Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (session ordinaire 2003-2004)

Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 -2ème jour de séance, 4ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 2 OCTOBRE 2003

PRÉSIDENCE de M. Éric RAOULT

vice-président

Sommaire

      POLITIQUE DE SANTÉ PUBLIQUE 2

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 13

      QUESTION PRÉALABLE 20

La séance est ouverte à neuf heures trente.

POLITIQUE DE SANTÉ PUBLIQUE

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la politique de santé publique.

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - Lors de la refondation de ses institutions en 1946, la République a retenu un certain nombre de droits économiques et sociaux nouveaux. Au frontispice de sa charte commune, elle a inscrit ce principe : « la nation garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ».

C'est là un principe auquel a été reconnue valeur constitutionnelle, et qui consacre, à mes yeux, un droit fondamental de nos concitoyens.

Il ne s'agit pas du « droit à la santé », formule incantatoire qui pourrait suggérer l'existence d'un droit individuel à vivre en bonne santé et, le cas échéant, à exiger réparation chaque fois que la jouissance de ce droit serait perturbée. Comment consacrer un tel droit quand les prédispositions naturelles ou les hasards de l'existence rendent illusoires toute prétention à l'égalité dans ce domaine ?

A l'inverse, le droit à la protection de la santé correspond au devoir des pouvoirs publics de protéger collectivement les populations contre les risques qui pourraient menacer leur santé.

A ce droit, qui s'inscrit dans la tradition de la police sanitaire, s'attache aujourd'hui une signification, une demande et une urgence nouvelles.

Longtemps l'idée de prévention a progressé avec une force proportionnelle à la faiblesse des thérapeutiques disponibles. Tant qu'elles furent dépourvues de moyens de guérir les maladies, les populations ont cherché à les prévenir. Cette prévention a produit des effets remarquables : lois révolutionnaires sur le nettoiement des bâtiments insalubres ou l'assèchement des marais, mesures d'asepsie lors de l'accouchement...

Cette politique était toutefois marquée par des préoccupations d'ordre et de salubrité publics et constituée comme une branche du pouvoir de police.

Mais les progrès scientifiques donnent un sens nouveau à la prévention, qui devient le moyen de traiter très en amont les déterminants des maladies grâce à les politiques de dépistage précoce et à des thérapeutiques performantes. Prévenir, c'est aussi faire progresser l'éducation sanitaire de nos concitoyens afin qu'ils évitent des conduites nuisibles à leur santé. Enfin, les connaissances de la recherche biomédicale pourraient donner naissance à une médecine prédictive qui, encadrée, serait une chance formidable pour la santé publique.

La politique de santé publique fait d'ailleurs l'objet d'une demande nouvelle de la part de nos concitoyens.

Longtemps, l'idée de santé publique a pâti des travers du mouvement hygiéniste. L'intervention de l'Etat n'échappait jamais au soupçon d'être moralisatrice et intrusive.

Mais aujourd'hui, ces stigmates me semblent effacés. La légitimité de l'Etat pour intervenir dans les affaires de santé n'est plus mise en cause. Chaque fois que leur santé ou celle de leurs proches est menacée, c'est bien vers l'Etat et ses agents que les Français et les Françaises se tournent.

Seul l'Etat peut en effet organiser efficacement la lutte contre les épidémies comme le syndrome respiratoire aigu sévère, les méningites, le sida, la grippe ou l'hépatite B.

L'approche individuelle des maladies, ne suffit pas. Si, en médecine, la personne est le centre de tout, comment un système de santé ne serait-il que la somme des actes pratiqués au niveau individuel ? Ce serait oublier le rôle de l'environnement ou des comportements.

Une urgence nouvelle s'attache, enfin, à la politique de santé publique car, à cette demande de nos concitoyens, nous répondons de manière insuffisante.

Deux constats éloquents témoignent de cette négligence. Premièrement, la mortalité prématurée - celle qui survient avant l'âge de 65 ans - reste en France à un niveau anormalement élevé alors que les causes en sont connues. Les autres pays développés - l'Allemagne, l'Italie, le Japon - connaissent une mortalité aux âges adultes inférieure à la nôtre.

Cette distorsion est le fruit d'une carence de la politique de santé publique : l'Etat peut agir sur l'environnement, les comportements ou les phénomènes de violence, et réduire ainsi cette triste spécificité française.

La guerre que nous avons déclarée au tabac, principale cause de cancer et de mortalité évitable, a d'ores et déjà des résultats spectaculaires. Les ventes de cigarettes ont chuté de 8 % depuis le début de l'année. Nous avons commencé cette offensive en augmentant de façon importante les taxes dans la LFSS 2003. Nous l'avons poursuivie par la loi visant à restreindre la consommation de tabac chez les jeunes et nous continuons cet effort avec ce projet de loi. Je pourrais également citer la politique de réduction des risques chez les usagers de drogues, qui a fait chuter la prévalence des infections à VIH chez les toxicomanes.

Deuxièmement, l'inégalité des Français devant la maladie et la mort est grande selon leur lieu d'habitation et leur milieu social. L'absence de priorités de santé publique est supportée par les moins favorisés.

Autre exemple qui heurte l'équité : seulement un tiers des départements, à ma prise de fonction, offraient des programmes de dépistage des cancers du sein, alors que la généralisation de ce dépistage avait été annoncée.

Il y a donc fort à faire et c'est la raison d'être du présent projet, dont chacun connaît le contexte particulier dans lequel il s'inscrit. Nous avons tous été profondément marqués par les conséquences sanitaires de la canicule qui, au mois d'août dernier, a frappé notre pays et, tout particulièrement, les personnes âgées des grands centres urbains. Ce drame humain particulièrement marqué en France, mais qui a aussi touché d'autres pays, soulève bien des questions auxquelles nous sommes tous attachés à répondre.

Nous commençons à y voir plus clair, grâce au rapport de la commission d'experts indépendants coordonnée par le docteur Lalande et au travail de la mission d'information constituée par votre commission des affaires culturelles, qui a rendu ses conclusions il y a une semaine.

Tout d'abord, les dispositions de ce projet de loi doivent contribuer à éviter que de tels drames se reproduisent. Déposé dès le mois de mai sur le bureau de cette assemblée, il avait l'ambition de donner à l'Etat les moyens de garantir la protection de la santé et il s'attaquait aux lacunes les plus graves qui ont handicapé notre système de santé cet été : profond déséquilibre entre le soin et la prévention, responsabilité de l'Etat mal affermie dans ce dernier domaine, dispersion des acteurs et des efforts.

Le travail de réflexion et d'analyse conduit ces dernières semaines me conduira à vous proposer d'amender ce texte afin de tirer rapidement un certain nombre de conclusions de la crise de l'été. Sur les moyens de prévention des menaces sanitaires graves, l'organisation du circuit des certificats de décès et l'institution d'une large obligation de signalement des menaces sanitaires, le projet de loi sera renforcé. S'y ajouteront des dispositions nouvelles en matière de veille et d'alerte sanitaires. Les préfets seront dotés de moyens nouveaux pour répondre à l'urgence sanitaire et à l'encombrement des hôpitaux.

Les drames de cet été ont brutalement mis en lumière les profondes faiblesses structurelles de notre système de santé, sur lesquelles je n'ai cessé d'appeler l'attention, comme ministre et auparavant comme parlementaire.

D'abord consacrée à la prévention, la politique de santé publique a presque entièrement basculé, depuis un demi-siècle, vers la médecine curative. L'effort de soin ne trouve pas son équivalent lorsqu'il s'agit de prévenir, d'éduquer, de dépister : seuls 3,6 des 150 milliards de dépenses de santé, soit 2,3 %, y sont consacrés. Régulièrement dénoncé, ce défaut n'a jamais été corrigé.

La responsabilité de l'Etat dans le domaine de la santé publique est insuffisamment définie. C'est à coup de catastrophes écologiques - le naufrage de l'Amoco Cadiz -, de scandales - la vache folle, le sang contaminé -, de paniques - l'ozone - ou d'accidents hospitaliers que l'Etat s'est trouvé acculé à définir de nouvelles formes d'intervention, la santé publique n'ayant jamais été consacrée comme une de ses responsabilités.

Résultat de réformes successives, l'organisation actuelle manque de vision globale et ne privilégie pas la prévention.

La grande loi de 1902, qui a rendu obligatoires la vaccination antivariolique et la déclaration des maladies infectieuses, apparaît ainsi comme un coup d'audace qui n'a jamais été renouvelé.

Par ce projet de loi, le Gouvernement rompt avec l'empirisme qui caractérise depuis des décennies notre politique sanitaire. Plutôt que d'intervenir au coup par coup au gré des accidents ou des épidémies, nous entendons fonder une politique pérenne de santé publique.

En 1998, notre pays s'est doté d'un premier ensemble d'outils destiné à garantir la sécurité sanitaire de notre environnement, de notre alimentation et des produits de santé et à organiser un réseau de veille sanitaire. La création des agences sanitaires fut une première étape dans laquelle le Parlement a joué un rôle déterminant.

Ce projet de loi se veut une deuxième étape, encore plus aboutie. Il affirme la responsabilité de l'Etat en matière de santé publique et entend tirer le meilleur parti possible de l'extraordinaire dispersion des acteurs de la prévention. Son premier objectif est ainsi de lever l'ambiguïté sur le rôle de l'Etat en matière de santé publique.

Notre intention politique est claire, et je tiens à vous la redire.

L'Etat est le garant de la protection de la santé. Mais il n'a pas vocation à être l'acteur unique de la politique de santé publique. Son rôle est d'organiser, d'impulser, mais non de faire à la place des autres. De tracer la direction à suivre et d'évaluer les résultats, mais non de marcher sur les brisées des acteurs de la santé publique.

Ce rôle de garant doit se traduire de deux façons. Premièrement, c'est à l'Etat qu'il appartient, après une large concertation, d'arrêter les priorités. Deuxièmement, si l'Etat n'a pas le monopole de l'action en matière de santé publique, il lui revient d'organiser, sous son autorité, un partenariat associant les différents acteurs publics et privés qui concourent à l'amélioration de la santé.

