vie où les besoins diminuent avec l'accession des enfants à l'autonomie financière. Les études de votre propre administration, la DRESS, font ainsi état d'un souhait massif de mettre un terme à la vie professionnelle bien avant soixante ans.

Comment traiter des retraites, d'autre part, en faisant abstraction de l'usure prématurée de certaines catégories de travailleurs ? La pénibilité physique ou psychologique, les exigences de la chaîne, l'organisation du travail de nuit ou posté, l'exposition au bruit, à la poussière et aux toxines présentent des risques graves pour la santé et il n'est donc pas étonnant de constater que l'espérance de vie d'un ouvrier est inférieure de 6,5 ans à celle d'un cadre supérieur.

La pénibilité du travail, tout comme l'usure prématurée ou encore la possibilité de bénéficier de la liquidation de ses droits à la retraite avant soixante ans et même avant quarante annuités de cotisation, tout cela doit faire partie intégrante du débat. C'est aussi sur ce point que nous attendons du Gouvernement des réponses. Faute de cela, nos concitoyens se réfugieront dans des formes individuelles de capitalisation, pour ceux qui le peuvent, dans un sentiment d'abandon pour les autres, c'est-à-dire pour les plus nombreux.

Nous souhaitons donc que le débat qui s'ouvre sur les retraites conduise à accorder aux 800 000 personnes concernées le droit de partir à la retraite avant l'âge de soixante ans (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR

Mme la Présidente - L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au jeudi 27 mars inclus a été fixé ce matin en Conférence des Présidents.

Cet ordre du jour sera annexé au compte rendu de la présente séance.

Je vous informe que le projet sur l'activité de mercenaire a été retiré de l'ordre du jour de cet après-midi et que, d'autre part, la procédure d'examen simplifiée a été engagée pour la discussion du projet, adopté par le Sénat, portant ratification de l'ordonnance du 15 juin 2000 relative à la partie législative du code de l'éducation, inscrit à l'ordre du jour du jeudi 27 mars.

RETRAITE À TAUX PLEIN (suite)

M. Christian Vanneste - J'ai souhaité intervenir sur cette proposition de M. Bocquet parce que j'ai la même sensibilité « nordiste », marquée par le poids d'un travail commencé en général à un âge précoce, sans qualification et dans des conditions souvent pénibles.

Plusieurs députés communistes et républicains - Vous faites insulte aux gens du sud !

M. Christian Vanneste - De nombreux salariés de la région de Roubaix-Tourcoing ont trouvé du travail dès l'âge de quatorze ans, dans une entreprise textile située à leur porte. Je juge donc cette proposition excellente et je la voterais volontiers (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste) car elle accède à une demande croissante de la population, qui constate deux faits contradictoires : d'une part, de nombreux emplois du secteur textile sont menacés, d'où des plans sociaux qui comportent généralement des mesures de retraite anticipée, comme le FNE à 57 ans ; d'autre part, et c'est ressenti comme une injustice, on demeure obligé de travailler jusqu'à soixante ans même si l'on a commencé à quatorze, soit quarante-six ans de cotisations quand certaines catégories bénéficient d'un droit avant quarante anuités. Malheureusement une mesure peut être excellente dans son principe mais néfaste dans son application (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). C'est le cas quand elle arrive au mauvais moment et au mauvais endroit. En revanche, intégrée à une réforme d'ensemble, elle aurait eu deux effets positifs : d'une part, elle aurait mis l'accent sur le principe qui doit nous guider, à savoir l'équité, d'autre part, elle ferait passer le nombre d'années de cotisations avant le critère d'âge. Il serait normal en effet que ceux qui ont commencé à travailler plus tard, en raison notamment de leurs études, continuent plus longtemps que d'autres à travailler, étant entendu que l'espérance de vie s'allonge et atteindra en 2040 81 ans pour les hommes et 87 pour les femmes, comme il serait normal que ceux qui ont commencé plus tôt leur vie active puissent partir plus tôt à la retraite. Ce serait d'autant plus justifié que ces derniers ont en général exercé les professions les plus pénibles et ont une espérance de vie plus limitée.

