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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 97ème jour de séance, 234ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 10 JUIN 2003

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

RÉFORME DES RETRAITES 2

AFFRONTEMENTS AU LIBERIA 3

RÉFORME DES RETRAITES 3

BACCALAURÉAT 5

EUROPE MONÉTAIRE 5

SÉCURITÉ NUCLÉAIRE 6

RÉFORME DE L'ÉDUCATION NATIONALE 6

RÉFORME DES INSTITUTIONS EUROPÉENNES 7

POLITIQUE DES DÉCHETS 8

AVENIR DE LA SÉCURITÉ SOCIALE 9

COMMERCE ÉQUITABLE 9

DESSERTE DE STRASBOURG, CAPITALE EUROPÉENNE 10

RÉFORME DES RETRAITES 10

La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

RÉFORME DES RETRAITES

M. Daniel Paul - Monsieur le Premier ministre, comment pouvez-vous rester aussi obstiné (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) face à la mobilisation massive que soulèvent aujourd'hui encore vos réformes ? Vous refusez d'entendre les salariés du privé comme les fonctionnaires, notamment les enseignants : ils ne veulent pas de vos réformes, qui ne les trompent pas davantage que les 66 % de Français qui apportent leur soutien à leur mouvement (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

A ces appels inlassables, votre gouvernement répond par une fermeté qui confine au mépris (Mêmes mouvements) : pas de négociations, pas de concessions, vous brandissez même la menace. Est-ce là votre approche du dialogue social ? Ce n'est pas sérieux : votre gouvernement porte la responsabilité des désagréments de ces derniers jours (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP). Ouvrez les négociations, et tout rentrera dans l'ordre ! (Mêmes mouvements) Passez en force, et vous paralyserez le pays !

Une large majorité de nos concitoyens rejette une réforme qui pénalise les seuls salariés, qui ne sauve en rien la répartition, qui rogne les pensions, qui rend illusoire la retraite à 60 ans, qui contraint les salariés âgés à travailler plus longtemps - alors qu'ils sont déjà la cible de licenciements sauvages -, qui entérine les mesures Balladur et qui ignore la pénibilité du travail.

Oui, nous voulons une réforme, mais pas la vôtre ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Le calendrier étriqué que vous nous imposez n'est que le signe de l'autoritarisme et de la précipitation. Nous vous avons fait des propositions pour infléchir le texte (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Nos amendements les reprendront. Nous ne ferons pas d'obstruction, mais nous ne vous laisserons pas passer en force au mépris du peuple et des responsables syndicaux. Vous vous dites prêt à passer l'été à débattre de votre projet.

M. le Président - Posez votre question.

M. Daniel Paul - Mettez donc cette semaine à profit pour ouvrir de véritables négociations afin d'aboutir à un nouveau texte qui soit enfin le fruit du dialogue social et puisse être examiné à la rentrée (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur de nombreux bancs du groupe socialiste).

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe UDF) Le Gouvernement est attentif aux mouvements sociaux. Il est à l'écoute de la rue, dont il mesure la mobilisation, mais aussi de tous les Français qui souhaitent que soit sauvée la retraite par répartition après des années d'immobilisme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Non seulement nous ne rouvrirons pas des négociations qui ont eu lieu (« C'est faux » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) et ont été sanctionnées par un accord, mais dans moins d'une heure nous ouvrirons enfin le débat devant l'Assemblée nationale (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

Ainsi pourrons-nous confronter les arguments, vérifier les chiffres qui fondent les prétendus contre-projets (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) et dégonfler les rumeurs distillées depuis des semaines pour faire peur aux Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) : « les professeurs d'éducation physique devront travailler jusqu'à 70 ans », « il faudra travailler plus pour gagner moins » (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains), un trésor caché permettrait à la France d'échapper à la réforme que tous les pays européens ont consenti. Nous pourrons aussi parler du passé, de l'action de ceux qui étaient au pouvoir il y a encore quelques mois et qui ont brusquement viré de bord en entrant dans l'opposition (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Votre groupe, si j'en juge par le nombre d'amendements qu'il a déposés, attend ce débat avec la même impatience. J'ai noté avec intérêt que, contrairement aux déclarations de son président, il n'avait pas l'intention de faire d'obstruction. J'en accepte l'augure (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

AFFRONTEMENTS AU LIBERIA

M. Michel Voisin - Madame le ministre de la défense, de violents combats ont éclaté la semaine dernière à Monrovia, la capitale du Liberia. Ils opposent les forces gouvernementales aux rebelles du LURD - Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie. L'Union européenne et les Nations unies ont donné l'ordre, dès vendredi, d'évacuer les ressortissants étrangers de la ville.

Bien que les rebelles semblent s'être repliés de quelques kilomètres samedi soir, les combats se poursuivent au nord-ouest de la capitale. Dès hier, les soldats français ont commencé à évacuer les 120 ressortissants étrangers et agents des Nations unies - dont 20 Français - retranchés dans les bâtiments de la délégation de l'Union européenne. Comment se déroule l'opération ? Quelle est la situation de nos soldats sur le terrain ? Quelle est la mission qui leur a été confiée ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense - Devant la dégradation de la situation à Monrovia, l'évacuation des ressortissants étrangers a en effet été décidée. L'opération a été menée hier 9 juin, grâce à la grande réactivité de nos troupes, que permet leur prépositionnement. Le transport de chalands de débarquement Orage, en mission permanente dans le golfe de Guinée, a été engagé et appuyé par des renforts, notamment des hélicoptères, venus de Côte d'Ivoire. Après leur regroupement, les hélicoptères ont pu évacuer 535 ressortissants étrangers, dont 47 Français ou Européens, 86 Américains, 149 Africains et 175 Libanais. L'Orage a quitté la zone dès l'évacuation achevée. Cette opération témoigne encore une fois de la pertinence du pré-positionnement de nos troupes et de l'excellence et du professionnalisme de nos soldats (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

RÉFORME DES RETRAITES

M. Jean-Marc Ayrault - Monsieur le Premier ministre, des centaines de milliers de Français manifestent aujourd'hui encore (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Jamais pourtant notre pays n'a été aussi conscient de la nécessité d'une réforme des retraites (Vives exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP).

Jamais les organisations syndicales n'ont été aussi prêtes à rechercher un grand compromis social (« Tartuffe ! Démagogue ! » sur les bancs du groupe UMP). Mais il vous a manqué la patience, la volonté et la vision (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) : la patience de négocier le temps qu'il fallait, comme l'ont fait nos voisins européens ; la volonté de vous affranchir des formules préétablies ; la vision d'une nouvelle solidarité entre les âges.

Vous avez ajouté la crise à la crise (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) : la crise sociale à la crise économique, celle de l'éducation à celle des retraites, le désarroi des salariés au marasme des entreprises. Voilà un mois que notre pays est secoué par les grèves et les manifestations (« La faute à qui ? » sur les bancs du groupe UMP), et vous êtes impuissant à restaurer la cohésion nationale. Vous avez tablé sur l'essoufflement du mouvement, et il s'est durci au point de menacer les examens (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Le bac doit se dérouler normalement : nous appelons tout le monde, à commencer par vous-même, à la responsabilité.

Ce gâchis social ne profite qu'à ceux qui sont hostiles à toute réforme. Dans une nation démocratique, rien n'est pire que de voir un gouvernement refuser toute alternative. Pas plus qu'il n'existe de pensée unique, il n'y a de solution unique. Nous avons une autre conception de la réforme (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), tout aussi responsable que la vôtre mais davantage porteuse de justice et de solidarité (Mêmes mouvements).

J'entendais ce matin votre ministre des affaires sociales dire avec dédain - merci pour M. Juppé qui, lui, l'avait fait - que les socialistes ne savent qu'augmenter les impôts (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Non ! Nous avons su les baisser quand la croissance était au rendez-vous ; mais quand la solidarité est en jeu, l'impôt est juste et nécessaire.

Le temps parlementaire n'est pas antinomique de celui de la négociation sociale. Il n'est pas trop tard pour faire des gestes d'apaisement : êtes-vous prêt à retirer votre projet de décentralisation de l'éducation ? (« Non ! » sur les bancs du groupe UMP) Etes-vous prêt à reprendre sans délai le dialogue sur les retraites à Matignon avec les responsables syndicaux ? Vous qui parlez de consensus, êtes-vous prêt à prendre les propositions de l'opposition en considération ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Enfin, croyez-vous que l'on puisse réformer le pays contre une partie de lui-même ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe UDF) Je ne souhaite pas polémiquer sur un sujet qui concerne l'avenir de la France. Aussi vous remercierai-je d'abord de votre appel à la responsabilité adressé, au-delà du Gouvernement, à tous, pour que cesse la violence (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) et que les examens puissent se dérouler (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Je salue donc cette démarche. Il y a eu, c'est vrai, ces dernières semaines, du monde dans la rue, mais il s'est aussi trouvé des millions de Français pour défendre la République (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains), laquelle est fondée sur une démocratie sociale, mais aussi politique et parlementaire (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

Nous avons respecté toutes les règles de la démocratie sociale (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) en prenant en compte les travaux du COR installé par le précédent gouvernement. Nous avons engagé le débat au Conseil économique et social, puis dans le pays et avec les organisations syndicales.

Comme souvent, l'issue de ce dialogue a été que certaines organisations syndicales ont dit « non », c'est vrai. J'observe toutefois que M. Thibault, après avoir dit « non », est allé au parti socialiste, mais que M. Chérèque, qui a dit « oui », n'est, lui, pas venu à l'UMP... (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe UMP) Je constate surtout que la majorité des organisations représentatives (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) a signé le relevé de décisions qui appuie les propositions du Gouvernement.

Suis-je prêt, me demandez-vous, à retirer la réforme de la décentralisation ? Non ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Non, Monsieur Ayrault, car cette réforme est indispensable pour donner une nouvelle respiration aux territoires. En revanche, je suis prêt au dialogue, et la preuve en est qu'aujourd'hui même des discussions relatives à la décentralisation et aux moyens de l'éducation nationale vont avoir lieu entre le Gouvernement et les syndicats d'enseignants.

Suis-je prêt, me demandez-vous aussi, à recevoir les responsables syndicaux ? Mais je le fais régulièrement, et aujourd'hui encore. La porte de l'hôtel Matignon leur est ouverte.

Pour autant, il n'est pas question de moratoire, car nous devons affronter des problèmes cruciaux. Ce dont on ne parle jamais, c'est de la non-réforme, qui aurait pour conséquence l'effondrement des retraites en 2006. C'est dire que si comparaison il doit y avoir, elle ne doit pas porter sur ce qui fut et ce qui est, mais sur l'avenir selon que la réforme aura lieu ou pas. Or, ne pas réformer, c'est accepter l'effondrement des retraites et notamment des plus petites. Dans ces conditions, vous l'aurez compris, il est des temps où le courage, c'est l'action ! (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

BACCALAURÉAT

M. Pierre-Christophe Baguet - Alors que nous sommes à moins de 48 heures des premières épreuves du baccalauréat, et après que les examens ont dû être différés dans plusieurs universités, des menaces de plus en plus précises pèsent sur le déroulement de cet examen, suscitant la plus grande inquiétude des candidats et de leurs familles. Quelles mesures entendez-vous prendre, Monsieur le ministre délégué à l'enseignement scolaire, pour assurer le déroulement des épreuves dans les meilleures conditions ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire - Même en période de tranquillité, l'organisation du baccalauréat est extraordinairement complexe, puisque 628 000 candidats, répartis dans 71 pays, doivent composer sur 4 000 sujets, et que quatre millions de copies d'examen doivent être corrigées. On comprend que les mouvements divers qui affectent l'éducation nationale peuvent rendre l'exercice plus difficile encore...

Que peut-on craindre ? Que des éléments incontrôlés n'entravent l'accès aux centres d'examen et que, les grèves se prolongeant, certains professeurs ne refusent de surveiller puis de corriger les épreuves. Ainsi, une cellule de crise a-t-elle été installée qui, à partir du 12 juin, traitera au cas par cas les difficultés qui se présenteraient, en sécurisant tant l'accès aux locaux que les sujets d'examen, et en protégeant les droits des élèves - car de ces droits-là aussi il convient de parler ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Mais je crois pouvoir dire que les organisations syndicales ont pris conscience des risques, et du scandale que représenterait le fait que les élèves soient pris en otage (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) à propos de différends qui ne les concernent en rien. J'ajoute que la plupart des professeurs, dont les grévistes, et je leur rends hommage, ont assuré leurs cours en classe de terminale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mais la meilleure réponse à ces troubles, c'est celle qu'a donnée le Premier ministre en chargeant MM. Ferry, Sarkozy, Devedjian et moi-même de recevoir les organisations syndicales pour renouer le dialogue et faire en sorte, je l'espère, que la querelle soit close demain (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

EUROPE MONÉTAIRE

Mme Marie-Anne Montchamp - M. Gordon Brown, chancelier de l'Échiquier, a annoncé que la Grande-Bretagne reportait l'adoption de l'euro. On note toutefois une inflexion de la doctrine britannique, puisque M. Brown a aussi laissé la porte ouverte à un référendum sur la question. Peut-on penser que la toute récente décision prise par la BCE explique ce changement de ton ? Plus largement, qu'attendez-vous, Monsieur le ministre des finances, de cette baisse historique de son principal taux directeur pour l'économie française ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - La décision, annoncée par le chancelier de l'Échiquier, du dépôt d'un projet de loi visant à consulter les Britanniques sur l'adhésion à l'euro est une décision constructive, car tout élargissement de la zone euro est de nature à renforcer l'indépendance monétaire de l'Union - et cela vaut particulièrement lorsqu'il s'agit de la Grande-Bretagne, dont le poids économique est fort. L'évolution est donc intéressante, mais je ne pense pas qu'elle soit liée à la baisse des taux décidée par la BCE, laquelle agit dans le cadre de sa mission : contribuer à la stabilité des prix. Ce faisant, la BCE a baissé le loyer de l'argent et donc facilité la prise de risques, tant par les consommateurs que par les investisseurs. Je ne doute pas qu'elle poursuivra sur cette lancée, d'autant que la croissance tend à repartir (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

SÉCURITÉ NUCLÉAIRE

M. Pierre-André Périssol - En matière de sécurité nucléaire, la transparence doit être de règle, particulièrement au moment où la France s'apprête à définir ses grands choix énergétiques. Or, selon un quotidien national de ce matin, la polémique enfle au sein de l'institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, auquel interdiction aurait été faite de communiquer sur la prise en compte du risque sismique dans la conception et l'exploitation des installations nucléaires françaises. Qu'en est-il ? Et que penser, aussi, du risque de survol d'une centrale nucléaire par un aéronef ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable - Il ne faut pas confondre transparence et communication. La première consiste à porter à la connaissance du public tous les éléments d'information permettant la tenue d'un débat serein, quand la seconde se sert d'événements dramatiques pour « vendre » un sujet. De quoi s'agit-il ici ? Immédiatement après qu'un séisme a frappé l'Algérie, j'ai demandé au BRGM et à l'IRSN de ressortir leurs fiches relatives aux risques sismiques. Mais, l'Algérie n'ayant pas de centrales nucléaires, je n'ai pas jugé nécessaire la diffusion de celle qui traite de la résistance des installations nucléaires aux séismes. Elle est néanmoins disponible sur l'Internet pour les journalistes et pour tous ceux qui souhaitent en prendre connaissance car sur ce sujet comme sur tous les autres - qu'il s'agisse des installations classées Seveso ou, plus généralement, de la sécurité des centrales -, je souhaite que les informations soient les plus complètes possibles.

Quant au survol d'une installation nucléaire par un aéronef, c'est un délit qui doit être sanctionné, mais les centrales françaises sont conçues pour résister à un accident impliquant un avion de tourisme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

RÉFORME DE L'ÉDUCATION NATIONALE

M. Didier Mathus - Ma question s'adresse à M. Ferry, ou peut-être à M. Sarkozy, puisqu'il s'agit de l'éducation nationale... (Rires sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

Quel que soit l'habillage verbal, la réalité, c'est que vous avez plongé la France dans une crise sociale comme elle n'en avait pas connu depuis décembre 1995 (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). La vérité, c'est que le ministre de l'éducation nationale qui pourfend mai 68 (« Il a raison ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP) a mis dans la rue des centaines de milliers d'enseignants et des millions de parents d'élèves ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Plus grave encore, il a causé le découragement et la radicalisation de générations entières de jeunes enseignants (Mêmes mouvements).

Avec une fausse décentralisation qui s'apparente à une provincialisation d'Ancien Régime (Mêmes mouvements), avec la suppression de 26 000 postes d'aides-éducateurs et de surveillants, avec une réforme des retraites incompatible avec les conditions particulières d'exercice des métiers de l'enseignement, vous êtes comptable de cette situation. Vous avez délibérément choisi de porter atteinte au service public de l'éducation nationale (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Monsieur le Premier ministre, vous allez dans quelques instants rencontrer les organisations syndicales d'enseignants. Vous avez la possibilité de ramener le calme et de permettre le bon déroulement des examens. Allez-vous obstinément défendre des dogmes ultra-libéraux d'une autre époque ? (Mêmes mouvements) Allez-vous continuer de pousser à l'affrontement pour des calculs politiques à courte vue, comme nous avons cru le comprendre de votre réponse à notre collègue Jean-Marc Ayrault ? (Mêmes mouvements) Ou allez-vous enfin être attentif à la profonde inquiétude qui monte des écoles, des collèges et des lycées de notre pays ? Allez-vous faire preuve d'un véritable courage politique en retirant vos projets incendiaires et en acceptant de négocier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) - Depuis plus de deux semaines, je reçois quotidiennement les partenaires sociaux, et depuis une semaine je les ai reçus avec les ministres chargés de la décentralisation et de la fonction publique. Les partenaires ont accepté cette concertation (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), et le dialogue social, je suis navré de vous décevoir, ne se passe pas mal, les organisations syndicales s'apprêtant à nous faire des contre-propositions. Conformément au calendrier prévu, nous apporterons aujourd'hui des réponses concrètes à leurs interrogations. Nous verrons leurs réactions, mais toujours est-il qu'aucun des syndicats n'appelle aujourd'hui au boycott des examens, ce dont je me réjouis et ce dont je leur rends hommage (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Au poste qui est le mien aujourd'hui...

Plusieurs députés socialistes - Et demain ?

