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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 24ème jour de séance, 60ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 13 NOVEMBRE 2003

PRÉSIDENCE de M. François BAROIN

vice-président

Sommaire

      LOI DE FINANCES POUR 2004 -deuxième partie- (suite) 2

      JUSTICE 2

      QUESTIONS 19

La séance est ouverte à neuf heures trente.

LOI DE FINANCES POUR 2004 -deuxième partie- (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion des articles de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2004.

JUSTICE

M. le Président - Nous abordons l'examen des crédits du ministère de la justice.

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial de la commission des finances - La Justice demeure une priorité gouvernementale. 2004 sera en effet la deuxième année d'application de la loi d'orientation et de programmation pour la Justice, adoptée en 2002.

Les moyens alloués à la Justice connaissent ainsi une augmentation régulière depuis plusieurs années : les crédits prévus en loi de finances initiale, qui s'élevaient à 4,16 milliards d'euros en 2000 et à 4,68 milliards d'euros en 2002, atteindront 5,8 milliards d'euros en 2004, soit une augmentation de 4,89 % par rapport à 2003.

Premier point de repère, les créations d'emplois. Ce budget en propose 2 175, soit 133 de plus que l'année dernière, ce qui porte l'effectif total du ministère à 71 390 emplois, dont quelques centaines sont vacants.

Une application linéaire de la loi d'orientation et de programmation serait évidemment absurde et interdirait toute adaptation aux besoins et aux circonstances. L'administration pénitentiaire est ainsi cette année la principale bénéficiaire des créations d'emplois : elle doit faire face à une inquiétante surpopulation carcérale. En revanche, les créations de postes de magistrats accusent comme en 2003 un retard de 50 postes par rapport à une application linéaire de la loi d'orientation et de programmation.

Tout aussi importantes pour l'efficacité du service public de la Justice, les revalorisations statutaires et indemnitaires sont très encourageantes. Un effort particulier est consenti pour les magistrats de l'ordre judiciaire, qui avaient accumulé un retard important sur ceux de l'ordre administratif et des juridictions financières. Des reclassements statutaires et indiciaires sont également prévus pour d'autres personnels. Enfin, 2004 verra s'achever la réforme statutaire des greffiers.

Subsistent cependant certains retards catégoriels dans l'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse. Il conviendra de les combler rapidement.

La mise en place, en 2004, de 600 juges de proximité - sur un total de 3 300 - me paraît enfin une prévision optimiste.

J'en viens aux équipements. La loi d'orientation et de programmation a prévu un programme ambitieux. Il s'agit d'abord de rénover les prisons vétustes et d'en construire de nouvelles. Nous achèverons en 2004 le programme dit « des 4 000 ».

Les palais de justice font également l'objet d'un effort de rénovation et de construction. Le nouveau tribunal de grande instance de Paris est un dossier urgent et difficile. Il faut trouver un site et mettre en _uvre sans délai cet important programme. L'établissement public dédié à cette opération est en cours de création. Puisse-t-il se mettre rapidement au travail.

Innovation de la loi d'orientation et de programmation, de nouveaux centres éducatifs fermés seront livrés en 2004. Ils font largement appel au secteur associatif, partenaire incontournable de la protection judiciaire de la jeunesse. 600 places sont prévues au total dans des centres éducatifs fermés. Compte tenu de leur coût de fonctionnement, qui représente le double de celui des centres éducatifs renforcés, une évaluation de cette expérience est absolument nécessaire.

Le rythme de consommation des crédits d'équipement connaît un temps de latence normal, qui correspond au démarrage des nouveaux programmes. Nous souhaitons, bien sûr, qu'il s'accélère sur les prochaines années. Même si votre ministère a été relativement protégé, il n'a pas été épargné par la régulation budgétaire. Il faut en tenir compte.

Je voudrais maintenant aborder deux préoccupations essentielles. La première concerne la protection judiciaire de la jeunesse. Nous l'avons évoquée à plusieurs reprises, la Cour des comptes aussi, notre collègue Valérie Pecresse s'y est intéressée ; je serai donc bref.

Il faut se garder des idées reçues qui gouvernent l'opinion en la matière. La PJJ est aujourd'hui sous-administrée, sous-orientée et sous-évaluée. Un effort de réorganisation très important a été entrepris. Il me semble qu'il devrait poursuivre trois objectifs : l'amélioration de l'organisation territoriale de la PJJ, qui est très dispersée ; la définition précise du sens et du contenu de l'action éducative, pour favoriser les bonnes pratiques professionnelles et le suivi des jeunes ; l'amélioration du contrôle sur le secteur associatif l'habilitation ne suffit pas, il faut ensuite s'intéresser à son action.

Je voudrais enfin évoquer la situation dans les prisons. La population carcérale a augmenté de 25 % en deux ans, avec un accroissement préoccupant du nombre de personnes en détention provisoire. Le point le plus haut a été atteint en juillet 2003, avec 60 000 détenus pour 48 000 places opérationnelles. Après les mesures de grâce présidentielle, il y a aujourd'hui environ 58 000 détenus, et la tendance n'est pas à la décrue. Il en résulte une dégradation des conditions de détention, qui se manifeste par les taux de scolarisation des mineurs, de formation professionnelle, de détenus mis au travail, de suicides. Un tel gâchis est inacceptable. Je rends ici un hommage particulier aux services de l'administration pénitentiaire, qui accomplissent leur travail dans des conditions très difficiles et ont un sens élevé de leur double mission : la garde et la réinsertion des détenus.

Nous n'échapperons pas à une réflexion sur la taille du parc pénitentiaire. Il faudra aboutir, par des rénovations et des constructions, à un nombre de place compris entre 50 000 et 60 000. Mais cela ne suffit pas : il faut également développer les mesures alternatives à l'incarcération. Certains magistrats montrent une grande réticence à utiliser les solutions du milieu ouvert, de la semi-liberté ou du bracelet électronique. Il y a donc un effort de pédagogie et d'information à faire pour les y inciter.

Le budget de la Justice représente aujourd'hui 1,86 % du budget de l'Etat. Cela montre certes le chemin qui reste à parcourir, mais aussi votre volonté de donner à la Justice les moyens de remplir complètement sa mission irremplaçable de régulation sociale. Je vous invite donc à adopter ce budget (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis de la commission des lois - Ce projet de budget est conforme à la programmation pluriannuelle prévue par la loi d'orientation pour la Justice du 9 septembre 2002. Les effectifs budgétaires augmentent de 3,14 % et le montant total des crédits de près de 5 %. Les engagements sont donc tenus.

L'augmentation des moyens de la Justice s'articule autour d'une modification profonde de ses structures. Au cours des dernières années, le discours sur la justice s'est borné à une augmentation des moyens sans réflexion d'ensemble ni ambition. Comme les lois qui étaient adoptées complexifiaient grandement les procédures, telle la loi du 15 juin 2000 qui a paralysé l'action des forces de l'ordre (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), ces nouveaux moyens étaient absorbés par des tâches lourdes et souvent inutiles. La machine judiciaire était toujours aussi lente et critiquée par nos concitoyens. Nous répondons à leurs attentes par des moyens nouveaux, certes, mais aussi par des réformes de fond, des réformes de procédure et des contrats d'objectifs, avec un souci de pragmatisme et d'efficacité.

M. Gérard Léonard - Très bien !

M. le Rapporteur pour avis - Les Français veulent une justice diligente et opérationnelle ; nous réformons donc les procédures. Ils veulent une justice attentive à leurs préoccupations quotidiennes ; nous créons donc la justice de proximité, réminiscence des anciennes justices de paix.

Je voudrais toutefois revenir sur certains points. Le premier concerne les statistiques et les indicateurs qui sont utilisés pour analyser la situation des juridictions et mesurer l'impact des réformes : dans de nombreux domaines, les données disponibles ont été recueillies en 2002 et reflètent la situation de 2001 ! A quoi servent-elles donc ? Il doit être possible de simplifier le système et de raccourcir les délais. Enfin, la dispersion des bâtiments judiciaires, à Paris notamment, est à l'origine de frais de loyers considérables. En outre, le régime des dotations et répartitions budgétaires est très rigide. Il serait souhaitable de le simplifier en accordant des dotations globales aux services régionaux, plus à même d'utiliser les crédits au bon endroit et au bon moment. Ainsi, telle importante juridiction d'instance peine, en fin d'année, à assurer son fonctionnement quotidien alors que, dans les mêmes locaux, des crédits importants sont engagés pour la mise en place de la justice de proximité...

Ce budget comprend deux éléments particulièrement novateurs : la nouvelle bonification indiciaire pour les postes de haute responsabilité et la prime modulable pour les magistrats, qui a déclenché les commentaires acerbes de certains syndicats. Il n'est évidemment pas question de porter atteinte à l'indépendance de la magistrature ou de promouvoir une justice de rendement. Un tel système existe déjà à la Cour de cassation et au Conseil d'Etat, dont on n'a jamais entendu dire que les magistrats étaient inféodés ! Il ne s'agit que d'une prime au mérite, qui a d'ailleurs été introduite dans toutes les autres administrations. Quoi de plus normal que de récompenser les magistrats performants, qui rendent leurs décisions dans les délais ? Pourquoi s'offusquer de reconnaître leur mérite ? Cette reconnaissance sera opérée par les chefs de cour, premiers présidents et procureurs généraux, qui procèdent déjà à la notation des magistrats placés sous leur autorité. La prime au mérite ne sera qu'une traduction financière de cette évaluation. Elle ne récompensera pas la seule vitesse de jugement, mais un ensemble de qualités professionnelles.

Le syndicat de la magistrature, très proche du parti socialiste (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), condamne bien sûr cette prime au mérite.

Pourtant, l'évaluation n'a jamais été remise en cause au cours de la dernière législature, et c'est heureux car, si le magistrat doit absolument être indépendant, il n'en est pas moins l'agent du service public de la Justice. Il ne tient pas son pouvoir de l'onction divine, mais de la loi, expression de la volonté générale, et la justice est rendue au nom du peuple français. Il doit rendre ses décisions dans les délais, appliquer le principe du contradictoire et respecter les règles qui assurent le bon fonctionnement du service public. Ceux qui critiquent votre réforme, Monsieur le Garde des Sceaux, ne veulent pas être astreints à ces règles élémentaires. Ils ont une trop haute opinion d'eux-mêmes. Je préfère la modestie des nombreux magistrats qui ne demandent rien et exercent leur métier avec un grand sens du devoir.

Par ailleurs, le ministère réalise un effort important pour harmoniser les régimes indemnitaires des magistrats administratifs et judiciaires. Curieusement, je n'ai pas souvent entendu les syndicats de magistrats sur ce point... Pourtant, depuis dix ans, ces indemnités n'ont été augmentées que par des gouvernements issus de cette majorité : entre 1994 et 1996 et depuis 2002 !

M. Jacques Floch - C'est faux !

M. le Rapporteur pour avis - Vous vous étiez engagé, Monsieur le Garde des Sceaux, à réaliser la parité avec la juridiction administrative, et vous y serez bientôt.

