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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 87ème jour de séance, 210ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 20 MAI 2003

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

GRÈVES À L'ÉDUCATION NATIONALE 2

GRÈVES À L'ÉDUCATION NATIONALE 3

RÉFORME DES RETRAITES 3

RÉFORME DES RETRAITES 4

GRÈVES ET EXAMENS 5

SUPPRESSION D'EMPLOIS CHEZ ALSTOM 6

RÉFORME DES RETRAITES 6

LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION CLANDESTINE 7

NORMES COMPTABLES EUROPÉENNES 8

REMBOURSEMENT DES MÉDICAMENTS 8

TERRORISME 9

DÉCENTRALISATION DE L'ÉDUCATION 10

DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT
ET DÉBAT SUR LES INFRASTRUCTURES 2003-2020 11

La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

GRÈVES À L'ÉDUCATION NATIONALE

M. Yves Durand - Monsieur le Premier ministre, c'est à vous que je pose ma question, puisque vous avez dû suppléer en urgence votre ministre de l'éducation nationale, incapable d'établir le dialogue avec les personnels dont il a la charge (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Votre gouvernement porte la responsabilité de la grave crise de confiance (Mêmes mouvements) que traverse l'éducation nationale. C'est son double langage, et notamment celui de votre ministre de l'éducation nationale, qui les plonge dans le désarroi et la révolte, et les contraint à l'action. Oui, ces personnels en ont assez des proclamations immanquablement démenties par les faits. Vous clamez que l'éducation est une priorité de la nation, mais ses moyens subissent une véritable saignée que viennent aggraver les dernières annulations de crédits, l'annonce du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, la suppression de plus de 30 000 postes de jeunes adultes dans le secondaire et la remise en cause des retraites des fonctionnaires. Vous clamez, la main sur le c_ur, votre attachement à l'école et à ceux qui la servent. Mais vous excluez de l'éducation nationale, au détour d'un déplacement en province, 110 000 agents !

Ce que vous disent aujourd'hui les enseignants et de nombreux parents (Protestations sur les bancs du groupe UMP), c'est qu'ils ne vous croient plus : cette décision prise sans concertation aucune n'a rien à voir avec la décentralisation ! Derrière ce mot que vous dévoyez, vous préparez le démantèlement du service public de l'éducation nationale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains), comme vous vous apprêtez à le faire pour la santé et la protection sociale.

Ce que vous demandent tous ceux qui aiment l'école, ce n'est pas un comité interministériel ou une réunion improvisée, encore moins des menaces ou des intimidations. Ce qu'ils vous demandent, et nous avec eux, c'est de retirer immédiatement votre projet de décentralisation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; « Non ! » sur les bancs du groupe UMP) Vous pouvez l'annoncer ici même : la représentation nationale attend votre réponse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Président - La parole est à M. Ferry (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche - Vous avez choisi la polémique, je vous répondrai sur le fond.

Enseignant moi-même, j'ai commencé ma carrière au lycée des Mureaux. Je connais le malaise des enseignants, je sais à quel point leur métier a changé en trente ans et combien il est devenu difficile. Voilà pourquoi nous avons, avec le Premier ministre, décidé de rouvrir la concertation avec les syndicats (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) en les recevant cette semaine pour préparer un comité interministériel qui aura lieu le 27 mai.

J'ai cependant le sentiment que nous donnons une image désastreuse de l'éducation nationale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), celle d'un système incapable de se réformer. D'un côté, il y aurait des syndicats arc-boutés contre toute réforme, prisonniers d'un corporatisme qui condamne à l'immobilisme. Quant aux ministres, de grèves en manifestations et de manifestations en conflits sociaux, ils seraient contraints soit de retirer leurs réformes pour acheter la paix sociale, soit de les maintenir au risque du blocage. C'est pour éviter une pareille situation que nous ouvrons largement la concertation. Pourquoi les enseignants sont-ils malheureux ? Parce que, pendant des années, vous avez nié la réalité de l'illettrisme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), celle de la violence, celle des problèmes du collège unique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste) Ne comptez donc pas sur moi pour renoncer aux réformes ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

GRÈVES À L'ÉDUCATION NATIONALE

M. Rudy Salles - Monsieur le ministre de l'éducation nationale, vous affrontez une crise qui ne date pas d'aujourd'hui.

Au-delà des revendications exprimées dans la rue, il y a un profond malaise, à rapprocher de celui que la société française a manifesté par le vote du 21 avril 2002.

Le groupe UDF comprend d'autant plus le malaise des enseignants qu'il regrette l'absence d'un débat sur l'école lors de la dernière élection présidentielle.

Aujourd'hui, la radicalisation du mouvement inquiète bon nombre de parents, qui se heurtent à des problèmes de garde et craignent que les programmes ne soient pas achevés. Les élèves eux-mêmes s'inquiètent pour leurs examens. Pour éviter qu'ils ne soient victimes de tels conflits, j'avais déposé sous la précédente législature une proposition de loi qui, sans remettre en cause le droit de grève, instituait l'obligation d'accueil des enfants dans les établissements scolaires.

J'en appelle aux enseignants pour qu'ils entendent l'angoisse des familles et que les enfants puissent retrouver le chemin de l'école.

Comment entendez-vous remédier à cette situation intolérable ? Le moment n'est-il pas venu d'ouvrir un grand débat sur la place de l'éducation nationale dans notre société ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire - Vous avez raison : ni les parents ni les élèves ne peuvent comprendre que pour défendre l'école, on en verrouille les portes et qu'on empêche les élèves qui le souhaitent de travailler ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Les Français ne comprendraient pas que pour des motifs corporatistes, on organise l'absentéisme forcé ! La nation ne comprendrait pas que pour des raisons statutaires, on empêche les examens de se dérouler, mettant en péril l'avenir d'une jeunesse que l'on prétend défendre (Huées sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

J'en appelle, comme les syndicats eux-mêmes, à la responsabilité des enseignants et des chefs d'établissement. Ils doivent tout faire pour éviter que les enfants soient pris en otage. Ils doivent tout faire pour que l'avenir des enfants soit assuré. Je le dis clairement : si des éléments extérieurs, je n'ose dire des personnels, voulaient bloquer par la force les lieux d'examen, nous ferons notre devoir, dussions-nous réquisitionner et prendre des sanctions. Les examens se dérouleront ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

RÉFORME DES RETRAITES

M. Pierre Goldberg - Monsieur le Premier ministre, une nouvelle journée d'action dans les établissements scolaires et la fonction publique a mobilisé hier près de 800 000 personnes (Protestations sur les bancs du groupe UMP). En l'absence d'écoute du Gouvernement sur l'éducation nationale et les retraites, les manifestants ont raison d'amplifier leur mouvement, qui porte une forte contestation mais aussi des propositions.

Entendez leurs cris d'alarme sur la destruction du service public de l'éducation nationale ! Comprenez que la réduction de ses moyens, l'institution des assistants d'éducation, le renforcement des inégalités scolaires, la décentralisation et l'autonomie des universités nourrissent un mécontentement qui a dégénéré en conflit. La situation exige, comme le demandent les députés communistes et républicains, un débat au Parlement sur l'avenir de l'école.

Après le 13 mai, la journée d'hier marque la condamnation sans appel de votre projet de réforme des retraites. Nous demandons le retrait complet de ce texte et l'ouverture immédiate de négociations sur la base des alternatives proposées.

Contrairement à ce que vous voulez faire croire, un autre financement est possible. Une réforme des cotisations patronales, la taxation des 70 milliards d'euros de revenus financiers des entreprises et une meilleure distribution des richesses de notre pays : voilà les éléments d'une alternative progressiste.

Que le Président de la République et le Gouvernement retirent leur projet rétrograde : la rue est en train d'en écrire un autre.

Nous vous demandons de tenir compte de cet élan démocratique et de prendre le temps d'organiser un vrai débat citoyen (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Le Gouvernement écoute tous les Français : ceux qui manifestent, mais aussi ceux qui sont désarçonnés par les écoles fermées et les salles d'examen bloquées (Huées sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP). L'objectif du Gouvernement n'est pas d'opposer manifestants et tenants de la réforme, mais au contraire de convaincre et de rassembler. Cette réforme ne procède pas d'un choix politique : c'est un devoir national. Si tout allait bien pour nos retraites, nous ne serions pas dans l'urgence qu'a imposée l'inaction qui a été la vôtre pendant cinq ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Nous voulons rassembler autour d'un projet : le renforcement de notre modèle social, la défense de notre système de retraites par répartition. Vous avez beau prétendre qu'il y a des alternatives (« Oui ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains), je ne les vois pas : s'il suffisait d'augmenter les cotisations patronales pour sauver les retraites, non seulement tous nos voisins l'auraient fait, mais vous-mêmes l'auriez fait et nous n'en serions pas là ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Cette réforme est juste (« Non ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains), nous l'avons améliorée avec les partenaires sociaux, notamment en portant à 85 % du SMIC la garantie pour les basses pensions - soit un niveau plus élevé qu'aujourd'hui - et en permettant, ce que vous n'avez jamais obtenu, le départ anticipé de ceux qui ont commencé à travailler à 14, 15 ou 16 ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDF) Nous avons introduit dans notre projet la notion de pénibilité qui fera désormais l'objet de négociations de branche.

La justice sociale, vous en parlez beaucoup, mais nous, non seulement nous la proposons mais nous la mettons en _uvre ! (Huées sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

RÉFORME DES RETRAITES

M. Michel Raison - Aux années d'inaction qui ont caractérisé le règne de la gauche (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains), à la multiplication des études et des rapports restés sans lendemain, le gouvernement Raffarin a préféré le courage, la lucidité et la détermination. Mettant fin à la politique de l'autruche, il a donc engagé la réforme des retraites. On notera d'ailleurs que les dirigeants socialistes qui, à Dijon, invitent le Gouvernement à retirer son projet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) ne formulent aucune proposition alternative ! Sans doute cinq nouvelles années d'études en tout genre leur seraient-elles nécessaires ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Pourtant, dans la majorité des pays de l'Union européenne, l'indispensable réforme du système des retraites a été menée avec l'apport constructif des partis d'opposition.

L'avant-projet du Gouvernement est fondé sur un dialogue franc et constructif et la concertation menée sous les auspices des ministres des affaires sociales et de la fonction publique a montré une volonté réelle d'améliorer le texte. Où en sont les négociations ? Quelles évolutions le dialogue (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) a-t-il permis ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Nous avons inscrit la réforme des retraites dans le cadre d'une concertation étroite (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) qui s'est conclue, jeudi, par un accord signé par cinq organisations syndicales sur huit. Cet accord a permis d'améliorer les propositions du Gouvernement sur plusieurs points. Ainsi, le niveau minimal des retraites a été porté à 85 % du SMIC pour les salariés rémunérés au SMIC toute leur carrière. Cet effort sera rendu possible par le revalorisation du minimum contributif - lequel, je le signale incidemment, n'a pas été revalorisé pendant cinq ans (« Hou !» sur les bancs du groupe UMP).

L'accord prévoit encore un départ anticipé à la retraite pour les salariés qui ont commencé à travailler entre 14 et 16 ans. Il stipule également que le taux de décote sera porté à 5 % en 2006 dans le secteur privé, et il introduit une plus grande progressivité de l'instauration de la décote dans le secteur public. Il est également prévu un régime additionnel pour les fonctionnaires, prenant en compte les primes pour un montant maximum de 20 % du traitement, les cotisations afférentes étant partagées entre employeurs et salariés. D'autre part, le salaire de référence des fonctionnaires sera toujours calculé sur celui des six derniers mois de la carrière, cette grande concession s'expliquant par les spécificités des traitements. Les modalités de cessation d'activité sont améliorées. Enfin, infirmières, aides-soignants et enseignants se voient reconnaître des droits spécifiques pour tenir compte de la longueur de leurs études.

Et comme le Gouvernement est un gouvernement responsable, il a prévu le financement de ces mesures par l'augmentation de 0,2 % des cotisations « vieillesse » à l'horizon 2006, que nous tenterons de payer par des économies sur les prélèvements obligatoires (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

GRÈVES ET EXAMENS

M. Daniel Mach - La grève est un droit, mais l'exercice de ce droit doit rester sans conséquences sur les droits de tous ceux qui veulent travailler, étudier et passer des examens (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

A ce titre, il est inadmissible que des membres du corps enseignant aient interdit l'accès de salles d'examen à des étudiants. Quel bel exemple de citoyenneté ! Le débat doit être recentré sur l'avenir de nos enfants. Face à l'angoisse des élèves et à celles des étudiants qui ont, souvent, consenti de lourds sacrifices pour mener à bien leurs études, face à l'inquiétude des familles, quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour que les examens se déroulent le plus sereinement possible ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche - Les comportements que vous avez décrits sont en effet inacceptables mais je tiens à souligner qu'ils ne sont pas le fait de la majorité des enseignants ni même de la majorité des enseignants grévistes, dont certains continuent de faire cours pour ne pas pénaliser leurs élèves. Je leur rends hommage (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) tout comme je rends hommage aux organisations syndicales qui ont invité leurs adhérents à ne pas boycotter l'organisation et le déroulement des examens.

Chacun a le droit d'être en désaccord avec la politique suivie par son ministre de tutelle, et de le manifester. En revanche, on n'a en aucun cas le droit de prendre les élèves en otages (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) et les images retransmises par les chaînes de télévision, de jeunes Réunionnaises empêchées de passer les épreuves de BTS sont inacceptables (« Hou ! » sur les bancs du groupe UMP), car ces jeunes filles ont besoin de ces BTS pour travailler dès juillet, pour trouver des stages dès juillet, pour s'inscrire à l'université dès juillet !

M. Darcos et moi-même avons donc réuni les recteurs pour leur donner les consignes visant à ce que la loi soit appliquée et que les examens se déroulent comme ils le doivent. Comme je l'ai indiqué, la concertation va s'ouvrir, mais sur ce point précis, aucune négociation n'est envisageable, seule la fermeté prévaudra (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

SUPPRESSION D'EMPLOIS CHEZ ALSTOM

M. Damien Meslot - A ma question, qui s'adresse au ministre de l'économie, s'associe M. Zumkeller, député tout comme moi, du Territoire de Belfort. La direction du groupe Alstom vient d'annoncer la suppression de plus de mille emplois en France, dont 610 à Belfort. Le précédent plan de licenciements avait touché 835 emplois, si bien que les effectifs sont passés de 2 192 emplois en décembre 2000 à 1 138 en avril 2003, à la veille de l'annonce de ces nouvelles suppressions. Dans le même temps, General Electric annonce la suppression de 270 emplois, à Belfort toujours, fragilisant davantage encore un tissu industriel gravement endommagé, d'autant que l'impact sur les entreprises sous-traitantes sera certain, avec d'autres licenciements à la clé.

Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre ? (« Aucune ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Envisage-t-il d'inscrire Belfort dans un contrat de site ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Comme ses concurrents, qui ne sont autres que General Electric, Siemens ou encore Mitsubishi, Alstom, très grand groupe industriel diversifié, doit faire face à la rupture de la « bulle énergétique ». Le marché s'étant effondré, les carnets de commandes sont en recul de 60 % par rapport à l'année dernière et le groupe se devait donc de réagir de manière responsable. Le management est aux manettes et il procédera aux adaptations nécessaires en réduisant les effectifs là où il le doit, en France et dans le monde, tout en se pliant à ses obligations, comme il l'a toujours fait. Le plan social sera élaboré en étroite relation avec la région mais aussi avec M. Delevoye et moi-même et, si nécessaire, nous mettrons au point les mesures appropriées, pour que les intérêts du Territoire de Belfort soient préservés (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

RÉFORME DES RETRAITES

M. Gaëtan Gorce - Le groupe socialiste a été profondément choqué par le double langage des ministres Darcos et Ferry, dont l'un parle de « négociations » cependant que l'autre ne sait que brandir des menaces (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Mais la même méthode vaut pour les retraites, si bien que le Gouvernement, déjà responsable de la dégradation économique (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), va l'être de la dégradation sociale (Mêmes mouvements).

Nous disons « oui » à une réforme des retraites, mais pas à la vôtre. Nous refusons votre projet, car c'est un leurre.

Il est en effet fondé sur des hypothèses de financement que votre action rend chaque jour plus incertaines. Vous escomptez notamment des économies sur les cotisations chômage alors que votre politique a conduit à une augmentation de 150 000 du nombre des chômeurs en un an et, pour la première fois depuis dix ans, à une diminution de l'emploi en France. Comment vous croire dans ces conditions ? Et de grâce, ne nous rétorquez pas que nous n'avons rien fait... (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) ...car en aidant à créer deux millions d'emplois entre 1997 et 2002, nous avons fait davantage pour le financement des retraites que vous ne ferez durant la législature ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; interruptions sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Dans la réalité, votre projet, non financé, se traduira pas une baisse des pensions. Et ne prétendez pas défendre le régime par répartition car en refusant tout financement complémentaire, vous condamnez nos concitoyens à recourir à l'assurance et à la capitalisation pour compenser cette baisse ! (Mêmes mouvements)

Monsieur le Premier ministre, vous jouez avec les retraites comme avec le feu, et cela, nous ne pouvons l'accepter. En suivant la même ligne qu'Alain Juppé en 1995 et en vous entêtant à rester droit dans vos escarpins, vous prenez la responsabilité d'empêcher pour longtemps toute véritable réforme des retraites. Monsieur le Premier ministre, je vous le demande au nom du groupe socialiste, retirez votre projet et rouvrez la négociation ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; huées sur les bancs du groupe UMP)

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Monsieur le député, nous avons tous suivi avec beaucoup d'attention le congrès du parti socialiste, et je félicite M. Hollande pour son élection (Brouhaha sur les bancs du groupe socialiste). Les propos tenus sur les retraites lors de ce congrès appellent de ma part deux remarques. Tout d'abord, la manière dont vous avez traité une grande organisation syndicale, qui a eu le courage d'accompagner la réforme des retraites et a fait progresser la cause même du dialogue social, qui avait tant reculé ces cinq dernières années, est une faute politique grave (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). On peut être en désaccord, mais traiter ainsi des hommes et des femmes qui représentent une grande partie des salariés n'est pas convenable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; brouhaha sur les bancs du groupe socialiste).

Ma seconde remarque m'amène à vous poser trois questions de façon que nos concitoyens connaissent en toute clarté les positions des uns et des autres (Huées et claquements de pupitres sur les bancs du groupe socialiste). Pourquoi, pendant cinq ans, les socialistes ont-ils laissé s'appliquer la réforme Balladur de 1993 alors qu'ils ont abrogé tant d'autres textes adoptés sous la droite ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; brouhaha grandissant sur les bancs du groupe socialiste) Pourquoi, pendant cinq ans, n'ont-ils pas revalorisé le minimum contributif, le laissant même chuter en-dessous du minimum vieillesse, alors qu'ils proposent aujourd'hui de le porter à un niveau inatteignable ? Pour notre part, nous le revaloriserons de 9 % en trois ans (Mêmes mouvements). Enfin, les socialistes sont-ils ou non favorables à l'harmonisation des durées de cotisation entre le public et le privé car, sur ce point, je n'ai rien entendu à leur congrès ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; les députés UMP se lèvent et applaudissent longuement ; brouhaha et claquements de pupitres sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - Un peu de calme, je vous prie. Le ministre est libre de répondre ce qu'il souhaite.

LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION CLANDESTINE

M. Robert Pandraud - Monsieur le ministre de l'intérieur, dès votre prise de fonctions, vous avez promis de vous attaquer... (« Aux retraites ! » sur les bancs du groupe socialiste) avec détermination, sans faiblesses ni tabous, au problème de l'immigration clandestine. Nous souhaitons que le projet de loi équilibré que vous avez préparé à cette fin soit rapidement inscrit à l'ordre du jour de nos travaux.

Vous avez également pris de nombreux contacts, d'une part avec les autres gouvernements européens pour élaborer une politique commune en matière d'immigration et renforcer les contrôles aux frontières extérieures de l'Union, d'autre part avec les pays d'origine des clandestins afin de freiner les départs et d'organiser les retours. Vaste programme, des plus urgents ! Dans cet esprit, vous avez eu recours, avec une rare efficacité, aux vols charters... (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), désormais appelés vols groupés, mais dont le résultat est le même, à savoir accélérer leur fréquence. Vous nous aviez promis de dresser périodiquement le bilan de votre politique en ce domaine. Pouvez-vous le faire aujourd'hui devant la représentation nationale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Pour faire reculer le racisme, la xénophobie et les amalgames, il nous faut en effet rendre des comptes aux Français et leur communiquer des chiffres précis, incontestables. Lorsque j'ai pris mes fonctions, seules 17 % des décisions de reconduite à la frontière étaient exécutées. La majorité socialiste de l'époque avait-elle été mandatée pour que les expulsions ne soient pas exécutées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Cette question est au c_ur du pacte républicain car si cela revient au même de posséder ou non des papiers, c'est-à-dire de respecter ou non la loi, pourquoi demander des papiers ? (Mêmes mouvements) Nous avons décidé d'agir autrement et d'ores et déjà, sur les quatre premiers mois de 2003, quelque 4 000 étrangers en situation irrégulière ont été reconduits à la frontière, soit 20 % de plus que sur la même période de 2002.

