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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 101ème jour de séance, 245ème séance

2ème SÉANCE DU SAMEDI 14 JUIN 2003

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

      RÉFORME DES RETRAITES (suite) 2

      AVANT L'ARTICLE PREMIER (suite) 2

      ORDRE DU JOUR DU LUNDI 16 JUIN 2003 15

La séance est ouverte à quinze heures.

RÉFORME DES RETRAITES (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi portant réforme des retraites.

AVANT L'ARTICLE PREMIER (suite)

M. Daniel Paul - Je souhaite répondre à l'un de nos collègues de l'UMP qui, ce matin, reprochait à nos propositions de « tuer l'emploi ».

Chacun connaît Plandio et Ferries, l'un des grands groupes mondiaux du transport maritime. Cette entreprise supprime trente emplois au Havre et vingt-deux à Cherbourg, soit le tiers des effectifs. Raisons invoquées, les difficultés de compétitivité, mais en fait, l'entreprise doit servir aux actionnaires une rentabilité égale à 15 % en moyenne sur l'année, ce qui ne peut être atteint que dans quelques ports. D'où la décision de supprimer tout ce qui pèse sur cette rentabilité.

La deuxième étape sera sans aucun doute la vente de ce secteur à un autre groupe qui lui se tournera vers l'Etat en disant : « Nous sommes prêts à reprendre cette activité, à condition que vous nous donniez quelques aides publiques ». En même temps, le nombre de salariés et les conditions d'emploi seront considérablement modifiées.

Ce n'est pas les propositions du groupe communiste qui tuent l'emploi, ce sont les pratiques de ces firmes.

Il ne s'agit pas de répondre au défi du financement des retraites par une seule mesure mais bien par un ensemble de mesures. Tel est le sens de notre amendement 3297.

Il convient en particulier de supprimer les exonérations de charges patronales, qui ont explosé : 16 milliards d'euros inscrits au budget. Pour combien d'emplois créés ou sauvés ? Selon les objectifs, 300 000 en dix ans. Excusez du peu : 16 milliards d'euros pour 30 000 emplois créés par an ! Quel intérêt, pour une entreprise, d'augmenter les salaires dans de telles conditions ? Il faut chercher ailleurs d'autres sources de financement, favoriser les entreprises qui créent des emplois, augmentent les salaires, encouragent la formation des salariés. Au contraire, ce sont les entreprises qui préconisent le travail, font appel à la sous-traitance, externalisent, qui sont aujourd'hui favorisées. Ce n'est pas ainsi que l'on pourra développer notre protection sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Bernard Accoyer, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Avis défavorable.

Une étude de l'INSEE de mars 2000 a montré que la « ristourne Juppé » a permis, grâce à des abaissements de charges, de créer 400 000 emplois.

La majorité à laquelle participait le parti communiste a soutenu la réduction du temps de travail, fondée sur des exonérations de charges. Le fameux FOREC a ainsi été créé, qui a détourné à son profit les ressources de la protection sociale et en particulier du fonds de solidarité vieillesse - fonds particulièrement important puisqu'il finance les ressources non contributives indispensables pour payer la retraite des chômeurs et le minimum vieillesse. Le fonds de solidarité vieillesse connaît aujourd'hui un très grave déficit sur lequel, Monsieur le ministre, je me permets d'appeler votre attention.

Avec le dispositif Aubry, les exonérations de charge, qui étaient de 1,3 point, ont été portées à 1,8 point - avec le soutien des députés du groupe communiste - bien qu'ils n'aient concerné que 10 % des entreprises alors qu'avec le projet de loi, les allégements s'élèvent jusqu'à 1,7 point et concernent toutes les entreprises. Ils sont ciblés exclusivement sur les plus bas salaires, ce qui favorise l'emploi.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - On peut s'interroger sur un amendement qui vise à supprimer des dispositifs d'exonérations de cotisations sociales patronales en préambule d'une réforme des retraites.

M. Daniel Paul - C'est très logique !

M. le Ministre des affaires sociales - Une telle suppression des exonérations aurait des effets extrêmement négatifs sur l'emploi, alors que les politiques d'allégement des charges ont un impact positif : notre pays crée ainsi des emplois avec un taux de croissance très faible, de l'ordre de 1,3 %, 1,5 %.

La majorité a décidé d'amplifier ces allégements à partir du mois de juillet, à hauteur de 7 milliards d'euros. Ils permettront l'augmentation et l'harmonisation des SMIC ainsi que l'amélioration de notre compétitivité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jean-Pierre Brard - L'amendement 3303 est défendu.

Nous entendons bien vos propos. Si nous n'en sommes plus au disque vinyle, Monsieur le ministre, vous me faites penser aux disques rayés. Vous répétez toujours la même chose (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

J'ai cité hier la dépêche de l'AFP qui faisait état de ce que, pour la première fois, le nombre d'emplois créés a baissé de 0,3 %. C'est l'effet des politiques d'abaissement des charges. Contrairement à ce que vous prétendez, le coût du travail n'est pas chez nous plus cher qu'ailleurs. Vous continuez à répéter des contrevérités à tel point que, comme il y a un prix Goncourt en littérature, il faudrait créer dans le champ politique le trophée Pinocchio. Et il faudrait sans doute élargir la première marche du podium. Sur quelle marche placer votre collègue Jean-François Copé ? Face à Bernard Thibault, dans Le Monde, il n'a pas osé soutenir de contrevérités.

Sortez donc de l'idéologie, pour entrer dans l'économie ! (Exclamations, rires et applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Il faut parier sur la qualification et donc sur la valeur et le coût du travail ! Nous allons dans le mur, et plus on s'en rapproche, sans doute pour abréger vos souffrances et augmenter celles de vos victimes, plus vous accélérez.

Prenez l'exemple des métiers du bâtiment. Si des chantiers comportent des malfaçons, à qui la faute ? A Bouygues et consorts, à ceux qui ont voulu payer le moins possible en éliminant l'emploi qualifié et bien rémunéré.

