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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 89ème jour de séance, 214ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 22 MAI 2003

PRÉSIDENCE de M. Marc-Philippe DAUBRESSE

vice-président

Sommaire

      CRÉATION D'UN PROCUREUR EUROPÉEN 2

      ARTICLE UNIQUE 10

      ADAPTATION DE LA JUSTICE AUX ÉVOLUTIONS
      DE LA CRIMINALITÉ (suite) 11

      ART. PREMIER (suite) 11

      NOMINATION D'UN DÉPUTÉ EN MISSION TEMPORAIRE 29

      ERRATUM 29

La séance est ouverte à neuf heures trente.

CRÉATION D'UN PROCUREUR EUROPÉEN

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de MM. René André et Jacques Floch sur la création d'un procureur européen.

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois - Adapter notre justice aux évolutions de la criminalité, c'est évidemment, comme vous nous y invitez, Monsieur le Garde des Sceaux, avec le projet de loi en discussion depuis hier, donner à la justice de nouveaux moyens juridiques et matériels, mais c'est également considérer la criminalité organisée dans ses dimensions nationales, mais aussi transnationales.

La proposition de résolution tendant à la création d'un procureur européen est issue de notre délégation à l'Union européenne qui, sur la base du Livre vert, a fait un important travail soumis à la commission des lois au mois de janvier. Je tiens à saluer en particulier ses initiateurs, Jacques Floch et René André.

Cette proposition ne date pas d'hier. Souvenons-nous du corpus juris de 1997, proposé pour assurer la protection des intérêts financiers de l'Union, corpus que la conférence intergouvernementale de Nice, en septembre 2000, a écarté au profit d'Eurojust.

La méthode diffère entre la délégation européenne et la commission des lois.

La délégation proposait la création d'un parquet européen ex nihilo alors que la commission, s'appuyant sur l'évolution de la criminalité et la position des gouvernements - notamment de l'axe franco-allemand - a souhaité une approche plus pragmatique qui consiste à transformer Eurojust.

La criminalité transnationale, en Europe, ne cesse de croître. En 1999, l'Office européen de lutte anti-fraude estimait à 413 millions d'euros le montant des fraudes constatées contre les intérêts de l'Union européenne, chiffre réévalué quelques années plus tard à plus de 600 millions et estimé récemment, lors de l'audition du rapporteur auprès de M. Lecou, directeur de l'OLAF, à près d'un milliard d'euros.

Cela ne doit cependant pas masquer l'augmentation des formes graves de criminalité transnationale : proxénétisme, blanchiment de l'argent sale, traite des êtres humains, trafics de stupéfiants.

Pour lutter contre cette progression de la criminalité, l'espace judiciaire européen s'est mis progressivement en place avec l'institutionnalisation - traité de Maastricht - et la communautarisation - traité d'Amsterdam - de la coopération judiciaire. C'est le conseil européen de Tampere, les 15 et 16 octobre 1999, qui a décidé la création d'Eurojust. L'OLAF et Europol, quant à eux, suscitent encore des interrogations. Le comité de surveillance de l'OLAF recommandait d'ailleurs de définir une véritable politique d'enquêtes et de contrôles.

Eurojust, consacré par l'article 31 du traité de Nice, a été créé en 2002 et n'a pris position dans ses locaux définitifs que le mois dernier. Aussi les critiques qui sont formulées sur son efficacité devraient-elles être relativisées : sans doute sont-elles prématurées.

Quant à la divergence de méthode entre la commission et la délégation, sans doute la démarche proposée par la commission est-elle plus ambitieuse. En effet, l'action d'un parquet créé ex nihilo, comme le propose la délégation, se limiterait à ce qui frappe les intérêts de l'Union, alors qu'il est souhaitable que le parquet puisse engager des poursuites contre la criminalité transnationale.

En outre, les Etats ont réagi, dans l'ensemble, plutôt négativement, la France et l'Allemagne, en particulier, ayant, dans leur contribution au futur traité constitutionnel de l'Europe en novembre dernier, privilégié, comme le fait la commission, une formule plus pragmatique : la transformation, au terme de plusieurs étapes, du dispositif existant en un véritable parquet européen qui serait, dès l'origine, le procureur de l'Europe.

Il faut donner à l'Europe au plus vite les moyens de lutter efficacement contre la grande criminalité internationale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jacques Floch, au nom de la délégation pour l'Union européenne - Nous partageons la même ambition : renforcer l'efficacité de la lutte contre la criminalité organisée en créant un parquet européen. Nos méthodes pour y parvenir divergent.

Deux options vous sont proposées.

La première, retenue par la commission des lois, consiste à créer un parquet européen par étapes, à partir d'Eurojust. La seconde, que la délégation pour l'Union européenne a retenue, repose sur la création d'un procureur européen.

M. René André et moi-même avons consulté les plus hauts magistrats de l'ordre judiciaire - le premier président de la Cour de cassation et le procureur général près la Cour de cassation - et les meilleurs spécialistes de la lutte contre la criminalité transnationale, dont M. Renaud Van Ruymbeke. Tous ont exprimé leur préférence pour la création d'un procureur européen, telle qu'elle a été formulée dans le livre vert de la Commission européenne et, à l'origine, par un groupe d'experts dirigé par le professeur Mireille Delmas-Marty. De plus, nous avons relu attentivement l'appel de Genève, texte fondateur d'une justice efficace pour l'Europe.

Les faiblesses de la création d'un parquet européen à partir d'Eurojust sont nombreuses, et ce n'est qu'au prix d'une lecture superficielle que cette option peut être présentée comme plus ambitieuse. Le champ de compétence matérielle d'Eurojust est, certes, plus étendu, mais cette extension a pour contrepartie un transfert de pouvoirs très progressif, la transformation d'Eurojust en un véritable parquet européen n'étant acquise qu'au terme de trois étapes successives. Le passage à chaque nouvelle étape est particulièrement aléatoire dans le contexte d'une Europe élargie. Aucun calendrier n'a été fixé : la troisième étape sera-t-elle décidée en 2010, en 2015, en 2020 ? Cette étape sera-t-elle même jamais franchie, dans une Europe à vingt-cinq, voire vingt-sept Etats membres ? Il faudrait au moins proposer une date butoir. Sur ce point, la proposition de la commission des lois est en retrait par rapport à celle du ministre des affaires étrangères, qui a déposé un amendement en ce sens au projet d'article présenté par le présidium de la Convention pour l'avenir de l'Europe.

Seconde faiblesse : la nature même d'Eurojust, instrument de coopération judiciaire composé de représentants des Etats membres et introduit dans le traité sur l'Union européenne au conseil européen de Nice pour éviter - déjà ! - de donner suite à la proposition de la Commission de créer un procureur européen, qui paraissait alors prématurée. Eurojust a été conçu comme un conciliateur, sans autre pouvoir que celui d'inviter les Etats à agir. Ses membres restent nationaux et n'ont que les compétences que leur attribuent les Etats membres. La France dote d'ailleurs son représentant de pouvoirs très limités dans le projet de loi portant adaptation aux évolutions de la criminalité. Cette réticence est en contradiction avec la volonté d'en faire un parquet européen. Elle est d'autant plus regrettable que les magistrats français n'ont fait appel à Eurojust que dans 19 affaires en 2002, soit encore moins qu'en 2001 : en France, Eurojust connaît non pas une montée en puissance, mais une perte de vitesse ! Le résultat sera que les activités d'Eurojust s'orienteront vers les Etats dont les représentants disposent de pouvoirs réels. Cette absence de statut commun est incompatible avec la transformation de cet organe en parquet européen.

Troisième faiblesse : le caractère collégial d'Eurojust, qui, en l'absence de pouvoir hiérarchique du président, prive l'institution d'une véritable tête, situation elle aussi difficilement compatible avec la réactivité que requiert une direction effective des poursuites.

La délégation pour l'Union européenne s'est donc montrée plus volontariste, en proposant la création d'un procureur européen, doté au départ d'un champ de compétence plus étroit, mais disposant immédiatement de pouvoirs réels, seul moyen de créer une institution à forte valeur ajoutée. Il serait dangereux pour la crédibilité de l'Europe de donner aux citoyens le sentiment qu'un parquet européen a été créé s'il n'est doté d'aucun pouvoir. Ce n'est qu'une fois que l'institution aura fait ses preuves que ses compétences pourront être étendues à toute la criminalité transfrontalière.

Certains craignent une justice supranationale. Ils devraient craindre davantage la criminalité transnationale, qui s'est installée dans l'Union européenne, mettant à profit toutes les failles de nos systèmes judiciaires.

La constitution européenne en cours d'élaboration est une occasion historique pour l'Europe de la justice. Différer la création d'un procureur européen à la veille de l'élargissement serait la condamner sans appel.

La solution que propose la délégation repose sur la méthode communautaire. Cette méthode, suivie pour la réalisation du marché intérieur ou pour l'euro, a fait ses preuves. Le développement progressif d'Eurojust relève au contraire de la logique intergouvernementale, adoptée pour la politique étrangère et de sécurité commune avec le succès que l'on sait.

Nous avons besoin d'un parquet européen. Donnons-nous les moyens de cette ambition ! L'idée d'un parquet collégial, ayant à sa tête un procureur européen, a progressé au sein de la Convention. La France doit défendre cette proposition.

Permettez-moi une suggestion qui n'a rien à voir avec ce texte mais que je vous demande, Monsieur le Président, de transmettre au Président de l'Assemblée nationale.

La construction européenne est le grand chantier de notre génération. Elle ne peut plus être considérée comme relevant des affaires étrangères. Aussi devrions-nous engager une réflexion sur la nécessité de créer une commission permanente pour l'Union européenne, comme l'ont fait tous nos partenaires. Autrement, nos commissions se retrouveront souvent confrontées aux prises de position de la délégation pour l'Union européenne.

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l'Union européenne - L'Assemblée nationale tient aujourd'hui le premier débat de la législature sur une proposition de résolution née d'une initiative de la délégation pour l'Union européenne, qui a pris position, en novembre dernier, pour la création d'un procureur européen, afin de renforcer l'efficacité de la lutte contre la criminalité transnationale. Reprenant cette proposition, la commission des lois a souhaité que la création de ce parquet européen se fasse par étapes, à partir d'une institution déjà existante, Eurojust. Quelle que soit la méthode retenue, je me réjouis que notre Assemblée ait l'occasion de débattre de l'espace judiciaire européen, à travers un projet important aux yeux des citoyens.

La construction de cet espace judiciaire européen, appelé de ses v_ux par M. Valéry Giscard d'Estaing il y a vingt-cinq ans, alors qu'il était Président de la République, a connu une accélération sans précédent depuis le traité d'Amsterdam et les événements du 11 septembre 2001 : adoption du mandat d'arrêt européen, décision-cadre sur le terrorisme, création d'Eurojust.

Mais ces progrès restent trop lents face aux attentes des Européens et à l'urgence de renforcer la lutte contre la criminalité organisée. Seules deux des quatorze conventions adoptées sont entrées en vigueur à ce jour, les autres restant lettre morte faute de ratification. Les décisions-cadres sont transposées tardivement ou incomplètement et se constitue ainsi un « droit virtuel ».

La Convention européenne propose des changements qui sont autant d'avancées : supprimer la structure en piliers, passer à la majorité qualifiée et à la co-décision dans de nombreux domaines, adopter des instruments communautaires à la place de ceux, inadaptés et inefficaces, du troisième pilier.

Ces propositions, si elles sont reprises dans la future constitution européenne, permettront d'agir plus vite et plus efficacement. Mais elles diminuent considérablement le rôle des parlements nationaux. Les conventions de l'actuel « troisième pilier » seront remplacées par des instruments de droit communautaire classique, non soumis à ratification. L'Union sera dotée de la personnalité juridique internationale et la ratification des accords avec des pays tiers en matière pénale ou policière ne fera donc plus l'objet d'une autorisation parlementaire ; c'est d'ailleurs déjà ce qui est envisagé pour les projets d'accords d'extradition et d'entraide judiciaire entre l'Union européenne et les Etats-Unis.