M. le Ministre - ...certains prédécesseurs ont choisi de ne pas réformer, se contentant de gérer le système actuel sans aucune audace. L'illettrisme et l'échec scolaire ? Inventions des réactionnaires ! La violence et le racket dans les établissements ? Fantasme sécuritaire de la droite ! Les problèmes posés par le collège unique ? Invention là encore ! Que Jean-Luc Mélenchon surtout se taise à ce sujet quand il l'aborde avec courage d'ailleurs ! Que n'a-t-on entendu ! Certains se sont contentés de réformettes. Tel n'est pas mon choix car cela n'est pas conforme à l'idée que je me fais de la dignité de l'action publique. J'ai, pour ma part, choisi de réformer et n'en ai ni remords ni regret (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

RÉFORME DES INSTITUTIONS EUROPÉENNES

M. Roland Blum - L'Europe est l'une des grandes ambitions de ce siècle. L'ensemble des pays membres travaillent actuellement à une réforme des institutions dont l'objectif est de rendre plus cohérentes les actions de l'Union européenne. Valéry Giscard d'Estaing a présenté vendredi dernier à Bruxelles les dernières propositions du présidium de la Convention sur l'avenir de l'Europe. Le Président de la République a assuré le Président du Conseil européen, Costas Simitis, que la France était déterminée à parvenir au sommet de Thessalonique à un accord ambitieux renforçant l'efficacité, la transparence et le caractère démocratique du fonctionnement des institutions européennes. Le projet de Constitution doit en effet être soumis aux dirigeants des Quinze le 20 juin prochain à Thessalonique.

A la veille de l'élargissement, et face à ces défis, quel est, Madame la ministre déléguée aux affaires européennes, le sentiment du gouvernement français sur les dernières propositions de la Convention et nous affirmer la détermination de la France à faire aboutir un projet fort et exigeant ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes - Au moment où la Convention apporte la dernière touche à son projet de Constitution, votre question est en effet importante.

M. Michel Delebarre - Voilà qui ne mange pas de pain !

Mme la Ministre déléguée - Les travaux de la Convention sont un succès. La procédure suivie a été totalement transparente et démocratique et, quelle que puisse être la divergence de leurs intérêts, les Etats ont montré qu'ils souhaitaient travailler ensemble sur l'avenir de l'Europe. Alors que personne ou presque ne pariait, il y a quelques jours encore, sur la possibilité de parvenir à un consensus, nous en sommes aujourd'hui très proches et le Président Giscard d'Estaing devrait pouvoir présenter un projet complet et cohérent au sommet de Thessalonique.

Tous nos conventionnels, au premier rang desquels le ministre des affaires étrangères, mais aussi les parlementaires, de tous bords politiques, ont _uvré pour que l'essentiel des propositions françaises soit retenu. Présidence plus stable du Conseil européen, institution d'un ministre des affaires étrangères européen qui fera entendre la voix de l'Union sur la scène internationale, renforcement du pouvoir d'initiative de la Commission ainsi que du Parlement, qui deviendra un colégislateur, autant de points sur lesquels nous avons obtenu satisfaction. Pour le reste, des perspectives sont ouvertes en matière de compétences, notamment pour la création d'un espace judiciaire européen. D'autres avancées suivront. Vous le voyez, le bilan de la Convention aura été très positif, l'Europe allant se trouver dotée, pour la première fois, d'une Constitution (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

POLITIQUE DES DÉCHETS

M. Jacques Pélissard - La loi du 13 juillet 1992 relative aux déchets donnait dix ans pour moderniser notre politique en ce domaine. Le modèle français, fondé sur un large partenariat avec les collectivités locales mais aussi la participation des citoyens, a démontré toute son efficacité. Il y a douze ans, seul un Français sur mille triait ses déchets ménagers contre cinq sur six aujourd'hui.

Notre dispositif de gestion des déchets n'est toutefois pas encore complet. L'année dernière, à l'échéance fixée par la loi de 1992, vous avez ouvert, Madame la ministre de l'écologie, une période d'un an pour définir, en concertation, de nouveaux axes en ce domaine. Etait en effet restée en suspens la mise en place des filières dédiées, comme celles des déchets électriques et électroniques, des courriers non adressés qui envahissent nos boîtes aux lettres à hauteur de 40 kilos par an et par boîte, des bio-déchets compostables, lesquels ont fait l'objet de maintes circulaires sans que jamais la filière ne soit véritablement organisée. Reste également, hélas, à réduire à la source nos déchets...

M. le Président - Posez votre question, je vous prie.

M. Jacques Pélissard - Vous avez présenté, la semaine dernière, Madame la ministre, une communication sur le sujet en Conseil des ministres. Pouvez-vous nous en préciser les grands axes de façon que les élus locaux puissent orienter leur action en toute connaissance de cause ? Le défi est en effet double : il faut maîtriser à la fois les techniques et le coût du traitement. Je souhaite aussi savoir quel soutien les collectivités peuvent escompter de l'ADEME (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable - Je sais quelle excellente connaissance vous avez de ce dossier, puisque vous présidez le Conseil national des déchets (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste).

Notre politique reposera sur quatre axes principaux. Premier axe : limiter l'impact sur l'environnement du traitement des déchets ménagers. C'est ainsi que j'ai fait fermer les trente-six incinérateurs hors normes légués par mes prédécesseurs. Nous allons également mettre aux normes les décharges illégales, tout faire pour maîtriser les émissions de gaz à effet de serre et séparer efficacement des autres les déchets toxiques.

Deuxième axe : mieux valoriser les déchets, ce qui suppose d'amplifier encore le tri et de mettre en place en effet des filières dédiées. Un décret est paru concernant les pneumatiques usagés, un autre est en préparation concernant les véhicules hors d'usage.

Troisième axe : réduire la production de déchets à la source. Un plan sera présenté à cet effet à l'automne.

Dernier axe : augmenter les capacités d'élimination par enfouissement ou incinération. Cela exigera bien sûr une concertation approfondie avec les élus locaux, dont les pouvoirs en ce domaine seront étendus, sachant que des recettes leur seront concomitamment transférées. Un projet de loi vous sera soumis au début de 2004 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

AVENIR DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

M. Claude Bartolone - Monsieur le Premier ministre, votre politique depuis un an a conduit la sécurité sociale dans une double impasse (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). La hausse du chômage et le ralentissement de l'activité économique ont réduit ses recettes tandis que ses dépenses, en particulier de médecine de ville, ont continué d'augmenter. Les chiffres de 2002 augurent mal de ceux de 2003, lorsque se feront sentir en année pleine les effets des augmentations accordées aux généralistes sans contrepartie, et vous ne pourrez pas faire d'économie dans le secteur hospitalier où nos établissements ont besoin d'investissements lourds (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Il est donc temps, Monsieur le Premier ministre, de parler à nos concitoyens de vos projets concernant la sécurité sociale. Un quotidien de ce matin indiquait que vous souhaitiez continuer d'abaisser les impôts et ne pas augmenter la CSG. Votre projet est-il donc de diminuer encore les remboursements pour que nos concitoyens soient contraints de souscrire des assurances privées ? De confier les hôpitaux aux régions, au risque que seules les plus riches d'entre elles puissent en assumer le financement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) En réalité, avez-vous seulement un projet pour la sécurité sociale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - Vous vous faites du souci pour la sécurité sociale, nous aussi. Je me demande bien pourquoi, puisque « gouverner c'est prévoir », vous n'avez pas entrepris les réformes nécessaires alors même que vous étiez au pouvoir dans une période de croissance (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Après tout, il est peut-être heureux que vous ne l'ayez pas fait car, peut-être auriez-vous, comme le chancelier Schröder en Allemagne, instauré un ticket modérateur de 15 € par consultation spécialisée (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), déremboursé les soins de certaines pathologies comme la surdité (Mêmes mouvements), créé des caisses de maladie concurrentielles (Mêmes mouvements), convention sélective des médecins. Au nom de l'idéologie socialiste, allez-vous les approuver ou les condamner ? (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Mais nous ne vous avons pas attendus. Le projet « Hôpital 2007 » proposé par le Premier ministre est en _uvre, la nouvelle politique du médicament est en _uvre (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), l'accord avec les médecins généralistes est une réforme efficace, fondée sur la confiance, qui a permis la diminution de 1,5 % du nombre d'actes des généralistes et celle des prescriptions d'antibiotiques, ainsi qu'un recours accru aux génériques.

Mais si vous voulez me faire dire maintenant ce que nous avons prévu de dire à l'automne, c'est raté ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

COMMERCE ÉQUITABLE

M. Denis Jacquat - La déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 énonce, en son article 23, que quiconque travaille a droit à une rémunération équitable lui permettant de vivre dans la dignité. Malheureusement nous en sommes loin et 56 % de la population mondiale vit dans la pauvreté. Le développement du commerce équitable est l'une des voies vers un monde plus équilibré. Il s'agit de favoriser la vente de produits en assurant une juste rémunération du travail, dans le respect des droits fondamentaux des personnes et dans le respect de l'environnement.

Ce commerce tend à se développer, mais beaucoup reste à faire, par rapport à certains de nos voisins. Monsieur le ministre de la coopération, vous avez lancé un projet de soutien à cette filière. Pouvez-vous nous en détailler le contenu ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - Ce commerce « équitable » reste mal connu de nos concitoyens. Il permet d'accorder aux producteurs du Sud, en particulier d'Afrique, une rémunération et des conditions d'existence acceptables. Pour cela il faut leur permettre l'accès à nos marchés. Des associations et certains circuits spécialisés s'y emploient, et je félicite ceux qui ont pris ces initiatives. Mais il faut aller plus loin encore en mettant en place des circuits de production dans les pays du Sud et des circuits de distribution dans les pays du Nord.

La France a pris des engagements au sommet du développement durable à Johannesburg. Nous venons ainsi de décider d'un projet de 5,5 millions pour encourager la consolidation des filières de production, sensibiliser l'opinion et développer les circuits commerciaux. Le commerce équitable est un des outils de notre coopération avec les pays du Sud (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

DESSERTE DE STRASBOURG, CAPITALE EUROPÉENNE

M. Yves Bur - Strasbourg accueille la Cour européenne des droits de l'homme, le Conseil de l'Europe, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe et le Parlement européen. Conscients de leur responsabilité, élus et forces économiques locales et régionales se sont mobilisés avec le soutien de Mme la ministre des affaires européennes, pour améliorer les conditions d'accès. Restent néanmoins des difficultés que la ville et la région ne peuvent surmonter seules, mais qu'il faut résoudre pour ne plus donner prise à ceux qui voudraient remettre en cause la répartition des institutions européennes, et en particulier la localisation du Parlement européen. Quelles sont les mesures prises par le Gouvernement pour soutenir les efforts locaux et défendre la vocation de capitale européenne de Strasbourg, qui doit être une cause nationale ?

Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes - Défendre Strasbourg n'est pas seulement une cause alsacienne ou nationale, mais européenne. Être le seul pays hôte des deux grandes institutions européennes, l'Union européenne et le Conseil de l'Europe, dont nous sommes membres fondateurs, nous donne un privilège mais aussi une lourde responsabilité.

Nous savons bien qu'il faut faire vite pour rendre Strasbourg plus accessible. Le ministère des affaires étrangères a déjà financé cette année de nouvelles dessertes aériennes. Le Premier ministre a constitué un comité de pilotage comprenant des élus locaux, dont vous-même, des élus d'autres régions, françaises et allemandes, le président du Parlement européen et le secrétaire général du Conseil de l'Europe. Nous avons conclu un contrat triennal dont les crédits sont passés de 38 à 47,3 millions d'euros, soit une augmentation de 30 % et que le comité de pilotage a commencé de mettre en _uvre. Nous avons soutenu le projet d'interconnexion entre Strasbourg et Francfort avec l'appui de nos partenaires allemands. Nous voulons constituer un pôle européen d'administration publique, avec la participation de toutes les institutions universitaires de Strasbourg. Enfin le conseil des ministres franco-allemand a acté le projet de création d'un eurodistrict d'un million d'habitants. Je remercie les élus pour leurs efforts, ainsi que le Parlement européen, qui, à une majorité de plus des deux tiers, a décidé que la session solennelle d'accueil des parlementaires des nouveaux Etats membres de l'Union se tiendra bien à Strasbourg.

M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

La séance, suspendue à 15 heures 55, est reprise à 16 heures 15.

RÉFORME DES RETRAITES

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi portant réforme des retraites.

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter au nom du Gouvernement est conforme aux engagements du Président de la République et au calendrier annoncé dans ma déclaration de politique générale, approuvée par le Parlement.

Ce n'est pas le projet initial du Gouvernement, c'est un texte qui a fait l'objet d'une rédaction négociée avec les partenaires sociaux...

M. François Hollande - Ce n'est pas vrai !

M. Jean-Pierre Brard - Pinocchio !

M. le Premier ministre - ...recueillant ainsi l'accord d'une majorité des organisations représentatives (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Bernard Roman - C'est quoi, « une majorité » ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Premier ministre - Sur un sujet majeur pour l'avenir de la France, je ne veux pas participer à la polémique.

M. Bernard Roman - Je ne polémique pas, je pose une question !

M. le Premier ministre - Ce texte est le fruit du dialogue social (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Dans ce débat que nous savons essentiel, que la France sait essentiel, je veux souligner le rôle du temps.

Depuis quinze ans, tous les gouvernements ont été confrontés à la question des retraites : les succès, les insuccès, les attentes ont permis une prise de conscience et une évolution des esprits. Il nous revient aujourd'hui de franchir un pas décisif.

J'en appelle à la responsabilité de tous pour que nous le fassions ensemble.

Après de multiples études et rapports des années durant, le temps de l'action, le temps de la lucidité, je dirais même le temps de la lucidité démographique, est venu.

Voilà maintenant trente ans que notre pays ne remplace plus ses générations. Il nous fallait bien un jour tirer les leçons de ce fait historique et le replacer dans l'action publique.

La France est convaincue d'avoir la passion du changement : changement politique, social, économique... Aujourd'hui, nous travaillons même sur le changement climatique (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Et pourtant, ceux qui ont alerté les Françaises et les Français sur le changement démographique n'ont pas été entendus.

A la libération, Alfred Sauvy et Robert Debré contribuèrent à la prise de conscience du nécessaire sursaut démographique...

M. Jean-Pierre Brard - Sauvy s'est trompé... Vous êtes comme Pinocchio !

M. le Premier ministre - Je vous en prie ! Le mépris est la haine des faibles, a dit Victor Hugo (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Après cette prise de conscience, des mesures très importantes, comme les allocations familiales ou le quotient familial, furent mises en place. Mais après la fin du baby-boom, la société française semble indifférente à ces données démographiques. A l'extérieur, la croissance continue de la population chinoise, les 400 millions de nouveaux citoyens de l'Inde, le million d'Egyptiens supplémentaire chaque année, la démographie toujours galopante de plusieurs pays d'Amérique latine sont pour beaucoup d'Européens des informations saisies, mais non traitées.

Pourtant, le changement démographique devrait être la matrice première de l'action politique pour les quinze prochaines années, qu'il s'agisse des retraites, bien sûr, mais aussi de la santé (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains), de l'aménagement du territoire (Mêmes mouvements), de l'éducation (Mêmes mouvements) nationale, de l'immigration ou de l'emploi (Mêmes mouvements).

Trop souvent, nous avons cherché les solutions à nos problèmes en comptant sur les richesses produites par le plus grand nombre. La solidarité entre les générations a profité de cette ancienne donne. Avec la nouvelle donne démographique, les rapports entre les recettes et les dépenses seront modifiés. Mais le changement ne se limite pas à la comptabilité.

Dans une société qui place la personne humaine en première ligne de ses préoccupations, c'est le changement affectant les différents âges de la vie qui devient le fait majeur de ce début du XXIe siècle. L'accueil de l'enfant s'affirme comme une priorité nationale (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste), et la politique familiale comme une politique de premier plan (Mêmes mouvements) ; l'éducation nationale doit plus encore accompagner l'enfant, avant que la formation n'accompagne l'adulte, tout au long de la vie. L'expérience redevient une richesse nationale et il faudra en convaincre les entreprises pour que cessent les licenciements des salariés de plus de 50 ans (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). La retraite n'est plus synonyme de vieillesse, mais d'une activité pouvant être à la fois généreuse et créatrice. La famille à quatre générations et à périmètre variable sera davantage la règle que l'exception ; enfin, il nous faudra trouver les moyens financiers pour faire face au nécessaire accompagnement humain et médical des plus âgés d'entre nous.

M. Pascal Terrasse - Parlons de l'APA !

M. le Premier ministre - « Permettre aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours » : cet objectif de la charte du Conseil national de la résistance reste pour nous fondamental, même si, à l'évidence, il dépasse la seule question des retraites (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Aucune des politiques publiques, à l'avenir ne pourra échapper au changement démographique. Face à ce changement, la société d'aujourd'hui, la société de demain, c'est la société des réformes.

La stratégie de l'autruche est la plus coupable face à notre devoir de parents, d'élus, de responsables (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Notre pacte social ne sera pas sauvé par l'immobilisme. La retraite par répartition, la sécurité sociale pour tous, la qualité du service public : tous ces piliers de notre pacte républicain sont menacés par les retards...

M. Jean-Jack Queyranne - Par vous !

M. le Premier ministre - ...par les délais, par les moratoires, l'immobilisme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Nos chefs d'_uvre sociaux sont fragiles. Je vous tiens le langage de la vérité (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Le courage, aujourd'hui, ce n'est pas de retarder, de reprocher ou de constater. Le courage, aujourd'hui, c'est d'agir pour que le modèle français trouve dans la réforme sa sauvegarde. Cette exigence est européenne. Notre continent pèsera peu dans le monde d'ici vingt ans si, année après année, sa croissance reste durablement inférieure à celle des Etats-Unis ou à celle des pays émergents.

Notre stratégie, c'est celle de la croissance durable, cette croissance qui, lorsqu'on la tient, doit être utilisée pour les réformes nécessaires à l'avenir de la France (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Ne vivons pas la réforme comme une contrainte...

M. André Gerin - Cette réforme est une régression !

M. le Premier ministre - ...mais bien comme une chance. La vie nouvelle du XXIe siècle aura ses bonheurs.

Quand, grâce aux réformes, les peurs seront apaisées, chacun pourra profiter des progrès : ceux de la médecine comme ceux de la technologie, ceux de la cohésion comme ceux de la création.

M. Jean-Pierre Brard - C'est Alice au pays des merveilles !

M. le Premier ministre - La France ne doit pas avoir peur de son avenir, elle doit y faire face. Pour cela, elle doit surmonter ses tensions et ses divisions. Toutes les opinions sont respectables, mais tous les comportements ne sont pas acceptables (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Les républicains doivent s'opposer à toute forme de violence. Les extrémismes fragilisent la démocratie. Dans une démocratie, il n'y a pas les bons violents d'un côté et les mauvais de l'autre. Toute violence est une menace pour la démocratie et une atteinte à la République (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Les règles républicaines de notre « vivre-ensemble » doivent être respectées par tous et la première de ces règles est le respect du suffrage universel, qui fonde la légitimité de la représentation nationale, lieu de l'ultime décision (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard - 19 % (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Arnaud Lepercq - Et combien pour le PC ?

M. le Premier ministre - Je ne crois pas que la légitimité de cette assemblée puisse être contestée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Après les initiatives courageuses d'Edouard Balladur et d'Alain Juppé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) et après la création du fonds de réserve des retraites par Lionel Jospin, la réforme des retraites que nous vous proposons est la première qui intègre avec lucidité le changement démographique (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Je remercie les ministres François Fillon et Jean-Paul Delevoye (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP), qui ont su dialoguer, écouter et construire, avec intelligence et détermination, ce projet à la fois novateur et courageux. Je salue tous ceux qui ont participé à ces travaux.

