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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session extraordinaire de 2003-2004 - 2ème jour de séance, 5ème séance

1ère SÉANCE DU VENDREDI 2 JUILLET 2004

PRÉSIDENCE de M. Éric RAOULT

vice-président

Sommaire

      ASSURANCE MALADIE (suite) 2

      ARTICLE PREMIER (suite) 2

La séance est ouverte à neuf heures trente.

ASSURANCE MALADIE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à l'assurance maladie.

ARTICLE PREMIER (suite)

M. le Président - Les amendements 6431 à 6445 sont identiques.

M. Jean-Marie Le Guen - L'amendement 6431 vise à introduire après les mots : « des situations d'âge » les mots «, de ressources, de situation sociale. » Il importe de garantir à tous, dans cet article de principe, un égal accès aux soins quel que soit le milieu social. Nous savons en effet que le rapport à la santé diffère selon le niveau socio-culturel de la population.

M. Alain Vidalies - L'amendement 6445 a le même objectif. Les critères de ressources et de situation sociale doivent explicitement figurer dans cet article, alors que votre projet discrimine deux sortes de Français : ceux qui pourront se rendre directement chez un spécialiste et ceux qui devront passer par le médecin traitant.

Mme Elisabeth Guigou - L'amendement 6438 a le même objectif.

Le principe de la sécurité sociale est que chacun, quel que soit le lieu où il vit et son milieu social, puisse recevoir des soins de qualité.

Or, votre projet ne peut que susciter des inquiétudes en raison de la liberté tarifaire des médecins spécialistes à l'endroit des patients qui ne seront pas passés par le médecin traitant. Des médecins spécialistes peuvent donc choisir une clientèle plus fortunée, malgré les bémols que vous apportez concernant l'accès direct aux pédiatres, aux gynécologues et aux ophtalmologistes.

De plus, votre projet ne garantit en rien que l'hôpital public disposera des moyens pour accomplir sa mission de service public.

Enfin, qu'en sera-t-il de la péréquation des dotations publiques entre hôpitaux ?

Quant au traitement que vous vous proposez d'administrer aux plus défavorisés, il est proprement scandaleux !

S'agissant de l'aide médicale d'Etat, je ne conçois pas que l'on aborde le problème sous l'angle de la politique de l'immigration. Dès lors que des populations en demande de soins sont présentes sur notre sol, il faut les soigner quel que soit leur statut. C'est un impératif humanitaire et une mesure de santé publique.

Pour ce qui concerne la CMU, le souci de fournir une couverture complémentaire au-dessus du seuil est louable, et nous avions du reste dotés les fonds sociaux des caisses de 120 millions supplémentaires pour qu'elles soient mesure de répondre aux demande de leurs affiliés. Las, loin de poursuivre dans cette voie pour donner l'impulsion nécessaire, vous opérez des prélèvements injustifiés sur ces fonds.

Nous sommes passés d'un simple risque à une réalité cruelle : les populations les plus défavorisées de ce pays n'accèdent plus à un niveau de soins conforme à leurs besoins.

M. Alain Claeys - Mon amendement 6432 est identique. Tel qu'il nous est soumis, le projet du Gouvernement ne mobilise pas des moyens suffisants pour lutter efficacement contre les inégalités sociales et territoriales en matière d'accès aux soins. A cet égard, il est particulièrement déraisonnable d'exclure l'hôpital du champ du texte alors qu'il a un rôle central à jouer dans la réorganisation de l'offre de soins, en particulier pour les plus défavorisés. Nous souhaitons que le plan Hôpital 2007 puisse être remis en cause et que l'on s'interroge sur le meilleur moyen d'inclure l'hôpital dans le système de soins. Par ailleurs, il est impératif de rapprocher le médical et le médico-social pour assurer une meilleure continuité dans la prise en charge des plus démunis.

M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur de la commission spéciale - Cet amendement est inutile, dans la mesure où notre attachement au principe de solidarité est proclamé dès le premier alinéa de cet article. Rejet.

Quant aux spécialistes, je rappelle à M. Vidalies que la commission spéciale a adopté plusieurs amendements tendant à éviter qu'ils puissent sélectionner leurs patients. Je ne reviens pas sur les 35 heures à l'hôpital...

M. Jean-Marie Le Guen - Vous ne parlez plus de les supprimer ?

M. le Rapporteur - Lisez Le Parisien de ce matin ! Vous verrez que M. Vaillant se montre très prudent !

M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale - Le Gouvernement est défavorable.

M. Jean-Marie Le Guen - Le Gouvernement et la majorité n'ont qu'un mot à la bouche, « responsabiliser ». Encore faut-il comprendre que dans leur esprit, la recherche en responsabilité ne s'applique qu'aux salariés. Et qu'ils se gardent bien de s'étendre sur l'incidence pourtant avérée des innovations organisationnelles des employeurs - flux tendus, rotation des postes, flexibilité - sur la survenue d'accidents du travail. Dans la décennie 1990-2000, ceux-ci ont pourtant crû de près d'un tiers et leur coût est aujourd'hui évalué à près de 3% du PIB ! Las, à l'inverse des employeurs américains qui ont su corriger cette dérive - moins 36% d'accidents du travail et de maladies professionnelles déclarées en dix ans -, les patrons français font preuve d'une « passivité coupable », selon les propres termes de l'éditorial des Echos de ce matin !

Mme Martine Billard - En vue de lever toute ambiguïté et de prévenir toute interprétation fallacieuse, notre amendement 7657 tend à inscrire dans la loi que la Nation affirme son attachement à une assurance maladie obligatoire et universelle, garantissant une protection indépendante des situations de ressources. Il faut inscrire dans la loi que tous les Français sont égaux devant la santé.

M. le Rapporteur - Rejet. J'observe au passage que M. Le Guen a fait l'éloge du système de santé américain. Medicaid serait-il son nouveau modèle ? Prône-t-il ce matin la privatisation ? (Sourires)

M. le Ministre - Défavorable à l'amendement de Mme Billard.

Les amendements 6431 à 6445, mis aux voix, ne sont pas adoptés, non plus que l'amendement 7657.