Pour que chaque acteur puisse comprendre le sens de son action, celle-ci doit s'inscrire dans un cadre de référence explicite, comportant une série d'objectifs. La mise sous objectifs du système de santé publique sur cinq ans est ainsi le premier axe de ce projet. Jusqu'à présent, les objectifs faisaient référence aux dépenses d'assurance maladie. Cette logique était à la fois inflationniste et appauvrissante : la vraie question est de savoir si les ressources consacrées au système de santé ont le meilleur impact possible sur l'état de santé de la population. C'est cette correspondance entre les moyens et les résultats que ce projet entend organiser.

Aussi fixe-t-il cinq grandes priorités, dont nous aurons à répondre dans cinq ans : la lutte contre le cancer, la santé environnementale qui inclut la santé au travail, la violence et les comportements à risque, les maladies rares et la qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques.

Le rapport annexé propose en outre une centaine d'objectifs qui ont vocation à constituer un tableau de bord pour améliorer le pilotage et l'évaluation de notre système. Ces objectifs n'ont pas vocation à être exhaustifs. Ce sont des marqueurs, des indicateurs qui doivent permettre de faire le point périodiquement sur la situation sanitaire du pays. Ils ont été définis après une large concertation scientifique et en prenant pour référence les résultats des pays développés les plus performants en matière de réduction des conduites à risque, de prise en charge des maladies chroniques, de maîtrise du risque infectieux. Lorsque les systèmes d'information en matière de santé le permettaient, ces objectifs ont été quantifiés.

Deuxième grand objectif de ce projet de loi : organiser l'action sur le terrain, là où se gagne la bataille de la santé.

Comme je vous l'ai dit, si l'Etat n'a pas vocation à exercer une emprise sur tous ceux qui _uvrent pour la santé publique, il lui revient d'organiser, d'impulser et de coordonner l'action sur le terrain, pour rapprocher les professionnels du soin, ceux de l'action sociale, les soins de ville et les soins hospitaliers. Cette nécessité s'est cruellement confirmée cet été.

Aujourd'hui, hormis quelques exceptions locales que je salue, cette coordination des efforts est à peu près inexistante.

Devant les lacunes constatées, il est tentant d'annoncer que les dépenses de santé publique doivent être augmentées. De nombreux besoins restent certes insatisfaits. Mais il faut avant tout mieux utiliser ce dont nous disposons, éviter le gaspillage d'énergie et de moyens, créer une véritable synergie entre les différents acteurs.

A côté des deux grands acteurs que sont l'Etat et l'assurance maladie coexistent une myriade de structures : observatoires régionaux de la santé, comités départementaux d'éducation pour la santé, multiples associations spécialisées, espaces santé jeunes, centres d'éducation à la santé et à la citoyenneté en milieu scolaire, observatoires de la santé au travail... Entre l'Etat, l'assurance maladie, les collectivités locales, les associations ou les entreprises, la répartition des responsabilités est confuse. Ce projet de loi propose un mécanisme associant tous ceux qui souhaitent concourir à la politique de santé publique au niveau régional. Car on a besoin de tous, chacun à sa place, avec ses missions.

Pour mettre en _uvre des objectifs simples - agir en amont sur les déterminants des maladies, prévenir plutôt que guérir -, nous devons nécessairement en passer par une traduction administrative et institutionnelle, que nous nous sommes efforcés de rendre aussi simple et efficace que possible, même si elle peut paraître rébarbative.

Dans la version initiale du projet, j'avais envisagé, pour simplifier un paysage institutionnel trop complexe, de substituer aux actuelles structures de concertation un mécanisme périodique de débat sur la santé. Mais, à l'occasion des concertations menées durant l'été, de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer le maintien d'une instance permanente de débat. Vous vous en êtes faits l'écho et je vous en remercie. A la réflexion, je crois que cette revendication est juste ; nous devons donc, ensemble, déterminer le meilleur moyen d'amender le projet sur ce point.

La région apparaît comme le meilleur niveau pour mettre en _uvre la politique de santé publique. C'est à cette échelle que les objectifs nationaux doivent être déclinés en tenant compte des spécificités locales et que tous les acteurs de la santé publique peuvent et doivent travailler ensemble.

Une des principales entraves à la performance de notre système tient à l'extrême dispersion des acteurs de terrain, même si leur diversité est une richesse. Plutôt que de créer une institution supplémentaire, d'étatiser la santé publique, je propose un mécanisme souple d'association au sein d'un groupement d'intérêt public, chargé de mettre en _uvre le plan régional de santé publique. Il permettra de mutualiser les financements au niveau régional et garantira la coordination des actions sur la base de priorités établies par son conseil d'administration, où siégeront, outre l'Etat, l'assurance maladie, les collectivités locales qui le voudront et l'ARH.

Troisième objectif de ce projet de loi : créer une grande école de santé publique. C'est un objectif de santé publique majeur que d'assurer la meilleure formation possible des professionnels de santé aux problèmes de la prévention.

Nous disposons actuellement des ressources des facultés de médecine et de celles de l'Ecole nationale de la santé publique de Rennes. Cette dernière forme les agents de l'Etat et de la fonction publique hospitalière _uvrant dans le domaine sanitaire et social, dont les personnels de direction et d'encadrement des hôpitaux. Les facultés de médecine ne forment que les médecins tandis que l'ENSP ne délivre pas de diplômes universitaires.

Nous avons donc décidé, avec Luc Ferry et François Fillon, de créer un grand établissement d'enseignement supérieur permettant d'animer un réseau national de formation en santé publique, de mettre en commun les expériences et les compétences et de hisser notre système de formation au meilleur niveau. Notre pays manque quantitativement de compétences dans les différents métiers de la santé publique : il faut les acquérir et professionnaliser le champ de la santé publique. Il s'agit de choses aussi diverses que de former des techniciens du bruit ou de la qualité des eaux ou d'offrir aux professionnels de santé une formation continue en matière de sécurité sanitaire, au sein d'un établissement disposant d'une visibilité internationale et nous hissant au niveau de nos partenaires les plus performants, anglais et belges notamment.

La création de cette école profitera à l'ensemble des professionnels aujourd'hui formés à l'ENSP. Celle-ci ne sera atteinte ni dans sa mission ni dans sa localisation ; elle gagnera en notoriété, en attrait et en visibilité internationale puisqu'elle conduira à des diplômes nationaux et qu'elle sera adossée à un réseau universitaire performant.

Enfin, ce projet procède à une révision importante des dispositions relatives aux recherches biomédicales, issues de la loi Huriet-Sérusclat du 20 décembre 1988.

Par ailleurs, je me suis attaché à porter au plan international le message du caractère primordial de la santé publique. Ces derniers mois, grâce à l'intervention de la France, trois sujets ont pu déboucher ou progresser significativement. Nous avons vaincu les dernières hésitations de nos partenaires, ce qui a permis, en décembre dernier, l'adoption d'une directive interdisant la publicité transfrontalière pour le tabac. Les ministres de la santé européens ont adopté, en mai dernier, un certain nombre de recommandations décisives pour contrôler l'épidémie naissante de SRAS. Enfin, depuis ma prise de fonctions, je m'emploie à ce que voie le jour un centre européen de contrôle des maladies transmissibles, sur le modèle du CDC d'Atlanta. Le texte décidant de sa création devrait être officiellement adopté en décembre prochain et ce centre serait opérationnel début 2006. Nous prévoyons également d'aboutir dans les prochains mois à la conclusion d'une vaste convention de coopération avec l'OMS sur les principaux sujets de santé publique.

J'en viens aux dispositions de ce projet.

Le titre I est relatif à la politique de santé publique. Il en définit le périmètre, il clarifie les responsabilités et il simplifie les instances.

Au plan national, le souhait du Gouvernement est de parvenir à une architecture efficace et beaucoup plus simple. Il faut tout d'abord un mécanisme de consultation national, permettant aux différents acteurs de la santé publique, professionnels, associations, industriels, chercheurs d'éclairer le Gouvernement ; ensuite, un organisme d'expertise technique unique, le Haut Conseil de santé publique qui reprenne les missions du Conseil supérieur d'hygiène publique de France et du Haut comité de la santé publique ; enfin, une instance de coordination interministérielle et de gestion politique, le Comité national de la santé publique. Grâce aux travaux de ces instances, le Gouvernement soumettra tous les cinq ans au Parlement une loi fixant les priorités de la politique de santé publique.

Au niveau régional, on trouve une architecture proche : un niveau de concertation et de coordination comprenant, outre l'Etat, l'assurance maladie et les collectivités locales, les différents acteurs de terrain ; une instance opérationnelle, le groupement régional de santé publique, qui associe les différents financeurs des actions de santé publique chargée de mettre en _uvre ce plan régional ; enfin, le conseil régional pourra développer des actions particulières complémentaires de la politique portée par l'Etat.

Le titre II est relatif aux outils d'intervention de l'Etat. Il précise les missions de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé. Il établit de nouvelles dispositions relatives à la politique vaccinale. Il précise les mesures à mettre en _uvre en cas de menaces sanitaires graves, notamment d'alerte épidémique. Il renforce les contrôles sur la production et l'utilisation de microorganismes et de leurs toxines, en particulier dans le cadre de la lutte contre le bioterrorisme. Il permet de renforcer les systèmes d'information sanitaire, en ménageant un équilibre entre l'accès à des données importantes pour la protection de la santé et la protection de la vie privée.

Il est évidemment indispensable d'apporter ici des réponses aux questions soulevées pendant l'été. Les travaux sont d'ores et déjà engagés et des réponses s'organisent en trois volets. Certaines de ces réponses demandent un temps de réflexion et de concertation avec les professionnels concernés. C'est le cas en matière d'urgence hospitalière et de politique à l'égard des personnes âgées. Les travaux sur l'organisation des urgences ont abouti à un plan qui vient d'être présenté. Outre les investissements prévus dans le plan « Hôpital 2007 », ce plan prend en compte l'amont, donc la permanence des soins, l'accueil des patients lui-même et tend à un renforcement des services d'urgence ; enfin, il prévoit la création de lits de suite et d'aval en quantité suffisante. Bien entendu, cela nécessite aussi le développement de lits gériatriques de court séjour.

Concernant les personnes âgées, les services de mon ministère sont activement engagés dans la réflexion coordonnée par François Fillon et Hubert Falco pour l'élaboration du plan « vieillissement et solidarités ».

