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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 95ème jour de séance, 229ème séance

3ème SÉANCE DU JEUDI 5 JUIN 2003

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

DROIT D'ASILE (suite) 2

APRÈS L'ART. 3 2

ART. 4 2

ART. 5 4

ART. 6 4

ART. 7 5

APRÈS L'ART. 7 7

ART. 8 7

ART. 11 8

APRÈS L'ART. 12 8

ART. 13 9

APRÈS L'ART. 14 9

EXPLICATIONS DE VOTE 9

RAPPEL AU RÈGLEMENT 11

LOI DE PROGRAMME
POUR L'OUTRE-MER 11

QUESTION PRÉALABLE 24

ORDRE DU JOUR DU VENDREDI 6 JUIN 37

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

DROIT D'ASILE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile.

L'article 3, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 3

Mme Geneviève Colot - Dans le présent projet, l'OFPRA trouve une autorité nouvelle. Il publie un rapport annuel, mais il me semble intéressant d'en prévoir dans la loi la présentation au Président de la République et au Parlement.

M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission des lois - Défavorable.

M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - Le Gouvernement s'engage évidemment à informer la représentation nationale sur la mise en _uvre de cette loi, mais il n'est pas souhaitable d'inscrire une telle obligation dans le texte.

L'amendement 127, mis aux voix, n'est pas adopté.

ART. 4

M. Serge Blisko - Cet article, comme l'article premier, pose un vrai problème. Il y a des questions de formulation : nous les verrons à l'occasion des amendements. Mais si je me suis inscrit sur l'article, c'est en raison d'un propos tenu ce matin par le ministre des affaires étrangères, en réponse à l'exception d'irrecevabilité. Il a dit que l'Etat pourrait saisir la Commission des recours pour contester une décision de l'OFPRA favorable à l'étranger. Je n'ai pas bien compris son argumentation : il estime que ce droit est le corollaire du fait que le ministère de l'intérieur applique les décisions de l'OFPRA et de la Commission des recours. Je ne savais pas que l'application d'une décision, qui s'impose, avait pour corollaire le droit de la contester. Va-t-on donner à l'Etat, alors que la chose est jugée, que toute la chaîne du jugement a été parcourue, y compris l'appel et la cassation, le droit de dire qu'il n'est pas content et de former un recours supplémentaire ? Voilà qui sort de l'ordinaire. Je souhaite donc la suppression de cette disposition.

M. Etienne Pinte - Le projet de loi met fin à la représentation directe du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés au sein de la Commission des recours. L'exposé des motifs justifie ce changement comme conforme aux exigences de la souveraineté nationale, dès lors que la Commission aura souvent à statuer sur des cas de protection subsidiaire sans faire application d'une convention internationale.

Pourtant, dans sa décision du 5 mai 1998, le Conseil constitutionnel a déjà validé la présence d'un représentant du HCR dans la Commission des recours, par un raisonnement en deux temps. Tout d'abord, s'agissant de l'application de la convention de Genève, le Conseil indique que si, en principe, on ne saurait confier de fonctions juridictionnelles au représentant d'un organisme international, il peut être dérogé à ce principe dans la mesure nécessaire à la mise en _uvre d'un engagement international de la France, et sous réserve de ne pas porter atteinte aux conditions essentielles de la souveraineté. Pour le Conseil constitutionnel, compte tenu du caractère minoritaire de la présence du HCR au sein de la Commission des recours, elle ne porte pas atteinte à ces conditions essentielles.

Par ailleurs, le Conseil valide la présence du représentant du HCR quand la Commission statue sur l'asile constitutionnel, fondé non sur une convention internationale mais sur le quatrième choix du préambule de la Constitution de 1946. Pour le Conseil, les demandes d'asile conventionnel et constitutionnel ont un lien étroit : bien que présentées sur des fondements juridiques différents, elles requièrent un examen des mêmes circonstances de fait. Par suite, dans l'intérêt du demandeur comme d'une bonne administration de la justice, il est loisible au législateur d'unifier les procédures dont font l'objet ces deux types de demandes. Donc, même si la protection subsidiaire relève du seul droit national, le raisonnement du Conseil constitutionnel valide clairement le maintien d'une représentation directe du HCR dans la Commission des recours.

En effet, les demandes de protection conventionnelle et de protection subsidiaire ont des caractères comparables et les mêmes conséquences. Je souligne que, conformément à l'article premier du projet, chaque demande d'asile doit être examinée en premier lieu au regard de la convention de Genève, la protection subsidiaire n'étant accordée qu'aux personnes qui n'en remplissent pas les conditions, et peuvent cependant justifier de la réalité d'une menace. La première mission de l'OFPRA et de la Commission de recours reste donc l'application d'une convention internationale.

En outre, la protection subsidiaire, comme l'asile conventionnel, et contrairement à l'asile constitutionnel, est fondée principalement sur les obligations internationales de la France. Le projet crée un mécanisme national pour la mise en _uvre de ces obligations internationales, tout comme la loi du 25 juillet 1952 le faisait pour celle de la convention de Genève.

La première branche du raisonnement du Conseil constitutionnel suffit donc à valider la présence du HCR, sans même faire appel à la seconde. Le HCR, qui participe directement à la Commission des recours depuis cinquante ans, Monsieur le ministre, est le garant de l'application de la convention de Genève. Dans plusieurs pays européens, comme l'Allemagne, on observe une dérive dans l'examen du droit d'asile, due en grande partie à l'absence du HCR ; on privilégie progressivement la protection subsidiaire par rapport à la protection conventionnelle.

Enfin, à l'heure où la France promeut l'action de l'ONU, il serait incompréhensible de marginaliser le HCR. Pour toutes ces raisons, contrairement à l'interprétation du Gouvernement, j'estime, sur le plan juridique, que le Haut Commissariat peut être représentés ès qualités au sein de la Commission, sous réserve que son représentant soit Français - j'entends accepter sur ce point les conditions posées par le Gouvernement. Et j'admets que sa nomination puisse être validée par le vice-président du Conseil d'Etat.

M. le Rapporteur - L'amendement 28 de la commission remplace le Garde des Sceaux par le premier président de la Cour de cassation pour la nomination des magistrats judiciaires membres de la Commission des recours.

M. Serge Blisko - Notre amendement 84 est identique.

M. le Ministre délégué - Cet amendement m'embarrasse, car le premier président de la Cour de cassation n'a pas de pouvoirs de gestion administrative sur les magistrats des juridictions qu'il contrôle - contrairement au vice-président du Conseil d'Etat et au premier président de la Cour des comptes. Défavorable.

Les amendements 28 et 84, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Serge Blisko - L'amendement 12 est défendu.

M. Etienne Pinte - Mon amendement 130 tend à assurer la représentation directe du HCR au sein de la Commission des recours des réfugiés, solution conforme au raisonnement du Conseil constitutionnel. Je propose donc de rédiger ainsi le 2° de cet article : « 2° - un représentant du Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, de nationalité française, nommé par le Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés sur avis conforme du vice-président du Conseil d'Etat ».

Cette formulation convient parfaitement au HCR, que j'ai consulté.

M. le Rapporteur - Du fait de la compétence de la Commission en matière de protection subsidiaire, il paraît difficile, eu égard aux exigences constitutionnelles, qu'une organisation internationale y soit directement représentée. Il est néanmoins souhaitable de reconnaître au HCR un rôle suffisamment important. La commission propose donc par son amendement 128 la formule suivante : « 2° - une personnalité qualifiée de nationalité française, nommée par le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés sur avis conforme du vice-président du Conseil d'Etat ; »

M. le Ministre délégué - Nous sommes d'accord sur le fond avec M. Pinte, mais la nomination directe qu'il propose présente un risque d'inconstitutionnalité. Le Gouvernement préfère donc l'amendement de la commission.

M. Etienne Pinte - J'ai démontré qu'il n'y avait aucun risque sur le plan constitutionnel. Le HCR a lui-même écrit qu'après l'adoption de la loi, il « appréciera les modalités de sa participation dans le processus d'examen des demandes d'asile » : cela signifie bien qu'il souhaite être représenté ès qualités.

Les amendements 12 et 130, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

L'amendement 128, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 29 est de précision.

L'amendement 29, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Serge Blisko - L'amendement 13 rectifié est défendu.

L'amendement 13 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Serge Blisko - L'amendement 14 est défendu.

L'amendement 14, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 30 est défendu.

L'amendement 30, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 4 modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 5

M. le Rapporteur - L'amendement 31 tend à supprimer cet article, qui est inutile.

L'amendement 31, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté, et l'article 5 est ainsi supprimé.

ART. 6

M. Serge Blisko - Notre amendement 15 tend à supprimer du projet la notion de « pays d'origine sûr », qui introduit des inégalités de traitement fondées sur la nationalité. Celles-ci sont contraires à l'article 3 de la convention de Genève, et en réduisant singulièrement l'effectivité du droit d'asile en France, elles méconnaissent le préambule de 1946.

L'amendement 15, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Eric Raoult - Je retire l'amendement 1 que j'avais déposé au nom de la commission des affaires étrangères, l'amendement 25, 2e correction, de la commission des lois répondant à nos préoccupations.

M. Serge Blisko - L'amendement 16 corrigé est défendu.

M. le Ministre délégué - L'amendement 18 rectifié est défendu. Contre l'amendement 16 corrigé.

M. le Rapporteur - Avis défavorable à l'amendement 16 corrigé et favorable à l'amendement 18 rectifié.

M. Christophe Caresche - Le Gouvernement aurait quand même pu présenter son amendement, qui n'a rien d'anecdotique...

L'amendement 16 corrigé, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 18 rectifié, mis aux voix, est adopté.

L'article 6 modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 7

M. Etienne Pinte - Une des raisons principales de la durée excessive des procédures d'asile est le retard pris par les préfectures, allant de plusieurs mois à un an, pour délivrer aux demandeurs le document dont ils ont besoin pour saisir l'OFPRA de leur demande. Ensuite, l'Office lui-même prend parfois plusieurs mois pour enregistrer celle-ci avant de délivrer au demandeur le document qui lui permet de renouveler son autorisation de séjour.

Ces retards accumulés ont des effets dramatiques sur la situation économique des demandeurs, qui ne reçoivent aucune aide de l'Etat jusqu'à ce que l'OFPRA ait enregistré leur demande.

Il est donc nécessaire de fixer dans la loi des délais impératifs pour ces procédures, au lieu de renvoyer cette question à des décrets en Conseil d'Etat, au contenu incertain.

Tel est l'objet de mon amendement 68.

M. Christophe Caresche - Nous soutenons cet amendement, même si l'on nous dira encore que ce n'est pas du domaine législatif. En fixant des délais, donc une obligation de résultat, il pose en effet la question des moyens, qui doivent être bien plus importants si l'on veut sortir de la situation actuelle.

M. le Rapporteur - M. Pinte a raison sur le fond, mais effectivement, il faut renvoyer cette disposition au décret. Nous n'améliorerons pas la situation sans moyens supplémentaires, le ministre a bien compris le message. Défavorable.

M. le Ministre délégué - Je suis tout à fait d'accord avec l'objectif, mais c'est effectivement de nature réglementaire. Défavorable.

L'amendement 68, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Gilbert Gantier - L'amendement 96 prévoit la délivrance d'un document unique de séjour afin d'éviter les allers-retours entre les préfets et l'OFPRA. Il est également nécessaire de donner aux services préfectoraux un délai maximum pour se prononcer.

L'amendement 96, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Serge Blisko - L'amendement 86 est défendu.

M. le Rapporteur - Défavorable, la disposition est réglementaire.

M. le Ministre délégué - Défavorable pour la même raison.

L'amendement 86,mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Serge Blisko - L'amendement 85 est défendu. Depuis 1991, le demandeur d'asile n'a plus le droit de travailler en attendant le traitement de son dossier. On lui donne une allocation mensuelle de quelque 300 €. C'est le mettre sur le marché du travail au noir. Malgré le contexte économique difficile, refuser le droit au travail me semble présenter plus d'inconvénients que l'accorder. Nous accepterions l'amendement de repli de M. Pinte, mais en tout cas il faut réfléchir à cette question.

M. le Rapporteur - L'argument est fondé. Nous espérons que le raccourcissement des délais rendra le problème moins aigu. Surtout, il faut d'abord une harmonisation européenne. En effet, pourquoi les réfugiés de Sangatte voulaient-ils aller en Angleterre ? Parce qu'ils auraient le droit de travailler. L'harmonisation est nécessaire pour éviter des mouvements de demandeurs d'asile à l'intérieur de l'Union.

M. le Ministre délégué - J'ai déjà évoqué le droit au travail. Il faut y réfléchir. Mais une telle disposition n'a pas sa place dans ce texte. Défavorable.

M. Christophe Caresche - Dans ce cas, je ne sais pas où elle a sa place. Je comprends bien qu'il faut une harmonisation européenne pour éviter un appel d'air vers le pays qui donnerait le premier le droit au travail. Mais l'absence d'harmonisation ne vous pose pas problème quand il s'agit de l'asile interne ou de la notion de pays sûr. Vous utilisez cet argument à votre convenance !

L'amendement 85, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Etienne Pinte - Une fois de plus, Monsieur le rapporteur, quand la référence européenne arrange, on anticipe, quand elle n'arrange pas, on renvoie à la directive. Par ailleurs, Monsieur le ministre, je suis vraiment déçu de vous entendre dire que les aspects sociaux n'ont pas leur place dans le texte. Il est évident qu'ils l'ont. Mon amendement 109 prévoit qu'en l'absence de décision sur la demande d'asile dans le délai d'un an, le demandeur d'asile reçoit une autorisation provisoire de travail. En effet, au terme d'un an, l'allocation n'est plus versée. Donc ce sont les trafics, le travail clandestin. Que faites-vous de l'aspect humain ? Je veux bien qu'on attende une harmonisation européenne sur le droit au travail, mais au moins engagez-vous à maintenir l'allocation d'insertion pour ceux qui n'auraient toujours pas reçu de réponse au bout d'un an. C'est la moindre des choses.

M. le Rapporteur - Défavorable.

M. le Ministre délégué - Je suis désolé, Monsieur Pinte, de ne pouvoir aller dans votre sens. Cette préoccupation est réelle, mais le texte n'a pas essentiellement pour objet les aspects économiques et sociaux. Qu'ils existent, nous en sommes tous convaincus, et je confirme que le Gouvernement est disposé à en traiter, mais ailleurs que dans ce texte. Dans l'immédiat, je ne peux malheureusement pas faire davantage.

M. Serge Blisko - Ce n'est vraiment pas satisfaisant. Vous refusez le droit au travail que nous demandons. Mais combien restera-t-il de demandes non traitées au bout d'un an ? Si les délais sont aussi raccourcis que vous le dites, il en restera peu. Si l'Etat français n'est pas assez généreux pour maintenir une allocation aux quelques cas très difficiles pour lesquels une décision n'aura pas été prise, c'est lui qui les pousse dans le travail clandestin. Que peut faire une famille sans le sou au bout d'un an ? C'est vraiment une belle occasion de faire, à peu de frais, preuve de réalisme et d'humanité.

M. Etienne Pinte - Et d'un peu de générosité.

M. Pierre Cardo - Je n'ai pas suivi M. Pinte dans tous ses amendements. Mais si on laisse un demandeur sans réponse plus d'un an, il faut assumer notre responsabilité, et si ce n'est pas dans la loi sur le droit d'asile, où le fait-on ?

A propos de délai, quelle est la situation de l'enfant de demandeurs qui naît sur le territoire français, surtout si on leur refuse ensuite l'asile ? J'aimerais la réponse en deuxième lecture.

M. Serge Blisko - Nous nous associons à cette demande.

M. le Rapporteur - Voilà un sujet sur lequel il n'y a pas de clivage entre le Gouvernement et la commission, et même, si vous me le permettez, entre la gauche et la droite : le droit au travail pour les demandeurs en attente est un objectif louable. Mais nous croyons en l'efficacité de ce que nous allons voter. Pour moi, j'ai l'espoir, et même la quasi-certitude, que, grâce aux dispositions que nous adoptons aujourd'hui, la plupart des dossiers seront réglés avant un an. Pour ceux dont la situation ne serait pas stabilisée, il me paraît logique de prévoir un délai. Si, entre-temps, l'Union européenne a fixé une date au-delà de laquelle tous les Etats membres devront avoir reconnu le droit au travail, nous nous plierons à sa décision. Si celle-ci tarde, il conviendra de satisfaire la demande présentée par M. Pinte.