M. le Président - Les amendements 196 à 207 sont identiques.

M. Jacques Brunhes - Cet article premier est pour le moins limité dans ses ambitions. S'il tend à inscrire dans le marbre le principe de solidarité, il n'envisage à aucun moment que la solidarité doit être réciproque. La solidarité, c'est certes cotiser selon ses ressources, mais c'est aussi recevoir selon ses besoins. Or la notion de besoins des assurés ne figure pas dans le texte, alors même que la solidarité entre les Français ne cesse de reculer et que, déjà, 14,7 % d'entre eux renoncent à se soigner pour des raisons financières - dont 30 % de chômeurs ! Malgré la création de la CMU, un tiers de ses ayants droit ne se soignent pas faute de moyens suffisants. En poursuivant dans la voie des déremboursements de médicaments, vous allez directement augmenter le prix des soins pour les 10 % de nos concitoyens non couverts par une mutuelle, et en instituant un forfait d'un euro non remboursable pour les complémentaires, vous empêcherez de nombreux Français de se soigner selon leurs besoins. Au reste, comment garantir que le forfait restera à 1 €, sachant que le forfait hospitalier a lui augmenté de 433 % en vingt ans !

Nos concitoyens sont nombreux à s'insurger contre votre projet qui aggravera les inégalités en matière de santé. C'est pourquoi nous proposons par notre amendement 207 de préciser dans la loi que le droit est garanti à chacun d'être soigné selon ses besoins.

M. Alain Bocquet - Les amendements 197 à 206, identiques au précédent, sont défendus.

M. le Rapporteur - La commission a repoussé ces amendements, considérant que le droit pour chacun d'être soigné selon ses besoins va de soi.

M. le Ministre - Rejet également.

M. Jacques Brunhes - Si cela va de soi, pourquoi ne pas l'écrire expressément ?

Les amendements 196 à 207, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président - Les amendements 6416 à 6430 sont identiques.

M. Jean-Marie Le Guen - Ils sont défendus.

Les amendements 6416 à 6430, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Mme Martine Billard - L'amendement 7658 précise que l'assurance maladie garantit une protection indépendante de la nationalité. Certains objecteront sans doute que cela va de soi. Vu le climat actuel de suspicion, mieux vaut l'écrire explicitement. En effet, il est un parti politique en France qui, même s'il n'est pas représenté au Parlement, défend la préférence nationale et a déjà proposé d'exclure les étrangers du bénéfice de l'assurance maladie et de créer pour eux une caisse spécifique. En outre, un certain discours se développe selon lequel les étrangers abuseraient de notre système de santé. M. Goasguen n'a pas eu le courage hier d'aller jusqu'au bout de sa logique, indiquant toutefois qu'il déposerait de nouveau son amendement lors de la discussion budgétaire, pensant peut-être que cela passerait alors inaperçu, ce en quoi il a tort, car notre vigilance sera la même. Enfin, certaines pratiques particulièrement inquiétantes apparaissent, notamment à la CPAM de Paris où l'on demande à des assurés sociaux immatriculés depuis des années de justifier de leur identité.

M. Hervé Mariton - Cela paraît le bon sens !

Mme Martine Billard - Pas du tout, car lorsqu'ils sont immatriculés depuis des années, on est en droit de penser que tous les contrôles nécessaires ont déjà été faits.

Le plus grave est que les assurés auxquels on demande de prouver leur identité sont précisément des personnes portant un nom à consonance étrangère. Vous comprendrez l'émotion d'une personne française née en France, dont le frère est officier de l'armée française, à qui l'on demande de fournir son titre de séjour, suspectée de par la consonance de son nom ! Et il ne s'agit pas là de dérapage de la part d'un agent car de tels cas se multiplient. L'assurance maladie ne doit opérer aucune discrimination en fonction de la nationalité non plus que de la consonance d'un nom. Il faut le rappeler fermement à la CPAM de Paris.

M. le Rapporteur - Rejet de l'amendement.

M. le Ministre - Même avis.

Mme Elisabeth Guigou - Si les faits extrêmement graves rapportés par Mme Billard sont avérés, ils doivent faire l'objet de poursuites judiciaires car ils sont illégaux. Aucune discrimination ne saurait être opérée à l'encontre de personnes françaises portant un nom à consonance étrangère, non plus qu'à l'encontre d'étrangers. Tous doivent être soignés de la même façon.

M. Le Pen et ses amis ne sont certes pas représentés sur nos bancs mais certains propos entendus ici autour de la préférence nationale se rapprochent tellement des leurs... (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Ne vous sentez pas visés. Je pense à une personne qui n'est pas présente parmi vous ce matin. Je demande clairement au ministre ce que compte faire le Gouvernement si la vérité de ces faits est établie. Quelles sanctions seront prises car il n'appartient pas à l'assurance maladie de participer à la politique de contrôle de l'immigration ?

M. le Ministre - Personne ni au Gouvernement ni dans la majorité ne saurait tolérer la moindre discrimination fondée sur la nationalité ou la consonance du nom, et toute discrimination de la sorte sera réprimée. Pour autant, il paraît normal de contrôler l'identité des personnes.

Mme Elisabeth Guigou - Allez-vous, oui ou non, engager une enquête ?

M. Richard Mallié - On essaie de nous entraîner dans un faux débat. Si les pratiques rapportées de la CPAM de Paris sont avérées, elles sont en effet inacceptables. Mais il serait anormal de ne pas s'assurer que le porteur d'une carte Vitale en est bien le titulaire, en lui demandant de justifier son identité. Ne cédons pas à l'angélisme. Dans certains départements, des cartes Vitale sont louées à la journée. Le porteur d'une carte qui n'en est pas le titulaire n'a pas à être soigné à l'hôpital.

M. Gérard Bapt - Le ministre nous assure qu'aucune discrimination ne doit être opérée. Mais certains membres de la majorité ne semblent pas d'accord, et je pense là à MM. Mariani et Goasguen qui ont eu, sans doute au dernier moment, tellement honte de leurs amendements qu'ils ne les ont même pas défendus. Cela étant, M. Goasguen a dit qu'il présenterait de nouveau lors du débat budgétaire l'amendement qu'il a retiré hier. Et le rapporteur général du budget lui-même estimé nécessaire de durcir encore les critères d'admission à l'aide médicale d'Etat, qui constituent, a-t-il dit, un appel d'air pour l'immigration. Il est donc faux de prétendre que dans la majorité, personne n'aurait de telles idées derrière la tête.

Quant à la lettre reçue par certains assurés, nous ne sommes pas contre les contrôles par exemple pour le premier accès à certains soins. Mais parler d'une obligation pour les caisses de vérifier la conformité de l'état civil est assez extraordinaire. S'il est avéré que la CPAM de Paris envoie de façon systématique un courrier aux assurés en fonction de leur lieu de naissance ou de leur patronyme, pour leur demander de produire la photocopie du titre de séjour, du passeport, d'une pièce d'identité établie par le consulat du pays d'origine, nous demandons une enquête, car il y a réellement discrimination. Nous vous donnons acte de votre déclaration sur l'accès à la santé des étrangers résidant sur notre sol, mais nous voulons savoir quelles suites vous allez donner à cette vérification systématique et proprement scandaleuse.

