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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 80ème jour de séance, 195ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 29 AVRIL 2003

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

DÉREMBOURSEMENT DE MÉDICAMENTS 2

LAÏCITÉ 3

SITUATION ÉCONOMIQUE 4

SURENDETTEMENT 5

LOI DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE 5

POLITIQUE PÉNALE ET RÉINSERTION 6

DÉREMBOURSEMENT DE MÉDICAMENTS 7

POLITIQUE FAMILIALE 8

SÉCURITÉ ROUTIÈRE 8

DÉCENTRALISATION AU SEIN DE L'ÉDUCATION NATIONALE 9

GARDE D'ENFANTS 10

PRÉSIDENCE FRANÇAISE D'EURÊKA 11

SIMPLIFICATION ET CODIFICATION
DU DROIT 11

EXPLICATIONS DE VOTE 16

SÉCURITÉ FINANCIÈRE 19

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 29

La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

DÉREMBOURSEMENT DE MÉDICAMENTS

Mme Janine Jambu - Monsieur le ministre de la santé, votre décision unilatérale de dérembourser plus de six-cents médicaments ne relève en aucune manière d'un souci de santé publique, mais bien plutôt de cette formule : payez, et vous serez soignés. En catimini, vous avez décrété une baisse sensible du remboursement de médicaments couramment prescrits, y compris un vaccin important pour les jeunes enfants, le DT-Coq. Huit-cents autres médicaments ne devraient plus être remboursés prochainement.

Cette mesure conduit à reporter doublement la charge des dépenses de santé sur les assurés sociaux qui subiront une diminution de leur prise en charge et une augmentation de leurs cotisations de couverture complémentaire maladie. Elle ne tient pas compte de la difficulté essentielle de la protection sociale : l'insuffisance des recettes.

Ce stratagème qui vise à culpabiliser l'assuré et le médecin est inadmissible. Il faut trouver des ressources supplémentaires qui prennent en compte les richesses produites dans notre pays.

Cette décision correspond à la réforme de fond de la sécurité sociale préparée par le Gouvernement selon le rapport Chadelat, suggérant trois niveaux de prise en charge des dépenses de santé et ouvrant la voie à la privatisation rampante de la sécurité sociale.

Hier, vous reconnaissiez la fatalité de la croissance des dépenses ; aujourd'hui, vous accentuez leur plafonnement pour mieux justifier demain la place croissante qui sera laissée au financement privé.

Où est passé votre souci de favoriser l'accès de tous aux soins et le droit de tous d'être soigné dignement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur de nombreux bancs du groupe socialiste)

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - Publication et catimini ne s'accordent pas, d'autant que nous avons discuté de la politique des médicaments lors du PLFSS - reportez-vous au Journal officiel de la séance du lundi 28 octobre.

M. Maxime Gremetz - Nous n'étions pas d'accord !

M. le Ministre - Je ne dis pas que nous étions d'accord, je dis que nous avons traité du sujet. Par ailleurs, les industriels et la mutualité ont été saisis, et ce débat a duré cinq mois.

Je ne peux laisser dire que cette décision ne relève pas de la santé publique. Vous me parlez du DT-Coq, mais aujourd'hui on utilise le Pentacoq. Pour ce qui est du Voltarène, nous supprimons les suppositoires dont l'efficacité n'est pas prouvée, tandis que nous maintenons le remboursement des cachets. On dérembourse le Vogalène ? Ce médicament a des effets secondaires que des produits plus modernes n'ont pas.

Un médicament naît, se développe, et puis un jour il est remplacé. C'est ainsi que parallèlement nous offrons de nouveaux remboursements de médicaments contre le cancer - 30 000 € par an et par personne - la polyarthrite rhumatoïde, la sclérose en plaques - 12 000 € par personne et par an -, la maladie d'Alzheimer, l'hépatite C.

Nous avons choisi de mettre l'argent des Français là où il est le plus efficace (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). La responsabilité politique, cela consiste à faire des choix. Nous choisissons de rembourser des médicaments nouveaux et efficaces contre des maladies graves (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

LAÏCITÉ

M. François Baroin - Chaque jour apporte la preuve de l'actualité du thème de la laïcité. Des guerres sont menées au nom de Dieu ; les conventionnels européens s'interrogent sur la notion de l'héritage religieux dans la future Constitution ; l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne suscite un vif débat.

Le développement des communautarismes s'oppose au projet républicain d'intégration et remet en cause notre conception de l'humanisme à travers la liberté de conscience et le droit des femmes.

Que faire quand une élève avocate demande à garder son voile pour prêter serment, quand un élève refuse de passer un examen lorsque le professeur est une femme, quand une jeune fille renonce à se faire soigner parce que le médecin est un homme, quand des enseignants ne peuvent plus enseigner telle ou telle partie du programme ?

N'est-il pas temps de réaffirmer une idée simple : la laïcité est la première sentinelle et le dernier rempart de l'unité de la nation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF, sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Préserver la loi de 1905 et ses principes fondamentaux me paraît essentiel. Comment permettre alors aux représentants de l'Etat, en particulier dans le secteur de l'éducation nationale, sanctuaire républicain, de ne pas vivre dans une insécurité juridique quasi quotidienne ? Le flou et l'ambiguïté sont les fidèles alliés des fondamentalistes en tous genres. Voilà des convictions qui ne sont pas que celles de la majorité. Alors, Monsieur le Premier ministre, quelle forme pourra prendre cette clarification, et quels seront les délais ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - Dieu est un mystère, ce n'est pas une investiture (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

André Malraux nous a annoncé que le XXIe siècle serait religieux. Nous ne devons pas avoir peur des religions, à condition qu'elles acceptent le principe supérieur d'organisation républicaine qu'est le principe de laïcité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

S'il n'est pas choquant que l'être humain s'interroge sur l'origine de sa liberté, sur ses capacités de dépassement, il n'en va pas de même dès lors que l'on utilise la religion à des fins politiques, et pour organiser des communautarismes.

La laïcité, c'est la liberté de conscience et l'égalité entre toutes les religions.

Le professeur, dans sa classe, n'enseigne pas à des catholiques, des protestants, des musulmans ou des juifs, mais à de jeunes Français membres de la communauté républicaine (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Je souhaite que le centenaire de la loi de 1905 donne lieu à de vastes débats. Nous avons ainsi confié à l'Institut de France le soin d'animer des réflexions entre toutes les parties prenantes de la société. En tout cas, nous ne reviendrons pas sur la loi de 1905, qui garantit la laïcité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Un débat sur l'école, espace premier de la République, est engagé. Nous devons veiller à ce que les valeurs républicaines y soient préservées, et qu'il n'y ait pas de signes ostentatoires de communautarismes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

A l'issue de ce débat, lorsque nous réviserons la loi de 1989, la question se posera de la protection de l'école contre les dérives communautaristes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Faisons en sorte de donner plus de force au concept de laïcité, autour duquel le consensus national doit s'affirmer (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

SITUATION ÉCONOMIQUE

M. Jean-Marc Ayrault - Je suis désolé de vous ramener à de dures réalités (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

L'INSEE vient d'annoncer un recul de la croissance au dernier trimestre de 2002. Le déficit a franchi la barre des 3 % ; depuis votre arrivée au pouvoir, notre pays compte 100 000 chômeurs de plus. Selon l'INSEE, la situation se dégradera encore.

A votre habitude, vous nous opposerez la conjoncture internationale et l'héritage (« Oui ! » sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Alors, expliquez-nous pourquoi la croissance française était systématiquement supérieure à la moyenne européenne entre 1997 et 2001 et pourquoi elle est aujourd'hui inférieure ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Expliquez-nous pourquoi votre politique de baisse d'impôts et de charges n'a eu aucun effet sur la croissance et la consommation, de l'aveu même de votre ministre des finances ? Comment allez-vous relancer la machine quand vous gelez ou annulez les crédits d'investissements publics pour l'emploi, l'éducation, la recherche, le logement, l'équipement ?

Vous venez d'annoncer des mesures pour le plan-famille et vous n'avez pas un centime d'euro pour les financer alors que le déficit de la sécurité sociale est sur la pente des dix milliards d'euros. Expliquez-nous pourquoi vos grandes réformes appellent toujours les mêmes - salariés, retraités et assurés sociaux - au sacrifice. Allez donc expliquer aux agents des services publics au nom de quels principes d'égalité et d'efficacité vous les désignez comme les boucs émissaires (Protestations sur les bancs du groupe UMP) des difficultés que vous avez vous-même créées : suppressions d'effectifs, gel des rémunérations, décentralisation forcée, mise en cause de leurs régimes de retraites. Ce n'est pas l'Etat stratège, c'est l'Etat mendiant, l'Etat de l'hyper-impuissance !

Il est temps de sortir de votre bulle de communication et du pathos de vos déclarations ! Votre action conduit jour après jour à la rupture de confiance. Le courage n'est pas de s'entêter dans une politique d'échec comme vous le faites, mais de changer cette politique !

Je vous ai écrit il y a quelques semaines pour vous demander l'actualisation de l'audit que vous aviez commandé. J'attends toujours la réponse (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) ! Je vous ai également demandé quand vous présenteriez une loi de finances rectificative. Vous ne répondez toujours pas ! Pourtant, il serait temps de dire la vérité aux Français ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Il n'est pas correct d'imputer à une politique qui commence les conséquences d'une situation économique qui affecte tous les pays. Il ne l'est pas davantage de prétendre que la croissance française est inférieure à la croissance européenne : c'est faux !

Ce qui est vrai, c'est que la croissance exceptionnelle des quatre dernières années a été largement gaspillée dans notre pays (Protestations sur les bancs du groupe socialiste ; vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Ce qui est vrai, c'est qu'une politique se juge dans la durée, et que quelles que soient les difficultés à court terme - que nous ne mésestimons pas - nous avons confiance dans notre démarche. Elle encourage l'initiative des acteurs économiques en garantissant les conditions de son efficacité. La hausse des SMIC au 1er juillet prochain augmentera de 5 % le pouvoir d'achat des salariés les moins bien lotis (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Loin de prendre aux pauvres pour donner aux riches, cette politique est cohérente et se mène sur le long terme. Ce n'est qu'à terme qu'on jugera de son efficacité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

SURENDETTEMENT

M. Jean-Christophe Lagarde - Monsieur le ministre délégué à la ville, vous avez annoncé hier la création d'une procédure de redressement personnel semblable à ce qui existe déjà en Alsace-Moselle. C'est une mesure économiquement et socialement urgente : trop nombreuses sont les personnes surendettées qui, en France, se trouvent plongées dans la spirale infernale de la peur et de l'humiliation. Les agios et les pénalités s'ajoutent sans fin aux dettes qu'elles ne peuvent déjà plus honorer, les poussant à prendre un crédit pour rembourser les intérêts du précédent. Dans mon département de Seine-Saint-Denis, plusieurs dizaines de milliers de familles se retrouvent ainsi privées de dignité, menacées d'éclatement et exclues du circuit économique, au détriment de la croissance.

Certains créanciers s'émeuvent de cette réforme qui déresponsabiliserait les emprunteurs. Mais ils sont souvent les premiers responsables du surendettement, eux qui prêtent à tour de bras à des familles dont ils n'examinent même pas les capacités de remboursement. Pire, le matraquage publicitaire des organismes de crédit à la consommation apparaît souvent à ces familles comme la seule planche de salut, mais c'est une planche pourrie qui les précipite dans l'abîme. Pour répondre aux inquiétudes de ces créanciers, il y a un moyen simple qui compléterait utilement votre courageuse réforme : rendre les organismes de prêt responsables des crédits qu'ils accordent, comme l'a proposé un amendement de l'UDF au Sénat, hélas repoussé. Evoluerez-vous sur ce sujet et sur les tarifications bancaires imposées à des personnes surendettées qui n'en ont vraiment pas besoin ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Jean-Louis Borloo, ministre délégué à la ville et à la rénovation urbaine - Un million de familles sont effectivement dans la spirale du surendettement (« L'Etat aussi ! » sur les bancs du groupe socialiste). Il ne s'agit pas, comme j'ai pu l'entendre, de gens irresponsables, mais de retraités ou de travailleurs, ouvriers, cadres, fonctionnaires qu'un accident de la vie - problème de santé, chômage, dépression, éclatement du couple - empêche de « faire le joint » à un moment donné pour la cantine scolaire, le crédit ou le logement.

Dix mille de ces familles surendettées nous ont écrit. Elles veulent, de bonne foi, rembourser leurs dettes. Mais la spirale infernale des pénalités, des procédures et de la guerre entre créanciers les met dans des situations impossibles. Il leur faut un plan qui tienne compte de leurs possibilités. Le but de ce complément de loi est de reconstruire les familles, de les sortir de l'assistance, de l'errance entre FSL et CCAS. Ce sera d'ailleurs l'un des gages du redémarrage de la croissance. Cette loi n'est pas pour les fraudeurs. Ce n'est pas une loi de l'irresponsabilité. Elle est généreuse et transparente. Elle protégera aussi le petit créancier.

S'agissant des organismes de crédit, je comprends votre intention. Gardons-nous cependant de désigner des boucs émissaires, au risque de restreindre le crédit.

Je n'ai qu'un regret, c'est que cette loi de la deuxième chance, déjà votée en 1997 sur proposition de Mme Neiertz, ait attendu cinq ans. Cinq ans dans la détresse, c'est très long ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

LOI DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE

M. Claude Goasguen - Monsieur le ministre de l'intérieur, vous avez publié le 24 mars la circulaire d'application de la loi de sécurité intérieure votée le 18 mars. Les résultats ne se sont pas fait attendre. Ce week-end, nous avons eu la satisfaction de voir arrêter des réseaux de proxénètes qui sévissaient depuis longtemps en région parisienne.

Cette loi n'est pas une loi répressive (« Mais si ! » sur les bancs du groupe socialiste). Elle réprime les proxénètes et dissuade le racolage. Après des années d'atermoiements, nous sommes nombreux à nous féliciter de la célérité avec laquelle vous l'avez appliquée.

Quels moyens juridiques entendez-vous mettre en _uvre pour l'application de la loi dans le domaine du proxénétisme ? De quels moyens matériels doterez-vous les services de police ? Quels sont les résultats de la lutte internationale contre les réseaux mafieux de proxénètes originaires notamment d'Europe centrale et de l'Est ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Vous avez raison, il ne sert à rien de voter des lois si elles ne sont pas appliquées (« Bravo ! » sur les bancs du groupe socialiste). C'était précisément vous que je visais ! (Rires sur les bancs du groupe UMP) Nous publierons donc tous les mois les résultats de l'application des nouvelles incriminations de la loi de sécurité intérieure. Nous avons longuement débattu, gauche et droite confondues, de la délicate question de la prostitution. Le constat est là : la situation ne cesse de s'aggraver, nous ne pouvons plus fermer les yeux. Certains nous ont demandé - avec raison - de ne pas faire des prostituées, avant tout victimes, des coupables en puissance. Voici les premiers résultats dans la capitale : grâce au délit de racolage, 57 proxénètes ont été arrêtés depuis le début de l'année à Paris, les prostituées collaborant avec la police pour dénoncer leurs tortionnaires. Six proxénètes albanais ont ainsi été mis sous les verrous la semaine dernière grâce à une malheureuse Roumaine. 28 prostituées parisiennes ont obtenu un permis de séjour assorti d'une autorisation de travail, parce qu'elles se sont engagées à abandonner la prostitution. Enfin, 12 prostituées bulgares en trois mois ont accepté de rentrer dans leur pays, et six autres l'ont demandé pour quitter l'enfer des trottoirs parisiens.

Nous allons généraliser ces méthodes dans toutes les grandes villes. Ici comme ailleurs, l'action vaut toujours mieux que l'immobilisme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

POLITIQUE PÉNALE ET RÉINSERTION

Mme Christine Boutin - Monsieur le Garde des Sceaux, la lutte contre l'insécurité requiert un système pénal équilibré, qui sanctionne les délits de façon effective et proportionnée tout en préparant la sortie de prison. Notre collègue Jean-Luc Warsmann relève, dans un rapport qu'il vous a remis hier, que trop de sanctions restent inexécutées, encourageant ainsi la récidive. Il faut donc restaurer la crédibilité de notre système de sanctions. La prison n'est pas la seule réponse aux infractions. Le développement des peines alternatives doit être poursuivi : elles sont souvent mieux adaptées et préparent mieux à la réinsertion, dans l'intérêt même de la société et des détenus. Je pense en particulier à la semi-liberté, aux travaux d'intérêt général et, dans certains cas, au bracelet électronique. Monsieur le Garde des Sceaux, que pensez-vous des propositions de notre collègue Warsmann et quels moyens seront accordés pour les mettre en _uvre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - C'est à ma demande que le Premier Ministre a confié cette mission à M. Warsmann. Nous avions en effet constaté que le taux d'inexécution des peines, en particulier alternatives à la prison, était extrêmement préoccupant. M. Warsmann avance dans son rapport le taux de 50 %, l'Inspection générale l'évaluait jusqu'à présent à 30 %. Quoi qu'il en soit, ce taux, trop faible, conduit les tribunaux à prononcer davantage de peines d'emprisonnement de courte, voire de moyenne durée. L'inexécution des peines est le point faible de notre système pénal.