Par ailleurs, il faut que vous sachiez que le gouvernement précédent n'établissait même pas de statistiques concernant les étrangers clandestins ou munis de faux papiers non admis ou réadmis sur le territoire national. J'ai souhaité, par souci d'honnêteté - sur ce point, M. Vaillant ne pourra pas dire une fois de plus que s'il y avait pensé, il l'aurait fait aussi ! -, que ces étrangers soient dorénavant exactement décomptés. Vous le voyez, Monsieur Pandraud, la situation change... et s'améliore. (Applaudissements et interruptions sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; interruptions, claquements de pupitres et brouhaha sur les bancs du groupe socialiste )

M. le Président - Monsieur Vaillant, vous n'avez pas la parole. Chers collègues, calmez-vous ! La parole est à M. Goulard.

NORMES COMPTABLES EUROPÉENNES

M. François Goulard - Je souhaite interroger le ministre des finances sur le sujet des normes comptables européennes, qui risque d'avoir des conséquences considérables pour les économies européennes. La Commission s'apprête en effet à adopter de nouvelles normes, élaborées par un comité d'experts qui, bien qu'ils s'en défendent, se sont très largement inspirés des règles comptables anglo-saxonnes, dont ils ont même amplifié certains travers (Manifestations d'impatience sur les bancs du groupe socialiste). Ces normes risquent de faire évoluer de façon erratique le résultat des entreprises européennes, et donc leur cours sur les marchés financiers (Mêmes mouvements). On voit à quel point les questions économiques intéressent nos collègues socialistes !

M. le Président - Un peu de calme, je vous prie. La question est importante en effet.

M. François Goulard - Nous estimons... (Brouhaha sur les bancs du groupe socialiste) que la Commission ne doit pas suivre aveuglément les propositions des experts et que l'Europe doit affirmer son indépendance vis-à-vis de normes de fait largement inspirées des Etats-Unis. Quelle est la position de la France sur ce point ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - Ecoutez la réponse, même si vous n'avez pas écouté la question !

M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie- Le sujet mérite en effet attention (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), pour la France, pour l'Europe, mais aussi pour le monde entier du fait de l'importance du commerce international. Nous avons d'ailleurs eu l'occasion d'en parler samedi dernier à Deauville, parmi bien d'autres sujets, sans doute aussi abstraits que celui-ci pour certains, mais qui correspondent néanmoins à la réalité de la vie économique internationale... (Mêmes mouvements)

Nos collègues européens, mais aussi japonais et américains, ont accepté de reprendre ce problème en septembre lors de la prochaine réunion du G8.

Dans ce contexte, j'ai pu discuter avec le commissaire Bolkestein, qui est conscient comme nous de l'importance du problème. Au-delà des normes dont l'adoption en 2005 ne pose pas de problème particulier, il a reconnu que sur deux catégories de normes, l'IS 39 et l'IS 32, il était nécessaire d'approfondir la réflexion, afin que les normes adoptées ne soient pas seulement anglo-saxonnes mais aussi européennes. Nous avons au passage convenu avec lui que l'intérêt de l'Europe était de doter le corps d'experts européen des meilleures compétences, y compris françaises, et nous le ferons (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

REMBOURSEMENT DES MÉDICAMENTS

M. Jean-Marie Le Guen - Je veux tout d'abord rappeler à M. Fillon que ceci est une séance de questions au Gouvernement, non de questions à l'opposition - mais nous sommes à sa disposition pour en organiser une ensuite ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Je souhaite aussi l'informer que l'ensemble des organisations syndicales a été invité, et nous nous en honorons, au congrès du parti socialiste, qui discute, lui, avec elles pour construire son orientation (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Ma question s'adresse à M. le ministre de la santé. Aujourd'hui prend effet votre décision de réduire le remboursement de 617 médicaments, dont certains bien connus des Français. Si, comme vous l'affirmez, ces médicaments sont inutiles, vous auriez dû demander au corps médical d'en suspendre la prescription, plutôt que de pénaliser les malades en les remboursant moins. Dimanche, sur Europe 1, vous avez annoncé votre intention de généraliser cette méthode à l'ensemble des soins. Demain, certains soins, certaines analyses seront, par votre décision, moins remboursés. Vous voulez une sécurité sociale en peau de chagrin, pour faire de la place aux assurances privées. Dans le même temps, vous avez flatté tous les corporatismes médicaux, supprimé tous les instruments de maîtrise des dépenses, et laissé filer le déficit de la sécurité sociale. A l'heure où les Français manifestent pour leurs retraites, leur faudra-t-il demain, pour être soignés, cotiser toujours plus à des assurances privées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille - Vous parlez de déremboursement : je rappelle que l'initiative en a été prise par Mme Aubry (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), qui a mis en place une commission d'évaluation sur 4 500 produits. De ses travaux, il est ressorti que 800 de ces produits ne rendaient pas le service médical attendu. A partir de là, M. Mattei a annoncé un déremboursement sur trois ans, qui permettra de financer la recherche sur les nouvelles molécules : voilà l'esprit de la mesure, qui résulte de la commission de Mme Aubry. Pour le reste, je vous rappelle que l'évolution des résultats de la sécurité sociale n'est pas liée à une dégradation des dépenses, mais essentiellement des recettes, en raison de l'état de la croissance. Celle-ci, vous le savez, connaît des périodes fastes et d'autres qui le sont moins. La période 1999-2001 fut faste : qu'avez-vous fait des fruits de la croissance ? Non seulement vous n'avez fait aucune réforme structurelle, mais vous n'avez pas créé de fonds de réserve, vous avez dilapidé les fruits de la croissance, et vous avez détourné les fonds pour financer les 35 heures : voilà la responsabilité qui est la vôtre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Mais puisqu'il semble que maintenant le PS a des idées - après n'en avoir pas eu pendant cinq ans - M. Mattei sera prêt à les entendre pour préparer son projet de loi sur la nouvelle gouvernance de la sécurité sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

TERRORISME

M. Jean-Sébastien Vialatte - Monsieur le ministre de l'intérieur, nous avons appris avec horreur les attentats du 16 mai qui ont fait, au centre de Casablanca, quarante et un morts et une centaine de blessés. Parmi les victimes figurent trois Français, trois Espagnols et un Italien. Il semble que les kamikazes revenaient de l'étranger après avoir suivi un entraînement, et la piste d'Al Qaïda apparaît la plus probable. Ces faits confirment nos craintes : la menace terroriste est bien réelle. Sans céder à la paranoïa, les Etats doivent être vigilants. Des policiers français et espagnols se sont rendu dès samedi à Casablanca pour aider leurs collègues marocains. Pouvez-vous nous communiquer les éléments dont vous avez connaissance, et nous informer sur le soutien que la France apporte au Maroc ? Pouvez-vous également rassurer nos concitoyens sur les mesures que vous avez prises et allez prendre pour éviter qu'un tel drame ait lieu en France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Le mois de mai a été particulièrement sinistre sur le plan du terrorisme. Les 12 et 13 mai, deux attentats en Tchétchénie faisaient 70 morts ; le 12, un attentat à Ryad faisait 34 morts et 200 blessés ; le 16 enfin, c'étaient les événements de Casablanca, avec 41 morts, dont trois Français, et cent blessés... A quoi s'ajoute le fait qu'Israël a dû faire face à plusieurs attentats dramatiques. L'un d'eux était le fait d'un kamikaze qui avait passé toute sa jeunesse dans un pays de l'Union européenne - en l'occurrence la Grande-Bretagne, mais ç'eût pu être n'importe quel pays européen ayant une communauté qui a des liens avec les pays du Maghreb... Voilà la situation.

Depuis novembre 2002, nos services ont arrêté 49 individus en liaison avec des activités terroristes. D'autre part les Marocains ont demandé au Premier ministre l'aide des services français, dont quatorze agents sont déjà à pied d'_uvre, comme leurs homologues espagnols. La police marocaine a arrêté un des auteurs, et saisi des éléments susceptibles de faire progresser l'enquête. Par ailleurs le Premier ministre a relevé le niveau de vigilance de Vigipirate. Nous allons renforcer nos liens avec le Maroc, l'Algérie et la Tunisie. Il y a pour nous, comme pour nos prédécesseurs, un seul mot d'ordre : la vigilance. On le voit bien, en effet : à peine croit-on avoir un peu de répit, qu'une sinistre nouvelle arrive d'un autre point du monde... La lutte durera des années, et d'ici là, il n'y a bien qu'une stratégie : la vigilance (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

DÉCENTRALISATION DE L'ÉDUCATION

M. Pierre-Louis Fagniez - Ma question s'adresse à M. le ministre chargé de l'enseignement scolaire. A l'issue des Assises des libertés locales, le Premier ministre a annoncé des mesures de décentralisation, concernant notamment l'éducation nationale. Or depuis plusieurs semaines circulent des informations alarmantes et erronées sur ces projets de décentralisation. Certains tracts syndicaux, des associations, sans doute manipulées, veulent faire croire à un éventuel démantèlement de l'éducation nationale (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Les écoles maternelles seraient supprimées, les collectivités territoriales privatiseraient le fonctionnement des établissements, où les assistantes sociales ne pénétreraient plus... Il faut bien faire état de ces rumeurs, puisqu'elles existent, et qu'on a même pu les entendre ici circuler sur certains bancs. Pouvez-vous y mettre fin, Monsieur le ministre, en précisant le projet de décentralisation du Gouvernement pour l'éducation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire - Je vous remercie de m'offrir l'occasion de rappeler que la décentralisation n'a pas commencé cette année. Prenez par exemple les personnels de service du premier degré : ce n'est pas Luc Ferry qui les a décentralisés, c'est Jules Ferry ! Quant aux établissements publics, ils l'ont été, et avec raison, à partir de 1981, et spécifiquement en 1986. Je rappelle qu'aujourd'hui sont décentralisés nombre de fonctionnaires des affaires culturelles ou sociales. Il y a près d'un million quatre cent mille fonctionnaires territoriaux, et je n'en connais pas qui souhaite revenir au statut de fonctionnaire d'Etat. Je voudrais bien qu'on me dise pourquoi, dès qu'un fonctionnaire territorial serait dépendant d'une collectivité, il deviendrait un sous-prolétaire soumis à la tyrannie d'un élu local. C'est insulter tous les élus locaux qui gèrent au quotidien la fonction publique territoriale, pour le service public ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

C'est bien pour cela qu'au lieu de discuter sur le fond, l'opposition pratique la désinformation, et fait courir le bruit qu'on va supprimer les écoles maternelles, ce qui est faux ; qu'il n'y aura plus d'assistantes sociales, ce qui est faux ; qu'il n'y aura plus de conseillers d'orientation et de psychologues dans les établissements, ce qui est faux ; que la médecine scolaire va exploser, ce qui est faux ; que les agents techniques n'obéiront plus au chef d'établissement, ce qui est faux ! Parce que la décentralisation l'emporte par le bon sens, les seules armes de l'opposition sont celles de la désinformation (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 20, sous la présidence de M. Le Garrec.

PRÉSIDENCE de M. Jean LE GARREC

vice-président

DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT ET DÉBAT
SUR LES INFRASTRUCTURES 2003-2020

L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement sur les infrastructures 2003-2020 et le débat sur cette déclaration.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - Nous voilà donc réunis, comme le Gouvernement l'avait souhaité et annoncé, pour imaginer ensemble notre nouvelle politique de transports. Dominique Bussereau et moi-même connaissons bien l'importance de ce débat, pour vous-mêmes, pour la prospérité de vos circonscriptions et pour l'avenir des hommes et des femmes que vous représentez.

Important, ce débat l'est aussi pour notre pays, pour son rayonnement et sa capacité à garder un rôle moteur en Europe. Ce débat parlementaire fait suite à l'audit commandé par le Gouvernement en août dernier au Conseil des Ponts et à l'Inspection des finances. D'une grande rigueur intellectuelle, cet exercice a suscité nombre de commentaires et parfois même des polémiques. Il était pourtant indispensable : comme pour les retraites, il faut dire la vérité aux Français, même si elle n'est pas toujours plaisante à entendre. L'audit nous a décrit la situation telle que nous l'avons trouvée et elle n'est pas fameuse ! Les seuls projets identifiés par les auditeurs et retenus dans leur esquisse à vingt ans révèlent une impasse cumulée comprise entre 11 et 15 milliards d'euros par rapport aux ressources existantes mises en place par l'Etat, sans compter les contributions des collectivités locales évaluées à 11 milliards d'euros sur vingt ans.

D'aucuns pourront pourtant considérer que les auditeurs sont restés chiches dans leurs simulations financières en renvoyant au-delà de 2020 certains grands projets.

D'autres rapports sont venus tempérer la vision purement « comptable » de l'audit, tels le rapport des sénateurs Haenel et Gerbaud sur le fret ferroviaire et celui du sénateur de Richemont sur le cabotage maritime.

Enfin, il y a moins d'un mois, la DATAR a publié son étude prospective « La France en Europe, quelle ambition pour la politique des transports ? »

M. Michel Bouvard - Excellent rapport !

M. le Ministre - Ces travaux sont en effet d'excellente qualité. Ils nous invitent à nous poser les bonnes questions, à sélectionner les bons investissements. Oui le temps du politique est maintenant arrivé. Le Gouvernement souhaite entendre la représentation nationale. Quelle est votre appréciation de la situation actuelle des infrastructures ? Notre pays doit-il ralentir, maintenir ou accélérer son effort d'équipement ? Quel avis portez-vous sur les contraintes qui s'exercent sur cette politique ? Comment appréhendez-vous le financement de cet effort ?

Première question sur laquelle le Gouvernement sollicite votre opinion, avons-nous besoin de développer encore nos infrastructures de transport ?

M. Maxime Gremetz - Oui !

M. le Ministre - Le Gouvernement est convaincu de la nécessité de poursuivre l'effort, et même de l'intensifier. La première raison qui doit nous pousser à aller de l'avant, c'est l'augmentation naturelle de la demande de transport et notre insuffisante capacité à y faire face aujourd'hui. Les perspectives de croissance de la demande naturelle sur vingt ans sont les suivantes. Le trafic du fret ferroviaire dispose d'un potentiel de développement d'au moins 20 %, en particulier sur les axes d'échange majeurs - et sans doute davantage si la qualité de service est au rendez-vous.

Le trafic ferroviaire de voyageurs devrait continuer à se développer, mais sa croissance serait réduite - plus 16 % à plus 20 % -, en l'absence de lignes nouvelles à grande vitesse.

Le trafic fluvial dispose pour sa part d'un certain potentiel de développement sur le réseau existant à grand gabarit. La hausse actuelle du trafic - plus 7 % en 2002 - tend à valider cette hypothèse.

Le transport aérien intérieur connaîtrait une croissance très ralentie par rapport aux périodes passées, du fait notamment de la mise en service de nouvelles liaisons ferroviaires à grande vitesse. Ce ralentissement pourrait être sensiblement relativisé par un développement de la concurrence des compagnies aériennes à bas coûts sur le marché intérieur. Le trafic européen resterait, lui, en expansion. Le trafic routier, voyageurs et marchandises, devrait augmenter entre 40 % et 60 %, dans un contexte multimodal beaucoup plus affirmé. A l'inverse, dans l'hypothèse d'un prolongement des tendances, un doublement du trafic est envisageable.

La question corollaire à cette réflexion sur la demande, c'est la capacité de nos infrastructures actuelles à accueillir cette demande.

Contrairement à certains pays voisins à forte densité - Allemagne, Benelux, Grande-Bretagne - qui connaissent déjà des niveaux de congestion très élevés, nos réseaux d'infrastructures ne connaissent pas encore ce phénomène, sauf sur un nombre limité d'axes et de périodes. L'étude de la DATAR le confirme. Si rien n'est fait, cette congestion pourrait devenir insupportable dans les vingt prochaines années. Elle serait aussi contre-productive pour l'économie des régions concernées et pour nos principaux pôles d'activité touristique.

Deuxième raison pour maintenir l'effort, le développement économique et l'emploi. Un territoire bien desservi, vous le constatez chaque jour dans vos circonscriptions, permet aux hommes de travailler en coopération et contribue, grâce à un meilleur échange de savoir-faire, à la création de richesses.

Je suis convaincu que l'efficacité des investissements de « desserte » est équivalente - et parfois même supérieure - à celle des investissements d'amélioration de l'outil de production. La spécialisation et l'innovation sont les deux moteurs essentiels de la croissance économique. Le carburant de ces moteurs, c'est le brassage et le mouvement des hommes. Notre pays a donc besoin d'un système de transport performant, assis sur les infrastructures traditionnelles mais aussi sur les fibres optiques et sur tout ce qui permettra aux liaisons à haut débit de pénétrer chaque foyer, chaque école, chaque service public et chaque entreprise... L'histoire est formelle : les épisodes de forte augmentation de la prospérité ont été accompagnés d'améliorations sensibles dans le système de transport.

La troisième raison pour laquelle nous devons poursuivre notre effort, c'est l'Europe.

S'il entend relever le défi de l'élargissement, notre pays ne peut pas faire le choix du statu quo. Quelques chiffres, pour nous situer.

Notre pays a construit le plus grand linéaire d'autoroutes entre 1970 et 1999. La France est désormais au sixième rang européen pour la densité autoroutière rapportée à la surface et au quatrième rang pour la densité autoroutière rapportée à la population.

En matière ferroviaire, la France occupe un rang identique. Elle a pris une avance significative en développant les services à grande vitesse qui relient aujourd'hui la plupart de ses métropoles.

Nous pouvons être fiers de l'effort accompli. Cependant, nos voisins continuent de s'équiper et je suis impressionné par le volontarisme avec lequel ils rattrapent leur retard. Il est vrai que des pays comme l'Espagne, le Portugal ou l'Irlande bénéficient du fonds de cohésion européen, qui peut financer jusqu'à 50 % des infrastructures. Pour la France, le risque d'être dépassé est donc réel. Mais si nous savons relever le défi européen en retrouvant un rythme élevé de construction d'infrastructures, nous avons tout à espérer d'une Europe élargie.

Un échec serait d'autant plus rageant que notre triple façade maritime constitue un atout important. La France est un point de passage obligé pour de nombreux trajets en Europe. Cette situation nous crée des charges, mais ces transits peuvent être pour nous une source importante de revenus, si nous savons développer l'accueil et la logistique.

Le Gouvernement vous fait confiance pour agir en ce sens et positionner notre pays au c_ur de la dynamique européenne.

De même que nos territoires ont voulu se rapprocher de Paris, ils voudront aussi jouer un rôle dans cette dynamique.

A côté de celles qui concentrent les activités, et aussi les nuisances, il existe des régions qui restent à l'écart. Cette situation n'est pas compatible avec notre idéal républicain. Jean-Pierre Delevoye y reviendra ce soir.

Il est donc nécessaire de conserver des objectifs ambitieux en matière d'équipement : j'espère vous avoir convaincus. Mais il est aussi nécessaire de prendre en compte de nouvelles données dans l'élaboration de la politique des transports. Je pense tout d'abord au respect de l'environnement (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Les perspectives d'évolution des différents types de trafic sont lourdes de conséquences. Le secteur des transports est à l'origine du quart des émanations de CO2 dont 84 % sont imputables au transport routier.

M. Yves Cochet - Eh oui !

M. le Ministre - Ajoutons à cela deux problèmes déjà très préoccupants : d'une part les pollutions maritimes et plus globalement les risques liés au transport de matières dangereuses ; d'autre part, le bruit.

Nous sommes confrontés - et nous le serons de plus en plus - aux réactions de rejet de riverains qui réclament la limitation des trafics et l'éloignement des réseaux. Des infrastructures nouvelles sont réclamées mais elles seront aussi contestées, et parfois par les mêmes.

Il résulte de cette « citoyenneté active » des coûts d'investissement croissants et surtout une durée d'étude et de concertation beaucoup plus longue. L'audit a, de ce point de vue, été très instructif. Aujourd'hui, il faut compter de 14 à 17 ans entre les premières études d'opportunité et la mise en service. Cela veut dire que, pour un projet de ligne à grande vitesse mis à l'étude cette année, les premières rames ne circuleraient qu'en 2020 ! Ce constat, je le considère comme très préoccupant pour la pérennité des décisions. La question qui nous est posée est donc de savoir comment inscrire la croissance des transports dans une logique de développement durable.

Pour avoir des « transports durables », il faut agir à la fois sur la technologie, afin de limiter les nuisances à la source, sur la gestion des réseaux, afin d'orienter la demande sur des horaires et des itinéraires adaptés, et sur l'intermodalité, afin de reporter les trafics sur les modes les moins générateurs de nuisances, partout où des services compétitifs peuvent être développés.

La deuxième donne importante de cette nouvelle politique des transports, c'est justement l'intermodalité.

Quelle est notre conviction sur le partage modal ? J'ai déjà eu l'occasion de le dire : il faut cesser d'opposer stérilement un mode à un autre.

Le bon fonctionnement du réseau routier conditionne l'ensemble du système de transport et donc le développement économique de nos entreprises. La route achemine près de 90 % des transports intérieurs de voyageurs et 75 % de ceux des marchandises.

Elle assure en outre les parcours terminaux pour les autres modes de transports.

Nous ne pouvons nous contenter d'un laisser-faire, qui aurait comme conséquence la prédominance de la route et des files ininterrompues de camions. Un rééquilibrage s'impose. Réconcilions nos modes de transport, servons-nous de leur complémentarité, favorisons leur développement dans les domaines où ils sont les plus pertinents.