Cela étant, il est clair que notre objectif commun est de statuer rapidement, y compris dans l'intérêt de ceux qui seront déboutés car attendre quatre ans, c'est s'exposer à ce que ces personnes aient des enfants, qui seront Français, et donc à se retrouver devant une situation verrouillée. Et le problème sera le même si, ayant accordé le droit au travail le douzième mois, vous décidez d'expulser le mois suivant. Il faut donc régler vite le problème de ces personnes qui n'ont pas droit au statut de réfugié mais qui, pour des raisons familiales, médicales, financières ou techniques, ne peuvent être expulsées.

M. Etienne Pinte - J'ai dit que j'étais prêt à attendre que la Communauté harmonise la réglementation sur le droit au travail, et j'ai donc offert au Gouvernement une solution de substitution, consistant à maintenir le versement de l'allocation de subsistance au-delà d'un an, si le problème n'était pas réglé dans ce délai.

L'amendement 109, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Gilbert Gantier - Un étranger qu'on a refusé d'admettre sous prétexte qu'il vient d'un pays sûr peut néanmoins se trouver en danger dans cet Etat, parce qu'il appartient à une minorité : ainsi un Zapotèque ou un Tchétchène. Ne pourrait-on permettre à ces demandeurs d'asile de s'expliquer sur leur situation, au cours d'un entretien où ils pourraient se faire assister d'un conseil ou d'un traducteur ? Tel est le sens de l'amendement 93.

M. le Rapporteur - Les directives tendent à généraliser ce genre d'entretien, mais en prévoyant des exceptions, pour des raisons médicales ou psychiatriques en particulier. A l'article premier, nous avons donc essayé de fixer les règles du jeu en disposant que chaque demandeur d'asile pourra présenter tous les éléments utiles à l'appui de sa demande, mais nous avons renvoyé au décret la généralisation de ces convocations pour entretien.

M. le Ministre délégué - La question relève en effet du règlement et le Gouvernement entend bien confirmer la pratique. L'amendement n'est donc pas utile.

L'amendement 93, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 7, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 7

M. Etienne Pinte - L'amendement 67 vise à améliorer, conformément aux orientations données par le ministre des affaires étrangères le 25 septembre dernier, les procédures d'instruction des demandes d'asile. Actuellement, l'audition du demandeur n'est pas systématique, ce qui est anormal compte tenu du poids que peut avoir cet entretien dans la décision. L'établissement d'un procès-verbal, que le demandeur peut relire et corriger, doit aussi être rendu obligatoire.

Enfin, il est impératif qu'à toutes les étapes de la procédure, les demandeurs soient assistés d'un conseil, avocat, membre d'une association ou particulier.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

M. le Ministre délégué - Comme l'a annoncé le ministre ce matin, le décret fixera les règles régissant la convocation par l'OFPRA, conformément aux directives en cours d'élaboration. Déjà, 60 % des demandeurs sont convoqués. Rejet, par conséquent.

L'amendement 67, mis aux voix, n'est pas adopté.

ART. 8

M. le Rapporteur - L'amendement 32, adopté par la commission sur proposition de M. Mariani, est de coordination.

L'amendement 32, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 8 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

Les articles 9 et 10, successivement mis aux voix, sont adoptés.

ART. 11

M. le Rapporteur - Les amendements 33 à 35 visent à supprimer des mentions inutiles. Quant au 36, il est rédactionnel.

Les amendements 33 à 36, acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.

M. Mansour Kamardine - Les amendements 89 et 91 sont rédactionnels : depuis la loi du 11 juillet 2001, à Mayotte, le préfet ne s'appelle plus « représentant du gouvernement », mais « préfet de Mayotte » ou « représentant de l'Etat ».

D'autre part, les Français apparaissent moins attachés à leurs couleurs que les Américains, par exemple. C'est dommage, mais nous souhaitons rappeler que Mayotte est un territoire français : d'où l'amendement 90.

M. le Rapporteur - Je donnerai un accord enthousiaste !

M. le Ministre délégué - Avis favorable.

L'amendement 89, mis aux voix, est adopté.

Les amendements 90 et 91 sont successivement adoptés.

M. le Rapporteur - L'amendement 37 vise à rectifier une erreur matérielle.

L'amendement 37, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - Quant au 38, il supprime une mention inutile.

L'amendement 38, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - Par coordination, l'amendement 39 renvoie à un décret le soin de préciser les conditions dans lesquelles sera assurée l'instruction des demandes d'asile.

L'amendement 39, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 40 rectifié est défendu.

L'amendement 40 rectifié, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Etienne Pinte - Le dernier alinéa de l'article 3 de la loi du 10 juillet 1991 restreint le bénéfice de l'aide juridictionnelle aux demandeurs d'asile entrés régulièrement sur le territoire, et seulement en cas de recours. Cette disposition porte grand tort aux demandeurs qui ont fui leur pays sans avoir eu le temps d'obtenir un visa et elle prive tous les demandeurs d'un soutien qui leur serait utile également au cours de la procédure devant l'OFPRA. Il est vraisemblable également qu'elle contribue à retarder la mise en état des dossiers. Or l'article 13 de la proposition de directive du 3 juillet 2002, dans sa version publiée, demande que l'assistance judiciaire gratuite soit fournie à tout demandeur après le rejet initial de sa demande. L'amendement 69 vise donc à accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle même à ceux qui ont demandé le statut de réfugié alors qu'ils se trouvaient dans une situation illégale.

M. le Rapporteur - Il me semble que l'explication ne correspond pas au texte de l'amendement, qui ne devrait d'ailleurs pas être retenu puisque nous n'avons pas adopté l'amendement relatif aux délais.

L'amendement 69, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 11 modifié, mis aux voix, est adopté.

L'article 12, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 12

M. Pierre Cardo - L'amendement 131 tend à dispenser les réfugiés politiques et les apatrides résidant régulièrement et habituellement en France depuis dix ans au moins, des conditions de connaissance de notre langue pour acquérir la nationalité française, sous réserve des dispositions de l'article 21-23 du code civil.

J'ai accueilli dans ma commune un certain nombre de réfugiés politiques d'Asie du Sud-Est. Or si les enfants parlent français tout naturellement, ce n'est pas toujours le cas de leurs parents, alors que certains ont combattu pour la France. Il serait normal que notre pays fasse un geste de reconnaissance.

M. le Rapporteur - Voici une question importante qui, malheureusement, relève davantage de l'intégration que du droit d'asile. C'est vrai, la France devrait faire un geste de reconnaissance, mais je ne peux que donner un avis défavorable à votre amendement (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Ministre délégué - En tant que ministre chargé de la francophonie, je suis particulièrement sensible à cet amendement, malheureusement hors sujet. Avis défavorable.

M. Serge Blisko - J'ai vécu la même expérience dans le 13e arrondissement avec un réfugié ancien combattant d'Indochine, arrivé en 1975 et membre de l'UNC. C'est vrai, il parle mal le français mais faisons un effort pour toutes ces personnes qui ne sont plus si nombreuses aujourd'hui et qui ont passé l'âge d'apprendre mieux la langue.

L'amendement 131, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 41 est de coordination.

L'amendement 41, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

ART. 13

M. le Rapporteur - L'amendement 42 apporte une clarification.

L'amendement 42, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 43 est rédactionnel.

L'amendement 43, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 13 modifié, mis aux voix, est adopté.

L'article 14, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 14

M. Serge Blisko - L'amendement 87 de Mme Gautier demande au Gouvernement un rapport annuel sur l'application de la loi.

M. le Rapporteur - Ce rapport existe déjà. En outre, il y aura désormais deux parlementaires dans l'OFPRA.

M. le Ministre délégué - Mme Colot a déjà déposé un amendement dans le même sens, sur lequel je me suis expliqué. Défavorable.

L'amendement 87, mis aux voix, n'est pas adopté.

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Serge Blisko - Tout au long de ce débat, nous avons appelé votre attention sur certains points qui nous inquiètent, et nos préoccupations sont partagées par la plupart des organisations humanitaires et les ONG qui accompagnent les demandeurs d'asile. Je me félicite du reste que nombre de nos collègues s'en soient fait l'écho sur tous les bancs.

Nous avions apprécié que, du fait de la suppression de l'asile territorial, il soit créé un guichet unique, géré par l'OFPRA. Cela devrait conduire à l'accélération de la procédure. Mais il ne faudrait pas qu'un examen rapide soit un examen sommaire. D'autre part, il est affligeant de voir l'asile subsidiaire amoindri, débouchant sur un droit d'asile au rabais. Que cette protection soit plus claire et respectueuse des droits de l'homme ! Le demandeur d'asile ne doit plus être considéré comme un fraudeur, mais comme une personne en danger fuyant son pays.

Ce projet se désintéresse malheureusement de la dimension sociale, des conditions dans lesquelles sont entassées en zone d'attente les personnes refusées sur le territoire. Si vous aviez ouvert plus largement les zones d'attente aux associations, nous aurions pu aboutir à un accord.

Sous couvert d'harmonisation européenne, vous tirez par le bas l'application en France de la convention de Genève qui, déjà, n'était pas complaisante, car à peine 17 % des demandeurs d'asile obtiennent satisfaction.

Sous couvert de simplification, la France envoie aux demandeurs d'asile un signal qui n'est pas à la hauteur de sa réputation de pays des droits de l'homme puisqu'il se traduit par une fermeture progressive des portes.

Mes propos ne sont pas excessifs. J'en veux pour preuve les deux notions nouvelles que vous introduisez dans ce projet. La première soumet les ressortissants de pays figurant sur une « liste de pays sûrs » à une procédure expéditive qui ne garantit pas un traitement équitable. De surcroît, en confiant dans quelques mois l'élaboration de cette liste à l'Union européenne, vous dessaisissez la France d'une partie de sa souveraineté, ce qui n'est pas conforme à la Constitution.

Quant à l'asile interne, véritable monstruosité juridique, il permet de renvoyer un individu persécuté dans une région prétendument plus tranquille de son pays d'origine. Dangereux, le plus souvent inapplicable, ce dispositif vide le droit d'asile de son sens : protéger en accueillant sur notre sol. Par ailleurs, il n'est pas constitutionnel, car en contradiction avec la convention de Genève ratifiée par la France il y a plus de cinquante ans.

Votre texte, qui a mal contenu les visées hégémoniques du ministère de l'intérieur, affaiblit la protection, ce qui est d'ailleurs la tendance générale, au sein de l'Europe des Quinze. La communication des informations confidentielles, données par les demandeurs déboutés, au ministère de l'intérieur, est très inquiétante.

Des questions essentielles ne sont pas abordées, que ce soit le droit au travail du demandeur d'asile, l'insuffisance criante du nombre de places dans les centres d'accueil de demandeurs d'asile, ou le problème difficile des mineurs isolés.

Ce texte est marqué par le soupçon. Soupçon de fraude à l'égard des demandeurs ou de complaisance à l'égard du HCR. Comment expliquer cette méfiance alors que M. de Villepin n'a eu de cesse, pendant trois mois, lors de la crise irakienne, de rappeler la primauté de l'ONU (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Pensez aux guerres civiles, à l'éclatement de pays entiers comme la Yougoslavie, aux persécutions religieuses, ethniques, aux crimes contre l'humanité, aux atteintes aux libertés. Il y avait un million de réfugiés en 1951 quand la convention de Genève fut signée ; il y en a 22 millions aujourd'hui.

Pour améliorer le droit d'asile, nous avions d'autres pistes, telles que le respect scrupuleux de la convention de Genève, le renforcement des moyens de l'OFPRA pour un traitement plus rapide et efficace des demandes d'asile, des mesures pour résoudre la question des mineurs isolés, un maillage territorial de l'accueil qui assurerait à chaque demandeur d'asile une égalité de traitement, tant pour l'hébergement que pour l'information.

Face à ces dangers, vis-à-vis de tous ces hommes et de toutes ces femmes qui souffrent, et pour qui la France des droits de l'homme aurait pu être la lueur d'espoir, vous faites preuve de fermeture, et nous le regrettons. Aussi voterons-nous contre ce texte de repli frileux.

M. Eric Raoult - Conforme à la tradition, pragmatique et efficace : tels sont les qualificatifs qui pourraient s'appliquer à ce texte et à la démarche d'ensemble du Gouvernement. Grâce à l'excellent travail du rapporteur de la commission saisie au fond, ce texte s'inscrit dans la tradition française d'accueil et d'ouverture au monde, qui se résumait dans ce dicton yiddish des juifs polonais : « Tu as deux patries : la tienne et la France ». Au reste, les orateurs de l'opposition qui ont défendu des motions de procédure ne s'y sont pas trompés puisqu'ils ont cité le discours mémorable de M. de Villepin au Conseil de sécurité de l'ONU.

Pragmatique, ensuite, parce que le Gouvernement a su tirer des leçons de tous les ratés de la majorité précédente, la loi Reseda...

M. Serge Blisko - Toujours dans la nuance !

M. Eric Raoult - ... et tous les atermoiements qui ont conduit les déboutés du droit d'asile à occuper nos églises et autres bâtiments publics ! De M. Vanneste à M. Pinte, chaque parlementaire de la majorité a montré que la ligne directrice de notre action, c'était le pragmatisme et la recherche de solutions efficaces. Parler du droit d'asile à Haïti, c'est bien ; régler les problèmes afférents à Clichy, c'est mieux. Surtout si l'on veut éviter que l'entretien de faux espoirs ne crée de nouveau Sangatte à la frontière italienne !

Je ne puis que regretter que nos collègues Caresche et Blisko, commis d'office dans ce débat (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) ne puissent se résoudre à adopter cet excellent texte. Bien entendu, le groupe UMP le votera (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

L'ensemble du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

La séance, suspendue à 22 heures 45 est reprise à 22 heures 55.

RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Victorin Lurel - Rappel au Règlement sur la base de l'article 58 pour protester contre les conditions de travail tout à fait désastreuses qui nous sont faites. A la veille d'un long week-end férié, et alors que débute mardi prochain l'examen d'un texte important, ce ne sont pas moins de cinq textes importants qui ont été mis à l'ordre du jour de nos travaux. C'est peu dire que la commission des finances a la tête ailleurs et je tiens à rendre hommage aux administrateurs qui lui sont attachés car c'est grâce à eux que nous pouvons aborder cette discussion avec quelques éléments d'information précis.

Le groupe socialiste proteste vigoureusement contre le calendrier infernal qui nous est une nouvelle fois imposé. Les mêmes conditions de travail nous avaient été réservées pour l'examen du budget de l'outre-mer et pour la révision constitutionnelle.

Comment ne pas y voir, Monsieur le Président et malgré vos efforts personnels pour y remédier, une marque de mépris pour les représentants de l'outre-mer ?

LOI DE PROGRAMME POUR L'OUTRE-MER

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, de programme pour l'outre-mer.

Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer - Permettez-moi tout d'abord, Monsieur le Président, de vous remercier chaleureusement de nous faire l'honneur de présider nos débats. Vous démontrez, une fois encore, l'attachement que vous portez à l'outre-mer, que vous connaissez bien, et nous vous en sommes très reconnaissants.

Ce texte traduit tous les engagements du Président de la République et du Gouvernement en faveur d'un développement durable de l'outre-mer. Il s'agit, selon les termes mêmes du chef de l'Etat, d'un effort sans précédent, dans un contexte budgétaire et économique pourtant difficile, ce qui traduit bien notre volonté d'accorder aux dix collectivités ultramarines une attention prioritaire.

J'ai souhaité que ce texte, déjà bien connu des députés d'outre-mer, fasse l'objet au cours de son élaboration d'une très large concertation, tant outre-mer qu'en métropole, avec l'ensemble des acteurs, élus, parlementaires, présidents des assemblées locales, représentants des milieux socioprofessionnels. C'est ainsi que ce projet s'est progressivement enrichi. Le Sénat l'a complété sur plusieurs points et notre discussion nous permettra de l'améliorer encore, à partir notamment des amendements adoptés par vos commissions. Je remercie d'ailleurs celles-ci - et en particulier votre commission des finances - pour le travail accompli dans un délai particulièrement court.

Je rappellerai d'abord les grands objectifs que vise le Gouvernement, et les moyens qu'il entend mettre en _uvre pour les atteindre. Il s'agit d'abord de mettre en place une véritable stratégie de développement durable de nos collectivités ultramarines. Ce développement se conçoit comme un rattrapage sur la métropole, et il doit être fondé sur une logique d'activité et non d'assistanat.