Les nombreuses propositions de M. Warsmann pour y remédier présentent l'avantage d'être très concrètes. Certaines peuvent être mises en _uvre très rapidement et lorsqu'elles sont de nature législative, elles pourront être reprises par le biais d'amendements à des textes venant prochainement en discussion. Ainsi pourrait-on permettre aux tribunaux de condamner ab initio au port du bracelet électronique, alors que cela ne peut résulter aujourd'hui que d'un aménagement de la peine, et les inciter davantage à utiliser la semi-liberté comme première condamnation - je mobiliserai les Parquets en ce sens. Actuellement, 140 peines de ce type seulement sont prononcées chaque année, faute peut-être aussi d'information suffisante des juridictions - nous y remédierons. Les juges d'application des peines seront également déchargés de certaines tâches inutiles pour devenir de véritables juges du conflit.

Au-delà, nous devrons développer les travaux d'intérêt général, qui ont une grande vertu pédagogique, notamment auprès des plus jeunes, auxquels ils évitent souvent de récidiver. Dans l'esprit de ce que vous aviez vous-même suggéré, Madame la députée, en étudiant la situation de nos prisons, nous devrons faire en sorte de proposer, dès son entrée en prison, à chaque détenu, un parcours de réinsertion, le préparant d'ores et déjà à sa sortie (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

DÉREMBOURSEMENT DE MÉDICAMENTS

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont - Ma question s'adresse au Premier Ministre sur un sujet déjà abordé par Mme Jambu, la réponse de M. Mattei, en dépit de la véhémence de son ton, ne nous ayant absolument pas convaincus (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; interruptions sur les bancs du groupe UMP). Le week-end de Pâques, le ministre de la santé a publié un arrêté visant à réduire le remboursement par la sécurité sociale de plus de six-cents médicaments, dont la plupart sont pourtant fréquemment prescrits et indéniablement utiles. Cette décision injustifiée, scandaleuse, témoigne une fois de plus que pour vous les intérêts financiers l'emportent sur ceux de la santé publique.

Le précédent gouvernement avait, pour sa part, demandé de classer les médicaments selon leur service médical rendu - SMR -, l'idée étant de dérembourser progressivement, et après concertation, les médicaments à SMR insuffisant. La décision prise aujourd'hui n'a rien à voir, puisque vous vous attaquez au remboursement de molécules à l'efficacité prouvée, selon les médecins eux-mêmes. Elle a, de surcroît, été prise sans aucune concertation, sauf, de l'aveu même du ministère de la santé, avec l'industrie pharmaceutique. Les représentants de l'assurance maladie comme des mutuelles et les syndicats de médecins s'y opposent farouchement, ne comprenant pas davantage que nos concitoyens les raisons de cet arrêté.

En réalité, cette décision a pour seul motif, et donc pour seule conséquence, d'opérer un transfert de charges sur les ménages, dont les cotisations d'assurance complémentaire vont augmenter fortement - le président de la Mutualité française l'a lui-même souligné. Après le rapport Chadelat qui préconise rien moins que la privatisation de l'assurance maladie et avant la réforme annoncée pour l'automne prochain, c'est une nouvelle étape du démantèlement de la sécurité sociale, (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste) un pas supplémentaire vers l'abandon de la prise en charge du petit risque, que soutenait à l'automne dernier, M. Barrot, président du groupe UMP de l'Assemblée. Cette politique injuste fait fi de la solidarité et de la maîtrise médicalisée des dépenses, pourtant un temps prônée par M. Mattei. A l'évidence, le démantèlement de la sécurité sociale est en marche. Allez-vous enfin l'avouer aux Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - Je suis surpris car, à défaut de la forme, je pensais que vous approuveriez le fond. Vous avez évoqué le passé de manière tronquée, souffrez que je le rappelle entièrement. C'est Mme Aubry qui, avec perspicacité d'ailleurs, a réorganisé en 1998 la commission de la transparence et l'a chargée d'évaluer le service médical rendu de chacun des 4 500 médicaments existants, en cinq classes : majeur, important, modéré, faible et insuffisant. C'est également elle qui a signé un décret (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)... Il figure page 1020 du code de la sécurité sociale et dispose que les médicaments dont le SMR n'aura pas été reconnu comme majeur ou important ne seront plus remboursés qu'à 35 %. Nous avons parfaitement respecté les dispositions de ce décret (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste). J'ajoute que Mme Guigou a pris ensuite deux arrêtés réduisant le remboursement de 309 médicaments pour un montant de plus de 300 millions d'euros. Il n'y a donc pas lieu de polémiquer. Comme l'a souhaité le Premier Ministre, lorsque des dispositions prises par le précédent gouvernement nous paraissent bonnes, nous les conservons. Jugeant de bon sens ces décisions, nous nous sommes contentés de les compléter par un volet fondé sur l'innovation thérapeutique. C'est cela le c_ur de la solidarité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

POLITIQUE FAMILIALE

Mme Martine Aurillac - Monsieur le Premier Ministre, dès votre arrivée au pouvoir, rompant avec la politique du gouvernement précédent qui n'avait cessé de pénaliser les familles moyennes - chacun se souvient de la baisse brutale de l'AGED sans parler du pillage de la branche famille pour financer les 35 heures -, vous vous êtes attaché à redonner à la famille toute sa place et à restaurer la confiance avec les associations familiales. Le budget pour 2003 comportait d'ores et déjà plusieurs mesures positives.

Améliorer les conditions de vie des familles, tenir compte de la diversité des familles, garantir la justice de la politique familiale, laquelle ne saurait d'ailleurs être confondue avec la politique sociale, tels sont les axes de votre politique. Pour la mener à bien, votre ministre délégué à la famille a mis en place trois groupes de travail sur l'accueil des tout-petits, l'aide à la parentalité et la participation des employeurs. Ceux-ci viennent de rendre leurs conclusions et d'autres chantiers vont être ouverts comme celui de la réforme du divorce.

Aujourd'hui même se tient la Conférence de la famille qui débat des propositions nécessaires pour rendre plus efficaces et plus simples les aides à la petite enfance, avant d'ouvrir en 2004 un nouveau volet concernant l'adolescence. Pouvez-vous informer la représentation nationale de ces nouvelles perspectives, des résultats attendus et des décisions qui seront prochainement prises ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille - Nous avons cherché, avec mon collègue Jean-François Mattei, à répondre au triple objectif que nous avait fixé le Premier Ministre : simplifier les prestations familiales, renforcer le pouvoir d'achat des familles et développer l'offre de garde des jeunes enfants. La PAJE - prestation d'accueil du jeune enfant - qui va être créée y répond. Fusionnant cinq prestations antérieures, elle comportera une allocation de base prénatale de 800 € et postnatale de 160 € pendant trois ans, lesquelles bénéficieront à 90 % des familles, et un complément dit de libre choix du mode de garde. Aujourd'hui, un ménage ne disposant que du SMIC pour vivre ne peut se payer les services d'une assistante maternelle, puisque le salaire de celle-ci représenterait près de 30 % de ses ressources - et encore 20 % si le ménage dispose de deux SMIC. Le taux d'effort des familles va être ramené à 10 %, comme dans le cas des crèches. Les familles défavorisées seront les premières bénéficiaires de cette mesure (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Par ailleurs, le congé parental rémunéré sera désormais accessible dès le premier enfant, pour une durée de six mois à l'issue du congé de maternité. Afin d'éviter que ce congé ne devienne une trappe à pauvreté, nous ferons tout pour faciliter le maintien du lien de ses bénéficiaires avec le monde du travail. La rémunération du congé parental à temps partiel sera ainsi augmenté de 15 % et une formation en fin de congé sera encouragée. Vous mesurerez, à la lumière de ces dispositions, combien les petites polémiques entretenues depuis deux jours par Mme Royal et M. Hollande, sont infondées et ridicules (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

SÉCURITÉ ROUTIÈRE

M. Philippe Cochet - Le Président de la République a exprimé le 14 juillet dernier sa volonté de faire de la sécurité routière une priorité nationale. En effet, huit mille personnes meurent chaque année sur les routes de France et 26 000 y sont grièvement blessées. Triste record qui fait de notre réseau routier le plus meurtrier d'Europe ! Ce gouvernement s'est engagé avec détermination et courage à mettre un terme à ce scandale, en alliant répression et prévention.

Dès le budget pour 2003, les crédits de la sécurité routière ont été augmentés de 20 %. De nombreuses mesures ont par ailleurs déjà été prises en matière de prévention, de contrôle, d'aggravation des sanctions.

L'action du Gouvernement commence à porter ses fruits. Ainsi, le nombre d'accidents pendant le week-end de Pâques, traditionnellement dramatique, a diminué de 47,5 %. C'est le week-end pascal le moins meurtrier depuis quarante ans. Mais il faut considérer le résultat global. Pouvez-vous indiquer à la représentation nationale comment se traduit l'action du Gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; « Allô, allô ! » sur les bancs du groupe socialiste)

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - Une réduction de près de 50 % des accidents, c'est certes un progrès, mais en dehors du week-end pascal, les baisses vont plutôt de 25 à 30 %, qu'il s'agisse du nombre des accidents, des tués ou des blessés. On n'est pas assez attentif à l'évolution du nombre des blessés.

Le comportement des conducteurs évolue. Il reste à inscrire ce changement dans la durée. Il est encore trop tôt pour crier victoire.

Les accidents sont moins graves parce que les conducteurs respectent les limitations de vitesse. Afin d'inscrire cette évolution dans la durée, le Gouvernement va engager une campagne contre la vitesse au volant, une des principales causes d'accidents. Dominique Perben et moi-même allons présenter au Sénat, cet après-midi et demain, le projet de lutte contre la violence routière.

Enfin, mesdames et messieurs les députés, je fais appel à vous. Vous êtes les missi dominici de cette lutte : merci de relayer les messages du Gouvernement à travers l'ensemble du territoire (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

DÉCENTRALISATION AU SEIN DE L'ÉDUCATION NATIONALE

M. David Habib - Monsieur le ministre de l'éducation nationale, comme en matière d'emploi, de retraite ou de santé, les Français appréhendent vos décisions. Ils s'inquiètent en particulier de votre réforme abusivement présentée comme une décentralisation de votre administration.

Après avoir réduit les moyens de l'éducation nationale, après avoir supprimé les aides-éducateurs, après avoir remis en question la scolarisation des enfants de deux ans, vous vous proposez de démanteler l'éducation nationale. Votre seul objectif est de transférer les charges de l'Etat aux collectivités territoriales (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Le corps enseignant, le personnel administratif et technique, les parents d'élèves refusent l'éclatement de l'équipe éducative. Ils refusent les inégalités entre les enfants, les établissements et les territoires. Ils refusent la remise en question du service public de l'éducation et ses conséquences.

Dès le 18 mars en Aquitaine, les Français sont descendus dans la rue pour demander un vrai dialogue, que ne peuvent remplacer la publication d'un livre et quelques déplacements en province.

Vous avez cru que les vacances suffiraient à les démobiliser. Il n'en est rien. Le mouvement de contestation est profond et résolu.

Il est temps d'apaiser les relations au sein de l'école.

Allez-vous maintenir cette réforme qui porte atteinte au service public de l'éducation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche - Je ne connais qu'un moyen de n'inquiéter personne, c'est de ne rien faire. Tel n'est pas le choix de ce Gouvernement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Comme l'a souligné le rapport de la Cour des comptes, il y a eu depuis une quinzaine d'années deux types de réformes au sein de l'éducation nationale. Les premières consistent à ajouter à l'existant, à empiler des dispositifs. On lance l'enseignement des langues vivantes à l'école primaire, on crée des classes à projet artistique et culturel, ce qui n'est pas inintéressant mais ne demande aucun courage particulier. Les secondes, en revanche, consistent à s'attaquer à l'existant (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Hollande - Vous attaquez l'école !

M. le Ministre - Revoir l'existant, c'est ce que nous avons fait avec la loi sur les assistants d'éducation, qui vient d'être validée par le Conseil constitutionnel. C'est ce que nous allons faire avec le projet de décentralisation voulu par le Premier ministre, qui est en cours de rédaction, et avec le projet relatif à l'autonomie des universités, que je vous présenterai en juin.

Il ne s'agit pas d'un « démantèlement du service public », mais d'une décentralisation de bon sens. La loi précisera les missions des personnels affectés à la fonction publique territoriale, qui continueront de faire partie de l'équipe éducative. Le vrai problème, de toute façon, n'est pas là. Le vrai problème, c'est que les professeurs n'en peuvent plus de voir arriver des élèves qui ne savent pas lire et d'enseigner dans des conditions de sécurité dégradées (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Ils ne supportent plus que des élèves se retrouvent en situation d'échec à cause du collège unique, qui ne permet pas de trouver d'orientation professionnelle (Mêmes mouvements). Il faut donc recentrer leur métier sur l'essentiel : la transmission des savoirs et des valeurs républicaines qu'évoquait à l'instant Jean-Pierre Raffarin. Je veux réformer les structures pour redonner du sens à leur métier. C'est d'autant plus nécessaire que nous devons constater une crise des vocations (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe UDF).

GARDE D'ENFANTS

M. Patrick Delnatte - Monsieur le ministre délégué à la famille, je ne peux que me réjouir des orientations du Gouvernement en matière familiale. M. le Premier ministre les a présentées ce matin en ouvrant la Conférence de la famille.

La famille reste le socle de la société. Elle est son avenir. Par une politique volontariste, le Gouvernement souhaite aider les parents à concilier vie familiale et vie professionnelle. La moitié des familles aimerait accueillir un enfant de plus, mais la pénurie en matière de garde est particulièrement dissuasive. Obtenir une place en crèche, embaucher une assistante maternelle reste, selon vos propres termes, « un véritable parcours du combattant ».

Pouvez-vous nous indiquer les intentions du Gouvernement pour remédier à cette difficulté ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille - Comme il en avait pris l'engagement, le Premier ministre a prévu la création d'une prestation nouvelle garantissant le libre choix des parents. Encore faut-il que le choix soit le plus large possible en matière de garde. Un « plan crèches » de 200 millions d'euros va donc être mis en _uvre dès le 1er janvier (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). En outre, le secteur privé pourrait se développer dans ce domaine, à condition qu'il respecte les normes d'équipement, les taux d'encadrement et les critères de formation du public.

Dans ces conditions, pourquoi le secteur privé ne pourrait-il pas jouer son rôle, dans un cadre conventionnel ? (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

Le Premier ministre a en outre imaginé un crédit d'impôt de 60 % afin de rendre possibles des financements croisés des collectivités locales, des caisses d'allocations familiales et des entreprises.

Quant au statut des assistantes maternelles, nous avons avancé sur la question de l'agrément. En fonction des emplois du temps des parents, elles pourront assurer la garde de quatre enfants, si trois au plus sont réunis chez elles.

Les assistantes maternelles vont aussi bénéficier de l'alignement du SMIC, d'un fonds de formation continue et de la validation des acquis de l'expérience.

Contrairement à ce qui a été dit depuis plusieurs jours, le « plan crèches » du précédent gouvernement n'est pas remis en question. Au contraire, nous l'avons financé, ce que nos prédécesseurs avaient oublié de faire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

PRÉSIDENCE FRANÇAISE D'EURÊKA

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet - Madame la ministre déléguée à l'industrie, la dépendance technologique de l'Europe constitue une menace pour nos emplois.

Un trop grand nombre de nos industries dépendent d'une seule source d'approvisionnement, américaine ou asiatique. Ce n'est pas moins du tiers de notre production qui dépend de biens non substituables acquis de l'étranger.

Cette situation n'est pas nouvelle. Dès 1985, l'Europe avait créé Eurêka pour renforcer l'industrie micro-électronique européenne.

Or Eurêka a connu d'importantes difficultés.

Certains partenaires européens se désengagent. La France va prendre la présidence d'Eurêka le 1er juillet. Dans un contexte international incertain et tendu, il importe de réduire notre dépendance technologique. Quelles mesures la France préconisera-t-elle pour Eurêka ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie - Eurêka a été créé pour renforcer notre capacité d'innovation et notre compétitivité, mais les résultats n'ont pas été à la hauteur de nos ambitions. Il est donc urgent d'agir.

Au niveau national, j'ai présenté avec Mme Haigneré une série de mesures pour rattraper notre retard.

Au niveau européen, il nous faut atteindre l'objectif fixé à Barcelone, c'est-à-dire un niveau de recherche et développement égal à 3 % du PIB.

Eurêka a connu des succès, mais il s'est trop dispersé. La présidence française veillera à rendre cet outil plus efficace en renforçant la cohérence de ses actions avec les programmes communautaires. Nous veillerons en particulier à mieux cibler les projets. Nous avons la ferme intention de redonner à l'Europe une grande ambition dans des domaines importants pour son avenir.

