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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 7ème jour de séance, 17ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 15 OCTOBRE 2003

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE
DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE 2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

RÉFORME DU SERVICE DES URGENCES 2

VISITE DU DALAÏ-LAMA EN FRANCE 2

ACCÈS À LA PROPRIÉTÉ 3

LUTTE CONTRE LA PRÉCARITÉ 4

SÉCURITÉ ROUTIÈRE 5

ENFANCE MALTRAITÉE 5

AVENIR DE LA POSTE 6

CORPS EUROPÉEN DE GENDARMERIE 7

AVENIR DES DÉBITANTS DE TABAC 7

JOURNÉE NATIONALE D'HOMMAGE
AUX COMBATTANTS D'AFRIQUE DU NORD 8

ATTAQUES DE LOUPS EN PROVENCE 9

FINANCEMENT DE L'ALLOCATION
PERSONNALISÉE D'AUTONOMIE 9

LOI DE FINANCES POUR 2004 (suite) 10

La séance est ouverte à quinze heures.

SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE

M. le Président - Je suis heureux de souhaiter, en votre nom, la bienvenue à une délégation parlementaire, conduite par M. Mohammed Abbou, président du groupe d'amitié Algérie-France de l'Assemblée populaire nationale algérienne (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent).

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

RÉFORME DU SERVICE DES URGENCES

M. Jean-Yves Hugon - Monsieur le ministre de la santé, la ville de Châteauroux accueille à partir de ce soir, et jusqu'à vendredi, le neuvième congrès national du collège des médecins de réanimation et d'urgence des hôpitaux extra universitaires de France. Je vous remercie d'avoir accordé votre patronage à cette manifestation. Les médecins urgentistes, comme l'ensemble des personnels de soins, font preuve au quotidien d'un extrême dévouement et d'un grand courage. Ils l'ont encore prouvé dernièrement.

Pourtant, cette fonction hospitalière indispensable est encore méconnue du grand public. Les protocoles d'admission sont souvent très lourds, et l'encombrement difficile à gérer. Une réorganisation s'impose. Quelles mesures mettrez-vous en _uvre dans le cadre du plan Urgences, et quel message pouvez-vous adresser aujourd'hui aux congressistes ?

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - Je voudrais adresser un double message de reconnaissance aux urgentistes. D'abord pour leur compétence particulière qui justifiera la création, en septembre 2004, d'une spécialité de médecin urgentiste, conformément aux engagements du Gouvernement.

Ensuite, pour leur dévouement et leur disponibilité. Le Gouvernement a conçu un plan d'ensemble en trois volets pour réorganiser les urgences. Avant les urgences, la permanence des soins en ville, l'articulation avec l'hôpital, et la double régulation des centres 15 par les médecins libéraux et les urgentistes.

Au niveau des urgences elles-mêmes, 700 millions d'investissements pour améliorer les locaux dans le cadre du plan hôpital 2007, créer des postes de médecins, de soignants et de logisticiens, ouvrir des lits supplémentaires en gériatrie aiguë, et surtout contractualiser l'établissement hospitalier.

Après les urgences, enfin, la création de 15 000 lits de soins de suite et réadaptation et de 8 000 places d'hospitalisation à domicile.

Voilà un plan sans précédent pour les urgentistes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

VISITE DU DALAÏ-LAMA EN FRANCE

M. François Loncle - Monsieur le Président, vous allez recevoir, après cette séance, le Dalaï-Lama, chef spirituel respecté, mais aussi le plus haut responsable politique du Tibet. Cette invitation, comme celle de votre prédécesseur Laurent Fabius, et de Jack Lang, en 1998, honore notre assemblée, et nous vous en remercions (Applaudissements sur tous les bancs). Mais le Président de la République, le Premier ministre et le Ministre des affaires étrangères ont refusé de recevoir le Dalaï-Lama, au contraire du Président Bush et de Colin Powell (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). De même le Président du Sénat, après avoir invité le leader tibétain, a finalement annulé brutalement le rendez-vous.

M. Augustin Bonrepaux - C'est scandaleux !

M. François Loncle - Pourquoi ce refus ? A quelles pressions, venant de quel pays, nos dirigeants obéissent-ils, pour manquer aux valeurs qu'ils sont censés incarner au nom de la France ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Pourquoi ferment-ils si souvent les yeux lorsque les droits de l'homme sont bafoués ? Nous l'avons dénoncé s'agissant de la Libye, de l'Irak, et de la Tchétchénie la semaine dernière.

Monsieur le Premier ministre, pourquoi tant de complaisance à l'égard de régimes autoritaires, voire dictatoriaux ? Pourquoi ce cynisme et ce manque de courage politique, quand il s'agit de l'essentiel ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - Le Dalaï-Lama est en visite en France dans le cadre d'une tournée pastorale qu'il effectue en Europe pour rencontrer des fidèles. C'est vrai, il est reçu par le Président de l'Assemblée nationale, mais à ma connaissance, il n'a pas demandé à rencontrer les autorités gouvernementales.

Sur le fond, la politique chinoise à l'égard du Tibet, la France exprime une position constante depuis plusieurs années, que la Chine connaît bien. Sans contester l'intégrité territoriale de ce pays, la France souhaite que la personnalité culturelle du Tibet soit garantie.

Du reste, le Dalaï-Lama ne demande pas l'indépendance du Tibet, mais son autonomie authentique.

Comme ses partenaires européens, la France reste vigilante et entretient un dialogue avec la Chine sur la question des droits de l'Homme, démarche approuvée par le Dalaï-Lama, et qui a porté ses fruits, puisqu'une jeune religieuse tibétaine a été récemment libérée.

L'engagement de contacts directs entre les autorités chinoises et les émissaires du Dalaï-Lama laisse espérer que ce conflit pourra être résolu prochainement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Martine David - Ce n'est pas convaincant.

ACCÈS À LA PROPRIÉTÉ

M. Philippe Folliot - Monsieur le ministre du logement, la France ne compte pas assez de propriétaires. Avec 56 % de propriétaires occupant leur logement, notre pays est en retrait par rapport à nos voisins européens comme l'Espagne, la Belgique ou le Royaume-Uni, où il y a plus de 70 % de propriétaires occupants. Un récent sondage a montré que plus d'un locataire sur trois souhaite accéder à la propriété, en particulier les locataires des HLM. Accéder à la propriété, c'est envisager son environnement d'une façon différente, mais c'est aussi une manière de préparer sa retraite, en s'épargnant un loyer, ou en constituant un capital.

Pourtant, nombre de Français hésitent encore à franchir le pas, alors qu'il faudrait souvent peu de chose pour déclencher leur décision. Sensible aux aspirations de nos concitoyens, le groupe UDF estime que ce sujet doit être au c_ur des priorités du Gouvernement.

Que prévoyez-nous pour que le plus grand nombre de nos concitoyens puissent devenir propriétaires de leur logement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - En Grande-Bretagne et en Belgique, 70 % des habitants ont réalisé ce rêve, et même 90 % en Espagne. En France, du fait de lourdeurs et d'une culture socialisante, on a empêché les Français de devenir propriétaires ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

C'est vrai, l'accès à la propriété est épanouissant, et il permet d'augmenter son pouvoir d'achat à la retraite. Aussi le Gouvernement met-il aujourd'hui trois outils à la disposition, des locataires désireux d'acheter. Tout d'abord, nous allons réformer les prêts à taux zéro en faveur des familles les plus modestes, en prolongeant le différé d'amortissement au-delà de 18 ans.

Ensuite, nous allons faciliter la location-accession qui permettra à des personnes aux revenus modestes de bénéficier de logements avec des taux de TVA réduits de 19,6 à 5,5 ; et une exonération d'impôt foncier pendant quinze ans.

Enfin, nous permettrons à des locataires de HLM d'acquérir leur logement au bout d'un certain temps de location (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

LUTTE CONTRE LA PRÉCARITÉ

Mme Janine Jambu - Monsieur le ministre des affaires sociales, après-demain, de très nombreuses initiatives de solidarité auront lieu dans le cadre de la journée mondiale du refus de la misère. Dans notre pays, la misère est de plus en plus présente. Elle a le visage des cinq millions d'hommes, de femmes et d'enfants qui vivent sous le seuil de pauvreté, des trois millions de chômeurs, des deux millions de Rmistes.

M. Thierry Mariani - Vingt ans de socialisme !

Mme Janine Jambu - Comme l'expriment les témoignages recueillis par ATD Quart-Monde, leur quotidien, c'est le recours à l'aide alimentaire, les difficultés d'accès aux soins, l'illettrisme parfois, le mal-vivre et l'incertitude du lendemain toujours.

Les plans sociaux, les délocalisations, la déréglementation impulsée par le Medef et relayée par le Gouvernement, le démantèlement des mécanismes de solidarité sont directement responsables de l'extension de la précarité.

Quelles réponses proposez-vous depuis quelques mois ? La suppression de l'allocation de solidarité spécifique ! Votre caution à l'accord UNEDIC qui va diminuer, ou supprimer les droits d'indemnisation de 850 000 chômeurs ! La mise en place, avec le revenu minimum d'activité, d'un véritable sous-salariat sans droits !

La fracture sociale, si volontiers dénoncée par le Président de la République, est devenue un gouffre béant entre les riches et les pauvres (Interruptions sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Les orientations fiscales et budgétaires dont nous débattons depuis hier l'élargissent encore (Mouvements d'impatience sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Laissez terminer Mme Jambu !

Mme Janine Jambu - Pourtant, d'autres choix sont possibles, pourvu qu'existe la volonté publique de taxer la spéculation, de contrôler les fonds publics, de mettre à contribution les revenus financiers...

M. le Président - Posez votre question.

Mme Janine Jambu - Voici donc ma question (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP). Allez-vous entendre les attentes et les signaux de détresse de tous ceux qui se mobilisent pour refuser la misère, et engager enfin une politique en leur faveur ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - A la veille de la journée mondiale de refus de la misère, vous avez raison de dénoncer la montée de la pauvreté. Comme tous les acteurs de terrain, comme Dominique Versini, vous savez que, depuis le début des années 80, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté n'a cessé d'augmenter. Vous savez que la loi de lutte contre l'exclusion de 1998 a besoin d'être améliorée, notamment dans ses modalités d'application. Vous savez que les slogans ne sont pas à la hauteur d'un enjeu complexe et douloureux.

Le Gouvernement s'est engagé dans la lutte contre l'exclusion. Mme Versini a présenté au printemps un programme axé sur trois objectifs : l'accès aux droits et à la citoyenneté, l'accès au logement et l'accès aux soins.

Les crédits consacrés aux situations d'urgence ont progressé de 210 millions entre 2002 et 2003. Nous avons en outre payé toutes les dettes de l'Etat.

Mais la lutte contre l'exclusion ne peut être uniquement défensive. Il faut aussi agir en amont, faire confiance aux capacités des individus à se réinsérer. L'ASS n'est pas supprimée, nous avons voulu simplement limiter son versement dans le temps. Sa réforme vise à mettre en _uvre un véritable programme de réinsertion (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) autour du revenu minimum d'activité.

En 2001, quatre millions de personnes vivaient au-dessous du seuil de pauvreté. La gauche n'a pas le monopole du combat contre la misère et l'exclusion, qui est un combat collectif, moral, fondé sur la fraternité sociale et la responsabilité individuelle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

SÉCURITÉ ROUTIÈRE

M. Jean-Michel Bertrand - En décidant de faire de la sécurité routière un des très grands chantiers de son quinquennat, le Président de la République a affirmé son ambition de mettre un terme à une funeste exception française.

En un peu plus d'un an, en épargnant des vies, des handicaps et des traumatismes trop souvent irréversibles à nos concitoyens, vous avez, Monsieur le ministre des transports, avec vos collègues de l'intérieur et de la justice, réussi à placer la France dans la première moitié des pays en termes de résultats.

Depuis dix mois, le nombre de blessés et de tués a diminué de 20 %, soit plus de 1 000 vies épargnées.

Ce résultat est le fruit de la volonté sans faille du Gouvernement, mais également de la mobilisation de toute la société : associations, collectivités territoriales, médias, éducation nationale.

Pour continuer à épargner des vies, et des handicaps, comment envisagez-vous de poursuivre votre action et qu'attendez-vous de la campagne lancée ce matin contre l'alcool au volant ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - Pour faire le point sur cette grande cause nationale lancée par le Président de la République le 14 juillet 2002, il faut rappeler les chiffres : chaque année 8 000 personnes trouvaient la mort sur nos routes.

Sur les quatorze derniers mois, ce sont 1 498 vies qui ont été épargnées, 26 000 blessés au moins - 19,8 % d'accidents corporels en moins.

Est-ce satisfaisant ? Non. 6 000 personnes meurent encore, chaque année, sur les routes. Les jeunes - 2 000 morts par an, les deux roues - risques multipliés par 15 - et les piétons paient le prix le plus fort.

Aujourd'hui s'ouvre la semaine de la sécurité routière, au cours de laquelle 2 000 animations, dans chaque département, rappelleront l'ardente obligation de sécurité. Des assises départementales reprendront les états généraux de la sécurité routière de l'an passé. Nous en ferons la synthèse.

Enfin, nous avons engagé en effet une grande campagne contre l'alcool au volant, qui est responsable de 30 % des accidents.

D'autres mesures sont à venir : le brevet de sécurité routière à partir du 1er janvier, le permis probatoire à partir du 1er mars et la pose, dans les prochains jours, avec Nicolas Sarkozy, du premier appareil de détection des infractions qui permettra l'envoi automatique de la contravention.

Cette grande cause nationale n'est pas l'_uvre du seul Gouvernement. Elle est l'affaire de tous (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

ENFANCE MALTRAITÉE

M. Yves Bur - Plusieurs faits dramatiques ont rappelé récemment l'impérieuse nécessité de protéger l'enfance, parfois même, et c'est terrible, contre les parents.

Les chiffres communiqués par l'observatoire national de l'action sociale décentralisée, l'ODAS, comptabilisent près de 18 500 enfants maltraités en 2002 et 67 500 enfants en situation de danger.

Nous devons améliorer les dispositifs d'alerte et de signalement pour mieux mobiliser les services concernés et rendre plus efficace l'intervention des juges pour enfants, qui doivent travailler plus souvent en réseaux avec les acteurs de terrain.

Quelles actions entendez-vous engager pour mieux assurer la sécurité et la protection des enfants, en vous appuyant notamment sur l'action sociale de proximité conduite par les départements ?

M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille - On ne peut qu'être en effet révolté à la lecture des chiffres révélés ce matin par l'ODAS, dont je salue le travail.

Nous mettons en place un système d'alerte plus perfectionné avec la création de l'observatoire national de l'enfance maltraitée. Il permettra de mieux identifier les situations difficiles afin de mieux intervenir mais aussi d'organiser la prévention. Il s'appuiera sur trois collèges.

Le premier reposera sur l'action des départements, qui font déjà un travail exceptionnel en ce domaine.

Le second rassemblera l'ensemble des administrations concernées : éducation nationale, justice, santé, police, gendarmerie.

Le troisième travaillera avec les associations de protection de l'enfance.

En outre, nous développons les actions de sensibilisation. Le 4 novembre, je présenterai avec MM. Ferry et Darcos un plan de formation au signalement de l'enfance maltraitée à destination des enseignants et des travailleurs sociaux.

En direction de l'opinion publique, des spots télévisés et des affiches rappelleront aux enfants les droits qui sont les leurs et contribueront à renforcer la responsabilité de chacun.

Mais toutes les actions mises en _uvre par l'Etat et les collectivités ne remplaceront jamais la solidarité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

AVENIR DE LA POSTE

M. François Brottes - Je ne vais pas vous questionner, Monsieur le Premier ministre, sur les commis-voyageurs ou sur les télégraphistes mais bien plutôt sur les facteurs.

Votre gouvernement, en effet, se spécialise dans les tournées à blanc ou plutôt, les tournées à découvert, autrement dit les tournées sans facteurs.