Mais, prise isolément, une telle mesure enclencherait un cercle vicieux. Elle accentuerait en effet le déséquilibre entre ceux qui travaillent et cotisent et ceux qui ne travaillent plus et perçoivent les pensions. Il en résulterait soit une diminution des retraites, soit un alourdissement des charges, donc une baisse de l'emploi. On voit là se dessiner une spirale de déclin. Un travail plus coûteux devient un travail plus rare, et donc encore plus coûteux puisque le nombre croissant de ceux qui ne travaillent pas pèse sur ceux qui travaillent.

Contrairement à ce que dit M. Bocquet, les départs en retraite ne créent pas d'emploi. On constate en effet que ce sont les pays européens où l'on travaille le plus tard qui ont aussi le taux de chômage le plus bas.

Rappelez-vous l'image qui résuma l'aube de la Révolution : un paysan portant sur son dos un noble et un prêtre. Voulez-vous que l'image des années qui viennent soit celle d'un travailleur portant sur son dos celui qui ne travaille pas encore et qui le fera d'ailleurs de plus en plus tard, celui qui ne travaille plus et ce de plus en plus tôt, celui enfin qui ne travaille pas parce que le travail est devenu de plus en plus cher ? Comme le dit Alain Minc, vous avez en effet fait le choix du chômage ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

La question de la retraite ne peut être envisagée qu'à partir de trois variables : démographique, économique et sociale. Chacune d'elles introduit un risque de déséquilibre majeur pour les années à venir. Le premier est celui d'un déséquilibre entre une population nombreuse de retraités et une population plus réduite de travailleurs. Le deuxième est celui d'un fossé entre les pays où le coût du travail deviendrait prohibitif et les autres. Le troisième est celui d'un appauvrissement inacceptable des retraités. La mesure proposée ne peut aujourd'hui qu'accentuer ces risques, alors qu'elle pourrait être demain, intégrée dans une réforme d'ensemble, une mesure d'équité.

C'est pourquoi je ne voterai pas cette proposition de loi. Mais je m'associe au souhait des salariés qui voudraient pouvoir se retirer une fois leurs quarante annuités acquises (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur les bancs du groupe socialiste). Et je souhaite que leur attente soit pleinement satisfaite dans peu de temps (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Georges Colombier - Le présent texte se situe dans la droite ligne du concept de justice sociale et d'équité et a le mérite de venir enrichir le débat actuel sur la réforme des retraites. Je remercie donc sincèrement les auteurs de cette proposition de loi qui, à leur manière, apportent leur pierre à l'édifice que nous souhaitons bâtir pour sauver le système par répartition.

Salarié de l'industrie pendant 28 ans, ayant connu les « deux huit » et les « trois huit », je sais ce que signifie la « pénibilité du travail » et je n'ai donc cessé de défendre la possibilité pour les personnes ayant commencé à travailler très tôt de faire valoir leur droit à la retraite avant soixante ans, au bout de quarante années de cotisation.

Il faut toutefois se rendre compte que cette mesure a un coût non négligeable, qu'il semble difficile d'assumer, compte tenu de la conjoncture. En effet, d'après les évaluation du Conseil d'orientation des retraites, si l'on s'en tient aux seuls salariés âgés de 58 et 59 ans, cette mesure coûterait 7,6 milliards d'euros en 2001.

J'estime, à l'inverse, que les salariés qui le souhaitent doivent avoir la possibilité de poursuivre leur activité au-delà des quarante annuités réglementaires, et ce en améliorant leur future retraite. Ce n'est pas le cas actuellement, ce qui fait que de nombreux salariés ont l'impression de cotiser pour rien.

Par ailleurs, il est indispensable que la pénibilité du travail soit davantage prise en compte dans le calcul et dans la durée de cotisation nécessaire pour faire valoir ses droits à la retraite. Reste que chaque corps de métier pourrait être considéré comme pénible et que le progrès technique peut rendre moins pénible une activité auparavant considérée comme telle. C'est pourquoi cette notion demeure très complexe à définir et suppose un débat plus large ainsi qu'une concertation entre les partenaires sociaux de chaque branche.

L'aspiration des salariés à bénéficier d'une retraite à taux plein avant 60 ans dès lors qu'ils ont cotisé quarante annuité doit être analysée à la lumière de la situation des salariés de plus de 50 ans dans notre pays. Le fait que la moitié des personnes concernées soit à la recherche d'un emploi ou bénéficie d'un dispositif de cessation anticipée d'activité constitue évidemment une motivation forte à un départ en retraite.