Pas plus que la Convention, nous n'avons pris la mesure de ces bouleversements. La nature des compétences, celle des questions traitées par l'Union a radicalement changé. C'est notre politique criminelle qui se décide désormais en partie à Bruxelles. Les questions abordées par le conseil « Justice et affaires intérieures » touchent au c_ur des droits des citoyens et des compétences de leurs représentants. Peut-on extrader une personne vers un Etat où elle risque d'être jugée par des juridictions d'exception ? Faut-il prévoir un traitement différencié pour les petits trafics de certaines drogues ?

Quelle que soit la réponse apportée, ces questions doivent être débattues publiquement par des représentants élus et responsables devant leurs électeurs. C'est indispensable dans une démocratie, conformément au principe de légalité des délits et des peines.

C'est pour ces raisons que je défends, au sein de la Convention, le renforcement du rôle des parlements nationaux dans ce domaine. Le groupe de travail consacré à la justice et aux affaires intérieures a proposé de créer un droit d'« alerte précoce » des parlements nationaux, si une initiative va à l'encontre des éléments fondamentaux de leur droit pénal sur le modèle de la subsidiarité. Cette excellente initiative devrait être étendue à la protection des droits fondamentaux et défendue par tous nos représentants. Mais c'est aussi au niveau national qu'il faut faire preuve d'imagination. Certains Etats membres comme les Pays-Bas prévoient une association plus forte de leur parlement en matière de justice et d'affaires intérieures, exemple qui devrait nous inciter à créer un « article 88-4 » renforcé dans ce domaine, comme le suggère la résolution sur la coopération judiciaire entre l'Union européenne et les Etats-Unis adoptée en mars dernier.

Au-delà de nos divergences de méthode, nous partageons la volonté de créer un véritable parquet européen. La Convention européenne nous fournit une occasion unique pour le faire.

Dans un sondage publié il y a quinze jours, les Français font des affaires de justice et de sécurité la première priorité européenne. Au-delà du contexte national, ils perçoivent que l'action des juges et des policiers ne peut s'arrêter aux frontières nationales.

Je pense donc, comme Dominique de Villepin, qu'il faudra aboutir à bref délai à un parquet européen, et je salue la proposition de la commission des lois de faire adopter cette décision à la majorité qualifiée.

Je me réjouis en tout cas que ce débat ait pu avoir lieu.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Je salue tout d'abord le travail et la réflexion remarquables, menés par votre commission des lois et par la délégation pour l'Union européenne, sur l'un des défis majeurs de la Convention européenne, qui me tient particulièrement à c_ur : la construction d'un espace européen de sécurité, de liberté et de justice. A cet égard, le sondage qu'a évoqué M. Lequiller a été pour moi un étonnement et un encouragement.

La proposition de résolution sur la création d'un procureur européen concerne un sujet essentiel pour l'avenir de l'Europe judiciaire. Elle témoigne d'une approche réaliste de la construction européenne.

Comme dans les autres domaines, la construction européenne en matière de justice s'est faite de manière progressive. Cette méthode a permis de grandes avancées.

A la veille de l'élargissement, nous sommes aujourd'hui à une étape charnière pour l'avenir de cette Europe judiciaire.

La Commission a présenté en décembre 2001 un livre vert sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un procureur européen, qui reprenait la proposition présentée par elle à la conférence intergouvernementale de Nice de septembre 2000 et écartée par les chefs d'Etat et de gouvernement.

Le procureur européen, tel qu'il est proposé par la Commission, est en fait une fausse bonne idée.

Tout d'abord, son champ de compétence serait limité à la protection des intérêts financiers communautaires.

Si personne ne conteste l'importance de la lutte contre la fraude aux intérêts communautaires, il ne s'agit pas de la première préoccupation de nos concitoyens, qui veulent d'abord une Europe plus efficace dans la lutte contre la criminalité organisée, le blanchiment d'argent sale, la traite des êtres humains ou, bien sûr, le terrorisme.

Ensuite, créer une structure qui se juxtaposerait à celles qui existent déjà au niveau national et européen, c'est ajouter à la complexité, alors que nos concitoyens attendent une Europe plus proche d'eux.

La proposition de la Commission procède d'une approche théorique qui méconnaît les réalités judiciaires nationales et ne favoriserait pas le renforcement de notre espace judiciaire commun.

Nos partenaires européens et les praticiens consultés par la Commission se sont d'ailleurs prononcés en majorité contre sa proposition.

Il fallait donc emprunter une autre voie pour renforcer l'efficacité de l'Union européenne en matière pénale. C'est celle qui est envisagée dans le projet de résolution, qui rejoint largement mes propres positions.

Il faut se fonder sur les véritables besoins en matière de lutte contre la criminalité organisée et de protection des intérêts communautaires, dans le respect des droits de chacun, en recherchant ce qui peut être efficace et acceptable pour toutes les cultures judiciaires nationales.

Il faut donc, comme le propose le projet de résolution, adopter une démarche pragmatique partant de l'existant, Eurojust, pour aller vers l'avenir : le parquet européen, que je préfère pour ma part, appeler « collège de procureurs européens ».

Aujourd'hui coexistent deux principales structures dans le domaine de la coopération en matière pénale : l'une politique, Europol, et l'autre judiciaire, Eurojust. Pour l'instant, Europol est cantonné dans un rôle de recueil et d'analyse de renseignements et Eurojust est chargé d'assurer la coopération entre autorités judiciaires, sans pouvoir imposer sa propre analyse ni de procéder par lui-même à aucun acte.

L'expérience de ces structures est utile, mais leurs moyens ne sont pas à la hauteur de nos objectifs de lutte contre la criminalité transnationale. Eurojust doit se transformer, dans un délai raisonnable et après une évaluation de son activité, en un véritable parquet européen, capable de déclencher lui-même des poursuites et de les exercer devant les tribunaux nationaux. Cet objectif doit figurer dans le nouveau traité.

Ce « collège de procureurs européens » devrait, à l'instar de ce qui existe dans notre ordre juridique, diriger les enquêtes en matière d'« euro-crimes » et contrôler les activités d'Europol et de l'Office de lutte anti-fraude. Le contrôle de la légalité des actes accomplis dans le cadre de ces enquêtes devrait demeurer de la compétence des juridictions nationales, selon les règles de chaque système judiciaire.

Il convient sans doute d'envisager une étape intermédiaire à l'entrée en vigueur du nouveau traité, où Eurojust sera doté de pouvoirs de coordination contraignants : il pourra décider, pour les affaires de criminalité transnationales impliquant plusieurs juridictions, qui doit être saisi. Il pourra également être doté de pouvoirs de substitution lorsqu'une autorité nationale est défaillante. Cette étape permettra d'ancrer véritablement Eurojust dans le paysage judiciaire national et d'assurer que policiers et magistrats collaborent effectivement avec cette instance.

Cette construction réaliste et cohérente du parquet européen à partir d'une montée en puissance d'Eurojust est celle que nous défendons avec l'Allemagne. Nos deux gouvernements l'ont proposée à la Convention européenne et avec mon homologue, Mme Zypries, nous avons fermement réaffirmé cette position commune lors de notre rencontre à Berlin le 8 mars dernier. Faisons en sorte qu'elle soit partagée par l'ensemble de nos partenaires européens. Je me réjouis de constater que c'est bien une philosophie d'une construction progressive, déterminée et réaliste du parquet européen que fait prévaloir la proposition de résolution qui est soumise à vos débats (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Robert Pandraud - Depuis l'introduction dans la Constitution de l'article 88-4, quelle que soit la majorité, les Présidents se battent pour inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée des débats sur la construction européenne, parce que tout le monde se plaint que les parlementaires n'y soient pas associés ; mais jamais nous n'avons dépassé le faible nombre de présents de cette séance...

Il ne se passe pas de jour sans que l'ouverture des frontières européennes ne soit utilisée par la grande criminalité pour commettre des méfaits sur le territoire de l'Union et notamment en France.

Si la fraude aux intérêts financiers communautaires, qui s'apparente à une sorte de sport ouvert aux mafias de tout poil, préoccupe légitimement les organes européens et les contribuables que nous sommes, le trafic des stupéfiants, le proxénétisme et la traite des êtres humains me paraissent représenter une menace encore plus sérieuse qui justifie pleinement le vote d'une résolution prônant la création d'un procureur européen.

Monsieur le Garde des Sceaux, vous effectuez avec le ministre de l'intérieur un magnifique travail complémentaire dans ce combat incessant contre la criminalité, mais vous ne disposez des bras supplémentaires attribués aux divinités hindoues. Je ne doute donc pas que vous apprécierez d'être soulagés d'une partie de votre tâche, en amont, c'est-à-dire au niveau européen.

C'est ce qu'ont bien compris nos collègues René André et Jacques Floch, rapporteurs de la délégation pour l'Union européenne, qui nous ont soumis une excellente analyse préconisant la création d'un procureur pour l'Europe, d'autant plus nécessaire avec la perspective de l'élargissement de l'Union. Parler d'excellent rapport s'agissant de la délégation pour l'Union européenne frôle d'ailleurs la redondance, tant depuis l'inclusion de l'article 88-4 dans notre constitution et la mise en application de la circulaire Balladur, ses travaux servent de référence, bien au-delà de nos frontières.

Comme le prévoit notre Règlement, la proposition de la délégation a été renvoyée, le 28 novembre dernier - la date a son importance -, à la commission des lois. C'est là une bonne procédure, et il ne serait certainement pas préférable, comme certains le souhaitent, de faire de la délégation une commission à part entière.

En mettant l'accent sur la criminalité transnationale, le rapporteur de la commission des lois nous invite en quelque sorte, pour reprendre l'expression d'un ancien fonctionnaire de cette assemblée, à une « extension du domaine de la lutte ». Ses arguments m'ont paru très convaincants. La commission des lois fait remarquer que les montants financiers en jeu en matière de criminalité organisée transnationale sont largement supérieurs à ceux liés à la fraude aux intérêts communautaires. Quant aux autres formes de criminalité organisée - terrorisme, trafic de stupéfiants, prostitution -, leur origine est de plus en plus transnationale et ne se réduit malheureusement pas à l'espace Schengen. Ce n'est bien sûr ni le lieu ni le moment de nous interroger sur la pertinence ou le contrôle des critères d'adhésion imposés aux pays candidats ; néanmoins nous ne pourrons faire l'économie d'un débat prochain sur ce sujet car on est peut-être allé un peu vite en besogne.

La porosité des futures frontières extérieures de l'Union élargie risque de perdurer, de même que l'incapacité de certains nouveaux Etats-membres à - comment dire cela diplomatiquement ? - maîtriser les réseaux criminels et autres mafias installés confortablement chez eux depuis belle lurette et pénétrant même parfois les organes d'Etat.

La tâche d'un procureur européen ne sera pas de tout repos, mais cela ne nous empêche en aucune manière de décider et même d'accélérer la création d'un organe centralisé d'investigation et de répression. A ce sujet, j'ai cru discerner dans le rapport de la commission des lois le choix, que je partage, d'un grand pragmatisme.

Si j'ai indiqué la date de transmission à la commission des lois de la proposition de résolution, c'est que, depuis, beaucoup d'événements se sont produits et qu'une grande incertitude règne désormais sur la volonté commune d'action, quel qu'en soit le domaine, de l'Europe élargie ou non.

L'approche réaliste et pragmatique de la commission des lois m'apparaît d'une grande sagesse et procède, si j'ose dire, du principe de précaution.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - Très bien !