J'ai conscience qu'en ce moment la diffusion des bonnes nouvelles s'épuise, mais je ne m'explique pas le retard considérable du Gouvernement pour envoyer à La Poste sa nouvelle feuille de route.

Voilà des mois que la signature du nouveau contrat de plan entre l'Etat et La Poste est reportée de semaine en semaine. C'est à croire que votre volonté est bien de laisser pourrir la situation, pour justifier la fermeture - presque annoncée - de centaines de bureaux de poste et engager dans la foulée la privatisation de l'opérateur postal.

Quelles garanties pouvez-vous nous apporter quant au maintien de la présence postale sur l'ensemble du territoire et d'un prix unique pour le timbre ? Quelle est donc cette méthode de Gouvernement qui laisse aux seules banques le soin de décider de l'avenir du service public postal en milieu rural (Protestations sur les bancs du groupe UMP) en s'opposant, par un lobbying insupportable, à l'extension des services - notamment des services financiers - rendus par La Poste ?

En refusant d'afficher une position claire, vous donnez le sentiment d'organiser le sabordage de La Poste, de ses 17 000 points d'accueil et de ses 300 000 postiers. Pouvez-vous enfin nous préciser vos intentions ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie - Le contrat de plan de La Poste est un acte majeur pour la communauté postale comme pour l'économie française.

Nous voulons doter La Poste d'un vrai projet industriel pour chacune de ses trois formes d'activités : c'est indispensable pour réussir l'ouverture à la concurrence. Nous voulons que La Poste demeure le grand service public de proximité et de qualité dont nous sommes fiers et auquel les Français sont très attachés (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Aussi nous sommes-nous attaqués à tous les problèmes sensibles, ce que vous n'avez jamais eu le courage de faire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Ne vous étonnez donc pas que le Gouvernement ait pris le temps de la réflexion. Nous sommes désormais en mesure d'ouvrir la concertation (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste). Je m'apprête à saisir la commission supérieure du service public des postes et télécommunications.

La tâche est immense. Pour rattraper en cinq ans le retard de La Poste sur ses concurrents, il faudra investir dans de nouvelles machines de tri, conforter ses services financiers dans le respect des règles de la concurrence, et maintenir une implantation dans les zones rurales (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP) grâce à une présence diversifiée - comme c'est le cas chez nos voisins européens.

Cet effort de modernisation considérable s'opère dans un dialogue approfondi avec les agents postiers et les organisations syndicales, et dans la concertation la plus étroite avec les élus (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Gilbert Gantier - Très bien.

CORPS EUROPÉEN DE GENDARMERIE

M. Yves Fromion - Madame la ministre de la défense, vous avez rendu public il y a quelques jours le projet de création d'un corps européen de gendarmerie. C'est pour tous ceux qui sont attachés à la construction d'une défense européenne ambitieuse une annonce importante. Pouvez-vous nous préciser les modalités de ce projet ?

M. le Président - Voilà une question brève et bien posée !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense - Les crises survenues dans les Balkans ou en Afrique nous ont montré qu'à une période très violente - dite « de haute intensité », durant laquelle seuls les militaires sont aptes à intervenir - succède souvent, avant le retour à la normale, une période intermédiaire. Seules les forces de gendarmerie ont la formation et les compétences nécessaires pour faire face à ces situations, et notamment aux opérations de maintien de foules sans ouverture de feu.

Plusieurs pays européens possèdent des forces de gendarmerie : la France, l'Italie, l'Espagne, le Portugal, l'Autriche et les Pays-Bas. Nous envisageons donc une action commune afin de disposer d'une force européenne de gendarmerie susceptible d'intervenir dans ces périodes intermédiaires. Le dernier sommet informel des ministres de la défense a décidé d'étudier l'hypothèse d'un commandement multinational et d'entités nationales totalisant 800 à 900 hommes. Des propositions seront soumises à l'ensemble des ministres de la défense européens au cours de leur prochaine réunion formelle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF).

AVENIR DES DÉBITANTS DE TABAC

M. Christian Vanneste - Ma question s'adresse à M. le ministre du budget. J'y associe notre collègue Etienne Blanc, président du groupe d'études « zones frontalières ».

La consommation de tabac régresse en France - et il faut s'en féliciter - du fait des campagnes dissuasives et de la hausse des prix du tabac. Si le nombre de fumeurs a diminué de 4 % sur les huit premiers mois de 2003, les ventes de tabac, elles, ont diminué de 8 %. La différence trouve moins son origine dans les ventes illégales que dans l'approvisionnement à l'étranger, régulier pour un Français sur dix et pour 22 % de ceux qui habitent les départements frontaliers. Résultat, on enregistre dans le Nord un nombre de fermetures de bureaux de tabac double de la moyenne nationale.

Les buralistes ont longtemps commercialisé un produit qui l'était par et pour l'Etat. Ils demeurent d'ailleurs des auxiliaires des pouvoirs publics : encaissement de recettes, vente de timbres fiscaux et postaux. Surtout, ce sont des commerçants de proximité, qui ont un vrai rôle social - je pense notamment à la diffusion de la presse quotidienne.

Il nous faut donc songer à l'avenir de ces 32 000 entreprises...

M. le Président - Posez votre question.

M. Christian Vanneste - ...de ces 3 500 entreprises des départements frontaliers - dont 1 200 dans celui du Nord. C'est en leur nom que je vous demande quelles mesures vous envisagez pour pérenniser l'avenir des buralistes (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire - Les débitants de tabac ont une réelle utilité sociale que le Gouvernement entend soutenir dans les villes comme dans le monde rural. Il est donc à leurs côtés dans les difficultés qu'ils rencontrent.

Renaud Dutreil a rendu public au nom du Gouvernement un plan (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) de 120 millions d'euros qui comporte deux volets : un volet général qui permettra d'accroître de 10 % le revenu de chaque débitant de tabac, et un volet supplémentaire en faveur des frontaliers. Nous continuerons aussi à lutter contre la fraude : nous vous proposerons dans le projet de loi de finances de renforcer les peines applicables. Les débitants de tabac sont, nous le savons, aux côtés de l'Etat dans cette lutte. Nous discutons actuellement avec eux les termes d'une charte étendant les services rendus à la population (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF).

JOURNÉE NATIONALE D'HOMMAGE AUX COMBATTANTS D'AFRIQUE DU NORD

M. Michel Dasseux - Monsieur le Premier ministre, c'est avec stupéfaction et indignation que nous avons pris connaissance de la décision arbitraire du Président de la République de retenir la date du 5 décembre comme journée nationale d'hommage aux combattants morts pour la France en Afrique du Nord ! Il n'y a eu ni concertation avec le monde des anciens combattants (« C'est faux ! » sur les bancs du groupe UMP) ni consultation du Parlement à la différence de ce que le Gouvernement de Lionel Jospin avait fait avant de retenir le 19 mars.

Quant à l'intitulé de cette journée et à la date retenue, ils suscitent l'indignation. Parler de journée nationale de recueillement et de mémoire en souvenir de toutes les victimes de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc aurait eu le mérite d'associer toutes les victimes du conflit : appelés, rappelés, maintenus, militaires de carrière, harkis, Français d'Algérie, population algérienne.

Contrairement au 11 novembre ou au 8 mai, la date retenue ne correspond à aucun événement historique ou symbolique : elle ne commémore que l'inauguration en 2002, quai Branly, d'un mémorial dédié aux combattants d'Afrique du Nord, sans doute la seule date disponible sur l'agenda du Président de la République... (Protestations sur les bancs du groupe UMP). La preuve : elle avait d'abord été prévue le 27 novembre ! A chacun ses symboles... Mais tous les anciens d'Algérie rejettent votre choix de division (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Posez votre question.

M. Michel Dasseux - Allez-vous persister dans cette décision (« Oui ! » sur les bancs du groupe UMP) contraire au sens de l'histoire et qui méprise la volonté d'une large majorité ? Ou bien aurez-vous le courage d'entamer un dialogue avec le monde combattant et de soumettre votre choix à la représentation nationale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Hamlaoui Mékachéra, secrétaire d'Etat aux anciens combattants - A la polémique et à l'agressivité, je répondrai plus sereinement par des explications (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Enfin ! Il aura fallu attendre quarante ans pour que l'on puisse rendre hommage à ceux qui ont sacrifié leur vie pour notre pays : voilà l'essentiel ! Quant à la date retenue, elle résulte d'une concertation soutenue (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste) puisque j'ai reçu les présidents d'associations concernées et que ce choix a été fait en suivant l'avis rendu par la commission Favier, où siégeaient toutes les organisations représentatives...

M. Jean Glavany - Et le Parlement ?

M. le Secrétaire d'Etat - Il convenait, naturellement, de suivre cette proposition et de fixer au 5 décembre cette journée d'hommage. Cette date renforce d'ailleurs l'unité nationale, puisqu'elle renvoie à l'inauguration du mémorial national, à laquelle assistaient les représentants de tous les groupes politiques représentés dans votre hémicycle, et toutes les associations d'anciens combattants en Afrique du Nord. Il n'y a aucun doute : c'est la date du 5 décembre qui s'impose, car elle honore et rassemble, et non la date polémique que vous lui préférez (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

ATTAQUES DE LOUPS EN PROVENCE

M. Daniel Spagnou - Dans les Alpes-de-Haute-Provence, la colère des bergers et des éleveurs d'ovins monte à proportion des attaques des loups (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). C'est désormais à une véritable hécatombe qu'ils doivent faire face, démunis de tout moyen d'intervention. Ils ont le sentiment que les conclusions de la commission d'enquête parlementaire n'ayant rien apporté de neuf, il faut légiférer pour sauver le pastoralisme et, avec lui, la montagne. Quand donnera-t-on enfin la priorité à l'homme sur les prédateurs ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Quand un projet de loi nous sera-t-il présenté ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; « Hou ! » sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable - Ceux qui se moquent ont tort, car ils méconnaissent le désarroi et le désespoir des éleveurs dont les bêtes, terrorisées, dérochent et périssent par centaines (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Je tiens, Monsieur Spagnou, à témoigner de la solidarité du Gouvernement et de son émotion après l'attentat qui vous a visé dans votre mairie de Sisteron.

Je ne pense pas que les éleveurs et les pasteurs soient démunis, comme vous le dites, puisque les conclusions de la commission d'enquête ont été suivies d'effet : non seulement le seuil d'intervention, lors des attaques de loups, a été abaissé mais encore la prévention a été renforcée et des mesures d'accompagnement, psychologiques et indemnitaires, ont été prises. D'autres suivront, sous l'égide de l'office national de la faune sauvage. Enfin, un groupe de travail sera formé pour élaborer un plan transfrontalier de gestion du loup, et je vous invite à y participer.

Convaincus que le maintien du pastoralisme est indispensable à la sauvegarde de la montagne, M. Gaymard et moi-même avons axé notre politique sur la prévention et l'indemnisation (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

FINANCEMENT DE L'ALLOCATION PERSONNALISÉE D'AUTONOMIE

M. Michel Roumegoux - Les conséquences dramatiques de la canicule ont appelé l'attention sur la situation des personnes âgées, dont la dépendance doit être prise en charge de manière adaptée. L'APA est donc une allocation essentielle, mais l'impéritie du précédent gouvernement (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) a contraint le Gouvernement actuel à procéder à une réforme d'urgence de son financement pour en garantir le versement en 2003. Mais rien n'est réglé pour la suite. Etant donné l'augmentation continue du nombre de personnes dépendantes, quel sera l'avenir de l'APA ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées - Nos prévisions étaient exactes : on a dénombré 743 000 bénéficiaires de l'APA en juin 2003, et ils seront 870 000 à la fin de l'année. Comme vous l'avez rappelé, nous avons dû prendre des mesures pour sauvegarder et financer cette allocation en 2003. Le Premier ministre annoncera sous peu un plan « vieillissement solidarité » (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) dont l'application permettra la pérennisation de l'APA. Le Gouvernement donnera ainsi une nouvelle preuve de son réalisme et de son sens des responsabilités (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Messieurs, la démagogie a ses limites : la réalité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

La séance, suspendue à 15 heures 55, est reprise à 16 heures 25 sous la présidence de M. Baroin.

PRÉSIDENCE de M. François BAROIN

vice-président

LOI DE FINANCES POUR 2004 (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion générale du projet de loi de finances pour 2004.

M. Didier Migaud - Je souhaiterais faire un rappel au Règlement. Alors que nous venons de commencer l'examen du projet de loi de finances en séance publique, et que la commission des finances poursuivait encore ses travaux en fin de matinée, c'est avec stupéfaction que nous avons lu dans un quotidien que « conformément au souhait du Premier ministre - le général Raffarin, devrait-on dire -, le président UMP de la commission des finances de l'Assemblée nationale a annoncé hier le retrait de plusieurs amendements, qui avaient été adoptés par la commission la semaine passée ». Les travaux de la commission ont-ils encore quelque utilité ou ne sont-ils que théâtre d'ombres, effet d'affichage ? Face à une telle méthode, totalement contraire à l'esprit du travail en commission, nous sommes en droit de nous interroger. L'UMP nous avait habitués à se coucher devant le Gouvernement, mais plus tard dans la discussion. Nous souhaitons donc être rassurés : un vrai débat aura-t-il bien lieu ou le général Raffarin ayant rappelé ses troupes à l'ordre, le débat sera-t-il clos avant même d'avoir commencé ?

M. Jean-Louis Dumont - C'est l'adjudant Raffarin !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances - J'ai déjà rassuré notre collègue Didier Migaud : les amendements de la commission seront maintenus, et donc débattus. Il sait d'ailleurs très bien qu'il n'est pas en mon pouvoir de les retirer. Pour le reste, les maladresses dans la communication sont quelquefois la faute de celui qui communique, quelquefois aussi la faute de la presse.

M. Jean-Claude Sandrier - «Désormais, vous êtes sous le contrôle des marchés financiers. » C'est ainsi que M. Tietmeier, président de la Bundesbank, s'adressait en 1996 aux chefs d'Etat réunis à Davos - on rapporte que ses propos furent suivis d'applaudissements nourris. Cela signifie donc qu'au-dessus des gouvernements, à moins que ceux-ci n'en soient les complices, au-dessus des parlements, des juges, des journalistes, des syndicats, des scientifiques, des églises, des armées, règnent désormais les marchés financiers.

Le projet de budget pour 2004 en est l'illustration, reflétant, selon Les Echos « de vrais choix politiques » - sans doute celui de favoriser les hauts revenus par la politique fiscale ! -, prisonnier des dogmes libéraux qui plongent le pays dans la tourmente.

Quand tous les indicateurs sont négatifs, ce qui est le cas, il faut remettre en question l'essence même des choix. Croissance proche de zéro, déficit record, pertes de recettes fiscales de neuf milliards d'euros, destruction de 58 000 emplois et record de faillites au premier semestre, budget 2003 devenu virtuel, consommation des ménages en baisse, investissement productif anémié, taux de chômage proche de 10 % en dépit du « nettoyage » des fichiers, 2,2 % de hausse des prix en un an : la liste est longue des motifs d'inquiétude. Je passe sur le scandale des gels de crédits, lesquels ont non seulement atteint des records mais touché des domaines présentés comme prioritaires. Ainsi la sécurité maritime a-t-elle vu ses crédits de fonctionnement réduits de 20 % par rapport au budget initial 2003 et ses crédits de paiement de 50 %. Où est la priorité proclamée si haut et si fort dans les médias ?

Sur tous ces points, la responsabilité du Gouvernement, en place depuis dix-huit mois, est entière. Avec un bilan désastreux, il en est réduit à nous promettre des lendemains qui chantent. Cet optimisme affiché n'est que, je cite l'historien Michel Beaud, « le masque d'intérêts acquis, celui de l'impuissance, de l'incapacité ou du renoncement. » C'est surtout le refus de remettre à plat les politiques déflationnistes gravées dans le marbre du pacte de stabilité européen, que les rodomontades de Matignon n'ont jamais égratigné. La preuve en est donnée par le commissaire européen Pedro Solbes, quand il déclare que « ramener en 2005 le déficit en dessous de 3 % ne peut se faire qu'au prix d'un effort beaucoup plus important en 2004. » Autrement dit, le budget que l'on nous présente risque d'être aussi virtuel que celui de 2003.