M. le Président - Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 20, sous la présence de M. Daubresse.

PRÉSIDENCE de M. Marc-Philippe DAUBRESSE

vice-président

SIMPLIFICATION ET CODIFICATION DU DROIT

L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public sur l'ensemble du projet portant habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures de simplification et de codification du droit.

M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat - La première lecture de ce projet par l'Assemblée a donné lieu à un débat passionnant et passionné. Sur tous les bancs, les orateurs ont souligné l'audace du projet du Gouvernement et son ampleur sans précédent sous la Ve République, l'opposition pour s'en inquiéter, la majorité pour s'en réjouir. Le Gouvernement assume pleinement ce choix de l'audace. Trente lois, quatorze codes, dans des matières très diverses, sont ainsi concernés.

M. Patrick Braouezec - Ce n'est pas audacieux, c'est aventureux !

M. le Secrétaire d'Etat - Le Gouvernement a décidé d'agir parce que, depuis trop longtemps, des rapports s'entassaient pour dénoncer ce mal français que sont la sur-administration et la sur-réglementation, qui déresponsabilisent les citoyens, découragent l'esprit d'entreprise et d'innovation et surtout affaiblissent l'autorité de la loi. On le sait, trop de lois tue la loi. Nous avons placé en exergue la phrase de Montesquieu indiquant que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Il fallait donc réagir contre l'exaspération et l'incompréhension éprouvées par nos concitoyens, et qui nourrissent l'extrémisme. Le Président de la République a invité à plusieurs reprises le Gouvernement à agir avec énergie pour « mettre fin aux lourdeurs, aux archaïsmes, aux lenteurs de l'administration », que ne supportent plus les Français.

Notre projet, qui exprime un véritable choix de société, est fondé sur des valeurs dont la première est la volonté de restaurer l'autorité de la loi, en sorte que les Français sachent clairement ce que sont leurs droits et leurs devoirs. Nous avons fait, en second lieu, le choix de la confiance et de la responsabilité. Nous refusons la société du soupçon. Les adversaires de la simplification ont argué que nous allions encourager la fraude et la corruption. Mais ce n'est pas parce qu'il y aura toujours des gens malhonnêtes que nous devons jeter le soupçon sur l'ensemble des Français et accumuler les réglementations au point de paralyser le fonctionnement de la société. Enfin, nous sommes convaincus que les fonctionnaires de terrain, qui sont quotidiennement au contact du public, aspirent à ne plus être otages de procédures si compliquées qu'elles les dissuadent de prendre toute initiative. Notre projet est donc aussi destiné à libérer les énergies des fonctionnaires de terrain.

Sur la méthode retenue, le Gouvernement, là encore, assume pleinement le choix du recours aux ordonnances. Comment, autrement, secouer le scepticisme des Français, qui ont entendu trop de discours incantatoires sans jamais en voir les effets ?

M. Hervé de Charette - C'est vrai !

M. le Secrétaire d'Etat - Le Premier ministre, dans son discours de politique générale, a fait de la simplification de la vie des Français la première priorité de l'action gouvernementale. Il a donc mobilisé l'ensemble du Gouvernement sur ce chantier. Ce projet est exemplaire d'une politique résolument interministérielle. Je salue les contributions éminentes à ce texte de mes collègues Sarkozy, Devedjian, Mer, Lambert, Fillon, Mattei et Dutreil.

M. Jean Glavany - Cela ne nous rassure pas !

M. le Secrétaire d'Etat - A principalement fait débat ici la décision de recourir aux dispositions de l'article 38 de la Constitution, qui autorisent le Gouvernement à prendre par ordonnances, pour l'exécution d'un programme précis et pour une durée limitée, des mesures de nature législative. Notre démarche est parfaitement conforme à la Constitution, qui tend en effet à permettre au Gouvernement, s'agissant d'un aspect fondamental de son programme, de procéder par ordonnances.

Cette procédure, je le souligne, ne fait en rien l'économie du débat parlementaire.

En vérité, ceux qui s'opposent à cette procédure ne veulent pas de la simplification du tout ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) En effet, s'il avait fallu, pour faire adopter l'ensemble de ces mesures, recourir à la discussion parlementaire ordinaire, une année entière n'y aurait pas suffi.

Enfin, le débat a bien montré que l'examen du projet d'habilitation est le moment où le Parlement fixe les objectifs et détermine la feuille de route pour l'action du Gouvernement. Trop souvent jusqu'ici la discussion du projet d'habilitation était de pure forme. Cette fois-ci elle a été substantielle, puisque 135 amendements ont été déposés et 55 adoptés, ce qui est remarquable. Je souligne à cette occasion la qualité du travail de la commission des lois et de son rapporteur Etienne Blanc (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Le Gouvernement s'est engagé à associer les parlementaires en amont à l'élaboration des ordonnances. L'Assemblée a ainsi adopté, d'accord avec le Gouvernement, l'amendement de M. Madelin tendant à créer une commission, composée en majorité de parlementaires, qui sera chargée en permanence de proposer au Gouvernement des simplifications du droit.

Dans le cadre de la modification du Règlement de votre assemblée proposée par le Président Debré, M. Clément a suggéré une mission d'information et d'évaluation pour suivre la rédaction des ordonnances, sans que cela porte atteinte à la séparation des pouvoirs. Le Gouvernement vous laisse bien entendu le soin d'en décider mais se réjouirait d'une telle coopération, qui rendrait Parlement et Gouvernement co-acteurs d'un vaste mouvement de simplification.

J'en viens à présent aux dispositions essentielles du projet, et notamment à celles qui ont suscité le plus de débats.

Le premier volet du projet concerne la modernisation des relations entre l'administration et les Français. Un très large consensus s'est dégagé à ce sujet sur les bancs de votre assemblée, et le Gouvernement s'en réjouit. Une disposition majeure, à cet égard, est l'introduction dans notre droit de l'obligation faite à tous les services publics de s'engager sur un délai maximal de réponse aux demandes dont ils sont saisis. Deuxième disposition importante, la réduction du nombre de commissions administratives : 221 dans les départements ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP)

Nous espérons en supprimer une bonne partie. Troisième disposition de bon sens, l'obligation faite aux administrations de mutualiser leurs informations. En cas de changement d'adresse, il suffira d'indiquer le nouveau domicile à un seul service, qui se chargera d'en informer les autres, notamment par voie numérique. Il n'est que temps de mettre le service public à l'heure de la société de l'information ! 

Je tiens à souligner l'apport essentiel d'un amendement présenté par M. Woerth sur un thème très cher à Alain Juppé, celui qui supprime l'instruction mixte à l'échelon central (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP). Cet amendement a valeur de symbole. L'instruction mixte à l'échelon central était un héritage des années 1950, conçu à l'origine pour des raisons militaires : tout projet d'équipement donnant lieu à une instruction territoriale devait être réexaminé dans l'ensemble des administrations centrales. La procédure s'en trouvait allongée d'au moins une année ! Désormais, l'instruction territoriale suffira, ce qui permettra aussi de responsabiliser les fonctionnaires territoriaux.

Je veux souligner l'importance des mesures prises pour simplifier plusieurs procédures relevant du ministre de l'intérieur et remercier tout spécialement M. Devedjian pour son engagement et pour les éclaircissements très rassurants qu'il n'a pas cessé d'apporter tout au long du débat, en réponse aux inquiétudes légitimes des parlementaires quant aux risques de fraude électorale liés à la simplification du vote par procuration. Désormais, une déclaration sur l'honneur faite en mairie suffira pour voter par procuration. Cela soulagera les gendarmes, policiers et magistrats (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Cette disposition sera applicable dès les prochaines élections car le Gouvernement est bien décidé à aller vite.

Seconde disposition ayant reçu une approbation unanime, l'introduction dans notre droit d'une présomption de nationalité automatique pour nos compatriotes nés à l'étranger, ou hors des frontières actuelles de l'hexagone et notamment dans les anciens territoires de la République. Cela mettra fin aux parcours blessants, voire humiliants, auxquels étaient soumis tous ceux qui, au moment du renouvellement de leurs documents d'état civil, étaient obligés de faire à nouveau la preuve de leur nationalité française - je pense tout spécialement aux harkis et aux rapatriés (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Autre simplification de bon sens, la création d'un guichet unique pour le permis de chasse (« Excellent ! » sur les bancs du groupe UMP).

Le troisième volet du texte, préparé notamment par MM. Dutreil et Fillon, permettra de libérer les énergies des entreprises, en particulier des PME. Lors de l'examen du projet sur l'initiative économique, la majorité avait souhaité avec force que soit mis en place un guichet unique de recouvrement des cotisations et contributions sociales pour les artisans et commerçants. Le Gouvernement s'engage à le créer par ordonnance dans un délai d'un an. Ces dispositions ont été enrichies par le débat parlementaire et je salue notamment l'apport des amendements de M. Sauvadet qui ont permis de retenir le libre choix de leur caisse pour les artisans. Mais bien entendu, le Gouvernement prendra le temps nécessaire à la concertation avec les professions concernées pour aboutir au meilleur système.

M. François Sauvadet - Excellent !

M. le Secrétaire d'Etat - Autre disposition essentielle pour les PME, la création du titre-emploi simplifié afin de faciliter les premiers emplois ou les emplois de courte durée. Il permettra d'accomplir simplement les formalités liées à l'emploi d'un salarié, en dispensant notamment de la déclaration préalable à l'embauche et de la feuille de paie. Le paiement des cotisations en sera également facilité. Le dispositif s'inspire du chèque emploi-service dont le succès n'est plus à démontrer. Il vaudra notamment pour les activités saisonnières, dans les secteurs de la restauration, de l'hôtellerie et du BTP.

M. Alain Néri - Et la baisse de la TVA sur la restauration, c'est pour quand ?

M. le Secrétaire d'Etat - La majorité parlementaire a également souhaité, à l'initiative de M. Sauvadet, poser le problème de la simplification du bulletin de paie. Le Gouvernement s'efforcera de travailler dans cette direction.

Quatrième volet majeur du texte, la simplification de notre système de santé. Préparé par M. Mattei, ce chapitre est essentiel dans un domaine où le poids de la technostructure est unanimement déploré.

Première disposition majeure en la matière, la simplification des procédures de construction des hôpitaux publics. La réalisation des engagements pris dans le cadre du plan « hôpital 2007 » est à ce prix, sachant que 68 % de nos établissements présentent un état de vétusté préoccupant. Un milliard d'euros d'investissements supplémentaires est prévu chaque année pour mener à bien ce programme. Les délais de construction - cinq ans en moyenne à ce jour, mais souvent beaucoup plus - doivent être réduits de moitié.

Autre innovation majeure concernant l'organisation de notre système de santé, la suppression de la carte sanitaire au profit d'une planification régionale indicative rationalisée et d'un schéma régional d'organisation sanitaire intégrant toutes les catégories d'établissements de santé, y compris les hôpitaux psychiatriques.

Le régime des autorisations sera sensiblement simplifié pour tout ce qui concerne l'utilisation des matériels et équipements lourds ; de même, tout sera fait pour encourager la coopération entre les médecins libéraux et le système hospitalier public. Enfin, la coopération sanitaire en réseau est favorisée, notamment pour la prise en charge des personnes âgées à domicile. Le nouveau groupement de coopération sanitaire sera l'instrument juridique de cette approche simplifiée.

Dernier volet - celui qui a donné lieu aux débats les plus passionnés -, la modernisation de la commande publique, avec des innovations qui répondent directement aux aspirations des élus locaux.

Le ministre des finances a déjà simplifié par la voie réglementaire la nomenclature des appels d'offres et relevé les seuils pour les aligner sur les normes européennes. Le présent texte va plus loin en simplifiant le code des marchés publics et en faisant en sorte que, désormais, le maître d'ouvrage puisse décider de la passation d'un seul marché, de la conception à la maintenance.

M. André Vallini - Danger !

M. le Secrétaire d'Etat - Ceci permettra de réduire de plusieurs années les délais de réalisation des équipements publics. Une fois la décision politique prise, le délai de réalisation est aujourd'hui très souvent supérieur à dix ans et cela participe de la perte de crédit de la parole publique. Tout doit être fait pour y remédier, et le Gouvernement attend beaucoup de la nouvelle faculté d'agir qui sera donnée aux collectivités. Le débat a permis de progresser, en répondant aux inquiétudes légitimes des professions concernées. Toute garantie sera prise pour assurer la transparence et le contrôle des procédures. Seule la collectivité publique sera responsable - est-il besoin de le dire - du respect du cahier des charges. Il est en outre essentiel de ne plus opérer de distinction artificielle entre conception et maintenance, si l'on veut que les équipements publics répondent au mieux aux besoins de leurs utilisateurs. Nous faisons toute confiance aux élus pour faire preuve de la rigueur nécessaire.

Enfin, nous rendons possible le partenariat public-privé, soit la possibilité pour un maître d'ouvrage public de confier à une personne privée la conception, la réalisation et l'exploitation d'équipements lourds - ports, aéroports, barrages, viaducs, etc... -, de façon notamment à amortir les investissements. Le Gouvernement attend de cette innovation une relance significative de la participation de l'ingénierie et des capitaux privés aux équipements structurants dont notre pays a grandement besoin. L'Etat ne peut pas tout faire seul ! Il est vain et dommageable d'opposer la France du privé et celle du public : il n'y a qu'une seule France, celle qui gagne des batailles sur le marché mondial (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDF) et je rappelle que c'est le partenariat public-privé qui a permis à certaines de nos entreprises de devenir des champions du monde dans les domaines de l'eau, du BTP ou du traitement des déchets !

Telles sont les dispositions essentielles de ce texte, étant entendu qu'il ne s'agit que d'une première étape. Tous les orateurs de la majorité parlementaire ont invité le Gouvernement à aller plus vite et plus loin. Je prends l'engagement de faire en sorte que la plupart des ordonnances soient élaborées avant la fin de l'année ; je prends également l'engagement d'organiser un débat de ratification, sous la forme que le Parlement souhaitera.

Dès la session d'automne, un deuxième projet vous sera présenté pour continuer à simplifier par ordonnances dans les domaines de l'agriculture, de l'urbanisme, de l'environnement et de la vie des familles.

Nous devons également nous interroger sur la façon de moins et de mieux légiférer. Jusqu'à maintenant, nous avons tous échoué.

Le Gouvernement doit donc s'interroger, en amont, sur la nécessité de réaliser des études d'impact dans lesquelles des questions simples seraient posées : ce projet est-il indispensable ? Est-il adapté à sa finalité ? Dispose-t-on des moyens humains et financiers pour l'appliquer ?

Les assemblées elles-mêmes doivent s'interroger sur leurs interventions.

Le Gouvernement, avec ce projet, veut faire respirer la société française, afin qu'elle soit moins prisonnière des règles et des lois qui entravent trop souvent l'initiative personnelle et la responsabilité. C'est là un levier majeur pour la réforme de l'Etat. Si nous ne simplifions pas les procédures, il est vain de reprocher aux fonctionnaires, dont c'est le devoir, d'appliquer la règle.

Ce projet sera une première pierre dans la réconciliation des Français avec les institutions de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Etienne Blanc, rapporteur de la commission des lois - Ce texte important marquera la mandature. Il traduit l'engagement du Président de la République et du Premier ministre de simplifier la vie des Français et de les réconcilier avec l'administration et l'Etat.

Chacun a constaté la diversité et l'ampleur du champ d'intervention des ordonnances.

Simplifier, moderniser, adapter nos règles de droit et nos procédures administratives, autant d'objectifs récurrents de la vie politique française dont la loi d'habilitation permettra la mise en _uvre.

Complexifier le droit et les procédures est assez simple ; les simplifier et les clarifier est particulièrement complexe. Il faut remettre en cause des situations acquises, et le Gouvernement devra se montrer déterminé pour amplifier un mouvement de simplification que les Français attendent avec impatience.

Sur 122 amendements, 55 ont été adoptés. L'amendement 86 a ainsi autorisé la création d'un conseil d'orientation et de simplification administratives chargé de faire des propositions au Gouvernement, et qui sera composé de trois sénateurs et de trois députés auxquels s'ajouteront des élus locaux.

Je vous remercie, Monsieur le ministre, ainsi que votre cabinet, d'avoir porté attention à nos amendements ; je remercie également les cabinets ministériels qui ont été auditionnés.

En votant cette loi d'habilitation, vous donnerez au Gouvernement des moyens juridiques significatifs pour simplifier et clarifier notre droit (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Jean Leonetti - Le groupe UMP votera avec enthousiasme cette loi vaste et ambitieuse, qui vise à simplifier la vie de nos concitoyens et s'attaque à la réforme de l'Etat.

Comment demander à nos concitoyens, en effet, une restauration de l'autorité républicaine lorsque la loi est confuse, complexe, lorsque les textes s'additionnent et parfois se contredisent ? Nous devons mettre un terme à la loi bavarde qui réglemente plus qu'elle ne dit la règle.