Nous avons poursuivi un seul objectif : la sauvegarde de notre régime par répartition, qui est le socle sur lequel tous les Français se retrouvent et qui, ayons le courage de le dire, est mis en cause par l'immobilisme.

Notre réforme est nécessaire : à partir de 2006 les déficits vont se creuser et sans réforme, il nous faudrait 43 milliards d'euros en 2020 et plus du double en 2040 pour sauver la retraite par répartition (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). D'ores et déjà, plus de 18 milliards d'euros sont trouvés, sans qu'il soit nécessaire d'imposer davantage le travail (Mêmes mouvements). Le solde s'étalera dans le temps.

C'est une réforme sage : une réforme progressive, que nous avons construite sur dix-sept ans, jusqu'en 2020, en prévoyant en 2008 et 2013 des rendez-vous d'adaptation en fonction des paramètres économiques et sociaux.

Ces rendez-vous réguliers nous permettront de vérifier le bien-fondé des hypothèses retenues et de prendre, le cas échéant, les mesures nécessaires d'adaptation afin que le montant des pensions soit maintenu et reste en rapport avec les ressources des actifs.

Plusieurs députés communistes et républicains - C'est faux !

M. le Premier ministre - C'est une réforme juste Les petites retraites seront améliorées (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Ceux qui ont commencé à travailler à 14, 15 ou 16 ans et qui jusqu'à ce jour ont toujours été ignorés auront la possibilité de prendre leur retraite avant 60 ans (Mêmes mouvements). Voilà une vraie avancée sociale pour ceux qui ont été le plus exposés aux difficultés du travail ! La retraite des agriculteurs, elle aussi, sera améliorée, notamment grâce à la mensualisation (Mêmes mouvements).

C'est une réforme équitable (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) : nous organisons progressivement la convergence entre le secteur privé et le secteur public (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDF). En 2008, avec une durée de cotisation de quarante ans, nous vivrons ce premier rendez-vous de l'équité.

M. André Gerin - Régression !

M. le Premier ministre - Il ne s'agit pas d'opposer les uns aux autres, mais de faire de l'équité une valeur républicaine (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et quelques bancs du groupe UDF).

Enfin, c'est une réforme de société. L'âge de la retraite ne sera plus un couperet ; la transition entre le travail et la retraite sera beaucoup plus progressive et les travailleurs expérimentés seront mieux considérés. Bien sûr, il restera beaucoup à faire après l'adoption de ce texte, qu'il s'agisse des négociations sociales sur la pénibilité ou de la lutte contre le chômage des jeunes comme des plus de 50 ans. Nous nous engageons dans cette bataille pour la France. Ce n'est pas parce qu'il y a des difficultés qu'il faut renoncer à l'équité ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Cette réforme est un début. Elle en impliquera beaucoup d'autres. Elle intègre la nouvelle donne démographique, qui fait que ceux qui paient sont de moins en moins nombreux, et ceux qui touchent de plus en plus nombreux. Il faut regarder la réalité en face et tenir au pays le langage de la vérité ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Cette réforme vient rappeler que le travail et l'esprit d'initiative sont synonymes de promotion sociale, d'accomplissement personnel et de progrès. La France a besoin de mieux valoriser toutes ses ressources humaines, pour créer les conditions d'une croissance durable qui profite à tous et pour résister à la concurrence internationale. Mieux vaut augmenter le nombre d'heures travaillées, de manière globale, plutôt qu'accroître les prélèvements, qui finissent toujours par fragiliser l'emploi. Le travail crée l'emploi, le travail crée la croissance (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP et plusieurs bancs du groupe UDF).

Je sais que ces changements suscitent des inquiétudes. Je comprends le désarroi de ceux qui craignent que l'incertitude s'ajoute à l'angoisse de la retraite. La cohésion nationale exige le respect de tous.

A ceux là qui ont des craintes je dis que nous accomplissons une réforme de sécurité nationale, qui va sauver nos retraites (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Elle marquera de réels progrès pour les plus fragiles, ce dont tous ceux qui la voteront pourront être fiers (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et plusieurs bancs du groupe UDF).

La réforme des retraites est devenue urgente car, durant ces dernières années, je n'ai pas vu déposer de projet. Nous ne pouvons pas abandonner nos responsabilités à nos enfants. Rien ne justifie qu'un adulte sacrifie les enfants dont il a la charge (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Le débat est légitime. Je respecte les convictions des uns et des autres et nous les écouterons. Nous sommes prêts à accorder à ce débat tout le temps nécessaire, pour que chacun puisse dire ce qu'il a sur le c_ur. Ce que j'ai, moi, sur le c_ur, c'est que notre génération est face à son devoir : assurer l'avenir de la France ! (Les députés du groupe UMP et plusieurs députés du groupe UDF se lèvent et applaudissent longuement ; les députés du groupe CR entonnent l'Internationale ; huées sur les bancs du groupe UMP, dont les députés entonnent la Marseillaise)

M. le Président - Nous ne sommes pas dans un cours de chant ! Je suspends la séance pour cinq minutes !

La séance, suspendue à 16 heures 40, est reprise à 16 heures 45.

M. Jean-Pierre Brard - Je souhaite faire un rappel au Règlement fondé sur l'alinéa premier de l'article 58.

Tout à l'heure, M. le Premier ministre a prétendu que j'exprimais du mépris en évoquant Pinocchio. Ce n'était pas du mépris, mais de l'analogie, et des plus pertinentes, comme le montreront deux exemples.

M. le Président - Soyez bref.

M. Jean-Pierre Brard - M. le Premier ministre a dit qu'il prendrait le temps du débat ! Il faut l'éclairer et s'assurer qu'il ne s'engage pas sur des bases chancelantes.

M. Yves Nicolin - Votre nez s'allonge !

M. Jean-Pierre Brard - M. le Premier ministre a évoqué Alfred Sauvy. Excellente référence ! M. Sauvy avait prévu après-guerre que nous serions 40 millions en 2000. Ne s'est-il pas trompé ? Et puisque nous parlons démographie, pourquoi donc M. le Premier ministre ne dit-il pas la vérité, à savoir que l'on peut aujourd'hui espérer 2,1 enfants par famille ?

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Après dix ans de débats, de rapports et d'hésitations, c'est avec la certitude que l'immobilisme et les fausses solutions seraient désastreux pour notre pacte social que je présente devant vous la première réforme globale de notre système de retraite depuis l'après-guerre.

Cette réforme fait débat. Nos concitoyens éprouvent une certaine appréhension devant le changement, même si au fond d'eux-mêmes, ils sentent bien qu'il faut aller de l'avant.

La contestation actuelle est à la mesure d'une réforme qui est au c_ur de nos pratiques sociales et économiques. Elle est aussi à l'image du malaise de l'Etat, qui, faute d'avoir suffisamment évolué, conduit certains de ses agents à ne plus percevoir la clarté et l'honneur de leur mission.

Mais cette crispation souligne aussi une double caractéristique nationale : celle du conflit qui s'exerce faute de démocratie sociale véritable, avec la faiblesse historique de nos corps intermédiaires ; celle, ensuite, de la démission du politique devant la réforme et la nécessité de dessiner l'avenir. L'Etat a perdu son rôle de donneur de sens. Le premier tour de l'élection présidentielle a pourtant démontré que nos concitoyens peuvent être plus sévères vis-à-vis de l'impuissance publique qu'à l'égard de la volonté politique.

La détermination et le sens de la responsabilité qui nous animent sont d'autant plus essentiels qu'à travers la question des retraites, c'est tout notre modèle social qui est défié. Face à ce défi, l'action est un devoir !

Le calendrier fixé par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale du 3 juillet 2002 a été scrupuleusement respecté. Personne ne peut nous accuser d'avoir procédé par surprise ou dans la précipitation.

Ce calendrier a permis un dialogue social dont ce texte est l'aboutissement.

La phase de concertation et de négociation fut longue et intense. Du début février à la mi-mai, le dialogue aura duré trois mois et demi au cours desquels tous les aspects de la réforme ont été abordés.

M. André Gerin - Ce n'est pas vrai !

M. le Ministre des affaires sociales - Je n'ai aucun exemple de réforme économique et sociale ayant fait l'objet, dans un passé récent, d'un tel dialogue.

Notre méthode a porté ses fruits puisqu'un accord a été trouvé avec plusieurs organisations syndicales le 15 mai dernier. Au nom de quoi ces organisations seraient-elles stigmatisées, tandis que celles qui ont choisi la voie de la contestation seraient encensées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Pour ma part, je ne porte de jugement ni sur les unes, ni sur les autres : chacun a pris ses responsabilités. J'estime même que certaines organisations syndicales aujourd'hui contestataires ont apporté une utile contribution à notre projet.

Pouvais-je les convaincre de nous suivre jusqu'au bout ? J'en doute.

Leur hostilité porte sur une réforme vieille de dix ans - celle de 1993 - et sur l'augmentation de la durée de cotisation dans le public, point sur lequel nous ne pouvons transiger. Cette équité, certains la contestent au nom d'une étrange défense du service public qui verrait ses fonctionnaires exonérés des efforts demandés à tous les Français. Telle n'est pas notre conception de l'égalité républicaine (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Bernard Roman - Caricature !

M. le Ministre des affaires sociales - Quant aux « 37 annuités et demie pour tous », quel crédit pouvions-nous accorder à une revendication qui dit aux Français qu'en travaillant moins, leurs retraites y gagneront ? Reste enfin l'option d'augmenter fortement les impôts ou de créer de nouvelles taxes. Cette quête éperdue de prélèvements supplémentaires masque un objectif inavoué : financer à tout prix le statu quo, autrement dit, l'absence même de réforme (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

Au regard de tout cela, j'ai la conviction d'être allé jusqu'aux limites de ce qu'autorise l'intérêt général.

Ceux qui réclament la réouverture des négociations manquent de sincérité, tant leur requête masque des non-dits et des refus... Surtout, dans une confusion des genres qui verrait la négociation permanente repousser les frontières de la décision, ils mélangent et affaiblissent deux légitimités distinctes : celle des partenaires sociaux et celle de l'Etat.

Nous sommes là au c_ur de la réflexion sur l'avenir de notre démocratie sociale. Il passe, non pas par une abolition des frontières entre le social et le politique, mais bien au contraire par leur clarification, par une définition du rôle et des compétences de chacun, par une délimitation de la loi et du contrat.

Cette réforme traverse les pratiques culturelles, économiques et sociales de notre pays. Elle est le reflet de notre histoire et le miroir de notre société. Elle révèle à la fois les n_uds de la France et les défis qu'elle doit relever.

La question des retraites, c'est celle du vieillissement de la France. La question des retraites, c'est celle du travail. La question des retraites, c'est celle de la justice. La question des retraites, c'est enfin celle de la conciliation du collectif et de l'individuel.

M. Pascal Terrasse - Tout ce dont vous ne traitez pas !

M. le Ministre des affaires sociales - C'est autour de ces quatre questions que je me propose d'engager le débat avec vous.

Dans moins de trois ans, la France vivra une révolution sans précédent, celle du vieillissement. Entre 2006 et 2010, elle subira les effets d'un ciseau démographique très important avec le départ à la retraite massif des générations du baby boom. A partir de 2010, le vieillissement s'accélérera, cette fois-ci principalement du fait de l'allongement de la vie. Nous savons déjà que les échéances de 2010, ou même de 2020, sont plutôt des points d'étape que d'arrivée.

Les facteurs démographiques sont connus. L'augmentation de l'âge moyen de la population tout d'abord, avec l'explosion des classes d'âge au-dessus de soixante ans, puis de soixante-quinze ans et quatre-vingts ans. La proportion des plus de soixante ans par rapport aux 20-59 ans en âge d'activité passera de 39 % en 2000 à 54 % en 2015 !

A cela s'ajoute la chute de la fécondité, qui provoque un vieillissement de la population par le bas. Le poids des plus de quarante-cinq ans s'accroît aux dépens des générations d'actifs plus jeunes. Bref, la population active vieillit elle aussi.

Cette révolution bouleversera la société française dans toutes ses dimensions. Aux alentours de 2020, chaque génération d'actifs devra entretenir trois, voire quatre générations : celle des enfants, dont la scolarité se prolonge, celle des seniors ou des grands-parents, plus actifs encore qu'aujourd'hui, celle, enfin, d'arrière-grands-parents souvent dépendants.

Tout sera changé : notre façon d'envisager l'avenir et de travailler, de gérer les temps de la vie, de percevoir l'identité de chaque âge, de concevoir les rapports entre les générations.

Mais nous jugeons une réforme des retraites dans la France d'aujourd'hui, avec nos regards d'aujourd'hui, alors que les principales mesures s'appliqueront très progressivement dans une France qui aura beaucoup changé.

Lorsque nous examinerons tel ou tel article de ce texte, gardons présent à l'esprit que ce décalage nous impose de nous projeter dans la France de demain, cette France beaucoup plus vieille qu'aujourd'hui.

M. Jean-Pierre Brard - Et plus riche !

M. le Ministre des affaires sociales - Le sens même du qualificatif « vieux » sera-t-il toujours le même ?

Prenons par exemple l'âge du départ effectif à la retraite, l'un des facteurs critiques du taux d'activité. Nous connaissons l'attachement des Français au départ précoce, avant même soixante ans. Mais dans la France de demain, où chacun côtoiera deux ou trois fois plus de seniors, qui plus est dynamiques, il sera sans doute considéré comme une évidence de garder une activité au-delà de soixante ans.

C'est bien pourquoi la progressivité et le pilotage dans la durée sont au c_ur de notre projet.

L'avenir de nos régimes de retraite ne saurait être décidé une fois pour toutes. Durant les vingt prochaines années, les données du basculement démographique devront être constatées, tout comme leurs conséquences sur l'équilibre financier des régimes et l'attitude générale des français devant le vieillissement.

C'est dans cette nécessité qu'est née l'idée de la réforme en continu, avec des rendez-vous réguliers.

Le basculement démographique soulève un enjeu politique majeur : faut-il répondre collectivement ou individuellement au défi du vieillissement. C'est le débat entre répartition et capitalisation, et ce débat, le Gouvernement l'a tranché : le projet qui vous est soumis n'a qu'un seul but : assurer la viabilité et la sécurité de la répartition (« Non ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Notre choix en faveur de la répartition est d'abord un choix politique. Nous choisissons la répartition parce qu'elle constitue un rempart face à la désintégration du corps social. Nous choisissons la répartition, parce que la répartition, c'est en définitive la République !

Ce choix n'est pas celui de la facilité : c'est celui de l'exigence, car sauver la répartition exige d'imposer l'intérêt général et commande de rester ferme face à la montée des intérêts catégoriels. C'est cette difficulté qui explique le renoncement de ces dernières années sur le dossier des retraites (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Avec la révolution du vieillissement, l'autre grande question soulevée par cette réforme est la relation des Français avec le travail lui-même, puisque le débat sur l'avenir de nos retraites est d'abord un débat sur la place du travail en France. Les crispations autour de l'allongement de la durée de cotisation le montrent.

Nous privilégions effectivement l'augmentation du taux d'activité, donc de la durée de cotisation, pour combler le déficit de nos régimes par répartition à l'horizon 2020. Telle est la clef de voûte du projet de réforme : demander à tous de travailler un peu plus, pour leur assurer un haut niveau de retraite sans accroître la pression fiscale, qui est déjà l'une des plus élevées d'Europe (« C'est faux ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

Ce choix prend le contre-pied de la majorité précédente sur la question du travail.

Nous disons aux Français qu'en travaillant toujours moins, ils condamnent leur modèle de protection sociale. Nous leur disons qu'il n'y a pas d'autre choix que de travailler plus et mieux si nous voulons préserver nos acquis sociaux et notre position dans le monde (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. André Gerin - Scandaleux !

M. le Ministre des affaires sociales - Nous leur disons tout simplement qu'il n'y a pas de réussite sans effort. Plus que jamais, le travail reste au centre du développement de nos sociétés. Penser qu'on peut le réduire ou le partager, surtout avec le choc démographique qui s'annonce, n'aboutit qu'à laisser se contracter inexorablement l'économie française.

Nous voulons réhabiliter la valeur travail. Face à la concurrence mondiale, à la persistance du chômage et à la montée de l'insécurité professionnelle, on a, depuis trop longtemps, cédé à l'illusion des théories sur la fin du travail. Nous rompons avec cette spirale. Ce que nous vous proposons, c'est un effort collectif, par le travail, pour sauver le c_ur du pacte social : la solidarité entre les générations.

L'âge moyen de cessation d'activité des salariés est, en France, l'un des plus faibles de tous les pays industrialisés.

M. Jean-Pierre Brard - La faute à qui ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre des affaires sociales - Nous cumulons le triste record du taux d'activité des seniors le plus bas et le plus fort chômage des jeunes, preuve s'il en est qu'un départ à la retraite ne libère nullement la place pour un jeune (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Tel est le résultat de politiques malthusiennes qu'il faut renverser.

Ce renversement suppose une redéfinition sociale de l'âge de travailler. Et si le choc démographique la rend indispensable, il la facilite aussi.

Il la rend indispensable parce que le nombre de sexagénaires va dépasser celui des jeunes de moins de vingt ans. Nous avons déjà les étudiants les plus âgés et les retraités les plus jeunes des pays comparables au nôtre. La France est la seule dans cette situation incroyable : une seule génération, dans des familles qui en comptent trois ou quatre, travaille !

La conclusion s'impose : si l'on n'augmente pas le taux d'activité des Français, il n'y aura bientôt plus suffisamment d'actifs, non seulement pour payer les retraites, mais pour assurer le développement économique du pays !

L'allongement de l'espérance de vie est l'autre grande donnée du choc démographique. Depuis les années 1930, l'espérance de vie a augmenté de dix-huit ans pour les hommes et de vingt et un ans pour les femmes. A soixante ans, nous ne serons bientôt qu'aux deux tiers de notre existence.

Cette donnée permet de tabler raisonnablement sur l'augmentation du taux d'activité qui nous fait tant défaut. Pourtant, elle n'a jamais été prise en compte dans le financement des retraites. C'est ce que nous nous proposons de faire.

Jusqu'à présent, l'augmentation de l'espérance de vie ne bénéficiait qu'à la retraite. Il semble normal qu'elle se traduise désormais par une augmentation proportionnelle de la vie active et de la retraite, et ce d'autant plus que la vie active est déjà réduite par le recul constant de l'âge de fin d'études.

Pour y parvenir, le projet repose sur un mécanisme simple : maintenir inchangé, à l'horizon 2020, le partage actuel entre vie active et retraite. Le temps de la retraite continuera à augmenter et à bénéficier des gains d'espérance de vie, mais le temps de vie active pour financer les retraites devra augmenter aussi. Cet allongement de la durée d'activité et d'assurance pour toucher une retraite à taux plein, en fonction de l'espérance de vie, est la meilleure garantie, la plus juste et la plus sûre, pour assurer un haut niveau de retraite sans reporter sur les actifs de demain une charge écrasante.

