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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 64ème jour de séance, 160ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 11 MARS 2003

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

DÉCÈS D'UN DÉPUTÉ 2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

METALEUROP 2

IRAK 3

POLITIQUE DU LOGEMENT 3

CONSÉQUENCES DU CONFLIT IRAKIEN 4

INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT 5

DISPARITION D'ESTELLE 5

AVENIR D'EADS 6

ZONE DE TRANSIT DE L'AÉROPORT
CHARLES-DE-GAULLE 7

STATUT DE LA FEMME 8

INFRASTRUCTURES DE TRANSPORTS 8

POLITIQUE DE LA RECHERCHE 9

PRÉVENTION DE LA TOXICOMANIE 10

REMPLACEMENT D'UN DÉPUTÉ DÉCÉDÉ 11

ENTREPRISES
DE TRANSPORT AÉRIEN 11

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 18

QUESTION PRÉALABLE 27

ERRATUM 42

La séance est ouverte à quinze heures.

DÉCÈS D'UN DÉPUTÉ

M. le Président - Nous avons appris avec tristesse le décès de notre collègue Jean-Marc Chavanne, député de la cinquième circonscription de la Haute-Savoie.

Je prononcerai son éloge funèbre lors d'une prochaine séance.

En hommage à notre collègue décédé, j'invite l'Assemblée à observer une minute de silence (Mmes et MM. les députés ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement se lèvent et observent une minute de silence).

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

METALEUROP

M. Albert Facon - Monsieur le Premier ministre, je souhaite que vous répondiez personnellement à ma question. Le 17 janvier, après avoir dépecé leur filiale de Noyelles-Godault, les actionnaires de Metaleurop, dont Glencore, se désengagent financièrement de Metaleurop, signant ainsi sa condamnation. Le 28 janvier, vos ministres reçoivent les représentants des salariés qui reprennent espoir compte tenu de votre engagement personnel : « il faut une procédure exceptionnelle pour une situation exceptionnelle. Les salariés de Metaleurop ont droit à la reconversion », avez-vous notamment déclaré.

La liquidation de l'entreprise a été prononcée hier, jetant 830 salariés à la rue, sans compter ceux des entreprises sous-traitantes, alors que les patrons voyous ont disparu, et coulent même, pour certains d'entre eux, des jours paisibles en Suisse. M. Delevoye a présenté jeudi dernier à Lens un contrat de site, espérant la création de 1 000 emplois en quatre ans si tout va bien, ce qui est ridicule au regard de la situation.

Je vous demande de débloquer rapidement des fonds exceptionnels pour que les familles puissent vivre et nourrir leurs enfants, et pour que les pères retrouvent du travail.

L'Etat doit s'engager comme il l'a fait face à la disparition des voyous des mers après les catastrophes maritimes. Les propres parents de ces salariés travaillaient dans les mines, et ont donné jusqu'à leur santé pour satisfaire les besoins énergétiques de la France d'après-guerre. Le Nord-Pas-de-Calais, c'est aussi la France, et surtout la France d'en bas ! Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous assurer que vos engagements du 28 janvier seront tenus ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Metaleurop est le symbole d'un comportement irresponsable que le Gouvernement veut voir sanctionné de manière exemplaire. Comme le Premier ministre l'a dit, des poursuites judiciaires ont été engagées, l'enquête sur l'abus de bien social se poursuit et nous veillerons à ce qu'elle aboutisse.

Sur les besoins des salariés et du territoire, nous avons chargé le préfet de rassembler les partenaires sociaux pour élaborer le plan de reclassement. Le service public de l'emploi est mobilisé, et des agents de l'ANPE ont été exclusivement affectés au reclassement du personnel de Metaleurop. L'UNEDIC a accepté une prise en charge dérogatoire pour les salariés les plus âgés, et une cellule de reclassement sera bientôt opérationnelle pour suivre individuellement chaque salarié - avec l'accord des partenaires sociaux, c'est l'entreprise Altedia qui a été choisie pour accomplir ce travail.

Le fonds social européen a été mobilisé et une enveloppe de 15 millions d'euros est déjà consacrée au plan de reclassement. D'autre part, le Premier ministre a souhaité qu'un contrat de site soit négocié avec le territoire pour répondre à certaines de vos demandes, mais aussi pour favoriser l'investissement et l'emploi sur votre territoire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

IRAK

M. François Bayrou - La position exprimée hier soir par le Président de la République a été largement soutenue par l'opinion publique, car elle est juste, tant une guerre de première intention ne saurait être la réponse aux crises de la planète, ni un moyen de défendre nos valeurs.

L'avenir est lourd de nuages. Si une guerre est déclenchée contre l'avis du Conseil de sécurité, la première victime en sera l'ONU. Comment, en effet, faire appel à l'autorité des Nations unies quand celle-ci est bafouée par ses membres permanents, et que le pays, siège de l'ONU lui-même, ignore ses délibérations ?

Quelle sera la position de la France si une guerre est déclenchée contre les délibérations des Nations unies ? Que fera la France pour reconstruire, après un tel séisme, une autorité pour le droit international et les Nations unies ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - Je me réjouis de l'unité nationale que le Président de la République a su construire autour du message et de l'action de la France, reconnus dans le monde entier. La position de la France est claire, nette et juste. Une seconde résolution n'apparaît pas nécessaire, puisque la résolution 1 441 suffit à obtenir le désarmement de l'Irak, qui reste notre seul objectif (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Aussi est-il inutile de voter cette seconde résolution, et nous nous battrons pour que la communauté internationale reste sur cette position majoritaire au sein du Conseil de sécurité.

Si une quelconque résolution, provoquant l'automaticité de la guerre ou la fixation d'un ultimatum, venait à être présentée, l'opposition de la France serait claire et ferme, mais nous nous battrons, au sein du Conseil de sécurité pour ramener la paix au sein de l'ONU, source du droit international. L'ONU a déjà résisté à de nombreux veto, elle saura surmonter d'autres crises, et nous tenons à ce que la communauté internationale se rassemble dans cette organisation, source de droit et de paix. Si hélas l'on peut faire la guerre sans l'ONU, qu'au moins l'on ne puisse construire la paix sans elle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

POLITIQUE DU LOGEMENT

Mme Janine Jambu - « L'expulsion représente un traumatisme lourd pour les familles qui la subissent. Aux difficultés sociales que les ménages expulsés ont en commun, avec beaucoup d'autres, s'ajoute le handicap créé par un échec locatif - dettes non soldées, défiance des bailleurs ». Cet extrait du dernier rapport du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, illustre la situation à laquelle seront confrontées des dizaines de milliers de familles dans quelques jours, à l'expiration du délai d'interdiction des expulsions. Dans ma seule commune, près de 300 familles sont sous le coup d'une procédure. La perspective d'une aggravation de cette situation est insupportable. Le rapport du Haut comité formule des propositions fondées sur l'évaluation du volet prévention de la loi relative à la lutte contre les exclusions, votée en 1998, et dont les décrets doivent être appliqués : renforcement des moyens humains et financiers pour l'enquête et le suivi social, maintien des aides en cas de difficulté de paiement du loyer et retour au bail, relogement enfin quand c'est nécessaire. Tous les acteurs doivent se mobiliser, bailleurs compris, autour du préfet, garant de la continuité de l'action publique.

Quelles dispositions allez-vous prendre pour prévenir efficacement des expulsions ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - C'est vrai, chaque expulsion représente pour les locataires de bonne foi, un drame individuel, souvent familial, et qui appelle notre soutien. Vous avez raison, la loi de 1998 a notamment permis de rallonger les délais de procédure pendant lesquels une famille peut trouver des solutions, mais n'a malheureusement pas prévu les soutiens qui pouvaient leur être apportés. Ainsi, en Seine-Saint-Denis, dans les années 1999-2000-2001, 1 800 expulsions ont eu lieu, mais seuls 30 % des familles ont « profité » de ce délai pour trouver une solution de remplacement.

Je vais donc mettre en place avec Mme Versini, dans le cadre du renforcement de la lutte contre la précarité et l'exclusion, un dispositif de soutien et d'accompagnement des familles en difficulté afin de prévenir leur expulsion. Nous voulons mieux former les travailleurs sociaux, éclairer la décision des juges, accompagner les familles pour leur permettre de mieux assurer leur défense, et enfin améliorer les aides du type FSL, afin que celui-ci puisse être saisi à temps. Nous nous donnons donc les moyens d'une vraie politique de prévention des expulsions (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

CONSÉQUENCES DU CONFLIT IRAKIEN

M. Jacques Barrot - Monsieur le Premier ministre, comment ne pas être fier en cet instant de l'action du Président de la République et de notre diplomatie (Protestations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) qui rencontre un écho croissant dans le monde (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Nous approuvons sans faille la fermeté de la position française : désarmer l'Irak par d'autres moyens que le recours automatique à la force. Les convictions exprimées par la France sont justes pour aujourd'hui et pour demain. La sécurité et la paix dans le monde exigeront de plus en plus des actions multilatérales et une approche globale ne sous-estimant pas les autres facteurs de prolifération et de violence. Aussi sommes-nous, à l'instar du Président de la République, très attachés à l'institution des Nations unies. Nous sommes convaincus que, dans cette crise, notre pays aura posé les jalons de l'avenir de la communauté internationale.

Néanmoins, en dépit des efforts déployés, la guerre se profile et les Français en redoutent les conséquences. Comment entendez-vous pallier les risques d'un éventuel état de guerre ? Comment la France poursuivra-t-elle sa lutte courageuse contre le terrorisme avec tous ses alliés, y compris les Etats-Unis ? Comment prévenir toute dérive raciste ou antisémite dans notre société ? Comment préserver envers et contre tout nos liens avec nos voisins et alliés européens pour que l'Europe, comme l'a souhaité Jacques Chirac, continue de marcher vers une plus grande unité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - Notre pays vit en effet un important moment d'unité nationale autour du chef de l'Etat et de l'action de notre diplomatie. L'heure est grave. Face aux tensions que nous percevons bien dans le monde, notre position est d'une extrême clarté : il existe une alternative à la guerre. Cette position, nous entendons la maintenir, ce qui ne nous empêche pas d'être lucides. J'ai donc décidé de préparer avec le Gouvernement un programme d'initiative intérieure pour répondre à la situation extérieure. Il comportera quatre chapitres, au premier rang desquels le renforcement de l'action contre le terrorisme. Nicolas Sarkozy a déjà préparé (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) avec Michèle Alliot-Marie, un certain nombre de mesures pour renforcer partout notre vigilance. La coopération internationale en matière de renseignement ne pâtit aucunement des tensions internationales, elle reste étroite. Nous renforçons également le plan Vigipirate et développons la lutte contre le bio-terrorisme sous la houlette de Jean-François Mattei. Cette forte mobilisation en appelle à la vigilance civile des Français.

Deuxième chapitre : la mise en alerte contre toute montée du racisme et de l'antisémitisme. Seront mobilisés toutes nos forces éducatives et tous les acteurs de terrain - associations, élus locaux... Nous prenons actuellement contact avec les organisations qui peuvent relayer cette préoccupation. Nous renforçons également - c'est un élément très important - la vigilance autour des lieux de culte.

Nous voulons en troisième lieu préserver notre projet européen. L'Europe ne doit pas devenir victime d'une guerre en Irak. Aussi avons-nous des initiatives à prendre au niveau du Gouvernement et du Parlement, envers tous nos partenaires, les anciens comme les nouveaux membres de l'Union. Tendons la main, choisissons le dialogue pour que s'impose cette communauté de destin. Il y a aujourd'hui un besoin d'Europe et notre combat pour la paix est un combat pour un monde multipolaire, qui intègre la dimension européenne.

Quatrième chapitre : la mobilisation en faveur de l'emploi et de notre économie. Nous mobiliserons l'ensemble des acteurs, de l'Europe sociale au terrain, en passant par les partenaires sociaux (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Des moyens financiers supplémentaires seront dégagés (Huées sur les bancs du groupe socialiste) dans la perspective de la prochaine conférence pour l'emploi qui doit se tenir le 18 mars. Il est très important de faire ainsi face au ralentissement de la croissance, comme de simplifier la vie administrative - et nous préparons des mesures en ce sens - et de mobiliser toutes nos forces vives pour libérer les énergies (Huées sur les bancs du groupe socialiste). La France est en paix, en paix avec sa conscience universelle, grâce à son unité nationale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT

M. Michel Bouvard - Monsieur le Premier ministre, depuis une vingtaine d'années les dépenses de fonctionnement n'ont cessé de croître dans notre pays aux dépens de l'investissement. C'est notamment vrai dans le domaine des transports, ce qui a conduit le Gouvernement à commander un audit qui vous a été remis la semaine dernière. Celui-ci suscite de nombreuses questions.

M. Gérard Bapt - On a oublié Toulouse !

M. Michel Bouvard - Il doit être complété par des rapports sur les transports ferroviaire ou fluvial ainsi que par un rapport de la DATAR, tandis que le groupe Van Miert réfléchit, à Bruxelles, aux projets européens.

Nous aimerions être éclairés sur l'articulation de tous ces travaux. Comment le Gouvernement les prendra-t-il en compte dans ses propositions d'investissement ? Réfléchit-il aux indispensables ressources extrabudgétaires à mobiliser pour renforcer l'attrait du territoire et pour relancer la croissance grâce à une reprise des investissements publics utiles ? Comment, enfin, les engagement internationaux de la France seront-ils pris en compte ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - Pourquoi cet audit ? Suite à l'alternance, nous avions besoin d'un état des lieux de l'ensemble des infrastructures promises, mais hélas non financées pour la plupart (Huées sur les bancs du groupe socialiste). Cette photographie, que complètent les rapports des sénateurs Haenel et Gerbaud et du sénateur de Richemont - qui concerne le maritime - ainsi que l'étude prospective de la DATAR, me permet de vous dire clairement que la politique d'infrastructures du Gouvernement sera très volontariste. Il nous faut sortir de la situation dont nous avons hérité, car un pays qui ne s'équipe pas en infrastructures est un pays qui dépérit ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

L'audit conclut à la pertinence de la plupart des infrastructures envisagées, mais nous avons des problèmes de calendrier. Il faut trouver une ressource nouvelle clairement « fléchée » comme l'on dit, vers les infrastructures : elles sont utiles et nécessaires pour notre développement, pour nos régions, pour notre croissance économique et pour notre emploi. Le Gouvernement sera donc très volontaire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

DISPARITION D'ESTELLE

Mme Chantal Brunel - Elle s'appelle Estelle, elle a la beauté et l'innocence de ses neuf ans. Elle habite Guermantes, un petit bourg de ma circonscription. Le 9 janvier 2003, la vie bascule : Estelle ne rentre pas. Des moyens humains et matériels considérables sont déployés par le ministère de l'intérieur, une solidarité exceptionnelle se manifeste - comme encore, dimanche, au stade Charléty. Mais l'attente est toujours là, angoissante et insupportable pour la famille, pesante pour Guermantes et pour nous tous. Nous ne voulons oublier ni Estelle, ni Aurélie, Marion, Marine, ces prénoms d'enfants disparus.

Sans que l'on puisse relier formellement, à ma connaissance, ces disparitions à des activités pédophiles, je voudrais, Monsieur le ministre de l'intérieur, vous interroger sur vos moyens actuels de répression des sites pédophiles, le plus souvent installés à l'étranger. On parle d'un million d'images. Si vos services s'emploient à lutter contre ces sites, leur action est freinée. Quelles mesures la France peut-elle prendre pour organiser une véritable coopération des polices dans ce domaine ? Nous savons tous que le problème des paradis fiscaux et des Etats non coopératifs n'est pas résolu - mais la menace de sanction est un facteur de progrès. Ne peut-on avancer dans le même sens pour les sites pédophiles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - J'ai reçu les parents d'Estelle. Nous pouvons tous rendre hommage à leur très grande dignité et nous incliner devant leur douleur. Voilà deux mois qu'Estelle a disparu. Les enquêteurs du SRPJ de Versailles font ce qu'ils peuvent, ne négligent aucune piste, mais l'enquête est d'autant plus difficile que l'on ne sait toujours pas dans quelles circonstances exactes l'enfant a disparu. Pour autant, j'ai promis aux parents d'Estelle que la cellule spéciale installée pour la rechercher ne cessera pas ses travaux avant de l'avoir retrouvée.

Je sais bien, cependant, que cette promesse n'apaise en rien leur douleur, ni celles d'autres parents d'autres petites victimes. Il faut faire davantage. Et c'est pourquoi la France, qui assume la présidence du G8, a proposé que la prochaine réunion des ministres de l'intérieur et de la justice de cette instance soit consacrée à la lutte contre la pédopornographie, notamment commise par le biais d'internet. Seule, une coopération internationale résolue permettra de lutter efficacement contre ce fléau.

Mais, dès 2002, le Gouvernement avait créé, au sein de la gendarmerie, une section spéciale chargée de repérer la provenance des images pédophiles diffusées par voie électronique et, pour cette seule année, 720 poursuites pénales ont été engagées. Le projet que le Garde des Sceaux vous soumettra sous peu durcira les peines encourues par ceux qui diffusent ces images. Pour ma part, j'ai organisé une réunion avec le fournisseurs d'accès afin de déterminer les moyens d'interdire la diffusion de telles images en France.

S'il est un sujet à propos duquel la « tolérance zéro » doit s'appliquer, c'est bien celui-là ! (Applaudissements sur tous les bancs)

AVENIR D'EADS

M. Pierre Cohen - Le Gouvernement a, d'emblée, décidé de ne pas faire de l'emploi sa priorité (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), cassant méticuleusement tous les dispositifs qui permettaient d'inverser la courbe du chômage. Mais les Français, en complet désaccord avec les orientations que vous avez choisies, n'accordent aucun crédit à votre politique, toute acquise au Medef et à un libéralisme qui mise sur des licenciements massifs pour accroître les profits des actionnaires (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

La remise en cause de la loi de modernisation sociale, qui visait à encadrer les plans de licenciement, est le meilleur symbole de votre action, et vos dénonciations médiatisées des chefs d'entreprise « voyous » ne suffisent pas à masquer votre laisser-faire face à des plans de licenciement massifs.

L'actualité démontre que les incantations ne suffisent plus, et l'annonce d'un nouveau plan de restructuration dans la branche « espace » d'EADS, avec 1 700 suppressions d'emplois d'ici à 2005 s'ajoutant aux 1 600 annoncées l'an dernier, ravive les inquiétudes, en particulier celles des salariés d'Astrium, sans parler de ceux d'Alcatel Space. Mais sait-on que le géant européen de l'aéronautique a précisé sans vergogne, à Munich, que ces mesures rapporteront 285 millions d'euros par an ? (« C'est une honte ! » sur les bancs du groupe socialiste)

Un député UMP - Mieux vaudrait sans doute aggraver le déficit ?