M. Hervé de Charette - Très bien !

M. Jean Leonetti - Les citoyens sont désemparés face à un service public souvent lent, quelquefois inefficace. Je pense en particulier aux services fiscaux : le citoyen a l'impression de se trouver face à un système inquisitoire et non dans un Etat de droit. Les lois complexes ne sont guère applicables.

Réformer cela était donc urgent. Certes, il y a un problème de forme : aucun député ne se départit volontiers de son pouvoir législatif. Si nous le faisons avec sérénité, c'est parce que nous savons combien il y a urgence. Nous n'avons que cette voie étroite pour obtenir des résultats. Du reste, il y a eu concertation avec les partenaires sociaux, les cabinets ministériels et la commission des lois - les amendements adoptés en témoignent.

Nous allons entrer dans une culture du résultat, avec un système souple pour évaluer l'efficacité d'une loi. Les délais de réponses de l'administration seront raccourcis.

Culture de la confiance, ensuite. Ceux qui sont nés hors de l'hexagone - et qui sont parfois plus Français que les autres, par le sang versé, tels les harkis - n'auront pas à multiplier les démarches humiliantes. De même pour les pieds-noirs. Cette simplification ne relève pas de la seule démarche administrative, elle a aussi valeur de symbole (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Culture de la responsabilité et de la liberté enfin, avec les déclarations simplifiées, qui vont libérer l'administration de contraintes inutiles. Les artisans et les commerçants auront accès au titre-emploi simplifié et au guichet unique. Les citoyens pourront s'engager sur l'honneur - et il faut rendre à ce mot toute sa valeur.

Il s'agit donc de simplifier, mais aussi de réconcilier les citoyens avec leurs services publics, avec l'action publique. Fidèle à sa philosophie, l'UMP votera donc ce texte avec enthousiasme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jérôme Lambert - Au cours de nos débats, nos collègues de droite n'ont pas davantage évoqué que vous, Monsieur le ministre, la protection que les lois et règlements doivent aux citoyens. Ils ont dénoncé « trop de lois », « trop de règlements », ils ont dit « faire confiance » à nos concitoyens, mais n'ont jamais réclamé que l'on protège le faible face au puissant (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP), le petit face au grand (Mêmes mouvements).

Ce projet s'inscrit dans une conception très libérale dont les tristes conséquences humaines et économiques sont pourtant connues. Ne nous y trompons pas : sous couvert de simplifier le droit, le Gouvernement entend faire passer des réformes importantes à la sauvette, à travers une procédure d'habilitation qui spolie les droits du Parlement dans des matières ou ni l'urgence, ni les circonstances, ne le justifient.

Ainsi en est-il de la réforme très controversée des marchés publics, autorisée sans aucun garde-fou par les articles 3 et 4. Sous couvert de simplifier le droit, le Gouvernement s'apprête à abroger les lois qui ont établi la transparence des marchés publics, si justement mis en cause.

Plusieurs députés socialistes - Mairie de Paris !

M. Jérôme Lambert - Ce dessaisissement du Parlement permettra au Gouvernement, dans la tranquillité des cabinets, entourés d'experts et de lobbies, d'organiser le retour à des pratiques douteuses. Voilà qui suscite déjà de nombreuses protestations parmi les professionnels et jusque dans votre majorité, et annonce l'exclusion des petites et moyennes entreprises de nos régions des marchés publics, au profit de quelques grands groupes qui pourront dicter la loi de la concurrence effrénée à leurs sous-traitants. Dans ce projet de loi fourre-tout, le libéralisme se taille la part du lion prédateur.

Droit du travail, droit social, fiscalité : autant de sujets dont le Parlement va se dessaisir grâce au soutien d'une majorité docile. Le Gouvernement ne se prive pourtant pas d'invoquer la concertation. Mais à quoi bon s'embarrasser de débats et de contrôle quand on a tous les moyens entre ses mains ? Dans certains domaines, la simplification annoncée ne vise qu'à revenir en arrière, aux dépens des plus faibles, et vous ne nous convaincrez pas de vos bonnes intentions en mettant en avant quelques réformes de paperasserie, quand dans le même temps, vous démolissez le droit des travailleurs et les acquis sociaux, et que ce projet de loi vous permettra de faire reculer la protection dont nos concitoyens ont besoin.

Dessaisir le Parlement par le 49-3 ne vous a pas porté chance. Nous dessaisir aujourd'hui en usant de l'article 38 de la Constitution, fait courir un risque supplémentaire à votre majorité, celui de creuser le fossé entre vous et les Français.

Toutes ces raisons ont convaincu le groupe socialiste de s'opposer à votre vision ultra-libérale de l'organisation de notre société et de rejeter ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Sauvadet - A entendre le porte-parole du parti socialiste, je n'ai pas l'impression que nous parlons du même texte. S'il est un sujet qui devrait nous réunir, c'est précisément celui de la simplification de la vie des Français, par l'amélioration de la lisibilité et de l'efficacité de l'action publique. Ce texte va dans le bon sens, et le groupe UDF le salue comme tel.

Contrairement à ce que l'opposition n'a cessé de dire, il a fait l'objet d'un large débat auquel nous avons tous participé. Vous aviez annoncé, Monsieur le ministre, que vous accepteriez des amendements. Vous l'avez fait pour la simplification des bulletins de paye, tant attendue par nos artisans, commerçants et chefs d'entreprise. Autre grande avancée : le guichet unique pour les contributions sociales, que ne renierait pas notre collègue Hervé Novelli, rapporteur de la loi sur l'initiative économique, et dont je me réjouis.

L'UDF a également déposé, avec l'assentiment d'une large majorité de cette assemblée, un amendement sur le libre choix, qui responsabilisera les différents acteurs et améliorera l'efficacité des contributions.

Autre avancée, le titre emploi simplifié pour l'hôtellerie, secteur où la complexité était un frein à l'embauche et à l'employabilité.

Un an après le choc de la présence d'un candidat de l'extrême-droite au second tour de l'élection présidentielle, encourager nos compatriotes à voter, en facilitant la procuration, est une démarche tout à fait bienvenue.

M. André Gerin - Lamentable !

M. François Sauvadet - Les lois d'habilitation sont évidemment peu prisées dans un Parlement moderne. Mais je comprends les motifs qui ont dicté le choix du Gouvernement.

M. Michel Delebarre - Ah ?

M. François Sauvadet - Le partenariat public-privé doit bien sûr être renforcé. Reste un sujet important, la réforme de la maîtrise d'ouvrage publique. Je tiens à ce que vous nous apportiez des garanties pour préserver l'accès à la commande publique des PME-PMI, qui jouent un rôle capital pour l'emploi dans nos territoires. En tant qu'élu rural, j'y suis très attaché. Veillons aussi à ce que la réforme n'empêche pas l'accès à la commande publique de nouveaux talents d'architectes.

Pour simplifier, il faut certes une volonté tenace, mais aussi de l'audace. Pour vous encourager dans cette voie, nous avons proposé de mettre enfin en place la retenue à la source de l'impôt sur le revenu, qui a fait ses preuves dans de nombreux pays développés. Vous nous avez opposé une fin de non-recevoir, arguant qu'en ce domaine il était compliqué de faire simple. Mais l'UDF reste persuadée que le temps lui donnera raison.

Permettez-moi de rappeler enfin que, pour simplifier, il faut d'abord éviter de complexifier. Je pense aux conditions d'élaboration de la loi. A cet égard, je voudrais saluer Alain Juppé, qui avait demandé à son Gouvernement de faire précéder chaque projet de loi d'une étude d'impact. C'est une bonne mesure que le Gouvernement pourrait utilement remettre à l'ordre du jour.

Enfin, il importe que la loi soit bien évaluée. Là aussi, nous avons à progresser. En matière de simplification, nous serons très attentifs à la mise en _uvre effective des mesures de ce texte, que nous voterons (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Patrick Braouezec - Vous nous demandez, Monsieur le secrétaire d'Etat, de vous autoriser à prendre des ordonnances afin de simplifier le droit, de faciliter, dites-vous, les relations de nos concitoyens avec l'administration. S'il ne s'agissait que de cela, personne ne s'y opposerait. Mais quel est véritablement le champ d'application de ce projet de loi d'habilitation ?

Droit administratif, marchés publics, droit fiscal, conditions d'obtention de la nationalité française, réglementation des associations syndicales de propriétaires, permis de chasse, recouvrement des contributions et cotisations sociales, droit des organismes d'assurance maladie, j'en passe ! Il ne s'agirait pour vous que d'un texte de bon sens !

Nous ne pouvons tout de même admettre qu'il s'agit de simplification, lorsque vous entendez créer de nouveaux types de marchés publics, qui seraient des marchés globaux, malheureusement similaires aux marchés d'entreprise de travaux publics.

Vous avez certes prétendu expliquer certaines dispositions sensibles. Mais nous ne votons ni sur vos déclarations, ni sur le rapport, mais bien sur un texte qui contient des dispositions vagues et ambiguës.

En matière de droit du travail, vous souhaitez « harmoniser les seuils d'effectifs qui déterminent l'application de certaines dispositions du code du travail, ainsi que le mode de calcul de ces effectifs ». S'agit-il de remettre en cause la prise en compte des salariés précaires ou travaillant à temps partiel ? On ne le sait.

Vous souhaitez « harmoniser les délais applicables aux procédures individuelles de licenciement ». Les délais consentis aux salariés pour se préparer à l'entretien préalable seront-ils raccourcis ? Les salariés verront-ils encore leurs droits fragilisés ? Par ailleurs, modifierez-vous le seul code du travail, ou irez-vous plus loin en remettant en cause des accords de branche ?

Vos explications restent évasives et vos dispositions trop générales. C'est pourtant bien sur celles-ci que nous sommes amenés à voter.

Nous le voyons tous les jours, votre politique est désastreuse pour la majorité de notre population. En outre, vous n'avez consulté aucun des partenaires concernés par ce projet de loi dont l'ampleur est sans précédent.

Vous nous avez répondu que la concertation aurait lieu ultérieurement, une fois la rédaction des ordonnances commencée. Mieux aurait valu consulter préalablement, afin d'aboutir à des textes de loi clairs et précis, répondant aux attentes de nos concitoyens, et dont le Parlement aurait pu débattre. Vous avez au contraire décidé de passer en force en choisissant d'adopter des mesures, toutes plus importantes les unes que les autres, par voie d'ordonnance, c'est-à-dire en toute opacité. Alors même que nos concitoyens réclament aujourd'hui une démocratie plus proche d'eux, vous optez pour l'opacité et la technocratie. Les domaines que nous avons survolés durant les quelques heures d'examen de ce texte vont bien au-delà d'une simplification du droit. Une loi spécifique aurait été nécessaire dans chaque domaine abordé.

Du fait même de l'ampleur du projet et des conséquences qu'il aura pour nos concitoyens, que nous ne pouvons d'ailleurs pas anticiper puisque vous entrouvrez une boîte de Pandore, nous ne pouvons que refuser de nous dessaisir de notre pouvoir législatif et voter contre ce projet de loi d'habilitation.

A la majorité de 338 voix contre 113 sur 451 votants et 451 suffrages exprimés, l'ensemble du projet de loi est adopté.

La séance, suspendue à 17 heures 15, est reprise à 17 heures 30.

SÉCURITÉ FINANCIÈRE

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi adopté par le Sénat relatif à la sécurité financière.

M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Permettez-moi tout d'abord d'excuser Dominique Perben, retenu au Sénat pour l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre la violence routière, mais qui sera naturellement parmi vous pour la discussion du titre III de la loi.

Le texte que je vous présente aujourd'hui constitue une réponse à la fois politique et technique à la crise de confiance dans les mécanismes du marché et aux insuffisances de régulation dont le monde économique et financier a pris conscience depuis deux ans. Le doute s'est installé dans les esprits, suite aux graves irrégularités commises par Enron aux Etats-Unis. D'autres irrégularités ont depuis affecté les comptes de grandes entreprises dans le monde.

Même si les événements géopolitiques jouent évidemment un rôle majeur dans leurs évolutions, les bourses mondiales ont connu de fortes baisses, qui auraient des incidences sur la croissance si elles duraient trop longtemps. Les entreprises doivent en effet pouvoir trouver sur les marchés les moyens de financer leur croissance, et l'épargne des Français, qui atteint des sommets historiques, doit s'investir dans des emplois porteurs d'avenir. Il nous faut donc agir pour restaurer le pacte de confiance dans l'économie de marché et faire de cette crise une opportunité pour progresser.

Ce projet marque l'aboutissement d'une réflexion que le Gouvernement a engagée dès sa formation en reprenant parfois, pour les mener à leur terme, des projets engagés antérieurement. Avec Dominique Perben, nous avons beaucoup consulté depuis l'été dernier. La société civile et les autorités publiques concernées ont été largement associées aux réflexions, qu'elles ont enrichies de nombreuses propositions et contributions. Le Sénat et l'Assemblée nationale ont joué un rôle important dans le débat d'idées. A l'issue de nombreuses auditions, vos rapporteurs proposent de clarifier ou d'améliorer le texte issu du Sénat. Nous avons des conceptions différentes sur certains points importants, mais je ne doute pas que nos débats permettront d'aboutir à une loi à la mesure des enjeux.

Quelques mots sur l'esprit de ce projet. Soyons clairs, quelle que soit son ambition, il ne supprimera pas le risque, et c'est heureux, car le risque est un moteur nécessaire pour le mouvement de nos sociétés. Il ne supprimera pas davantage la volatilité, qui est consubstantielle aux marchés financiers. L'investissement dans des titres de sociétés cotées présentera toujours un aléa, car l'entreprise doit faire des paris sur l'avenir et il y a toujours, dans cette aventure, des accidents de parcours.

M. Maxime Gremetz - Les investisseurs se paient bien mais ils ne prennent pas beaucoup de risques !

M. le Ministre - Ce qui n'est pas acceptable, c'est que l'épargnant prenne des risques fondés sur des informations fausses. Ce sont ces détournements de la règle du marché que la loi a l'ambition de limiter, autant que possible.

Le projet que nous vous soumettons tend à créer des instruments permettant de combattre les comportements déviants. Mais il ne doit pas être une nouvelle ligne Maginot. La loi ne doit pas édicter des règles pointillistes, car ce sont les plus faciles à contourner, nous ne le savons que trop depuis Enron. La loi doit édicter des principes clairs pour renforcer la transparence et encourager les meilleures pratiques, sans chercher à régenter leur organisation dans les moindres détails. Nous devons apprécier, point par point, ce qu'il est justifié de laisser au marché, ce qui peut être laissé à l'autorégulation des acteurs, mais aussi ce qui doit être régulé par les autorités.

Ensuite, il faut rechercher les moyens de contrôler l'application de ces principes, et pour cela, il faut disposer de gendarmes visibles et respectés. C'est un équilibre fragile, car la soif de règles est d'autant plus grande que les contournements ont été importants, et la tentation de la réglementation tous azimuts reste forte dans notre pays.

Ce texte vise d'abord à renforcer la surveillance des marchés. Pour cela, nous modernisons nos autorités de contrôle, qui jouent un rôle essentiel dans des matières très techniques. Les enjeux sont considérables et la réactivité doit être immédiate, si bien que l'éthique est parfois prise en défaut. Pour garantir l'intégrité des marchés, il faut des autorités fortes. Les autorités de régulation exercent la puissance publique d'une manière plus proche du terrain, plus légitime grâce à la présence de professionnels ayant une connaissance concrète des réalités. Grâce à elles, l'Etat peut assurer avec plus d'efficacité ses missions d'intérêt général, sous votre contrôle et sous celui du juge.

La création de l'Autorité des marchés financiers, qui résultera de la fusion de trois institutions, la Commission des opérations de bourse, le Conseil des marchés financiers, et le Conseil de discipline de la gestion financière, était attendue depuis longtemps. Cette autorité aura une triple mission : la protection de l'épargne, l'information des investisseurs, le bon fonctionnement des marchés. Autorité publique indépendante, elle rendra notre système plus efficace, grâce à une capacité de contrôle accrue et à un mécanisme de sanctions qui doit être rapide et sûr car sa crédibilité en dépend. Elle sera dotée de la personnalité morale, afin de pouvoir recruter ses collaborateurs librement, et de bénéficier directement des ressources prélevées sur les opérateurs qu'elle contrôle. C'est une innovation dans notre paysage institutionnel, et elle marque bien l'importance de la tâche confiée à l'AMF, qui sera la tour de contrôle de notre marché. Elle disposera pour cela de tous les moyens lui permettant d'agir avec fermeté et rapidité.

Mais il faut aussi veiller à ce que les acteurs des marchés soient efficacement contrôlés. Dans le secteur de l'assurance, la coexistence de deux commissions de contrôle n'était pas un schéma idéal. Le Gouvernement a donc souhaité la création d'une autorité de contrôle unique pour les entreprises exerçant un métier d'assureur, qu'elles soient mutuelles, institutions de prévoyance ou sociétés d'assurance, par fusion de la Commission de contrôle des assurances et de la Commission des mutuelles et institutions de prévoyance. Cela permettra de rationaliser nos structures et d'en augmenter l'efficacité. La spécificité du monde mutualiste devant être prise en compte, le projet garantit une représentation équilibrée des différentes sensibilités au sein de la nouvelle commission.