Notre pays se caractérise en effet par un faible taux d'emploi des salariés de plus de 55 ans. Avec un taux de 32 % pour les hommes, la France est très en dessous de la moyenne européenne, qui est de 50 %. Cette situation, due notamment à l'usage massif des dispositifs de préretraite dans la période récente, compromet l'équilibre des régimes de retraite. La suppression d'une condition d'âge minimale pour bénéficier d'une retraite à taux plein doit être analysée à travers l'objectif de relèvement du taux d'activité des salariés de plus de 50 ans. Il conviendra donc de ne pas l'adopter sans l'assortir d'autres mesures incitant les salariés à travailler et les employeurs à faire travailler jusqu'à 60 ans.

Pour conclure, cette proposition de loi est légitime mais un peu prématurée. En effet, la concertation sociale et la mise en place des groupes de travail n'en sont qu'à leurs débuts, et il est clair que cette question ne saurait être traitée en dehors de débat qui s'est ouvert entre le Gouvernement et les partenaires sociaux depuis le début de l'année et qui se poursuivra au Parlement au début de l'été.

La mesure proposée ce matin figure dans la plate-forme commune élaborée le 6 janvier dernier par l'ensemble des organisations syndicales ainsi d'ailleurs que dans le programme électoral de l'UMP pour les élections législatives de juin 2002. Mais il serait peu approprié de l'adopter sans l'intégrer dans une refonte globale du système. Le présent texte aura toutefois eu le mérite d'engager le débat et de poser certains principes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

La discussion générale est close.

M. le Rapporteur - Avec tout le respect que je vous dois, Madame la ministre déléguée, je dois dire que je partage les remarques qui ont été faites à propos de l'absence du ministre des affaires sociales.

Nous avons eu, il y a un an et demi, sensiblement le même débat qu'aujourd'hui et je constate en tout cas la même résistance à prendre une décision. De même qu'on nous avait alors opposé qu'un débat était en cours au Conseil d'orientation des retraites, on nous objecte aujourd'hui qu'un débat est en cours avec les partenaires sociaux. Je fais donc aujourd'hui la même réponse qu'alors, car je préfère me répéter que me contredire : cela n'empêche nullement le législateur de prendre position et d'enclencher le processus des navettes, qui prend de toutes façons du temps. Imaginez la force que cela aurait si nous votions tous ensemble ce texte, qui, du reste, peut être amendé.

Je pense à tous ces salariés qui attendent depuis si longtemps. Je pense en particulier à ce métallurgiste que j'avais rencontré en 2001 : âgé alors de 55 ans, il avait déjà cotisé 41 ans. Il avait été licencié trois fois et il était atteint d'une grave maladie. Je l'ai revu la semaine dernière, à l'occasion de la préparation de ce texte : il a maintenant 57 ans et compte 43 années de cotisation. Faudra-t-il qu'il attende 2006 pour partir à la retraite ? Il aura alors cotisé 46 ans ! Pendant ce temps, certains hauts personnages bénéficient, eux, d'une retraite à 57 ans....

Plusieurs députés socialistes - Vous pensez au chef de l'UMP, Alain Juppé ?

M. le Rapporteur - Sans aucun esprit partisan (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), je défends cette proposition en pensant à ceux qui en seraient les bénéficiaires. Le Gouvernement, s'il y oppose comme je le crois l'article 40, portera une lourde responsabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. Alain Néri - Rappel au Règlement, fondé sur l'article 58, alinéa 1.

La discussion générale a montré un large consensus sur l'idée que la retraite avant 60 ans pour ceux qui ont quarante annuités de cotisations est un droit légitime, et non une faveur. Le caractère humain de cette mesure n'a échappé à personne. Dans ces conditions, il serait normal que Monsieur Fillon vienne nous indiquer ses intentions. Je ne mets naturellement pas en cause la compétence de Madame Ameline, mais le respect de la représentation nationale et des travailleurs voudrait que le ministre en charge de ces questions s'explique devant nous (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Mme la Présidente - J'ai déjà répondu sur ce point.

Mme Muguette Jacquaint - Rappel au Règlement, également fondé sur l'article 58, alinéa 1.