M. Pierre Cohen - L'Etat est actionnaire d'EADS. Alors que le secteur spatial connaît une mauvaise passe, il serait très grave, pour la France et pour l'Europe, d'abandonner ce domaine stratégique aux Américains. Le savoir-faire de l'entreprise doit être préservé ; pour cela, il est temps d'engager une vraie politique industrielle, dégagée de toute influence du Medef. Quelles propositions immédiatement efficaces le Gouvernement entend-il faire pour couper court à ce gâchis et soutenir l'un des fleurons de notre économie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie - L'entreprise EADS constitue une formidable réussite industrielle et commerciale, française et européenne. A cet égard, la France peut être fière de la compétitivité des Airbus, dont la production, en dépit d'une concurrence américaine farouche, est bien supérieure à celle des Boeing. Cependant, le secteur aéronautique a été fragilisé, tant par les conséquences des attentats du 11 septembre 2001 que par les difficultés du secteur des télécommunications, qui ont ralenti l'activité satellitaire et par l'échec d'Ariane 5. De ce fait, le secteur se trouve exposé, même si la poursuite du programme Helios permet la survie d'Astrium.

Dans ce contexte, les restructurations et les réductions d'effectifs annoncées sont nécessaires, mais elles devront s'accompagner de mesures de reclassement adéquates, auxquelles le Gouvernement veillera avec vigilance car il y va en effet de la pérennité d'un grand groupe européen et de l'avenir de tous ceux qui s'y investissent avec passion (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

ZONE DE TRANSIT DE L'AÉROPORT CHARLES-DE-GAULLE

M. Jean-Marc Lefranc - Deux rapports récents, l'un émanant de Médecins du Monde et l'autre de l'ANAFE, déplorent la condition des étrangers maintenus en zone d'attente à l'aéroport de Roissy. Vous vous y êtes rendu, Monsieur le ministre de l'intérieur, et vous avez affirmé que des changements devraient avoir lieu, tout comme des changements ont eu lieu à Sangatte, salués par les élus locaux d'opposition.

Outre la présence d'un médecin vingt-quatre heures sur vingt-quatre en zone d'attente et l'amélioration de la formation des personnels de police affectés à ces missions, qu'envisagez-vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - La zone de transit de l'aéroport de Roissy existe depuis onze ans et, depuis onze ans, les mêmes polémiques opposent les mouvements associatifs qui s'attachent, comme il est naturel, à défendre les droits de l'homme, et les fonctionnaires de police qui exercent leur métier dans des conditions difficiles (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Messieurs de l'opposition, si les choses sont si faciles, que ne vous êtes-vous employés à les régler ? Il ne fallait pas vous gêner ! Dois-je vous rappeler que la situation qui prévaut aujourd'hui est la même que celle d'hier, c'est-à-dire celle que vous nous avez laissée ? On ne joue pas avec la détresse des gens ! (Huées sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Des changements, il y en aura trois. En premier lieu, les vols groupés européens continueront pour ceux qui n'ont pas de papiers mais, pour faire taire les polémiques, les associations humanitaires qui le souhaitent auront un siège dans ces vols, ce qui leur permettra de suivre ce qui se passe de l'intérieur (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Ensuite, comme vous l'avez indiqué, un médecin sera de garde vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et aussi une infirmière. Le changement le plus important, enfin, c'est que, pour la première fois, nous allons ouvrir en permanence l'accès aux zones de transit aux associations qui en exprimeront le désir, à condition qu'elles limitent leur action au soutien humanitaire et social et qu'elles ne dispensent pas des conseils juridiques destinés à contourner les lois de la République (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

STATUT DE LA FEMME

M. Lionnel Luca - Pour préparer la journée de la femme, vous avez, Madame la ministre déléguée à la parité, organisé de nombreuses rencontres consacrées à l'égalité. Pour clore ces rencontres, le Premier ministre a reçu, le 8 mars, une délégation de femmes représentant un large échantillon de ce que la société française a de meilleur. Quel a été le bilan de cette réunion ?

Le même jour s'est achevée la marche des femmes, qui a révélé l'étendue des discriminations dont sont victimes nombre d'entre elles, discriminations intolérables dans un Etat de droit. Comme mes collègues Marie-Jo Zimmermann et Georges Mothron, j'aimerais connaître les dispositions que le Gouvernement compte prendre pour mettre un terme à cette situation (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle - C'est sous le double signe de l'exemplarité et de la solidarité qu'a été organisée la journée de la femme, que j'ai ouverte, en compagnie de Mme Chirac (« Et alors ? » sur les bancs du groupe socialiste), à l'hôpital Bichat, confirmant, ce faisant, la stratégie du Gouvernement, qui entend bien miser sur l'égalité entre les sexes pour développer le formidable potentiel qu'offrent les femmes.

Il nous faut aussi, vous l'avez justement souligné, lutter contre la violence faite aux femmes, en donnant une résonance à la souffrance de celles qui la vivent quotidiennement, y compris dans leur propre famille. Pour cela, il faut nouer le dialogue avec les jeunes gens concernés, pour reconstruire les valeurs républicaines dans les quartiers. C'est à cette fin qu'a eu lieu une réunion de travail, à l'Hôtel Matignon avec le Premier ministre, à laquelle ont participé MM. Fillon et Borloo. Le principe d'un plan d'action a été décidé, qui permettra de mobiliser tous les moyens disponibles pour réaffirmer les valeurs de l'Etat de droit et sanctionner durement les dérives, pour accompagner l'initiative et la créativité dans les quartiers et les banlieues où elles sont trop peu mises en valeur, et pour réaffirmer la nécessité du respect de l'autre. Des expérimentations seront conduites, qui devront être généralisées car, comme l'a dit le Premier ministre à la s_ur de Sohane, toute notre société doit se mobiliser pour l'humanité tout entière (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

INFRASTRUCTURES DE TRANSPORTS

M. Armand Jung - Monsieur le Premier ministre, lors de votre entrée en fonction, vous avez commandé un audit sur les projets d'infrastructures de transports ; M. de Robien l'a du reste évoqué tout à l'heure mais ses réponses ne m'ont pas satisfait. Ce document, qui vient d'être rendu public, ne satisfait aucune région, aucun département de notre pays. Y-a-t-il encore une politique d'aménagement du territoire en France ? (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

Où en sont le TGV Sud-Aquitaine, les projets de ferroutage du TGV Ouest, le TGV Lyon-Turin ?

Vous vous défaussez sur les études : est-ce à dire que vous avez renoncé à tout choix politique, à toute stratégie pour un développement durable des communications ? Votre marge budgétaire est-elle si faible...

Plusieurs députés UMP - Parlons-en ! C'est à vous que nous le devons !

M. Armand Jung - ...qu'elle ne permet plus de garantir l'égalité de nos citoyens dans leurs déplacements ?

M. Georges Tron - 300 milliards de déficit !

M. Armand Jung - C'est un député strasbourgeois en colère qui vous interpelle aujourd'hui (Murmures sur les bancs du groupe UMP). Connaissez-vous une seule collectivité qui accepterait de financer à hauteur de 2 milliards de francs un TGV Est-européen qui n'arrive pas à destination ? Le Président de la République a décrété « Strasbourg capitale européenne » cause nationale. Vous-même avez pris sur place des engagements en ce sens en septembre dernier (« Gayssot ! » sur les bancs du groupe UMP).

Depuis vingt-cinq ans, tous les gouvernements ont défendu ces orientations. Dans notre région, Monsieur le Premier ministre, la parole donnée est chose sacrée. Votre Gouvernement ne tient pas ses engagements (« Gayssot ! » sur les bancs du groupe UMP). L'Alsace ne vous a pas ménagé son soutien l'an dernier. Depuis votre arrivée à Matignon, le chômage a augmenté...

M. le Président - Posez votre question.

M. Armand Jung - Votre politique blesse notre région. L'Alsace, la bonne élève de la République, vous demande aujourd'hui des comptes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - Si vous êtes en colère, vous avez raison... mais vous devriez être en colère contre vous-mêmes ! (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP) L'audit est une photographie de l'héritage que vous nous avez laissé (Mêmes mouvements) : des infrastructures promises dans tout le pays mais non financées : tel est votre bilan ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

Cet audit va nous permettre de mener une autre politique. A la réflexion et aux discours, nous allons substituer l'action et les réalisations (Huées sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jean Glavany - Mais lesquelles ?

M. le Ministre - Cet audit constitue seulement une aide à la décision, laquelle relève des élus et du Gouvernement. Dès lors que les responsables politiques seront éclairés, grâce à un débat parlementaire sur les infrastructures de transport, c'est une vraie politique des transports qui va - enfin ! - vous être proposée. Elle conciliera cohérence, aménagement du territoire et développement durable sans négliger la dimension européenne, encore accentuée par l'élargissement.

S'il n'y avait pas eu alternance, le pays serait en état de déshérence (Huées sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; vifs applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP) car ses infrastructures seraient effectivement en panne. Nous allons les remettre en route grâce à la ressource complémentaire que vous n'avez pas su dégager (Huées sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements prolongés sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

POLITIQUE DE LA RECHERCHE

M. Philippe Vitel - Le Président de la République a inauguré récemment à Crolles en Isère un centre de recherche en nanoélectronique. Cet investissement industriel est le plus ambitieux réalisé en France depuis dix ans. Lors de son inauguration, le Président a insisté sur l'urgence qu'il y a à mettre fin à la fuite des cerveaux. Nombre de nos chercheurs parmi les plus brillants s'expatrient en effet pour trouver à l'étranger de meilleures conditions de travail et de rémunération. La recherche française est en perte de vitesse. Elle ne manque pas de talents mais souffre de l'absence d'une politique volontariste, à même de relancer le pouvoir d'attraction de notre pays, de stimuler la recherche appliquée et de renforcer les liens entre recherches publique et privée.

Pouvez-vous, Madame la ministre déléguée à la recherche, nous informer des mesures que le Gouvernement entend prendre pour relancer notre recherche ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies - Vous avez rappelé à juste titre les propos du Président de la République : « améliorer l'attractivité de la France, c'est soutenir le développement de la science et de la technologie. Les ressources intellectuelles sont les nouvelles richesses où une nation dynamique peut puiser sa vitalité. Il nous faut miser sur la science et sur la technologie pour proposer une vision d'avenir et, dès maintenant, améliorer la croissance économique et le progrès ».

Avec cette ambition, nous devons parvenir à retenir nos chercheurs les plus brillants qui ont parfois la tentation de partir et aider nos entreprises à investir dans l'innovation. Sous l'impulsion du Premier ministre, Nicole Fontaine et moi-même avons proposé un plan de soutien à l'innovation. Un premier volet de mesures législatives, réglementaires, fiscales et financières vous sera bientôt soumis. Un deuxième axe de travail consiste à améliorer les synergies entre la recherche publique et les entreprises. Cela passe par plus de flexibilité, afin d'améliorer la réactivité de notre système. Il faut compter sur les jeunes pour renforcer le dialogue entre public et privé. L'esprit d'entreprendre et la culture de l'entreprise doivent être mieux diffusés dans notre société.

La politique de soutien à l'innovation que nous entendons poursuivre vous sera présentée au début du mois d'avril. Elle a été très bien perçue par tous les acteurs qui se sont associés à la phase de consultation. Au reste, l'effort à accomplir reste considérable. Seulement dix pour cent des PME françaises investissent dans la recherche, contre 25 % en moyenne en Europe, et même 55 % dans certains pays scandinaves.

Mieux reconnaître la place de la science dans notre société, c'est aussi assurer aux chercheurs une meilleure reconnaissance sociale et financière (M. Schwartzenberg s'exclame). Il faut intégrer cet enjeu au plan national comme à l'échelle de l'Europe (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

PRÉVENTION DE LA TOXICOMANIE

M. Jean-Paul Garraud - Ma question s'adresse à M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. La drogue est toujours - malheureusement ! - une question d'actualité et elle touche surtout les jeunes. Elle endeuille les familles et génère toute une activité criminelle, qui, bien souvent, finance les mafias. Le Gouvernement s'est enfin attaqué à la lutte contre ce fléau en renforçant les moyens de la police et de la justice et en présentant de nouveaux textes - tel celui sur la grande criminalité qui nous sera bientôt soumis.

Notre système scolaire est-il assez performant dans ses actions de prévention des risques liés à la consommation des drogues ? Chacun sait que les résistances à gauche sont fortes (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). Un ancien ministre de la santé - c'est un comble ! - n'a-t-il pas proclamé le 15 septembre 2001 qu'il était favorable à la levée de l'interdiction pénale de l'usage des stupéfiants ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Glavany - Il n'a jamais dit cela !

M. Jean-Paul Garraud - Des revues, dont je tairai le nom pour ne pas leur faire de publicité, font l'apologie des drogues sous le prétexte d'informer le public. L'une d'elle, sous-titrée « le journal des drogués heureux », tire à 20 000 exemplaires par semaine et donne « les meilleurs conseils » aux jeunes pour déjouer les questions de la police en cas d'interpellation ! Et je pourrais multiplier les exemples...

M. Maxime Gremetz - Délation !

M. Jean-Paul Garraud - Le plus édifiant, c'est que certaines de ces revues ont été éditées avec le soutien de la direction générale de la santé, de l'ex-ministre de l'emploi et de la solidarité et même du conseil communal de prévention de la délinquance de la ville de Lille !

Il est temps, Monsieur le ministre, de dire la vérité à nos enfants et de diffuser dans nos écoles une information enfin objective (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDF).

M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire - La consommation de drogue dans les établissements scolaires nous préoccupe au plus haut point et nous avons décidé de prendre ce sujet à bras-le-corps...

M. Alain Néri - On est sauvés ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Ministre délégué - Les discussions conduites sous l'égide du gouvernement précédent avaient laissé entendre que le cannabis était une drogue douce et qu'il pouvait donc y avoir des drogues non néfastes. De telles considérations sont contraires à notre idéal éducatif. Pour nous, et contrairement à ce qui a été dit naguère par quelques ministres, il n'y a pas de drogue douce ! (Murmures sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

L'an dernier, nous avons arrêté 750 dealers faisant « profession » dans les établissements scolaires et nous sommes bien décidés à ne pas tolérer ce genre de pratiques. Parallèlement, nous allons augmenter de 11 % les crédits de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, au titre de ses interventions dans les établissements scolaires,...

M. Bernard Roman - Faux ! Ils baissent !

M. le Ministre délégué - ...ce qui représente 3 millions. L'effort de prévention est donc accru (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), et ceux qui nous mettent en cause aujourd'hui ne peuvent contester que les publications évoquées par M. Garraud ont été publiées sous le gouvernement de M. Jospin ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 25 sous la présidence de M. Rudy Salles.

PRÉSIDENCE de M. Rudy SALLES

vice-président

REMPLACEMENT D'UN DÉPUTÉ DÉCÉDÉ

M. le Président - J'ai reçu, en application des articles LO. 176-1 et LO. 179 du code électoral, une communication de M. le ministre de l'intérieur, en date du mardi 11 mars 2003, m'informant du remplacement de Jean-Marc Chavanne, député de la cinquième circonscription de la Haute-Savoie, décédé, par M. Marc Francina.

ENTREPRISES DE TRANSPORT AÉRIEN

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif aux entreprises de transport aérien et notamment à la société Air France.

M. Charles de Courson, rapporteur de la commission des finances - Ce projet n'est pas un texte de privatisation d'Air France, mais un dispositif d'accompagnement de la privatisation touchant au cadre juridique et social applicable aux compagnies aériennes.

D'une part, il ne s'applique pas seulement à Air France, d'autre part, il ne revient pas sur le principe de privatisation de cette compagnie, confirmé par la loi de 1993 modifiant celle de 1986, et que l'ancienne majorité n'a pas remis en cause.

Néanmoins, le débat portera inévitablement sur cette opération. Je commence donc mon propos par les cinq bonnes raisons de privatiser Air France et les deux mauvaises de maintenir son statut d'entreprise publique.

Pourquoi donc privatiser Air France ? Parce que cette mesure est nécessaire à son développement. L'activité de cette société ne relève d'ailleurs pas d'une mission de service public. Le transport aérien, en effet, n'est pas un service public : il s'agit d'un secteur très concurrentiel, comme le montrent les évolutions de ce marché et l'apparition de nouvelles compagnies. L'activité d'Air France ne contribue que marginalement à l'exercice d'une mission de service public : la part du chiffre d'affaires relative à ces missions n'est que de 6,2 % du chiffre d'affaires total et la part de la compensation versée par l'Etat est de 0,11 %, ce qui est négligeable. Cette proportion n'est pas différente dans les filiales du groupe.

En outre, il sera toujours possible de confier à Air France des missions de service public. La privatisation n'empêchera pas l'Etat de lui confier des missions d'intérêt général et d'édicter des obligations de service public, en procédant à des appels d'offre, pour l'exploitation des lignes non rentables dans le cadre d'une contractualisation. L'Etat conserve ses prérogatives en matière de réquisition, en cas de situation d'urgence comme un conflit armé.

De plus, le caractère public d'Air France est devenu une anomalie dans l'Union européenne et dans le monde. La compagnie KLM a été privatisée en 1986, British Airways en 1987...

M. François Asensi - On voit le résultat !

M. le Rapporteur - ...la Lufthansa en 1997, Iberia en 2001. D'autres compagnies sont privées depuis l'origine. Si la compagnie SAS est restée publique, c'est qu'elle est pluri-étatique : le Danemark, la Norvège et la Suède n'ont pu trouver d'accord pour la privatiser. Quant à Alitalia, détenue à 53 % par l'Etat italien et à 20 % par ses salariés, elle devrait s'orienter elle aussi vers une privatisation.

M. Jean-Pierre Blazy - On peut faire confiance à Berlusconi !

M. le Rapporteur - Air France est donc quasiment la dernière entreprise publique de transport aérien en Europe. Et je veux dire à ceux qui s'en réjouissent que, dans un monde ouvert, on n'a pas raison seul.

Le caractère public d'Air France handicape son développement capitalistique. On sait que l'Etat actionnaire en France est une machine à socialiser les pertes, tandis que les entreprises bénéficiaires et dynamiques seront toujours sous-dotées.