M. Jacques Brunhes - Le courrier explicite de la CPAM de Paris est un acte discriminatoire. Vous ne pouvez donc pas vous contenter de généralités. Que comptez-vous faire devant ce type de discrimination, qui touche à un problème de fond ?

Mme Martine Billard - J'ai demandé qu'on reproduise le courrier d'une dizaine d'associations, dont certaines ne peuvent être soupçonnées de gauchisme, et de la réponse très embarrassée de la CPAM. Une personne de ma connaissance a reçu la lettre qui lui demandait de justifier de sa nationalité avec, soulignée dans la liste des justificatifs, la mention « carte de séjour ». Elle qui française et née en France a compris que c'était en raison de son patronyme maghrébin. Elle en a été bouleversée. Puisqu'on parle tant d'intégration, il faut absolument mettre fin à ce genre de pratiques.

Quant à la fraude, le rapport de l'IGAS qui nous a été remis dans le cadre de la mission Debré précise qu'elle est minime. En effet, il n'y a fraude que si les personnes ne pouvaient pas être prises en charge par l'assurance maladie, la CMU ou l'AME ; sinon, il s'agit d'un détournement d'identité. Le rapport de l'IGAS limite donc la fraude aux cas d'utilisation d'une carte par une personne qui n'est pas un assuré social résidant en France, ou qui a des droits inférieurs, ou par une professionnel de santé pour des prestations fictives. Toujours selon ce rapport, les trois quarts des fraudes concernent la codification des actes et les transports, non l'utilisation de la carte Vitale.

M. Hervé Mariton - L'assurance maladie est un élément du pacte républicain. La nationalité, le lieu de naissance, l'origine des personnes ne doit jamais être un facteur de discrimination et ce principe humaniste, nous y adhérons totalement. Nous n'avons pas de leçons à recevoir à ce sujet. S'il est confirmé qu'une erreur a été commise par une caisse, elle appelle toutes les conséquences que le droit prévoit.

Cela clairement posé, des fraudes existent, ou des détournements si vous voulez. Nous garantirons d'autant mieux le respect de nos principes humanistes que nous ne ferons pas preuve de naïveté dans la gestion (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Il est donc de notre devoir de réprimer tout abus. Vous en serez sans doute d'accord - même si vous ne l'êtes pas sur les moyens techniques et juridiques pour ce faire. De cela nous reparlerons (Mêmes mouvements).

M. Alain Bocquet - Le cas révélé par Mme Billard est grave. Je demande donc une suspension de séance pour réunir notre groupe. Ce délai permettra au ministre d'étudier ce courrier et de nous dire ensuite quelles mesures il va prendre.

M. le Président - Je donne la parole à M. Le Guen avant de suspendre.

M. Jean-Marie Le Guen - Monsieur le ministre, à l'occasion de cette affaire, on voit bien tous les dangers qu'il y a à transformer l'assurance maladie, comme vous le proposez dans les articles 10 à 15, en véritable machine de guerre contre les assurés (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Je m'explique...

M. le Président - Non, nous n'allons pas reprendre le débat au fond. La séance est suspendue.

La séance, suspendue à 10 heures 25, est reprise à 10 heures 35.

M. Jean-Marie Le Guen - Rappel au règlement. J'avais commencé, avant d'être interrompu, à attirer l'attention sur le danger d'installer les agents de l'assurance maladie dans une attitude non pas d'accueil mais de suspicion à l'égard des patients. Le sort dont on constate que sont parfois victimes les personnes d'origine étrangère risque de se généraliser par l'application des dispositions des articles 12 à 15. J'appelle donc le Gouvernement à réfléchir aux instructions qu'il compte donner aux agents des caisses d'assurance maladie, afin d'éviter qu'ils deviennent les instruments d'une sorte de police sociale.

L'amendement 7658, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président - Les amendements 6401 à 6415 sont identiques.

M. Jean-Marie Le Guen - Il est fondamental d'assurer un financement pérenne et solidaire de l'assurance maladie. Tel est le sens de notre amendement 6401. Or, depuis deux ans, le Gouvernement et la majorité ont accru les déficits de l'assurance maladie de façon délibérée. Nous n'avons pas cessé de vous avertir que vos prévisions financières étaient irréalistes. Quand, pour 2003, le Gouvernement annonçait un ou deux milliards de déficit, nous savions que celui-ci s'éléverait à 7 milliards, et pour 2004, quand le Gouvernement disait 7, nous disions 13, et les faits nous ont donné raison.

M. Richard Mallié - Ça n'est jamais arrivé sous le précédent gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen - Si nous n'avons pas toujours bien maîtrisé les dépenses, en revanche nous avons veillé à garantir à l'assurance maladie des recettes suffisantes. Mais vous, vous instrumentalisez son déficit. A preuve la volonté du Premier ministre de ne pas affecter à l'assurance maladie le produit des taxes qui lui reviennent, à commencer par les droits sur l'alcool et sur le tabac. De plus vous laissez filer le déficit avec le plus extrême laxisme. Si l'écart entre l'ONDAM voté et l'ONDAM réalisé n'est pas plus grand qu'auparavant, c'est que vous décidez d'un taux de progression par avance très élevé, et en fait irréalisable, ce qui est une façon d'organiser le déficit par la loi. Au total, l'assurance maladie souffre de 35 milliards de déficits cumulés, dont vous reportez la charge sur les générations futures, au risque qu'elles doivent moins bien se soigner. C'est que vous avez besoin de dramatiser la situation et de peser sur les consciences, comme vous le faites avec votre formule des 23 000 euros de déficit par minute, afin de réduire progressivement les droits des assurés sociaux. De plus vous mettez subrepticement en place une machine à dérembourser. En fait, votre objectif est de créer un état d'esprit propre à accepter une marche arrière des droits sociaux. On le voit bien pour le panier de soins. Le directeur de la CNAM, qui devrait d'ailleurs s'interroger sur les propres responsabilités de son institution, a déclaré que la voie était ouverte pour réduire le panier de soins. De plus, il a annoncé pour 2007, dans la meilleure des hypothèses, 5 milliards de déficit, et donc 25 milliards cumulés.

M. le Ministre - Ce n'est pas ce qu'il a dit.

M. Jean-Marie Le Guen - Il a bien annoncé 5 milliards de déficit en 2007. Vous bénéficiez, Monsieur le ministre, d'une réputation de grand communicateur. Or il n'y a pas un journal ce matin qui ne relève que les prévisions de l'assurance maladie contredisent les vôtres. Votre communication serait-elle défaillante ? On pourrait le penser après la note de Bercy, puis aujourd'hui le dossier de la CNAM. Face au déficit cumulé de 25 milliards annoncés pour 2007, il est nécessaire de garantir un financement pérenne de l'assurance maladie. C'est ce que nous demandons.