En ce qui concerne la justice de proximité, il sera bien sûr nécessaire de procéder à certaines adaptations, comme l'élargissement des compétences au civil pour aider les juridictions d'instance ou la clarification des compétences au pénal. Nous tirerons les enseignements des premiers résultats, auxquels je serai particulièrement attentif puisque ma circonscription du Libournais est juridiction pilote en la matière (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Nous nous étions attachés, lors du débat sur la création de cette nouvelle juridiction, à garantir les compétences du juge de proximité, à mettre en place une formation probatoire et à le placer sous l'autorité du juge d'instance.

M. Jacques Floch - Il n'y a pas de place à l'ENM !

M. le Rapporteur pour avis - Tout cela est acquis, et les premiers juges recrutés ont suivi leur formation à l'ENM. Les contacts avec l'actuelle promotion des auditeurs de justice ont été excellents. Je suis persuadé que les juges de proximité seront très appréciés sur le terrain lorsque les ajustements nécessaires auront été opérés. L'engouement populaire pour cette réforme se traduit en tout cas par de très nombreuses candidatures. D'ici la fin 2004, quelque 600 juges de proximité seront opérationnels.

Enfin, je me permets de revenir sur la valorisation des fonctions des agents de catégorie C. L'augmentation salariale pour 2004 n'est pas suffisante. Ces agents sont souvent particulièrement méritants et assument des missions qui ne devraient pas ressortir de leur compétence. La reconnaissance que nous leur devons passe par un élément financier et des perspectives de carrière.

L'instauration des secrétaires administratifs me semble, en ce sens, une excellente initiative.

La réforme du statut des greffiers en chef, et la mise en place des greffiers-rédacteurs participent de ces réformes de structure. Il conviendrait certainement aussi d'entériner les conclusions du rapport d'Anicet Le Pors sur la professionnalisation des greffes des juridictions administratives.

En dernier lieu, Monsieur le Garde des Sceaux, je reviens rapidement sur les propositions que j'avais formulées l'année dernière destinées à améliorer la formation dispensée par l'Ecole nationale de la magistrature et l'Ecole nationale des greffes, dans la perspective des importants recrutements qui ont été décidés. Des réformes de structure pourraient être bénéfiques. Je pense, par exemple, à la création d'un établissement public pour l'ENG.

Je suis persuadé, Monsieur le Garde des Sceaux, que nous sommes sur la bonne voie. Vous pouvez compter sur notre soutien (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Valérie Pecresse, rapporteure pour avis de la commission des lois pour les services pénitentiaires et la protection judiciaire de la jeunesse - Le budget du ministère de la justice respecte scrupuleusement la loi d'orientation sur la Justice votée par notre assemblée le 9 septembre 2002. Elle prolonge les efforts budgétaires entrepris dans le cadre de la loi de finances pour 2003.

Monsieur le Garde des Sceaux, Monsieur le secrétaire d'Etat, vous voulez vraiment changer le visage de l'administration pénitentiaire et celui de la protection judiciaire de la jeunesse. Vous vous en donnez les moyens : le budget de l'administration pénitentiaire progresse de 7,75 %, avec 1 111 créations d'emplois, et celui de la PJJ augmente de 3,8 %, avec 234 agents supplémentaires. Vous avez raison.

L'engagement pris par le Président de la République et le Gouvernement de rendre toute sa force à la loi s'est traduit par une augmentation du nombre de personnes incarcérées - 57 700 environ en novembre 2003 au lieu de 48 594 en janvier 2002 - et à une augmentation du nombre de mineurs mis en cause dans des procédures judiciaires - 180 000 en 2002 contre 177 000 en 2001. L'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse sont donc soumises à forte pression.

L'administration pénitentiaire a pour première responsabilité d'accueillir les délinquants et les criminels dans des conditions dignes. Nous avons tous en tête les conclusions du rapport parlementaire sur les prisons, qui a tiré le signal d'alarme sur les conditions de détention, particulièrement en maisons d'arrêt. La surpopulation carcérale, la vétusté de notre parc pénitentiaire appellent des mesures énergiques. Il faut poursuivre avec vigueur le programme immobilier dont vous êtes chargé, Monsieur le secrétaire d'Etat.

Le « programme 4000 » lancé en 1995 avance. Mais il faut huit à dix ans pour construire une prison, ce qui justifie le choix du Gouvernement de recourir à des procédures juridiques innovantes et rapides, faisant pour partie appel au secteur privé. La loi d'orientation prévoit la réalisation de 13 000 places d'ici 2007. Les financements sont là, les terrains ont été identifiés. Les délais prévus sont respectés. Quant à la rénovation des cinq plus grands établissements, décidée en 1998, elle se poursuit.

Il faut aussi définir une véritable politique d'alternative à l'incarcération. Alors que nos prisons sont pleines, les centres de semi-liberté sont largement sous-utilisés.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - C'est vrai !

Mme la Rapporteure pour avis - J'approuve les propositions de notre collègue Warsmann qui, dans un rapport sur les alternatives à l'incarcération, préconise la généralisation du bracelet électronique. Le Gouvernement veut atteindre l'objectif de 2 000 bracelets à la fin de l'année 2004, mais il se heurte encore à de nombreux blocages. Seulement 250 bracelets sont actuellement utilisés.

Garantir aux détenus des conditions de vie dignes et humaines, cela signifie également améliorer leur accès aux soins. Quatre nouvelles unités interrégionales d'hospitalisation sécurisées devraient ouvrir en 2004. Une étude épidémiologique sur la santé mentale des détenus et une mission sur la prévention du suicide sont en cours. Des unités hospitalières spécialement aménagées devraient ouvrir dès 2006. Ce sont des efforts de longue haleine pour améliorer la prise en charge des détenus.

La seconde responsabilité de l'administration pénitentiaire, c'est de prévenir la récidive. Il ne suffit pas d'arrêter les délinquants et de les mettre hors d'état de nuire. C'est un préalable nécessaire à la restauration de l'autorité publique, mais ce n'est qu'un préalable. Le Gouvernement s'intéresse à ce qui se passe après : comment réinsérer les détenus dans la société, comment les sortir de la spirale de la délinquance ? Il ne devrait plus y avoir de « sorties sèches », sans transition entre le monde carcéral et l'extérieur.

Le détenu qu'on a déresponsabilisé pendant des mois, et à qui, du jour au lendemain, on ouvre les portes de la liberté, sans qu'il ait possibilité de retrouver du travail, sans même, parfois, qu'il ait rempli son dossier de demande de RMI, ne peut que tomber dans l'exclusion et le dénuement, ou retrouver un milieu criminogène. Alors, la tentation de la récidive est inéluctable.

Le cas des délinquants sexuels, qui représentent le plus grand nombre des incarcérations aujourd'hui, est à prendre en charge de manière spécifique, avec des obligations de soins renforcées. La libération sèche est particulièrement contre-productive, puisqu'elle donne le sentiment à nos concitoyens que la justice ne prend pas en compte la problématique très particulière du risque de récidive qui s'attache à ce genre de délits ou de crimes.

Il faut aussi développer la formation et le travail en prison, afin de donner aux détenus une qualification.

Ces réflexions, Monsieur le ministre, vous les avez faites vôtres. L'expérimentation de trois centres pour peines aménagées, à Metz-Barrès, Marseille-Baumettes et Villejuif, va clairement dans ce sens. De même, la possibilité offerte aux détenus d'effectuer la fin de leur peine sous le régime du bracelet électronique. Mais un immense travail reste à accomplir pour changer les mentalités et les pratiques judiciaires. Malgré des résultats globalement satisfaisants, les mesures de liberté conditionnelle ne concernent aujourd'hui que 10 % des détenus.

Quant à la protection judicaire de la jeunesse, elle bénéficie d'un budget en considérable augmentation depuis 1999. C'est une bonne chose.

Nous ne pouvons admettre comme une fatalité que le nombre de mineurs mis en cause dans des faits de délinquance ne cesse d'augmenter, ni que la violence se banalise : 180 000 mineurs pas an, ce n'est pas rien.

Toutefois, l'augmentation des moyens et des personnels de la PJJ, spectaculaire depuis quatre ans, s'est-elle traduite par une amélioration de son efficacité ? Le rapport de la Cour des comptes, fondé sur un contrôle effectué en 2001, permet d'en douter. Il révèle les importants dysfonctionnements d'une administration qui ne sait plus le sens de son action. Mais comment évaluer l'efficacité de la PJJ ? Les indicateurs statistiques font cruellement défaut. On ne connaît que le nombre des mesures prononcées et le délai d'attente entre le jugement et son exécution.

Il apparaît cependant que la primodélinquance n'est pas assez vite sanctionnée, faute de moyens. Or la rapidité de la réponse judicaire est un facteur essentiel pour éviter la récidive.

M. Gérard Léonard - Très bien !

Mme la Rapporteure pour avis - Le recours aux mesures de réparation et aux travaux d'intérêt général stagne. Ce sont pourtant les mesures les plus pédagogiques. On n'en compte que quelques milliers par an, la plupart prononcées par les parquets en alternative aux poursuites. Cette situation s'explique-t-elle par une réticence des juges ou des éducateurs ? Par la faiblesse des moyens ? Certains magistrats estiment que la longueur du délai entre l'acte et la sanction prive celle-ci de sa signification. Les facteurs de blocage doivent donc être identifiés.

Le but des mesures éducatives en milieu ouvert reste flou. Un code des bonnes pratiques serait utile.

L'hébergement des mineurs délinquants est en crise. Les personnels affectés aux foyers n'ont qu'une idée : obtenir leur mutation. Comme en est-on arrivé là ? Est-ce le processus de recrutement qui est en cause, la violence croissante des adolescents, ou bien la féminisation excessive de la profession d'éducateur ? Le troisième concours, ouvert dès l'année prochaine à tous les professionnels de la jeunesse, constitue une première solution, mais il est nécessaire de revoir le fonctionnement de ces foyers.

Les centres éducatifs renforcés et les centres éducatifs fermés jouent un rôle essentiel. C'est la dernière main tendue avant l'incarcération. Ces centres sont certes onéreux, mais leur efficacité est sans commune mesure avec celle d'un hébergement classique. Reste que la sortie doit être soigneusement préparée.

La PJJ est une priorité budgétaire depuis cinq ans. Elle doit désormais rendre des comptes, sans craindre une évaluation qui améliorera son fonctionnement.

Enfin, je voudrais attirer l'attention de notre assemblée sur une des véritables hontes de la République, à laquelle, Monsieur le Garde des Sceaux, Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez décidé de mettre fin : celle des quartiers pour mineurs des centres de détention.