Ensuite, des décisions immédiates ont été prises pour tirer les leçons de la crise et apporter des réponses très précises. Nous devons disposer d'un plan de prévention, d'alerte et de gestion de crise en cas de chaleur extrême, qui prévoie l'implication des services sanitaires, des services sociaux et des collectivités locales, afin que la situation de cet été ne puisse pas se reproduire. J'ai demandé au directeur général de la santé de préparer pour l'été prochain un plan opérationnel éprouvé par des exercices de simulation.

Ensuite, notre système de vigilance et d'alerte doit permettre de prévenir des risques sanitaires qui ne seraient pas nécessairement identifiés a priori. En effet, notre pays, qui a mis au point des systèmes de vigilance de très grande qualité pour les risques infectieux, transfusionnels ou pharmaceutiques, n'est pas organisé pour prévenir les risques de morbidité résultat de facteurs non identifiés, en particulier climatiques. J'ai demandé au directeur de l'Institut de veille sanitaire de me faire à brefs délais des propositions concrètes sur la mise en place d'un bulletin quotidien d'analyse des alertes sanitaires, sur l'instauration d'un dispositif de vigilance et d'alerte appuyé sur les données de morbidité et de mortalité, mais également sur des liens avec les services d'urgence et les services météorologiques, ceux de l'environnement, de l'équipement et de l'intérieur ; sur l'organisation d'une réflexion à plus long terme sur les menaces potentielles et les moyens d'y faire face.

Enfin, je souhaite que votre assemblée puisse, à l'occasion de la discussion de ce projet, prendre les mesures immédiatement identifiables qui relèvent du champ législatif.

Ce projet comporte déjà, dans ses articles 10, 11 et 13, des dispositions relatives à la prévention et à la gestion des crises sanitaires qui permettront d'améliorer notablement la transmission d'information et la mobilisation des moyens en cas de menace de crise sanitaire. Cependant je proposerai au Parlement plusieurs amendements, regroupés dans un nouveau titre, afin de renforcer ou de compléter les mesures prévues, à la lumière de la crise de cet été.

Ce titre comportera trois chapitres. Cinq ans après sa création, notre système de veille et d'alerte sanitaires appelle des renforcements et des précisions. Les missions de l'Institut de veille sanitaire sont aujourd'hui définies par la loi d'une manière fort large mais peu lisible. Aussi le Gouvernement souhaite-t-il, sans en changer le périmètre, mieux préciser ses tâches : il doit mener une réflexion prospective sur les facteurs de risque sanitaire non identifié et compléter son approche par pathologie par une autre par population à risque. Par ailleurs, il sera clairement écrit que l'INVS doit bâtir des systèmes d'information lui permettant d'élaborer des indicateurs d'alerte.

A l'article 11, l'obligation faite aux médecins et aux établissements publics de signaler aux autorités les risques dont ils auraient connaissance sera étendue à l'ensemble des professionnels de la sphère sanitaire et médico-sociale. Je proposerai que ce signalement soit fait d'abord auprès du préfet, dont la responsabilité de coordination sur le terrain doit être absolument claire, et à qui il appartiendra de prévenir immédiatement la cellule de veille de l'INVS.

Par ailleurs, les moyens d'action des pouvoirs publics pour prévenir une menace sanitaire grave ou atténuer l'impact d'une crise sanitaire seront nettement renforcés. Ainsi, l'article 10 donne au ministre de la santé la capacité de prescrire les dispositions appropriées en cas de crise sanitaire grave, y compris lorsqu'il ne s'agit pas d'un risque infectieux, et d'habiliter le préfet à mettre en _uvre au plan local ces prescriptions en prenant, dans des conditions strictement encadrées, les mesures individuelles et collectives qui s'imposent.

Nous souhaitons en outre que le plan régional de santé publique prévu à l'article 2 comporte un volet spécifique relatif au dispositif de prévention, d'alerte et de gestion des crises sanitaires.

Enfin, il vous sera proposé de donner une base légale au plan blanc hospitalier, de préciser les conditions dans lesquelles il peut être déclenché en cas d'afflux de victimes ou de situation sanitaire exceptionnelle et de donner au préfet la possibilité de recourir à des plans blancs « élargis ». Il s'agit, selon les besoins, de requérir le concours des établissements privés, de la médecine de ville, des infirmières libérales, des transports sanitaires et des établissements médico-sociaux.

Une dernière série d'articles est consacrée aux systèmes d'information et de remontée des certificats de décès, depuis le médecin qui le constate jusqu'au centre d'analyse de l'INSERM. Ici, l'objectif est double : simplifier le circuit afin de permettre son informatisation et la remontée presque en temps réel des décès constatés ; permettre à l'INVS de s'appuyer sur ce circuit, pour construire un dispositif d'alerte et de mesure au jour le jour des décès. C'est sur la base d'un tel circuit, complété par des dispositifs sentinelles auprès de services d'urgence et de centres de sapeurs-pompiers notamment, que l'on élaborera le système d'alerte sanitaire dont j'ai commandé la réalisation à l'Institut de veille sanitaire.

Le titre III comporte les dispositions relatives aux cinq plans de santé publique nationaux, qui sont les priorités que le Gouvernement s'assigne. Le projet prévoit une programmation stratégique liant les objectifs aux moyens dans ces cinq domaines.

Pour le cancer, nous créons l'Institut national du cancer conformément aux engagements pris le 24 mars dernier par le Président de la République. Cet institut permettra de mieux coordonner les acteurs du cancer : il sera, en quelque sorte, la « tour de contrôle » du dispositif, capable d'en embrasser tous les aspects, veillant au bon déroulement du plan cancer, qu'il s'agisse de la prévention, des soins, de la formation médicale ou de la coordination et du financement de la recherche, dans un souci constant de développer des synergies européennes et internationales. Il sera la maison commune des patients et des soignants.

Dans le domaine de la recherche, cet institut permettra, sans se substituer à elles, de renforcer le potentiel des institutions de recherche comme l'INSERM, le CNRS et les structures hospitalo-universitaires, en finançant des programmes d'action coordonnés et en aidant à la structuration régionale des cancéropôles.

Nous renforçons aussi l'arsenal de lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, en tenant compte de la loi adoptée en juillet dernier.

Dans le domaine de l'environnement, comme l'a demandé le Président de la République, un plan national de santé-environnement sera élaboré. Il comportera un volet relatif aux situations météorologiques extrêmes. Compte tenu de la complexité de ces problèmes, nous avons installé il y a quinze jours, avec Roselyne Bachelot et François Fillon, une commission d'experts chargée de préparer les premières propositions. Par ailleurs, nous facilitons la surveillance épidémiologique en milieu de travail. Nous actualisons les dispositions relatives à la préservation de la qualité de l'eau et simplifions les autorisations d'exploitation des sources d'eaux minérales naturelles et thermales. Enfin, le projet renforce les mesures de lutte contre le saturnisme.

Le titre IV, qui traite de la recherche et de la formation en santé, crée l'Ecole des hautes études en santé publique et actualise le dispositif encadrant les recherches biomédicales de 2001. La nécessité de transposer en droit interne la directive relative aux essais cliniques de médicaments impose cette révision, par ailleurs souhaitée par tous les acteurs de la recherche en santé.

Le projet remplace l'actuel régime déclaratif par un régime d'autorisation. Il supprime la distinction souvent difficile à manier entre recherche sans bénéfice individuel direct et recherche avec bénéfice individuel direct au profit de l'appréciation plus fine d'un bilan bénéfice-risque. Il organise la participation à la recherche des personnes vulnérables ou hors d'état d'exprimer leur consentement, afin qu'elles puissent bénéficier mieux qu'aujourd'hui du progrès scientifique et médical - je songe en particulier aux personnes atteintes d'affections neuro-dégénératives comme la maladie d'Alzheimer.

En dernier lieu, ce projet simplifie le dispositif de formation médicale continue, étant entendu que celle-ci est une des conditions du succès de la politique de qualité des soins que je souhaite enraciner au c_ur de notre système de santé.

Cette formation médicale continue ne saurait être limitée au « perfectionnement des connaissances », mais doit viser, comme le dit l'article 52, à « l'amélioration de la qualité des soins ». En réalité, les médecins perçoivent très bien la nécessité où ils sont de se former pour continuer à délivrer les soins de meilleure qualité et ils souscrivent de manière responsable à cette obligation.

M. Jean-Marie Le Guen - C'est le pari de la confiance.

M. le Ministre - Je souhaite lier l'obligation de formation à des mécanismes d'incitation et de valorisation professionnelles, qui devront se développer dans une politique conventionnelle bien comprise.

Ainsi, le respect de l'obligation de formation pourrait être une condition de l'accès à certaines fonctions de responsabilité ou de représentation professionnelle comme les fonctions électives dans les CME des établissements de santé ou dans les unions de médecins libéraux ou comme certaines fonctions pédagogiques telles que maître de stage. Les primes d'assurances professionnelles pourraient être modulées dès lors que les praticiens s'engageraient à s'acquitter de l'obligation de formation - des discussions préliminaires sont ouvertes avec les assureurs dans ce sens.

L'histoire de l'interventionnisme sanitaire de l'Etat est celle d'une quadruple aventure.

Scientifique, tout d'abord, car si la réglementation est toujours à la remorque du progrès des sciences de la vie et de la nature, je crois que l'Etat peut, selon qu'il investit ou qu'il néglige la santé publique, stimuler ou au contraire freiner ce progrès.

Administrative, ensuite, car l'adaptation simultanée des structures administratives aux attentes du public, à celles des professionnels et à celles des responsables politiques est un perpétuel recommencement, qui nourrit bien des renoncements et des solutions hâtives.

Économique, car, plus encore qu'en d'autres domaines, l'Etat est prié de faire toujours davantage en dépensant moins.

Juridique, enfin, car l'Etat y déploie toutes les facettes de ses compétences : il informe, il réglemente, il autorise, il interdit, il oriente, il délègue, il contrôle, il incite...

