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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session extraordinaire de 2003-2004 - 17ème jour de séance, 45ème séance

2ème SÉANCE DU JEUDI 22 JUILLET 2004

PRÉSIDENCE de Mme Hélène MIGNON

vice-présidente

Sommaire

      LIBERTÉS ET RESPONSABILITÉS
      LOCALES (deuxième lecture) 2

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 11

      QUESTION PRÉALABLE 19

      EXPLICATIONS DE VOTE 26

La séance est ouverte à quinze heures.

LIBERTÉS ET RESPONSABILITÉS LOCALES (deuxième lecture)

L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales.

M. René Dosière - Rappel au Règlement fondé sur l'article 58 alinéa 1. Au moment où s'engage le débat sur « la mère de toutes les réformes », comme le Premier ministre se plaît à appeler ce texte, je souhaiterais quelques éclaircissements sur le déroulement de nos travaux.

Hier soir, l'examen du projet de loi relatif à l'autonomie financière des collectivités a été interrompu pour permettre à la commission des lois de se réunir afin d'examiner les amendements au présent texte. Nous avons alors constaté qu'une partie de nos amendements n'étaient pas parvenus à la commission, dont le président nous a indiqué qu'il envisagerait une nouvelle réunion de la commission au titre de l'article 91 du Règlement. Nous aimerions savoir quand celle-ci aura lieu. Si l'on s'en tient à une interprétation stricte du Règlement, elle peut avoir lieu avant le début de l'examen des articles, ce qui risque en l'espèce de n'être guère avant minuit. Cela ne paraît pas convenable et peut-être la commission pourrait-elle se réunir après l'examen des deux premières motions de procédure.

M. Didier Migaud - Rappel au Règlement en vertu également de l'article 58. Je tiens à saluer les six députés UMP, sept en comptant le président de la commission des lois, présents dans l'hémicycle pour entendre le ministre de l'intérieur présenter ce que le Premier ministre considère comme « la mère de toutes les réformes », point d'orgue de son mandat...

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - ...qui s'achève !

M. Didier Migaud - C'est bien la preuve que l'organisation du travail du Parlement, placé littéralement aux ordres du Gouvernement, est devenue ubuesque, en totale contradiction avec les discours que nous tenons tous ici sur la nécessité de réhabiliter le travail parlementaire.

Je m'exprime ici en tant que membre de la commission des finances. On nous a dit hier que celle-ci serait à l'origine du retard pris dans l'examen des amendements, ce qui aurait empêché la commission des lois de se réunir. Je m'en étonne car il n'est pas dans les usages de notre Assemblée que la commission des finances retarde les travaux. Nous aimerions maintenant savoir quand la commission des lois se réunira pour examiner nos amendements. Nous avons montré lors de la discussion du projet de loi relatif à l'assurance maladie, comme hier encore lors de celui relatif à l'autonomie financière des collectivités locales, notre souci d'être constructifs. Nous sommes donc inquiets de la façon dont la commission des lois pourrait écarter l'examen de nos amendements. Nous souhaiterions que le président de la commission puisse nous rassurer.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - Bis repetita placent, je suis donc heureux de pouvoir répéter ce que j'ai expliqué hier soir. La commission des lois s'est réunie hier soir à vingt heures au titre de l'article 88, saisie d'un peu plus de quatre mille amendements répétitifs (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), dont le traitement de texte est à l'évidence l'auteur. Comment expliquer sinon que l'on retrouve, à plusieurs reprises, 170 fois le même amendement signé par un membre différent du groupe socialiste ?

Le droit d'amendement est certes sacré et imprescriptible. Mais, comme le déclarait hier le président Accoyer dans un quotidien du soir...

M. Jean-Pierre Balligand - Quelle référence !

M. le Président de la commission - ...on peut s'interroger sur ce droit, quand l'auteur des amendements est une machine à traitement de texte. Si cette machine a acquis le droit d'amender, il faut nous l'expliquer.

M. Didier Migaud - Grotesque !

M. le Président de la commission - Je n'aurais pas osé le dire, mais comme c'est vous qui avez prononcé le mot, je le reprends : c'est en effet grotesque.

M. Didier Migaud - C'est vous qui êtes grotesque.

M. le Président de la commission - La commission, réunie hier soir à vingt heures, a donc examiné ce type d'amendements avant que je lève la séance à 20 heures 40. De retour en séance publique à 22 heures, vous avez alors expliqué que vous aviez d'autres amendements à présenter qui, perdus dans le labyrinthe du circuit parlementaire, n'avaient pu remonter à temps à la commission des lois. J'apprends à l'instant par un membre de la commission des finances que cette commission pourrait être à l'origine de ce retard, ce que j'ignorais totalement.

M. René Dosière - C'est le président de séance lui-même qui nous l'a dit hier soir.

M. le Président de la commission - Ne l'ayant pas constaté par moi-même, vous permettrez que je m'exprime au conditionnel.

Vous n'ignorez pas, cher collègue Dosière, le texte de l'article 91 alinéa 10 du Règlement. Celui-ci dit que le rapporteur ou le président de la commission jugent si une nouvelle réunion de la commission est ou non opportune. J'ai dit hier soir qu'avant l'examen des articles, c'est-à-dire au terme de la discussion générale, la commission pourrait parfaitement examiner d'autres amendements si ceux-ci sont d'un autre type que ceux examinés jusqu'à présent. Dans le cas contraire, je n'exclus pas, avec le rapporteur, de considérer inutile une nouvelle réunion de la commission.

M. Jean-Pierre Brard - C'est l'arbitraire !

M. le Président de la commission - Monsieur Brard, on ne grandit jamais sa pensée en employant des termes impropres !

M. Jean-Pierre Brard - Savez-vous ce que disait Marx ?

M. le Président de la commission - Je ne veux pas le savoir, car Marx n'est pas ma Bible.

Selon que ces amendements sont ou non dignes de la discussion parlementaire, la commission les examinera ou non. Sachez en tout cas que le Règlement autorise l'une comme l'autre solution. Jusqu'à présent, vous n'invoquez ce Règlement que pour des raisons politiques. Je souhaite, pour ma part, que le débat puisse s'engager sans retard sur ce projet, ô combien important, de décentralisation. Trêve de ratiocinations et d'allégations selon lesquelles nous pourrions limiter le droit d'amendement, éminemment sacré ! Revenons au véritable travail parlementaire, dont nous sommes devant les Français responsables de la qualité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Christophe Caresche - L'attitude du président de la commission n'est pas acceptable. Il a en effet caricaturé notre position. Sur le présent projet de loi, nous avons déposé quelque quatre mille amendements, soit à peine plus que sur le projet relatif à l'assurance maladie, qui a été examiné tout à fait normalement. Le président Debré a d'ailleurs envoyé à tous les députés une lettre de félicitations pour les conditions exemplaires dans lesquelles la discussion de ce texte a eu lieu. Nous souhaitons seulement débattre de la même façon de ce projet de loi de décentralisation.

Nous avons déposé des amendements bien avant que la commission des lois se réunisse. On nous a expliqué hier soir que certains de ces amendements ne pouvaient pas être examinés « pour des raisons techniques », le service de la séance n'ayant pas eu le temps de les traiter dans la mesure où ils avaient été préalablement déférés à la commission des finances au titre de l'article 40. Nous demandons seulement que la commission se réunisse de nouveau pour examiner, comme il se doit, ces amendements, car vous ne pouvez ainsi priver l'opposition de son droit d'amendement.

Votre réponse, Monsieur le président, a été si provocatrice qu'il semble que ce soit vous qui vouliez faire de l'obstruction (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Peut-être souhaitez-vous abréger le débat. Nous souhaitons, pour notre part, qu'il ait lieu normalement, en toute sérénité. Oui ou non, allez-vous réunir de nouveau la commission pour qu'elle termine le travail commencé hier soir ?

Mme la Présidente - D'après mes renseignements, tous les amendements ont été examinés de façon tout à fait normale.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - J'en doute car, si tel avait été le cas, le président de la commission n'affirmerait pas que les 4 000 amendements sont répétitifs ! Surtout, il est inacceptable qu'il prétende que nous faisons n'importe quoi quand nous exerçons nos responsabilités d'élus de l'opposition.

Je prends, modestement, l'exemple du travail que j'ai effectué au sein de notre groupe sur les questions du logement. J'ai du déposer une cinquantaine d'amendements et je conteste qu'ils soient sortis d'une machine à photocopier. Ils portent la marque de nos compétences partagées, ils prolongent des débats que nous avons eus, ils engagent celui qu'a amorcé le ministre de la cohésion sociale. Ce sujet imprime celui de la décentralisation et nous refusons que l'on n'en débatte pas dans ce cadre. Vous ne pouvez donc dire, Monsieur Clément, que ces amendements sont inacceptables ; du reste, la commission des lois en a retenu quelques-uns.

En revanche, hier soir, lors du débat sur la loi organique, aucun de ceux que MM. Balligand, Dosière et Migaud ont défendus avec une rare compétence n'ont été acceptés. En fait un seul l'a été, celui de M. Geoffroy.

M. Didier Migaud - Même quand nous avons repris ceux de la majorité, ils ont été repoussés.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Il y a donc un gouffre entre ce qu'a dit le président de la commission et la réalité de la façon dont l'opposition exerce ses droits.

Nous exigeons un débat de fond, nous ne lâcherons pas, d'autant que l'opposition est majoritaire dans le pays sur ce texte (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Oui, nous voulons que l'on parle de cette décentralisation qui va s'abattre comme une chape de plomb sur nos collectivités ; nous voulons confronter nos conceptions et les vôtres de la liberté et de la démocratie locales. D'ailleurs, nos amendements s'inscrivent pleinement dans la démarche de décentralisation que nous avons toujours portée depuis 1982 et, en le contestant, vous nous insultez non seulement nous-mêmes, mais aussi ceux qui nous ont élus.

C'est donc légitimement que nous voulons connaître la position de la commission des lois sur chacun de nos amendements. Nous n'oublions pas qu'il y a quelques semaines, sur un autre texte, le Gouvernement a déposé un grand nombre d'amendements qui en ont fait tomber des centaines d'autres, de la majorité comme de l'opposition.

Pour l'heure, nous demandons simplement que l'on réponde à notre question : la commission des lois va-t-elle examiner l'ensemble des amendements que nous avons déposés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme la Présidente - Je donne la parole à M. Dosière (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Si vous voulez que le débat s'engage dans de bonnes conditions, mieux vaut laisser M. Dosière s'exprimer encore cinq minutes.

M. Guy Geoffroy - Oui, mais pas plus !

Mme la Présidente - Ensuite, le président de la commission répondra et le débat pourra s'engager.

M. René Dosière - Je suis surpris des propos de la présidence de la commission des lois et de la présidence.

Mme la Présidente - Quelle présidence ? La mienne ? (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. René Dosière - Entre la séance d'hier soir et celle-ci, on apporte des réponses différentes aux mêmes questions... Hier, on nous a dit que nos amendements n'avaient pas été examinés et c'est loin d'être anodin car le Règlement permettrait au ministre de refuser qu'ils le soient en séance, même si M. Copé a dit qu'il ne le ferait pas.

Le président de la commission des lois, qui exerce d'ailleurs une présidence intermittente puisqu'il n'est pas toujours là, nous a dit que ces amendements seraient examinés en application de l'article 91, mais il vient de revenir sur cette position en affirmant qu'ils ne le seraient que s'ils étaient acceptables. Nous ne pouvons admettre cette position à géométrie variable ! Nous persistons donc à demander à quelle heure la commission va se réunir comme c'est la règle. Si c'était avant de passer à la discussion des articles, c'est-à-dire vers 23 heures ou minuit, ce ne serait guère convenable.

La présidence nous a dit hier que nos amendements n'avaient pu être examinés par la commission des lois parce qu'ils étaient encore soumis à la recevabilité financière...

Mme la Présidente - Ils ont maintenant été traités.

M. René Dosière - Je demande donc une suspension de séance pour que l'on puisse faire le point.

M. Jean-Pierre Brard - Ce texte est en quelque sorte un testament puisque son principal auteur sait que ses jours sont comptés. C'est sans doute pourquoi il sort les forceps pour accélérer le processus (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Tout ceci intervient dans un contexte de dérapage de la vie publique qu'illustre en particulier ce qui s'est passé chez Bosch.

M. Jean-Claude Lenoir - C'est la démocratie !

M. Jean-Pierre Brard - Non, c'est le chantage, la contrainte, la rupture du contrat social. Vous devriez relire Rousseau.

M. Jean-Claude Lenoir - Passéiste !

M. Jean-Pierre Brard - Ce débat est le fruit de la volonté du Premier ministre et de lui seul. Il suffit pour s'en convaincre de lire ce qu'ont dit avec justesse le Président de notre Assemblée et d'autres collègues de l'UMP. Je suis persuadé que le député de Valmy, ici présent, ne saurait accepter que l'on bazarde ainsi l'héritage de libertés locales qui trouve ses racines dans le Moyen-Âge et que des générations ont amélioré patiemment.

De même, M. de Villepin, qui est un vrai jacobin n'est sans doute pas prêt à accepter le démantèlement de notre Etat républicain, d'autant que les élections du printemps dernier montrent qu'il n'y a pas consensus à ce propos. Qui plus est, les élections de 2002 se sont déroulées dans des conditions exceptionnelles, qui ne vous permettent pas de tirer des plans à crédit. Si vous êtes des démocrates, vous devez tenir compte de cette réalité et écouter ce qui se dit dans les régions.

Monsieur de Villepin, vous qui fûtes si brillant quand vous parlâtes au nom de notre nation, à New-York, je n'en attends pas moins de vous aujourd'hui (Sourires).

M. le Président de la commission - Je rassure nos collègues socialistes quant à la volonté de la commission des lois de respecter de manière sourcilleuse le Règlement de notre Assemblée.

Mais je rappelle aussi que nous sommes en deuxième lecture, que nous avons déjà examiné 1 650 amendements en première lecture, que le Sénat en a examiné 1 400 et je doute donc qu'il soit possible de les multiplier encore pour préciser votre pensée, aussi féconde fût-elle...

Trois cents amendements ont été examinés lors de la réunion qu'a tenue la commission au titre de l'article 46, jeudi dernier, pendant plus de quatre heures.

M. René Dosière - Vous prétendez que tous les autres sont des doublons ?

M. le Président de la commission - Absolument pas !

Le Règlement de l'Assemblée donne pouvoir au président de la commission et au rapporteur de décider s'il est utile ou pas de réunir à nouveau la commission. Je prends deux amendements au hasard. Le premier a trait au schéma économique, uniquement pour la région Alsace (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Sans doute ne manque-t-il pas d'intérêt mais est-ce bien la peine de réunir la commission pour se demander s'il faut l'accepter ?

Voici un deuxième exemple, qui n'est pas mal non plus : quatre lignes de définition sur les objectifs du développement économique. Puisque vous faites sans cesse référence depuis hier à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, vous savez que rien n'agace davantage le Conseil que ce qu'il appelle le « bavardage législatif », et c'est bien ce que vous faites avec cet amendement. Devons-nous déranger l'ensemble des commissaires aux lois pour déclarer qu'il s'agit de bavardage, donc pour le repousser ? Je n'ai procédé qu'à un bref sondage. Nous verrons, au vu des amendements qui nous sont proposés, si nous devons réunir la commission.