La baisse des charges ne favorise pas l'économie, vous le savez. M. Cova, qui a la main agile, montre qu'avec un tour de passe-passe, on peut s'en sortir. Des sous, il y en a, croyez-en le mensuel Challenges ! Ainsi, votre amie Liliane Bettencourt (Rires) n'a vu sa fortune progresser « que » de 70 % en quatre ans, pour s'établir à 17 milliards. Mais puisque l'on m'accuse de m'acharner contre elle, je la laisserai de côté, pour m'intéresser, avec toute la compassion requise, au sort de Bernard Arnaud, son suivant immédiat dans la liste des plus grandes fortunes de France, dont les avoirs ont fondu, passant de 20 à 13 milliards. Et comment ne pas mentionner M. Mulliez, qui vient ensuite, et ses 13 milliards ? Les Français, qui font leurs courses dans les magasins Auchan parce qu'ils trouvent les prix intéressants se rendent-ils suffisamment compte que ces achats sont surtout intéressants pour la famille Mulliez, dont les poches se remplissent à mesure que les caisses font « ding-ding » ? (Rires sur divers bancs ; applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. le Président - Je suis saisi par le groupe communiste et républicain d'une demande de scrutin public.

M. Michel Vaxès - En défendant l'amendement 3301, je ne reviendrai pas sur la démonstration faite par mes collèges que l'exonération de charges patronales est contre-productive. Je souhaite plutôt comprendre pourquoi vous vous obstinez à répéter qu'il faut, pour l'appliquer, avoir le courage de s'attaquer à la domination des marchés financiers. Ce sont des mesures en ce sens que nous proposons, celles qui permettraient un progrès social car elles sécuriseraient notre système de retraite par une politique de l'emploi déterminée. D'évidence, tout projet de réforme des retraites doit s'inscrire dans une construction d'ensemble, comme ce fut le cas lors de la création de la sécurité sociale.

Bien sûr, il faut trouver un financement ! Mais comment la France, qui a su financer la sécurité sociale alors qu'elle sortait, exsangue, de cinq années d'une guerre meurtrière, pourrait-elle ne pas le trouver aujourd'hui ? Seulement, il ne s'agit pas d'un simple problème de répartition. Ce qu'il faut, c'est changer les conditions de la production, et donc le type de croissance recherchée, en sécurisant l'emploi par la qualité.

Un député UMP - A la cubaine ?

M. Michel Vaxès - Il faut des emplois de meilleure qualité, et des salariés mieux formés et mieux payés. Cet emploi, plus efficace, dégagera davantage de valeur ajoutée, disponible pour financer la protection sociale. Voilà pourquoi nos propositions alternatives s'inscrivent dans un cadre global. Il faut mettre un terme aux exonérations de charges patronales et mobiliser les 18 milliards ainsi récupérés pour instaurer un système d'aides sélectives au crédit en faveur des entreprises qui favorisent la formation, investissement au service de l'emploi.

M. François Asensi - Le ministre nous explique qu'il serait casse-cou de supprimer les exonérations de charges patronales au motif que cela mettrait en péril des entreprises soumises à la concurrence internationale. Mais comment explique-t-il alors la perte de 49 000 emplois au premier trimestre, tant dans l'industrie que dans le secteur tertiaire ? Seul le bâtiment continue de créer des emplois, en raison, sans doute, des efforts consentis par la puissance publique en faveur de l'investissement dans ce secteur. Comment le Gouvernement explique-t-il cette importante perte d'emplois, alors même que les exonérations de charges sont maintenues ? Cette contradiction appelle des éclaircissements.

Mme Muguette Jacquaint - Je souhaite défendre l'amendement 3 301.

M. le Président - Cet amendement a été défendu par votre camarade Michel Vaxès, mais je ne doute pas que vous aurez d'autres occasions de vous exprimer sous peu (Sourires).

A la majorité de 113 voix contre 16 sur 137 votants et 129 suffrages exprimés, les amendements 3 297, 3 301 et 3 303 ne sont pas adoptés.

M. Gaëtan Gorce - L'amendement 7 065 est défendu.

L'amendement 7 065, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Muguette Jacquaint - L'entrée en vigueur de la retraite à 60 ans a été saluée par tous comme un progrès social. Plus encore, c'est un progrès de civilisation. Le système de retraite mis au point au sortir de la Deuxième Guerre mondiale garantissait un peu de sécurité aux anciens. En 1982, le départ à la retraite à 60 ans a constitué une nouvelle avancée, car c'est une mesure de justice qui offre une meilleure qualité de vie aux personnes âgées. Les manifestations ont montré que cette question est au c_ur des préoccupations, ce qui s'explique sans mal. Une société dont les ressources augmentent se doit d'offrir de meilleures conditions de vie aux plus âgés des siens. C'est ce à quoi tend l'amendement 3 189. Dans un pays dont la richesse, le PIB et la productivité augmentent, il serait inconcevable de revenir sur ce progrès social. La retraite à 60 ans est emblématique d'une conception de la société. C'est pourquoi personne ne la remet en cause frontalement et le Gouvernement proclame y être attaché. De fait, la loi n'empêchera pas les salariés de partir à soixante ans. Mais quelles seront pour eux les conséquences financières ? Les salariés modestes devront-il s'épuiser au travail ? Je ne veux pas dire « vive le capitalisme japonais », car, a-t-on appris, plus de trois cents Japonais sont récemment morts de fatigue parce qu'ils ont dû travailler jusqu'à 70 ans. Ce n'est pas ce que nous voulons !

M. Jean-Pierre Brard - Il est écrit « Liberté, égalité, fraternité » non seulement au fronton de nos bâtiments républicains mais aussi dans l'esprit de beaucoup d'entre nous. Or, quand nous parlons de partir à la retraite à soixante ans à taux plein, vous répondez, Monsieur le ministre, qu'il n'y a pas d'argent pour cela. Pourtant, dans notre pays dont l'égalité est un des piliers, vous faites en sorte que certains vivent de façon plus confortable que d'autres.

Voici ce que je lis dans l'excellent petit ouvrage de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, intitulé Sociologie de la bourgeoisie : « Le grand bourgeois doit être sans arrêt reconnu comme grand bourgeois. Pour cela, il doit toujours payer de sa personne, être dans les cocktails qui comptent, dans les tribunes des hippodromes, aux premières d'opéra ou dans les vernissages » (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Je comprends que cela vous dérange. La fortune, si elle donne du pouvoir, ne fournit pas pour autant des cotisations pour les retraites (Mêmes mouvements). « Un grand bourgeois ne meurt jamais tout à fait. Il donne son nom à une avenue, il écrit ses mémoires, son fils reprend l'affaire qui porte son nom (...). Les grands bourgeois sont surtout les principaux clients des créateurs et du marché de l'art », que vous ne voulez pas taxer (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Vous n'allez pas lire tout le livre !