La convention internationale de Pékin sur les droits de l'enfant prévoit qu'en aucune manière ceux-ci ne doivent être détenus dans des prisons pour adultes. La France ne la respecte pas. En raison du fragile isolement de ces « quartiers » par rapport aux cellules des adultes, l'effet de contamination ne peut être évité. Le traitement des jeunes dans les prisons est indigne. C'est vous, Monsieur le Garde des Sceaux, qui avez fait pénétrer les éducateurs de la PJJ dans les prisons. Mais vous avez décidé d'aller plus loin. Vous avez décidé de sortir enfin les mineurs des prisons pour adultes. C'est l'objet du grand programme d'établissements pénitentiaires pour mineurs que vous avez lancé avec le concours du secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la Justice. Conçus comme des internats fermés, ces centres offriront aux jeunes incarcérés une véritable protection contre les délinquants adultes et un véritable suivi éducatif, pour leur donner une vraie chance de réinsertion. Sept centres devraient ouvrir d'ici 2006. C'est une avancée considérable en matière de droits de l'enfant. Je suis fière d'appartenir à la majorité qui aura voté ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Vaxès - Monsieur le Garde des Sceaux, vous nous présentez un budget de 5,28 milliards d'euros, en hausse de 4,9 %.

Nous ne nous en plaindrons pas !

Cette augmentation doit cependant être relativisée. Au milieu du XIXe siècle, la France comptait 6 000 magistrats pour 37 millions d'habitants. En 2003, ils sont 7 294 pour 60 millions d'habitants. Alors que, depuis la fin du XIXe siècle, la demande judiciaire a connu une spectaculaire évolution et que la population a augmenté de plus de 60 %, le nombre de magistrats ne s'est accru que de 20 %. Les moyens de l'institution judiciaire n'ont pas progressé proportionnellement à la demande de justice.

L'augmentation du budget de la Justice doit aussi être examinée au regard du constat dressé dans le dernier rapport de la Cour des comptes sur l'exécution des lois de finances : « Le budget de la Justice est caractérisé par une augmentation très régulière de ses moyens depuis plusieurs années. Le ministère n'apparaît pourtant pas en mesure d'absorber une augmentation régulière de ses budgets, comme l'atteste le niveau des reports effectuées d'année en année sur les dépenses de fonctionnement ou celles des autorisations de programme non utilisées. Ainsi, le ministère accumule des moyens sans les consommer ou les redéployer et les reports tendent à se pérenniser, les mesures de régulation budgétaires en accentuent encore la tendance ».

Même si le ministère de la justice n'est pas encore en mesure d'absorber l'augmentation régulière de son budget, de même si ce budget reste en deçà des besoins, c'est un budget en hausse. Et, cette hausse nous la saluons pour l'avoir depuis souhaitée.

Doit-on pour autant s'en satisfaire ? Un budget en hausse n'est pas nécessairement un bon budget, et il doit s'apprécier en fonction de la politique qu'il sert. De ce point de vue, il ne peut nous satisfaire.

Vous ne comprenez la « Justice » que dans sa dimension juridique et légale, alors que la Justice, avec un grand J, a d'abord, une dimension éthique et morale. L'administration de la Justice devient une entreprise sommée de répondre à des exigences de rentabilité. J'en veux pour preuve le dispositif de modulation individuelle pour services rendus prévu pour les magistrats.

D'ailleurs, l'opposition des organisations syndicales des magistrats à cette nouvelle forme de rémunération, qui n'est rien d'autre qu'une prime au rendement, est unanime. Il ne s'agit pas d'une réaction corporatiste. Dans cette profession, comme dans toutes les autres, il y a des fonctionnaires plus efficients que d'autres. J'y vois plutôt la réaction d'une profession profondément imprégnée du sens du service public de la Justice. Comment envisager, en effet, que la qualité des décisions, l'écoute des justiciables, la garantie des droits puissent être compatibles avec la « rentabilité » d'un magistrat ? Comment, d'ailleurs, celle-ci peut-elle être mesurée ? Selon le nombre de condamnations obtenues ? Selon le nombre de mises en détention prononcées ? Selon la quantité de mandats de dépôts sollicités ? La quantité ne peut être sérieusement retenue comme critère pour mesurer le travail d'un magistrat et la qualité de la justice rendue.

« Qualité », tel devrait être le maître mot de toute politique de la Justice. Or, ce qui ressort de ce budget, comme de l'ensemble des projets que vous nous soumettez, c'est que vous assimilez rentabilité et rapidité, d'une part, à la qualité, d'autre part.

La rapidité ne peut être à la mesure d'une bonne justice. Il convient, certes, de remédier à des retards de traitement, mais sans oublier que c'est en renonçant à l'immédiateté que nous sommes passés de la vengeance archaïque au droit, et que l'amélioration passe plutôt par une augmentation du nombre de magistrats et des moyens mis à leur disposition.

La plaquette de présentation de votre projet utilise un langage que ne renierait pas un chef d'entreprise : « quantitatif », « réduction des stocks », « maîtrise des frais », « contrats d'objectifs », « amélioration de la productivité », on a peine à croire que l'on parle de justice !

L'an passé, nous vous avions fait part de nos réticences face à l'institution de juges de proximité, qui ne garantissait pas selon nous une véritable justice de proximité, une et indivisible, au service de tous. Les 32 premiers juges ont pris leurs fonctions depuis deux mois et les problèmes rencontrés par les tribunaux sont déjà alarmants. En particulier, il est urgent de régler les conflits de compétences dont les premiers à pâtir sont les justiciables. En effet, la moitié des dossiers transmis à cette nouvelle juridiction se sont trouvés prescrits parce que les juges d'instance ont dû se déclarer incompétents et qu'il a fallu trop de temps pour que le dossier soit réorienté vers la juridiction de proximité.

C'est d'ailleurs pourquoi les sénateurs ont, par le biais du projet sur la criminalité, modifié ces dispositions mais, pour l'instant, ces difficultés perdurent.

De plus, dans l'attente du recrutement de 3 300 juges de proximité pour 2007, ce sont les juges d'instance qui remplissent aujourd'hui ces fonctions. N'aurait-il pas été plus simple de recruter de nouveaux juges d'instance professionnels ?

Si les crédits de fonctionnement de la protection judiciaire de la jeunesse progressent de 5 %, ce n'est pas d'argent que je souhaite parler mais de l'acte II de la décentralisation, actuellement en examen au Sénat. L'article 48 de ce projet prévoit d'étendre, à titre expérimental, les compétences des conseils généraux en matière d'assistance éducative, ce qui risque de nuire à la cohérence de la politique de l'enfance en danger en aggravant les disparités entre les départements et en séparant artificiellement l'enfance en danger et l'enfance délinquante.

J'en viens à votre politique pénitentiaire. Avec une population carcérale qui ne cesse d'augmenter, un nombre d'évasions qui a doublé, un nombre de suicides qui s'est accru de 11 %, un nombre de voies de fait qui a presque triplé, à l'évidence les leçons du rapport parlementaire de juin 2000 n'ont pas encore été tirées !

La situation inhumaine dans laquelle se trouvent les détenus n'est plus tolérable. Certes, de nouvelles prisons vont être bâties, mais les constructions, le financement, la conception et la gestion quotidienne risquent d'être abandonnés au privé. Des investisseurs étrangers seraient même déjà sur les rangs ! Enfin, les conditions de travail des personnels pénitentiaires ne sont pas prises en considération.

Aussi, parce que nous refusons votre conception d'une justice « d'abattage », et parce que ce budget ne vise qu'à servir une politique de rentabilité et non la justice qu'attendent nos concitoyens, le groupe communiste et républicains s'y opposera.

M. Thierry Mariani - Je tiens d'abord à vous remercier, Monsieur le Garde des Sceaux. Voilà plus de dix ans que je suis député et que j'assiste à chaque audience solennelle de rentrée du tribunal de grande instance de Carpentras. Eh bien, cette année, pour la première fois, ses effectifs étaient au complet. Et je sais qu'il est loin d'être le seul dans ce cas, même si beaucoup reste à faire. Aussi, au nom du groupe UMP et, surtout des citoyens, je vous remercie d'avoir enfin commencé à donner à nos tribunaux les effectifs dont ils avaient besoin.

Le budget de la Justice pour l'année 2004 correspond à la deuxième année de mise en _uvre de la loi d'orientation et de programmation. Il respecte les engagements pris en matière tant de créations d'emplois que de crédits de fonctionnement ou d'investissement (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Un peu de modestie ! Mme Guigou n'avait pas fait grand-chose en la matière...

Dans un contexte budgétaire marqué par la maîtrise de la dépense publique, il augmente de 4,9 %, afin de rattraper des retards accumulés.

Je ne reviendrai pas sur la réforme du 15 juin 2000, votée par la gauche plurielle, pétrie de pseudo-bonnes intentions et qui avait oublié, une fois de plus, de prévoir les crédits correspondants...

M. André Vallini - Vous l'aviez votée !

M. Thierry Mariani - Pas moi !

M. André Vallini - La droite, si !

M. Thierry Mariani - Lors de la discussion de la loi d'orientation et de programmation pour la Justice, nous avions assigné comme objectif aux services judiciaires de rendre une justice rapide, effective et de qualité. A ce titre, votre budget donne la priorité à la réduction des stocks des affaires et des délais de jugement. Ainsi, les services judiciaires bénéficieront de 309 millions d'autorisations de programme et leurs dépenses ordinaires augmenteront de 86 millions.

Vous avez choisi de renforcer les moyens humains des juridictions par la création de 715 emplois dont 150 de magistrats et 559 de greffiers et de fonctionnaires. Pour leur part, les juridictions administratives bénéficieront de 100 emplois nouveaux : 42 de magistrats et 58 de fonctionnaires, afin de ramener le délai de jugement en première instance à moins d'un an.

A la différence de la gauche plurielle, vous tenez compte dans votre budget des conséquences financières des réformes que la majorité a votées. Ainsi, une dotation de 7 millions sera allouée à l'installation des 600 juges de proximité prévus.

D'importants moyens sont aussi destinés au fonctionnement et à la modernisation des juridictions. Ils permettront notamment d'accompagner le recrutement de magistrats et de fonctionnaires afin de réduire les délais de traitement des affaires civiles et pénales, d'accroître l'efficacité des politiques judiciaires que nous votons, de développer l'informatique et la visioconférence dans les juridictions, de renforcer la sécurité des juridictions, de mettre en service de nouveaux bâtiments judiciaires.

Dans le cadre de son programme sur cinq ans d'aide aux victimes, le Gouvernement poursuit son effort puisque ces crédits augmentent de 17,5 %. Enfin, un plan d'aide aux victimes qui est effectivement financé ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Ce budget prévoit aussi la construction et la rénovation des palais de justice, 309 millions étant consacrés prioritairement à la résorption des déficits de surface et à l'amélioration de la sécurité.

Vous poursuivez par ailleurs la rénovation de l'administration pénitentiaire. Face à l'augmentation de la population carcérale - 59 169 détenus au 1er août 2003 -, vous créez 1 128 emplois dont 711 surveillants, 201 personnels d'administration et d'intendance, 161 personnels d'insertion et de probation et 35 directeurs.

Ces emplois nouveaux permettront notamment d'améliorer les conditions de détention, d'offrir aux détenus une meilleure préparation à leur sortie de prison et de renforcer la capacité de maintien de l'ordre public grâce aux équipes régionales d'intervention et de sécurité. Ces personnels seront également affectés aux nouvelles structures de détention adaptées pour les mineurs et aux nouvelles unités hospitalières sécurisées. Afin d'améliorer le fonctionnement et la sécurité des établissements pénitentiaires, les crédits augmentent de 10 %. C'est la conséquence de la hausse de la population carcérale, mais aussi de l'ouverture de deux nouveaux établissements à Toulon et à Liancourt.