Selon les époques et les circonstances, les formes de l'intervention de l'Etat en matière de santé publique ont été plus ou moins ponctuelles, plus ou moins imaginatives, plus ou moins fécondes et utiles. Le Gouvernement vous invite aujourd'hui à prendre part à cette aventure en écrivant dans l'histoire de la politique de santé publique une page structurante. J'attends donc beaucoup de ce débat parlementaire qui sera un moment fort pour signifier l'engagement de la nation en faveur de la protection et l'amélioration de la santé, et je serai ouvert à tous les amendements (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - 2003 sera-t-elle l'année de la santé publique ? Deux « chantiers » importants ont été lancés par le Président de la République : cancer et insécurité routière. Le SRAS a attiré notre attention sur les risques sanitaires liés aux maladies infectieuses émergentes. La canicule et ses effets meurtriers ont rappelé la fragilité des personnes âgées et l'importance d'une action préventive. Bref, pas un jour ne passe sans qu'un problème de santé publique ne soit évoqué. Or, c'est souvent des crises que naissent les solutions. C'est ainsi que l'épidémie de grippe espagnole de 1918 a conduit à la création d'un ministère de la santé.

Depuis la loi fondatrice du 15 février 1902 sur l'hygiène publique, le formidable essor de la médecine curative a fait passer la prévention au second plan.

Longtemps délaissée, la politique de santé publique est réapparue avec la réforme structurelle engagée par les ordonnances du 24 avril 1996 et la création des conférences de santé et des programmes régionaux de santé. Puis la loi du 1er juillet 1998, relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme, a constitué une étape importante, avec notamment la création des agences sanitaires, et la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades a complété le dispositif en matière d'organisation régionale de la santé.

Mais comment se porte aujourd'hui la santé publique ? Mal ! Selon l'une des personnalités entendues par la commission, elle est « insuffisamment promue, insuffisamment coordonnée, insuffisamment rémunérée, insuffisamment incitée et enfin insuffisamment enseignée... ». Le présent projet a pour ambition d'y remédier.

Il vise tout d'abord à renforcer l'efficacité de notre démocratie parlementaire. La représentation nationale doit débattre de la santé publique. Chaque année, certes, elle se prononce sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais les conditions de cette discussion laissent sur tous les bancs un sentiment de frustration. L'adoption d'un objectif national des dépenses d'assurance maladie, agrégat très large, ne permet pas à la représentation nationale de promouvoir spécifiquement les actions de santé publique - dont l'évaluation est d'ailleurs difficile, constat qui avait motivé, à la fin de l'année dernière, la création, à son initiative, de l'office parlementaire d'évaluation des politiques de santé.

Il vise ensuite à clarifier les compétences respectives des différents acteurs de santé publique - Etat, collectivités territoriales, autres instances publiques ou privées -, étant entendu qu'actuellement il est difficile de savoir qui fait quoi, ce qui pose, d'une part, le problème de l'efficacité et de la cohérence de l'action publique, d'autre part, celui de la responsabilité politique. Le citoyen ne sait pas à qui imputer les succès ou les échecs et se trouve démuni lorsque vient l'heure de juger l'action des gouvernants.

Enfin, le projet tire sa justification d'un double constat de nature sanitaire : la France présente des taux de mortalité prématurée et de mortalité évitable trop élevés par rapport à ses voisins européens ; ses habitants souffrent d'inégalités excessives en matière d'état de santé. J'ajoute que l'évolution des maladies infectieuses et parasitaires - qui demeurent la première cause de mortalité au niveau mondial - suscite des inquiétudes. Des maladies que l'on croyait reléguées dans le passé comme la tuberculose ou la syphilis connaissent une recrudescence. De plus, une trentaine de nouveaux types d'infections - sida, ébola,... - sont apparus depuis le début des années 1970. Tout cela confirme la nécessité de moderniser notre politique de santé publique. Nous devons être capables d'agir très en amont, d'informer les populations et de les éduquer à la santé, enfin de viser des publics spécifiques et fragiles.

Nous ne pouvons donc que nous réjouir de l'élaboration de ce projet et de son inscription à l'ordre du jour. Après la création d'un ministère de la santé de plein exercice et le lancement des « chantiers » présidentiels à dominante sanitaire, il marque l'intérêt du Gouvernement et du Président de la République pour les questions de santé, prouve la volonté de la majorité d'aborder ces problèmes dans une logique de planification stratégique et offre au Parlement l'opportunité d'une discussion approfondie.

Le texte a fait l'objet d'une large concertation, pilotée par les services du ministère de la santé. Chacun a pu donner son avis. La commission a commencé à travailler dès le mois de juillet. Lors des quarante auditions auxquelles elle a procédé, ses membres ont pu entendre des professionnels de santé, des chercheurs, des représentants des agences sanitaires, des malades ainsi que des personnels. Deux déplacements ont été organisés : au Québec et à Londres. Je salue l'état d'esprit qui a présidé à ces travaux préparatoires ; majorité et opposition ont su travailler ensemble pour aboutir à des propositions constructives, dont certains amendements adoptés en commission sont le reflet.

Je l'affirme et le répète : la politique de santé publique est une affaire de l'Etat. Elle est pratiquement devenue une fonction régalienne. D'ailleurs, dès qu'un problème de santé publique apparaît, c'est toujours l'Etat qui se trouve en première ligne. Mais celui-ci n'est pas omniscient et ne doit pas être omniprésent ! Il faut aussi donner toute leur place aux autres acteurs de la santé publique que sont notamment les professionnels de santé, les collectivités territoriales ou les associations. La réussite d'une politique de santé exige l'adhésion de tous, en premier lieu des usagers et des malades.

Ce texte réaffirme donc que l'Etat a pour responsabilité première de définir la politique de santé publique. Il est légitime qu'il prenne ses responsabilités en matière de gestion des crises sanitaires graves, de programmes de dépistage et de politique vaccinale.

Le titre II du projet prévoit la mise en place de programmes nationaux de santé. Définis par l'Etat, ils incluent des programmes de dépistage, des actions d'éducation à la santé, et surtout, des consultations de prévention dans les cabinets médicaux.

M. Jean-Marie Le Guen - Très bien !

M. le Rapporteur - Ils seront mis en _uvre par l'institut national pour la prévention et l'éducation à la santé - l'INPES - qui agit pour le compte de l'Etat.

Il fallait simplifier l'élaboration de la politique de santé publique. La loi sur les droits des malades ne peut être appliquée, du fait de sa complexité. Elle a du reste encore obscurci le paysage administratif en chargeant en commissions, structures et procédures un code de la santé publique déjà richement doté. Ce projet clarifie l'organisation institutionnelle. Plusieurs instances sont ainsi fusionnées pour créer un Haut conseil de la santé publique qui déterminera le rôle de chacun et les objectifs à atteindre, grâce à la mise en _uvre d'actions menées en cohérence sur le long terme. Les indicateurs mesureront les progrès réalisés. De surcroît, le texte accroît le rôle du Parlement en prévoyant un vote, et non plus un simple débat, sur les objectifs de santé.

Le Gouvernement a souhaité simplifier et assouplir les modalités de concertation, mais, compte tenu de l'attachement des professionnels de santé et des associations d'usagers à une instance permanente de débat et de consultation, un amendement adopté par la commission à mon initiative a rétabli le dispositif de la conférence nationale de santé...

M. Jean-Marie Le Guen - Très bien !

M. le Rapporteur - ...dans une version allégée par rapport à la loi du 4 mars 2002 et avec une composition plus équitable.

Concernant la politique régionale de santé publique, le texte prévoit que le représentant de l'Etat dans la région arrête les objectifs régionaux en la matière en s'appuyant sur une instance de concertation, le comité régional de santé publique. Un groupement régional de santé publique est chargé de la mise en _uvre opérationnelle de cette politique, et répond ainsi au problème de la dispersion des acteurs et de l'éparpillement des financeurs à l'échelon local.

Un amendement de la commission précise que le groupement ne rassemblera que les financeurs. J'entends les arguments de ceux qui prônaient des solutions plus radicales, mais la centralisation de tous les acteurs de santé au sein d'une agence régionale est impossible à court terme, et conduirait peut-être à réduire les crédits de santé publique pour les actions qui s'inscrivent dans le long terme, au profit des crédits « soins ». Elle risquerait, de surcroît, de déstabiliser les ARH. Si l'agence régionale de santé est la voie de l'avenir, ce n'est pas d'aujourd'hui notre objet.

Ce projet n'étatise pas, mais associe les bonnes volontés. Les régions pourront ainsi élaborer des programmes de santé complémentaires des programmes nationaux. La commission a rétabli la conférence régionale de santé, supprimée par la loi du 4 mars 2002, comme instance permanente de concertation régionale.

L'examen du projet a aussi permis d'étudier les conclusions de la mission sur la crise sanitaire et sociale déclenchée par la canicule, mission présidée par Denis Jacquat, dont je salue la qualité du travail. Un amendement adopté à son initiative étend l'obligation de signalement de menaces sanitaires aux services de secours et aux entreprises funéraires ; un autre prévoit une transmission directe, à titre expérimental, des certificats de décès à l'INSERM.

Le texte détermine également les améliorations de la politique de santé publique pour les cinq prochaines années.

Le rapport annexé a le mérite de recenser tous les problèmes de santé retenus à l'issue de la consultation nationale. Le Gouvernement propose de retenir cinq priorités et j'insisterai particulièrement sur l'une d'elles, le plan national de lutte contre le cancer.

Le projet propose la création d'un Institut national du cancer afin de coordonner des efforts trop dispersés, sans se substituer aux organismes de recherche. Il sera la « tour de contrôle » de la lutte contre le cancer, mêlant la prévention, les soins, la recherche et l'information.

S'agissant des moyens, le projet de loi de finances pour 2004 prend en compte la création de cet organisme. De son côté, la commission a adopté des amendements renforçant la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme. Ce texte s'inscrit dans la volonté de promotion de la santé prescrite par la charte d'Ottawa.

Pour ce qui est des instruments de la politique de prévention, le texte recentre l'action de l'INPES et définit des dispositifs de prévention, notamment pour la politique de vaccination et pour la prévention des infections liées aux soins.

Il permet également de prendre davantage en compte les facteurs environnementaux, notamment par la surveillance épidémiologique dans l'environnement du travail et la protection des captages d'eau.

Le projet renforce l'efficacité des mesures de lutte et de prévention contre le saturnisme et le travail de la commission a permis de renforcer les dispositions du texte.

Enfin, le texte comporte des dispositions relatives à la recherche et à la formation, l'organisation de la formation concernant la santé est, en France, trop éclatée. Il était donc urgent de créer un organisme comparable à la Harvard school of public health des Etats-Unis ou à la London School. M. le ministre nous expliquera le principe de l'Ecole nationale de la santé publique et nous donnera certainement un calendrier prévisionnel de sa création.