L'écart persistant entre la route et le rail est néanmoins très préoccupant. Si le trafic ferroviaire de voyageurs connaît une progression sensible, grâce au développement des trains à grande vitesse et des services régionaux, tous les indicateurs confirment l'érosion du fret ferroviaire. La situation ne s'améliorera pas si l'on continue, comme ce fut le cas pendant des années, à préférer les belles paroles aux actes (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Nous préférons quant à nous des actes modestes mais concrets qui, sur la durée, amènent un vrai changement.

Les causes des difficultés du fret ferroviaire sont connues : déclin des industries lourdes, mutations de notre tissu économique, diminution de la taille des envois. Aussi l'objectif annoncé par le précédent gouvernement - doublement en 2010 et triplement en 2020 du fret ferroviaire - était-il tout à fait utopique. Hubert Haenel et François Gerbaud, deux vrais spécialistes, proposent une politique crédible. Il est possible de passer de 50 milliards de tonnes transportées à 55 dans un délai de 5 à 7 ans. C'est un objectif intermédiaire qu'on peut partager, même si, pour moi, l'important est de faire de l'intermodalité, par des actes concrets ajoutés les uns aux autres, une réalité et non pas seulement un sujet de colloque (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Je suis certain qu'un potentiel de développement existe, en particulier sur les axes d'échanges majeurs comme la magistrale éco-fret nord-sud et à travers le transport combiné ou l'autoroute ferroviaire. A cet égard, la mise en service fin juin de la première autoroute ferroviaire française, entre Aiton et Or Bassano dans la banlieue de Turin, permettra enfin de vérifier en vraie grandeur l'intérêt de ce système.

Enfin, améliorer la qualité du service est nécessaire pour refidéliser les chargeurs. C'est la tâche à laquelle la SNCF doit s'atteler en priorité, y compris en réduisant les conflits en son sein comme elle s'y emploie actuellement. L'ouverture progressive à la concurrence doit être perçue comme un stimulant, une chance pour l'entreprise.

Dernière donnée à prendre en compte, le tarissement des sources de financement traditionnelles et la nécessité de rechercher de nouvelles ingénieries financières (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Au cours des vingt dernières années, l'effort d'investissement consacré par notre pays aux infrastructures a connu des fluctuations importantes entre 1 % et 2 % du PIB selon les années. Entre 2000 et 2002, cet effort a même été inférieur à 1 % du PIB, ayant subi une baisse régulière depuis 1997.

Depuis la guerre, les infrastructures de transport ont trouvé à se financer de manière assez autonome, sans trop peser sur le budget général de l'Etat. Les plus anciens se souviennent du fonds spécial d'investissement routier, créé au début des années cinquante et alimenté par une fraction de la TIPP.

La loi de 1955 sur les autoroutes institua, au début des années soixante, le recours au péage et au principe de l'adossement, inspiré du financement du programme ferroviaire de la seconde moitié du XIXe siècle.

Le Fonds spécial des grands travaux a permis la poursuite du programme routier jusqu'en 1988. Il était encore alimenté par des centimes additionnels à la TIPP. Plus récemment, le Fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables créé par la loi Pasqua avait permis de dépasser les logiques propres à chaque mode. Il se finançait à partir d'une taxe sur le kilowatt/heure et sur les kilomètres parcourus sur les autoroutes à péage.

Les directives européennes ont mis fin au principe de l'adossement. Nous avons dû transformer nos sociétés publiques d'autoroutes en sociétés anonymes.

Quant à l'intelligent et multimodal système du FITTVN, il a été tué par la précédente majorité (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - Les socialistes ont gardé les recettes !

M. le Ministre - Mais ils ont tué le fonds.

S'agissant du transport ferroviaire, le recours à l'endettement de l'opérateur a permis, de manière assez indolore, de poursuivre l'amélioration de notre réseau ferré et en particulier de lancer les premiers programmes de lignes à grande vitesse. Cette facilité, dont nous connaissons les effets pervers, a disparu en 1997. La création de Réseau ferré de France s'est conjuguée avec une certaine moralisation du financement des investissements : c'est le fameux article 4, qui oblige RFF à amortir les nouveaux investissements par des recettes. Cela ne règle cependant en rien le problème du passif accumulé. J'y reviendrai.

Nous avons donc vécu, en quelques années, une véritable révolution, qui a modifié radicalement la façon de financer un grand projet. La contrepartie de cet effort de clarification est que l'Etat et les collectivités locales sont amenés à financer directement, par des subventions, une partie de l'infrastructure, alors qu'auparavant les coûts étaient reportés sur la dette d'établissements et d'entreprises publiques. Le TGV-Est ou encore l'A28 ont été financés dans ce nouveau contexte. Il en sera de même demain de tous les grands projets.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - C'est très choquant !

M. le Ministre - Beaucoup en appellent aux partenariats public-privé. Il s'agit d'un outil qui doit être encouragé dans son principe, puisqu'il permet de transférer une partie des risques vers le privé, d'accélérer la réalisation d'infrastructures, d'optimiser la gestion, d'améliorer le service rendu. Mais un tel partenariat n'est pas la panacée. Il ne rendra jamais rentable un projet qui ne l'est pas à l'origine. Ses difficultés de mise en _uvre ne sont pas négligeables, en particulier en matière ferroviaire. L'exemple, que je viens de vivre avec Dominique Bussereau, des négociations infructueuses sur le projet du Perpignan-Figueras est à méditer.

D'un autre côté, sans être inutile, la mobilisation des fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignations reste une solution marginale par rapport aux besoins identifiés dans l'audit.

Sur la foi des convictions que je viens d'exprimer, quels engagements pouvons-nous souscrire sans tarder ?

D'abord les infrastructures à réaliser. Dans le domaine ferroviaire, j'ai déjà abordé la question du fret et évoqué les recommandations salutaires du rapport Haenel-Gerbaud. Pour les voyageurs, la grande vitesse m'apparaît incontournable pour brancher toutes les métropoles régionales sur l'Europe. Nous devons donc planifier la réalisation des lignes à grande vitesse déjà étudiées et engager des études pour d'autres qui méritent de l'être.

M. Yves Bur - Très bien !

M. le Ministre - S'agissant du projet Lyon-Turin, il existe un accord international : il sera respecté (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Michel Destot - Très bien !

M. le Ministre - Personne ne conteste le caractère éminemment structurant de ce projet. Il est cependant indispensable, étant donné l'ampleur de l'ouvrage, d'en connaître tous les aspects techniques et d'en dire avec honnêteté le coût exact et le mode de financement. Je m'en suis entretenu avec mon homologue italien vendredi dernier.

M. Maxime Gremetz - C'est l'Arlésienne !

M. le Ministre - Avec le gouvernement précédent, c'était l'Arlésienne ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP) Nous, nous agissons !

Pour les routes, je distingue quatre axes principaux de développement : la réalisation de grands itinéraires est-ouest et sud-nord permettant d'assurer le bon écoulement du trafic routier national et international, ainsi que l'ancrage du territoire dans l'espace européen ; les liaisons transfrontalières, notamment avec l'Espagne et l'Italie ; une desserte plus équilibrée de l'ensemble du territoire ; enfin, la réalisation de contournements urbains destinés à écarter le trafic de transit. A ce titre, un nombre important de grandes agglomérations sont concernées et je vous rappelle que la nouvelle loi de décentralisation autorise les collectivités à mettre en place des concessions routières pour les réaliser.

Pour le transport fluvial, il s'agit d'abord de restaurer et de sauvegarder le réseau, qui est en mauvais état. Pour ce qui est des nouveaux projets, l'écluse du Havre, dans le cadre de Port 2000, a toute sa pertinence. Le projet Seine-Nord a été replacé par la DATAR dans un contexte européen : c'est le bon niveau pour apprécier cette réalisation qu'il faut planifier en tête de liste.

Notre deuxième engagement porte sur le respect des usagers et la satisfaction de leurs attentes, grâce à ce que j'appellerai les infrastructures intelligentes. Il nous faut porter un intérêt particulier aux investissements susceptibles d'améliorer l'exploitation des réseaux actuels, notamment via les technologies de l'information.

Les usagers sont de plus en plus attachés à la qualité des services : ponctualité et sécurité, information et prise en charge en cas de crise ou d'intempéries - on l'a vu lors des chutes de neige de ce début d'année. Dans ce domaine, il y a beaucoup à faire et il convient d'agir avec détermination. Il convient d'assurer le meilleur usage possible des infrastructures existantes, de moduler les péages et de développer l'information sur l'ensemble du réseau routier afin de permettre à l'usager de choisir son itinéraire très en amont des difficultés.

Troisième engagement : des délais de réalisation à réduire (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP).

Il nous faut éliminer les procédures inutiles. Je vous annonce la suppression de l'IMEC, sigle barbare que tout élu s'est vu opposer pour justifier un allongement des délais (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

Il y a aussi des progrès à faire en ce qui concerne le débat public. Oui à l'expression organisée et maîtrisée de points de vue différents. Non à des procédures dilatoires qui saperaient toute notion d'intérêt général. La loi qui autorise le Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures de simplification administrative sera bien utile.

Mon quatrième et dernier engagement porte sur les ressources nouvelles. Que les choses soient claires : il faut, pour financer l'ensemble des projets que nous jugeons nécessaires, un financement supplémentaire de l'Etat d'environ 1,2 milliard d'euros par an sur vingt ans, à ajouter aux 3,2 milliards d'euros qui constituent actuellement sa contribution annuelle. Il nous faut donc des ressources nouvelles. Aussi avons-nous songé à recourir, comme certains de nos voisins, à une redevance kilométrique sur les poids-lourds - y compris les poids-lourds étrangers en transit - et à rapprocher la TIPP sur le gazole pour les VL de celle qui s'applique à l'essence.

D'après l'audit, la redevance assise sur les poids-lourds circulant sur un réseau aux caractéristiques autoroutières pourrait rapporter d'ici 2020 7,5 milliards d'euros. Cette redevance pourrait au mieux être opérationnelle en 2006.

Nous étudions ce système en liaison avec Francis Mer, l'objectif étant de ne pas entraver la compétitivité de nos transporteurs nationaux, qui devraient répercuter sur les chargeurs toute hausse de leurs coûts. A ce stade, il faut rester prudent sur le rendement potentiel de cette redevance. Ses frais de gestion pourraient être assez élevés, des risques de fuites sur le réseau non assujetti existent, et sa compatibilité avec la directive « eurovignette » doit être vérifiée. Deux conditions s'imposeraient en tout état de cause : une répercussion intégrale sur les chargeurs et l'utilisation de la ressource pour améliorer les réseaux de transport.

S'agissant de la TIPP, l'idée repose sur le constat entre la TIPP gazole et la TIPP essence, d'un écart de 20 centimes non justifié du point de vue de l'environnement.

M. Yves Cochet - Très bien !

M. le Ministre - Dans ces conditions n'est-il pas opportun de réduire progressivement cet écart ? Un centime d'euro supplémentaire sur le gazole des véhicules légers représente grosso modo 200 millions d'euros en année pleine.

Aucune décision n'est prise à ce stade. Mais on ne pourra se dispenser d'examiner les ressources qui pourraient provenir des péages autoroutiers. Le principe de l'adossement autoroutier a vécu. Nos sociétés d'autoroutes sont devenues globalement bénéficiaires et versent depuis deux exercices l'impôt sur les sociétés et des dividendes à leurs actionnaires - l'Etat en grande partie.

Ce constat n'est pas sans intérêt par rapport à une éventuelle ouverture de capital de ces sociétés. J'ai toujours eu sur ce sujet une attitude pragmatique et j'ai posé trois conditions préalables. Tout d'abord, l'autorité du concédant - l'Etat - doit être préservée et même renforcée. Nous y travaillons activement car dans tous les cas de figure, il faudra sur ce point aboutir au résultat souhaité. En second lieu, la concurrence sur les marchés de travaux publics doit être préservée : maintenir une pluralité d'acteurs est essentiel. Enfin, il faut assurer le retour vers le secteur des transports des sommes perçues.

Quelle que soit la solution qui sera retenue à l'issue de ce débat, vous avez été nombreux à souligner un point fondamental, même s'il heurte l'orthodoxie budgétaire : il faut qu'il y ait de la ressource, pour qu'on soit certain qu'en face d'un projet, il y a une ressource. Il est plus facile pour l'usager à qui on demande un effort de l'accepter s'il y a traçabilité de la dépense.

L'Europe, enfin, peut-elle fournir un élément de solution financière à nos ambitions ? Aujourd'hui, ses apports sont faibles pour les infrastructures d'un pays comme la France.

Même si l'élargissement s'accompagnera d'un redéploiement des ressources, nous devons plaider pour une meilleure prise en compte des projets à caractère structurant au plan européen, comme les projets transfrontaliers, en particulier avec l'Italie et l'Espagne, et tous les projets étudiés par le groupe Van Miert.

En conclusion, la politique des transports requiert toujours une volonté et une prise de risque. Nos choix influeront directement sur la vie des générations du XXIe siècle.

Je me réjouis que la démarche du Gouvernement se soit trouvée démultipliée dans les régions. Merci aux élus, aux associations, à tous ceux qui se sont mobilisés pour des projets.

Le Gouvernement est résolu à écrire une nouvelle page dans la longue histoire de l'équipement de notre pays. Nous devons à cet égard apprendre à vivre en Européens et à dépasser le cadre de l'hexagone, accepter la multimodalité et les légitimes exigences de nos concitoyens désireux d'un développement durable. Nous devons redoubler d'attention pour les territoires oubliés.

Nous devons surtout réhabiliter, restaurer la signature de l'Etat (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste). Arrêtons de semer des illusions. Décidons ensemble quels sont les projets les plus porteurs de développement durable, mettons en face des financements pérennes, des calendriers réalistes.

A ces conditions, oui, le transport est une chance pour la France (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer - On ne le sait que trop, et certaines des questions posées aujourd'hui encore au Gouvernement en ont apporté une nouvelle démonstration, la compétition est rude pour attirer les investisseurs internationaux en France, et pour retenir les meilleures entreprises. Plusieurs enquêtes ont montré que l'attrait de notre territoire repose sur la qualité de la formation, sur la qualité de vie et sur le nombre et la qualité de nos infrastructures publiques, au premier rang desquelles celles des transports. C'est dire que le débat qui s'engage est crucial, car il y va de l'avenir de la France, d'autant que l'élargissement de l'Union européenne nous impose de relever de nouveaux défis. Je traiterai donc successivement de l'avenir du fret ferroviaire, des voies navigables et du cabotage, et enfin du financement des infrastructures.

S'agissant du fret ferroviaire, la situation de la SNCF est mauvaise, ce qui n'est pas bon pour notre pays : les indicateurs financiers sont dans le rouge, la qualité de service est insuffisante et le décalage est patent entre les attentes, croissantes, des entreprises et la réalité. Ayant pris la mesure des problèmes, les sénateurs Haenel et Gerbaud ont proposé des solutions intéressantes, qui consistent à transformer l'organisation de la SNCF en visant une plus grande autonomie de l'activité de fret ; à donner à l'entreprise les moyens de jouer son rôle en Europe ; à impliquer plus largement les collectivités locales, et en particulier les régions - dont je n'ignore pas le rôle qu'elles jouent déjà en ces matières.

M. Pierre Forgues - Elles s'impliquent déjà ! C'est vous qui ne vous impliquez pas !

M. le Secrétaire d'Etat - Les décisions récentes du président de la SNCF vont dans le sens du rapport Haenel-Gerbaud. En particulier, à la demande du Gouvernement, M. Gallois s'est fixé comme priorité, pour sa mandature, de redresser et de développer le fret ferroviaire. C'est d'autant plus nécessaire que, depuis le 7 mars, nous sommes dans le cadre de la libéralisation européenne du fret. Certes, le mouvement est encore modeste, puisqu'à ce jour une seule entreprise a demandé une licence d'exploitation. Toutefois, plusieurs autres demandes sont en cours d'examen. La question se pose donc des infrastructures nécessaires au développement du fret ferroviaire en France.

Il convient, à ce sujet, de réserver un réseau au fret sur les axes nord-sud, de réaliser le contournement de Dijon, Lyon et Nîmes-Montpellier et d'utiliser aussi la ligne classique Paris-Bordeaux-Hendaye pour le fret, ce qui devra se traduire par une contrepartie pour les passagers. Tous ces projets devront être menés à bien, sans qu'il s'agisse, comme par le passé, d'en rester aux incantations de fins de banquets (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

J'en viens au transport fluvial. La détestation particulière que lui vouait Mme Voynet a semblé le condamner. C'est pourtant un mode de transport d'avenir, dont le trafic a augmenté de 22 % en cinq ans. On constate notamment que, de plus en plus souvent, la grande distribution choisit les voies navigables pour le transport des produits dits « blancs », à savoir le gros électroménager. Le transport fluvio-maritime se développe également, tant sur la Seine que sur le Rhône et la Saône. Il convient, dans ce contexte, d'examiner les projets de développement du réseau, qu'il s'agisse du dossier Seine Nord ou de l'écluse fluviale du Havre. A vous d'en décider.

M. Daniel Paul - Qui paye ?

M. le Secrétaire d'Etat - Ceux qui décideront (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Et puis, on le sait, il faut définir une alternative fiable à la route pour les liaisons les plus chargées en trafic de transit, qu'il s'agisse des itinéraires qui longent la côte atlantique ou des liaisons entre Espagne, France et Italie. Le cabotage maritime constituerait une alternative de qualité, et le sénateur de Richemont, comme l'avait fait M. Liberti en son temps, suggère deux lignes maritimes, l'une en Atlantique, l'autre en Méditerranée. L'intérêt pour ces propositions est grand, et le comité interministériel de la mer a mis ces deux lignes à l'étude lors de sa réunion du 29 avril. Je note que le comité ne s'était pas réuni depuis trois ans, ce qui dit assez l'intérêt du précédent gouvernement pour les affaires maritimes... (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean-Yves Le Drian - C'est faux ! Il s'est réuni !

M. le Secrétaire d'Etat - J'en viens au financement des infrastructures, sachant qu'à ressources budgétaires inchangées, il n'est possible de financer que de 200 à 250 kilomètres de TGV par législature ce qui, sans être insignifiant, est insuffisant au regard des besoins. Comment, alors, trouver des marges de man_uvre ?

Nous pouvons nous inspirer de l'exemple de nos amis allemands, qui ont décidé qu'à partir du 31 août, tous les camions de plus de 12 tonnes devront acquitter une nouvelle taxe, fixée à 15 centimes par kilomètre. La recette annuelle attendue est de 3 milliards, dont la moitié servira à financer les infrastructures. Appliqué en France, un tel dispositif rapporterait chaque année de 400 à 600 millions, ce qui n'est pas négligeable mais qui ne serait pas une panacée. Dans tous les cas, la définition d'une telle redevance suppose une concertation préalable approfondie avec un secteur qui compte beaucoup de petites entreprises, pour certaines durement touchées par la concurrence. Je ne doute pas que nos interlocuteurs ne s'opposent pas à cette taxe si le produit en est affecté au financement des infrastructures.

Au demeurant, la redevance autoroutière n'est pas la seule piste possible, puisque peuvent aussi être mobilisés les fonds européens par un emprunt communautaire, et l'épargne des Français au travers de la Caisse des dépôts. Mais l'essentiel est que nos ambitions en matière d'investissements se traduisent par les moyens financiers adéquats.

Enfin, la relance des grandes infrastructures passe aussi par la modernisation des entreprises publiques de transport : la SNCF bien sûr, mais aussi RFF et Aéroports de Paris (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Et qui dit « nouvelles infrastructures » dit aussi « nouveaux parcours de transit » : lignes de cabotage sur l'axe atlantique et sur le littoral méditerranéen, nouveaux tracés de TGV, autoroutes ferroviaires. Voilà ce qui vous est proposé.

Pour toutes ces infrastructures nouvelles, il faudra trouver des financements innovants.

Mesdames et Messieurs les députés, chacun d'entre vous est aussi un élu de terrain, qui a donc à c_ur de défendre des projets spécifiques dans l'intérêt de sa région. Le Gouvernement a souhaité vous entendre, d'où ce débat et celui qui suivra au Sénat, auxquels nous attacherons la plus grande importance pour élaborer la politique d'infrastructures de notre pays dans les vingt prochaines années. Mais n'oublions jamais que nous avons ensemble la charge de l'avenir de notre pays. Il est donc de notre devoir de privilégier une vision globale et responsable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances - Nous ne pouvons que partager le constat et souligner la qualité des différents rapports remis récemment. Si nous devons nous garder de tout pessimisme excessif, nous n'en devons pas moins être réalistes. L'augmentation très rapide des dépenses de fonctionnement ces dernières années, je pense en particulier aux dépenses sociales, remet en question les dépenses d'investissement elles-mêmes.

Les besoins d'infrastructures de transport sont, à l'évidence, justifiés. Il y va en effet de la compétitivité de notre économie, de l'attrait de notre territoire et de la garantie d'un développement durable. Mais comment combler l'écart, substantiel, entre ces besoins et les moyens de financement possibles dans le contexte budgétaire actuel ?

Cinq pistes sont à explorer. La première, sans que cela soit une panacée, serait que la Caisse des dépôts allonge la durée de ses prêts. Le directeur général de la caisse, auditionné par la commission des finances, a estimé que l'épargne réglementée pouvait être mobilisée au profit des infrastructures de transport à la triple condition que l'Etat en fasse clairement le choix, que le coût de la ressource soit adapté afin que l'offre soit plus attractive que celle du marché, et que des garanties suffisantes soient apportées à cet emploi de l'épargne populaire. Sous ces conditions, la caisse pourrait prêter à des taux voisins de 3,5 % ou même inférieurs, sur une durée d'au moins trente ans. Il n'est tout de même pas irréaliste de penser que les taux du livret A pourraient baisser (Murmures de M. Gremetz).