Nombre d'économistes s'interrogent aujourd'hui sur la pertinence de la pression sur le coût salarial, sur le freinage des dépenses sociales, censés favoriser l'emploi. Un économiste américain qui n'est probablement pas communiste, Robert J. Gordon, explique dans la revue de l'OFCE de janvier 2003 que la déformation du partage du revenu au détriment du salaire est la cause principale de la croissance molle que nous connaissons. La part des salaires et pensions dans la valeur ajoutée, qui était de 69 % en 1982, n'est aujourd'hui que de 58 %. Où est la « primauté du travail » qui est votre slogan ?

La gangrène des marchés financiers est passée par là, stérilisant de plus en plus de ressources pour assurer à une caste de privilégiés des dividendes de 15 % et des augmentations de salaires de 20,75 % en 2002 pour les vingt plus grands patrons de France, alors que la croissance était de 1 ou 2 % et l'inflation à 2 %... Cherchez l'erreur ! Les voilà, ceux qui dévalorisent et découragent le travail !

Face à cette dictature des marchés financiers, à cette horreur économique, il est urgent de dire non. C'est ce qu'explique, l'économiste et journaliste Jean-Claude Guillebaud dans son dernier ouvrage, le Goût de l'avenir ; « On connaît l'antienne opposée aux rêveurs qui s'obstinent à croire qu'un autre monde est possible : quelle solution concrète proposez-vous ? » Pour combattre cette inclinaison capitularde, il est urgent, dit-il en substance, de réapprendre à dire non.

Accompagner les marchés financiers, le Medef et la caste des puissants est un choix délibéré que l'on veut faire passer pour le seul possible. Comme dit le professeur Jacquard, « Cette société va dans le mur et tout le monde semble y aller joyeusement ». Et ce n'est pas votre petite opération politicienne sur les 35 heures qui rendra « sexy » votre bilan de dix-huit mois. Il est pathétique de vous voir tenter de surnager au milieu de ce bilan catastrophique en sautant sur le moindre prétexte. Celui des 35 heures « responsables de tous nos maux » a fait long feu. Comment expliquez-vous, en effet que l'Allemagne, l'Italie, le Portugal soient en récession comme la France, alors qu'ils n'ont pas les 35 heures ? Et surtout, comment annoncer leur suppression aux deux Français sur trois qui y sont attachés, et savent qu'elles ont permis de créer 350 000 emplois, d'augmenter la productivité de 4 à 5 % et de libérer du temps pour la famille et la vie associative et sociale ?

De plus, le risque aujourd'hui n'est pas seulement économique, mais aussi politique : vos choix peuvent jeter le pays dans une aventure populiste dangereuse, voire tragique, si l'on n'écoute pas le pays réel. La précarisation de la vie, l'insécurité sociale, l'amoindrissement de tout dispositif de sécurité collective, qu'il s'agisse des retraites, de la santé, du travail ou des services publics, participent de cette spirale négative.

C'est dans ce cadre que vous avez construit le budget 2004. Sur vos hypothèses économiques, comment ne pas être cironspect devant l'annonce d'une croissance à 1,7 % l'an prochain, alors que cette année se terminera avec un PIB stagnant ? Comme en 2003 et dans le collectif pour 2002, vos prévisions sont bien approximatives. Un rapport de la CNUCED souligne que les récentes performances américaines, sur lesquelles vous appuyez votre discours, ne doivent pas faire illusion. Cette croissance de 1,7 % est d'autant plus hypothétique qu'elle bute sur une politique budgétaire restrictive. Votre choix est de livrer aux appétits des marchés financiers des pans entiers de notre économie, aujourd'hui épargnés, comme les services publics, et la protection sociale. Tout est fait pour briser notre modèle mixte dans lequel le collectif assurait la cohésion sociale. C'est ce mouvement de casse qu'ont connu dans les années quatre-vingt l'Angleterre et les Etats-Unis, au temps où Mme Thatcher affirmait doctement : « Il n'y a pas de société, il n'y a que des individus ». Voilà le modèle que vous souhaitez nous imposer, avec les ravages que l'on sait sur toute la vie économique et sociale.

En trois exercices budgétaires, Monsieur le ministre, vos choix auront entraîné plus de 160 milliards d'euros de déficit pour l'Etat et la sécurité sociale. Et n'accusez pas les autres : personne ne comprendrait qu'à des déficits antérieurs, vous en ajoutiez délibérément de nouveaux, en 2002, en 2003 et en 2004.

Ce déficit aggravé est, de plus, inefficace et ne permet aucune relance. Ni la consommation des ménages, ni la dépense publique ne pourront soutenir la croissance en 2004. Or l'examen des comptes de la Nation pour 2001 et surtout pour 2002 montre que ce sont les deux moteurs principaux : la croissance du PIB de 1,2 % en 2002, n'a été obtenue que grâce à la croissance de consommation des ménages pour 0,6 % et des administrations publiques pour 1 %. Ne nous dites donc pas que la croissance, vous n'y pouvez rien, car c'est faux. La réalité, c'est qu'une politique de croissance est incompatible avec une politique pour les riches, contre la consommation et l'investissement public.

En effet, pendant que les dépenses sociales et de développement sont attaquées, les prélèvements financiers continuent de plomber la valeur ajoutée. C'est ce qui justifie la baisse en francs constants de budgets d'avenir comme celui de l'équipement. Avec le maintien en volume des dépenses de l'Etat et une hausse excessive du budget de la défense, ce sont des choix sécuritaires qui prévalent, sans effet sur l'emploi. C'est ce qu'illustre l'exemple de GIAT : un budget de la défense qui permet la suppression de 70 % des emplois de son principal industriel d'armement terrestre ne peut être un bon budget. Ces choix sont profondément inégalitaires et surtout inefficaces.

Il faut tordre le cou à votre prétention de baisser les impôts, car ce n'est pas vrai. Si l'on considère la loi de finances et la loi de financement, les hausses des prélèvements l'emportent sur les baisses. A quoi s'ajoute la hausse des taxes et impôts locaux. Mais bien sûr, ce ne sont pas les mêmes couches de population qui sont touchées.

Les plus fortunés seront les grands gagnants de ces choix de classe. Le Point, qui n'est pas un journal communiste, présente dans son numéro d'octobre les niches fiscales pour les hauts revenus. Il prend l'exemple d'un cadre célibataire dont le salaire net est de 200 000 € par an. En cumulant la baisse de 3 % de l'impôt sur le revenu, la nouvelle réduction accordée aux emplois à domicile, le nouveau plan d'épargne retraite et les réductions d'impôts pour l'aide aux PME et aux sociétés cotées, ce cadre peut réduire de 34 % son impôt sur le revenu, le ramenant de 72 000 à 47 000 €... Dans le même temps, une personne non imposable ayant un véhicule roulant au gazole, s'acquittant de la taxe d'enlèvement sur les ordures ménagères qui explose partout en France, verra, pour peu qu'elle doive de surcroît se rendre à l'hôpital, ses prélèvements s'accroître.

On ne saurait cacher des choix d'une telle violence envers les plus faibles derrière un raisonnement pseudo économique. Cette violence s'exprime par la réduction de moyens pour les services et entreprises publics. Elle dicte des choix profondément antisociaux, comme la diminution de la durée de l'allocation spécifique de solidarité qui va jeter des centaines de milliers de citoyens dans le RMI puis le RMA. On perçoit votre volonté de fournir de la main d'_uvre à vil prix au grand patronat, tout en alourdissant les impôts locaux pour payer la facture.

Cette violence s'exprime aussi dans la réduction de 7 % des crédits pour le logement, en particulier le logement social. C'est un budget régressif, comme l'a souligné l'abbé Pierre.

Cette violence se traduit encore dans le budget de l'éducation nationale, qui n'est pas sanctuarisé comme on le prétend : pertes de postes et surtout, des milliers de jeunes adultes en moins, d'où la suppression de l'aide aux devoirs et du travail sur ordinateurs ; le pays n'investit pas assez dans la formation et l'éducation de sa jeunesse, non plus que dans la recherche, où l'augmentation prévue ne compense pas la baisse de cette année.

Ces choix ont des conséquences néfastes sur les collectivités territoriales. Des projets majeurs de transports urbains ne bénéficieraient pas de l'aide promise par l'Etat. Même chose pour les contrats de plan Etat-région, dont certains volets ne seront pas respectés. Les transferts de charges auront un effet catastrophique pour les ménages. Déjà, la DGF attribuée aux communes, à périmètre constant, hors dotation d'aménagement, augmentera moins que l'inflation. A nouveau, le partage entre travail et capital qui va se déplacer en défaveur des revenus du travail...

Nous, députés du groupe communiste et républicain, proposons de sortir de cette dictature des marchés financiers, et de retrouver des marges budgétaires, mais aussi monétaires, par le biais du crédit. Vivendi, Alstom, France Télécom, Daewoo, MetalEurop sont là pour nous alerter sur cette course folle, à une concurrence destructrice, et à la rentabilité financière. L'ancien PDG d'Alstom a dénoncé les choix stratégiques effectués à partir de 1995 et le primat de la logique financière qui entraîna l'entreprise dans un « enchaînement diabolique ». Il n'est pas étonnant que notre demande d'une commission d'enquête parlementaire sur les entreprises privées ayant bénéficié de marchés ou d'aides publics soit rejetée !

A cette concurrence destructrice, il faut opposer le partage des coûts de recherche et un autre financement qui soit fonction de l'emploi et des richesses créées. Il s'agit de choisir le travail plutôt que les dividendes.

Sur le plan budgétaire, nous préconisons un rendement de l'impôt sur le revenu qui atteigne 8 à 9 % du PIB, comme chez nombre de nos voisins européens. Nous en sommes loin. Nous préconisons également une baisse ciblée de la TVA et une baisse de la TIPP, qui sont les prélèvements les plus injustes, ainsi que la suppression de l'exonération uniforme des cotisations patronales, qui ne s'assortit d'aucune contrepartie ; ces exonérations doivent être modulées en fonction de l'emploi créé et des richesses produites.

Pour enrayer cette gangrène des marchés financiers, nous mettons en débat trois taxes. C'est d'abord la taxe Tobin, qui pénalise les transferts de capitaux spéculatifs. En second lieu, une taxe sur les investissements directs à l'étranger serait applicable à tous les pays avec un taux variable. Enfin, pour contrer les effets néfastes des paradis fiscaux, nous suggérons de créer une taxe unitaire sur les bénéfices afin de déjouer la manipulation des multinationales, qui mettent à l'abri leurs bénéfices réels. Ces trois taxes devraient dès maintenant être mises en débat au niveau européen, afin que l'Union européenne joue un rôle de régulation de la mondialisation financière.

Sur les collectivités locales, je rappellerai le souhait formulé par notre rapporteur général au congrès des maires de France en novembre de voir la fiscalité future suivre l'évolution de l'économie en s'adossant aux activités en expansion. On ne peut qu'être d'accord. Mais si la TP de 1976, assise sur les activités productives, répondait à cette orientation, aujourd'hui la TIPP, dont on veut donner une part aux départements et aux régions, n'y correspond nullement.

Nous proposons une taxe additionnelle sur les actifs financiers des entreprises non financières. En 2001, ces actifs représentaient 4000 milliards d'euros. En les taxant à 0,3 %, 12 milliards d'euros pourraient être dégagés.

Favoriser les crédits pour l'emploi, la formation, les salaires en bonifiant les prêts et pénaliser les crédits finançant des opérations financières, tel devrait être l'objectif des banques centrales et de la Banque centrale européenne. Ce n'est manifestement pas votre choix dans ce budget qui va enfoncer un peu plus le pays dans la crise. C'est un budget insincère, construit contre l'emploi et pour les marchés financiers.

Aujourd'hui les Etats sont contraints de céder sur leur territoire, à travers leurs politiques budgétaires et fiscales, aux diktats des sociétés financières ou industrielles transnationales. Vraiment, il faut savoir dire non !

La privatisation généralisée détruit la liberté de l'homme. Elle anéantit la citoyenneté. Une économie qui génère et célèbre la concurrence individuelle à outrance, la précarité de l'emploi, la fragilité des statuts sociaux, le salaire au mérite, est une économie génératrice d'angoisses. Un homme qui a peur pour son emploi, son salaire et ses droits, n'est pas un homme libre.

Au lieu de rassembler les forces vives, vous les divisez. Au lieu de revaloriser le travail par la création de richesses nouvelles et d'emplois, vous valorisez les dividendes.

Parce que la France des dividendes est en train de tuer la France du travail et que votre budget en est l'expression, les députés communistes et républicains voteront contre ce budget 2004, le pire présenté depuis au moins vingt-cinq ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Marc Laffineur - Nous commençons la discussion du budget dans un contexte économique difficile du fait de l'éclatement de la bulle internet et des incertitudes internationales au lendemain du 11 septembre. La normalisation de la situation internationale et boursière ainsi que le soutien des politiques économiques laissent néanmoins présager une reprise de la croissance d'ici à la fin de l'année. Dans ce contexte, le projet de budget pour 2004 apparaît comme un budget de transition pour préparer le retour de la croissance, et de continuité pour ce qui est de la réforme de l'Etat.

Si la croissance française risque d'être cette année au plus bas depuis 30 ans, l'amélioration des perspectives mondiales se reflète dans le redressement actuel des marchés financiers et la confirmation de la reprise aux Etats-Unis.

Celle-ci est également bien engagée en Asie où le Japon bénéficie d'un redémarrage plus prononcé que prévu de l'activité. La Chine garde une croissance robuste tandis que les pays émergents de la zone profitent du redémarrage du commerce mondial.

En Europe, le ralentissement conjoncturel s'est accentué au premier semestre, avec une stagnation générale de l'activité dans la zone euro marquée par le repli des exportations et des investissements, le ralentissement de la consommation des ménages au profit de l'épargne suite à la crise irakienne et la remontée du chômage. Toutefois, si l'Allemagne, l'Italie et le Portugal traversent une conjoncture très difficile, l'Irlande et l'Espagne connaissent un taux de croissance soutenu et un taux de chômage en baisse. Et les derniers indicateurs font espérer une amélioration dans les prochains mois du fait de l'apurement des bilans, l'assouplissement des conditions monétaires et financières et la désinflation permise par le repli des prix du pétrole. La croissance de la zone euro devrait atteindre 1,7 % en moyenne en 2004 contre 0,4 % en 2003.

En France, le tassement de l'activité enregistré au printemps a été accentué par des facteurs exceptionnels, dont les grèves. Nous payons d'ailleurs encore l'immobilisme des années antérieures, car tout en engageant de nombreuses dépenses incompressibles de fonctionnement telles que les 35 heures ou l'APA, le précédent gouvernement avait reporté toutes les réformes structurelles nécessaires au redressement de notre pays. Dans ces conditions, nos exportations sont pénalisées par la persistance d'un euro fort par rapport au dollar, l'investissement souffre de la position attentiste des chefs d'entreprise dans une situation internationale incertaine, et la consommation demeure atone, même si elle a de fortes perspectives d'évolutions en raison d'un taux d'épargne record.

Il faut mettre le cap sur la croissance et l'emploi.

On ne peut que se féliciter de ce budget réaliste et courageux, qui repose sur des prévisions de croissance prudentes, et qui s'articule autour de quatre grands axes : encourager le travail et favoriser l'emploi, renforcer les solidarités intergénérationnelles, stimuler la création d'entreprises dans les nouvelles technologies et dans les zones défavorisées, maîtriser la dépense publique, poursuivre les réformes de structure, moderniser la procédure budgétaire et simplifier l'impôt.

Au total, sur 23 dispositions fiscales, 22 sont favorables aux Français.

Ce budget replace au centre de nos priorités le travail. Au c_ur du projet personnel de la personne humaine, il est source de liberté, d'épanouissement et d'accomplissement personnel.