Les Français d'outre-mer, faut-il le rappeler, sont des Français à part entière et on oublie parfois qu'ils l'ont été avant Nice ou la Savoie ! Les populations des collectivités d'outre-mer font partie intégrante de notre communauté nationale. Il est donc normal que notre objectif prioritaire soit de réaliser, après l'égalité sociale achevée en 1996, l'égalité économique qui est l'ultime étape de l'accès à la pleine citoyenneté de chacun par le travail et la dignité.

Pour l'atteindre, il faut créer, outre-mer, un environnement économique favorable à l'activité des entreprises et, par conséquent, à l'emploi. Il n'est plus tolérable qu'outre-mer, le RMI constitue un revenu de remplacement pour 19 % de la population et que le chômage frappe un actif sur quatre, voire un actif sur trois. Tout doit être fait pour que le PIB par habitant - qui n'atteignait que 54 % du niveau métropolitain en 1998 - s'améliore rapidement.

Cela passe tout d'abord par la réduction des handicaps structurels de l'éloignement, de l'insularité, de la faible superficie, d'un relief et d'un climat difficiles ou de leur forte dépendance vis-à-vis d'un petit nombre de produits. Ces handicaps sont pleinement reconnus, y compris au niveau européen, par l'article 299-2 du traité d'Amsterdam, qui permet aux régions ultrapériphériques de déroger au droit communautaire pour prendre en compte ces difficultés. Et nous sommes en bonne voie, notamment grâce à l'appui du commissaire Barnier, pour obtenir la reprise de cet article dans la nouvelle Constitution européenne.

Cela passe également par la valorisation des atouts dont disposent ces collectivités, et qui sont nombreux. Outre un dynamisme économique qui se traduit par une croissance plus forte et une capacité à créer relativement plus d'emplois que dans l'hexagone, il faut souligner l'atout majeur pour l'outre-mer que constitue à moyen terme sa jeunesse : la moitié de la population a moins de vingt-cinq ans en Guyane, à la Réunion, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française ; trois Mahorais sur cinq ont moins de vingt ans. L'outre-mer comporte aussi d'extraordinaires potentialités de développement dans certains secteurs, comme le tourisme et l'hôtellerie, la recherche, les énergies renouvelables : il faut les soutenir.

Ce projet de loi de programme a pour ambition de combler le retard de développement des économies de l'outre-mer en inscrivant notre action dans la durée. Il s'agit d'envoyer à tous les acteurs du développement un signal fort de stabilité dans l'effort national pour l'outre-mer, et de confiance dans leur capacité à tirer le meilleur parti de dispositions favorables au développement. C'est pourquoi les mesures qui vous sont proposées ont une durée de quinze ans.

Quelles sont les principales dispositions du projet ? Nous voulons relever trois défis. Le premier est celui de la création d'emplois durables en grand nombre dans le secteur marchand. Il faut pour cela alléger fortement le coût du travail pour les entreprises, mais aussi mettre en place des incitations directes à l'embauche, afin qu'elles recrutent les personnes qui, aujourd'hui, ont le plus de difficultés pour accéder à l'emploi, notamment les jeunes.

Le second défi, c'est la relance de l'investissement privé, d'autant plus nécessaire que les crédits publics deviennent plus rares. Certes, la commande publique doit continuer à contribuer à la croissance et la solidarité nationale à l'égard des plus démunis ne saurait être remise en cause. Mais il faut que l'initiative privée contribue de façon croissante au développement de ces collectivités. La refonte du dispositif de soutien fiscal à l'investissement outre-mer vise à accompagner cet essor.

Troisième défi : celui de la continuité territoriale entre les collectivités d'outre-mer et la métropole. La défaillance d'Air Lib en début d'année n'a fait qu'aggraver un problème qui n'a jamais été traité par le passé. Je tiens à le souligner : pour la première fois, un gouvernement décide d'engager des actions pour donner à cette notion de continuité territoriale un début de réalité.

Nous proposons donc trois séries de mesures. Ce sont en premier lieu des mesures pour favoriser la création d'emplois durables dans les entreprises privées. Ce sont avant tout les entreprises qui créent des emplois. Encore faut-il que l'action publique contribue à lever les obstacles qu'elles rencontrent pour le faire. A cet égard, l'abaissement du coût du travail est un des axes à privilégier. Nous vous proposons donc, dans la continuité des mesures engagées en 1994 par la loi Perben, et confirmées en 2000 par la loi d'orientation pour l'outre-mer, un allégement renforcé de charges sociales pour les entreprises les plus soumises aux contraintes liées à l'éloignement, à l'insularité et à un environnement extérieur où le coût du travail est particulièrement bas. L'expérience l'a montré, ce type de mesure améliore la situation de l'emploi outre-mer. Ainsi, dans les DOM, l'augmentation de l'emploi salarié, entre 1994 et 1995, a été de 8 %, et de 4,2 % entre 2000 et 2001 contre 1,7 % en métropole.

Il n'est pas question pour autant de consentir un allégement de charges général, qui induirait, pour certains des effets d'aubaine. C'est pourquoi la mesure proposée est doublement ciblée. Tout d'abord, nous privilégions certains secteurs d'activité : ceux où le potentiel de développement est le plus prometteur, comme le tourisme ou l'hôtellerie, avec une exonération limitée à 1,5 SMIC ; ceux où la création de valeur ajoutée est la plus forte - industrie, agriculture, énergies renouvelables, nouvelles technologies - avec une exonération limitée à 1,4 SMIC.

En second lieu, l'allégement est ciblé sur les PME, ce qui correspond à la réalité des économies d'outre-mer : plus de 80 % des entreprises y comptent moins de dix salariés. S'agissant du BTP, l'exonération de charges sociales est portée à 100 % pour les entreprises de cinquante salariés au plus. Là encore, il s'agit de « coller » à la réalité : 99 % des entreprises de BTP, dans les DOM, comptent cinquante salariés au plus et emploient 84 % des effectifs de ce secteur.

En faveur des petites entreprises, il vous est proposé de supprimer un mécanisme, pénalisant pour la création d'emplois, introduit en 2000 par la loi d'orientation pour l'outre-mer : ces entreprises, dès lors qu'elles recrutent au-delà de dix salariés, conserveront désormais le bénéfice de l'allégement de charges sociales, dans la limite de 1,3 SMIC et de dix salariés. Dans le même esprit, les exploitations agricoles dont la surface d'exploitation se développe au-delà de 40 hectares, dans le cadre d'une diversification de la production ou de la mise en valeur de terres incultes ou sous-exploitées, continueront de bénéficier de l'exonération actuellement accordée dans la limite de 40 hectares.

Par ailleurs, une mesure d'exonération de charges sociales est pour la première fois proposée pour les entreprises de transport aérien, maritime et fluvial qui desservent l'outre-mer, dans la limite de 1,3 SMIC. Le texte du Gouvernement a été amendé par le Sénat pour spécifier que les liaisons entre la Réunion et Mayotte ouvrent droit au bénéfice de cette mesure. Notre objectif est de rendre possible une diversification de l'offre de transport, en particulier aérien, pour répondre vraiment à l'exigence de continuité territoriale.

L'ensemble de ces mesures devra faire l'objet d'une évaluation tous les trois ans, notamment au regard de la création d'emplois. Les sénateurs ont amendé notre texte pour que les conclusions de cette évaluation soient transmises au Parlement, ce qui m'apparaît parfaitement fondé. C'est au vu de cette évaluation, et en particulier de l'effet des mesures sur la création d'emplois, qu'il conviendra de décider, de façon pragmatique si elles doivent être maintenues ou adaptées.

Le projet contient également plusieurs mesures destinées aux jeunes d'outre-mer, qui sont nombreux et ont des attentes fortes et légitimes.

Il s'agit tout d'abord d'inciter les entreprises à embaucher des jeunes, diplômés ou non, et notamment ceux qui occupent actuellement des emplois-jeunes. Au 31 décembre 2002, ces derniers étaient plus de 16 000 dans les DOM et à Saint-Pierre-et-Miquelon et il n'est plus acceptable de les voir occuper des emplois qui, pour la plupart, ne leur offrent pas de véritables perspectives. Leur faire croire le contraire c'est les tromper et faire preuve de démagogie : les « emplois-jeunes » ne peuvent être considérés comme des emplois durables. A cet égard, le Sénat a eu raison d'adopter un amendement qui précise que les contrats emplois-jeunes, lorsqu'ils sont prolongés pour trente-six mois au maximum, sont des contrats de droit privé. Nous proposons aussi d'ouvrir la possibilité pour les entreprises de recruter ces jeunes sur des contrats d'accès à l'emploi jusqu'à la fin de 2007.

Il faut aussi offrir aux jeunes, qui souvent sont employés de façon illégale et travaillent de façon épisodique - comme ceux qu'on appelle aux Antilles les « jobeurs » -, des solutions d'emploi pérennes et une couverture sociale, lorsqu'ils occupent des emplois occasionnels. Le titre de travail simplifié est une première réponse pour les DOM et Saint-Pierre-et-Miquelon ; le Sénat l'a étendu à Mayotte.

Mais nous voulons également favoriser le recrutement des jeunes diplômés de dix-huit à trente ans dans les entreprises, notamment celles de moins de vingt salariés. Ce sont en effet les plus nombreuses, et celles qui, le plus souvent, ne peuvent franchir le pas de recruter un cadre. Il faut les mettre en situation de pouvoir le faire, offrant ainsi à ces jeunes des responsabilités à la mesure de leurs diplômes. Par ailleurs, je me félicite de l'amendement du Sénat qui tend à prendre également en compte les diplômes délivrés à l'issue d'une formation professionnelle qualifiante.

Une mesure d'incitation à l'embauche des jeunes Mahorais par les entreprises est aussi proposée. Elle prend la forme d'une aide consentie pendant trois ans, à chaque entreprise qui embauche un jeune sous contrat à durée indéterminée.

D'autres mesures concernent les jeunes gens et les jeunes filles qui suivent une formation professionnelle dans le cadre du service militaire adapté, le SMA. Nous proposons de donner un fondement législatif aux activités du SMA dans le cadre des chantiers d'application et de rappeler leur absence de caractère commercial ; et de moduler la durée de renouvellement des contrats des stagiaires du SMA - actuellement fixée à douze mois -, afin de l'adapter aux cycles de formation professionnelle dispensés par les unités du SMA. Nous proposons également, comme l'a souhaité le Sénat en amendant le texte du Gouvernement, d'autoriser les unités du SMA à mettre en _uvre, à la demande de l'Etat ou des collectivités d'outre-mer, des chantiers d'application dans les pays liés à ces collectivités par un accord de coopération internationale.

Le RMA ou « revenu minimum d'activité », proposé par mon collègue François Fillon, a vocation à s'appliquer dans les DOM et à Saint-Pierre-et-Miquelon. Il s'ajoutera donc aux dispositifs propres à l'outre-mer que sont le contrat d'insertion par l'activité pour le secteur non marchand et le contrat d'accès à l'emploi, pour le secteur marchand, tous deux créés en 1994 par la loi Perben et qui demeurent, à ce stade, plus attractifs que le RMA. Pour ce qui est du contrat d'accès à l'emploi, le Sénat a amendé le texte du Gouvernement afin de ne pas pénaliser les titulaires du RMI par rapport aux autres publics également éligibles à ce contrat. L'obligation faite aux entreprises de proposer aux titulaires du RMI un contrat à durée indéterminée a ainsi été supprimée. Dans le cas d'un contrat à durée déterminée, la durée du contrat qui leur est proposé a par ailleurs été fixée à trente mois, comme pour les autres publics exigibles au CAE.

La deuxième grande série de dispositions constitue un nouveau dispositif de défiscalisation pour favoriser véritablement l'initiative et relancer l'investissement privé. Il y a urgence : les investissements agréés au titre de la défiscalisation, déjà divisés par deux entre 1997 et 2000, ont encore baissé de 42 % entre 2000 et 2001. L'année 2002 n'a pas été meilleure et le début de 2003 n'est pas plus encourageant. Pourtant il faut être clair : aucun investissement n'est possible outre-mer sans défiscalisation. C'est dire la gravité de la situation et l'impérieuse nécessité d'y remédier.

Une refonte complète du dispositif de défiscalisation des investissements vous est en conséquence proposée. Nous voulons stabiliser le cadre du dispositif : sa durée de validité de quinze ans assurera aux investisseurs la visibilité nécessaire pour réaliser leurs projets, sans craindre, chaque année, une remise en cause, comme lorsque ce dispositif était inclus dans la loi de finances. Si l'on veut rétablir un climat de confiance outre-mer, il faut conjuguer durée et stabilité.

Nous voulons également simplifier la mise en _uvre de la défiscalisation, par un changement de logique : l'éligibilité des investissements à la défiscalisation devient la règle générale et les secteurs exclus sont explicitement cités. Ce sont ceux où le bénéfice de l'aide serait injustifié, comme le commerce et les activités financières, ou malaisé à plaider à Bruxelles, comme dans le cas des investissements immatériels. Ce sont surtout ceux qui, par le passé, ont donné lieu à des abus, comme le secteur de la navigation de croisière.

Le Sénat a souhaité affirmer explicitement l'éligibilité des « centres d'appels » au dispositif de défiscalisation. Les investissements qui s'y rapportent ouvrent donc droit au bénéfice de l'avantage fiscal.

Le Sénat a également souhaité que cet avantage fiscal bénéficie aux investissements dans le secteur des activités de loisirs, sportives et culturelles qui s'intègrent directement et à titre principal à une activité hôtelière ou touristique, à l'exception des jeux et casinos.

Par ailleurs, les investissements nécessaires à l'exploitation de concessions de service public deviennent éligibles quelles que soient la nature des biens et leur affectation finale. En outre, les investissements nécessaires à l'exploitation d'un service public affermé ouvrent droit au bénéfice de la défiscalisation dans les mêmes conditions.

Nous souhaitons favoriser les investissements dans quatre secteurs particulièrement importants pour le développement de l'outre-mer.

Tout d'abord, l'hôtellerie. Le taux de défiscalisation est porté dans les DOM à 70 % pour les travaux de réhabilitation des hôtels, des résidences de tourisme et des villages de vacances classés et la « détunnélisation » est rétablie pour cinq ans. Un amendement voté par le Sénat étend ce taux de 70 % au secteur du tourisme nautique et de la navigation de plaisance, afin d'aider les Antilles à surmonter la grave crise du tourisme qu'elles traversent. Or, ces îles sont encore plus belles vues de la mer ! Tous ces investissements donnent lieu à un agrément au premier euro, qui permet un contrôle rigoureux. J'observe d'ailleurs que les abus que d'aucuns dénoncent n'existent pratiquement plus ; il faut donc cesser d'imputer à la défiscalisation ce qui ne la concerne pas ou, du moins, ne la concerne plus. Notre nouveau système permet d'éviter tout dérapage.

Deuxième secteur : le logement. Les taux de défiscalisation sont portés de 25 à 40 % pour les logements locatifs « libres » et de 40 à 50 % pour les logements « intermédiaires ». Un avantage supplémentaire de dix points est accordé aux logements situés en zone urbaine sensible. Par ailleurs, afin de préserver le patrimoine bâti local, les logements de plus de 40 ans deviennent éligibles à la défiscalisation au taux de 25 %. De plus, le plafond du prix au mètre carré pour les logements constituant la résidence principale de leurs propriétaires est porté de 1 525 à 1 750 € hors taxes.

Les dispositions du titre III visent à favoriser la construction ou la réhabilitation de logements sociaux : abaissement à 2,1 % du taux de TVA pour les logements évolutifs sociaux ; abattement de 30 % de la taxe foncière sur les propriétés bâties pendant cinq ans pour les logements locatifs sociaux ayant fait l'objet de travaux destinés à les mettre aux normes sismiques ou cycloniques.

Troisième secteur : les énergies renouvelables. Une majoration de quatre points est accordée pour les logements alimentés par l'énergie solaire et une majoration de dix points pour tout investissement productif dans le domaine des énergies renouvelables.

Le financement des entreprises, enfin. Une réduction d'impôt de 50 % est accordée pour les souscriptions au capital de sociétés spécialisées dans ce financement et exerçant exclusivement leur activité outre-mer. Par cette mesure très novatrice, nous souhaitons drainer l'épargne des particuliers vers des projets d'investissement et associer davantage nos compatriotes d'outre-mer au développement économique de leur collectivité.