Deuxième piste : encourager le partenariat public-privé, notamment en levant les obstacles juridiques et techniques qui demeurent. La promotion de ce partenariat exige bien sûr un choix clair de la part du Gouvernement. L'expérience européenne montre que la France aurait tout à gagner à se doter d'un tel outil. Si nous n'avions pas développé il y a trente ans le dispositif des concessions, où en serait aujourd'hui notre réseau autoroutier ?

Troisième piste : jouer sur le niveau des péages, sous certaines conditions toutefois. L'audit suggère d'étendre le champ des péages pour les usagers professionnels. Cette extension est possible, notamment sur les grands axes, mais elle doit demeurer équitable et bénéficier à l'effort global d'équipement. Elle sera de surcroît soumise au contrôle européen - chacun connaît la grande vigilance dont sait faire preuve la commissaire espagnole aux transports. Il conviendra, j'y insiste - cela ne vous étonnera pas, venant d'un élu de Bretagne - de veiller à ce que le développement des infrastructures ne crée pas de nouvelles frontières, mais au contraire crée un effet de levier de nature à stimuler l'activité locale. Enfin, l'instauration de péages urbains à la périphérie des grandes villes ne doit pas être systématiquement écartée, étant donné le coût très élevé des infrastructures dans ces zones.

M. Maxime Gremetz - Ah ! Ah !

M. le Président de la commission des finances - Quatrième piste : les régions bénéficiaires des programmes d'infrastructures doivent faire des efforts. La meilleure solution serait que dans les deux prochains contrats de plan Etat-région, les régions désireuses de grandes infrastructures redéploient, à budget constant, leurs crédits à cette fin.

Dernière piste : les financements européens, aujourd'hui sous-utilisés, doivent être plus efficacement mobilisés. Des investissements de certaines collectivités locales, dont l'utilité n'est pas toujours évidente, sont parfois financés à 70 % ou 80 % par l'Union. Des redéploiements devraient être envisagés. Aucun miracle n'est, hélas, à attendre de l'élargissement, mais si les fonds structurels perdurent après 2007, ils pourront être affectés en priorité aux grandes infrastructures de transport.

Au-delà des choix entre les projets à poursuivre ou a accélérer, la donne financière est au c_ur de ce débat. Une ambition qui reposerait, pour une part importante, sur des taxes nouvelles grevant la compétitivité des entreprises de transport routier et augmentant le coût du transport, irait à l'encontre d'une politique d'emploi et de progrès social. A cet égard, les marges de man_uvre sur la TIPP sont donc très limitées.

Pour prendre un exemple, le rail doit assurément être développé, notamment dans la perspective d'un développement durable. Mais cela n'est envisageable que si le réseau français est ouvert sur les autres réseaux européens, que les obstacles syndicaux qui existent aujourd'hui soient levés (Marques d'approbation sur les bancs de l'UMP) et que la SNCF augmente de manière significative sa productivité. Sinon, le rail ne pourra jamais concurrencer la route.

Compte tenu du niveau déjà très élevé des prélèvements obligatoires dans notre pays, nous ne pourrons redonner à la France sa pleine capacité en Europe que si nous parvenons à renforcer l'efficacité de la dépense publique. Maîtrise des dépenses de fonctionnement, réforme de l'Etat et capacités d'investissement sont étroitement liées (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - Paul Valéry écrivait : « Intéressons-nous à l'avenir puisque nous y passerons le plus clair de notre temps. » Cette citation pour dire combien est pertinente l'initiative du Gouvernement d'organiser la prospective en matière de transports, à la veille de l'élargissement de l'Union européenne. Ce débat est donc particulièrement bienvenu.

Une politique d'infrastructures de transport ne peut pas et ne doit pas se limiter à une programmation financière, en un mot, à une question d'argent, même si cela en est le c_ur. Ce serait, sinon, accepter que l'économie nous dicte ses lois, ce à quoi, pour ma part, je ne me résous pas.

Que sera la France en 2020 dans une union européenne élargie, dont le centre de gravité aura été largement déporté vers l'Est ? Après cinq années d'imprévision et d'inaction (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), il nous faut développer une « vision » au sens anglo-saxon. Quels seront les atouts et les handicaps de notre pays qui restera vraisemblablement un pays de peuplement, certes moins dense que ses voisins et à la population moins vieillissante ?

Ce sont les objectifs de la politique d'aménagement du territoire qui doivent déterminer les choix d'infrastructures alors que l'évaluation de la rentabilité socio-économique des projets ne doit être qu'une aide à la décision. A cet égard, je regrette que notre pays ne dispose plus d'outil de réflexion prospective sur l'organisation des territoires et la localisation des activités économiques. Nous payons aujourd'hui l'inconséquence de la politique Voynet-Jospin qui a tout bonnement réduit à néant l'aménagement du territoire en supprimant le schéma national d'aménagement et de développement du territoire, seul outil de prévision et de programmation en ce domaine. Tout est à refaire ! La politique d'aménagement du territoire doit être au c_ur de ce débat et je déplore que, pour le moment, seule la DATAR y ait insisté. Mais celle-ci a une approche essentiellement économique de la politique des transports, ce que je regrette également.

Les objectifs de la politique des transports doivent être différenciés selon le niveau auquel on se place. Au niveau européen, où la France est en concurrence avec ses voisins, il importe de renforcer l'efficacité de la logistique, d'améliorer les infrastructures aéroportuaires et portuaires, et de rendre plus accessibles les métropoles régionales.

En revanche, lorsqu'il s'agit de désenclavement et de développement économique local, le combat que je mène depuis vingt ans pour la montagne m'interdit d'accepter les seuls critères financiers. Au-delà des études, d'autres facteurs devraient être pris en compte pour déterminer notre politique des transports dans les vingt ans à venir. Comment évoluera l'urbanisation en France ? L'hypertrophie de la région parisienne avec seulement quelques métropoles régionales se poursuivra-t-elle ou l'urbanisation deviendra-t-elle plus équilibrée avec le développement de villes moyennes ? La disparition progressive des frontières nationales conduira-t-elle à la création de bassins d'activité transfrontaliers, ce qui exigerait d'adapter les réseaux de transport, les liaisons avec la capitale politique n'étant plus alors aussi déterminantes ?

Enfin, quel coût écologique acceptons-nous de payer ? J'apprécie que M. le ministre ait évoqué ce point, car les notions de développement durable et d'aménagement durable doivent être au c_ur de notre réflexion. L'adossement à la Constitution d'une charte de l'environnement, initiée par le Président de la République, sera d'une grande utilité à cet égard.

Ces réflexions ne sont qu'effleurées par les documents dont nous disposons. Dans un cadre infra-national, la question de l'amélioration de la desserte des régions enclavées ou périphériques est essentielle ; malheureusement, elle n'occupe qu'une faible partie des études dont nous disposons. Pourtant, beaucoup reste à faire. Un rapport du Sénat montre que quatorze aires urbaines de plus de cinquante mille habitants ne disposent pas de dessertes suffisantes en termes de transports rapides. Ne nous focalisons donc pas uniquement sur les questions de compétitivité économique : l'aménagement du territoire répond aussi à un souci d'équité et de préservation de l'environnement. Aujourd'hui, les considérations d'aménagement du territoire sont mal intégrées dans l'évaluation de la rentabilité socio-économique des projets, car il est malaisé de chiffrer le progrès qu'apporte une desserte équilibrée. Je pourrais rappeler à cet égard le cas de l'A51. Il revient donc aux autorités politiques de se fixer des objectifs qualitatifs d'aménagement du territoire, que le simple calcul économique ne peut justifier.

Il faut donc un schéma national des infrastructures de transport. Je souhaite, Monsieur le ministre, que ce débat nous permette de décider ensemble que ce schéma est nécessaire, et que nous puissions lancer quelque chose de sérieux - qui permette un jour de donner un aiguillage à ces schémas de service multimodaux, que nos prédécesseurs ont lancés sans prévoir qu'un jour ils devraient se regrouper pour constituer une vraie politique d'aménagement. Le schéma national me paraît essentiel pour la cohérence de la politique nationale des transports, à l'heure où les lois de décentralisation vont multiplier les autorités décisionnaires dans le domaine des infrastructures.

Il faut accroître l'efficacité de nos réseaux de transport pour rendre plus compétitive notre économie. L'attractivité internationale de notre pays exige de rendre plus performants ses ports et ses aéroports, en les intégrant mieux aux réseaux de transports existants. Je pense aussi que le multimodal est la voie de l'avenir et je crains qu'on condamne trop vite le ferroutage, que nos voisins ont mieux su développer (Approbation sur les bancs du groupe UDF).

J'approuve d'autre part l'idée de créer un schéma national pour mettre en cohérence les principales zones logistiques et les insérer dans un réseau multimodal efficace. Il n'est pas moins impératif d'améliorer l'accessibilité des métropoles françaises à vocation internationale à qui un réseau de transport plus diversifié permettra de tirer un meilleur profit de l'intégration européenne.

J'évoquerai pour conclure les futures infrastructures dans le cadre de la décentralisation et du système de financement que Pierre Méhaignerie a évoqué - mais ici nous sommes d'accord : il faut conjuguer les ressources et la création d'une redevance d'usage pour les transports routiers me paraît une bonne solution. Je souhaite aussi qu'on réfléchisse sur le prix à payer pour le franchissement des obstacles naturels, comme les montagnes qui imposent des coûts financiers de réalisation considérables.

La question du financement des infrastructures est liée aux décisions qui seront prises dans le cadre de la décentralisation. Les régions seront-elles les collectivités tête de file pour assurer la cohérence des réseaux de transport de proximité ? Pourront-elles intervenir sur le réseau routier, qui devrait plutôt relever de la compétence des départements ? Une réforme du financement des contrats de plan semble indispensable, en liaison avec la définition de nouveaux mécanismes de financement pour les infrastructures.

Si nous décidons de créer de nouveaux prélèvements sur le transport routier, le problème est de savoir comment affecter durablement ces recettes au financement des infrastructures. Rappelons-nous la triste aventure du FITTVN ! Je fus, avec M. Pasqua, à l'origine de la création de ce fonds. Quelques mois plus tard, tout en conservant les recettes, on a fait disparaître le fonds... Le meilleur moyen de sécuriser l'affectation de ces recettes est à mon avis de créer à cet effet un établissement public à gestion partenariale.

Il faut poursuivre également la privatisation des sociétés d'autoroute. L'amortissement du réseau est presque achevé, ce qui permet à l'Etat d'obtenir un bon prix de cession. Il faut aussi s'attaquer au désendettement des opérateurs ferroviaires. La SNCF doit se réformer pour affronter la concurrence européenne et devenir plus autonome. Elle doit développer son fret : il est incroyable qu'aujourd'hui 50 % du fret ferroviaire français soit d'origine internationale. Il faut conquérir des parts de marché et s'engager résolument dans la filialisation. RFF doit aussi bénéficier des financements que nous souhaitons collecter, pour mieux structurer les opérations d'investissement liées à la vitesse, mais aussi au fret.

Sur ce point, je ne peux accepter l'idée que le fret ferroviaire a perdu son combat face à la route (Approbation sur les bancs du groupe UDF). Les deux sont complémentaires mais c'est au Parlement et au Gouvernement qu'il appartient de prendre les décisions qui permettront cet équilibre. En ce qui concerne, enfin, les nouvelles modalités d'un partenariat public-privé dans le cadre de concessions de travaux publics rénovées, je crains qu'elles ne trouvent leurs limites dans la rentabilité économique des projets eux-mêmes.

Ces réformes peuvent donner quelques latitudes supplémentaires mais ne suffiront pas au financement des projets. Je souhaiterais donc que nous lancions un grand emprunt européen qui puisse financer durablement les investissements nécessaires à une ambitieuse politique d'infrastructures. Ce fut une bonne politique dans le passé et je ne vois pas pourquoi elle n'aurait pas les mêmes effets aujourd'hui ! Il faut aussi réviser les modalités d'affectation des fonds européens, qui seraient plus utiles pour nos infrastructures que pour certains équipements locaux. Le Fonds de cohésion est un exemple auquel nous devons réfléchir.

Enfin, nous devons mobiliser les fonds de la Caisse des dépôts et j'ai entendu avec plaisir le président Méhaignerie en parler. Nous aussi en avons discuté avec le directeur général. On peut envisager des prêts de 35 ans à 2 %.

Par ces décisions, nous devons assurer une véritable reconquête du territoire, programmer des engagements et trouver les moyens adéquats pour « sanctuariser » les recettes dégagées, afin de sécuriser l'avenir des investissements. Je ne doute pas, Messieurs les ministres, que ce débat sera pour vous une invite à l'action. Ne craignez pas de nous surprendre ! Si nous voulons que dans vingt ans la France soit équipée à la hauteur de ses ambitions, l'heure de la décision a sonné. Votre majorité est là pour vous y aider (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - « Faites-nous de bonnes infrastructures, et nous vous ferons une bonne politique » : on pourrait paraphraser ainsi le propos du baron Louis sur les finances publiques. Ce que les élus demandent à l'Etat, ce sont des infrastructures. Or c'est ce que l'Etat ne fait plus depuis des années ; même en période de croissance, notre pays n'a plus de possibilités budgétaires pour les infrastructures.

Ce débat était donc nécessaire et il est d'abord financier. Merci, Messieurs les ministres, d'avoir le courage de vous lancer dans la réflexion sur la redevance pour les poids lourds. J'avais peur que vous n'osiez pas... C'est à mes yeux la solution la plus prometteuse. Et j'aimerais qu'on réfléchisse sur le point suivant. Les industriels de mon département me disent souvent que les transports ne sont pas assez chers pour rendre dissuasif le recours à des délocalisations lointaines... Par conséquent, quand on nous dit que les transporteurs vont devoir répercuter le prix sur le chargeur, nous devons déjà nous demander si les transports routiers sont bien à leur prix. Donc, oui à la redevance.

Vous avez également lancé, Messieurs les ministres, l'idée d'augmenter la TIPP, particulièrement sur le gazole. S'il est une mesure impopulaire, c'est celle-là... Je ne me demande pas si c'est intelligent, mais si c'est politiquement possible, et je crie casse-cou ! Pourquoi ? Nous sommes le plus grand pays d'Europe. De nombreux Français habitent encore, grâce au ciel, dans le monde rural. Ce sont donc les plus pauvres qu'on va pénaliser. Attention à ces idées simples, lumineuses... et politiquement calamiteuses ! Je vous recommande d'y réfléchir à deux fois, et de donner plutôt la préférence aux autres mesures envisagées.

J'en viens à mon point essentiel. Quelque chose de choquant s'est passé depuis 1993. Cette année-là, il y a eu une directive européenne, proscrivant les adossements qui seraient contraires au droit de la concurrence. Un concessionnaire qui n'est pas confronté à la concurrence et prolonge immédiatement, ayant obtenu une concession plus longue, la réalisation de l'autoroute dont il exploite la première partie, cela pose en effet un problème et l'Europe avait raison. Nous étions en 1993. Que s'est-il passé ensuite ? La directive a-t-elle été impitoyablement imposée au gouvernement français ? J'observe qu'en 1994 il ne s'est rien passé, non plus qu'en 1995, 1996, 1997 et 1998. Il a fallu qu'en 1999 le gouvernement Jospin interroge le Conseil d'Etat et lui demande un avis. N'avait-il pas une idée de l'avis qu'il allait recevoir ? D'autant qu'il fallait aussi s'appuyer sur la loi Sapin, qui tend au respect du droit de la concurrence. On eut donc la réponse qu'on pouvait attendre, à savoir qu'on ne pouvait plus faire d'adossement. Et le gouvernement d'aller voir les élus de l'Est pour leur dire : vous voulez le TGV ? Passez à la caisse ! C'est une histoire scandaleuse. De cet instant, qu'on ne nous parle plus d'aménagement du territoire ! Les riches, qui peuvent se payer les infrastructures, les auront, et tant pis pour les autres ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Voilà la situation française aujourd'hui : et tout le monde trouve cela normal, et tout le monde dit qu'il faut continuer... Je dis non. Et je demande que l'Etat retrouve sa vocation qui est de financer les grandes infrastructures. A quoi sert-il, sinon ? Dans mon département, 98 % du contrat de plan est constitué de transferts de charges ! Est-ce là la République ? Pas la mienne ! On ne peut continuer ainsi. Il faut que l'Etat retrouve des capacités d'action.

A propos de l'adossement, le Conseil d'Etat a laissé entendre qu'il pouvait exister une marge de man_uvre si l'opération considérée constituait un maillon d'un ensemble cohérent. Prenons - au hasard ! (Sourires) - le tronçon de l'A89 entre Balbigny et Lyon. Il s'agit de la seule autoroute transversale française. En 1987, le président Méhaignerie, alors ministre de l'équipement, a décidé de le réaliser : nous ne disposons de la DUP que depuis quinze jours ! Dix-sept ans pour y arriver ! Comment l'Etat peut-il être aussi long ? On avance les différends entre collectivités - au demeurant bien naturels. Cela ne dispense pas l'Etat du devoir de trancher. Or il n'a pas tranché et on a perdu des années et des années. Aujourd'hui, alors qu'il était tout à fait possible d'adosser au lancement du projet, on demande au président du conseil général de la Loire, qui me ressemble comme un frère, un milliard de francs ! Je n'ai pas traduit en euros, cela m'a suffi ! (Sourires) Comment voulez-vous qu'un budget de trois milliards puisse emprunter un milliard ?

Et le cas n'est pas unique ! Prenons une autoroute qui devrait intéresser Le Puy...

M. Jacques Barrot - L'A45 ! Merci de vous en soucier !

M. le Président de la commission des lois - C'est Bernard Bosson qui l'a sortie des limbes en 1993. Aux dernières régionales de 1997, pour faire plaisir à ses alliés, le Gouvernement a supprimé tous les projets d'autoroutes nouvelles, pour mieux les rétablir sitôt passées les élections !

M. Jacques Barrot - Tout à fait exact !

M. le Président de la commission des lois - Il faut s'en souvenir ! Aujourd'hui, l'inspection des finances et les Ponts jugent le projet beaucoup trop cher et subventionnable à hauteur de 90 %.

Messieurs les ministres, il faut revenir sur le principe de l'adossement. Pourquoi refuser l'adossement à un concessionnaire pour ce qui concerne les tronçons non rentables ou peu rentables ? Le Conseil d'Etat veille légitimement au respect du droit de la concurrence. Mais peut-on parler de libre concurrence lorsque le manque de rentabilité du projet exige qu'il soit subventionné sur fonds publics à hauteur de 90 % ? Cette logique n'a plus cours. On a interdit l'adossement au moment même où il devenait inenvisageable de ne pas réaliser les tronçons les moins rentables. L'erreur majeure aura été de faire semblant de croire que la directive de 1993 s'imposait à nous alors qu'elle ne peut s'appliquer à des opérations déficitaires à 90 % ! Je demande donc la révision complète de cet outil juridique. Si l'on s'en dispense, on pourra débattre à l'infini sur le mode du « y a qu'à » « faut qu'on » et du « si y a pas, y a qu'à faire faire »... mais par qui ? Si les outils juridiques et financiers ne sont pas totalement revus, notre pays prendra un retard considérable et nos beaux discours n'y changeront rien ! Nos administrés en ont assez des discours. Ils veulent des infrastructures. Nous sommes venus vous le dire, Messieurs les ministres, et vous suggérer quelques moyens (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme Guinchard-Kunstler remplace M. Le Garrec au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER

vice-présidente

M. Emile Blessig, président de la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire - Les réseaux de transports et leurs infrastructures déterminent des espaces géographiques au niveau régional, national et surtout européen. Déterminants pour la compétitivité de nos territoires, ils constituent les éléments essentiels d'une politique raisonnée d'aménagement du territoire.

Ces dernières années, nous avons pu constater une croissance exponentielle de la mobilité du fait de la transformation des modes de vie et de notre organisation économique. Ainsi, avec la technique des flux tendus, les stocks de nos entreprises sont en majorité sur nos routes et nos autoroutes... et bien peu sur nos voies ferrées. A titre d'illustration, 11 000 camions traversent chaque jour les Alpes entre la France et l'Italie et 17 000 les Pyrénées entre l'Espagne et la France, la moitié traversant notre pays de bout en bout ! Avec l'extension de l'Union européenne vers l'est, cette demande de transport va encore croître.

Or ces trente dernières années, la consommation énergétique du secteur transport a augmenté de 69 %, ce secteur étant à l'origine de 41 % des émissions de gaz carbonique et du quart des émissions de gaz à effet de serre - lesquelles devront être divisées par quatre d'ici 2050. Par ailleurs, les estimations les plus sérieuses fixent à 50 % la croissance du trafic routier et ferroviaire dans les vingt prochaines années.

Dans ce contexte, reconnaissons avec la DATAR qu'il est impossible de raisonner en la matière en prolongeant simplement les tendances et, comme le demande le Président de la République, intégrons dans nos réflexions l'impératif du développement durable, qui s'impose et s'imposera à tous.