M. Augustin Bonrepaux - Surtout pour ceux qui n'en ont pas !

M. Marc Laffineur - C'est par lui que l'Homme devient homme et s'intègre dans la société.

C'est en ce sens qu'il faut interpréter la poursuite de la baisse de l'impôt sur le revenu qui atteint 10 % en deux ans, la revalorisation de la prime pour l'emploi, l'augmentation sans précédent du SMIC l'été dernier, la création du revenu minimum d'activité pour que le revenu du travail l'emporte sur le revenu d'assistance, mais aussi la baisse des charges sur les bas salaires afin d'encourager l'emploi des moins qualifiés. Ces mesures s'adressent à l'ensemble des catégories sociales sans privilégier l'une ou l'autre.

M. Didier Migaud - C'est faux !

M. Marc Laffineur - Il en va de même pour le relèvement du plafond de la réduction d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile, ainsi que pour la pérennisation du taux réduit de TVA sur les travaux portant sur les logements.

Le deuxième axe de ce budget consiste à renforcer les solidarités entre générations, la canicule du mois d'août dernier ayant montré combien le lien social pouvait être fragile. A cette fin, le PLF instaure un plan d'épargne retraite populaire, dont les sommes seront déduites du revenu imposable dans la limite de 10 % du revenu professionnel.

Par ailleurs, le crédit d'impôt est étendu aux équipements conçus pour les personnes âgées ou handicapées. Il concerne les mécanismes de sécurité et d'accessibilité, ainsi que les équipements sanitaires.

Enfin, la transmission anticipée de patrimoine en faveur des jeunes générations sera encouragée par une réduction de 50 % des droits applicables aux donations en pleine propriété jusqu'au 30 juin 2005.

Ce budget redonne des marges de man_uvre aux entreprises, qui bénéficieront d'un volume global d'allègements de charges de 1,2 milliard d'euros. Pour stimuler l'innovation, le Gouvernement modernise et étend le crédit d'impôt recherche afin d'atteindre un niveau de dépenses de recherche et développement du 3 % du PIB. Désormais, le volume de dépenses de recherche et non plus seulement leur évolution sera pris en compte pour la déduction d'impôt, ce qui multipliera par 7 le nombre d'entreprises bénéficiaires.

Pour favoriser la création d'entreprises innovantes, notamment dans les PME, un statut pour les investisseurs providentiels sera instauré à travers la jeune entreprise innovante et la société unipersonnelle d'investissement à risque, l'une et l'autre visant à accompagner la croissance d'entreprises à un moment crucial de leur développement.

Le volet entreprise du budget n'oublie pas les zones défavorisées puisqu'il étend dans le temps et l'espace le dispositif des zones franches urbaines dont 41 viennent s'ajouter aux 44 existantes.

Enfin, le budget 2004 se traduit par une réelle volonté de réforme de l'Etat et de discipline budgétaire.

En premier lieu, les dépenses n'augmenteront que du niveau de l'inflation, soit 1,5 %. Le progression des dépenses publiques est ainsi inférieure à la progression tendancielle du PIB, ce qui conduit à une réduction du déficit d'un demi point de PIB.

L'Etat financera ses priorités - sécurité, équipement de la défense, justice - par un effort de redéploiement. Il en ira de même pour la culture, la recherche, l'éducation nationale. Le Gouvernement fera par ailleurs un effort de restructuration des effectifs. En 2004, 10 00 fonctionnaires partant à la retraite ne seront pas remplacés, ce qui permettra de créer 5 178 emplois dans les domaines prioritaires de l'action gouvernementale. Pour la première fois depuis près de 30 ans, deux budgets successifs ne remplacent pas la totalité des départs en retraite. Enfin, le PLF propose une clarification des effectifs de l'Éducation nationale. Dans ce même souci de clarification et de transparence, l'Etat a décidé de réintégrer dans le budget général les fonds du FOREC qui est supprimé ainsi que les concours destinés à RFF.

En outre, ce budget est marqué par l'application de plusieurs dispositions de la nouvelle Constitution financière que représente la loi organique du 1er août 2001. Une expérimentation de globalisation des crédits accroîtra l'efficacité de la dépense publique et dotera l'Etat d'un outil de pilotage pluriannuel de la dépense, fondé sur des critères de performance.

Enfin, à la suite de la réforme des retraites, le PLF prévoit la mise en _uvre de deux autres grandes réformes de structure, la décentralisation et la réforme de l'assurance maladie dont il faudra stabiliser le déficit.

Dans cet effort nécessaire de discipline budgétaire - car un bon budget ne consiste pas à dépenser plus, mais à dépenser mieux - ...

M. Augustin Bonrepaux - Votre budget de la défense n'est donc pas un bon budget ?

M. Marc Laffineur - Vous vous y connaissez, Monsieur Bonrepaux, pour dépenser plus. Depuis cinq ans, vous n'avez fait que dépenser et nous laisser des déficits !

La commission des finances de l'Assemblée a tenu à modifier le projet du Gouvernement concernant la redevance. Plutôt que d'accroître le coût de recouvrement par le croisement des fichiers avec ceux des télévisions payantes, nous avons préféré la réforme globale de 2005 afin de nous inspirer du rapport attendu de la MEC et, peut-être, adosser la redevance à la taxe d'habitation.

Par ailleurs, au moment où le chef de l'Etat fait de l'écologie et du développement durable une des priorités de son mandat, il faudrait rétablir l'aide aux transports en commun en site propre.

M. Augustin Bonrepaux - Avec la réduction des subventions !

M. Marc Laffineur - Le budget pour 2004 est un budget pour tous les Français, qui réaffirme la solidarité de la nation à l'égard de l'ensemble de ses concitoyens et notamment les plus faibles : ainsi, les mesures en faveur de la sécurité profiteront d'abord aux plus démunis ; pour la première fois, ceux qui ont commencé à travailler très tôt, entre 14 et 16 ans, pourront partir à la retraite avant 60 ans.

M. Augustin Bonrepaux - Et les autres travailleront plus longtemps !

M. Marc Laffineur - Le Gouvernement n'oublie pas ceux qui ne sont pas touchés par la baisse de l'impôt sur le revenu puisqu'il a procédé à une hausse historique du SMIC et revalorisé la prime pour l'emploi tout en accélérant son versement sous forme d'acompte afin de mieux accompagner la reprise d'emploi. C'est ainsi que les crédits alloués au ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité constituent le troisième budget de l'Etat.

Avec un tel budget, à la fois libéral et social, nous sommes prêts à affronter l'avenir et à recueillir les fruits d'une croissance durable dont les effets seront partagés par tous. C'est un bon budget que le groupe UMP soutient pleinement parce que nous partageons sa philosophie (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Gilles Carrez, rapporteur de la commission des finances - Très bien !

M. Augustin Bonrepaux - Il me semble tout d'abord indispensable de faire un bilan de l'action du Gouvernement, car il y a plus d'un an et demi que vous êtes là.

En juin 2002, l'audit que vous avez confié à MM. Bonnet et Nasse situait le déficit de la France entre 2,4 et 2,6 %. Vous avez choisi 2,6 % et engagé le collectif budgétaire « pour solder l'héritage socialiste », selon votre expression.

Mais dès 2002, vous avez pris des décisions malheureuses, dont la baisse de 5 % de l'impôt sur le revenu que vous avez préférée à une augmentation de la prime pour l'emploi. Les recettes ont été ainsi réduites sans que pour autant la consommation ait été encouragée.

L'augmentation excessive des dépenses militaires a également aggravé le déficit, qui est passé dès la fin de 2002 à 3,1 %.

Ces mauvais résultats auraient dû vous servir de leçon et pourtant, vous avez réussi à faire encore pire : avec une croissance prévue à 2,5 % et qui sera en réalité de 0,5 % du PIB, avec des baisses d'impôts comme la déduction pour l'emploi à domicile qui ne bénéficie qu'aux 70 000 familles les plus aisées, le déficit de nos finances atteint un niveau record de près de 4 % du PIB, ce qui fait peser sur notre pays, sous la tutelle de la Commission européenne, la menace de sanctions financières très lourdes.

La dette, qui était de 57 % du PIB en 2001, est passée à 61 % en 2003. Et les prévisions pour 2004 situent le déficit à 3,6 % du PIB et la dette à 63 %.

Face à cette situation, vous n'avez pour mot d'ordre que de maintenir le cap. Mais pour aller où ? Quel avenir préparez-vous à la France quand nous constatons tous les jours l'échec de votre politique ?

Baisses de prélèvements, réduction des déficits et réformes économiques pour créer les conditions d'une France forte et durable : votre obstination relève de la méthode Coué. Nous la combattons au nom de l'intérêt général et d'une idée de la France forte car solidaire.

Aujourd'hui, vous dites la même chose que l'an dernier. Je cite M. le ministre des finances : « Des choix judicieux fondés sur des priorités claires, des dépenses maîtrisées et un service public plus performant, voilà le moyen de dynamiser l'activité économique tout en réduisant le déficit public. Les baisses d'impôts et de charges que nous vous proposons ne sont pas financées à crédit. »

Quel est le résultat ?

La baisse des impôts a bénéficié à un petit nombre de privilégiés mais pour tous les autres, c'est la hausse des prélèvements ! Le taux de prélèvements obligatoires ne baisse en effet quasiment pas malgré l'ampleur des baisses médiatisées, ciblées sur les hauts revenus.

Quant au déficit, vous disiez : « les finances publiques dérivaient lorsque nous avons pris les rênes de ce pays. Notre premier objectif a donc été de stopper la dérive du déficit ». On voit le résultat : l'audit affichait un déficit de 2,6 %, nous étions à 3,1 % fin 2003, nous serons à près de 4 % fin 2004.

Et vous voudriez faire croire que vous ne portez aucune responsabilité, que vos cadeaux fiscaux qui réduisent nos recettes sans aucun effet sur notre économie, que vos augmentations incontrôlées des dépenses militaires et que la sanctuarisation de certains budgets n'y sont pour rien ?

La faute reviendrait aux autres, évidemment : à ceux qui ne travaillent pas du tout, à ceux qui ne travaillent pas assez et donc aux 35 heures, aux grévistes, qui s'insurgeaient contre l'injustice de votre politique, aux effets de la canicule et pourquoi pas bientôt à ceux du froid cet hiver ?

Votre gouvernement ne serait responsable de rien. Avons-nous donc un Gouvernement d'irresponsables ?

Les perspectives sont plutôt inquiétantes à plus ou moins long terme.

Pour 2004, vous affichez une croissance de 1,7 % en évoquant le consensus des économistes. Mais vous insistez moins sur le fait qu'ils prévoient un déficit proche de 4 % !

Les premières mesures de rigueur s'amoncellent. L'équilibre des comptes de la sécurité sociale s'appuie sur une réforme de l'assurance maladie bien entendu reportée après les élections. Mais je tiens à prévenir d'ores et déjà que vos décisions auront pour conséquence, une fois de plus, de faire payer les plus pauvres parce qu'ils sont les plus nombreux !

Après vos promesses démagogiques concernant la revalorisation des consultations médicales, ce sont les premières mesures brutales : déremboursement progressif des médicaments, augmentation du forfait hospitalier, retour du projet de « responsabilisation des usagers de l'aide médicale d'Etat » pour faire payer un ticket modérateur aux plus nécessiteux.

Et le plus dur reste à venir avec la privatisation partielle de l'assurance maladie.

Seuls les Français les plus favorisés auront les moyens de s'offrir une assurance maladie privée pour les couvrir. Les autres se marginaliseront, car quelle intégration est possible dans la vie active pour ceux qui ne pourront se soigner correctement ? Mais c'est logique selon votre vision libérale de la société : vous le disiez, Monsieur Mer, ceux qui ne sont pas utiles au pays parce qu'ils ne gagnent pas assez d'argent ne méritent pas vos cadeaux fiscaux - ou alors quelques miettes.

Les mesures les plus impopulaires seront prises après les élections régionales, car il faudra bien donner des gages à la Commission européenne. Après les déclarations démagogiques du Premier ministre à l'intention de la Commission, il a bien fallu faire preuve de bonne volonté et prendre un engagement secret sur des mesures impopulaires que vous préparez pour le mois de juin. Vous pourriez d'ailleurs, Monsieur le ministre, répondre aux questions que vous a posées M. Migaud hier à ce sujet.

Il est symptomatique que le Premier ministre revendique aujourd'hui l'application du volet croissance du pacte de stabilité ; ajouté grâce à l'intervention de Lionel Jospin, alors Premier ministre, quand le Président Chirac était l'avocat des règles budgétaires communautaires les plus strictes.

Les recettes du budget s'élèvent à 227,8 milliards d'euros , contre 228,1 milliards en loi de finances 2003 et 218,2 après révision. Il faut noter également que les recettes non fiscales sont largement sollicitées. Le patrimoine de l'Etat est bradé pour un total de 500 millions d'euros ; est incluse également l'affectation des réserves du FOREC pour 328 millions d'euros.

Le Gouvernement racle les fonds de tiroirs. J'en veux pour preuve les 300 millions d'euros prélevés sur les réserves du fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, issu du fonds de garantie contre les accidents de circulation et de chasse.

De même, certains centres techniques sont mis à contribution et notamment celui du textile et de l'habillement, qui est amputé de 20,8 millions d'euros.

Quant aux mesures fiscales, vous poursuivez votre politique de cadeaux fiscaux aux plus aisés.

Sur un total de 3,3 milliards d'allégements présentés dans ce projet, 2,8 milliards sont censés être destinés aux ménages alors que seuls les plus aisés sont concernés. Tout le monde sait bien que la moitié des ménages est exclue de la mesure de baisse de l'IR qui représente 1,76 milliard d'euros au total. Cette nouvelle baisse qui porte à un total proche de 5 milliards d'euros l'allégement depuis l'été 2002 ne bénéficiera pas aux 16 millions de foyers non imposables. Au contraire, les 6 % de foyers les plus riches, dont le revenu imposable est supérieur à 50 000 €, bénéficieront de 415 € en moyenne de réduction, mobilisant à leur profit 50 % du coût de la mesure.

Vous augmentez encore la déduction fiscale pour emploi à domicile qui n'apporte aucune incitation supplémentaire aux créations d'emplois et constitue un cadeau fiscal, alors que le conseil des impôts constate qu'elle bénéficie essentiellement aux foyers fiscaux dont les tranches de revenus sont les plus élevées avec l'impossibilité, pour les foyers non imposables, de bénéficier de cet avantage. Là encore, 70 % du coût de la réduction sont concentrés sur les 10 % de foyers les plus riches.

Nous vous proposons de remplacer cette mesure inéquitable par un crédit d'impôt qui bénéficierait à tous et serait plus incitatif pour l'emploi. Mais comme il faudrait demander un petit effort aux privilégiés, vous vous y opposez.

Ces deux mesures cumulées conduisent à exonérer d'impôt des foyers disposant de revenus importants : un célibataire déclarant 33 000 € de revenus, un couple avec deux enfants déclarant plus de 60 000 € seront non imposables.

Toujours dans le registre libéral, la retraite par capitalisation est fiscalement encouragée
- ce qui confirme l'insuffisance de votre réforme des retraites et la condamnation de la retraite par répartition. Au demeurant, le dispositif ne concerne que les revenus
imposables, et encore dans la limite de 10 % des sommes versées, jusqu'à 24 000 € par an et par cotisant. Nous sommes bien là dans un régime de retraite à deux vitesses. La déduction est certes significative... mais pour ceux qui pourront en bénéficier.

Ajoutons à cela le cadeau fiscal de l'ISF contenu dans la loi d'initiative économique, qui ne concernera que 200 000 familles pour un montant de 500 millions, bien sous évalué dans la présentation de ce budget, et quelques avantages pour les successions, qui n'ont pourtant aucune incidence sur l'économie et l'emploi.

L'essentiel des allégements fiscaux va donc aux privilégiés. Pour les autres, il n'y a rien, hormis une aumône avec la mesure concernant la prime pour l'emploi.