M. Jean-Pierre Brard - « L'avenir de cette classe apparaît prometteur. Elle est à peu près la seule à exister encore réellement en tant que classe ». Ces gens-là, quand ont-ils le temps d'exercer un emploi salarié pour cotiser ? Pourtant ce sont eux qui pompent la substance de la nation.

M. André Gerin - Monsieur le ministre, vous insistez dans l'exposé des motifs sur la valorisation du travail. Cela nous rend perplexes, lorsque nous voyons baisser régulièrement les salaires et le pouvoir d'achat, s'accroître la spéculation financière qui plombe l'emploi, se généraliser la précarité et la flexibilité du travail. Votre politique, votre logique libérale, la loi du marché, en réalité, tuent l'emploi. Comment concevoir, dans ces conditions, une juste réforme des retraites ?

Notre amendement 3187 s'inscrit dans cette problématique des salaires et du pouvoir d'achat, à laquelle vous tournez le dos. On mesure aujourd'hui, partout, la perte de crédibilité et de légitimité du capitalisme.

M. le Président - Sur les amendements identiques 3187, 3189 et 3191, je suis saisi par le groupe communiste et républicain d'une demande de scrutin public.

M. le Rapporteur - La retraite à 60 ans pour tous à laquelle tendent ces amendements est-elle un droit ou une obligation ? En ne faisant aucune référence à la durée de cotisations, vous sortez de la logique de la répartition, à laquelle nous sommes attachés.

Adopter ces amendements conduirait à une régression. En effet, l'article 16 du projet autorise le départ dès 56 ans après quarante annuités de cotisation.

Les auteurs des amendements souhaitent-ils mettre en cause cette importante avancée, issue de la négociation sociale, et qui pèsera lourd sur les finances de la branche vieillesse ?

S'agit-il aussi de battre en brèche les dispositions de l'article 35, qui prévoient un départ dès 55 ans pour la catégorie B active de la fonction publique, et celles de l'article 39 relatives à la cessation progressive d'activité dans la fonction publique ? Rejet.

M. le Ministre des affaires sociales - Le projet affirme le principe de la retraite à 60 ans. Le Gouvernement aurait pu choisir de faire comme nos voisins européens qui ont maintenu le principe de la retraite à 65 ans, ou ont retardé l'âge de départ à la retraite.

Nous ne changeons rien à la législation existante, car le droit de partir à 60 ans, issu d'une loi de 1982, n'a jamais été assorti de celui d'une retraite à taux plein. Je souhaite que les amendements soient repoussés, car ils conduiraient ceux qui partent aujourd'hui à 50 ans à devoir attendre dix ans.

Depuis quelques heures, le groupe communiste est saisi d'une volonté réformatrice qui m'inquiète. Il a déposé un amendement tendant à exonérer de CSG et de CRDS tous les retraités, ce qui ferait, Monsieur Brard, que Mme Bettencourt n'acquitterait plus ni l'une ni l'autre (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. François Asensi - En repoussant nos amendements, la majorité, en fait, enterre la retraite à 60 ans.

Si on maintient le droit à la retraite à 60 ans mais avec des pensions moins élevées et un système de décote, les gens seront obligés de travailler plus longtemps !

Vous avez certes mené des négociations, mais il faut bien reconnaître que les organisations syndicales qui ont paraphé l'accord sont minoritaires. Pourquoi ne pas vous en remettre au juge souverain, le peuple, par la voie du référendum ? Toute ambiguïté serait levée.

Enfin, vous faites de l'évolution démographique un de vos principaux arguments, mais le rapport entre actifs et retraités est un faux problème. L'ancien commissaire au plan Jean-Michel Charpin estimait, en 1999, que le nombre de personnes à la charge de dix actifs allait passer de quatre à sept d'ici 2040, et en tirait comme conclusion que le système allait exploser. En suivant la même logique, on aurait pu prophétiser, en 1945, que nous traverserions aujourd'hui la crise alimentaire la plus grave de notre histoire ! L'augmentation spectaculaire de la productivité agricole nous a permis d'y échapper. Or, le rapport Charpin repose sur l'hypothèse d'une croissance annuelle de la productivité du travail de 1,7 %, ce qui est sans doute sous-évalué car le taux a été de 2,1 % entre 1973 et 1996. Sachant que le PIB va doubler d'ici 2040, les sept retraités qui seront à la charge de dix salariés ne pèseront plus que 3,5 %, au lieu de 4 % !

M. Michel Vaxès - Le ministre vient d'évoquer le niveau de la retraite prise à 60 ans, mais il ne s'est pas arrêté sur les difficultés de certaines catégories de retraités, et particulièrement des femmes. Aujourd'hui, 66 % des femmes partent déjà en retraite avec une carrière incomplète. Elles ont des carrières heurtées, subissent le chômage et le temps partiel non choisi, l'écart des salaires avec les hommes est encore de 25 % et elles partent en moyenne deux ans plus tard que les hommes... Plusieurs de vos mesures vont encore aggraver cette situation : l'allongement de la durée de cotisation, le système de la décote, la proratisation à 160 trimestres...

Si j'ajoute à cela le rachat des années d'études ou des périodes dont les salaires ont été inférieurs à 200 heures du SMIC, qui est prohibitif pour les salariés modestes dont les femmes font partie, et la réduction des avantages familiaux, on voit bien que les inégalités vont encore être accentuées. La retraite à taux plein à 60 ans doit donc rester le pivot du système.

A la majorité de 125 voix contre 15 sur 143 votants et 140 suffrages exprimés, les amendements 3187, 3189 et 3191 ne sont pas adoptés.

M. François Asensi - Je voudrais faire un rappel au Règlement. Nous sommes très troublés par le refus du Gouvernement. Je demande une suspension de séance pour que le groupe communiste et républicain puisse se réunir.