M. Alain Claeys - C'est vrai, depuis plus de deux ans, vous êtes les seuls responsables de la situation financière de l'assurance maladie. Pendant combien de temps encore allez-vous vous abriter derrière l'héritage ?

M. Ghislain Bray - Il est lourd à porter !

M. Alain Claeys - Depuis deux ans, vous avez inquiété les Français, vous les avez culpabilisés, mais vous n'avez rien fait ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Les chiffres sont là, et je suis prêt à parler avec vous du bilan. Votre projet de loi n'assure ni un financement solidaire, ni un financement durable. Comparez les efforts demandés aux entreprises à ceux exigés des cotisants, l'écart est de un à douze ! Et il est avéré qu'en 2007, nous aurons un déficit compris entre 5 et 15 milliards d'euros, que vous reportez du reste sur les générations futures !

En l'état, votre réforme ne saurait être comprise des Français.

M. Gérard Bapt - On crie aujourd'hui au sauvetage de la sécurité sociale, mais la CNAM, Bercy, les économistes sont unanimes pour reconnaître que ce plan ne suffira pas à combler le déficit.

M. Xavier Bertrand nous assure qu'il faut compter sur le changement de comportement des professionnels de santé, mais aussi sur le choc psychologique du vote de cette loi et sur la croissance.

Du choc psychologique, on sait qu'il est éphémère et aléatoire. Quant à la croissance, le journal La Tribune n'est guère rassurant, qui titre « Les craintes sur la croissance bousculent l'Europe boursière »...

Et ce matin, une dépêche d'AFP nous apprend que M. Seillière souhaite « éliminer les spécificités françaises qui nous accablent ». Or, s'il en est une à laquelle l'opposition est attachée, c'est bien la sécurité sociale ! Après les 35 heures, les retraites, voilà une spécificité bien propre du Medef : le démantèlement du système de protection des Français.

M. Alain Vidalies - Depuis un mois, on ne cesse de nous répéter que la situation est intenable, avec 14 milliards de déficit sur un an, 35 milliards de déficit cumulé. Mais ce déficit n'est pas venu tout seul ! Les comptes rendus de la commission des comptes de la sécurité sociale sont particulièrement éclairants à ce sujet : le déficit n'a cessé de se creuser quand vous étiez au pouvoir alors qu'il se résorbait sous notre gouvernement ! Vous allez nous répondre que nous le devons à la croissance. Mais comment expliquer qu'en trois ans, à partir de 2001, le déficit de la sécurité sociale soit passé de 1,27 milliard à 14 milliards ?

Et les critiques sont sévères, y compris de la part de votre propre majorité, puisque M. Goulard a écrit, dans le cadre du projet de loi sur le financement de la sécurité sociale pour 2004, que le déficit de l'assurance maladie représente près de 10 % des dépenses annuelles de prestation, la branche maladie étant la principale responsable de la dégradation du régime général. Quant à la Cour des comptes, elle dénonce l'absence de tout système de régulation dans la gestion de la sécurité sociale pour 2002, aucune loi de finances rectificative n'étant venue en cours d'année adapter les objectifs et les moyens à l'évolution des dépenses et à la conjoncture économique.

Pendant toute cette période, vous avez laissé le déficit se creuser pour mieux faire accepter les mesures que vous nous présentez aujourd'hui. Et vous nous reprochez de n'avoir pas réformé au bon moment ! Mais en quoi une assurance maladie et une sécurité sociale à l'équilibre pouvaient-elles justifier de pénaliser à ce point les assurés ? On en profite au contraire pour créer la CMU !

Mme Elisabeth Guigou - Un député de la majorité nous a renvoyés une fois de plus à l'héritage, mais si le déficit de l'assurance maladie se creuse de 23 000 euros par minute, c'est à la politique que vous menez depuis deux ans qu'il faut s'en prendre ! Vous avez laissé filer les dépenses, et détruit tous les instruments d'activation de la politique de l'emploi.

La Cour des comptes explique que l'accord du 5 juin 2002 avec les généralistes induit à lui seul un effet en année pleine de 690 millions d'euros, soit une majoration de 17,7 % du total des honoraires de généralistes remboursés en 2001.

On peut admettre que les rémunérations soient augmentées mais, en signant un accord qui n'était assorti d'aucune contrepartie, vous avez provoqué des hausses en cascade. Et vous avez ainsi laissé filer les dépenses. Dans le même temps, vous avez délibérément cassé les outils de la politique de l'emploi à un moment où notre croissance ralentissait, devenant inférieure à la croissance moyenne européenne alors qu'elle avait toujours été supérieure lorsque nous étions aux responsabilités. D'où une aggravation du chômage qui a entraîné un surcoût pour la sécurité sociale : 100 000 chômeurs de plus, c'est en effet 1,5 milliard d'euros de cotisations en moins. En deux ans, la perte peut être évaluée à 3 750 millions d'euros.

Certes, avec son plan pour la cohésion sociale - à condition qu'il soit financé, ce qui n'est pas vérifié -, M. Borloo s'attache à rétablir les outils détruits, prenant acte de l'erreur majeure qui a consisté à détruire les emplois-jeunes et à réduire le nombre des contrats aidés. Mais vous, vous ne remettez pas en cause la politique menée depuis deux ans : vous l'assumez totalement et même vous l'aggravez !

Puisqu'on a parlé d'héritage, rappelons la situation que vous avez trouvée en arrivant, telle que permettent de l'appréhender les chiffres officiels - ceux de la Cour des comptes et de la Commission des comptes de la sécurité sociale. En 2001, le régime général était excédentaire de 1 250 millions et, si l'assurance maladie restait déficitaire, nous avions considérablement réduit ce déficit : alors qu'il culminait en 1995 à 6 milliards d'euros - d'où le plan Juppé qui vous a laissé un fâcheux souvenir ! -, il était retombé à 930 millions d'euros en 2000. Or, depuis que vous êtes au pouvoir, ce déficit a septuplé, passant de 2 à 14 milliards d'euros.

Voilà ce que vous avez fait de l'héritage que nous vous avions laissé !

M. le Rapporteur - La commission a repoussé ces amendements comme les précédents. Il va de soi que, si elle garantit la protection de la santé, la nation doit la financer ! Inutiles, ces précisions ne servent que d'occasions de multiplier les procès d'intention.