La revalorisation de la prime pour l'emploi - pour 480 millions d'euros - qui concerne plus de 8 millions de foyers, aura un coût égal à l'allégement de l'ISF, qui n'en vise que 270 000.

La hausse de la PPE représenterait un montant moyen de 60 € par foyer sur l'année, soit 5 € par mois...

M. Pascal Terrasse - Un paquet de cigarettes !

M. Augustin Bonrepaux - Encore n'est-ce en réalité qu'une galipette comptable qu'a dénoncée hier Didier Migaud. La hausse prévue ne coûterait que 80 millions d'euros, le reste résultant de mesures d'indexation de barème qui n'ont rien à voir avec une baisse d'impôt. Et ces 80 millions d'euros représentent moins de 10 % de la somme qui sera ponctionnée sur les ménages du fait de l'augmentation des taxes sur le gazole ! Vous donnez d'une main une aumône que vous vous empressez de reprendre de l'autre.

Comment avez-vous le culot de parler de treizième mois pour tous ceux qui vont subir une baisse du pouvoir d'achat avec en plus les hausses d'impôts locaux que vous provoquez ?

M. le Président de la commission - Non ! Non ! Ce n'est pas vrai !

M. Augustin Bonrepaux - Attendez pour protester que je me sois expliqué ! Vos décisions de réduire les dotations et subventions aux collectivités locales ainsi que les transferts de charges non financés provoqueront en effet une escalade des impôts locaux. Réductions de subventions : le FNDAE, amputé de 60 % en 2003 et non réévalué en 2004, la suppression des subventions aux transports,...

M. le Président de la commission - Les 35 heures !

M. Augustin Bonrepaux - La réforme des dotations aux collectivités locales est en totale contradiction avec vos promesses sur la péréquation - que vous avez pourtant inscrite dans la Constitution. Jusqu'à présent, les communes pauvres recevaient une dotation au titre de la DSU et de la DSR, en augmentation, chaque année, d'au moins 5 %. Cette année, il n'en sera rien. Ces dotations, dites-vous, augmenteront de 1,5 %... mais au prix d'une présentation artificielle qui prend en compte l'utilisation de la revalorisation de la DGF due au titre de 2003. La réévaluation ne sera que de 36 millions, je prie le rapporteur général de le noter !

Comme le pacte de stabilité va réduire cette participation, c'est une diminution de 3,47 % que vont subir toutes les communes au titre de la compensation de la taxe professionnelle.

M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire - Nous faisons plus pour les collectivités locales que pour l'Etat !

M. Augustin Bonrepaux - L'augmentation globale n'est en effet que de 1,2 % contre les 1,93 % annoncés.

La péréquation ne sera donc qu'un effet d'annonce : elle trouve ses limites dès qu'il faut prélever sur les privilégiés.

Quant à la décentralisation nouvelle mode, c'est l'idée qui a germé dans l'esprit du Gouvernement pour transférer le plus de charges possible sur les collectivités locales et dégager des marges de man_uvre pour poursuivre la baisse de l'impôt sur le revenu.

Ces transferts ont été préparés dans le budget 2003, qui a réduit drastiquement les moyens affectés aux services que le Gouvernement entend transférer : réduction de 25 % du Fonds social de logement, réduction du nombre d'agents d'entretien de l'Education nationale, des services affectés au RMI, des agents de l'équipement.

La première phase de décentralisation porte sur le RMI et traduit les contradictions du Gouvernement sur l'autonomie fiscale des collectivités locales : vous transférez une charge aux départements et, en contrepartie, le produit d'un impôt qui n'évolue pratiquement pas, contrairement à ce qu'affirme le rapporteur général. Il nous dit que le produit de la TIPP est dynamique. Mais il est passé de 24,6 millions d'euros en 1999 à 23,4 millions en 2001 !

M. le Rapporteur général - Vous l'avez trop augmentée !

M. le Président - Il faut conclure.

M. Augustin Bonrepaux - Il y aura donc bien une perte d'autonomie fiscale des collectivités locales. La suppression de l'ASS alors que le chômage et la précarité augmentent vont gonfler les chiffres du RMI et provoquer un transfert de charges supplémentaires sur les départements, donc une escalade des impôts locaux.

Et ne venez pas nous parler de l'APA ! Elle a créé un service, des emplois, des recettes supplémentaires. Le transfert du RMI, lui, n'apportera rien de plus à ses bénéficiaires !

Quant aux dépenses, la situation n'est pas plus encourageante... La rigueur s'installe. Le budget de l'Education n'est plus une priorité, celui de la Recherche diminue. L'investissement civil est sacrifié.

Le ministre de l'Equipement, des transports et du logement, subit une baisse en valeur de 4,3 % de ses crédits et de 5,8 % en volume.

Les crédits d'investissement de l'Etat sont en régression. Se pose alors la question du respect des contrats de plan, dont la réalisation semble être plus hypothétique chaque jour. Cela justifie que nous demandions une mission d'information.

C'est tout le territoire, particulièrement les zones défavorisées frappées par des licenciements massifs, qui fera les frais de ce désengagement de l'Etat et de la suppression des services publics - Banque de France, Poste, Trésoreries.

Dans le même temps, le budget de l'emploi baisse de 0,66 % en volume avec des réductions drastiques de CES et de CEC : c'est votre façon de répondre à la montée du chômage.

Pour conclure, que dire de ce budget inégalitaire qui sacrifie les services publics, l'emploi et l'avenir ? Au nom de l'encouragement au travail, vos cadeaux fiscaux vont aux emplois les mieux rémunérés. Pour les travailleurs modestes, c'est la réduction du pouvoir d'achat et l'exclusion.

Au nom de la réhabilitation du travail, vous remettez en cause les 35 heures, vous allongez la durée du travail de ceux qui ont un emploi sans rien faire pour les 240 000 chômeurs qui n'en ont pas.

Pour poursuivre la baisse de l'impôt sur le revenu, vous accablez les collectivités locales, sacrifiez les investissements d'avenir dans l'éducation nationale et la recherche, les grands travaux d'aménagement du territoire.

Bref, vous accentuez la fracture entre les citoyens, entre les générations, entre les territoires.

C'est pourquoi nous combattrons votre budget (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Bayrou - Le sujet de la rentrée est le déclin, qu'on l'appelle ainsi comme Nicolas Baverez, désarroi comme Alain Duhamel, ou crise prolongée, comme d'autres. Vous l'aurez remarqué : personne ne vient dire que la France va bien.

Cette idée de déclin, nous l'écartons pourtant, car il y a en elle quelque chose d'irréversible.

M. Jean Le Garrec - Très bien.

M. François Bayrou - Pour nous, la seule question qui se pose est de savoir comment la France peut sortir de cette spirale de l'impuissance, de ce fatal enchaînement des promesses et des déceptions. Et il n'y a qu'une réponse : une politique juste et énergique et la confiance des citoyens.

Je ne confonds pas confiance et popularité. Les politiques justes et vraies ne sont pas toujours populaires, et l'impopularité n'est pas si grave quand demeure la confiance dans la parole des dirigeants. Vous comprendrez que je pense à cet instant à Raymond Barre.

Cette confiance demande vision, vérité et justice ; et c'est parce qu'elles font défaut que nous devons dire nos insatisfactions.

Bien sûr, votre budget ne contient pas que de mauvaises choses : il y en a aussi de bonnes.

Un député socialiste - Bien peu !

M. François Bayrou - Ainsi, vos prévisions de croissance pour le dernier exercice budgétaire, que vous disiez volontaristes et que nous pensions irréalistes, étaient de 2,5 %, et la croissance a été nulle. On se félicitera donc que, cette année, l'hypothèse de croissance que vous retenez soit plus réaliste.

M. Henri Emmanuelli - Vraiment ?

M. François Bayrou - D'autres bonnes choses sont le soutien aux entreprises et l'élargissement du crédit-recherche.

Mais ce qui ne se devrait pas, c'est de financer par la dette la réduction de l'impôt sur le revenu, d'augmenter la taxe sur le gazole et de supprimer l'ASS.

Chacun convient, à droite comme à gauche, qu'il faut réduire les prélèvements obligatoires. La question est de savoir s'il faut réduire d'abord l'impôt ou les charges qui pèsent sur le travail. Pour le groupe UDF, la priorité doit être donnée à la réduction des charges, et particulièrement de celles qui pèsent sur les salaires les plus faibles, car le travail est mal payé en France (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). Pour autant, nous n'en faisons pas un dogme, et nous pouvons entendre, en les nuançant, les arguments du Gouvernement à ce sujet. Mais si nous avons une certitude, c'est bien que l'on ne peut réduire artificiellement l'impôt en gonflant une dette déjà astronomique.

C'est bien la dette qui est au c_ur du débat sur le « déclin » de la France ! Je l'ai dit, nous récusons cette idée, car nous connaissons l'énergie de notre peuple et nous sommes convaincus que l'avenir n'est pas bouché. Cependant, la dette pèse sur chaque ménage comme un sac de plomb, et là est la menace. La seule dette publique représente 80 000 € pour chaque famille de cinq personnes - et encore ne parle-t-on pas des 700 milliards supplémentaires qui représente le montant des retraites des fonctionnaires. Ces 80 000 €, c'est le prix d'une petite maison ! Imagine-t-on la formidable capacité d'investissement qui est ainsi épuisée ? Et encore, les taux d'intérêt sont faibles ; qu'adviendra-t-il de cette grenade dégoupillée quand les taux repartiront à la hausse ?

Il faut savoir que cette dette est récente, puisqu'elle ne représentait que 20 % du PIB lorsque M. Giscard d'Estaing a fini son mandat. Autant dire que les générations des 40, 50 et 60 ans n'ont pas eu à assumer pour elles-mêmes les charges qu'elles imposent aux générations futures.

Tous les jours, l'Etat dépense 20 % de plus que ce qui entre dans ses caisses. Toute entreprise qui agirait de la sorte serait au bord du dépôt de bilan, et une famille procédant ainsi aurait les huissiers à la porte. Certes, ce n'est pas la première fois que la France est ainsi endettée, et l'on sait bien qu'aux temps malheureux de la fin de la IVe République le gouvernement quémandait les chèques du FMI pour boucler les fins de mois. Mais il s'agissait de tout autre chose ! C'était la dette de la reconstruction, et elle était gagée sur le baby-boom, qui en garantissait la répartition fractionnée. La nôtre sera alourdie par la « dette démographique » ; autrement dit, l'explosion du papy-boom fera qu'il y aura moins de Français au travail que de pensionnés et, de ce fait, la dette ne sera plus divisée mais multipliée.

La seule politique sérieuse devrait donc être de se consacrer, avant toute autre chose, au désendettement, car le poids de la dette aura pour conséquence inéluctable des délocalisations et donc le chômage. La dette, voilà l'ennemi ! Autant dire qu'au lieu d'entretenir un débat malsain sur l'Europe, Bruxelles et les « bureaux » de l'Union...

Un député socialiste - Eh bien ! Chacun en prend pour son grade !

M. François Bayrou - ...mieux aurait valu se féliciter de la discipline européenne ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF) De plus, la France ne peut espérer conserver son influence que si elle respecte sa parole et, surtout, les engagements qu'elle a exigés des autres ! (Plusieurs députés socialistes marquent leur approbation)

Comment ne pas dire, aussi, que la dette de la France contribue à l'asphyxie du tiers-monde ? La capacité de financement internationale est limitée, et tout l'argent qui s'investira en France, parce que nous offrons de bonnes garanties, c'est autant d'argent dont seront privés des pays qui en ont un besoin vital. En s'endettant, la France manque donc à son premier devoir : celui de la solidarité qu'elle prétend exercer (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

Voilà pourquoi ce budget, parce qu'il est fondé sur l'accroissement de la dette, est un leurre qui, comme tous les leurres, obère la confiance.

Notre deuxième motif d'insatisfaction est que nous n'approuvons pas la hausse de la taxation du gazole. C'est un signal désastreux que vous avez envoyé là aux Français, lesquels ne sont pas des gogos, mais un vieux peuple de citoyens et de contribuables, qui ne sait que trop bien l'habitude qu'a l'Etat de reprendre d'une main ce qu'il donne de l'autre. Comment ne percevraient-ils pas que ce qui leur reviendra par la baisse de l'impôt leur sera repris chez le buraliste, à la pompe et lors du paiement des impôts locaux ? Les lettres que je reçois à ce sujet de mes électeurs sont d'une limpidité parfaite !

M. Augustin Bonrepaux - Et en 2004, ce sera pire !

M. François Bayrou - Les Français, parce qu'ils comprennent très bien, doutent de plus en plus. Voilà pourquoi la hausse des taxes sur le gazole est désastreuse ! Non pas seulement parce qu'elle a été annoncée le jour même où l'on faisait savoir à son de trompe que l'on allait réduire l'impôt sur le revenu, mais aussi parce qu'elle touche de plein fouet une catégorie de Français qui ne méritent pas cette ponction.

Messieurs les ministres qui voulez, dites-vous, réhabiliter le travail, le gazole, c'est le travail ! C'est le travail pour d'innombrables commerçants, artisans, agriculteurs, ouvriers et employés qui se lèvent tôt pour faire de longues distances ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF) Et voilà qui vous ciblez !

M. Didier Migaud - Raffarin, démission ! (Sourires)

M. François Bayrou - Qui, de ceux-là, ignorent qu'ils reverseront à la pompe les 4 ou 5 € supplémentaires que le fisc leur aura laissés ?

Et il est quelque peu humiliant d'avoir tenté de justifier cette hausse au lieu d'avouer tout simplement que le Gouvernement a cherché des sous partout où il le pouvait. Humiliant de prétendre qu'elle servirait à financer le rail quand elle servira surtout à renflouer RFF, dont la dette s'élève à 25 milliards d'euros et l'annuité à deux milliards ! Nous sommes tout à fait disposés à débattre un jour de la création d'un fonds de financement, réel et durable, des investissements routiers et ferroviaires En attendant, l'argument avancé n'est que communication, « com », devrais-je dire (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). On pourrait doter ce fonds des recettes des péages d'autoroutes si celles-ci ne sont pas privatisées. Voilà un choix que nous pourrions peut-être défendre ensemble (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). Nous aurons ce débat le moment venu.

Partial également l'argument selon lequel on augmenterait la TIPP sur le gazole au nom de la défense de l'environnement. L'effet de serre est en effet principalement lié à la consommation d'énergies fossiles. Or, les moteurs diesel consomment environ 30 % de moins que les moteurs à essence et les filtres à particule, domaine dans lequel la France a pris une grande avance, en font désormais des moteurs propres.

Tout aussi fallacieux l'argument selon lequel cette hausse viserait à pénaliser le transport routier pour favoriser le ferroutage. Je rappelle seulement, sans nulle cruauté, qu'il n'y aura pas de hausse pour les camions de plus de 7,5 tonnes (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons pas accepter cette hausse.

Nous avons un troisième différend sur ce projet de budget : la suppression de l'allocation spécifique de solidarité, mesure profondément injuste. Vous ne pouvez pas financer la baisse de l'impôt sur le revenu des plus favorisés par la suppression de l'allocation minimale versée aux chômeurs en fin de droits. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur de nombreux bancs du groupe socialiste). Vous n'économiserez là que 150 millions d'euros quand la baisse de l'impôt sur le revenu représentera douze fois plus.

M. François Hollande - Le Gouvernement devrait écouter sa majorité !

M. François Bayrou - Avec cette mesure, vous envoyez un signal social désastreux. Sans le sentiment que l'effort est équitablement réparti entre tous et que chacun y participe à proportion de ses moyens et à la mesure de ses difficultés, il ne saurait y avoir d'adhésion populaire à une politique de réforme (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UDF).