Si vous voulez travailler de façon raisonnable, commençons la discussion générale, et, à la lumière des amendements qui nous seront parvenus, nous réunirons s'il le faut la commission avant l'examen des articles. Soyez assurés que nous respecterons scrupuleusement le Règlement.

Mme la Présidente - Monsieur Dosière, maintenez-vous votre demande de suspension ?

M. René Dosière - Plus que jamais ! C'est bien la première fois qu'on entend le président de la commission des lois dire qu'il la réunira ou non selon qu'il jugera que les amendements sont acceptables ou pas ! C'est invraisemblable ! Je vous demande, Madame la présidente, de saisir le Président de l'Assemblée ! Il est impossible d'être soumis ainsi au bon vouloir du président de la commission !

M. le Président de la commission - C'est le Règlement !

La séance, suspendue à 15 heures 30, est reprise à 15 heures 45.

M. René Dosière - A la suite de la réunion de mon groupe, j'aimerais savoir quel sera le sort réservé à nos amendements : viendront-ils tous en séance, du moins tous ceux qui auront été déclarés recevables ? Le Gouvernement fera-t-il usage de la possibilité qu'il a, en vertu de l'article 44 alinéa 2, de s'opposer à l'examen de ceux qui n'auront pas été antérieurement examinés en commission ?

Mme la Présidente - Je réponds oui à la première question et laisse à M. Copé le soin de répondre à la seconde.

M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur - L'esprit du Gouvernement est le même qu'hier, avant-hier et tous les jours qui ont été consacrés au débat sur la décentralisation, c'est-à-dire un esprit d'ouverture, de dialogue et de respect des droits du Parlement. Nous voulons que le débat progresse et aboutisse in fine à l'adoption de ce projet de loi, qui réclamera ensuite encore un long travail pour être applicable au 1er janvier. Dans cet esprit, le Gouvernement n'entend pas, à l'heure où je vous parle, faire usage de l'article 44 alinéa 2. C'est pourquoi je vous propose d'entrer dans le vif du sujet.

Mme la Présidente - La parole est à M. le ministre de l'intérieur...

M. Didier Migaud - M. Lurel avait demandé la parole pour un rappel au Règlement.

Mme la Présidente - Après le ministre (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Didier Migaud - Ce n'est pas normal !

M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Nous sommes le jeudi 22 juillet...

M. Didier Migaud - Où est le Premier ministre pour la « mère des réformes » ?

M. le Ministre - Le soleil est à son apogée, la France veille et nous regarde peut-être. Hélas, la Grande Boucle approche de sa fin, sur les Champs Elysées. Un Américain va peut-être gagner. Et dans la sérénité de cet hémicycle, nous œuvrons, Parlement et Gouvernement, à la tâche, convaincus que notre peine n'est pas vaine et que l'histoire de notre pays est en marche.

En politique comme en amour, les préliminaires ont leur importance (Sourires). Nous venons de le voir. Mais entrons maintenant avec audace, imagination et détermination dans le vif du sujet ! (Sourires )

L'objectif du présent projet est d'améliorer l'efficacité de l'action publique, à laquelle participent les collectivité locales et les services déconcentrés de l'Etat. Depuis ma prise de fonctions au ministère de l'intérieur, j'ai toujours dit mon souhait de mettre en œuvre cette réforme dans les délais prévus, soit au 1er janvier 2005, étant entendu que l'entrée en vigueur de la loi impliquera environ cinquante décrets d'application. Soyez assurés de ma volonté de travailler avec les élus locaux dans un esprit de confiance. Cela exige de la part du Gouvernement une grande clarté sur les responsabilités nouvelles qui seront confiées aux collectivités locales et sur les moyens qu'elles recevront à cet effet. Cela exige aussi que nous leur donnions le temps indispensable pour qu'elles s'organisent.

La décentralisation doit constituer un puissant levier de la réforme de l'Etat. C'est pourquoi la déconcentration et la réorganisation des services de l'Etat au niveau local constituent bien pour moi une priorité. Ce travail de rationalisation de l'action territoriale a déjà eté engagé, mais je souhaite que l'effort soit poursuivi pour que les collectivités territoriales puissent s'adresser à des interlocuteurs qui répondent pleinement à leurs attentes.

Le renforcement de l'échelon régional de l'Etat est en cours. Les modalités d'une nouvelle articulation entre le préfet de région et les préfets de départements ont été précisées. Un important travail de réorganisation des services de l'Etat au niveau départemental complètera celui d'ores et déjà lancé à l'échelon régional. Grâce à ces mesures, la décentralisation ne remettra pas en cause la cohérence de l'Etat, dont l'unité sera réaffirmée.

Cette deuxième lecture a été précédée d'une réelle écoute de la part du Gouvernement. Le Premier ministre avait lui-même engagé les discussions en recevant les présidents de conseils régionaux le 19 avril. Il les a poursuivies en recevant à nouveau ces derniers le 6 juillet, après la deuxième lecture du texte au Sénat. M. Copé et moi avons rencontré les associations représentatives d'élus et les organisations syndicales. Enfin, un travail approfondi a été mené avec les commissions parlementaires concernées.

Lors de cette concertation, nous avons été clairs sur deux points essentiels : il n'est pas question de remettre en cause le principe même de la réforme, ni ce qui a déjà été voté, à savoir les 135 articles adoptés conformes par l'Assemblée nationale et le Sénat. Nous devons aujourd'hui apporter les modifications qui nous semblent indispensables, mais sans bouleverser l'économie générale du texte.

La deuxième lecture du Sénat a enrichi le projet, sans en changer l'esprit. Le Sénat a souhaité élargir le champ des expérimentations. Celles-ci permettent, vous le savez, d'assouplir la mise en œuvre du transfert de compétences. Elles permettent surtout, avant généralisation, d'en évaluer les résultats. Le transfert de la Protection judiciaire de la jeunesse pourra ainsi être expérimenté par le département qui le souhaitera. La gestion des fonds européens pourra être attribuée aux régions qui le demanderont. Dans le même esprit, un amendement sénatorial a prévu l'application expérimentale, dans un premier temps, d'un schéma régional de développement économique (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Cet amendement répond à la crainte de certains élus de voir la région exercer une tutelle sur les autres niveaux de collectivités...

M. René Dosière - C'est le passage à gauche des régions qui vous a fait changer votre texte !

M. le Ministre - L'esprit de la décentralisation n'est pas de créer une hiérarchie entre les niveaux de collectivités. Il était donc tout simplement plus prudent d'expérimenter une telle réforme avant de la généraliser.

M. René Dosière - Entre temps, le corps électoral s'est prononcé.

M. le Ministre - Cette expérimentation permettra de dresser un bilan dans cinq ans. Nous souhaitons donc que la rédaction de l'article premier issue des travaux du Sénat soit maintenue par l'Assemblée nationale.

Le Sénat a modifié certaines dispositions concernant les communes et les établissements publics de coopération intercommunale. Avec l'accord des maires, un président d'EPCI compétent en matière d'habitat pourra se voir déléguer, sous le contrôle du préfet, le contingent préfectoral de réservation de logements sociaux (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Et les communautés de communes pourront, sans condition de seuil, solliciter une délégation des aides à la pierre, dès lors qu'elles auront élaboré un programme local de l'habitat. Une procédure allégée dudit programme sera instituée, notamment en cas d'extension de périmètre de l'EPCI.

Vous allez maintenant débattre de toutes ces questions. Avant de conclure, je voudrais saluer le travail remarquable de la commission des lois, en remerciant tout particulièrement son président, M.Clément, et son rapporteur, M.Gest, pour leur précieuse contribution à ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Nous arrivons, je l'espère, au terme de ce long processus législatif, qui va durablement modifier le paysage institutionnel de notre République, désormais décentralisée. Au cours du débat, nous aurons l'occasion de vous apporter toutes les garanties sur les compensations financières des transferts de compétences, de rappeler la volonté du Gouvernement de respecter les principes désormais constitutionnels de l'autonomie financière des collectivités territoriales et de la compensation à l'euro près. Nous vous confirmerons aussi notre souci que les transferts de personnel s'effectuent dans les meilleures conditions possibles. Cette loi doit marquer une étape importante dans l'amélioration des services rendus à nos concitoyens, et je sais que votre assemblée a conscience de l'importance de cet enjeu (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Victorin Lurel - Rappel au Règlement !

M. Guy Geoffroy - Fondé sur quel article ?

M. Victorin Lurel - Sur l'article 58, concernant le déroulement de notre séance. J'aimerais en effet comprendre comment fonctionne notre Assemblée. Alors que du travail m'attend dans mes fonctions de président de région, j'ai fait 8 000 kilomètres pour participer à ce débat. Nous avons été reçus le 22 juin par M. Copé, ici présent, et Mme Girardin, ministre de l'outre-mer. J'étais représenté par mon deuxième vice-président, ancien député, M. Ernest Moutoussamy. Nous avons été reçus le 6 juillet par M. le Premier ministre, qui nous a demandé d'adresser nos amendements au Gouvernement, lequel en ferait son affaire. Or j'apprends à l'instant que Mme la ministre de l'outre-mer vient de déclarer sur RFO que le Gouvernement refusera les amendements déposés par les quatre présidents de région d'outre-mer, au motif qu'il y aurait un problème juridique ; pourtant, les amendements qui ont été acceptés au Sénat n'ont pas soulevé de querelle juridique, et la commission des lois de l'Assemblée nationale a accepté les amendements déposés notamment au sujet du transfert des TOS .

M. Guy Geoffroy - Ce n'est pas un rappel au Règlement...

M. Victorin Lurel - M. Accoyer lui-même a dit que le Gouvernement pourrait accepter cela en l'état. Pour ma part, j'ai déposé avec beaucoup de collègues des amendements qui n'ont pas été examinés par la commission. Je demande donc à son président d'accepter de les examiner avant que nous abordions la discussion des articles (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président de la commission - Je n'ai toujours pas été saisi de ces amendements.

Mme la Présidente - Je suis très étonnée de votre réponse.

M. René Dosière - Je comprends de plus en plus mal. Certains amendements, qui tendent à donner aux DOM un délai supplémentaire pour le transfert des TOS, ont été acceptés par la commission.

M. Guy Geoffroy - Vous avez voté contre ! Ayez au moins le courage de le dire !

M. René Dosière - Si la ministre est opposée à ces amendements, il me paraît important qu'elle vienne nous expliquer pourquoi.

M. le Président de la commission - Je présente mes excuses à notre collègue de la Guadeloupe : j'ai cru qu'il évoquait des amendements nouveaux. Nos collègues de l'outre-mer, dont j'ai admiré la patience d'avoir, lors de notre réunion, attendu près de quatre heures avant de pouvoir s'exprimer, ont défendu des amendements que, sans aucune pression de quiconque, la commission n'a pas retenus. On ne peut pas faire grief au Gouvernement d'avoir constaté cette position.

M. Alain Gest, rapporteur de la commission des lois - Avec cette seconde lecture, nous abordons la dernière partie de la deuxième grande étape de décentralisation qu'ont souhaitée le Président de la République et le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, marquée avant tout par l'ampleur de la concertation (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Les grandes lignes de ce texte avaient en effet été présentées par Jacques Chirac au cours de sa campagne présidentielle, et les candidats de l'UMP en avaient fait un engagement lors des élections législatives.

M. René Dosière - Ils sont moins enthousiastes aujourd'hui !

M. le Rapporteur - Dès l'automne 2002, l'organisation des Assises des libertés locales avait permis de recueillir l'avis de 55 000 personnes et suscité environ 600 propositions très concrètes. Faisant suite à cet exemple de démocratie participative (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), le Gouvernement a proposé de doter notre pays d'une véritable organisation décentralisée, dont le principe a été affirmé en tête de notre Constitution par sa révision de mars 2003. Ont découlé de celle-ci une loi organique portant sur le référendum local, une autre sur l'expérimentation par les collectivités territoriales, et une troisième enfin sur l'autonomie financière des collectivités territoriales, dont nous avons achevé l'examen la nuit dernière. Entre l'annonce de ce projet et notre discussion d'aujourd'hui, deux ans et demi ont passé.

M. Jean-Pierre Brard - Un vrai chemin de croix ! (Sourires)

M. le Rapporteur - Comparez avec 1982 : les choses avaient été bâclées en trois mois ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Qui peut objectivement soutenir que le débat n'a pas eu lieu et que nous agissons dans la précipitation ?

M. René Dosière - Demandez aux électeurs !

M. le Rapporteur - Le temps du débat était d'ailleurs parfaitement justifié par l'ampleur de la réforme : celle-ci, loin d'être purement technique, concerne la vie quotidienne de nos compatriotes, du logement au tourisme en passant par les transports et l'action sociale ; elle représente 11 milliards de compétences transférées et concerne 130 000 agents de l'Etat.

Il était donc logique que le Sénat et l'Assemblée nationale aient quelque 3 000 amendements à examiner. En première lecture, notre assemblée avait apporté de notables améliorations, notamment à l'initiative de notre rapporteur Marc-Philippe Daubresse, à qui je tiens à rendre hommage. Le Sénat, en deuxième lecture, a largement cautionné ce travail, en adoptant conformes près de 80 des 197 articles.

C'est dans la continuité de ce travail et dans un esprit d'écoute et de conciliation que la commission des lois a abordé cette deuxième lecture. Peu de sujets faisant l'objet de réelles divergences, votre rapporteur vous proposera le plus souvent de vous en tenir à la rédaction du Sénat.

Le projet s'articule autour de quatre grands axes, dont le principal concerne le transfert de compétences. Avant d'aborder les deux principaux sujets sur lesquels l'Assemblée nationale et le Sénat ont des appréciations différentes, à savoir l'économie et le logement, j'évoquerai les quelques autres points qui suscitent encore des interrogations.

La région est définitivement confirmée comme responsable de la formation professionnelle. Il nous appartiendra, d'une part, de préciser si celle-ci demeure ou non de la compétence de l'Etat s'agissant des Français établis hors de France, et d'autre part, de déterminer si la mission d'accueil, d'information et d'orientation des jeunes et des adultes est également du ressort des régions.

Concernant le volet « infrastructures », la suppression de l'article sur les péages des routes express ayant été confirmée par le Sénat, il nous reste à arrêter les critères régissant la définition du domaine public national. La commission a préféré la vision décentralisatrice qu'avait exprimée le président Clément en première lecture et l'a donc rétablie.

Dans le domaine des grands équipements, le Sénat a supprimé l'expérimentation du transfert des ports que nous avions souhaitée, notamment par souci d'harmonisation avec le transfert d'aérodromes. Nous en débattrons. Pour les aérodromes et les canaux, je vous propose de retenir la proposition du Sénat qui, tout en maintenant la prééminence de la région, accorde une dérogation quand ces infrastructures sont déjà gérées ou concédées par d'autres collectivités, qui garderont priorité pour assumer le transfert.

Nous aurons également à déterminer l'organisation définitive des transports en Ile-de-France, et particulièrement la composition du Syndicat des transports.