La séance, suspendue à 16 h 50, est reprise à 16 heures 5.

M. Jean-Louis Bianco - Notre amendement 7077 réaffirme la nécessité d'une politique économique forte et d'un pacte national pour l'emploi en faveur des jeunes, pour réduire le travail précaire, notamment des femmes, et maintenir en activité les plus de 50 ans.

Sur ce dernier point, j'ai apprécié la réponse du ministre ce matin. Je souhaite poursuivre le débat, dans ce cadre ou ultérieurement. En effet certaines mesures sont intéressantes, mais d'autres laissent plus sceptiques, comme la campagne visant à convaincre l'opinion de l'intérêt de maintenir les plus de 50 ans dans l'emploi. Convenons, sans esprit polémique, que ceux qu'il faut d'abord convaincre, ce sont les employeurs.

M. Jean-Claude Lenoir - Très bien !

M. Jean-Louis Bianco - De même, il serait intéressant de débattre de mesures incitatives ou de sanctions s'agissant de l'emploi précaire.

M. le Rapporteur - Le pacte national pour l'emploi reste à définir.

S'agissant de l'emploi précaire, nous avons maintenu les dispositions de la loi de modernisation sociale. Seraient-elles insuffisantes à vos yeux ? Pour les jeunes, les contrats d'emploi qualifié en entreprise sont un succès. Le dispositif de la retraite progressive est aussi un levier pour les insérer dans l'entreprise et les former.

Ajoutons, sur l'emploi précaire des femmes, que le plan pour l'égalité professionnelle de Mme Ameline est particulièrement audacieux. Enfin, je ne cite que pour mémoire la liste des dispositifs favorisant le maintien dans l'emploi des salariés les plus âgés, comme la surcote, le report de la mise en retraite d'office, la taxation des préretraites maison, les dispositions concernant l'effet de la contribution Delalande et l'excellent amendement de M. Xavier Bertrand.

La commission n'a pas accepté cet amendement.

M. le Ministre des affaires sociales - Le Gouvernement partage cet avis.

Effectivement, l'emploi des plus de 50 ans est une question fondamentale, pas seulement pour assurer l'équilibre des retraites mais pour maîtriser les conséquences du vieillissement dans notre société. Nous aurons l'occasion d'en reparler au cours de ce débat et surtout à l'automne lorsque je présenterai un projet de loi sur la formation professionnelle suite à la négociation sociale engagée à ce sujet. A mes yeux, c'est la clé de l'emploi de cette catégorie.

La campagne d'information est certainement nécessaire pour changer le regard que l'on porte sur ces salariés - « âgés », « expérimentés », notre hésitation sur le terme à employer est significative. Certains même, qui n'ont pas 50 ans, estiment que leur vie professionnelle s'achève alors que leurs compétences pourraient être utiles à la société.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Je comprends bien qu'on s'interroge sur la façon de s'adresser à ces salariés. A mes yeux, la notion centrale est la pénibilité. En effet, un certain nombre d'entre eux qui exercent ces métiers pénibles se demandent pourquoi ils devraient travailler jusqu'à 60 ans, alors que dans l'entreprise, l'amélioration des conditions de travail ou la formation tout au long de la vie n'ont pas été prises en compte. Reconnaître cette pénibilité du travail est un préalable pour que le regard porté sur cette période d'une vie de travail change, et surtout pour que change l'état d'esprit des responsables des entreprises à ce sujet.

L'amendement 7077, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président - Nous abordons une série de dix-huit amendements identiques, les amendements 3000 à 3017.

M. Jean-Louis Bianco - L'amendement 3000 vise à introduire dans le texte un article additionnel ainsi rédigé : « Les partenaires sociaux chargés de la gestion des régimes complémentaires de retraite engagent une négociation afin de garantir une retraite complémentaire à taux plein dès l'âge de 60 ans. »

L'AGFF garantit la possibilité de liquider les retraites complémentaires sans abattement à 60 ans si les conditions d'obtention du taux plein à la sécurité sociale sont remplies.

Le dernier accord prorogeait cette possibilité pour les salariés liquidant leur retraite jusqu'au 1er octobre 2003. Une réunion doit se tenir avec le Medef le 20 juin pour envisager une nouvelle prorogation du dispositif jusqu'au 1er avril 2004.

Le souhait du Medef d'augmenter la durée de cotisation fait peser des menaces - durcissement des coefficients d'abattement, par exemple - sur le droit à la retraite à taux plein à 60 ans.

Cet amendement n'entend évidemment pas se substituer à la négociation entre les partenaires sociaux : il donne une orientation.

M. le Rapporteur - La commission a rejeté cet amendement : il donne aux partenaires sociaux une injonction bien éloignée de la conception du dialogue social du Gouvernement. Les partenaires sociaux ont toujours su prendre leurs responsabilités dans la gestion des régimes de retraites complémentaires. Ils continueront dans cette voie. Le Gouvernement veillera, pour sa part, à ce que le dialogue social se poursuive.

M. le Ministre des affaires sociales - Cet amendement n'est pas bien rédigé. Le droit de prendre sa retraite à taux plein à 60 ans n'a jamais existé. Ce qui existe, c'est un droit de partir à la retraite à 60 ans, sachant qu'une certaine durée de cotisation est requise pour toucher une retraite à taux plein.

Cet amendement soulève la question du rapport entre le législateur et la négociation collective. Les partenaires sociaux assumeront leurs responsabilités, comme ils l'ont fait jusqu'à présent avec l'AGFF.

Il est assez cocasse que vous proposiez aujourd'hui de donner une telle injonction aux partenaires sociaux : Pascal Terrasse nous a justement reproché dans son exception d'irrecevabilité de vouloir peser sur eux au travers de notre engagement d'assurer un taux de remplacement de 85 % aux salaires les plus bas.

M. Serge Janquin - Il ne s'agit pas d'une injonction : entre demander aux partenaires sociaux d'ouvrir la négociation et exiger un accord, il y a un pas que nous ne franchissons pas.

Nous avions eu des difficultés, s'agissant du départ à la retraite à quarante annuités de cotisation, à traiter les retraites complémentaires. Nous nous étions alors heurtés au Medef. Vous n'échapperez pas à cette difficulté : ou bien vous garderez le soutien de la CFDT et vous essuierez les foudres du Medef, ou bien vous donnerez satisfaction au Medef et vous perdrez le soutien de la CFDT. Il faudra bien trancher (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste).