Quant à la recherche, elle est insuffisante, notamment en matière de pathologies mentales chez le jeune enfant, de suicide, de risque professionnel ou de facteur environnemental. Enfin, la santé au travail est un domaine délaissé.

Les efforts de collecte d'informations relatives à la santé doivent être renforcés et un amendement de la commission étend les missions de l'INVS à la centralisation des statistiques en matière d'accidents du travail et de maladies professionnelles.

Le texte réforme le régime des recherches biomédicales, inchangé depuis la loi « Huriet-Sérusclat », mais dont la révision est imposée par la transposition de la directive européenne de 2001 sur les essais cliniques de médicaments. Plusieurs points ont été amendés en commission, M. Pierre-Louis Fagniez nous en parlera plus longuement.

Notre Assemblée va vivre un moment important et trop rare : une discussion sur la politique de santé publique. Je sais que je peux compter sur chacun pour animer un débat de qualité.

Pour conclure, et après avoir remercié tous ceux qui ont contribué à l'élaboration de ce texte, je me placerai dans une perspective plus large, souhaitant que les problématiques de santé publique, imprégnées de préoccupations épidémiologiques, préventives et relatives au populations, s'imposent chez les acteurs du système de santé français. Chacun doit se sentir concerné ; c'est l'une des clés du succès de ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Jean-Marie Le Guen - Notre pays vient de connaître un grave et douloureux drame sanitaire. Plus de 15 000 de nos concitoyens sont décédés, d'autres, peut-être nombreux, ont été fragilisés par cette vague caniculaire. Nous avons constaté les faiblesses insupportables de notre société, notamment à l'égard des personnes âgées, souvent isolées dans la vie, et parfois même oubliées dans la mort. Pourtant, je ne m'associerai pas à ceux qui, pour écarter leur responsabilité, ont mis en cause cet été les Français au travers de leurs familles.

Il serait faux et injuste d'accuser les familles, comme l'ont reconnu de nombreux parlementaires et la Présidente de la fondation française de gérontologie. Ce serait même dangereux, car les personnes âgées se sentiraient plus isolées et la ségrégation en serait accrue.

Les Français, à vrai dire, sont inquiets de voir surgir des menaces sur leur santé qu'ils ne soupçonnaient pas et face auxquelles ils sont souvent démunis. Le système de santé, éprouvé, a su réagir. C'est vrai notamment des personnels des hôpitaux publics, dont on a mis parfois indirectement en cause le droit aux congés pays (Murmures sur les bancs du groupe UMP). Les Français, surtout, s'interrogent sur l'apparente impuissance du politique.

La question, douloureuse, est légitime. Il serait dramatique de refuser l'analyse et les remises en cause qu'implique un tel événement. C'est donc avec gravité, humilité et détermination que nous voulons étudier ce qui s'est passé. Pour autant nous refusons la facilité de désigner des boucs émissaires. Nous savons que la médecine avait déjà identifié ce type de risque et que des dispositions simples pouvaient y remédier en grande partie. La commission d'enquête nous dira pourquoi nous n'avons pas su le prévenir ; elle fera la part des faiblesses collectives et des responsabilités politiques ou individuelles. Son cadre parlementaire garantira la transparence, donc la légitimité de ses conclusions, car il faut absolument éviter les escamotages et les raccourcis polémiques qui alimenteraient le populisme.

Sans anticiper sur ce travail, des rapports ont déjà été publiés. Celui de l'IGAS était incomplet en ce qui concerne les responsabilités de l'Etat et inutilement injuste envers les professions de santé, même s'il révélait de graves difficultés. On peut d'ailleurs se demander si le Gouvernement s'est donné les moyens de les résoudre à l'avenir. Dans un contexte difficile, notre collègue Denis Jacquat a engagé une réflexion intéressante. Nous saluons ce travail comme une introduction à celui de la commission d'enquête. On en conclura pourtant qu'il paraît difficile de répondre aujourd'hui dans un texte de loi aux questions posées. Fallait-il légiférer maintenant, en corrigeant ce texte par des amendements imprécis, insuffisants, parfois dangereux ? Le texte initial aurait-il pu prévenir la situation de cet été ? Et les amendements du Gouvernement permettront-ils de relever le défi ?

Le projet initial souffre déjà des faiblesses que le drame de la canicule a révélées. Comme l'a fort bien dit un de nos collègues, la France du terrain a alors plutôt bien réagi, la France centralisée a manifesté ses dysfonctionnements. Nul ne conteste à l'Etat la responsabilité d'animer la politique de santé publique. Mais il n'a pas bien fonctionné. Or le texte réaffirme sa prééminence sans régler ses dysfonctionnements internes.

D'abord, nous ne pouvons que nous interroger sur les moyens. Selon un hebdomadaire du mercredi, ni M. Fillon ni vous-même n'étiez satisfaits des crédits qui vous étaient alloués, et vous considériez que votre ministère n'était plus en état de fonctionner. Mais au-delà du budget, la question est bien politique. La commission d'enquête sur le SRAS avait pour objet de répertorier les risques internationaux mais aussi de se pencher sur une gestion des crises sanitaires qui nous avait surpris. Pendant cet épisode en effet, nous avions vu monter en puissance la DGS. Or nous pensons que la sécurité sanitaire est une question directement politique et non pas administrative et technique. Elle doit donc être gérée par le ministre et son cabinet avec l'appui des services. Sur ce point, il y a divergence entre nous.

Mais revenons à votre texte. Y a-t-il confusion des rôles entre les différents acteurs de l'Etat, comme il le laisse supposer ? Notre organisation est très sophistiquée, trop peut-être, avec des agences d'une part, l'administration du ministère de l'autre. Vous-même avez dit publiquement qu'il fallait aller vers la fusion des agences. Je suis très réticent, mais nous aurions pu en débattre. Or le titre I relatif à l'organisation de la santé publique n'y fait pas du tout allusion. Il y a là pour le moins une incohérence. Avant que la question ne revienne au plan législatif, les agences ne seront-elles pas déstabilisées ? D'autre part, tout en tenant ce discours politique, vous proposez un amendement qui renforce le rôle de l'INVS, qui devient pratiquement opérationnel. Que devient la direction générale de la santé ? Où se trouve la structure opérationnelle ? Nous sommes là au c_ur du débat politique. Je ne vois dans vos propositions que gesticulation législative et confirmation du désordre.

Le texte initial, et en particulier le titre I, nous semble erroné. Il ne suffit pas de dire : « l'Etat, l'Etat, l'Etat » en sautant comme un cabri. Votre loi oppose l'Etat et les acteurs de la société civile.

L'option scientifique qui sous-tend votre projet est épidémiologique et non populationnelle, qui tend à cibler les populations les plus fragiles. C'est un choix politique.

Enfin, il y a une confusion structurelle. M. Jacquat a proposé un amendement pour que les municipalités de plus de cinq mille habitants puissent mettre en place un projet de santé publique. Cet amendement a été repoussé en raison des conséquences insupportables qu'il aurait, en l'état, pour les communes. Mais il repose sur une intuition juste : n'est-il pas légitime de décentraliser ou de déconcentrer une partie de l'action des pouvoirs publics ?

Votre texte, lui, fait le choix inverse de reconcentrer l'ensemble de votre politique de santé ? Un État moderne efficace se devrait pourtant de construire une architecture nouvelle pour impliquer plus largement les acteurs de terrain.

Le drame récent de la canicule nous oblige à aborder différemment les problèmes de santé publique. Il faut créer un droit collectif à la santé de façon à ce que les pouvoirs publics créent les conditions environnementales favorables à l'épanouissement de la santé des individus. La santé publique ne doit pas relever de la seule action du ministère de la santé. Certes, la prévention, l'accès aux soins doivent être développés, mais nous devrons de plus en plus intervenir en amont : droit au logement, pollution, droit de l'environnement, loi de programmation militaire : qu'en est-il de la santé des populations exposées à des risques extérieurs, de la sécurité civile ? Trop souvent, lorsqu'il s'agit d'arbitrer entre des principes généraux de santé publique et, par exemple, l'ordre public, la sécurité sanitaire n'est pas considérée comme prioritaire.

Les valeurs de la santé durable doivent inspirer l'ensemble de l'action publique. La promotion de la santé ne constitue pas un sous-chapitre de la prévention. Elle comporte une dimension éducative essentielle et doit mobiliser l'ensemble des pouvoirs publics.

Entre la gauche et la droite, l'approche de ces questions diffère. Ainsi, pour la prévention, certains insisteront sur la dimension personnelle, j'allais dire culpabilisatrice, de la responsabilité ; d'autres mettront en avant les facteurs environnementaux, les populations défavorisées.

Nous sommes tous d'accord : notre pays connaît un retard en matière de santé publique. Nous avons trop exclusivement privilégié le soin, la dimension médicale, l'approche individuelle par rapport à la prévention, aux données épidémiologiques, à l'action collective.

Le président Dubernard l'a rappelé : les pratiques et les politiques de recherche des pays anglo-saxons, bien supérieures aux nôtres, induisent une moindre mortalité et une moindre morbidité. Mais ces approches différentes trouvent aussi leurs racines dans le rapport particulier que chaque peuple, chaque culture entretient avec la santé. Si les comparaisons sont légitimes, il faut adapter les moyens à notre spécificité. Nous accordons, je crois, à l'individu une place plus importante que celle que lui laissent les politiques d'inspiration utilitariste anglo-saxonnes. Ce n'est pas un hasard si notre pays a été l'un des premiers, à l'instigation de Bernard Kouchner, à insister sur l'importance de l'accès aux soins dans la lutte contre le sida en Afrique, quand d'autres pays prônaient une démarche de prévention et populationnelle. Acceptons donc que notre identité reste différente de celle des pays anglo-saxons, y compris à l'échelle internationale : nous avons la prétention de penser que ce n'est pas toujours mauvais pour les populations concernées. Evitons donc, tout en mesurant les efforts qui nous restent à faire, de copier sans discernement les systèmes anglo-saxons.

Éminemment politique, le débat sur la santé publique ne saurait donc se limiter à des questions techniques.