La durée d'assurance doit d'abord être la même pour tous : ce préalable est une nécessité au regard de l'équité. Une fois l'étape des quarante ans atteinte, en 2008, dans les régimes de la fonction publique, la durée de cotisation augmentera très progressivement pour tout le monde, de la même manière. La stabilisation du rapport entre temps de travail et temps de retraite nous conduira à une durée de cotisation de quarante et un ans en 2012.

Cette évolution ne sera pas automatique. Une commission de garantie des retraites, spécialement constituée, se réunira en 2008 puis en 2012 pour examiner objectivement les données démographiques, économiques et sociales, et tout spécialement les caractéristiques du marché du travail.

Ces rendez-vous permettront un pilotage dans la durée de notre système de retraite.

L'augmentation programmée de cette durée serait en effet impraticable si aucun progrès n'était constaté quant à l'âge réel de cessation d'activité des Français. C'est pourquoi nous ne proposons pas d'augmenter dès 2004 la durée de cotisation dans le secteur privé. C'est aussi pourquoi nous avons fixé un objectif réaliste tendant à faire passer l'âge moyen de cessation d'activité de 57,5 ans aujourd'hui à 59 ans en 2008.

M. Jean-Pierre Brard - Merlin l'enchanteur !

M. le Ministre des affaires sociales - La France a cinq ans pour préparer ce premier rendez-vous. Réussir suppose un profond changement pour limiter la tendance au départ précoce des actifs qui caractérise notre marché du travail. Pour y parvenir, il est d'abord indispensable de recentrer nos dispositifs de retraite, car nous ne pouvons plus nous permettre d'encourager le départ anticipé des salariés âgés.

Certes, les préretraites ne peuvent être supprimées du jour au lendemain. Mais il faut en limiter rapidement la portée aux métiers les plus pénibles justifiant un départ anticipé et les réserver aux plans sociaux lorsque la survie de l'entreprise est en jeu.

M. Jean-Pierre Brard - Ah ! Et voilà !

M. le Ministre des affaires sociales - Au-delà des préretraites, le défi est d'inciter le monde du travail à réinvestir l'emploi et la formation des salariés âgés. Là encore, le choc démographique devrait avoir un impact non négligeable sur le comportement des entreprises. Dès 2006, un besoin important de main-d'_uvre se fera nécessairement sentir et la plupart de nos grandes entreprises en prennent conscience. En privilégiant l'allongement de la durée de cotisation pour financer les retraites, c'est en quelque sorte un marché que nous leur proposons : si les entreprises ne favorisent pas cette mutation des esprits et des pratiques en faveur de l'emploi des seniors, il n'y aura pas d'autre choix qu'une hausse drastique de leurs charges pour financer les retraites (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Il est essentiel de changer le regard des entreprises sur les salariés de plus de cinquante-cinq ans, mais aussi de changer le regard qu'ils portent sur eux-mêmes. Notre projet propose ainsi une série de mesures destinées à permettre aux seniors de repenser leur place dans l'entreprise, de trouver des activités complémentaires, de miser sur la transmission des savoirs et des métiers.

La retraite progressive reste une exception ; nous voulons l'assouplir. La liquidation de la pension aura un caractère provisoire afin que l'assuré puisse améliorer ses droits grâce à la poursuite d'une activité à temps partiel. De même, le bénéfice de la retraite progressive sera largement ouvert aux assurés ne bénéficiant pas encore du taux plein.

L'application de la contribution Delalande a eu des effets pervers qui n'étaient pas dans les intentions de ses promoteurs. Elle sera donc également assouplie : l'âge limite sera ramené de cinquante à quarante-cinq ans et la condition d'inscription comme demandeur d'emploi sera supprimée.

L'âge auquel un employeur peut mettre d'office un salarié à la retraite, s'il remplit les conditions pour bénéficier du taux plein, sera reporté de soixante à soixante-cinq ans (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

Enfin, les règles de cumul d'un emploi et d'une retraite, aujourd'hui prohibitives, seront assouplies pour qu'un retraité qui le souhaite puisse reprendre une activité lui procurant des revenus.

Mais pour réussir, il faudra aller plus loin, au-delà même de ce projet.

La réforme de notre système de formation continue a un rôle essentiel à jouer pour permettre l'essor du travail des seniors (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Il y a, en France, une inacceptable discrimination au travail par l'âge, et la faible mobilité professionnelle de nos seniors s'explique en grande partie par la difficulté qu'ils éprouvent à se requalifier. Ouvrir un véritable droit individuel à formation tout au long de la vie est donc indispensable. Il leur permettra de valoriser leur expérience, de changer de métier ou de poste après cinquante ans, de retrouver, le cas échéant, une seconde carrière dans un autre secteur.

M. André Gerin - Chez Metaleurop !

M. le Ministre des affaires sociales - J'ai fortement incité les partenaires sociaux à engager une négociation à ce sujet. Leurs travaux avancent. Certes, de nombreuses difficultés restent en suspens, mais quoi qu'il advienne, l'engagement pris par le Président de la République sur ce sujet essentiel sera tenu par un projet que je vous présenterai à l'automne.

Mais il faut aller plus loin encore. S'il est crucial que les Français prennent conscience qu'ils doivent travailler un peu plus pour financer leur modèle social, encore faut-il que les conditions mêmes du travail ne les en détournent. Or, force est de constater qu'elles se sont singulièrement dégradées.

M. François Brottes - Quelle révélation !

M. le Ministre des affaires sociales - Toutes les enquêtes menées ces dernières années sur le climat social dans l'entreprise attestent la montée d'un sentiment de fragilisation des salariés. L'environnement concurrentiel et ses exigences de compétitivité, la montée des cadences par le passage aux 35 heures... (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP), la baisse continue de la représentation syndicale, la crainte du chômage : tout cela peut avoir pour effet un mal-être au travail et une perte de confiance dans le sens même du métier.

M. Jean-Pierre Brard - Gauchiste !

M. le Ministre des affaires sociales - Quand on a gouverné cinq ans et que l'on constate une situation comme celle-là, on ne devrait pas être très fier ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Le ministre des affaires sociales est naturellement à l'écoute de ce malaise.

Nous devons engager une action à long terme pour redresser cette situation. L'entreprise doit retrouver sa vocation de projet social.

Pour cela, réformer les modalités du dialogue social largement héritées d'une autre époque (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) est une priorité. J'attache une grande importance aux discussions nouées avec les partenaires sociaux sur la question de la modernisation de notre démocratie sociale. Je vous présenterai sous peu un projet de loi qui adaptera enfin le dialogue social aux conditions de notre temps (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Tout au long de cette bataille pour la réforme des retraites, ceux qui rejettent notre projet n'ont cessé de nous opposer la question du chômage.

M. Christian Paul - Ce n'est pas une question, mais une réalité !

M. le Ministre des affaires sociales - Lorsque nous disons aux Français qu'ils doivent travailler plus, on nous objecte les licenciements. Et d'avancer de prétendues contre-propositions ayant toutes pour point commun d'esquiver l'allongement de la durée de cotisation. Ici on réclame une ponction sur les revenus financiers...

Plusieurs députés communistes et républicains - Absolument !

M. le Ministre des affaires sociales - ...là, un renforcement de la pression fiscale au travers de la CSG.

La gauche, qui avait fini par comprendre au pouvoir que la baisse des charges favorisait l'emploi... s'empresse dans l'opposition à vouloir les alourdir au motif qu'il ne faut surtout pas demander aux Français de travailler un peu plus pour financer les retraites de demain (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste). Comment parvient-elle à se convaincre que cela n'aurait pas de conséquences catastrophiques pour l'emploi ?

La gauche, qui fait de la consommation l'alpha et l'oméga de la relance, souhaite réduire massivement le pouvoir d'achat afin de financer les retraites par l'impôt et des hausses de cotisation. Comment parvient-elle à se convaincre que cela n'aurait pas d'incidence sur la croissance, donc sur l'emploi ?

La gauche réclame d'asseoir le financement des retraites sur les flux financiers ou les bénéfices des entreprises - ressources par nature incertaines et volatiles - en lieu et place des revenus stables du travail. Comment mieux faire le lit de la capitalisation qu'elle dit par ailleurs refuser ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Toute réforme des retraites qui ruinerait la lutte contre le chômage serait vaine. Inversement, la diminution du chômage à long terme est indispensable à la sauvegarde de notre système de retraite par répartition.

A partir du moment où l'on décide de stopper la diminution du niveau des pensions, le choix se réduit à allonger la durée de cotisation ou à faire augmenter le chômage par le biais des prélèvements.

C'est pourquoi notre projet fait l'hypothèse d'une diminution progressive du taux de chômage à l'horizon 2020.

Plusieurs députés socialistes - C'est bien parti !

M. le Ministre des affaires sociales - Dans son scénario central, le COR a retenu un taux de 4,5 % en 2020 contre 9 % aujourd'hui. Nous avons retenu une hypothèse de 5 % à 6 % à l'horizon 2020, ce qui nous permet de rester cohérents avec la volonté de réduire, ou tout au moins de stabiliser, le niveau des prélèvements obligatoires tout en assurant le financement des retraites.

L'opposition, qui conteste cette hypothèse, se garde bien de préciser quel niveau de chômage elle retient pour 2020 dans ses contre-propositions. Et pour cause ! Si le niveau qu'elle retient est supérieur, qu'elle veuille bien nous expliquer comment elle financerait les retraites sans hausse des prélèvements ou baisse du niveau des pensions, deux hypothèses inavouables... Il faut se résoudre à accepter la réalité : il n'y a ni « trésor caché »...

Plusieurs députés communistes et républicains - Oh si !

M. le Ministre des affaires sociales - ...ni échappatoire. Si nous disons qu'il n'y a pas de véritable alternative à cette réforme, ce n'est ni par arrière-pensée tactique, ni par arrogance (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). C'est qu'il est objectivement difficile de concevoir un plan à l'architecture radicalement différente.

Le besoin de financement des régimes de base du privé et du public est évalué par le COR à 43 milliards d'euros en 2020. L'allongement de la durée d'assurance et l'indexation des pensions sur les prix permettent de dégager 21 milliards d'euros, soit plus de 46 % de ce besoin de financement. Mais les mesures de justice sociale et d'équité que nous nous proposons aussi d'introduire ont un coût évalué à 2,7 milliards d'euros par an en 2020. La réforme devrait donc au total permettre de dégager plus de 18 milliards d'euros, soit plus de 42 % du déficit prévu à l'horizon 2020.

M. Bernard Roman - Il faudrait vous mettre d'accord avec le Premier ministre !

M. le Ministre des affaires sociales - Le choix étant fait de ne pas baisser le montant des pensions, nous proposons de financer le solde, qui représente les deux tiers du déficit prévu pour le régime général, par une augmentation de la richesse nationale dévolue au paiement des retraites, donc par une augmentation des cotisations vieillesse.

Il est donc faux de prétendre que nous faisons de la durée d'assurance le seul paramètre d'équilibre. En effet, les mesures de justice sociale seront financées par une hausse des cotisations vieillesse de 0,2 % en 2006 et l'équilibre du régime général par leur hausse, à partir de 2008 et jusqu'en 2020, d'environ trois points - ce qui représente un peu moins de 10 milliards d'euros par an.

Simplement, nous voulons assurer l'équilibre à prélèvements obligatoires constants pour ne pas handicaper l'emploi. Nous avons donc prévu de « gager » l'augmentation des cotisations vieillesse à partir de 2008 par la diminution escomptée de celles d'assurance chômage. En effet, avec un taux de chômage de 5 % en 2020, les recettes disponibles sont évaluées à plus de 15 milliards d'euros, ce qui est largement supérieur aux 10 milliards nécessaires.

Enfin, les régimes de la fonction publique seront équilibrés par des prélèvements supplémentaires.

Notre réforme est donc bien financée à 100 %.

Notre objectif était de consolider la répartition pour les deux prochaines décennies et de mettre en place les outils nécessaires au pilotage de son évolution. Il est atteint.

La question des retraites a aussi mis en lumière des injustices profondes. Derrière les grands et beaux mots « solidarité » et « répartition », il y a des réalités avec lesquelles le conservatisme s'arrange toujours ! Le statu quo n'est pas l'allié de la justice mais souvent celui de l'injustice (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

La première de ces injustices les plus flagrantes, c'est l'inégalité de la durée de cotisation entre le public et le privé, que rien ne justifie (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Ni la moyenne des salaires, ni celle des conditions de travail n'autorisent une telle disparité de traitement entre les Français. Nul ne comprendrait que la fonction publique, fer de lance de la République, soit exonérée de l'effort demandé à tous pour la survie de notre système de retraite. C'est tout le sens du rendez-vous de l'équité en 2008 (Mêmes mouvements).

Le sort réservé aux salariés les plus modestes face à la retraite a également été délaissé depuis plus d'une décennie. Le statu quo reviendrait à aggraver encore leur sort (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). A juste titre, les partenaires sociaux ont fait de ce sujet l'une des conditions de l'accord du 15 mai. Le projet de loi définit un objectif, associant le régime de base et les régimes complémentaires, en faveur des salariés ayant toujours travaillé au SMIC : leur retraite s'élèvera, pour une carrière complète, à un minimum de 85 % du SMIC en 2008, contre 81 % aujourd'hui (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Plusieurs députés communistes et républicains - C'est faux !

M. le Ministre des affaires sociales - Il faudra trouver des arguments plus solides que vos vociférations !

La demande de ceux qui, ayant commencé à travailler très tôt souhaitent pouvoir partir à la retraite avant soixante ans...

M. François Liberti - Vous l'avez refusé lorsque nous l'avions proposé !

M. le Ministre des affaires sociales - ...est inlassablement relayée depuis des années, par les parlementaires comme par les partenaires sociaux.

Mais, à ce jour, rien n'avait été fait. Avec cette réforme, les choses changeront, enfin. En effet, ceux qui travaillent et cotisent depuis l'âge de 14, 15 ou 16 ans, pourront partir en retraite à taux plein entre 56 et 59 ans (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Avancée considérable, unique en Europe (Mêmes mouvements).

Avec ce projet, la pénibilité, difficilement mesurable et par nature variable suivant les époques, les métiers et les technologies, fait son entrée dans notre champ social. Les partenaires sociaux seront invités, dans chaque branche, à en définir les contours avant trois ans.

La réforme met également fin aux inégalités de traitement entre mono-pensionnés et pluri-pensionnés, ainsi qu'entre salariés et non-salariés. Les commerçants bénéficieront désormais d'un régime de retraite complémentaire obligatoire, qui permettra d'améliorer leurs pensions, tandis que le régime de base des professions libérales, à leur demande, sera profondément réformé dans le sens d'une plus grande équité. La mensualisation des retraites des exploitants agricoles ne sera plus, quant à elle, une éternelle promesse, mais une réalité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Le projet de loi dispose également que dans le régime général et les régimes alignés, la pension de réversion sera attribuée désormais sans condition d'âge (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). C'est un progrès considérable. Le système sera plus lisible et plus équitable, la double condition de ressources et de cumul étant renforcée par un plafond de ressources. Ce sera une importante simplification pour les veuves.

Le projet de loi maintient les avantages familiaux, notamment la majoration de pension pour trois enfants élevés. Dans les régimes de la fonction publique, il est nécessaire de prendre en compte la jurisprudence européenne, pour les enfants nés après le 1er janvier 2004. Les bonifications de durée d'assurance seront ainsi ouvertes aux hommes comme aux femmes, sous condition d'une cessation effective, totale ou partielle d'activité.

Plusieurs députés socialistes et communistes - Régression ! Régression !

M. le Ministre des affaires sociales - Mais elles pourront désormais prendre en compte jusqu'à trois ans par enfant.

Enfin, la garantie du pouvoir d'achat de tous les retraités, grâce à l'indexation des retraites sur les prix, est également une mesure d'équité. Nous ne pouvions sur ce point, comme sur d'autres, feindre de ne pas voir que l'avantage des uns ignorait l'effort des autres. Le projet de loi propose que, tous les trois ans, une conférence réunisse le Gouvernement et les partenaires sociaux, afin qu'ils définissent ensemble si un « coup de pouce » peut être donné, en fonction de la croissance et de la situation financière des régimes d'assurance vieillesse.

Les primes des fonctionnaires n'ont jamais été intégrées dans le calcul de leur retraite. Par souci d'équité ce sera désormais possible à hauteur de 20 % du traitement indiciaire dans le cadre d'un régime additionnel obligatoire.

Toutes ces avancées le montrent, l'effort demandé à tous permet de dégager les marges de man_uvre qui font progresser la justice sociale, l'immobilisme creuse les inégalités, le mouvement les fait reculer ! (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe UMP)

Une autre question a surgi au cours du débat de ces dernières semaines : malgré l'attachement à l'« unicité » de notre système de retraite, un désir de liberté s'est fait jour. Comment dès lors réaffirmer la force du collectif tout en élargissant l'autonomie de chacun ? Ce grand enjeu concerne tout notre modèle social, dont la modernisation passe par une réévaluation de la responsabilité de chacun dans l'usage des droits communs.

Au cours de ces années de débat et de controverses sur la réforme, les Français ont découvert que les droits universels ne pouvaient se dissocier d'une responsabilité individuelle vis-à-vis de leur retraite. Ils se sont aperçu que ces droits masquaient souvent des choix, que par exemple le droit à la retraite à 60 ans à taux plein ne s'était jamais appliqué que sous certaines conditions, en particulier celle de la durée de cotisation. Ils ont ainsi pris conscience de la nécessité d'anticiper, de maîtriser, d'aménager leur parcours personnel vers la retraite.

La réforme se devait d'élargir les choix. Tout en confortant un cadre commun, nous misons sur la liberté et la responsabilité.

Pour certains, liberté et responsabilité individuelle sont ennemies de l'égalité et de la solidarité (« Eh oui ! » sur certains bancs du groupe UMP). Pour nous, loin de s'opposer, ces principes s'enrichissent mutuellement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) La société participative que nous appelons de nos v_ux repose sur la confiance, la créativité et la lucidité de chacun.

Notre réforme avance ainsi une série de mesures qui évoquent l'idée d'une « retraite à la carte », mais encadrée par les principes généraux de la solidarité et de la répartition. Dans cet esprit, le droit essentiel de liquider sa retraite à soixante ans est confirmé.

Ceux qui nous accusent de le remettre en cause oublient que la retraite, dans le régime général et les régimes alignés, repose à la fois sur l'âge et sur la durée d'assurance nécessaire pour bénéficier du taux plein. Il n'y a jamais eu un droit de liquider sa retraite à 60 ans à taux plein, quelle que soit la durée d'assurance, mais bien à soixante-cinq ans. Ce sera le cas demain : rien ne change donc en la matière.

En revanche, ce qui va changer, ce sont les modalités qui entoureront le choix du départ.

