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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 97ème jour de séance, 235ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 10 JUIN 2003

PRÉSIDENCE de M. Marc-Philippe DAUBRESSE

vice-président

Sommaire

      RÉFORME DES RETRAITES 2

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 2

      ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 11 JUIN 2003 19

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

RÉFORME DES RETRAITES

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi portant réforme des retraites.

M. Alain Bocquet - Rappel au Règlement. J'ai reçu communication d'un guide d'animation publié le 19 mai et distribué parmi les cadres de la fonction publique, avant même l'adoption de ce projet de loi en Conseil des ministres, et a fortiori avant notre débat. Son contenu est édifiant. Il s'agit d'organiser des réunions dans les différents services de la fonction publique, pour tenter de justifier le bien-fondé de votre réforme. Cela fait partie de la propagande déployée pour la faire approuver. Ce qui est grave, c'est que dans le propos d'ouverture de ce document, on peut lire que les mesures présentées pourront être modifiées, mais qu'il ne s'agira que d'ajustements, car les grandes tendances ou mesures ne changeront pas... Je m'indigne qu'avant même que le Parlement se soit prononcé sur le projet de loi, un tel ouvrage soit diffusé, plus ou moins secrètement, avec des moyens d'Etat. Il y a là une marque de mépris envers la représentation nationale. Je demande donc une suspension pour réunir mon groupe.

La séance, suspendue à 21 heures 35, est reprise à 21 heures 45.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Pascal Terrasse - La représentation nationale est appelée à vivre ces jours-ci un moment fort, pour ne pas dire historique. Avec la question des retraites, elle se saisit en effet d'un dossier majeur.

Ce symbole du progrès social, cette sécurité essentielle due à chaque citoyen est aussi l'incarnation même de la solidarité nationale. Les Français le savent. Ils savent que le débat ne se limite pas à la durée de cotisation, mais que réformer les retraites, c'est redessiner la société et repenser les rapports entre générations, et c'est pour cela que la France a les yeux tournés vers la représentation nationale.

Car la France s'est approprié le débat. Ce débat est partout. Il est surtout dans la rue, qui nous renvoie les signes de son inquiétude et attend de ses représentants qu'ils n'oublient pas un seul instant le seul objectif possible : la recherche du progrès social, et seulement du progrès social. En effet, un an après la plus grave crise civique qu'ait connue la Ve République, le retour de l'insécurité sociale nous entraînerait vers cet impensable scénario dans lequel l'avenir de nos enfants serait plus sombre que le nôtre.

M. Bernard Accoyer, rapporteur de la commission des affaires sociales - C'est bien pourquoi nous réformons !

M. Pascal Terrasse - Garantir la retraite par répartition, expression de la solidarité entre les générations et, par là même, facteur de cohésion nationale, demeure l'un des termes les plus importants du pacte social. Il n'y aurait pas de pire réforme que celle qui romprait avec cette exigence de solidarité.

Avant de nous engager sur la voie, forcément complexe, de la réforme, il convient d'éclairer les raisons pour lesquelles nous ne pouvons plus nous satisfaire de l'état actuel de nos systèmes de retraite.

La réforme ne se justifie que par les améliorations sociales qu'elle promet, quels que soient les efforts qu'elle suppose. Or je crains que, mesuré à cette aune, votre projet ne se résume à achever sans complexe la réforme drastique entreprise par Edouard Balladur dans la chaleur de l'été 1993. A ce titre, il remet en cause la république sociale voulue par le Conseil national de la Résistance.

Certes, il faut compter avec l'allongement de la durée de vie et l'arrivée à la retraite des personnes nées dans l'après-guerre, mais ce phénomène sur lequel les gouvernements des années 1960 et 1970 ont choisi de fermer les yeux, concerne tous les pays occidentaux, avec plus ou moins d'acuité. En France, les plus de 60 ans représentaient 16 % de la population en 1946, 18,4 % en 1975, 20 % en 1995. Ils seront 25 % en 2020. De ce fait, le poids des retraites dans le PIB passerait de 11,6 % aujourd'hui à 13 ou 14 % en 2020, si aucun des paramètres de la réforme Balladur n'était modifié. Si l'on s'en tient aux leviers sur lesquels vous voulez agir pour assurer le financement à cette échéance de 2020, il faudrait soit diminuer les pensions, soit allonger la durée de cotisation. Point de salut en dehors de ces deux punitions infligées à la France qui travaille !

Ce raisonnement est catastrophiste par construction. En effet, vous justifiez l'urgence de la réforme de manière comptable, statistique, et comme si la France devait faire face au problème dans l'immédiat.

M. le Rapporteur - Oui, elle le doit !

M. Pascal Terrasse - Mais on ne peut faire ainsi abstraction de la croissance et de l'emploi. Au cours des trente dernières années, la croissance nous a permis de financer largement la montée en charge de notre système de retraite, grâce à deux points supplémentaires de PIB. Cela n'a pas empêché notre économie de progresser ni notre pays de se maintenir dans le peloton de tête des pays riches. La situation sur le front de l'emploi représente, quant à elle, la principale variable en mesure de nous assurer, si nous nous en donnons les moyens, des marges de man_uvre importantes. Je ne sous-estime certes pas l'enjeu, mais nous devons aux Françaises et aux Français mieux que les discours catastrophistes que leur sert une large partie de la majorité.

Comme le notèrent les auteurs des rapports remis à Michel Rocard, à Alain Juppé et à Lionel Jospin, une politique de l'emploi soutenue permettrait de compenser grandement la dégradation des ratios. La réorientation de certains financements socialisés, en cas de croissance forte, est également possible.

Je démontrerai dans un moment qu'il n'est pas impossible de financer notre régime général de retraite jusqu'en 2020 : le tout est d'accepter de jouer, de façon concertée et équilibrée, sur l'ensemble des leviers, en refusant de noircir à tout prix la situation pour imposer le modèle libéral.

L'inquiétude suscitée par l'évolution démographique aurait dû conduire le Gouvernement à fixer les objectifs à atteindre avant de déterminer les moyens à mettre en _uvre. C'est au contraire la réforme pour la réforme que vous avez choisie, en proclamant que l'alternative était entre l'austérité et le chaos. Les Français ne sont pas dupes de ce discours réducteur et manichéen. Ils sont parfaitement conscients de la gravité de la question - comme le prouvent les mouvements sociaux de ces deux derniers mois - mouvements que vous n'êtes pas parvenus à réduire par la guerre de communication que vous avez menée à grand prix !

Vous avez voulu asseoir votre réforme sur un discours catastrophiste plutôt que de consulter les Français (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). De nombreux pays étrangers ont pris, avec succès, le temps de ce dialogue. Pas vous. Vous avez de même négligé le travail responsable et pragmatique fourni par le Conseil d'orientation des retraites.

M. le Rapporteur - Non !

M. Pascal Terrasse - Ces préalables étaient pourtant souhaitables pour ne pas rompre la chaîne de solidarité qui unit dans un même corps notre république sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Bruno Le Roux - Très bien !

M. Pascal Terrasse - Vous avez décidé d'achever l'entreprise de démolition sociale amorcée en 1995 (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Les Français sauront s'en souvenir, le moment venu !

Leurs préoccupations se posent en des termes très clairs : quelle pension ? A quel âge et après quelle durée d'activité ?

Pour nous, on ne saurait garantir l'avenir de la répartition en se contentant d'ajuster quelques paramètres et en oubliant le rôle déterminant des créations d'emplois. La question de l'emploi est en effet indissociable de celle des retraites. Il serait vain de s'interroger sur l'évolution des conditions d'âge ou sur la durée d'activité en négligeant le fait que, dans le secteur privé, plus d'une personne sur deux est aujourd'hui inactive avant que ne s'ouvrent ses droits à pension.

Quant à l'allongement de la durée de vie, elle pose la question de l'aptitude au travail dans le temps et de la considération portée aux salariés les plus âgés. Porter la durée de cotisation à 43 ans obligera inévitablement, soit à différer le départ à la retraite, soit à réduire le montant des pensions. Cela revient, de fait, à allonger la durée de la vie active et à poser avec encore plus d'acuité le problème du chômage, à un moment où le salarié est de plus en plus tôt considéré comme trop âgé.