Lorsque vous avez annoncé une grande loi de santé publique, beaucoup ont cru que ce serait une nouvelle étape de la remise à niveau engagée depuis quinze ans, et dont la loi sur les droits des malades n'est pas le moindre acquis. Mais ce texte est décevant et régressif, il ignore même une loi qui suscita pourtant une large adhésion, au-delà des bancs de la précédente majorité.

M. le Président et rapporteur de la commission - Celle-ci aussi !

M. Jean-Marie Le Guen - Peut-être et partiellement, si comme je l'espère le titre premier est réécrit. Vous aviez d'abord annoncé, Monsieur le ministre, une loi de programmation, ce qui suppose des objectifs chiffrés et un financement pluriannuel qui font défaut.

Vous avez ensuite annoncé une loi d'orientation, c'est-à-dire de principe et d'organisation. Au bout du compte, il ne reste qu'un simple projet de loi sans le moindre engagement financier. Ce recul grave illustre celui de la santé dans les priorités du Gouvernement.

Ce texte fait fi des plans triennaux initiés par le précédent gouvernement, dont les orientations étaient, elles, structurées et financées.

Vous vous flattez de son mode d'élaboration. Mais il n'est pas un acteur de la santé publique - mutuelles, assurance maladie, syndicats, associations de malades, observatoires régionaux de santé, fédération nationale des établissements de santé, société nationale de santé publique - qui n'ait protesté contre la méthode de concertation et les principes d'organisation définis dans les articles premier à 5. Je vous lirai leurs déclarations ! Cette méthode illustre les insuffisances du texte. Alors que la santé publique est le domaine de la mobilisation collective par excellence, sa rédaction a été exclusivement confiée à un groupe de soixante-dix experts dont la plupart ignoraient vos orientations stratégiques : ils ont eu deux heures pour se prononcer sur vos 100 objectifs ! Nul débat public, nulle concertation préalable avec les associations de malades ! Ne nous étonnons donc pas si les contresens et la régression abondent dans ce texte. On y chercherait en vain une dimension internationale et européenne.

Comment notre pays pourrait-il se passer d'une ambition internationale en matière de santé publique ? Notre tradition - je ne citerai que les French doctors -, notre poids dans les organisations internationales, le rayonnement de notre médecine ne nous imposent-ils pas de réfléchir et d'agir à l'échelle planétaire ?

Encore plus étonnant, la dimension européenne est tout aussi absente de ce texte. Pouvons-nous vraiment, à l'heure où se construit déjà l'Europe de la santé, traiter des agences en faisant abstraction de la problématique européenne ?

Mme Claude Greff - Soyez positif ! Nous y avons pensé !

M. Jean-Luc Warsmann - Merci de l'aveu !

M. Jean-Marie Le Guen - Si cela vous paraît naturel qu'un texte de santé publique n'aborde pas l'ambition internationale de la France, ne tienne pas compte de l'intégration européenne, si vraiment vous pensez que l'Europe n'aura aucun rôle à jouer en matière de sécurité sanitaire ou de soins, alors de quoi parlons-nous ? Vous pouvez remercier vos collègues socialistes qui ont fait adopter ce matin en commission, à l'initiative de Claude Evin, un amendement pour ratifier la convention mondiale sur le tabac ! Etre parmi les premiers pays à ratifier cette convention internationale, voilà un acte politique !

En matière de démographie médicale, pourquoi faut-il qu'on avance toujours des chiffres moyens ? Je constate avec tristesse, Monsieur le ministre, que vous rejoignez ceux qui estiment que nous avons bien assez de professionnels de santé...

Mme Claude Greff - Nous n'avons jamais dit ça !

M. Bertho Audifax - Cela a été votre discours pendant des années !

M. Jean-Marie Le Guen - Cela a été un discours collectif, celui des syndicats médicaux, qui ont malheureusement voulu nous convaincre, pour des raisons financières, qu'il y avait trop de professionnels de santé dans notre pays. Le ministre Bernard Kouchner a officialisé la rupture avec cette idée il y a trois ans.

Comment la France serait-elle porteuse d'une politique internationale si elle continue à importer des professionnels de santé, alors qu'elle dispose d'un appareil de formation de qualité ? Je regrette que ce sujet ne soit pas au coeur de la réflexion sur la politique de santé publique. Nous pourrions nous mettre d'accord sur des amendements à ce propos.

J'en viens au titre premier, dont la rédaction initiale concentrait les aspects les plus négatifs de ce texte. Je me réjouis que la commission ait adopté un certain nombre d'amendements importants. Mais je persiste à ne pas comprendre la nécessité de revenir sur les principes posés par la loi du 4 mars 2002 qui n'aura pas été mise en application.

L'actuel gouvernement a eu dix-huit mois pour cela, mais il a fait un autre choix. Pourtant, les principes posés par la loi de 2002 avaient rencontré un assez large assentiment ici même. Vous-même, Monsieur le ministre, étiez alors présent parmi nous...

M. Claude Evin - Mais il n'avait pas voté le texte...

M. Jean-Marie Le Guen - En effet. Mais ce dernier n'a provoqué aucune réaction d'opposition, et il paraît donc un peu mesquin de remettre aujourd'hui en cause ses grands principes.

Sur le fond, je suis en total désaccord avec la conception du rôle de l'Etat, omniprésent dans votre projet.

Mme Claude Greff - C'est l'inverse !

M. Jean-Marie Le Guen - Non ! L'inverse, c'est un Etat qui décide après consultation, qui dynamise au lieu de soumettre, et c'est bien la conception qui prévalait dans la loi de 2002. Dans votre approche technocratique, les associations de malades comme les professionnels sont ignorés.

Par ailleurs, vos choix de structures semblent bien confus, au niveau tant national que régional, et je regrette que la commission n'ait pas jugé bon d'amender cette partie du texte.

Je m'inquiète, en particulier, de la fusion entre les organismes d'expertise et de gestion, qui paraît contraire à tous les principes de gouvernance des systèmes de santé. Il est risqué de mélanger ainsi tactique et stratégie.

Pour rétablir un Haut Conseil de santé publique, vous regroupez des organismes qui n'ont rien à voir : le Haut Comité de santé, organe de délibération collective et d'expertise sur les orientations stratégiques et le Comité d'hygiène publique, organe très pointu qui prend des décisions ponctuelles comme la fixation du taux de chlore dans les piscines. De même, pourquoi regrouper le Conseil national de sécurité sanitaire, structure de crise, et le Conseil des politiques de prévention ?

Au niveau régional, la confusion frise le ridicule : le préfet est installé comme dirigeant de la politique de santé publique et se voit chargé de la déclinaison régionale des objectifs nationaux. Gare à ceux qui s'écarteraient du chemin...

Mme Claude Greff - C'est faux !

M. Jean-Marie Le Guen - Le comité régional de santé, qui rassemblera décideurs et financeurs, n'aura qu'un rôle consultatif. Présidé par le préfet, il sera dirigé par une personne nommée par lui et aura comme outil unique le GPPS. Seules les administrations pourront donc intervenir et les professionnels de santé seront tenus à l'écart. La maîtrise des opérations n'appartiendra qu'aux administrations d'Etat. Ainsi, demain, le préfet, c'est-à-dire le DRAS, donnera des ordres sur le SROS à l'ARH.

M. René Couanau - C'est normal...

M. Jean-Marie Le Guen - Vous m'aviez habitué à moins de centralisme jacobin, mon cher collègue,... (Sourires)

Mme Claude Greff - On peut chercher à améliorer les choses...

M. Jean-Marie Le Guen - Mais on ne fait pas une loi avec des bons sentiments : il faut savoir si les choses sont techniquement possibles !

J'en viens au rythme quinquennal. L'idée plaît sans doute aux nostalgiques des grands plans quinquennaux (Sourires) mais elle me semble malvenue. Bien sûr, il faut inscrire la politique de santé dans une perspective stratégique, mais limiter cette perspective à cinq ans montre une méconnaissance du fonctionnement de cette politique.

M. René Couanau - Vous étiez pourtant partisan du quinquennat il y a quelques mois...

M. Jean-Marie Le Guen - Eh bien, je fais mon mea culpa. Que mon exemple serve à tous (Sourires) : ne faites pas de concessions tactiques qui aillent à l'encontre de vos convictions...

M. Dominique Tian - Votre mea culpa vaut-il pour tout le PS ?

M. le Président - Revenons à un débat moins interactif.

M. Jean-Marie Le Guen - Je ne crois pas qu'il faille enfermer la politique de santé publique dans un cadre aussi rigide que le quinquennat, rythme administratif qui risque de ne pas correspondre avec le rythme politique. Une dissolution peut se produire, c'est déjà arrivé dans un passé récent mais je n'ai pas entendu de mea culpa à ce sujet (Sourires). Et que reste-t-il d'un plan quinquennal de santé publique quand, trois mois après son adoption en Conseil des ministres, survient une crise sanitaire majeure ? Nous avons besoin de souplesse et de réactivité plutôt que du volontarisme quelque peu dépassé qu'exprime un plan quinquennal.

M. Jean-Luc Warsmann - C'est quoi, le volontarisme dépassé ?

M. Jean-Marie Le Guen - C'est un volontarisme qui s'inscrit dans une tradition de centralisme...

Un député UMP - Démocratique ?

M. Jean-Marie Le Guen - Rarement, il faut bien le dire.

M. Jean-Luc Warsmann - Il est bien difficile de tenir une heure trente, n'est-ce pas ? (Rires)

M. Jean-Marie Le Guen - Revenons en effet à ce texte, qui prétend améliorer la santé des Français, pendant que le Gouvernement conduit une politique qui met gravement en péril l'assurance maladie - mais nous en reparlerons à propos du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Il y a dix-huit mois, Monsieur le ministre, vous vouliez faire de l'Etat le principal acteur de toute la politique de santé, celui-ci se substituant aux partenaires sociaux. Vous prépariez en quelque sorte l'étatisation de l'assurance maladie et vous annonciez pour janvier 2004 une grande loi sur sa gouvernance. Puis, patatras, au printemps dernier, M. Chirac se rend au congrès de la Mutualité à Toulouse et exprime un choix politique tout à fait différent : minoration du rôle de l'Etat dans l'assurance maladie, responsabilité accrue des partenaires sociaux. Le Président de la République demande même au Medef de revenir siéger à la sécurité sociale. Bref, il valide le système de la gestion paritaire. J'imagine votre désappointement, Monsieur le ministre.