Actuellement, le salarié qui part à soixante ans alors qu'il ne dispose pas de la durée d'assurance nécessaire, est soumis à une « décote », au taux dissuasif de 10 % par année manquante. Nous allégerons ce taux, pour atteindre progressivement 5 % par année manquante (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). La décote sera la même pour tous, salarié du privé ou fonctionnaire, grâce à l'introduction très progressive d'une durée d'assurance tous régimes dans la fonction publique.

Cette « décote » est logiquement complétée par une « surcote » de 3 % par an. Ceux qui souhaitent continuer de travailler au-delà de soixante ans et de la durée d'assurance requise seront ainsi incités à le faire (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP).

Chacun pourra ainsi passer de manière moins brutale d'une vie de travail à la retraite, qui ne sera plus le couperet de naguère.

D'autre part, le rachat de trimestres, dans des conditions financièrement neutres pour les régimes, sera possible pour les années d'études dans la limite de douze trimestres, soit trois ans (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe UMP).

De plus des outils d'épargne retraite ouverts à tous s'ajouteront à la répartition, sans se substituer à elle. Ce qui est possible dans la fonction publique avec la PREFON, doit l'être pour les salariés du privé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme Christine Boutin - C'est une vraie réforme !

M. le Ministre des affaires sociales - Tout salarié du secteur privé - dans le cadre d'un plan individuel ou collectif - bénéficiera d'une incitation fiscale lui permettant de disposer d'une rente à l'âge de la retraite. Par ailleurs, le projet de loi simplifie les différents dispositifs existants. Il allonge la durée du « plan partenarial d'épargne salariale volontaire », créé par la loi Fabius de 2001.

Pour choisir, il faut savoir. Notre projet instaure pour la première fois un véritable droit à l'information de chacun sur sa retraite. Informer sur la situation financière des régimes de retraite et sur l'évolution des niveaux de vie entre actifs et retraités, telle sera la mission confiée au COR (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Il fournira à tous une information individuelle sur le calcul des droits.

Chacun pourra construire sa retraite en évaluant lui-même les avantages et les inconvénients.

M. Lucien Degauchy - Quelle liberté !

M. le Ministre des affaires sociales - Tel est l'esprit qui anime cette réforme. Jadis, la France - et quelques autres nations - a dominé le monde et ses richesses. Cette prééminence nous a permis, non sans conquêtes sociales, de construire les bases d'un modèle social envié.

Cette domination au service de notre prospérité s'est évanouie, obligeant la France à réajuster son contrat social. Cette obligation nourrit des nostalgies à l'égard d'une prospérité que l'on croit parfois encore sans limites.

Mais les faits sont là (Assentiment sur de nombreux bancs du groupe UMP).

Six milliards d'habitants réclament désormais leur part de progrès. La France n'a d'autre choix que de se retrousser les manches et d'exploiter ses atouts qui restent nombreux. Les risques du déclin existent, les instruments du sursaut aussi : c'est à nous de choisir !

M. André Gerin - Le déclin, c'est vous !

M. le Ministre des affaires sociales - Cette réforme peut nous rassembler car elle n'est inspirée par aucune considération dogmatique (Rires sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains ; sourires sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Cette réforme peut nous rassembler car beaucoup d'entre nous ont contribué à en préparer le terrain. Nous sommes partis du constat partagé et des pistes définies par le COR, mais aussi explorées dans le livre blanc de Michel Rocard. Dans cette démarche, je n'oublie pas la réforme d'Edouard Balladur en 1993 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF), je n'oublie pas celle d'Alain Juppé, car le revers des uns prépare parfois les avancées des autres (Mêmes mouvements), je n'oublie pas enfin le COR et le fonds de réserve des retraites décidé par Lionel Jospin (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

Cette réforme peut nous rassembler car elle est équitable, marquée par des avancées sociales uniques en Europe.

M. André Gerin - Par la régression !

M. le Ministre des affaires sociales - Elle peut nous rassembler car elle est progressive, rythmée par des rendez-vous dont cette majorité et les suivantes feront un usage responsable. Contrairement à ce que prétend l'opposition, il n'y a pas 36 000 solutions pour maîtriser la révolution démographique. Il existe quelques paramètres - structurels, financiers, culturels - sur lesquels il faudra jouer en fonction des données du moment. Nous le faisons. Nos successeurs feront de même. Ces successeurs, ils sont peut-être d'ailleurs là, sur ces bancs,... (« Non ! Non !» sur les bancs du groupe UMP) hostiles aujourd'hui à une réforme qu'ils appliqueront - j'en fais le pari - demain ! Ils l'appliqueront certes avec leurs nuances...

Plusieurs députés UMP - Pas eux !

M. le Ministre des affaires sociales - Chacun se souviendra alors que c'est au nom de ces « nuances » que l'opposition réclamait à grands cris quelques années auparavant le retrait de ce texte.

M. Pascal Clément - Très bien !

M. le Ministre des affaires sociales - Enfin et surtout, cette réforme peut nous rassembler comme le souhaite le Président de la République, car elle s'inscrit dans un choix de société qui nous unit : celui de la solidarité et de la répartition. Nous ne changeons pas de système. Nous le réformons pour continuer à le faire vivre ! J'en ai l'intime conviction : cette réforme fera du système des retraites français l'un des plus généreux et des plus solidaires d'Europe (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Oui, cette réforme nous rassemblera un jour. Dans dix ou quinze ans, ce ne sera plus la réforme Fillon, la réforme Delevoye ou même la réforme Raffarin... Autour d'elle, il n'y aura alors ni vainqueur, ni vaincu. Ce sera une réforme pour la France (Mmes et MM. les députés UMP et UDF se lèvent et applaudissent longuement).

M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire - Le ministre des affaires sociales a exposé la philosophie du projet et les dispositions relatives au régime général et à ceux des non-salariés. Il me revient d'exposer celles qui concernent la fonction publique.

Nous avons fêté hier le 150e anniversaire de la loi du 9 juin 1853, qui créa pour la première fois un droit à pension en faveur des fonctionnaires.

Ce texte, remanié en 1924, est demeuré longtemps la seule loi d'envergure applicable aux fonctionnaires, en l'absence d'un statut, absence qui était comblée par la jurisprudence du Conseil d'Etat en tenant lieu jusqu'en 1946.

Il est essentiel d'avoir ces données en tête pour bien comprendre les enjeux et le poids de l'histoire sur le comportement des acteurs...

M. Jean-Pierre Brard - C'est le Malet-Isaac !

M. le Ministre de la fonction publique - La réforme préparée par le Gouvernement porte sur l'ensemble de la problématique des retraites. Il ne s'agit en aucun cas d'opposer les catégories professionnelles entre elles, ni de s'attaquer à la fonction publique. Cette réforme, destinée à produire ses effets sur le long terme, n'est pas une réforme de circonstance. Elle s'impose pour sauver notre système de répartition, au c_ur du pacte républicain.

L'opinion est convaincue que la répartition signifie quelque chose comme « j'ai travaillé toute ma vie, j'ai droit à », alors qu'en réalité le système consiste en ce que celles et ceux qui travaillent paient pour ceux qui sont en retraite. Le choc démographique impose donc sa réforme. La contester, c'est refuser de regarder la vérité en face et mettre en péril notre système de solidarité collective.

Au nom de la solidarité et de la justice, il convient de mettre en place des convergences fortes entre le régime de la fonction publique et le régime général. Il convient aussi d'éviter la fragilisation du secteur public en maîtrisant les charges budgétaires liées au financement des retraites.

En effet, même si le régime des fonctionnaires de l'Etat n'est pas au sens strict un régime par répartition, l'inaction conduirait à la rupture de l'équilibre économique sur lequel celui-ci repose. L'Etat verse aujourd'hui 60 milliards d'euros de traitements et 30 milliards de pensions. En 2020, il versera 60 milliards de traitements et 60 milliards de pension ; en 2040, les règles actuelles conduiraient à 60 milliards de traitements et à 90 milliards de pensions. La CNRACL, qui dispose aujourd'hui d'une situation démographique plus favorable, n'échapperait pas non plus à une dégradation rapide de ses ratios.

Il fallait donc agir pour consolider l'équilibre financier de nos régimes. Notre texte permettra de couvrir en 2020 la moitié du besoin de financement du régime des fonctionnaires, soit 14 milliards d'euros sur les 28 qui seront nécessaires.

C'est aussi un impératif de justice qui commande la réforme. L'opinion ne comprendrait pas en effet que certaines catégories sociales soient exemptées de l'effort à consentir pour sauver la retraite par répartition. Il n'était donc plus possible de laisser de côté le régime de la fonction publique.

Le titre III du projet de loi contient les mesures relatives au régime de la fonction publique. Il est le fruit de discussions approfondies avec les syndicats de fonctionnaires, qui ont pu en débattre encore récemment au sein des différents conseils supérieurs de la fonction publique, lesquels ont tous approuvé le projet. Le dialogue a eu lieu, intense, complet, constructif et le texte que vous examinez intègre de nombreuses remarques des partenaires sociaux.

Le projet de loi modifie le code des pensions tout en sauvegardant le statut de la fonction publique, qui continuera d'être fondé sur le principe de la carrière. En même temps, il organise la convergence avec le régime général pour les paramètres qui ne présentent pas le caractère spécifique, à commencer par la durée de cotisation exigée pour bénéficier d'une pension à taux plein.

Je comprends l'inquiétude de ceux qui s'interrogent sur l'avenir mais je voudrais faire certaines mises au point, de nature à l'apaiser.

Premièrement, notre réforme respecte les règles fondamentales de la fonction publique. D'abord, le taux actuel de liquidation est maintenu. Pour un agent titulaire à temps complet, au plafond de la durée de cotisation, soit actuellement 37,5 années et en 2008, 40, la retraite sera toujours de 75 % du traitement de référence, hors bonifications. Un fonctionnaire ayant accompli une carrière complète aura, demain comme hier, une retraite à taux plein.

M. Jean-Pierre Brard - Au moment de sa liquidation !

M. le Ministre de la fonction publique - Ensuite, la pension sera toujours calculée par rapport au traitement. Notre projet initial prévoyait de prendre en compte celui des trois dernières années. Après discussion avec les partenaires sociaux, il a été décidé de conserver la référence au traitement acquis six mois avant le départ en retraite, comme aujourd'hui.

Plusieurs députés UMP - C'est très injuste.

M. le Ministre de la fonction publique - Cette règle s'explique par la structure des carrières : de nombreux corps, en particulier d'enseignants, n'atteignent en effet le sommet de la carrière que tardivement.

Troisième garantie : s'agissant des personnels classés en service actif - c'est à dire ceux qui peuvent partir par anticipation en fonction de la pénibilité ou du danger de leur métier, policiers, postiers, infirmières -, les règles statutaires demeurent identiques. Ces agents se voient simplement appliquer les mêmes règles d'allongement de la durée du travail et de décote que leurs collègues. Ils pourront comme avant décider de partir, selon les statuts, à cinquante ou à cinquante-cinq ans.

Le relevé de conclusions des rencontres sociales tenues les 14 et 15 mai prévoit en outre d'ouvrir un chantier sur les emplois correspondant à des métiers pénibles. Il s'agira, le moment venu, de mettre à jour la liste de ces emplois. Le groupe de travail examinant ce sujet sera installé avant le 14 juillet. Nous mènerons aussi une réflexion sur les carrières longues.

Deuxième aspect sur lequel je veux insister : la réforme est juste et progressive.

Son principe est d'allonger la durée de cotisation pour parvenir au taux plein, le nombre d'annuités correspondant à une carrière complète étant porté de 37,5 à 40 d'ici à 2008.

Des dispositions sont prévues pour inciter les agents à adapter leurs choix de départ à cette nouvelle situation. Certaines visent à rendre plus attrayantes les fins de carrière : ouvrir pour les enseignants un droit à une deuxième carrière et élargir pour tous les fonctionnaires civils les possibilités de bénéficier d'une cessation progressive d'activité à temps partiel. D'autre part, un coefficient de majoration, ou surcote, permettra d'augmenter la pension de ceux qui compteraient 40 annuités après l'âge de 60 ans. Symétriquement, un coefficient de minoration, ou décote, sera appliqué aux années manquantes, dans la limite de 5 %, pour ceux qui choisiraient de partir à compter de l'ouverture des droits à une carrière incomplète. Cette décote sera portée à 5 %, en 2015, la décote du régime général étant parallèlement abaissée à ce niveau.

La décote ne commencera à s'appliquer qu'à partir de 2006 et atteindra son intensité maximale en 2020 seulement. Les fonctionnaires proches de la retraite auront ainsi le temps de se préparer et pourront faire évoluer leurs choix sur une longue période. Contrairement à ce qu'affirment les adversaires de la réforme, ce mécanisme ne vise pas à baisser le montant de la pension, mais incite les agents à différer leur départ pour se rapprocher de la limite d'âge de leurs corps, limite à laquelle s'annule la décote.

Ainsi, un agent qui partira avec le nombre d'annuités requis pour le taux plein, soit 40 à compter de 2008, aura la garantie de percevoir, comme aujourd'hui avec 37,5 annuités, une pension égale à 75 % de son dernier traitement, lequel continuera d'être calculé sur les six derniers mois de la carrière. En cas de carrière incomplète, la décote s'annulera à la limite d'âge : 65 ans dans le cas général, 55 ou 60 ans pour les fonctionnaires classés dans ce que l'on appelle les « services actifs » correspondant à des métiers dangereux ou pénibles.

Il est faux de prétendre que le niveau des pensions va baisser de 20, de 30 ou de 60 %.

Plusieurs députés communistes et républicains - Mais si, c'est vrai !

M. le Ministre de la fonction publique - Encore une fois, un agent qui aura fait une carrière complète touchera demain la même retraite qu'aujourd'hui.

M. Jean-Pierre Brard - Au moment de la liquidation.

M. le Ministre de la fonction publique - Pour ne pas pénaliser les fonctionnaires par rapport aux salariés, les règles de validation et d'acquisition des périodes comptant pour la retraite sont améliorées par le projet de loi. En premier lieu, une durée d'assurance « tous régimes » est instituée. Elle permettra à ceux qui ont eu des carrières successives dans la fonction publique et dans d'autres régimes de ne pas être pénalisés pour l'application des règles de décote et de surcote : toutes les années compteront. Ensuite, le temps partiel comptera comme un temps plein pour la durée d'assurance, ce qui est particulièrement important pour les femmes mères de famille. Il sera aussi possible de surcotiser sur la base d'un temps plein pour améliorer le niveau de sa pension. Une mesure particulière vise les personnels actifs de la fonction publique hospitalière, qui recevront une année d'assurance supplémentaire tous les dix ans de carrière.

Enfin, il sera possible, comme dans les autres régimes, de racheter jusqu'à trois années d'études, comptant soit pour la durée d'assurance, soit pour la liquidation. Nous déposerons un amendement alignant les conditions requises pour les fonctionnaires sur celles prévues pour le régime général.

Troisième précision : les avantages familiaux sont maintenus et modernisés.

D'abord, la majoration de 10 % pour les parents d'au moins trois enfants demeure inchangée, comme dans le régime général. Ensuite, la pension de réversion des hommes est alignée à la hausse sur celle des femmes. Enfin, le droit au départ, avec disposition immédiate de la pension après quinze ans de service, des femmes ayant élevé trois enfants est conservé. Ce point est particulièrement sensible dans les métiers de la santé et de l'éducation.

S'agissant de la bonification pour enfants, que la jurisprudence européenne nous obligeait à étendre aux hommes, il a été décidé de ne pas diminuer les droits des femmes dont les enfants étaient déjà nés. Certains nous recommandaient de diviser l'avantage par deux pour le baisser à six mois et l'étendre ainsi plus facilement aux hommes. Nous avons refusé cette solution, qui ignorait la réalité sociologique et choisi de conserver pour le passé la bonification d'un an par enfant, laquelle est étendue aux hommes à condition qu'ils se soient arrêtés de travailler pour la naissance ou l'éducation de l'enfant. Afin de conserver le bénéfice de la bonification aux femmes fonctionnaires qui ont eu leur enfant avant de travailler, le Gouvernement déposera un amendement traitant cette situation. Pour le futur, la bonification est remplacée par une validation comme période de service des périodes d'arrêt en relation avec la naissance, l'adoption ou l'éducation de l'enfant, cette validation pouvant atteindre trois ans par enfant. La mesure sera accordée aux femmes et aux hommes.

Il est faux de prétendre que nous contraignons les femmes à s'arrêter de travailler pour bénéficier à l'avenir de la validation : en effet, le temps partiel pour élever un enfant entre sa naissance et son troisième anniversaire est accordé de plein droit à ceux et celles qui le demandent et il comptera comme du temps plein pour acquérir la pension. Il suffira donc à une femme qui a un jeune enfant et qui ne veut pas - ou ne peut pas - s'arrêter, de prendre un temps partiel de droit - à 50, 60, 70 ou 80 % - pour faire valider son annuité. Notre texte répond ainsi à toutes les situations.

Enfin, notre réforme ose surmonter des tabous qui nous étaient présentés comme insurmontables, ce qui permettra d'améliorer la situation des actifs et des retraités.

Tout d'abord, les pensions seront indexées sur les prix, comme pour le régime général (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Cela favorisera les comparaisons et permettra de maintenir le pouvoir d'achat des pensions.

M. Jean-Pierre Brard - Eh non !

M. le Ministre de la fonction publique - La politique salariale en sera facilitée, grâce aux marges de man_uvre disponibles.

J'entends dire parfois que l'indexation sur les prix provoquera l'érosion des pensions. C'est une contrevérité grossière : dans la fonction publique, la pension étant calculée en fonction du dernier salaire, il est évident qu'elle suivra intégralement le coût de la vie. Au demeurant, à l'issue des rencontres des 14 et 15 mai avec les partenaires sociaux, le Gouvernement a accepté qu'un coup de pouce soit donné comme dans le régime général.

Autre question qu'on nous présentait comme impossible à régler : celle des primes. Leur intégration dans la pension n'était pas envisageable en raison de son coût très élevé - 5 à 6 milliards par an en 2020. Nous n'avons pas baissé les bras pour autant.

Tout d'abord, nous avons tenu un engagement qui n'avait pas été honoré par le précédent gouvernement et qui concerne les aides-soignantes : leurs primes seront intégrées dans leurs traitements et compteront donc dans leurs pensions à hauteur de 10 % du traitement indiciaire (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP).

Ensuite, le projet institue pour tous les fonctionnaires civils et les militaires un nouveau régime, distinct du régime des pensions.

Ce régime par répartition et par points sera garanti par un mécanisme de provisionnement, selon des modalités qui seront précisées. Il sera obligatoire. Son assiette sera constituée par les éléments de rémunération qui n'entrent pas actuellement dans l'assiette des pensions, dans la limite de 20 % du traitement.

Comme vous le voyez, nous répondons très concrètement aux problèmes qui se posent. Nous ne tenons pas comme certains marchands d'illusions des discours faciles aux fonctionnaires, comme si la fonction était dans une bulle, à l'écart de la société. Les fonctionnaires sont lucides et responsables. Ils savent que des adaptations sont nécessaires pour sauvegarder leurs retraites. Notre projet concilie justice et respect des principes qui fondent notre fonction publique. Il consolide le pacte social et la solidarité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDF).