L'amendement 3000, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président - Nous en venons à une série d'amendements identiques, les amendements 3283 à 3289.

Mme Muguette Jacquaint - L'amendement 3283 est défendu.

M. François Asensi - En vingt ans, la part des salaires dans la valeur ajoutée a régressé de dix points alors même que la productivité du travail augmentait de 50 %. Entre 1992 et 1999, l'excédent brut d'exploitation des entreprises a augmenté de 14,3 %, les salaires de seulement 6,7 %. Sur les vingt dernières années, les employeurs n'ont vu augmenter leur taux de cotisations sociales que de 1,8 %, contre 8,2 % pour le salariés. Les cotisations vieillesse acquittées par les entreprises sont passées de 64 à 56 % du total en quinze ans, la part des salariés augmentant corrélativement. Ce n'est pas le coût du travail qui est trop élevé, mais celui du capital. La masse salariale ne représente guère plus de 15 % des coûts dans les grandes entreprises. En vingt ans, le taux d'imposition moyen des revenus du travail en Europe est passé de 35 à 41 %, tandis que la taxation des revenus du capital était réduite. Voilà pourquoi il importe d'élargir l'assiette des cotisations sociales à l'ensemble des éléments de la rémunération du travail. C'est ce à quoi tend l'amendement 3285.

Mme Muguette Jacquaint - La base de financement des cotisations sociales accuse une nette tendance à la baisse, alors même que la productivité du travail et le PIB augmentent. Dans de nombreuses entreprises, ce sont les efforts individualisés de rémunération qui prévalent désormais. Le cas limite est celui des plans d'option d'achat d'actions offerts à leurs salariés par les grands groupes et leurs filiales, qui se libèrent ainsi de leur obligation de financement de la protection sociale. Nombre d'éléments de rémunération ne sont pas soumis aux cotisations sociales. Cela apporte peut-être un complément de rémunération appréciable, mais cela affaiblit le taux de remplacement au moment de la liquidation des droits. Certains fonctionnaires de l'Etat touchent 30 % de leur rémunération en indemnités : le taux de remplacement ne porte que sur les 70 % restants. Élargir l'assiette des cotisations à l'ensemble des rémunérations, comme le propose l'amendement 3287, permettrait d'accroître le produit des cotisations mais aussi d'améliorer le niveau des prestations et donc le pouvoir d'achat des retraites et des pensions.

M. Jean-Pierre Brard - Notre amendement 3289 est identique. Vous n'avez évoqué cette importante question de l'assiette des cotisations vieillesse que pour les salariés âgés. Trois axes de réforme sont pourtant envisageables. D'abord le reprofilage, qui consiste à moduler le taux de cotisation en fonction du niveau de salaire. Le rapport Malinvaud suggère ainsi de réduire le taux pour les salaires inférieurs à deux fois le SMIC. Le risque est évidemment d'élargir le champ des bas salaires. Deuxième axe : l'élargissement de l'assiette à la valeur ajoutée, aux revenus financiers, à des éléments qui échappent actuellement à la cotisation comme les stock-options. Troisième axe, la modulation du taux de cotisation en fonction de critères comme les performances des entreprises en matière d'emploi.

Nous partons de deux constats fondamentaux. Tout d'abord, le régime actuel est pervers car l'entreprise peut faire diminuer sa contribution en réduisant sa masse salariale, alors que lorsqu'elle augmente cette dernière, elle cotise davantage. Ce système pénalise l'emploi et la qualification. Il faut inverser cette logique pour inciter les entreprises à créer des emplois qualifiés et à augmenter les salaires.

Ensuite, l'économie française souffre d'une insuffisance chronique des investissements productifs, les investissements financiers étant jugés plus rentables. Il faut, là encore, inverser cette logique.

Ces constats justifient un double élargissement de l'assiette et une modulation des taux de cotisation. Il s'agit d'intégrer dans l'assiette certaines formes de rémunération ainsi que les revenus financiers des entreprises qui échappent actuellement à une cotisation. Il s'agit également de différencier les taux de cotisation en fonction de la masse salariale et de la gestion financière des entreprises.

Reconnaissez que cette logique tient la route et répond à des critères économiques qui, il est vrai, n'ont rien à voir avec la dynamique de libéralisme échevelé dans laquelle vous vous inscrivez - ce qui m'étonne, compte tenu de vos anciennes fidélités (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. François Guillaume - Il n'y a rien de mieux pour tuer les entreprises !

M. le Rapporteur - Notre collègue, emporté par son élan, a présenté une argumentation qui déborde largement l'amendement, lequel tend seulement à élargir l'assiette des cotisations sociales. La modification et l'élargissement de l'assiette sont d'ailleurs prévus dans le projet avec l'élargissement des missions du COR.

Je suis surpris que les membres du groupe communiste, qui connaissent très bien les arcanes du financement social, n'aient pas noté qu'à l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, il est déjà prévu que tous les éléments de la rémunération du travail sont soumis à cotisation sociale et à la CSG.

Notre excellent collègue Xavier Bertrand a prévu à l'article 81 de limiter les exonérations de cotisations patronales existantes pour les retraites dites « chapeau ». A l'article 11, le Gouvernement a, de plus, prévu la taxation des préretraites maison.

Nous sommes d'accord : il faut que les cotisations concernent tous les revenus du travail. Vous l'auriez constaté si vous aviez attendu la discussion des articles. C'est le problème de ces amendements généraux, déclaratifs (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

Avis défavorable.

M. le Ministre des affaires sociales - La famille politique à laquelle je suis fidèle, Monsieur Brard, a toujours défendu la répartition, qui n'a de sens qu'assise sur les revenus du travail, seule assiette de cotisations sûre.

Il est vrai, en revanche, que les exonérations de cotisations se sont accumulées au cours du temps. Mais nous avons besoin d'une vision d'ensemble sur une question qui dépasse le champ de la seule assurance vieillesse. Nous devons avoir ce débat, sans doute à l'occasion du PLFSS de 2004, mais non à l'occasion du présent projet.