On peut s'attendre à ce que le Gouvernement brandisse cette fois, non pas l'article 49-3, mais l'article 40. Or, j'ai entendu Monsieur Fillon, lorsqu'il a présenté ses projets de réforme des retraites, dire qu'il serait justice, pour les salariés ayant travaillé dès l'âge de 14 ou 15 ans et ayant cotisé quarante ans ou plus, de pouvoir prendre leur retraite. La majorité doit cesser de nous répéter que l'idée est excellente, mais qu'il est trop tôt pour la mettre en application ! Moi qui ai commencé à travailler à 15 ans à la chaîne, je sais de quoi je parle. Les personnes concernées jugeront ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle - Faut-il rappeler que je m'exprime légitimement au nom du Gouvernement ? Au moment où s'engage enfin une concertation effective sur le sujet fondamental des retraites, je ne puis laisser dire qu'il n'assume pas ses responsabilités. Bien au contraire, il a la détermination, la volonté et le courage d'engager cette réforme trop longtemps différée et de la mener à bien (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Cette proposition de loi a déjà été discutée le 27 novembre 2001, et le Gouvernement de l'époque s'était alors opposé à l'initiative de l'une des composantes de sa majorité.

Monsieur Bocquet, je vous ferai observer, s'agissant du choix du moment, qu'il y a une différence entre les travaux d'un organisme, aussi utile soit-il, qui n'est pas un organisme de concertation, le Conseil d'orientation des retraites, et la concertation qui est aujourd'hui réellement engagée par le Gouvernement.

M. Pascal Terrasse - Le Conseil d'orientation des retraites n'est-il pas un organisme de concertation ? On apprend quelque chose !

Mme la Ministre déléguée - La retraite est un sujet qui intéresse tous les Français et qui les inquiète, parce que chacun sait que l'arrivée de la génération du baby-boom à l'âge de la retraite et l'allongement et l'espérance de vie après 60 ans ont pour conséquences d'importants besoins de financement.

Les rapports qui se sont succédé sur le sujet ont au moins un mérite : le consensus sur le constat. Oui, il manquera au minimum 50 milliards d'euros en 2020, et au minimum 100 milliards c'est-à-dire quatre points de PIB, à l'horizon 2040.

Nous pouvons attendre tranquillement l'arrivée des déficits, au risque de pousser les futurs actifs à remettre en cause le contrat entre les générations, donc les retraites de ceux qui ont refusé de réformer le système. L'autre solution, en réalité la seule possible, c'est la réforme, pour sauver nos régimes de retraite par répartition. Le Premier ministre s'y est engagé dès la déclaration de politique générale, le 3 juillet dernier ; le Gouvernement respecte scrupuleusement sa méthode et son calendrier.

Des trois paramètres - le taux de cotisation, la durée d'activité, le montant des pensions -, aucun n'est à exclure des discussions avec les partenaires sociaux. La marge de man_uvre dont nous disposons sur les cotisations est cependant étroite car la France est l'un des pays européens où le poids des charges est le plus élevé (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) ; par ailleurs, nous devons nous efforcer d'assurer aux futurs retraités une pension aussi satisfaisante que possible. A l'évidence, la façon la plus juste d'assurer aux retraités de « bonnes pensions » sans écraser les actifs sous le poids des charges, est d'augmenter progressivement le taux d'activité des personnes en âge de travailler.

Il faut donc veiller à ce que les jeunes entrent plus rapidement et dans des conditions plus favorables sur le marché du travail. Il faut aussi s'engager en faveur de l'emploi des salariés de plus de 50 ans.

Ces deux objectifs ne sont pas contradictoires : les pays européens où le taux d'activité des jeunes est élevé ont également un taux d'activité élevé des « seniors ». La France cumule une entrée tardive sur le marché du travail et un taux d'activité des salariés de plus de 55 ans très faible.

M. Alain Néri - Hors sujet ! Ceux dont nous parlons aujourd'hui ont commencé à travailler très jeunes !

Mme la Ministre déléguée - Notre objectif, donc, doit être avant tout d'assurer l'équilibre des régimes de retraite. Certes, de nombreux retraités estiment que leur pension est insuffisante, et beaucoup de salariés souhaiteraient partir plus tôt à la retraite. Mais notre rôle est de rappeler que les améliorations que nous pourrions apporter accroîtront parallèlement le défi financier à relever (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

S'agissant du départ à la retraite avant 60 ans de ceux qui ont validé 160 trimestres, je souligne au passage que la référence à 40 ans de cotisations est ainsi de facto acquise, même si dans l'exposé des motifs le groupe communiste républicain rappelle son attachement aux 37,5 années - nous sommes, à l'évidence, confrontés à une demande sociale.