Par ailleurs, nous voulons introduire plus de transparence dans la délivrance de l'agrément - requis pour tout investissement d'un montant supérieur ou égal à 1 million d'euros. Tout dossier sur lequel des réserves seront émises par l'administration fiscale pourra être soumis, pour avis, à une commission interministérielle, présidée par le ministre de l'outre-mer.

Nous souhaitons aussi supprimer les dispositions qui constituent des entraves à l'investissement défiscalisé. La réduction d'impôt sur le revenu, actuellement limitée à 50 %, devient imputable sans plafonnement dès la première année.

Enfin, s'agissant des investissements réalisés en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, à Wallis-et-Futuna, à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon, les aides résultant des régimes en vigueur dans ces collectivités ne seront plus déduites de l'assiette fiscale éligible. Autrement dit, la double défiscalisation sera désormais possible.

En contrepartie de ces mesures, des contrôles renforcés seront exercés par l'administration fiscale. En effet, la défiscalisation des investissements ne doit être en aucun cas le moyen pour certains d'échapper à l'impôt de manière frauduleuse, mais uniquement un outil de développement économique pour l'outre-mer.

La troisième série de mesures vise à concrétiser la notion de continuité territoriale entre les collectivités d'outre-mer et la métropole, ce qui n'avait jamais été fait auparavant.

Nous voulons tout d'abord créer les conditions d'une offre de transport aérien suffisante et adaptée en termes de capacités et de tarifs. C'est le sens de la disposition visant à alléger les charges sociales des compagnies aériennes, maritimes et fluviales desservant l'outre-mer, qui doit permettre un abaissement du coût du transport, tant pour les passagers que pour le fret, et qui devrait en outre provoquer une offre supplémentaire et par conséquent une saine concurrence. La simple annonce de ces mesures a déjà suscité deux nouvelles offres de desserte aérienne à La Réunion, avec Air Austral et Air Bourbon.

Nous voulons également, dans le cadre de la solidarité nationale, compenser en partie les contraintes liées à l'éloignement. Nos compatriotes d'outre-mer doivent en effet pouvoir se déplacer plus facilement, à des conditions acceptables. Un premier pas a été franchi dès l'été 2002 avec l'instauration du « passeport mobilité », destiné aux jeunes, mais il faut aller plus loin. Aussi, à l'instar de ce qu'ont fait l'Espagne et le Portugal pour les résidents de leurs régions ultrapériphériques, et comme il a été fait pour les liaisons aériennes entre la France continentale et la Corse, il est proposé que l'Etat participe au financement d'un dispositif d'abaissement du coût des billets d'avion, chaque collectivité d'outre-mer, à travers une « dotation annuelle de continuité territoriale ». Celle-ci permettra d'accorder aux personnes qui ont leur résidence principale, outre-mer une aide forfaitaire, limitée à un voyage par an entre la collectivité et la métropole ; elle s'ajoutera aux concours des collectivités locales et de l'Union européenne ayant le même objet.

Pour optimiser ces dispositifs, nous avons créé, avec Gilles de Robien et Dominique Bussereau, un groupe de travail associant les compagnies aériennes desservant l'outre-mer, auxquelles nous avons bien évidemment fait comprendre que ces mesures ne sont pas destinées à améliorer leurs marges bénéficiaires, mais à abaisser le coût du transport pour tous les passagers, qu'ils résident outre-mer ou en métropole.

Dans son titre VI, ce projet a pour but d'actualiser le droit applicable outre-mer, qui ne doit pas demeurer trop longtemps en décalage avec le droit en vigueur en métropole. L'article 43 a donc pour objet d'habiliter le Gouvernement à procéder par ordonnances à ce rattrapage et l'article 44 procède à la ratification de nombreuses ordonnances prises entre 2000 et 2002.

Comme vous pouvez le constater, ce projet n'a pas pour objet de verser à nos collectivités d'outre-mer des subventions « à fonds perdus », mais de créer les conditions d'un développement durable de l'activité.

Devant l'ampleur des défis à relever, certains penseront que ces mesures ne vont pas assez loin. Devant l'ampleur des difficultés budgétaires de notre pays, d'autres dénonceront des dépenses irréalistes. A ceux qui veulent plus d'exonérations de charges sociales, encore davantage de défiscalisation, des mesures en faveur de l'éducation, de la formation, des crédits de rattrapage, je réponds que le Gouvernement, soucieux de préserver les finances publiques et conscient de la nécessité d'agir pour permettre à l'outre-mer de surmonter ses handicaps et valoriser ses atouts, a fait le choix de cibler les mesures qu'il propose. Il faut en effet soutenir les secteurs dans lesquels l'emploi doit se créer de façon durable, et non permettre des effets d'aubaine.

Par ailleurs, il ne s'agit pas d'une loi de programmation. Ce texte ne saurait se substituer aux contrats de plan et aux fonds européens, dont il faut veiller à consommer efficacement les crédits et qui ont pour objet de financer des projets de rattrapage économique. Il ne saurait davantage remettre en cause les engagements pris par l'Etat - et qui seront intégralement tenus - en faveur des collectivités d'outre-mer. Je pense aux conventions de développement que j'ai signées, à la fin de l'année dernière, avec les autorités de Mayotte et de Wallis-et-Futuna. Enfin, de nombreuses actions, en matière d'éducation ou de formation par exemple, ne nécessitent pas des mesures de niveau législatif : nous nous refusons à l'affichage politique.

A ceux qui considèrent qu'« on en fait trop » et que « ça coûte trop cher », je voudrais rappeler un certain nombre de vérités. Il ne vient à l'idée de personne de s'interroger sur le « coût » d'un département métropolitain... Les dépenses du budget de l'Etat sont en moyenne moins élevées pour un habitant de métropole ; je ne vois pas au nom de quoi il faudrait refuser à nos compatriotes d'outre-mer de progresser sur la voie de l'égalité économique ! Par ailleurs, lorsque l'on parle d'un outre-mer qui coûte, demande-t-on leur avis aux populations de ces collectivités, lorsqu'il s'agit de recapitaliser, sur crédits publics, telle ou telle entreprise publique dont l'activité, outre-mer, est inexistante, ou lorsqu'il s'agit de financer le TGV ? Et pourtant, au nom de la solidarité nationale, les impôts perçus outre-mer y contribuent.

Alors oui, c'est vrai, les mesures de cette loi programme ont un coût : dans l'évaluation de 250 millions d'euros par an, une partie me semble toutefois très virtuelle : je veux parler des 164 millions d'euros au titre des nouvelles dispositions en matière de défiscalisation.

Il faut examiner le coût en toute honnêteté. D'abord, il convient de raisonner en coût net, en tenant compte de la dynamique créée. Ainsi, le coût brut des exonérations de charges sociales s'élève à 40 millions, soit l'équivalent de l'indemnisation de 4 700 chômeurs. Il suffirait donc que, dans les DOM, qui comptent près de 200 000 chômeurs, on crée 4 700 emplois pour compenser cette dépense, sans compter que ces emplois nouveaux rapporteraient 34 millions de cotisations à l'UNEDIC. Nous avons bien sûr l'ambition, grâce à ces mesures de créer bien plus de 4 700 emplois chaque année !

Ensuite, il faut reconnaître qu'outre-mer, sans défiscalisation il n'y aura pas d'investissement. La Commission européenne, très soucieuse de contrôler ce dispositif, ne l'a jamais remis en cause. Elle comprend qu'il est adapté à l'outre-mer. Nous en sommes à notre cinquième réunion à Bruxelles, et elles se passent très bien. La défiscalisation permet aussi aux entreprises de se moderniser, et est donc souvent indispensable pour préserver l'emploi.

Enfin, la continuité territoriale s'applique aussi à l'outre-mer. Il est proposé pour commencer une mesure nouvelle de 30 millions ...

M. Christian Paul - C'est dérisoire !

Mme la Ministre - C'est mieux que de ne rien faire, comme ce fut votre cas pendant cinq ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) La seule Corse coûte 165 millions au budget de l'Etat. La mesure amorce un dispositif qui devra être complété par des financements locaux et européens.

Bien entendu, ce projet ne résume pas toute notre action en faveur de l'outre-mer. Il prend place à côté d'autres réformes, d'autres actions, comme, pour ne citer que les dossiers que nous plaidons à Bruxelles, la reconduction de l'octroi de mer, les questions agricoles, ou le mémorandum signé avec l'Espagne et le Portugal sur les régions ultrapériphériques.

L'action en faveur de l'outre-mer a également une dimension interministérielle très affirmée. Nous avons pris en compte sa spécificité dans la loi sur la sécurité intérieure, nous le ferons dans les textes sur la décentralisation et en particulier ceux relatifs à l'autonomie financière des collectivités locales. J'ai cependant tenu à affirmer dès maintenant le principe de critères spécifiques pour la fixation des dotations de l'Etat à l'outre-mer.

En outre, lors des consultations intenses que j'ai menées pour préparer ce texte, j'ai été saisie de propositions intéressantes auxquelles je donnerai suite, mais qui ne nécessitent pas l'intervention du législateur.

Ce projet est un atout pour aider l'outre-mer français à accéder à l'égalité sociale et économique avec la métropole. Après la réforme de la Constitution, qui fait bénéficier les collectivités locales de compétences aménagées, tout en renforçant leur ancrage dans la République, je suis heureuse d'avoir pu mener à bien l'ambitieux projet pour l'outre-mer sur lequel le Président de la république s'était fortement engagé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Philippe Auberger, rapporteur de la commission des finances - On sait les difficultés de l'outre-mer, la fragilité de son tissu industriel, la concurrence à laquelle il se heurte pour les services, son éloignement, et dans certains cas l'explosion démographique. Le Gouvernement a voulu y remédier, d'abord en aidant le secteur productif, qui est le véritable créateur d'emplois, bien plus que le secteur public, grâce à des dispositions importantes en ce qui concerne les charges sociales et l'investissement. Il a aussi voulu mener une politique de développement durable qui s'inscrive dans le long terme pour assurer la stabilité.

En faveur de l'emploi, la loi programme comporte des exonérations de charges pour tous les employeurs dans la limite de 1,3 SMIC et de dix salariés ou pour les dix premiers salariés. Pour encourager des secteurs particulièrement créateurs d'emplois, dans le BTP l'exonération dans la limite de 1,3 SMIC vaut pour les cinquante premiers salariés et elle est de 50 % au-delà. Pour les transports, elle s'applique à l'ensemble des salariés. Pour le secteur industriel, elle est portée à 1,4 SMIC sans limitation d'effectif. Pour l'hôtellerie et le tourisme, qui sont une chance pour l'outre-mer, elle va jusqu'à 1,5 SMIC sans limitation d'effectif. Le coût de ces mesures sera d'environ 40 millions, s'ajoutant aux 500 millions que coûtent les mesures actuelles. On voit l'effort consenti.

Toujours pour encourager l'emploi, la loi prévoit des mesures plus limitées : extension de l'exonération des charges pour les exploitants agricoles et pour les marins qui créent ou reprennent une entreprise, mesures en faveur du service militaire adapté et pour l'utilisation du titre de travail simplifié. Le contrat d'accès à l'emploi devient beaucoup plus intéressant pour les bénéficiaires du RMI ou d'un emploi-jeune ; l'emploi-jeune en entreprise est étendu aux jeunes diplômés ; le congé solidarité est assoupli. Cet ensemble complet permettra d'embaucher ou de préserver l'emploi de nombreux jeunes.

Le titre II comporte les mesures de défiscalisation. Depuis la loi Pons, il y a une quinzaine d'années, elle a donné des résultats et les gouvernements successifs l'ont adaptée mais jamais supprimée. Simplement, cet instrument est devenu compliqué, pour le plus grand profit de quelques juristes spécialisés. Le Gouvernement a donc eu raison de le remanier. D'abord, le nouveau dispositif vaut pour une durée de quinze ans, nécessaire à l'investissement, surtout dans l'immobilier. D'autre part, la règle est que tous les investissements sont éligibles à la défiscalisation, l'inéligibilité étant l'exception. Cela la rendra plus aisée dans les entreprises qui travaillent dans plusieurs secteurs à la fois, ce qui est courant outre-mer. Les secteurs qui en restent écartés sont le commerce, les activités financières, l'expertise et le conseil, les cafés et petits restaurants, la navigation de croisière. Des sociétés agréées, les SOFIOM, prendront des participations dans les entreprises : cela facilitera beaucoup la défiscalisation en la moralisant, si nécessaire. Enfin, l'avantage fiscal ne sera plus limité à 50 % de l'impôt dû et la procédure d'agrément sera déconcentrée et simplifiée.

S'y ajoutent quelques mesures bien ciblées, d'abord en faveur du logement. Le taux de défiscalisation passe de 25 % à 40 % pour les logements à loyer libre et de 40 % à 50 % pour les logements intermédiaires.

Les travaux de réhabilitation effectués sur les logements construits depuis plus de quarante ans seront également éligibles, au taux de 25 %, de même que les travaux de rénovation et de réhabilitation réalisés dans le secteur hôtelier, au taux de 70 %. Le Sénat a souhaité étendre cette défiscalisation aux villages de vacances classés et aux résidences de tourisme, ainsi qu'aux activités de loisir, sportives et culturelles, s'intégrant directement et à titre principal à l'activité hôtelière. La première mesure favorisera une réhabilitation bien nécessaire, la seconde permettra de retenir les visiteurs. Comme les autres défiscalisations, elles prendront leur plein effet grâce à la « détunnelisation », c'est-à-dire à la possibilité d'imputer les déficits au cours des premières années.

En revanche, s'agissant de la navigation de plaisance, je me réserve de donner ultérieurement l'avis de la commission des finances sur la proposition de la Haute Assemblée tendant à la faire bénéficier d'une défiscalisation à 70 %.

Bercy a évalué le coût de ces mesures de défiscalisation à 170 millions d'euros : la somme mérite à l'évidence considération !

Par ailleurs, le projet réduit la TVA sur la construction et la vente de logements évolutifs sociaux, institue un abattement de 30 % de la taxe foncière sur les propriétés bâties en cas de travaux et annonce un réexamen des dotations aux collectivités. Surtout, il met en place une dotation de continuité territoriale, afin de faciliter les déplacements vers la métropole : 30 millions d'euros y seront consacrés dès la première année.

Consciente que la situation actuelle de l'outre-mer appelle un effort de solidarité, la commission des finances a bien sûr approuvé ce projet, qui permettra de consacrer à ces territoires, entre dépenses fiscales et crédits nouveaux, quelque 250 millions d'euros. Les rapporteurs spéciaux s'attacheront bien évidemment à évaluer les effets de ces mesures et à veiller à ce qu'elles contribuent réellement au progrès économique de l'outre-mer (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Joël Beaugendre, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - Ce projet était très attendu : préparé conformément au v_u du Président de la République dans une large concertation, il est de nature à rendre espoir et confiance à la communauté ultramarine et il répond au souhait de tous ceux qui souhaitaient pour nos territoires une politique de développement durable, privilégiant le secteur productif plutôt qu'une extension artificielle du secteur non marchand comme ce fut trop longtemps le cas. Que le Gouvernement soit donc félicité d'avoir fait le pari de la relance de l'investissement et de l'emploi, grâce aux allégements de charges sociales et à la défiscalisation, et d'avoir agi aussi vite, élaborant ces dispositions en moins d'un an et déclarant ensuite l'urgence.

Nous saluons les mesures en faveur de l'emploi des jeunes diplômés, celles qui visent à faciliter le retour à l'emploi des RMistes et celles qui simplifient les formalités pour les petites entreprises. Mais nous nous félicitons avant tout des solutions données à trois problèmes particulièrement préoccupants : la crise du tourisme, la pénurie de logements et l'enclavement territorial.

La crise du tourisme est d'autant plus grave qu'elle touche les Antilles où ce secteur est de loin le plus développé, procurant notamment l'essentiel de leurs ressources à Saint-Martin et Saint-Barthélémy. La fréquentation ayant baissé de 20 à 25 % au cours des trois dernières années, plusieurs groupes hôteliers ont annoncé leur retrait. Le projet organise une réponse cohérente à ces difficultés, en prévoyant des exonérations de charges pour l'hôtellerie et la restauration et en relevant le taux de défiscalisation pour l'hôtellerie.