En allongeant unilatéralement la durée de cotisation, vous ignorez les difficultés qu'ont les jeunes à trouver un premier emploi, vous ignorez le temps partiel subi et l'impasse où sont placés les chômeurs âgés.

Durcir les conditions d'accès aux préretraites progressives reviendrait à aggraver la concurrence parmi les salariés. Pour autant, il importe aussi de mieux utiliser les capacités de travail tout au long de la vie active et de cesser de faire de l'âge un élément de discrimination.

Dans le public, seulement 3 % des salariés quittent leur emploi pour une retraite avant cinquante-cinq ans. Il s'agit essentiellement des militaires et des femmes relevant des régimes de la fonction publique ayant élevé au moins trois enfants. Entre cinquante-cinq ans et cinquante-neuf ans, ce sont essentiellement les instituteurs, corps en voie d'extinction, les fonctionnaires de police et le personnel soignant. Vous nous parlez d'équité, mais ces personnes conserveront-elles un régime dérogatoire et sur quelle base ? Pourquoi ne pas profiter de cette réforme pour renvoyer à la négociation par secteurs de la fonction publique et par métiers la prise en compte de la pénibilité ?

Vous avez choisi de faire l'impasse sur ces sujets essentiels, ou de masquer vos intentions. Il en est ainsi pour l'âge de départ à la retraite. En effet, plus de la moitié des salariés liquide ses droits à pension à soixante ans. Est-il besoin de rappeler que ce sont les socialistes qui sont à l'origine de cette réforme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) C'est un acquis social que nous entendons préserver. Passer, comme le demande le Medef, de 160 à 172 trimestres de cotisation dans un premier temps, puis à 188 trimestres à terme, revient à le remettre en cause. Vous vous attaquez là à l'un des symboles du progrès social, à une conquête de la gauche devenue un acquis de tous les Français, fussent-ils vos électeurs !

Certains craignaient que cette avancée sociale ne se traduise par une paupérisation de la population âgée. Il n'en fut rien, car nous avons su éviter que la sortie de la vie active soit obligatoirement suivie de l'entrée dans la vie précaire ! Nous considérons qu'une société moderne se mesure à l'attention qu'elle porte à ses anciens et le niveau de vie moyen des retraités a aujourd'hui rejoint celui des actifs. Le minimum vieillesse concerne un peu moins de 90 000 personnes, aujourd'hui, contre plus de 2 millions dans les années 1970. Qu'en sera-t-il demain ?

Nos retraites sont plus longues, nous en profitons mieux. C'est le signe le plus évident d'une société ouverte au partage. Les retraités sont des acteurs économiques à part entière. Ce sont eux qui dans les périodes de crise tirent la consommation vers le haut et permettent de soutenir la croissance (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe socialiste). Votre choix d'appauvrir progressivement les retraités aura bien évidemment de lourdes conséquences sur la croissance à venir. J'aurai l'occasion de vous démontrer que la réforme Balladur, conjuguée aux mesures antisociales du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, comme la revalorisation des pensions de 1,5 % seulement alors que l'inflation sur les douze derniers mois atteint 2 %, et à votre réforme, aboutiront au plus drastique des régimes.

Vous avez délibérément choisi d'opérer un retour aux années 1970, chères à certains de vos collègues, où l'on comptait de nombreux retraités en dessous du seuil de pauvreté.

Certes, les améliorations dont les séniors ont pu bénéficier dans leur vie quotidienne ne reposent pas exclusivement sur notre système de retraite par répartition. L'assurance maladie, qui a permis de mieux prendre en charge de nombreuses pathologies ou plus récemment la création de l'allocation personnalisée d'autonomie y ont aussi contribué. Il n'en demeure pas moins que la retraite à soixante ans a fait naître un nouvel âge de la vie. C'est bien cette avancée fondamentale qui a permis d'impulser une véritable politique à l'égard d'une catégorie sociale jusqu'alors délaissée. Les retraités sont aujourd'hui organisés, acteurs de la vie sociale et peu enclins à se laisser enfermer dans un rôle d'inactifs qui n'est pas le leur. Votre projet, loin de prendre la mesure de cette évolution, ramène vingt ans en arrière.

L'élaboration patiente et concertée d'une politique sociale juste a pourtant fait ses preuves. Alors qu'en 1997 nous avons retrouvé des comptes sociaux au bord de l'explosion après cinq années de gestion RPR, nous avons su prendre les mesures structurelles nécessaires pour retrouver l'équilibre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; interruptions sur les bancs du groupe UMP). Après cinq ans d'une gestion qui a permis la consolidation des comptes sociaux, une seule année vous a suffi pour ramener, une nouvelle fois, la sécurité sociale dans une situation de quasi-faillite à la suite de choix politiques dont vous portez seuls la responsabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Vous avez préféré laisser filer les déficits.

Dans quelques mois, vous brandirez la menace qui pèse sur les régimes d'assurance maladie, afin d'orienter vers l'assurance privée. Vous prônez la sauvegarde de la protection sociale mais vous n'avez de cesse de la brader. Vous avez d'ailleurs, il y a quelques mois, voulu sauvegarder l'allocation personnalisée d'autonomie en faisant payer les plus pauvres, alors que dans le même temps vous allégiez de 500 millions d'euros la charge fiscale des ménages assujettis à l'impôt sur la grande fortune (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste). On comprend que le mouvement social soit des plus circonspects quand le Gouvernement affirme vouloir « sauvegarder » l'éducation nationale. En un an, vous avez surtout réformé le vocabulaire français puisque désormais réforme et sauvegarde sont synonymes de régression sociale et de démantèlement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Bruno Le Roux - Pour eux, décentralisation égale démantèlement !

M. Pascal Terrasse - Comment nos concitoyens pourraient-ils vous faire confiance alors que votre politique de l'emploi s'est traduite par 100 000 chômeurs de plus en un an. Inquiets pour le niveau de leurs retraites que vous avez décidé de réduire, ils le sont également pour leur santé, leur service public d'éducation et d'une manière générale, l'avenir d'un modèle social que vous avez décidé de sacrifier sur l'autel du libéralisme (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

La question des retraites est avant tout un choix de société.

Pour notre part, nous souhaitons maintenir les retraites par répartition.

Plusieurs députés UMP - Alors, il faut en tirer les conséquences !

M. Pascal Terrasse - C'est ce système qui a permis le mieux que le niveau de vie des retraités se rapproche de celui des actifs même si des disparités subsistent, trois retraités sur dix vivant avec moins de 530 € par mois (« La faute à qui ? » sur les bancs du groupe UMP). Pour les catégories sociales les plus défavorisées, la retraite représente 80 % de leurs ressources à soixante ans, alors que pour les plus riches, elle n'en représente que 50 %, le reste étant tiré de revenus du patrimoine et du capital.

Dans son discours du 21 mars 2000, le Premier ministre Lionel Jospin avait raison de rappeler que la retraite, « c'est toujours le patrimoine de ceux qui n'en ont pas ».

M. Claude Goasguen - Mais il n'a rien fait !

M. Pascal Terrasse - Monsieur le ministre, vous faites souvent allusion aux propos de Lionel Jospin en prenant soin de lui faire dire ce qui vous arrange. En réalité, les Français, qu'ils manifestent ou non, ne s'y trompent pas. Ils mesurent aujourd'hui, plus que jamais, tout ce qui nous sépare, tant sur le fond que sur la forme.

Par une politique économique volontariste, dans un contexte de croissance que nous avons su stimuler par des mesures fortes (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), nous avions engagé la France sur la voie du plein emploi, la seule possible pour garantir un début de financement des retraites grâce à un équilibre souhaitable entre cotisants et retraités. Avec la création de deux millions d'emplois et le recul du chômage de près d'un million d'unités (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; interruptions sur les bancs du groupe UMP), la situation était bien différente de celle que vos choix ont créée aujourd'hui. En effet, depuis votre arrivée aux responsabilités, ce sont 100 000 chômeurs de plus (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste ; « La faute aux 35 heures ! » sur les bancs du groupe UMP), soit, d'après l'excellent rapport sur l'assurance vieillesse de votre collègue Denis Jacquat, 200 millions d'euros en moins pour les caisses d'assurance vieillesse.