Je ferai trois observations préalables.

Premièrement, aucun système de retraite ne peut s'affranchir d'un critère d'âge. Même la réforme suédoise, souvent citée en exemple pour la grande souplesse qu'elle instaure, fait varier le choix de l'âge du départ entre 61 et 67 ans.

Deuxièmement, la France est l'un des pays européens où l'âge de la retraite est le plus bas.

Troisièmement, une telle demande, même si elle est compréhensible, montre une certaine confusion sur ce qu'est la répartition, qui est un système avant tout collectif.

Venons-en au coût financier. La France a-t-elle aujourd'hui les moyens de satisfaire cette demande sociale ? A l'évidence, le Gouvernement ne peut répondre à cette question qu'avec prudence.

M. Pascal Terrasse - Les masques tombent !

Mme la Ministre déléguée - Le coût de cette proposition de loi est particulièrement élevé. Sur la base de 859 000 personnes concernées, il s'élève à 8,3 milliards d'euros pour les régimes de base, et à 5,3 milliards pour les régimes complémentaires, ce qui représente 1,5 point de CSG.

Contrairement à ce qui est affirmé haut et fort, la durée d'activité moyenne n'est pas de trente-sept annuités et demie. L'importance des effectifs ayant validé 160 trimestres avant l'âge de soixante ans montre que la réforme Balladur n'a que peu d'impact sur l'âge de départ à la retraite de la génération qui a aujourd'hui entre 50 et 60 ans.

Peut-on escompter que le coût de cette mesure se réduira très rapidement dans les prochaines années, en raison de l'allongement de la durée des études ? C'est peu probable. L'âge moyen d'entrée sur le marché du travail des générations qui prendront leur retraite en 2020 était de 19 ans, soit un âge supérieur de seulement huit mois à celui des générations qui prendront leur retraite en 2010 !

Je vous rappelle que l'excédent de la CNAV pour 2003 est prévu à 1,9 milliard d'euros. Autant dire que la mesure aurait pour effet de rendre le régime général lourdement déficitaire dès 2004. Ces éléments financiers n'épuisent pas, j'en conviens, le sujet (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Mais notre devoir est de les prendre en compte.

Mesdames et Messieurs les députés de l'opposition, que diriez-vous si la réforme engagée par le Gouvernement avait pour effet d'augmenter les besoins de financement de nos régimes de retraite ?

Je n'ai pas parlé du gage de la proposition. Il s'agit d'un faux gage, puisque notre droit constitutionnel interdit qu'on compense une augmentation des dépenses par une augmentation des recettes.

Ce faux gage, c'est un impôt sur les revenus financiers des entreprises. Je salue sur ce point la constance du groupe communiste. Mais vous refusez de voir qu'un tel impôt - à supposer qu'il soit applicable et compatible avec le droit communautaire et les exigences d'une économie ouverte - pèsera sur l'activité, sur la croissance et sur l'emploi.

Ce prélèvement supplémentaire en réduisant les marges des entreprises, (« Ah ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains), ne ferait que pénaliser l'emploi, c'est-à-dire les salariés les moins formés.

Sur la forme, cette proposition nous semble inappropriée. En plein mois de mars, alors même que la concertation est engagée avec les confédérations syndicales et patronales, le groupe communiste et républicain suggère que l'Assemblée nationale se prononce. Le moment est mal choisi ! (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) On ne peut pas à la fois appeler à la négociation et prétendre imposer une solution législative.

Votre proposition ne donne le droit à la retraite à taux plein, avant soixante ans, que pour la seule pension servie par les régimes de base. Sans accord des partenaires sociaux, la pension servie par les régimes complémentaires - qui n'est de toute façon versée qu'à partir de l'âge de 55 ans - serait soumise à des abattements importants. Autant dire que cette proposition passe sous silence un problème très important (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jean-Claude Lefort - Elle peut être amendée.

Mme la Ministre déléguée - Derrière cette proposition, il y a un enjeu de société. Oui, la place faite aux salariés de plus de 50 ans est une vraie question. Nous devons comprendre le désenchantement et la lassitude des salariés expérimentés. Nous devons favoriser la formation des salariés de plus de 45 ans, afin qu'ils puissent connaître, dans la mesure du possible, un changement d'activité professionnelle. Nous devons prendre en considération le souhait de ceux qui désirent passer de manière progressive du travail à la retraite, grâce à des horaires aménagés ou à un temps partiel choisi. Je pense, en particulier, aux femmes.