La pénurie de logements sociaux est un effet direct de la croissance démographique, quatre fois plus forte qu'en métropole. La demande est d'autant plus forte que le taux de chômage élevé maintient le revenu moyen à un niveau très bas. Or, chaque année, on ne construit que 5 000 à 6 000 logements sociaux, alors qu'il en faudrait 10 000 pendant dix ans ! D'autre part, sous l'effet du climat, le parc existant se dégrade plus vite qu'en métropole et, pour un quart, il est constitué de logements précaires ou sans confort. Le projet comporte donc des allégements fiscaux destinés à encourager la construction et la réhabilitation, ainsi que des exonérations de charges sociales pour les petites entreprises du BTP. L'article 34 institue un abattement de taxe foncière sur les logements locatifs sociaux ayant fait l'objet d'améliorations visant à prévenir les risques naturels. Nous regrettons que le Sénat ait rendu cet abattement facultatif et l'ait mis à la charge des collectivités : je proposerai donc de revenir au texte initial, prévoyant un abattement systématique, compensé par l'Etat (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

L'enclavement territorial résulte d'une forte dépendance à l'égard des compagnies aériennes. Or, après les déboires des compagnies spécialisées dans la desserte de l'outre-mer, Air France se trouve maintenant en situation de quasi-monopole, ce qui favorise une augmentation des tarifs. L'article 42 institue donc une dotation de continuité territoriale qui était souhaitée depuis très longtemps. La question n'est pas pour autant définitivement réglée : il reste à étendre cette continuité aux trajets inter-îles, y compris pour le fret.

J'évoquerai rapidement un dernier problème : l'article 41 crée une redevance pour prélèvement d'eau, dont la collecte peut être décidée par les offices pour financer des programmes pluriannuels de travaux. Cette redevance concerne les prélèvements sur les milieux naturels mais en outre-mer, particulièrement en Guadeloupe, la distribution d'eau est affectée par des fuites qui peuvent représenter jusqu'à la moitié du prélèvement effectué à la source. Ces fuites ne proviennent pas nécessairement de raccordements clandestins ni de la vétusté des canalisations : elles résultent souvent d'une tolérance d'accès gratuit, accordée en échange d'une servitude de passage, mais qui alourdit d'autant la charge imposée aux consommateurs réguliers. Une redevance sur le prélèvement aggraverait cette injustice et je soumettrai donc un amendement en vue d'y remédier.

Sous réserve de quelques remarques, ce projet de loi de programme se révèle au total parfaitement adapté aux problèmes rencontrés outre-mer. Nous l'appuierons donc fermement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Conformément à l'article 69 de la Constitution, le Conseil économique et social a désigné Mme Marlène Mélisse, rapporteure de la section des économies régionales et de l'aménagement du territoire, pour exposer devant l'Assemblée l'avis du Conseil sur le projet de loi de programme pour l'outre-mer.

Messieurs les huissiers, veuillez conduire Mme la Rapporteure du Conseil économique et social à la tribune.

Mme Marlène Mélisse, rapporteure du Conseil économique et social - C'est en vertu de l'article 69 de la Constitution qu'après m'être rendue au Sénat, je viens, en ma qualité de rapporteure de la section des économies régionales et de l'aménagement du territoire, vous présenter l'avis du Conseil économique et social sur le projet de loi programme pour l'outre-mer.

Je mesure l'honneur rendu à l'institution, ainsi confortée dans son rôle d'éclaireur de la décision publique, rôle qu'elle souhaite voir mieux reconnu, de telle sorte que les préoccupations de la société civile soient mieux prises en considération dans l'élaboration des politiques publiques.

Au nom du Conseil et de son président, Jacques Dermagne, je vous remercie, Monsieur le Président, pour votre invitation dont nous mesurons le caractère exceptionnel. Merci également au Gouvernement, en particulier à Mme la ministre, qui en ont créé les conditions et permis que les échanges, certes contradictoires au sein du Conseil, fassent progresser une image de l'outre-mer plus proche des réalités qui le fragilisent.

Examinant le projet, le Conseil a noté une grande diversité dans l'outre-mer qui empêche de l'appréhender comme un tout. Pour autant, la géographie, l'histoire, et aujourd'hui la mondialisation conduisent ces territoires à partager des problématiques communes de développement. Ce sont des territoires peu intégrés dans leur environnement, très dépendants économiquement de la France et de l'Europe, confrontés à des handicaps structurels, à des retards, à la crise de productions généralement protégées, à des inégalités qu'illustrent les taux de chômage élevés, l'insalubrité et la violence, les conflits sociaux. Mais ce sont aussi des territoires contributifs, avec des atouts réels, que des politiques nationales ciblées doivent pouvoir valoriser. A ce titre, une loi programme était nécessaire et urgente.

Prenant acte de l'objectif du Gouvernement de contribuer au développement économique durable et d'agir sur trois fronts : l'emploi, la relance de l'investissement et la continuité territoriale, le Conseil a analysé l'impact de ces mesures.

Il a d'abord relevé le choix du Gouvernement, en faveur de la fiscalité, comme principal instrument d'intervention avec des exonérations généralisées de charges, pour réduire le coût du travail, la reconduction du dispositif corrigé de défiscalisation, ciblant spécialement l'industrie hôtelière et le logement.

Après avoir souligné le caractère controversé de ces mesures, ainsi que les risques pour le territoire et les hommes du choix d'un investissement externalisé qui induit des logiques de développement non maîtrisé par les acteurs locaux, le Conseil a regretté que ces mesures, dans la continuité de celles prises depuis 1952, soient reconduites sans que l'on ait pu en mesurer l'impact sur l'emploi, ni tirer de conclusions quant aux mesures structurelles qui doivent les accompagner.

Le Conseil a rappelé que si les nombreux rapports dont les mesures fiscales ont fait l'objet ne concluent pas à leur inefficacité, ils font apparaître la nécessité de moyens et de structures en pilotage permettant de cerner les dérives et d'agir mieux là où c'est nécessaire. Aussi le Conseil insiste-t-il sur la mise en place de ces moyens et le caractère effectif des évaluations prévues dans la loi, qui doivent associer les collectivités et les partenaires sociaux.

Quoi qu'il en soit, le Conseil souligne la nécessité de se situer dans le cadre de stratégies locales de développement négocié. Outre la fiscalité, il s'agit de s'appuyer sur les hommes dont on doit favoriser la formation et la culture entrepreneuriale, de prendre des mesures complémentaires pour compenser durablement les handicaps et les retards, de donner aux collectivités locales les moyens d'assurer leurs missions dans le développement local.

Ces observations faites, le Conseil considère que le projet de loi comporte des avancées indéniables, notamment en faveur de l'hôtellerie et de l'emploi. Les mesures en faveur de l'emploi productif ne remettent pas en cause le traitement social du chômage, ni les dispositifs particuliers de la loi d'orientation. Le Conseil relève également des mesures favorables à l'emploi des jeunes, diplômés, inscrits à l'ANPE, ou relevant des emplois-jeunes. Il relève le caractère innovant et incitatif de mesures nouvelles, qui autorisent le cumul de plusieurs aides à l'emploi, et sont de nature à renouer le dialogue avec les entreprises.

Cependant, ces mesures, de même que les exonérations de charges, devraient être mises en harmonie avec les dispositifs nationaux, afin de maintenir le différentiel, dont la vocation est de réduire les handicaps vis-à-vis de la métropole et des pays voisins où le coût du travail est très faible.

Pour ce qui est de la défiscalisation, le Conseil considère que l'inscription du dispositif dans la durée - quinze ans - est de nature à rendre le système plus lisible et à rassurer les investisseurs. La réservation au secteur hôtelier d'un taux exceptionnel de défiscalisation à 70 % pour la réhabilitation lui paraît correspondre à la nécessité de privilégier la remise à niveau d'un parc hôtelier particulièrement dégradé. Il pose cependant, pour des régions accusant des retards importants en ces domaines comme Mayotte et la Guyane, le problème du gel hôtelier.

En revanche, s'agissant de la continuité territoriale, le Conseil considère que le projet de loi a le mérite d'en affirmer pour la première fois le principe, mais que le dispositif proposé est en deçà de celui initialement proposé.

Globalement, le projet de loi apporte des solutions à la crise dans les régions d'outre-mer. Cependant, s'agissant d'une loi programme, le Conseil estime qu'elle gagnerait à être enrichie par des mesures complémentaires tendant à renforcer les capacités d'analyse et de prospective locales, à faciliter l'insertion régionale, à améliorer la formation initiale et professionnelle, à développer la recherche et les métiers liés aux nouvelles technologies, à favoriser l'accès des entreprises au crédit, à apurer la situation financière des collectivités.

Outre ces recommandations, le Conseil préconise d'étendre les mesures de défiscalisation aux secteurs exclus, notamment à la navigation de plaisance, d'appliquer le taux exceptionnel de 70 % de défiscalisation réservé à la réhabilitation à la construction hôtelière neuve, en Guyane et à Mayotte, de relever le taux d'exonération des charges sociales au profit des très petites entreprises quand elles s'organisent en groupements, de permettre le cumul des exonérations de charges avec les mesures liées à la réduction du temps de travail, de faire de la formation professionnelle et de la création effective d'emplois une condition d'éligibilité aux exonérations de charges, de conforter les moyens financiers et en ingénierie des collectivités locales et de créer un fonds d'utilité sociale pour subvenir aux besoins de proximité, soutenir les petits projets locaux, élargir l'offre d'activité.

Telles sont les principales recommandations du Conseil économique et social. Je vous remercie (Applaudissements sur tous les bancs).

M. le Président - Je vous remercie de nous avoir fait part des observations du Conseil économique et social qui sont de nature à éclairer nos débats et je suis heureux d'avoir ainsi répondu au souhait de votre institution d'être entendue.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - La discussion de cette loi programme traduit la détermination du Gouvernement à définir un cadre juridique propice à la relance des activités économiques productives indispensables pour un développement durable et équilibré de l'outre-mer.

Mon intervention sera centrée sur le secteur touristique, dont la croissance constitue un enjeu majeur pour l'outre-mer, notamment aux Antilles. Il apparaît comme le secteur économique le plus porteur, face au déclin de certaines activités traditionnelles, notamment agricoles, et surtout comme le seul secteur à même de résorber le chômage des jeunes. Certes, l'outre-mer dispose d'atouts en ce domaine mais il doit également affronter la concurrence agressive de pays tels que la République dominicaine, Cuba ou le Mexique. En octobre dernier, les médias ont donné un large écho aux propos du président du groupe Accor qui annonçait le désengagement de sa société des Antilles françaises, du fait du manque de rentabilité de cette destination et de la dégradation du climat social ; aussi avons-nous concentré toute notre attention sur cette situation préoccupante.

La commission des affaires économiques a du reste, dès novembre 2002, créé une mission d'information sur la crise du tourisme, à laquelle ont participé des députés de la majorité et de l'opposition, auxquels je rends hommage. Je salue d'ailleurs parmi nous M. Jalton, M. Manscour, M. Beaugendre, et je remercie Mme Carabin, MM. Almont et Marie-Jeanne de nous avoir reçus et aidés dans nos travaux.

Depuis sa création, cette mission poursuit ses travaux et rendra un rapport après le vote de cette loi afin d'aider à son application. Cette concertation a permis de relayer auprès du Gouvernement les préoccupations des professionnels et des salariés pour aider à préparer le plan d'urgence en faveur du tourisme d'outre-mer, que M. Léon Bertrand est venu présenter en décembre 2002 aux Antilles et en Guyane.

Lors des entretiens que nous avons eus en décembre avec tous les partenaires de la filière touristique, nous avons été frappés par la prise de conscience des acteurs de la vie antillaise de la nécessité d'aider la filière touristique. Pour atteindre cet objectif, notre commission a fait plusieurs propositions : favoriser l'investissement dans l'immobilier touristique pour réhabiliter les équipements, largement obsolètes, améliorer les conditions de desserte aérienne vers la Guyane et les Antilles, instituer un dispositif de formation professionnelle pour adapter les compétences des employés aux exigences du tourisme international, diversifier les produits touristiques, clarifier les compétences des organismes locaux chargés du développement touristique. Il faut aussi engager des actions spécifiques pour la promotion des Antilles françaises.

Le projet de loi que vous nous présentez permettra certainement de satisfaire la plus grande part des exigences que je viens de rappeler, notamment pour ce qui concerne l'adaptation et la réhabilitation de notre immobilier touristique.

Je me félicite également des mesures de défiscalisation qui permettront d'atteindre ces objectifs : le taux de réduction d'impôt, porté de 60 % à 70 %, et, surtout, le dispositif de « détunnélisation », dont nous avons largement parlé et qui correspond aux demandes que nous avons formulées avec détermination auprès de M. le Premier ministre et de M. Mer. Et quand j'entends le chiffre de 170 millions de manque à gagner du fait de la défiscalisation,...

M. Jean-Jack Queyranne - C'est virtuel !

M. le Président de la commission des affaires économiques - ...je ne peux pas m'empêcher de penser aux emplois préservés ou aux gains pour l'Etat induits par la richesse créée et je ne puis accepter que l'on mette en balance un manque à gagner virtuel et un gain certain ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Je suis un ardent partisan de la défiscalisation : l'égalité des chances passe par l'inégalité des traitements ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Et il n'y a là aucun effet d'aubaine mais une chance historique pour le développement de ces économies.

Malheureusement, tout cela ne suffira pas. Il faut aussi améliorer la desserte aérienne. Madame la ministre, quelles sont les premières conclusions du groupe de travail que vous avez évoqué à ce sujet ?

Il convient aussi de résoudre le problème absolument décisif de la formation, aujourd'hui largement insuffisante Il faut offrir à la clientèle recherchée une main-d'_uvre hautement qualifiée. Pour y parvenir, il faut créer sans plus tarder des lycées hôteliers. Les professionnels du tourisme sont prêts à prendre toute leur part de l'effort de formation afin d'offrir à la clientèle non francophone la qualité de service qu'elle attend. Il faut donc définir une démarche concertée de formation professionnelle continue, indispensable à cette remise à niveau.

S'agissant de la diversification, il est important d'engager une politique volontariste de création de produits touristiques novateurs et différents. Dans les DOM-TOM, nous bénéficions d'arrière-pays exceptionnels, sûrs et préservés : sachons en profiter.

Je tiens aussi à remercier le Gouvernement d'avoir accepté de rendre éligibles à la défiscalisation tous les investissements de loisirs, à l'exception bien sûr des jeux de hasard. L'essor du tourisme suppose en effet une offre de produits diversifiée et je me félicite que le Gouvernement l'ait bien compris. Je me réjouis également qu'il ait accepté l'amendement de Mme Michaux-Chevry qui permet de faire bénéficier les navires de plaisance - sans complaisance d'ailleurs !- du taux de défiscalisation qui sera utile pour développer cette activité. Il y a là un gisement d'emplois important. Encourageons-le !

Tous ces éléments étant mis en place, grâce pour une bonne part d'entre eux au présent projet, il conviendra aussi de simplifier les procédures liées à la conduite d'une politique touristique efficace. Les collectivités locales et les acteurs économiques le demandent avec insistance. On ne peut aborder la compétition économique dans de bonnes conditions si coexistent sur des territoires relativement réduits des organismes de différents niveaux de compétences.

Notre mission a donc tracé quelques pistes pour relancer la filière touristique. Elles ont reçu l'approbation de la quasi-totalité des partenaires que nous avons rencontrés. Ainsi, les responsables des groupes Accor, Club Méditerranée et Nouvelles Frontières nous ont indiqué que si nous allions dans le sens des orientations que je viens de décrire, ils étaient prêts non seulement à maintenir leur activité mais même à la développer.

Je vous fais pour conclure deux propositions. Après le vote de ce texte, il me semble qu'il serait possible d'organiser des Etats généraux du tourisme antillais, pour dégager les lignes de force des actions communes qu'il est nécessaire de conduire. Afin de responsabiliser les différents acteurs, je suggère aussi que soit proposée à leur signature une charte d'objectifs sur trois ans, permettant d'engager un programme pluriannuel. On verra bien alors qui est réellement prêt à s'associer pleinement au développement touristique des Antilles et qui préfère le repli politicien à l'initiative en faveur du développement. Telles sont les différentes propositions que notre commission souhaitait vous faire. Je vous remercie d'en avoir déjà retenu un certain nombre par anticipations. Elles ne visent qu'à aider ces territoires, si chers à notre c_ur (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances - Je mesure parfaitement les difficultés économiques des DOM-TOM, confrontés à des problèmes redoutables de chômage et de désespérance des jeunes. J'en suis d'ailleurs tellement convaincu que j'ai rompu la tradition communautaire voulant que le ministre de l'agriculture exerçant la présidence du conseil des ministres de l'agriculture européens réunisse le conseil dans sa région d'origine.

A cette occasion, j'ai préféré les Antilles au Mont-Saint-Michel...