Il est temps de refuser la sous-estimation systématique et de prendre en compte les risques écologiques liés aux différents modes de transport - pollution de l'air, effet de serre, bruit, risque pétrolier, atteintes au paysage.

Placer le développement durable au c_ur de la réflexion de la représentation nationale sur les infrastructures de demain représenterait un pas décisif et emporterait deux conséquences. Du point de vue des choix stratégiques, la priorité absolue doit revenir à l'intermodularité rail-route, par la création de corridors de fret, comme le propose le rapport Haenel-Gerbaud. Cela sera possible si l'on développe un réseau à grande vitesse national totalement intégré dans le réseau transeuropéen. Il faut aussi accepter de revoir notre méthode d'analyse des coûts des modes de transports, en intégrant les nuisances écologiques au titre des coûts externes de tel ou tel mode de transport. La création d'une agence de notation environnementale nationale ou européenne serait bienvenue pour définir objectivement les enjeux du débat.

Nous avons par conséquent le devoir de mettre en _uvre une nouvelle politique des transports. Au reste, il ne s'agit pas de savoir selon quelle alchimie le Gouvernement arbitrera entre les TGV Aquitaine, Rhin-Rhône, Bretagne ou Est puisque nous savons qu'ils sont tous nécessaires ! A cet égard, on ne peut que s'étonner de l'absence de tout projet de liaison à grande vitesse Atlantique-Méditerranée, manifestement indispensable dans la perspective communautaire.

La vraie question est celle des moyens. Avons-nous réellement la volonté de trouver les financements nécessaires pour doter la France d'un réseau de transport intermodal fret-voyageurs-routes à la hauteur d'une Europe à 25 ? Si tel n'est pas le cas, nous serons réduits au rôle de pays du bout du continent ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

D'où peuvent provenir les indispensables ressources nouvelles ? Quelle peut être la mobilisation de l'épargne nationale et européenne sur ces infrastructures à très longue durée de vie, avec des modes d'amortissement revus et adaptés ? Nous utilisons toujours des ponts construits au cours des siècles précédents ! C'est dire que l'amortissement doit être envisagé sur le long terme !

Que peut-on demander à l'usager ? La mutualisation des recettes de péage de l'ensemble des transports peut donner au pays les moyens financiers de cette politique. A titre d'information, en Suisse le ferroviaire est payé à 50 % par la route. Que peut-on demander au contribuable, français et européen, actuel ou futur ?

En 1995, la loi a créé le FITTN - fonds d'intervention pour les transports terrestres et voies navigables - alimenté à titre principal par une taxe perçue par les sociétés d'autoroute. Or, par un effet bien connu des vases communiquants, la création de ce fonds a entraîné une diminution équivalente au franc près du budget du ministère de l'équipement, lequel n'a donc obtenu finalement aucun moyen supplémentaire. La loi de finances 2001 a supprimé ce fonds, la taxe restant en vigueur au profit du budget général. Forts de cette expérience, nous devons sanctuariser les ressources nouvelles dévolues au développement des infrastructures (Murmures sur les bancs du groupe socialiste).

Ce débat pose la question de l'aménagement du territoire en des termes nouveaux ; le rôle de l'Etat a changé : d'acteur principal de l'aménagement du territoire, il est devenu partenaire et garant. L'Etat doit être partenaire des collectivités locales dans la définition des schémas régionaux de transport, et partenaire des autres Etats européens dans la mise en _uvre des réseaux de transports transeuropéens. Au plan national, il doit rester garant de l'équité territoriale pour l'accès aux transports et porter une attention toute particulière aux régions enclavées.

Dans une économie aussi fortement tertiarisée que la nôtre, la circulation de l'information joue un rôle aussi décisif que le transport des hommes et des marchandises. De quel pouvoir d'attraction disposera un territoire certes desservi par des infrastructures de transports évoluées mais dépourvu d'un accès facile au haut débit ?

La délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire de notre assemblée souhaite que le Gouvernement intègre les infrastructures de transports d'information dans sa réflexion sur les infrastructures de transport du XXIe siècle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Hervé Mariton - Le présent débat est des plus utiles mais, comme l'a rappelé le président Clément, nos échanges devront entraîner des décisions et les décisions prises devront être suivies d'effets. L'expérience nous impose en la matière un devoir de prudence et d'exigence.

Il me semblerait judicieux, Messieurs les ministres, que vous nous présentiez un projet de loi d'orientation qui permette à l'Assemblée nationale de délibérer. Notre assemblée n'est pas seulement un lieu de débat : elle est aussi et surtout un lieu de décision. La loi d'orientation actuellement en vigueur a vingt ans. Il est grand temps de fonder notre nouvelle politique des transports sur un texte législatif, qui devra s'appuyer sur des schémas et des cartes. Ces documents ont trop souvent manqué sous le précédent gouvernement.

Il faut faire en sorte que la politique des transports ne se limite pas à répondre aux nombreuses lettres au Père Noël que vous ne manquerez pas de recevoir. Nous avons besoin d'une cohérence d'ensemble.

Le président Méhaignerie a rappelé l'utilité des infrastructures de transport. L'investissement doit être préféré au fonctionnement. Mais la politique que vous menez doit être cohérente avec les choix budgétaires que nous assumons et tout particulièrement notre objectif de maîtrise des dépenses publiques. Aussi vertueux soient-ils, les investissements ne doivent pas mettre en péril ce principe essentiel de notre majorité. Il faut dégager des marges d'investissement et c'est par la maîtrise des dépenses que nous y parviendrons.

La politique des transports doit être cohérente avec nos choix fiscaux. Nous nous sommes engagés à stabiliser les prélèvements obligatoires. Ce débat ne doit pas nous fournir un prétexte pour faire le contraire.

Il faut aussi rester en cohérence avec nos choix européens. J'ai lu, Monsieur le ministre, que vous souhaitiez sortir les dépenses d'infrastructure du pacte de stabilité. Certes, il s'agit de dépenses vertueuses et l'Europe doit donner un coup de pouce, mais une fois que vous aurez obtenu une exception pour les transports, on en réclamera une pour la recherche, une autre pour la défense, et à la fin il n'y aura plus de pacte de stabilité. Je ne crois pas que ce soit l'objectif de la majorité.

Ce débat doit être innovant. Les politiques s'emparent de sujets habituellement traités dans des cercles technocratiques. On croit parfois que les choix sont déjà faits. Or ils ne le sont pas.

Ce que nous voulons, c'est une « nouvelle politique de transport » : j'approuve votre expression. Celle-ci repose sur un acquis important : la compétitivité de la France dans ce domaine. La qualité de nos infrastructures est toujours citée comme argument en faveur de notre pays. Mais nous voulons continuer à courir en tête, ce qui nécessite d'améliorer la gestion de ces infrastructures et des entreprises qui les utilisent.

Dans le domaine des transports, l'activité n'est plus seulement physique. Les opérateurs gagnent de l'argent grâce à la qualité de l'organisation des flux, grâce à leurs logiciels.

La nouvelle politique des transports doit prendre en compte l'élargissement de l'Europe qui va placer la France à l'ouest du nouvel ensemble, mais aussi la décentralisation. Qu'il s'agisse des routes, des ports ou des aéroports, les collectivités locales auront un rôle important à jouer. Quant à l'intermodalité, elle doit passer du mythe à la réalité. Il y a des cas où elle sera utile, d'autres où la route s'impose.

La France a, dans ce domaine, de grands progrès à réaliser. C'est pour faire avancer l'intermodalité que de grands investissements sont légitimes. Michel Bouvard reviendra sur le projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin qui est l'expression concrète d'une politique en faveur de la multimodalité.

N'oublions pas, à côté des grands investissements, qu'il subsiste d'importantes possibilités d'optimisation dans les infrastructures actuelles. Je pense à la « magistrale éco-fret » qui relierait le nord au midi, d'Anvers à Paris, puis dans la vallée du Rhône, une succession de petits investissements peut changer bien des choses dans l'organisation du fret.

En outre, nous pouvons faire tous les investissements du monde, cela ne servira à rien si la gestion n'est pas améliorée. Sait-on que le coût du transport sur la Seine est trois fois plus élevé que sur le Rhin ? Nous pourrions doubler le trafic sur le Rhône sans investissement supplémentaire.

Il faut encore songer à l'entretien. Les aiguillages de la gare de Lyon n'ont pas été modernisés depuis 1947 ! L'entretien des infrastructures nécessite des moyens. N'épuisons pas toutes nos ressources dans les grands projets.

S'il faut des moyens supplémentaires, devons-nous augmenter l'impôt ? Non.

Certains évoquent, en termes choisis, une augmentation de la TIPP sur le gazole. Notre majorité a été élue pour que les impôts n'augmentent pas. Il ne serait pas cohérent, en augmentant la taxation qui pèse sur le diesel, de faire ce que Lionel Jospin et Dominique Voynet n'ont pas fait.

M. Dominique Dord - Bravo !

M. Hervé Mariton - Une redevance sur les poids lourds peut être étudiée si elle favorise la multimodalité.

Il faut moderniser notre patrimoine. Nous avons assisté au succès du programme autoroutier. Cette phase s'achève, même si des projets restent à réaliser pour désenclaver certains territoires. Nous pouvons passer à une nouvelle phase. Si nous avons besoin de moyens, la privatisation des sociétés d'autoroute peut nous les fournir.

Mme la Présidente - Veuillez conclure.

M. Hervé Mariton - Il faut certes privatiser en fonction de certains critères, mais la cession des autoroutes peut nous permettre de sortir de la nasse financière dans laquelle nous nous trouvons.

Les partenariats publics-privés doivent être mis en place et les financements européens mobilisés. La nouvelle politique de transport doit enfin prendre en compte les exigences nouvelles de respect de l'environnement. Les projets deviennent trop longs à mettre en _uvre ; il faut un équilibre.

Oui, nous voulons une politique d'infrastructures ambitieuse. Nous en avons les moyens et nous ne devons pas être angoissés pour l'avenir de notre pays mais confiants. Merci pour ce que vous nous proposerez (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme la Présidente - Je demande aux orateurs de respecter leur temps de parole. Si chacun faisait comme M. Mariton, nous passerions une grande partie de la nuit à siéger.

Mme Odile Saugues - Il fallait bien prévoir cinq heures de débats pour tenter de mettre un terme à l'extrême confusion qui a gagné le secteur des transports, vital pour nos régions, pour la croissance et pour l'emploi.

Pouvait-on faire pire que la méthode gouvernementale ? Trois rapports, l'un confié à deux sénateurs, l'autre à la DATAR, le troisième au Conseil général des Ponts ont été commandés pour éclairer les choix du Gouvernement. Au final, une cacophonie totale, des contradictions sans fin et une levée de boucliers générale, chez les élus comme chez les professionnels.

Un jour, c'est le président de la commission permanente du Conseil national d'aménagement du territoire qui démissionne parce que la DATAR ne considère plus comme prioritaire d'assurer l'égalité des chances entre les régions.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont - Il a eu raison !

Mme Odile Saugues - La veille, c'est le président du comité pour la liaison européenne transalpine, M. Raymond Barre, qui dénonce un manque de vision et des décisions technocratiques, tandis que le président de l'association des maires de France exprime sa déception à propos de l'abandon de la voie d'eau comme mode alternatif au tout routier et que le président de l'Association des régions de France s'inquiète du non-respect des engagements de l'Etat dans les contrats de plan.

Nous pourrions citer les prises de position de toutes les organisations syndicales, de la CGT qui estime que « la politique du tout routier est de retour » à la CFDT qui dénonce « un rapport de commande » en passant par FO qui ne voit dans ce rapport d'audit « aucune logique de service public », l'UNSA qui estime que « les salariés des transports sont en état de légitime défense », ou la CFTC qui note « un bémol à la volonté du précédent gouvernement ». On ne réussit pas tous les jours, Monsieur le ministre, à briser l'unité syndicale...

Mais la palme revient à M. Sergio Pininfarina, président de la commission intergouvernementale pour le TGV Lyon-Turin : « Si les Français ne peuvent pas payer, nous avancerons l'argent ».

Comment s'y retrouver ? Et surtout, par quoi commencer ? Le canal Seine-Nord ? Le projet Port 2000 ? La deuxième phase du TGV-Est ? Le Lyon-Turin ou le pendulaire POLT ?

A quel document accorder de l'importance ? A celui du conseil général des Ponts, qui sacrifie la voie navigable et le ferroviaire à la politique du tout-routier ? Ou à celui de la DATAR, qui en prend le contre-pied ? La réponse, vous et nous la connaissons : les clefs sont à Bercy et vous êtes l'une des premières victimes de la rigueur imposée par votre gouvernement et de la croissance en berne due à une politique qui tourne le dos à la création d'emplois et à la redistribution des richesses. Face à cette logique, les arguments en faveur d'un rééquilibrage des modes de transport pèsent bien peu. A dire vrai, ce n'est pas une surprise. Votre budget annonçait déjà les conclusions de l'audit du conseil général des Ponts et Chaussées. J'avais déploré à l'époque la baisse des crédits de Voies navigables de France et la diminution de 25 millions d'euros de la contribution aux charges d'infrastructure ferroviaire versée à RFF.

Aujourd'hui, on voit bien la volonté politique qui se dessine derrière ces rapports et les annonces du Gouvernement : aller plus loin encore dans la voie de la privatisation. Cette vision à court terme fait fi de l'intérêt général. Nous l'avons dénoncée avec vigueur, s'agissant notamment d'Air France. Quelques exemples pour souligner l'incohérence de votre politique.

Essentiels pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre, les transports urbains sont étonnamment absents de notre débat. Vous n'avez pourtant pas eu besoin d'audit pour diminuer drastiquement le financement des transports en commun en site propre - TCSP - et des plans de déplacement urbains, dont l'approbation est une nouvelle fois reportée.

Par ailleurs, l'audit du conseil général des Ponts et Chaussées ne traite pas du transport aérien, élément essentiel de l'étude de la DATAR.

Il y a plus étonnant : vous demandez à la représentation nationale de débattre aujourd'hui, mais vous n'attendez même pas la fin des travaux, le 5 juin prochain, de la mission parlementaire sur la politique aéroportuaire. A quoi servira-t-elle donc ? Comment aborder sérieusement l'avenir des transports en France en écartant le mode aérien de nos réflexions et en niant l'évidence de l'interpénétration des différents modes de transports ? Cela revient à ignorer les conséquences de la mise en service du TGV-Méditerranée sur l'activité d'Air France ! Si vous vouliez sincèrement associer le Parlement à vos réflexions, il ne fallait pas court-circuiter les travaux de la mission parlementaire.

Les coupes budgétaires et les gels de crédits, eux, n'attendent pas... Vous avez personnellement rayé de la carte le troisième aéroport international, sans concertation, discussion, étude ni audit.

D'autre part, l'enlisement programmé de certains projets a de graves conséquences : les reports que vous envisagez pour des raisons budgétaires vont imposer de reprendre entièrement des procédures incontournables, déjà engagées.

Nous savons aussi que certains hauts fonctionnaires ont une tendance naturelle à enterrer des projets, surtout lorsqu'ils sont l'expression de choix politiques et qu'ils ne s'inscrivent pas dans le dogme du « tout routier ». Nous en avons fait l'expérience avec le rapport Brossier sur les transports terrestres dans les Alpes, qui préconisait déjà un report du TGV Lyon-Turin.

Nous savons enfin la difficulté de réorienter la fiscalité en faveur des modes de transport les moins polluants. Cinq ans plus tard, les mêmes freins sont à l'_uvre. Mais ils ne doivent pas conduire l'Etat à démissionner, encore moins à saper le travail des régions. Or c'est bien de cela qu'il est question.

Quelle est la crédibilité de votre engagement en faveur de la décentralisation quand votre Gouvernement ne respecte pas les contrats signés avec les collectivités locales et envisage, peut-être, de donner suite aux conclusions de l'audit sur la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse ou la modernisation de la ligne Clermont-Neussargues en matière de fret ferroviaire, pourtant retenue par le CIADT du 23 juillet 1999 et entérinée par une convention cadre conclue le 13 mai 2002 ?

Quelle est la crédibilité de votre engagement européen quand les hésitations de la France menacent un projet comme le Lyon-Turin, identifié comme l'un des quatorze projets prioritaires de l'Union européenne et que notre pays ne respecte pas ses engagements internationaux, sans parler de la ratification du traité international relatif à cette liaison transalpine par les deux parlements ?

Quelle est la crédibilité de votre politique de transport si les projets de rééquilibrage entre les différents modes de transport sont reportés, abandonnés, enterrés ?

Et si toutes les recettes des transports doivent être consacrées aux infrastructures, nous direz-vous que les recettes de la privatisation d'Air France financeront de nouvelles infrastructures ? A moins que vous ne nous annonciez que le Premier ministre a finalement choisi d'affecter à votre ministère les recettes des péages ?

Enfin, comment ne pas comprendre, à travers ces études et les inquiétudes de toutes les régions, que votre gouvernement a eu tort de ne pas donner à votre ministère les moyens de mettre en _uvre la politique volontariste de vos prédécesseurs et qu'il a sous-estimé les attentes des Français en matière de développement durable et d'aménagement du territoire ?

C'est pourquoi, nous vous interrogerons sur la cohérence de votre politique de transport et sur le devenir de certains projets majeurs.

Cependant, ne nous faisons pas d'illusions : l'essentiel n'est pas dans ce débat sans vote !

Déjà, les gels de crédits décidés pour 2003 témoignent du peu d'engouement de ce gouvernement pour les transports.

Les députés socialistes - et les Français - attendront donc votre prochain budget et les arbitrages du Premier ministre pour mesurer votre détermination et les moyens que vous entendez consacrer à la définition d'une véritable politique des transports (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. François Bayrou - Je ne me livrerai pas, dans les cinq minutes qui me sont imparties, à une analyse générale comme cela a été fait à six reprises depuis le début du débat.

Une seule réflexion : vous sentez bien que vous avez en face de vous les représentants d'une France qui se sent victime d'inégalités, les uns étant assez bien équipés et les autres ayant le sentiment d'être abandonnés. A titre d'exemple et de contribution locale, je voudrais m'exprimer au nom d'une région qui se sent profondément abandonnée, en ressent de la rage, et a de surcroît l'impression que son isolement s'est aggravé ces dernières années. Ainsi, le 23 mars 1955
- j'avais à peine trois ans -, sur une magnifique voie ferrée des Landes, une motrice française remportait le ruban bleu du record du monde pour un train en atteignant 326 kilomètres à l'heure. C'était un train à grande vitesse avant l'heure. Aujourd'hui, sur le même tronçon, la rame du TGV roule à moins de 160 kilomètres à l'heure. Nous avons perdu 166 kilomètres à l'heure en cinquante ans ! (Sourires)

M. Pierre Forgues - Excellent !

M. François Bayrou - Si vous confrontez ce sentiment de ne pas avoir progressé aux chiffres, vous verrez, vous qui estimiez tout à l'heure qu'il fallait « dépasser dans nos choix le cadre de l'hexagone », que s'il y a une région qui vous y invite, c'est le Sud-Ouest et l'Aquitaine en particulier. Le nombre de poids lourds à la frontière aquitaine est passé de 3 000 par jour, en 1990, à 7 500 en 2000 et atteindra, selon les prévisions, quelque 15 000 en 2010.

Pour les véhicules au sens large, nous étions à 5 000 en 1990, à 20 000 en 2000, et nous dépasserons 40 000 en 2010. Ceci est évidemment dû au développement et à la croissance extraordinaires de nos voisins espagnols. Ils ont fait de remarquables efforts d'équipement, tant pour la route que pour le rail : le TGV Madrid-Irun sera achevé dans quelques années. Mais la frontière passée, on se traînera entre Irun et Tours, tandis que le TGV Sud-Europe-Atlantique promis ne sera pas réalisé.

Le sentiment de cette région, c'est qu'elle est sinistrée, et par carence de l'Etat. Moi qui n'ai pas l'habitude de céder à la polémique, je veux vous dire qu'il y a une responsabilité directe du gouvernement précédent. Je citerai deux faits avérés. Phénomène unique en France, Bordeaux et Pau, les deux principales villes de la région, sont distantes de trois heures de voiture. La concession d'une autoroute a été décidée par les gouvernements d'Edouard Balladur puis d'Alain Juppé, la dernière décision ayant été prise en 1996. Dès l'été 1997, le gouvernement précédent a décidé d'abandonner purement et simplement cette autoroute, pour des raisons idéologiques : les Verts et le PC n'étaient pas d'accord avec cet équipement (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). M. Gayssot lui-même l'a dit.

Avait également été prise en 1996 la décision d'instituer un péage et de transformer en deux fois trois voies la RN 10 entre Bayonne et Bordeaux. Là encore, et pour les mêmes raisons, ce projet a été abandonné.

Monsieur le ministre, il vous revient, dans cette région plus que dans d'autres, de faire faire un pas décisif à l'équipement de la France. Vous avez, avec le Président de la République, réalisé des prouesses en matière de sécurité routière. Vous avez le bonheur d'être le ministre sous la responsabilité duquel l'insécurité routière a reculé. Il vous revient d'être celui sous la responsabilité duquel l'équipement de la France progressera. Alain Juppé vous parlera tout à l'heure du contournement de Bordeaux. Voici les autres priorités pour notre région : il faut réaliser d'urgence, par concession, l'autoroute Bordeaux-Pau, et traiter de la question de Pau-Oloron, inscrite en 1992 au schéma. Il vous revient de régler la question de la liaison Bayonne-Bordeaux et de sa mise à deux fois trois voies, celle du TGV Sud-Europe-Atlantique, et celle de la liaison ferroviaire Pau-Campfranc que je considère comme une réalisation inéluctable. Pour nombre de grands esprits, cette voie ferrée ne sera jamais remise en service. Il faudra pourtant bien qu'un jour, on fasse autre chose que des moulinets pour le ferroutage.