M. Gérard Bapt - C'est un jugement de valeur, non un raisonnement !

M. le Ministre - Même avis que le rapporteur.

M. Jean-Luc Préel - Qui ne souscrirait à l'idée d'un financement pérenne et solidaire ? Mais ces propositions se résument à des déclarations de principe. Tous les pays sont confrontés à une augmentation des dépenses de santé qui, au cours des vingt dernières années, a été constamment supérieure à celle du PIB. La maîtrise médicalisée est par conséquent une nécessité. Je suis convaincu qu'en améliorant l'efficacité de notre système, on peut parvenir à soigner au moins aussi bien au même coût, sinon à un coût moindre. Mais cela suppose d'associer tous les acteurs à la gestion et à la décision : c'est ce que souhaite l'UDF lorsqu'elle propose de créer des conseils régionaux de la santé. Quant aux recettes, il convient naturellement de les adapter aux dépenses tout en veillant à une répartition équitable. En effet, le régime obligatoire étant celui qui garantit le mieux la solidarité, il ne faut pas trop modifier l'équilibre entre régime de base et régimes complémentaires. Nous présenterons donc un amendement demandant que l'augmentation de la CSG soit identique pour tous.

Enfin s'il apparaît logique de recourir à la CADES pour financer le déficit cumulé, il faut adapter en conséquence la CRDS et se garder de prolonger à l'excès la vie de cette même CADES : il ne serait pas bon de faire payer ce déficit à nos enfants et petits-enfants !

M. Alain Bocquet - Un financement pérenne et solidaire, voilà bien la question essentielle, en effet ! Sur ce point, nous avons su faire entendre de façon distincte notre voix, du temps de l'ancienne majorité, et nous avons élaboré des propositions que j'entends rappeler ici.

M. Seillière et son vice-président chargé de la protection sociale, M. Sarkozy - le frangin ! - ont nettement exprimé leur refus de voir les entreprises payer un seul euro supplémentaire pour la protection sociale. Nous considérons, nous, au contraire, qu'une hausse immédiate de leur taux de cotisation s'impose. En effet, jusqu'ici, les déficits ont été mis à la seule charge des ménages, au moyen de la CRDS, et ce ne serait que justice de mieux répartir le fardeau. Cependant, nous assortissons cette augmentation d'une modulation.

Les entreprises ne peuvent continuer de gagner de l'argent en supprimant des emplois ou en aggravant la précarité des salariés et, ainsi, contribuer toujours moins au financement de la sécurité sociale tout en contribuant à accroître ses dépenses. Notre réforme tend donc à maintenir le lien entre cotisation patronale et salaire, mais nous prévoyons une différenciation des taux, en fonction de la taille de l'entreprise et, surtout, de sa politique en matière d'emploi et de salaires. Celles qui créent des emplois ou organisent des formations seraient favorisées, celles qui font le choix du profit se verraient à l'inverse appliquer un taux majoré.

Il faut aussi briser un tabou et étendre les prélèvements sociaux à tous les revenus financiers, au même taux que pour les salaires : 12,8 %. En effet, les revenus financiers des ménages contribuent toujours moins que les salaires au financement de la sécurité sociale. Quant aux revenus financiers des entreprises et du secteur bancaire et financier, ils n'y contribuent tout simplement pas ! S'ils étaient taxés au même niveau que les salaires, cela pourrait rapporter quelque 20 milliards d'euros par an à la protection sociale.

Comment régler le problème de l'emploi, demanderez-vous : en remplaçant les exonérations de cotisations patronales par des bonifications d'emprunt ciblées et dûment contrôlées, en fonction des emplois réellement créés ! Ces exonérations s'élèvent actuellement à plus de 20 milliards d'euros et le coût pour la sécurité sociale est de l'ordre de 3 milliards. Les 17 milliards restants sont payés par le contribuable, à la place de l'employeur, sous prétexte que cela permettrait de réduire le coût du travail et de créer des emplois. On sait ce qu'il en a été...Il faut donc trouver un autre moyen d'encourager la création d'emplois. Rappelons-nous qu'une augmentation de 1 % des salaires rapporte 2,5 milliards d'euros à l'assurance maladie et 100 000 emplois supplémentaires 1,3 milliard.

Enfin, il faut se montrer beaucoup plus ferme quant au remboursement de la dette patronale, qui dépasse 2 milliards d'euros par an.

Des propositions existent donc bel et bien. On peut faire autre chose que culpabiliser les usagers et les professionnels de la santé, on peut ne pas céder au diktat du Medef !

Les amendements 6401 à 6415, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Alain Vidalies - L'amendement 8122 est défendu.

L'amendement 8122, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Alain Vidalies - Les amendements 6356 à 6370 sont également défendus.

Les amendements 6356 à 6370, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Alain Claeys - Les amendements 6386 à 6400 traitent d'un autre sujet crucial : les inégalités entre territoires, s'agissant de l'accès aux soins. Ces inégalités tiennent à plusieurs facteurs.

Le premier facteur est celui de la démographie médicale : nous savons tous que des médecins libéraux ou des infirmières qui partent à la retraite, dans certaines zones, ne sont pas remplacés, car les professionnels de santé sont à la recherche de conditions de vie meilleures dans des lieux fortement équipés techniquement. Votre projet n'apporte aucune réponse à cette situation. Vous avez voulu, hier, polémiquer à propos de la rémunération des médecins généralistes : personne ne souhaite remettre en cause la rémunération à l'acte, mais si l'on confie à ces médecins des missions de service public, ils devront bénéficier de rémunérations complémentaires. Le groupe socialiste a déposé des amendements en ce sens.

Deuxième facteur : les relations entre hôpitaux de proximité et centres hospitaliers universitaires ou régionaux. Les élus locaux raisonnent certes en fonction des problèmes liés à l'aménagement du territoire et à l'emploi, mais il faut aller plus loin et envisager de nouvelles relations entre hôpitaux de proximité et CHU ou CHR. Des expériences sont aujourd'hui menées qui vont dans le bon sens, je pense en particulier au « Réseau Cancer ».

Troisième facteur : les relations entre l'hôpital et la médecine de ville, notamment en ce qui concerne la gérontologie.

Je crains de plus qu'avec votre projet les collectivités locales ne soient seules face aux inégalités territoriales. Dans ce cas, ces dernières s'accroîtront.

Enfin, le domaine médico-social doit être intégré dans notre réflexion et des discussions doivent avoir lieu avec les conseils généraux.