Ce caractère public handicape aussi Air France dans les alliances qui sont nécessaires à toute compagnie aérienne. Son poids au sein de SkyTeam risque de se réduire.

Le statut public risque aussi de freiner le rapprochement d'Air France avec d'autres compagnies. Ainsi, dans le cadre des discussions exploratoires entre Air France et KLM, les représentants de KLM ont indiqué qu'une alliance stratégique à long terme ne pouvait se concevoir sans la privatisation d'Air France.

M. Jean-Claude Lefort - C'est faux !

M. le Rapporteur - Le président d'Air France est venu nous le dire. La privatisation est une condition nécessaire pour qu'Air France continue à jouer un rôle majeur, à l'instar de la Lufthansa et de British Airways. Il y aura en effet trois grands pôles en Europe, constitués autour de la Lufthansa, de British Airways et d'Air France.

Dans le cadre des discussions avec Ibéria, la holding SEPI avait indiqué qu'il ne pouvait y avoir d'accord tant qu'Air France était détenu par des capitaux publics. C'est ce que nous a indiqué notre collègue Christian Blanc quand il était encore président d'Air France (Murmures sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

L'Etat actionnaire n'a pas sa place dans le capital d'Air France. Sa présence est toujours néfaste pour le contribuable. Il faut éviter la confusion des genres. L'ensemble des dotations en capital de l'Etat, depuis 1948, représente 6,1 milliards en euros constants. Or l'ensemble des dividendes versés à l'Etat n'est que de 329 millions d'euros.

M. Jean-Claude Lefort - Et alors ?

M. le Rapporteur - La cession d'une partie des actions détenues par l'Etat a rapporté en outre un milliard en 1999. Si on considère que la participation actuelle de l'Etat vaut encore un milliard, il apparaît que l'Etat n'a retiré que 2,3 milliards des 6,1 milliards investis. L'Etat a donc donné 3,8 milliards à Air France. Est-ce là une utilisation normale de l'argent public ? Nous répondons non.

Cette situation est inéquitable du point de vue de la libre concurrence.

L'Etat s'est engagé à privatiser Air France il y a déjà dix ans. En autorisant la recapitalisation de la compagnie, la Commission européenne avait posé comme condition qu'elle serait ensuite privatisée. Le précédent gouvernement a fait chuter la participation de l'Etat à 54,4 % du capital, mais il n'est pas allé au-delà par crainte de mécontenter ses alliés communistes (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Nous reprenons donc une réforme laissée en chantier par le précédent gouvernement.

La nostalgie du modèle de l'entreprise publique est à l'origine d'un certain nombre de malentendus. Or la disparition du statut public n'est pas préjudiciable aux salariés : elle leur serait même favorable (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Contrairement aux idées reçues, le statut des salariés n'est pas plus protecteur que la convention collective. En effet, un statut peut être modifié unilatéralement, sans négociation. Beaucoup d'employés d'Air France ne sont pas attachés au statut, en particulier les personnels navigants commerciaux et les cadres. Aujourd'hui, tout est contractualisé, si bien que le statut est devenu une quasi convention collective.

La privatisation n'aura pas d'incidences en matière de retraite. Seules subsisteront quelques difficultés catégorielles (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

Ce statut n'est pas une garantie contre les licenciements. Il leur donne même une base juridique. Depuis 1991, 14 287 emplois ont été supprimés au sein d'Air France, sous forme de préretraites et d'aide au départ.

M. Jean-Claude Lefort - Il ne s'agit donc pas de licenciements.

M. le Rapporteur - Sans doute, mais rien n'empêcherait Air France de licencier, en cas de péril.

Il faut mettre fin à certaines comparaisons hâtive. On ne peut faire l'amalgame entre Air France privatisée et Air Lib.

M. Claude Bartolone - Air France n'aura pas le baron Seillière parmi ses actionnaires...

M. le Rapporteur - L'échec d'Air Lib comme celui d'AOM s'explique par l'absence de concurrence face à Air France. L'ancien ministre des transports, en renonçant à percevoir 80 millions de taxes et en consentant un prêt de 30 millions, a-t-il sauvé Air Lib ?

On ne peut non plus prétendre que la bonne santé d'Air France justifierait de renoncer à la privatisation.

La commission des finances a approuvé ce projet. Je remercie le ministre et son cabinet pour l'intense concertation qui nous a permis de trouver des solutions aux sérieux problèmes qui se posent à cette compagnie. Monsieur le ministre, merci encore pour cette collaboration. Il est rare qu'un ministre se montre aussi ouvert et il faut le signaler. Je présenterai vingt-et-un amendements qui sont le résultat d'un compromis avec le Gouvernement.

Je vous invite donc à adopter ce projet qui permettra aux compagnies aériennes de se développer et à Air France de voler enfin de ses propres ailes (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques - Ce projet vise à aménager les conditions du transfert de la majorité du capital de la compagnie Air France du secteur public au secteur privé et à permettre à d'autres compagnies aériennes françaises cotées de préserver leur nationalité, leur licence d'exploitation et leurs droits de trafic, dans le cadre des dispositions internationales en vigueur.

Ce texte n'est pas un texte de « privatisation d'Air France », opération en effet possible depuis 1993, puisque le gouvernement précédent ne l'a pas remise en cause. Depuis cette date, la privatisation de la compagnie est autorisée par son inscription sur la liste des entreprises privatisables, annexée à la loi n° 93-923 du 19 juillet 1993 de privatisation.

Cette privatisation est envisageable aujourd'hui parce que l'Etat a investi 20 milliards de francs pour recapitaliser cette société.

Le projet du Gouvernement vise à organiser la privatisation dans les meilleures conditions économiques et dans le respect des intérêts des salariés. En effet, cette opération de privatisation doit prendre en compte les spécificités liées au secteur du transport aérien, ainsi que celles issues de l'histoire de la compagnie.

Le transport aérien n'est pas un monopole et rien ne justifie le maintien du statut de société publique d'Air France. Au contraire, depuis l'entrée en vigueur des trois règlements européens libéralisant le transport aérien, l'espace communautaire est devenu un espace concurrentiel.

Le Gouvernement a décidé en août 2002 de réduire la participation de l'Etat dans le capital d'Air France pour lui donner de nouveaux espaces de liberté, mais la première ouverture de capital de la compagnie a eu lieu en 1999, afin de permettre à la compagnie de nouer des partenariats, notamment avec d'autres transporteurs européens, et d'introduire les salariés dans le capital de la compagnie, afin de les rendre responsables de son avenir.

M. Jean-Claude Lefort - C'est fait.

M. le Rapporteur pour avis - Le basculement du secteur public au secteur privé s'inscrit dans la même logique, dans un contexte bouleversé depuis 1999, puisque Air France fait aujourd'hui partie d'une alliance puissante, SkyTeam, qu'elle doit consolider dans un souci de prospérité. De telles alliances ont pour objectif de réaliser des gains de productivité et de développer les synergies entre réseaux, mais il faudra aller plus loin, dans le cadre de participations croisées entre les grandes sociétés.

M. Jean-Claude Lefort - Mais pourquoi ?

M. le Rapporteur pour avis - Air France doit disposer des moyens d'être un des principaux acteurs internationaux de demain, ce que son statut d'entreprise publique empêche.

Par ailleurs, il faut moderniser sa flotte en lui facilitant l'accès aux ressources des marchés financiers, dans un secteur où la rentabilité est liée à la maîtrise des coûts.

L'Etat détient aujourd'hui 54,4 % du capital de la compagnie, les salariés 12,7 % et les actionnaires privés 32,9 %.

Plusieurs étapes juridiques doivent être franchies avant de placer sur le marché les titres d'Air France possédés par l'Etat : adoption et promulgation de ce projet de loi, adoption d'un décret d'application en Conseil d'Etat, modification des statuts de la société Air France.

En outre, la date de l'opération doit tenir compte du calendrier de publication des informations financières de la compagnie, les comptes semestriels étant rendus publics en novembre et les comptes annuels en mai.

M. Jean-Claude Lefort - Ils sont mauvais ?

M. le Rapporteur pour avis - On verra...

Le projet a plusieurs objectifs.

L'article premier donne à Air France les moyens de protéger sa licence d'exploitation de transporteur aérien, en application de la réglementation européenne, et ses droits de trafic, accordés en vertu d'accords internationaux bilatéraux, contre un changement de nationalité de la compagnie.

Les articles 2 et 4 permettent aux salariés de continuer à être associés à la gestion de l'entreprise. Une représentation des différentes catégories de personnel est assurée au conseil d'administration depuis la loi du 16 juin 1948 portant institution de la compagnie nationale Air France. Par ailleurs, le code de l'aviation civile permet de désigner des administrateurs représentant les salariés actionnaires en deux collèges - personnels navigants techniques et autres personnels. Ces dispositions pourront être maintenues après la privatisation de la société.

L'article 3 impose un délai maximal de deux ans à la transcription du statut du personnel, dans une convention ou des accords d'entreprises.

L'article 5 précise les conditions de l'offre de titres aux salariés d'Air France dans le cadre de la privatisation. L'Etat pourra notamment céder, gratuitement ou à des conditions préférentielles, des actions d'Air France, dans la limite de 6 % du capital, aux salariés ayant consenti à des réductions de salaire.

Enfin, l'article 6 modifie les dispositions législatives actuelles du code de l'aviation civile régissant les relations institutionnelles entre Air France et l'Etat, pour prendre en compte la privatisation de la compagnie et abroger des dispositions obsolètes, notamment en matière de missions de service public, régies aujourd'hui par le droit européen, et que la privatisation ne remettra pas en cause.

M. Jean-Claude Lefort - C'est faux !

M. le Rapporteur pour avis - Air France s'est adaptée avec succès aux évolutions du marché du transport aérien, grâce à un effort considérable du contribuable.

La société doit aujourd'hui asseoir sa position et trouver sur les marchés financiers les capitaux nécessaires à son développement. Elle doit, avec l'aide de ses salariés, devenir un leader européen.

C'est l'objectif de ce projet de loi, aussi la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire a-t-elle émis un avis favorable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - Merci aux députés et à la commission, grâce auxquels nous avons pu faire un excellent travail.

La décision de privatiser Air France a été prise dès 1993 et n'a pas été remise en cause par la majorité précédente (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). La compagnie Air France figure en effet sur la liste des entreprises privatisables annexée à la loi du 19 juillet 1993 de privatisation. Le présent projet de loi vise essentiellement à offrir toutes les garanties pour que la privatisation soit réalisée dans les meilleures conditions.

Cette privatisation n'a pas été engagée en 1993 car le transport aérien mondial a connu une grave crise, qu'Air France a pu surmonter grâce à un effort important de l'Etat et à une profonde restructuration. La compagnie a alors mis en _uvre, sous l'égide de son président, Christian Blanc, un plan stratégique de redressement approuvé par les salariés, le « Projet pour l'entreprise 1994-1996 ». Ces années ont vu la compagnie bâtir à Roissy-Charles-de-Gaulle une plate-forme de correspondances et mettre en place de nouveaux outils de gestion et de nouveaux produits moyen et long courriers.

L'Etat s'était à nouveau engagé, vis-à-vis de la Commission européenne, à privatiser Air France lors de la recapitalisation de 1994.

La stratégie développée par Air France a porté ses fruits puisqu'Air France est redevenue bénéficiaire lors de son exercice 1996-1997 et l'a toujours été depuis, ce qui a permis une première ouverture du capital par le gouvernement de M. Jospin en février 1999, comme l'a souligné M. Gorges, et la modification de certaines dispositions du code de l'aviation civile. L'opération a été un tel succès, que M. Jean-Claude Gayssot, le ministre en charge des transports, en mars 2000, avait souligné que l'ouverture du capital, en février 1999, a été et demeure un succès. La demande privée, ajoutait-il, a très largement dépassé l'offre et l'opération destinée aux salariés a été aussi innovante que réussie.

Le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, a annoncé en juillet dernier que le recentrage de l'Etat sur ses missions essentielles conduisait à redéfinir l'intervention de l'Etat dans le champ économique, au cas par cas, et avec une approche pragmatique, l'Etat ayant vocation à se retirer du secteur concurrentiel.

Dans ce cadre, le ministre de l'économie et moi-même avons annoncé fin juillet la décision du Gouvernement de poursuivre le processus de privatisation d'Air France.

La situation de la compagnie Air France est aujourd'hui bonne, dans un secteur qui peine à sortir d'une crise amorcée au printemps 2001 et qui a été dramatiquement aggravée par les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis.

Air France a été une des rares compagnies en Europe et dans le monde à ne pas subir de pertes dans cette période ; elle vient d'enregistrer pour les neuf premiers mois de son exercice 2002-2003 un résultat net avant impôt de 278 millions d'euros, en progression de 68,5 %. Aujourd'hui, Air France a une structure financière saine, avec un endettement raisonnable et stable.

Ces résultats sont le produit des efforts accomplis au milieu des années 1990 par l'Etat, l'entreprise et ses salariés. La société a mené au cours des dix dernières années un très gros chantier de désendettement, d'assainissement et de restructuration de l'appareil de production.

Ce retour à la rentabilité a permis à Air France d'intégrer une alliance de taille mondiale. En juin 2000, Air France a en effet été l'un des membres fondateurs de l'alliance SkyTeam, avec Delta Air Lines, Aeromexico et Korean Air. Cette alliance s'est ensuite élargie à la compagnie tchèque CSA et à Alitalia. Air France a par ailleurs noué des accords avec Alitalia, qui ont amené les deux sociétés à procéder récemment à une prise de participation réciproque de 2 % de leur capital, et à un échange d'administrateurs.

Par ailleurs, Air France a entamé début 2002 des discussions en vue d'un rapprochement avec KLM, qui se sont accélérées en août 2002, à la suite de la conclusion d'un accord de partenariat entre les compagnies Delta, Northwest et Continental Airlines, ces deux dernières étant alliées à la compagnie néerlandaise. L'annonce de la privatisation à venir de la compagnie ont facilité ces derniers développements.

M. Jean-Claude Lefort - C'est faux !

M. le Ministre - Les discussions passées avec Alitalia et KLM montrent qu'il n'est pas envisageable que d'autres compagnies européennes acceptent de lier leur destin à celui d'Air France au-delà d'une alliance commerciale tant que cette compagnie sera contrôlée par l'Etat. La privatisation d'Air France est donc une condition nécessaire pour que cette compagnie ne soit pas marginalisée dans la restructuration qui s'ébauche en Europe, et pour qu'elle puisse y jouer un rôle majeur à l'instar de Lufthansa ou British Airways. J'en veux pour preuve le témoignage de Christian Blanc selon qui Air France aurait pu - si elle n'avait été sous statut public -, conclure dès 1997 des accords intégrés avec Alitalia et Ibéria.

De surcroît, la sortie de la compagnie du secteur public renforcera son attrait pour les investisseurs et lui donnera plus de facilité pour financer son développement par le recours au marché financier, par augmentation de capital ou émission obligataire.

Aussi le Gouvernement a-t-il considéré que l'intérêt d'Air France militait pour un nouveau retrait partiel de l'Etat de son capital. La participation de l'Etat sera alors réduite de 54,4 % à un peu moins de 20 % du capital.

Une compagnie bien gérée comme l'est aujourd'hui Air France, et je souhaite rendre hommage aux dirigeants de la compagnie et à ses personnels, peut avoir des ambitions pour l'avenir. Il convient de lui en donner les moyens.

Le Gouvernement fait confiance aux dirigeants d'Air France - qui ont su adapter leur stratégie à un développement rentable de l'entreprise - à ses cadres et à tous ses employés, pour tirer le meilleur parti des opportunités offertes par la privatisation. Si des inquiétudes ont pu se manifester, je suis convaincu que la grande majorité des personnels d'Air France a aujourd'hui compris que la privatisation s'opère dans l'intérêt de l'entreprise et dans des conditions intéressantes.

La privatisation était juridiquement possible depuis 1993. Dès lors que nous avions décidé l'an passé de poursuivre la cession des titres de l'Etat engagée en 1999, il fallait s'assurer que les cessions futures n'occasionnent pas de difficultés à Air France lorsque le capital de la société - cotée en Bourse - serait détenu majoritairement par des intérêts privés. Aussi le présent texte prend-il en compte certaines spécificités, des activités de transport aérien comme de l'histoire d'Air France.

La privatisation ne doit pas menacer les droits de trafic d'Air France vers les pays extracommunautaires. Si la majorité de son capital était détenue par des intérêts non français, ces droits de trafic - accordés dans le cadre d'accords bilatéraux - pourraient être remis en cause par les pays concernés, en application des clauses de nationalité qui figurent dans les accords, au titre de la convention de Chicago du 7 décembre 1944.

La Cour de justice des communautés européennes a rendu le 5 novembre dernier un arrêt déclarant contraire au traité de Rome la clause de nationalité type des accords aériens. Nous réfléchissons actuellement avec les autres Etats membres et la Commission aux conséquences de cet arrêt. La France devra vraisemblablement négocier une nouvelle clause, communautaire et non plus nationale, avec les 120 Etats avec lesquels elle a signé un accord bilatéral.

Nous ne pouvons laisser sans protection les droits de trafic d'Air France pendant ce temps. Toutes ses grandes concurrentes - British Airways, Lufthansa, Iberia, KLM - ont des dispositifs nationaux conciliant protection des droits de trafic et statut d'entreprise privée cotée en Bourse.

Le choix du mécanisme proposé a fait intervenir plusieurs critères : il ne devait pas receler de risques juridiques ou financiers indus pour l'Etat, ce qui a conduit à rejeter le système néerlandais, qui aurait pu imposer de renationaliser Air France. Il devait donner toutes garanties de sécurité aux investisseurs et reposer sur la responsabilité et l'autodiscipline des actionnaires, la cession forcée n'étant utilisée qu'en dernier recours. Enfin il ne devait contenir aucune disposition en contradiction avec nos engagements européens.

L'article premier satisfait l'ensemble de ces contraintes. Il n'aura pas à être modifié quand nos clauses de nationalité bilatérales seront remplacées par des clauses communautaires.

M. Jean-Claude Lefort - Et l'OMC ?

M. le Ministre - S'agissant des aspects sociaux de la privatisation, le projet traduit les engagements pris par le Gouvernement fin juillet. L'article 2 fixe le cadre législatif qui permettra à l'entreprise de conserver les modalités actuelles de participation des salariés à la gestion de l'entreprise, sans toutefois l'y contraindre. L'article 3 ménage une durée de deux ans pour que le statut du personnel soit transformé en accord d'entreprise par la négociation collective.