M. Robert Pandraud - Dans les circonstances présentes, il ne me paraît pas opportun d'envisager la création d'un véritable procureur européen, indépendant et uniquement responsable devant le Parlement européen et la Cour de justice ; en quelque sorte, un procureur à l'américaine, avec tous les dérapages qu'on a constatés aux Etats-Unis, et dont le choix serait l'occasion d'une cauchemardesque foire d'empoigne.

En revanche, la proposition de la commission des lois, qui préconise qu'un parquet européen soit développé à partir d'Eurojust, en conférant des pouvoirs de poursuite aux représentants nationaux des Etats-membres qui composent cette instance, me paraît raisonnable et applicable immédiatement.

Pour toutes ces raisons, le groupe de l'Union pour un Mouvement populaire votera la résolution présentée par la commission des lois et en félicite son président et son rapporteur (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jacques Brunhes - Après la création officielle de la Cour pénale internationale et bien qu'il s'agisse d'une démarche de moindre ampleur, je veux voir dans l'institution d'un procureur européen, telle que préconisée dans la version originale de la résolution, une volonté de s'inscrire dans le sens d'une histoire porteuse, sans géométrie variable, des valeurs de démocratie, de justice, de sécurité et de droit.

Le procureur européen peut en effet être un nouveau moyen, certes modeste, de renforcer la coopération judiciaire indispensable pour une meilleure protection des intérêts financiers de l'Union européenne, de l'argent public versé par les citoyens.

En effet, l'Union ne dispose pas d'instrument pour faire face au niveau requis, c'est-à-dire au niveau transfrontalier, à la fraude portant atteinte à ses intérêts financiers. Malgré la mise en place d'un réseau judiciaire européen d'entraide en matière pénale, les frontières demeurent à l'égard des magistrats, des procédures et des décisions de justice. Le défaut d'harmonisation et de coopération dans ce domaine a pour conséquence évidente de favoriser la criminalité financière et la fraude communautaire, que nous n'avons jamais cessé de dénoncer à chaque vote portant sur notre contribution financière au budget européen.

Selon la Commission européenne, la fraude atteignait en 1998 plus d'un milliard d'euros. Outre la remise en cause de la légitime défense des intérêts des contribuables, cette situation porte atteinte non seulement à l'efficacité de l'action menée au niveau européen mais à la crédibilité même des institutions européennes.

Ce fléau est étroitement lié au manque de transparence et à l'opacité qui caractérisent le système bureaucratique de Bruxelles, irresponsable en son principe. Il profite de la complexité extrême de la réglementation communautaire, il accompagne la création de systèmes criminels organisés tandis que la fragmentation des compétences judiciaires en facilite le développement. Les dispositifs existants sont si archaïques que les activités frauduleuses ou criminelles bénéficient finalement de l'impunité.

La politique agricole commune, qui représente la moitié du budget européen, concentre à elle seule plus de la moitié des cas de fraudes. A cela s'ajoute aujourd'hui le flou, pour le moins, entourant les sommes consacrées à l'élargissement et à leur réelle affectation. La fraude communautaire s'inscrit dans la logique de la construction européenne actuelle, où s'enchevêtrent un système bureaucratique surabondant et un marché unique hyper-déréglementé.

De plus, certains Etats européens constituent, au su de tous, des refuges financiers pour les fraudeurs en tout genre. Tant que l'on ne s'attaquera pas à tout cela, l'idée d'un espace judiciaire et pénal européen n'aura pas de consistance. Il faut en finir avec cette Europe des places financières, avec cette Europe des comptes à numéros et des lessiveuses à billets !

Les circuits occultes empruntés par les organisations criminelles se développent en même temps qu'explosent les échanges financiers internationaux. Il faut mettre un terme à cette Europe « espace de l'ombre » !

S'attaquer à la racine du mal pose la question des valeurs que l'Europe doit porter dans le monde que nous voulons multipolaire. Le seul renforcement de l'entraide judiciaire constituerait sans cela une faible « réponse riposte ».

C'est pourquoi une collaboration plus étroite entre les autorités judiciaires, dont l'institution d'un procureur européen, est une condition nécessaire mais pas suffisante. C'est par les fins qu'il faut commencer et non par les seuls effets.

Les modalités du travail du procureur européen devraient être inspirées par le principe de subsidiarité, laissant la fonction de jugement pénal aux juridictions nationales.

Notre appréciation concerne la rédaction initiale de la résolution.

Malheureusement la commission des lois s'est alignée sur un projet non ratifié qui court au sein de la Convention pour l'avenir de l'Europe, au prix d'une dilution dans un processus si lent et fait de tellement de compromis que ce projet de procureur européen, à supposer qu'il voie le jour, ne serait pas appliqué avant longtemps.

Se caler ainsi sur la Convention présuppose aussi que le traité constitutionnel sera ratifié en son entier, ce qui est loin d'être établi. La proposition initiale avait, elle, une réelle portée. Aussi nous abstiendrons-nous (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Gilbert Gantier - Je remercie nos collègues André et Floch de s'être penchés sur une question qui met en cause la crédibilité des institutions européennes.

L'idée de renforcer la protection pénale des intérêts financiers communautaires remonte au mois d'août 1976. Depuis, la criminalité transfrontalière s'est considérablement développée, le montant total de la fraude aux intérêts financiers communautaires étant évalué en 1999 à 413 millions d'euros.

L'ouverture des frontières a facilité le développement d'importants réseaux de criminalité transfrontaliers, liant étroitement fraude fiscale, trafic de stupéfiants, blanchiment, traite des êtres humains.

L'Union européenne a essayé de faire face en multipliant les tentatives de coopération, sans réel succès, car il ne s'est agi que d'actions de coordination et d'échanges d'informations entre Etats membres, sans capacité opérationnelle.

Aussi la Commission a-t-elle proposé lors du traité de Nice de créer un parquet européen, ce qu'ont refusé les chefs d'Etats.

Pourtant, tous les professionnels dénoncent depuis longtemps le morcellement des systèmes répressifs nationaux. Le moment de doter l'Union européenne d'un appareil répressif efficace paraît venu. Ne passons pas à côté de cette occasion ! Si l'espace de criminalité est unique, il est logique de lui opposer une réponse institutionnelle unique.

Comment en effet mener une instruction en jonglant avec dix-sept ordres judiciaires différents. Et qu'en sera-t-il après l'élargissement ? Il faut agir maintenant.

La création d'un parquet européen tombe d'ailleurs sous le sens. Alors que nous venons d'intégrer dans la Constitution un mandat d'arrêt européen, comme s'opposer à la création d'un procureur ? Il faut aller au bout de notre logique.

Au reste, la prise de conscience progresse, à l'image de notre délégation pour l'Union européenne.

L'Allemagne est favorable à la création d'un procureur européen par modification progressive d'Eurojust, les Pays-Bas s'y intéressent de plus en plus.

Les compétences de ce parquet européen, quand il existera, auront vocation à être élargies au grand banditisme transfrontalier, ce qui implique à terme de rapprocher, voire d'unifier les législations et procédures nationales.

Nous nous prononçons donc sans équivoque pour l'adoption de cette proposition et engageons le Gouvernement à faciliter la collaboration entre les services français et ceux des différents Etats membres (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Christian Philip - L'actualité internationale conduit souvent, hélas, les Français à douter de l'Europe. Aussi la création d'un procureur européen était-elle l'occasion de montrer concrètement ce que peut apporter l'Europe. Est-ce une fausse bonne idée, comme vous l'avez dit ? La criminalité organisée est largement à l'origine de l'insécurité avec laquelle sont aux prises nos concitoyens. Les délinquants profitent de la pluralité des organes policiers et judiciaires de nos différents pays, même si la collaboration s'améliore.

Les Européens se disent que la libre circulation profite aux criminels, et fait obstacle aux policiers et magistrats qui les combattent. Les enquêtes restent difficiles à mener à l'extérieur des frontières, et l'élargissement n'arrangera rien.

C'est pourquoi l'espace judiciaire proposé dès 1977 par Valéry Giscard d'Estaing est une nécessité. La création d'un procureur européen permettrait de lui donner corps. Je comprends que l'on propose d'avancer progressivement. La Communauté européenne a généralement avancé de cette manière.

Encore l'idée d'un parquet européen au sein d'Eurojust doit-elle se traduire dans la réalité. Peut-on nous assurer que cette première étape sera réellement franchie ? Sur quatorze conventions relatives à la construction de l'Europe judiciaire déjà adoptées, deux seulement sont entrées en vigueur. Aussi avons-nous besoin d'objectifs clairs et de calendriers précis. Je souhaite que la France propose à ses partenaires un calendrier contraignant. La méthode communautaire a aussi consisté à fixer des calendriers, pour le marché intérieur ou pour l'euro par exemple.

Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point ?

Vous hésitez à créer un procureur européen. Ne sommes-nous pourtant pas parvenus à un résultat analogue avec la cour pénale internationale et autres tribunaux créés pour juger les crimes contre l'humanité ?

Eurojust et le parquet européen peuvent être une première étape, mais il faut se demander dès à présent comment ce réseau pourra trouver sa crédibilité et son efficacité. Sans calendrier et sans moyens, la décision de principe ne servira à rien. Or il est temps que l'espace judiciaire européen devienne une réalité, que l'Europe se dote d'instruments à sa mesure. Il en va de la crédibilité de l'Union. Puis, après cette première étape, il faudra bien qu'émerge au sein du collège une fonction qui ressemble à un procureur européen. Nous perdrions une occasion importante pour l'Europe en nous contentant de créer aujourd'hui un réseau sans moyens et sans calendrier.

La discussion générale est close.

M. le Président - J'appelle maintenant l'article unique de la proposition de résolution dans le texte de la commission.

ARTICLE UNIQUE

M. Jacques Floch - J'ai déposé un ensemble d'amendements qui ont pour but de rétablir le texte tel qu'il avait été adopté par la délégation pour l'Union européenne. Je propose qu'ils soient soumis à un vote unique.

M. le Rapporteur - Ces amendements 4 à 15 visent, paragraphe par paragraphe, à rétablir le texte initial. Revenir sur chacun d'eux tendrait à refaire la discussion générale.

Je voudrais toutefois m'arrêter sur le calendrier d'Eurojust, dont certains trouvent qu'il est trop aléatoire. La commission en a parfaitement conscience et ne peut que soutenir le ministre des affaires étrangères lorsqu'il propose une date butoir. La rédaction adoptée par la commission est la solution la plus pragmatique pour l'instant, mais elle ne pourra trouver son efficacité qu'avec cette date butoir. Ceci étant dit, je vous demande de rejeter l'ensemble des amendements.

M. le Garde des Sceaux - Le texte de la commission correspond aux positions prises par le Gouvernement, qui ne souhaite pas en revenir au texte antérieur.

Il est vrai qu'une date butoir est nécessaire. Je pense qu'une phase transitoire de cinq ans ressemblerait assez au « délai raisonnable » évoqué par M. Philip. Cela permettrait une évaluation du fonctionnement d'Eurojust, mais il faudra un accord à la Convention pour arriver à cela.

Je voudrais profiter de cette occasion pour exposer à l'Assemblée les quatre points sur lesquels j'ai particulièrement insisté auprès du président de la Convention, M. Giscard d'Estaing. Le premier concerne l'idée du collège, pour le parquet européen, et je n'y reviendrai pas. Le deuxième concerne l'organisation du conseil législatif. Le conseil des ministres de demain sera en principe commun pour l'ensemble des affaires. Il me paraît primordial qu'il soit toutefois plus spécifique pour les affaires juridiques et en particulier pénales, non pas pour défendre de quelconques prérogatives des ministres de la justice mais pour éviter la prolifération des règles juridiques. Il arrive déjà au niveau national que des administrations dont ce n'est pas la spécialité produisent des règles à caractère pénal, et il faut rester vigilant à ce propos.