Mme Christiane Taubira - Le climat y est plus favorable !

M. le Président de la commission des finances - ...pour tenter de convaincre mes homologues européens de ne pas oublier les productions tropicales ! La tâche n'était pas aisée et je crois avoir contribué à quelques progrès en la matière.

Tout ce qui va dans le sens du développement économique - allégement du coût du travail, incitations directes à l'embauche, mesures en faveur de la continuité territoriale - m'agrée.

Cependant, dans la situation budgétaire du pays aujourd'hui,...

M. Christian Paul - Voilà l'instant de vérité !

M. le Président de la commission des finances - ...il n'est pas interdit d'examiner l'efficacité et l'utilité sociale de toute dépense supplémentaire. Je n'ai pas de doute à ce sujet mais je reste sceptique quant à la cohérence de certains dispositifs. Ainsi, je regarde avec attention certaines surenchères, alimentées par des effets d'aubaine, dans certaines situations qui pouvaient peut-être se justifier il y a trente ans mais qui portent aujourd'hui atteinte au développement économique.

J'ai sous les yeux le coût des surrémunérations. Elles sont justifiées par la différence de coût de la vie mais n'entraînent-elles pas entre les secteurs des comparaisons qui peuvent porter préjudice au développement économique ? Je m'attarde un instant sur la majoration des retraites, sans évoquer le stock, mais pour examiner les futurs flux. Et je reste dans le dernier rapport de la Cour des comptes qu'« il importe de mettre fin à l'attribution d'une indemnité injustifiée, d'un montant exorbitant et sans le moindre équivalent dans les autres régimes de retraite ». Entre nous, il faut se dire certaines vérités. Je crois aux mesures de développement économique. Je ne conteste pas l'intérêt des surrémunérations lorsqu'elles sont justifiées par des différences de coût de la vie mais la dernière mesure, concernant la majoration des retraites, y compris de ceux qui n'ont pas habité ou travaillé outre-mer, pose tout de même des problèmes.

L'efficacité économique exige parfois de regarder si certaines surenchères ne peuvent pas porter atteinte au développement économique (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Christian Paul - Madame la ministre, depuis un an, nous vous regardons gouverner. Nous le faisons sans complaisance et tous ceux que j'ai plaisir à retrouver ce soir sur ces bancs sont également très attentifs à votre action. Nous mesurons tous en effet la dureté de la tâche et nous n'ignorons pas que l'on demande trop souvent à l'outre-mer patience et compréhension. Il faut, dans la charge que vous exercez, convaincre des bureaux aveugles et des décideurs froids que les outre-mers valent mille fois ce que la République consent à leur accorder, n'en déplaise au président de la commission des finances...

M. le Président de la commission des finances - Vous m'avez mal compris et vous faites de la démagogie !

M. Christian Paul - Parce que nous savons tout cela, nous avons regardé le Gouvernement agir. Certes le budget pour 2003, amputé avant d'être voté, aurait dû être un signal d'alarme. Mais il y avait la force de la promesse, l'espoir - sans doute naïf - mis dans les engagements pris devant tous les peuples de l'outre-mer et leurs élus. Même ceux, dont j'étais, qui craignaient que bien vite les masques tombent, vous laissaient travailler, considérant que le bénéfice du doute passait avant le bénéfice d'inventaire.

Mais un an a passé. Vous avez travaillé, mais ce gouvernement ne vous a pas entendue. L'heure est venue de rendre compte d'un projet de loi et d'une politique qui constituent une supercherie. Pire, transparaît parfois la marque d'une inspiration coloniale (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président de la commission des affaires économiques - C'est inacceptable !

M. Christian Paul - J'en vois l'expression dans les propos de M. Devedjian, qui, arrivant à la Réunion avec le Premier ministre, prononça ces mots jamais démentis : « Lorsqu'on arrive ici, il faut arriver avec le carnet de chèques à la main »... Je pensais que depuis longtemps cet humour colonial figurait à l'index de la République. A M. Devedjian comme au Premier ministre les Réunionnais ont massivement répondu comme il le fallait : dans la rue.

Cette question préalable ne signifie pas qu'il n'y a pas lieu de débattre de l'outre-mer. Elle signifie qu'il n'y a pas lieu de délibérer sur un projet de loi aussi décevant. Elle signifie que nous voulons - c'est notre droit et notre devoir - mettre en examen ce grand écart entre les promesses et les actes, dans lequel peuvent se loger tous les populismes et toutes les ranc_urs.

On objectera, parfois avec raison, que tel ou tel article de ce texte apporte une amélioration technique aux lois existantes. Mais enfin, que de promesses, que d'espérances soulevées, et flattées, de voir une politique audacieuse relayer, voire améliorer, la grande loi d'orientation de 2000 ! Je crains avant tout qu'il s'agisse de solder hâtivement ces promesses. Non, ce n'est pas une loi de programme, moins encore de programmation ! Ou alors le programme, c'est de ne rien changer ; c'est de fixer pour quinze ans un effort dérisoire de la République pour l'outre-mer. C'est d'enterrer l'espoir qu'a fait naître, à défaut d'y répondre complètement, la loi d'orientation pour l'outre-mer.

Nous mettons en question la politique de ce gouvernement outre-mer, en préalable à tout autre débat. On ne peut séparer ce texte d'une situation politique et d'une réalité sociale. Le moment politique que nous vivons nourrit toutes nos inquiétudes. Les erreurs s'accumulent et l'outre-mer n'est plus une priorité pour ce gouvernement (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Ce n'est pas un temps de la démocratie, après une alternance, c'est le temps de la revanche. La démocratie ne progresse plus quand le dialogue disparaît. Les évolutions institutionnelles aux Antilles comme en Guyane en témoignent. Vous imposez, là où il fallait maintenir le consensus républicain qu'avaient dégagé les congrès. A Saint-Pierre-et-Miquelon, on transforme radicalement le droit applicable, presque par mégarde, et sans concertation. La démocratie ne progresse pas non plus quand la parole de l'Etat est oubliée, comme en Nouvelle-Calédonie, où l'accord de Nouméa semble suspendu, peut-être nié demain si le compromis recherché à propos du corps électoral est remis en cause.

Et que dire de cette habitude désormais prise d'imputer à vos prédécesseurs les pires turpitudes ? J'en sourirais volontiers, et Jean-Jacques Queyranne avec moi si la coupe n'était pas pleine. Ainsi, Madame la ministre, vous déclariez dans un hebdomadaire du 18 mai dernier : « mon prédécesseur avait supprimé les exonérations de charges pour les entreprises de plus de dix salariés ». Le mensonge ne sera jamais acceptable dans une démocratie. Or, nous n'avons jamais supprimé ces exonérations ! Nous les avons maintenues pour les entreprises qui en bénéficiaient avant 1997, et surtout nous les avons étendues à des petites entreprises de moins de dix salariés dans des secteurs qui n'en bénéficiaient pas.

Le temps de la revanche, il est aussi dans la constance que met ce gouvernement à nier les progrès accomplis avant lui, et à casser les projets les plus avancés, malgré leur intérêt ou l'adhésion qu'ils suscitaient.

On l'a vu ici, sur tous les fronts. François Fillon en a fait une spécialité nationale : les emplois-jeunes, les 35 heures, la loi de modernisation sociale en firent les frais. Pour l'outre-mer, je relève que des démarches à la fois concrètes et symboliques ont été brisées net. Je pense d'abord, chère Christiane Taubira, au devoir de connaissance de ce crime contre l'humanité que furent l'esclavage et la traite (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Je pense au beau projet que nous avions conçu avec Bertrand Delanoë de créer avec l'aide de la ville de Paris une cité des outremers, dans un lieu prestigieux et accessible. Je pense à l'abandon du projet de radio que RFO destinait à nos concitoyens d'Ile-de-France. Et l'on me dit que la liste s'allonge chaque jour...

Non, l'outre-mer n'est pas une priorité de ce gouvernement (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Je ne prétends pas, Madame la ministre, que vous n'avez pas défendu vos budgets, mais vous n'avez pas été entendue par le Premier ministre. Encore y a-t-il de meilleures manières, pour obtenir les moyens d'une politique nouvelle, que d'indiquer - vous l'avez fait publiquement - que les crédits du ministère de l'outre-mer sont surabondants... C'est vrai, vous n'avez pas trouvé les caisses vides. D'abord, parce que nous avions fortement augmenté ce budget pour accompagner l'application de la loi d'orientation (Protestations sur les bancs du groupe UMP) ; ensuite parce que, à la veille des élections nationales, il avait été procédé, conformément à notre tradition républicaine, au gel de nombreuses dépenses.

L'outre-mer n'est pas une priorité pour ce gouvernement : regardons les faits. En 2001, dernier budget exécuté par le gouvernement de Lionel Jospin, l'engagement de l'Etat en faveur de l'outre-mer, tous ministères confondus, s'est élevé à 7,881 milliards d'euros hors autorisations de programme. Dès l'exécution par vos soins du budget 2002, cet engagement recule de 376 millions d'euros, soit 4,77 %. Et l'exécution du budget 2003 tourne au cauchemar. Sur votre seul budget, près de 250 millions d'euros ont été gelés ou annulés. M. Méhaignerie peut trouver là une réponse à ses inquiétudes. Deux secteurs en font les frais : la lutte contre le chômage, avec 110 millions d'euros en moins pour le FEDOM, et le logement, dont plus de 80 millions d'euros sont détournés. Il est clair que les 300 millions d'euros de coût budgétaire que revendique le Gouvernement pour ce projet de loi sont loin de compenser le sévère recul financier constaté depuis son arrivée.

Il est donc de notre responsabilité de dénoncer la supercherie que constitue cette prétendue loi de programme. Le dessein du Gouvernement n'est pas de programmer un effet supplémentaire pour l'outre-mer : c'est de demander à l'outre-mer de financer lui-même son développement sans un euro de plus ! C'est là une mauvaise habitude contractée par la droite. Déjà la loi Perben avait financé des mesures provisoires d'allégements de charges, pour cinq ans, grâce à une hausse durable de deux points de la TVA.

Le Gouvernement propose des mesures dans trois domaines : les baisses de charges sociales, les défiscalisations et les transports. Il annonce « un effort sans précédent », « dans la continuité de l'effort engagé depuis 1994 ». Il s'agit d'abord d'effacer la loi d'orientation, et d'en imputer les bons résultats à votre action d'aujourd'hui. Il s'agit ensuite de gonfler artificiellement l'effort budgétaire de la loi de programme. Ainsi, vos mesures d'abaissement du coût du travail peuvent être évaluées à 30 millions d'euros : c'est le vingtième, 5 % de l'effort d'allégement prévu dans la loi d'orientation !

Les mesures de défiscalisation, par ailleurs, ne sont que des dépenses virtuelles : le ministère des finances les maintient dans une enveloppe que lui seul plafonne. Quant aux mesures dites de continuité territoriale, le Gouvernement les chiffre lui-même à 30 millions, avouant ainsi leur insignifiance. A titre de comparaison, la dotation de continuité territoriale pour la Corse s'élève à 600 € par habitant, contre 11,5 € pour les mesures de votre projet... (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Au total, la loi programme, c'est en réalité moins de 65 millions d'euros an, à comparer aux crédits gelés ou annulés et surtout aux 5 milliards de francs par an que le gouvernement Jospin avait mobilisés pour la loi d'orientation. Oui, il faut faire les comptes ! Si nous ne les faisons pas ici, d'autres les feront dans nos circonscriptions...

Enfin il est de mon devoir d'alerter l'Assemblée sur le risque que ce texte fait courir à l'entreprise de moralisation du soutien fiscal outre-mer que le Parlement avait voulu, à l'unanimité des deux chambres - oui, Monsieur Auberger, vous l'avez voté - en 2000.

La réforme du soutien fiscal est le c_ur de votre projet. Or la représentation nationale unanime avait adopté en 2000 des dispositions qui, sans être parfaites, étaient applicables, quoi que vous en disiez. Il s'agissait surtout d'éviter les excès et les dérives que la loi Pons avait suscités et ce soir je sens que le docteur Pons est de retour... Il s'agissait de moraliser le soutien fiscal à l'investissement outre-mer pour le rendre incontestable, donc durable quelles que soient les majorités. Il s'agissait d'encourager les investissements des entreprises plutôt que celui des personnes physiques. Il ne faut pas diaboliser le soutien fiscal à l'investissement ; mais chacun en connaît les effets pervers : les investissements fictifs, les navires qui rouillent en cale sèche, les détournements de fonds confiés à des conseillers fiscaux...

A l'inverse de cet effort de moralisation, votre projet va encourager des investissements qui ne sont pas porteurs d'un développement durable. Vous ne favorisez pas l'efficacité économique, mais l'optimisation fiscale au profit des contribuables métropolitains les plus fortunés - qui ont droit, il est vrai, à toutes les attentions de cette majorité. Ainsi revient-on à cette pratique dite de « détunnélisation » qui permet d'imputer les déficits d'une activité économique sur le revenu imposable, et conduit à privilégier les projets d'investissements qui dégageront un résultat d'exploitation déficitaire. Tout aussi choquant, le déplafonnement de la réduction d'impôt sur le revenu. Là aussi il y avait consensus républicain : vous préférez passer outre.

Ce projet est exclusivement fondé sur le soutien fiscal à l'investissement. Les entreprises elles-mêmes et de nombreux acteurs économiques et sociaux de l'outre-mer l'ont dit avec force : ce n'est pas un bon projet. Il ne résout pas les problèmes actuels, il ne prépare pas à surmonter les difficultés futures. Il n'évoque en rien l'avenir des grandes filières agricoles, les ressources des collectivités locales, ni la formation des femmes et des hommes d'outre-mer.

Au moment de conclure, mes pensées vont à un vieil homme ardent et combatif qui vit désormais sur les hauteurs de Fort-de-France et qui a tant donné pour l'égalité dans notre République.

M. le Rapporteur - Lui, il a du talent, pas vous !

M. Christian Paul - Aimé Césaire aura 90 ans dans quelques jours. Pour lui et pour plus de deux millions de nos concitoyens outre-mer, j'aurais tant aimé que ce rendez-vous soit l'occasion d'un nouveau souffle...

Madame la ministre, je sais que beaucoup d'arbitrages vous furent défavorables. Vous allez tenter de nous convaincre qu'à défaut d'une grande loi, mieux vaut accepter quelques petits pas. Si la majorité votait cette question préalable, elle vous dispenserait de cet exercice. Puisque sans doute elle ne le fera pas, il lui faudra le moment venu rendre des comptes sur cette occasion manquée, sur ce grand écart entre la parole donnée et la réalité des actes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Mme Christiane Taubira et Mme Huguette Bello - Très bien !

Mme la Ministre - Monsieur le secrétaire d'Etat, je n'ai pas du tout l'intention de polémiquer avec vous parce que moi, je respecte un minimum de courtoisie républicaine. Je crois que c'est la première fois qu'on voit ici un tel échange entre deux occupants successifs de la rue Oudinot.

M. Christian Paul - Sarkozy fait la même chose chaque semaine !

Mme la Ministre - J'observerai seulement qu'en défendant une question préalable, vous êtes quelque peu en contradiction avec certains de vos amis politiques, notamment avec M. Lurel qui, toutes ces dernières semaines, n'a cessé de déclarer par voie de presse, de questions écrites ou de questions au Gouvernement qu'il fallait toutes affaires cessantes inscrire ce projet de loi de programme à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale !

Monsieur Lurel, vous avez manifesté une telle impatience que je suis étonnée qu'aujourd'hui M. Paul nous demande de ne pas délibérer. Décidément, il y a quelques problèmes au parti socialiste ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Victorin Lurel - Nous ne pouvons pas accepter ce texte en l'état, c'est pourquoi le groupe socialiste votera avec enthousiasme la question préalable défendue par notre excellent collègue Christian Paul.

Madame la ministre, je ne cesserai de demander une bonne politique, efficace, éclairée, et dotée de moyens conséquents pour le développement de nos régions. Une année durant, on nous a lancé de la poudre aux yeux. Chaque semaine, nous avons eu droit à une déclaration dans la presse nationale. Chaque mois, Madame la ministre, vous avez une émission radiophonique sur RFO. C'est la première fois qu'on voit ainsi un gouvernement coloniser la presse pour vendre du vent ! Telle la chimère, ce projet est « un couteau sans manche auquel il manque la lame » ! Tout au plus, il coûtera soixante-cinq millions de francs. La loi Perben n'avait coûté que deux millions de francs au budget de l'Etat : c'est l'outre-mer qui finançait son propre développement ! Et c'est la LOOM qui a étendu le champ de la défiscalisation.