Le texte permettra également, dans la ligne de l'ouverture du capital de 1999, de constituer un actionnariat salarié important (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Les modalités de l'offre réservée aux salariés de la loi du 2 juillet 1998 sont reconduites ; les salariés pourront souscrire jusqu'à 15 % du volume d'actions cédé par l'Etat, aux conditions préférentielles habituelles. De plus, - j'attire l'attention de l'opposition sur ce point, un nouvel échange de salaire contre des actions va être proposé. Il ne sera pas réservé aux seuls pilotes comme en 1999 (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains), mais ouvert à tous les salariés volontaires. C'est encore une démocratisation du capital d'Air France. Cela ne vous fait peut-être pas plaisir, mais c'est la vérité !

Venons-en aux modalités et au calendrier. L'opération de privatisation impose de franchir plusieurs étapes juridiques : l'adoption par le Parlement de ce projet, un décret d'application en Conseil d'Etat et la réunion d'une assemblée générale pour modifier les statuts de la société. La date de l'opération, qui nécessite l'information la plus précise possible des investisseurs potentiels, doit tenir compte du calendrier de publication des informations financières de la compagnie.

La privatisation pourrait donc avoir lieu à la mi-2003 ou en fin d'année. Le Gouvernement entendant évidemment protéger les intérêts des contribuables, l'opération ne se déroulera que lorsque les conditions de marché le permettront (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Cela a l'air de vous faire plaisir ! La valeur boursière d'Air France souffre à ce jour des conditions générales du marché boursier et des incertitudes liées à la conjoncture mondiale et à la situation géopolitique.

Je ne puis donc me prononcer plus précisément sur les modalités de l'opération, notamment sur le prix des actions. Ces paramètres seront fixés en temps utile, avec le ministre des finances. Nous devons cependant nous tenir prêts. Voilà les conditions législatives d'un nouveau développement d'Air France (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des députés communistes et républicains une exception d'irrecevabilité.

M. François Asensi - Ce projet de loi a pour ambition de faire d'Air France un des tout premiers acteurs européens et mondiaux du transport aérien.

Permettez-moi de vous dire, Monsieur le ministre, que je vous ai connu plus ambitieux. En effet, Air France est déjà, sous son statut actuel, un acteur majeur du transport aérien sur la scène internationale.

Au cours de l'exercice 2000-2001, la compagnie a réalisé, avec un résultat net de 153 millions d'euros, le seul résultat bénéficiaire en Europe et le troisième mondial parmi les compagnies aériennes, hors compagnies low cost. Sur la même période, British Airways - privatisée - enregistrait un déficit de 232 millions d'euros, KLM de 156 millions et Lufthansa de 633 millions.

Les principaux ratios financiers montrent une situation financière saine et un endettement maîtrisé, grâce, il faut le reconnaître, à la bonne gestion de son président, M. Spinetta.

Au cours du même exercice, Air France a transporté 43 millions de passagers. Le rachat en 2000 de plusieurs compagnies régionales françaises de transport aérien lui a également permis de renforcer plusieurs plates-formes régionales et de drainer la clientèle régionale.

Air France est en outre le pivot de l'alliance SkyTeam : un trafic annuel de 204 millions de passagers, une flotte de près de 1 200 avions et environ 170 000 salariés. Avec 7 000 vols quotidiens, l'alliance SkyTeam dessert plus de 500 destinations dans plus d'une centaine de pays.

Le constat s'impose : c'est celui du remarquable résultat d'une entreprise à capital public majoritaire.

Le Gouvernement n'a pourtant qu'une hâte : se débarrasser de ce symbole de réussite peu conforme au credo libéral ambiant.

Au lieu de réfléchir sur cette réussite - à comparer aux difficultés de British Airways, longtemps présentée comme un modèle - il se lance dans une fuite en avant, alors même que la conjoncture est plus qu'incertaine.

Si la guerre en Irak avait lieu, le secteur aérien serait en effet parmi les plus gravement touchés, comme lors de la guerre du Golfe.

En cas de conflit, un espace d'une circonférence de 3 000 kilomètres autour de la zone de conflit serait ainsi fortement perturbé, sans parler des effets de la hausse du sentiment d'insécurité. British Airways estime déjà à plus de 30 % la part de ses activités qui seraient touchées, la Lufthansa parle de 20 %. En-dehors de ces perturbations, un conflit aurait également un impact de taille sur le prix du pétrole donc du kérosène. L'OPEP en discute d'ailleurs aujourd'hui.

Dans un tel contexte, on peut légitimement craindre une chute du cours d'Air France, fort mauvais augure pour la privatisation et les actionnaires. Si cette situation devait perdurer et que la compagnie était malgré tout privatisée, les actionnaires ne conserveraient sans doute pas leurs actions, aggravant du même coup la crise.

A l'heure où les plans sociaux se multiplient, une privatisation ferait en outre peser de nouvelles craintes sur l'emploi.

Air France a été sollicitée par le Gouvernement pour reprendre une partie des salariés d'Air Liberté. Mais peut-on réellement croire qu'une entreprise sur le point d'être privatisée peut engager non un plan social, mais une embauche massive de salariés ? Le cycle des privatisations ne nous y a guère accoutumés... En outre, si le Gouvernement a pu faire appel à Air France, c'est bien parce qu'elle est encore à capital public majoritaire.

Au-delà de la conjoncture, les caractéristiques du secteur aérien et du marché les rendent difficilement compatibles.

Le transport - aérien, ferroviaire ou routier - est un secteur sensible : avant d'être un service marchand, il est un outil d'aménagement de l'espace, de maillage des territoires. Pour répondre à sa fonction première, il faut une vision d'ensemble et une approche de long terme dans le respect de l'intérêt général. Jusqu'à présent, l'Etat assurait ces missions. Aujourd'hui, le Gouvernement s'en remet à la bonne gouvernance de la main invisible pour le suppléer.

Privatiser Air France, ce n'est pas lui donner les moyens de son expansion, mais lui assurer une précarité certaine quant aux ressources.

Oui, la survie de la compagnie n'a été rendue possible en 1994 que grâce à la recapitalisation par l'Etat à hauteur de 20 milliards de francs. Il est vrai que la réglementation européenne rend désormais ce type de recapitalisation impossible, mais ne nous méprenons pas : si le marché supplante l'Etat, la logique ne sera pas la même.

Soumettre la compagnie au marché, c'est la soumettre à ses fluctuations et à sa volatilité. Alors que l'Etat peut jouer son rôle contracyclique, les actionnaires, en période de crise, se précipiteront pour vendre leurs actions, aggravant encore la situation de l'entreprise.

Le Gouvernement le reconnaît lui-même : en dépit d'une croissance soutenue, la rentabilité du secteur aérien reste fragile, compte tenu de la faiblesse des marges réalisées par les compagnies - de 1 à 3 %. Dégager des marges à deux chiffres dans le transport aérien relève de l'utopie libérale. Seules les compagnies low cost, comme EasyJet ou Ryanair, y sont parvenues ce jour, mais à quel prix pour le personnel, la qualité et la sécurité ? Le dépeçage de Buzz, racheté par Ryanair est éloquent. Qu'on se le dise : Ryanair, EasyJet et les compagnies low cost sont les nouveaux vautours du ciel aérien.

Du fait de l'extrême intensité capitalistique liée au prix des avions, si les actionnaires persistent à vouloir dégager des marges importantes, la seule variable restera la main-d'_uvre. Pourtant ce n'est pas le coût du travail qui est trop élevé, mais celui du capital, avec des actionnaires qui en demandent toujours plus.

Alors que l'on fustige les interventions de l'Etat dans des secteurs économiques dans lequel, dit-on, il n'a plus rien à faire, comment comprendre les avantages formidables accordés aux compagnies low cost par certaines régions, gouvernements et chambres de commerce ?

Ainsi, l'ouverture de la ligne Strasbourg-Londres, à compter du programme d'hiver 2002-2003, s'est faite dans des conditions discriminatoires permettant à Ryanair de proposer pendant quelques jours des billets pour un euro seulement. La compagnie Britair, filiale d'Air France, qui exploitait la même ligne sans aucune aide, voit de ce fait sa rentabilité obérée. La décentralisation aidant, ces exemples risquent de se multiplier.

Dans ce projet, le Gouvernement se targue d'installer des garde-fous contre l'anarchie du marché boursier. Mais quelle crédibilité peut-on lui accorder puisque, dans le cas précédemment évoqué, il n'est pas intervenu pour mettre un terme à des pratiques manifestement anticoncurrentielles ? Ce faisant, le Gouvernement a accepté sans réagir que le droit communautaire soit violé.

Avec la liquidation programmée d'Air Lib, nous pouvons légitimement nous demander « à qui profite le crime » lorsque l'on voit EasyJet et Ryanair déjà dans les rangs pour reprendre les créneaux. Et M. Bussereau a, en plusieurs occasions, rappelé qu'il était personnellement favorable aux compagnies low cost qui, selon lui, démocratiseront le transport aérien.

Ce serait une erreur de centrer le débat sur Air France car la compagnie n'est qu'un chaînon, certes essentiel, de toute la filière aéronautique, un des fleurons du patrimoine industriel français qui se trouverait fragilisé si Air France venait à être privatisée. Ainsi Air France est le premier acheteur d'Airbus. Sous la précédente présidence de la compagnie, sans l'intervention du Président de la République, Air France se serait seulement équipée en Boeing 777.

Air France privatisée, les pouvoirs publics n'auront plus cette capacité d'intervention sur la stratégie de l'entreprise.

M. Christian Blanc - C'est faux !

M. François Asensi - Airbus, dans le cadre d'EADS, a fait la preuve de ses qualités, de sa maîtrise d'un savoir-faire incarné par un personnel qualifié. Mais la logique du meilleur rapport qualité-prix ne prend pas toujours en compte ces variables, au détriment de la sécurité. Sans son rapport privilégié avec Air France, Airbus - et donc des bassins d'emplois, notamment la région toulousaine - serait menacé.

De plus, la privatisation d'Air France affectera à terme le contrôle aérien mais aussi les aéroports. Privatiser Air France, c'est préparer l'ingérence d'un opérateur privé majeur dans les futurs débats sur une éventuelle privatisation d'ADP. Nous aimerions, Monsieur le ministre, connaître votre opinion à ce sujet.

Ne nous faisons pas plus royalistes que le roi ! Les Etats-Unis, après le 11 septembre 2001, n'ont pas hésité à soutenir leur secteur aérien à hauteur de 15 milliards de dollars, tandis que plusieurs compagnies américaines parmi les plus prestigieuses se plaçaient sous la protection de la loi sur les faillites. Et l'ensemble des aéroports américains ont encore un statut public et semblent pour le moment le conserver.

Quant aux participations croisées que le Gouvernement voudrait encourager en privatisant Air France, elles ne fonctionnent pas en matière de transport aérien, secteur plus propice aux accords commerciaux qu'aux échanges de capitaux. Par ailleurs, les participations croisées ne sont pas nécessaires pour créer des alliances comme le montre l'exemple même d'Air France, que son statut actuel n'a pas empêchée de s'associer dans le cadre de SkyTeam.

Il est également intéressant de noter qu'une compagnie américaine ne peut être détenue à plus de 25 % par des actionnaires non nationaux ; en Europe, le seuil, pour les actionnaires non communautaires, est fixé à 49,9 %. A croire que la grenouille européenne veut véritablement se faire plus grosse que le b_uf américain !

Au vrai, avec ce projet, vous signez une tragédie en six actes pour le service public. Je l'ai dit : le statut public d'Air France n'est un obstacle ni à la croissance de la compagnie ni à la conclusion d'alliances. Et pourquoi privatiser une entreprise qui, sous statut public, est parmi les plus performantes dans son secteur à l'échelle mondiale ? Serait-ce que vous tenez à privatiser les profits ?

La volonté affichée d'instaurer des garde-fous pour contrôler l'origine de l'actionnariat témoigne de la schizophrénie du Gouvernement : on ne peut souhaiter en passer par le marché sans se soumettre à ses règles de fonctionnement ! Bien des économistes se sont penchés sur la rationalité du marché boursier, sans jamais la trouver. La Bourse, c'est le règne du fluctuant, du virtuel, de l'intangible, et donc de l'incontrôlable. Le Gouvernement le sait fort bien, lui qui sera sans doute contraint de différer pendant des semaines, sinon des mois, une introduction en Bourse contrariée par la volatilité des marchés !

Pour ce qui est de l'actionnariat salarié, qui transfère le risque sur les salariés sans leur donner en échange une partie du contrôle sur la stratégie de l'entreprise, plus personne n'est dupe aujourd'hui...

M. le Rapporteur - Sauf les salariés, qui sont volontaires !

M. François Asensi - Les chiffres parlent d'eux-mêmes, et je traiterai tout à l'heure de la situation des salariés qui ont accepté l'échange « salaires contre actions ».

Après Air France, par une stratégie de dominos, vous allez donc faire tomber les aéroports parisiens, dont les juteux profits excitent l'appétit des marchés boursiers. Enfin, la modification envisagée du statut de la Direction générale de l'aviation civile prépare la privatisation du ciel : le ciel unique serait vendu par morceaux au secteur privé. Comment ne pas voir que la soumission au marché du contrôle aérien va entraîner une baisse des coûts au prix de graves dangers pour la sécurité ? La collision de deux avions de ligne, en juillet 2002, à Uberlingen, qui a fait 71 victimes, est le résultat de la gestion privée déjà à l'_uvre en Suisse et qui préfigure ce que le Gouvernement préconise en France.

Pour célébrer le soixante-dixième anniversaire de la compagnie, vous avez choisi de la livrer au marché. Air France, depuis sa création en 1933, fait pourtant partie de notre patrimoine national.

Du premier aérostat de Joseph Montgolfier en 1783 au dernier lancement d'Ariane, notre aéronautique est le fruit d'une longue tradition de volontés individuelles qui vont entraîner progressivement l'intervention de la puissance publique dans ce secteur.

Les pages glorieuses écrites par Clément Ader, Louis Blériot, Roland Garros, Jean Mermoz et Antoine de Saint-Exupéry préparent l'avènement de ce qui demeure, aujourd'hui encore, un des pôles d'excellence de notre industrie.

Malgré cela, après avoir désengagé la puissance publique du secteur essentiel des télécommunications, le Gouvernement s'apprête à agir de même pour le transport aérien, l'énergie, La Poste, le rail...

En livrant au secteur privé autant d'activités stratégiques, il dépouille la puissance publique de sa capacité à assurer l'équilibre du territoire, la gestion d'un bien rare ou précieux et à garantir un investissement lourd qui n'est pas nécessairement rentable. Il la dépouille de sa capacité à orienter à long terme l'activité économique, car la dictature du court terme propre au fonctionnement du marché s'imposera systématiquement. Il fut un temps où le marché n'était pas l'horizon insurpassable de la majorité parlementaire, et certains gouvernements ont fait preuve d'un plus grand sens de l'Etat ! « Je ne fais pas la politique de la France à la corbeille », disait de Gaulle. Ses successeurs, eux, paraissent obsédés par la Bourse !

Le Gouvernement applique les recettes qui ont déjà excellemment servi Sabena, Swissair, US Airways, United Airlines et maintenant Air Lib. Il agit comme les médecins de Molière qui ne connaissaient que la saignée : leurs patients mouraient, mais eux demeuraient ! Le Gouvernement dispense des potions dont il n'aura pas à subir les effets.

Les arguments sont toujours les mêmes : ouverture, modernisation, flexibilité, compétitivité... Par une étrange perversion du langage, l'usager se transforme en client, la crise en mutation, un emploi devient un privilège, un statut n'est plus qu'une rigidité, une revendication est assimilée à un corporatisme, le secteur public est qualifié d'archaïsme et la Bourse est le parangon de la modernité.

Derrière le langage convenu, on sent la volonté de ne pas s'aliéner l'électeur potentiel qui est également un usager : il faut surtout ne pas heurter de front une opinion qui reste massivement attachée à un service public pour tous.

Des résultats catastrophiques viennent pourtant contredire les propos rassurants. Voyez France télécom, qui annonce devoir supprimer 13 000 postes et en faire basculer 700 vers la sphère publique, notamment vers les collectivités locales ! Ces dernières sont utiles à tout et, en ces temps de frénésie décentralisatrice, il faut s'attendre à ce qu'elles soient toujours plus sollicitées. Heureusement, vous n'avez pas eu le temps de tout brader au privé, ce qui vous permet de pouvoir encore distribuer quelques promesses d'embauche par le secteur public aux salariés qui veulent bien y croire...

L'actionnariat salarié est un concept clé de votre discours sur l'intéressement. Mais les salariés de France Télécom qui avaient eu la naïveté d'y croire ont vu leur portefeuille moyen divisé par dix en deux ans !

M. le Rapporteur - Oui, mais avant ?

M. François Asensi - Le capital veut réduire son risque. Il le transfère donc au salarié, qui doit tout à la fois réduire ses prétentions salariales, mettre en péril son épargne et risquer son emploi, en attendant de risquer sa retraite. Nous ne pouvons accepter ce transfert du risque au salarié. Il incombe par nature à l'investisseur, qui a les moyens de l'assumer.

Et comme une mauvaise nouvelle n'arrive jamais seule, France Télécom, modèle emblématique d'entreprise publique privatisée, vient tout juste d'annoncer, à nouveau, 20 milliards d'euros de perte. La menace du licenciement va maintenant s'ajouter à la mystification de « l'actionnariat salarié ».

Voilà, je le crains, l'avenir que vous réservez à Air France.

Mais il n'y a pas que France Télécom, loin de là. Dois-je préciser le bilan, encore provisoire, des privatisations ?

La dégradation du rail britannique, depuis sa privatisation en 1994, a entraîné plusieurs dizaines de victimes.

M. François Goulard - Et l'Aéroflot n'a jamais tué personne ?

M. François Asensi - Le British Energy Board, gestionnaire de huit centrales nucléaires et privatisé en 1996, est menacé de dépôt de bilan. Le contrôle aérien privatisé en Grande-Bretagne reste sous perfusion de l'Etat et enregistre la moitié des retards européens à lui tout seul. Après la libéralisation du secteur postal, le prix du timbre, en Suède, a fait un bond de 60 %. Les tarifs de l'eau et du téléphone ont tous augmenté dans les pays d'Amérique latine qui se sont mis entre les mains de Vivendi, Telefonica et France Télécom.