M. Jean-Claude Sandrier - Mais que faites-vous dans ce gouvernement ?

M. François Bayrou - Je n'en suis pas membre.

M. Jean-Louis Idiart - Mais, M. de Robien, lui, si.

M. François Bayrou - Vous ne pouvez pas ainsi viser les chômeurs de longue durée. Certes, c'est, nous dit-on, pour les inciter à retrouver un emploi. Mais c'est d'abord les assigner au RMI, c'est-à-dire les éloigner encore davantage de l'emploi (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). Je ne parle même pas du tour de passe-passe qui consiste à faire financer par les départements - sans que soit prévue pour l'heure aucune compensation, contrairement à ce que comporte désormais la Constitution -, une aide jusqu'alors versée par l'Etat. Vous ne pouvez pas mettre 150 000 personnes, et bientôt 300 000, au RMI en faisant comme si leur chômage était volontaire. Si vous aviez présenté au Parlement des mesures en faveur de l'insertion, nous en aurions volontiers débattu car il est légitime de souhaiter remotiver les chômeurs. Le RMI, hélas, n'est que démotivation, et pour beaucoup, désespérance (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). Le groupe UDF a, le premier, prôné le RMA. J'ai défendu pendant toute la campagne pour l'élection présidentielle, cette idée d'un revenu minimum d'activité, que vous nous annoncez pour l'année prochaine. Soit, nous verrons alors. Mais vous ne pouvez pas aujourd'hui supprimer l'ASS avant d'avoir vérifié par quoi elle pouvait être remplacée. Je vous fais une suggestion simple : maintenez l'ASS et ouvrez le bénéfice du futur RMA à ses allocataires (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

Lors de la campagne présidentielle de 1995, le débat s'est organisé autour d'une intuition juste de Jacques Chirac, celle de la fracture sociale. Or, cette fracture ne s'est pas réduite, (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste)... ni sous la gauche, ni sous la droite. La crise aidant, au contraire, elle se creuse, touche des catégories nouvelles et va jusqu'à menacer l'âme française. Vous ne pouvez pas l'aggraver par des décisions aussi inconsidérées.

Le groupe UDF défendra trois amendements principaux à ce projet de budget. Le premier vise à rétablir l'allocation spécifique de solidarité ; le deuxième à supprimer la hausse de la TIPP sur le gazole ; le troisième enfin, pour équilibrer les deux premiers et commencer, fût-ce symboliquement, à réduire l'endettement, à limiter à 1 % la baisse de l'impôt sur le revenu - l'ensemble de ces mesures permettrait de diminuer le déficit de 200 millions d'euros.

Cela étant, on entend ici où là, on lit même dans les journaux, que le Gouvernement a décidé de n'accepter aucun amendement et qu'il a convaincu sa majorité de le suivre en ce sens. On a même prétendu, cela a heureusement été démenti, que la commission des finances avait retiré ses amendements ! Eh bien, je veux, moi, défendre devant vous le droit d'amendement de l'Assemblée nationale, qui est son droit même (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur plusieurs bancs du groupe socialiste). Le Gouvernement se trompe lorsqu'il exige de tous les députés de la majorité qu'ils s'alignent et ne soient que des exécutants.

Il n'aura échappé à personne que les trois amendements que nous présentons avaient été suggérés par le président de la commission des finances lui-même, ou bien encore défendus par des personnalités aussi éminentes de l'UMP que M. Madelin ou M. Mariton (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). Leur montant représente à peine 0,2 % du budget total. Si une assemblée de 577 parlementaires, tout en étant invitée à débattre aussi longuement du budget de la nation, se voit interdire d'en modifier ne serait-ce que 0,2 %, à quoi sert-elle ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF ; exclamations sur les bancs du groupe UMP) Notre liberté à l'UDF, c'est de pouvoir aller au bout de notre logique. Mais défendant ces amendements, c'est, au-delà, une certaine conception de la démocratie française que nous défendons. Le Parlement ne peut accepter d'être une chambre d'enregistrement, les députés d'être réduits au silence - on ne dit plus « godillots ». Ces amendements, la plupart d'entre vous les avez, à un moment ou à un autre, défendus, devant les journalistes, en privé (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP). Si le vote était ici libre, ils recueilleraient une immense majorité (Mêmes mouvements). Le vote ou non de ces amendements, sachez-le, seront la preuve de votre dignité ou non de parlementaire (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF ; exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Mme Sylvia Bassot - La dignité, on s'en tape !

M. Michel Bouvard - Scandaleux ! Nous n'avons pas de leçons à recevoir ! De toute façon, M. Bayrou a dépassé son temps de parole.

M. le Président - Pour l'instant, de huit minutes. Il doit conclure, mais dans le silence si possible.

M. François Bayrou - S'il veut être le garant de la réforme, le Parlement ne peut pas être réduit au rôle d'exécutant. Il doit défendre sa légitimité, comme le président de l'Assemblée nationale l'y a fort justement invité ; je soutiens totalement ses propos sur le sujet (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

L'UDF défendra donc ces amendements jusqu'au bout et son vote sur le budget dépendra du sort qui leur sera réservé. Je vous conjure d'y réfléchir.

Mme Sylvia Bassot - Chantage !

Mme Christine Boutin - Espèce d'intermittent !

M. François Bayrou - Du sort qui leur sera réservé dépendra non pas seulement le vote de l'UDF, dont la majorité n'a pas besoin, mais une partie du sens même de votre action, de la société et de la démocratie que nous voulons construire ensemble (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe UDF).

M. le Président - J'indique que pour un temps de parole initialement imparti de vingt minutes, M. Sandrier a parlé effectivement vingt minutes, M. Laffineur dix-sept, M. Bonrepaux vingt-quatre et M. Bayrou un peu plus de trente (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Il était important de laisser les orateurs principaux de chaque groupe s'exprimer (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Didier Migaud - Rappel au Règlement. Peut-être pourriez-vous, Monsieur le Président, suspendre la séance quelques instants afin que nos collègues de l'UMP se remettent.

M. le Président - Cela n'a rien à voir avec un rappel au Règlement.

M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Avec l'aide d'Alain Lambert, je vais tenter de répondre aux principales critiques et observations. Je souhaite tout d'abord, sans polémiquer (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), rectifier certaines erreurs de présentation en matière de croissance et d'emploi. Si l'on considère la période faste de 1998 à 2001, la France a eu une bonne croissance, de 3,3 %. Il n'est pas vrai pour autant que nous ayons fait mieux que les autres. Nous avons fait aussi bien que la plupart de nos voisins, cependant que deux pays, l'Allemagne et l'Italie, faisaient moins bien, en dessous de 2 %. Ces pays sont d'ailleurs en train de rattraper le peloton de la zone euro, même si celle-ci a connu en 2002 et 2003 une croissance peu brillante. Il faut noter que dans une zone économique comme la zone euro, il n'y a pas de raison pour qu'un pays fasse durablement mieux ou moins bien que les autres. Aujourd'hui le pays qui se porte le mieux est l'Espagne. Mais elle jouit encore de certains des avantages liés à son entrée dans le Marché commun, et surtout à son entrée dans l'euro, qui, par le biais d'une forte baisse des taux d'intérêt, a favorisé un « boom », dans la construction, qui est la principale origine de son surcroît de croissance. Si l'on fait abstraction de ce facteur, la performance de l'Espagne n'est pas plus brillante que celle des autres pays européens.

Quant à la consommation, j'indique à ceux qui ne le sauraient pas que son taux de croissance continue d'être plus élevé chez nous que dans le reste de la zone euro. Et quant à nos perspectives de redémarrage, même si nous avons choisi la modestie en prévoyant 1,7 %, c'est le pourcentage que chacun s'accorde à prévoir pour la zone euro. Si vous voulez des chiffres plus optimistes, je vous renvoie au FMI, qui nous octroie 2 % (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) ; mais ce n'est qu'une prévision, à laquelle je n'accorde pas trop d'importance.

Enfin la période 1998-2002 a connu une création significative d'emplois. Mais là encore nous aurions tort de croire que nous avons fait mieux que les autres : nous avons fait aussi bien. Et comment l'avons-nous fait ? Je ne veux pas polémiquer, mais on sait que les emplois durables, ce sont les emplois marchands (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Henri Emmanuelli - Ce n'est pas de la polémique, c'est du dogmatisme !

M. le Ministre - Or nous avons créé, entre 1998 et 2001, 150 000 emplois non marchands, 100 000 dans la fonction publique et 50 000 emplois jeunes. Nous avons donc fait aussi bien que les autres, mais au moyen d'un effort très particulier, qui ne s'est pas vraiment traduit par la création d'emplois durables. A l'inverse, ce qui a été fait - et qui continuera à l'être - en matière de baisses des charges contribue positivement à une évolution de l'emploi qui, malgré la mauvaise conjoncture de 2003, reste satisfaisante. En effet, entre juillet 2002 et la fin 2003, le nombre de gens au travail en France n'a pas diminué ou guère, peut-être de 10 000 ou 20 000 sur 25 millions. Or ce qui importe n'est pas de faire une soustraction : population active moins nombre de gens au travail égale nombre de chômeurs. Ce qui importe est d'accroître, ou d'empêcher de diminuer, le nombre des gens qui travaillent. Telle est notre politique. Toute notre action vise à permettre de créer des emplois à travers l'entreprise, des emplois marchands qui tiennent debout sans avoir besoin du soutien de l'Etat.

M. Henri Emmanuelli - Et la sidérurgie, elle n'a pas eu besoin du soutien de l'Etat ?

M. le Ministre - Or ceci se fait correctement. Si dans le passé nous avions dû affronter une telle baisse de la croissance, il en aurait résulté une forte diminution du nombre de personnes au travail ; tel n'a pas été le cas depuis la mi-2002 (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Et cela parce que nous avons allégé - y compris par des décisions de l'ancien gouvernement - la charge liée pour l'entreprise au nombre d'emplois qui existent en son sein. Je préfère apprendre que cent mille jeunes ont été embauchés sur des CDI que de vous annoncer que nous aurions embauché cent mille « emplois jeunes » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Par ailleurs nous sommes probablement à la fin de la hausse du chômage, et il devrait commencer à refluer l'an prochain (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

J'en viens aux ajustements structurels évoqués par Didier Migaud. Je tiens à sa disposition la démonstration du fait que, malgré certaines baisses du déficit nominal, il y a eu au cours des années passées une détérioration de l'effort structurel sur le déficit. Et aujourd'hui, malgré une situation déséquilibrée avec 4 % de déficit pour 2003 et les 3,6 % que nous visons pour 2004, il y aura une baisse du déficit structurel en 2003 et dans les années suivantes (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Si on la considère non du point de vue social, mais économique, un aspect majeur de notre réforme des retraites aura été un assainissement structurel en termes de déficit qu'on peut estimer à 1 %.

M. Henri Emmanuelli - Ça ne veut rien dire !

M. le Ministre - Ce n'était donc pas seulement une réforme utile pour sauver notre système par répartition : elle a aussi des conséquences vertueuses sur la structure du déficit.

M. Jean Le Garrec - Elle ne marchera pas !

M. Augustin Bonrepaux - Elle n'est pas financée !

M. le Ministre - Je suis convaincu que notre budget est correctement balancé. Je souhaite répondre aux critiques qu'a suscitées la baisse d'impôts, en usant d'un parallèle peut-être audacieux. Supposons une entreprise en difficulté, endettée, et qui veut s'en sortir. Une solution possible consiste à serrer les boulons sur les coûts - et c'est ce que nous faisons en contrôlant la hausse des dépenses publiques : ramenée à 0 % en volume - mais en réduisant simultanément les prix pour jouer sur l'élasticité de la demande en espérant un effet de volume. De même au niveau de l'Etat, si l'on transpose le comportement de cette entreprise, il est permis de penser qu'on a raison de baisser certains impôts - même si cette baisse est financée par une légère augmentation de la dette (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) - pour montrer aux acteurs économiques qu'on veut leur rendre une plus grande capacité de garder ce qu'ils ont gagné. Le signal qu'on leur envoie ainsi contribue à créer les conditions pour que ce supplément d'incitation se traduise par un surcroît de consommation et d'investissement.

M. Augustin Bonrepaux - On voit le résultat !

M. le Ministre - Nous créons aujourd'hui les conditions pour que la baisse d'impôt se traduise par une hausse de la consommation - hausse qui, je l'ai dit, n'a pas été plus faible chez nous que dans les autres pays européens. Notre raisonnement n'est donc pas comptable : il est dynamique et psychologique. Nous disons aux acteurs économiques : « Nous vous avons compris ; vous allez avoir un supplément de revenu ». Vous en ferez ce que vous voulez, mais nous allons aussi vous aider à l'investir dans l'initiative économique ou dans la consommation.

M. Augustin Bonrepaux - Cela veut dire que vous « comprenez » 10 % de la population !

M. le Ministre - On objecte que la moitié seulement des Français paient des impôts, et j'ai entendu hier une véritable apologie de l'impôt sur le revenu - à se demander pourquoi l'opposition ne préconise pas de le faire payer par toute la population !

M. Pascal Terrasse - Cela s'appelle la CSG !

M. le Ministre - On peut d'ailleurs retourner votre raisonnement : si 10 % de la population bénéficie de 30 % de la réduction d'impôt, cela signifie que 1 % de la population paie 30 % des impôts, et a droit, à ce titre, à un traitement moins pénalisant ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Un budget n'est qu'une étape dans la mise en _uvre d'une politique. La nôtre est une politique fondée sur l'offre, sur la relance de l'initiative économique, moyennant des incitations fiscales en faveur des personnes et des entreprises. C'est une politique qui s'inscrit dans la durée : cinq ans. Et nous sommes convaincus qu'elle est la meilleure pour notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

S'agissant de la dette, je suis sensible, comme M. Bayrou, à son montant, surtout lorsqu'on y inclut la dette « implicite » qui résulte notamment de notre système de retraites, et il serait irresponsable de ne pas réfléchir aux moyens de freiner son expansion, du moins en pourcentage du PIB. Car plus encore que son niveau absolu, c'est son rythme de progression qui doit nous préoccuper. Elle représentait 20 % du PIB il y a vingt ans, 60 % aujourd'hui.

Comment y faire face ? En jouant sur trois paramètres : minimisant la croissance, en augmentant dans la mesure du possible le taux de croissance du PIB, et en créant les conditions pour que le maximum de gens soient au travail (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard - Me permettez-vous de vous poser une question ?

M. le Président - L'orateur a achevé son propos.

M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire - Je commencerai par faire le bilan du travail que nous avons mené ensemble à l'occasion du budget 2003. La discussion budgétaire ne se réduit pas à la discussion générale : elle consiste en des jours et des nuits de débats sur les articles et les amendements, et ceux qui y ont participé sont les mieux placés pour juger de la qualité du travail parlementaire !

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances - Très bien ! Les absents ont toujours tort !

M. le Ministre délégué - S'agissant du budget 2003 et du collectif qui a suivi, j'ai pris devant vous, suite à vos amendements, 92 engagements. Au 1er octobre, plus de la moitié avaient été tenus !

M. le Rapporteur général - Il y avait même quelques amendements UDF ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. le Ministre délégué - 14 % sont en passe d'être tenus à court terme, 23 % le seront à moyen terme, et 8 % seulement devront attendre quelques mois, le temps de mettre au point les dispositifs techniques nécessaires. Monsieur Bayrou, le travail de confiance entre ce Gouvernement et le Parlement est meilleur que sous les gouvernements auxquels vous avez participé ! (« Bravo ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. François Bayrou - Dites-le à Edouard Balladur et Alain Juppé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Henri Emmanuelli - Quand vous aurez fini de régler vos comptes, vous vous occuperez de nous ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre délégué - J'y viens (Rires). J'ai écouté les orateurs socialistes, fidèles à eux-mêmes...

M. Henri Emmanuelli - Intelligents, sérieux...

M. le Ministre délégué - Ils ont des convictions respectables, et nous apprenons beaucoup en les écoutant, mais nos antagonismes sont irréductibles. Vous croyez à l'assistance quand nous croyons au travail (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Vous croyez à plus de dépenses et plus d'impôts, quand nous croyons à moins de dépenses pour moins d'impôts ! (Mêmes mouvements) Vous croyez d'abord à l'emploi public, quand nous croyons d'abord à l'emploi privé (Mêmes mouvements). Vous croyez à l'économie administrée, nous croyons à la liberté de l'économie ! (Mêmes mouvements)

Nous voulons encourager le travail, restaurer la primauté du travail. Etes-vous pour ? La France a besoin du talent et de l'effort de tous les Français, voilà le message de ce budget ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Henri Emmanuelli - On se croirait dans un préau d'école ! (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Briand - Et vous n'êtes pas le dernier des garnements !