En matière d'action sociale, le rôle du département est conforté par la loi. Sur deux points cependant, l'Assemblée manifeste une volonté décentralisatrice plus affirmée que le Sénat : nous souhaitons laisser aux départements le soin de mener la concertation préalable à l'élaboration du schéma de l'action sociale ou médico-sociale, ainsi que la gestion du fonds d'aide aux jeunes en difficulté. Décentraliser, n'est-ce pas accepter de faire confiance à des collectivités qui, depuis vingt ans, ont amplement démontré leur efficacité et leur sens des responsabilités ?

Dans le domaine de l'éducation, la quasi-totalité des articles a fait l'objet d'un vote conforme. La cohérence l'a emporté, s'agissant de la gestion des agents techniciens, ouvriers et de service : elles sera confiée aux collectivités propriétaires des équipements et qui en assurent déjà la maintenance. Cette décision est au reste conforme à ce qui se fait au niveau de la commune, mais également à ce que souhaitait Gaston Defferre en 1982 et à ce qu'a suggéré Pierre Mauroy dans son rapport de 2000. Je vous invite néanmoins à adopter l'amendement présenté au Sénat et visant à laisser à l'Etat le soin d'organiser les concours de recrutement et l'affectation des personnels jusqu'à la rentrée de 2005.

Pour ce qui est de la médecine scolaire, question fort débattue, le Sénat a, à mon regret, confirmé le vote prudent de notre assemblée et maintenu cette compétence à l'Etat. Je persiste néanmoins à penser que la cohérence qui a prévalu pour les TOS aurait dû conduire à confier cette responsabilité aux départements.

Nous avions introduit en première lecture quelques articles répondant à une demande insistante du mouvement sportif. Le Sénat ne nous a pas suivis et je vous proposerai donc de rétablir ces dispositions, relatives notamment à la conférence régionale du sport et au transfert des sports de nature aux départements.

Restent les deux sujets de divergence essentiels : l'économie et le logement. S'agissant du premier, nous avions reconnu à la région le rôle de chef de file, en dépit des craintes exprimées par les autres collectivités de subir une forme de tutelle. La région avait ainsi été chargée d'élaborer un schéma de développement économique. Le Sénat a pris en considération les inquiétudes exprimées en prévoyant des expérimentations pour établir que la liberté des départements et communes n'est en rien menacée, la région se voyant néanmoins confirmée dans son rôle de coordination des initiatives locales. Cette rédaction donnant satisfaction aux associations de communes, dont celle que préside M. Bockel, et à l'Association des départements de France, votre commission l'a retenue. De même, s'agissant du tourisme, nous avons confirmé le choix fait par la Haute Assemblée de maintenir le classement des équipements touristiques au nombre des compétences de l'Etat.

Pour ce qui est du logement, si la deuxième lecture du Sénat a permis de rapprocher les points de vue, des divergences demeurent. Votre commission a réaffirmé sa préférence pour la rédaction de l'article 49 A, s'agissant par exemple du lien entre la gestion des contingents de logements sociaux réservés et les conventions de délégation d'aide à la pierre.

On le voit, le débat porte avant tout sur des transferts de compétences. Pour ce qui est des transferts de personnels et des transferts financiers, la commission s'est contentée de rétablir des outils de transparence financière et d'évaluation.

Le temps est décidément venu de conclure un débat qui nous a déjà occupés pendant vingt-deux mois, d'autant que les positions des deux assemblées se révèlent maintenant assez peu éloignées l'une de l'autre. On peut comprendre que certains, à gauche et, moins nombreux, à droite, rejettent la décentralisation : la position de MM. Chassaigne et Brard, par exemple, a le mérite de la cohérence. Je crains en revanche que d'autres fassent faute route en entravant la réforme de l'Etat. En 1982, l'opposition de l'époque s'était opposée à Gaston Defferre parce qu'elle dénonçait l'insuffisance des ressources transférées. Cette fois, tenant compte des erreurs passées, le Gouvernement a introduit une garantie constitutionnelle et nous venons, hier, de garantir un niveau élevé d'autonomie financière.

M. Jean-Pierre Balligand - Vous étiez absent !

M. le Rapporteur - Non.

En votant ce projet, nous parachèverons cette grande réforme décentralisatrice. Il nous restera alors à faire œuvre de pédagogie, pour faire connaître à nos concitoyens l'organisation territoriale nouvelle et les rôles et compétences des élus locaux. Il sera alors clair que nous aurons conforté le rôle de la région en matière de formation professionnelle, d'infrastructures et de transports, clarifié la responsabilité des conseils généraux en matière d'action sociale et de routes et simplifié le rôle de l'Etat comme de la région. Concluons donc maintenant ce débat, en sorte que cette loi et ses décrets puissent être appliqués dès janvier 2005 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Bertho Audifax - Rappel au Règlement, fondé sur l'article 58. La fin du propos du président Clément n'étant pas dépourvue d'ambiguïté, je tiens à préciser qu'en repoussant l'amendement présenté par le groupe communiste et républicain et par M. Dosière, la commission des lois a accordé aux régions d'outre-mer un délai pour le transfert des TOS. Et je rappelle à l'opposition qu'elle s'est opposée à cette mesure ! (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Victorin Lurel - Cette intervention exige réponse. A la suite d'une réunion de concertation qui s'est tenue le 22 juin au ministère de l'outre-mer, sur les instances du Premier ministre, le bruit a couru à la Réunion que les présidents de région avaient obtenu satisfaction. Un sénateur UMP a alors déposé un amendement, qui a été adopté. Notre commission a fait de même, après débat et malgré l'avis réservé du Gouvernement, M. Accoyer disant pour sa part qu'il ne voyait aucun inconvénient à ce que le texte soit voté conforme. On peut alors s'interroger lorsqu'un ministre, oubliant l'engagement pris, déclare à la radio que le Gouvernement refusera cette disposition ! Je rappelle que le Premier ministre lui-même nous a invités à déposer des amendements, disant que le Gouvernement en ferait son affaire. Le principe d'adaptation, à défaut du principe de dérogation, doit s'appliquer à la Réunion !

Mme la Présidente - Il n'est pas encore temps d'engager ce débat !

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe communiste et républicain une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Guy Geoffroy - Rappel au Règlement !

Mme la Présidente - Plus tard !

M. André Chassaigne - Il y a quelques mois, invités à exprimer leurs choix pour leurs régions et départements, les Français ont nettement désavoué la politique de ce gouvernement. Un projet, pompeusement baptisé « réforme », focalisait alors l'attention : il s'agissait bien sûr des lois de décentralisation. Leur discussion au pas de charge, en pleine campagne, avait mis au jour le désolant mépris dans lequel le pouvoir exécutif tenait la représentation nationale.

Ebranlés par votre déroute, vous vous êtes engagés, non à céder aux exigences du peuple souverain ou aux revendications des nouveaux présidents de région, mais à reprendre l'examen du projet dans des formes un peu plus respectueuses des règles démocratiques. Le 14 avril, lors du vote solennel du texte en première lecture, vous confirmiez, Monsieur le ministre, les mots d'apaisement prononcés par le Premier ministre : après ce vote, disiez-vous en substance, nous pourrons reprendre la discussion afin de définir ensemble les améliorations nécessaires, dans un esprit de confiance et d'ouverture. Aussi attendions-nous sereinement cette échéance, convaincus que nous pourrions enfin débattre des gigantesques problèmes qui résulteront inévitablement pour les départements et les régions de l'accroissement de leurs dépenses obligatoires.

Enfin une discussion sur l'aménagement du territoire, enterré par cette réforme !

Finalement, notre discussion en seconde lecture ne portera que sur des bribes de texte, le Sénat ayant voté l'essentiel des articles conformes, en plein été pour s'assurer de l'indifférence de l'opinion (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), et sous la menace antidémocratique du « 49-3 ». Quelle considération, vraiment pour « la mère des réformes » !

Lorsque je fus élu en juin 2002, j'avais une grande considération pour le travail parlementaire. Depuis, j'ai découvert un mépris incommensurable pour les valeurs de la République (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Ces méthodes de gouvernance, pour employer un mot qui vous est cher, sont choquantes en soi, et d'autant plus scandaleuses sur un texte de cette importance.

Ainsi, nous ne pourrons pas débattre de la décentralisation de la formation professionnelle, d'action sociale et médicosociale, de politique de santé, de protection judiciaire de la jeunesse, de la décentralisation des TOS, ni de politique culturelle. Sur tous ces sujets en effet, le Sénat a voté le texte conforme.

Notre débat estival, ainsi tronqué, sera une humiliation de plus pour le Parlement. Mais il fallait être naïf pour attendre autre chose. Cette forfaiture...(Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Guy Geoffroy - Gardez du vocabulaire pour la suite !

M. André Chassaigne - ...patente dans l'organisation des débats, marque en fait tout le texte. Jamais projet n'a été vendu avec des arguments aussi mensongers, jamais tant de contre-vérités et de faux-semblants n'ont été ainsi psalmodiés, comme vient de le faire le rapporteur !

M. Dominique Le Mèner - C'est Lutte ouvrière !

M. André Chassaigne - Jamais cette décentralisation ne renforcera la libre administration des collectivités ; leur autonomie de gestion sera annihilée ! Pas plus qu'elle ne rendra la gestion publique plus efficace ; du fait de l'enchevêtrement des compétences, des difficultés financières, de la privatisation, les citoyens n'y gagneront que des impôts plus élevés pour des services moindres.

Cette décentralisation n'est plus soutenue aujourd'hui que par les zélateurs les plus intransigeants du néolibéralisme (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Les Français n'ont pas à payer le prix de votre dogmatisme, ils vous l'ont fait savoir ce printemps. Pourtant vous vous obstinez dans cet acte de foi : la décentralisation libérera, dites-vous, les énergies locales et renforcera la sacro-sainte « proximité » entre les élus et le peuple (« Eh oui ! » sur de nombreux bancs du groupe UMP). Si l'on vous écoute, ainsi se reconstituera le lien social rompu par des années de politiques libérales. Mais vous occultez ainsi la véritable rupture, celle de structures sociales entières et de solidarités traditionnelles, de la sécurité sociale aux associations de locataires. Vous réduisez l'analyse au niveau individuel pour éviter qu'on ne mette en accusation le système économique à l'origine de ce gâchis.

En réalité, cette décentralisation amplifiera la dégradation des services publics, réduira encore les solidarités, fragilisera les structures sociales. Seuls en seront satisfaits les froids défenseurs du libéralisme extrême. Votre mère à tous, Margaret Thatcher (Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF), aimait à dire qu'elle ne savait pas ce que signifiait « société » et ne comprenait que le mot « individu ».

M. Michel Piron - Vous vous trompez de génération !

M. André Chassaigne - Vous faites un pas de plus vers le rêve thatchérien d'une société complètement atomisée !

Mme Marie-Hélène des Esgaulx - Le collectivisme, c'est mieux ?

M. André Chassaigne - Votre invocation de la proximité ne traduit qu'une vision consumériste de la politique. N'aurait-on pu en profiter pour renforcer les liens entre démocratie représentative et participative, pour approfondir la démocratie économique ? A aucun moment ces questions ne vous ont effleurés. Vous n'avez jamais cherché à renforcer la démocratie locale au quotidien. En quoi, par exemple, le transfert du CNDP à Chasseneuil-du-Poitou... (Exclamations et rires sur divers bancs)

M. le Président de la commission - Ce n'est pas en Auvergne ?

M. André Chassaigne - ...va-t-il rendre confiance au citoyen dans les valeurs de la République ? Ce n'est qu'une caricature des effets pervers d'une décentralisation, conçue pour satisfaire le clientélisme de potentats locaux.

M. le Rapporteur - Non, c'est la promotion du milieu rural.

M. André Chassaigne - Mais cette réussite du clientélisme, c'est probablement ce que vous appelez l'efficacité.

En fait, vos véritables objectifs sont de diminuer les dépenses publiques, surtout de personnel, et de multiplier les délégations de service public au profit d'une gestion privée décrétée supérieure.

Vous saisissez ainsi l'occasion de faire disparaître 100 000 fonctionnaires des comptes de l'Etat !

M. Xavier de Roux - Et alors ? Ce n'est pas si mal.

M. André Chassaigne - En ne compensant pas totalement ces transferts, l'Etat fera une excellente opération. Votre vision politique ne dépasse pas celle d'un boutiquier (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Cette décentralisation n'est pas faite au profit des collectivités locales, mais dans l'intérêt comptable d'un Etat épicier (Mêmes mouvements)...

M. Guy Geoffroy - Cette attaque contre le petit commerce est indigne ! On le lui fera savoir !

M. André Chassaigne - ...un Etat épicier qui justifie ainsi son empressement à passer en force !

M. Xavier de Roux - Les électeurs s'en souviendront !

M. André Chassaigne - J'espère bien qu'ils se souviendront de mes propos et de votre capitulation ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

A l'évidence, malgré toutes les arguties du Gouvernement, cette décentralisation n'est pas faite pour renforcer le pouvoir local, mais pour diminuer les charges de l'Etat et réorganiser nos institutions autour du principe de concurrence entre collectivités territoriales.

En effet, le transfert massif de compétences va diminuer l'autonomie de gestion des collectivités. Si elles ont pu, il y a vingt ans, lever les ressources nécessaires pour rénover les collèges et les lycées, elles ne pourront plus faire le même effort d'investissement pour les routes, l'action sociale et la formation professionnelle, tant les dépenses de fonctionnement pèsent aujourd'hui sur leurs budgets. Et ce n'est pas en leur transférant 100 000 fonctionnaires qu'on leur donnera des marges de manœuvre : pour certains conseils régionaux, le seul transfert des TOS va quintupler les dépenses de personnel ! Et qui va supporter le coût du remplacement des CES et des CEC des collèges et lycées par des emplois statutaires ?

Nous l'avons vu à l'occasion de la loi organique, la fiscalité locale est injuste et inadaptée. Or, en raison des transferts que vous opérez, son augmentation est inéluctable. Elle sera intolérable pour nos concitoyens.

Pour mieux fuir vos responsabilités, vous en appelez donc à celles des élus locaux. Certes, plus de responsabilité, c'est un meilleur fonctionnement démocratique. Mais vous voulez que les élus locaux aient à rendre compte devant leurs électeurs de décisions dont ils ne sont pas responsables. Les collectivités territoriales ne seront pas responsables des hausses d'impôts locaux consécutives à ces transferts de compétences imposés. Elles ne le seront pas non plus du mauvais état des routes, dû au fait que l'Etat a systématiquement rogné les crédits d'entretien du réseau depuis vingt ans.

M. Michel Bouvard - Qui a été la plupart du temps au pouvoir depuis vingt ans ? Le nom de M. Gayssot vous dit-il quelque chose ?

M. André Chassaigne - Elles ne seront pas responsables de la généralisation, via le RMA, de la précarité au travail ni de l'institution d'un travail quasi forcé.

Face à ces contraintes, terribles, les élus locaux ne tarderont pas à comprendre où l'Etat cherche à les conduire. Menacées d'asphyxie budgétaire, les collectivités devront, inéluctablement, réduire leurs interventions dans des domaines de compétences facultatives comme la politique culturelle ou le soutien aux petites communes et aux associations, ce qui ne pourra qu'exacerber les difficultés sociales de nombre de nos concitoyens. Elles seront poussées, aussi, à réduire la qualité de leurs prestations de service public, en réalisant des économies sur les dépenses de personnel, en rognant sur les dépenses de fonctionnement, et, au final, en déléguant progressivement à des entreprises privées les missions qu'elles ne seront plus à même de remplir.