L'état d'urgence a été décrété en Californie après les pannes d'électricité de l'été 2000 ; c'est Enron, cet autre merveilleux exemple de la magie du marché, qui en était l'opérateur. Enron était le premier courtier mondial de l'énergie, la septième société américaine et représentait plus de 100 milliards de dollars de capitalisation boursière. En un an, tout s'est volatilisé dans un indicible chaos, et les dirigeants de l'entreprise ont pris le large avec des dizaines de millions de dollars pendant que la plupart des 21 000 salariés perdaient tout : emploi, épargne et retraite. Les clients sont condamnés aux coupures de courant, les responsables politiques se sont révélés compromis et les agences de notation sont complices de l'escroquerie. Enron montre ce qu'il ne faut pas faire. Est-ce le cauchemar que le Gouvernement veut réserver à Air France ?

Votre politique consiste à casser le modèle keynésien et à mettre en cause le compromis social issu de la Libération.

L'Etat, dépouillé de ses fonctions de solidarité, est réduit à ses fonctions régaliennes. En vertu du refus de l'assistanat, l'avancée du marché sape toutes les politiques sociales. Insensiblement mais sûrement, nous passons de l'Etat social à l'Etat pénal. Ce modèle de régulation par le seul marché renvoie à la brutalité du capitalisme manchestérien, sans règles ni droits pour l'ouvrier exploité.

Mais le démantèlement du secteur public par le Gouvernement procède aussi de la remise en cause de notre contrat social.

Jean-Jacques Rousseau a enseigné qu'il faut « trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune, la personne et les biens de chaque associé ». Voilà le seul principe susceptible de garantir à la fois l'efficacité économique et la cohésion sociale. Seul le législateur souverain peut compenser les inégalités propres à l'état de nature. Les services publics ont aussi cette mission en affirmant, face aux retournements incessants des marchés, le rôle de l'Etat régulateur.

L'Etat est le fruit d'un continuum historique : « Je continue la politique des capétiens », disait de Gaulle. La puissance publique dont nous avons hérité n'est pas une fin en soi mais un outil au service des générations futures. Il a fallu que nos différents régimes bataillent pour sortir l'administration du domaine privé.

La remise en cause du pacte social est un tournant capital dont il faudra assumer toutes les conséquences. Depuis la Libération, l'Etat complétait et corrigeait le marché. Voilà désormais le marché qui dicte sa loi aux hommes politiques ! En libéralisant à outrance, c'est la péréquation - vecteur de stabilité et d'anticipation à long terme qui disparaît. Dès lors, si nous pouvions, depuis 1945, partager certains principes sur le rôle de l'Etat, cela sera de moins en moins vrai avec les privatisations qui s'annoncent.

Les choix du Gouvernement procèdent de la volonté délibérée de faire dépérir l'Etat certes pas à la manière de Marx et Lénine... (Rires sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) La baisse de l'impôt concourt à déposséder l'Etat de son rôle de régulation économique. La loi de décentralisation diminue ses capacités d'intervention politique. Vous supprimez l'aide médicale d'Etat aux plus démunis pour faire des économies de bout de chandelle mais vous réformez à la baisse l'ISF ! Les entreprises vitupèrent contre la fiscalité française mais ne refusent pas les 45 milliards de subventions diverses qu'elles reçoivent de l'Etat. Et les pouvoirs publics viennent d'être privés de leur capacité de contrôler la bonne utilisation des fonds publics. C'est donner quitus aux « patrons voyous » sur le dos de l'impôt payé par les Français !

Vous annulez de facto la loi sur les 35 heures, vous facilitez le licenciement, vous bloquez le salaire de 80 % des smicards, vous réduisez de 40 % la prime de précarité des contrats à durée déterminée : tout cela pour favoriser l'emploi alors que le chômage et les plans sociaux progressent continûment depuis des mois. Les licenciements économiques - en passant de 207 000 à 253 000 personnes - ont fait un bond de 25 % entre 2001 et 2002. Plus de 2 800 plans sociaux ont été à déplorer au cours des trois dernières années. Est-ce cette précarité que vous voulez pour le personnel d'Air France, sous couvert de modernisation de l'entreprise alors que depuis cinq ans, l'emploi n'a cessé de progresser au sein de la compagnie, les effectifs passant de 46 000 salariés à plus de 59 000 en 2002 ?

Le Gouvernement veut aussi imposer le marché aux retraités alors que faire prendre en charge les retraites par les fonds de pensions relève de l'escroquerie. Une étude du cabinet Watson Wyatt montre que les actifs ont fondu ces trois dernières années pour retomber à leur niveau de 1997. Depuis 1999, plus de 2 650 milliards d'euros de pensions se sont ainsi volatilisés au détriment des retraités.

Vous voulez un Etat à géométrie variable : interventionniste sur les chantiers de la démolition sociale, démissionnaire face à la prédation des marchés. Votre Etat n'est volontaire qu'en matière pénale, alors qu'il faudrait l'être en amont, dans le champ de l'économique et du social.

Toutes vos actions sont mues par le désir de voir décliner l'Etat au profit des marchés, censés assurer seuls la juste allocation des ressources. Prenez garde, Messieurs les ministres, de ne pas trop délégitimer l'Etat. Parler en ce moment de responsabilité individuelle aux personnels d'Air Lib, de Metaleurop, de Daewoo, de Matra, de Lu et de tant d'autres alors que vous désengagez sciemment la puissance publique de ses responsabilités pour assurer la solidarité collective, c'est remettre au goût du jour des conceptions que nous pensions définitivement révolues.

Certes, le Gouvernement a voulu déminer le terrain avec une loi électorale tendant à éloigner la contestation sociale des assemblées élues. Tôt ou tard, celle-ci va renaître. La déréglementation à marche forcée ne peut que renforcer la désaffection à l'égard de la chose publique et il faudra bien que les mécontentements s'expriment !

Vos attaques frontales contre l'Etat obéissent aux mêmes dogmes que ceux que tentent de promouvoir l'Organisation mondiale du commerce. Organisme supranational dépourvu de tout lien avec l'ONU, l'OMC ne fait pas référence aux droits de l'homme. Elle s'arroge le droit de condamner les choix des Etats souverains au nom de la liberté du commerce, placée au-dessus des droits de l'homme (« Très juste ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

Du reste, la privatisation d'Air France est tout à fait conforme à l'esprit de l'accord général sur le commerce des services. Comment l'éducation, la santé, la culture ne seraient-elles pas les prochaines cibles, puisque l'acte final de l'OMC donne obligation de tendre perpétuellement vers une « libéralisation progressive et accrue » ?

En négociant de tels accords, vous organisez le dépérissement de l'Etat au profit des marchés. Mais en prônant votre propre dépossession, vous contribuez à l'affaiblissement du pouvoir politique. Le marché est devenu votre nouveau maître. Il va falloir expliquer aux électeurs pourquoi vous réclamez leurs suffrages si, par nature, le marché commande tout !

Entre 1984 et 2000, dans la seule Europe des Quinze, les privatisations ont porté sur la somme de 563 milliards d'euros. Plus de la moitié des cent premiers budgets mondiaux appartiennent aujourd'hui à des entreprises privées. Le chiffre d'affaires de General Motors est plus important que le PNB du Danemark, celui de Ford excède celui de l'Afrique du Sud et celui de Toyota dépasse largement le PNB du Portugal ! Comment, si les entreprises deviennent plus puissantes que les Etats, ne commanderaient-elles pas le pouvoir politique ? (« Evidemment ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Dans les entreprises, seule la détention d'actions permet de voter ; le suffrage y est donc censitaire. Dès lors, comment ne pas considérer que les évolutions que vous préconisez traduisent un recul de la démocratie ? Sans une prise de conscience collective, nous allons connaître un véritable recul de civilisation.

La livraison au marché d'une activité aussi aléatoire que le transport aérien témoigne de votre aveuglement sur les bénéfices attendus d'une gestion privée.

Votre projet va à l'encontre de nos principes constitutionnels. En témoigne la décision du Conseil constitutionnel des 25 et 26 juin 1986, aux termes de laquelle « la Constitution s'oppose à ce que des biens ou des entreprises faisant partie de patrimoines publics soient cédés à des personnes poursuivant des fins d'intérêt privé pour des prix inférieurs à leur valeur ». Il s'agit bien de garantir les intérêts primordiaux de l'Etat. Qui peut croire que, dans le contexte actuel, une privatisation ne se solderait pas par un bradage du patrimoine public ? Depuis un an, l'action Air France a perdu 62 % de sa valeur, et près de 15 % depuis le mois de janvier. Voilà la cause du peu d'empressement du Gouvernement !

Privatiser dans de telles circonstances fait naître des soupçons, en France comme en Angleterre. A en croire le Sunday Telegraph - qu'on ne peut soupçonner d'être un héraut de l'étatisme - la privatisation d'Air France et celle programmée d'ADP viseraient d'abord à combler des trous dans le budget de l'Etat et à permettre au Gouvernement de financer ses promesses à l'égard de la France « d'en haut ». Tout porte à croire que ces soupçons sont bien fondés !

En cette période de ralentissement économique et d'incertitude géopolitique, inscrire ce projet de privatisation à l'ordre du jour de nos travaux témoigne d'une obstination idéologique sans précédent et d'un total manque de respect de notre patrimoine public.

Toutes ces raisons nous conduisent à rejeter ce texte et à inviter notre assemblée à voter l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. le Rapporteur - Pour défendre une telle motion, il est d'usage de produire des arguments tendant à démontrer le caractère anticonstitutionnel du texte présenté. Notre collègue n'en a évoqué qu'un seul, à la toute fin de son intervention, relatif au « bradage » de la compagnie. Le ministre a déjà répondu : on ne va pas vendre au moment où les cours sont les plus bas...

M. François Asensi - Vous allez boursicoter !

M. le Rapporteur - Mais non, l'Etat ne boursicote pas ! Pas trace, dans ce long exposé, d'un autre élément d'inconstitutionnalité. Sur le fond, tout être doué de bon sens ne peut que se féliciter qu'Air France ait mieux que d'autres résisté à la conjoncture.

M. Jean-Claude Lefort - Il faudrait se demander pourquoi !

M. le Rapporteur - Plusieurs facteurs l'expliquent. Air France a réagi très vite, le « hub » de Roissy est l'un des plus compétitifs...

M. François Asensi - Grâce à l'Etat !

M. le Rapporteur - La compagnie a su redéployer ses secteurs d'activité pour s'adapter à l'environnement et notamment tirer profit de l'effondrement de Swissair ou de la Sabena. Je n'oublie pas les efforts de rigueur des deux présidents successifs - dont l'un a rejoint nos bancs - et leur capacité à mener à bien dans le cadre du statut plusieurs plans sociaux concernant au total 14 000 personnes ! Au terme de ces efforts et compte tenu de ces différents éléments, Air France est devenue plus compétitive que British Airways. Il y a tout lieu de féliciter ses dirigeants et l'ensemble du personnel pour ce résultat, qui n'a rien à voir avec le statut de l'entreprise.

Votre rapporteur vous invite à repousser l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. François Goulard - Comme l'a excellemment rappelé notre rapporteur, nous attendions, dans ce long exposé, des arguments juridiques plutôt qu'économiques.

Les seuls arguments de nature juridique produits par notre collègue à la fin de sa démonstration avaient trait à la valeur patrimoniale des actions de la compagnie. Notre rapporteur a levé toute réserve à ce sujet.

Cet assez long exposé relevait en fait d'une vulgate marxiste plutôt mal assimilée, appelant à la rescousse - comprenne qui pourra - les capétiens et le général de Gaulle ! (« N'importe quoi ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Qu'il me soit permis d'opposer à cette théorie un fait élémentaire.

Sans doute vous souciez-vous des personnes à revenus modestes qui aspirent aussi à voyager, à découvrir le monde.

Mme Odile Saugues - Miroir aux alouettes !

M. François Goulard - Est-ce le service public, la réglementation par l'Etat qui a permis la formidable démocratisation du transport aérien et la baisse des prix, ...

M. Jean-Claude Lefort - Evidemment.

M. François Goulard - ...qui a permis à la majorité d'utiliser ce moyen de transport autrefois réservé à une élite financière ?

En défendant apparemment le service public, vous défendez des statuts du passé, à l'encontre de l'intérêt de la majorité (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

Ramenez au magasin des accessoires vos vieilles doctrines, acceptez la réalité, acceptez qu'Air France soit enfin dotée d'un statut de droit commun. Cette entreprise a un formidable potentiel. Laissez- la agir à égalité de concurrence et notre pays, nos compatriotes s'en porteront mieux (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Louis Idiart - L'intervention de M. Asensi va tout à fait dans le sens de ce que nous défendons.

Pour le ministre et le rapporteur, il faut, au plus vite, rendre tout ce qui peut l'être au capital. Cela permettra à la majorité d'avoir accès à l'avion plus facilement, prétend M. Goulard. Mais souvenons-nous qu'en 1993-1994, on nous dépeignait Air France comme une calamité ; il fallait aller vers Air Liberté, ou AOM, ou TAT, il fallait absolument la concurrence. Dix ans plus tard, il ne reste qu'Air France. Si vos intentions d'aujourd'hui ont les mêmes résultats, je vous donne rendez-vous dans dix ans : Air France n'existera plus. C'est pourquoi nous voterons la motion d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jean-Claude Lefort - Après la démonstration de M. Asensi, l'Assemblée s'honorerait de voter cette motion.

D'abord, ni la Constitution ni le droit européen n'impliquent une privatisation. Selon le préambule de la Constitution, toute entreprise qui a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait doit être ou devenir la propriété de la nation. D'autre part, il est tout à fait établi que l'Europe n'exerce pas d'ingérence en ce qui concerne le statut, public ou privé, des entreprises. Si je ne dis pas le vrai, démentez-moi, Monsieur le ministre.

Au passage, je souhaite la bienvenue à M. Blanc, en lui rappelant que nous sommes ici à l'Assemblée nationale, et pas au conseil d'administration d'Air France. Nous faisons donc des choix politiques, non économiques ou comptables.

En second lieu, la privatisation sera inefficace. Quelle autre entreprise aérienne en Europe, et même dans le monde, a d'aussi bons résultats qu'Air France ? Citez m'en seulement une, et je vous suis. Mais vous ne le pouvez pas. Nous avons donc raison.

Ensuite, je m'adresse à un pseudo-marxiste de marché, service public ne veut pas dire étatisation. Air France a montré qu'un service public pouvait se moderniser, s'adapter à la réalité. Mais pouvez-vous même le comprendre ? Apparemment non (Rires sur divers bancs).

La privatisation est également antisociale. Monsieur le ministre, vous disiez autrefois qu'Air Lib était dans une situation calamiteuse à cause de son statut privé. Comment pouvez-vous dire aujourd'hui que c'est pour éviter le même sort à Air France qu'il faut la privatiser ?

Plutôt que de laisser Air France s'enrichir grâce au sort qu'a connu Air Lib, pourquoi ne pas essayer organiser un grand pôle aérien et aéronautique public ? Ce serait une belle idée. Mais selon vous, le transport aérien n'est pas stratégique, il peut donc se privatiser. Regardez donc l'usage qu'en font les Américains.

L'Assemblée s'honorerait donc de défendre la Constitution, les traités européens, la capacité économique de la nation, le rôle social d'Air France pour que celle-ci, à la différence de Air Lib, vive (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Président - Je crois donc comprendre que votre groupe votera l'exception d'irrecevabilité (Sourires).

M. Christian Blanc - Pour cette première, n'ayez crainte, je ne risque pas de confondre l'Assemblée et un conseil d'administration. On n'en sera pas surpris, le groupe UDF n'apportera pas son soutien à cette motion. Je voudrais simplement revenir sur quelques points qui ont été soulevés.

Certains ont évoqué Air Liberté et AOM. Sachez que ces deux entreprises auraient réussi si en 1994 Air France avait déposé son bilan, car leur stratégie était bien de s'agrandir sur les dépouilles d'Air France.

Après leur fusion elles n'ont pas réussi, en raison de problèmes structurels majeurs.

S'agissant ensuite de l'étrange querelle sur Boeing et Airbus, sachez que la flotte d'Air France est composée à égalité d'appareils des deux grands constructeurs, ce qui est une sage habitude.

Par ailleurs, Monsieur Asensi, il fallait renouveler la flotte. Le ministre des transports de l'époque a exigé du président d'Air France que j'étais qu'il achète uniquement des Airbus, et il est exact que le Président de la République était de son avis. Il est aussi exact que j'ai refusé : l'A 340 et le Boeing 377 ne sont pas interchangeables, et il y avait un différentiel d'un milliard de francs. En tant que responsable des intérêts sociaux de l'entreprise, j'ai pris la décision qui s'imposait. C'était le signe d'une certaine indépendance et d'une bonne gestion. Il est probable que, sous un autre régime, un tel refus n'aurait pas été possible (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Cette décision a peut-être sauvé un grand nombre d'emplois, Monsieur Asensi !

Dans un tel débat, ne nous laissons pas aller, de grâce à des propos excessifs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

M. le Rapporteur - Je remercie notre collègue Lefort d'avoir fait référence au préambule de la Constitution de 1946. Ce faisant, il a apporté de l'eau à notre moulin : il y est écrit, en effet, que « tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Or Air France n'a pas de monopole et n'est pas un service public (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

L'exception d'irrecevabilité, mise au voix, n'est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

Mme Odile Saugues - Je commencerai par un aveu : députée de l'opposition, j'ai souvent le sentiment d'assister impuissante à cette casse sociale qui se traduit un jour par l'abandon des emplois-jeunes, le lendemain par la suppression des 35 heures, l'annulation des dispositions encadrant les plans sociaux, les attaques contre l'allocation personnalisée d'autonomie ou encore la remise en cause de la couverture maladie universelle.

Ce gouvernement est passé maître dans l'art du marketing. Il sait trouver des formules publicitaires pour tromper son monde et faire oublier la dureté de la purge. Ainsi, ce projet ne tend pas à privatiser Air France, mais à « organiser la mise sur le marché des entreprises de transport aérien, dont Air France »... La nuance peut prêter à sourire. Elle masque mal le vrai visage du Gouvernement.

Qu'importe le contexte international, qui a déjà de lourdes répercussions sur le transport aérien. Qu'importent les dramatiques difficultés sociales que connaît ce secteur depuis la liquidation d'Air Lib. Qu'importe l'état des marchés financiers, avec une action Air France au plus bas... Qu'importent les protestations des collectivités locales, qui constatent le désengagement de l'Etat en matière d'infrastructures... Qu'importent les inquiétudes des salariés et les manifestations... Qu'importe... Seule compte, en fait, l'idéologie.