Il est essentiel de mener une politique de prévention comportant un volet classique, relatif à la prévention des risques professionnels et un volet plus novateur, relatif à la gestion des carrières et à la formation des travailleurs vieillissants.

Mais croyez bien que le Gouvernement ne mésestime pas le problème de ceux qui ont commencé à travailler à 14 ans, qui justifient de très longues carrières et dont les préoccupations sont légitimes.

Dans le courant du mois d'avril, le Gouvernement fera part aux partenaires sociaux de ses propositions sur l'ensemble de la réforme des retraites.

Si l'objectif de la proposition était de provoquer un débat, ce débat a eu lieu et il se poursuivra.

Aujourd'hui, sur le fond comme sur la forme, votre proposition ne peut susciter l'approbation du Gouvernement qui, soucieux du respect de la Constitution, invoque l'article 40.

Mme la Présidente - En application de l'article 92 alinéa 3 du Règlement, la procédure législative est suspendue en l'état jusqu'à la décision du bureau de la commission des finances. Il appartiendra au président de la commission des finances de nous la communiquer.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances - Le Gouvernement ayant opposé l'article 40 de la Constitution à cette proposition, je vais réunir le bureau de la commission des finances, conformément à l'article 92 alinéa 2 du Règlement. Dès que sa décision sera prise, je vous en ferai part en séance.

Je dis tout de suite que, le 20 décembre 2001, une décision du bureau de la commission des finances avait interrompu l'examen d'une proposition identique (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Je rappelle cet événement pour vous indiquer que la suspension devrait être courte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La séance, suspendue à 11 heures 50, est reprise à 12 heures 15.

M. le Président de la commission des finances - Le bureau de la commission des finances ne se prononce pas en opportunité mais en droit constitutionnel. En l'état actuel du droit, nul ne peut nier que l'article 40 s'applique.

Constatant que l'article premier de cette proposition de loi élargit les conditions d'ouverture du droit à l'assurance-vieillesse en garantissant une pension de retraite à taux plein à l'assuré qui en demande la liquidation avant l'âge de soixante ans lorsqu'il justifie de la durée d'assurance requise, rappelant que dans sa décision du 20 janvier 1961 le Conseil constitutionnel a considéré que les charges des régimes obligatoires de base de sécurité sociale sont « publiques » au sens de l'article 40 de la Constitution, rappelant que la création d'une charge publique entraîne l'irrecevabilité de l'initiative parlementaire qui la propose - nonobstant les ressources de compensation qu'elle apporte -, rappelant qu'une proposition de loi identique a donné lieu à une décision du bureau de la commission le 20 décembre 2001, le bureau décide d'opposer l'article 40 de la Constitution à l'article premier de cette proposition de loi.

Cela dit, et je m'exprime à titre personnel, le débat est important. Nous aurons l'occasion de reparler de ces problèmes. Une concertation est engagée ; il faut que l'ensemble des forces sociales se prononce (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme la Présidente - Les dispositions de l'article 40 de la Constitution ayant été déclarées applicables à la proposition de loi, celle-ci n'a plus d'existence.

M. Pascal Terrasse - Je fonde mon rappel au Règlement sur l'article 58-1 du Règlement.

Au nom du groupe socialiste, je regrette une nouvelle fois l'absence du ministre des affaires sociales (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Cette désertion honteuse, qui s'apparente à une abdication, ne concourt pas à la sérénité du débat.

La seule réponse de Mme la ministre est d'ordre financier. Nous avons toutes les raisons de craindre que, malgré le débat qui s'annonce, les salariés qui ont cotisé quarante ans et qui n'ont pas atteint l'âge de soixante ans ne pourront partir avec une retraite à taux plein. Nous attendons que les travaux annoncés par le Premier ministre, ouverts aujourd'hui, s'achèvent le 30 mars, soit moins de quinze jours pour bâtir, avec les partenaires sociaux, un nouveau projet de retraite... Le Gouvernement n'a pas grand chose à dire, si ce n'est proposer quarante annuités de cotisation pour tous.