Troisième point : la règle de majorité. J'ai été très surpris de constater, lors d'un conseil informel des ministres de la justice il y a quelques semaines, que la France et l'Allemagne étaient quasiment les seuls pays à désirer le passage à la majorité qualifiée ! Que la Grande Bretagne y soit opposée n'étonne personne, mais la plupart des petits pays l'étaient aussi. La situation politique est donc beaucoup plus complexe qu'on ne l'imagine généralement, et cela justifie une approche progressive. J'espère que la situation changera d'ici la fin des travaux de la Convention, car je suis profondément convaincu que si l'Europe des 25 ne passe pas à la majorité qualifiée, l'Europe de la justice s'arrêtera.

Enfin, j'ai soulevé la problème des deux cours de justice de Luxembourg et de Strasbourg. Le système devient terriblement complexe, et cela a des conséquences directes pour les juridictions nationales, les justiciables, les magistrats et les avocats. Je ne pense pas que ce sujet puisse être réglé en quelques mois, mais la Convention pourrait être l'occasion au moins de commencer à soulever une réflexion sur cette difficulté (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

L'amendement 4, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que les amendements 5 à 15 inclus.

L'article unique de la proposition de résolution, mis aux voix, est adopté.

La séance, suspendue à 10 h 40, est reprise à 10 heures 50.

ADAPTATION DE LA JUSTICE AUX ÉVOLUTIONS DE LA CRIMINALITÉ (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

ART. PREMIER (suite)

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois- Les amendements identiques 4, 270 et 393 de même que les amendements identiques 12, 271 et 394 sont satisfaits par des amendements adoptés par la commission. Avis défavorable donc.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Même avis.

Les amendements identiques 4, 270 et 393 et les amendements identiques 12, 271 et 394, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président - Les amendements identiques 5, 272 et 392 sont défendus.

M. le Rapporteur - Ces amendements incluent dans le champ de la criminalité organisée des infractions punies de cinq ans d'emprisonnement. Notre logique a été de ne retenir que celles punies de dix ans d'emprisonnement. La commission a donc émis un avis défavorable.

Les amendements identiques 5, 272 et 392, repoussés par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. François d'Aubert - La grande criminalité organisée implique souvent des réseaux mafieux, des responsables politiques et administratifs, et des entreprises, en particulier de travaux publics en Italie. Mon amendement 612 inclut dans le champ de la criminalité organisée les délits de corruption liés aux autres infractions déjà visées, faute de quoi la lutte contre ces réseaux ne serait pas complète.

M. le Rapporteur - Défavorable. Je comprends tout à fait cette préoccupation. Mais ajouter cette douzième catégorie n'apporterait rien puisqu'il n'y aurait incrimination que dans la mesure où l'une des onze premières est déjà en cause.

M. le Garde des Sceaux - J'y suis défavorable pour la même raison. On peut déjà traiter de ces délits dans le cadre des procédures prévues.

L'amendement 612, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Rudy Salles - L'amendement 348 inclut dans la criminalité organisée les infractions relatives aux jeux de hasard.

M. le Rapporteur - Avis défavorable, dans la logique que j'ai rappelée : les peines prévues dans ce cas sont de deux ans et non de dix ans. Mais sur le fond, la commission vous donne satisfaction dans un autre amendement en créant la circonstance de bande organisée pour les délits relatifs aux jeux de hasard.

M. le Garde des Sceaux - Même avis.

M. Rudy Salles - Dans ces conditions, je retire l'amendement 348.

M. André Vallini - Notre amendement 371 est de cohérence.

M. le Rapporteur - Par cohérence également, avis défavorable.

L'amendement 371, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Michel Vaxès - Notre amendement 606, de même que les amendements 607, 608, 609 et 610, suppriment les dispositions créant des juridictions spécialisées pour la criminalité organisée. Celle-ci ayant souvent des implications financières, doit être traitée par les pôles économiques et financiers existants. Multiplier des juridictions dont la saisine sera difficile et les compétences concurrentes n'est pas facteur d'efficacité. De plus, il faudrait que ces juridictions d'exception aient les moyens de fonctionner. Les délits qui n'auraient pas de caractère financier peuvent être traités par les juridictions de droit commun.

M. le Rapporteur - Ce serait remettre en cause une disposition fondamentale du texte. Ce sont des juridictions spécialisées avec des moyens et des compétences propres qui pourront remonter les réseaux criminels. Avis défavorable.

M. le Garde des Sceaux - J'y suis également défavorable. Ces juridictions sont absolument nécessaires. Il nous faut, en ce domaine, des « plateaux techniques » car il ne peut y avoir dans les 181 tribunaux de grande instance les magistrats du parquet et les juges d'instruction ayant la formation et les compétences requises. Aux Pays-Bas par exemple, toutes les affaires de criminalité organisée sont regroupées au parquet national de Rotterdam. Quant au nombre de ces juridictions spécialisées - entre cinq et dix - nous y réfléchissons de manière à organiser les meilleures liaisons avec les circonscriptions interrégionales de police judiciaire.

L'amendement 606, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Vallini - Nous sommes certes d'accord pour donner à la lutte contre la délinquance et la criminalité organisée tous les moyens nécessaires, mais nous ne pensons pas qu'il faille pour autant multiplier les juridictions spécialisées, qui risquent de fractionner les enquêtes et les procédures. Tel est le sens de l'amendement 379.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Cet amendement remet en cause une disposition importante du texte.

L'amendement 379, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Michel Vaxès - Par l'amendement 579, nous proposons après les mots : « cour d'assises », de rédiger ainsi la fin du premier alinéa de l'article 706-75 du code de procédure pénale : « est étendue au ressort d'une ou plusieurs cours d'appel pour l'enquête, la poursuite, l'instruction et le jugement des crimes et délits entrant dans le champ d'application des articles 706-73, à l'exception du 9°, ou 706-74. »

Tel qu'il est rédigé, l'article entend confier aux juridictions spécialisées « les affaires qui sont ou apparaîtraient d'une grande complexité ». Ce concept de « grande complexité » est trop imprécis, alors qu'il fonde d'exceptionnelles extensions de compétences territoriales.

En rejetant notre proposition de confier aux pôles financiers et économiques - non à l'ensemble des TGI - la compétence pour enquêter, poursuivre, instruire et juger les infractions de criminalité organisée, vous avez décidé de vous en remettre à la compétence de juridictions spécialisées. Notre amendement vous propose, dans un souci de simplification, d'aller au bout de cette logique et de retenir la compétence de ces juridictions dans tous les cas. La sécurité juridique serait alors garantie en évitant que la compétence de ces juridictions soit sujette à interprétation.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Nous ne souhaitons pas l'automaticité de la saisine, car nous voulons que ces juridictions travaillent sur les affaires qui sont d'une grande complexité et qui nécessiteront donc des moyens supplémentaires et spéciaux.

L'amendement 579, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Blazy - Le maintien d'une juridiction exceptionnelle ne peut se concevoir sur le fondement de critères aussi imprécis qu'une « grande complexité ». Nous proposons donc, par l'amendement 373, de remplacer cette notion par la référence à des crimes ou délits définis plus strictement.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

Je rappelle que la notion de « grande complexité » se trouve dans le droit français depuis 1975 et s'applique aux délits économiques et financiers. Aucun gouvernement ne l'a remise en cause.

L'amendement 373, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jérôme Lambert - L'amendement 372 tend à insérer les mots : « pris en Conseil d'Etat » après le mot : « décret » dans le dernier alinéa de l'article 706-75.

Le Gouvernement a-t-il l'intention de modifier plus profondément encore la carte judiciaire ? Tous les Français sont attachés à une justice de proximité.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Le décret en Conseil d'Etat n'est pas nécessaire. Le gouvernement que M. Lambert a soutenu, a créé, à deux reprises, de nouvelles juridictions et ce sont des décrets simples qui les ont mises en place.

M. le Garde des Sceaux - Avis défavorable.

Hormis la création de juridictions spécialisées, la seule modification de la carte judiciaire que je souhaite mettre en _uvre concerne les tribunaux de commerce. Les tribunaux de trop petite taille, où la proximité est excessive entre les juges et les acteurs économiques du ressort, ont vocation à disparaître.

L'amendement 372, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Michel Vaxès - L'amendement 607 est défendu.

L'amendement 607, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Noël Mamère - L'amendement 642 est de conséquence par rapport à l'amendement 641 et correspond à ce que mes collègues viennent de défendre : la création de juridictions concurrentes ne permet pas un traitement uniforme de tous les justiciables.

L'amendement 642, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Noël Mamère - L'amendement 653 précise que dans la mesure où une juridiction territoriale est créée, elle n'en reste pas moins une juridiction exceptionnelle qui doit respecter la compétence des juridictions de droit commun qu'elle n'est pas appelée à remplacer.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

Si cet amendement était adopté, des renvois en chaîne bloqueraient la procédure pénale.

L'amendement 653, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Michel Vaxès - L'amendement 608 est défendu.

M. Noël Mamère - L'amendement 643 est de conséquence.

Les amendements 608 et 643, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Michel Vaxès - L'amendement 609 est défendu.

M. Noël Mamère - L'amendement 644 est de conséquence.

Les amendements 609 et 644, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Rapporteur - L'amendement 45 est de précision.

L'amendement 45, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Michel Vaxès - L'amendement 610 est défendu.

L'amendement 610, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Vallini - L'amendement 286 propose de rétablir le procureur de la République dans la plénitude de ses fonctions : direction de l'enquête, contrôle des OPJ.

M. Noël Mamère - Nous nous acheminons vers une justice de plus en plus soumise au ministère de l'intérieur.

Par l'amendement 654, nous proposons, dans le premier alinéa de l'article 706-80, de substituer aux mots : « après en avoir informé le procureur de la République et sauf opposition de ce magistrat », les mots : « sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République ».

M. Rudy Salles - Le procureur doit rester le seul directeur de l'enquête et, à ce titre, il est habilité à accorder une compétence nationale aux OPJ. Tel est le sens de l'amendement 345.

M. Michel Vaxès - Le nouvel article 706-80 du code de procédure pénale prévoit d'étendre le pouvoir de surveillance des OPJ. Ils détenaient déjà un tel pouvoir en matière de trafic de stupéfiants. Désormais, ils pourront, dans les mêmes conditions, procéder à la surveillance des personnes.

Il est proposé de donner une compétence nationale aux OPJ qui procèdent à ces opérations de surveillance dès lors qu'ils en informent le procureur. Il faudrait un encadrement plus strict de ces opérations de surveillance afin d'éviter qu'elles dérivent au point de devenir attentatoires aux libertés individuelles.

L'amendement 580 tend à soumettre cette surveillance à l'autorisation préalable du procureur.

M. le Rapporteur - Notre code pénal prévoit déjà des dispositifs similaires dans d'autres cas, dont l'article 54 qui vise une perquisition et prévoit l'information du procureur.

Il ne s'agit pas, à l'article qui nous intéresse, d'une simple information puisque la disposition vaut « sauf opposition » du procureur. La formulation « sur autorisation écrite » n'a pas été retenue pour des raisons de souplesse de procédure. N'oublions pas que nous parlons de criminalité organisée. L'officier de police judiciaire qui a repéré des personnes ou des biens doit pouvoir les suivre sans délai pour remonter la filière. Il faut certes un contrôle du parquet, et celui-ci sera informé et pourra s'opposer immédiatement. Mais il faut aussi une procédure qui permette de ne pas lâcher la filature. L'équilibre proposé par le Gouvernement est satisfaisant. Notre objectif n'est pas en effet de nous en tenir aux hommes de main, mais bien de remonter aux gros bonnets.