M. Alain Vidalies - L'amendement 6400 a le même sens.

Nous savons tous qu'il existe des inégalités territoriales dont souffrent en particulier les territoires ruraux et les zones périurbaines. Les gouvernements successifs se sont efforcés de trouver des solutions, nous à travers des incitations financières dont le succès fut d'ailleurs mitigé, vous à travers un processus de décentralisation qui ne règlera rien puisque les moyens dont disposent les collectivités locales diffèrent. Vous prétendez que nous n'avons pas de propositions alors qu'elles n'ont pu franchir l'obstacle de l'article 40. Je tiens néanmoins à rappeler notre initiative concernant la création de maisons de santé et la rémunération au forfait.

M. Jean-Marie Le Guen - L'amendement 6386 a le même objectif.

De nombreux parlementaires ont eu l'occasion, au cours des discussions des projets sur les territoires ruraux ou la décentralisation, de formuler des propositions pour lutter contre la désertification médicale de certains territoires.

Dans les zones urbaines ou périurbaines, l'accès aux soins est d'ailleurs de plus en plus difficile comme en témoigne la saturation des services d'urgence. Vous êtes d'ailleurs sollicité, Monsieur le ministre, pour trouver des financements supplémentaires. Cette situation s'aggravera avec votre projet qui favorise le regroupement des médecins, en particulier des spécialistes, dans les zones dont les habitants bénéficient d'un fort pouvoir d'achat.

Comme l'a dit M. Vidalies, nous avons émis plusieurs propositions techniques tendant à organiser l'offre de santé, qu'il s'agisse de la généralisation des maisons médicalisées ou de l'aménagement du statut des médecins des zones désertifiées, en vue de leur permettre de mieux concilier leur vie personnelle et les exigences de leur exercice. Les amendements les formulant sont tombés sous le coup de l'article 40 : puissiez-vous, messieurs les ministres, les reprendre !

Pour ce qui concerne l'amendement 6836, il s'agit de faire en sorte que l'Etat - et non les collectivités locales - soit le garant du droit des Français à bénéficier de soins de qualité sur l'ensemble du territoire, l'assurance maladie étant le bras armé de la nation pour réaliser ce droit. Il ne revient pas au maire d'une commune de huit cents habitants de prendre son bâton de pèlerin pour démarcher des candidats à l'installation. Les mesures incitatives - que M. Mattei envisageait comme essentiellement financières - ne permettront sans doute pas de redresser la situation partout. Il faut identifier dans les SROS les zones présentant une densité médicale insuffisante ou susceptible de le devenir et mettre l'assurance maladie en première ligne pour résoudre le problème.

J'indique par avance que l'amendement 26 de la commission spéciale, tel que propose de le sous-amender le Gouvernement, va dans le bon sens, et que nous proposerons encore de l'améliorer.

M. le Rapporteur - J'invite au retrait du 6386, dans la mesure où il est totalement satisfait par le deuxième alinéa de l'article. A défaut, rejet.

M. le Ministre - Même avis.

M. Richard Mallié - Nos collègues socialistes ont beau se lancer dans des litanies aux accents parfois lyriques, leur amendement est dépassé. La désertification médicale est un problème territorial que l'on ne peut résoudre, au moins dans un premier temps, que par l'incitation et la persuasion. La réalité, c'est que l'exercice de la médecine est plus ressenti aujourd'hui comme un job que comme un sacerdoce (Murmures sur divers bancs). Les professions médicales se sont féminisées et spécialisées, cependant que les aspirations à travailler moins se sont diffusées dans l'ensemble de la société. Il faut aussi admettre que la loi Kouchner du 4 mars 2002 a fragilisé les filières de pédiatrie ou de chirurgie, en faisant courir aux praticiens un risque de mise en cause de leur responsabilité civile (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Alors que nombre de spécialités étaient désertées, le gouvernement précédent n'a pas remonté le numerus clausus...

Mme Elisabeth Guigou - Bien sûr que si ! Ce n'est pas sérieux !

M. Richard Mallié - La désertification tient à d'autre facteurs. A l'issue de leur très longue formation, les jeunes médecins sont souvent tentés de s'installer sur le lieu de leurs études ou dans une région considérée comme attrayante. Il faudrait donc moduler le numerus clausus. Alors M. Le Guen nous dit : « c'est l'Etat qui doit tout faire ! » Bien sûr que non ! Qui mieux que l'élu local peut « vendre » sa commune aux candidats potentiels à l'installation ?

M. Jean-Marie Le Guen - Ils ne vous diront pas merci de leur laisser ce soin ! Et assez d'hypocrisie dans le débat entre incitation et coercition. Nous ne sommes pas favorables à l'instauration de numerus clausus départementaux - sauf pour le secteur II - et il restera de toute façon difficile de convaincre un dermatologue de la banlieue montpelliéraine de venir jouer les urgentistes dans la Somme ! Pour utiles qu'ils seraient à la collectivité, de tels transferts ne peuvent exister que dans le crâne de quelques technocrates ! Cependant, la surdensité médicale de certaines zones pose des problèmes que nous aborderons ultérieurement.

Les amendements 6386 à 6400, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Jean-Luc Préel - Par son amendement 7473, le groupe UDF, bien que très attaché à la régionalisation de la santé, entend réaffirmer qu'il revient bien à l'Etat - et non à l'assurance maladie - de garantir un accès effectif à des soins de qualité sur l'ensemble du territoire et d'assurer la sécurité sanitaire du pays. Il appartient à l'Etat d'associer tous les acteurs, y compris les collectivités, pour que les mesures nécessaires soient prises. Seul lui peut assurer la coordination nécessaire.

L'UDF est favorable à un numerus clausus régional par spécialité, non au niveau de l'installation mais de la formation, ainsi qu'à la création de maisons médicales cantonales car trop de professionnels de santé, notamment en milieu rural, se sentent isolés.

Enfin, notre amendement mentionne explicitement le devoir pour l'Etat de garantir à tous un accès effectif à des soins de qualité sur l'ensemble du territoire. Beaucoup de progrès restent à faire en ce domaine, en matière de formation initiale et continue, comme d'évaluation des professionnels, des établissements et des pratiques.

J'espère que le Gouvernement sera sensible à nos demandes.

M. le Rapporteur - L'amendement 26, qui est le même que le 7473 de M. Préel à une nuance près... un point devient « et »...

M. Jean-Luc Préel - Ce n'est pas une nuance, mais un point essentiel. Notre amendement parle de soins « de qualité », le vôtre seulement de « soins ».

M. le Rapporteur - L'amendement 26 a été déposé en commission spéciale cinq jours avant le vôtre par un collègue député pour n'être jamais excessif et pour sa très grande compétence en matière de santé. La force de conviction de Claude Evin a été telle qu'il a emporté l'adhésion de la majorité de la commission, contre l'avis de son président.