Cette nouvelle autorité coopérera étroitement avec le superviseur du secteur bancaire, la Commission bancaire, car les problématiques communes à la banque et à l'assurance justifient de développer les échanges d'expérience.

Nous aurons donc désormais une autorité unique pour le contrôle des marchés, et deux autorités pour contrôler les acteurs, banques d'un côté, assurances de l'autre. Fallait-il aller plus loin et créer une seule autorité pour faire tout cela ? Je pense qu'il faut être pragmatique. Les Britanniques, suivis par les Allemands, ont fait le choix de l'autorité unique, alors que nous proposons de distinguer les autorités chargées respectivement des marchés et du pôle prudentiel.

Rassembler au sein d'une même entité le contrôle des acteurs et celui des produits présente l'inconvénient de mêler deux logiques de contrôle différentes et deux métiers dont les finalités sont opposées. La surveillance prudentielle vise, à partir d'une information confidentielle, à détecter les difficultés le plus tôt possible, avant qu'elles ne soient rendues publiques, afin d'éviter les contagions de nature systémique et de préserver la confiance des assurés et des déposants dans une institution rencontrant des difficultés qui peuvent n'être que passagères. La régulation des marchés vise au contraire à ce que rien qui doive être rendu public ne demeure dans l'ombre. Ces deux aspects de la régulation doivent s'équilibrer publiquement, voire se confronter. La réunion en une même instance des deux types de contrôle poserait donc un problème.

En outre, l'idée séduisante du « guichet unique » est difficile à mettre en pratique, alors que l'objectif de limiter les formalités peut aussi bien être atteint par une coopération renforcée entre les autorités. Les difficultés rencontrées par des pays qui ont fait le choix d'une autorité unique ont montré les limites de ce modèle. Pour ces différentes raisons, le Gouvernement a choisi de regrouper les autorités de supervision des marchés au sein de l'Autorité des marchés financiers et de rationaliser nos structures dans le champ prudentiel, car c'est l'organisation qui correspond aujourd'hui le mieux à notre configuration nationale.

Enfin, les instances consultatives dans le secteur financier seront simplifiées, pour que les consommateurs et les professions financières disposent d'une enceinte de concertation unifiée. Le comité consultatif du secteur financier procédera de la fusion de trois instances existantes. En amont, un Conseil consultatif de la législation et de la réglementation financières sera chargé de donner un avis sur l'ensemble des textes relatifs au secteur financier. Il remplacera deux instances existantes. Au total, nous aurons ainsi supprimé six autorités ou instances pour mettre en place un dispositif plus efficace, plus réactif, qui permettra de mieux faire entendre notre voix dans les enceintes internationales.

Le deuxième grand objectif du projet est de renforcer la protection des consommateurs, qui sont des épargnants et des assurés. Il s'agit de sujets en apparence très techniques, mais ils peuvent avoir un impact déterminant sur la vie de nos concitoyens. Je me limiterai aux deux principales dispositions du projet.

Le renforcement de la sécurité de l'épargnant implique la réforme de la législation sur le démarchage financier, vieille de trente ans, et la création du statut des conseillers en investissements financiers. François Goulard considère que ce texte introduit des rigidités excessives. Au contraire, il tend à mes yeux à mieux contrôler des professions au contact de nos concitoyens dans des rapports de force déséquilibrés. Pour protéger celui qui, à son domicile, fait l'objet de sollicitations sur des produits financiers, il faut que les démarcheurs soient enregistrés auprès d'une autorité publique et détiennent une carte inscrite sur un fichier centralisé. Le nouveau dispositif repose sur trois principes simples : responsabilisation des intervenants ; obligation d'une information complète de la personne démarchée ; facilité des vérifications et des recours. De même, les conseillers en investissements financiers seront encadrés, plus légèrement il est vrai.

Deux écueils sont à éviter : d'abord fixer un cadre excessivement rigide qui pénaliserait indûment le fonctionnement de l'économie. Certains amendements permettent d'y parer. De même, gardons-nous de confondre la réforme du démarchage et la lutte contre le surendettement, même si elles peuvent se rejoindre à propos de la publicité sur le crédit, que le Gouvernement s'apprête à réformer. Ainsi le Gouvernement pourra se rallier à la position de la commission des finances. Mais s'il faut veiller à ne pas rigidifier à l'excès nos règles, il faut en sens inverse créer les conditions d'une juste protection des épargnants. Aussi le Gouvernement ne sera-t-il pas favorable à des amendements qui videraient la loi de son contenu, et qui constitueraient un recul par rapport aux lois existantes.

La création d'un fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages représente une autre innovation d'importance. Alors que des fonds de garantie sont destinés à indemniser les clients des banques ou des compagnies d'assurance-vie en cas de faillite, il n'existe rien de semblable pour les entreprises d'assurance dommage. Ce n'est pas normal. Ceux d'entre vous qui ont reçu des courriers de particuliers ayant payé leur maison sur plan, et dont le constructeur et l'assureur ont fait faillite, savent à quel point ces situations peuvent être dramatiques. Il sera mis fin à cette anomalie, et le Gouvernement a soutenu l'initiative du Sénat qui a proposé que le fonctionnement de ce fonds soit rétroactif.

M. Philippe Auberger - Très bien !

M. le Ministre - Au « gouvernement d'entreprise » sont consacrés 27 articles, que nous avons préparés avec Dominique Perben. Sur ce point le Gouvernement a été jugé parfois insuffisamment ambitieux. Il aurait fallu, dit-on, traiter de manière exhaustive tous ceux qui contribuent à la production de l'information financière. De fait les compléments apportés à ce sujet par le Sénat me paraissent utiles. D'autres pensent que nous sommes en retrait par rapport aux dispositions de la loi Sarbanes Oxley aux Etats-Unis. Un examen attentif du texte les convaincra du contraire.

Nous proposons d'abord de renforcer la profession comptable, car les commissaires aux comptes jouent un rôle déterminant dans la confiance des investisseurs. Aussi convient-il d'étendre aux réseaux l'interdiction d'exercer au profit d'un même client des fonctions d'audit et de conseil, et donc d'établir solidement l'indépendance des auditeurs, ce qui ne remet pas en cause la pluridisciplinarité des cabinets. Certains considèrent que ces dispositions sont trop strictes, d'autres qu'elles le sont insuffisamment. J'y vois le signe d'un certain équilibre.

En second lieu, la création d'une autorité de contrôle externe à la profession permettra de garantir l'indépendance et la discipline des commissaires aux comptes. L'instauration de relations étroites entre le Haut conseil de commissariat aux comptes et l'AMF va dans ce sens.

Enfin des dispositions de bon sens en matière de rotation des auditeurs tendent à ce que l'associé signataire change tous les six ans, et à ce que trois années séparent les deux mandats, pour renforcer l'effectivité du co-commissariat.

S'il appartient au législateur de fixer les principes fondamentaux d'un gouvernement d'entreprise fort, qui est un gage de confiance, ne croyons pas que tout dans ce domaine relève de la loi. Pour que les actionnaires jouent bien leur rôle de contrôle, le projet confirme le caractère de pivot de l'assemblée générale.

L'organisation des travaux du conseil d'administration, du contrôle interne, les délégations de pouvoirs, feront ainsi pour les sociétés cotées l'objet d'une information précise, et l'autorité des marchés financiers fera un rapport annuel en la matière.

La transparence ainsi conçue favorisera puissamment la meilleure gouvernance des entreprises en concurrence pour attirer l'épargne privée. Cette réflexion vaut aussi pour l'Etat actionnaire. Après avoir créé l'agence des participations de l'Etat, j'attends les conclusions de votre commission d'enquête sur les entreprises publiques pour prendre d'autres mesures.

Mais, je le répète, la loi ne peut pas tout prévoir. Chaque entreprise doit s'engager résolument à mettre en _uvre les meilleures pratiques. L'indépendance, la compétence et la représentativité du conseil d'administration et des comités du conseil sont les ingrédients essentiels d'une protection contre les excès du capitalisme financier.

M. Maxime Gremetz - Ah !

M. le Ministre - Les entreprises ne doivent pas attendre que la loi leur impose demain ce qu'elles doivent faire aujourd'hui spontanément. Le Gouvernement a donc choisi de laisser aux entreprises la liberté de s'organiser. Il avait également choisi de ne pas traiter de certains acteurs. Pour pallier ce qui pouvait apparaître comme une carence, le Sénat, avec le soutien du Gouvernement, a proposé un dispositif judicieux pour les analystes et les agences de notation.

Pour les analystes financiers, nous ne partons pas de zéro, et le dispositif qui vous est soumis me paraît satisfaisant ; ce n'est pas l'avis de votre commission, mais nous y reviendrons.

Pour les agences de notation, nous ne devons pas nous résigner à une situation où l'autorité boursière américaine, seul régulateur mondial de fait, édicterait des règles s'appliquant au reste du monde. J'ai donc engagé le dialogue au niveau international. Faire clairement de l'Autorité des marchés financiers, qui rédigera un rapport annuel sur les agences, l'interlocuteur du régulateur américain, me paraît contribuer utilement à cette pression collective sur les acteurs pour qu'ils améliorent la transparence de leurs activités. Enfin le Gouvernement a soutenu les initiatives du Sénat tendant à renforcer la compétitivité et l'attractivité de notre place financière, avec la modernisation du droit de la titrisation, des sociétés de crédit foncier ou des OPCVM.

Au total, ces dispositions constituent un ensemble cohérent pour moderniser notre système juridique et renforcer la protection de l'épargne publique. Ainsi, placés au meilleur niveau des standards internationaux, nous pourrons poursuivre le dialogue avec nos partenaires en disposant d'une position forte. Nos efforts ne se résument pas à ce projet. La France poursuit ses efforts au niveau communautaire et dans le cadre de sa présidence du G7 pour les questions qui ne peuvent trouver de réponse que dans un cadre élargi. Il en va ainsi du contrôle des « entités non régulées », des normes comptables, ou de la négociation des directives européennes qui encadrent les marchés.

Montesquieu rappelle qu'« il ne faut jamais faire par les lois ce qu'on peut faire par les m_urs ». Le Gouvernement souhaite établir des principes clairs, et qui soient respectés. Avec Dominique Perben, je suis déterminé à agir en ce sens. Pour restaurer la confiance, il faut clarifier certaines règles, en édicter d'autres. Il faut surtout que nos comportements soient à la mesure des enjeux de nos économies modernes, car aucune règle ne permettra de pallier une éthique défaillante. Je suis confiant dans notre capacité collective à relever ce défi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. François Goulard, rapporteur de la commission des finances - En lisant l'excellent rapport pour avis de Philippe Houillon, je me suis aperçu que, sans du tout nous être copiés, nous avions commencé tous deux par la même réflexion : ce projet n'est nullement une loi Sarbanes-Oxley à la française, pour la bonne raison que notre pays n'a pas connu des scandales du type de ceux qui ont affecté aux Etats-Unis la sincérité des comptes des entreprises.

M. Maxime Gremetz - Chez nous, ce n'est pas mal quand même ! Le Président de la République n'a-t-il pas parlé de « patrons-voyous » ?

M. le Rapporteur - Aux Etats-Unis, c'est la sincérité des comptes présentés au public qui était en cause. Or, à aucun moment les problèmes rencontrés par certaines grandes entreprises françaises n'ont mis en cause l'exactitude de leurs comptes. Ne confondons pas insincérité des comptes et crise du management !

M. Plagnol nous incitait à l'instant à réfléchir à la nécessité de la loi. Autrement dit, quelles réponses législatives sommes-nous en mesure d'apporter aux difficultés qu'ont rencontrées, dans la période récente, certaines de nos entreprises ? A l'évidence, certains effets peuvent être mieux encadrés.

La volatilité des marchés financiers et l'éclatement de la bulle internet ne font que confirmer des phénomènes économiques classiques. Il s'est déjà produit fréquemment qu'une innovation technique majeure entraîne une appréciation déraisonnable du cours des actions des entreprises y participant, du fait de l'engouement des actionnaires. Une fois cet emballement passé, les cours retrouvent un niveau plus réaliste et la viabilité des entreprises _uvrant dans un secteur à forte valeur ajoutée technologique n'est pas compromise. La preuve en est que les sociétés de l'internet recommencent à gagner de l'argent.

Le législateur est également presque impuissant à réguler les effets d'une crise du management telle que celle qui a conduit deux de nos principales entreprises - l'une privée, l'autre publique - au bord de la défaillance. La vie d'une entreprise tient ainsi pour une large part à la valeur de son chef et à la capacité de ses actionnaires à rester attentifs à ses choix stratégiques. La loi ne peut rien contre le charme des escrocs ou contre l'ascendant qu'exercent certains faiseurs ! Elle serait bien en peine de réprimer les soubresauts qui agitent parfois nos grandes entreprises. Mais la vertu cardinale de nos économies de marché réside dans leur capacité à surmonter ces crises, dont l'histoire économique est grosse.

Notre législation peut être améliorée sur bien des points, en vue notamment d'assurer le bon fonctionnement des marchés et de garantir la sincérité des comptes. Les Etats-Unis ont été conduits à adopter dans un délai très bref une législation très rigoureuse. Votre projet, Monsieur le ministre, n'a pas le même sujet puisqu'il tend pour l'essentiel à perfectionner une législation qui a fait ses preuves et à l'adapter, sans la remettre en cause, à de nouveaux défis. Il convient donc de rappeler d'emblée que le système français n'a pas connu de défaillance majeure dans la période récente. Dès lors, le long texte qui nous est soumis procède à un nombre très considérable d'actualisations dans les domaines les plus divers, et comporte des dispositions très techniques, parfois quelque peu hermétiques pour le profane.

S'agissant de l'Autorité des marchés financiers, la réforme que vous engagez est bonne. Certes, les autorités de régulation existantes n'ont pas failli mais la création d'une commission de contrôle commune aux entreprises d'assurance, aux mutuelles et aux institutions de prévoyance est particulièrement bienvenue. Le secteur mutualiste n'a pas été exempt de tout reproche au cours des dernières années. Il a tout à gagner à un meilleur contrôle.

Deux questions ont fait l'objet de débats particulièrement vifs au sujet de l'AMF : quid des analystes financiers et des agences de notation ? Nous sommes favorables à un certain contrôle des analystes financiers...

M. Jean-Pierre Balligand - Vous avez repoussé nos amendements en ce sens !

M. le Rapporteur - ...mais il serait vain de légiférer dans le cadre national, sur des activités qui ne connaissent pas de frontières, sans se soucier de ce qui se fait ailleurs. Il nous semblerait par conséquent de bonne méthode de renforcer la coordination internationale sur ces questions. Quant aux agences de notation, je suis d'accord pour que l'AMF s'en soucie, mais dois-je rappeler qu'aucune n'a établi son siège en France, et qu'elles échappent donc toutes à notre législation ?

En ce qui concerne les commissaires aux comptes - sujet important pour la vie de nos entreprises -, la réforme proposée est extrêmement positive. La création d'un haut conseil est très bien accueillie par les professions concernées, qui y voient le gage d'une indépendance accrue. Grâce aux amendements adoptés par le Sénat sur le cumul des fonctions de conseil et de contrôle, nous disposerons à l'issue de nos travaux d'un système de commissariat aux comptes encore amélioré, sa qualité actuelle étant du reste particulièrement remarquable.

Vous avez regroupé nombre d'autres dispositions sous une rubrique globale de « protection du consommateur », certaines ayant trait notamment au surendettement. Bien que je n'en conteste évidemment pas les objectifs, j'ai tenu quelques propos assez critiques sur cet aspect du texte. Je considère en effet qu'il n'est pas forcément très opportun, alors que tout plaide pour la simplification de notre législation, d'adopter des mesures lourdes à mettre en _uvre et dépourvues de réelle portée pratique. Un texte de loi ne vaut que s'il répond à l'objectif que l'on s'est fixé et si l'on dispose des moyens matériels et humains pour l'appliquer. En l'espèce, il est de mon devoir de rappeler qu'une législation sur le démarchage bancaire et financier existe déjà mais qu'elle reste lettre morte faute de moyens pour l'appliquer ! Il est envisagé de soumettre plusieurs dizaines de milliers de salariés à un régime d'enregistrement systématique : est-ce réaliste ?

A côté d'excellents principes, le texte comporte donc des dispositions que leur caractère excessif condamne à demeurer inappliquées. Pour autant, l'ensemble du projet reste excellent et nous ferons progresser sensiblement notre législation financière en l'adoptant.