Depuis un an, Madame la ministre, comme s_ur Anne nous ne voyons rien venir. C'est pourquoi, après avoir défendu la question préalable, nous défendrons une motion de renvoi en commission.

L'outre-mer est blessée par la philosophie qui sous-tend votre texte. Vous-même avez reconnu dans les colonnes de La Croix que par tête d'habitant, l'outre-mer n'est pas plus assistée que les départements de l'hexagone. Alors pourquoi cette stigmatisation des habitants de l'outre-mer, qu'on semble considérer comme des fainéants ?

Parce que nous ne pouvons accepter ce texte en l'état, nous voterons la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Mme Christiane Taubira et Mme Huguette Bello - Très bien !

M. Jean-Christophe Lagarde - Le groupe UDF ne votera naturellement pas la question préalable, dont je rappelle que l'objet est de reconnaître qu'il n'y a pas lieu de délibérer. En effet, il y a évidemment lieu de légiférer. Si nous suivions nos collègues socialistes, nous nous séparerions sans avoir rien fait pour l'outre-mer, ce qui serait extrêmement dommageable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Jean-Christophe Lagarde - Il n'existe entre la métropole et l'outre-mer ni égalité économique ni égalité sociale. Il est donc légitime de leur appliquer une inégalité de traitement, afin d'assurer l'égalité des chances tant en matière d'éducation que face à l'emploi.

S'agissant de l'emploi, les exonérations de charges et les incitations à l'investissement sont un levier efficace, mais elles ne suffiront pas. Les investisseurs reculent devant la multiplication des conflits sociaux et la montée de l'insécurité ; l'Etat doit garantir la stabilité économique et sociale. L'amélioration du climat social passe par l'instauration du dialogue sur la durée.

Le groupe UDF, comme l'avait fait François Bayrou lors de la campagne présidentielle, propose un dispositif innovant pour contribuer à la création d'emplois outre-mer : une exonération de 100 % des charges patronales dans la limite du SMIC pour tout emploi créé, dans la limite de deux emplois par entreprise. Dans la mesure où ce dispositif ne s'appliquerait qu'aux emplois créés, source de rentrées fiscales, et aussi de moindres dépenses sociales, il serait budgétairement neutre pour l'Etat, voire avantageux.

Cela dit, pour donner une vraie chance de développement à l'outre-mer, il faut se consacrer en priorité à l'école, lieu républicain de l'égalité. Or actuellement, l'inégalité est scandaleuse.

M. Christophe Payet - C'est vrai.

M. Jean-Christophe Lagarde - Le taux de réussite au baccalauréat est de 74 % outre-mer contre 79,85 % en métropole. Un enfant sur trois accède au niveau du baccalauréat, contre plus des deux tiers au niveau national. En Guyane, un enfant sur deux quitte le système éducatif sans qualification. N'est-ce pas une des explications du chômage des jeunes qui atteint 53 % dans les DOM, au lieu de 20,7 % en métropole ?

Il faut donc mener outre-mer une politique scolaire volontariste, dégager les moyens nécessaires pour aider les élèves à passer le bac, puis leur assurer une formation professionnelle. Le Gouvernement affirme cette volonté. Mais le dispositif qu'il propose reste insuffisant. La question dépasse le cadre de cette loi. Mais il faut ouvrir le débat, établir un diagnostic sur les causes de l'échec scolaire et évaluer les actions menées. Le groupe UDF proposera un amendement à ce sujet.

Nos compatriotes d'outre-mer sont également très soucieux de la continuité territoriale dont le Président de la République a réaffirmé le principe. Le projet de loi comporte un effort en ce sens. Mais il faut aller plus loin. D'abord, ce principe implique que les transporteurs assurent une mission de service public.

M. Victorin Lurel - Très bien !

M. Jean-Christophe Lagarde - Le groupe UDF propose donc de reprendre l'article 14 de la loi du 22 janvier 2002 sur la Corse qui permet aux collectivités d'imposer de telles missions aux transporteurs. Leur refuser cette possibilité serait traiter différemment deux territoires qui ont les mêmes contraintes.

M. Victorin Lurel - C'est cela l'égalité !

M. Jean-Christophe Lagarde - En second lieu, la continuité territoriale doit jouer non seulement pour les résidents des DOM-TOM mais pour les dizaines de milliers d'originaires de l'outre-mer qui vivent en métropole, même s'ils ne sont pas membres de la fonction publique (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste). Je connais dans ma circonscription des gens qui, ayant deux ou trois enfants, devraient débourser quatre à cinq mois de salaire pour payer les billets. Ils ne partent donc pas. Même sans être fonctionnaires, ils doivent bénéficier de la continuité territoriale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Pourtant ni pour un décès, ni pour un mariage, ni pour un de ces désastres climatiques hélas fréquents, ils ne peuvent retourner dans leur famille.

D'autre part, la continuité territoriale ne passe pas seulement par les transports, mais aussi par tous les échanges, économiques, scolaires, culturels. Il faut encourager les collectivités locales de métropole à passer des contrats d'association avec d'autres collectivités outre-mer. La ville dont je suis maire l'a fait avec Saint-Louis-de-la-Réunion et poursuivra l'an prochain avec une ville des Antilles. Pour cela, nous avons besoin d'aide, je l'avais dit lors du débat budgétaire. J'attends la réponse du Gouvernement. Le groupe UDF propose de créer un office qui serait chargé de cette coopération. Nous pouvons accueillir des jeunes d'outre-mer, les aider à se former, à se loger, nous pouvons aussi faire découvrir l'outre-mer, pour que ses habitants n'aient plus le sentiment d'être traités en citoyens de seconde zone. Une autre voie efficace de la coopération serait de faciliter l'accès des originaires d'outre-mer aux logements sociaux. Nous avons déposé un amendement en ce sens.

Enfin, le groupe UDF estime que l'importance de l'effort nécessite une évaluation régulière, comme le demande aussi le Conseil économique et social. Pour cela, nous proposons d'étendre la procédure d'évaluation prévue à l'article 4 à l'ensemble des dispositifs des deux premiers titres. Cette évaluation doit aussi être un outil de démocratie sociale, et se faire en collaboration avec les acteurs, par l'intermédiaire des conseils économiques et sociaux régionaux.

Ce projet est ambitieux. Mais il aurait été préférable de consacrer plus de moyens à une politique d'éducation volontariste, qui est la clé du développement. J'espère que le Gouvernement sera attentif à nos propositions. Le groupe UDF votera ce projet en souhaitant que sa réussite n'en rende plus d'autre nécessaire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. André Chassaigne - Pendant la campagne électorale, le Président de la République avait fixé comme ambition pour l'outre-mer l'égalité économique, après l'égalité sociale. Il avait fallu près d'un demi-siècle pour réaliser celle-ci dans les DOM, qui auraient dû en bénéficier dès la loi de départementalisation de 1946. Il a fallu attendre 2002 pour poser clairement comme objectif l'égalité économique. Au vu des retards structurels, on mesure l'ampleur de la tâche. Elle nécessite des stratégies qui tiennent compte des limites des plans de développement appliqués jusqu'ici.

Outre-mer, le chômage touche un actif sur quatre, voire un sur trois dans certains territoires, le nombre de RMistes atteint 19 % de la population, le PIB par habitant n'est que de 55 % de celui de la métropole. Les DOM produisent peu et le taux de couverture de leurs importations par leurs exportations n'est que de 10 %. La crise sociale y est encore aggravée par la mondialisation.

Jusqu'à présent, les plans de développement ont été fondés sur la réduction du coût du travail et sur la défiscalisation, avec un succès limité. Ce qu'il faut, c'est une véritable stratégie de développement pour relever le défi de concurrents dont le coût du travail est de quatre à trente fois inférieur.

L'annonce d'une loi de programme sur quinze ans a suscité de grands espoirs. On y a cru. Or votre projet ne répond pas aux attentes. Il n'innove pas, et n'apporte que quelques aménagements. Selon l'avis du Conseil économique et social, ce texte s'inscrit dans le prolongement de la LOOM, autour de trois axes : allégement des charges, défiscalisation, continuité territoriale. Relever le plafond des salaires ouvrant droit à exonération de charges pour les entreprises productives, celles de l'hôtellerie et du tourisme, supprimer l'abattement de 50 % pour le BTP, aider la réhabilitation des logements existants et l'investissement locatif, tout cela aura sans doute des effets positifs. Mais l'effort demeure infime en comparaison du saut qualitatif et quantitatif que constitua la LOOM par rapport à la loi Perben de 1994.

Les contraintes budgétaires font que vous vous contentez de simples retouches, sans aller jusqu'au bout de votre propre logique. Ainsi les activités culturelles, sportives et de loisir liées au tourisme ne bénéficient pas d'exonérations et le dispositif du congé-solidarité demeure peu attrayant, faute d'un aménagement suffisant du régime fiscal et social de l'indemnité de départ et d'une révision du plafond de référence.

M. Victorin Lurel - Eh oui !

M. André Chassaigne - Vous n'augmentez pas les crédits destinés à la formation, à la recherche ou à l'exportation de services, alors qu'il s'agit des atouts principaux de nos collectivités d'outre-mer face aux régions voisines. Le dossier des emplois-jeunes n'est toujours pas réglé et le principe de la continuité territoriale n'est retenu que pour les trajets entre l'outre-mer et la métropole alors que le billet entre Fort-de-France et Cayenne coûte aussi cher que le billet de la Martinique à Paris. Et rien n'est prévu pour la Guadeloupe, bien que le prix du transport entre les îles et le continent soit exorbitant ! D'autre part, l'avantage consenti est bien moindre que celui dont bénéficient la Corse et d'autres régions ultra-périphériques de l'Union européenne.

Je pourrais multiplier les exemples qui relativisent la portée de votre texte. Il est clair que vous refusez d'aller au-delà de petits aménagements, alléguant la contrainte budgétaire pour justifier l'annulation de 140 millions d'euros de crédits destinés à l'outre-mer. Dès lors, vos déclarations ne peuvent être que des effets d'annonce relevant de la publicité mensongère ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Le recherche d'un développement durable exigerait au contraire un projet d'envergure, élaboré en concertation avec les forces vives locales, après évaluation des mesures en vigueur. Or la concertation à laquelle vous avez procédé était bien plus limitée que celle à laquelle a donné lieu la LOOM. Pour la consultation des assemblées locales, vous avez recouru à la procédure d'urgence. Mais sans doute considérez-vous que les technocrates parisiens savent mieux que les élus locaux ce qui convient à ces territoires situés à des milliers de kilomètres de la capitale ! C'est pourquoi, je pense, vous avez également refusé que les exécutifs locaux soient consultés pour l'agrément des projets d'investissement. Pourtant, le Gouvernement ne jure que par la décentralisation... Il est vrai que celle-ci n'est qu'un alibi pour le démantèlement des services publics. Mais ce n'est pas seulement en métropole que les ATOSS et les enseignants se sont mobilisés pour défendre l'école républicaine, et le Premier ministre a pu le constater en février à Saint-Denis-de-la-Réunion !

Aucune évaluation n'a été faite de l'action publique outre-mer, alors même que ce projet continue de privilégier les exonérations de cotisations et la défiscalisation. Le coût par emploi des mesures fiscales en faveur du secteur marchand demanderait pourtant qu'on s'interroge sur leur efficacité.

Enfin, même si votre démarche répond à une situation d'urgence, son effet est bien limité à long terme et le Conseil économique et social a bien raison de souligner que l'impact de ces mesures sur l'emploi et pour un développement endogène durable n'a jamais été précisément évalué, et que des choix d'investissement qui ne s'appuient pas sur les capacités et initiatives locales font courir de graves risques. En effet, la réduction du coût du travail et la défiscalisation ne peuvent suffire à enclencher un développement durable, qui exigerait au contraire des stratégies locales négociées, s'appuyant sur les hommes.

Malgré certains aspects positifs, ce projet n'est donc pas l'instrument requis pour atteindre l'activité économique. Il peut tout au plus consolider à court terme la croissance permise par la LOOM. Or des défis difficiles attendent l'outre-mer, avec l'élargissement de l'Union et la modification des OCM de la banane et du sucre, et le décalage risque fort d'être immense entre les espoirs que vous avez suscités et les résultats que vous atteindrez. L'objectif ambitieux fixé par le Président de la République réclamait une volonté politique autrement forte, mais il est vrai qu'il ne s'agissait que d'une promesse électorale.... D'ailleurs, qu'attendre d'un Gouvernement engagé dans une vaste entreprise de démantèlement de notre système social ? La régression sans précédent que nous connaissons ne fera qu'aggraver la crise outre-mer. Aussi le groupe des députés communistes et républicains votera-t-il contre ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Jacques Barrot - De nombreux collègues UMP de nos chers départements et territoires d'outre-mer viendront bien sûr après moi à cette tribune, pour exprimer la diversité de cette France. Pour ma part, je veux avant tout dire notre attachement à l'outre-mer et saluer l'entreprise de long terme dans laquelle vous vous êtes engagée avec courage, détermination et passion, Madame la ministre.

La France d'outre-mer doit avoir les moyens de son développement. Elle dispose de nombreux atouts - un bon équipement en services publics, un cadre de vie attractif, notamment -, mais elle souffre aussi de handicaps qui requièrent, non une assistance humiliante, mais un soutien efficace et des outils spécifiques. Or, précisément, dans une République aujourd'hui décentralisée, les départements et collectivités sont naturellement conduits à prendre mieux en charge leur développement et c'est dans cet esprit que nous entendons les aider. Au reste, comment notre pays pourrait-il être indifférent à son outre-mer ? Il existe un lien historique tissé d'affection entre la France hexagonale et la France des rivages marins.

Mais notre intérêt pour l'outre-mer est aussi fondé sur la conviction qu'il représente une richesse pour nous et pour l'Europe. Sans lui, la France serait-elle aussi rayonnante ? Pourrait-elle tirer tous les profits d'une mondialisation que nous souhaitons à visage humain ? L'outre-mer nous donne nos nouvelles frontières, en nous offrant une chance de porter jusque dans les Océans indien, pacifique et atlantique un modèle économique et social exemplaire.

Cette loi de programme a le mérite de traiter de façon globale et durable à la fois les problèmes de l'outre-mer, grâce à deux leviers qui permettent même aux pays développés d'accroître encore leur développement : la défiscalisation et la baisse de charge ciblées. Cette politique favorise la création d'emplois marchands et permet de remédier à une certaine pénurie de capitaux. Pour avoir personnellement recherché un renouveau de l'emploi par la baisse des charges, je ne puis que vous féliciter de donner à cette mesure une pérennité qui est la clé de la réussite.

Cette dernière exige certes aussi une volonté locale de développement, mais nous savons que la France d'outre-mer a l'atout de la jeunesse. Encore faut-il que cette jeunesse soit bien formée et vous avez donc bien fait de créer le passeport de la mobilité, qui lui permettra d'échanger avec la jeunesse de la métropole et de jouer tout son rôle.

Le secteur productif commande l'avenir. Le tourisme, par exemple, exige capitaux et formation professionnelle. Sur ce dernier sujet, évoqué par M. Lagarde, je ne puis que redire ma foi en la formation par alternance, adaptée à des pays jeunes. Mais il faut aussi stimuler le dynamisme des PME car, comme vous, nous sommes convaincus que le développement économique et l'insertion passent par la création d'emplois dans le secteur marchand bien plus que par la création d'emplois subventionnés dans le secteur public. Dépassons donc progressivement le stade de l'économie administrée !

Mais il faut aussi aménager la transition et vous avez raison de recourir à la plus large panoplie pour atténuer les souffrances sociales d'une jeunesse qui ne parvient pas à s'insérer, y compris en choisissant parmi les contrats aidés. Nous comptons sur vous pour faire de ces outils nouveaux un usage approprié à chaque territoire ou département.

Ce projet est un pari sur l'avenir, mais nous avons tout lieu de croire qu'en outre-mer comme en métropole, les mentalités évoluent. Nous sentons chez les jeunes un appétit d'initiatives qu'il faut encourager. Notre outre-mer est, d'autre part, en contact avec des territoires en plein développement.

Merci aussi, Madame la ministre, d'avoir assorti tous ces dispositifs de mécanismes de contrôle. Grâce à l'évaluation, nous allons enfin pouvoir, tous les trois ans, mesurer l'efficacité du dispositif et, le cas échéant, l'adapter. Le groupe UMP soutient cette nouvelle démarche qui dynamisera l'économie de nos sociétés d'outre-mer, en dehors de toute assistance ou privilège.