M. le Garde des Sceaux - Même avis. Nous sommes dans un monde réel : il faut pouvoir aller vite au combat, sans avoir les mains et les pieds entravés ! Bien sûr, s'il n'est pas d'accord, le procureur pourra le faire savoir. Mais nous sommes devant des affaires très graves, où la violence est extrême, où les forces de police et de gendarmerie prennent des risques physiques. Il faut donc pouvoir aller vite, sans contraintes horaires trop strictes. A cet égard, le dispositif me paraît équilibré.

L'amendement 345 est retiré.

Les amendements 286 et 654, mis aux voix, ne sont pas adoptés, non plus que l'amendement 580.

M. Thierry Mariani - Deux articles définissent la criminalité et la délinquance organisées. D'un côté, l'article 706-73 dresse la liste des crimes et délits qui en relèvent. De l'autre, l'article 706-74 permet d'appliquer les dispositions spécifiques à la lutte contre la criminalité et la délinquance organisées à tous autres crimes et délits commis en bande organisée.

Ce choix d'une liste et d'un article qui englobe les autres crimes et délits commis en bande organisée est judicieux. En effet, l'article 706-74 permet de traiter des escroqueries, abus de confiance, mais aussi trafics et contrebandes en tous genres qui sont souvent aux mains d'organisations criminelles.

Les dispositions spécifiques prévues par le titre doivent donc s'appliquer, comme le propose l'amendement 422, aux deux cas. En l'espèce, l'article 706-81 du code de procédure pénale traite de la possibilité de procéder à une infiltration.

M. le Rapporteur - Défavorable. Je comprends votre argumentation, mais c'est dans un souci d'équilibre que le Gouvernement définit la criminalité organisée par une série d'infractions limitativement énumérées. Les moyens d'investigations ne doivent être ouverts que pour cette première liste. Cela est dans la ligne de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui exige des moyens proportionnés à la gravité des infractions.

M. le Garde des Sceaux - Je comprends moi aussi le souci de M. Mariani. Mais les moyens tout à fait nouveaux donnés aux parquets et aux services d'enquête doivent rester limités aux cas les plus graves, ceux où les personnes sont en cause. Les étendre au-delà de cette liste serait potentiellement contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

L'amendement 422 est retiré.

M. le Rapporteur - L'amendement 47 vise à supprimer les mots : « à titre exceptionnel », qui pourraient donner lieu à des contentieux.

M. le Garde des Sceaux - Sagesse.

L'amendement 47, mis aux voix, est adopté.

M. Michel Vaxès - Les opérations d'infiltration ne sont pas sans risque pour la sécurité des fonctionnaires infiltrés. Leur généralisation les expose en outre à la corruption morale, à la perte de repères. Enfin, des contentieux sur la valeur des preuves rassemblées par ce moyen risquent d'apparaître. Aussi l'amendement 581 propose-t-il de confier le contrôle de ces opérations à un fonctionnaire de haut grade comme le commissaire divisionnaire.

Le même souci de protection des fonctionnaires milite pour que des brigades soient spécialement formées et entraînées. Notre police y gagnerait en sécurité et en efficacité.

M. le Rapporteur - La commission partage le souci de notre collègue mais a émis un avis défavorable. L'officier de police judiciaire qui fait le rapport doit évidemment être le plus éloigné possible de celui qui procède à l'infiltration, afin d'éviter son identification. Mais la formulation du Gouvernement permet de monter jusqu'au directeur central de la police judiciaire, qui est lui aussi un OPJ. La précision de grade n'est donc pas nécessaire. Quant à la nécessité d'éloignement, elle fera l'objet d'un amendement ultérieur.

L'amendement 581, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Thierry Mariani - Il est légitime d'édicter le principe d'interdiction de la provocation à la commission des infractions. En effet, il n'est pas souhaitable de poursuivre des infractions qui n'auraient pas existé sans l'incitation des forces de l'ordre.

Néanmoins, cet article traite de la délinquance et de la criminalité organisées. En la matière, il n'est pas souhaitable de créer une nouvelle cause de nullité, qui ne ferait qu'alourdir les délais d'instruction.

L'amendement 423 ne fait d'ailleurs que rétablir la première version du texte.

Quant à l'amendement 424, il spécifie, dans un souci de clarté, que le rapport relatif à l'opération d'infiltration est remis après achèvement de celle-ci.

M. le Rapporteur - Avis défavorable sur les deux amendements.

L'objectif de l'amendement 423 ne serait pas atteint puisque l'article 802 du code de procédure pénale ouvre d'office aux juridictions la possibilité de soulever la nullité de la procédure en cas de provocation à la commission de l'infraction. Cet amendement pourrait même aboutir à fragiliser le texte.

Quant à l'amendement 424, il ôte une souplesse qu'il importe de préserver.

M. le Garde des Sceaux - Même avis. L'amendement 423 impliquerait a contrario que les autres règles prévues par le projet ne sont pas, elles, à peine de nullité.

Les amendements 423 et 424 sont retirés.

M. le Rapporteur - L'amendement 48 précise que le rapport comporte les éléments strictement nécessaires à la constatation des infractions et ne mettant pas en danger la sécurité de l'agent infiltré ou des personnes requises.

L'infiltration restera très ponctuelle, très délicate : la protection de l'agent infiltré est donc essentielle.

L'amendement 48, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. André Vallini - La pratique de l'infiltration est importante et ancienne. Nous ne la remettons donc pas en cause. Mais les dispositions proposées sont dangereuses pour les personnels, dont l'anonymat s'accommode mal de la procédure écrite, comme pour les droits de la défense, laissée dans l'ignorance de l'identité des accusateurs, des moyens utilisés et même du respect de la procédure d'autorisation par le procureur.

L'irresponsabilité pénale absolue prévue par le texte constitue également, pour les agents autorisés à commettre des infractions dans le cadre d'une opération d'infiltration comme pour les personnes qu'ils utilisent, une incitation, sinon une tentation, à commettre ces délits dans leur intérêt. En toute hypothèse, cette disposition constitue un encouragement à l'infiltration, qui ne doit en aucun cas être banalisée. Nous proposons donc par l'amendement 287 de supprimer l'article 706-82.

M. Noël Mamère - L'amendement 645 a le même objet. Les procédures d'infiltration sont directement inspirées des méthodes américaines. Les risques de corruption morale, de perte de repères et de contentieux ne sont pas négligeables. Le comité consultatif des droits de l'homme a d'ailleurs rendu le 27 mars un avis s'inquiétant de la généralisation de cette procédure. Quant au contrôle de l'autorité judiciaire sur une action par nature clandestine, il ne peut être qu'inexistant.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Les infiltrations sont limitées et existent déjà dans notre droit, par exemple dans la loi de 1991 sur les douanes, qui n'a pas été votée par cette majorité. Ces amendements auraient d'ailleurs pour effet de supprimer ipso facto la liste limitative contenue dans l'article : telle n'est sans doute pas votre intention.

M. le Garde des Sceaux - Même avis.

Les amendements 287 et 645, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Michel Vaxès - Notre amendement 582 tend à bien préciser que si les officiers ou agents de police judiciaire autorisés à procéder à une opération d'infiltration ne sont pas pénalement responsables des actes commis dans ce cadre, en revanche ils en sont civilement responsables, et cela afin que les éventuelles victimes puissent être indemnisées.

M. le Rapporteur - Le texte ne fait pas référence à la responsabilité civile parce que l'article 1382 du code civil s'applique d'une façon générale. James Bond est responsable des dommages qu'il cause ! (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Garde des Sceaux - Même avis !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Si le fonctionnaire est en service d'infiltration, c'est l'Etat qui sera responsable : ce sera à la collectivité d'assumer les conséquences des actes commis, cela doit être clair.

M. le Rapporteur - Rappelons quand même qu'on n'aura pas affaire à un malfrat, mais à un officier de police judiciaire.

L'amendement 582, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Vallini - Notre amendement 289 tend à supprimer le dernier alinéa de l'article 706-82 car il faut au moins exclure de l'exemption de responsabilité pénale les non-professionnels qui seraient amenés par les OPJ ou leurs adjoints à participer à une opération d'infiltration, d'autant plus qu'ils ne présenteront pas forcément les mêmes garanties de moralité et qu'ils ne bénéficieront pas de l'autorisation préalable du procureur.

M. Gilbert Gantier - L'amendement 347 est identique.

M. Noël Mamère - L'amendement 614 également.

M. le Rapporteur - Avis défavorable car la suppression de cet alinéa mettrait en cause la cohérence du dispositif.

M. le Garde des Sceaux - Avis défavorable également : cet alinéa a concrètement pour objectif que les personnes requises par les enquêteurs dans le cadre d'une infiltration, par exemple pour prêter un local ou pour conduire un véhicule, ne soient pas poursuivies pour ces faits au motif de complicité de trafic.

En revanche, je suis favorable à l'amendement 49 de la commission, qui apportera une précision utile.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Nos questions illustrent la complexité de la technique de l'infiltration. Il faut penser aux conflits possibles entre l'OPJ et les personnes qu'il aura requises : on a déjà vu des gens impliqués dans une infiltration ouvrir le parapluie en alléguant qu'ils agissaient dans ce cadre, alors qu'ils avaient des motivations moins avouables. Le problème sera accentué par l'absence d'autorisation préalable du procureur. On a bien vu en Italie que la technique des « repentis » a été utilisée pour désintégrer les pôles judiciaires.

M. le Rapporteur - Ne mélangeons pas les procédures. De toute façon, plus la loi sera silencieuse, plus nous aurons de contentieux. Le fait que des dispositions précises figurent dans la loi constitue une protection.

M. le Garde des Sceaux - Le fait que le parquet doive habiliter l'OPJ est une nouveauté introduite par ce projet. On ne confiera les opérations d'infiltration qu'à des personnes ayant une solide expérience et un grand professionnalisme, en lesquelles tant la hiérarchie policière que le parquet auront toute confiance.

L'amendement 347 est retiré.

Les amendements 289 et 614, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Rapporteur - L'amendement 49 apporte une clarification rédactionnelle.

L'amendement 49, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Notre amendement 288 corrigé tend à supprimer les articles 706-83 à 706-87.

M. Noël Mamère - L'amendement 655 corrigé est identique.

Les amendements 288 corrigé et 655 corrigé, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Thierry Mariani - Mon amendement 425 tend à ne pas donner un caractère juridictionnel aux dispositions de l'article 706-83, en les rendant ainsi non susceptibles de recours. Accepter de faire de ces formalités des causes de nullité reviendra en pratique à annuler des dossiers entiers plusieurs mois, voire années, après le début des opérations.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

Dans le cas d'enquête de flagrance ou d'enquête préliminaire, le recours n'est déjà pas possible. Par ailleurs, le fait de voter un tel amendement fragiliserait l'ensemble du dispositif : lorsque le législateur pointe ce qui peut faire l'objet d'une nullité, il montre a contrario que le reste ne le peut pas.

M. le Garde des Sceaux - Même avis.

L'amendement 425 est retiré.

M. le Rapporteur - L'amendement 50 rectifié de la commission précise que l'identité d'emprunt des agents infiltrés ne figure pas dans l'autorisation délivrée par le juge.

L'amendement 50 rectifié, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 51 tend à supprimer le dernier alinéa de l'article 706-83. La commission souhaite entendre la position du Gouvernement à ce sujet.

M. Gilbert Gantier - L'amendement 350 a le même objet, mais j'attends moi aussi de connaître l'avis du Gouvernement.

M. le Garde des Sceaux - Il est défavorable. En effet, l'option fondamentale qui a été retenue - et qui est d'ailleurs consacrée dans la plupart des législations étrangères - est la transparence de l'opération d'infiltration. L'exigence d'une procédure ouverte se justifie notamment au regard des impératifs de l'entraide pénale internationale.

Les amendements 51 et 350 sont retirés.