Le gouvernement Raffarin, reprenant fidèlement le programme de privatisation d'Edouard Balladur et d'Alain Juppé, brade le patrimoine public. Les arguments avancés par la droite, en 1993 puis en 1998, dans le débat sur l'ouverture du capital de la société Air France, n'ont pourtant plus la moindre prise sur la réalité. Souvenons-nous : selon vous, Air France était enfermée dans une gestion étatique d'un autre âge, sclérosée à cause d'un statut archaïque, incapable d'évoluer et de réagir.

Puis il y a eu le 11 septembre 2001. On a vu les dramatiques conséquences des attentats sur les compagnies aériennes les plus prestigieuses. Or chacun, dans ce contexte extrêmement difficile, a constaté qu'Air France avait su résister, mieux que d'autres, à cette crise sans précédent. Elle a été la seule compagnie aérienne en Europe à dégager un résultat bénéficiaire pour l'exercice 2001-2002, si on excepte les compagnies à bas coût.

L'autre argument récurrent en faveur de la privatisation, nous l'avons tous en mémoire : son statut isolait Air France sur la scène internationale, la compagnie était incapable de conclure la moindre alliance. Or Air France a participé à la création de SkyTeam, système d'alliances qui lui a permis d'étendre son réseau. Devant la crise du transport aérien qui frappe notamment Delta Airlines, le principal partenaire d'Air France dans l'alliance SkyTeam, certaines voix se font entendre aujourd'hui pour faire remarquer que, peut-être, les échanges commerciaux ont aussi leurs vertus...

Rien ne justifie la démarche du Gouvernement, pas même le renouvellement de la flotte de la compagnie, âgée de huit ans et demi en moyenne, ce qui est inférieur à l'âge moyen de la flotte des autres compagnies internationales.

Conscient de la réalité du transport aérien, le Gouvernement se raccroche à l'idéologie libérale, comme l'a fait le secrétaire d'Etat aux transports, qui déclare dans une interview récente : « Si la situation du secteur aérien devait connaître une nouvelle crise, alors qu'il est encore en convalescence après les attentats du 11 septembre 2001, nous aviserions. Mais ceci ne devrait cependant pas avoir d'impact sur l'analyse du Gouvernement, qui est de donner plus de liberté à Air France en la privatisant ».

Pourtant, ce ne sont pas les arguments contre la privatisation qui manquent.

Tout d'abord, le débat sur la privatisation d'Air France n'a pas lieu d'être compte tenu des efforts consentis par l'Etat depuis près de dix ans.

Depuis sa création, le 1er septembre 1933, la compagnie Air France a vécu de nombreuses mutations. La part de l'Etat dans son capital était supérieure à 94 % à la veille de son introduction en bourse de février 1999. Elle se situe aujourd'hui autour de 54 %.

Au début des années 1990, Air France a enregistré de lourdes pertes, essentiellement dues à l'accroissement des charges et du prix du carburant. Malgré les conséquences très graves de la guerre du Golfe d'août 1990 à mars 1991 sur le transport aérien, la libéralisation de ce secteur s'engage alors en Europe.

Il faut évoquer les nombreuses mesures d'austérité prises jusqu'en 1993 pour tenter d'endiguer les pertes. Il faut aussi rappeler le plan de sauvetage et la recapitalisation de la compagnie par l'Etat, pour un montant de 20 milliards de francs.

Ce soutien, autorisé par la Commission européenne par sa décision du 27 juillet 1994, a contribué, tout comme les efforts importants consentis par les salariés à redresser la situation d'Air France.

L'Etat a largement pris en compte les attentes de la Commission européenne. Ainsi, la structure de l'actionnariat d'Air France s'est ouverte à de nouveaux investisseurs et, dès octobre 1997, l'Etat avait informé le président du conseil d'administration d'Air France qu'il supprimait le contrôle préalable des investissements de la compagnie.

L'allégement de la tutelle étatique s'est traduit par l'élargissement du conseil d'administration. La loi du 4 janvier 2001 a supprimé aussi les procédures d'autorisation préalable pour les prises de participation par Air France dans des entreprises présentant un caractère annexe par rapport à son activité principale.

Cet engagement de l'Etat dans le transport aérien, que certains considèrent comme une entrave au développement, est une source essentielle de stabilité. Il est une garantie de transparence, en particulier grâce au contrôle de la Cour des comptes, défini à l'article L. 133-1 du code des juridictions financières. Il est aussi un moyen d'imposer des obligations au nom de l'intérêt général. Un arrêt du 20 décembre 1935 du Conseil d'Etat qui est précisé par l'article L. 342-2 du code de l'aviation civile, prévoit ainsi l'ouverture de lignes aériennes non rentables.

Bien évidemment, ces moyens d'interventions sont limités par les dispositions du droit communautaire relatives à la reconnaissance de la liberté des tarifs, à l'instauration de licences communautaires délivrées par les Etats membres sur la base de critères communs et au libre accès des entreprises communautaires aux liaisons intra-communautaires.

Cette libéralisation du transport aérien a peut-être des mérites, mais elle a incontestablement des défauts, et nous devons nous interroger sur le transport aérien que nous voulons construire. J'entends certains plaider en faveur d'une concentration du secteur autour de deux ou trois grands groupes, voire de véritables monopoles. Regardons les conséquences de cette concentration aux Etats-Unis et en Australie.

En tout état de cause, force est de constater que « le caractère public du capital de la Société Air France n'altère en rien l'exigence d'assurer la continuité de son exploitation dans les meilleures conditions de service et de coût », pour reprendre les termes exacts du rapport remis le 24 février 2003 à M. Francis Mer sur « l'Etat actionnaire et le gouvernement des entreprises publiques ».

La privatisation d'Air France n'a pas non plus lieu d'être compte tenu des efforts consentis par les salariés.

Vous multipliez, Monsieur le ministre, les précautions oratoires au sujet des garanties apportées aux salariés, au cours des deux ans qui suivraient l'adoption du projet et même, si on en croit vos propos au Sénat, après cette phase de transition.

Il est vrai que votre projet est massivement rejeté par les organisations syndicales et par les salariés d'Air France. Il vous faut déployer toute une batterie de mesurettes et de déclarations d'intention pour les convaincre du bien-fondé de votre démarche.

Le cours actuel de l'action Air France s'établit à 7,70 €, alors que la deuxième guerre du Golfe n'a pas encore débuté. Cette situation ne plaide pas en votre faveur et je ne suis pas sûre que, pour les salariés, le jeu en vaille la chandelle.

Votre projet risque de diviser les salariés d'Air France puisque l'article 2 vise à remettre en question l'implication du personnel dans la bonne marche de l'entreprise. C'est un véritable recul social, que confirme l'article 3 en supprimant le statut particulier des salariés d'Air France.

Vous faites le choix de déchirer le pacte social dans un secteur certes sensible, mais qui a su acquérir une vraie culture de la concertation, comme en témoignent les discussions sur le temps de travail du personnel au sol.

Je cite cette catégorie de personnel en particulier, car elle a, peut-être plus que d'autres, subi les conséquences des difficultés économiques de la compagnie et qu'elle a fortement contribué aux efforts de productivité demandés par la direction.

Ne l'oublions pas, Air France ne s'est pas redressée uniquement grâce aux aides de l'Etat. Son redressement s'est effectué au prix d'une importante restructuration, avec des plans sociaux, un recours à la filialisation et à la sous-traitance.

C'est tout cet équilibre social que vous choisissez de rompre, plongeant Air France dans une zone de turbulences et les salariés dans l'incertitude la plus totale.

Peut-on sérieusement accorder le moindre crédit au rapporteur de la commission des finances du Sénat lorsqu'il estime que « les accords d'entreprise devraient permettre de transposer aussi fidèlement que possible dans le droit privé, les dispositions actuelles du statut public » ?

Croit-on que c'est avec de telles promesses qu'on va rassurer les salariés d'Air France ? Ils savent très bien que, dans un secteur où les marges sont faibles et les coûts fixes élevés, la seule variable d'ajustement, ce sont les coûts salariaux et sociaux.

Et votre projet de loi, loin d'apporter des réponses crédibles et audacieuses, suscite l'opposition quasi-unanime des organisations syndicales et l'inquiétude des salariés de la compagnie Air Lib qui, après avoir été victimes d'une véritable partie de poker menteur entre leur direction, le Gouvernement et des investisseurs étrangers peu fiables, ont l'impression d'être « menés en bateau » avec des promesses difficiles à tenir en cas de privatisation.

Par ailleurs, Air France a été sans doute la seule compagnie aérienne importante à traverser la crise liée aux attentats terroristes du 11 septembre 2001 sans procéder à un seul licenciement. Il s'agit là d'un vrai choix politique, que nous devons d'autant plus saluer, que toutes les grandes compagnies aériennes n'ont pas eu ce type de scrupules... Air France, privatisée, aurait-elle eu les mêmes attentions ?

La privation d'Air France n'a pas lieu d'être, ensuite, au regard des exigences de continuité territoriale et de la politique d'aménagement du territoire.

Les aéroports sont des outils de croissance économique et d'aménagement du territoire, et le transport aérien a une mission essentielle : assurer la continuité du territoire. Face à ces deux réalités, quelles peuvent être les conséquences de la privatisation d'Air France ?

Je parlerai en premier lieu des « hubs ». Ces plates-formes permettent aux compagnies aériennes de drainer du trafic, et d'assurer leur développement. C'est le cas du hub de Roissy-Charles-de-Gaulle, ouvert le 31 mars 1996, et qui a permis aux clients d'Air France de bénéficier de correspondances nombreuses et rapides. Il a été l'un des atouts principaux d'Air France dans le contexte de crise de l'après 11 septembre. S'y sont ajoutées des plates-formes de correspondance régionales, notamment à Lyon et à Clermont-Ferrand.

Ce dernier suscite d'ailleurs de vives inquiétudes qui demeurent sur son devenir, malgré la hausse de sa fréquentation.

M. Jean-Paul Bacquet - De très grandes inquiétudes ! N'est-ce pas, Monsieur Proriol ?

M. Jean Proriol - Hélas !

Mme Odile Saugues - Déjà, plusieurs lignes jugées peu rentables ont été rayées d'un trait de plume et de nouvelles dessertes seront supprimées prochainement. Par ailleurs, aucune de ces liaisons ne bénéficie d'un financement du FIATA. Quels seront alors les effets de la privatisation d'Air France sur un tel aménagement et sur le maintien de lignes qui jouent un rôle non négligeable dans le développement de nos régions ? Elle accentuera inéluctablement une politique de rentabilité dont nous mesurons déjà les effets et je me demande quel avenir sera réservé aux propos tenus par M. Spinetta, président d'Air France, lors d'un colloque à l'Assemblée nationale le 7 février 2001 et d'après lesquels « la vraie liberté pour Clermont-Ferrand, si les gens de Clermont veulent aller en Asie, c'est d'accéder facilement avec de fortes fréquences à un hub efficace ». La vraie liberté, pour les contribuables auvergnats, n'est certainement pas de se satisfaire d'un équipement performant mais sous-utilisé, au nom de la rentabilité et de la loi du marché !

M. Jean-Paul Bacquet - Bravo !

Mme Odile Saugues - Et que dire des aéroports de province désertés par des compagnies aériennes sans scrupules et des dessertes supprimées parce qu'une Chambre de commerce n'a pas cédé au chantage des sociétés low cost ? L'exemple de la ligne Bordeaux-Londres est encore dans tous les esprits !

Monsieur le ministre, de grâce : ne nous laissez pas entendre que les compagnies à bas coûts participeraient, mieux qu'Air France, à une mission d'aménagement du territoire, ainsi que vous l'avez déclaré au Sénat, en indiquant que « les règles du jeu entre les compagnies aériennes » permettaient de mieux desservir le territoire.

Concernant l'outre-mer, des obligations de service public sont imposées et concernent l'exploitation des services tout au long de l'année, avec au moins une fréquence hebdomadaire, l'existence d'un tarif enfant réduit de 33 %, un nombre d'annulations de vols ne dépassant pas 10 % du programme déposé et le respect du préavis de six mois avant l'interruption des services.

Alors que, jusqu'au début 2001, cinq compagnies françaises exploitaient des liaisons entre la métropole d'une part, les Antilles et la Réunion d'autre part, la Guyane étant desservie par Air France et AOM, aujourd'hui la desserte de l'outre-mer est mise à mal, d'abord par la faillite d'Air Lib et ensuite par la privatisation d'Air France, fort redoutée dans un contexte économique et social déjà difficile. Air France privatisée respectera-t-elle ses obligations de service public ? Augmentera-t-elle ses rotations vers l'outre-mer alors que la saison touristique risque d'être ternie par une croissance en berne ? S'associera-t-elle aux autres compagnies qui assurent la desserte de l'outre-mer ou bien seule la concurrence parlera-t-elle ?

M. Victorin Lurel - Très bien !

Mme Odile Saugues - La privatisation d'Air France n'a pas lieu d'être, au regard des alliances conclues par la compagnie dans le monde.

Vous n'avez qu'un argument pour justifier la privatisation d'Air France : la conclusion d'alliances stratégiques, que le statut actuel de la société ne pourrait permettre. Pourtant, avant toute ouverture de capital, Air France avait déjà acquis des participations, notamment dans des sociétés régionales de transport aérien - Air Austral, City Jet ou Flandre Air. De même, elle avait conclu des accords de franchise ou de partage de codes avec une trentaine de compagnies.

Au-delà de ces accords commerciaux bilatéraux, Air France avait noué des alliances solides, avec Continental Airlines et Delta Airlines en novembre 1996, puis avec Korean, Aeromexico, CSA et enfin Alitalia en juillet 2001. Puis l'alliance SkyTeam, née de l'accord du 22 juin 2000, a permis à Air France d'accroître son réseau et ses possibilités de commercialisation sans mettre en _uvre des moyens supplémentaires. SkyTeam représente un trafic de 204 millions de passagers transportés annuellement, une flotte de 1 200 avions et 173 000 salariés. SkyTeam, c'est encore 7 000 vols quotidiens et 512 destinations dans plus de 110 pays ! Dans la course aux alliances, Air France n'est donc pas à la traîne !

Le statut actuel d'Air France ne l'a pas non plus empêché de développer sa présence en Allemagne, en Autriche, en Grande-Bretagne, en Irlande, en Suisse mais aussi en Tunisie et au Maroc, sans parler des accords de coopération conclus avec Japan Airlines, Aéroflot, Air India ou encore Singapore Airlines.

Dans de telles conditions, l'exposé des motifs de votre projet, selon lequel la privatisation d'Air France permettrait « à la compagnie de consolider ses alliances et de nouer des partenariats, notamment avec d'autres transporteurs européens », ne peut que nous étonner. Expliquez-nous plutôt, Monsieur le ministre, en quoi le statut actuel de la société a freiné sa stratégie d'alliance.

M. le Rapporteur - On l'a déjà expliqué.

Mme Odile Saugues - L'image que vous voulez donner d'une compagnie isolée sur la scène internationale est erronée. Elle l'était déjà en 1998 lorsque votre secrétaire d'Etat actuel, député Démocratie libérale à l'époque, demandait la création d'une commission d'enquête sur Air France. Un autre député, M. Auberger, nous expliquait alors que le statut d'Air France l'empêcherait d'intégrer de grands réseaux européens ou transcontinentaux. Les succès de l'alliance SkyTeam sont la meilleure réponse à ces procès d'intention.

L'histoire vous a donné tort et votre acharnement contre le statut d'Air France relève de la pure idéologie.

D'ailleurs, depuis l'annonce, le 10 janvier 2003, de la suppression de 4 000 emplois par Delta Airlines et des profondes difficultés financières de cette compagnie, je n'entends ni les membres du Gouvernement, ni les députés de la majorité nous expliquer qu'un échange capitalistique entre Air France et Delta Airlines serait plus intéressant que l'accord commercial actuel...

J'aimerais pourtant savoir quelles seraient les conséquences des difficultés de Delta Airlines pour Air France s'il y avait croisement de capitaux. Loin de jubiler devant le malheur des salariés de Delta Airlines, je vous mets en garde contre ce bradage.

M. Jean-Louis Idiart - Très bien !

Mme Odile Saugues - Le débat sur la privatisation d'Air France masque le manque de propositions du Gouvernement face à l'émergence des compagnies à bas coût.

L'évolution du paysage aérien nécessite, plus que jamais, d'affirmer le rôle de l'Etat car la libéralisation de ce secteur se traduit par l'émergence de compagnies à bas coût dont les pratiques commerciales et sociales peuvent nous interpeller.

Or votre projet de loi n'aborde à aucun moment cette question essentielle, beaucoup plus préoccupante que le statut actuel de la compagnie Air France.

Sous la précédente législature, nous avions défini la notion de prix abusivement bas dans le transport aérien, mais cette prise de conscience ne semble guère inspirer votre gouvernement. Si la première liaison exploitée en France par une compagnie low cost date de mars 1996, l'essor de ce type de compagnies est particulièrement important depuis 2001 avec l'ouverture par Buzz de liaisons entre plusieurs villes françaises et l'ouverture en juin 2002 de quatre liaisons d'Easy Jet au départ d'Orly et de Roissy-Charles-de-Gaulle. L'offre low cost en Europe représentait 7 % du marché à l'été 2002, enregistrant une croissance de l'ordre de 20 % par an.

Les principes d'une compagnie low cost sont clairs : densifier les capacités en sièges des avions, augmenter leurs taux d'utilisation, optimiser les coûts fixes, que ce soit les coûts de personnel ou les coûts de maintenance, utiliser prioritairement les aéroports secondaires qui présentent des charges moins élevées et généraliser la vente directe par internet et centres d'appel. Ce modèle, s'il ne doit pas être condamné a priori, soulève de nombreuses interrogations, sur la gestion du personnel en particulier. Ainsi Ryanair, qui emploie plus de 1 500 personnes, transporte environ 5,6 millions de passagers et réalisait un chiffre d'affaires de 370 millions d'euros en 2000, oblige son personnel navigant à faire 80 à 100 vols par mois, soit 4 à 6 vols par jour, pour bien gagner sa vie, sachant que le redécollage se fait après 25 minutes, que les hôtesse de l'air contrôlent elles-mêmes les tickets et que les pilotes doivent payer leur formation à la compagnie... (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste)

Et que dire du devenir de ces compagnies. KLM a ainsi créé Buzz en 2000 qui a entraîné la chute de Debonair ; Go, la filiale de British Airways, a été revendue aux salariés et à un fonds d'investissement avant de devenir propriété d'Easy Jet en 2002 ; enfin, le 26 février dernier, la compagnie low cost Ryanair annonçait sa volonté de fermer la compagnie néerlandaise Buzz qu'elle venait de racheter.