Il s'agit de donner aux collectivités d'outre-mer les moyens de se développer.

Si nous avons reconnu l'esclavage comme un crime contre l'humanité, il faut aller plus loin, et accompagner nos compatriotes d'outre-mer, les aider à construire leur avenir par le travail, l'initiative, la valorisation de leurs atouts. Nous devons faire en sorte que leur destin s'inscrive dans celui d'une République française solidaire, généreuse et fraternelle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Jack Queyranne - Vous avez l'ambition de nous présenter une loi programme pour l'outre-mer pour les quinze prochaines années. C'est vrai, il s'agit pour vous d'honorer une des promesses de campagne d'un candidat à la présidence de la République, qui n'en a jamais été avare. En l'espèce, l'exercice est périlleux. Comment convaincre nos compatriotes d'outre-mer qu'au-delà des promesses généreuses, vous leur accordez un réel intérêt ?

Une loi de programme, ce sont surtout des engagements financiers. Ayant précédemment exercé les fonctions que vous occupez, je sais combien un arbitrage favorable est difficile à obtenir. Une loi pour l'outre-mer traduit surtout la place de l'outre-mer dans la hiérarchie des priorités gouvernementales.

De ce point de vue, votre gouvernement a pris le risque de susciter les plus grandes déceptions. Loi de programme, relance de l'investissement, stratégie de développement durable, continuité territoriale, vous ne pouvez pas vous griser de mots pour masquer la banalité de votre texte au plan de l'inspiration, et son indigence au plan financier.

M. Christian Paul - Très bien !

M. Jean-Jack Queyranne - Revenons à vos trois objectifs.

Tout d'abord, favoriser la création d'emplois. Comment pouvez-vous présenter ce projet de loi comme un effort sans précédent, alors qu'il se résume à un petit complément de la loi d'orientation ? Moins de 40 millions d'euros au titre des compléments d'exonération, 10 millions pour les autres mesures, sans compter la suppression de la prime accordée pour le passage aux 35 heures qui réduit votre effort en faveur de l'emploi à 30 millions d'euros.

Je confirme les propos de M. Paul : en matière d'emploi, votre action représente le vingtième de celle menée par M. Jospin dans la loi d'orientation.

Aucun Gouvernement, de droite comme de gauche, n'avait osé consacrer aussi peu de moyens en faveur de l'emploi de nos concitoyens d'outre-mer.

Le deuxième volet de votre loi de programme est le soutien à l'investissement par la défiscalisation. Vous avez évoqué le chiffre de 165 millions d'euros supplémentaires, en précisant qu'il s'agissait d'un chiffre virtuel. Nous savons à quoi nous en tenir. L'administration des finances fait ses choix sur la base d'une enveloppe de 300 millions d'euros, et à écouter M. Méhaignerie, il ne semble pas que cette enveloppe puisse augmenter !

En réalité, vous revenez sur les mesures de moralisation et de transparence prises par la loi Paul sous la précédente législature, et ressuscitez la loi Pons, source de tant d'abus, à la plus grande joie de quelques fortunés de la métropole, de quelques grands groupes hôteliers, et probablement du président du gouvernement territorial de la Polynésie française.

Sur la continuité territoriale, vous annoncez une enveloppe de 30 millions d'euros, que se partageront les différentes collectivités, afin de diminuer, pour les résidents, le coût des billets d'avion vers la métropole. Selon quel critère cette répartition s'opérera-t-elle ? Le sujet est devenu crucial, du fait des tarifs pratiqués par les compagnies aériennes, faute de véritable concurrence. Je prends acte, Madame la ministre, de votre v_u de voir cette dotation donner le signal d'une baisse des tarifs, mais vous ne prenez aucune disposition pour la confirmer. De ce point de vue, la comparaison a été faite par Christian Paul entre la Corse et l'outre-mer. Les chiffres sont édifiants, et l'effort insuffisant.

M. André Thien Ah Koon - Vous n'avez rien fait !

M. Jean-Jack Queyranne - Mais nous avons encouragé la concurrence pour faire baisser les tarifs !

Fallait-il une loi de programme pour une si maigre enveloppe ? Vous inventez aujourd'hui une nouvelle catégorie juridique, la loi de programme sans crédits. L'outre-mer ne saurait être dupe d'une politique qui, comme pour la loi Perben, reprend d'une main ce qu'elle a donné de l'autre. Votre gouvernement a déjà supprimé la compensation intégrale de l'alignement du RMI, décidée par le gouvernement Jospin, soit 150 millions d'euros, affectés au logement social et à l'insertion. Et que dire des mesures de régulation budgétaire qui, pour 2003, portent déjà sur près de 250 millions d'euros, une nouvelle fois pris sur les crédits de l'emploi et du logement ?

Ce ne sont pas les quelques mesures de votre loi qui, en elles-mêmes, sont critiquables, ni l'absence de toute perspective, ni le caractère virtuel de certaines mesures, suspendues à l'accord des instances communautaires que vous avez tardé à solliciter, à tel point que vous ne pouvez nous dire quand elles entreront en vigueur.

Mme la Ministre - Quel culot !

M. Jean-Jack Queyranne - Insupportable surtout est votre logique à trouver que l'outre-mer coûte toujours trop cher, tout en assurant les élus du contraire.

Madame la ministre, vous avez accompagné le Premier ministre à la Réunion, il y a quelques semaines, et avez pu mesurer l'ampleur de la déception après les premiers mois de votre gouvernement. L'annonce de la suppression des emplois-jeunes, dans des départements où M. Barrot évoquait la jeunesse au chômage, l'insuffisance des crédits dans des secteurs aussi essentiels que l'éducation et la santé, la critique systématique de la fonction publique y sont douloureusement ressenties ; il ne faut pas tromper l'outre-mer, au risque d'y nourrir la désespérance et la révolte. Il faut au contraire mener des politiques de développement et de solidarité, lesquelles sont absentes de ce projet qui n'est qu'un rendez-vous manqué (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Gérard Grignon - Combien de débats sur l'avenir de l'outre-mer ont-ils eu lieu ces dernières années dans cet hémicycle ? Loi Pons, loi Perben, loi d'orientation pour l'outre-mer, et sans doute bien d'autres avant. Combien de fois le fort taux de chômage en outre-mer, la situation économique et sociale dramatique, les collectivités au bord de l'explosion, n'ont-ils pas été évoqués ?

Pourtant, la situation économique de l'outre-mer ne s'est pas améliorée. L'outre-mer doute, et se sent blessée d'être considéré comme un poids financier par la France à qui il a tant apporté. Blessé que l'on parle d'assistance, et non de solidarité, blessé que l'on néglige ses atouts favorables au développement et à la diversification économique, seule politique apte à créer des emplois pérennes et à rendre la dignité par le travail. Hélas, nous sommes si loin de Paris, et si peu écoutés des administrations centrales peu soucieuses de l'avenir de ces confettis de l'Empire, dont certains considèrent qu'il vaudrait mieux se débarrasser.

Je suis convaincu, Madame la ministre, de votre attachement à l'outre-mer français, votre passé et votre travail en témoignent.

Mais une loi programme ne suffit pas, quelle qu'en soit la qualité. Elle doit être accompagnée d'une volonté politique locale et gouvernementale. Et c'est sans doute parce que l'un ou l'autre de ces éléments a fait défaut que l'outre-mer se trouve toujours dans une situation de désarroi économique et social.

Je serai bref sur votre loi. D'autres ont été plus bavards ! Votre texte est bon et je le voterai. Il contribue en effet à baisser considérablement le coût du travail dans des secteurs économiques essentiels. Il va bien au-delà de la LOOM, puisqu'il casse les effets de seuil, ce que la majorité précédente n'avait pas réussi à faire, et prévoit une exonération de charges sociales patronales dans la limite de 1,3 SMIC pour les entreprises de transport aérien, maritime et fluvial. C'est un premier pas, Monsieur Queyranne, à condition bien évidemment que ces sommes permettent de baisser le prix des billets d'avion,...

M. Victorin Lurel - C'est tout le problème !

M. Gérard Grignon - ...les tarifs des compagnies maritimes, les tarifs de fret et d'employer des marins français, contrairement à ce qui se passe actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Mesures nouvelles aussi que celles s'appliquant aux marins créateurs ou repreneurs d'entreprise. Ils bénéficieront d'une exonération de charges sociales pendant vingt-quatre mois. Votre texte prend aussi une disposition très favorable au secteur du BTP, lequel bénéficiera d'une exonération de charges étendue. Je tiens aussi à évoquer les nombreuses dispositions en faveur de l'emploi des jeunes. Ces dispositions constitueront un outil efficace si les organismes locaux chargés de la diversification économique savent en tirer profit, d'autant que les mesures prévues courent sur une période de quinze ans. J'apprécierais cependant que vous confirmiez que l'intégralité de ces exonérations de charges - plus importantes que celles prévues dans la LOOM - seront bien remboursées localement à la caisse de prévoyance sociale et dans des délais raisonnables.

Deuxième volet important de votre texte, la relance de l'investissement grâce à un dispositif de défiscalisation stabilisé sur quinze ans, simplifié et visant la plupart des secteurs d'activité. Certes, Saint-Pierre-et-Miquelon n'en bénéficiera pas à 100 % mais je tenais à saluer le caractère incitatif des dispositions envisagées. Je crois aussi que la possibilité offerte aux investisseurs de bénéficier des dispositions prises par les collectivités dotées de la compétence fiscale est extrêmement positive.

Je reviendrai dans le cours du débat sur la continuité territoriale et sur la desserte aérienne de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Pour prometteuse qu'elle soit, la loi ne suffit pas. La volonté politique de faire aboutir les grands dossiers qui intéressent nos régions est fondamentale. Je m'abstiendrai de toute remarque sur la volonté politique locale de l'assemblée territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, ce n'est pas l'endroit, mais vous savez bien, Madame la ministre, que certains dossiers requièrent un accompagnement et un engagement forts du Gouvernement. Et vous les connaissez ! Je n'en retiendrai que trois, sur lesquels j'ai du reste appelé l'attention du Premier ministre lors de son déplacement au Canada : la négociation des traités concernant l'exploitation des hydrocarbures offshore, la pêche, le captage des émissions de RFO sur le Canada.

Le dossier des hydrocarbures est une des clés de l'avenir de l'archipel. A l'instar de ses prédécesseurs, le Gouvernement ne le défend pas avec la compétence, la technicité et la volonté politique requises face à des Canadiens intransigeants. Nous conduisons cette affaire avec la même légèreté que celle qui a présidé, de 1989 à 1991, à la défense de la zone exclusive française autour de l'archipel. Si la barre n'est pas redressée, nous courons tout droit au même échec.

Sur la pêche, face aux Canadiens, nous faisons preuve du même manque de combativité, alors même qu'il s'agit d'user de droits intangibles, issus de l'accord franco-canadien de 1972 et du droit international maritime.

Quant à la captation des émissions de RFO-Sat et de RFO-Saint-Pierre-et-Miquelon sur le Canada, l'instruction donnée à RFO, avec la caution du ministère de la culture, d'installer une cage de Faraday devant l'antenne émettrice est particulièrement scandaleuse. Les producteurs nord-américains en profitent pour inonder le continent d'émissions médiocres cependant que la voix de la France est étouffée. Il y a là une démarche suicidaire, fondée sur un obscurantisme technologique que rien ne justifie.

J'aimerais que vous nous assuriez de votre détermination à plaider ces trois dossiers au plus haut niveau. Dans cette attende, je soutiendrai l'excellent texte que vous nous proposez (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Alain Rodet - Moins de trois ans après le vote de la LOOM, nous voici à nouveau à l'ouvrage pour examiner un projet sur lequel l'urgence a été déclarée. L'alternance politique a ses exigences mais il n'est pas interdit de penser que l'inflation législative entraîne plus de complications que d'efficacité !

De plus, ce débat s'inscrit dans un calendrier fortement perturbé par des tensions sociales et des prévisions budgétaires de plus en plus pessimistes. On comprend donc aisément le scepticisme que suscite la démarche du Gouvernement.

On pourrait m'objecter que le présent projet s'inscrit dans le long terme ! Quinze ans sur la Ve République, ça a fait quatre législatures et, si l'on se réfère aux vingt-cinq dernières années, six alternances !

Cela doit nous conduire à la fois à plus de modestie et à plus de continuité dans l'effort en faveur de l'outre-mer : moins de replâtrage, plus de méthode !

Le diagnostic sur l'outre-mer est aujourd'hui bien établi. Nous identifions bien les contraintes de la géographie, la singularité des situations et des climats, la dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de produits, l'étroitesse des marchés locaux, le manque d'autonomie économique ou la pression démographique. Dès lors, pourquoi ne pas saisir l'occasion de favoriser l'émergence d'une vision nouvelle de l'outre-mer par nos compatriotes ? Les clichés les plus réducteurs ont la vie dure et il est nécessaire d'inciter la métropole à porter un regard plus solidaire et plus confiant sur l'outre-mer.

Cette appréhension nouvelle des réalités ultra-marines doit se traduire dans des dispositions équitables et efficaces. Le texte évoque le problème de la continuité territoriale et propose à ce sujet une ouverture. Encore faut-il observer que la situation s'est fortement dégradée durant la période récente. Il ne faut pas se contenter de demi-mesures, même si le contexte économique du transport aérien reste difficile.

Tel que vous l'envisagez, le dispositif de défiscalisation concerne un secteur économique trop concentré. Nous ne contestons pas, en vertu de critères moraux, l'intérêt de drainer une épargne depuis la métropole vers les DOM plutôt que vers les paradis fiscaux des Caraïbes. Nous observons cependant que la défiscalisation atteint rarement, au bout du compte, l'objectif affiché de rattrapage économique. C'est pourquoi il nous semble essentiel d'en faire aussi profiter les PME.

Nous n'avons rien contre le fait de permettre au groupe Accor, au Club Med ou à Air France, de profiter des mesures envisagées mais il ne faut pas le faire au détriment de la petite entreprise, dont on sous-estime aujourd'hui encore le rôle et les capacités dans l'économie ultra-marine.

De la même façon, ce texte donne l'impression que l'on cherche toujours à diaboliser la dépense publique. Les dispositions relatives au logement social, au fonctionnement des collectivités locales ou au soutien à l'emploi sont à cet égard révélatrices.

Se contenter de cibler la réhabilitation des logements de plus de quarante ans, c'est sortir du champ de la loi un tiers du parc de logements. Le climat tropical n'est pas celui de la métropole ! On ne peut appliquer les mêmes échelles de valeur.

Pour les collectivités locales, comment ne pas comprendre l'angoisse de nos collègues d'outre-mer lorsqu'ils découvrent que « la dotation de l'Etat s'ajoutera aux concours des collectivités locales » ? On sait la fragilité des finances locales de nombre de collectivités d'outre-mer et nul n'ignore que l'Etat s'est engagé dans une politique budgétaire d'extrême rigueur.

En réalité, une politique de l'outre-mer ne peut se résumer à une exonération de charges et à un programme de défiscalisation. A cet égard, nous regrettons au passage qu'une trop grande liberté ait été laissée à certains cabinets spécialisés dans le conseil - plus ou moins éclairé ! - en investissement.

S'agissant de l'agriculture, il conviendrait sans doute d'aider davantage les petits exploitants qui travaillent sur des sols médiocres ou à forte déclivité.

Ce texte verse beaucoup trop dans l'effet d'annonce. Il ne supporte pas la comparaison avec la LOOM de l'automne 2000. Il ne crée pas les conditions d'un véritable développement durable pour l'outre-mer. On nous objecte qu'il ne faut pas confondre loi de programme et loi de programmation : cela ne revient-il pas à dire que l'on peut « faire bonne chère avec peu d'argent » ? Il y a tout lieu de craindre qu'en définitive, celle loi provoque plus de déception que d'initiative. Voilà pourquoi, sans être des jeteurs de sorts, nous ne pourrons pas l'approuver (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu, ce vendredi 6 juin 2003, à 9 heures 30.

La séance est levée à 2 heures.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU VENDREDI 6 JUIN 2003

A NEUF HEURES TRENTE : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence (n° 881), de programme pour l'outre-mer.

M. Philippe AUBERGER, rapporteur au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan. (Rapport n° 891)

M. Joël BEAUGENDRE, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. (Avis n° 887)

A QUINZE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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