M. Richard Mallié - Le projet ouvre explicitement la possibilité de réquisition de personnes qui ne sont ni officier de police judiciaire, ni agent des douanes, pour mener à bien les opérations d'infiltration mais il n'assure absolument pas la protection de l'identité et du rôle des personnes requises. Des gendarmes du GIGN ou des policiers du RAID, requis dans ce cadre, ne bénéficieraient pas de l'anonymat s'ils devaient être infiltrés. L'amendement 475 tend à parer à ce risque.

M. le Rapporteur - Cette disposition ne paraît pas utile. Avis défavorable.

M. le Garde des Sceaux - Rejet.

L'amendement 475, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 52 tend à mieux protéger les proches de l'agent infiltré, en renforçant les sanctions en cas de révélation de son identité.

L'amendement 52, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - La commission s'est efforcée de relayer la volonté du Gouvernement d'encadrer strictement le dispositif. Comme il peut arriver que l'exfiltration prenne un certain temps, nous proposons, par l'amendement 53, que le magistrat qui a autorisé l'opération d'infiltration soit informé au plus vite de la sortie du réseau et de l'achèvement de l'opération.

M. le Garde des Sceaux - Avis favorable.

L'amendement 53, mis aux voix, est adopté.

M. Gilbert Gantier - Notre amendement 346 relève du même esprit que celui de la commission. Il appartient au magistrat, selon nous, de fixer la durée de l'immunité pénale couvrant l'agent pendant l'opération.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Il est en effet difficile de prévoir le délai nécessaire à l'exfiltration.

M. le Garde des Sceaux - Même avis.

L'amendement 346, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Gilbert Gantier - Notre amendement 351 tend à supprimer la procédure de confrontation entre la personne mise en cause par l'agent infiltré et ce dernier, afin de garantir la sécurité de celui-ci.

M. le Rapporteur - Le Gouvernement a pris soin d'encadrer la confrontation. Celle-ci peut se révéler nécessaire, en particulier pour garantir l'exercice des droits de la défense et conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

M. le Garde des Sceaux - Il faut en effet maintenir la possibilité d'une confrontation. Il existe des moyens techniques pour préserver la sécurité de l'agent, qui restera anonyme pour la personne placée en face de lui, mais pas pour le magistrat.

L'amendement 351 est retiré.

M. le Rapporteur - Pour compléter la protection de l'agent infiltré, la commission, par l'amendement 54, propose de préciser que les questions posées à l'agent ne doivent pas avoir pour objet ni pour effet de révéler sa véritable identité.

L'amendement 54, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - Les amendements 55 de la commission, 19, 269 et 395 sont identiques.

M. le Rapporteur - Il s'agit de supprimer la disposition suivant laquelle une condamnation ne peut pas être prononcée sur le seul fondement des déclarations de l'agent infiltré. Cette disposition se conçoit s'agissant d'un témoin anonyme ou d'un repenti. Mais pour un officier de police judiciaire, dûment autorisé par un magistrat, c'est autre chose. En l'état actuel, si un OPJ déclare avoir vu jeter un corps à la mer, et que le corps n'est pas retrouvé, il serait impossible de poursuivre. Les amendements permettent de parer à cette difficulté.

M. Michel Vaxès - La suppression proposée ouvre la porte à beaucoup de problèmes. L'impossibilité de condamner sur la base des seules déclarations d'un agent infiltré, sans aucune preuve matérielle, constitue une garantie minimale. Supprimer celle-ci serait inacceptable.

J'avais défendu un amendement tendant à ce que la mission d'infiltration soit réservée à des fonctionnaires spécialisés, sous la surveillance d'un officier de police de haut niveau. Le rapporteur a rejeté ma proposition. Pourtant, le ministre a souligné la nécessité d'encadrer les activités des agents infiltrés, dont l'expérience doit être avérée. Je fais confiance à la justice, « sauf rares exceptions », comme l'a dit le ministre. Il en va de même à l'égard de la police.

Poursuivre sur de simples déclarations serait ouvrir une porte qui gagne à rester fermée.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Nous sommes confrontés à une vraie difficulté. L'infiltration n'a pas pour finalité d'écarter l'ensemble des éléments qui permettent de fonder une incrimination. L'infiltration ne consiste pas à aboutir à des affirmations. Elle sert à réunir des éléments matériels. Supprimer l'article 706-87 irait contre cette démarche, au profit de la seule déclaration.

L'OPJ doit savoir que sa mission d'infiltration doit conduire à rapporter des éléments matériels. C'est ce qui ressort de l'article 706-87, qui situe l'infiltration dans la démarche générale d'investigation. Il n'est pas imaginable qu'une infiltration de plusieurs mois ne débouche pas sur la réunion d'éléments matériels.

M. Xavier de Roux - Il faut faire confiance aux juges sur les moyens de preuve qu'ils retiennent pour condamner ou non. Introduire un surcroît de précisions conduirait à une interprétation restrictive du texte. L'OPJ infiltré réunira des éléments matériels et établira son procès-verbal. Ce faisant, il se dévoilera nécessairement. Laissons donc la situation ouverte. L'agent effectuera son dangereux travail, il réunira des preuves, il fera son rapport à sa hiérarchie et le magistrat appréciera dans le cadre du contradictoire.

M. Jean-Paul Garraud - Au-delà d'une certaine volonté de suspicion envers nos services de police (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), précisons que l'agent infiltré n'est pas tout seul. Il est entouré d'agents coordonnateurs et la hiérarchie policière est mobilisée. On n'est donc jamais en présence d'une démarche purement individuelle. Il s'agit d'un travail collectif de l'ensemble de la police. Ou bien soupçonneriez-vous toute la hiérarchie policière ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Cette imputation est insupportable ! Nous avons travaillé en commission et accompagné le plus possible le rapporteur.

Je voudrais ne pas être taxé de suspicion chaque fois que nous réfléchissons aux modalités d'intervention des forces de police, c'est insupportable ! Je n'exprime aucune suspicion à l'égard des forces de police, pas plus qu'à l'égard du Parquet. Nous ne voulons que participer le mieux possible au travail commun sur la criminalité organisée, qu'on nous rende cette justice ! Je n'ai fait que rappeler la manière dont une enquête préliminaire doit être conduite : elle doit déboucher sur des éléments matériels, c'est pour cela que notre code pénal ne considère pas l'aveu comme un élément suffisant. Excusez ma véhémence, mais nous avons encore à travailler sur ces sujets très importants.

M. Jean-Pierre Blazy - Très bien !

M. Noël Mamère - Députés de gauche comme de droite sont ici pour construire un Etat de droit. Ce n'est pas parce que nous évoquons les dérives qui pourraient découler des failles du texte que nous devons être accusés de jeter l'opprobre sur les forces de police !

Le texte s'écarte de la culture juridique française. En se fondant sur l'aveu, il préfigure une américanisation de notre justice. L'amendement du rapporteur ne peut être isolé de ce qui vient d'être introduit dans le texte sur les repentis, et si la justice demain se fonde sur ce que disent un agent infiltré ou un repenti, ce sera un recul du droit. Nous ne pouvons examiner cet amendement sans nous reporter à l'économie générale du projet et, en découpant le texte en tranches, nous risquons de cautionner des nouveautés qui deviendront dangereuses. D'où mon amendement 646, qui complète l'article.

M. le Garde des Sceaux - Je comprends le souci de la commission et je m'en remettrai donc à la sagesse de l'Assemblée. Le texte peut très bien se concevoir sans l'alinéa supprimé par cet amendement.

M. le Rapporteur - La commission ne peut pas être taxée d'avoir détruit l'équilibre du texte alors qu'elle a proposé le renforcement du contrôle du magistrat. Elle veut simplement aboutir aux dispositions les plus opérationnelles. Par ailleurs, cet amendement ne s'écarte pas de l'esprit du droit français. Au contraire, il y revient ! Supprimer cet alinéa permet en effet de retourner aux règles habituelles de preuve et à l'intime conviction du magistrat, qui considérera tous les éléments qui sont à sa disposition.

Enfin, l'intérêt de l'agent infiltré est d'avoir un maximum de preuves autres que son propre témoignage ! Plus il réunit d'éléments matériels, moins il sera obligé de témoigner et donc de se mettre en danger. Si nous ne votons pas cet amendement, nous risquons d'être totalement démunis en cas de problème. Je crois qu'il s'agit d'une solution de sagesse et que l'Assemblée peut s'y rallier en toute sécurité.

Les amendements 55, 19, 269 et 395, mis aux voix, sont adoptés.

M. le Président - L'amendement 646 tombe.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - L'article 706-88 étend la garde à vue à quatre jours. La technique de la garde à vue présente des aspects très complexes, personne ne le nie. Sa prolongation nous semble, en l'occurrence, injustifiée compte tenu de l'ensemble du dispositif qui est mis en place.

Lorsqu'une enquête a abouti à un nombre d'éléments substantiel, elle bascule de la surveillance à l'intervention judiciaire. C'est la mise en garde à vue qui déclenche le processus judiciaire. On peut donc considérer qu'à ce stade les services de police ont réuni les éléments constitutifs d'une incrimination, d'autant plus que le texte leur donne, en matière de criminalité organisée, des moyens exorbitants du droit commun. Il s'agit de crimes et de délits complexes à propos desquels le Garde des Sceaux a rappelé hier l'importance de l'instruction. La prolongation de la garde à vue n'est pas justifiée, car on sait que le dossier, constitué selon une procédure extraordinaire, avec des moyens extraordinaires, débouchera quasi automatiquement sur l'ouverture d'une instruction.

La prolongation de la garde à vue, telle qu'elle existe en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants peut, elle, se justifier, car les moyens d'investigation ne sont pas comparables. Pour ce texte, il convient d'en rester à la phase strictement nécessaire au procureur pour décider des suites de l'action publique. J'ajoute que la prolongation de la garde à vue pose un problème matériel : le ministre de l'intérieur et le Garde des Sceaux se sont eux-mêmes émus des conditions indignes dans lesquelles celle-ci s'effectue, et qui pourraient conduire à ce que la France soit à nouveau condamnée par les juridictions internationales. Vous me répondrez certes qu'en matière de criminalité organisée, on utilisera la technique des pôles regroupés, mais les conditions de garde à vue ne sont pas meilleures ! Les syndicats de police se sont fortement inquiétés de ces problèmes matériels au cours des auditions. Nous proposons donc, par l'amendement 290, de supprimer cette disposition.

M. Noël Mamère - L'amendement 647 a le même objectif. Les policiers nous ont dit qu'ils auraient beaucoup de mal à assurer la garde à vue de quatre jours, car les lieux de rétention sont engorgés. Par ailleurs, le texte ne donne aucune garantie en matière de temps de repos ou d'alimentation... Il ouvre donc la porte à des risques de traitements dégradants, qui pourraient nous faire condamner par la Cour de justice européenne. Enfin, la prolongation de la garde à vue va à rebours de l'évolution de la procédure pénale. Il s'agirait en fait d'un véritable archaïsme. Les enquêtes policières modernes sont fondées sur le recherche de la preuve scientifique, et cette garde à vue de quatre jours ne servirait qu'à introduire des moyens de nullité procédurale qui entraveront la recherche de la vérité. Elle n'est pas compatible avec le désir de rendre nos procédures conformes aux droits de l'homme et d'éviter des embarras à la police.

M. Michel Vaxès - Notre amendement 584 supprime également l'article. Ce nouveau régime dérogatoire sera applicable à un grand nombre d'infractions. Il portera à quatre les types de rétention possible et se combinera avec d'autres régimes dérogatoires, tels ceux qui s'appliquent au terrorisme ou au trafic de stupéfiants. Il sera donc source de complexité et de nullités procédurales. La lisibilité du droit et la sécurité juridique seront compromises.