Dans ce contexte extrêmement mouvant, les premiers perdants sont les salariés, mais aussi les collectivités locales et les aéroports de province qui, bien souvent, ont non seulement accompagné le développement de ces compagnies, mais encore ont été fortement rackettées. Ainsi, pour favoriser l'arrivée à Caen de Buzz, le conseil régional a déboursé près d'un demi million d'euros par an pendant trois ans sous forme de publicité.

Par ailleurs, certaines plates-formes totalement dépendantes des low cost, si elles bénéficient de leurs retombées économiques, sont aussi très vulnérables. Je pense à Beauvais, mais aussi à Dinard, à Bergerac, à Carcassonne, à Tours et, dans une moindre mesure, à La Rochelle, à Nîmes, à Dijon, à Poitiers, à Saint-Etienne, à Limoges, à Nice, à Perpignan, à Rouen.

Ce paysage actuel me fait penser à ce qu'on a connu dans les années 2000, avec la prolifération presque maladive de sociétés liées aux nouvelles technologies et guidées par la recherche effrénée de plus-values spectaculaires. Face à ces dérives, l'Etat devrait jouer pleinement son rôle de régulateur plutôt que de se lancer à son tour dans cette surenchère. Il doit donner aux collectivités locales les moyens de contrôler effectivement les aides publiques, directes et indirectes, accordées à ces entreprises qui ont, nous le voyons chaque jour, des pratiques de prédateurs.

Vous savez parfaitement que pour assurer un volume suffisant sur son trafic long courrier, Air France a besoin de faire converger vers ses hubs - à Roissy, mais aussi à Clermont-Ferrand ou à Lyon - un trafic moyen courrier, et que c'est celui-ci qui est menacé par les « low cost ».

Qui ne dit mot consent : le silence du Gouvernement face à cette prolifération de compagnies cannibales est assourdissant. On discerne même une certaine complaisance lorsque votre secrétaire d'Etat aux transports déclare : « les compagnies à bas coûts poursuivront leur développement en France et elles continueront à contribuer au développement du transport aérien ».

Alors qu'Air France affronte une sérieuse concurrence, notamment celle du TGV, votre projet risque de déstabiliser durablement la compagnie et le transport aérien en France, au profit de ces compagnies low cost. Votre secrétaire d'Etat aux transports est sans doute enthousiasmé par le modèle économique qu'elles représentent. Faut-il pour autant sacrifier sur l'autel de l'ultra-libéralisme une compagnie qui a traversé avec succès tant d'épreuves ? Faudra-t-il privatiser, après Air France, Aéroports de Paris...

M. Jean-Pierre Blazy - On en parle !

Mme Odile Saugues - ...et livrer Orly aux low cost ? Nous attendons vos réponses !

M. Jean-Pierre Blazy - Il va falloir répondre !

Mme Odile Saugues - La privatisation d'Air France n'a pas lieu d'être, enfin, au regard de l'état du marché financier.

Enfermé dans ses contradictions, prisonnier d'un budget insincère, otage de promesses électorales démagogiques, le Gouvernement est condamné à renier la parole de l'Etat et à brader son patrimoine.

Renier la parole de l'Etat, vous le faites en commandant un audit sur les infrastructures, en amputant les crédits des Plans de Déplacements Urbains, en annonçant, sans la moindre concertation, l'abandon du site de Chaulnes pour le troisième aéroport.

Brader le patrimoine de l'Etat, vous le faites avec ce projet de loi. Vous l'avez reconnu devant le Sénat en annonçant que le cours actuel de l'action ne vous permettrait pas d'obtenir le niveau de recettes escompté. C'est indéniable. Dussiez-vous récolter à terme un milliard d'euros - ce qui est fort improbable avec la perspective du conflit militaire et son cortège probable de conséquences sur le transport aérien -, ce ne serait pas le tiers du montant qu'a représenté pour les contribuables français, la recapitalisation qui a sauvé Air France en 1994.

Le Gouvernement est confronté à un cruel dilemme. S'il ne vend pas, il ne boucle pas son budget puisque les recettes de la privatisation sont déjà prises en compte. S'il vend, il brade la compagnie au creux de la conjoncture.

Ainsi, voit-on se succéder annonces précipitées et replis maladroits. Le ministre de l'économie annonce la privatisation dès le 29 juillet 2002, alors que quelques jours auparavant vous déclariez qu'aucune initiative de ce genre ne serait prise avant une vaste négociation avec les salariés. On nous annonce le projet de loi pour l'automne, mais fin septembre, le cours de l'action avoisinait les 7 euros ! On louvoie, on joue avec l'entreprise et les salariés et on choisit finalement le pire moment pour passer en force. Depuis, nouveau repli : le Gouvernement laisse entendre qu'il ne pourrait mettre, dans un premier temps, que 5 % du capital sur le marché, avant de nous annoncer que la privatisation sera achevée d'ici la fin 2003 !

Quelle cacophonie ! Quelle improvisation !

Ce n'est pas la première fois que l'on assiste à une telle danse du scalp. Rappelons-nous la première tentative d'ouverture de capital de la société en 1987, sous le gouvernement Chirac, alors qu'Air France ne figurait même pas dans la liste des entreprises privatisables annexées à la loi du 2 juillet 1986. Lancée à la veille du krach boursier du 29 octobre 1987, l'opération avait dû être enterrée.

L'histoire semble aujourd'hui bégayer, si ce n'est que ce Gouvernement n'a pas la lucidité de celui de 1987, dont la « marque de fabrique » ne faisait pourtant aucun doute.

Les mises en garde ne manquent cependant pas, y compris parmi les tenants de la privatisation.

Le rapport pour avis du Sénat résume bien la situation : « La santé financière et la croissance du transport aérien sont très dépendantes des variations de la croissance mondiale ainsi que de celles du prix du pétrole. Le transport aérien est également devenu particulièrement sensible à la situation géopolitique internationale ». On ne peut être plus clair.

Monsieur le ministre, personne sur ces bancs, ne vous accusera de méconnaître la situation internationale. Nous vous demandons donc d'en tirer toutes les conséquences.

Et ne nous dites pas que les conséquences du conflit seront limitées dans le temps. Celles de la première guerre du Golfe sur le transport aérien n'ont pas duré six mois, mais six ans !

Voici ce que je lis sous la plume d'un analyste financier : « Alors que la morosité des perspectives économiques, la concurrence des compagnies à bas prix, la flambée du baril de pétrole et la menace de la guerre en Irak pèsent sur l'ensemble du transport aérien, Air France a (...) souffert ces derniers temps des mouvements sociaux suscités par sa probable privatisation. Certes, le marché est aujourd'hui peu propice à une telle opération, cependant la privatisation d'Air France pourrait in fine mettre un terme aux revendications salariales ». Et il conclut : « la plupart des professionnels soulignent (...) le caractère transitoire des inquiétudes qui affectent la valeur aujourd'hui et considèrent donc que le titre présente une décote intéressante à moyen terme ».

Le Gouvernement partage-t-il cette analyse, dont le cynisme ne vous échappera pas ? Faites-vous le pari d'une décote attrayante ? Là encore, nous attendons vos explications.

L'un de vos illustres prédécesseurs, Pierre Cot, déclarait en 1933...

M. Jean-Pierre Blazy - C'était une autre époque !

Mme Odile Saugues - ...« Dans tous les domaines, l'aviation peut donner à la France le moyen de mieux accomplir son destin ».

Soixante-dix ans plus tard, alors que la France a rendez-vous avec son destin, la représentation nationale est en droit de s'interroger. Avez-vous un plan de vol pour le transport aérien en France ? (« Aucun ! » sur les bancs du groupe socialiste)

Alors que les acteurs du transport aérien nous demandent tous une troisième plate-forme internationale, votre première décision a été de remettre en cause, pour des raisons dont la compatibilité avec l'intérêt national n'apparaît pas nettement...

M. Jean-Pierre Blazy - Très bien !

Mme Odile Saugues - ...le projet de votre prédécesseur.

Alors que le Gouvernement relance la décentralisation, vous livrez sans états d'âme les aéroports de province et nos territoires à l'appétit de compagnies aériennes guidées par la seule recherche du profit.

Alors qu'après la liquidation de la deuxième compagnie aérienne française, chacun en appelle à une régulation plus forte dans le secteur aérien, vous annoncez la privatisation d'Air France et Aéroports de paris.

Vous convoquiez pourtant hier, dans un tour de table très médiatique, les entreprises de votre tutelle, au premier rang desquelles Air France et Aéroports de Paris, pour reclasser une partie des 3 200 salariés d'Air Lib.

Le statut d'Air France aurait-il du bon lorsque le Gouvernement tente de sauver la face et deviendrait-il honteux lorsque ce même Gouvernement répond aux injonctions du Medef ?

M. Jean-Louis Idiart - Très bien !

Mme Odile Saugues - Permettez-moi de vous dire que l'actionnaire majoritaire d'Air France n'a jamais fui ses responsabilités sociales et économiques. Peut-on en dire autant de M. Seillière et de la société Wendel ?

M. Jean-Pierre Blazy - Certainement pas !

Mme Odile Saugues - Répondant à l'invitation du Medef, le Premier ministre déclarait que « lorsqu'on a une idée, il faut se méfier de l'effet d'aubaine et de l'effet pervers ».

Cette mise en garde me semble tout à fait appropriée à ce projet de loi, même si l'idée de la privatisation d'Air France n'est pas nouvelle. Elle est même une vieille lune libérale, si j'en crois les prises de position de plusieurs membres du Gouvernement.

Je ne reviendrai pas sur celles de votre secrétaire d'Etat : elles ont le mérite de la constance.

J'évoquerai plutôt les déclarations du ministre du budget, rapporteur au Sénat en 1998, du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, dont l'article 51 prévoyait l'ouverture du capital de la compagnie : « Les tutelles qui pèsent sur Air France ralentissent les décisions et entravent les mesures d'adaptation qui se révéleraient nécessaires. Les choix industriels peuvent être biaisés et la dialogue social est vicié ».

Quel tableau ! Quel regard sur l'une des plus belles compagnies aériennes du monde, capable de résister à la plus sérieuse des crises du transport aérien, après le 11 septembre 2001...

Effet d'aubaine, effet pervers... Décidément, votre projet de loi n'échappe pas à ces deux travers.

Il organise le bradage d'un des fleurons de notre économie pour permettre au Gouvernement de boucler un budget insincère, et ce au pire moment, alors que la tension internationale n'a jamais été aussi forte, que la guerre n'a jamais été aussi proche.

Il le fait alors que le secteur aérien est encore secoué par la crise, comme en témoignent les suppressions massives d'emplois chez Delta Airlines et la disparition d'Air Lib. Il le fait alors que l'aménagement du territoire va considérablement souffrir du désengagement de l'Etat de projets d'infrastructures majeurs. Il le fait alors que la construction de l'Europe sociale reste, dans le transport aérien, embryonnaire. Il le fait, enfin, alors qu'Air France connaît une vraie stabilité sociale et que ses personnels, qui ont fortement contribué au redressement, vont subir une phase d'incertitude qui débouchera sur la remise en cause de nombreux acquis sociaux.

Toutes ces considérations devraient inciter le Gouvernement à la prudence et à la sagesse. La prudence nous est malheureusement commandée par le contexte international. La sagesse, c'est de constater qu'Air France a su évoluer en conciliant l'ouverture à la concurrence et le progrès social, notamment grâce à un cadre législatif nouveau.

Otage de l'idéologie de votre majorité, vous prenez le risque de briser cet équilibre fragile.

Le groupe socialiste s'y opposera. Les forces de gauche s'y opposeront, au nom du progrès social, de l'intérêt public et de l'aménagement du territoire.

Nous espérons donc que le bon sens l'emportera sur les postures dogmatiques, car contrairement à vous, nous considérons que « dans tous les domaines, l'aviation peut donner à la France le moyen de mieux accomplir son destin » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Ministre - Je tiens à répondre à Mme Saugues, car je suis un peu peiné pour elle (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) pour tenir un certain temps à la tribune (Mêmes mouvements), elle a enchaîné des arguments de portée très différente. Aussi élaguerai-je de son propos les plus polémiques - et Dieu sait qu'il y en avait - pour ne retenir que les arguments qui, sans m'atteindre, m'ont touché, notamment sur l'aménagement du territoire et les missions d'intérêt général.

Les déclarations de M. Spinetta dont vous avez fait état remontent à 2001, année où le statut était déjà celui d'aujourd'hui, avec un Etat majoritaire. Lorsque, donc, vous faites tenir à M. Spinetta des propos alarmants sur l'aménagement du territoire, ce n'est pas le statut qui est en cause. Si les lignes non rentables peuvent être aidées par des subventions, toutes les compagnies, sans distinction de statut, y sont éligibles puisqu'elles peuvent répondre aux appels d'offres. Je vous vois hocher la tête. Puis-je donc espérer que vous abandonnerez cet argument dans la suite du débat ?

Quant aux vols humanitaires ou au rapatriement de ressortissants français, ils peuvent toujours s'effectuer par contrat, voire par réquisition, quels que soient la compagnie et son statut. Ce n'est donc pas le statut qui fait la mission, mais la réquisition, l'appel d'offres ou le contrat. Vous trouvez, Madame Saugues, tant et plus d'inconvénients à la privatisation, mais la loi de privatisation n'est pas celle d'aujourd'hui : c'est celle de 1993, que vous avez eu cinq ans pour abroger !

Notre texte donne un formidable coup d'accélérateur.

M. Jean-Paul Bacquet - Aux licenciements !

M. le Ministre - ...et lève un frein : en 1997, les alliances avec Alitalia et Iberia ont achoppé sur le statut d'entreprise à majorité franco-française, à capitaux d'Etat, qui peut rebuter des entreprises n'ayant pas le même, et craignant que l'Etat français décide de ne pas procéder, par la suite, aux augmentations de capital éventuellement nécessaires, faute d'en avoir les moyens.

On le voit, le projet lèvera le frein au développement qui handicape la compagnie. Ce sera aussi un formidable accélérateur social, puisque les salariés auront la possibilité d'acheter des actions à un cours privilégié.

On est loin, donc, de l'épouvantail que vous avez agité trois quarts d'heure durant ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Bernard Roman - En fait l'élagage, nous n'avons pas eu de réponse sur le fond !

M. le Rapporteur - Comment, Madame, pouvez-vous prétendre parler au nom des salariés d'Air France, alors que les représentants de trois des syndicats de la compagnie - le SNPL, le principal syndicat des PNC et le syndicat CGC du personnel au sol - m'ont dit ne pas être opposés à la privatisation ? Savez-vous que la proportion de grévistes, aujourd'hui, à Air France, est de 5 % ?

M. Jean-Louis Idiart - Attendez la suite !

M. le Rapporteur - Comme tout démocrate, je considère qu'il faut écouter les gens, mais j'estime aussi que l'on ne peut parler en leur nom pour dire le contraire de ce qu'ils expriment.

D'autre part, je suis très surpris que la porte-parole du groupe socialiste ne dise pas toute la vérité sur la teneur de la décision rendue le 24 juillet 1994 par la Commission européenne, à savoir que la contrepartie de la dotation de 20 milliards de francs était l'engagement de privatiser la compagnie !

M. Christian Blanc - C'est exact.

M. le Rapporteur - Autrement dit, nous ne faisons aujourd'hui que mener à son terme un engagement souscrit il y a plusieurs années, et que le Gouvernement que vous avez soutenu a d'ailleurs contribué à respecter en ouvrant le capital d'Air France en 1999.

S'agissant du statut, vous oubliez de dire, Madame, que grâce aux présidents Blanc et Spinetta, le dialogue social s'est si bien renforcé dans l'entreprise que la négociation collective ressemble désormais à s'y méprendre à celle qui peut se dérouler sous l'emprise d'une convention collective. A la vérité, ce que nous proposons se traduira par un progrès social, puisque direction et syndicats pourront désormais négocier sans devoir en référer à la DGAC, c'est-à-dire à la tutelle.

Comment, encore, prétendre que la privatisation d'Air France rendrait impossible tout accord d'aménagement du territoire alors que de tels accords - négociés par le Gouvernement précédent - ont été signés tant avec Air Littoral qu'avec une autre compagnie privée ?

Quant à l'accord capitalistique entre Air France - et ce peut être vrai de tout autre compagnie aérienne européenne - et Delta Airlines, il serait sans avantage aucun, puisque, selon le droit américain, aucune compagnie étrangère n'est autorisée à détenir plus de 25 % du capital d'une compagnie aérienne américaine. Quel intérêt pour Air France ? Mieux vaut utiliser les ressources disponibles pour investir dans les quelques compagnies aériennes européennes qui ne sont pas encore privatisées et, par exemple, dans Alitalia, qui le sera sous peu, car M. Berlusconi y tient.

M. François Asensi - S'allier aux man_uvres d'un facho !

M. le Rapporteur - L'Italie est un pays démocratique, qui s'est dotée d'un gouvernement démocratiquement élu.

Je puis comprendre que le projet vous trouble et vous pose problème. A moi, il n'en pose pas. Quoi qu'il en soit, l'inexactitude des propos ne sert pas la cause.

M. Jean-Louis Idiart - Le ton des réponses qui ont été faites à Mme Saugues, dont l'argumentation était pourtant solidement étayée, m'a paru déplaisamment méprisant. C'est une manière choquante d'aborder un débat que nous souhaitions engager dans la sérénité.

Sur le fond, si nous n'avons pas annulé la loi de 1993, c'est que nous avions d'autres priorités (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. le Rapporteur - L'argument est de poids...

M. Jean-Louis Idiart - Au moment où il fallait mettre sur pied la CMU et les emplois-jeunes, nous nous préoccupions assez peu de ce qu'avaient fait MM. Balladur et M. Juppé - le second estimant d'ailleurs « calamiteuse » l'action du premier. Quant à la Commission européenne, disons, si l'on veut être précis, qu'elle a demandé à la France d'engager le mouvement de privatisation, et non de privatiser (M. le rapporteur montre des signes d'amusement). Enfin, dites-nous précisément comment l'Etat pourra peser en faveur de l'aménagement du territoire, face à une compagnie entièrement privatisée ?