Un effort particulier de 84 millions sera consacré au renforcement des moyens de fonctionnement de l'administration pénitentiaire, plus particulièrement à la rénovation et la sécurité des établissements ainsi qu'à la lutte contre les tentatives d'évasion.

Enfin, le grand programme de rénovation pénitentiaire, amorcé par la LOPJ, se poursuit. Un important programme de construction permettra, en 2004 comme en 2003, la fermeture de maisons d'arrêt vétustes et leur remplacement par des établissements modernes. Cela a déjà commencé dans mon département.

M. André Vallini - Grâce à la gauche !

M. Thierry Mariani - Le doublement des crédits de la direction de l'administration pénitentiaire témoigne de la priorité donné par le Gouvernement au règlement des graves problèmes structurels.

Un effort de 7 millions est également fait en faveur des structures de détention pour les mineurs.

Ce budget, enfin, vise à mieux adapter la protection judiciaire de la jeunesse à la réduction et au traitement de la délinquance des mineurs. Pour cela, la LOPJ a défini des objectifs clairs : création de 60 centres éducatifs fermés en cinq ans, prévention de la récidive, amélioration de la prise en charge en milieu ouvert, remise à niveau des services gestionnaires de la PJJ. Ainsi, 26,1 millions sont inscrits en autorisations de programme. En outre, 234 emplois seront créés, dont 135 d'éducateurs, afin d'améliorer la prise en charge des mineurs en danger et des délinquants.

Ces crédits permettront notamment de financer la rénovation du parc immobilier pour 6 millions d'euros et la construction de centres éducatifs fermés pour 5,5 millions d'euros.

Par ailleurs, la PJJ assurera une intervention continue auprès des mineurs incarcérés. Ainsi, dix quartiers mineurs fonctionneront d'ici fin 2003 et quinze sont prévus en 2004. De même, elle participera à la mise en _uvre des sept établissements de 60 places spécialisés dans l'accueil des mineurs.

La direction de la PJJ s'efforce également d'améliorer la rapidité des mesures pénales de placement judiciaire et surtout de mettre en place un accompagnement éducatif reposant sur la scolarisation et l'insertion professionnelle, notamment par la création de 250 classes-relais.

Tout cela va dans la bonne direction , même si nous avons parfois l'impression que la PJJ est plus efficace dans les rapports administratifs que sur le terrain.

Par ailleurs, ce budget apporte de nombreuses améliorations statutaires et salariales aux personnels concourant au fonctionnement de la justice au quotidien - là aussi, il était temps !

De plus, votre budget propose un nouvel outil pour améliorer l'efficacité de la Justice : la rémunération de tous les magistrats en fonction de leur mérite individuel. Cette grande avancée permettra de motiver ceux qui travaillent avec force et courage pour nos concitoyens.

Monsieur le Garde des Sceaux, j'espère vivement que vous nous expliquerez la méthode et les critères de cette évaluation.

En conclusion, je tiens à saluer, au-delà de ce budget, l'action que vous menez en matière législative : LOPJ, loi visant à adapter la justice aux évolutions de la criminalité, réforme des professions judiciaires, réforme du divorce, etc...

Sur tous ces projets, vous avez accepté de nombreux amendements, laissant un véritable débat parlementaire s'installer. C'est d'ailleurs pourquoi vous avez le soutien de la majorité sur ces textes.

Aujourd'hui, au nom du groupe UMP, je vous assure de tout notre soutien pour ce budget 2004, qui tient les promesses que nous avons faites aux Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. André Vallini - Votre budget est en augmentation et c'est une bonne chose. Vous vous inscrivez ainsi dans la continuité de la gauche, qui, avec 30 % d'augmentation des crédits en cinq ans, s'était donné les moyens de moderniser la Justice.

Il reste cependant l'un des budgets de la Justice les plus faibles d'Europe et ce constat doit tous nous inciter à la modestie. D'autant qu'avec la fâcheuse pratique du gouvernement Raffarin concernant les reports de crédits, nombre des mesures annoncées dans le budget 2003 sont restées lettre morte et l'on dit que Matignon étudie déjà des gels de crédits en 2004 !

M. Mansour Kamardine - Ce sont des bruits de couloir !

M. André Vallini - Même en hausse, ce budget reste terriblement insuffisant et ne pourra pas remédier à la carence en magistrats, en personnels, en moyens matériels, notamment informatiques : aujourd'hui encore, les magistrats ne disposent pas tous d'ordinateurs, ni même de codes de procédure à jour ! Cette « indigence judiciaire » est un signe de plus de l'affaiblissement de la fonction régalienne qu'est la Justice. A ce sujet je veux évoquer la montée des tensions et de la violence, qui touche aujourd'hui les tribunaux, après l'école et l'hôpital.

Le tribunal n'est plus un sanctuaire respecté de tous. Cette tension nuit au bon déroulement des audiences et à la sérénité de la Justice, il faut en convaincre votre collègue de l'intérieur. Les incidents se multiplient, comme la récente remise en liberté de prévenus, faute d'escorte, au tribunal de Bobigny ou encore la grève, la semaine dernière des juges d'application des peines du tribunal du XIVe arrondissement de Paris, faute d'agents de sécurité.

J'en viens maintenant à trois aspects de votre politique qui font problème.

M. Vaxès a souligné les dysfonctionnements du système des juges de proximité. Votre ambition était d'en recruter 3 300 en cinq ans. Or, à ce jour, 32 seulement ont été nommés et surtout le système ne fonctionne pas. Je l'avais dit lors de l'examen de la loi, la justice de proximité existe déjà : c'est celle que rendent les juges d'instance et les conciliateurs. D'ailleurs, l'association nationale des juges d'instance vient de vous envoyer une « motion » de protestation dénonçant l'absurdité de la réforme.

Second point délicat, l'indépendance de la Justice.

Non seulement vous avez rétabli les instructions individuelles dans les affaires judiciaires en cours, décidé de ne plus suivre les avis du CSM pour la nomination des magistrats, et, volontairement ou non, déstabilisé le procureur de Montgolfier, qui mène à Nice une action courageuse contre la corruption politico-financière, voilà qu'une succession d'évènements concernant une importante affaire politico-financière, jugée à Nanterre provoque un certain malaise : éloignement du juge, puis du procureur qui suivaient cette affaire, promotion de son successeur, dont les réquisitions ont été remarquées pour leur clémence, engagement d'une procédure disciplinaire contre le procureur-adjoint qui avait poursuivi, dans une affaire connexe, l'épouse d'une haute personnalité parisienne...

Et la semaine dernière, Monsieur le Garde des Sceaux, vous avez remis en cause la loi de 1995 relative au financement des partis politiques, sur laquelle est fondée, en partie, la condamnation éventuelle du président de la formation politique à laquelle vous appartenez. Comment, alors, éviter que certains parlent de reprise en main de la Justice, qui renverrait à des pratiques d'une autre époque ? Dans ce contexte, votre décision d'instaurer des primes au rendement, qui pourraient aller jusqu'à 12 % du salaire des magistrats, et qui seraient distribuées par les chefs de cour, sans critères objectifs prédéfinis, ne laisse pas d'inquiéter.

Troisième point problématique, la situation des prisons.

Qui a dit, le 14 juillet 2000, que 51 000 prisonniers, c'était « un nombre excessif » et qu'il était inadmissible que 10 000 détenus ne soient pas encore passés devant un juge ? C'est le Président de la République lui-même ! Or, la population carcérale a franchi le cap des 60 000 cet été, et le nombre des détenus en attente de procès est aujourd'hui de 22 000. Il est vrai que le 14 juillet suivant, Jacques Chirac lançait sa campagne électorale sur l'insécurité, stoppant net tous ceux qui souhaitaient en finir avec cette « humiliation de la République » qu'est la situation dans nos prisons. Le projet de loi préparé par Martine Lebranchu a été enterré et la surpopulation atteint un niveau insupportable. Le taux d'occupation moyen des prisons est passé à 125 %, dans 25 établissements il dépasse 200 % et atteint parfois 300 %.

Cette promiscuité engendre tensions, agressions, abus sexuels. De nombreuses maisons d'arrêt sont, de surcroît, dans un état de délabrement inimaginable...

M. le Rapporteur pour avis - Il fallait vous en occuper !

M. André Vallini - C'était l'objet de la loi préparée par Mme Lebranchu, que vous avez enterrée !

Or, rien n'est envisagé pour améliorer la situation, sinon un plan de construction qui entraînera, inéluctablement, l'accroissement du nombre de détenus : l'expérience montre en effet que les nouvelles prisons sont aussitôt remplies et aussitôt suroccupées !

La loi sur la présomption d'innocence de juin 2000 avait pourtant mis des freins sérieux à la détention provisoire. A l'époque, certains députés de l'opposition humanistes (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) estimaient même que ce texte n'allait pas assez loin - n'est-ce pas, Monsieur Blessig ? Les mêmes n'ont pourtant pas hésité à voter des lois qui font à nouveau de la détention la règle et de la liberté d'exception. Dans ce terreau propice à une marginalisation accrue des détenus, le nombre de récidivistes ne va pas diminuer. Pensez aux victimes potentielles qui paieront le prix de cette fuite en avant dans le tout-carcéral ! (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Monsieur le Garde des Sceaux, sortez déjà de prisons tous ceux qui n'ont rien à y faire : détenus très âgés ou très malades, toxicomanes, aliénés mentaux et délinquants sexuels qu'il faudrait soigner plutôt qu'emprisonner, indigents et autres exclus.

L'abandon progressif des efforts entrepris par le gouvernement précédent, notamment pour améliorer les conditions sanitaires des détenus, n'arrange rien. Le régime disciplinaire sert d'outil de gestion des prisonniers. En cinq ans, les libérations conditionnelles ont baissé de 4,5 %, les placements à l'extérieur de 18,7 %. Quant au bracelet électronique et au travail d'intérêt général, les services socio-éducatifs, indispensables pour gérer ces peines alternatives, sont dépourvus de moyens.

Mépriser les conditions de vie des détenus, c'est aussi mépriser les conditions du travail du personnel pénitentiaire qui effectue pourtant sa tâche avec beaucoup d'humanité.

M. le Rapporteur pour avis - C'est vrai !

M. André Vallini - Cette situation nous vaut le taux de suicide carcéral le plus élevé d'Europe, forme de mort indirecte frappant les plus vulnérables.

Il faut donc agir en formant le personnel, mais aussi les détenus, pour leur apprendre à identifier les suicidaires, et à repérer la crise, comme cela se pratique dans d'autres pays.

Vous avez commandé un rapport à M. Terra sur ce sujet très difficile. Mais sera-t-il suivi d'effets ou sitôt rendu, sitôt oublié ?