Votre grand projet ne vise en fait qu'à imposer aux collectivités la même cure d'austérité que s'impose l'Etat. Bel exemple de votre respect du principe de libre administration des collectivités territoriales !

Tout cela prend davantage de sens encore si on le rapproche du nouveau code des marchés publics, notamment des futurs partenariats public-privé. Cette nouvelle procédure autorise l'Etat ou tout autre collectivité publique à confier à un organisme privé, pour une période déterminée, la conception, la construction, le financement, l'entretien, la maintenance et la gestion d'ouvrages ou de services publics. D'un côté, avec la décentralisation, vous poussez les collectivités territoriales à privatiser les services qu'elles ne pourront plus gérer. De l'autre, vous créez le cadre juridique adéquat pour généraliser la privatisation des services publics locaux. Exemple tout à fait éclairant : la construction des brigades de gendarmerie. Les élus sont soumis à un véritable chantage puisque, de fait, les autorisations seront désormais subordonnées à l'appel au privé pour la construction des bâtiments... pour le plus grand bonheur du groupe Vinci, qui s'est spécialisé dans ce genre de montage.

Vous ne cherchez pas à renforcer l'efficacité de la gestion publique. Le secrétaire général du Gouvernement a lui-même indiqué que ces contrats de partenariat peuvent parfois être plus coûteux que les « formes traditionnelles ». Il faut bien, en effet, rémunérer les actionnaires ! Vous cherchez seulement, avec ce dossier si proche de celui de la décentralisation, à dynamiter les modes de gestion publique, afin que votre rêve du tout-privé, du tout-profit devienne réalité.

C'est complètement irresponsable ! La situation budgétaire de beaucoup de collectivités est pourtant assez préoccupante pour ne pas chercher à les étouffer encore davantage. Deux récents rapports des sénateurs François-Poncet et Belot, relatifs à la péréquation interdépartementale et à la péréquation interrégionale, ont mis l'accent sur l'ampleur des inégalités financières entre collectivités et sur les profondes difficultés, au regard de leurs charges obligatoires, de certains départements. Ces sénateurs, pourtant membres de l'UMP, n'analysent d'ailleurs l'autonomie de gestion des collectivités qu'en mesurant la part des ressources « dont elles disposent encore après déduction des charges qui leur sont imposées par la loi, c'est-à-dire la bonne exécution des compétences obligatoires dont elles ont reçu la charge. » Seule la différence entre leurs recettes et leurs dépenses obligatoires constitue la marge de manœuvre qu'elles peuvent mettre à profit pour mener une politique plus généreuse, que ce soit dans les domaines imposés par la loi ou dans des domaines de compétences facultatives, poursuivent en substance MM. François-Poncet et Belot. Cette évidence, vous vous êtes pourtant obstinés à ne pas la reconnaître lors des débats sur l'autonomie financière des collectivités.

Les inégalités de ressources et de charges existant entre collectivités auront immanquablement pour effet d'attiser la concurrence entre elles. Vous espérez sûrement des plus riches qu'elles se lancent dans une course au moins-disant fiscal, afin de leur donner l'occasion de punir les plus pauvres d'être si pauvres (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Piron - Outrancier !

M. André Chassaigne - Votre objectif est bien de renforcer l'attrait de certains territoires en accélérant la désertification des autres... sûrement au nom des valeurs de la République ou de l'aménagement équilibré du territoire.

En dépit de ces inégalités financières, et bien que certaines collectivités soient confrontées à des difficultés quasi insurmontables sans une revalorisation immédiate des dotations de péréquation, vous n'hésitez pas à leur transférer de nouveaux blocs de compétences sans compensation intégrale ni pérenne. Les fractures territoriales en seront renforcées, la concentration des activités et des richesses, au sein de quelques pôles urbains, encore accentuée. La République et ses valeurs seront une nouvelle fois bafouées.

Au-delà, vous poursuivez avec ce texte d'autres objectifs, inavoués. Vous souhaitez adapter l'intervention de l'Etat aux mutations du capitalisme (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Mme Marie-Hélène des Esgaulx - Quel raisonnement archaïque ! C'est toujours la même chose !

M. André Chassaigne - Nous sortons d'une époque où chaque nation pouvait fonctionner de manière autonome sur le plan économique autour de son Etat et de son territoire. La politique gaullienne, en France, à laquelle vous ne cessez de vous référer...

M. Eric Raoult - Et que vous avez, ô combien, combattue !

André Chassaigne - ...en fut un bel exemple. Dois-je vous rappeler la création de la DATAR, la politique d'investissements industriels dans l'ouest de la France, avec Citroën à Rennes par exemple, l'enracinement de services publics comme la Poste ? La combinaison du pouvoir de l'Etat et des grandes entreprises assurait une régulation globale du système politique et économique. Ces structures ont été bouleversées par la financiarisation de l'économie, dont le pouvoir acquis par les fonds de pension dans la gestion des entreprises et leurs exigences de rentabilité à deux chiffres est le parfait symbole. Les populations en subissent durement les conséquences, faites de licenciements, de fermetures d'usines et de rupture des solidarités entre les travailleurs.

M. Guy Geoffroy - Que d'amalgames !

M. André Chassaigne - Votre projet de décentralisation consiste, ni plus ni moins, à redéfinir en profondeur les modes d'intervention et les missions de l'Etat, pour achever son adaptation à une économie globale et financiarisée. Dans ce contexte, l'Etat n'a plus à réguler, notamment en soutenant la demande par le pouvoir d'achat, mais seulement à superviser le bon fonctionnement de marchés financiers globalisés et à gérer les contraintes mondiales consécutives à ces mutations, en désertant le terrain économique.

Les contradictions de ce système sont pourtant évidentes. Les scandales financiers, les délocalisations, les krachs boursiers, les guerres et les conquêtes impériales modernes émaillent la vie de ce système à bout de souffle. Vous-mêmes, le nez contre la vitre, êtes obligés d'en convenir. Vous avez dû intervenir pour préserver, provisoirement, l'avenir d'entreprises aussi importantes qu'Alstom. Vos amis, aux Etats-Unis, ont provisoirement dressé des barrières douanières pour protéger leur industrie sidérurgique.

L'Etat a pourtant longtemps été un lieu où des gouvernements, démocratiquement élus, avaient le pouvoir effectif de définir les orientations sociales et économiques de la nation. C'est précisément parce qu'il autorisait une intervention, fût-elle très parcellaire, des citoyens dans les affaires économiques, que nous n'acceptons pas son démantèlement. Ce n'est pas par hasard que les Français ont pu arracher, notamment après-guerre, même sous celui qui vous a si longtemps inspiré, le général de Gaulle, tous les droits économiques et sociaux que vous remettez en cause aujourd'hui (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Aucune collectivité territoriale n'aura, elle, le pouvoir financier ou juridique, d'affronter une multinationale. En Auvergne, je n'ai jamais vu un élu local oser affronter Michelin. Seul l'Etat avait encore le pouvoir de le faire. Pour combien de temps, au vu de vos projets ?

Contrairement à ce que vous prétendez, votre décentralisation ne vise pas à mieux satisfaire les besoins de nos concitoyens, mais à organiser l'impuissance politique des institutions élues au suffrage universel. Comme s'il s'agissait d'institutionnaliser et de pérenniser l'impuissance des autorités publiques face aux licenciements boursiers, face au cynisme des Lu, Michelin, Metaleurop, Lustucru et consorts !

Les véritables décisions, déterminantes pour l'avenir des Français comme de tous les Européens, seront prises dans des institutions où le contrôle démocratique est soit nul - je pense à la Banque centrale européenne -, soit trop faible pour que les intérêts des multinationales puissent être contrés - je pense aux autres institutions européennes. Le projet de Constitution européenne, soutenu avec tant de vigueur par le Gouvernement, parachève, quant à lui, cette nouvelle construction politique, libérale et antidémocratique, que les élites européennes comptent imposer aux peuples du vieux continent.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx - On s'éloigne du sujet !

M. André Chassaigne - Si vous pensez que disant cela je m'éloigne du sujet, c'est que vous ne comprenez rien à la décentralisation ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Mme Marie-Hélène des Esgaulx - Scandaleux !

M. André Chassaigne - Les régions, lieu d'enracinement et de gestion de ces politiques européennes, n'auront évidemment aucun pouvoir sur les questions essentielles.

Parce que votre projet cherche, avant tout, à disjoindre les lieux de pouvoir effectifs des lieux d'expression démocratique, nous le rejetons de la manière la plus ferme qui soit. Nous ne voulons pas, comme vous, favoriser l'impuissance du politique. La démocratie ne se brade pas comme vous la bradez ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Au vu de cette analyse rapide (Mêmes mouvements), et sans entrer dans le détail des articles de votre projet de loi...

M. Jean-Pierre Balligand - Ce sera pour la semaine prochaine !

M. André Chassaigne - ...il est clair que ce projet de loi contrevient aux principes d'égalité, de souveraineté, de libre administration des collectivités territoriales, et j'en passe. Son inconstitutionnalité est donc manifeste (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. le Rapporteur - Je répondrai très courtoisement à M. Chassaigne dont le propos n'aura étonné personne, puisqu'il n'aura fait que confirmer la position centralisatrice, hyper-jacobine, du groupe communiste et apparentés. Même si je respecte, sans les partager, ses convictions, il me faut rétablir certaines vérités.

Comment pouvez-vous, après plus de vingt-deux mois de discussions, et après que la plupart des amendements ont déjà été examinés, parler de débat tronqué ? Comment pouvez-vous, alors que cela figurait dans tous nos engagements des campagnes législatives et présidentielle, et que ce projet trouve son origine dans le discours prononcé par Jacques Chirac en février 2002 à Rouen, prétendre que nous n'avons pas été élus pour cela ? Comment pouvez-vous, alors que nos concitoyens ignorent largement le fonctionnement de nos institutions locales, ce qui m'a amené à proposer de renforcer l'information à ce propos, dire que c'est le rejet de ce texte qui explique le résultat des élections de mars dernier ? Vous le savez : ce qu'ils ont sanctionné, c'est une politique qu'ils n'apprécient pas encore à sa juste valeur (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

S'agissant de la prétendue dégradation des services publics et de la montée des inégalités, je rappelle que, depuis le début de la décentralisation, les dépenses sociales des départements ont augmenté de 145 % et qu'ils ont dépensé trois fois plus que cet Etat sauveur dont vous attendez tant. En Auvergne comme ailleurs, j'imagine que l'état des lycées et des routes départementales s'est bien amélioré. Bref, tout montre le contraire de ce que vous avez affirmé !

Je comprends par ailleurs que vous craigniez une hausse des impôts locaux : le Gouvernement que vous avez soutenu de 1997 à 2002 a été à l'origine des augmentations actuelles, par le transfert de l'APA, celui des SDIS, etc. Mais cette fois des précautions ont été prises avec la garantie constitutionnelle et avec l'autonomie financière des collectivités locales.

Quant aux routes nationales, si je comprends bien, vous constatez leur dégradation mais vous voulez que rien ne change... Moi, je fais confiance aux départements qui vont se voir confier 3 à 5 % de patrimoine routier en plus - peut-être plus en montagne.

M. Michel Bouvard - Beaucoup plus !

M. le Rapporteur - Enfin, vous ne m'avez convaincu ni en essayant en conclusion de raccrocher votre propos à l'inconstitutionnalité de ce texte, ni en dénonçant l'impuissance du politique : à partir des lois voulues par les socialistes il y a vingt-deux ans, les collectivités territoriales ont fait la démonstration de leur capacité à décider localement, à améliorer le patrimoine et la condition de l'ensemble des Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Ministre délégué - Je n'ai pas reconnu André Chassaigne : l'interlocuteur précis, attentif, courtois qui fut le mien lors du débat sur la loi organique s'est montré cette fois agressif (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste), usant même de propos qui m'ont blessé, comme quand il a parlé de « forfaiture » (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Je regrette qu'il ait pris ainsi le risque, sur un tel sujet, que la forme ne dénature le fond.

Mais sur le fond aussi, nous sommes en désaccord total, et c'est pourquoi j'inviterai l'Assemblée à repousser cette exception d'irrecevabilité.

Non, la république décentralisée ne porte pas atteinte à la libre administration des collectivités locales. Notre objectif est de donner aux acteurs de terrain les moyens de combattre plus efficacement les inégalités, en tenant compte du fait que la situation n'est pas la même dans un centre-ville, un quartier sensible ou une zone rurale, ni dans le nord, le sud ou le centre de la France. L'Etat doit donc veiller à appliquer le principe de solidarité pour permettre aux élus locaux de faire la preuve de leur dynamisme et de leur courage, car personne ne saurait être plus efficace qu'eux.

Vous avez par ailleurs foulé aux pieds le travail accompli jusqu'ici et prétendu que le vote conforme de certains articles par les deux assemblées était un « déni de démocratie ». Bien au contraire, c'est la preuve que le travail effectué en amont a été fructueux et que l'on a pris le temps de parvenir à un consensus. Dix-huit mois de travail, des assises décentralisées, la mobilisation de milliers d'élus, la consultation des syndicats et des associations d'élus, c'est ce qui a donné ce résultat législatif de qualité, conforme à l'attente de nos concitoyens.

Non, Monsieur Chassaigne, la libre administration des collectivités locales n'est pas en péril puisque l'autonomie financière permettra aux collectivités d'organiser leur gestion ! Non, la décentralisation ne porte pas atteinte aux grandes valeurs républicaines, elle les conforte dès lors que l'Etat joue pleinement son rôle. Car telle est notre philosophie : la décentralisation ne sera réussie que si l'Etat engage sa propre réforme, s'il veille à assurer l'efficacité dans l'exercice de ses missions.

Les élus ont une obligation de résultat à l'égard des électeurs. En mettant en avant la transparence, l'efficacité et la responsabilité, nous saurons, en 2007, leur montrer que nous avons tenu les engagements que nous avions pris devant eux.

C'est en réalité toute une conception de la République qui nous sépare. Nous considérons, nous, que le conservatisme ne doit pas l'emporter sur l'esprit de réforme. Décentraliser, comme le font tous les grands pays modernes, c'est progresser.

Voilà pourquoi je demande à l'Assemblée de repousser l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard - Dès lors que le principe d'égalité qui figure au fronton de nos bâtiments publics est mis en cause, l'inconstitutionnalité est flagrante. Aussi le mot de forfaiture, qui en a fait sauter quelques-uns au plafond, est-il parfaitement légitime. M. Geoffroy a parlé de « raccourci audacieux ». Je le mets plutôt en garde contre les déviations dangereuses qu'il opère en soutenant le texte du Gouvernement. Mieux vaut, Madame des Esgaulx, tenir toujours le même raisonnement, ce que vous reprochez à André Chassaigne, que de ne pas en avoir du tout. Celui de notre collègue repose sur la fidélité aux idéaux républicains.