Votre politique de l'emploi vous conduit à vous tirer une balle dans le pied. Alors que les caisses vieillesse étaient excédentaires de 1,5 milliard d'euros en 2001 et de 1,7 milliard en 2002, on s'achemine sous peu vers une débâcle comparable à celle de l'assurance maladie. Votre gouvernement devra en assumer la pleine et entière responsabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UMP). Il ne vous sera plus possible de dire comme si souvent : « c'est pas nous, c'est les autres » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Vous me permettrez de douter de votre volonté d'assurer l'équilibre du régime vieillesse à l'horizon 2008. Contrairement à ce que vous faites croire aux Français, ce n'est pas en allongeant la durée de cotisation des fonctionnaires que vous équilibrerez les caisses du régime général car le budget de l'Etat et les comptes sociaux ne sont pas fongibles. Ayez le courage de le dire, au moins dans cet hémicycle.

M. Lucien Degauchy - C'est vous qui avez manqué de courage !

M. Pascal Terrasse - Au-delà du doute que nous pouvons avoir quant à vos intentions et vos arrière-pensées, je dirai que la détermination et le passage en force ne constituent pas une méthode. Le gouvernement précédent l'avait bien compris, qui s'était engagé dans une démarche d'ouverture (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) : ni « droit dans ses bottes », ni autiste à l'égard d'une rue qui, si elle ne gouverne pas, continuera à choisir celles et ceux qui siègent dans cet hémicycle !

M. le Rapporteur - Pourquoi les Français ont-ils voté comme ils l'ont fait en mai dernier ?

M. Pascal Terrasse - « Pour saisir pleinement la question de l'équilibre des régimes de retraite, il faut la replacer dans la durée. Il serait illusoire de penser la résoudre aujourd'hui pour 2040 », rappelait en substance en mars 2000 Lionel Jospin, ajoutant qu'un pilotage, adapté en permanence aux réalités démographiques, sociologiques et économiques du pays était nécessaire avant de conclure que son gouvernement n'entendait pas imposer une solution mais souhaitait qu'une négociation s'engage avec les organisations syndicales (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Votre méthode ne doit pas nous surprendre car 2003 ne diffère guère de 1995 avec un semblant de concertation, immédiatement suivi d'un projet conduit au pas de charge pour être adopté à la hussarde. Les organisations syndicales ne s'y sont d'ailleurs pas trompées puisque leurs réactions sont très proches de celles de 1995.

Que disaient-elles après l'allocution du Premier ministre en 2000 ? Il est intéressant de se reporter aux dépêches AFP d'alors.

Pour la CGT, la priorité était à une réforme du financement de la protection sociale, assujettissant toutes les composantes de la rémunération aux prélèvements sociaux, créant une cotisation sur les revenus financiers des entrepreneurs et modifiant le mode de calcul de la contribution patronale de manière à élargir l'assiette du financement.

FO indiquait, pour sa part, qu'elle ne saurait participer à une négociation ayant pour objectif une quelconque remise en cause du code des pensions.

Enfin, la CFDT de Mme Notat indiquait que l'allongement des cotisations, tout comme la modification des taux de cotisation n'étaient pas pour elle des tabous, tout en s'avouant perplexe sur les chances de réussite de cette réforme pour les fonctionnaires, le fait de renvoyer à la négociation ne laissant pas augurer d'un succès assuré. Quel aveu !

Je n'épiloguerai pas sur les positions du patronat. Vous connaissez mieux que moi son programme qui se résume à un allongement de la durée de cotisation à 180 annuités ! Son silence est d'ailleurs assourdissant à l'heure actuelle. Il serait difficile d'y voir de la déception. Au contraire, votre partenaire principal semble, pour une fois, avoir compris l'intérêt de la discrétion afin de soutenir votre projet.

Voilà ce qui nous oppose et que nous ne manquerons pas de vous rappeler tout au long des débats. Vous avez rompu unilatéralement le dialogue social avec six des plus importants syndicats de salariés. Vous avez préféré vous appuyer sur les seules propositions du Medef qui, en effet, a de quoi être pleinement satisfait de vos orientations (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Christian Vanneste - Le seul débat a lieu au Parlement !

M. Pascal Terrasse - Ce projet constitue un virage à 180 degrés, une rupture manifeste avec les politiques sociales conduites depuis l'après-guerre. En effet, durant près d'un demi-siècle, les régimes de retraite du secteur public ont servi de référence à celui du privé. Toutes les réformes depuis 1945 ont en effet consisté à aligner progressivement le second sur les premiers. L'inversion de cette tendance à partir de 1993, date de la réforme Balladur, constitue de ce point de vue une rupture majeure, confirmée aujourd'hui.

Tourner le dos à près d'un demi-siècle de progrès social et se payer le luxe de snober le dialogue et la concertation, voilà un excès de confiance et une nouvelle forme d'expérimentation hasardeuse, à l'issue bien incertaine ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

La voie de la négociation est la seule possible pour parvenir à des conditions de liquidation des retraites dans tous les régimes qui soient partagés par le plus grand nombre.

En réalité, vous êtes coupables d'une terrible négligence à l'égard de la France qui travaille. Allonger de manière inconsidérée la durée de cotisation, sans tenir compte ni des spécificités de certains métiers, ni de l'évolution des conditions de travail, ni des conséquences prévisibles de la mesure sur la santé, ni de l'inaptitude à exercer certains métiers à partir d'un certain âge, c'est méconnaître le monde du travail et lui accorder bien peu de considération.

Comment pouvez-vous aborder la question des retraites sans évoquer l'usure prématurée de certaines catégories de travailleurs ? En effet, ce sont souvent ceux qui ont commencé à travailler le plus tôt qui perçoivent les pensions de retraite les plus modestes et qui malheureusement en profitent le moins longtemps.

M. Christian Vanneste - C'est nous qui avons proposé d'améliorer leur situation, pas vous !

M. Pascal Terrasse - La pénibilité physique ou psychologique, qui résulte de conditions de travail particulières comme le travail à la chaîne sous contrainte de rendement, le travail de nuit ou posté, l'exposition aux bruits, à la poussière, aux toxines, à l'humidité... nuisent gravement à la santé, à l'espérance de vie de certaines catégories sociales (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Rien dans votre projet ne tient compte de cette terrible réalité ! Au contraire, « du chantier au cimetière », voilà ce que vous proposez pour de nombreux salariés !

D'après des études de l'INSEE conduites sur la période 1982-1997, la différence d'espérance de vie à 35 ans entre un ouvrier et son directeur est de 6,5 ans.

Selon les postes de travail, le risque de décès varie du simple au double entre trente-cinq et soixante-cinq ans, comme varie ensuite la durée de la retraite. Demandez donc, Monsieur le rapporteur, à un agent de la DDE de Haute-Savoie ce qu'il pense d'un départ à la retraite à soixante-trois ans, alors qu'il effectue des déneigements la nuit et le week-end, dans les intempéries (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Il faudra lui expliquer que vous voulez le faire partir à soixante-cinq ou soixante-sept ans.

M. le Rapporteur - Ils sont déjà décentralisés, et ils en sont très contents !

M. Pascal Terrasse - Il serait judicieux de renvoyer à la négociation par fonction publique et par branche professionnelle la possibilité de bénéficier de bonifications trimestrielles (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Vous offrez cette possibilité aux seules infirmières, à raison d'une année pour dix ans, alors que pour les militaires la bonification est d'un an tous les cinq ans. Y aurait-il deux catégories d'emplois pénibles ? Connaissant les conditions de travail du personnel soignant, j'en doute. Et les enseignants en zone sensible, les ouvriers de catégorie C, les chauffeurs de poids lourds ? Vous ne leur dites rien. Pourtant, une négociation était possible dans leur cas.