Deux regrets cependant, à ce stade de notre débat. L'Europe reste insuffisamment présente sur tous ces sujets et, par voie de conséquence, cela nous conduit à faire preuve d'un certain suivisme à l'égard des pratiques anglo-saxonnes, notamment en matière de normes comptables. Le sujet n'est pas neutre, si l'on veut bien considérer, justement, que les normes comptables américaines sont assez largement responsables de la volatilité des marchés financiers (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe UMP). L'Europe doit s'affirmer en tant qu'interlocuteur capable d'édicter des règles communes, à décliner dans chaque Etat membre, et ne pas rester à la remorque des Anglo-saxons (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Philippe Houillon, rapporteur pour avis de la commission des lois - L'affaire Enron -et d'autres, tout aussi retentissantes, nées de malversations flagrantes - a entraîné une perte de confiance dans les mécanismes du marché et, en fin de compte, une cassure dans la « chaîne de confiance ».

En France, nous avons plutôt connu des crises d'endettement, liées aux décisions de gestion critiquables qui ont frappé de plein fouet les actionnaires de Vivendi, de France Télécom ou d'Alcatel.

Tout ceci a sonné le glas de l'autorégulation. La confiance ne se décrète pas, même dans une loi, mais lorsqu'elle est rompue, il n'est pas concevable de rester inerte. C'est en vertu de ce constat que le Gouvernement présente aujourd'hui ce texte, dont le titre résume bien l'objectif poursuivi.

Cette démarche s'inscrit d'ailleurs dans un mouvement commun aux Etats-Unis, au Japon et à l'ensemble de l'Union européenne.

Cela dit, il convenait de tenir compte du fait que la législation française est plutôt en avance dans la définition de mécanismes protecteurs des actionnaires et des investisseurs ; dès lors, le présent texte n'est pas une loi Sarbanes-Oxley à la française, mais un outil de correction de certains dysfonctionnements ainsi que de prévention, visant pour l'essentiel à rétablir la confiance.

A ce titre, il tend à unifier les autorités de contrôle des marchés financiers au sein de la nouvelle AMF, à réglementer le démarchage et le conseil en investissement et, dans un titre III sur lequel porte la saisine pour avis de notre commission des lois, à moderniser le contrôle légal des comptes et à garantir la transparence.

Le projet améliore le contrôle légal des comptes avec, comme axes prioritaires, la pertinence et la transparence de l'information financière fournie par les entreprises. Les commissaires aux comptes sont ainsi constitués en maillon essentiel de la chaîne de sécurité financière.

Les professionnels français n'ont pas démérité : sur 250 000 comptes certifiés chaque année, les « accidents » n'arriveraient que dans un cas sur 10 000. Une grande partie du chiffre d'affaires du secteur - 2,6 milliards d'euros en 2002 -, est réalisée par quatre grands cabinets ; une cinquantaine d'autres totalisent 40 % des honoraires d'audit et d'expertise comptable réalisés par les huit premiers cabinets.

Eu égard à l'importance croissante des missions de commissariat, l'autorégulation ne saurait suffire. Certes, il existe déjà des exceptions françaises - les incompatibilités, la déontologie, le co-commissariat, la formation professionnelle obligatoire, la révélation des faits délictueux, la discipline ou la procédure d'inscription -, mais il convenait de renforcer la régulation de la profession et d'en préciser l'unité.

C'est ainsi que le projet crée par un Haut conseil du commissariat aux comptes, composé en majorité de personnalités extérieures à la profession et appelé à devenir la nouvelle autorité morale de la profession dont il définira les bonnes pratiques. Deux questions, cependant, demeurent : les compétences et les moyens.

Le projet consacre la reconnaissance de la Compagnie nationale sur le même principe que celui du Conseil national des barreaux qui, conjointement avec le Haut conseil, assurera la surveillance de la profession.

Le Garde des Sceaux se voit attribuer la faculté de prononcer la suspension temporaire d'un commissaire aux comptes. J'ai proposé un amendement, adopté par la commission, pour greffer sur cette procédure inédite le principe du contradictoire et respecter ainsi la Convention européenne.

La question de la séparation de l'audit et du conseil est au c_ur de la réforme. C'est un sujet clé pour l'indépendance des commissaires aux comptes : il est avéré que l'audit constituait une occasion de « vendre » simultanément du conseil, pour un chiffre d'affaires bien supérieur -ce fut le cas, par exemple, d'Arthur Andersen dans l'affaire Enron.

Notre droit interdit déjà le cumul des fonctions d'audit et de conseil dans une même société mais cette règle a été contournée avec le développement des réseaux. Le projet de loi réaffirme la règle d'incompatibilité tout en autorisant explicitement le conseil expressément lié aux diligences de la mission de certification mais sans aborder la question du conseil dans les sociétés mères ou filiales de la société dont les comptes sont contrôlés.

Il pose en outre, pour la première fois, la délicate question des réseaux, sans apporter de définition. Votre commission souhaite qualifier plus précisément cette notion, en faisant référence au concept d'intérêt économique commun.

Le Sénat, contre l'avis du Gouvernement, a étendu le principe de la séparation de l'audit et du conseil aux sociétés mères ou filiales. En pratique, la dimension extraterritoriale du système rend illusoire la portée de cette mesure. Votre commission a donc adopté un dispositif qui organise l'information et la transparence de l'activité des réseaux dont le principe est le suivant : interdiction totale du cumul dans une même société ; information écrite par le commissaire, de son appartenance à un réseau national ou international et du montant global des honoraires perçus par ce réseau au titre d'autres prestations fournies aux sociétés mères ou filiales ; actualisation chaque année de ces renseignements ; renvoi au code de déontologie de la définition des situations dans lesquelles l'indépendance du commissaire affilié à un réseau pluridisciplinaire est affectée. Ces propositions se situent dans la droite ligne de ce que la COB avait préconisé.

Le projet aborde également les conditions dans lesquelles des associations d'investisseurs ont le droit d'ester en justice. Il existe deux dispositifs de mise en jeu de la responsabilité et d'indemnisation. Le premier, sur le fondement du droit commun de l'article 1382 du code civil, le second par le biais de l'action sociale de l'article L. 225-252 du code de commerce.

Le projet de loi proposait un diptyque : absence d'agrément et interdiction de rechercher des mandats. Le Sénat a opté pour un maintien de l'agrément, en levant l'interdiction de recherche de mandats qui existait jusqu'alors dans notre droit. La commission des lois a donné un avis favorable à cette position.

Quelle que soit l'initiateur de la mise en jeu de la responsabilité, la jurisprudence ne laisse guère de place à l'indemnisation d'un préjudice propre distinct du préjudice social. La baisse de la valeur des actions ne constitue pas un préjudice propre, mais concerne le patrimoine social. Il n'y a guère de place pour un préjudice distinct, c'est-à-dire pour ce que le président Clément a appelé les « dommages collatéraux »... (Sourires)

Votre commission a donc adopté un amendement ouvrant une faculté de réparation, au-delà du seul préjudice social, en faveur de l'actionnaire, afin que notre Assemblée puisse en débattre.

En ce qui concerne les agences de notation et les analystes financiers, le Sénat a introduit quelques dispositions sur ce sujet, qui est largement à défricher, dans un contexte qui ne peut être franco-français, alors même que tous les acteurs s'accordent à en souligner le rôle déterminant dans les mouvements de marché. La SEC américaine y travaille, l'Allemagne et d'autres pays également. Notre ministre des finances a proposé que le sujet soit traité au sein du G7 sous présidence française. Il est souhaitable que notre Parlement entreprenne une réflexion sur ces deux catégories d'acteurs, dont la personnalité transnationale ne saurait empêcher la participation de la France à la définition de règles communes.

Ce projet est un bon projet qui remplit son objectif et qui, contrairement à d'autres textes - comme la loi NRE - privilégie la qualité et l'efficacité de l'information plutôt que sa quantité. Je vous invite donc à l'adopter (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - S'il n'y avait eu les événements américains, la France aurait presque pu se passer de ce projet - même si, sans doute, nous l'aurions examiné plus tard. Enron était présentée comme un modèle de transparence ; or la présentation de ses comptes était mensongère. Cela occasionne une crise très forte du capitalisme américain.

M. André Gerin - Tout à fait !

M. le Président de la commission - Cette crise de confiance, considérable, fut d'autant plus dramatique que, lorsque les Américains veulent financer les études de leurs enfants ou préparer leur retraite, ils investissent en Bourse. C'est ainsi que 80 millions d'Américains sont aujourd'hui ruinés. Contrairement à ce que l'on aurait pu penser quelques mois plus tôt, le Congrès des Etats-Unis s'est empressé de voter une loi à côté de laquelle la vôtre, Monsieur le ministre des finances, est ultra-libérale - je fais un peu de provocation (Sourires). Allant jusqu'à prévoir l'extraterritorialité, elle peut décourager l'inscription des entreprises du monde entier, notamment européennes, à la Bourse de New York.

M. André Gerin - C'est bien le but recherché !

M. le Président de la commission - C'est dans ce contexte que sont survenues les erreurs stratégiques de FranceTélécom - et, peut-être, concernant Vivendi, certains faits de dissimulation.

Les chefs d'entreprise français, à travers deux groupes de travail, les groupes Viénot 1 et 2, ont essayé d'imposer de plus en plus de contraintes, les mêmes qui sont désormais en vigueur sur le marché américain. Selon certaines études, cependant, un quart seulement des entreprises citées au CAC 40 appliqueraient tout ou partie de ces recommandations - d'où la constitution d'un nouveau groupe de travail, le groupe Bouton, pour essayer de faire avancer les choses.

Bien des entreprises cotées ont fait de grands progrès en matière de gouvernance, de transparence, de publicité de leurs comptes. On aurait donc pu considérer, compte tenu de la législation déjà existante, que l'on pouvait en rester là.

Or, le ministre des finances et le Garde des Sceaux nous proposent un projet de loi, qui s'inscrit dans un contexte de liberté, et dont la principale innovation constitue un progrès considérable : une seule autorité surveillera la société financière en France, la double origine privée et publique de ses personnels étant de nature à rassurer les marchés.

S'agissant des commissaires aux comptes, nous savons que nombre d'entreprises ont toujours les mêmes. Aussi avons-nous limité leur durée d'exercice : au bout de six ans, ils devront céder la place à d'autres, et dès trois ans, à un de leurs associés. Reste que, les comptes des entreprises cotées étant très complexes, le choix sera relativement limité. Il me paraît donc sain que les candidats commissaires aux comptes fassent connaître les entreprises dont ils contrôlent déjà les comptes, afin de mesurer le risque de dépendance. Nous verrons dans quelques années si ce délai de six ans, que nous allons expérimenter, permettra au commissaire aux comptes de connaître la totalité de l'entreprise, y compris le hors-bilan.

Reste l'éternel problème des agences de notation et des analystes. Pour les premières, le problème est réglé. Il n'en existe qu'une qui soit française, mais son siège est à Londres - il s'agit de Fitch. Si la législation française ne s'impose donc pas à ces agences, il n'en va pas de même des analystes, qui sont des salariés de banques d'affaires détenant elles-mêmes des participations dans de grandes entreprises. Ils oublient souvent de dire qu'ils jugent aussi en fonction de leurs propres intérêts, puisqu'ils ont aussi pour mission de faire acheter telle ou telle valeur.

M. André Gerin - Tout à fait !

M. le Président de la commission - Il me paraît donc urgent de retenir l'amendement du Sénat, qui propose de confier le contrôle des analystes à l'AMF. Le terme même d'analyste demande d'ailleurs à être précisé, car il entretient la confusion entre agences de notation et banques d'affaires. Or si les premières sont indépendantes, les secondes ne le sont pas.

S'agissant de la gouvernance, il est indispensable qu'un certain nombre de comités soient créés dans le cadre des activités du conseil d'administration : le comité d'audit, celui des rémunérations, mais on peut aller au-delà, en veillant à ne pas démotiver les membres du conseil d'administration n'appartenant pas à ces comités.

Sous la pression anglo-saxonne, les commissions Viénot et Bouton se sont penchées sur la notion d'administrateur indépendant. Les Anglo-Saxons tiennent en effet beaucoup à la présence d'administrateurs indépendants. Toutefois, le capitalisme français étant loin d'être aussi dispersé, sur le territoire national, que le capitalisme américain, la notion ne peut être tout à fait la même en France. La vraie distinction sera donc entre l'administrateur membre de l'exécutif et celui qui ne l'est pas. Mais la bonne définition de l'indépendance est à mes yeux la suivante : est indépendant l'administrateur qui est éloigné de ses propres intérêts. Ce critère permettra d'éviter que ne se développe la « profession » d'administrateur indépendant, vivant de son appartenance à de multiples conseils.

Le fonctionnement d'un conseil d'administration, sa transparence à l'égard de l'assemblée générale des actionnaires - trop souvent réduite à une chambre d'enregistrement - la complexité de la présentation des comptes - à laquelle bon nombre d'administrateurs ne comprennent goutte, ce qui rend souhaitable la création par le règlement intérieur d'un comité spécialisé : voilà des questions qui étaient posées au législateur français.

Où placer le « curseur » ? Il ne fallait évidemment pas faire obstacle au rayonnement international du capitalisme français, ce qui eût été une politique de Gribouille - défaut que la France n'a pas toujours su éviter, comme en témoigne la loi sur les nouvelles régulations économiques. Si la loi, donc, ne peut s'abstraire du marché, il y a tout de même des choses qu'elle peut dire. Pour ce qui est des stock-options, qui ont à juste titre défrayé la chronique, je propose ainsi, par un amendement, que la période de référence pour la fixation du cours soit portée à trois mois, afin de ne pas donner prise à la tentation de jouer avec le cours de l'action - idée qui n'est malheureusement pas le fruit de mon imagination. Il y a là une certaine moralisation à faire.

N'attendons pas de cette loi qu'elle règle tous les problèmes. Jamais le droit des affaires ne se substituera à la vertu et à l'honnêteté des agents économiques, dont certains ont précisément perdu tout sens moral. Revenons à des mesures raisonnables, afin que la morale rejoigne l'économie et que celle-ci ne s'affranchisse pas de la morale. Les réalités américaines et les erreurs stratégiques françaises nous remettent les pieds sur terre. Tant mieux si cela rejoint aussi la morale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe communiste et républicain une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Jacques Desallangre - Le projet de loi qui nous est soumis soulève des questions qui touchent aux fondements de la démocratie.

Tout d'abord, il ne permet pas au Parlement de mener un travail à la hauteur des enjeux, surtout dans un contexte d'examen des textes à marche forcée. Seul un virtuose du droit peut se retrouver dans ce projet de loi fourre-tout, d'une technicité extrême, qui touche aussi bien au droit des affaires qu'à celui des sociétés, des marchés financiers ou des assurances.

Henri Queuille disait que la meilleure façon de résoudre un problème politique consiste à ne pas le poser. A l'heure actuelle, il semblerait plutôt, aux yeux du Gouvernement, que la meilleure façon de le résoudre soit de le poser en des termes si techniques qu'il en devient incompréhensible pour le plus grand nombre. 126 articles - dont 28 articles additionnels adoptés par le Sénat -, 176 pages, une kyrielle de renvois à divers codes : voilà le programme qui nous attend. Ce maquis inextricable recèle pourtant des enjeux majeurs pour nos compatriotes. Mais comment y répondre en toute connaissance de cause ? La question touche au c_ur de l'idéal démocratique. Si « nul n'est censé ignorer la loi », comment la connaître lorsqu'elle est sciemment rendue incompréhensible par ses auteurs ?

Lorsqu'on examine le niveau de compétence requis pour assimiler les dispositions créées ou modifiées par le texte, on ne peut que conclure qu'elle sera réservée à une minorité privilégiée, seule en mesure d'_uvrer à faire partager ses vues. Il ne peut en résulter qu'un débat démocratique dénaturé, atrophié, confisqué. Ne croyez pas qu'il s'agisse d'un nouvel avatar de la fameuse théorie du complot ! Mais, on ne peut ignorer les acquis des recherches anthropologiques et sociologiques, qui démontrent que celui qui entend se montrer fidèle à un idéal démocratique authentique, doit tenir compte de certaines conditions sans lesquelles celui-ci est hors de portée. La domination n'est pas seulement économique, mais aussi culturelle et symbolique.

Aussi condamnons-nous l'illisibilité de ce texte, qui donne des ressources de pouvoir à l'infime minorité de nos compatriotes, qui est détentrice de privilèges culturels. Jamais projet de loi n'aura aussi bien démontré à quel point les verbes « savoir » et « pouvoir » se ressemblent au point de se confondre !

Cette exception d'irrecevabilité met en lumière un enjeu majeur du texte. Il s'agit moins de revenir sur ses points clés - ou jugés tels par la presse économique - que de révéler les enjeux masqués par la technicité et la densité du texte.

Nos concitoyens doivent savoir que le Gouvernement et la majorité ont reculé s'agissant des relations entre les banques et leurs clients. Ceux-ci se trouvent en réalité en situation de subordination face à celles-là, et il y a loin de leurs droits formels à leurs droits réels. Alors qu'ils sont tenus par la loi de posséder au moins un compte de dépôt, nos concitoyens sont victimes, de la part de leurs banques, de pratiques si opaques qu'en comparaison, le fonctionnement du conseil d'administration d'une multinationale quelconque paraît d'une transparence exemplaire (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP).