M. Maxime Gremetz - Compte tenu de l'importance des propos que nous venons d'entendre, je demande une suspension de séance pour réunir notre groupe.

M. le Président - Vous l'aurez après l'intervention de M. Accoyer si vous avez la délégation de votre groupe qui, pour le moment, n'est pas parvenue à la Présidence.

M. Bernard Accoyer, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Il est des textes importants qui, plus que d'autres, engagent l'avenir de nos concitoyens. Nul ne doute que ce projet portant réforme des retraites en soit un. Nous vivons aujourd'hui un temps fort de la vie du Parlement, un temps fort pour la solidarité entre les générations, un temps fort pour notre pacte social.

Comme l'a rappelé récemment le Président de la République, « ce pacte de confiance entre les générations est une très grande force pour notre pays ; il nous rassemble ».

Les besoins de financement des retraites dépendent du nombre de retraités, les moyens de couvrir ces besoins dépendent du nombre de cotisants. L'équilibre entre actifs et inactifs est donc au c_ur des enjeux.

C'est avant tout parce que ce rapport va connaître, dans à peine plus de deux ans, un changement brutal, correspondant au départ en retraite des générations très nombreuses de l'après-guerre, qu'une réforme est indispensable. En 1960, il y avait deux retraités pour dix actifs, en 2000 quatre pour dix ; en 2020, il y aura cinq retraités pour dix actifs, en 2040 sept pour dix (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Selon les travaux du comité d'orientation des retraites, d'ici à 2020 le besoin de financement des régimes de retraite va augmenter de deux points de PIB. 15 milliards supplémentaires seront nécessaires pour le régime général, 28 milliards supplémentaires pour la fonction publique - soit sept fois plus pour un salarié du public que pour un salarié du privé.

Toujours selon les travaux du COR, d'ici à 2040, le besoin de financement des régimes de retraite atteindra quatre points de PIB. Ne rien faire conduirait à multiplier par deux les cotisations ou à diviser par deux les pensions ! Toutes les études le démontrent, en particulier le rapport du COR, qui est le plus incontesté.

Après tant de temps perdu, tant de manque de courage, tant de tergiversations et de renoncements, la réforme ne peut plus attendre.

Le pacte social mis en place par l'ordonnance du 19 octobre 1945, signée du général de Gaulle et portant création de la sécurité sociale, est fondé sur la solidarité entre tous les français (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Le plan famille de ce gouvernement vient le conforter.

Mais notre pacte social est également fondé sur la valeur du travail, consubstantielle à celle de solidarité. En effet, la retraite n'est pas un salaire différé : c'est grâce au travail des actifs, dont les cotisations financent les pensions, que depuis bientôt soixante ans les retraités ont pu progressivement bénéficier d'un niveau de vie comparable au leur.

Malheureusement, la valeur du travail a été remise en cause par les 35 heures, imposées par le gouvernement Jospin (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Une véritable culture du non-travail touche désormais toutes les catégories socio-professionnelles (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Les 35 heures ont provoqué une chute de la productivité du travail, qui augmentait de 3 % en 1998 et a diminué de 1,6 % en 2002. Il est donc impossible de garantir le maintien du niveau des retraites grâce aux gains de productivité, comme le prétendent les défenseurs de l'immobilisme ; dès lors, l'allongement de la durée de cotisation, donc de travail, qui permet de produire plus de richesses, est indispensable.

La France est actuellement le pays de l'Union européenne où l'on travaille le moins.

M. Jean-Pierre Brard - Mais on y travaille mieux !

M. le Rapporteur - On y travaille moins que chez nos voisins européens au cours de la semaine, puisque la durée légale hebdomadaire du travail est fixée à 35 heures, soit trois heures de moins que la moyenne européenne.

On y travaille moins au cours de l'année : un mois de moins en moyenne.

On y travaille moins au cours de la vie : la France est le seul pays de l'Union où l'âge légal de la retraite est fixé en dessous de 65 ans - et cinq ans en dessous. C'est en France que l'âge effectif de cessation d'activité est le plus bas : cinquante-sept ans et demi.

M. Jean-Pierre Brard - Qui jette les gens à la rue ?

M. le Rapporteur - A ceux qui prétendent que le travail doit être partagé pour réduire le chômage, on rappellera que c'est en France que les taux de chômage des jeunes et des salariés âgés sont les plus élevés.

C'est pour faire face à cet héritage laissé par les gouvernements socialistes que, depuis un an, toute la politique du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin vise à encourager l'emploi et l'initiative, et à revaloriser le travail, afin d'améliorer les conditions de vie des Français et de garantir la solidarité (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Toutes les réformes visant à conforter nos systèmes de retraites ont été le fait de gouvernements de droite, alors que toutes les mesures pesant sur leur avenir ont été prises par des gouvernements de gauche.

En 1961, le gouvernement de Michel Debré étend aux non-cadres les retraites complémentaires obligatoires.

En 1967, le gouvernement de Georges Pompidou créé la CNAVTS.

En 1971, le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas porte le taux de remplacement dans le régime général de 40 à 50 %.

En 1975, le gouvernement de Jacques Chirac réserve « à des travailleurs manuels ayant exercé différents travaux pénibles » l'abaissement de l'âge de la retraite de 65 à 60 ans.

Mais en 1982, le gouvernement de Pierre Mauroy généralise brusquement, sans distinction de sexe ni de pénibilité, l'abaissement de cinq ans de l'âge de la retraite, sans la moindre évaluation des conséquences sur l'avenir à moyen et long termes des régimes de retraite.

En 1991, le gouvernement de Michel Rocard, malgré les conclusions alarmantes du livre blanc sur les retraites qu'il a commandé, renonce à réformer.

En 1993, le gouvernement d'Edouard Balladur a le courage d'appliquer aux 12 millions de salariés du régime général plusieurs dispositions du livre blanc : allongement progressif de la durée de cotisation, élargissement de la période de référence, indexation sur les prix.

Il instaure également le fonds de solidarité vieillesse pour financer le minimum vieillesse et les cotisations retraite des chômeurs. Sans ces réformes, la branche vieillesse serait déjà lourdement déficitaire.

En 1995, le gouvernement d'Alain Juppé ose briser le tabou de l'iniquité entre public et privé (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jean-Pierre Brard - Avec un grand succès auprès des Français !

M. le Rapporteur - En 2000, le gouvernement de Lionel Jospin renonce et renoncera cinq ans durant, malgré les conclusions alarmantes du rapport Charpin, à réformer le système de retraite. Pour financer les 35 heures, il crée de surcroît le FOREC, qui détourne à son profit les recettes de la sécurité sociale et du fonds de solidarité vieillesse, qu'il met en déficit.

M. François Goulard - 15 milliards d'euros gaspillés chaque année !

M. le Rapporteur - Le présent projet de loi, méticuleusement préparé par François Fillon et Jean-Paul Delevoye, que je remercie...

M. Jean-Pierre Brard - Dans la perversité, ils sont excellents !

M. le Rapporteur - ...s'inscrit d'abord dans notre histoire sociale. Il n'a pour but que de sauver la retraite par répartition, objectif partagé par l'immense majorité des Français, tous les partis politiques et les partenaires sociaux. Son but est donc consensuel, les travaux de la commission l'ont confirmé.

Les choix du Gouvernement ont été arrêtés dans une longue concertation avec l'ensemble des partenaires sociaux, et infléchis, parfois de façon importante, dans une négociation dont les conséquences financières atteignent 2,7 milliards d'euros par an, avec deux importants partenaires sociaux représentant les salariés...

M. Jean-Pierre Brard - Lesquels ?

M. le Rapporteur - ...l'ensemble de ceux représentant les travailleurs indépendants et de ceux représentant les employeurs.

Ce projet de loi se fonde sur un constat partagé, confirmé par des rapports incontestés commandés par plusieurs gouvernements, émanant des experts les plus qualifiés et de personnalités à la représentativité aussi incontestée que par exemple Maxime Gremetz ici présent. Il s'agit du livre blanc sur les retraites, préfacé par Michel Rocard, Premier ministre, en 1991, du rapport de Jean-Michel Charpin, commissaire au plan, commandé en 1999 par Lionel Jospin, et des travaux du Conseil d'orientation des retraites, installé par le même Lionel Jospin en 2000, dont le rapport a été publié le 6 décembre 2001.

Les mesures proposées par ce texte ne divergent pas de celles qui ont été prises depuis longtemps dans les pays privilégiant la retraite par répartition.

M. Jean-Pierre Brard - Le mimétisme dans la ringardise !

M. le Rapporteur - Les objectifs du projet de loi sont même nettement plus ambitieux pour les garanties apportées aux retraités et futurs retraités dans la plupart des domaines décisifs : durée de cotisation, taux de remplacement.

Malgré cela, les Français continueront à partir en retraite cinq ans avant tous leurs voisins européens.

Au-delà de la recherche d'équité, des avancées originales apportent souplesse et liberté dans certains choix offerts aux salariés. Elles permettent de prendre en compte les longues carrières et bientôt la pénibilité.

Bref, nous pouvons être fiers de ce projet de loi.

Malgré ses éléments consensuels, sa longue maturation partagée, son caractère urgent, équitable et innovant, ce projet a mobilisé avec une rare intensité la commission des affaires sociales.

Le chiffre record de 6 600 amendements a été atteint. Ils émanent pour 6 457 de l'opposition, ce qui pose le problème des conditions de travail de la commission et de notre assemblée.

En dépit de cette obstruction, la commission a apporté une réelle contribution au projet de loi, grâce à l'habileté de son président Jean-Michel Dubernard (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

L'examen du titre premier a fait ressortir la volonté d'assurer un haut niveau de la retraite par répartition, par l'allongement de la durée de cotisation.

Il garantit un taux de remplacement élevé d'au moins les deux tiers des revenus d'activité, de 85 % pour les salariés ayant effectué leur carrière au SMIC.

Ces deux objectifs constituent des progrès majeurs, avec un effort de solidarité considérable en faveur des petites retraites, décidé en accord avec les partenaires sociaux responsables qui l'ont voulu le 15 mai.

A partir de 2012, avec l'allongement d'environ trois mois chaque année de l'espérance de vie, le choix qui est fait est de maintenir le rapport de durée - deux tiers, un tiers - entre la vie active et la retraite.

Le temps de retraite continuera donc de s'allonger, comme il l'a fait sans pause depuis 1945.

En 1950, l'espérance de vie des hommes à 60 ans était de 15 ans et demi. En 2020, elle sera de 23 ans et en 2040, de 26 ans, soit dix ans et demi d'espérance de vie de plus qu'en 1950, davantage encore pour les femmes.

A partir de 2012, les décisions concernant cet allongement seront proposées par les partenaires sociaux. Préparées par la commission de garantie des retraites instaurée à l'article 5 et le COR, elles se fonderont sur l'évolution de la situation démographique et économique de la nation.

Des mesures en faveur de l'emploi des plus de 55 ans étant prévues, le dispositif de préretraites sera réservé aux situations de pénibilité et de sauvetage d'entreprises en difficulté.

Un dispositif de surcote incitatif complète le report à 65 ans de l'âge de mise à la retraite d'office et l'assouplissement des règles du cumul emploi-retraite.

Facteur d'apaisement, une information sera offerte aux salariés sur la situation de leurs droits à la retraite.

En tout état de cause, la France restera le seul pays de l'Union européenne dans lequel l'âge de la retraite demeure en dessous des 65 ans.

Le titre II est également porteur d'innovations importantes.

Le départ à la retraite avant 60 ans, après quarante années de cotisations, pour les salariés ayant commencé à travailler très jeunes, est une réponse légitime aux attentes de nombreux salariés.

Elle avait été refusée ici même par le gouvernement de Lionel Jospin, le 27 novembre 2001, par la voix de Mme Guigou, qui s'était personnellement opposée à une proposition de loi communiste sur cette question pourtant essentielle.

Les dispositions en faveur des pluripensionnés, des petites retraites, du temps partiel, la revalorisation du minimum contributif, oublié de 1997 à 2002, sont autant d'avancées. De même, pour l'accès à la réversion des conjoints survivants, la suppression de toute condition d'âge et d'absence de remariage ou de durée de mariage apportent un progrès.

La commission a adopté plusieurs amendements du groupe UMP au titre II. Ils tendent à améliorer encore la situation des conjoints survivants, en augmentant le plafond de ressources et en tenant compte des charges de famille. En outre, ils apportent pour certains conjoints collaborateurs survivants des avancées attendues.

Plusieurs amendements du groupe UMP ont également été adoptés à l'unanimité par la commission en faveur des parents d'enfants handicapés, pour harmoniser les avantages entre régime public et régime général, et améliorer leur situation, en leur octroyant une année de cotisation tous les dix ans dans la limite de trois années.

Enfin, la commission a accepté deux amendements facilitant le rachat des années d'études.

Le titre III modifie les régimes publics du code des pensions civiles et militaires. Il engage l'harmonisation progressive jusqu'à 2008 - avec dix ans de décalage sur le régime général - de la durée de cotisation ouvrant droit à une retraite pleine. C'est une mesure d'équité.

Cet allongement assure le taux de remplacement élevé de 75 %. Il harmonise l'indexation sur les prix avec le régime général, garantissant ainsi le pouvoir d'achat des pensions.

Il harmonise aussi le dispositif de surcote et de décote, ce dernier se mettant en place progressivement sur dix-sept ans.

L'article 52 instaure un régime complémentaire obligatoire pour les fonctionnaires prenant en compte une partie de leurs primes.

L'article 54 intègre concrètement la prise en compte de la pénibilité pour certaines professions.

La commission a accepté un amendement pour pallier les conséquences sur les avantages familiaux d'une jurisprudence européenne, afin de respecter à la fois l'égalité des droits et les conséquences des maternités sur leur carrière pour les femmes fonctionnaires.

Le titre IV réforme et consolide les régimes des professions artisanales, industrielles et commerciales des professions libérales et des exploitants agricoles.

Il crée un régime complémentaire obligatoire pour les commerçants et instaure la mensualisation attendue des retraites des agriculteurs, en faveur desquels la commission a accepté plusieurs amendements.

Le titre V a trait à l'épargne retraite. Xavier Bertrand, rapporteur pour avis de la commission des finances, développera cet aspect (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

L'épargne-retraite est concrétisée par l'amélioration de la loi Fabius de 2001
- transformation des plans d'épargne salariale volontaire pour la vieillesse en plans d'épargne salariale volontaire pour la retraite - et par l'extension aux salariés du privé de l'accès au plan d'épargne retraite - ouvert depuis 1967 au seul secteur public.

Ces dispositifs s'ajouteront aux régimes par répartition, de base et complémentaire, auxquels le présent projet de loi apporte des garanties.

La commission l'a accepté, tout en exprimant le souhait unanime d'aller plus loin dans trois domaines. D'abord, l'exploration de l'élargissement ou de la modification de l'assiette du financement, afin de n'écarter aucun tabou, sans rêver à des solutions utopiques. Un amendement UMP proposera à cet effet une extension des missions du COR. Ensuite, la réflexion pour mieux définir la pénibilité, qui sera confiée aux partenaires sociaux. Enfin, la mise en place de mesures concrètes propres à améliorer l'emploi des plus de 55 ans, pour lequel nous vous proposerons également un amendement instaurant un dispositif dégressif de charges.

Parmi les 92 amendements qu'elle a acceptés, la commission a privilégié les conjoints survivants, les handicapés et leurs parents, enfin les familles.

La plupart de ces amendements sont probablement irrecevables au titre de l'article 40 de la Constitution. Dans ce cas, nous ne pourrions pas les présenter dans l'hémicycle. C'est pourquoi je vous demande au nom de la commission, qui les a adoptés à l'unanimité, de bien vouloir, Monsieur le ministre, les reprendre. Ils sont en effet une importante contribution de notre commission à votre projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Cependant les travaux de la commission ont aussi mis en évidence les divergences politiques exprimées par l'opposition.

Le groupe communiste a déposé un nombre déraisonnable d'amendements - 6 354. Il refuse le principe même de la réforme, c'est-à-dire l'allongement des cotisations et donc le financement des retraites par le travail des actifs.

C'est le principe même de la répartition qui est ainsi remis en cause, et ceci est paradoxal. Au fond, ce sont plutôt les réalités économiques et sociales du monde ouvert d'aujourd'hui, que nos collègues communistes n'acceptent toujours pas.

En ce sens, il faut leur reconnaître une constance dans le refus de l'économie de marché... mais est-ce encore raisonnable ou seulement réaliste ? Le Gouvernement, quant à lui, a choisi de conforter la solidarité dans un contexte socio-économique qui s'impose à toutes les nations, oubliant trop souvent les individus.

Quant au groupe socialiste, son attitude en commission est aussi déconcertante que celle de ses nouveaux responsables.

Le parti socialiste refuse une réforme dont la totalité des dispositions relèvent des travaux qu'il a lui-même élaborés ou commandés depuis douze ans sous l'impulsion de gouvernements qu'il soutenait : le livre blanc, le rapport Charpin et les travaux du COR. Brusquement, dans une attitude politique de circonstance, il remet radicalement en cause ce qu'il avait acté.

En contestant le financement de la réforme proposée par le Gouvernement, il oublie qu'il s'est appuyé sur des hypothèses de croissance et d'emploi infiniment plus optimistes pour expliquer, en 2000, qu'il renvoyait la réforme à plus tard.

La réalité, pourtant, c'est que la part de financement de la réforme laissée à l'augmentation des cotisations après 2008 sera bel et bien compensée par la bascule des besoins de financement du chômage, puisqu'avec 300 000 départs supplémentaires à la retraite dès 2006 la situation de l'emploi sera mécaniquement modifiée.

En vérité, le parti socialiste conteste le financement par l'allongement des cotisations au prétexte que seuls les salariés en auraient la charge. C'est oublier que deux tiers des cotisations vieillesse sont le fait des employeurs, et beaucoup plus dans le secteur public.

En refusant l'allongement progressif des cotisations sans remettre en cause l'allongement de la durée des retraites, le parti socialiste remet en cause, lui aussi, le principe même de la répartition. C'est surprenant pour un parti qui s'est lui-même heurté aux difficultés à réformer.

Quant aux solutions qu'il évoque, pourquoi n'en a-t-il pas fait mention auparavant ? Sans doute parce qu'elles sont irréalistes au point de n'avoir été appliquées nulle part. Ce que le parti socialiste appelle ses « pistes » aboutirait en fait à une nouvelle hausse massive de quarante à cinquante milliards des prélèvements obligatoires qui pèsent sur les salariés, les familles et les entreprises. Cette hausse entraînerait une baisse du PIB de deux points et la destruction inéluctable de 300 000 à 400 000 emplois.

Ce serait bien ce que Michel Rocard définit comme « le scénario de l'inacceptable », ce très sévère jugement étant partagé par de nombreuses personnalités socialistes, et non des moindres : Jacques Delors, Jacques Attali, Michel Charasse ou encore Bernard Kouchner, pour ne citer que ceux qui ont le courage de s'exprimer publiquement.