Une telle durée de garde à vue s'apparente à une pré-détention provisoire plus qu'elle ne répond à la nécessité impérieuse de maintenir quelqu'un à portée de vue. Le juge d'instruction pourra-t-il ne pas mettre en examen une personne contre laquelle il existe des indices graves et concordants, et poursuivre l'interrogatoire hors la présence de l'avocat, pendant 48 ou 72 heures ?

S'il existe des indices suffisamment graves, plutôt que de prolonger la garde à vue, mieux vaut procéder à une mise en examen qui offre plus de garanties à la défense.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

M. le Garde des Sceaux - Le sujet est grave, puisqu'il s'agit de la liberté des personnes. Mais pour démanteler les réseaux criminels, il faut pouvoir prolonger les gardes à vue le temps de l'enquête. Ces décisions de prolongation seront prises par un magistrat du siège, ce qui garantit le respect des libertés individuelles. D'autre part, cette durée est déjà pratiquée en Grande-Bretagne, pays qui n'a pas la réputation d'attenter aux libertés.

M. Jean-Paul Garraud - M. Le Bouillonnec est favorable à une prolongation de détention en cas de trafic de stupéfiants, mais pas à une prolongation de garde à vue pour des infractions encore plus graves comme le meurtre en bande organisée, la torture, la traite des êtres humains. Cette logique m'échappe.

Les amendements 290, 647 et 584, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Thierry Mariani - Les amendements 426, 427, 428 et 429 sont défendus.

M. le Rapporteur - Avis défavorable, pour conserver l'équilibre du texte.

M. le Garde des Sceaux - Même avis.

M. Thierry Mariani - Je retire l'amendement 426.

L'amendement 407 de M. Estrosi est défendu.

M. le Rapporteur - Sur ce même sujet, la commission a adopté l'amendement 56. Si le texte est voté, nous aurons en effet cinq régimes différents de garde à vue. Une simplification s'impose. Nous voulons revenir à trois régimes, tout en respectant la volonté du Gouvernement de permettre la présence de l'avocat dès la première heure pour les délits de criminalité organisée. Pour ce faire, nous proposons de reclasser les infractions qui entrent aujourd'hui dans le champ d'application de l'article 63-4, avec intervention de l'avocat à la 36e heure. Les infractions les moins graves seront ramenées dans le régime commun de la garde à vue, soit 24 heures avec une prolongation possible, et présence de l'avocat dès la première heure. Pour les infractions les plus graves, telles que le proxénétisme aggravé, l'extorsion de fonds ayant entraîné la mort et la séquestration commise en bande organisée, s'appliqueront les modalités de garde à vue qui sont actuellement prévues en cas de trafic de stupéfiants, l'intervention de l'avocat étant alors reportée à la 72e heure.

Cet amendement est perfectible au cours du travail parlementaire, si l'on estime que telle ou telle infraction doit changer de catégorie. Mais il est souhaitable de nous accorder sur le principe de trois systèmes de garde à vue.

M. le Garde des Sceaux - Il faut pouvoir prolonger la garde à vue lorsque policiers et magistrats en ont besoin pour faire leur travail. Mais l'existence de cinq régimes différents poserait effectivement problème. L'amendement 56 apporte une simplification. Sur le passage de deux à une autorisation de prolongation par le magistrat, je demeure réservé, car il y a un risque d'inconstitutionnalité. Il serait souhaitable de l'écarter au cours de la navette. D'autre part, l'amendement opère un nouveau classement des types d'infraction ; pour celles qui autorisaient l'intervention de l'avocat à la 36e heure, cette intervention aurait lieu désormais à la première heure dans certains cas, à la 72e heure dans d'autres. Sur ce point, je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée. Je fais de toute façon observer que dans tous les cas où l'avocat pouvait intervenir dès la première heure, cette possibilité est maintenue.

Je m'en remets également à la sagesse de l'Assemblée sur l'amendement de complément 58 rectifié.

M. André Vallini - Nous nous réjouissons d'entendre le ministre défendre la présence de l'avocat dès la première heure. Lors du débat sur la présomption d'innocence, l'actuelle majorité avait une autre attitude. Mais il n'est jamais trop tard pour bien faire.

Quant à l'amendement 56, l'idée de simplifier les régimes de garde à vue est bonne. Mais la complexité de l'exposé de M. Warsmann nécessite que nous nous reportions au texte écrit. Pour le moment, nous nous abstiendrons donc.

M. Gérard Léonard - L'amendement 407 est retiré.

L'amendement 56, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 57 est de précision.

L'amendement 57, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 58 rectifié est de conséquence.

L'amendement 58 rectifié, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - M. Mariani a déjà défendu l'amendement 427.

L'amendement 427, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Blazy - L'amendement 291 supprime la mention de visites domiciliaires. En l'absence d'encadrement suffisant de la procédure de perquisition, il est imprudent d'étendre les possibilités d'atteinte à la protection du domicile.

M. Noël Mamère - L'amendement 648 est identique. Avec cette disposition, nous avons une preuve supplémentaire de ce qu'un texte concernant la justice est subordonné à un autre texte, voté en juillet 2002, accordant encore plus de pouvoir à la police.

Les amendements 291 et 648, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Michel Vaxès - Le Conseil constitutionnel considère que l'inviolabilité du domicile relève de la liberté individuelle et que sa sauvegarde doit être confiée à l'autorité judiciaire.

Les perquisitions doivent donc être strictement encadrées. Or, votre texte prévoit la possibilité de les généraliser, puisqu'elles pourront avoir lieu dans le cadre d'une enquête préliminaire et de flagrance relative à l'une des infractions entrant dans le champ d'application de l'article 706-73. Elles pourront avoir lieu, de plus, en l'absence de la personne et sans son assentiment. L'amendement 585 vise donc à supprimer l'article. A défaut, on pourrait le modifier comme le proposera l'amendement 649 de M. Mamère.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

Les perquisitions seront très strictement encadrées et limitées. Le texte reprend le dispositif de la perquisition préliminaire sans l'assentiment de la personne, voté sous la précédente législature, en novembre 2001, dans le cadre de la loi sur la sécurité quotidienne.

M. Noël Mamère - Les Verts avaient voté contre cette loi. Elle a ouvert la voie aux lois Sarkozy puis aux dispositions proposées aujourd'hui, qui étendent les pouvoirs de la police contre les droits du justiciable.

L'amendement 585, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 428 est retiré.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - L'amendement 292 propose de compléter le premier aliéna de l'article 706-90 par les mots : « mais sous réserve de sa présence ».

M. Noël Mamère - L'amendement 649 est identique.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Dans de nombreuses situations la présence de la personne ne peut être acquise.

Les amendements 292 et 649, repoussés par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Jean-Pierre Blazy - L'amendement 293 est de conséquence. Nous considérons que l'encadrement de la procédure des perquisitions est insuffisant.

M. Noël Mamère - L'amendement 636 est identique.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Le texte du Gouvernement suffit.

Les amendements 293 et 636, repoussés par le Gouvernement et mis aux voix, ne sont pas adoptés.

L'amendement 429 est retiré.

M. Gilbert Gantier - L'amendement 349 a pour objet de permettre, dans des cas exceptionnels, des perquisitions de nuit. Il propose, à la fin du premier alinéa de l'article 706-91, de supprimer les mots : « , lorsque ces opérations ne concernent pas des locaux d'habitation ».

M. le Rapporteur - Avis défavorable, même si je comprends le souci de notre collègue, d'autant plus que la distinction est ténue entre « locaux d'habitation » et locaux où s'organisent des trafics. Mais nous voulons respecter l'équilibre du texte gouvernemental et les principes posés par le Conseil constitutionnel, notamment dans sa décision de 1996 relative au terrorisme.

M. le Garde des Sceaux - Même avis.

L'amendement 349 est retiré.

L'amendement 430 est retiré.

M. le Rapporteur - La commission a adopté l'amendement 59 de M. Vallini.

M. André Vallini - Cet amendement insère, dans la première phrase du premier alinéa de l'article 706-92, les mots : « et de droit » après les mots « éléments de fait ».

L'amendement 59, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - La commission a adopté l'amendement 60 de M. Mariani.

M. Thierry Mariani - Cet amendement supprime les mots « à lui seul », dans le dernier alinéa de l'article 706-93.

Cette expression risque d'être une source de conflits de jurisprudence plus qu'une précision. D'autre part, il s'agit de réaffirmer que, lors d'une perquisition ayant pour objet de découvrir les infractions spécifiées par un magistrat, les infractions autres qui peuvent être découvertes doivent être poursuivies.

L'amendement 60, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Thierry Mariani - L'amendement 431 a été défendu.

M. le Rapporteur - Défavorable.

M. le Garde des Sceaux - Même avis.

L'amendement 431 est retiré.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - L'amendement 294 propose, dans le premier alinéa de l'article 706-95, de subsister aux mots « paraît devoir être évité » les mots « doit être évité ».

Nous souhaitons que l'accord préalable soit donné par le juge de la liberté et de la détention, saisi par le procureur ou le juge d'instruction.

M. Noël Mamère - Mon amendement 650 a le même objet, ainsi que les amendements 651 et 652. Je suppose que M. le rapporteur ne peut qu'être d'accord pour prévenir les éventuelles dérives d'une justice d'exception.

M. le Rapporteur - Le rapporteur est pragmatique et il approuve le pragmatisme du projet. Avis défavorable.

L'amendement 294, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté non plus que les amendements 650, 651 et 652.

M. André Vallini - L'amendement 295 complète le premier alinéa de l'article 706-95 par les mots : « ou d'un avocat désigné par lui ».

M. le Rapporteur - Le code de procédure pénale prévoit déjà la présence de deux témoins. Avis défavorable.

L'amendement 295, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Thierry Mariani - L'amendement 432 est défendu et retiré.

M. le Rapporteur - L'amendement 534 est rédactionnel.

L'amendement 534, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Thierry Mariani - Les amendements 414 et 433 sont défendus.

Les amendements 414 et 433, repoussés par la commission et le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Noël Mamère - L'amendement 638 propose dans le deuxième alinéa de l'article 706-96, de substituer aux mots : « procureur de la République » les mots : « juge des libertés et de la détention saisi par le procureur de la République ». En conséquence, nous proposons, à la fin de ce même alinéa, de substituer au mot : « magistrat » le mot : « dernier ».

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - L'amendement 296 corrigé est analogue.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Le juge de la liberté et de la détention peut autoriser des écoutes, mais c'est le procureur qui les dirige. Chacun doit rester dans son rôle.

Les amendements 638 et 296 corrigé, repoussés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Thierry Mariani - L'amendement 412 propose, dans le dernier alinéa de l'article 706-96, de substituer aux mots : « sans délai » les mots : « dans les meilleurs délais », ce qui permettra d'éviter que les enquêtes ne continuent à être entachées de vices de procédure.

L'amendement 412, accepté par la commission et le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - Les écoutes téléphoniques, dans certaines enquêtes liées à la criminalité organisée, ont parfois des effets limités. Il en est ainsi avec les téléphones portables où des changements de puces rendent le suivi complexe.

L'amendement 62 propose de rendre possible la sonorisation dans certains lieux, dans des cas très graves et limités, et sous la responsabilité du juge d'instruction. La plupart des pays développés utilisent ce type de moyens. La France est d'ailleurs régulièrement sollicitée par ses voisins qui ne peuvent poursuivre l'écoute lorsque le véhicule sonorisé a passé la frontière française.

Le dispositif renforce la transparence et les droits de la défense. Nous l'avons encadré autant que faire se peut. Bref, il répond bien à la volonté d'adapter notre justice aux évolutions de la criminalité.

M. le Garde des Sceaux - J'avoue quelque hésitation. La note d'orientation de décembre dernier avait envisagé ce type de dispositif, qui a ensuite été retiré du texte. Il est vrai que nous n'avions pas prévu à l'origine d'énumération limitative des cas où les moyens de procédure exceptionnels peuvent être utilisés. L'amendement restreint aux cas les plus graves, c'est-à-dire les atteintes aux personnes dans le cadre de la criminalité organisée, l'autorisation de mettre ces mesures en place.