Une vraie politique pénitentiaire reste à construire, en n'oubliant jamais que le degré de civilisation d'une société se mesure aussi au sort qu'elle réserve à ceux qu'elle emprisonne.

Monsieur le Garde des Sceaux, je souhaite enfin vous alerter sur l'inflation législative que nous connaissons en France. A l'occasion de l'examen en deuxième lecture de votre projet sur la « grande criminalité », je dénoncerai à nouveau l'empilement, l'enchevêtrement des textes. Je sais que vous préparez aussi une réforme du droit de la famille et une autre du droit des faillites. Sans doute sont-elles nécessaires, mais elles seront d'autant plus utiles qu'elles viendront simplifier et clarifier le droit. Le doyen Jean Carbonnier, illustre figure du droit français qui vient de nous quitter, s'il estimait que « la loi doit accompagner le changement de la société, sans le précipiter ni tenter de l'arrêter », faisait part de son désenchantement devant la manie française qui consiste à faire une loi dès qu'un problème surgit, en observant qu'« il en est de l'inflation juridique comme de la monnaie : elle fait perdre toute crédibilité aux valeurs » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Christophe Lagarde - Les restrictions budgétaires prévues pour 2004 n'affectent pas le ministère de la justice. Sans m'attarder sur le détail des dispositions, remarquablement analysées par Pierre Albertini dans son rapport, je veux souligner que les engagements pris dans la loi d'orientation sur la Justice sont tenus.

Mais ce budget satisfaisant ne saurait occulter la crise profonde de la justice française. Le temps est venu de profonds changements dans notre organisation judiciaire qui ne doit pas consister en un empilement de textes législatifs : les professionnels ne s'y retrouvent plus dans les réformes du code de procédure pénale, ce qui multiplie les nullités de procédure.

Nous appelons particulièrement votre attention, Monsieur le Garde des Sceaux, sur la nécessaire cohérence de la chaîne pénale, comme je l'ai fait devant le ministre de l'intérieur il y a quelques jours. Le travail fourni par la police n'a pas suffisamment de suites. Le taux de traitement des affaires pénales est particulièrement significatif : une affaire sur trois seulement est poursuivie lorsque l'auteur est identifié. Le fait que nombre de délinquants restent impunis pose le problème de la crédibilité même de la politique mise en _uvre. Quoi de plus démotivant pour les forces de l'ordre ? Un seul exemple : le taux de remplissage des prisons françaises atteint en moyenne 125 %. La lutte contre l'insécurité ayant pour effet d'augmenter le nombre de criminels et délinquants à mettre en détention, on peut craindre que les 11 000 places supplémentaires prévues pour 2007 ne suffisent pas à réduire la surpopulation carcérale.

Notre collègue Jean-Luc Warsmann a tenté de remédier à ces difficultés par des amendements à la loi d'adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Ce travail remarquable mérite d'être encouragé et la réflexion doit se poursuivre. Les prisons françaises souffrent d'un profond malaise qui se traduit par des statistiques inquiétantes sur les automutilations et les suicides qu'on ne saurait néanmoins assimiler à une nouvelle forme de peine de mort.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - C'était évidemment excessif !

M. Jean-Christophe Lagarde - Mme Pecresse a fort bien souligné également l'absence de travail sur la réhabilitation et l'insertion.

Quelques mots sur la situation que nous avons constatée avec le président de la commission des lois au cours d'une mission outre-mer. En Nouvelle-Calédonie, les conditions d'incarcération sont particulièrement choquantes, mais les magistrats n'ont pas pris la peine de se rendre une seule fois dans les prisons pour constater de visu les complications des décisions qu'ils rendent...

Concernant les maisons de justice, je souhaite un recadrage de leurs missions afin de garantir leur homogénéité. Ma commune est candidate pour en accueillir une sur son territoire. Elles devraient avoir un rôle d'information sur l'accès au droit, de médiation pénale, d'information sur les suites et d'aide aux victimes. L'accessibilité est la condition de la crédibilité de la Justice.

Actuellement, il est impossible au justiciable d'avoir une information convenable sur une procédure en cours. Un véritable service public de la Justice devrait être capable de lui apporter la réponse aux trois questions suivantes : quand son affaire sera-t-elle traitée ? Quelle condamnation a-t-on infligée ? Quand celle-ci prendra-t-elle fin ? Il est invraisemblable qu'on puisse recevoir à domicile des PV le lendemain de l'infraction mais qu'on ne puisse pas connaître les suites données à une affaire : une informatisation serait très utile.

Enfin, je voudrais évoquer les incidents qui se produisent dans les tribunaux, en particulier à Bobigny, parce que la violence de la société s'y est transportée. Il est difficile d'obtenir des témoignages, d'autant que les magistrats ont parfois l'impression erronée que c'est de leur faute ; mais il est vital de sanctuariser nos tribunaux. Des juges m'ont dit rendre la justice en ayant peur des gens qu'ils avaient en face d'eux. Nous avons besoin de moyens de police, mais il faut aussi appliquer des peines spécifiques à ceux qui attenteraient à l'honneur d'un tribunal, et donner des instructions très claires aux magistrats pour leur demander de n'accepter aucun dérapage (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Emile Blessig - La vraie difficulté, en matière de police, est de mettre en application les principes que nous établissons. Je me félicite, Monsieur le Garde des Sceaux, que vous ayez pu obtenir les moyens nécessaires pour traduire dans les faits la loi d'orientation.

Je me félicite tout particulièrement de l'augmentation de 7,75 % des crédits de l'administration pénitentiaire, illustration de l'importance donnée à la réinsertion des détenus.

M. Warsmann a insisté sur la surveillance électronique, Mme Pecresse a noté que les dispositifs progressifs de préparation à la sortie étaient peu utilisés.

La notion même de longue peine n'est pas véritablement définie. Pour les détenus, elle est à la fois subjective et quantitative - entre dix et quinze ans de prison. Or, les longues peines ne ressortent pas clairement de vos chiffres. Au 1er juillet 2003, 34,7 % des détenus, soit 13 546, purgeaient une peine supérieure à cinq ans. Mais combien entre dix et quinze ans ? On sait seulement qu'en 2002, 289 condamnés ont été libérés après avoir passé plus de dix ans en prison.

Quels moyens consacrez-vous à leur réinsertion, via le financement des associations ou le renforcement des services pénitentiaires d'insertion et de probation ? La rupture prolongée avec le monde extérieur entraîne une grande difficulté à se projeter dans l'avenir et à se réinsérer. Comment regarder la capacité de gérer sa vie quotidienne, un logement, un travail quand on est âgé et qu'on a perdu tout lien avec sa famille ?

La commission d'enquête à laquelle j'ai participé avait conclu à la nécessité de préserver une continuité en organisant, grâce à de petites structures d'accueil, une transition vers la sortie. Les difficultés tiennent aux moyens, mais aussi à la réticence des populations à accueillir ces structures.

L'insertion et la préparation à la sortie font partie intégrante des missions de l'administration pénitentiaire.

M. le Rapporteur spécial - Très bien !

M. Emile Blessig - Un travail important vient d'être mené sur la réinsertion et les fins de peine. N'oublions pas les longues peines : il y va de notre sécurité publique, mais aussi de notre bien-être collectif (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jacques Floch - L'examen du budget de la Justice se réduit trop souvent à un débat de chiffres : augmentation des crédits, création de postes, nombre de places dans les prisons, montant des primes, etc.

Mais un budget n'est que l'outil d'une politique. Le gouvernement précédent l'avait compris : il suffit, Monsieur le rapporteur pour avis, de savoir lire...

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis - Je sais lire !

M. Jacques Floch - Pour avoir été à votre place pendant près de huit ans, je suis convaincu que ce petit jeu intéresse moins nos concitoyens que le rôle de la Justice dans le fonctionnement de la République et son impact sur leur vie quotidienne. Vous avez insisté avec raison, Monsieur le rapporteur spécial, sur la nécessité d'améliorer le rendement de la Justice, qui se fait pressante en matière civile ou familiale. M. Mariani a eu raison de saluer l'arrivée de nouveaux magistrats au tribunal de Carpentras. Mais sait-il que la décision remonte à 2000 ? Le Garde des Sceaux pourra nous confirmer qu'il faut trois années entre la création d'un emploi et la nomination d'un magistrat, deux pour un greffier, dix-huit mois pour un gardien de prison.

Mais ce n'est pas seulement sur les effectifs que l'on juge une politique, c'est aussi sur l'impression qu'elle donne. Le « droit à la sécurité » que vous avez invoqué comme un nouveau droit fondamental, n'a jamais été reconnu par le Conseil constitutionnel même si la sécurité a été reconnue comme une condition de la liberté et de la réduction des inégalités - mais cette assertion me paraît discutable. Il y a trop de confusion entre la sûreté et la sécurité et celle-ci est mise en avant pour justifier une politique abusivement répressive.

Vous lancez, Monsieur le Garde des Sceaux, de nouvelles expériences. Sur quelles bases et avec quel contrôle ? J'espère que vous y associerez la commission des lois, ne serait-ce que pour vérifier que le coût annoncé n'est pas dépassé : plus de 78 millions d'euros, dont 21 pour les seuls moyens de fonctionnement, sont prévus à Lyon, et l'expérimentation à la PJJ en Languedoc-Roussillon bénéficiera de 180 postes supplémentaires.

Le budget de l'administration pénitentiaire augmente de 7 %, le nombre de détenus de 20 % : ces deux chiffres posent une vraie question. L'administration pénitentiaire pourra-t-elle exaucer tous vos souhaits, Madame le rapporteur pour avis, devenir autre chose que le dépotoir de la République et corriger l'abus d'emprisonnement que commande la politique du Gouvernement ? Le ministre de l'intérieur exige tant de « résultats » qu'un directeur départemental de la police a demandé à ses subordonnés un « quota » quotidien de gardes à vue !

M. André Vallini - Scandaleux !

M. Jacques Floch - J'espère que vous n'exigez pas de votre côté un « quota » d'incarcérations !

La politique de la délinquance pose également un vrai problème : elle oublie 95 % des jeunes délinquants pour se concentrer sur les 5 % les plus difficiles. Il faut revoir cette conception avant de courir à l'échec. L'expérimentation en Languedoc-Roussillon devra être suivie de près par notre assemblée pour que ce secteur reste prioritaire.

Je n'ai rien contre les expérimentations. Mais demander, avec plus de moyens, de faire plus et mieux, n'est-ce pas enfoncer des portes ouvertes ? Et puis - n'y voyez pas malice, Monsieur le Garde des Sceaux - pourquoi Lyon ? (Sourires ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Mansour Kamardine - Le budget est par excellence l'acte majeur pour traduire une politique. Le vôtre est plus que satisfaisant : au-delà d'une hausse sensible et du respect de la loi de programmation, il apporte des solutions concrètes aux problèmes laissés en jachère depuis des années. Des moyens sont dégagés pour la construction des prisons et la restauration des palais de justice, dont certains étaient dans un état de dégradation avancée.

La Justice redevient une priorité nationale. Ce faisant, vous restaurez dans ses lettres de noblesse la démocratie dont elle est l'épine dorsale.