Votre texte ne mentionne qu'une fois la pénibilité et renvoie à d'hypothétiques discussions. Cela traduit bien sa nature inégalitaire. Vous fuyez le dialogue social. Jamais depuis 1995, la France n'a été aussi mobilisée. Et derrière ceux qui manifestent, il y a tous ceux, du secteur privé, qui sont contraints à la discrétion mais soutiennent la rue. 83 % des Français jugent utile une réforme des retraites, mais 64 % jugent inégalitaire celle que vous proposez ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Quand les socialistes votaient la retraite à soixante ans, vous refusiez cette grande réforme. Maintenant, vous essayez de faire croire que le gouvernement précédent avait la même attitude que vous aujourd'hui.

Plusieurs députés UMP - Il n'a rien fait !

M. Pascal Terrasse - Lionel Jospin a bien dit qu'il n'était pas nécessaire d'allonger la durée des cotisations. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Sur l'allongement, la baisse des prestations, la méthode, vos choix ne sont pas les nôtres !

M. Yves Bur - Les Français n'aiment pas la politique de l'autruche !

M. Pascal Terrasse - Dans la société que nous choisissons, les richesses seront mieux réparties (« Ah ! » sur les bancs du groupe UDF) et un haut niveau de pension garanti.

Votre plan se déroule en trois actes. Au premier, vous réduisez le montant des retraites. Au second, vous imposez les fonds de pension comme seule solution. Au troisième, il ne reste qu'à sacrifier définitivement les retraites par répartition (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La loi accorde une place de choix à l'épargne retraite. Mais ce n'est pas en accordant des avantages fiscaux à ceux qui peuvent facilement épargner que vous allez résoudre le problème des petites pensions. Au contraire, le dispositif n'en est que plus inégalitaire.

De plus, vous n'avez nullement approfondi la réflexion que nous avions entamée (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP) avec la création du plan d'épargne interentreprises. Donner les mêmes avantages fiscaux dans le cadre de la grande entreprise, qui peut pratiquer une politique d'abondement intéressante, et dans les PME, c'est créer une inégalité supplémentaire. Mais votre objectif, c'est d'affaiblir les régimes de base et surtout les caisses complémentaires, pour aller vers la capitalisation.

Si l'épargne salariale est utile, l'épargne retraite n'est qu'un pis-aller. La France est le pays européen où l'épargne des familles est la plus importante. Mais plus de 15 % du PIB est placé de façon peu productive. Réorienter l'épargne des ménages, pourquoi pas ? Vers l'économie, pourquoi pas encore ? Mais en fait, vous voulez revenir sur le dispositif Fabius relatif à l'épargne-retraite avec sortie en rente viagère.

D'autre part, et vous n'en dites rien, les exonérations que vous voulez accorder à ceux qui en auront les moyens...

M. Pierre Méhaignerie - C'est pitoyable !

M. Pascal Terrasse - ...vont faire perdre des ressources considérables aux comptes publics. Il est vrai que les déficits publics ne sont pas votre préoccupation majeure (Rires sur les bancs du groupe UMP). La Commission européenne vient pourtant de vous adresser un sérieux rappel à l'ordre (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste). Expliquez donc à la nation pourquoi vous faites ce cadeau fiscal.

Mais vous préférez, comme d'habitude, vous référer à la PREFON, dont disposent moins de 250 000 fonctionnaires, souvent de hauts fonctionnaires qui compensent ainsi le fait qu'on ne tienne pas compte de leurs primes pour leur retraite. Ce n'est pas la secrétaire administrative du ministre des affaires sociales qui a les moyens de cotiser à la PREFON. Demandez aussi aux fonctionnaires de l'éducation nationale ou à certains élus locaux ce qu'ils pensent du CREF. Les pertes sur le marché en actions ces dix-huit derniers mois devraient vous servir de leçon. Il est irresponsable de proposer aux Français, comme vous le faites, de jouer leur retraite à la bourse !

Nous sommes résolument contre toute forme d'épargne retraite. Demandez ce qu'il en est à l'Etat britannique, qui a été obligé de rembourser les fonds Maxwell aux adhérents spoliés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP), demandez aux Chiliens, aux salariés de Enron ! Pourquoi vouloir introduire la capitalisation là où il suffit de réorienter l'épargne ?

L'épargne non productive est aussi signe d'une inquiétude que votre projet accentuera. Par idéologie, vous ne servez en fait que les organismes financiers, au détriment de la croissance et de l'emploi.

Les socialistes ont abrogé la loi Thomas, rendu plus clair l'intéressement, mieux taxé les stock options, refusé l'épargne individuelle. Leur vision de la société est complètement différente de la vôtre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Les orientations que je vais maintenant vous présenter...

Plusieurs députés UMP - Il était temps !

M. Pascal Terrasse - ...rompent totalement avec ce projet. Nous voulons revenir sur la réforme Balladur pour en corriger les effets néfastes (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) pour les salariés du secteur privé.

M. le Rapporteur - Heureusement que nous l'avons faite !

M. Pascal Terrasse - Ce processus est en cours. Si on le laisse aller à son terme, les retraites perdront 20 % à 30 % d'ici 2008. La réforme Balladur, complétée par vos mesures, c'est la double peine pour les retraités et pour les salariés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Je prends quelques exemples à partir des données du COR. Un fonctionnaire dont la rémunération nette est de 1 400 € et qui part à la retraite à soixante ans avec 37,5 annuités touchera 1 120 € s'il part en 2003, 982 € s'il part en 2006, 817 €, décote comprise, en 2020. Avec la même rémunération mais 32 années de cotisation - ce qui est le cas d'une femme fonctionnaire sur deux -, la pension sera de 956 € pour un départ en 2003, 692 € en 2008 et 470 € en 2020.

M. Michel Delebarre - C'est scandaleux !

M. Pascal Terrasse - Toujours avec cette même rémunération, un salarié du privé qui part à soixante ans touchera, s'il a quarante annuités, 1 148 € en 2003, 1 106 € en 2008, 743 €, décote comprise, en 2020.

M. Yves Nicolin - C'est n'importe quoi !

M. Pascal Terrasse - Pour une femme avec trente-deux annuités, ce sera 581 € en 2003, 528 € en 2008, 482 € en 2020 (Cris continus sur les bancs du groupe UMP : « Le projet ! Le projet ! »).

M. le Président - Nous avons tout le temps pour ce débat, laissez donc l'orateur s'exprimer (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. le Rapporteur - Quel terrassement !

M. le Président - Laissez parler l'orateur ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Pascal Terrasse - Les femmes constituent 54 % des retraités, dont 45 % ont acquis moins de cent trimestres. Elles ont souvent interrompu leur carrière pour raisons familiales et seront les premières victimes de votre réforme.

Ce n'est d'ailleurs pas la dernière conférence de la famille qui nous fera croire que vous menez dans ce domaine une politique ambitieuse.

Faut-il rappeler le « hold-up » que vous avez opéré sur la branche famille, avec l'augmentation des prélèvements et le siphonage des excédents à hauteur de 1,8 milliard d'euros ? Promis, juré, nous dites-vous, ce sera la dernière fois ! Malheureusement, je crains que le déficit structurel du FSV...

M. le Rapporteur - A cause du FOREC et des 35 heures non financées !

M. Pascal Terrasse - ...vous place face aux conséquences de vos choix politiques. Contrairement à vos affirmations, Monsieur Accoyer, ce ne sont pas les 35 heures qui ont affaibli le FSV, mais le manque de ressources lié à la médiocrité de votre politique de l'emploi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Et pourtant, l'amélioration du sort des futurs retraités est possible, de même qu'il est possible et souhaitable de donner des signes clairs à celles et ceux qui ont déjà tourné la page de la vie active.

Nombreux députés UMP - Le projet ! Le projet !

M. Pascal Terrasse - Nous proposons par exemple que la revalorisation des pensions soit calculée sur la base d'un objectif national qui garantisse une évolution du pouvoir d'achat des retraites.