M. Michel Vaxès - M. le rapporteur, si j'ai bien compris, a indiqué que l'ensemble des rémunérations sont prises en compte. Il faut avoir en mémoire les propos de notre président Alain Bocquet dans sa justification de la question préalable. Le patron du Medef a déclaré qu'il n'y a pas de raison que certains Français soient plus avantagés que d'autres. Que ne nous parlait-il de ses amis, tels Jean-Marie Messier qui, en six mois de présence à la tête de Vivendi Universal, a gagné 5,6 millions d'euros dont 800 000 € de salaire fixe, ou Jean-René Fourtou qui s'est lui attribué un salaire fixe d'un million d'euros ! En conséquence, Patrick Le Lay, PDG de TF1, gagne un salaire de misère avec à peine 1,5 million d'euros en 2002. Son patron, Martin Bouygues, s'accorde sagement un salaire annuel de 1,6 million d'euros. Les stock-options permettent aux dirigeants de doubler ou de tripler leur salaire. Quelles cotisations sociales paient-ils sur ces revenus ?

Vous rejoignez le président du Medef en disant que l'ensemble des rémunérations sont prises en compte, mais ce n'est pas le cas. Il faudra bien, un jour, corriger ces injustices.

M. le Président - Le scrutin public demandé par le groupe communiste sur l'amendement 3283 et les amendements identiques 3284 à 3289 est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée.

A la majorité de 121 voix contre 23 sur 144 votants et 144 suffrages exprimés, l'amendement 3285 et les amendements identiques ne sont pas adoptés.

M. le Président - Les amendements 3290 à 3296 sont identiques.

M. Michel Vaxès - Par l'amendement 3294, nous proposons que la part patronale dans les cotisations sociales soit revalorisée d'un montant fixé par décret pour rattraper sa parité avec la part salariale, sur une base 100 en 1979.

Il faut corriger, en effet, d'intolérables injustices. Pendant des décennies, les cotisations patronales et salariales ont évolué parallèlement or, depuis quelque temps, l'effort est de plus en plus inégalement partagé.

Les diminutions des cotisations patronales, depuis 1993, sont de plus en plus sensibles : les allégements, il y a dix ans, représentaient moins d'un milliard d'euros ; en 2002, ils étaient de 21 milliards. C'est autant d'argent en moins dans les caisses de la sécurité sociale et en particulier dans la caisse nationale d'assurance vieillesse.

Ces allégements, plus importants pour les salaires proches du SMIC, n'ont cessé de tirer les qualifications vers le bas et de réduire, avec les rémunérations, les possibilités de financement des retraites.

Dans le même temps, les normes de rentabilité de plus en plus forte imposées par les marchés financiers ont poussé les entreprises à une substitution du capital au travail fatale à l'emploi, à la croissance, au financement de la sécurité sociale.

La part de la masse salariale par rapport aux revenus du capital dans la valeur ajoutée a globalement diminué de dix points depuis 1983.

En remplaçant des hommes par des machines, en maintenant de larges couches de la population dans une longue formation, le patronat s'est rendu responsable d'une croissance en berne - 1 % l'année dernière - et des déficits de notre protection sociale.

Contrairement à ce que prétend le Gouvernement, les évolutions démographiques ne sont donc pas les principales causes du problème des retraites.

Rétablir l'équilibre des cotisations salariales et patronales impliquerait de porter le taux de ces dernières à 11,6 %, soit 3,4 points de plus qu'actuellement. Ce serait réalisable en dix ans, à raison d'une augmentation très raisonnable de 0,34 % par an.

M. le Président - Je suis saisi par le groupe communiste et républicain d'une demande de scrutin public sur le vote de l'amendement 3294.

M. Jean-Pierre Brard - Monsieur le Président...

M. le Président - Je vous suggère, Monsieur Brard, d'entendre la commission, après quoi, vous répondrez au Gouvernement et M. Asensi à la commission. Le déroulement de nos travaux s'en trouvera amélioré.

M. Jean-Pierre Brard - Je m'incline.

M. le Rapporteur - La commission a rejeté l'amendement, pour les raisons que M. Xavier Bertrand va expliquer.

M. le Rapporteur pour avis de la commission des finances - Si l'on souhaite augmenter la part patronale des cotisations sans peser sur la compétitivité des entreprises, il faudrait aussi augmenter la part salariale, ce qui me semble aller à l'encontre de vos objectifs. De plus, ce débat est purement formel, puisque les cotisations sont assises sur les salaires et que le Gouvernement souhaite voir augmenter les salaires directs, comme il l'a montré pour le SMIC.

M. le Ministre des affaires sociales - Le groupe communiste a raison,...

Mme Muguette Jacquaint - Enfin ! (Sourires)

M. le Ministre des affaires sociales - ...le taux de cotisation patronale n'a pas augmenté depuis 1979, et donc pas, non plus, au cours des quinze années pendant lesquelles les gouvernements successifs ont été soutenus par le parti communiste ou n'ont pu agir qu'avec son soutien. C'est dire s'il est difficile d'augmenter ces cotisations ! Si cela n'a pas était fait, c'est que les gouvernements de l'époque savaient bien qu'augmenter la part patronale des cotisations, c'est faire peser une grave menace sur l'emploi.

Certains prétendent que 91 % de la charge des prélèvements reposerait sur les salariés. Mais la vérité, c'est que 66 % des charges sont payées par les entreprises, et qu'augmenter encore les prélèvements serait menacer l'emploi et donc la protection sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard - L'histoire connaît des bonds qualitatifs, mais aussi des régressions. Le gouvernement Balladur a été à l'origine d'une telle régression, en 1993 mais vous, Monsieur le ministre, vous êtes dans le registre de la rupture ! Nous vous avons pourtant vu autre, lorsque vous batailliez contre le traité de Maastricht, contre la capitulation et la résignation ! Mais, contrairement aux bons vins, vous ne vous bonifiez pas en vieillissant ! (Mouvements divers) Le lettré que vous êtes n'ignore pourtant rien de ce que notre histoire a eu de moments humanistes et progressistes. Malgré cela, vous choisissez le recul social à grande vitesse !