Cette réforme, qui n'a que trop attendu, est une réforme qui réunit autour d'un objectif consensuel : sauver nos retraites par répartition. Elle apporte en outre d'importantes garanties, avancées et innovations sociales.

Elle apporte aussi de la souplesse, c'est-à-dire de la liberté et de l'équité, c'est-à-dire de l'égalité. Elle s'inscrit donc dans notre pacte social national, c'est-à-dire la fraternité entre tous les Français. C'est donc bien du ciment de notre nation qu'il s'agit. Et parce qu'il n'y a pas de réforme alternative possible, j'ai l'honneur, au nom de la commission des affaires sociales, de vous inviter à adopter ce projet, dans l'intérêt de toutes les générations de nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La séance, suspendue à 18 heures 35, est reprise à 18 heures 40.

M. François Calvet, rapporteur pour avis de la commission de la défense - L'arrivée à l'âge de la retraite des générations nombreuses nées après la Seconde Guerre mondiale et l'allongement de l'espérance de vie auront pour conséquence d'augmenter considérablement le nombre de personnes retraitées, ce qui remet directement en cause l'équilibre du système de retraite.

L'objectif du projet est de préserver l'avenir d'un système par répartition, fondé sur la solidarité entre les Français et entre les générations.

Dans les régimes de la fonction publique, la disproportion entre la charge assumée par l'employeur et celle de l'agent est devenue telle que, sauf à procéder à des augmentations massives de l'effort contributif demandé aux actifs, aucun redressement ne semble envisageable sans l'adaptation des règles qui régissent la protection vieillesse de ce secteur.

Les militaires relèvent du code des pensions civiles et militaires de retraite. C'est pourquoi notre commission a décidé de se saisir pour avis du projet.

Je décrirai succinctement les particularités du régime de pension applicable aux militaires, puis j'examinerai les modifications apportées par le projet ainsi que leur nécessaire adaptation au métier des armes. Dans le code de la sécurité sociale, applicable dans le secteur privé, la vieillesse est considérée comme un risque garanti par un système d'assurance légalement obligatoirement, fondé sur la répartition du produit des cotisations des actifs entre les bénéficiaires devenus inactifs au terme de leur vie professionnelle.

En revanche, le système de retraite des agents de la fonction publique repose sur le maintien d'une rémunération après cessation d'activité. Si les traitements d'activité sont soumis à une retenue pour pension, cette dernière ne constitue pas la justification fondamentale des droits acquis pour avoir servi l'Etat pendant un temps suffisant ; elle n'est pas non plus la condition d'un équilibre financier.

Dans un cas, il s'agit de prestations fournies par des organismes cogérés par les partenaires sociaux et soumis à une obligation d'équilibre financier ; dans l'autre, d'une dette que l'Etat se reconnaît envers ses anciens agents et dont il assume la charge au même titre que celle de la rémunération des agents en activité.

Le droit à pension est ouvert dès quinze ans de service effectif. Le montant de la retraite, civile ou militaire, est calculé à partir, d'une part, des annuités acquises au titre des services et bonifications, d'autre part, du traitement ou de la solde de base. Les annuités sont converties en pourcentages à raison de 2 % par annuité liquidable. Le maximum d'annuités - quarante avec les bonifications - permet de prétendre à 80 % du traitement ou de la solde de base. L'indice de solde retenu est celui acquis depuis six mois au moins au moment de la cessation des services valables pour la retraite. Le calcul de la pension prend aussi en compte les services effectifs auxquels peuvent s'ajouter des bonifications. Pour les militaires, il peut s'agir de bénéfices de campagne, de la bonification du cinquième du temps de service, de bonifications pour services aériens ou subaquatiques... Les fonctionnaires de police comme ceux de l'administration pénitentiaire peuvent également bénéficier de la bonification du cinquième du temps de service.

Au-delà de ces éléments valables pour tous les agents publics le régime de pension des militaires comporte des spécificités propres au métier des armes.

Si les agents contractuels de la fonction publique d'Etat sont affiliés au régime général de la sécurité sociale et au régime complémentaire de l'IRCANTEC, tous les militaires sous contrat relèvent du code des pensions civiles et militaires de retraite. Les militaires sous contrat, qui représentent 60 % des effectifs des trois armées, bénéficient donc des mêmes droits et obligations que les militaires de carrière. Cela se justifie par le concept de « communauté militaire », nécessaire à la cohésion des forces.

Les services militaires donnent lieu à une bonification systématique d'un cinquième de la durée réelle de service dans la limite de cinq annuités. Cette bonification est toutefois réduite d'une annuité par an au-delà de cinquante-cinq ans et disparaît en cas de maintien en activité après cinquante-huit ans.

Les militaires non-officiers peuvent toucher leur pension au terme de quinze années de service effectif, et les officiers, eux, après vingt-cinq ans. Cette facilité se justifie par la nécessité pour les armées de disposer d'effectifs jeunes. Elle permet aux militaires qui, statutairement, ne peuvent effectuer que des carrières courtes, de réaliser leur reconversion civile à un âge où il est encore possible de trouver assez facilement un emploi.

Les militaires non-officiers qui quittent le métier des armes avant vingt-cinq ans de service, peuvent cumuler intégralement leur pension avec une rémunération publique, ce qui rend particulièrement favorable pour eux la reconversion dans des emplois publics. Pour les officiers, un tel cumul n'est possible qu'à partir de la limite d'âge de leur grade. Le cumul d'une pension avec la rémunération d'une activité privée est possible sans restriction.

La brièveté des carrières et la modicité des pensions imposent à la majeure partie des militaires quittant le service jeunes de reprendre une activité professionnelle civile. Un adjudant réunissant quinze ans de service perçoit une pension de 680 € par mois.

La réforme des retraites qui nous est présentée s'appliquera à l'ensemble des agents de l'Etat, en particulier à tous les fonctionnaires et militaires du ministère de la défense, dans le respect des principes essentiels du code des pensions civiles et militaires de retraite et des spécificités de chaque catégorie.

Sa principale disposition consiste à porter progressivement à 40 ans en 2008, la durée de cotisation nécessaire pour l'obtention d'une pension à taux plein, la valeur de l'annuité étant ainsi abaissée de 2 % à 1,875 %.

Pour encourager les fonctionnaires à retarder l'âge de leur départ en retraite, une décote est introduite pour les agents qui n'auront pas acquis ces quarante annuités. En 2015, elle sera appliquée au taux de 1,25 % par trimestre manquant, toutefois plafonnée à vingt trimestres. Aucune décote ne sera en revanche appliquée à l'agent ayant atteint la limite d'âge légale, quel que soit le nombre d'annuités qu'il aura acquises.

Parallèlement, les agents publics qui choisiront de rester en service au-delà de soixante ans et auront acquis les cent soixante trimestres nécessaires bénéficieront d'une surcote. Leur pension sera augmentée de 3 % par annuité supplémentaire, dans la limite de cinq ans.

Les personnes ayant mené des carrières successives dans plusieurs régimes ne seront pas pénalisées, le calcul s'effectuant tous régimes confondus. Ainsi, pour les anciens militaires reconvertis, les annuités de bonifications acquises durant les services militaires compteront dans le calcul d'une éventuelle surcote.

Le projet de loi comporte d'autres mesures significatives. Les pensions seront désormais indexées sur les prix, comme c'est déjà le cas dans le secteur privé. La pension minimale garantie, qui croît avec les années de service, sera calculée sur la base d'une pension complète et progressivement revalorisée de 5 %. Les primes seront prises en compte avec la création d'un nouveau régime complémentaire obligatoire, distinct du régime des pensions, ouvert à tous les agents civils et militaires et financé à parts égales par l'Etat et les cotisants. Les avantages familiaux seront harmonisés, en particulier la bonification pour enfants et la pension de réversion, consacrant l'égalité entre hommes et femmes. Enfin, la possibilité de rachat de la durée d'assurance pour les années d'études supérieures sera ouverte aux militaires.

Enfin, le projet ne remet pas en question les caractéristiques essentielles du régime des pensions des fonctionnaires civils et militaires. La pension reste calculée sur la base du traitement ou de la solde des six derniers mois.

Le taux de remplacement est maintenu à 75 % pour toute carrière complète. La possibilité demeure, pour les militaires, d'atteindre 80 % grâce aux bonifications. La période minimale pour pouvoir prétendre à une pension reste fixée à quinze ans. Le taux de cotisation des agents de l'Etat est inchangé à 7,85 % du traitement indiciaire. Le régime des bonifications est préservé. Les primes qui étaient déjà intégrées dans le calcul des pensions, comme l'indemnité de sujétions spéciales perçues par les gendarmes, sont toujours prises en compte.

Tout en poursuivant une logique de prolongement de la vie active...

M. Jean-Pierre Brard - Jusqu'à ce que mort s'ensuive !

M. François Calvet, rapporteur pour avis - Le projet de loi ne remet pas en question le principe de la jeunesse des armées en adaptant le dispositif général aux spécificités militaires.

Dans ce but, la décote instituée afin d'inciter les agents de l'Etat à travailler plus longtemps sera appliquée de manière dérogatoire pour les militaires.

Ainsi, la décote ne s'appliquera pas lorsque le militaire aura atteint la limite d'âge de son grade ou la limite maximale de la durée des services ; lorsqu'il aura atteint le taux de pension de 75 %, correspondant, à partir de 2008, à quarante annuités de service ; lorsqu'exerçant dans un corps où la limite d'âge est inférieure à 55 ans, il décide de quitter l'uniforme après avoir accompli 17,5 ans de services effectifs s'il est militaire du rang ou sous-officier ou 27,5 ans s'il est officier ; lorsqu'exerçant dans un corps où la limite d'âge est supérieure ou égale à 55 ans, il décide de quitter l'armée avant 50 ans et après avoir accompli 17,5 ans de services effectifs s'il est militaire du rang ou sous-officier ou après 27,5 ans s'il est officier.

M. Jean-Pierre Brard - Et s'il est décoré ?

M. le Président - Monsieur Brard, s'il vous plaît !

M. Jean-Luc Préel - Les militaires sont décorés au nom de la France !

M. François Calvet, rapporteur pour avis - L'abattement dont fait l'objet la bonification du cinquième du temps de service est repoussé de deux ans et ne prendra désormais effet qu'à partir de 57 ans. Cette disposition permet aux militaires d'augmenter leur durée de cotisation de deux années supplémentaires sans être pénalisés par cet abattement. Cette mesure ne supprime donc pas les dispositions destinées à favoriser les départs des cadres avant la limite d'âge, mais les rend compatibles avec l'allongement de l'activité.

Par ailleurs, le projet comporte trois mesures destinées à améliorer certaines situations particulières. Tout d'abord, le plancher de la solde de réforme est revalorisé par l'adoption de l'indice majoré 227 en remplacement de l'indice majoré 216 ; ensuite, la pension octroyée à la veuve ou au veuf d'un militaire décédé des suites d'un attentat sur le territoire national est portée à 100 % de la solde de base (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP) ; enfin, la situation statutaire des officiers sous contrat, qui relèvera dorénavant du code des pensions civiles et militaires de retraite, est clarifiée.

Certains points restent toutefois en suspens et méritent d'être éclaircis. Ainsi, l'instauration d'une décote double, s'appliquant d'une part aux carrières courtes, avant 27,5 ans de service, d'autre part aux carrières longues, à partir de 50 ans, risque de se traduire par un chevauchement des deux périodes de décote pour les officiers entrés dans les cadres après l'âge de 22,5 ans. En effet, ceux-ci entreront dans la seconde zone de décote, dite « carrière longue », fondée sur l'âge avant d'être sortis de la première zone de décote, dite « carrière courte » et fondée sur le nombre d'années de service. De ce fait, ces officiers ne pourront quitter l'armée après une carrière courte sans être pénalisés et seront fortement incités à prolonger leur service le plus longtemps possible, ce qui va à l'encontre du principe de jeunesse des armées.

Actuellement, 18,5 % des officiers ont été recrutés après 22 ans et demi, mais leur nombre augmente avec l'allongement de la durée des études.

Avec cette réforme, le ministère de la défense aura certainement à réfléchir sur les 150 limites d'âge existant actuellement dans l'institution militaire. L'allongement progressif de la durée de cotisation va augmenter l'âge moyen des militaires, ce qui ralentira l'avancement. Il faudra donc se pencher également sur l'évolution de la structure pyramidale des armées. La réflexion sur la modernisation du statut général des militaires, qui pourrait nous être présentée d'ici quelques mois, en fournira l'occasion.

Les militaires ne pouvaient rester à l'écart de l'effort commun pour sauvegarder la retraite par répartition. Ils seront incités, comme tous les salariés, à prolonger leur activité pour conserver leur niveau de retraite. S'ils acceptent sans difficulté de participer à cet effort, ils souhaitent que leurs spécificités soient reconnues. Le projet les satisfait pleinement puisque les dispositions générales qui pouvaient aller à l'encontre de certains principes spécifiques aux armées font l'objet d'aménagements. Par ailleurs, les éléments essentiel du calcul de la pension sont sauvegardés.

Pour toutes ces raisons, la commission de la défense a donné un avis favorable sur ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; M. Jean-Pierre Brard applaudit).

M. Xavier Bertrand , rapporteur pour avis de la commission des finances- J'aime, nous aimons les bonnes nouvelles, et en voici deux : les Français vivent de plus en plus longtemps, et nous allons pourvoir garantir les retraites à l'avenir.

Aujourd'hui, un Français sur cinq a plus de 60 ans ; en 2040 ce sera un Français sur trois. Avec le système par répartition, auquel nous sommes tous profondément attachés, quatre actifs financent un retraité ; en 2040 ils seront deux actifs seulement pour un retraité. Le défi est clair : Il faut sauver nos régimes de retraite. Sinon, selon le COR, dont nul ne conteste les conclusions, le retraité de 2040 aura trois solutions : cotiser neuf années de plus, ce qui est impensable ; payer 60 % de cotisations supplémentaires, ce qui est impossible ; voir sa pension diminuer de moitié, ce qui serait inacceptable.

Dans ce domaine comme dans d'autres, la seule réponse est donc le volontarisme politique sinon les Français, surtout les plus modestes, n'auront plus le choix. Pensons que, sans attendre 2040, dès 2006 ce ne seront plus 500 000 mais 800 000 personnes qui partiront en retraite. Dès la fin de l'année, les partenaires sociaux discuteront des régimes complémentaires. A nous, aujourd'hui, de prendre nos responsabilités.

Cette réforme combine sécurité, équité et souplesse.

La sécurité d'abord, car elle sauvegarde la répartition. Entre les trois possibilités
- augmenter la durée de cotisation, augmenter leur montant, voir chuter le niveau des pensions -, le Gouvernement a choisi clairement d'augmenter la durée des cotisations. C'est le bon sens pour laisser chacun décider de son propre choix. C'est aussi la solution retenue par tous les pays européens et celle que préconisent la plupart des acteurs. C'est, au-delà des postures politiciennes d'aujourd'hui, la solution retenue par Lionel Jospin dans son discours de mars 2000.

Certains proposent d'augmenter les cotisations. Par pragmatisme, le Gouvernement accepte une légère augmentation de 0,2 % des cotisations vieillesse à partir de 2006, à prélèvements obligatoires constants. Mais on ne peut alourdir le poids des cotisations. Quant aux nombreuses théories avancées dans le débat, elles conduisent à l'impasse. Taxer les entreprises sur la valeur ajoutée, c'est grever leur compétitivité ; faire appel à des financements aléatoires est une piste que le gouvernement précédent avait écarté pour financer les 35 heures.

M. Gilles Carrez - Exactement !

M. Xavier Bertrand, rapporteur pour avis - Certains, sur les bancs socialistes, proposent d'augmenter la CSG. Ce serait une solution de facilité - ce qui n'étonne guère de la part de ses promoteurs. En effet, les retraités, qui y sont soumis, seraient obligés de cotiser de nouveau pour leur retraite ! C'est inacceptable... sauf pour ceux qui trouvent qu'on ne paye jamais assez d'impôts et de taxes.

M. Alain Néri - Vous, vous baissez l'impôt pour les riches !

M. Xavier Bertrand, rapporteur pour avis - Je crois ne pas être le seul à refuser cette dangereuse facilité.

En second lieu, cette réforme garantit l'équité. Les Français demandent la justice sociale. La convergence entre régimes public et privé exprime l'effort partagé par la communauté des actifs, et garantit le financement du régime de la fonction publique. Dans le même esprit, convergence des durées de cotisation, indexation des pensions, création d'une décote sont des mesures d'équité. Celle-ci ne signifiant pas uniformité, il faut prendre en compte la spécificité des trois fonctions publiques, auxquelles nous sommes profondément attachés. La progressivité de la réforme, la création d'un régime additionnel intégrant une partie des primes, le maintien des avantages familiaux, la seconde carrière, sont autant de garanties pour les agents du public que la réforme sera équilibrée.

Mais l'équité, c'est aussi de mettre un terme à des situations injustes, par exemple pour ceux qui ont commencé à travailler à 14, 15 ou 16 ans. Ils vont pouvoir partir à 60 ans. Le groupe communiste l'avait demandé en novembre 2001. Le gouvernement socialiste avait répondu non ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Lorsque la question avait été posée en mars dernier, nous vous avions donné rendez-vous à l'occasion de ce projet. Oui, ces Français vont pouvoir partir en retraite anticipée !

M. François Liberti - Pas tous ! 200 000 sur 800 000 !

M. Xavier Bertrand, rapporteur pour avis - La discussion entre partenaires sociaux ouvrira de nouvelles perspectives pour ceux qui ont commencé après 16 ans. Nous souhaitons aussi que les régimes complémentaires tiennent compte de la volonté du législateur pour ceux qui ont commencé le plus tôt. La commission des finances a adopté un amendement en ce sens, dans un consensus, hélas, trop rare.

S'agissant du travail pénible, la loi fixe un délai de trois ans aux partenaires sociaux pour trouver des solutions au niveau des branches. Nous souhaitons avoir chaque année un état de ces négociations. La commission des finances proposera également un amendement en ce sens.

La retraite minimum garantie, l'effort en faveur du minimum contributif, l'attention portée aux indépendants, aux pluripensionnés, aux veuves, la mensualisation pour les agriculteurs, autant de mesures qui prouvent notre souci d'équité.

Enfin, cette réforme est caractérisée par la souplesse. Pour donner à chaque Français plus de liberté, il faut l'informer tôt et régulièrement. Le COR jouera un rôle crucial pour l'information collective. Mais l'information individuelle est indispensable. Elle doit être faite dès l'entrée dans la vie active, avec des rendez-vous que je souhaite, à terme, annuels, quel que soit le régime de retraite. C'est en étant bien informé que chacun deviendra responsable de sa retraite.