M. Yves Nicolin - Baratin !

M. Pascal Terrasse - A l'instar de la conférence annuelle sur les salaires, nous proposons la création d'une conférence annuelle des retraites (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), dans laquelle siégeraient, outre les représentants des salariés, des représentants des retraités (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Le calcul des pensions sur les 25 meilleures années n'est censé être effectif qu'en 2008. Nous proposons que soient ouvertes de nouvelles négociations sur ce point. C'est d'autant plus souhaitable que, s'agissant des fonctionnaires, vous avez finalement choisi de calculer la retraite sur les six derniers mois, au lieu des trois ans prévus dans le projet initial. Ce serait une insulte au principe d'équité que de laisser les fonctionnaires à six mois et les salariés du privé à 25 ans ! Nous attendons donc de vous un signe à l'égard des salariés du privé. Vous avez fait marche arrière pour le secteur public (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) ; quand allez-vous entendre les salariés du secteur privé ? Il est vrai qu'en choisissant de faire passer les décrets Balladur une fois les Françaises et les Français partis en vacances, vous aviez clairement choisi de ne pas le faire...

Depuis vingt ans, s'est développée en France une coalition d'intérêts entre les entreprises et les salariés pour reporter sur la collectivité le coût financier d'un départ anticipé en retraite. Pour les salariés, les raisons sont évidentes. Partir en préretraite, c'est d'abord en finir avec la crainte du chômage, un chômage dont à cet âge, il n'est pas facile de sortir. C'est en même temps s'assurer un niveau de revenus jugé suffisant à une période de la vie où les besoins diminuent. Et tous les sondages font état d'une aspiration à quitter la vie professionnelle plusieurs années avant soixante ans lorsque l'entrée dans la vie active s'est faite très tôt.

Dans ces conditions, nous considérons que deux réformes s'imposent. Tout d'abord, permettre aux salariés qui ont une durée de cotisation suffisante, soit 40 annuités, de partir en retraite avant soixante ans, c'est-à-dire généralement dès cinquante-six ans. Ensuite, rendre plus accessible le marché du travail aux actifs qualifiés de plus de cinquante ans. Pour cela, il faut renforcer les incitations à conserver dans l'entreprise les salariés âgés. Or, votre principal partenaire, je veux parler du Medef, vous souffle des amendements permettant aux entrepreneurs de conserver le droit, le plus longtemps possible, de se débarrasser sans pénalités des salariés âgés. En commission, certains ont ainsi ouvertement proposé de conserver le droit au licenciement à soixante ans et je crains que la nécessité de donner des gages à votre allié patronal ne nous donne l'occasion de voir reparaître en séance cet amendement totalement contraire au principe de l'allongement des carrières. Il faut dire que parfois l'Etat employeur ne se gêne pas non plus pour contrevenir à ce principe, par exemple quand il met un terme au contrat des salariés de GIAT ou de la Banque de France.

Pour agir sur l'emploi, encore faut-il s'appuyer sur des leviers pertinents : l'éducation, la formation, une ambition pour la recherche, une politique forte qui permette à ceux qui sont dans la précarité de retrouver l'espoir. Or, tous les leviers pour favoriser l'emploi ont été mis en sommeil - les gels de crédits en sont l'illustration la plus criante. Comment envisager de mieux former tout au long de la vie les salariés, quand la casse du service de l'éducation nationale est programmée. Que dire de l'inquiétude des agents de l'AFPA qui voient dans la décentralisation un moyen d'affaiblir leur champ d'intervention ? Sans compter toutes les associations qui interviennent dans le champ de l'insertion et dont les crédits cette année sont divisés par deux. Sans parler des crédits de la recherche qui sont en chute libre.

Les faits sont là, hélas, pour nous prouver l'inaction de votre gouvernement en matière d'emploi. Les salariés doutent, le moral des ménages est en berne et les plans sociaux se multiplient.

Vous laissez entendre que votre projet de loi va remédier à la dégradation des basses retraites résultant des mesures Balladur. Créé en 1983 par Pierre Mauroy, le minimum contributif visait au départ à garantir aux assurés du régime général à bas salaire une pension égale à 95 % du SMIC net, avec une retraite complémentaire, mais il a par la suite, du fait de vos amis politiques, décroché par rapport au SMIC. Votre texte propose de le porter à 85 % du SMIC en 2008.

M. Yves Bur - Vous ne l'avez pas fait, vous !

M. Pascal Terrasse - Où est le gain pour les salariés ? Rappelons qu'il s'agit ici des salariés modestes ayant effectué une carrière complète et qu'au cours de l'année 2000, 40 % des retraites nouvellement attribuées l'ont été au niveau du minimum contributif, les trois quarts concernant des femmes. C'est dire si cette question est majeure.

L'amélioration par rapport au niveau actuel, qui est estimé à 83 %, est largement en trompe-l'_il, puisque ce taux est aujourd'hui accordé sur la base de 150 trimestres, alors que les 85 % de votre projet nécessitent 160 trimestres et que les périodes dites non contributives - année supplémentaire pour enfant par exemple - seront exclues du décompte. Une fois de plus, ce sont les femmes qui en feront largement les frais !

Autre exemple du flou du projet : le calcul des pensions de réversion. Alors que le candidat Chirac avait promis d'améliorer les règles de cumul entre droit personnel et pension de réversion, il n'y a rien dans votre texte, Monsieur le ministre, sur l'évolution du taux de réversion, actuellement de 54 %. Avec les associations de conjoints survivants, nous pensions qu'il pourrait évoluer pour atteindre 60 %. Certes, les conditions d'âge et de durée de remariage sont supprimées, mais la limitation des seuils de ressources va limiter la portée du dispositif. Décidément, le diable se cache dans les détails !

Certes, l'assurance veuvage est abrogée, mais rien n'indique que la pension en assurera le relais complet, en particulier pour les jeunes ménages en raison de la décote.

M. Bernard Roman - Absolument !

M. Pascal Terrasse - La majoration forfaitaire par enfant de moins de 20 ans perd son caractère forfaitaire et évoluera comme les pensions. Quant à la majoration pour conjoint à charge, elle est carrément supprimée ! Les familles qui en bénéficient seront heureuses de l'apprendre en 2004 !... Enfin, en ce qui concerne le calcul des périodes non travaillées, là aussi, il est urgent d'attendre pour en savoir plus.

Votre texte aurait pu, comme nous y invitait Lionel Jospin, ouvrir le chantier du passage progressif de l'activité à la retraite. Il n'en est rien. La réflexion ne s'ouvre pas davantage sur les périodes d'inactivité subies ou encouragées, s'agissant notamment des mères au foyer. A cet égard, l'article 32 de la loi constitue un recul considérable et va pénaliser les femmes dont les enfants naîtront après le 1er janvier prochain.

Permettez-moi donc de réaffirmer la nécessité de valider des périodes d'inactivité, notamment pour les jeunes en formation professionnelle en alternance, les stagiaires en conversion, celles et ceux qui sont en incapacité de travail pour cause de longue maladie, d'invalidité, d'accident professionnel. Ce ne sont pas vos propositions de rachat de cotisations à un coût prohibitif - en moyenne 7 000 € - qui vont permettre une quelconque compensation. Qui, en dehors des personnes ayant accompli leurs études dans les grandes écoles, pourra bénéficier d'un tel dispositif ? En vérité, ce dernier relève de l'effet de manche et ne concernera que quelques centaines de personnes par an. Mes chers collègues, je vous l'annonce ici : votre méthode de rachat des points sonne le grand retour des rentiers.

M. Bernard Roman - Oui, il faut le dire !

M. Pascal Terrasse - La retraite à la carte n'a guère plus d'ambition et n'est rien d'autre qu'une mesure visant à autoriser le cumul emploi-retraite. Compte tenu du taux de chômage important, il serait pourtant inacceptable de permettre aux bénéficiaires d'une retraite satisfaisante de venir occuper le marché du travail et créer ainsi un phénomène de dumping sur les salaires qui frapperait de plein fouet les jeunes diplômés.

Comme si le rallongement de la durée de cotisation ne suffisait pas, voilà maintenant que quelques retraités de la fonction publique pourront aller se vendre à bas prix au secteur privé pour mettre du beurre dans les épinards. Il y avait le cumul des mandats, vous instaurez le cumul des revenus. Sondez donc la jeunesse sur la popularité d'un tel dispositif !

Parmi les lacunes - nombreuses - de votre texte, je voudrais évoquer ce qui a trait aux personnes handicapées et à leur entourage. L'année européenne du handicap et la volonté que vous avez affichée de réformer dès cette année la loi d'orientation en faveur des handicapés auraient dû vous amener à vous pencher sur leur sort.