Comment, à ce moment, ne pas rappeler les conceptions de Jaurès qui voyait en l'Etat l'instance de régulation des conflits sociaux et de redistribution des richesses ? Vous, vous obligez les gens à arpenter les rues pour se faire entendre ! Jaurès était l'inspirateur principal du congrès de Tours du parti socialiste, en 1902, congrès qui adopta des propositions jugées, à l'époque, révolutionnaires, et que vos prédécesseurs, les libéraux-sociaux, critiquèrent. De quoi s'agissait-il ? D'instituer une assurance sociale pour tous les travailleurs et de limiter les prélèvements sur leur salaire à un tiers, les deux tiers restants étant à la charge de l'Etat et des employeurs

C'est avec cette tradition que vous êtes en rupture ; ce faisant, vous tournez la société française vers le XIXe siècle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. François Asensi - Il est regrettable que le Gouvernement refuse cet amendement, s'arc-boutant ainsi sur les arguments du Medef selon lesquels il faut réduire le coût du travail, toute augmentation de ce coût ayant des effets néfastes pour les entreprises, soumises à la concurrence. Je m'inscris en faux contre ces assertions. Lorsque, en 1990, l'Union européenne a pris la décision, à l'unanimité, de libérer totalement la circulation des capitaux sans harmoniser la fiscalité des Etats membres, les détenteurs de ces capitaux se sont immédiatement mis en quête des pays qui offraient les avantages fiscaux les plus importants - et, de préférence, le secret bancaire en prime, comme le Luxembourg. Et il se trouve que la France, quoi que prétendent certains, ne fait pas fuir les capitaux, bien au contraire, puisqu'elle figure au quatrième rang en terme d'attractivité. Non seulement la part de l'impôt sur le revenu y est particulièrement plus élevée, mais la taxation, essentiellement indirecte, y est particulièrement injuste. Quant au coût du travail, il est loin d'être le seul argument de choix pour les investisseurs, qui apprécient aussi les aspects culturels et sociaux de notre pays, et l'excellence du fonctionnement de ses services publics. Contrairement à ce qui est dit, nous sommes donc très bien placés.

A la majorité de 112 voix contre 8 sur 120 votants et 120 suffrages exprimés, l'amendement 3290 et les amendements identiques 3291 à 3296, ne sont pas adoptés.

M. Gaëtan Gorce - L'amendement 2859 est défendu.

L'amendement 2859 et les amendements identiques, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Jean-Louis Bianco - Nous avons une analyse divergente des emplois-jeunes. Nous souhaitons donc qu'au moins le Parlement puisse prendre connaissance d'un rapport retraçant les conséquences sur le chômage de la disparition de ce dispositif. Tel est l'objet de l'amendement 7084.

M. le Rapporteur - La commission a rejeté l'amendement. Rien n'avait été prévu par le gouvernement Jospin pour pérenniser les emplois-jeunes, ni même pour indemniser ceux qui se trouveraient au chômage à l'expiration de leur contrat. Le gouvernement Raffarin a choisi la voie inverse en créant les contrats jeunes en entreprises, qui sont des CDI.

M. le Ministre des affaires sociales - Même avis. L'amendement est sans rapport avec le texte.

M. Claude Bartolone - Cette réponse est surprenante. Mme Yannick Moreau, président du COR, n'a-t-elle pas expliqué, à juste titre, qu'en matière de retraite, tout se joue avant la retraite ? Or, le Gouvernement se limite à allonger la durée de cotisation et à augmenter la participation des salariés, et nous n'apercevons aucun signe de ce que pourrait être une grande politique de l'emploi.

Face à la précarité que subissent tant de jeunes, au constat que la France est championne du monde de la mise au chômage des plus de 50 ans, comment pouvez-vous parler aux Français d'un effort de plusieurs années supplémentaires ? C'est pourquoi nous insistons sur la nécessité d'une politique de l'emploi.

Les emplois-jeunes n'étaient pas à nos yeux une fin en soi. Nous voulions, par eux, que la société s'intéresse aux jeunes, et que ces derniers, grâce à l'outil que nous leur mettions en main, retrouvent un rythme de travail, une socialisation et soient ainsi mieux employables sur le marché du travail.

L'amendement 7084, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Louis Bianco - Je me propose de défendre en même temps les douze amendements déposés par M. Gorce, du 11 180 au 11 165 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Ils tendent soit à rétablir des dispositifs que vous avez supprimés, soit à améliorer des mesures que vous proposez. Je m'arrêterai sur un point souvent évoqué, celui de la compétitivité de la France, dont vous dites souvent que nous l'avons détériorée et que nos propositions l'affaibliraient encore.

Or je lis dans le dernier rapport du conseil d'analyse économique, créé par Lionel Jospin et maintenu par Jean-Pierre Raffarin, à propos du niveau réputé trop élevé de notre fiscalité : « La fiscalité n'est pas le déterminant principal de la localisation des entreprises (...) L'existence d'écarts de fiscalité peut se justifier par des différences de qualité des services publics et des infrastructures ». Entre le moins d'impôt et la qualité des services publics se trouve l'une des grandes différences qui nous séparent.

Qu'en est-il réellement de l'attractivité de notre pays ? L'implantation étrangère en France, calculée en nombre d'emplois, nous place en seconde position en Europe, précise le rapport, après le Royaume-Uni. Si les 35 heures, la fiscalité supposé excessive, étaient à ce point décourageantes, comment expliquer cette situation ?

De même, la France ne serait-elle pas compétitive ? Pour la productivité par travailleur, la France se trouve tout juste derrière les Etats-Unis, devant l'Allemagne et le Royaume-Uni.

Le rapport indique enfin : « L'amélioration forte de la compétitivité coûts et prix de la France ainsi que la disparition des problèmes d'équilibre des paiements courants améliorent sensiblement la position de la France ». Les diverses études reconnaissent toutes les atouts de la France par rapport à ses partenaires étrangers, qu'il s'agisse du cadre de vie, de la qualité des services éducatifs et du niveau de qualification de la main-d'_uvre.