Cet amendement donne à l'Etat le rôle dévolu dans le texte aux caisses d'assurance maladie en matière d'organisation et de répartition de l'offre de soins sur l'ensemble du territoire. Si nous pensons que l'Etat doit jouer tout son rôle, il ne doit pas remplacer les caisses d'assurance maladie, qui ne peuvent être subordonnées à lui. Sinon, c'est le paritarisme lui-même qui est remis en question...

M. Jean-Marie Le Guen - Le paritarisme est mort depuis longtemps !

M. le Rapporteur - Au travers de cet amendement, nos collègues socialistes trahissent leur souhait d'étatiser l'assurance maladie (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). A M. Claeys qui m'a reproché hier d'interpréter de manière malhonnête certains de ses propos, je voudrais rappeler quelques faits. Il a expressément hier reproché au texte du Gouvernement de rester « trop prisonnier du paiement à l'acte ». M. Le Guen a fait l'éloge de la capitation, ce qui revient à vanter une médecine étatisée à l'anglaise, exercée par des médecins fonctionnaires intéressés au rendement. Enfin, Marisol Touraine, secrétaire nationale du parti socialiste, déclarait il y a quelques mois dans Le Monde, que le paiement à l'acte ne devait pas être le seule mode de rémunération. Il faut que les professionnels de santé soient au courant de cette tendance progressive, insidieuse, vers l'étatisation et le remplacement du paiement à l'acte par d'autres modes de rémunération. Vous comprendrez que ce soit contre l'avis de son président que la commission a adopté l'amendement 26 !

M. Jean-Marie Le Guen - J'interviens moins pour défendre les amendements 6326 et suivants que pour répondre à M. Dubernard. Tout irait de soi pour la répartition des responsabilités respectives entre l'Etat et l'assurance maladie en matière d'offre de soins au niveau local si des agences régionales de santé, comme nous le demandons, coordonnaient le tout. Il est évident que si le préfet devait prendre seul les mesures nécessaires pour éviter la désertification médicale de certains territoires, il manquerait du bras armé de l'assurance maladie. En revanche, celle-ci, seule, aurait inévitablement besoin du soutien de l'Etat. C'est la preuve, si besoin était, que les ARS sont indispensables.

Monsieur Dubernard, c'est vous et vos collègues qui êtes prisonniers d'une vision totalement archaïque de la médecine. Dans tous les pays développés, on s'oriente vers une rémunération mixte, combinant paiement à l'acte et rémunération d'une démarche de qualité. Monsieur Dubernard, qui avez choisi d'être médecin salarié, pensez-vous que ce mode d'exercice, nuit à votre relation avec vos patients ? (Dénégations de M. Dubernard)

La majorité des praticiens libéraux en ont assez d'être astreints à l'hyper-productivité à laquelle vous les condamnez par votre défense acharnée du paiement à l'acte. Votre vision, idéologique, de la médecine et des médecins est totalement dépassée. C'est vous qui, par le chaos que vous allez introduire, notamment avec la généralisation des honoraires libres en secteur II, poussez à la fonctionnarisation de la médecine. Alors qu'il faudrait faire évoluer les pratiques en douceur et avec tact, vous bousculez de fragiles équilibres. En dérégulant tout, vous allez décourager les médecins qui, avant peu, seront nombreux à demander à devenir fonctionnaires.

M. Alain Claeys - C'est vous et vos collègues, Monsieur le rapporteur, qui refusez la régionalisation de la santé. Vous nous reprochez de vouloir étatiser la médecine. Eh ! bien, acceptez que l'on débatte sérieusement du sujet des ARS, au lieu de faire tomber nos amendements sous le coup de l'article 40 ! Et sans doute pourrions-nous trouver des points de convergence.

Q'ai-je dit exactement hier ? Que pour améliorer la prise en charge des malades, la coordination et la qualité des soins, il fallait « reconnaître le rôle-pivot du médecin, traitant ou référent, élargir ce rôle à une démarche de santé publique et le rémunérer de façon spécifique, au-delà du paiement à l'acte ». Et je crois que le ministre n'était pas en total désaccord.

Ce n'est qu'en relation étroite avec les médecins que l'on pourra s'attaquer au difficile problème du manque de médecins dans certains territoires ruraux ou urbains. J'ai pu constater, lors d'un récent débat organisé par la Mutualité, que l'attitude des généralistes avait beaucoup évolué à ce sujet. Dans mon propre département, une équipe de généralistes a décidé, en relation avec le Samu, d'organiser les gardes et souhaiterait créer une maison médicale, projet aujourd'hui bloqué par manque de financement.

De grâce, Monsieur le rapporteur, le sujet est assez sérieux pour être abordé sans polémique ni déformation. Nous pouvons tous, j'en suis convaincu, nous retrouver.

M. le Président - Les amendements identiques 6326 à 6340 ont donc été défendus, de même que l'amendement 7827.

M. le Rapporteur - Avis défavorable sur l'amendement 7827. La commission n'a pas examiné les autres. A titre personnel, je lui préfère le sous-amendement 8422 du gouvernement.

M. le Ministre - L'article 1er définit les valeurs et objectifs que la Nation assigne à son système d'assurance maladie. L'amendement 26, comme l'amendement 7473, réaffirme la place éminente de l'Etat dans l'organisation des soins et pour garantir l'accès aux soins. Mais lui confier la totalité des compétences empêcherait de procéder à la clarification pourtant nécessaire. Comme l'a observé le haut conseil sur l'avenir de l'assurance maladie, l'imbrication des responsabilités conduit à la paralysie. Le sous-amendement 8422 précise donc que l'assurance maladie contribue à l'accès effectif aux soins dont l'Etat est garant et détaille les différents aspects de cette contribution.

Quant aux maisons médicales, il est certain qu'un jour la CNAM aura un véritable pouvoir dans ce domaine, afin d'assurer une meilleure répartition des soins.

M. Jean-Marie Le Guen - Le sous-amendement du Gouvernement nous convient dans l'ensemble. Notre sous-amendement 8435 le modifie sur deux points seulement : mieux vaut dire que les régimes d'assurance maladie « veillent » et non « contribuent » à l'exercice de ce droit, car ils ont une obligation de résultat ; puis préciser qu'ils le font aussi « en aidant à la création de maisons médicales ». Comme vous le voyez, son inspiration n'a rien de bolchevique...

M. Alain Bocquet - De ta part, il n'y a pas de danger ! (Rires)

M. le Rapporteur - Je n'irai pas contre cette belle convergence, et je suis, à titre personnel, favorable au sous-amendement 8435, comme je le suis d'ailleurs à celui du Gouvernement, tout en rappelant que c'est contre mon avis que la commission a adopté l'amendement 26.