Nous regrettons que la navette parlementaire n'ait pas lieu car il aurait été très utile que nous disposions de ce texte lorsque nous examinerons la réforme des retraites au mois de juin (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Maxime Gremetz - Ceux qui font les trois-huit, qui font des kilomètres et des kilomètres de transport, qui travaillent le week-end, seront à nouveau déçus. Ils ne demandent pas la charité, mais la reconnaissance d'un droit. Ils ont cotisé ; ils ont droit à leur retraite.

Plusieurs députés UMP - Que ne l'avez-vous fait !

M. Maxime Gremetz - Vous prenez vos responsabilités, comme d'autres les ont prises. Les gouvernements changent, les rapporteurs, les présidents de la commission des finances changent ; malheureusement, les discours restent les mêmes. C'est pourquoi les citoyens ne croient plus personne et s'abstiennent.

Nous avons eu l'an dernier le même débat. La droite avait alors justement protesté contre la méthode utilisée pour la première fois, par le précédent gouvernement, qui avait opposé l'article 40 à une niche parlementaire. Ce que vous disiez alors ne serait-il plus vrai aujourd'hui ? On nous parle de « méthode », de dialogue, de concertation, d'initiative parlementaire, de revalorisation du rôle du Parlement, mais « c'est du pipeau ». Ce n'est pas digne de votre majorité (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

NOMINATION D'UN DÉPUTÉ EN MISSION TEMPORAIRE

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant de sa décision de charger M. Jean-François Chossy, député de la Loire, d'une mission temporaire auprès de Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées.

Cette décision a fait l'objet d'un décret publié au Journal officiel du 11 mars 2003.

Prochaine séance cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 25.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

A N N E X E
ORDRE DU JOUR

L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au jeudi 27 mars 2003 inclus a été ainsi fixé ce matin en Conférence des présidents :

CET APRÈS-MIDI : à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures :

_ Projet, adopté par le Sénat, relatif aux entreprises de transport aérien et notamment à la société Air France.

MERCREDI 12 MARS, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille ;

_ Proposition, adoptée par le Sénat, portant modification de la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie.

JEUDI 13 MARS, à 9 heures :

_ Proposition de M. Michel VAXÈS et plusieurs de ses collègues tendant à la suppression du mot « race » de notre législation ;

(Séance d'initiative parlementaire)

à 15 heures et à 21 heures :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille ;

_ Proposition de résolution sur la création d'un procureur européen.

MARDI 18 MARS, à 9 heures :

_ Questions orales sans débat ;

à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures :

_ Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet, adopté par le Sénat, relatif aux entreprises de transport aérien et notamment à la société Air France ;

_ Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l'ensemble de la proposition, adoptée par le Sénat, portant modification de la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie ;

_ Projet modifiant l'article 1-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications.

MERCREDI 19 MARS, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures :

_ Projet renforçant la lutte contre la violence routière.

JEUDI 20 MARS, à 9 heures :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille ;

à 15 heures et à 21 heures :

_ Éventuellement, suite de l'ordre du jour de la veille ;

_ Projet relatif aux assistants d'éducation ;

_ Sous réserve de sa transmission par le Sénat, proposition tendant à étendre aux communautés d'agglomération créées ex nihilo le régime de garantie d'évolution de la dotation globale de fonctionnement des communautés d'agglomération issues d'une transformation.

MARDI 25 MARS, à 9 heures :

_ Questions orales sans débat ;

à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures :

_ Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet relatif aux assistants d'éducation ;

_ Projet relatif au mécénat et aux fondations ;

_ Projet, adopté par le Sénat, relatif à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs.

MERCREDI 26 MARS, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures :

_ Proposition de résolution de MM. Jean-Louis DEBRÉ, Jacques BARROT, Jean-Marc AYRAULT, Hervé MORIN et Alain BOCQUET tendant à compléter le Règlement de l'Assemblée nationale et à modifier ses articles 14, 50, 65, 91, 104 et 128 ;

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

JEUDI 27 MARS, à 9 heures et à 15 heures :

_ Sous réserve de sa transmission par le Sénat, proposition tendant à autoriser le vote par correspondance électronique des Français établis hors de France pour les élections du Conseil supérieur des Français de l'étranger ;

_ Deuxième lecture du projet portant diverses dispositions relatives à l'urbanisme, à l'habitat et à la construction ;

à 21 heures :

_ Projet, adopté par le Sénat, portant ratification de l'ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 relative à la partie législative du code de l'éducation.

(Ce texte faisant l'objet d'une procédure d'examen simplifiée).


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