La souplesse, c'est aussi la facilité accordée à tous les Français d'accéder à l'épargne-retraite. Osons dire la vérité à ce sujet : l'épargne-retraite est aujourd'hui réalité dans ce pays, mais une réalité non partagée par l'ensemble des Français. Les fonctionnaires y ont accès avec la PREFON, les travailleurs non salariés avec la loi Madelin et certains salariés avec les « plans Fabius ».

Quant aux autres Français, ils se tournent souvent vers l'assurance-vie ou toute autre forme d'épargne de précaution. Aussi, est-ce avec beaucoup de pragmatisme que ce texte entend offrir, soit à titre individuel avec le plan d'épargne-retraite, soit au sein de l'entreprise avec le plan partenarial d'épargne salariale volontaire pour les retraites, la possibilité à tous les Français d'augmenter le moment venu leur revenu de retraité.

La souplesse, c'est aussi la possibilité d'améliorer ses droits à la retraite quand on décidera de rester en activité plus longtemps, et ce moyennant une surcote de 3 % par an.

La souplesse, c'est également le cumul facilité entre l'emploi et la retraite, la possibilité de racheter des années de cotisation pour les années d'études afin d'éviter de devoir rester en activité au-delà de l'âge que l'on aura voulu se fixer.

Enfin, la souplesse trouve sa traduction dans le principe de la retraite progressive qui opère un changement de culture profond avec notre système actuel, où le recours à la préretraite ne peut plus être conservé en l'état. Le défi est essentiel : revaloriser la place et le rôle des travailleurs âgés dans notre pays. Aujourd'hui, 37 % seulement des 55-64 ans sont encore en activité dans notre pays contre 50 % en Grande-Bretagne et 65 % en Suède. Ce chiffre, nous le savons bien, ne correspond pas toujours à un choix individuel.

Plusieurs députés socialistes - Où sont les licenciements ?

M. Xavier Bertrand, rapporteur pour avis - Relever ce taux d'activité constitue un enjeu national, qui doit mobiliser les énergies de chacun. Si nous réussissons à terme à donner envie aux salariés de rester en activité, et aux entreprises de continuer à leur donner toute leur place dans l'entreprise, ainsi qu'à les former quel que soit leur âge, alors nous aurons non seulement trouvé de précieuses sources de financement pour les retraites mais surtout, nous aurons réussi à replacer l'aspect humain au c_ur de notre société.

De fait, cette réforme des retraites constitue bien un véritable enjeu de société. Elle nécessite un vrai courage politique : ce gouvernement et sa majorité n'en manquent pas. Elle commande de placer l'équité au c_ur de notre démarche : c'est le cas. Chacun dans cet hémicycle est maintenant face à ses responsabilités et face aux Français. Nous avons l'intime conviction que ceux-ci ont compris que la réforme est juste et nécessaire.

Mme Odile Saugues - Allez donc dans la rue le leur dire !

M. Xavier Bertrand, rapporteur pour avis - En matière de retraites, on peut parler de constat partagé. La notion d'efforts partagés demande déjà plus de courage, mais elle est indispensable pour définir les contours d'un avenir partagé.

C'est pourquoi la commission des finances vous propose d'adopter ce projet ambitieux, qui s'affirme comme l'un des fondements d'une société de confiance, au sein de laquelle le pacte entre les générations témoignent de leur volonté de bâtir une vraie communauté de destin (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme Claude Greff, rapporteure de la délégation aux droits des femmes - La réforme proposée par le Gouvernement est très importante pour les femmes puisqu'en 2015, 52 % des retraités seront des femmes et qu'elles seront le plus touchées si aucune réforme n'est menée à bien.

Saisie par la commission des affaires culturelles, la délégation aux droits des femmes a adopté quatorze recommandations, le 3 juin dernier.

Elles concernent d'abord les pensions de réversion du régime général, dont l'accès sera facilité pour les conjoints survivants puisque l'article 22 du projet supprime les conditions d'âge ainsi que celles de durée du mariage et d'absence de remariage et qu'il simplifie celles relatives au plafond de ressources.

En accord complet avec ces nouvelles dispositions, la délégation a cependant estimé que le nouveau plafond des ressources personnelles du conjoint survivant devra être fixé à un niveau suffisant, à la fois pour ne pas léser les veuves ayant encore une activité professionnelle ou bénéficiant d'un avantage personnel de vieillesse, et dans un souci de rapprochement avec le régime de la fonction publique, plus avantageux.

Ce plafond devra être modulé pour tenir compte du nombre des enfants encore à la charge des conjoints.

La délégation a souhaité également que le Gouvernement et les partenaires sociaux étudient les conditions dans lesquelles le taux de la pension de réversion, fixé aujourd'hui à 54 %, pourrait être augmenté, l'objectif étant d'atteindre un taux proche de 60 %, permettant au conjoint survivant de garder un niveau de vie équivalent à celui qu'il avait en couple.

Dans la fonction publique, les veufs pourront désormais, comme les veuves, bénéficier d'une pension de réversion égale à 50 % de la pension de leurs conjointes dès le décès de celles-ci.

La délégation souhaite que la suppression de la condition d'âge soit adoptée par les régimes complémentaires - ARRCO et AGIRC - de façon à donner à cette mesure toute sa portée.

Dans le nouveau régime de retraite complémentaire obligatoire des non-salariés agricoles, la pension de réversion n'est accessible au conjoint survivant que si le conjoint décédé a déjà liquidé sa retraite. La délégation a estimé que cette condition restrictive devrait être supprimée, la pension de réversion dans les autres régimes étant fixée par rapport à la retraite dont bénéficiait ou eût bénéficié l'assuré.

La délégation s'est ensuite attachée aux compensations familiales - terme que nous préférons de beaucoup à celui d'avantages familiaux.

Dans ce domaine, le Gouvernement est désireux de répondre aux exigences européennes d'égalité entre hommes et femmes, tout en ayant une politique familiale dynamique qui redonne confiance dans l'avenir et qui fasse que, demain, davantage de femmes aient envie d'avoir des enfants.

Dans le régime de la fonction publique, la mise en _uvre du droit communautaire a conduit à modifier sensiblement les conditions de la bonification pour enfants, qui sera désormais reconnue aux hommes comme aux femmes, sous réserve d'une interruption d'activité précisée par décret en Conseil d'Etat, pour les enfants nés avant le 1er janvier 2004.

Pour les enfants nés après 2004, la bonification pour enfants sera remplacée par une validation des périodes d'interruption d'activité consacrées à l'éducation d'un enfant. Cette bonification, valable pour les hommes comme pour les femmes est généreuse puisqu'elle peut atteindre une durée de trois ans par enfant. On peut cependant considérer qu'elle pénalise les femmes ayant fait le choix de poursuivre leur activité professionnelle en assumant la double charge des enfants et de la vie au travail. Aussi la délégation a-t-elle proposé de maintenir la bonification pour tous les enfants nés après 2004, de manière à en faire bénéficier toutes les femmes fonctionnaires qui assurent à la fois les charges des enfants et celles de la vie professionnelle.

A titre personnel, je me félicite donc de l'amendement de la commission des affaires culturelles qui prévoit, pour le père ou la mère, une bonification d'un an par enfant - qu'il soit né avant ou après 2004 -, dès lors qu'il y a eu interruption d'activité pendant au moins six semaines.

La délégation a également estimé qu'il fallait prendre en compte les périodes liées à des obligations conjugales ou familiales : congé pour suivre un conjoint ou congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie, étant entendu que ce sont généralement les femmes qui assurent les soins à des parents âgés et malades.

La délégation a souhaité que soit reportée au 1er juillet 2004 la date prise en compte pour la mise en application du nouveau système de validation des périodes d'interruption de carrière, afin que les mères aient eu connaissance, au préalable, des conditions de leur retraite et en particulier de l'accès à la bonification d'assurance.

Elle a considéré que, dans le régime général, les conditions d'attribution de la majoration d'assurance devraient être assouplies. La majoration devrait être calculée en fonction de la durée effective de prise en charge de l'enfant, à raison d'un trimestre par année de prise en charge, jusqu'à un maximum de huit trimestres.

La délégation aux droits des femmes s'est intéressée à la situation des femmes non salariées dans l'artisanat et dans l'agriculture. Pour permettre aux femmes d'artisans d'acquérir des droits propres, elle propose d'instituer une obligation d'adhérer à l'un des trois statuts de la loi du 10 juillet 1982 -conjoint collaborateur, conjoint salarié ou conjoint associé. Et elle souhaite que les agricultrices optant pour le statut de conjoint collaborateur aient la possibilité de souscrire à la retraite complémentaire obligatoire des non-salariés agricoles instituée par la loi du 4 mars 2002.

La délégation recommande d'autre part que la pénibilité de certains emplois féminins, que ce soit dans le régime général ou dans celui de la fonction publique, fasse l'objet d'une attention particulière.

L'avant-dernière recommandation concerne la prise en compte lors du divorce des désavantages qu'aura subis la femme, en matière de carrière et de droits à la retraite, du fait de son interruption d'activité pour élever les enfants. Une compensation financière devrait lui être reconnue, au nom de la solidarité au sein du couple, lors du jugement du divorce.

La délégation tenait à ce que cette question, qui devra être abordée au fond lors de la réforme du divorce, soit évoquée dès à présent.

Enfin, la délégation est très attachée à sa dernière recommandation. Les inégalités entre hommes et femmes dans les retraites étant le reflet des inégalités dans le déroulement des carrières, tout doit être mis en _uvre pour que soient appliquées les dispositions législatives relatives à l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, en particulier de la loi du 9 mai 2001.

Cette réforme est juste, nécessaire, concrète et réaliste. La délégation aux droits des femmes est heureuse d'y avoir apporté sa contribution d'autant qu'il s'agit aussi de nos enfants (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Pour bien réformer, il faut d'une part rechercher dans l'histoire de notre système de retraite ses lignes de force, d'autre part s'inspirer des exemples étrangers.

Améliorer le sort des plus âgés relève de la plus naturelle fraternité. D'où la notion de solidarité intergénérationnelle, qui fonde la retraite par répartition. C'est à la Révolution française que nous devons les premières réflexions sur le sort des travailleurs âgés : un projet présenté aux Etats généraux pour « offrir à la classe indigente des citoyens un revenu à leur vieillesse » ne verra jamais le jour, mais marque un commencement.

Le « droit à la retraite » restera jusqu'au début du XXe siècle le privilège d'un petit nombre de professions. La prévoyance prédominera jusqu'aux années 1930.

Il faudra attendre les lendemains de la Seconde Guerre mondiale pour voir en France l'avènement de la répartition et de la retraite pour tous. Les pouvoirs publics, inspirés par les idées de Beveridge, mettront en place le régime général de sécurité sociale, dont l'objectif est de couvrir toute la population active.

L'ordonnance du 4 octobre 1945 crée le régime général, la loi du 22 mai 1946 rend obligatoire l'assujettissement de tous les Français au régime d'assurance vieillesse, selon les règles d'universalité, d'unité et d'uniformité des prestations. Cette construction à base professionnelle, sur le modèle allemand, sera complétée par le minimum vieillesse en 1956. Malgré les souhaits de Pierre Laroque, aucun régime global ne verra le jour, du fait de la résistance de tous ceux qui bénéficiaient d'anciens systèmes.

L'histoire des retraites est donc complexe et tourmentée, du fait de la diversité des statuts et des professions.

Les « Trente Glorieuses » ont permis de faire progresser sans cesse la couverture des salariés et d'asseoir définitivement le système. Le niveau des retraites s'est considérablement amélioré, même s'il existe encore trop de petites retraites ; parallèlement, l'espérance de vie a beaucoup progressé et désormais la retraite représente souvent le quart, voire le tiers de la vie, et constitue un nouveau temps d'épanouissement et de liberté.

Nous savons depuis plusieurs années que le système est menacé. Du livre blanc de Michel Rocard aux publications du Comité d'orientation des retraites, tous les rapports ou presque ont établi le diagnostic : le déficit prévisible atteint 43 milliards en 2020 et 100 milliards en 2040, montants insupportables qui pourraient inciter ceux qui le peuvent à recourir à l'épargne privée. Toutes les études ou presque ont proposé des thérapeutiques associant dans diverses proportions trois mécanismes : l'augmentation de la durée de cotisation, l'augmentation des cotisations des employeurs et des salariés, la diminution des pensions.

Edouard Balladur, en 1993, a eu le courage de réformer le régime des salariés du privé en allongeant la durée de cotisation à quarante ans, en allongeant la période de référence et en mettant en place un système de décote. Je salue aussi le courage d'Alain Juppé en 1995. Mais qu'ont fait les gouvernement de gauche, et notamment celui de M. Jospin ?

Plusieurs députés UMP - Rien !

M. le Président de la commission - Naviguer à vue, multiplier les rapports - tel le rapport Teulade, criant de mauvaise foi -, osciller entre cynisme et méthode Coué (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Seule la mise en place du Conseil d'orientation des retraites et du fonds de réserve, largement abondé par le gouvernement actuel, sont à mettre au crédit de Lionel Jospin. C'est peu, quand on sait de manière irréfutable qu'à compter de 2006 nous aurons 800 000 nouveaux retraités par an.

L'allongement de la durée de cotisation est l'outil le plus souple à notre disposition. Il est aussi le plus favorable à la croissance, à l'emploi et à l'amélioration du niveau de vie. Pourquoi ne pas l'avoir négocié en même temps que la réduction du temps de travail ?

M. Eric Raoult - Bonne question !

M. le Président de la commission - La France n'est pas la seule à être confrontée à un défi démographique. Il y a autant de systèmes que de pays, mais nombre de nos voisins ont engagé depuis longtemps leur réforme.

Première en Europe à avoir institué la répartition, l'Allemagne est aussi l'une des premières à s'en éloigner quelque peu. L'histoire retiendra que Bismarck avait instauré en 1889 le système par répartition et qu'un chancelier social-démocrate, M. Schröder, y a ajouté en 2001 un système par capitalisation (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Dans une situation financière proche de celle de la France, la Belgique a longtemps vécu au-dessus de ses moyens, au prix d'un fort endettement. Des mesures ont été prises pour resserrer les conditions d'accès aux préretraites et aligner les durées de cotisation des femmes sur celles des hommes, en faisant passer l'âge de la retraite de soixante à soixante-cinq ans à l'horizon 2009.

Sans changement, l'Italie était condamnée à consacrer 23 % de son PIB au financement des retraites en 2050.

En Espagne, entre 2020 et 2050, les besoins de financement devraient être parmi les plus importants d'Europe. Signé en 1995, le pacte de Tolède a séparé les prestations contributives et les prestations non contributives, financées par l'Etat. Il a aussi donné naissance à un fonds de réserve. L'âge légal est désormais de soixante-cinq ans, mais l'équilibre du régime n'est pas assuré pour autant et les députés espagnols ont voté en juin 2002 une loi autorisant la retraite à la carte.

Le royaume de la réforme est la Suède, qui peut de nouveau se poser en modèle. Partis et syndicats y ont bâti un nouveau système, ouvrant la retraite à la carte entre 61 et 67 ans, avec un étage de répartition et un étage d'épargne-retraite individuelle obligatoire.

Bref, tous les pays ont bougé, qu'ils aient une tradition ancienne de dialogue social ou qu'ils aient une histoire sociale plus conflictuelle. Le plus souvent, les évolutions se sont faites dans un esprit de consensus, par-delà les oppositions partisanes.

C'est patent dans le cas de la Finlande. En janvier dernier, j'avais eu l'honneur d'accompagner François Fillon à Helsinki ; mon homologue, libéral à l'époque, de la commission des affaires sociales m'avait expliqué les grands principes de la réforme. Le mois dernier, notre commission recevait une délégation de parlementaires finlandais, mais, la majorité ayant changé, ils appartenaient pour la plupart au parti social-démocrate. Ils ont confirmé qu'il existait un consensus entre les partis de la majorité et de l'opposition.

M. Henri Emmanuelli - Parce que là-bas, la droite est intelligente !

M. le Président de la commission - Je peux vous retourner le compliment !

Consensus, aussi, entre les formations politiques et les syndicats. Pas de manifestations de rues avec des banderoles affichant des slogans surréalistes et fallacieux (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Pas de discours grandiloquents comme ceux de Dijon ou d'ailleurs (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Aucune insulte à l'encontre des organisations syndicales qui ont le courage d'accompagner la réforme, pas d'interpellation musclée lors des séances de questions à l'Assemblée (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste), pas de mauvaise foi (Mêmes mouvements). Est-ce lié à la faible population de la Finlande ? Non : la Suède, l'Espagne, l'Allemagne ont suivi le même chemin. Est-ce une question de culture ? Non : pays du Nord et pays du Sud se sont comportés de la même manière.

Je m'interroge donc sur le fonctionnement de notre démocratie sociale et de notre démocratie tout court. Quelle est la légitimité de la rue, de ce mélange hétéroclite plus mal que bien contrôlé par des syndicats peu représentatifs (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) ? En Finlande, Monsieur Gremetz, 80 % des salariés sont syndiqués ! Cela affaiblit sans doute les corporatismes, d'autant plus exacerbés dans notre pays qu'ils ont le pouvoir de gêner la vie quotidienne de nos concitoyens.

La démocratie sociale devrait elle aussi être réformée en France. Je sais que vous y êtes attaché, Monsieur le ministre des affaires sociales. Il le faut pour que cesse un jour cette comédie sans cesse répétée, qui porte en elle les causes de son échec toujours renouvelé. Sous cet angle, le rôle de la CFDT et de la CGC mérite d'être souligné (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) : par la négociation, elles ont fait évoluer le projet du Gouvernement, sur le taux de remplacement, les bas salaires, la retraite des travailleurs de longue durée et bien d'autres points.

Comment réformer notre démocratie quand la déformation de la réalité - chiffres sortis de leur contexte, citations tronquées, voire mensonges - s'érige en système politique ? Pourquoi le parti socialiste n'écoute-t-il pas ses intellectuels - Elie Cohen, Jean-Baptiste de Foucauld, Bernard Perret et bien d'autres -, ni ses sages - Michel Rocard, Jacques Delors, Jacques Attali - ou encore des esprits libres comme Michel Charasse et Bernard Kouchner ? Pourquoi ne pas suivre les recommandations d'un COR que le gouvernement Jospin a lui-même créé et que le gouvernement Raffarin ne fait que suivre ? En s'opposant brutalement et sans discernement, le PS espère-t-il retrouver une identité ? Il ne fait que perdre l'image réformiste qui lui avait permis d'arriver au pouvoir. Quant au parti communiste, espère-t-il se refaire une santé et recruter sur sa droite ou sur sa gauche ? Mission impossible quand on connaît son incapacité à se moderniser !

Nous sommes nombreux à avoir attendu ce jour où le Parlement se substitue enfin à la rue, où notre assemblée se saisit enfin de cette reforme d'envergure. Je l'ai constaté en commission avec Bernard Accoyer, notre dynamique rapporteur (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), la majorité est déterminée à soutenir le Gouvernement. Mais au-delà de l'enjeu de société que représente cette réforme, nombreux seront aussi les Français à juger de l'image que nous donnons de la démocratie (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 50.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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