Je suis certain que le jour où l'on voudra créer le ferroutage entre France et Espagne, cela se fera, et pour 200 millions, ce qui n'est pas cher pour une infrastructure de ce type. Je suis certain, aussi, que de nombreux concessionnaires sont prêts à relever le défi. Je le répète donc, Monsieur le ministre : c'est une lourde responsabilité qui pèse sur vos épaules, dans la France entière, certes, mais particulièrement dans le sud-ouest (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Daniel Paul - Aménager le territoire, c'est organiser le développement de chaque bassin de vie, en valorisant ses atouts de façon cohérente. Il y faut une volonté politique qui intègre la notion de développement durable.

Lors des dixièmes rencontres parlementaires sur les transports, notre collègue Patrick Ollier disait son inquiétude en ces termes : « j'ai peur que l'on passe à côté d'une véritable politique d'aménagement du territoire ».

Mes chers collègues, vous êtes face à vos propres contradictions. Adeptes de l'Etat minimum privé de ses prérogatives par une décentralisation autoritaire et sans moyens, d'un Etat sans plus d'obligations de service public, vous rêvez de privatisation, de démantèlement du secteur public. Mais, vous le savez aussi, l'aménagement du territoire ne se bâtit pas sur « le laisser-faire ».

Ce débat est déterminant pour l'avenir des transports mais aussi parce que vos choix pèseront lourd sur les contribuables et sur les citoyens au long des vingt prochaines années.

Selon la DATAR, « Un territoire mal desservi verra presque toujours son avenir compromis ». Or, le rapport « Transport en France et en Europe, éviter l'asphyxie » d'André Lajoinie l'avait démontré : la croissance des déplacements de personnes et de marchandises caractérise les sociétés modernes. Les bouleversements de l'économie mondiale ont placé la circulation des biens au c_ur des logiques industrielles. Profitant des insuffisances des politiques publiques, le secteur routier s'est taillé la part du lion dans ce marché lucratif.

La France, de par sa position géographique, est un pays de transit. Et faute de volontarisme dans le domaine des transports, notre pays va vers l'asphyxie, avec des conséquences environnementales et économiques majeures.

Pourtant, la France n'a pas à subir, elle ne doit pas se contenter d'être un pays de transit, supportant encombrements, pollution et insécurité routière. Elle doit au contraire opérer des choix politiques nets, en donnant la priorité au rail et au fluvial, en mettant au c_ur des préoccupations l'aménagement de notre territoire national et son insertion en Europe. Elle doit combiner le développement économique de tous ses territoires et la protection du cadre de vie de ses habitants.

Après le rapport d'audit des projets d'infrastructures du conseil général des Ponts, ceux des sénateurs Haenel et Gerbaud sur l'avenir du fret ferroviaire et de Henri de Richemont sur le cabotage maritime, la DATAR a fort heureusement nourri avec plus de pertinence la réflexion de la représentation nationale grâce à une étude prospective proposant « une politique des transports ambitieuse pour développer la compétitivité de la France ».

En effet, les préconisations de l'audit - mais n'était-ce pas la commande du Gouvernement ? - sont plus soucieuses de rentabilité économique à court terme que de réponses aux besoins de transport en termes d'aménagement du territoire, de développement durable - en fait, d'une croissance porteuse de progrès social.

L'audit remet ouvertement en cause le nécessaire rééquilibrage rail-route, en consacrant le retour en force du « tout autoroutier et routier », et sans rien dire ni de l'effet de serre ni des grands enjeux d'aménagement du territoire.

On peut donc se demander si le Gouvernement ne souhaite pas s'appuyer sur l'audit, qui constate les problèmes de financement, pour justifier son désengagement. Et ce n'est pas avec des considérations politiciennes sur les projets engagés par vos prédécesseurs que vous ferez oublier votre responsabilité à l'égard des prochaines générations !

Il est du devoir de l'Etat de décider des projets d'infrastructures nécessaires à l'aménagement cohérent du territoire, même si leur seuil de rentabilité théorique immédiat n'atteint pas la barre des 8 % que les libéraux estiment fatidique.

Toutes les études le confirment, le trafic de marchandises en France doublera au cours des dix ou douze prochaines années ; les chemins de fer, et les autres modes de transports alternatifs en prendront-ils leur part ?

Si la longueur du réseau autoroutier a triplé entre 1970 et 1996, le réseau ferroviaire exploité a diminué de 8 %, et la SNCF a abandonné 4 350 kilomètres de lignes qui seraient aujourd'hui fort utiles.

La nécessité de revitaliser le rail est unanimement reconnue, y compris par la Commission de Bruxelles, pour laquelle, cependant, la seule réponse qui vaille est la libéralisation du secteur. Or, l'exemple de la Grande-Bretagne, où British Rail a été complètement démantelé et privatisé, ne plaide pas en faveur d'une déréglementation accrue, au contraire.

De ce point de vue, le rapport des sénateurs Haenel et Gerbaud est inacceptable. Il reprend de vieux schémas, qui relèvent plus du dogmatisme que de l'expertise, et préconise une filialisation envisagée en référence à l'Allemagne. Aucun élément économique crédible ne vient appuyer une telle stratégie, qui tend uniquement à porter, coûte que coûte, un nouveau coup au secteur public. Le parti pris libéral du rapport est du reste manifeste, et sa doctrine des plus simples : le rentable au secteur privé, le non rentable au secteur public, et puisque des problèmes objectifs de financement se posent, profitons-en pour réduire encore un peu la place du secteur public !

Un débat comme celui-ci ne saurait rester théorique, et j'en prendrai pour exemple celui des grands ports. Dès le début des années 1990, un rapport notait la nécessité de créer des liaisons transversales dans l'Hinterland de nos ports maritimes.

Presque tous nos ports, à l'exception de Dunkerque, sont situés hors de la célèbre « banane bleue ». Ainsi, arrivant aux ports du Havre ou de Marseille, les marchandises doivent parcourir des centaines de kilomètres, dans des conditions souvent insatisfaisantes, pour parvenir au centre de l'Europe.

Il est impératif d'organiser une chaîne de qualité compétitive entre chaque port et son arrière-pays, d'autant qu'avec Port 2000, nous allons passer, en quelques années, de 1,2 million à 3 millions de conteneurs. Imagine-t-on de doubler le nombre de conteneurs, donc de camions, sur les réseaux routiers et autoroutiers ? C'est inconcevable. L'accès au corridor fluvial du Nord de l'Europe est une nécessité, afin que Le Havre puisse non seulement concurrencer efficacement Anvers ou Rotterdam, mais aussi diversifier ses modes de post et de pré-acheminement.

Renoncer à Seine-Nord, ne pas évoquer Seine-Est, ce serait non seulement nuire à nos ports mais aussi refuser le parti de l'aménagement cohérent, et nier l'objectif initial de Port 2000.

De même, l'absence d'écluse fluviale pour la desserte de Port 2000 imposerait, comme le souligne la DATAR, des man_uvres compliquées et coûteuses. Mais, si l'écluse est nécessaire - et vous l'avez reconnu - il ne saurait être question d'en faire supporter le coût au port autonome du Havre, dont les capacités de financement sont aujourd'hui totalement absorbées par Port 2000.

Comment, d'autre part, ignorer l'atout que représente le cabotage maritime démontré par l'excellent rapport de François Liberti ? Le soutenir suppose une aide financière de départ et le respect, par tous, des normes sociales de notre pays.

Enfin, la constitution d'axes ferroviaires donnant priorité au fret est une impérieuse nécessité. Cependant, l'entretien des infrastructures existantes demande, lui aussi, un plus grand effort de la nation. A cet égard, l'Etat serait mal inspiré de ne pas respecter ses engagements contractuels envers les régions. Ainsi, tout retard dans la réalisation du contournement fret de la région parisienne, que fait craindre votre attitude à l'égard du contrat de plan, aurait des répercussions sur notre trafic portuaire et engorgerait nos routes. Et tout retard ou toute suppression de projets de transversales à partir de nos ports atlantiques handicaperait durablement notre pays.

Mais il ne saurait être question de faire l'impasse sur la question des financements. Nous avons des propositions à formuler à ce sujet, fondées sur une autre fiscalité. Mais un grand débat national est indispensable à ce sujet.

Nous ne saurions évidemment nous satisfaire d'orientations visant à l'accélération de la libéralisation et de la déréglementation des transports. L'Europe doit s'engager plus activement et plus résolument dans un vaste programme de modernisation des infrastructures. Pour cela, le lancement d'un grand emprunt européen est souhaitable. Nous récusons l'idée que les poids lourds paient leurs coûts et que le chemin de fer ne les couvre pas, car ce calcul ne prend pas en compte les coûts environnementaux et ignore les zones urbaines, où les poids lourds circulent gratuitement et où le train paie le prix fort. L'instauration d'une taxe sur les poids lourds nous semble donc une piste intéressante, mais nous sommes opposés à toute idée de relever les tarifs de l'infrastructure ferroviaire.

Ne convient-il pas aussi de mobiliser les quelque 200 milliards inutilisés dont dispose la Caisse des dépôts pour financer les travaux nécessaires ?

Ce débat sur les infrastructures engage pour plusieurs dizaines d'années l'avenir de notre pays. C'est un débat de société, comme le sera celui sur l'énergie, comme l'est aujourd'hui celui sur les retraites et comme promet de l'être demain celui sur la sécurité sociale. Les risques liés à des logiques libérales destructrices sont partout présents, comme le montre le débat autour du fret ferroviaire.

La nécessité d'investir à long terme se heurte à votre logique, celle qui veut que l'argent public serve, en priorité, les objectifs de rentabilité financière à court terme...

Face à ces contradictions, vous envisagez des réponses diverses sans oublier l'instauration de péages toujours plus lourds. Sans doute envisagez-vous aussi d'abandonner certains projets pour faire des économies. C'est déjà ce que vous faites dans le cadre des contrats de plan, en retardant ou en remettant en cause certains dossiers, bafouant aussi la parole de l'Etat. C'est une conception libérale de l'aménagement du territoire ; ce n'est pas la nôtre.

Le rééquilibrage des moyens de transport au profit du ferroviaire, du fluvial et du cabotage maritime est une évidente nécessité, sauf à condamner notre société à l'asphyxie à court terme.

Pour nous, l'Etat doit veiller aux équilibres régionaux et à la cohésion nationale ; il ne saurait donc se désengager en prétextant d'une non-rentabilité financière qui, en matière d'aménagement du territoire n'a aucun sens dès lors que l'utilité sociale d'un projet a été établie.

C'est le sens que nous voulons donner à notre bataille pour qu'en matière de transports, la logique libérale prédatrice cède le pas à un aménagement harmonieux du territoire, dans lequel le secteur public, voyant ses missions confirmées et ses moyens confortés, jouerait tout son rôle. Dans ce domaine, comme dans tant d'autres, les moyens existent (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. François-Michel Gonnot - Après cinq ans d'une politique qui s'est résumée à « promettre et ne rien faire », ce Gouvernement a choisi la bonne méthode en faisant procéder à une expertise, en s'appuyant sur la réflexion de la DATAR et en organisant un débat parlementaire avant que vienne l'heure des décisions. Il l'a fait aussi au bon moment, à la veille de l'élargissement de l'Union européenne, alors que les besoins de nos territoires ne cessent de croître - vous avez entendu les cris de l'Aquitaine, les soupirs de la Bretagne, les attentes de l'Auvergne, que dirais-je de la Picardie ? - et que les choix futurs sont attendus avec impatience par les opérateurs.

Après l'élargissement, la France ne sera plus un point de passage obligé au c_ur de l'Union européenne. Si notre pays ne souffre pas d'un retard d'équipement en infrastructures, il doit améliorer l'efficacité de son réseau, faire disparaître ses principaux points de congestion et se mobiliser pour parvenir à une Europe intégrée des transports. Et les financements communautaires, à l'évidence, sont insuffisants face à l'ampleur des besoins : les crédits prévus pour le réseau trans-européen de transport ne se montent qu'à 550 millions d'euros par an. Mme Palacio a confié à M. Van Miert la présidence d'un groupe de travail en vue de réviser les orientations de ce réseau. Les travaux menés jusqu'à présent sont extrêmement intéressants.

M. Michel Bouvard - En effet.

M. François-Michel Gonnot - En 1994, quatorze projets prioritaires avaient été définis, mais seulement 20 % des travaux concernés seront terminés en 2010. Les perspectives d'élargissement rendent en outre les priorités de 1994 quelque peu dépassées. Ce groupe de travail, où siègent les Etats membres mais aussi les pays candidats, doit formuler prochainement ses recommandations et la Commission devrait, d'ici à la fin de l'année, proposer une révision du réseau trans-européen.

Ce doit être l'occasion de souligner que les crédits communautaires ne peuvent demain se borner à combler le retard d'équipement des régions périphériques et des pays en voie d'adhésion (MM. Bouvard et Ollier approuvent). La « vieille Europe » doit aussi moderniser son réseau, condition indispensable à la réussite du marché intérieur de l'Europe élargie. Il faut espérer que les Etats prendront une initiative forte pour accélérer l'intégration des réseaux de transport. Faut-il créer un Fonds européen pour les infrastructures ? Mieux utiliser les fonds structurels ? Lancer un grand emprunt européen ? Toutes les pistes doivent être explorées.

L'audit du Conseil général des Ponts n'a chiffré que partiellement le coût prévisible d'une politique multimodale d'infrastructures. Les besoins de financement seront beaucoup plus proches des 50 milliards d'euros, comme vous l'avez dit, Monsieur le ministre, que des 11 à 15 milliards évoqués. L'audit ne dit par ailleurs rien de projets, certes encore très vagues, mais qui paraissent inéluctables compte tenu des attentes des populations locales. Je pense par exemple à la prolongation de la ligne TGV entre Marseille et Nice. L'audit n'évoque pas non plus les besoins dans les ports, les aéroports et les transports urbains collectifs. Il n'aborde que brièvement les problèmes de congestion du grand Bassin parisien et ne traite pas de l'amélioration des liaisons transversales en grande banlieue parisienne.

Plus grave, l'audit a estimé le coût de chaque projet mais n'a pu étudier la pertinence des investissements au regard des progrès dans la coordination des réseaux ou des gains de compétitivité qu'ils permettraient. Je prendrai pour seul exemple celui du projet d'écluse fluviale de Port 2000.

Les besoins financiers dans les décennies à venir dépendront aussi en grande partie du taux de croissance du trafic routier de marchandises. Des infrastructures, aujourd'hui adaptées, risquent de devenir saturées - je pense à l'A1 et à l'A7.

Des incertitudes planent également sur les contrats de plan Etat-région. Des retards se sont en effet accumulés dans leur exécution, depuis trois ans d'ailleurs et non pas depuis un an, comme je l'ai entendu dire.

La dernière incertitude enfin est liée au projet de décentralisation, lequel aura une incidence sur le financement du réseau routier.

Pour trouver cinquante milliards d'euros sur trente à quarante ans, il faudra faire preuve d'audace et d'imagination en matière d'ingénierie financière. Il serait grave que la presse réduise ce débat à l'idée de créer une taxe nouvelle ou d'augmenter la TIPP. Le Gouvernement doit poursuivre sa réflexion avec le souci de ne pas pénaliser le transport routier national et de « sanctuariser » les ressources nouvelles éventuellement trouvées, chacun connaissant l'appétit insatiable des ministres des finances.

Les collectivités devront pouvoir demain investir dans les réseaux de transport : elles doivent pour cela disposer des compétences nécessaires. Il faudra par exemple accepter pour elles le principe de tarifications différenciées, de concessions, de péages urbains ou virtuels, et d'un recours au partenariat public-privé, lequel ne doit pas être réservé qu'à l'Etat. Il faudra aussi simplifier les procédures de réalisation des infrastructures et trouver les moyens, tout en préservant l'exigence de concertation avec les riverains, de faire aboutir les projets au nom de l'intérêt général.

Je conclurai en évoquant deux projets particuliers d'infrastructure. Le premier est le canal Seine-Nord, sachant qu'aucun canal n'a été construit en France depuis quarante ans. L'investissement de base s'élève certes à 2,6 milliards d'euros mais il faut apprécier la rentabilité de l'équipement sur une période beaucoup plus longue que pour d'autres modes de transport. Le canal Seine-Nord sera le symbole d'un rééquilibrage modal car il désengorgera le réseau routier de la région parisienne jusqu'au Nord et offrira aux ports du Havre et de Dunkerque un « hinterland » beaucoup plus important, tout en permettant une connexion entre les ports maritimes et le réseau fluvial de la Belgique et de l'Europe centrale. Renoncer à ce nouveau canal serait délibérément condamner la vocation internationale de la voie d'eau française et la cantonner au cabotage et à la plaisance.

S'agissant de la liaison Lyon-Turin, vous avez rappelé, Monsieur le ministre, que la parole de la France serait respectée. Encore faut-il qu'elle le soit dans les délais prévus dans les textes internationaux déjà signés (M. Michel Bouvard approuve). La traversée des Alpes pose des problèmes considérables de sécurité et d'environnement. L'Italie doit rester amarrée au c_ur de la partie occidentale de l'Union européenne et cette liaison doit renforcer la part méditerranéenne de l'Europe. Autant d'arguments qui militent en faveur de cette liaison (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Pierre Cohen - Le Gouvernement organise ce débat sur les infrastructures dans un contexte de crise et de désengagement budgétaire de l'Etat. Nous ne disposons à ce jour, à l'exception de votre intervention, Monsieur le ministre, que de fort peu d'indications sur ses orientations en ce domaine, si ce n'est qu'il ne pourra honorer les engagements du précédent gouvernement.

L'audit du Conseil général des Ponts et le rapport de la DATAR divergent dans leurs conclusions et ne font pas l'unanimité, y compris dans votre propre camp. Il n'est que de se référer aux déclarations du maire de Toulouse qui voit dans l'audit un rapport « essentiellement technocratique ».

Pour ma part, je considère le sujet trop sérieux pour le traiter seulement au travers des différents projets locaux. Il s'agit en effet d'un projet de société. Avec les infrastructures, ce sont les modes de vie, les déplacements, le rapport aux échanges, à l'information... qui sont en jeu. Et dans ce projet de société, l'Etat a une responsabilité majeure.

J'ai encore en mémoire le débat ici même sur la loi Voynet au cours duquel la majorité d'alors avait dénoncé la mise en place des schémas de services collectifs et exposé sa préférence pour un schéma global unique, qui devait renforcer le rôle régulateur de l'Etat et garantir la cohérence. Sans nourrir aucun procès d'intention, force est de constater que c'est aujourd'hui l'inverse qui se profile avec le désengagement de l'Etat, un projet de décentralisation qui s'apparente surtout à un démantèlement et laisse craindre des privatisations, et la non-prise en compte des impératifs du développement durable. Rien d'étonnant toutefois à cela quand on connaît le culte du libéralisme chez le Premier ministre !

D'emblée, je dénonce l'argument selon lequel il faudrait annuler certains projets au prétexte que leur financement n'est pas prévu. En effet, combien de PLU, de SCOT, de CPER, y compris même de CIADT - le dernier qui concernait en partie Toulouse en est une preuve - ont engagé des projets avec études et préfinancements à l'appui ? Combien ont affirmé une détermination de trouver les partenaires nécessaires ? Là encore, ne vous défaussez pas sur le gouvernement précédent pour masquer la réalité de votre politique ! En effet, le rapport de la DATAR est clair sur ce point, la France a bien rattrapé dans la période précédente son retard en matière d'infrastructures par rapport à ses voisins européens.

L'Etat doit-il conduire un projet global d'aménagement ou laisser à d'autres, au marché en particulier, le soin de définir les espaces à développer et de décider si seules les régions riches ont le droit de réussir le rendez-vous européen ? Vous connaissez ma réponse ! Comment justifier le désengagement de l'Etat dans les contrats de plan Etat-région ? Elu de la région Midi-Pyrénées, la plus grande de France, j'ai accueilli, avec grande inquiétude, tout comme son président Martin Malvy, la proposition de l'audit de repousser à plus de vingt ans la réalisation de la ligne TVG Paris-Toulouse.

Notre région - seule à n'avoir pas de liaison ferroviaire rapide avec la capitale - mais aussi nos départements et structures intercommunales avaient posé pour principe, dans le contrat de plan, de rattraper en dix ans trente ans de retard. Les longues négociations du contrat de plan ont posé les bases d'une structuration de l'espace et montré la volonté de faire des infrastructures une priorité. L'effort financier des collectivités a presque doublé, pour atteindre 966 millions d'euros dans le contrat de plan 2000-2006.

La politique de l'Etat trahit une volonté inavouée de réduire les dotations publiques. On prend prétexte du constat de la DATAR, selon lequel la France est bien équipée et a rattrapé le retard qu'elle avait il y a dix ans, pour justifier la fin des grands chantiers : les TGV Bretagne, Paris-Toulouse, Est, Rhin-Rhône, ou la liaison Lyon-Turin.

Qu'en est-il aujourd'hui de ces engagements ?