Les difficultés qui frappent les travailleurs handicapés, victimes d'une exclusion quasi systématique du marché du travail à un âge avancé, auraient dû vous inciter à renforcer leurs droits, notamment en instaurant une bonification d'annuité selon le taux de handicap, mesure qui existe dans d'autres pays européens.

L'entourage des personnes handicapées aurait également dû faire l'objet d'un examen attentif. Combien d'hommes et de femmes sont contraints d'interrompre leur activité professionnelle pour accompagner un parent, un enfant, un époux, dépendant dans sa vie quotidienne ? Là aussi, une validation des périodes aurait été bienvenue ! Comment voulez-vous assurer l'intégration des personnes handicapées, si la famille n'est pas le pivot de la prise en charge ? Là encore, vous nous objectez des paramètres financiers, alors que c'est une réponse sociale forte qui est attendue.

Les personnes handicapées bénéficient au même titre que les autres de l'allongement de la vie. Mais à quarante-cinq ou cinquante ans, elles ne peuvent plus toujours remplir convenablement leur mission. Il faut en tenir compte, et ne pas les abandonner à des dispositifs d'assistance sociale à la seule charge des conseils généraux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Le groupe socialiste avait déposé des amendements en ce sens, que vous avez rejetés. Mais nous aurons l'occasion d'en reparler.

Au chapitre de la longue cohorte des catégories oubliées, j'évoquerai le titre IV, dont deux chapitres et quelques articles portent sur les professions artisanales, industrielles et commerciales ainsi que sur le régime de base des professions libérales et des exploitants agricoles.

La loi du 10 juillet 1982, elle aussi due à un gouvernement de gauche, a institué le statut de conjoint collaborateur des artisans et des commerçants, qui autorise ce conjoint à acquérir des droits personnels à la retraite.

En 1999 et en 2000, le gouvernement précédent a décidé de mensualiser les pensions des artisans et des commerçants - ce que vous avez toujours refusé de faire. Nous nous étions engagés, lorsque nous avions instauré la retraite complémentaire agricole, à mensualiser dès le 1er janvier 2004, les ressortissants du régime de la mutualité sociale agricole. J'ai cru comprendre que le ministre des finances s'y opposait désormais pour une raison qui m'échappe, et souhaitait reporter la mesure au 1er janvier 2005 - sans doute pour ne jamais l'appliquer ! Vous aurez tout loisir de nous expliquer cette reculade inadmissible si elle venait à se confirmer. Mon collègue Germinal Peiro, spécialiste des questions agricoles, vous présentera une série d'amendements sur ce point.

Seul l'article 56, relatif à l'évolution de la couverture vieillesse des caisses de l'ORGANIC et conformément aux attentes de cette institution, pourrait aboutir à un début de consensus. Sur ce point, la négociation a porté ses fruits. Voilà qui aurait pu vous inspirer pour d'autres catégories socioprofessionnelles.

J'en viens enfin à la question du financement (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), qui paraît vous embarrasser. En effet, votre projet ne permet pas de faire face aux besoins identifiés à l'horizon 2020. Votre refus de mener une véritable politique de l'emploi et votre échec patent sur le front du chômage vous éloignent déjà des perspectives tracées par le COR. Celui-ci a construit ses hypothèses sur un taux de chômage de 7 % dès 2005, qui diminuerait jusqu'à 4,5 %, à partir de 2010. On ne peut, comme vous le faites, retenir l'estimation du COR sur les besoins de financement et oublier un des éléments fondamentaux qui permettent de les calculer. L'enjeu est de taille : le COR a lui-même chiffré l'impact des variations du taux de chômage. Un chiffre seulement : si le taux de chômage se stabilisait à 7 % en 2010, au lieu de 4,5 %, le besoin de financement serait creusé de 0,7 point en 2040, soit la quasi-totalité des effets escomptés de votre réforme.

Vous avez été plus loin en estimant que les gains tirés de l'amélioration de la situation de l'emploi pourraient être affectés en totalité au financement des retraites. Une augmentation des cotisations vieillesse serait compensée par une baisse des cotisations chômage. C'est promettre au système de retraite un financement déjà très convoité. La baisse du chômage pourrait donner par exemple de nouvelles marges de man_uvre au traitement du chômage résiduel, que les partenaires sociaux voudront légitimement utiliser. De même, les besoins de financement de la branche maladie seront considérables, et elle pourrait elle aussi réclamer une part des moyens nouveaux dégagés.

M. Bernard Roman - Bien sûr !

M. Pascal Terrasse - La question du financement est évidemment l'un des points faibles de votre réforme, c'est peu de le dire : sauver la retraite par répartition exigeait de trouver les moyens de faire face à l'ensemble des besoins de financement en 2020, voire en 2040, puisque le COR a évalué les besoins jusqu'à cette date.

Ce qui vous retient n'est pas l'ampleur des besoins, mais votre volonté d'exclure du débat un des trois leviers sur lesquels il serait possible de jouer. Vous en avez choisi deux, la durée de cotisation et le niveau des pensions. Reste le niveau des cotisations, et plus généralement l'ensemble des moyens financiers consacrés au système de retraite.

M. Bernard Roman - Bien sûr !

M. Pascal Terrasse - D'emblée, vous refusez le recours à ce levier, malgré vos protestations de principe et l'augmentation de 0,2 point des cotisations vieillesse que vous avez concédée pour 2006. Denis Jacquat a eu l'honnêteté de le reconnaître en commission (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP). Je le cite : « Trois clés de modulation étaient envisageables : les cotisations, les prestations, les durées d'activité et d'assurance. C'est cette troisième variable qui a été retenue car elle est la plus à même de préserver le niveau des prestations ».

Nous, socialistes, sommes prêts à expliquer aux Français qu'assurer la pérennité de notre système de retraite par répartition exigera sans doute un effort financier, qui doit être partagé par tous, et non réservé aux seuls salariés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Les enjeux sont loin d'être négligeables. Les besoins identifiés par le COR sont de l'ordre de 1,8 point à 2 points de PIB en 2020 si aucun ajustement de la réforme Balladur n'est décidé, estimation que vous retenez quand vous chiffrez les besoins à 43 milliards d'euros par an à l'horizon 2020.

Si je reprends vos chiffres, vous pensez couvrir 20 milliards d'euros grâce à un allongement programmé de la durée de cotisation et à l'indexation des retraites sur les prix. Vous estimez également que ce que vous avez dû concéder est de l'ordre de 2,7 milliards d'euros, coût que vous assignez au relèvement du minimum contributif et aux nouvelles règles pour les pluripensionnés.

Votre chiffrage du coût du relèvement du minimum contributif à 85 % du SMIC est à lui seul un triste présage pour votre politique sociale. Nous avions exprimé nos craintes lors de la présentation de votre projet d'alignement des différents niveaux de SMIC, qui renonçait à une indexation sur la progression du pouvoir d'achat pour ne plus tenir compte que de celle des prix. Il semblerait que nous ayons eu raison. Soit votre chiffrage relatif au minimum contributif est largement sous-estimé à compter de 2008, soit plus vraisemblablement vous envisagez de ne plus faire évoluer le SMIC qu'en fonction des prix. La progression du pouvoir d'achat du minimum contributif que vous promettez sera donc largement limitée à moyen terme.

M. Bernard Roman - Et c'est grave !

M. Pascal Terrasse - Vous admettez ainsi, dans le meilleur des cas, ne réduire le besoin de financement que de 17 milliards en 2020, soit 0,8 point de PIB. Vous ne contesterez pas ces chiffres qui proviennent de votre ministère.

Pour mémoire, puisque vous insistez sur le fait qu'il n'y a pas d'autre politique possible, ces 0,8 point de PIB représentent l'équivalent de 1,5 point de CSG ou de 4 points de cotisations sociales déplafonnées.

Malgré vos dénégations, les Français auront noté que si vous refusez toute hausse des prélèvements aujourd'hui - préférant dégrader leur niveau de pension et augmenter leur taux de cotisation -, vous n'hésiterez pas à y recourir à plus long terme pour boucler une réforme que vous savez non financée.