Avant de détailler ce point en prenant l'exemple des dates de valeur, je souhaite souligner le double langage tenu par le Gouvernement sur ce dossier, comme sur tant d'autres. S'il était, comme il le prétend, réellement à l'écoute de la France qu'il appelle avec condescendance « d'en bas », il n'hésiterait pas à rappeler les établissements de crédit à leurs devoirs les plus élémentaires et trouverait les voies nécessaires. Bien que toute relation contractuelle implique des droits et des devoirs pour chacune des parties, et que les plus désarmés de nos concitoyens face aux banques soient les plus démunis sur le plan économique mais aussi social, le Gouvernement rend les armes sur les conventions de compte avant même d'avoir livré bataille, comme en témoignent les dispositions de l'article 56 bis du texte, ô combien symboliques, bien que noyées dans une prose abondante. Mais le Gouvernement était-il prêt à se battre contre les pratiques abusives des établissements de crédit ? Y avait-il même songé ? On peut s'interroger sur sa détermination quand on voit, dans un autre domaine, combien de ministres se contentent de s'indigner devant la cascade de plans sociaux, sans jamais aller au-delà des mots. Il est aisé de discourir lorsqu'on n'a pas l'intention d'agir ensuite !

Les conventions de compte n'étaient qu'une première étape sur la voie d'une réelle transparence des pratiques bancaires. La loi portant diverses mesures urgentes à caractère économique et financier - MURCEF - de décembre 2001 avait constitué une avancée. Malheureusement, le Gouvernement nous ramène aujourd'hui à la case départ en enterrant les dispositions prévues en ce domaine. Cette décision injustifiable ne pourra qu'attiser encore le sentiment d'impuissance et d'inefficacité des politiques, ressenti par nos concitoyens et largement à l'origine de leur vote lors du premier tour de l'élection présidentielle. Le directeur du département Politique et opinion de la SOFRES interprète lui-même le séisme du 21 avril 2002 comme l'expression de cette crise de l'efficacité du politique. Qu'il s'agisse de l'emploi ou de la sécurité, nos concitoyens sont très largement majoritaires à avoir le sentiment que le politique ne peut rien. Aucun élu ne peut demeurer indifférent à ce constat. A fortiori, la majorité et le Gouvernement, qui disposent aujourd'hui de tous les leviers institutionnels, sont tenus d'en prendre acte et d'agir. Malheureusement, jamais l'ampleur d'une majorité n'a permis de pallier l'absence de volonté politique.

S'agissant des relations entre les banques et leurs clients, le Gouvernement disposait et dispose encore de marges de man_uvre. Il aurait pu et peut encore s'appuyer sur le travail déjà accompli par dix-sept associations de consommateurs qui négocient depuis longtemps avec la Fédération bancaire française et la Poste. Or, il n'en a rien fait : les clients des banques devront supporter le statu quo. Cédant ainsi au lobbying des banques, le Gouvernement témoigne d'ailleurs de son peu d'intérêt pour le dialogue social.

Des solutions avaient été envisagées dans le cadre de la commission Jolivet, mise en place en 1999. Or, aujourd'hui, on nous propose de suspendre pour dix-huit mois les dispositions de la loi MURCEF relatives aux conventions de compte ! Comment nos concitoyens ne seraient-ils pas exaspérés ? Ils reprochent essentiellement à leurs banques d'augmenter leurs tarifs, de faire désormais payer des prestations auparavant gratuites et surtout de ne les prévenir en rien de ces changements. Un article fort intéressant du Point titrait : « Les Français n'ont plus confiance dans leurs banques», et son auteur se demandait même si celles-ci ne les volaient pas. L'UFC enregistre plus de quatre cents plaintes par semaine au sujet des banques, rien que sur son site internet. Toutes les sources confirment la tendance : selon un rapport du comité consultatif de la Banque de France, les réclamations écrites aux établissements de crédit ont bondi de 48 % en 2001 !

Une plus grande transparence serait donc impérative : malheureusement, le Gouvernement s'obstine à faire la sourde oreille. Sept Français sur dix n'ont aucune idée précise du montant que leur banque leur facture au titre des frais bancaires. 84 % d'entre eux souhaiteraient qu'une présentation claire et séparée de ces frais soit obligatoire, 60 % s'y déclarant même « très favorables ». Et, fait notable, quasiment tous ont un avis sur la question, ce qui prouve qu'elle les intéresse au plus haut point.

Pour comprendre le ras-le-bol de nos concitoyens face aux banques, il faut s'attarder un instant dans la jungle de la tarification bancaire. D'après une enquête de l'UFC-Que choisir ?, il n'existerait pas moins de 180 types de frais bancaires, dont certains très difficiles à justifier comme les « frais de conservation en agence d'un chéquier non retiré sous six semaines », les « frais de mise à disposition d'un chéquier en agence » ou bien encore les « frais de renseignements donnés par téléphone ». Peu familiers de l'écosystème subtil qui semble caractériser la jungle bancaire, les clients ignorent la plupart du temps que toutes les opérations qu'ils ont demandées - ou non, d'ailleurs - leur seront facturées, et, a fortiori, combien. L'affichage des prix en agence et l'édition de « plaquettes tarifaires » ne suffisent pas, les informations n'étant d'ailleurs que très rarement exhaustives, presque toujours incompréhensibles et toujours fournies a posteriori. Les banques débitent les comptes de leurs clients pour couvrir ces prétendus frais, mais ne les en informent que plusieurs jours, voire plusieurs semaines plus tard, par le biais des relevés de compte. Cet abus de pouvoir est injustifiable. Pourquoi les banques seraient-elles exonérées de l'obligation faite à tout professionnel de présenter une facture, ou au moins une note d'information spécifique, avant d'exiger le paiement d'une prestation ? Par ailleurs, la présentation actuelle des relevés de compte, délibérément ésotérique, empêche les clients d'évaluer le coût du fonctionnement de leur compte.

Dans ce contexte, on comprend aisément la crise de confiance qui s'est instaurée entre les clients et leurs banques. Monsieur le ministre de l'économie, vous déclariez vous-même en substance dans la livraison de Valeurs actuelles du 21 avril dernier que le système économique repose sur certaines règles et que ses acteurs, épargnants, entrepreneurs, clients, salariés, en ont besoin pour avoir confiance. Autrement, poursuiviez-vous, « c'est la loi de la jungle ». Qu'attendez-vous donc pour mettre un terme aux pratiques abusives des banques ?

L'exemple des dates de valeur est parfaitement éclairant : derrière ces pratiques opaques, déloyales et, pour certaines, illégales, se cachent tout simplement des histoires de gros sous. Il suffit de se référer à une étude menée par l'UFC-Que choisir ? à partir de 28 « plaquettes tarifaires » de banques - je crois d'ailleurs savoir, Monsieur le ministre, que vous avez été personnellement informé des résultats éloquents de cette étude. Sur 28 banques, 25 appliquent des dates de valeur, d'une durée allant de deux à sept jours ouvrés. Seules la Poste, la BICS et la Caisse d'épargne Ile-de-France n'en appliquent pas. Opaques, les dates de valeur constituent de surcroît une tarification occulte et incontrôlable, incompréhensible pour les consommateurs. Cette pratique, jugée illégale selon une jurisprudence constante, permet néanmoins aux banques d'engranger des centaines de millions d'euros par an, au détriment de leurs clients.

Comment fonctionne le système ? Le client qui dépose un chèque sur son compte pense en toute bonne foi que celui-ci y sera immédiatement crédité. C'est compter sans les fameuses dates de valeur ! En réalité, les banques ne diffèrent pas la date des crédits non plus que des débits qui, sur les relevés de compte, apparaissent conformes à la réalité. Elles tiennent une deuxième comptabilité qui tient compte, elle, des décalages artificiellement créés.

Dans ce système opaque, elles font comme si les débits avaient eu lieu un ou deux jours plus tôt et les chèques au crédit avaient été déposés jusqu'à sept jours plus tard.

Les banques ont toujours utilisé les marchés financiers pour engager des intérêts. Grâce aux dates de valeur, elles augmentent la durée de leurs placements. Le consommateur, lui, ne connaît rien de ces pratiques. Il s'acquitte d'agios et de frais financiers, parfois sans s'en rendre compte, et sans connaître leur justification. Nous sommes donc très loin de l'idéal de transparence.

Deux colonnes « date » figurent sur les relevés bancaires, la date d'opération et la date de valeur. Si les dates coïncident, cela signifie que la banque n'applique pas de date de valeur ou qu'elle ne les fait pas clairement apparaître. Pour connaître le détail des dates de valeur appliquées, le meilleur moyen consiste à demander une plaquette tarifaire détaillée à la banque. Mais encore faut-il être capable d'en percer la complexité.

Quant aux dates de valeur appliquées aux chèques présentés à l'encaissement, elles dépendent de plusieurs facteurs, comme l'heure de dépôt. La journée bancaire est arrêtée à un horaire variable selon les établissements : 9 heures, 11 heures ou 17 heures. Les opérations effectuées au-delà de cet horaire ne sont traitées que le lendemain. De plus, en fonction du mode de décompte utilisé, la date de valeur peut varier de deux à huit jours. Si la banque raisonne en jours calendaires, tous les jours sont pris en compte dans le calcul de la date de valeur, y compris les jours de fermeture de l'agence. Certaines décomptent en jours ouvrés : ce sont les jours travaillés dans l'agence qui sont pris en compte.

Enfin, le décompte en jours ouvrables est le moins avantageux pour les clients : dans ce cas, en effet, les jours ouvrés durant le week-end et les jours fériés ne sont pas pris en compte, et une opération effectuée le samedi est ainsi décalée de deux jours, voire plus, si un jour férié ou un pont prolongent encore ce délai.

La méconnaissance de ces pratiques peut coûter cher. La somme déposée est officiellement disponible dès la date de l'opération. La banque agit cependant comme si elle avait disposé de la somme plusieurs jours plus tard et se permet en conséquence, en cas de découvert, de facturer des agios au prorata temporis. Tout achat effectué durant ce délai viendra saler encore un peu plus la note à payer.

Mais les banques ne se contentent pas de retarder les opérations créditrices : elles anticipent la date des opérations de débit. On parle dans ce cas de dates de valeur négatives. Les banques arrivent à remonter le temps ! Elles appliquent des dates de valeur anticipées à vos opérations de débit, y compris sur les retraits d'espèces. Ce décalage est généralement de deux jours sur les chèques présentés au débit : un paiement effectué le lundi aura la date de valeur du samedi précédent, si la banque utilise les jours calendaires. Si elle applique la règle des jours ouvrés, cette date de valeur peut se trouver avancée au vendredi précédent, en fonction des jours d'ouverture de l'agence. Ce décalage « anticipatif » a les mêmes conséquences : une durée de placement financier accrue pour la banque et des frais supplémentaires pour le client.

Il convient de reconnaître que certaines banques n'appliquent pas de dates de valeur négatives sur les chèques au débit. De nombreux établissements continuent cependant d'anticiper d'un ou deux jours la date à laquelle elles ne disposent plus de la somme.

Un nouvel exemple doit être donné pour illustrer cette pratique qui lèse quotidiennement des millions de Français : on fait un chèque le jeudi matin à un commerçant qui le dépose le jour même sur son compte. Aussi impensable que cela puisse paraître, la banque agit comme si la somme lui avait été débitée deux jours auparavant, soit le mardi précédent ! Ici encore, si ce compte est à découvert, son titulaire paiera des agios supplémentaires. De nombreux témoignages, recueillis chaque mois par les associations de consommateurs, prouvent que des agios sont facturés, et assortis éventuellement de frais de rejet d'écriture, du simple fait des dates de valeur. Aucun autre professionnel ne peut s'approprier ainsi l'argent de ses clients pour l'utiliser à son profit et à leur détriment !

L'étude des dates de valeur pratiquées par les banques est riche d'enseignements. Elle montre d'abord la grande variété des pratiques. L'application des dates de valeur varie en fonction du type d'opération et de la banque. Au sein d'un même groupe, les dates de valeur diffèrent d'une direction régionale à une autre.

L'étude met en évidence des pratiques illégales et d'ailleurs condamnées depuis de nombreuses années. Dans une décision du 6 avril 1993, la chambre commerciale de la Cour de cassation a condamné l'application de dates de valeur aux opérations de remise et de retrait d'espèce. Un arrêt, rendu par la Cour de cassation le 27 juin 1995, rappelait aux banques que les dates de valeur ne sont pas plus admissibles pour les virements que pour les retraits d'espèces. Cela ne semble pas gêner certains établissements bancaires, qui continuent d'appliquer des dates de valeur aux retraits aux distributeurs et aux virements.

Si la Poste ou la Caisse d'épargne d'Ile-de-France n'appliquent aucune date de valeur, les dépôts des chèques ne sont pas pour autant crédités le jour même. Ils restent soumis, et c'est tout à fait compréhensible, à des délais techniques de regroupement, de transmission, et de traitement. Si votre CCP est domicilié à Paris, un chèque déposé dans un bureau de poste parisien sera porté au crédit le jour même ou le lendemain, selon l'heure de dépôt. Le même chèque, déposé dans une autre région, nécessitera un délai de 48, voire 72 heures. la Poste justifie ce délai par l'étendue de son réseau : 16 000 bureaux de poste, parfois fort éloignés des centres de traitement.

Rappelons que les consommateurs ne connaissent pas le montant du préjudice qu'ils subissent chaque année. Mais les banques, elles, savent combien il leur rapporte : au moins deux milliards d'euros chaque année.

Il existe en outre des différences de traitement entre catégories de clients. Ainsi, les grandes entreprises peuvent obtenir la suppression des dates de valeur, moyennant le paiement de services auparavant gratuits. Compte tenu des flux importants qui circulent sur leurs comptes, leurs services financiers peuvent négocier des contrats avec les banques. Les particuliers ne disposent pas d'un tel pouvoir de négociation. Ils ignorent, le plus souvent, les techniques utilisées et les montants dont ils sont spoliés. Les règles de gestion des comptes, en outre, peuvent évoluer sans qu'ils en soient informés.

La conséquence de tout cela est que, pour les consommateurs, les agios sont alourdis. De surcroît, les périodes de découvert créées ou prolongées par les dates de valeur peuvent engendrer des rejets de prélèvements et des rejets d'écritures, assortis d'envois de lettres d'injonction et de déclarations à la Banque de France. Les banques facturent lourdement ces prestations, aggravant ainsi la situation financière de leurs clients. En règle générale, toutefois, les sommes perçues du fait des dates de valeur ne sont pas très importantes, et passent inaperçues. Cependant, l'addition de ces petites sommes fait que l'on atteint des montants colossaux.

M. le Rapporteur - Les petits ruisseaux font les grandes rivières !

M. Jacques Desallangre - Pour les banques, l'addition de ces opérations se révèle particulièrement profitable. Le Conseil national du crédit et du titre avait estimé, en 1990, à 10 milliards de francs, soit 1,5 milliard d'euros la recette procurée par le seul placement de la trésorerie résultant des dates de valeur. En 2000, les paiements de masse représentaient 10,247 milliards d'opérations, pour un montant de 4 381 milliards d'euros. En tenant compte du taux de rémunération des banques, qui s'élevait à 4,1 %, nous aboutissons au chiffre de 2 milliards d'euros pour 4 jours de décalage dus aux dates de valeur ! Et encore ce montant est-il certainement inférieur à la réalité : il faudrait y ajouter les frais et autres agios prélevés sur les comptes à découvert pour avoir une idée du montant de ce hold-up à répétition.

Les banques s'appuient sur des arguments fallacieux pour justifier la pratique des dates de valeur invoquant le délai de transmission des documents ou le financement de services de caisse gratuits. Il est vrai que le regroupement, l'échange et le traitement des écritures pouvaient, il y a longtemps, nécessiter plusieurs jours. Les banques utilisaient une centaine de centres de compensation en France pour s'échanger les chèques et les autres effets. Elles appliquaient des dates de valeur afin de compenser ces délais et de couvrir les avances de trésorerie faites aux clients. Mais les progrès de l'informatique et des télécommunications ont supprimé ces délais. Grâce au système interbancaire de télécompensation, les retraits aux distributeurs sont transmis en quelques minutes, voire en quelques secondes, à la banque du client. Il a pourtant fallu trois arrêts de la Cour de cassation pour que les banques décident, enfin, de mettre fin aux dates de valeur sur les retraits et sur les remises d'espèces. En janvier 1995, l'Association française des banques et l'Association française des établissements de crédit, ancêtre de la Fédération des banques françaises, recommandaient à leurs membres de ne plus appliquer ces dates aux retraits et aux dépôts d'espèces.

Cette jurisprudence n'avait admis la légitimité des dates de valeur que pour les chèques, en raison de délais techniques de traitement. Or cet argument ne tient plus depuis le mois de juin 2002.