Chers collègues de droite, vous avez constaté comme moi la brièveté du propos de M. de Villepin. Après quelques jolies formules, il n'y a plus eu grand chose ! Le ministre a affirmé que la compensation se ferait « à l'euro près ». M. Gest, dans un élan d'honnêteté, nous a expliqué ce que cela signifiait : à peu près trois fois plus d'euros, à la charge des collectivités. Les dépenses sociales des départements, a-t-il précisé, ont augmenté de 145 %, contre 52 % pour celles de l'Etat. C'est que les collectivités sont conduites à se substituer à votre Etat défaillant, et donc à augmenter la fiscalité locale. Ainsi, votre texte est une ruse politique pour renvoyer à d'autres la responsabilité et le poids de vos choix. Vous réduisez les charges budgétaires, et en cela vous rompez l'égalité. Le dialogue dont vous vous gargarisez était un argument post-électoral, comme le « baume du Tigre » soulage qui vient de subir un coup douloureux (Sourires). Monsieur le rapporteur, vous avez bien fait de parler d'augmentation des impôts. M. Copé, à ses débuts ici, a soutenu le gouvernement d'Alain Juppé qui a augmenté les impôts, à commencer par l'injuste TVA. Rendons justice à M. Raffarin : lui baisse l'impôt, celui des plus riches (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. le Ministre délégué - Nous l'avons baissé de 10 milliards !

M. Jean-Pierre Brard - C'est bien ce que je dis ! Quand on aime, on ne barguigne pas, on distribue, comme la Semeuse de notre enfance ! André Chassaigne, prétendez-vous, a mis en cause la libre administration des collectivités. Mais que peut-elle signifier sans moyens réels ?

Monsieur le ministre, vous détournez le sens des mots et, sorti de charge, vous pourrez rédiger un dictionnaire des contresens. Conservatisme, pour vous, désigne la fidélité aux valeurs républicaines de solidarité, que nous voulons en effet conserver. Moderniser, dans votre bouche, veut dire démanteler, libéraliser. André Chassaigne a fait passer un grand frisson quand il a appelé à l'aide le fantôme de Mme Thatcher, qui est bien votre idéal (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Mme Marie-Hélène des Esgaulx - Laissez-la tranquille !

M. Jean-Pierre Brard - Ne vous impatientez pas ! Si vous voulez rompre la consigne du bâillon, inscrivez-vous dans la discussion !

Mme Marie-Hélène des Esgaulx - C'est vous qui n'avez rien à dire !

M. Jean-Pierre Brard - Ce n'est pas parce que vous ne comprenez pas ce que je dis que je n'ai rien à dire ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Je considère, malgré le pluralisme qui règne dans notre groupe, qu'il faut voter l'exception d'irrecevabilité.

M. Michel Piron - Moi aussi, j'ai été surpris par la tonalité des propos de M. Chassaigne. Leur forme tranchait avec la modération qu'on vous connaît. L'outrance vous a souvent tenu lieu d'argumentaire, le mot de Talleyrand me revenait à l'esprit : « Tout ce qui est exagéré est insignifiant. »

M. Jean-Pierre Brard - C'est banal !

M. Michel Piron - Ce n'en est pas moins juste ! Sur le fond, vous confondez les lieux et les temps. Les lieux, car en refusant la décentralisation et les réponses de proximité qu'elle apporte pour tenir compte de la diversité des territoires, votre conception de l'égalité se réduit à l'uniformité. Les temps, car vous avez évoqué une société qui a changé depuis cinquante ans, même si ce n'est pas toujours en bien, ce qui doit nous conduire aujourd'hui à redéfinir le rôle de l'Etat.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous rejetons l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. René Dosière - Le groupe socialiste, lui, la votera (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Il serait en effet inconstitutionnel d'examiner votre projet, alors que le Conseil constitutionnel n'a pas encore validé la loi organique, qui ne peut donc pas être promulguée. Or nous aurons à tenir compte des remarques éventuelles du Conseil sur l'application des transferts de compétences. En outre, la rédaction actuelle du projet affaiblit le rôle économique des régions. Cet affaiblissement est affligeant, car il représente une régression de la décentralisation. Il est stupide, car il va à l'encontre de l'évolution générale des pays européens, qui renforce l'échelon régional au lieu de le diminuer comme vous le faites. Il est scandaleux, parce que vous organisez cette régression après les élections régionales qui ont consacré le succès de la gauche. Vous versez ainsi dans la politique avec un petit p, au risque de déconsidérer la politique avec un grand p.

Enfin, ce texte programme une hausse des impôts locaux, car vous transférez pour l'essentiel des compétences dans lesquelles les personnels tiennent une grande place, mais ne sont pas assez nombreux. Or le Gouvernement s'est refusé à toute remise à niveau avant le transfert, laissant cette charge aux collectivités.

Ce n'est pas un projet de décentralisation que vous nous présentez, mais de démembrement de l'Etat. Nous sommes très éloignés de la décentralisation républicaine conduite par Pierre Mauroy.

M. le Ministre délégué - Ah non !

M. René Dosière - Vous invoquez sans cesse le rapport de Pierre Mauroy. Or ce rapport n'est pas son œuvre personnelle, c'est celui d'une commission pluraliste (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) qu'il présidait, et que Jean-Pierre Raffarin a quittée avec fracas en affichant son désaccord. Se recommander aujourd'hui d'une commission à laquelle on a refusé hier de participer, c'est un peu abusif ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

Le plus grave est que vous avez réussi cet exploit de déconsidérer auprès des Français cette belle idée de la décentralisation. Cela suffit à nous faire voter l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Jean-Pierre Balligand - Alors que s'engage la deuxième lecture de ce projet, je ressens toute l'ampleur de ma tâche : donner au Gouvernement et à sa majorité une ultime chance de surseoir à l'examen de ce texte et mettre ainsi un terme - ne serait-ce que provisoirement - à une entreprise contestée aussi bien sur le fond - par les élus locaux - que sur la forme - par le Conseil constitutionnel.

Ce débat intervient dans un contexte politique et institutionnel chargé, qui n'excuse en rien le Gouvernement mais constitue plutôt une circonstance aggravante, tant il témoigne de l'obstination de ce dernier, voire de sa surdité face aux enjeux de la décentralisation.

Les faits méritent d'être rappelés, alors que nous touchons au terme d'un parcours qui aura duré plus de deux ans.

Le 10 avril 2002, le Président de la République tient à Rouen, sur la décentralisation, des propos empreints des meilleures intentions mais qui, rétrospectivement, apparaissent comme autant de perles d'anthologie : « Si la France veut rester une grande démocratie, elle doit lancer la révolution de la démocratie locale et construire la République des proximités » ; « faire dépendre plus de la moitié des ressources des collectivités locales de dotations de l'Etat, les subordonner au vote annuel du Parlement et vouloir encore aggraver la situation en privant les collectivités du produit de la taxe d'habitation, c'est la négation même de toute responsabilité démocratique et de toute liberté locale » ; « rendre impossible tout investissement local de quelque ampleur sans la mise en jeu de subventions d'autres collectivités et de l'Etat, c'est diviser pour mieux régner en empêchant l'épanouissement d'une démocratie locale pleinement autonome ».

Je m'arrête là pour ne pas accabler davantage le Gouvernement juste après le vote d'un projet de loi organique censé protéger l'autonomie financière des collectivités territoriales mais qui les expose au contraire au bon vouloir de l'Etat.

Un an plus tard, le 28 février 2003, clôturant les Assises des libertés locales, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin tenait également un discours, dont il n'est pas mauvais de rappeler quelques termes, tant il s'en est éloigné par la suite : « II est grand temps de démêler l'enchevêtrement des compétences et des niveaux qui dilue beaucoup trop les responsabilités » ; « transférer les compétences n'est rien si les financements ne suivent pas. La décentralisation ne sera pas un jeu de dupes. Nous ne décentraliserons pas les déficits, ou les charges galopantes » ; enfin, cette perle des perles, « la région sera le chef de file pour les interventions économiques. Les aides aux entreprises que gèrent les services déconcentrés de l'Etat doivent être transférées aux régions ».

M. René Dosière - Ça, c'était avant les élections !

M. Jean-Pierre Balligand - Comme quoi on peut tout dire en politique, l'essentiel étant que l'on vous croie...

M. Xavier de Roux - Vous en savez quelque chose !

M. Jean-Pierre Balligand - Le 28 mars 2003 fut promulguée la loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République. Je vous rappelle que les socialistes avaient voté contre, car vous avez un peu trop tendance à arguer de cette première étape législative pour justifier le tour pris par votre réforme. Un an et demi s'est écoulé depuis, et les belles intentions ont fait place à l'organisation chaotique que l'on sait.

M. Jean-Pierre Brard - Et aux désillusions !

M. Jean-Pierre Balligand - Je vais y venir. Les transferts de charges ont précédé, parfois de plusieurs mois, les lois organiques prévues par la Constitution pour préciser la loi constitutionnelle. Le cas est particulièrement flagrant pour la loi portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité, qui a été promulguée le 18 décembre 2003, alors qu'aucun projet de loi organique n'avait encore été examiné par notre assemblée !

Statuant le 29 décembre 2003, le Conseil constitutionnel a d'ailleurs reconnu que la méconnaissance des dispositions de l'article 72-2 de la Constitution « ne peut être utilement évoquée tant que ne sera pas promulguée la loi organique qui devra définir les ressources propres des collectivités territoriales ».

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - « Promulguée » !

M. Jean-Pierre Balligand - Il a aussi inscrit dans ses considérants une obligation pour l'Etat « de maintenir un niveau de ressources équivalent à celui qu'il consacrait à l'exercice de cette compétence avant son transfert », obligation qu'il faut considérer comme une critique majeure apportée à la manière de procéder du Gouvernement.

Pour notre part, nous avons réclamé à cor et à cri que le projet de loi organique, censé apporter les garanties financières aux collectivités locales, soit enfin inscrit à l'ordre du jour du Parlement, conformément aux desiderata du Conseil constitutionnel, avant que soit abordée la lourde étape des transferts massifs de compétences.

Ce n'est pas ce que vous avez fait : le projet de loi relatif aux responsabilités locales a été déposé le 1er octobre 2003 sur le bureau du Sénat, alors que le projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales ne l'a été que le 22 octobre 2003 à l'Assemblée nationale, puis a été discuté en commission de lois le 14 avril 2004 et examiné en séance publique à partir du 12 mai 2004 - cependant que la loi ordinaire, de son côté, avait déjà été adoptée en première lecture !

Beau respect de la logique législative et des procédures en vigueur ! Bel hommage au travail parlementaire !

Outre cet incroyable désordre calendaire, les positions du Gouvernement n'ont cessé de varier sur le fond. En fonction de l'auditoire, selon la pression des lobbies ou au gré d'arrière-pensées politiciennes mouvantes, des promesses ont été faites puis retirées - sur la médecine scolaire, sur la possibilité de péages routiers et urbains, ou encore sur le rôle de chef de file en matière économique.

Les ambitions proclamées - que pouvait partager le décentralisateur que je suis - sont hélas restées lettre morte : foin de la réforme démocratique annoncée, foin de la lisibilité des compétences, foin d'une véritable autonomie financière des collectivités locales, foin de la concertation avec les élus et les syndicats, foin du respect du vote des citoyens, foin du renforcement promis de l'intercommunalité !

M. Michel Piron - Quelle fenaison ! (Sourires)

M. Jean-Pierre Balligand - Cela fait pourtant dix ans que l'on dénonce le télescopage des compétences et que l'on répète que le citoyen doit comprendre qui fait quoi. On allait voir ce qu'on allait voir, la « mère de toutes les réformes » allait tout clarifier ! Il n'en est rien et je puis vous annoncer qu'avec ce texte nous courons à la catastrophe.

Vu d'ici, le prétendu acte II de la décentralisation apparaît en réalité comme une succession de saynètes sans cohérence, enchaînées sans fil directeur et jouées sans filet. Bref, en guise d'acte II, c'est la Ligue d'improvisation plutôt que la Comédie française...

M. Jean-Pierre Brard - Eh oui !

M. Jean-Pierre Balligand - Cela pourrait prêter à sourire si les enjeux n'étaient pas aussi importants et surtout si le pouvoir en place n'avait pas été par deux fois désavoué publiquement par les Français.

M. Jean-Pierre Brard - Et durement.

M. le Rapporteur - Aucun rapport avec ce texte ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Pierre Balligand - Le 28 mars 2004, les élections régionales et cantonales ont été l'occasion d'un camouflet historique pour le Gouvernement, ainsi que d'un renversement sans précédent de l'équilibre territorial existant entre les forces politiques traditionnelles. Les Français ont sciemment mis aux commandes des lieux où doit s'accomplir votre action décentralisatrice un contre-pouvoir d'exception... (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Rapporteur - Quel aveu !

M. Jean-Pierre Balligand - ...forgé dans l'expression démocratique. La physionomie politique de la France a profondément changé du jour au lendemain, faisant naître, face à une hégémonique majorité parlementaire, l'ébauche d'une nouvelle majorité territoriale.

Alors que le Premier ministre promettait par écrit, dès le 1er avril - la date aurait dû nous alerter -, de « consulter les présidents des groupes parlementaires et les présidents des associations d'élus » pour décider de la suite à donner au calendrier comme au fond de sa réforme, le débat parlementaire a finalement suivi son cours sans changement notable. L'Association des régions de France a été reçue en audience par Jean-Pierre Raffarin le 19 avril pour exprimer sa position sur un texte... déjà voté depuis cinq jours ! Aucune réunion de travail n'a alors été programmée, malgré la demande des élus, jusqu'à ce qu'un nouvel échange intervienne, le 6 juillet dernier, dans des conditions matérielles contestables.

Les vœux pieux, les promesses d'attention, d'écoute et de rencontres - qui n'ont eu lieu ni dans les temps, ni dans les termes, ni dans les lieux indiqués - ont donc laissé la place au dédain coutumier du Gouvernement envers des scrutins dits « intermédiaires », des échelons de gouvernement jugés secondaires, une expression populaire considérée comme anecdotique...

Bel aveu de faiblesse en vérité pour des chantres de la décentralisation, officiellement soucieux de bâtir une « République des proximités » ! Les régions et les départements de France avaient pourtant bien des choses à vous dire, concernant notamment un transfert des personnels TOS dont ils vous répètent depuis des mois qu'ils ne veulent pas, car ils ne seront pas en mesure d'en assumer la charge.

Ce projet de loi qui est présenté à nouveau à l'Assemblée nationale souffre donc de multiples faiblesses.

Faiblesse politique, tout d'abord. Ce Gouvernement a érigé la proximité et la décentralisation en lignes directrices de sa politique. Or, dans plusieurs domaines sensibles, il leur a tourné le dos. Le décalage entre les discours enflammés de 2002 et 2003 et la réalité de la réforme crève aujourd'hui les yeux.

Chargées à l'origine de la cohérence et de la programmation, les régions, après un amendement du Sénat auquel le Gouvernement a souscrit, ne sont plus responsables du développement économique sur leur territoire, mais en assurent simplement la coordination.

M. Michel Piron - Ce qui n'est pas rien !

M. Jean-Pierre Balligand - Dès l'article premier, non seulement vous revenez sur vos conceptions régionalistes, mais vous organisez la concurrence entre les territoires et entre les structures. Pourtant, lors des assises des libertés locales, le Gouvernement proclamait que l'acte II de la décentralisation allait « muscler » les régions...