Faut-il voir dans cette prise de position présidentielle un choix tactique ? Certains croient ce choix motivé avant tout par les énormes déficits de l'assurance maladie, difficiles à assumer, spécialement en année électorale. Selon eux, le Président ne se sentirait pas non plus capable d'assumer une réforme, et préfèrerait laisser la responsabilité de la situation aux partenaires sociaux. D'autres, plus respectueux, dont je suis bien sûr, prennent les déclarations présidentielles au pied de la lettre et y voient un choix stratégique correspondant à une orientation de fond. Si tel est le cas, alors il faut bien dire que le présent projet est en totale contradiction avec la philosophie présidentielle !

Par ailleurs, il ressemble par moments à un texte portant diverses mesures d'ordre sanitaire, forme législative à laquelle je croyais que nous avions renoncé. Et l'on ne voit pas quelle est la cohérence des fameux « cent objectifs ». J'ai d'ailleurs tendance à faire une erreur de liaison, tant cette multiplication d'objectifs donne à penser que le texte est « sans objectif ». Ils auraient en tout cas été plus crédibles s'ils avaient été sinon financés, du moins chiffrés. Nous aurions aussi aimé savoir pourquoi tel objectif a été retenu plutôt qu'un autre. L'académie de médecine avait proposé une méthode objective, fondée sur des critères, pour dégager un certain nombre de priorités. La question mérite en tout cas d'être posée : qu'est-ce qu'« une priorité de santé publique » ? Est-ce un sujet qui a eu un impact médiatique plus fort que les autres ? Est-ce la lubie de tel ou tel responsable ? Ou est-ce le résultat d'une démarche collective rationnelle ?

L'Académie de médecine proposait donc de retenir avant tout les domaines dans lesquels la France accuse les plus grands retards par rapport aux autres pays de l'Union européenne ainsi que les principales causes de mortalité et de morbidité évitables. Autre critère : l'acceptabilité sociale. L'académie entend par là la plus ou moins grande capacité à mobiliser l'opinion sur un thème : les maladies nosocomiales et le suicide des jeunes sont à l'évidence des sujets qui touchent fortement l'opinion. L'Académie de médecine propose par ailleurs que l'on calcule pour chacun de ces choix un rapport coût-efficacité. Ce serait en effet très éclairant.

Parmi les priorités qu'il aurait fallu selon nous retenir, je citerai le combat contre l'épidémie d'obésité, qui sera beaucoup plus difficile et coûteuse à combattre une fois qu'elle se sera véritablement propagée...

Mme Claude Greff - Une épidémie, c'est viral, non ?

M. Jean-Marie Le Guen - Pas nécessairement. On parle d'épidémie quand apparaît massivement une pathologie.

Pour dégager les priorités, on aurait dû aussi prendre en compte les acteurs que telle ou telle action sollicite, car il est évident qu'on ne peut et doit pas solliciter toujours les mêmes acteurs. Il faudrait aussi privilégier les politiques dont la mise en _uvre a un coût minimum pour une efficacité maximale. Si par exemple une maladie peut être combattue grâce à une réglementation, il faut prendre celle-ci sans tarder.

A côté de l'énumération peu éclairante des « cent objectifs » de santé publique, le texte comporte plusieurs dispositions positives.

Tout d'abord, le renforcement de la lutte contre le tabac, mais aussi des dispositions pour l'environnement et la santé au travail. Certes, des propositions structurantes seront nécessaires, mais nous approuvons nombre de dispositions du projet.

En revanche, celui-ci nous paraît faible en matière d'alcoolisme, et je regrette que des propositions faites au Gouvernement aient été systématiquement écartées. Si je comprends certaines préoccupations, il était impératif de traiter sérieusement d'un problème majeur de santé publique dans notre pays : l'alcoolisme. Si l'on veut s'ériger en donneur de leçons au monde entier en matière de santé publique, il faut être capable d'efforts plus conséquents.

Je rends à cet égard hommage au texte de Claude Evin sur la publicité contre l'alcool qui lui avait valu à l'époque des attaques violentes de la part de certains lobbies. Il eût été utile que vous supportiez, à votre tour, votre part du fardeau.

Nous regrettons que la lutte contre les inégalités au regard de la santé, comme la situation spécifique des exclus, ne soient pas abordées comme une priorité, non plus que la question particulière de la santé des détenus. Nous ferons des propositions au sujet de la médecine populationnelle.

Par ailleurs, la création de certaines institutions peut s'avérer déstabilisante. C'est vrai de l'Institut national de lutte contre le cancer, tour à tour appelé « tête de réseau » ou « tour de contrôle », mais dont nous n'avons pas saisi la réalité juridique ou administrative.

M. Pierre-Louis Fagniez - Vous avez oublié « la maison commune ».

M. Jean-Marie Le Guen - Nous avons déposé de nombreux amendements, dont l'adoption calmerait notre très grande inquiétude. Nous avions, en effet, une vision très négative de la première partie de ce projet, qui justifiait à elle seule une exception d'irrecevabilité, mais le travail en commission a permis de franchir un grand pas, et nous en donnons acte au rapporteur et à l'ensemble de nos collègues.

Notre opposition à ce texte est argumentée et forte, mais notre seule ambition est de sauver ce qui peut l'être et de progresser. J'espère que vous aurez le souci de nous faire partager des espérances communes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Ministre - Il est d'usage que le Gouvernement réponde à chaque intervention, mais je serai bref, car nous reviendrons sur l'ensemble des questions soulevées par M. Le Guen. Du reste, à l'exception d'une petite phrase sur les dangers qui pèseraient sur la santé des Français, rien ne justifiait dans votre propos l'inconstitutionnalité de ce texte.

M. Jean-Marie Le Guen - J'ai dû être trop elliptique faute de temps ! (Sourires)

M. le Président - Nous en venons aux explications de vote.

M. Bertho Audifax - Je n'ai rien entendu, moi non plus, qui justifie l'inconstitutionnalité de ce texte. M. Le Guen a semblé regretter son exception, tant le travail en commission avait été fructueux ! Nous lui ferions de la peine si nous ne repoussions pas la motion (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Claude Evin - Ce débat intervient à un moment particulier, après un été qui a vu notre système de santé incapable d'affronter une situation de crise. Le travail déjà commencé sur cette période, et qui se poursuivra avec l'enquête parlementaire, a d'ores et déjà dénoncé le cloisonnement de notre système de veille, d'alerte, et de gestion, sans parler du cloisonnement entre le sanitaire et le social. Or, vous nous proposez d'aggraver les choses en créant une institution régionale supplémentaire, ce groupement d'intérêt public chargé de la santé publique, présidé par le préfet, et indépendant de l'organisation de l'offre de soins.

Face à la crise de l'été, nous aurions dû prendre le temps de proposer une meilleure organisation de notre système. Du reste, négliger ce cloisonnement de notre système de santé est contraire au onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, texte constitutionnel qui fonde la protection de la santé de nos concitoyens.

Pour toutes ces raisons, je vous demande de voter cette exception d'irrecevabilité.

M. Jean-Luc Préel - Ah ! Si Claude Evin avait défendu l'exception d'irrecevabilité, nous aurions peut-être été convaincus ! (Sourires)

Mais il importe au contraire de débattre rapidement de ce sujet, et je remercie M. le ministre de nous présenter ce texte important, qui met l'accent sur la nécessité d'une meilleure prévention et d'une meilleure éducation.

Le projet pêche néanmoins par trois dispositions. Tout d'abord, vous confiez au préfet la responsabilité de la prévention et de l'éducation. Nous avons déjà les ARH et il est primordial de s'orienter vers le principe d'un interlocuteur unique.

Ensuite, vous créez un Institut national avec des correspondants régionaux plutôt que vous tourner vers les associations de terrain, tels les CRES et les CODES. Renforcer une étatisation déjà excessive n'est pas une bonne solution.

Enfin, plutôt que de viser une centaine d'objectifs, il aurait mieux valu cibler quatre ou cinq priorités.

Mais nous sommes heureux de pouvoir débattre de ce projet, et espérons que vous accepterez nos amendements.

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

Mme Catherine Génisson - Il peut sembler paradoxal de proposer, par cette motion, de ne pas délibérer de l'organisation de notre système de santé, après les événements de l'été. C'est que, si nous attendions un texte, celui que vous proposez nous laisse perplexes et nous déçoit.

Outre qu'il ne s'agit pas d'une loi de programmation, et que vous n'annoncez pas de moyens financiers, je ne peux accepter son orientation politique. Nous sommes unanimes pour reconnaître à l'Etat la responsabilité de gérer le système de santé, mais pas selon une organisation pyramidale au détriment de la démocratie de terrain. Mais vous l'aviez dit, vous êtes très dubitatif sur la démocratie sanitaire et vous avez limité au strict minimum l'information et la concertation avec les acteurs de terrain. Ils l'ont souligné au cours des travaux préparatoires de la commission sous la présidence de M. Dubernard, dont je salue la volonté d'écoute. (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe UMP)

De ce fait, vous remettez profondément en cause la loi sur le droit des malades du 4 mars 2002, issue d'une large concertation, et qui fut l'objet d'un consensus de notre assemblée, après de longs débats auxquels vous-même aviez largement participé. Vous arguez de difficultés d'application pour la modifier ; en fait vous n'en partagez pas la philosophie. Vous prévoyez donc la fusion ou la suppression des organismes qu'elle avait instaurés, conférence nationale de santé et conseils régionaux de santé, pourtant utiles. Heureusement, la commission a adopté des amendements du rapporteur qui les réintègrent dans la loi. Ensuite, vous fusionnez dans un Haut Conseil de la santé publique le Conseil supérieur d'hygiène publique et le Haut Conseil instauré par la loi Kouchner, et donnez à un Comité national de santé publique les missions du Comité national de la sécurité sanitaire et du Comité technique national de prévention, pour laisser la décision politique au ministre qui présentera chaque année au Parlement un rapport sur les plans nationaux de santé publique. C'est amalgamer des organes de gestion et des organes d'orientation. Et quelle efficacité auront ces instances technocratiques, comment les citoyens pourraient-ils se les approprier, alors qu'ils ne sont associés ni à la délibération ni à son application ?