Mais la justice, ce sont d'abord les hommes et les femmes qui, dans nos villes, consolident la paix civile et veillent à ce que nos concitoyens ne règlent plus leurs litiges par la loi du talion.

Votre budget accroît les effectifs des magistrats et des personnels d'exécution, mais il revalorise aussi les primes et indemnités pour les aligner sur celles des juridictions administratives.

Chacun sait que, depuis de longues années, la justice n'est plus rendue dans des délais raisonnables malgré nos engagements européens. Les instructions sont longues, les jugements attendent plusieurs mois avant d'être signifiés aux parties, les victimes ne sont pas suffisamment reconnues.

Vous proposez notamment comme solutions, l'évaluation au mérite et le juge de proximité. Vous me permettrez, n'étant pas soumis à la pression de la politique nationale, de dire mon exaspération devant la résistance de certaines corporations à cette nouvelle institution, au mépris du principe de séparation des pouvoirs. Il est inacceptable de revendiquer son indépendance pour s'opposer à la volonté du législateur. Le législateur fait la loi, le juge la fait respecter, et d'abord par lui-même. Mais nous ne sommes plus au temps où le juge était un citoyen exemplaire au-dessus de toute critique... Bref, la représentation nationale est en droit d'attendre de vous que tout soit mis en _uvre pour que les juges de proximité retrouvent toute leur place, mais rien que leur place, au sein de l'institution judiciaire.

Transportons-nous maintenant à 10 000 kilomètres d'ici. La Justice attend d'être modernisée à Mayotte.

Monsieur le secrétaire d'Etat, l'île que vous connaissez bien, pour y avoir séjourné à plusieurs reprises, se trouve en pleine mutation. Grâce aux différents programmes de mise à niveau juridique dans les domaines foncier et social - état civil, réforme du statut civil local -, c'est toute l'ossature de l'institution qu'il convient de redimensionner.

Treize magistrats rythment la vie judiciaire locale pour une population de 100 000 habitants. La collégialité professionnelle n'existe pas. Ici, la justice est rendue avec les moyens du bord et avec le concours d'assesseurs non professionnels, dont la disponibilité doit être soulignée.

Les Mahorais ne supportent plus cela. Ils connaissent eux aussi les lourdes peines et aspirent donc à être jugés selon les garanties d'impartialité que requiert la collégialité. Ils attendent la réforme de procédure civile et des voies d'exécution. Bref, ils aspirent à une justice de proximité, moderne et dynamique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Mignon remplace M. Baroin au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de Mme Hélène MIGNON

vice-présidente

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Je voudrais d'abord remercier les rapporteurs et les différents orateurs pour leurs interventions. Ainsi que l'a dit Pierre Albertini, j'ai la chance d'inscrire mon action dans un calendrier, défini par la loi d'orientation et de programmation. Cette loi, venue après d'autres, avait soulevé quelque scepticisme. Elle s'avère aujourd'hui un outil très efficace, étant bien sûr entendu, comme l'a souligné M. Vallini, que l'action de mon ministère doit s'inscrire dans la continuité. Nos besoins sont tels qu'une législature ne peut suffire à les combler. Des efforts avaient été engagés avant mon arrivée, et ils devront être poursuivis après 2007 pour aboutir enfin à une justice exemplaire.

M. André Vallini - Très bien !

M. le Garde des Sceaux - Ce projet de budget est rigoureusement conforme à la loi d'orientation et de programmation que vous avez votée. Il est vrai que le nombre de créations d'emplois dans le pénitentiaire est légèrement surévalué, aux dépens des créations de postes de magistrats, mais les trois années suivantes nous permettront de rétablir l'équilibre prévu.

Il faut néanmoins, comme l'a souligné M. Vaxès, que le ministère soit capable d'absorber les moyens qui lui sont donnés. Pour cela, il doit prendre part à l'effort global de réforme de l'Etat. Je viens donc d'arrêter une stratégie qui repose sur une trentaine de réformes, inscrites dans un calendrier précis. Certaines seront mises en _uvre dès 2004, comme l'externalisation de l'aspect technique du bracelet électronique, la réforme du financement des associations pré-sentencielles, la modulation des primes au mérite ou le recours à la maîtrise d'ouvrage privée pour les constructions d'établissements pénitentiaires. Toutes ces réformes devront permettre au ministère d'utiliser efficacement les moyens qui lui sont donnés. On ne change pas si facilement de rythme de dépense, et le ministère doit absorber une augmentation de ses crédits de 25 à 30 % en cinq ans et des recrutements importants. Cela implique une meilleure organisation et un renforcement des équipes administratives, prévu dans le projet de budget.

Autre élément de modernisation : la généralisation des guichets uniques de greffe, qui sont essentiels pour l'amélioration de l'accès à la justice et simplifient grandement la vie de nos concitoyens. Les expériences ont été concluantes et je souhaite passer à une quarantaine de sites. Comme l'a souhaité M. Mariani, il faudra également développer les visiogreffes, qui permettent aux justiciables de connaître, depuis le tribunal d'instance, tous les éléments d'une procédure sans avoir à se déplacer au tribunal de grande instance.

L'évaluation, ainsi que l'ont souligné Mme Pecresse et M. Albertini, est indispensable. Comment introduire une culture de l'évaluation dans notre système judiciaire ? Il est d'abord impératif de disposer d'éléments statistiques incontestables, et cela dans des délais raisonnables. Un an après la fin de l'exercice en cours, cela ne sert plus à grand-chose, à part pour des réflexions de long terme... En matière civile, je disposerai en janvier 2004 des statistiques pour 2003 : extraordinaire effort ! Mais il faut faire mieux. Avec des résultats beaucoup plus rapides, je pourrai affecter les moyens en fonction des difficultés observées et appeler l'attention des responsables sur des dysfonctionnements. Il faut de même disposer de données précises et rapides sur les délais de traitement des dossiers. Sans cela, nos discours resteront théoriques.

Lorsque nous disposerons de toutes ces informations et des moyens prévus par la loi d'orientation et de programmation, il sera possible de construire les contrats qui permettront d'utiliser au mieux les moyens supplémentaires. Il n'y aurait rien de pire que d'observer, après quelques années, qu'ils se seraient dilués sans que les justiciables en voient un effet tangible. Les contrats d'objectifs et de moyens sont donc un outil indispensable de la loi d'orientation et de programmation. Je souhaite enfin poursuivre l'informatisation. M. Vallini a déploré que tous les magistrats ne disposent pas d'accès au réseau. Le budget pour 2004 opère des avancées, notamment avec le logiciel traitant des procédures pénales.

Je ne reviens pas sur les créations d'emplois, sauf pour souligner la cohérence entre les différentes catégories : magistrats, greffiers, fonctionnaires et surveillants des établissements pénitentiaires. Au cours de l'année 2004, 300 magistrats vont arriver sur le terrain, apportant ainsi un confort certain aux juridictions. Il faudra mettre en place les juridictions interrégionales prévues par le texte sur la criminalité organisée. Une centaine de magistrats seront nécessaires, et autant de fonctionnaires.

Les trois rapporteurs se sont inquiétés de la situation des établissements pénitentiaires. Nous faisons tout d'abord un effort considérable de construction : nous comptons en effet 48 000 places théoriques pour un peu moins de 60 000 détenus. Ne nous berçons pas d'illusions : les comparaisons avec des pays comparables montrent que nous ne redescendrons guère en dessous de ce nombre. Notre taux de détenus par habitants est légèrement supérieur à celui de l'Allemagne et légèrement inférieur à celui de la Grande-Bretagne. On ne reviendra pas aux 50 ou 52 000 détenus que nous avons connus dans un passé récent, d'autant que ces personnes sont en général détenues pour des délits avec violence ou des crimes. On est loin de la petite délinquance ! Je ne pressens donc aucune diminution substantielle de la population carcérale (M. le président de la commission et M. le rapporteur pour avis approuvent).

Il est donc indispensable de réaliser le programme de construction prévu pour arriver à 60 000 places théoriques. Dans le même temps en revanche, il me tient personnellement à c_ur de réaliser deux réformes, d'ailleurs suggérées par de nombreux rapports parlementaires. Il s'agit d'une part, enfin, de séparer les mineurs incarcérés des adultes.

M. le Rapporteur pour avis - Très bien !

M. le Garde des Sceaux - Comme en Grande-Bretagne, en Belgique ou au Canada, la prison pour mineurs doit être construite autour des salles de classe et de sport. Ce sont des mineurs, des êtres en formation. Nous leur devons que l'incarcération, qui est un constat d'échec, soit aussi une chance de redémarrage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Je souhaite donc vraiment réaliser cette séparation.

D'autre part, je veillerai à ce qu'il n'y ait plus de « sortie sèche » de prison. Après des années de prison, des femmes et de hommes se retrouvent tout à coup avec leur sac sur le trottoir. Ils sont dans un état de fragilité qui rend leur insertion très difficile. Nous devons donc travailler à une phase intermédiaire. Cela peut se faire sous écrou, mais aussi à l'extérieur, avec le tissu associatif et notamment la Croix-Rouge. Il faut mettre en place des centres d'hébergement pour aider les anciens prisonniers en longue peine à se réinsérer.

Le problème n'est pas financier, Monsieur Blessig. Nous aurons les moyens de soutenir ce travail associatif. Mais il faut d'abord surmonter certains blocages psychologiques, certaines préventions qui ont empêché la concrétisation de projets auxquels vous avez personnellement travaillé. Mais je suis convaincu qu'ils aboutiront.

La situation des détenus âgés a fait l'objet d'un débat public il y a quelques mois, à partir d'un cas tristement célèbre. J'ai souhaité que la loi Kouchner s'applique plus largement, et demandé à l'administration pénitentiaire de prévoir des libérations pour raisons médicales. Un certain nombre de détenus âgés ne sont plus défendus par personne : ils n'ont plus de relations avec leur famille, ni avec un avocat. J'ai obtenu que l'administration puisse prendre l'initiative, et un certain nombre d'entre eux ont été libérés sur décision de justice après examen médical - ce qui explique aussi qu'il n'y ait pas eu de drame sanitaire dans nos prisons pendant la canicule.

M. Garraud a évoqué les services judiciaires. Il est important que l'évolution des effectifs soit en cohérence avec celle des moyens de fonctionnement. Or nous sommes tous solidaires de la gestion budgétaire de l'Etat. Même si mon ministère a été favorisé par les arbitrages, il ne doit pas s'exonérer de toute régulation budgétaire. Et il serait tout à fait nouveau que le Gouvernement ne prenne cette année aucune décision de régulation budgétaire : tous les gouvernements l'ont fait. Bien sûr, c'est désagréable. Mais je note qu'en 2003, il n'y a pas eu d'annulation de reports de crédits. Il y a bien eu des gels, mais les agents du ministère de la justice sont suffisamment responsables pour comprendre que chacun doit prendre part à l'effort de régulation.