Seules les régions, très nombreux sont les élus - de toutes tendances - qui le pensent, sont capables d'organiser des synergies entre universités, laboratoires, entreprises et collectivités locales ; or elles sont dépouillées de cette compétence. Seraient-elles punies d'avoir majoritairement voté à gauche en mars dernier ? Où est l'efficacité, dans ce domaine du développement économique et de l'emploi, si tout le monde peut faire à peu près ce qu'il veut sans cadre normatif sérieux - même l'Etat étant encouragé à passer des conventions financières avec les départements et les villes ? Est-ce cela, la simplification et la lisibilité ?

Le travail du Sénat n'a pas non plus, malheureusement, corrigé vos orientations en matière d'intercommunalité - ici, c'est le président de l'ADCF qui parle.

M. le Rapporteur - Cumul !

M. Jean-Pierre Balligand - Il y a des gens qui travaillent, Monsieur Gest ! Et moi, je n'ai pas été battu aux élections locales...(Protestations sur les bancs du groupe UMP) Certes, cela peut m'arriver aussi.

M. le Président de la Commission - On se rattrape comme on peut !

M. Jean-Pierre Balligand - Plus de 50 millions de Français vivent désormais dans des structures intercommunales, dont plus de 60 % sont fiscalement très intégrées, avec une taxe professionnelle unique et partagée. On aurait souhaité que, dans un texte baptisé pompeusement « acte II de la décentralisation », ce succès des lois Joxe et Chevènement soit sacralisé, tant il est vrai que notre pays a besoin de reconstruire son organisation territoriale autour de deux pivots : la région d'une part, l'agglomération et le pays d'autre part.

M. Xavier de Roux - Mais non !

M. Jean-Pierre Balligand - Le titre IX de ce projet est en fait consacré à des aménagements législatifs, voire à la reprise des dispositifs antérieurs, quand il ne s'agit pas d'intégrer dans le droit positif des jurisprudences du Conseil d'Etat ou des cours administratives d'appel. Là où l'on attendait qu'on établisse politiquement la position déterminante des structures intercommunales, on trouve des dispositions techniques qui simplifient sans doute la vie des élus communaux et intercommunaux, mais surtout celle des fonctionnaires de la direction générale des collectivités territoriales !

C'est indigne de l'élan politique des débuts, surtout quand, avec l'accord du préfet, on autorise une commune à se retirer d'un groupement pour adhérer à un autre, plus offrant sans doute.

M. Xavier de Roux - C'est très bien ! Nous ne voulons pas de carcans ! Nous sommes pour la liberté des communes !

M. Jean-Pierre Balligand - Quant aux transferts de compétences, ils constituent un motif sérieux de désaccord, lequel transcende la ligne de partage entre majorité et opposition parlementaires. Ils vont entraîner au moins 11 milliards de transferts de charges, dont 3 vers les régions et 8 vers les départements.

Certains transferts - 20 000 km de voirie nationale, les ports, les aéroports - sont de bon sens. Mais il en va tout autrement pour les personnels. L'Etat espère transférer les TOS, soit 90 000 à 95 000 agents techniques d'exploitation indispensables aux lycées et collèges ; mais leur nombre est notoirement insuffisant, et cela fait plus de deux ans que l'Etat n'a pas recruté... Pour les collectivités locales, l'alternative est simple : soit recruter entre 35 000 et 40 000 personnes supplémentaires pour couvrir les besoins, soit faire appel à des entreprises privées. Force est de constater une volonté manifeste de punir les collectivités locales (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), notamment les régions, en les asphyxiant. Le déséquilibre entre les charges et les ressources transférées risquent fort de se traduire par la mise en sommeil des politiques novatrices, notamment en matière d'emploi et de soutien à la création culturelle.

En définitive, ce texte est marqué par l'absence totale de souffle politique (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Il est devenu, au fil de ses lectures successives, une juxtaposition de dispositions hétéroclites à caractère administratif. De façon confondante, on transfère des déficits, sans aucune évaluation, parce que l'Etat est incapable de se réformer. Le citoyen sera le grand perdant de cette politique de gribouille. On organise le laisser-faire institutionnel et un marché des compétences, une sorte de « mercato » entre les régions, les départements et les villes, avec comme arbitres les banques et les grandes entreprises, friandes de partenariats avec des collectivités conduites à l'impasse budgétaire.

M. le Rapporteur - A quand l'alliance PS-LO ?

M. Jean-Pierre Balligand - Ce texte de revanche politique, ni pensé ni chiffré, incite la gauche à bâtir un acte III de la décentralisation. Ce ne sera pas une mince affaire, après ce que vous avez fait depuis 2002 pour siphonner les finances locales (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Il faudra sans doute plusieurs années pour redonner du crédit à l'idée même de décentralisation, donner enfin à la démocratie territoriale ses lettres de noblesse et assurer aux élus locaux les garanties qu'ils attendent.

Pour l'heure, je vous invite à adopter cette question préalable. Le Gouvernement aura ainsi tout l'été pour revoir sa copie. Il y va du respect de nos institutions et de la représentation parlementaire, particulièrement malmenée ces temps-ci, mais aussi du respect pour les élus locaux, et à travers eux, pour les Français.

Je terminerai par quelques mots plus personnels. Je suis très chagriné que Jean-Pierre Raffarin, qui fut pendant de nombreuses années vice-président de l'Institut de la décentralisation, et dont je n'ai jamais mis en doute les convictions décentralisatrices, demande au Parlement d'adopter un texte qui n'opère aucune clarification des compétences, mais réalise en revanche un complet démantèlement de l'Etat. Je regrette de constater qu'il aura finalement détruit la belle idée de décentralisation, et que nous aurons beaucoup à faire pour la réhabiliter (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Rapporteur - Je suis moi aussi chagriné, mais pas pour les mêmes raisons.

Personne ici ne contestera votre connaissance personnelle des problèmes de décentralisation. Elle aurait dû vous dispenser d'appréciations personnelles agressives et inutiles - surtout que ce n'est pas la première fois aujourd'hui, et la citation de M. Piron, que vous avez jugée « banale », pourrait s'appliquer encore davantage à vous qu'à M. Chassaigne.

Je m'étonne, d'autre part, qu'aujourd'hui comme hier, vous vous présentiez en confident du Conseil constitutionnel ! Nous ne connaîtrons les éventuelles critiques de celui-ci que lorsqu'il aura examiné le projet relatif à l'autonomie financière des collectivités, voté conforme par le Sénat ce matin - et nous attendons sereinement sa décision.

On aurait selon vous trahi l'esprit initial du projet : celui d'une République des proximités. Mais qu'est-ce d'autre qui aurait pu nous inspirer toutes les dispositions visant à renforcer la démocratie participative, à autoriser les référendums locaux ou à transférer de nouvelles compétences aux départements ? Comment qualifiez-vous le fait de transférer les routes départementales à ces derniers, par exemple ?

Vous soutenez également que cette loi ne contiendrait rien de nature à atténuer l'enchevêtrement des compétences. Je ne donnerai qu'une illustration du contraire : malgré toutes les lois que vous avez votées ou amendées, la formation professionnelle n'était jusqu'ici que très partiellement gérée par les régions alors qu'elle était réputée relever de leurs compétences. Eh bien, ce projet établit désormais cette compétence. Mais je pourrais faire la même observation, s'agissant des infrastructures portuaires, des aérodromes et des canaux ou encore du rôle social des départements...

Cependant, vous avez surtout insisté sur l'économie, en essayant d'accréditer l'idée selon laquelle le rôle de chefs de file attribué en ce domaine aux régions ne faisait nullement débat avant les élections de mars dernier. Même, l'idée aurait à vous entendre suscité l'enthousiasme général...

M. Michel Bouvard - C'est faux : j'y ai toujours été hostile !

M. le Rapporteur - Puisque vous avez cité des personnages illustres, à commencer par le Président de la République, je citerai à mon tour quelqu'un qui l'est un peu moins, encore qu'on ne puisse préjuger de l'avenir. Peu avant les élections, lors du débat de première lecture au Sénat, cette personnalité disait : « La rédaction actuelle du projet suscite quelque scepticisme quant à la marge d'initiative économique qui sera laissée aux communes et à leurs groupements... Malgré l'article 72 de la Constitution, on établit en effet, dans ce domaine, une tutelle de la région sur les autres collectivités et nous pensons donc que cette disposition est profondément inconstitutionnelle. S'il s'agit d'une simple concertation comme il est écrit, les villes auront beau dire, la région décidera souverainement. Elle pourra ainsi exercer un contrôle ou, pis encore, témoigner de son indifférence à l'égard de projets vitaux pour les grandes agglomérations. Monsieur le ministre délégué, je ne voudrais pas qu'on brise l'élan économiques des grandes villes en les mettant sous la tutelle lointaine des régions ! ».

M. le Président de la commission et M. Edouard Landrain - Le nom !

M. le Rapporteur - Il s'agissait de M. Gérard Collomb, qui exerce comme vous le savez quelques responsabilités à Lyon et dans l'agglomération lyonnaise !

M. le Président de la commission - Mais il est marginal au PS...

M. le Rapporteur - Si je l'évoque ici, Monsieur Balligand, c'est pour montrer que vous n'êtes pas unanimes au sein de votre parti. Ainsi encore, M. Lebreton, président de l'Assemblée des départements de France, a publié un communiqué disant que la rédaction actuelle mettait en valeur le rôle économique des départements...

M. Jean-Pierre Balligand - Si l'on prend en compte les lobbies...

M. le Rapporteur - Les lobbies n'inclinent pas tous dans le même sens ! La vérité est qu'il y avait une véritable inquiétude chez les élus et ce que vous venez de dire ne peut qu'ajouter à ces craintes. Vous avez en effet déclaré qu'il y a trois mois, les électeurs avaient établi des contre-pouvoirs au niveau des départements et des régions. Comme si la France n'était pas un pays unitaire, où ce qui est ailleurs « autonomie » serait simple niveau de gestion de proximité ! Vous avez trahi là votre pensée réelle : remettre en cause, en vous appuyant sur des fonctions locales, la démocratie représentative ! Une telle attitude ne peut qu'ajouter à la confusion des esprits et cela explique que les élus soient intervenus auprès du Sénat, à commencer par M. Bockel. Pourquoi celui-ci refuse-t-il la tutelle des régions dans le domaine économique ? Parce que ce dernier diffère radicalement des autres domaines de compétence des collectivités en ceci qu'il génère des richesses et des ressources directes pour elles. Les communes, les intercommunalités et les départements sont donc intéressés par les implantations d'entreprises et par tout ce qui peut contribuer à leur développement économique. Or, avant les dernières élections, une région comme la région Centre refusait toute discussion sur ce point avec les conseils généraux. C'est très exactement ce qui explique les propos de M. Collomb !

Le Sénat a pris en compte ces inquiétudes en substituant à une mesure générale une expérimentation. La formule présente un grand intérêt comme je l'expliquais ce matin même au téléphone à M. Rousset, président des Régions de France, qui me décrivait en termes idylliques les relations prévalant au sein de la région Aquitaine : « Puisque vous dialoguez avec les départements, lui disais-je, votre région sera certainement candidate au rôle de chef de file et élaborera un schéma de développement propre à démontrer que l'inquiétude des élus n'était pas justifiée ! » Je crois en effet la formule suffisamment souple pour permettre d'arriver au résultat que vous souhaitez. Mais nier les craintes des élus, ignorer qu'il y a eu levée de boucliers, ce serait faire preuve d'autisme !

Par ailleurs, vous regardez quasiment comme un crime de lèse-majesté la disposition de l'article 117 bis A autorisant une commune à passer d'un groupement de communes à un autre. N'avez-vous pas relevé que cette faculté ne pourra s'exercer que jusqu'au 1er janvier 2005 et que, compte tenu des délais de promulgation de la loi et de parution des décrets, cela ne laissera que le temps de régler certaines difficultés ? Là est l'unique objet de cette disposition ! Ce projet, enfin, permettra de clarifier les compétences.

C'est pourquoi je vous demande de repousser cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Ministre délégué - Après cette remarquable réponse de M. Gest, je ne reviens que sur quelques points importants.

Monsieur Balligand, vous êtes revenu une fois de plus sur la constitutionnalité de la loi organique. Il existe un juge constitutionnel ; laissons-le décider, et dans quelques jours nous saurons ce qu'il en est. Quant à l'impossibilité d'examiner le texte sur les transferts de compétences avant que la loi organique ne soit promulguée, j'ai dit combien je suis réservé sur cette analyse. En effet, la loi sur le RMI et le RMA a été adoptée et appliquée dans les départements au 1er janvier 2004, puis le transfert de TIPP a eu lieu à l'euro près, et le Conseil constitutionnel n'y a pas trouvé motif à censure. De toute façon, autonomie financière et transfert de compétences sont deux sujets distincts. Autonomie financière ou pas, nous transférerons à l'euro près les ressources correspondant aux compétences. En d'autres termes, nous ne ferons jamais le coup que le gouvernement Jospin a fait avec l'APA, et qui nous a obligés à trouver des solutions dans l'urgence. Enfin, ce texte est applicable au 1er janvier 2005. A cette date, une loi organique aura forcément été promulguée. Cependant, comme j'ai à cœur de répondre à toutes les interrogations, je dépose un amendement..

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Il y avait donc un problème !

M. le Ministre délégué - Non, je veux dissiper toute inquiétude et toute ambiguïté.

Je déposerai donc un amendement indiquant que la loi relative au transfert de compétences ne s'appliquera pas tant que la loi organique n'est pas promulguée. C'est redondant, mais ainsi tout le monde sera rassuré. Cela prouve au moins que nous vous écoutons.

Pour le reste, vous avez été très critique. Nous manquerions de souffle, d'enthousiasme, d'ambition. Vous qui êtes bon connaisseur de ces questions, vous savez bien que ce que nous proposons se retrouve dans tous les débats qui ont eu lieu, et s'inspire largement du rapport Mauroy. A ce propos, Monsieur Dosière, si Jean-Pierre Raffarin a quitté la commission Mauroy, c'est que l'opposition y était vraiment maltraitée. Aujourd'hui, nous vous écoutons et nous vous répondons.

Ce texte manque de souffle ? Il aborde quand même les routes, le logement, l'emploi, l'insertion, la formation professionnelle, le développement économique, la gestion des collèges et lycées, soit des pans entiers de l'action publique, dans un souci d'efficacité. D'ailleurs, si ce texte manque de souffle, que n'avez-vous fait des propositions ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Et nos amendements ?

M. le Ministre délégué - Des amendements répétitifs, en effet.

Enfin, la concertation, déjà importante sous mon prédécesseur, a été, en deux mois et demi, tout à fait considérable. Avec Dominique de Villepin, j'ai reçu toutes les organisations syndicales, les présidents et rapporteurs de commissions, toutes les associations d'élus, en particulier l'association des maires des grandes villes, et M. Bockel et M. Collomb ont dit à quel point ils étaient inquiets de voir leur politique économique mise en péril si la région devenait chef de file en ce domaine. Je vous donnerai lecture d'un document à ce sujet au cours du débat. Et c'est bien en raison de cette inquiétude que j'ai trouvé très intéressant l'amendement du sénateur Doligé à l'article premier, qui conserve à la région la coordination en matière économique sans interdire aux communes et aux départements de passer convention avec l'Etat, et ouvre la voie à l'expérimentation économique au niveau régional. Voilà l'exemple d'une concertation réussie pour trouver la voie d'une décentralisation tempérée. C'est ce que l'on peut faire sans s'invectiver, en se respectant.