L'Assemblée doit cependant être consciente de leur caractère très intrusif et potentiellement attentatoire aux libertés publiques. Je m'en remets donc à votre sagesse, en espérant que la réflexion se poursuivra au cours de la navette. C'est d'ailleurs dans cet esprit que le Gouvernement n'a pas demandé l'urgence. Je suis évidemment soucieux de permettre un suivi des enquêtes à un niveau international et il est vrai que la plupart des grandes démocraties, Grande-Bretagne, Allemagne, Etats-Unis, disposent déjà de telles possibilités.

M. Noël Mamère - Une fois n'est pas coutume : je suis pleinement d'accord avec le Garde des Sceaux. Ce n'est d'ailleurs pas parce que d'autres pays démocratiques ont adopté ces dispositifs que nous devons les imiter. Votre définition de la bande organisée est trop floue pour ne pas ouvrir la porte à des atteintes aux libertés individuelles. J'aurais aimé que le Garde des Sceaux dise nettement son opposition : c'est lui qui présente ce projet.

L'amendement 62, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - Les amendements 6 et 397 tombent.

M. Thierry Mariani - Les amendements 24 corrigé, 273 et 391 corrigé sont défendus.

M. le Rapporteur - Défavorable, non pas sur le fond mais parce qu'ils ne sont pas à leur place dans le texte.

Les amendements 24 corrigé, 273 et 391 corrigé, repoussés par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Rapporteur - La commission a adopté l'amendement 63 à l'initiative de M. Mariani.

M. Thierry Mariani - Même dans les cas de criminalité et de délinquance organisées, il y a des victimes, dont il faut renforcer les droits. L'amendement 63 prévoit donc que les biens saisis à titre conservatoire aux délinquants et criminels organisés servent non seulement à garantir le paiement des amendes et l'exécution des confiscations, mais aussi à garantir l'indemnisation des victimes.

M. le Rapporteur - Excellente mesure.

M. le Garde des Sceaux - Sagesse.

L'amendement 63, mis aux voix, est adopté.

M. Jean-Paul Garraud - Qui peut ordonner des mesures conservatoires lorsqu'une information est déjà ouverte ? Le texte prévoit la saisine du juge des libertés et de la détention et non celle du juge d'instruction, ce qui alourdit toujours la procédure et pose des problèmes d'intendance aux juridictions. Par l'amendement 340, je propose donc que le juge d'instruction saisi de l'affaire puisse aussi statuer sur les mesures conservatoires.

M. le Rapporteur - Je comprends bien l'intention de notre collègue. Avis défavorable cependant. S'agissant de telles mesures, la tradition française a toujours exigé l'intervention d'un autre magistrat - avant le juge de la détention et des libertés, c'était le président du tribunal de grande instance.

L'amendement 340, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 64 est rédactionnel.

L'amendement 64, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Thierry Mariani - Le texte ouvre au juge des libertés et de la détention la possibilité d'ordonner, dans les cas de criminalité et de délinquance organisée les plus graves, des mesures conservatoires sur les biens de la personne mise en examen.

Afin de parer aux éventuelles dissimulations, l'amendement 415 étend cette possibilité aux biens sur lesquels la personne en cause exerce une possession ou une gérance de fait.

M. le Rapporteur - Défavorable. La rédaction proposée serait source de contentieux.

L'amendement 415, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - L'amendement 297 s'inscrit dans la ligne des critiques que nous avons exprimées hier. Il est rarissime que le code de procédure pénale ne prévoie pas l'annulation d'une procédure diligentée à tort. Or, l'article 706-99 nouveau dispose que, lorsque la circonstance aggravante de bande organisée n'est pas retenue à l'issue de la procédure, les actes de celle-ci ne sont pas annulés. Si cette précision est apportée, c'est parce que la situation se produira, et l'article justifie pleinement nos craintes. Selon nous, en effet, la définition du crime organisé est insuffisante : elle se fonde sur celle du code pénal qui exprime une circonstance aggravante, et non un fait matériel. Les services de police ou le procureur pourront ainsi sur la seule conviction de l'existence d'une bande organisée, initier des investigations en utilisant l'arsenal juridique exorbitant du droit commun que nous mettons en place. Et les actes resteront valables même si cette conviction se révèle infondée au terme de la procédure ! C'est une aberration. Nous souhaitons donc renverser le sens de l'article en précisant au contraire que, lorsque la formation de jugement ne retient pas la circonstance aggravante de bande organisée, tous les actes sont frappés de nullité. Autrement, vous ouvrez la porte au blanchiment jurisprudentiel, puisque l'interrogation d'origine du parquet ou des services de police sera de toute façon validée a posteriori.

L'amendement 374 est de repli : la nullité des actes ne serait pas acquise si la circonstance de bande organisée paraissait manifestement caractérisée à l'origine.

M. Noël Mamère - L'amendement 637 est identique à l'amendement 297.

M. le Rapporteur - Autant la commission entend garantir l'équilibre de la procédure, autant ces amendements font exactement l'inverse. On ne peut accepter de voir ainsi s'effondrer tout le travail de la police, de la gendarmerie et de la justice. Ne leur imposons pas cette épée de Damoclès, qui aboutirait à des résultats scandaleux.

L'article du Gouvernement se justifie par l'exigence de sécurité juridique que l'amendement 65 entend clairement consolider. Je vous invite à l'adopter et à rejeter les trois autres.

M. le Garde des Sceaux - Avis défavorable aux trois premiers amendements et favorable à celui de la commission.

M. Jean-Paul Garraud - Seule la juridiction de jugement apprécie, en fin de parcours, la qualification juridique des faits. Si nous suivions nos collègues de l'opposition, dans le cas d'une affaire examinée au départ comme un assassinat et pour laquelle la préméditation ne serait en fin de compte pas retenue par la cour d'assises, qui retiendrait donc la qualification de « simple » meurtre, toute la procédure serait annulée, alors qu'il y a eu mort d'homme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Tout le problème vient, dans le sujet qui nous occupe, de ce que nous introduisons des règles de procédure dérogatoires. Habituellement, on laisse la Cour de cassation dire si le non-respect de telle ou telle règle de procédure constitue ou non une atteinte à un principe fondamental qui implique une nullité. Si vous jugez nécessaire ici de préciser les choses, c'est bien que le problème se pose. Mais à nos yeux, il faut les préciser dans le sens contraire.

Les amendements 297 et 637, mis aux voix, ne sont pas adoptés, non plus que l'amendement 374.

L'amendement 65, mis aux voix, est adopté.

M. Thierry Mariani - Par l'amendement 434, il s'agit de supprimer l'article 706-100 car il semble impensable qu'une personne placée en garde à vue pour des faits relevant de la criminalité ou de la délinquance organisées puisse avoir accès à la totalité du dossier.

M. le Rapporteur - Avis défavorable car cet article participe de l'équilibre du texte.

M. le Garde des Sceaux - Même avis. En revanche, le Gouvernement sera favorable à la réécriture proposée par la commission des lois, qui apporte les clarifications nécessaires.

L'amendement 434 est retiré.

M. le Rapporteur - Dans la rédaction proposée par le Gouvernement, l'article 706-100 permet à la personne qui a été placée en garde à vue, de demander, six mois après, la communication du dossier de la procédure à son avocat. La commission propose par son amendement 66 de préciser le dispositif en distinguant plusieurs cas.

Lorsque le procureur de la République a décidé de classer l'affaire en ce qui concerne la personne, il l'informe dans les deux mois suivant la réception de sa demande.

Lorsque le procureur de la République décide de poursuivre l'enquête préliminaire et qu'il envisage de procéder à une nouvelle audition de la personne, celle-ci est informée, dans les deux mois suivant la réception de sa demande, qu'elle peut demander qu'un avocat puisse consulter le dossier de la procédure. Le dossier est alors mis à la disposition de l'avocat au plus tard dans un délai de quinze jours à compter de la demande et avant, le cas échéant, toute nouvelle audition de la personne.

Dans les autres cas, le procureur de la République n'est pas tenu de répondre à la personne.

Cet équilibre devrait donner satisfaction aux auteurs de l'amendement précédent.

L'amendement 66, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 67, adopté par la commission à l'initiative de M. Fenech, est rédactionnel.

L'amendement 67, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Thierry Mariani - Mon amendement 68 rectifié, que la commission des lois a adopté, a pour but de donner enfin un fondement légal à la rémunération des indicateurs utilisés par la police et la gendarmerie.

En droit, le régime que je propose n'est pas une nouveauté : il s'applique déjà aux « aviseurs » ou « rapporteurs d'avis » des douanes. Il est également possible, dans certains services de police, de rémunérer les informateurs sur la base de fonds spéciaux, mais les montants versés sont dérisoires.

Cet amendement ne faisant qu'introduire une base légale, des précisions pourront être apportées par voie réglementaire.

M. le Rapporteur - La commission souhaiterait une rédaction légèrement différente : après les mots « La part attribuée au Trésor dans les produits d'amendes et de confiscations », substituer aux mots « résultant d'affaires suivies à la requête des services de police ou des unités de gendarmerie » les mots « prononcées par les juridictions pénales ».

M. Thierry Mariani - Les juridictions pénales prononcent des amendes et confiscations dans des affaires suivies à la requête des services de police ou des unités de gendarmerie, mais aussi des services des douanes, de la direction générale des impôts ou encore de la répression des fraudes. L'essentiel étant néanmoins de régulariser enfin ces procédés, j'accepte ce sous-amendement.

M. Michel Vaxès - Le recours aux indicateurs est ancien. Aujourd'hui, ils fournissent généralement leurs informations en échange d'une certaine tolérance à l'égard de leurs propres activités. Leur rémunération pose une question de fond, et pour ma part je n'y vois que des inconvénients.

Nous allons voir se développer un marché de l'emploi des indicateurs, qui serait très malsain. S'agit-il de transposer la formule « nouveaux emplois, nouveaux services », que vous avez refusée pour la fonction publique ? Nous voterons résolument contre l'amendement dont je demande à nos collègues de bien mesurer la portée.

M. André Vallini - Nous ne voulons pas non plus de ces nouveaux chasseurs de primes (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Thierry Mariani - Nos collègues ne parviennent pas à sortir du monde de Walt Disney ! Dans la réalité, il arrive que de grosses affaires nécessitent d'obtenir des renseignements humains, ce qui risque de placer les policiers en situation délicate ; nous en connaissons des exemples. Adopter mon amendement leur permettrait de mieux travailler.

M. le Garde des Sceaux - Avis favorable.

Le sous-amendement de la commission, mis aux voix, est adopté.

M. le Garde des Sceaux - Le Gouvernement lève le gage de l'amendement.

L'amendement 68 rectifié, ainsi sous-amendé, mis aux voix, est adopté.

L'article premier modifié, mis aux voix, est adopté.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

NOMINATION D'UN DÉPUTÉ EN MISSION TEMPORAIRE

M. le Président - Le Premier ministre m'informe qu'il charge M. Emmanuel Hamelin, député du Rhône, d'une mission temporaire auprès du ministre de la jeunesse, du ministre de la culture et de la ministre déléguée à la recherche.

Prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures 15.

La séance est levée à 13 heures 15.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

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ERRATUM

au compte rendu analytique de la 3e séance du mardi 20 mai 2003.

Dans l'intervention de M. Ducout :

- page 7, 3e phrase, lire : « Pour ma part, c'est la conception... » (la suite sans changement) ;

- page 8, dernière phrase, lire : « Même dans les périodes de difficulté budgétaire et de baisse des impôts pour les plus favorisés, ... » (la suite sans changement).

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


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