S'agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, je veux dire à Mme Pecresse que ce secteur est pour moi prioritaire. Dès l'année 2002, j'ai engagé la réorganisation de l'administration centrale et des services extérieurs. Mais, au-delà des réformes administratives souhaitées par la Cour des comptes, c'est l'ensemble de notre justice des mineurs qu'il faut améliorer. Nous devons d'abord l'évaluer, puis renforcer la formation des éducateurs, mais aussi clarifier les relations avec les conseils généraux, responsables de l'enfance en difficulté. Quand il examinera le prochain projet de décentralisation, le Parlement pourra autoriser une expérimentation. Les conventions que je signerai avec les départements candidats auront été discutées avec les représentants du personnel de la PJJ. Elles prévoiront une évaluation de l'expérimentation, afin que celle-ci soit vraiment utile.

Je vous ai indiqué mes choix stratégiques pour l'administration pénitentiaire. J'insisterai sur la nécessité de revoir notre processus de décision en matière d'aménagement des peines. Nous en reparlerons en examinant le projet de lutte contre la criminalité organisée. Il n'est pas normal que moins de 200 bracelets électroniques soient en service et que le nombre des travaux d'intérêt général baisse depuis cinq ans.

Si nous en sommes là, ce n'est pas que les magistrats et les fonctionnaires manquent de bonne volonté. En réalité, notre procédure est trop complexe si bien que les délais sont très longs ou qu'il n'y a pas de décision prise. C'est ainsi que nous maintenons en prison des personnes qui pourraient se préparer à leur libération dans des centres de semi-liberté. Au cours de mes déplacements en province, j'ai vu que certains de ces centres, tout neufs, sont vides ! C'est un scandale. C'est pourquoi j'approuve les réformes préconisées par Jean-Luc Warsmann pour simplifier la procédure.

J'ai souri en entendant M. Vallini prétendre que la création des juges de proximité était un échec. Ces magistrats sont arrivés dans les juridictions il y a seulement quinze jours ! Fichtre ! Quelle capacité d'évaluation ! (Sourires sur les bancs du groupe UMP) Soyons sérieux. Il s'agit d'une réforme souhaitée par les Français. On peut certes revoir les compétences de ces juges, un peu faibles au civil, mais satisfaisantes au pénal. En se chargeant de la délinquance routière, ils soulageront les juges d'instance. Je suis convaincu que cette réforme améliorera le fonctionnement de la Justice. L'articulation entre juges d'instance et juges de proximité est une des clés de la réussite. En confiant à la justice d'instance la coordination administrative, nous avons fait un grand pas. S'il faut aussi améliorer les conditions de répartition des dossiers, nous le ferons.

M. Garraud a évoqué la revalorisation des carrières de catégorie C. Je sais comme lui que ces agents jouent un rôle important, qui va bien au-delà des tâches pour lesquelles ils sont recrutés et payés. Des mesures indemnitaires sont prévues pour 2004, ainsi que des créations et des transformations d'emplois. Je souhaite que ces agents puissent accéder au corps des greffiers.

Quant au juge nommé à Chartres, Monsieur Vallini, c'est Mme Lebranchu qui l'avait proposé, je n'y suis donc pour rien.

Monsieur Lagarde, je souhaite développer la formule des maisons de la justice et du droit. J'ai demandé à l'inspection générale des services judiciaires d'en faire un premier bilan. Mon idée est de poursuivre l'expérience, dans un cadre suffisamment précis pour garantir une efficacité.

Sur la sécurité des tribunaux, vous avez mille fois raison. Il est indispensable de préserver la sérénité de la justice, ce qui signifie d'abord assurer la sécurité des juges.

Nous travaillons à améliorer ce qu'on appelle la « sécurité passive », c'est-à-dire les moyens de sécurité. Les mesures de contrôle nécessitent une bonne articulation entre services de la justice et services de police. Nous y veillerons, avec mon collègue de l'intérieur.

S'agissant enfin de Mayotte, Monsieur Kamardine, vous savez qu'un certain nombre de réformes sont en cours. Leur caractère interministériel explique la lenteur du processus. Mais nous sommes déterminés à aller de l'avant pour moderniser la législation applicable à Mayotte. Si un effort est nécessaire en termes de moyens, pour cette collectivité qui connaît une forte progression démographique, nous le ferons volontiers (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

QUESTIONS

M. André Gerin - J'ai trouvé choquante votre réaction à propos de l'observatoire des prisons. L'incarcération est une machine à produire de la récidive, et l'emprisonnement signifie toujours l'échec des politiques d'insertion. Après trente ans d'atermoiements, vous menez une politique sécuritaire et liberticide (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Quid du rapport Canivet et des missions parlementaires ? L'observatoire des prisons nous alerte sur tous les aspects de la vie carcérale : la distinction des liens familiaux, le durcissement des mesures disciplinaires, l'importance du taux de suicide, le manque de préparation en vue de la sortie... Allez-vous, Monsieur le Garde des Sceaux, prendre des mesures d'humanité conformes aux droits de l'homme comme aux conventions européennes ?

Par ailleurs, en dépit de l'annonce de nombreuses constructions, on ne sait pas encore ce qui est exactement prévu pour l'agglomération lyonnaise. Vénissieux s'est portée candidate, pourquoi n'a-t-elle toujours pas de nouvelles ? Enfin, j'ai proposé la création d'une commission d'enquête sur le suicide en milieu carcéral. Comment entendez-vous endiguer la progression de ce phénomène ?

M. le Garde des Sceaux - Il ne faut quand même pas pousser le bouchon trop loin : j'ai pris les prisons comme elles étaient ! Mon rôle est d'agir, c'est ce que j'essaie de faire, le plus vite possible.

Le programme de construction est lancé. Les sept premiers établissements seront ceux pour mineurs et il y en aura bien un dans l'agglomération lyonnaise. J'en préciserai la localisation dans les prochaines semaines. Il y aura aussi, dans le cadre du plan de Pierre Bédier, une prison pour adultes, dans votre agglomération.

S'agissant de l'observatoire des prisons, je rappelle que cette association loi de 1901 s'est elle-même intitulée ainsi, et que sa méthodologie n'a rien d'officiel et n'est pas reconnue par qui que ce soit. D'ailleurs, cette association avait aussi, à plusieurs reprises, interpellé le gouvernement précédent.

Cela étant, ma détermination à améliorer les choses, afin de répondre au constat fait par les commissions parlementaires, est totale. Je salue ici, après d'autres, les personnels de l'administration pénitentiaire qui ont su cet été - je le leur ai écrit à chacun - dans des conditions très difficiles, assurer la sécurité des établissements et y garantir un mode de vie convenable.

Enfin, je ne puis laisser dire que le nombre de suicides augmente alors qu'il est stable depuis trois ou quatre ans. Pour autant, nous ne pouvons nous satisfaire qu'il y ait, chaque année, une centaine de victimes.

Le rapport que Jean-François Mattei et moi-même avons demandé au professeur Terra, psychiatre, devrait nous être remis dans les prochains jours. Je sais qu'il comportera un certain nombre de propositions concrètes car, s'il est très difficile d'empêcher tout suicide, on peut toutefois anticiper le risque, notamment par une meilleure formation des surveillants.

M. Michel Vaxès - En dépit de l'augmentation générale de ce budget, les missions de prévention et d'éducation dévolues à la Justice semblent bien délaissées. Tel est le cas des moyens consacrés à la protection judiciaire de la jeunesse. Puisque, avec 135 nouveaux postes d'éducateurs après les 188 de l'an dernier, on est loin du rythme nécessaire pour tenir l'engagement d'une augmentation de 25 % en cinq ans. Surtout, ces modestes moyens risquent d'être en grande partie absorbés par les centres éducatifs fermés, au détriment des mesures éducatives, auxquelles notre assemblée est pourtant très attachée.

Votre gouvernement et votre majorité entretiennent le mythe du laxisme et de l'impunité, qui seraient dus à l'ordonnance de 1945. C'est dangereux et faux : l'action des tribunaux pour enfants n'est ni laxiste ni inefficace ! Environ 75 % des mineurs qui ont comparu devant ces tribunaux n'ont plus fait parler d'eux par la suite. La prévention n'a pas plus échoué, dès lors qu'elle a disposé des moyens nécessaires.

Pourtant, le nombre des condamnations et des décisions concernant les mineurs est passé de 35 000 en 1990 à 75 000 en 2001, avec un flux de 4 000 mineurs incarcérés au cours de l'année, soit deux fois plus qu'en 1990. En 1999, il y a eu quatre fois plus de mesures décidées par le juge pour enfants qu'en 1995. Mais des milliers de mesures éducatives ne sont pas mises en _uvre faute d'éducateurs.

Le défi est donc bien de donner à la justice des mineurs les moyens de jouer son rôle de protection et de prévention. Il est encore temps d'infléchir votre budget dans ce sens !

M. le Garde des Sceaux - C'est bien un cinquième des emplois prévus pour la PJJ par la LOPJ qui sont inscrits au budget 2004 ! Pour le reste, je ne comprends pas votre question. Nous souhaitons, bien évidemment, disposer de l'outil efficace de prévention et de protection de la jeunesse qui nous fait aujourd'hui défaut. Mais engager plus de moyens sans mener les réformes nécessaires serait vain. D'ailleurs, l'ensemble des acteurs souhaitent le changement. Ainsi, les juges pour enfants aimeraient disposer de réponses techniques et éducatives plus rapides ; les éducateurs demandent une meilleure formation et un meilleur encadrement ; les conseils généraux apprécieraient une meilleur articulation avec l'Etat et une clarification des responsabilités. Tel est l'esprit du travail qui va s'engager, qui ne nécessite pas de changement législatif. C'est en améliorant les procédures, l'organisation, la coopération sur le terrain que nous serons plus efficaces, au bénéfice des victimes, mais aussi des jeunes.

Pour ma part, je n'oppose pas éducation et répression ! Vis-à-vis des jeunes qui sont en centre fermé nous avons le devoir de les empêcher de récidiver, mais aussi de leur donner une chance, à eux qui ont démarré dans la vie avec de tels handicaps qu'il leur était bien difficile d'éviter le mode de vie qui est le leur. Ils sont donc à la fois victimes et délinquants (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Georges Fenech - Je me félicite de la priorité donnée à l'amélioration de la condition des mineurs détenus ainsi que de votre volonté de séparer, enfin, les mineurs et les majeurs.

Nous nous souvenons particulièrement, dans le Rhône, de ce drame du printemps 2002, quand deux jeunes de 17 ans avaient péri en incendiant leur cellule. Aussi, j'aimerais que vous nous donniez quelques précisions sur l'amélioration du régime de détention des mineurs, en particulier sous l'angle éducatif et sportif.

M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice - La séparation des mineurs et des majeurs détenus est une priorité. Aussi, n'ayant trouvé que 360 places aux normes pour les mineurs, le Garde des Sceaux a souhaité que l'effort prévu par la loi de programmation soit accompli en deux et non en cinq ans. Il y a aujourd'hui 700 places aux normes et il y en aura 900 à la fin de 2004. Outre la séparation, ces normes prévoient une salle de classe et un espace sportif.