M. Jean-Pierre Balligand - C'est de la langue de bois.

M. le Ministre délégué - Avoir un avis différent du vôtre, ce n'est pas pratiquer la langue de bois. D'ailleurs, des pans entiers du discours que vous avez tenu à la tribune relevaient d'une idéologie éloignée, je le sais, de ce que vous pensez au fond.

Enfin, pour ce qui est de l'association des présidents de région, Jean-Pierre Raffarin les a reçus quelques jours après les régionales et non pas après le vote en première lecture, mais dans la perspective de la deuxième lecture, c'est-à-dire dans le cadre d'une politique de la main tendue. Mais par la suite, ils n'ont jamais voulu rencontrer les ministres en charge du dossier. Il ne s'est pas passé de jour sans que mon secrétariat n'appelle celui du président de l'ARF, pour trouver un petit moment dans son agenda surchargé. C'est finalement après l'adoption du texte au Sénat que nous avons eu droit à un moment d'audience. Nous avons alors répondu point par point aux questions posées par M. Rousset et ses collègues, et M. Sapin a eu ce cri du cœur : « Pourquoi ne nous avez-vous pas dit cela plus tôt ? » Cela faisait deux mois et demi que j'essayais de les voir...

Ce débat, dans lequel inlassablement les uns et les autres répètent les mêmes choses, commence donc à provoquer une sorte de lassitude. Certes, la répétition, c'est la pédagogie et c'est probablement un des charmes du débat. Mais l'heure est venue d'avancer et j'invite l'Assemblée à ne pas voter la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

EXPLICATIONS DE VOTE

M. André Chassaigne - Je reviens d'abord sur un terme que j'ai employé, et que certains n'ont pas compris, celui de forfaiture. Ils ont pensé au crime commis par un fonctionnaire. Mais il s'agit également de la violation d'une loi fondamentale. Et si j'ai employé ce terme, c'est que vous violez les trois principes de liberté, d'égalité et de fraternité.

Ce projet s'attaque à la libre administration des collectivités territoriales puisque, après les transferts de compétences, elles ne pourront plus mener les politiques de leur choix. Il porte atteinte à l'égalité en créant une France à plusieurs vitesses, où la solidarité nationale laissera place au chacun pour soi, ce qui accentuera la désertification des territoires les plus pauvres.

Enfin, le principe républicain de fraternité est lui aussi mis à mal. Votre réforme marquera le triomphe du laisser-aller institutionnel, le règne du chacun pour soi entre les collectivités, chaque région ou chaque département ne défendant plus que ses intérêts (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

En portant atteinte aux principes de liberté, d'égalité et de fraternité, c'est la République elle-même que votre texte bafoue (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. Michel Piron - Monsieur Balligand, vous avez déploré un « déficit démocratique ». Cela m'étonne d'une personne d'ordinaire aussi modéré et raisonnable que vous. Passez-vous par profits et pertes les cinquante cinq mille participants des assises des libertés locales, leurs six cents propositions, quelque vingt-six mois de discussion, les trois lectures du texte qui ont déjà eu lieu avant celle-ci au cours desquelles quelque trois mille amendements ont été examinés ? Vous reprochez aussi à ce texte de ne pas clarifier totalement les compétences entre collectivités. Certes, il est toujours possible d'aller plus loin, mais ce texte représente un progrès indéniable. S'agissant ensuite des transferts, j'ai du mal à comprendre vos calculs. Vous prétendez qu'il manquerait au 1er janvier prochain 40 000 postes de TOS, soit 45 % de l'effectif total actuel. Comment serait-ce possible ? Si tel était le cas, cela signifierait que vous avez vraiment failli lorsque vous étiez au pouvoir. On n'aurait tout de même pas pu en arriver là en deux ans ! L'exagération, Monsieur Balligand, ne sert jamais la démonstration. Enfin, comment avez-vous pu qualifier ce texte de « revanche », alors que vous savez pertinemment qu'il a été conçu, pour l'essentiel, il y a plus de deux ans ? Pour toutes ces raisons, le groupe UMP repoussera la question préalable.

M. Christophe Caresche - Les réponses du rapporteur et du ministre justifient encore davantage, si besoin était, la motion défendue par notre collègue. Ils n'ont en effet cessé d'y opposer les collectivités les unes aux autres. Voilà ce qui vous tient lieu de politique quand il faudrait élaborer un véritable projet de décentralisation. Rien dans ce texte, que nous examinons en deuxième lecture, n'ouvre de perspectives pour de nouvelles relations, refondées, entre l'Etat et les collectivités. En fait, vous ne cherchez qu'à décharger l'Etat de certaines compétences, dans l'espoir de régler ainsi la crise financière actuelle (« A qui la faute ? » sur les bancs du groupe UMP).

Après l'amendement adopté au Sénat, avec l'accord du Gouvernement, et que la majorité de l'Assemblée s'apprête elle aussi à voter, les transferts aux régions de compétences en matière économique se trouvent singulièrement limités... alors même que M. Raffarin, alors qu'il était président de région, faisait du développement économique conduit par la région son cheval de bataille. N'est-ce donc pas là une revanche ? Une vendetta consécutive à votre défaite électorale aux régionales ? Cela ressemble fort à une opération de basse politique !

Enfin, après que le ministre nous a longuement expliqué hier qu'il n'y avait aucun risque juridique à ce que ce texte soit examiné avant que le Conseil constitutionnel ne se soit prononcé sur la loi organique, vous déposez tout de même un amendement de précaution à ce sujet. Quel aveu ! Vous êtes obligés de recourir à cet artifice pour parer à une censure du juge constitutionnel. Vous avez engagé ce débat dans la précipitation, vous le terminez dans l'improvisation en prenant un sérieux risque d'inconstitutionnalité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. René Dosière - Rappel au Règlement en vertu de l'article 58 alinéa 1. Une dépêche AFP vient de tomber dont je dois donner lecture : « Jean-Pierre Raffarin utilisera l'article 49-3 vendredi après-midi afin de permettre l'adoption sans vote du projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales, a-t-on appris de sources parlementaires concordantes. » (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Utiliser le 49-3, c'est déconsidérer, bafouer, humilier l'Assemblée nationale. Si tel devait être le cas, il n'y aurait plus aucun sens à poursuivre ce débat, comme le souhaitait pourtant le Président de l'Assemblée. Ma question est simple : le Premier ministre accepte-t-il ou non que nous débattions de ce texte ? Utilisera-t-il ou non le 49-3 ? Pour notre part, nous souhaitons débattre. Nous refusons que sous la contrainte, la loi d'un seul puisse devenir la loi de tous. Faute d'autorité, le Premier ministre cèdera-t-il à l'autoritarisme ? Si oui, c'est du bonapartisme (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Monsieur le ministre, confirmez-vous ou démentez-vous cette dépêche AFP ? Si notre débat peut à tout moment être interrompu par l'utilisation du 49-3, le poursuivre n'a pas grand sens.

M. le Ministre délégué - Nous exerçons tous ici des métiers difficiles...

Mme la Présidente - Monsieur le ministre, ce ne sont pas des métiers !

M. le Ministre délégué - Dès lors que nous donnons tant de notre vie au service de nos concitoyens, que nous nous efforçons de remplir notre tâche de manière professionnelle et comme les mots ont un sens, je crois légitime de parler de métier.

Dans nos métiers difficiles, disais-je, il est une qualité essentielle, la précision...

M. Jean-Pierre Balligand - La sincérité surtout !

M. le Ministre délégué - Ce n'est pas contradictoire. Les journalistes aussi devraient veiller à être précis. Que signifie « de sources parlementaires concordantes » ? (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe UMP) Cet anonymat est gênant.

La règle est de débattre ; l'exception de recourir aux mesures prévues, dans leur sagesse infinie, par les constituants de 1958 et en particulier par le général de Gaulle lorsqu'il faut faire face à une obstruction massive dans un contexte d'agressivité particulière. Dans ce cas, le Premier ministre peut recourir aux outils prévus par la Constitution.

Pour ce qui me concerne, je ne suis pas Premier ministre...

Plusieurs députés UMP - Pas encore... (Sourires)

M. le Ministre délégué - Je suis à mon banc, j'écoute patiemment ce qui se dit, je participe au débat. Simplement, je prends la mesure du temps qui s'écoule, lentement, tandis que la discussion générale n'a pas encore débuté, que les rappels au Règlement se multiplient, que les uns et les autres interviennent non sans parfois, se répéter. Je vous propose de poursuivre le débat (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Je le dis hors de toute polémique, cette réponse est insuffisante et inacceptable.

Nous nous sommes préparés à travailler longuement. Si l'on n'a pas l'intention de nous écouter, qu'au moins on nous mette en vacances ! Je vais vous lire une autre dépêche de l'AFP : interrogé dans les couloirs de l'Assemblée, le Président de la commission des lois, Pascal Clément a affirmé « ne pas savoir » si le Gouvernement avait demandé mercredi à être autorisé par le Conseil des ministres à recourir à l'article 49-3 de la Constitution. Mercredi, à l'issue du Conseil, le ministre chargé des relations avec le Parlement avait déclaré à la presse qu'« à sa connaissance » cette décision n'avait pas été prise. Comme on lui demandait si M. Cuq pouvait avoir dissimulé cette décision, M. Clément a répondu que le ministre « ne mentait jamais » mais qu'il aurait pu avoir « une petite distraction, comme tout un chacun » (Rires sur divers bancs).

Je vous demande donc, Monsieur le ministre, si le Conseil des ministres a autorisé le Premier ministre à faire usage du 49-3 et, dans ce cas, quand il va utiliser cette arme constitutionnelle.

Mme la Présidente - Souhaitez-vous répondre, Monsieur le ministre ?

M. le Ministre délégué - Encore !

Mme la Présidente - Je vous le demandais par courtoisie... Je suspends la séance.

La séance, suspendue à 18 heures 50, est reprise à 19 heures 10.

M. René Dosière - Rappel au règlement, fondé sur son article 58-1. Madame la présidente, vous avez fort opportunément suspendu la séance, troublée sans doute par la perspective d'une interruption de nos travaux qui serait provoquée par le recours à l`article 49 alinéa 3 de la Constitution (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Mme la Présidente - Soyez rassuré sur mon compte !

M. René Dosière - En tout cas cette perspective perturbe profondément le groupe socialiste, et le met dans une colère contenue.

M. René Dosière - Je me fais de l'Assemblée nationale une idée différente, d'autant que le gouvernement précédent, que j'ai soutenu, n'a jamais en cinq ans utilisé l'article 49-3, le Premier ministre d'alors ayant trop de respect pour le Parlement.

M. Edouard Landrain - L'opposition d'alors se comportait correctement !

M. René Dosière - J'ai pris acte de la réponse du ministre : ainsi le porte-parole du Gouvernement ne sait pas, certainement en toute sincérité, s'il sera fait usage du 49-3 (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Dans ces conditions, nous demandons qu'un ministre qui sait (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) vienne nous dire ce qu'il en est réellement, soit le Premier ministre, soit le ministre des relations avec le Parlement. Ou les débats s'arrêtent ou, s'ils se poursuivent, ils doivent aller à leur terme dans la sérénité que nous souhaitons. Pour que notre groupe examine cette situation inédite, je demande une suspension de séance (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. le Ministre délégué - Jusqu'à présent, je me suis tenu à votre disposition, attentif, heureux de répondre et de débattre, évitant la polémique stérile. J'ai fait de mon mieux. A présent, je suis pris d'un doute. Je vous ai répondu sur l'application de l'article 49-3, et, dès la reprise de la séance, vous recommencez, disant : « Le ministre ne sait pas, nous attendons quelqu'un qui sache » ! Moi, je lis sur l'ordre du jour « discussion du projet relatif aux libertés et responsabilités locales ». Là, je sais. Posez-moi donc toutes les questions que vous voudrez, j'y répondrai. Pour le reste, je ne puis que vous inviter à vous remettre au travail (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Mme la Présidente - Je pense qu'il serait sage d'entamer la discussion générale.

M. René Dosière - La suspension est de droit.

Mme la Présidente - Je vous accorde trois minutes.

La séance, suspendue à 19 heures 15, est reprise à 19 heures 18.

M. André Chassaigne - Comme j'entends parler de 49-3, je me dis qu'il y a des questions de fond qui risquent de ne pas être traitées. Je prendrai donc un peu plus de temps pour développer mon propos et j'espère avoir des réponses avant que l'on fasse usage, peut-être, de ce canon d'artillerie.

Telle qu'elle est envisagée par le Gouvernement, la décentralisation des politiques économiques traduit surtout une incapacité à penser un modèle alternatif de développement économique. Les schémas régionaux de développement ont pour objectif affiché de renforcer l'attractivité des territoires, comme si le premier rôle des collectivités territoriales était de tout faire dans l'hypothèse de l'arrivée d'un nouvel investisseur dans la région. Il me paraît plus nécessaire de soutenir un développement local endogène, ancré dans nos territoires. Il est également indispensable que les collectivités territoriales sachent anticiper. Leur rôle se limite en effet trop souvent à celui de pompier social. Les schémas régionaux devraient donc prendre en compte cette dimension prospective.

Je voudrais aussi insister sur la nécessité de démocratiser la vie économique de nos territoires. Les élus, les citoyens et les salariés doivent être partie prenante des choix stratégiques effectués sur un bassin d'emploi par les entreprises. Une entreprise a en effet d'autant plus de chances de se consolider que son projet est porté par tous ceux-là. Cela pose aussi bien sûr la question des critères d'attribution des aides publiques, du contrôle de ces aides et de la maîtrise publique et locale des institutions de crédit - préalable incontournable pour favoriser la réorientation de l'économie vers l'emploi, la formation et les salaires.

Le Sénat ayant voté conforme le volet « formation professionnelle » de ce projet, nous n'aurons malheureusement pas la possibilité d'en débattre, alors qu'il s'agit d'une dimension essentielle du développement économique et social.

En effet, face au chômage de masse, nous avons besoin de nouvelles politiques. Celles de traitement social du chômage comme celles de réduction du coût du travail ont montré leur inefficacité. Les vingt milliards d'euros d'exonération de cotisations patronales auraient créé, selon les experts les plus optimistes, environ 200 000 emplois, peu qualifiés, sous-payés, sans plan de formation, et donc sans perspectives durables pour leurs titulaires. Au nom de la mobilité de l'emploi, le chômage et la précarité rythment la vie de millions de nos concitoyens, cependant que différents secteurs d'activité sont confrontés à de réelles difficultés de recrutement.

Confrontés à cette situation, nous devrions avoir comme but d'assurer pleinement la formation continue de chacune et de chacun, dans une continuité d'activité et de revenus, durant toute sa vie active. Loin de cet objectif, on nous propose une mise en concurrence des organismes de formation et un démantèlement du service public de formation continue, c'est-à-dire de l'AFPA. Ce qui signifie que l'on risque de renforcer les organismes de formation à caractère lucratif, souvent dominés par le patronat et ses besoins à court terme.