Depuis sa mise en place, en 1991, le système interbancaire de télécompensation a lui aussi évolué. Depuis l'année dernière, les chèques sont numérisés, c'est-à-dire scannés, puis transmis, sous forme d'image, à la banque émettrice. Les centres de compensation ont été supprimés, en province le 8 mars 2002, puis à Paris le 30 juin 2002. Seuls 2 % des chèques font l'objet d'un traitement traditionnel. C'est notamment le cas des chèques d'un montant supérieur à 5 000 euros. Désormais, les dates de valeur ne se justifient pas plus pour les chèques que pour les retraits d'espèces.

Enfin, les banques considèrent l'application des dates de valeur comme une compensation aux coûts des services de caisse et de tenue de compte fournis gratuitement. Cet argument ne tient plus non plus, puisque tout ou presque, aujourd'hui, est payant. Je pourrais parler longuement de la facturation des retraits aux distributeurs des réseaux concurrents ou de la facturation des retraits au guichet. De plus en plus, il faut payer pour disposer de son argent ! C'est tout à fait aberrant. Les établissements bancaires ne peuvent continuer de jouer sur les deux tableaux. Les dates de valeur ne sont pas la contrepartie d'un service, et ce système qu'on pourrait sans exagération qualifier d'escroquerie doit donc disparaître.

L'adoption par le Sénat de l'amendement 87 du Gouvernement, devenu l'article 56 bis du projet, doit être analysée comme un aveu de faiblesse. Le Gouvernement est-il donc indifférent aux attentes des Français ? On nous reprochera peut-être de dresser un sombre tableau de la situation. On nous dira que, si la situation était aussi intolérable, les Français se rassembleraient par milliers dans les rues de nos villes pour manifester leur mécontentement. Mais ce que je vous ai dit vous sera confirmé par les associations de consommateurs. Il est à espérer que l'impératif de proximité, tant vanté par les conseillers en communication, finira bien par servir à quelque chose. Peut-être, sur le terrain, finira-t-on par entendre les attentes les plus pressantes et les plus concrètes de nos concitoyens. Nous condamnons sans nuance ce fantastique retour vers le passé que vous nous proposez à travers l'article 56 bis.

Quand on écoute attentivement les membres du Gouvernement ou qu'on lit les rapports de MM. Marini et Goulard, on s'aperçoit que les arguments avancés pour légitimer la suspension pour dix-huit mois de l'application des dispositions du premier alinéa du I de l'article L. 312-1-1 du code monétaire et financier ne tiennent pas et que la solution de remplacement proposée est contraire à la Constitution.

L'article L. 312-1-1 du code monétaire dispose que la gestion d'un compte de dépôt est réglée par une convention entre la banque et son client, dont les mentions obligatoires doivent être précisées par arrêté ministériel après avis du comité consultatif placé auprès du Conseil national du crédit, lequel, composé en majorité, et en nombre égal, de représentants des établissements de crédit et de représentants de la clientèle, offre les conditions d'un dialogue constructif entre les banques et leurs clients.

La loi MURCEF a été promulguée le 11 décembre 2001. Or, hélas, aucun arrêté n'a été pris avant la fin de la précédente législature. Le nouveau Gouvernement, plutôt que de faire son devoir, a préféré proposer de suspendre l'application des dispositions législatives. Peut-on, par conséquent, encore parler de solution puisque le problème qui a été posé il y a près de deux ans ne sera pas résolu une fois que nous aurons quitté nos bancs ?

Pour justifier la suspension, le Gouvernement argue d'un avis rendu le 30 octobre 2002 par le Conseil d'Etat qui, selon le ministère des finances lui-même, « valide les principes de modernisation des relations entre les banques et leurs clients mais écarte, pour des raisons juridiques, les solutions proposées pour les comptes existants. » Dans son rapport, M. Goulard précise la nature de ces mystérieuses raisons juridiques : la loi interdit de traiter différemment les comptes existants et les comptes nouveaux. De fait, le comité consultatif avait proposé, selon que l'on avait affaire aux comptes existants ou aux comptes à venir, un calendrier distinct d'entrée en vigueur des conventions.

Face au blocage ainsi constaté, une solution envisagée consistait dans l'envoi massif de 60 millions de conventions de compte de dépôt avant l'entrée en vigueur de la loi. Une autre passait par l'intervention du législateur, qui aurait pu fixer de nouveaux délais d'application. Le Gouvernement a préféré la suspension.

L'envoi massif de conventions était en effet réputé trop lourd et onéreux pour les établissements de crédit. On peut s'en étonner. En effet, les établissements de crédit sont tenus d'envoyer à leur client un relevé de compte mensuel, et procèdent donc nécessairement à 60 millions d'envois par mois. Etait-il réellement inenvisageable de joindre les conventions de compte à ces envois ? On comprend que les associations de consommateurs aient émis des jugements résignés et sarcastiques sur ce parti pris gouvernemental. Au reste, BNP Paribas a décidé de facturer 5 € les retraits d'espèces au guichet inférieurs à 150 €, la société a envoyé gratuitement par courrier à ses 300 000 clients une carte gratuite permettant de retirer gratuitement des billets aux distributeurs de son réseau. Il ne semble pas qu'en l'occurrence BNP Paribas ait jugé insurmontables la fabrication et l'envoi de ces 300 000 cartes, et l'argument avancé pour justifier une décision de suspension sonne d'autant plus creux que les banques affichent des bénéfices confortables.

En contrepartie, le Gouvernement a tout de même demandé aux banques et à la Poste de s'engager à respecter les principes de contractualisation et de transparence tarifaire définis par la loi. C'est ainsi qu'a été signée, le 9 janvier dernier, sous les auspices du ministre de l'économie, une charte relative aux conventions de compte de dépôt dépourvue de tout caractère contraignant, par MM. Michel Pébereau, président de la fédération bancaire française, Jean-Paul Bailly, président de la Poste. Les associations de consommateurs, notons-le, ont boycotté cette réunion, dénonçant une supercherie, beaucoup y voyant davantage un enterrement qu'une simple suspension des dispositions de la loi MURCEF. Le dernier paragraphe de la charte ne peut que les renforcer dans leur conviction : il y est stipulé que « les établissements signataires s'engagent à réexaminer tous les trois ans le contenu de la présente charte. » Cette « suspension » sera-t-elle analogue à celle que vous avez fait voter contre les salariés à l'occasion de la révision de la loi de modernisation sociale ?

Ainsi, le caractère volontairement opaque et déloyal des pratiques des établissements de crédit, le souhait de transparence exprimé par nos concitoyens, la régression que représente la charte nous conduiront à demander de supprimer l'article 56 bis adopté par le Sénat et de rendre effectivement applicables les dispositions de la loi MURCEF.

L'UFC-Que choisir vient judicieusement d'assigner quatre grands établissements bancaires pour agissements illicites et clauses abusives, et pour obtenir la suppression des dates de valeur pour les remises de chèques.

On pourra toujours déplorer, avec le ministre de l'économie, la « judiciarisation » de l'activité économique, on pourra toujours s'offusquer avec le Garde des Sceaux, de l'encombrement des tribunaux. Nous ne nous étonnerons pas, nous, que, lorsque les élus refusent de reconnaître les droits légitimes de leurs concitoyens, ces derniers se tournent vers la justice.

Au total, non seulement l'article 56 bis est tristement inopportun et terriblement conservateur, il est de plus irrecevable, et devrait être censuré si jamais le texte était adopté en l'état.

Ce n'est pas la seule disposition dans ce cas, puisque de l'avis de tous y compris du rapporteur, certaines dispositions de l'article 26 sont clairement de nature réglementaire.

M. le Rapporteur - Ce n'est pas un motif d'inconstitutionnalité !

M. Jacques Desallangre - Mais cet article 56 bis est de loin le plus inconséquent.

En effet, le substitut édulcoré des dispositions de la loi MURCEF qui nous est proposé dispose que, pour les nouveaux comptes, une convention sera systématiquement et gratuitement proposée aux clients à partir du 28 février 2003 au plus tard. La mesure est donc, en principe, déjà en vigueur. En revanche, pour les comptes déjà ouverts, les clients pourront obtenir une convention sur simple demande au plus tard à partir du 30 avril 2003, c'est-à-dire demain.

Dans les deux cas, les établissements de crédit s'engagent à informer leurs clients de tout changement tarifaire trois mois avant son entrée en vigueur. De même, en cas de modification substantielle de la convention, les déposants pourront, sans frais, clôturer leur compte.

Reste cette jolie mécanique consistant à traiter différemment les comptes existants et les comptes nouveaux. L'inégalité de traitement est manifeste, et dans la procédure et dans les délais. Le choix de cette pseudo-solution est d'autant plus difficile à comprendre que le refus de prendre l'arrêté d'application de la loi MURCEF était motivé par le souci de respecter un avis du Conseil d'Etat mettant en garde contre l'irrecevabilité d'une inégalité de traitement entre déposants.

Les gesticulations du Gouvernement sur ce dossier confinent au grotesque. L'inégalité de traitement entre déposants, hier si vigoureusement dénoncée, ne gêne aujourd'hui plus grand monde dans la majorité. Si le problème n'était pas aussi grave, ces subtils numéros de contorsionnistes pourraient prêter à sourire.

Au total, vous refusez d'édicter des règles propres à empêcher des comportements malhonnêtes, en dépit de leur constat. Vous refusez, selon l'élégante expression de M Goulard, de ne pas succomber aux « charmes des escrocs » (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Votre texte décline le credo du ministre selon lequel aucun texte de loi ne peut dissuader quiconque a décidé d'être corrompu ou corrupteur.

M. Philippe Auberger - C'est bien vrai !

M. Jacques Desallangre - J'invite au contraire l'Assemblée à réagir et à voter l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Ministre - M. Desallangre regrette un texte trop long, trop technique, examiné « à marche forcée ». Sur ce dernier point, je luis fais observer que le Gouvernement n'a pas déclaré l'urgence, et que l'élaboration du projet a donné lieu à une longue concertation. M. Woerth a ainsi organisé cet hiver un colloque très utile. Le débat démocratique a donc trouvé toute sa place.

Votre motion de procédure a traité d'une question largement débattue depuis quelques mois : comment renforcer efficacement la qualité des relations entre les établissements financiers et leurs clients ? Contre une approche bureaucratique, le Gouvernement a fait le choix de la confiance contrôlée, et de la responsabilisation des partenaires.

Dans cette perspective, j'ai proposé de suspendre pour dix-huit mois la disposition de la loi MURCEF qui imposait l'envoi des conventions de compte.

Ma décision s'appuie sur l'avis du Conseil d'Etat que vous avez rappelé.

En contrepartie de cette suspension, les responsables de la Fédération bancaire et de la Poste ont signé à ma demande, et en ma présence, une charte destinée à renforcer les droits des consommateurs. Les établissements se sont même engagés à proposer gratuitement à leurs clients des conventions écrites. Pour les nouveaux comptes, une convention est systématiquement proposée depuis le 28 février. Pour les comptes existants, les clients obtiendront une convention sur simple demande, à partir de demain, 30 avril. Aux termes de cette charte, les établissements de crédits et la Poste se sont engagés à informer leurs clients trois mois à l'avance de toute modification tarifaire. En cas de modification substantielle de la convention de compte, les clients pourront clôturer ou transférer leurs comptes dans un autre établissement, sans frais. Aux termes de cette charte, figureront également dans les conventions de compte les dates de valeur appliquées, point que vous avez très longuement commenté.

Une revue de la mise en _uvre des engagements des banques et de la Poste sera régulièrement effectuée, en concertation avec des représentants des consommateurs. Un premier point de la situation sera d'ailleurs effectué lors d'un prochain comité de la médiation bancaire. A l'issue des dix-huit mois, je dresserai le bilan de cette démarche, fondée sur la confiance et sur la responsabilisation des partenaires. S'il apparaissait alors que les obligations figurant dans la charte ne sont pas remplies, je me réserverais la possibilité de mettre en _uvre par la voie réglementaire les dispositions prévues.

Vous comprendrez donc, Monsieur Desallangre, qu'il ne s'agit aucunement de réduire la protection des consommateurs. C'est d'autant moins le cas que la suspension ne concerne pas les autres dispositions de la loi MURCEF. Comme je l'ai indiqué, le principe de transparence tarifaire est intégralement maintenu. Tout projet de modification de tarif des produits et services doit être communiqué par écrit au client trois mois avant sa date d'effet. En cas de désaccord, le client peut clôturer son compte sans frais. Le principe de l'interdiction des ventes liées ou des ventes avec primes est lui aussi maintenu. L'arrêté qui doit fixer le seuil maximum des primes autorisées dans le secteur bancaire sera examiné au sein du comité consultatif.

Par ailleurs, le Gouvernement a veillé à la mise en place des médiateurs bancaires, chargés de recommander des solutions aux litiges relatifs au fonctionnement des comptes de dépôt. Le comité de la médiation bancaire a été installé à la fin de l'année dernière, et ses conditions de fonctionnement définies par un décret en date du 5 mars 2003. Il sera notamment chargé d'examiner les rapports des médiateurs bancaires et de garantir leur indépendance.

Je rappelle enfin que, depuis le 1er décembre 2002, un dispositif d'accès urgent aux sommes à caractère alimentaire figurant sur un compte saisi - dit solde bancaire insaisissable - est en place. Comme vous le voyez, le Gouvernement s'attaque aussi aux problèmes qui frappent les plus démunis.

Pour tous ces motifs, je vous invite à rejeter l'exception d'irrecevabilité.

M. le Rapporteur - La performance de l'orateur qui a défendu avec brio une exception d'irrecevabilité en s'appuyant sur un seul article - de portée relativement réduite - introduit par voie d'amendement par nos collègues sénateurs a fait naître en moi un sentiment sincère d'admiration ! Nous avons ainsi bénéficié d'une explication très détaillée sur les dates de valeur. Après cela, nous n'ignorons plus rien de ce régime compliqué !

L'argument juridique qui fonde la démonstration de M. Desallangre ne résiste pas à l'examen. La jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de rupture d'égalité est constante et univoque : les différences de traitement que justifie une différence objective de situation ne sont pas inconstitutionnelles. En l'espèce, le fait d'être déjà titulaire d'un compte crée une différence de situation objective. Au reste, notre législation fourmille d'exemples comparables.

Le Gouvernement s'est justifié sur le fond. Au reste, l'article ne pose pas de problème considérable. En matière bancaire, la convention tacite est reconnue. Plusieurs banquiers présents ce soir parmi nous peuvent en témoigner (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe UMP).

L'argument ayant trait à l'illisibilité supposée du texte me semble plus digne de considération. Ne croyez pas cependant que je cède à la tentation marxienne d'y voir une nouvelle manifestation de la volonté de domination de la classe dirigeante ! (Sourires) Pour dommageable qu'elle soit, la complexité du projet tient à son ambition - nombre de domaines sont en effet revisités - et à l'aridité technique de la matière...

M. André Gerin - Elle est calculée !

M. le Rapporteur - Pour des généralistes tels que nous, il est parfois difficile de se prononcer en toute connaissance, mais n'est-il pas de notre mission de légiférer sur tous les sujets, y compris les plus ardus ! Il faut encourager les bureaux, qui le plus souvent tiennent la plume après que le ministre a pris sa décision, à plus de simplicité. La loi est faite pour être comprise de tous.

Cela étant, je préconise évidemment le rejet de l'exception d'irrecevabilité (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Philippe Auberger - Regagnant l'hémicycle après quelques minutes d'absence au cours de l'exposé de l'orateur, j'ai cru assister à un cours du conservatoire national des arts et métiers sur les systèmes de tarification et autres dates de valeur... Tel n'est évidemment pas l'objet du présent texte.

Au reste, y a-t-il dans ce projet une seule disposition pouvant justifier d'adopter l'exception ? Assurément non, puisque l'orateur n'en a trouvé aucune, sinon un article additionnel de portée limitée ayant trait à la suspension d'une disposition de la loi MURCEF ! Et quel crédit accorder à une démonstration à laquelle l'orateur ne croit pas lui-même ? Seule la bienveillance coutumière de la présidence nous a valu ce long développement sur les relations entre les établissements bancaires et les consommateurs (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

Nous appelons donc au rejet de l'exception d'irrecevabilité. Hâtons-nous plutôt de délibérer sur les nombreuses dispositions qui nous sont soumises, et efforçons-nous d'y apporter un peu de clarté ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. André Gerin - Nous voterons l'exception d'irrecevabilité. A travers ce projet, dont notre rapporteur dénonce lui-même l'extrême complexité, le Gouvernement et la majorité qui le soutient tentent de redonner un peu de légitimité au capitalisme. Tel est l'enjeu véritable de ce texte, en France et partout dans le monde.

L'exemple sur lequel M. Desallangre a fondé sa démonstration montre que la complexité de ces dispositions est délibérée. Elle tend à masquer vos véritables objectifs ! A l'issue de l'exposé de notre collègue, vous êtes démasqués ! (Rires sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Il faut voter l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Charles de Courson - Je serai bref : rien dans l'intervention de notre collègue ne concerne l'inconstitutionnalité de ce projet de loi. Il convient par conséquent de repousser l'exception d'irrecevabilité qu'il a défendue (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 45.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE


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