Conscients que cela ne suffit pas, nous avons lancé un plan de construction d'établissements pour mineurs. Les appels d'offres sont lancés et les travaux devraient être achevés en 2006.

S'agissant du département du Rhône, le transfert du quartier des mineurs de Saint-Paul à Saint-Joseph a permis une mise aux normes, même si elles demeurent minimales, compte tenu de la dégradation de ces établissements. Les travaux engagés à Villefranche-sur-Saône permettront de disposer de 20 places de plus fin 2004, pour atteindre un total de 40.

La construction de l'établissement pour mineur, centré autour d'une salle de classe, devrait être achevée mi-2006.

M. Michel Hunault - J'ai bien noté l'effort important que fait le Gouvernement pour développer les peines alternatives à la prison et pour créer les nombreuses places nécessaires en établissement. Pour autant, nous devons rester vigilants sur tout ce qui touche à la dignité des prisonniers.

Ma question concerne la maison d'arrêt de Nantes, que vous connaissez, Monsieur le Garde des Sceaux, puisque vous y êtes venu au début de l'année. Cet établissement est inadapté et surpeuplé. Pouvez-vous nous indiquer le calendrier de réalisation d'un nouveau centre de détention, projet qui fait l'unanimité des élus de l'agglomération ?

M. le Secrétaire d'Etat - Vous n'ignorez pas l'attention que le ministère porte à l'agglomération nantaise, où un magnifique palais de justice a été inauguré en 2000.

Dans le domaine pénitentiaire, des engagements ont été pris et ils seront tenus.

D'une part, Nantes aura un établissement spécialisé dans l'accueil des mineurs : un site a été retenu, ce choix doit être soumis au vote du conseil de la communauté et je pense qu'il sera approuvé, compte tenu de l'unanimité des élus sur ce projet.

D'autre part, nous avons engagé des travaux de rénovation de l'actuelle maison d'arrêt.

Enfin, un établissement d'un type nouveau, permettant une forme d'enfermement « allégée », est actuellement à l'étude. Nous recherchons le terrain en même temps que se poursuit la réflexion sur son fonctionnement pratique, c'est dire que nous en sommes à un stade très concret.

Mme Martine Aurillac - Le Président de la République a voulu donner un signal fort en nommant aux côtés du Garde des Sceaux un secrétaire d'Etat chargé des programmes immobiliers de la Justice. Le Premier ministre a poursuivi l'impulsion en augmentant les crédits correspondants, afin de rattraper les retards accumulés ces dernières années : à la création de plus de 1 100 postes dans l'administration pénitentiaire s'ajouteront les travaux de rénovation des palais de justice et des prisons, l'ouverture de nouveaux centres de détention, notamment pour les mineurs, la création des centres éducatifs fermés.

Vous avez également insisté sur les mesures prises pour améliorer le suivi des détenus libérés et la formation initiale et continue du personnel pénitentiaire.

Parallèlement une orientation nouvelle apparaît en ce qui concerne le développement des peines alternatives. Pourriez-vous nous fournir des précisions à ce sujet ?

M. le Garde des Sceaux - Comme je l'ai indiqué, trois centres de semi-liberté sont prévus, comptant 80 places chacun.

Je souhaite également le développement des peines alternatives. Pour le bracelet électronique, noter objectif est d'en doter 2 000 personnes et nous sommes déjà techniquement en mesure de le faire pour 500. Actuellement seules 200 décisions de placement ont été prises : il convient donc d'effectuer un travail pédagogique pour convaincre les magistrats, et aussi de faciliter la procédure de suivi - je vous proposerai une modification législative en ce sens.

Quant au travail d'intérêt général, c'est une excellente formule, mais une simplification du processus de décision et une amélioration des relations avec les associations sont nécessaires pour qu'elle soit appliquée plus largement : c'est une question de fonctionnement interne de la Justice.

Je suis déterminé à améliorer le suivi des mineurs par la protection judiciaire de la jeunesse, pendant et après leur détention, comme le font les grands pays voisins, et à développer les peines alternatives.

M. Emile Blessig - L'informatisation du Livre foncier d'Alsace-Moselle a été confié à un groupement d'intérêt public, disposant d'un budget de 60 millions d'euros. La numérisation doit commencer au printemps 2004, mais plusieurs communes importantes ont pris du retard dans le recueil et la mise à jour des données, du fait d'un manque de personnel dans les greffes et les tribunaux d'instance. Un effort doit être engagé, sinon le projet perdra une bonne partie de son intérêt. La mission d'inspection des greffes s'est récemment rendue sur place. Quel constat a-t-elle tiré de sa visite ? Quelles mesures prendrez-vous en 2004 pour rattraper le retard ?

M. le Garde des Sceaux - L'inspection des greffes a fait le point sur les moyens nécessaires à la réalisation du projet dans les délais prévus, et elle m'a remis son rapport en septembre. Dans l'immédiat, quatre greffiers ont été mis à disposition des tribunaux concernés et quatre greffiers en surnombre seront affectés en décembre prochain. En outre, douze vacances d'emplois de catégorie C seront comblées.

Cet effort exceptionnel s'inscrira dans le contrat d'objectifs actuellement négocié avec la cour d'appel de Colmar.

M. Mansour Kamardine - Au risque de vous irriter, Monsieur le ministre, je voudrais revenir sur la situation de la Justice à Mayotte, en insistant sur deux points.

D'une part elle ne connaît pas la collégialité. Même pour des peines de 5, 10 ou 20 ans de prison, la décision est prise par un seul magistrat. En matière criminelle, il n'y a pas de jury populaire, mais des jurés nommés selon une procédure très particulière. On est loin des grands principes de la République ! Un effort de modernisation s'impose.

Ma seconde interrogation concerne un vaste projet impliquant plusieurs ministères. La justice de Mayotte dispose d'une personnel dévoué, mais qui est mis à sa disposition par la collectivité départementale, alors qu'il s'agit d'une fonction régalienne de l'Etat. Les tentatives d'intégration de ce personnel dans la fonction publique se sont soldées par une perte d'environ un tiers de leur rémunération. Je souhaiterais donc des précisions sur les perspectives d'intégration.

Enfin, notre palais de justice ne comportant qu'une seule salle d'audiences, lorsque se tient une session criminelle les autres affaires restent en attente, ou sont évoquées dans le cabinet des magistrats.

Pouvez-vous donc, Monsieur le Garde des Sceaux, nous préciser votre politique à l'égard de notre jeune collectivité, et me démonter qu'elle n'est plus considérée comme un enfant bâtard de la République ? (Sourires)

M. le Garde des Sceaux - Enfant de la République, Mayotte l'est clairement, surtout depuis la consultation que vous aviez souhaitée !

Incontestablement, nous avons à y faire un travail de mise à niveau, de modernisation, de transformation, afin de nous rapprocher le plus vite possible du droit commun. On ne peut sortir en quelques mois d'une situation très particulière tenant à l'histoire, mais le mouvement est en cours, notamment dans le domaine de la justice.

En ce qui concerne l'organisation des juridictions, votre souhait d'un rapprochement avec le droit commun métropolitain, en particulier pour la collégialité, est parfaitement justifié ; nous devons examiner ensemble ce que cela signifie en termes de modifications législatives et de moyens.

S'agissant des personnels pénitentiaires, l'intégration est en cours, sous réserve de la vérification des qualifications. 57 agents sont concernés.

M. Emile Blessig - Caserne de la ligne Maginot inaugurée en 1938, camp de travail sous l'occupation allemande, prison pour faits de collaboration puis prison-école expérimentale en 1950, le centre de détention régional d'Oermingen a pris sa forme actuelle en 1988. Les aménagements divers dont il a fait l'objet ne sauraient faire oublier que, sur 145 cellules, 105 - dont 25 à deux places ne disposent pas de sanitaires et que son état général est vétuste, voire insalubre. Où en est le projet de réhabilitation ?

M. le Secrétaire d'Etat - Bien qu'il s'agisse de vieux bâtiments, c'est un jeune centre de détention. Il a été décidé en 2002 de l'inscrire sur la liste des centres nécessitant une réhabilitation lourde. Des études de patrimoine ont été engagées, mais elles ne s'achèveront qu'au cours de l'année 2004.

Etant donné l'importance de ce centre, il ne peut être question de le fermer ; il faudra donc procéder par tranches. C'est pourquoi des crédits sont d'ores et déjà inscrits au budget 2004 pour réhabiliter 80 cellules dans le bâtiment D. Les travaux devraient s'achever vers le dernier trimestre 2005.

M. Mansour Kamardine - M. le Garde des Sceaux a répondu par anticipation à la deuxième question que je voulais poser, qui concernait l'intégration des agents de la maison d'arrêt Majicavo. Je me permettrai de l'évoquer plus précisément avec vous ultérieurement.

Mme Juliana Rimane - La Guyane a connu au cours de ces dernières années une véritable explosion de son activité judiciaire. Le tribunal de grande instance de Cayenne a une charge de travail quasiment deux fois supérieure à celle des TGI de Basse-Terre et de Fort-de-France. Doté d'une seule chambre, il doit traiter plus de 2 600 affaires civiles et communales et plus de 20 000 procédures pénales. Plusieurs tribunaux métropolitains traitant un nombre d'affaires inférieur disposent de deux, voire trois chambres.

En outre, la Guyane est la seule région française à ne pas posséder de cour d'appel de plein exercice. La présence à Cayenne d'une chambre détachée de la cour d'appel de Fort-de-France constitue un mélange des genres et entraîne de graves atteintes aux principes généraux du droit : il n'y a pas de parquet général devant la chambre détachée, faute d'un effectif suffisant, la chambre d'instruction est complétée par un magistrat du premier degré, et la distance géographique est source de dysfonctionnements.

Quelles dispositions comptez-vous prendre pour mettre fin à ces anomalies et créer une seconde chambre au sein du TGI de Cayenne ainsi qu'une cour d'appel de plein exercice ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Garde des Sceaux - Je vois que votre talent suscite une approbation très large sur ces bancs ! Mais je ne suis pas sûr que, dans l'immédiat, la création d'une cour d'appel soit une bonne solution. En revanche, il faut faire en sorte que le système fonctionne mieux. Nous envisageons de créer très rapidement une antenne du service administratif régional, de renforcer la chambre spécialisée par un conseiller supplémentaire et d'assurer la disponibilité sur place d'un représentant du Parquet, par un renforcement de celui-ci. Enfin, nous réfléchissons à la création d'un tribunal à Saint-Laurent.

Mme la Présidente - J'appelle les crédits inscrits à la ligne « Justice ».

Les crédits inscrits à l'état B, titre III, mis aux voix, sont adoptés.

Les crédits inscrits à l'état B, titre IV, mis aux voix, sont adoptés.

Les crédits inscrits à l'état C, titre V, mis aux voix, sont adoptés.

Les crédits inscrits à l'état C, titre VI, mis aux voix, sont adoptés.

L'article 79, mis aux voix, est adopté.

Mme la Présidente - Nous avons terminé l'examen des crédits du ministère de la justice.

La suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2004 est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 30.

              Le Directeur du service
              des comptes rendus analytiques,

              François GEORGE


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