M. le Ministre - On ne règlera pas le problème de l'accès aux soins sans s'attaquer à celui de la désertification médicale. Que l'assurance maladie aide à la création de maisons médicales me paraît donc une bonne chose. J'y suis favorable et nous pourrions tous être d'accord.

M. Jacques Brunhes - L'adoption de ce sous-amendement ferait tomber notre amendement 160. Or le problème n'est pas la désertification médicale, mais la désertification du territoire en général, en raison du départ de La Poste et autres services publics, qui compromet l'égalité d'accès aux soins. Cette égalité, seul l'Etat peut la garantir. C'est pourquoi je ne peux accepter que les deux sous-amendements suppriment la première phrase de l'amendement 26 « L'Etat garantit un accès effectif aux soins sur l'ensemble du territoire ». Cet amendement me surprend d'ailleurs, car il laisse de côté la notion de « soins de qualité », qui figurait dans l'amendement 7473 de M. Preel.

M. Jean-Luc Préel - Je vous remercie de le faire remarquer, car M. Dubernard ne l'avait pas vu !

M. Jacques Brunhes - Supprimer cette référence à la qualité des soins, c'est aller vers une médecine à deux vitesses. Il faut donc réaffirmer la garantie de l'Etat.

M. le Rapporteur - Je suis mis en cause injustement...

M. Jean-Luc Préel - Tout à fait justement !

M. le Rapporteur - Durant toute ma vie professionnelle et politique, j'ai toujours défendu un accès égal à des soins de qualité égale. Le sous-amendement du Gouvernement affirme le rôle de garant de l'Etat et rétablit clairement celui des caisses d'assurance maladie. Quant au sous-amendement de M. Le Guen, il améliore encore la rédaction proposée par le Gouvernement.

M. Jean-Marie Le Guen - Je suis comblé !

M. le Rapporteur - J'ai tenu à saluer votre démarche et je confirme que l'Etat reste bien le garant de l'égalité des soins

M. Jean-Luc Préel - Je rappelle que ce débat a commencé à la suite de la présentation de l'amendement du groupe UDF.

M. le Rapporteur - Il a été déposé après les autres !

M. Jean-Luc Préel - Le rapporteur a ironisé à en expliquant que notre amendement n'apportait rien, alors qu'il n'a même pas remarqué que nous nous référions à des soins « de qualité », auxquels je croyais pourtant qu'il était attaché. Si nos amendements n'intéressent pas la commission et le Gouvernement, j'en prendrai acte !

M. Edouard Landrain - Mais non !

M. Jean-Luc Préel - Si j'étais caricatural, je dirais que le rapporteur ne s'intéresse pas à la qualité des soins, ce que je ne veux pas penser. Il est essentiel que l'Etat garantisse des soins de qualité sur l'ensemble des territoires. Le sous-amendement de M. Le Guen n'est pas entièrement satisfaisant : comment, par exemple, l'assurance maladie pourra-t-elle associer les collectivités territoriales à l'amélioration des soins ? Sur l'étatisation, celle de l'assurance maladie est déjà presque complète, et le projet tend à nommer un directeur général qui l'amènera à son terme. Quant au paritarisme, il me paraît justifié lorsqu'il s'applique à ce qui relève du travail et de l'activité professionnelle, mais beaucoup moins quand il s'agit du secteur de la santé ; je préfère m'en rapporter aux ARS.

M. le Président - Sur le sous-amendement 8435, je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public.

M. Edouard Landrain - Dans la discussion générale, j'ai fait état de l'expérience allemande : avant l'élaboration même de la loi, l'opposition et la majorité se sont réunies pour parvenir à des conclusions communes que le Parlement a votées dans un délai raisonnable. A la lumière de cet exemple, je pense que nous aurions pu faire l'économie du spectacle qui a lieu ici. Lorsque l'on considère les propositions en présence, on s'aperçoit que l'on ergote sur des détails. J'aimerais que la maturité politique nous saisisse tous. En attendant, je suis heureux que la commission et le Gouvernement aient fait preuve d'ouverture, et je voterai les dispositions retenues.

M. Jean-Marie Le Guen - Mon sous-amendement, je le précise, prend place après la phrase faisant référence à la garantie de l'Etat. Naturellement, je ne vois aucune objection à ce que l'on parle de « soins de qualité ». Il suffit de rectifier mon sous-amendement dans ce sens. Ainsi, l'Assemblée pourra émettre un vote unanime.

M. Jean-Luc Préel - Le plus simple serait de corriger mon sous-amendement 7473.

M. Alain Bocquet - Faut-il verser des droits d'auteur ?

M. le Rapporteur - Comment pourrais-je m'opposer à la proposition de M. Le Guen, qui pour une fois fait œuvre de pacification ?

M. le Président - La rectification portera sur la première phrase de l'amendement 26, qui sera ainsi rédigée : « L'Etat garantit un accès effectif à des soins de qualité sur l'ensemble du territoire. »

M. Jean-Luc Préel - C'est exactement la rédaction de mon sous-amendement !

M. le Président - Pas tout à fait.

M. le Ministre - Avis favorable à la rectification de l'amendement 26.

Le sous-amendement 7473, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président - Nous allons à présent nous prononcer par scrutin public sur le sous-amendement 8435.

M. le Ministre - Je tenais à ce que figurent les mots « maisons médicales » et « veillent », afin de marquer notre détermination à lutter contre la désertification médicale. Ils figurent dans le sous-amendement de M. Le Guen. Je retire donc le sous-amendement 8422.

A l'unanimité des 41 votants et suffrages exprimés, le sous-amendement 8435 est adopté.

M. Hervé Mariton - Sur l'amendement 26 rectifié, le groupe UMP demande un scrutin public.

A l'unanimité des 41 votants et suffrages exprimés, l'amendement 26 rectifié, sous-amendé, est adopté (Applaudissements sur tous les bancs).

M. le Président - Les 130 amendements suivants tombent. Nous en arrivons à l'amendement 6341 de M. Le Guen.

M. Alain Bocquet - Après cette hécatombe, je souhaiterais une suspension de séance d'une demi-heure, pour que nous puissions réorganiser notre travail !

M. le Président - Il ne reste que quelques amendements pour finir l'article premier...

M. Jacques Brunhes - La suspension est de droit !

M. le Président - Sept minutes (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

La séance, suspendue à 12 heures 33, est reprise à 12 heures 40.

M. le Président - Suite à la demande du groupe communiste, je vous propose de renvoyer la suite du débat à cet après-midi.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 40.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
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Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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