Pourquoi, en effet, renvoyer à 2008 une hausse de 3 points des cotisations qui pourrait, si le chômage diminuait, être gagée par une baisse des cotisations ? Vous reconnaissez ainsi la possibilité d'une hausse des prélèvements, mais pour plus tard, si possible après les élections. La ficelle est un peu grosse... Quelle cohérence par rapport à vos déclarations condamnant toute hausse des prélèvements obligatoires ?

Surtout, votre refus d'augmenter les prélèvements au profit du système doit être analysé dans le cadre global de votre politique économique et fiscale. Vous insistez constamment sur l'urgence et l'inéluctabilité de la réforme. Si sa nécessité est indiscutable, dois-je vous rappeler que les 2 points de PIB qu'il nous faut financer en 2020 représentent la moitié des baisses d'impôt promises par Jacques Chirac ? Ces promesses portaient pour moitié sur l'impôt sur le revenu : si cette perspective s'éloigne, personne sur vos bancs ne présentait comme irresponsable l'idée d'une baisse de l'impôt sur le revenu de plus d'un point de PIB (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Hollande - Ce qui est possible pour l'impôt sur le revenu ne l'est pas pour les retraites !

M. Pascal Terrasse - Cessez donc d'écarter d'un revers de la main les propositions de l'opposition qui songe à mobiliser une part des prélèvements au profit des retraites. Vous envisagiez de faire cette réforme tout en baissant les prélèvements. Nous considérons qu'il est possible de ne pas les diminuer afin de réussir la réforme au profit de tous, et non au détriment des salariés.

Vous n'avez pas hésiter à creuser les déficits, comme l'a récemment souligné la Cour des comptes, de plus de 2,5 milliards d'euros en 2002, avec une baisse de 5 % de l'impôt sur le revenu. Dans un contexte budgétaire très tendu, vous avez aggravé la dépense fiscale en diminuant de 500 millions d'euros l'impôt sur le revenu en 2003. S'ajoutent, entre autres, 900 millions d'euros de baisses dans le projet de loi d'initiative économique, dont plus de 500 millions au titre de l'ISF. C'est déjà l'équivalent de plus d'un point de cotisations sociales que vous avez offert aux ménages les plus aisés...

M. Nicolas Forissier - N'importe quoi !

M. Pascal Terrasse - Il est au contraire essentiel à nos yeux de proposer aux Français une réforme équilibrée, jouant sur l'ensemble des leviers, afin que les salariés ne soient pas, comme dans votre projet, les seuls à assumer le maintien du régime par répartition. Des financements nouveaux doivent être affectés au régime de retraite. Leur assiette doit toucher d'autres revenus que ceux des salariés. Qu'il s'agisse de la CSG - dont un point représente 0,5 point du PIB -, de la CRDS - 0,6 point - ou de prélèvements, notamment sur les revenus des capitaux, permettant d'abonder le fonds de réserve des retraites, nous refusons d'exclure par principe la mobilisation des ressources fiscales (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

Votre projet, à l'inverse, menace encore plus l'équilibre de la retraite par répartition. Les exonérations sociales et fiscales que vous proposez, dans le cadre de la capitalisation que vous mettez en place au titre V, ne pourront que dégrader les comptes publics, d'autant plus que ces dispositifs seront utilisés par les Français, inquiets de la dégradation de leur niveau de retraite. Il est significatif que vous n'ayez pas jugé bon de fournir à la représentation nationale une étude d'impact de votre projet. Ces mesures auront un coût, vous devez nous en fournir une évaluation.

J'en viens enfin au fonds de réserve des retraites. Si vous avez choisi de limiter à 2020 le chiffrage des effets de votre projet, je rappelle que nous avions conçu le fonds de réserve en vue d'amortir pour moitié les effets de l'évolution démographique sur le régime général. Il est donc indispensable de se préoccuper dès aujourd'hui de l'abondement du fonds et je m'étonne que M. Raffarin n'y ait fait aucune allusion cet après-midi. Que proposez-vous ? Vous n'hésitez pas à critiquer les pistes proposées par l'opposition, concernant par exemple la taxation des plus-values des entreprises, en soulignant leur caractère instable. Mais lorsqu'il s'agit d'abonder le fonds, vous n'hésitez pas à proposer une recette vouée à disparaître ! En effet, la taxation des préretraites maison est censée dissuader les entreprises d'y avoir recours : si elle atteint son but, elle ne rapportera plus rien... Ce n'est pas là la forme la plus pérenne de financement à long terme qu'on puisse trouver !

Et que dire des recettes de privatisations ? La discussion du projet de loi de privatisation d'Air France nous a permis de souligner la dégradation du cours de l'action de cette société, dans un contexte global d'effondrement des marchés. Et rien ne garantit que vous affecterez réellement les produits des privatisations au fonds de réserve, alors que vos difficultés budgétaires se multiplient.

Au total donc, et les Français en sont conscients, votre projet n'est financé que par les seuls salariés, sous la forme d'une dégradation du niveau de leurs retraites et d'un allongement de la durée de cotisation. Et la crainte de voir votre texte trop décrié vous a conduit à présenter un projet minimaliste qui occulte les besoins dans leur ensemble. Cela ne pourra qu'accroître l'incertitude chez nos concitoyens et pousser ceux qui en auront les moyens vers les régimes de capitalisation que vous leur offrez.

Enfin, je ne voudrais pas terminer cette défense d'une exception d'irrecevabilité sans évoquer un aspect inconstitutionnel de votre projet. M. le ministre ne manquerait pas, dans le cas contraire, de relever l'absence d'argument constitutionnel pour relativiser la portée des critiques exprimées...

Ce motif d'inconstitutionnalité porte sur l'un des articles phares de votre projet, l'article 4, dont vous faites grand cas. Je le cite : « L'assurance vieillesse a pour objectif d'assurer, après une carrière complète, un montant total de pension de retraite de base et de retraite complémentaire légalement obligatoire au moins égal, lors de la liquidation, à 75 % du salaire minimum de croissance net. A cet effet, à l'occasion de chaque rendez-vous prévu aux III et IV de l'article 5, le Conseil d'orientation des retraites examine le montant de pension de retraite de base et complémentaire légalement obligatoire correspondant à une carrière complète au salaire minimum de croissance. Si le montant de cette pension nette des cotisations et contributions sociales est inférieur à 75 % du salaire minimum de croissance net des cotisations et contributions sociales, le Conseil d'orientation des retraites transmet dans les trois mois aux présidents des caisses de retraite et au Gouvernement un rapport sur les mesures envisageables pour rétablir un ratio au moins égal à 75 % dans le respect des équilibres financiers de long terme des régimes de retraite ».

De 75 % dans le projet initial, l'objectif de pension pour les salariés modestes disposant d'une carrière complète au SMIC serait porté à 85 % en 2008. Cet objectif serait réexaminé tous les cinq ans au vu des perspectives financières des régimes d'assurance vieillesse. Mais à quel titre le Gouvernement peut-il imposer à un régime géré paritairement de nouvelles charges futures, et des plus imprévisibles puisque non encore fixées ? Si la loi fixe un niveau général de pension incluant retraite de base et retraite complémentaire, elle donne un blanc-seing au Gouvernement : il pourra très bien décider ultérieurement - au nom du respect des équilibres financiers - de ne pas augmenter suffisamment le montant de la pension de retraite de base. Ceci porte clairement atteinte au paritarisme et à la liberté de négociation des partenaires sociaux. Selon l'article 10 du préambule de la Constitution de 1946, « la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ». Cette exigence constitutionnelle implique la mise en _uvre d'une politique de solidarité nationale en faveur des retraités ; s'il est certes loisible au législateur d'en choisir les modalités, vous ne pouvez pas imposer aux institutions de retraite complémentaire des charges nouvelles et aléatoires. Or votre projet permettra éventuellement au Gouvernement de limiter les pensions de base, obligeant ces institutions à compenser en accroissant la part complémentaire, pour maintenir le niveau global exigé par la loi. Votre texte est donc inconstitutionnel.