M. le Ministre délégué - Vous nous avez interrogés sur la prime pour l'emploi. Écoutez ma réponse ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Sylvia Bassot - Les mauvais élèves n'écoutent jamais !

M. le Ministre délégué - Notre politique d'encouragement au travail, de récompense du travail - particulièrement au niveau des bas salaires - ne se limite pas à la revalorisation de la prime pour l'emploi, même si c'en est un élément important. 150 millions d'euros d'indexation, 130 millions pour le relèvement des seuils, 80 millions pour l'augmentation des taux, 120 millions pour la mise en place d'un mécanisme d'acompte : ces chiffres ont été rendus publics dès la présentation du projet de budget, et le total représente bien un effort de 480 millions en 2004. Le mécanisme d'acompte constitue même un véritable progrès, car le délai après la reprise d'emploi est ramené de 8 à 6 mois (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Pour une personne payée au SMIC, la hausse, depuis 2002, de son revenu annuel de travail, atteindra, PPE comprise, 823 euros en moyenne.

Et pour un salarié payé au Smic et faisant 39 heures par semaine, elle atteindra, en 2002-2004, 1 409 €, ce qui n'est pas, comme d'aucuns l'ont dit, une « aumône » !

Pour ce qui est du déficit, que l'on a pu qualifier d'abyssal, vous critiquez chaque mesure d'économie, - y compris les mesures de maîtrise de l'exécution qui ont pourtant pour seul objet de respecter le plafond d'autorisation voté par le Parlement pour 2003 ! Vous n'avancez en réalité qu'un seul argument : nous dépenserions trop pour la sécurité des Français et leur défense.

Vos critiques portent en vérité sur moins de 1,5 % des dépenses de l'Etat. Mais au-delà de la pauvreté de ces attaques, nos déficits ont de vraies causes : les dépenses pérennes, réelles, récurrentes, créées dans les années 1999-2001, représentent plus de 20 milliards. Sans elles, nous reviendrions facilement à un équilibre des comptes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Louis Idiart - C'est la méthode Coué !

M. le Ministre délégué - Le Gouvernement a fixé un cap et s'y tiendra : le cap de la maîtrise des dépenses, grâce à la réforme de l'Etat et à la modernisation financière.

Quant au gazole, évoqué par le groupe socialiste, par le groupe communiste et par M. Bayrou au nom du groupe UDF, je voudrais dissiper une idée fausse. Le prix du gazole, loin d'être surtaxé en France, est inférieur à la moyenne des autres pays européens. En outre, la France est l'un des pays européens où l'écart de taxation entre l'essence et le gazole est le plus important : 19 centimes par litre, pour une moyenne de 15 centimes dans l'Union européenne. Cet écart a entraîné une « diésélisation » massive de notre parc automobile, au point que toutes les majorités, depuis dix ans, ont affirmé la nécessité de le réduire. J'entendais dire, tout à l'heure, que le gazole est utilisé par les gens les plus modestes, mais il est aussi des ménages modestes qui roulent à l'essence, et je n'ai pas entendu la moindre compassion à leur endroit (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Le précédent gouvernement avait même adopté un plan de réduction de cet écart, à raison de sept centimes chaque année pendant sept ans.

M. Augustin Bonrepaux - Mais nous ne l'avons pas fait !

M. le Ministre délégué - M. Didier Migaud, alors rapporteur général, pour qui j'ai une estime que je n'ai jamais cachée, parlait alors de « mesure équilibrée, qui prend en compte la dimension environnementale de la TIPP ».

L'effet de la mesure que nous prenons doit être relativisé : la hausse sera de trois centimes par litre en incluant la TVA. C'est un écart très inférieur à celui que l'on peut aujourd'hui constater entre deux pompes dans une même agglomération. Au demeurant, le prix au litre restera très inférieur à celui constaté au printemps dernier.

M. Augustin Bonrepaux - C'est pour cela qu'il a augmenté cette année ?

M. le Ministre délégué - Je vais vous répondre. Les recettes de la TIPP stagnent ; cela signifie que la capacité contributive des automobilistes n'est pas davantage « activée » cette année que par le passé, au contraire (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Enfin, cette mesure financera les besoins du système ferroviaire.

Quant à la pression fiscale locale, pourquoi a-t-elle augmenté de 2,2 % en 2003 ? M. Méhaignerie l'a excellemment expliqué hier : à cause de l'APA et des 35 heures (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Augustin Bonrepaux - Vous n'auriez pas dû réduire l'APA, vous auriez eu moins de problèmes cet été ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre délégué - Malgré les difficultés conjoncturelles, le Gouvernement a maintenu le contrat de croissance. Il acceptera néanmoins l'amendement de la commission des finances demandant une étude de conséquences du transfert du RMI. Nos compatriotes bénéficiaires des minima sociaux seront à l'avenir moins nombreux grâce à notre politique (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), et nous avons confiance en la capacité gestionnaire des départements.

Je partage avec M. Bayrou l'adhésion aux valeurs du personnalisme communautaire. Nous voulons une société plus généreuse, plus attentive, mais aussi plus responsable. Nous croyons à la souveraine dignité du travail comme source de richesse nationale et morale de toute personne. L'activité doit demeurer la norme et le chômage l'exception (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). C'est l'assistance qui emprisonne, et le travail qui libère (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Il n'est pas normal, ayons le courage de le dire, qu'une allocation de chômage puisse indemniser l'absence d'emploi sans limite de temps. Tout régime d'indemnisation doit avoir en effet un but : le retour à l'emploi.

En limitant à deux ans la durée de l'ASS pour les nouveaux bénéficiaires et à trois ans pour les bénéficiaires actuels, le Gouvernement veut promouvoir une logique de retour à l'activité. Le chômage est une prison !

M. François Bayrou - M'autorisez-vous à vous répondre en deux phrases ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre délégué - Je vous en prie.

M. Jean-Claude Sandrier - On voit qu'il est de la majorité !

M. François Bayrou - Nous souscrivons tous à l'affirmation selon laquelle le travail est plus épanouissant que le chômage. Mais le RMI, en fait de prison, est-il préférable au chômage ? C'est la seule question qui se pose. C'est pourquoi je réitère ma proposition : les avantages que vous et nous attendons du RMA, ouvrez-le aux bénéficiaires de l'ASS ! Ne supprimez pas l'ASS avant la création du RMA ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. le Ministre délégué - Notre devoir est de redonner une chance à ceux qui se sont éloignés de toute activité depuis longtemps (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Aussi prenons-nous des mesures fortes : la chaîne de solidarité offre aujourd'hui un nouveau maillon après l'ASS : le RMA (Mêmes mouvements). Il offrira à chacun un billet de retour à l'activité, moyennant un revenu. C'est cela qui compte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. François Bayrou - Nous n'y sommes pas opposés.

M. le Ministre délégué - J'ajoute, car je ne l'ai pas beaucoup entendu dire, que la réforme ne supprime pas l'ASS pour les chômeurs de plus de 55 ans (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Enfin, les chômeurs qui perdent l'ASS et qui se verraient attribuer le RMI - pour ceux qui ne choisiraient pas le RMA - ne subiraient qu'une perte de revenu de dix euros par mois, en moyenne.

Nos échanges ont été riches. Il en ressort à mes yeux deux engagements principaux : la volonté est la voie royale du redressement de la France ; la dimension humaine, au c_ur notamment des interventions des quatre responsables des groupes, est essentielle.

L'être humain est la richesse la plus précieuse, la promesse de l'avenir d'un pays. Nous devrions être optimistes en observant les Français. Donnons-leur les moyens de réaliser leur potentiel. Alors, ils nous feront un bel avenir pour la France (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

La séance, suspendue à 18 heures 45, est reprise à19 heures 5.

M. Jean-Pierre Brard - M. Mer, puis M. Lambert, ont ouvert tout à l'heure un débat fort intéressant. Nos deux visions s'affrontent : c'est le débat démocratique et c'est légitime. Il nous faut aller jusqu'au bout de nos idées pour éclairer nos concitoyens, sans céder à la tentation de l'habillage idéologique.

Mon rappel au Règlement est fondé sur son article 58 alinéa 1, car François Bayrou a bénéficié tout à l'heure d'un traitement spécial qui m'a été refusé.

M. Lambert a beaucoup parlé du travail. Il vient d'une région où règne le « Travaillez, prenez de la peine, c'est le fonds qui manque le moins » de La Fontaine - discours qui eût tout aussi bien pu être celui des prêches du dimanche. C'est toute cette idéologie qui imprègne le discours du Gouvernement.

M. Lambert, donc, parle du travail, mais il ne parle jamais de sa rémunération. Le problème n'est pourtant pas tant de gagner son paradis que de gagner sa vie ! (Sourires)

Je me disais en vous entendant, Monsieur le ministre, que vous aviez _uvré dans les offices notariaux, puis dans les offices gouvernementaux, et que vous aviez vos chances pour rejoindre les offices pontificaux (Rires). Peut-être commencerez-vous par le diaconat : vos façons onctueuses reviennent à proposer de la pommade pour endormir une douleur...

M. le Président - Est-ce vraiment un rappel au Règlement ? Nous sommes dans le débat budgétaire, pas dans un débat sur la loi de 1905.

M. Jean-Pierre Brard - La loi de 1905 est un sujet qui vous intéresse tout autant que moi. Vous avez d'ailleurs formulé quelques propositions fort pertinentes...

M. le Président - Ce n'est pas notre débat.

M. Jean-Pierre Brard - Pour M. le ministre, le travail est une valeur morale. Il peut donc être sous-payé. La preuve : le pouvoir d'achat des fonctionnaires a été réduit de 3 % !

Je lui demande de transmettre à M. Mer la question que voici : que répond-il au fabricant de chaussures que j'ai entendu expliquer sur France Info : « Nous n'avons pas besoin de subventions ni de baisses d'impôts, mais de clients » ? C'est la logique de l'offre contre celle de la demande. Le discours de M. Mer me fait d'ailleurs penser à l'Union Soviétique... (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Hervé Mariton - En connaisseur !

M. Jean-Pierre Brard - On y fabriquait encore et toujours des chaussures sans jamais s'inquiéter de savoir si la demande suivait. Vous êtes dans la même logique : vous ne vous occupez pas de la demande !

En 1997, les caisses de l'Etat étaient vides - vous les aviez vidées (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Le gouvernement de Lionel Jospin et de la gauche plurielle a pourtant choisi de créer les conditions de la confiance et, pour cela, de dépenser. Et c'est ainsi qu'il a rétabli la confiance ! Mais, toutes les enquêtes d'opinion le prouvent, aujourd'hui les gens ont peur : vous avez semé la peur. Vous pouvez toujours créer de l'offre, vous n'aurez pas de demande. Vous idéalisez le travail, mais vous faites surtout des chômeurs !

M. Augustin Bonrepaux - Rappel au Règlement ! Je souhaiterais, quant à moi, que les propos tenus au nom de la commission des finances restent fidèles au rapport. On nous dit en effet que le gouvernement précédent a augmenté la TIPP. Permettez-moi de rappeler les chiffres figurant dans le rapport : le produit de la TIPP s'élevait à 23,465 millions d'euros en 1998, à 23,409 millions en 2001, à 23,962 millions en 2002 et à 24,665 millions en 2003. L'augmentation de la dernière année vous est entièrement imputable : vous avez supprimé la TIPP flottante. Je demande simplement que l'on respecte les travaux de la commission des finances.

M. le Président - Nous reprenons la discussion générale.

M. Victorin Lurel - Permettez-moi d'exprimer mon émotion, en tant que nouvel élu et membre de la commission des lois, de débattre aujourd'hui de la loi de finances.

Vous avez emprunté, me semble-t-il, pour défendre votre politique, Monsieur le ministre, une formule à un chrétien social, Lacordaire.

Je ne résisterai pas à la tentation de le citer exactement : « Entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Autrement dit, peut-on parler de renard libre dans un poulailler libre ?

M. Jean-Pierre Brard - Surtout quand le renard parle anglais ! (Sourires)

M. Victorin Lurel - Alors qu'il n'est de richesse que d'hommes, vous lâchez les hommes au motif qu'ils doivent être responsabilisés. Votre conception de la responsabilité se traduit en premier lieu par la pénalisation. Comment pourrions-nous ne pas nous opposer à de telles notions, et à ce projet qui les traduit ?

La politique que vous menez depuis dix-huit mois, et dont on a dit à juste titre qu'elle est socialement injuste et économiquement inefficace, a plongé la France dans un déficit abyssal - pour reprendre les termes mêmes du Gouvernement. Votre gestion, prétendument « de bon père de famille » a conduit la France dans le mur.

Vos choix économiques, fiscaux et sociaux sont dramatiques et les conséquences en sont graves : explosion du chômage, qui franchira la barre des 10 % de la population active à la fin de l'année et violation, hélas, de nos engagements européens, après que nos relations avec l'Union ont été irresponsablement compromises. Les victimes de votre politique sont les plus fragiles : les personnes âgées, les chômeurs, les plus pauvres et, maintenant, les ultra-marins, livrés une nouvelle fois au lynchage médiatique.

Or, ce projet répète les mêmes choix et donc les mêmes erreurs économiques et les mêmes injustices sociales. Quelle obstination !

Alors que, de votre avis même, Monsieur le ministre, les précédentes baisses d'impôt voulues par votre majorité ont servi à gonfler l'épargne des plus favorisés et non à soutenir la consommation et l'investissement, des oukases élyséens vous obligent à persister dans l'erreur.

On ne peut pourtant que constater avec vous que les baisses d'impôt sur le revenu, dans un contexte que le Gouvernement décrit lui-même comme récessif, sont inefficaces et coûteuses, puisqu'elles profitent quasi uniquement aux ménages aisés, qui épargnent ce supplément de revenu : le taux d'épargne est en effet passé de 17 à 19 %. En revanche, le relèvement de la prime pour l'emploi permettrait d'augmenter le pouvoir d'achat et alimenterait la consommation. Or, vous leur offrez royalement de 2 à 3 € de plus par mois !

Plus grave encore : vous annihilez les bienfaits de l'augmentation hypothétique du pouvoir d'achat des plus faibles par la hausse des tarifs publics, celle de la fiscalité sur le gazole ou, conséquence directe de votre politique de décentralisation des déficits, par l'augmentation de 4 % en moyenne des impôts locaux.

Votre politique ultra-libérale conduit donc à faire payer aux plus modestes les cadeaux faits aux riches et à priver l'Etat des moyens d'une politique volontariste, protectrice des plus faibles.

La mort de 15 000 personnes des suites de la canicule a crûment révélé les faiblesses de notre système d'aide aux plus fragiles. Les besoins sont incontestables, et nous n'y répondons pas. Or, c'est bien par la solidarité nationale et la dépense publique que l'on doit améliorer la situation et non par la charité d'une journée travaillée supplémentaire.

Plus généralement, tous nos territoires ont besoin de services collectifs de qualité. Je vous invite, courtoisement et instamment, à venir en Guadeloupe vous rendre compte par vous-même, Monsieur le ministre, des besoins de l'hôpital, du secteur médico-social, du secteur des transports et de l'agriculture, de ceux, aussi, de l'enseignement - et de l'Université Antilles-Guyane en particulier. Or, votre politique est celle du « moins d'Etat », du moins de services publics comme le montre dramatiquement, s'il en était besoin, le budget affecté à l'outre-mer. Il s'agit de servir les plus riches parce que les hauts revenus ont, à vos yeux, une utilité sociale plus grande. Comme il est écrit dans l'Evangile de Matthieu, on prend à ceux qui n'ont pas et l'on donne à ceux qui ont !