L'année 2002 a vu le gel d'une partie des crédits, la mise en réserve pour 2003, et des négociations où l'Etat tente de réviser des projets à mi-parcours. La réduction des autorisations de programme en avril 2003 a diminué de moitié le contrat de plan. Un rattrapage du retard de 2002 et la poursuite du contrat auraient exigé bien plus : les AP des contrats de plan risquent donc d'être grandement réduites en 2004. On peut prévoir des arbitrages difficiles, compte tenu du gel de 4 milliards pour l'ensemble des ministères.

A la faveur de cette révision, l'Etat impose en outre des dossiers non retenus lors de la réalisation des contrats de plan. Les conséquences en seront un étalement des projets - et l'on repense à l'allongement des contrats de plan par M. Juppé, à crédits constants, en 1996 - voire l'annulation de certaines opérations. Il semble que, fin 2006, 30 % seulement des opérations inscrites aux contrats de plan seront effectivement engagées. Il y a bien lieu de s'interroger sur vos intentions réelles en matière d'aménagement.

A cela s'ajoute la hausse des prix des travaux routiers, qui peut dépasser 20 % depuis le début de la programmation. Or, vous avez annoncé que vous ne participeriez pas à sa prise en charge - tout en récupérant tout de même la TVA ! Nous sommes donc dans une situation où l'Etat ne peut faire face à ses engagements. La question globale du financement des infrastructures est posée, et le désengagement de l'Etat se confirme. C'en est fini de votre volonté d'avoir une vision d'ensemble du territoire et de faire prévaloir le principe d'accessibilité pour tous les citoyens.

On constate aussi des désengagements plus subtils. Sur notre territoire et dans une partie de l'Europe, les politiques sectorielles et les privatisations d'autoroutes et d'aéroports, voire celle d'Air France, confirment le désengagement de l'Etat et instaurent un cadre de négociation déséquilibrée. On laisse, par exemple, des types d'infrastructure se concurrencer sans souci de cohérence. C'est notamment le cas du TGV qu'on met en concurrence avec le transport aérien. L'exemple de Toulouse est significatif. On lance une étude pour un nouvel aéroport, qui paraît inutile, alors que tous jugent prioritaire la réalisation d'un TGV. Que dire aussi du schéma de ferroutage et de la voie d'eau ? C'est toute une politique de développement durable et de sécurité qui se trouve ainsi balayée.

Une vraie politique d'infrastructure exige du volontarisme, et des moyens peu compatibles avec la baisse des impôts et des charges qu'exige le MEDEF. D'autant que vos deux propositions de ressources - que j'approuve - se heurtent à des difficultés : votre majorité a remis en cause la seconde et s'interroge sur la première.

L'aménagement du territoire est un outil indispensable pour assurer l'égalité des citoyens. Depuis la loi Voynet, sa problématique ne se limite plus aux infrastructures. Elle passe aussi par des engagements tels que les PLU ou les PDU, bref, par une politique qui prenne en compte le développement durable.

Votre absence de référence à une vision globale d'aménagement du territoire et de développement durable, comme vos atermoiements par rapport aux alternatives possibles au transport routier, qui nous éloignent des objectifs du protocole de Kyoto, et le manque de visibilité concernant le rééquilibrage modal, montrent que vous ne prenez pas en compte des questions écologiques, qui imposent de soutenir des modes de transport moins polluants.

Messieurs les ministres, vous faites depuis quelques mois l'unanimité contre votre politique. Vos collègues même le disent : vous faites fausse route et votre désengagement financier est incompatible avec les aspirations des citoyens et des élus. Il faut compléter le maillage du territoire en TGV, assurer la cohérence entre les modes plutôt que les mettre en concurrence, intégrer dans les choix le souci d'un développement adéquat aux besoins, tout en préservant la qualité de vie des usagers et des riverains. Mais ici comme ailleurs vous sacrifiez tout ce qui prépare l'avenir... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Anne-Marie Comparini - Merci, Monsieur le ministre, pour ce débat qui permet aux élus nationaux de redevenir pour quelques instants des élus locaux et de faire passer leur expérience. Le Gouvernement est bien placé pour connaître les conséquences de l'inaction publique. Tôt ou tard, il faut payer - et plus cher - ce que les autres n'ont pas fait à temps. Passons aux actes, ont dit plusieurs collègues ! Je suis de cet avis. Des infrastructures de transport inadaptées, c'est du temps perdu pour tous, et des risques accrus d'accidents. Ce sont aussi des dégradations pour l'environnement, et le risque d'être mis à l'écart des flux économiques européens. Il faut dessiner pour la France un schéma de transports digne de sa place en Europe, et cela exige une triple rupture.

Rupture, tout d'abord, dans notre conception de la politique des transports. Vous l'avez dit avec raison, Monsieur le ministre : nous ne devons plus opposer la route et le fer, mais chercher un rééquilibrage des modes de transport en faveur du chemin de fer et du fret. Cet objectif requiert de nouvelles infrastructures : les capacités sont insuffisantes, et souvent l'état du réseau ne répond ni aux normes de sécurité, ni à une qualité attrayante pour nos entreprises. Je dis bien de nouvelles infrastructures : les enjeux sont trop importants pour qu'on se contente de rénover des lignes du dix-neuvième siècle. Vous ne vous étonnerez pas que j'évoque la liaison Lyon-Turin, qui pour nous, en Rhône-Alpes, n'est pas un projet régional, ou national, ou franco-italien : c'est un grand chantier européen, et de ce fait l'illustration parfaite des ruptures que l'Etat doit engager dans sa politique des transports.

Rupture, ensuite, en matière de financement des grandes infrastructures. Sur ce point, M. Méhaignerie a évoqué des pistes. Certaines liaisons, notamment celles qui présentent un intérêt stratégique pour l'aménagement du territoire, non français, mais européen, méritent des innovations dans le montage des projets, la mise au point de « bouquets » de financements. La Commission européenne ne s'y est d'ailleurs pas trompée : déjà prête à s'engager avec les Etats et à augmenter sa participation financière, elle ne craint pas, malgré les contraintes budgétaires actuelles, de proposer « d'attirer » - je souligne ce mot - le capital privé par des techniques originales améliorant sa rentabilité.

M. Daniel Paul - Le credo !

Mme Anne-Marie Comparini - Faisons preuve d'imagination, et développons le partenariat public-privé, notamment par une défiscalisation des capitaux privés investis. Envisageons une application effective du principe pollueur-payeur en créant, comme en Allemagne, un fonds spécial alimenté par la perception de droits auprès des transports les plus polluants. Et sachons aussi garder nos bijoux de famille, et utiliser les bénéfices des sociétés autoroutières publiques pour financer les chantiers à dimension européenne.

Troisième rupture enfin, celle de nos habitudes de travail et de pensée. Il faut en finir avec la lourdeur de nos façons de décider, avec le trop-plein de considérations techniques, juridiques, financières, qui ne sont que le paravent de l'inaction. Pour la liaison Lyon-Turin, nous avons déjà dépensé 120 millions en études, 240 millions en travaux dans les galeries et descenderies : c'est suffisant. Cessons de dire que nous ferons le Lyon-Turin et faisons-le - comme nous ferons les TGV Rhin-Rhône et Est européen, ainsi que la liaison Perpignan-Figueras, maillons qui nous manquent encore pour créer à l'horizon 2015 un véritable réseau de transports intégré européen.

Ce disant, je pense à un double rendez-vous qui attend la France : celui du respect des engagements de Kyoto, et celui de cette nouvelle Europe élargie, dont il faut éviter le basculement à l'est ; nous devons constituer les infrastructures qui feront contrepoids, et permettront à l'Europe latine et à l'Europe de l'est de bien participer à la grande Europe (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Jacques Brunhes - Monsieur le ministre, vous vous appuyez sur les conclusions de divers rapports et notamment de l'audit Ponts-IGF mais en omettant de dire que la lettre de mission adressée aux experts précisait que l'étude devait se situer dans un contexte de rareté des financements publics. Dès lors, les conclusions en faveur du tout routier et de l'arrêt de l'intermodalité découlent des limites que votre gouvernement a lui-même fixées. Le désengagement de l'Etat dans un domaine aussi vital hypothèque l'avenir.

La politique du transport déterminera si la France de demain a vocation à devenir un carrefour européen, « véritable plate-forme logistique structurée par ses ports et un système intermodal discriminant » et non « un simple pays de transit, avec des retombées économiques limitées et des nuisances croissantes », selon les termes de l'étude de la DATAR.

Dans le domaine du transport fluvial, tous les indicateurs démontrent que vous avez choisi de renoncer à une politique de report modal efficace. Il y eut d'abord le virage budgétaire : annulation de crédits en loi de finances rectificative pour 2002, réduction drastique des dotations en loi de finances initiale pour 2003 via un prélèvement sur le fonds de roulement de Voies navigables de France, gel de crédits en 2003. Autant de décisions en parfaite opposition avec la politique du gouvernement précédent, doublant chaque année la dotation. Dès lors, le simple objectif de rattrapage en vue de rénover le réseau existant semble lui-même compromis. Au reste, la minceur de votre propos sur l'ensemble du fluvial n'est pas de nature à nous rassurer !

S'agissant de la liaison Seine-Nord Europe, qu'il faut selon vous placer en tête du plan de réalisation des infrastructures fluviales, je serais moins inquiet si j'avais l'assurance que le calendrier prévu par le précédent gouvernement sera bien respecté et que les financements appropriés seront dégagés sans plus attendre. Je rappelle qu'il est proposé par les schémas de service 2020 et que la modernisation des accès nord et sud de cette liaison fluviale figure déjà dans les contrats de plan Etat-régions. En outre, j'affirme que l'hypothèse de financement prévue par le précédent gouvernement est parfaitement réaliste. L'Etat devait apporter un milliard d'euros, l'Union européenne avait confirmé sa participation à hauteur de 20 % - c'est-à-dire 500 millions -, les trois régions concernées par le projet - Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Ile-de-France - pourraient participer à hauteur de 500 millions d'euros. Les recettes escomptées du péage permettraient une valorisation à hauteur de 300 millions d'euros. Ce scénario reste crédible.

Je renouvelle donc la demande maintes fois réitérée et pas plus tard que le 1er avril dernier lors de la séance de questions orales...

M. le Ministre - Logique de parler du canal le jour des poissons ! (Sourires)

M. Jacques Brunhes - VNF doit être autorisée sans délai à réaliser les études d'APS, afin de les soumettre à enquête préalable à la DUP. Il est temps de sortir de l'éternel réflexe qui conduit à penser que plus les investissements sont lourds, plus il est urgent de différer leur lancement ! Il faut au contraire aller vite. C'est le seul engagement qui vaille ! Y êtes-vous prêt, Monsieur le ministre ? Manifestement non...

M. le Ministre - Laissez-moi vous répondre ! Vous faites les questions et les réponses !

M. Jacques Brunhes - Le projet risque d'être reporté au-delà de 2020, comme le préconise l'audit. C'est peu dire que je ne partage pas l'optimisme - je n'ose dire l'imprudence - de M. Gonnot ! Or tout le monde s'accorde sur l'enjeu de cette liaison, à même d'assurer une meilleure connexion de l'Ile-de-France avec les voies navigables du nord de l'Europe. Le projet est de nature à soutenir le dynamisme économique de l'ensemble de la zone, sans atteintes pour l'environnement et dans des conditions optimales de sécurité. Tous les professionnels en sont d'accord. Las, vous repoussez au-delà de 2020 - autant dire aux calendes grecques - un projet essentiel.

L'urgence est également de mise pour le projet d'écluse fluviale Port 2000, pour lequel l'audit réserve son jugement. Les études techniques de cette écluse, qui réduirait le trafic routier de conteneurs et de colis lourds entre les ports d'Anvers, de Rotterdam et l'ensemble de l'Ile-de-France, augmenterait l'« hinterland » du port du Havre et favoriserait le soutage des bateaux touchant ce dernier, sont terminées. En paroles, vous avez reconnu l'urgence de ce projet. Mais vous n'avez rien dit du calendrier ni du mode de financement. C'est dire si sa réalisation reste aujourd'hui hypothétique !

Mme la Présidente - Veuillez conclure.

M. Jacques Brunhes - Enfin, vous n'avez évoqué aucun autre projet concernant le fluvial. Cela signifie à n'en pas douter que les études sur les liaisons Seine-Est et Rhône-Saône-Moselle sont abandonnées. Dans la perspective d'une Europe élargie, la France sera demain à l'écart de l'Europe des fleuves et des canaux. La « culture fluviale » et les « autoroutes de fleuves » exigent une politique d'autant plus volontariste que nos voisins n'hésitent pas à accomplir des efforts considérables. Votre politique tend à faire de notre pays une simple zone de transit du transport routier, avec des retombées économiques limitées et des nuisances croissantes. Nous en appelons à la tradition fluviale de la France (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. Michel Bouvard - « Dans le domaine des transports terrestres, on constate de nombreux engagements irréguliers qui vont au-delà de l'autorisation parlementaire et qui concernent des dépenses non couvertes par des crédits budgétaires. Ils se classent en deux catégories : les engagements fermes de l'Etat sans crédits et les engagements potentiels au-delà des autorisations de programme, par dénaturation de la notion d'autorisation de programme ». Ainsi débute le rapport de la Cour des comptes sur l'exécution de la loi de finances pour 2001 qui constate plus loin, s'agissant du XIIe plan, « que de nombreux préfets avaient signé pour les contrats de plan, des conventions pluriannuelles précisant les modalités de financement de l'Etat sans la moindre autorisation budgétaire ».

C'est à la fois le constat de la politique volontariste d'un ministre des transports à qui le gouvernement Jospin n'a pas accordé les moyens de sa mise en _uvre et du décalage entre les moyens budgétaires de l'Etat et le nombre de grands projets d'infrastructures existants qui vous ont conduit, Messieurs les ministres, à souhaiter ce débat, préparé par quatre rapports : un audit du CGPC et de l'IGF, une étude prospective de la DATAR et deux rapports parlementaires relatifs au fret ferroviaire et au cabotage maritime.

Ce débat s'inscrit également dans une nouvelle donne du financement des infrastructures, caractérisée par la fin de l'adossement pour la réalisation des ouvrages autoroutiers et par les conséquences de l'article 4 du décret portant statut de RFF. Ce nouveau cadre impose de mobiliser des financements publics pour la réalisation d'ouvrages dont la quasi-totalité ne peut s'équilibrer sans contribution de l'Etat.

Il s'inscrit enfin dans le cadre du renouvellement de la liste des grands projets d'infrastructures européennes arrêtée il y a dix ans au sommet d'Essen et qui fera prochainement l'objet de propositions du groupe Van Miert. Le contexte est également marqué par le projet de modification de la directive « eurovignette » relative à la taxation des poids lourds liée au financement du RTE. Une communication de la Commission européenne devant le Parlement européen est intervenue à ce sujet le 23 avril dernier, dans la perspective de la promulgation de la directive avant l'été.

Il nous appartient donc désormais de nous prononcer sur les besoins d'infrastructures nouvelles et sur les moyens à mobiliser pour les financer.

Conscient des enjeux de ce débat, le groupe UMP assumera ses responsabilité comme nous avons su le faire dans le passé : en 1993 en réorganisant les SEMCA et en permettant la mise en _uvre d'un ambitieux programme autoroutier en instaurant le FITTVN en 1995 - le président Ollier s'en souvient -, en 1996 en réformant la SNCF avec la création de RFF pour les infrastructures et en lançant la régionalisation des services de voyageurs, mettant ainsi un terme à la fuite en avant dans l'endettement croissant de la SNCF - caractérisé notamment par les choix gouvernementaux de l'époque pour le financement du TGV Nord - et relançant la fréquentation des trains régionaux par une gestion de proximité qu'a plébiscitée la clientèle.

S'agissant des besoins d'infrastructures, toutes les études disponibles insistent sur la poursuite de la croissance des trafics, validant en cela les prévisions des schémas de services collectifs issus de la loi d'aménagement du territoire de 1999 : 50 % de croissance du trafic routier, 50 % du trafic voyageurs par rail. Seul le rapport d'audit de l'IGF et du CGPC émet des réserves sur les hypothèses de croissance du fret ferroviaire, considérées comme surestimées. L'audit estime que la croissance des trafics en volume devrait s'établir entre 2,1 % et 2,6 % annuellement pour les voyageurs et entre 1,6 % et 1,9 % pour les marchandises, en fonction des hypothèses de croissance moyenne jusqu'à 2020.

A partir de l'analyse plutôt « franco-française » réalisée par l'audit, la DATAR élargit le cadre pour souligner que l'activité des transports de marchandises dépend non seulement de la croissance, mais aussi de l'internationalisation de l'économie et du système productif, l'élargissement de l'Europe ne pouvant qu'amplifier le phénomène. Il s'agit là d'un élément important, compte tenu de notre position géographique et de la part du trafic de transit sur notre territoire.

Je considère pour ma part que des infrastructures nouvelles sont en elles-mêmes un facteur de croissance. L'attractivité d'un territoire et sa capacité de développement dépendent directement de l'existence d'une gare TGV, d'un aéroport, d'un échangeur autoroutier ou d'un port. Les infrastructures ne doivent pas seulement accompagner le développement, mais aussi l'anticiper. Elles jouent également, en tant qu'élément central de l'investissement public, un rôle contra cyclique en période de ralentissement économique en soutenant l'activité du BTP et des équipementiers, avec des effets immédiats pour l'emploi.

Quelles infrastructures faut-il privilégier ?

Le groupe UMP est très attaché aux infrastructures existantes. Il faut entretenir un réseau trop longtemps négligé, qu'il s'agisse du réseau routier national non concédé - RN et autoroutes - des voies ferrées ou navigables.

Pour les voies navigables relevant de VNF, l'audit évalue à 450 millions d'euros les besoins de financement de l'Etat pour la restauration du réseau sur toute la durée du XIIe plan, l'engagement devant s'accroître au-delà de 2007 par la restauration nécessaire des barrages et des ponts. Pour le réseau routier, la Cour des comptes a estimé à 230 millions d'euros annuels sur dix ans les coûts supplémentaires liés au maintien du réseau. Enfin, pour le ferroviaire, l'enveloppe de régénération et d'entretien du réseau - selon les projections transmises par RFF au CIES à l'automne 2002 - devrait s'accroître d'environ 50 %.

S'il est indispensable d'entretenir un patrimoine trop longtemps délaissé, il n'est pas envisageable de tirer argument de cette obligation pour différer les projets d'infrastructures nouvelles.

A ce stade, trois priorités doivent être fixées. Il faut ainsi privilégier les infrastructures de dimension européenne, dès lors qu'elles contribuent à renforcer l'attractivité de notre pays et qu'elles peuvent bénéficier de financements communautaires. Il convient ensuite de retenir les infrastructures permettant de traiter des axes régulièrement saturés, source de pollution accrue et de perte de temps pour nos concitoyens. Ces projets concernent au premier chef les transports urbains.

Enfin, il faut s'attacher aux infrastructures d'aménagement du territoire permettant, dans la logique de la loi de 1995, de considérer qu'aucune partie du pays ne peut être éloignée à la fois d'un aéroport, d'une gare TGV ou d'un échangeur autoroutier.

Si l'on s'en tient au document élaboré par le CGPC et l'IGF, après que les priorités sont définies, survient le problème du financement. L'étude repousse au-delà de 2020 certains grands projets. Il s'agit notamment de la liaison Seine-Nord, évaluée à 2,6 milliards, ou de la ligne à grande vitesse Lyon-sillon alpin - 1,8 milliard. S'agissant de ce dernier programme, la proposition de report du projet peut surprendre, dans la mesure où les collectivités territoriales de la région Rhône-Alpes se sont engagées à le cofinancer et après que le Gouvernement a signé le 19 mars 2002 un protocole d'intention tout à fait explicite. D'ici à 2020, ce sont 16 milliards à 20 milliards de crédits supplémentaires qu'il faudra dégager, l'ajustement étant lié au niveau du surplus que l'on entend consacrer à la maintenance du réseau. Ainsi, c'est à un quasi doublement du niveau des capacités d'investissement de l'Etat dans le secteur des transports qu'il faut s'attendre dans la période.

S'y ajoute le problème du stock de dette du système ferroviaire, dont le CSSPF a eu l'occasion de démontrer qu'il n'avait pas diminué au cours de la dernière législature. Si l'on considère la dette de RFF, celle de la SNCF et le SAAD, le total - contrairement aux discours - aura évolué de 35,4 milliards d'euros en 1997 à 39,9 milliards à la fin de 2001.

Quels moyens pouvons-nous dégager ? Il faut faire appel à la ressource européenne. La Commission européenne estime le coût du RTE à 350 milliards d'euros jusqu'en 2010.

Seulement trois des quatorze projets arrêtés au Sommet d'Essen ont été engagés.

La Commission constate que les principaux retards se concentrent sur les projets transfrontaliers. Le retard sur le RTE s'ajoute au retard pris par chaque Etat, si bien que les dépenses d'infrastructures sont passées de 1,5 à 1 % du PIB.

La Commission, dans son rapport du 23 avril, souligne « qu'il paraît évident que le budget qu'allouent les Etats membres aux investissements dans le RTE ainsi que les fonds mis à disposition par l'Union sont insuffisants ».

Elle propose de recourir aux partenariats public-privé qu'il faudrait rendre plus attrayants pour les investisseurs.