Nos inquiétudes sont tout aussi fortes en ce qui concerne la décentralisation des routes nationales. Notre opposition n'est d'ailleurs pas isolée sur cette question, au vu des reculades - ou, disons, des prises de conscience - auxquelles vous avez procédé durant les débats. D'abord, la généralisation des péages sur nos routes, idée aussi vieillotte qu'arbitraire, est passée à la trappe. Ensuite, le texte qui nous revient du Sénat précise désormais que le domaine public routier national assure aussi, ce qui est positif, le développement équilibré du territoire.

Certaines questions restent en suspens : que deviendront les parcs départementaux de l'équipement ? Quelle sera l'évolution statutaire des personnels de ces parcs de l'équipement ? Qui interviendra sur le réseau restant du domaine de l'Etat ? Autant de questions auxquelles j'espère qu'il sera répondu, si du moins le débat n'est pas interrompu...

Notre Assemblée n'aura quasiment pas la possibilité de débattre des orientations du Gouvernement en matière sociale et médico-sociale, puisque les dispositions dans ce domaine ont été votées conformes par le Sénat. Nous aurions pourtant beaucoup à en dire, car ce qui est demandé aux départements, c'est bien d'atténuer par leurs politiques sociales l'impact de mesures prises ailleurs, autrement dit de se transformer en simples guichets de bienfaisance. Dans le même esprit, ce sont les régions qui auront bientôt la responsabilité de compenser les déficiences de l'Etat en matière d'équipements hospitaliers.

Le chapitre sur le logement résume bien la capacité de ce gouvernement à abuser l'opinion, en mêlant des annonces de mesures populaires à des décisions concrètes qui vont en sens inverse de ce qui a été annoncé.

Dans le plan dit de cohésion sociale qui a été annoncé en juin, l'Etat s'est ainsi engagé à construire 500 000 logements sociaux en cinq ans. Mais le projet de loi de décentralisation nous indique que l'Etat se décharge de cette compétence sur les collectivités territoriales. Lorsque cette loi sera promulguée, le Gouvernement n'aura donc plus ni les crédits ni la compétence pour honorer ses engagements (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Ce chapitre consacré au logement est probablement un des plus préoccupants de ce projet de loi. Et ce d'autant plus que son contenu a empiré au fil de la discussion. Ainsi, l'article 51 autorise désormais explicitement les collectivités territoriales à déléguer les logements étudiants non pas seulement aux CROUS, mais aussi aux investisseurs privés.

L'article 49 bis, introduit en première lecture à l'Assemblée nationale, n'a pas été supprimé au Sénat, alors que le secrétaire d'Etat au logement s'était engagé, devant le président de la Confédération nationale du logement, à ce qu'il soit retiré. Cet article remet en cause la notion même de logement social, puisqu'il rend possible l'instauration de loyers différents pour des logements de même type.

Quant au transfert des TOS, il va accentuer l'inégalité entre les départements et entre les régions, dans la mesure où les transferts financiers seront insuffisants et ne tiendront pas compte de l'évolution des besoins.

Je conclus puisqu'il le faut, mais la mort dans l'âme (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), sachant qu'un ensemble de questions qui devaient être abordées la semaine prochaine risquent fort de ne pas l'être. Je déplore que la compensation des transferts ne tienne pas compte du caractère dynamique des dépenses et qu'on en reste dans ce domaine aux affirmations de principe (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste).

M. Michel Piron - Après un an et demi de discussions préparatoires, le débat parlementaire sur ce projet a été particulièrement nourri. Le Sénat a adopté 472 amendements sur les 1311 déposés, l'Assemblée nationale 345 sur 1613 en première lecture. Et chacun pourra apprécier la créativité exceptionnelle de l'opposition, qui nous propose pour cette seconde lecture 4687 amendements... Lorsque j'ai entendu M. Migaud dire que ce débat serait trop précipité, voire bridé, et qu'il en éprouvait une « profonde tristesse », je n'ai pu m'empêcher de songer au titre de l'admirable texte de Stig Dagermann « Notre besoin de consolation est impossible à rassasier » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Sur 197 articles, 88 demeurent en discussion, pour des différences plutôt que pour des divergences.

S'agissant des transferts de compétences, la reconnaissance de la région, à l'article premier, comme instance coordinatrice du développement économique plutôt que comme chef de file, notion plus ambiguë, revient - dans une démarche ascendante partant des initiatives locales, et non descendante au risque d'être autoritaire - à appliquer le principe, qui nous est cher, de « subsidiarité ». Par ailleurs, au-delà des articles touchant au tourisme et à la formation professionnelle, ceux qui portent sur les infrastructures, l'action sociale, la santé, le logement - par délégation -, la culture et l'éducation devraient clarifier les responsabilités.

Quant aux transferts de personnels - 90 à 95 000 TOS employés dans les établissements scolaires et 35 000 agents de l'équipement -, comment ne pas saluer la rationalisation qu'elle représente ? Les gestionnaires des équipements responsables des personnels seront chargés de leur entretien.

En ce qui concerne les règles de calcul des compensations, les articles 88 et 89 devraient dissiper les inquiétudes.

Enfin, le titre IX a déjà fait l'objet d'un large accord en faveur de la clarification, de la simplification et de l'amélioration de la relation entre la commune et l'intercommunalité.

On ne peut que se réjouir qu'une aussi vaste redistribution des rôles soit en passe d'aboutir, afin d'améliorer l'efficacité de l'action publique. Qu'on me permette cependant d'évoquer un autre attente, contrepoint de la décentralisation : la déconcentration des services de l'Etat, garant quant à lui de la péréquation et de la cohésion nationales. Avec le renforcement du rôle des préfets, notamment en région, l'interlocuteur unique - faut-il préciser « interministériel » ? - dont nos collectivités ont tant besoin émergera-t-il ? En invitant à repenser l'organisation des pouvoirs dans notre pays, ce texte nous incite donc à mieux gérer l'inévitable tension de tout système entre son centre et sa périphérie. Ce n'est pas son moindre mérite que d'appeler une autre réforme sans laquelle les libertés et les responsabilités que nous souhaitons pour les collectivités locales seraient vaines : la réforme de l'Etat (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - L'hommage le plus fervent qu'un élu de la Nation puisse rendre à ceux qui lui ont confié son mandat est d'être toujours convaincu qu'il est utile de monter les marches de cette tribune. Voyez-vous, même à cet instant, et malgré les silences de notre ministre, je reste convaincu qu'il faut prendre la parole, d'abord pour éviter la duplicité. Je ne veux pas mettre le ministre en difficulté, et j'imagine qu'il est dans une situation complexe, mais j'attendais de lui une réponse à ma question.

Il y avait nécessité à ce que l'Assemblée entame cette deuxième lecture. Car il n'y a aucune raison que celle-ci n'ait pas lieu, il n'y a aucune raison qu'elle soit compromise par un aléa externe parce que purement politicien ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

C'est dans cet esprit constructif que le groupe socialiste a élaboré un certain nombre d'amendements relatifs au logement, amendements qui, comme ceux de la première lecture, ne tendent nullement à freiner le débat, mais bien plutôt à prévenir les problèmes que ne manquerait pas d'entraîner l'adoption du texte voté par le Sénat.

En février, lors de la première lecture, j'avais déploré que ce projet ne contribue en rien à rendre opposable un droit au logement qui, bien que consacré par la législation depuis vingt ans, n'a toujours pas pris corps pour des millions de Français. Or, s'il est un texte où devaient figurer de telles dispositions, c'est bien celui-ci. En effet, l'opposabilité du droit au logement suppose que soient réunies trois conditions : la définition d'objectifs assortis d'une obligation de résultats, la concentration de compétences au profit d'une collectivité précise et l'attribution à celle-ci des moyens d'assumer sa responsabilité.

Aucune de ces conditions n'est encore remplie, bien que, dans un communiqué de presse, le secrétaire d'Etat au logement ait manifesté son intérêt pour le sujet, le 7 juillet dernier. Encore une annonce généreuse non suivie d'effet !

Le premier article qui suscite notre inquiétude est l'article 49 A qui, dans la rédaction issue de la deuxième lecture part le Sénat, permet de déléguer aux maires tout ou partie des logements sociaux du contingent préfectoral. Il est inacceptable de priver ainsi l'Etat de son principal moyen de garantir le droit au logement. En outre, cette disposition compromet les efforts entrepris en faveur de la mixité sociale, le risque étant grand que certains maires attribuent ces logements en fonction de critères inspirés par le clientélisme plus que par l'équité. En deuxième lecture, notre commission a adopté un amendement demandant que la délégation se fasse prioritairement au profit des EPCI ou des départements ayant obtenu l'attribution des aides à la pierre. Or, si cet amendement permet une plus grande cohérence dans les délégations de compétences, il est loin de lever toutes les ambiguïtés. Le contrôle du préfet sur les compétences qu'il délègue reste en effet très insuffisante. Certes, il pourra retrouver ses prérogatives en se substituant à la collectivité qui ne respecterait pas les objectifs fixés par le plan départemental d'aide au logement des personnes défavorisées, mais il ne le pourra qu'au terme d'une année, ce qui nous apparaît une durée excessive. Nous proposons donc de réduire ce délai.

Par ailleurs, l'article 49 A fait de ce droit de substitution une simple faculté. Estimant inadmissible cette réticence à le rétablir dans ses compétences lorsque le plan d'aide aux personnes défavorisées n'est pas respecté, nous proposerons la suppression de cet article : il y va de la cohérence de l'action publique en faveur du logement !

Introduit ici en première lecture par un amendement de l'actuel secrétaire d'Etat au logement, l'article 49 bis organise un conventionnement global des organismes, sur la base d'un plan stratégique de patrimoine et pour une durée de six ans. Nous nous étions étonnés qu'une mesure d'une telle importance figure dans le présent projet alors que le Gouvernement doit nous soumettre avant la fin de l'année un projet « Habitat pour tous » où il avait de toute évidence sa place désignée. A défaut d'attendre ce texte en en profitant pour consulter et pour mener des études d'impact, on prend le risque de provoquer une véritable déréglementation du logement social ! En effet, ces dispositions permettent aux bailleurs sociaux de moduler les loyers en fonction de la situation géographique des immeubles, ce qui contrevient aux principes de mixité sociale : si le projet était adopté en l'état, il serait fort à craindre que les locataires les plus modestes soient condamnés à vivre dans les logements sociaux ou dans les quartiers les plus déshérités. En outre, rien ne garantit que les augmentations de loyers soient suivies d'une hausse proportionnelle des aides personnelles. Nous proposerons donc la suppression de cet article et le renvoi de ce débat à la loi sur l'habitat.

La dernière inquiétude que suscite ce texte tient à sa méconnaissance de la spécificité de l'Ile-de-France, s'agissant de la délégation des aides à la pierre organisée par l'article 49. D'après un récent recensement, sur les 22 EPCI de cette région, 4 seulement ont adopté un PLH et 7 sont en train d'en élaborer un. Cette situation s'explique par la difficulté de mettre en œuvre de tels plans à l'échelle des EPCI franciliens. En outre, sur 148 bailleurs sociaux, la moitié interviennent sur plusieurs départements. Tous les acteurs du secteur sont donc d'avis que le bassin à considérer en l'occurrence doit coïncider avec la région même - ce qui n'exclut pas de subdéléguer aux EPCI ou aux départements. Pour l'heure, le Gouvernement s'est borné à reconnaître que cette demande était pertinente, sans apporter de solution. Pour notre part, nous défendrons un amendement tendant à faire de la région Ile-de-France la délégataire des aides à la pierre, à titre particulier, à l'exemple de ce que vous avez vous-mêmes fait pour le logement étudiant.

Telles sont nos propositions, qui portent sur des enjeux de poids. Ne manquons pas l'occasion qu'offre cette deuxième lecture d'amender ce projet ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Huguette Bello - Je partage totalement les critiques, formulées ici ou ailleurs, sur la manière dont a été organisée cette discussion. Les conséquences en sont particulièrement fâcheuses pour les élus de l'outre-mer, empêchés pour certains de participer à un débat décisif pour l'avenir de leur collectivité. En user ainsi avec la représentation nationale est aussi inquiétant que cavalier.

Alors que les premières lois de décentralisation avaient été accueillies avec confiance et qu'elles exercent depuis vingt ans une influence certaine sur la vie publique, on assiste depuis un an à une montée du mécontentement. Ce n'est pas sur l'idée de décentralisation que porte la contestation, ni sur l'importance des transferts, mais bien sur les moyens financiers qui doivent accompagner ceux-ci. Les élus redoutent des inégalités entre régions, et un appauvrissement des plus pauvres. A la Réunion, ce risque est d'autant plus fort que la compensation des charges se fera uniquement sur la base des dépenses assurées par l'Etat au cours des trois dernières années, pour les dépenses de fonctionnement, ou des cinq dernières, pour les dépenses d'investissement.

Ce mode de calcul est très pénalisant pour l'outre-mer puisqu'il ne tient compte ni des retards en personnel et en équipements ni des besoins liés à la croissance démographique. En outre, les charges nouvelles seront d'autant moins compensées que la TIPP a déjà été transférée outre-mer. La décentralisation deviendrait alors paradoxalement une entrave au développement.

Aussi est-il indispensable, avant tout nouveau transfert, que le Gouvernement procède à une évaluation objective et exhaustive des besoins et des délais nécessaires aux régions d'outre-mer pour atteindre la moyenne nationale pour l'équipement et l'encadrement.

M. René Dosière - Très bien.

Mme Huguette Bello - C'est sur cette base qu'il faudra calculer les moyens nécessaires à une décentralisation effective. A défaut, aux retards accumulés et aux besoins croissants viendront s'ajouter des régressions dues à l'application mécanique de la décentralisation.

Une expertise préalable s'impose tout particulièrement en ce qui concerne les TOS. Leur nombre est de 12,5 pour 100 élèves outre-mer contre 20,1 en moyenne nationale et l'académie de la Réunion est la plus mal dotée. C'est pourquoi ce transfert est vivement contesté par les intéressés, les élus et l'ensemble de la communauté éducative. Malgré l'opposition générale, l'article 67, qui le prévoit a été adopté conforme par le Sénat et n'est donc plus en discussion. Les sénateurs ont aussi introduit un article 128, accepté par notre commission des lois, qui conditionne le transfert des personnels TOS au rattrapage des effectifs dans les DOM. Nous voudrions connaître la position du Gouvernement à ce sujet.

Si l'on appliquait le seul article 67, la situation se dégraderait, à la Réunion en particulier ou la croissance des effectifs scolaires oblige les collectivités à construire trois lycées tous les deux ans et deux collèges par an.

Enfin, les plus hauts responsables de l'Etat ont préconisé une « République des proximités ». Cette valeur serait, nous dit-on, essentielle pour la décentralisation. Dès lors, comment décentraliser sans porter attention à l'avis manifesté par les citoyens dans la rue comme dans les urnes ? Le Gouvernement, tout en prônant la proximité, tournera-t-il le dos à la volonté populaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 20 heures 5.

              Le Directeur du service
              des comptes rendus analytiques,

              François GEORGE


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