C'est que, pour vous, les inégalités sont un accélérateur de croissance (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Nous pensons au contraire qu'il faut les combattre sans, pour autant, stériliser les talents et le mérite. Mais vous, vous faites les poches des pauvres !

Le dogme libéral qui sert de socle à votre action apparaît ici en toute clarté : favoriser les riches ; culpabiliser les pauvres, les stigmatiser, les pénaliser s'ils sont malades ou fumeurs, les tondre s'ils sont salariés ou retraités, les abandonner s'ils sont ultramarins (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Veuillez conclure.

M. Victorin Lurel - J'y viens, mais non sans avoir rappelé que l'outre-mer souffre de handicaps structurels dont le premier est l'éloignement, ce qui pose le problème de la continuité territoriale avec la métropole. Il n'est pas inintéressant non plus de rappeler que l'outre-mer a un niveau de vie nettement inférieur à celui de la métropole. Ainsi, la Guadeloupe est la région la plus pauvre de l'outre-mer, de France et d'Europe. Or, pour réduire de manière epsilonesque le déficit que vous avez créé, vous n'hésitez pas à ponctionner ces régions de 105 millions en supprimant plusieurs dispositions spécifiques, vous réduisez à néant les 30 millions destinés à la continuité territoriale vers l'outre-mer et vous diminuez son budget de 3,6 % !

Alors que l'outre-mer devrait être une des priorités de la République, vous réalisez l'exploit, de réduire ses ressources pour donner quelques moyens à votre politique injuste et inefficace.

Quitte à me faire, une fois n'est pas coutume, le défenseur de la ministre de l'outre-mer contre sa propre majorité, je vous mets en garde contre cette tentative d'abandon. Je vous rappelle par ailleurs que vous ne respectez pas l'engagement pris par les ministres des collectivités locales et de l'outre-mer de rebaser la DGF des communes et des départements à compter de l'année 2000.

M. le Président - Je vous prie de conclure, vous avez très largement dépassé votre temps de parole.

M. Victorin Lurel - En l'état, ce projet est inacceptable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Je rappelle à tous mes collègues que le temps de parole est attribué aux orateurs par leur groupe, et qu'ils doivent le respecter.

M. Eric Woerth - La suite de la partition va être un peu différente (Sourires). Si le budget pour 2003 était un budget de transition, celui que vous nous présentez traduit une politique économique claire, dont l'ambition est incontestable. La majorité peut être fière d'un projet qui se caractérise par une politique durable de réduction des charges et par un effort sans précédent de maîtrise des dépenses publiques. Certes, les options retenues suscitent un débat au sein de la majorité et avec l'opposition. Pour les socialistes, revenus de l'assistance et revenus du travail sont à mettre sur le même plan (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) entreprises et actionnaires sont, par principe, suspects et la croissance n'est qu'une variable d'ajustement.

Nous voulons substituer à une économie de dépense une économie d'initiative, plus souple, plus réactive, en un mot faire sauter de la cheville du coureur français le boulet qui l'entrave. Seul cela est à même de créer davantage de richesses et de garantir une solidarité active, comme nous le voulons avec le futur RMA.

Le budget pour 2004 comporte une diminution d'impôts sans précédent, avec une baisse de 10,35 % des prélèvements, soit 3,5 milliards d'euros rendus aux ménages et aux entreprises. Le choix est courageux mais en ce domaine, comme en beaucoup d'autres, la prudence est plus mauvaise conseillère que le courage.

M. Michel Bouvard - Tout à fait !

M. Eric Woerth - Dans le même temps, un effort important, légitime, est fait en faveur des plus modestes avec l'augmentation de la PPE, après le relèvement du SMIC.

De grâce, que l'on ne nous objecte pas que l'Etat reprend d'une main ce qu'il donne de l'autre ! En dépit de l'augmentation de la fiscalité sur le gazole, celui-ci coûtera moins cher début 2004 que début 2003. Par ailleurs, le produit de cette hausse servira à réduire la dette de RFF et à développer les investissements ferroviaires. L'augmentation des taxes sur le tabac est, quant à elle, une mesure de santé publique. Quant à celle des impôts locaux, elle dépend de la politique menée par chaque collectivité locale. Il est d'ailleurs cocasse qu'on l'impute à la décentralisation, puisque celle que l'on vise n'a pas encore eu lieu ! La vérité exige de dire qu'elle est, pour l'essentiel, due à l'application, tant bien que mal, des 35 heures dans la fonction publique territoriale, à la fin de beaucoup de contrats aidés, à la dérive des dépenses des SDIS et à la mise en place de l'APA, laquelle n'était pas financée. Enfin, les collectivités ne cessent de créer de nouveaux services de proximité, attendus des citoyens et redoutés des contribuables... lesquels sont d'ailleurs les mêmes.

Ce budget opère également une clarification des finances publiques avec le rebudgétisation de l'usine à gaz que constituait le FOREC, et ouvre des pistes pour une réforme d'ensemble de notre fiscalité - c'est le sens des propositions de la commission des finances s'agissant de la redevance audiovisuelle. Il contient les dépenses publiques en volume - exploit qui sera, je l'espère, l'amorce d'une révolution culturelle dans les différents ministère -, tout en permettant le financement de nos priorités - défense, justice, sécurité intérieure, coopération, recherche.

Ce budget nous permettra de retrouver le chemin, j'espère l'autoroute, de la croissance...

M. Henri Emmanuelli - C'est bien parti !

M. Jean-Louis Idiart - L'autoroute est droite, mais la pente est forte !

M. Eric Woerth - ...mais d'une croissance plus vertueuse, car plus respectueuse de l'avenir.

Nous avons eu raison de choisir, avec courage, de nous éloigner provisoirement de l'objectif d'un déficit public inférieur à 3 % du PIB. Essayer de l'atteindre dès aujourd'hui nous eût assurément empêcher de l'atteindre durablement demain.

Nous avons trouvé, à notre arrivée aux affaires, une France alanguie, à la recherche d'elle-même, car notre pays n'est pas un supermarché où l'on se sert à volonté, sans jamais passer à la caisse (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Le budget pour 2004 comme, je l'espère, ceux qui suivront, appelle à plus d'efforts et de responsabilité au service de plus d'initiative, plus de croissance et plus d'emploi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Pajon - Après l'état de grâce, l'heure est venue pour le Gouvernement du premier bilan, et celui-ci n'est pas brillant. Il aura suffi de moins de dix-huit mois pour que la situation se dégrade à tel point que nos concitoyens perdent confiance. Les masques sont tombés : la politique économique et sociale de ce Gouvernement est une caricature de politique libérale, qui ignore l'équité et stigmatise les plus démunis.

Bien que ses choix, l'an passé, se soient révélés inefficaces, le Gouvernement « maintient le cap », comme s'en vante le ministre. Cette année encore, il parie sur le retour de la croissance et, avant tout, diminue les impôts. Or, l'expérience l'a prouvé, les cadeaux fiscaux faits aux ménages les plus aisés n'ont servi qu'à alimenter l'épargne. Le redémarrage de la consommation, tant attendu, n'a pas eu lieu et le Gouvernement ne peut que s'en remettre à l'éventuelle reprise américaine. Il démissionne purement et simplement. En refusant de soutenir le pouvoir d'achat et la consommation, il s'obstine aveuglément... pour tenir coûte que coûte les engagements extravagants pris pendant la campagne présidentielle.

Nous avions souligné combien les prévisions de croissance retenues l'an passé étaient irréalistes, et irresponsables. Les faits nous ont, hélas, donné raison : 0,2 % d'après l'INSEE, contre les 2,5 % prévus. C'est notre troisième plus mauvaise performance depuis 1945. Dans ce « contexte récessif », il est des plus aventureux de fonder le budget pour 2004 sur une hypothèse de croissance de 1,7 %. Quelle est par ailleurs la logique d'un budget qui donne la priorité aux dépenses de défense quand la croissance ralentit, qui démantèle tous les outils de la politique de l'emploi - emplois jeunes, CES, CEC - au moment même où le chômage augmente ? Comment, dans ces conditions, ne pas comprendre le désarroi de nos concitoyens ?

Ce budget est également dangereux pour les finances publiques. La réduction de 3 % de l'impôt sur le revenu est irrationnelle et aberrante. Creusant le déficit et augmentant la dette, le Gouvernement prive le pays de toute marge de man_uvre budgétaire. La dette, qui pourrait atteindre l'an prochain mille milliards d'euros, compromet l'avenir des générations futures, lesquelles paieront le prix de votre irresponsabilité. La France est aujourd'hui l'un des plus mauvais élèves de la classe européenne de ce point de vue. Avec une dette représentant 61,2 % de son PIB, elle fait moins bien que l'Allemagne, pourtant en récession depuis plusieurs années. Avec un déficit public équivalent à 3,6 % de son PIB, la France enfreint, pour la troisième année consécutive, la règle du pacte de stabilité que M. Chirac a lui-même signé.

A côté de cela, le Gouvernement fait des économies de bout de chandelle, ridicules à l'échelle du budget et pourtant dévastatrices pour certains secteurs. Un seul exemple : 30,5 millions d'euros vont être prélevés sur le fonds de roulement des comités professionnels de développement économique, comme ceux de la maroquinerie chaussure et du textile habillement, qui oeuvrent pourtant à la modernisation de ces branches en très grande difficulté.

Ce budget est, qui plus est, profondément injuste. Vous abaissez encore l'impôt sur le revenu dû par les plus riches - 70 % des bénéfices de cette baisse d'impôt profiteront aux 5 % des ménages les plus aisés - alors que, dans le même temps, la très grande majorité de nos concitoyens devra supporter la hausse des tarifs publics, de la TIPP sur le gazole, des taxes sur le tabac et des impôts locaux, au premier rang desquels la taxe d'habitation.

Ce budget enfin est inconséquent, effectuant des coupes claires dans des secteurs-clés comme l'éducation, la santé ou le logement. Comment le Gouvernement peut-il prétendre se soucier d'environnement tout en supprimant le Fonds national de l'eau ? Comment peut-il sérieusement s'engager à construire 80 000 logements en 2004 en diminuant de 4 % les crédits de ce ministère ?

M. le Président de la commission - C'est faux.

M. Michel Pajon - Comment peut-il prétendre que le budget de la recherche augmente alors que le CNRS n'a toujours pas reçu tous ses crédits 2002 ?

Ce budget est si incohérent qu'il est en contradiction avec les propos du porte-parole du Gouvernement lui-même. Celui-ci n'affirmait-il pas en effet en mai dernier que « le temps des chèques en blanc signés sur le dos de nos enfants est terminé ». Nous aurions aimé le croire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Laurent Hénart - Je me limiterai à trois points.

Tout d'abord, la démarche pluriannuelle dans laquelle s'inscrit ce budget. Il faut rappeler que depuis 1980, la dette de l'Etat a été multipliée par dix - ses intérêts représentent aujourd'hui 15 % du budget contre 5 % il y a vingt ans - et que le nombre de fonctionnaires dans les trois fonctions publiques s'est accru d'un million. Dans ce contexte, ce gouvernement cherche à garantir les finances publiques à long terme, et cela ne peut se faire que sur plusieurs années. L'effort en ce sens doit donc être souligné. Les dépenses en volume sont stabilisées, tout en permettant que les crédits de certains ministères augmentent afin de financer les priorités comme la sécurité, l'éducation et la recherche - je tenais à le souligner en tant que rapporteur du budget de l'enseignement supérieur. Les services de l'Etat commencent à se réorganiser et tous les départs en retraite chez les fonctionnaires ne seront pas remplacés : le nombre d'emplois publics ouverts au budget, après avoir diminué de mille en 2003, diminuera encore de 4 600 en 2004. C'est là la seule façon de résorber le déficit structurel, passé en vingt ans de 1 % à 4 % du PIB, d'éviter que la dette ne gonfle encore et, partant, de retrouver des marges de man_uvre. Je tiens à souligner également l'effort de sincérité consenti dans la présentation de ce budget. Il est important de ne rien cacher, ni des budgets qui augmentent, ni de ceux qui diminuent, de ne pas se gargariser de promesses, jamais tenues, comme celle du 1 % pour le budget de la culture et de se garder de toute euphorie en matière de prévisions de croissance.

Quelle est, en second lieu, la priorité de votre budget ? Je souhaite ici faire écho aux propos de M. Brard sur les chaussures. Il a, en somme, opposé les théoriciens de l'offre et les keynésiens, suggérant qu'en baissant les impôts on gonflait certes un peu l'offre, et sûrement l'épargne, mais qu'on ne soutenait pas la demande. Or, il faut rappeler d'une part qu'en matière de soutien de l'activité le budget est complet, et d'autre part qu'il n'est qu'un outil au sein d'une gamme.

Le budget est complet : il soutient certes les revenus et les fruits du travail, par la baisse de l'impôt sur le revenu, mais aussi les ménages modestes avec la prime pour l'emploi, les secteurs qui embauchent avec les mesures TVA, et il prépare les emplois de demain avec les mesures relatives aux entreprises innovantes. L'arme fiscale, on le voit, soutient non seulement l'offre mais aussi la demande.

Et le budget n'est pas seul. Il s'inscrit dans un cadre pluriannuel en matière sociale, avec une augmentation sur trois ans du SMIC, qui bénéficiera pour l'essentiel à la consommation. Il s'accompagne, sur trois ans aussi, d'un plan d'allégement des charges sur les petits salaires, ce qui devrait rendre l'embauche plus facile, et par ce biais soutenir là aussi la consommation. C'est donc clair : la priorité de ce budget est le soutien à l'activité et à l'emploi ; et ce budget n'est pas isolé, il s'assainit sur plusieurs années et s'accompagne de mesures sur le SMIC et les charges sociales. Il y a là une vraie cohérence, qui ne consiste pas seulement à alléger les impôts de ceux qui gagnent de l'argent - ce qui est légitime quand cet argent vient du travail - mais surtout à favoriser le retour au travail de gens les plus nombreux possible.

Un mot enfin sur les travaux de la commission des finances. Elle a tenté de dégager du disponible dans votre budget. Sous l'impulsion du président Méhaignerie et du rapporteur général, elle a fait la chasse à quelques niches anciennes qui apparaissaient comme des dépenses fiscales injustifiées. Elle a aussi envisagé la suppression possible de certaines dépenses. Au total elle entend dégager 300 millions d'euros de marge de man_uvre. La Constitution nous interdit, Monsieur le ministre, d'accroître les dépenses ; mais peut-être le Gouvernement devrait-il prêter l'oreille à sa majorité sur le plan de l'environnement. Nous en avons beaucoup parlé en commission, et nous sommes nombreux à avoir entendu le message environnemental qui accompagne l'augmentation de la TIPP sur le gazole : il s'agit de promouvoir le ferroutage, mode non polluant de transport des marchandises. Et nous sommes nombreux à souhaiter que l'Etat continue au moins jusqu'à la loi de décentralisation, qui sera applicable au 1er janvier 2005, à soutenir les grands projets de développement des transports en commun en site propre, qui recourent généralement à des formes non polluantes d'énergie.

Il me semble important d'assurer dans ce domaine une évolution en douceur, de ne pas anticiper sur la décentralisation, et de ne donner aucun signal traduisant une inversion de la tendance, qui s'est déjà développée tardivement en France, à développer ces modes de transport non polluants. Cela permettrait aussi au Parlement de supprimer l'article qui déplafonne le versement transport : ce serait un signal clair pour les acteurs économiques, et notamment pour les petites entreprises. Cela offrirait au Gouvernement la possibilité d'ajuster son tir grâce à l'apport parlementaire, et de prolonger ce qu'il engage avec la TIPP en soutenant un an de plus les transports en commun et en repoussant la hausse du plafond du VT jusqu'au moment de la réforme de la fiscalité locale. Ce serait un élément supplémentaire de cohérence pour notre politique, tant sur le plan de l'environnement que des finances publiques locales.

Je conclurai, Monsieur le ministre, en vous remerciant pour votre écoute envers les parlementaires et notamment les rapporteurs spéciaux, et, par avance, pour celle que vous montrerez envers les propos que je viens de tenir (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 50.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE


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