Un livre vert sera préparé pour modifier le droit communautaire en ce sens. Le livre blanc sur le transport a par ailleurs proposé de relever à 20 % la contribution de l'Union sur les ouvrages transfrontaliers et évoqué une réorientation des prêts de la BEI vers ces projets ainsi que des garanties d'emprunts communautaires.

Nous souscrivons à ces orientations. En outre, le groupe UMP considère que, s'agissant d'investissements à long terme, et non inflationnistes, les crédits consacrés à ces projets pourraient être sortis du pacte de stabilité.

S'agissant des financemnets nationaux, plusieurs possibilités ont été évoquées, comme les partenariats public-privé. Ceux-ci devraient cependant s'accompagner d'un certain nombre de garanties apportées par l'Etat et nécessitant des moyens publics. En fonction des projets, un tiers à 50 % des financements pourraient être financés de cette manière.

Il faut cependant dégager des ressources nouvelles. On a évoqué l'institution d'une redevance d'usage à laquelle serait assujetti le transport routier de marchandises sur le réseau autoroutier non concédé.

Cette suggestion, inspirée de l'exemple allemand, mérite d'être étudiée. Il faut toutefois prendre en compte la concurrence à laquelle sont exposées les entreprises de transport routier en France, qui ont vu s'accroître les charges et la réglementation.

M. le Président de la commission des affaires économiques - C'est vrai.

M. Michel Bouvard - La progression de l'activité depuis vingt ans s'est accompagnée d'une baisse de la rentabilité.

Ce secteur représente 42 800 entreprises dont 84 % comptent moins de dix salariés. Il convient que la profession soit associée à une telle réflexion et que des garanties lui soient apportées sur l'affectation du produit de la redevance à une amélioration des infrastructures.

Il faut aussi prendre en compte les logiques d'aménagement du territoire, afin de ne pas renchérir l'accès des territoires périphériques.

Enfin, la Commission européenne considère qu'une redevance d'usage n'est pas applicable à des ouvrages amortis, sauf pour des investissements à réaliser en lien avec ceux-ci.

S'agissant de redevances spécifiques dans la logique d'un transfert modal, il faut prendre en considération la particularité des investissements à réaliser dans les Alpes, qui peut justifier l'instauration d'une telle redevance. Celle-ci devrait porter sur le trafic de transit longue distance, afin de ne pas restaurer un effet de frontière dommageable au transport local.

Mme la Présidente - Monsieur Bouvard...

M. Michel Bouvard - Je m'achemine vers ma conclusion.

Parmi les ressources, est également évoquée la réalisation d'actifs de l'Etat dans le secteur autoroutier, dans la continuité de ce qui a été engagé par le gouvernement Jospin avec la semi-privatisation d'ASF.

Le niveau du marché boursier pose tout de même un problème. Il faudrait en outre garantir l'affectation du produit aux infrastructures. M. Gayssot s'était engagé à consacrer un tiers des sommes retirées de la vente des titres d'ASF aux projets Lyon-Turin et Perpignan-Figueras. Or rien n'a été dégagé pour le premier et seulement 287 millions d'euros ont été alloués au second.

Il convient de s'interroger sur l'opportunité d'une privatisation totale, certaines sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes ne pouvant être valorisées dans de bonnes conditions, d'autres contrôlant des sociétés dont il serait judicieux que l'Etat conserve la maîtrise pour mener une politique plurimodale de transport.

Mme la Présidente - Le chemin est parcouru, Monsieur Bouvard.

M. Michel Bouvard - Un mot sur le projet Lyon-Turin. Contrairement à ce qu'ont écrit les auteurs de l'audit, il n'est pas « en attente ». Mme Comparini l'a rappelé, 500 mètres de galerie ont déjà été creusés et 310 millions d'euros ont été engagés.

En scindant le trafic voyageur et le fret, les auditeurs n'ont pas tenu compte de la cohérence globale du projet.

Mme la Présidente - Monsieur le député, il faut être correct. Respecter le temps de parole, c'est respecter ses collègues.

M. Michel Bouvard - Il s'agit du seul grand projet dans le Sud de l'Europe. Il mérite d'être retenu. Il ne serait pas raisonnable que le trafic entre la France et l'Italie continue de se limiter à trois tunnels, dont l'un - celui du Mont Blanc - n'a pas été conçu pour les camions et dont un autre - celui de Fréjus - est dans un site géologiquement instable. Il faut donner suite à ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Destot - Nous sommes tous partisans du développement durable. Jacques Chirac lui-même, pendant la campagne puis au sommet de Johannesburg, a multiplié les déclarations médiatiques, sans qu'on en voie de traductions concrètes.

L'audit commandé par le Gouvernement contrarie mêmes ces ambitions affichées de développement durable. Reposant sur une approche technocratique sans prendre en compte les effets à long terme, il fait l'impasse sur les orientations européennes.

Pour être aussi performante que la route, la chaîne du rail doit être continue. Elle doit aussi réunir les concours de l'Etat, des collectivités locales, de l'Europe. Le débat sur la définition de la politique d'infrastructure ne peut rester au seul niveau national. Les collectivités locales, en tant qu'autorités organisatrices, sont concernées aussi bien par le transfert de voyageurs que par le trafic de marchandises.

Je suis déjà intervenu plusieurs fois pour m'inquiéter de l'insuffisance des moyens. Le décalage avec les objectifs devient préoccupant. Je demande l'attribution d'un concours exceptionnel pour 2004.

Vous faites comme si l'essentiel des dépenses prévues au titre des plans de déplacements urbains était derrière nous. Or, les autorités organisatrices ont des projets à réaliser. Ce sont les agglomérations qui n'ont pas la taille nécessaire pour se doter d'un métro ou d'un tramway qui vont être pénalisées. Je ne partage pas cette conception de la décentralisation, qui exclut toute solidarité entre les collectivités locales.

Il revient en outre à l'Etat et à l'Union européenne de financer les infrastructures de transport nécessaires à l'acheminement du fret.

Pour le reste, nous devons rechercher des sources de financement nouvelles : un grand emprunt européen garanti par l'Union, une tarification d'usage des infrastructures pour les poids lourds et l'affectation partielle du produit de la TIPP aux transports collectifs. Il faudrait aussi étudier les possibilités de « péages de congestion » et décentraliser le stationnement. La décentralisation devrait enfin donner aux régions un rôle plus important dans l'évaluation des besoins et la hiérarchisation des projets. Leur reconnaître des compétences nouvelles s'agissant des grandes infrastructures éviteront l'éparpillement des installations ou les redondances.

La bonne approche ne peut être que globale et multimodale, dans une perspective de développement durable.

Permettez à l'élu rhône-alpin que je suis de s'élever avec la plus grande vigueur contre les conclusions des experts, qui n'ont pas prévu de financement pour la liaison ferroviaire Lyon-Turin avant 2020.

C'est se priver des financements européens dans le cadre de l'actuel budget communautaire. Comment imposer à la région de France qui connaît le plus fort développement économique le maintien d'une desserte aussi indigne que la nôtre ? A l'heure où l'Europe s'apprête à se doter d'une nouvelle Constitution, peut-on accepter que deux pays limitrophes soient incapables d'ouvrir entre eux une liaison TGV ?

Ce projet est le maillon indispensable à la liaison est-ouest de l'Europe du sud, qui renforcera le rôle de la France et des pays latins à travers le continent.

La réalisation de cette liaison est nécessaire pour la préservation de l'environnement alpin. Elle constitue un engagement de la France, conformément au traité signé le 29 janvier 2001 par le Président de la République.

Qui peut nier l'importance du plan routier breton pour le développement de la Bretagne ? Sa rentabilité ne devait pas être fameuse, mais la volonté politique a prévalu.

Comment permettre à ceux qui ne disposent pas d'une voiture ou aux personnes à mobilité réduite de se déplacer, sans une politique de développement des transports en commun ?

Avoir une volonté politique en matière de transport, c'est développer le réseau TGV, éviter les distorsions entre les régions, se donner les moyens d'une politique de fret ferroviaire pour éviter que les camions étouffent certaines régions et aider les villes et les agglomérations à créer de véritables réseaux de transports publics pour éviter les phénomènes de péri-urbanisation non maîtrisée.

Troisième pilier du développement durable : la protection de l'environnement. Comment peut-on privilégier les projets routiers alors que le Premier ministre a déclaré à l'assemblée plénière du groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat qu'il convenait de diviser par deux à l'échelle de la planète - par quatre ou cinq pour les pays industrialisés - les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050 ?

L'audit a systématiquement privilégié les projets routiers ou autoroutiers sur le rail et le transport fluvial, alors que le déséquilibre, déjà flagrant, devient insupportable. Le développement durable n'est pas une mode, c'est une absolue nécessité. Ne perdons pas de temps : il y a urgence. Il faut du courage et de la détermination. Là, c'est une autre affaire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Ministre - Je tiens à répondre à chacun des intervenants.

Le président Méhaignerie a évoqué les pistes de financement, qui sont le n_ud du problème. Je ne pourrai pas exercer ma fonction si les moyens n'y sont pas. La vérité, c'est aussi la vérité des prix, la vérité des coûts et la vérité des ressources (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Parce que cette question est au c_ur du débat, il faut rechercher la meilleure façon de mobiliser les potentialités, même infimes, de la Caisse des dépôts et consignations ou de la participation privé-public. Cela ne saurait suffire, et j'ai bien noté que le président Méhaignerie était plutôt favorable aux péages urbains. La loi de décentralisation permettra du reste aux collectivités locales de concéder des ouvrages linéaires permettant d'instaurer de tels péages. S'agissant des financements européens, je défends l'idée d'une aide à hauteur de 20 % pour tous les projets de la liste Van Miert. Sur ces projets dits RTE, nous devons en tout cas l'obtenir. J'en ai encore parlé à Mme de Palacio vendredi et samedi derniers.

Vous souhaitez, Monsieur Méhaignerie, diminuer les dépenses de fonctionnement au profit des dépenses d'investissement. Je suis d'accord pour faire la « chasse au gaspi » et réinvestir dans des projets porteurs. Cette action sera longue : notre pays doit continuer à s'équiper, nos TGV et nos franchissements alpins et pyrénéens n'attendront pas dix ans de plus. Je pose donc clairement la question des ressources nouvelles - supportables par les usagers - à dégager. J'ai déjà entendu de nombreuses réponses, plutôt favorables dans l'ensemble. Il faudrait définir cette ressource que nos voisins mobilisent - ne soyons pas plus bêtes qu'eux ! L'Europe va prendre position sur la tarification des infrastructures. Ne prenons pas de retard !

Le président Ollier a développé des idées très fortes, notamment celle de ressources affectées par l'intermédiaire d'un établissement public. J'ai enregistré ! Nous souhaitons évidemment entendre la représentation nationale, mais ce double choix du président Ollier est déjà très important.

L'idée d'un emprunt européen a couru sur ces bancs. Il y a une cohérence à mobiliser des ressources d'emprunt à long terme pour financer des équipements durables, qui iront au-delà du siècle. Nous nous servons bien de lignes de chemin de fer créées en 1840 ou en 1850 ! Les lignes construites au XIXe siècle ou au début du XXe par les Espagnols seront ainsi utilisées à terme pour le fret. Monsieur Ollier, vous avez émis l'idée d'un schéma national d'infrastructures. J'y suis favorable, tout en reconnaissant la difficulté de l'exercice. Une planification rigoureuse exige de mettre au clair nos possibilités de programmation et de mobiliser des ressources identifiées.

Monsieur le président Clément, merci d'avoir soutenu cette initiative de débat, qui n'est pas chose facile. La gauche nous parle de baratin, mais c'est au contraire un exercice démocratique important et intéressant. Nous prendrons des décisions après vous avoir écoutés, et j'ai entendu de part et d'autre des choses intéressantes. C'est en tout cas l'honneur de notre démocratie de débattre au grand jour de sujets fondamentaux pour l'avenir.

J'ai noté, Monsieur Clément, votre soutien à l'idée d'une redevance sur les poids lourds. Mais on ne peut en attendre plus de 400 à 600 millions d'euros, et nous avons besoin pour tenir les promesses de l'ancienne majorité, lancer de nouveaux projets et faire le Lyon-Turin, du double - 1,2 milliard. Quoi qu'il en soit, j'ai noté que vous étiez plutôt favorable au péage par GPS - système à l'allemande. Vous regrettez le système de l'adossement, qui a permis, dans la logique de la loi de 1955, de faire supporter les investissements par de l'endettement de sociétés publiques. Il est difficile de revenir en arrière, mais je vous rejoins quand je parle d'affectation de ressources - ou de dividendes - fournis par le système autoroutier, ou de « cash » apporté par la vente totale ou partielle des sociétés d'autoroute, au désendettement de RFF, par exemple.

Monsieur le président Blessig, vous avez notamment évoqué le développement durable. Vous avez également parlé d'affectation ou de sanctuarisation des ressources, sans « siphonnage » : la représentation nationale est souvent excédée par ce procédé qui a été utilisé de manière répétitive ces dernières décennies. Vous avez intelligemment parlé du haut débit, qui fait partie aussi des infrastructures : c'est du transport d'information.

Notre politique de transport doit intégrer les enjeux du développement durable. Vous avez évoqué notre méthode d'analyse des coûts. Cette question très importante a déjà fait l'objet de travaux dans un cadre interministériel pour intégrer les coûts environnementaux. La méthode doit sans cesse être actualisée en fonction de nos connaissances. Nous devons aussi intégrer les enjeux d'un aménagement équilibré du territoire.

Je sais combien vous êtes attaché au TGV-Est - non seulement le projet actuel, mais aussi la prolongation vers Strasbourg et au-delà, puisque c'est un TGV européen. Il faut poursuivre cette liaison, le Gouvernement en est convaincu. M. Mariton a émis l'idée d'un projet de loi d'orientation. Je ne sais pas quelle forme donner à la programmation, mais Dominique Bussereau et moi-même sommes favorables au concept d'une planification, à condition qu'elle soit crédibilisée par une ressource. Dans un souci de modération fiscale, je privilégie les ressources liées aux redevances d'usage. Comme l'a dit le président Clément, certains usages ne sont pas facturés à leur coût normal et ceci va disparaître au niveau européen.

M. Mariton a aussi manifesté quelques réticences sur les ressources nouvelles. Mais au rythme actuel, nombre de projets majeurs ne seraient pas inaugurés avant 2030. Il faut savoir ce que l'on veut ! M. Mariton a raison, il faut optimiser les équipements actuels. Il est partisan de la privatisation. Mais où trouver les ressources d'une politique de transport ?

L'intervention de Mme Saugues était fort intéressante sur beaucoup de point, parfois injuste. C'est le jeu de l'opposition ! Mais cela manquait de vision. Vous avez parlé de non-respect des CPER. C'est l'héritage que nous avons reçu ! Leur taux de réalisation était de 38 %
- au lieu de 50 % - fin 2002 : vous ne pouvez pas nous l'imputer, même si c'est tentant !

Le TGV Lyon-Turin fait l'objet d'un traité France-Italie, qui sera respecté. Nous reparlerons en temps voulu de notre politique aéroportuaire. Mais le choix d'un troisième aéroport ne résoudra pas le problème des nuisances à Roissy. Tout au plus donnera-t-il un faux espoir aux riverains. Je n'ai d'ailleurs pas pris la décision subitement : le Président de la République avait annoncé lors de sa campagne que le débat public n'avait pas été démocratique et qu'il fallait le reprendre. C'est une belle expression de la démocratie que de le reconnaître.

Je vous rassure, notre politique n'est pas en faveur du tout-routier. Si vous faites courir ce bruit-là, vous ferez courir un faux bruit : je ne me satisfais pas de la situation actuelle et j'ai rappelé quelles parts de marché le fret ferroviaire avait perdues au cours des cinq dernières années.

M. Bayrou a dit que certains Français se sentent victimes d'inégalités, et certains territoires abandonnés. C'est bien pourquoi le Gouvernement a voulu ce débat ! Il faut donner leur chance à toutes les régions, s'ouvrir sur l'Europe et satisfaire les usagers en choisissant les modes de transport les plus efficaces sur les plans économique et environnemental.

Certes, Monsieur Bayrou, les Espagnols vont vite... Mais ils bénéficient pour cela de concours européens auxquels la France ne peut prétendre ! Nous devons donc convaincre nos partenaires de définir des mécanismes de financement pour les investissements structurants, et je suis intervenu en ce sens auprès de M. Van Miert.

S'agissant du projet de liaison Bordeaux-Pau, qui vous tient à c_ur, l'appel à concessionnaire a été lancé. La remise des candidatures a été fixée au 18 juin 2003. Et pour ce qui est des autres infrastructures qui vous intéressent, sachez que le Gouvernement ne s'en désintéresse pas.

Monsieur Paul, vous avez critiqué l'audit mené par le conseil général des Ponts, allant jusqu'à y voir une machination alors qu'il ne s'agit que d'une photographie de l'existant. A ce titre, s'il vous plaît de critiquer l'héritage, critiquez-le donc !

M. François Brottes - Encore faudrait-il être volontariste !

M. le Ministre - L'audit est formulé de manière claire et transparente, et nous sommes réunis pour trouver des solutions aux problèmes en suspens !

Comme l'a souligné avec pertinence M. Gonnot, la liste établie dans l'audit n'est pas exhaustive, ce qui me conduit à souligner l'importance du financement. Vous avez insisté, Monsieur Gonnot, sur le canal Seine-Nord. Convaincu de son importance, j'ai écrit à M. Van Miert pour que ce projet soit ajouté à la liste. J'espère être entendu (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

Je vous entends protester, Monsieur Gremetz, et je trouve vos accusations un peu faciles. Nous sommes favorables à la réalisation d'équipement structurants, et c'est pourquoi nous avons tenu à organiser ce débat, ce qu'en cinq ans vous n'avez pas trouvé le temps de faire. Il s'agit bel et bien de restaurer la parole de l'Etat.

M. Pierre Cohen - Et qui a gelé les crédits ?

M. le Ministre - Monsieur Cohen, j'ai la volonté de sortir de cette situation. Je vous ai par ailleurs entendu parler de la privatisation d'Air France ; de grâce, ne mélangez pas tout ! Dois-je vous rappeler que vous vous êtes bien gardés d'annuler la loi de 1993 ? Ce faisant, vous avez maintenu la loi de privatisation, et vous devriez en être fiers, puisque cette loi préserve les intérêts des salariés et le caractère national de la compagnie. J'ai encore à l'oreille vos réflexions d'il y a deux mois, selon lesquelles on ne pouvait concevoir de privatiser alors que l'action Air France se vendait 7 €. Grâce à cette loi, son cours s'est apprécié, à ce jour, de 40 % ! (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Je vous remercie, Madame Comparini, d'avoir souligné que l'amélioration de la sécurité routière passe, aussi, par l'amélioration du réseau routier. Vous avez rappelé votre attachement à la réalisation de la ligne Lyon-Turin ; je le répète : les engagements de la France seront tenus, au moyen d'un financement affecté.

Vous avez beaucoup parlé du canal Seine-Nord, Monsieur Brunhes, mais vous n'avez proposé aucun plan de financement pour ce projet lors de la précédente législature ! Autant dire que vous n'avez rien fait, puisque sans argent, pas de projet ! (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Dans ces conditions, il est difficile d'admettre que ceux qui, en cinq ans, n'ont pas su construire un mètre de canal me reprochent de ne pas l'avoir achevé en un an ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Et puis, je le répète, le Gouvernement n'a pas donné aux auteurs de l'audit de consignes visant à réaliser des économies. Nous avions besoin d'un état de l'existant, sans lequel aucune politique ne peut être définie. Les éléments nous sont maintenant connus ; à nous d'agir.

MM. Bouvard et Mariton ont eu raison de souligner que les équipements nécessaires devaient être définis dans le cadre européen. J'ai noté la persistance de votre combat en faveur de la ligne Lyon-Turin, mais aussi l'importance que vous attachez, à juste titre, à l'entretien de notre réseau de canaux. VNF paie actuellement les carences constatées en ce domaine pendant cinq ans, et j'ai tenu compte des frais afférents au rattrapage dans l'état des lieux (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Vous avez aussi évoqué la dette de RFF et, plus largement, celle de notre système ferroviaire. Il nous faut, en effet, assainir une situation préoccupante. Votre idée est excellente de sortir les investissements structurants du pacte de stabilité, mais elle est, Monsieur Bouvard, très difficile à mettre en _uvre.

M. Destot a traité des transports urbains, de manière intéressante. Moins heureuses ont été ses considérations selon lesquelles nous nous apprêterions à abandonner ce secteur, ce qui n'est évidemment pas le cas. J'ai noté son accord de principe sur la ligne Lyon-Turin, si le financement existe. Nous y travaillerons, bien sûr, mais, d'une manière générale, il faut faire preuve de volonté politique, sans dire « oui » à tout et ne pouvoir ensuite tenir les promesses faites.

Le débat concerne aussi les collectivités locales, et l'Europe, cela a été dit. Je vois que je ne vous ai pas entièrement rassuré, Monsieur Destot, mais qu'en aurait-il été si j'avais laissé la politique des infrastructures aller au fil de l'eau ?

Je l'ai dit dans mon propos introductif, mes priorités sont l'Europe, les territoires, le respect des usagers, l'environnement, l'intermodalité et le respect de la parole de l'Etat. Je n'ai pas changé d'avis (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu, ce soir, à 21 heures 45.

La séance est levée à 20 heures 15.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE


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