Voilà des éléments d'appréciation sur la politique de l'emploi que nous avons menée, et sur la vôtre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Rapporteur - On nous propose de réduire à nouveau le contingent annuel des heures supplémentaires de 180 à 130, de rétablir l'amendement Michelin annulé par le Conseil constitutionnel et d'instaurer à nouveau un seuil entre les entreprises selon qu'elles comptent moins ou plus de 250 salariés. C'est tracer la ligne qui sépare les propositions de l'opposition de celles de la majorité pour améliorer notre situation sociale. Nous n'avons pas la même conception de la place du travail. Vous reconnaissez que le volume du travail est insuffisant en France, et en même temps vous voulez le réduire.

De plus, il est établi que la productivité en France a évolué entre 1997 et 2002 de plus 3 %
à moins 1,6 % (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Adopter ces amendements rétablirait les dispositions les plus négatives de la loi de modernisation sociale, et aggraverait les conséquences de la loi sur les 35 heures dans des proportions que mêmes Mmes Aubry et Guigou n'avaient pas osé envisager.

M. le Ministre des affaires sociales - La productivité des Français au travail est bonne, et il faut les en remercier, eu égard aux contraintes qu'ils subissent.

Reste que, depuis longtemps, notre pays connaît l'un des taux de chômage les plus élevés d'Europe. Quel que soit le niveau de croissance, nos performances en matière d'emploi sont inférieures à celles des pays voisins (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Vous avez eu la chance inouïe de bénéficier d'une croissance exceptionnelle dans le monde entier, particulièrement sensible sur les marchés boursiers, et vous n'en avez pas profité pour réformer notre économie (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Dès que la croissance a diminué, le chômage est reparti. La dernière année du gouvernement Jospin a connu 160 000 chômeurs supplémentaires, la première année de notre gouvernement en a compté 100 000. Les licenciements économiques ont été plus nombreux en 2001 qu'en 2002.

Cessez donc de faire croire que des artifices comme les emplois-jeunes et la RTT suffisaient à résoudre le problème du chômage. De plus, vous ne tenez pas compte de deux événements à venir : le vieillissement de la population et la globalisation de l'économie. Pour y faire face, nous devrons augmenter le nombre des heures travaillées (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Nous ne nous en sortirons pas sans réformes structurelles conduisant à diminuer le coût du travail, à augmenter les bas salaires, à assouplir les 35 heures et surtout à améliorer nos systèmes de formation initiale et continue. Ce n'est pas en préservant le statu quo que nous réussirons à améliorer le taux d'emploi des jeunes (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Il faut beaucoup plus de liberté dans le système, des parcours plus individualisés, une meilleure formation en alternance et des établissements plus autonomes pour gagner des points de croissance (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Claude Bartolone - Ce débat n'a malheureusement pas pu avoir lieu lors du second tour des élections présidentielles. En ce qui concerne notre bilan, nous n'avons jamais nié la part que la croissance internationale y a tenue ! Mais il est également incontestable qu'avec nous, la France s'est mise à faire mieux que tous ses partenaires européens, qui connaissaient pourtant la même conjoncture. Au début de sa législature, le gouvernement Jospin a réorienté la politique économique en donnant la priorité à l'emploi, au rééquilibrage de la sécurité sociale et au pouvoir d'achat. La première chose que vous ayez faite fut de diminuer l'impôt sur le revenu ! Comment s'étonner que nous ayons battu ces dernières semaines le record de France du taux d'épargne ?

Nous avons réussi à créer deux millions d'emplois et à faire reculer le nombre de chômeurs d'un million. Le nombre d'heures travaillées a augmenté, partagées entre un plus grand nombre de salariés, grâce aux emplois-jeunes ou aux mesures pour le retour à l'emploi des travailleurs âgés notamment, et nous avons enfin fait mieux que l'Allemagne qui était toujours citée en exemple.

Vous affirmez que le vieillissement de la population imposera de travailler plus longtemps. Voilà un sujet qui mérite un véritable débat, tant avec les organisations syndicales qu'à l'Assemblée. Le taux d'activité des quinquagénaires français est le plus faible de l'Union européenne. Si nous voulons l'augmenter sans nuire à leur santé, et aussi augmenter leur efficience dans l'entreprise, il faut améliorer l'organisation et les conditions du travail. Si l'on veut faire travailler les gens à temps plein dès leur sortie de formation, et pour longtemps, il faut tout de même s'intéresser à ce sujet !

Enfin, le ministre a parlé d'un effort de formation. Croyez-vous que cela soit ce qui ressort de l'action de M. Ferry aujourd'hui ? Les enseignants se sentent menacés, les emplois d'aide éducateur sont supprimés, des fermetures de classes sont déjà annoncées pour la rentrée... (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Cela va-t-il améliorer la formation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Ministre des affaires sociales - D'abord, les chiffres évoqués par M. Bartolone sont faux. A croissance égale, la France a fait moins bien que ses voisins européens pour la diminution du taux de chômage. Ensuite, il est vrai que nous ne pourrons améliorer le taux d'activité des salariés les plus âgés si l'on ne repense pas leurs conditions de travail. Je sais que le dirigeant socialiste qui s'exprime dans Le Figaro aujourd'hui compte 95 % d'agents de la fonction publique dans sa section, mais peut-être devriez-vous savoir, Monsieur Bartolone, que les 35 heures n'ont pas amélioré les conditions de travail dans les entreprises de production ! Maire d'une ville ouvrière, je les ai vues se dégrader, à coup de cadences accélérées, de pauses supprimées et de flexibilité ! Enfin, tous les gouvernements successifs, et le vôtre particulièrement, ont augmenté le budget de l'éducation nationale sans limites, pour des performances en diminution. Vous voyez bien le nombre de jeunes laissés sur le bord du chemin ! Si vous considérez qu'il s'agissait d'une bonne politique, je vous en laisse la responsabilité. Pour ma part, j'envisage l'avenir du système éducatif autrement que sous l'angle de revendications catégorielles (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) ).

L'amendement 11 180, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que les amendements 11 162 à 11 169.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu lundi 16 juin, à 15 heures.

La séance est levée à 17 h 25.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU LUNDI 16 JUIN 2003

A QUINZE HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 885) portant réforme des retraites.

M. Bernard ACCOYER, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

(Rapport n° 898)

M. François CALVET, rapporteur pour avis au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées.

(Avis n° 895)

M. Xavier BERTRAND, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

(Avis n° 899)

Mme Claude GREFF, rapporteure au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

(Rapport d'information n° 892)

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


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