Le groupe socialiste votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. François Asensi - Le groupe des communistes et républicains, votera la question préalable. J'ai été pour le moins surpris par les propos du ministre et du rapporteur, qui parlent de « formidable accélérateur social » et qui affirment que le texte découle de la loi de privatisation de 1993. Mais sur quoi sommes-nous appelés à nous prononcer aujourd'hui, sinon sur le changement de propriété ?

M. le Rapporteur et M. le Ministre - Mais non !

M. François Asensi - Mais si ! Le projet entérine le passage d'une propriété majoritairement publique à une propriété majoritairement privée, alors même que l'appel au marché ne peut se faire en ce moment, faute d'obtenir une rémunération suffisante...

M. le Ministre - C'est exact.

M. François Asensi - ...ou alors, il s'agirait d'une braderie, dont l'anticonstitutionnalité serait flagrante.

Mention a été faite par le rapporteur de ce qui serait l'opinion des salariés. Mais comment peut-il se prévaloir d'informations suffisantes, alors qu'il n'a reçu que trois syndicats de la compagnie ? Pour ma part, j'ai reçu les représentants des syndicats CFDT, CGT et FO, qui m'ont remis une pétition signée par 14 000 salariés d'Air France, contre la privatisation ! La consultation annoncée du personnel sur la privatisation n'a pas eu lieu ; le moins que l'on puisse dire, c'est que la concertation n'est pas allée à son terme ! Or, quelles que soient vos astuces de présentation, vous allez bien modifier la propriété d'Air France, au motif, purement dogmatique, que le salut passe par la privatisation ! C'est casse-cou, Monsieur le ministre, car il est bien périlleux de lancer ainsi toute la filière aéronautique française dans l'aventure (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. François Goulard - Le groupe UMP rejettera cette motion, et je n'ai pas grand-chose à ajouter aux interventions de M. le ministre et de notre rapporteur. Peut-être puis-je seulement inviter certains de nos collègues à lire le texte ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) La privatisation, ce n'est pas cette loi, mais celle de 1993 !

M. Jean-Pierre Blazy - Fallacieux !

M. François Goulard - Si l'entrée de capitaux privés est à ce point condamnable, si le statut public d'Air France est à ce point nécessaire, pourquoi le gouvernement de Lionel Jospin a-t-il ressenti la nécessité d'« ouvrir le capital » en 1999 ? Cet entre-deux n'a aucun sens !

Plusieurs députés socialistes - Cela n'a rien à voir !

M. François Goulard - Quant à Mme Saugues, elle a voulu tenir son temps (« Quel mépris ! » sur les bancs du groupe socialiste) ...et ne nous aura finalement épargné que la lecture des horaires ! (Sourires sur les bancs du groupe UMP ; murmures sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Odile Saugues - Si vous ne souffrez aucune opposition, utilisez le 49-3 !

M. François Goulard - Ses arguments tendant à démontrer le rôle d'Air France dans l'aménagement du territoire ne tiennent pas. Ils ne correspondent pas à la réalité et je m'en félicite. Air France n'a pas vocation à sacrifier sa compétitivité pour jouer un rôle d'aménageur. Du reste, la puissance publique peut parfaitement s'appuyer sur des entreprises privées pour remplir des missions de service public, assurer des dessertes ultramarines ?? ou répondre aux exigences nées de circonstances exceptionnelles.

Et puis, Madame Saugues, il faut mesurer vos expressions. Peut-on parler de « passage en force » pour un texte soumis au vote du Parlement ?

Autre argument des plus fallacieux, le secteur aéronautique, parce que menacé, ne devrait pas quitter le giron de l'Etat pour continuer à bénéficier de la protection de l'actionnariat public. Faut-il en déduire que l'Etat devrait se porter actionnaire majoritaire de toutes les entreprises en difficulté ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Si tel était le cas, que n'avez-vous nationalisé lorsque vous étiez aux affaires ? Vous avez heureusement eu plus de bon sens et nous nous en félicitons. Il est en effet particulièrement inepte de soutenir que la propriété du capital doit rester publique parce que le secteur rencontre des difficultés. La logique veut au contraire que les entreprises agissant dans des secteurs hautement concurrentiels soient détenues par des capitaux privés.

Le groupe UMP repoussera cette motion de procédure (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Christian Blanc - J'ai été frappé par l'ampleur du travail réalisé par Mme Saugues, et notamment par la qualité de la documentation qu'elle a recueillie. Connaissant un peu le dossier, je mesure son mérite et j'ai un peu envie de la remercier (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste).

On ne sera cependant pas surpris que je ne la suive pas dans sa démonstration car un chef d'entreprise, dans un contexte d'économie mondialisée, ne peut raisonner comme elle vient de le faire. Les marchés sont régis par des règles de concurrence et de compétitivité que l'on ne peut ignorer. On peut les rejeter. On peut vouloir les réguler de manière plus ou moins forte mais elles s'imposent à nous. La France, pays important mais non pas dominant dans le secteur aéronautique, ne peut méconnaître les règles du jeu. Pour être compétitive, elle doit s'adapter et cette conviction de base m'interdit de m'associer à cette question préalable.

Il est urgent de donner à Air France une visibilité élargie et de nouvelles possibilités d'action stratégique. Seule la privatisation lui permettra de se développer.

Les hasards de mon itinéraire personnel ont voulu que je sois au c_ur de la négociation, à Bruxelles, des accords de recapitalisation. La Commission européenne avait lié l'augmentation du capital au démarrage d'un processus de privatisation de la compagnie. La notification ne fixait pas de délai mais les autorités françaises devaient prendre l'engagement d'aller vers la privatisation. Je n'ai pas eu de confidence du gouvernement précédent à ce sujet, mais l'on peut imaginer que s'il n'est pas revenu sur la loi de 1993, c'est parce que cela l'aurait conduit à reconnaître que le processus que la France s'était engagée à mener à bien était arrêté.

Regardons la situation actuelle : si demain matin - et l'hypothèse n'est pas irréaliste - Air France avait besoin d'une augmentation de capital, la puissance publique ne serait pas en mesure d'y procéder car cela serait assimilé à Bruxelles à une aide d'Etat, et la France serait vraisemblablement condamnée.

La privatisation d'Air France est une nécessité. Ceux qui n'aiment pas cette idée doivent tout de même s'y résoudre car elle est inéluctable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. François Goulard - S'agissant de la privatisation d'Air France, la loi de 1993 a tout dit, et même si M. Idiart a tenté de nous convaincre que le propos de M. Jospin n'était pas de casser les lois précédentes, on ne peut ignorer que, non content de ne pas l'abroger, son gouvernement a procédé à une nouvelle ouverture du capital en 1999.

Notre rapporteur a été clair, et, au risque de surprendre, je vous le dis tout net : nous ne sommes pas collectivistes ! (Sourires) Si une entreprise appartient au secteur concurrentiel et s'il n'y a pas de monopole naturel, il n'y a aucune raison pour qu'elle reste publique. Au reste, tous les pays du monde l'ont compris, puisqu'à l'exception d'Alitalia et de SAS, toutes les compagnies aériennes sont des entreprises privées ! L'exception françaises a d'autant moins cours qu'elle présente des inconvénients majeurs. Ainsi, même en considérant que la qualité de ses dirigeants a permis de faire face à la conjoncture, le maintien de la compagnie dans le giron de l'Etat a pesé sur le contribuable. A cet inconvénient majeur, s'ajoute le risque que vient d'évoquer M. Blanc. L'entreprise n'est pas à l'abri d'un besoin de recapitalisation. Outre les obstacles communautaires, est-ce au contribuable de supporter le risque ? Il s'agit d'un risque d'actionnaire, qui ne doit pas peser sur la collectivité. A l'évidence, le contribuable est menacé lorsqu'une entreprise publique se maintient dans un secteur concurrentiel. En outre, cette situation génère une distorsion de concurrence que rien ne justifie. Ne nous demandez pas de privilégier une approche collectiviste ! Certes, il existe des entreprises publiques bien gérées et des entreprises privées mal dirigées, mais chacun s'accorde à reconnaître qu'une entreprise dont le capital est contrôlé par l'Etat ne dispose pas de la même liberté pour nouer des alliances capitalistiques ou pour se développer à l'international. Maintenir Air France dans le giron de l'Etat, c'est handicaper cette entreprise, toutes tendances politiques confondues - ceux qui connaissent bien le secteur en conviennent.

Le texte comporte des dispositions techniques bien pensées. Celles qui tendent à substituer la convention collective au statut actuel sont ainsi de nature à encourager la négociation collective, au reste déjà largement inscrite dans la réalité sociale de l'entreprise.

Les dispositions relatives au capital de l'entreprise sont nécessaires en raison des contraintes imposées par le règlement communautaire de 1992 et des accords bilatéraux conclus dans le cadre de la convention de Chicago de 1944, même si l'application de l'arrêt du 4 juin 2002 de la Cour de justice européenne entraînera peut-être des modifications.

Enfin, je formule le souhait que l'on accentue encore la concurrence dans le transport aérien. La gauche décrie les compagnies à bas coûts. Mais la variété dans l'offre, malgré certains inconvénients, est dans l'intérêt des consommateurs, et des plus modestes en premier lieu. Il ne serait donc pas mauvais de favoriser cette concurrence en ce qui concerne les créneaux d'atterrissage.

Pour conclure, je rends hommage à l'excellent travail des rapporteurs et je remercie le ministre pour la qualité exemplaire des échanges qui ont eu lieu avec lui et avec ses services (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Victorin Lurel - Il serait bon, dans ce débat, de ne pas discréditer vos interlocuteurs. Souffrez donc que, sans être spécialiste du transport aérien, je fasse entendre ma petite musique et ma différence. Pour l'outre-mer, le transport aérien est un moyen essentiel de développement et de désenclavement. Or il nous semble indécent, dogmatique, aberrant même de privatiser Air France aujourd'hui.

Après la seconde guerre, dans les îles micronésiennes, les habitants avaient peur de ne pas voir arriver le cargo - les anthropologues ont parlé du « culte du cargo ». On peut s'effrayer désormais de ne pas voir arriver le « cargo » d'Air France, une fois celle-ci privatisée.

Au moment où vous avez laissé assassiner Air Lib, qui desservait l'outre-mer, privatiser Air France est une véritable indécence. Et en même temps, vous lui demandez de respecter les obligations d'une entreprise publique en reprenant un millier des 3 200 licenciés d'Air Lib. L'entreprise publique, pour vous, c'est mauvais, mais quand il s'agit de reprendre le personnel d`une entreprise privée, elle a des qualités ! Evidemment, les salariés d'Air France s'inquiètent pour leur avenir, s'ils doivent être traités ainsi plus tard...

Autre indécence, en même temps que vous privatisez, vous décidez de créer ex nihilo une compagnie spécialement consacrée à l'outre-mer, où personne ne comprend cette démarche. Pour l'instant, d'ailleurs, la continuité territoriale n'est pas assurée.

Vous prétendez aussi que la convention collective donne autant de garanties que le statut. Si c'était une si bonne chose pour les salariés, vous auriez dû les consulter.

Air France est un succès économique et commercial pour la France. Ne dites pas que seule la qualité de ses responsables y est pour quelque chose. Si Air France a résisté pendant la crise, qui fera croire que le statut, avec ce qu'il signifie pour le personnel, y est pour rien ?

M. Jean-Claude Lefort - Très bien !

M. Victorin Lurel - L'idéologie vous aveugle : pour vous, toute entreprise publique est mauvaise, il n'est de bon que le privé, et dès lors qu'il y a concurrence, il n'y a pas de service public possible. Or, un service public peut évidemment être assuré par le privé, mais aussi par une entreprise publique.

De surcroît vous abrogez à l'article 6 des dispositions qui relèvent du droit communautaire, et vous nous enfermez ainsi dans notre insularité, sans assurer la liberté de circulation. Pour août, le billet d'Air France coûte 1 300 €, celui de Corsair 1 200 € et tout est déjà pris ! Si, en tant que député, je peux voyager facilement grâce aux faveurs de la République, ce n'est pas le cas du premier venu. On a simplement pris des dispositions en faveur des étudiants, déjà pris en charge par le conseil général, mais on ne fait rien pour les publics fragiles, âgés ou handicapés.

La privatisation serait faite, nous dit-on, pour notre bonheur. Mais outre-mer l'Etat est absent depuis neuf mois et la continuité territoriale n'est pas assurée, alors que c'est une obligation constitutionnelle. Ce n'est pas une entreprise privée qui l'assurera !

Le groupe socialiste s'oppose donc à ce projet, et en particulier ses élus d'outre mer. En quelques jours, 5 000 personnes ont adhéré à un collectif d'Antillais et de Guyanais qui dénonce la faillite d'Air Lib et l'attitude du Gouvernement et demande une baisse des tarifs aériens pour assurer notre développement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Christian Blanc - Nous sommes favorables à ce projet qui va aboutir à la privatisation d'Air France, après l'interruption du processus en 1997. La privatisation, en effet, aurait dû avoir lieu en février 1998, dans des conditions de marché infiniment meilleures que celles de 2003.

M. Jean-Claude Lefort - Mais il y a eu la dissolution !

M. Christian Blanc - Il y a eu, en effet, cette initiative du Président de la République, que je ne qualifierai ni d'heureuse ni de malheureuse... (Sourires)

La privatisation devait intervenir à la fin d'une période de redressement qui a permis à l'entreprise d'enregistrer ses premiers bénéfices depuis dix ans. La grande majorité du personnel, je l'affirme, avait admis la nécessité de cette privatisation. Et, à ma connaissance, la position du personnel est toujours la même.

M. Jean-Claude Lefort - Il faudrait le consulter !

M. Christian Blanc - On ne peut parler indifféremment de secteur public, de service public et de mission de service public. Une entreprise du secteur public est une société dont le capital est détenu par l'Etat ou par une collectivité territoriale. Un service public est une administration, une entreprise, une entité qui exerce une mission d'intérêt général, définie par la loi ou le règlement.

J'ai été un ardent défenseur de la modernisation de ce service public qu'est la RATP, dont la mission a une dimension sociale. Le plus souvent, les missions de service public sont exercées par des entreprises du secteur public, mais une entreprise privée peut aussi assurer des missions que lui confient l'Etat ou des collectivités territoriales. Demain, Air France pourra toujours effectuer des missions de service public en assurant la continuité territoriale.

Je veux insister sur la vulnérabilité, la fragilité des entreprises de transport aérien. Il s'agit d'un des secteurs les plus concurrentiels, où s'exerce une concurrence mondiale. Qu'il s'agisse des coûts, des prix, de la fidélisation de clients, un transporteur international ne peut se permettre de se laisser distancer. Durant les décennies précédentes, les ajustements structurels ne pouvaient attendre plus d'un ou deux ans ; c'est maintenant en quelques mois qu'il faut réagir.

Le « benchmarking », c'est-à-dire la comparaison permanente avec la concurrence, est au c_ur du métier. L'arrogance, c'est-à-dire le refus de se comparer, est, dans le transport aérien tout particulièrement, un ennemi mortel.

Après la deuxième guerre mondiale, qui aurait pu penser que la Panam, la compagnie mythique des films hollywoodiens, allait disparaître ?

M. Jean-Claude Lefort - Ce n'était pas une compagnie publique !

M. Christian Blanc - Qui, il y a encore dix ans, aurait imaginé la disparition de Swissair ?

M. Jean-Claude Lefort - Encore une compagnie privée !

M. Christian Blanc - Attendez la suite... (Sourires). En 1994, Air France était au bord du dépôt de bilan. Il y a même eu ici un débat, au cours duquel des parlementaires exigeaient le dépôt de bilan de la compagnie. Sans sa recapitalisation in extremis par l'Etat, qui jouait enfin son rôle d'actionnaire, et sans l'extraordinaire sursaut du personnel, qui a accepté par référendum la restructuration du métier, des réseaux et du management, Air France n'existerait plus. Et pourtant, il s'agissait d'une entreprise publique ! (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Entre 1994 et 1997, la productivité d'Air France s'est améliorée de 56 %. Ce chiffre n'a jamais été révélé, je le donne ici pour la première fois.

La compagnie s'est redressée grâce à l'intelligence collective des salariés et à la qualité du management, mais aussi grâce à l'Etat, qui a accepté de considérer que les déficits consolidés équivalaient au montant de la recapitalisation.

M. Jean-Claude Lefort - Voilà !

M. Christian Blanc - Et alors ? Les principaux concurrents d'Air France savent bien que, grâce à l'efficacité du « hub » de Roissy-Charles-de-Gaulle et aux alliances qui se préparaient en 1997, la compagnie française, si elle avait été privatisée, serait aujourd'hui leader en Europe, et vraisemblablement la quatrième compagnie mondiale (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Il n'est pas dans mon propos de rechercher les responsabilités, mais force est de constater que le refus de privatiser en 1998, n'a pas permis à Air France de se développer (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

C'est pourquoi la privatisation est nécessaire, bien que tardive. Il faut donner à Air France les moyens de lutter à armes égales avec ses concurrents.

Nous voterons donc ce projet, avec un simple regret : le nombre excessif de représentants syndicaux au conseil d'administration (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Ils seront six, ce qui oblige à constituer un conseil d'administration pléthorique, de plus de vingt membres : les pilotes, les personnels navigants commerciaux, les cadres et les « autres personnels ». Mais les mécaniciens, les ouvriers, qui sont plus de 10 000, et qui font partie de ces « autres personnels », n'ont-ils pas autant d'importance que les trois premières catégories ?

Vous restez, et je le regrette, dans une logique de corporations. Or un conseil d'administration, pour être efficace, ne doit pas compter plus de dix ou quinze membres. Le risque est de renforcer encore les corporatismes, de transformer le conseil d'administration en un second comité d'entreprise, et de porter atteinte à la cohésion de l'entreprise. Vous auriez pu l'éviter.

En revanche, un actionnariat salarié plus important permettrait d'associer davantage le personnel au développement de l'entreprise.

Je salue néanmoins la qualité de ce texte et celle du travail réalisé par le ministre, ses collaborateurs et les rapporteurs.

Le projet garantit la pérennité d'un capital français ou communautaire. C'est peut-être ce point essentiel que retiendra l'Histoire.

Le groupe UDF le votera.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir à 21 heures 15.

La séance est levée à 19 heures 45.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

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ERRATUM

au compte rendu analytique de la 1ère séance du mercredi 5 mars.

Dans la réponse de Mme Claudie Haigneré à la question de M. Bernard Deflesselles sur le projet ITER, lire à la fin du premier paragraphe :

« le Japon, l'Espagne, le Canada ».


© Assemblée nationale