De même, je suis très opposée à la création de groupements régionaux de santé publique présidés par le préfet et administrés par un conseil dont la moitié des membres seront aussi des représentants de l'Etat. Au détriment des usagers et des professionnels, vous donnez ainsi au préfet une place centrale dans la politique de santé publique, tandis que le comité régional de santé, qui rassemble décideurs et financeurs, ne sera que consultatif. Nous ne sommes plus dans la logique des ARH dont nous sommes beaucoup à penser qu'elles devraient devenir des agences régionales de santé.

Je veux aussi souligner combien le schéma que vous proposez pour les régions est non seulement centralisateur, mais obscur. Or, s'il est un échelon qui a bien fonctionné durant la canicule de cet été, c'est l'échelon régional. La commission d'enquête que nous avions réclamée dès le 20 août va se mettre en place, la mission d'information conduite par M. Jacquat n'ayant pas eu le temps nécessaire pour déboucher sur des conclusions déterminantes. Néanmoins, les premiers constats peuvent orienter notre travail. La mort dramatique de 15 000 personnes, essentiellement des personnes âgées, pendant un pic de canicule, a constitué une crise qui a été prise en charge correctement sur le terrain grâce à l'exceptionnelle mobilisation des acteurs, réagissant - et eux seuls - en temps réel. Mais elle a aussi révélé certains dysfonctionnements de notre système de santé. C'est bien lentement qu'on a mesuré la gravité de la situation, et qu'on a pris des décisions. Les institutions ont été plongées dans le désarroi par un événement exceptionnel certes, mais pour le moins prévisible.

Les effets de la canicule n'ont pas été anticipés. A l'exception de travaux isolés, il n'existe pas dans notre pays de réflexion à ce sujet et en 2002 ni les experts ni le Haut Comité de la santé publique n'y avaient vu une menace sérieuse. Cela révèle les faiblesses de l'épidémiologie, et aussi d'une approche démographique de différents groupes, qui fait encore cruellement défaut dans votre projet de loi. Il nous faut encourager ces recherches et donc redéfinir le cahier des charges de l'institut national de veille sanitaire dans ce domaine .

D'autre part, notre système de veille, d'alerte et de gestion des crises n'a pas fonctionné. Pourtant le nombre élevé des décès avec hyperthermie, la forte activité des pompiers et des services d'urgence auraient dû éveiller l'attention des autorités. Le problème est que ces informations ne sont pas parvenues au niveau central, interdisant d'analyser correctement la crise. L'Institut national de veille sanitaire n'a pas joué son rôle, car il n'était pas en possession des informations recueillies par les diverses services. Le Comité national de la sécurité sanitaire, censé, selon le code de la santé publique, se réunir sous la présidence du ministre « immédiatement en cas de crise sanitaire » ne l'a pas fait. Il faut donc revoir ce système. Mais si l'on veut prendre des mesures simples et efficaces, il faut d'abord mener une réflexion en profondeur en raison même de la complexité du système. Pour que l'information circule, le système de santé publique doit fonctionner en réseau, et il faut redéfinir les missions et le fonctionnement des différentes structures de veille. Pour autant, est-il judicieux de dépouiller la DGS d'une partie de ses missions au profit de l'INVS, comme vous le proposez par amendement ?

En revanche, nous convenons tous que le cloisonnement des différents ministères a été une grande cause de dysfonctionnement. Cela prouve que notre système doit fonctionner en réseaux et non sur une base pyramidale. Avec votre projet de loi, Monsieur le ministre, vous vous fourvoyez en accentuant encore la centralisation.

Dernière remarque à propos de la crise liée à la canicule : je rappelle que les personnes âgées ont été touchées principalement.

Je ne souhaite pas polémiquer en rappelant les tentatives de stigmatisation du rôle des familles, dont la présidente de l'association française de gérontologie a souligné le dévouement.

Revendiquons notre rôle politique et donc l'approche populationnelle d'une politique de santé publique, qui doit aboutir à des propositions concrètes en matière de soins curatifs, mais également à des propositions clairement énoncées de prévention. Reconnaissons qu'en ce qui concerne les personnes âgées, les orientations budgétaires de votre gouvernement ont été un contre-exemple : gel du plan de médicalisation des maisons de retraite, remise en cause des critères d'attribution de l'APA et soutien insuffisant à la mise en place de structures pour les personnes souffrant de la maladie d'Alzheimer.

Il me semble que nous pouvons proposer un certain nombre d'axes de travail. Tout d'abord, les acteurs de terrain doivent être au c_ur du système de santé. Ce sont les premiers à détenir l'information, les mieux à même d'apporter des solutions aux problèmes.

Deuxièmement, l'organisation pyramidale du système de santé s'est révélée désastreuse : l'Etat doit être garant, et non gérant unique de notre santé publique.

M. le Ministre - Je suis bien d'accord.

Mme Catherine Génisson - En tant qu'élue de cette région, permettez-moi d'évoquer le pôle régional de santé publique du Nord-Pas-de-Calais. Alors que nos chiffres sont si catastrophiques en matière de santé publique - maladies cardio-vasculaires, insuffisances respiratoires, maladies professionnelles, alcoolisme féminin, cancers du sein ou digestifs -, nous avons dû agir. Et le pôle est un bel exemple de coopération et de dynamisme. Il illustre l'efficacité du travail en réseau.

A ce propos, je regrette beaucoup que votre projet de loi attache si peu d'importance à l'échelon régional, aux acteurs de terrain et aux associations.

Depuis 1990, la région Nord-Pas-de-Calais s'est dotée, à l'initiative du conseil régional, de la caisse régionale d'assurance maladie Nord-Picardie et des services de l'Etat, d'une structure pilote de prévention regroupant, au sein de la maison régionale de promotion de la santé, trois associations préexistantes : le comité régional d'éducation pour la santé, l'observatoire régional de la santé et le carrefour d'initiative et de réflexion sur la maternité, la vie affective et sexuelle.

Ces associations constituent un pôle régional de ressources étendu et qui propose à tous les acteurs de santé un certain nombre de services et de compétences.

Au cours de ces treize dernières années, d'autres associations ont rejoint ce groupement pour mener des actions de prévention : espace de concertation et de liaison addiction tabagisme, association de prévention de la pollution atmosphérique, groupement régional addiction alcoologie.

Depuis deux ans, un rapprochement entre le pôle régional de santé publique et l'institut santé au travail du nord de la France s'est opéré grâce aux travaux et actions menés dans le cadre des six programmes régionaux de santé auxquels chaque association contribue grâce aux conventions d'objectifs pluriannuels que chacune a signé avec l'Etat et la région.

Aujourd'hui, ces opérateurs associatifs régionaux réfléchissent à d'autres modalités de collaboration, afin de proposer aux acteurs de santé des compétences et des services encore plus professionnels.

Ainsi, elles mettront à la disposition du public un portail internet commun, afin de garantir un accès direct aux diverses ressources proposées en ligne.

Je suis convaincue qu'à travers ce pôle régional de santé publique, la région Nord-Pas-de-Calais va dans la bonne direction. Les décideurs politiques ont un rôle d'impulsion, de libération des énergies et non pas de gestion quotidienne.

Cette initiative, a contrario, met en lumière le caractère inadapté de votre projet, avec un rôle de l'Etat parfaitement rigide.

Ce matin, en présentant votre texte, vous avez insisté sur l'obligation de prendre en compte la dimension internationale de la santé publique. Or cette légitime préoccupation n'apparaît pas. L'Union européenne trouve mal sa place dans votre texte, alors que nous connaissons son rôle prépondérant dans le domaine des médicaments ou de la sécurité sanitaire et environnementale...

Nous devons donc approfondir notre réflexion concernant l'inscription de la politique de santé publique dans un cadre européen et international, la référence à la charte d'Ottawa étant nécessaire dans cette optique.

Dans son titre III, le projet fait état de cent objectifs de santé publique non hiérarchisés, édictant des priorités qui perdent toute leur légitimité dès lors qu'elle n'ont fait l'objet d'aucun débat. Par ailleurs, comment croire à leur réalisation quand aucun programme concret ne leur est associé ? Vous proposez de réduire de 20 % la prévalence du surpoids chez les adultes, mais vous ne dites rien des moyens.

Votre projet de loi propose une approche théorique des pathologies alors qu'il faudrait associer à cette démarche la prise en compte des préoccupations des personnes - nous savons, par exemple, que l'espérance de vie varie selon l'appartenance sociale.

Le groupe socialiste n'adhère pas à votre projet de loi. Beaucoup de travail reste à faire, comme en atteste d'ailleurs la richesse de nos travaux en commission.

Ne soyons pas approximatifs.

Je vous demande donc de voter la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Ministre - Je salue l'intervention de Mme Génisson. Nous reviendrons sur les questions soulevées au cours de la discussion des articles. Mais j'observe que Mme Génisson a très exactement développé notre point de vue sur l'Etat garant du système de santé et sur la nécessité d'accorder beaucoup d'importance aux régions.

Enfin, je sais que la région Nord-Pas-de-Calais est assez exemplaire...

M. Jean Le Garrec - Très bien !

M. le Ministre - ...j'y reviendrai, mais j'ajoute que la région Provence-Alpes-Côte d'Azur n'est pas en reste (Sourires ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Gérard Bapt - Certes, un débat sur la santé publique est nécessaire et nous trouvons largement matière, Monsieur le ministre, à vous accompagner dans votre démarche.

Mais tous les interlocuteurs que nous avons rencontrés ont regretté une concertation insuffisante. Ils auraient souhaité que le débat se prolonge.

En outre, le drame sanitaire de cet été vous a conduit à annoncer, en urgence, que des amendements relatifs à la canicule seraient introduits pendant la discussion.

Enfin, il n'y a eu aucune avancée concernant les financements : réforme de l'assurance maladie, budget de l'Etat ou de la recherche.

Notre débat est prématuré. Il aurait fallu attendre de tirer les leçons épidémiologiques de la catastrophe de cet été.

M. Jean-Luc Préel - L'UDF ne votera pas cette question préalable. Ce projet de loi est indispensable à la mise en _uvre rapide d'une véritable politique de santé publique et à la dynamisation de la prévention.

Nous espérons pouvoir améliorer le texte par nos amendements. Il faut donc en venir rapidement à sa discussion.

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 45.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


© Assemblée nationale