En conclusion (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), le Gouvernement a réussi à galvauder le mot de réforme, devenu synonyme de régression. Nous sommes pour une réforme, mais pas pour opposer les Français les uns aux autres, au mépris de la cohésion nationale, et pour revenir sur des acquis comme la retraite à soixante ans. Que vous le vouliez ou non, votre projet casse la répartition et pousse insidieusement les Français vers la capitalisation. C'est une entreprise de démolition de notre système. Il est injuste, parce que l'augmentation uniforme de la durée de cotisation ne prend pas en compte les inégalités de pénibilité et d'espérance de vie ; parce qu'il confond durée d'activité et durée de cotisation ; parce que les pensions vont diminuer ; parce qu'il met fin à la retraite à soixante ans. Il est dangereux, parce qu'il repose sur un pari impossible : le pari que le Gouvernement va mettre en place une politique de plein emploi. Il est dangereux, parce qu'il ralentit le rythme d'abondement du fonds de réserve des retraites ; et parce qu'il institue la capitalisation.

Une autre réforme était possible. Elle impliquait un pacte national pour l'emploi, un accroissement de la durée d'activité plutôt que de la durée de cotisation, et une vraie négociation sur cette dernière, tenant compte de la pénibilité et de l'espérance de vie. Elle impliquait un financement équitable et des efforts partagés. Vous l'avez refusée : vous avez choisi le catastrophisme pour imposer une réforme d'essence libérale, et cela au nom du courage - alors que le vrai courage serait de reconnaître qu'il y a d'autres voies. Mais la majorité reste sourde. Elle a choisi un dogme : il suffit de travailler plus longtemps. Ce dogme, nous le refusons.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à adopter l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Marc Ayrault - Rappel au Règlement, fondé sur l'article 58. Ce soir le Premier ministre a tenu, avec le ministre de l'intérieur, une réunion publique à Asnières. Je veux citer quelques extraits de son intervention : « Je n'ai pas parlé de l'opposition, elle n'en vaut pas toujours la peine. Nos adversaires, je crois, ont perdu le sens de la France et de l'intérêt général... (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Ils ont démotivé la France. Ils semblent préférer leur parti à leur patrie » (Mêmes mouvements).

Nous, députés socialistes, en lisant cette dépêche, sommes passés de la stupéfaction à l'indignation (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Cette déclaration est particulièrement choquante. Nous n'avons pas à nous justifier. Nous aimons la France autant que vous (Mêmes mouvements) ; nous défendons nos convictions tout comme vous, parce que nous croyons à la démocratie, à la confrontation des idées et des projets. Si nous croyons qu'il y a une différence entre droite et gauche, nous savons prendre nos responsabilités et défendre l'intérêt national. Notre histoire, nos engagements passés le prouvent : rien d'autre ne nous anime dans ce débat que l'intérêt des Français. Alors, peut-on nous humilier de la sorte ? Et surtout, au-delà de nous, ceux que nous représentons, et qui sont des Français comme les autres (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Ces Français étaient au rendez-vous de mai 2002, et ils ont su faire passer avant leurs convictions l'intérêt de la République (Mêmes mouvements). Alors oui, nous sommes non seulement choqués, mais indignés par cette déclaration. Au nom du groupe socialiste, je demande une suspension de séance. Nous ne reviendrons siéger, dans un débat que nous souhaitons digne, que lorsque le Premier ministre sera venu en séance s'expliquer et s'excuser devant la représentation nationale (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La séance, suspendue à 23 heures 15, est reprise à 23 heures 25, sous la présidence de M. Jean-Louis Debré.

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

M. le Président - J'ai pris connaissance de votre rappel au Règlement, Monsieur Ayrault, j'en ai pris acte et j'en ai fait part au Premier ministre.

Plusieurs députés socialistes - Et alors ?

M. Augustin Bonrepaux -Qu'il vienne !

M. Jean-Marc Ayrault - Je vous remercie, Monsieur le Président, d'avoir dit au Premier ministre notre indignation et notre colère. Nous avons demandé qu'il vienne présenter ses excuses, mais le Gouvernement est ici représenté, et nous souhaitons que les ministres qui siègent parmi nous ce soir présentent ces excuses en son nom. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Je vous le répète : j'ai transmis au Premier ministre les termes exacts de votre rappel au Règlement. Il sera présent ici demain. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

La parole est à M. le ministre des affaires sociales. (Même mouvement)

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - M. Terrasse vient de soutenir une exception d'irrecevabilité... (Nouvelles protestations sur les bancs du groupe socialiste et claquements de pupitres). Chacun est libre de ses opinions, mais nous avons entendu de sa part beaucoup d'erreurs, de mensonges et même d'insultes au Gouvernement. Pourtant, je ne demanderai pas d'excuses ! (Tollé sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; de nombreux députés socialistes se lèvent et plusieurs de leurs collègues de l'UMP font le geste de les inviter à quitter l'hémicycle).

Chacun a pu constater que les arguments de M. Terrasse avaient en fait peu à voir avec une exception d'irrecevabilité (Brouhaha continu et claquement de pupitres sur les bancs du groupe socialiste). A l'en croire, l'article 4 ferait peser une contrainte nouvelle sur les régimes complémentaires gérés par les partenaires sociaux : c'est précisément une raison de ne pas instituer de garantie juridique et financière, mais de chercher plutôt à définir un objectif partagé. Cet objectif, nous l'atteindrons grâce à une revalorisation du minimum contributif, de trois fois 3 % d'ici à 2008. La motion n'a donc aucun fondement : tout cela s'apparente à un détournement de procédure !  (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - La parole est à M. Ayrault (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Je vous prie de me laisser diriger les débats ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Marc Ayrault - J'ai attendu que le ministre en ait terminé, mais je persiste et signe : la déclaration du Premier ministre compromet le déroulement de cette discussion (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). On ne peut admettre que soient banalisés des propos qui mettent gravement en cause la dignité des députés socialistes et, à travers eux, celle de la représentation nationale !

Nous ne pouvons pas poursuivre ce débat comme si de rien n'était, sans avoir eu le geste que nous attendons et que les Français sont en droit d'attendre. Je demande donc solennellement au Gouvernement de présenter des excuses (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président - Monsieur Ayrault, j'ai fait ce que je croyais devoir faire en venant présider la séance. Je vous ai dit avoir pris acte de votre rappel au Règlement, que j'ai transmis au Premier ministre. Ce sera à lui, le moment venu, de s'expliquer (Claquements de pupitres et brouhaha persistant sur les bancs du groupe socialiste). Ne donnez pas ce triste spectacle ! (Mêmes mouvements) Monsieur Ayrault, je vous en prie, donnez une autre image du Parlement.

M. Jean-Marc Ayrault - Monsieur le Président, nous souhaitons, comme vous, conserver à cette assemblée la dignité qu'on lui doit.

Un député UMP - Prétentieux !

M. Jean-Marc Ayrault - Mais le Premier ministre a fait cet après-midi une déclaration particulièrement grave (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Je note que vous avez transmis mon rappel au Règlement au Premier ministre. Je déplore que le ministre, tout comme son collègue présent, refuse de présenter des excuses.

Me fondant sur l'article 58 de notre Règlement, je demande une suspension de séance d'une heure pour réunir mon groupe (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président - Je vous accorde quinze minutes (Protestations grandissantes sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

La séance, suspendue à 23 heures 30, est reprise à 0 heure le jeudi 11 juin

M. le Ministre des affaires sociales - Nous avons engagé un débat important pour l'avenir du pays. Chacun doit pouvoir s'exprimer dans la sérénité afin que le pays soit en mesure de juger de la réforme que nous proposons. A l'évidence, le climat de cette soirée ne procure pas la sérénité nécessaire pour poursuivre le débat comme le Gouvernement le souhaite. Dans ces conditions, je demande que la séance soit levée (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Je lève donc la séance.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, jeudi 11 juin, à 15 heures.

La séance est levée à 0 heure 05.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU MERCREDI 11 JUIN 2003

A QUINZE HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 885) portant réforme des retraites.

M. Bernard ACCOYER, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

(Rapport n° 898)

M. François CALVET, rapporteur pour avis au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées.

(Avis n° 895)

M. Xavier BERTRAND, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

(Avis n° 899)

Mme Claude GREFF, rapporteure au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

(Rapport d'information n° 892)

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


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