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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 27ème jour de séance, 68ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 19 NOVEMBRE 2003

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

FINANCEMENT DES COLLECTIVITÉS LOCALES 2

ÉNERGIE NUCLÉAIRE 2

JUSTICE DES MINEURS 3

LUTTE CONTRE LE TERRORISME 4

SOUHAITS DE BIENVENUE
À UNE DÉLÉGATION ÉTRANGÈRE 5

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT
(suite) 5

IRAK 5

MARIAGES BLANCS 6

LUTTE CONTRE LE TABAGISME 7

AVENIR D'ÉDITIS 7

RECONVERSION QUALITATIVE DIFFÉRÉE 8

FORÊT 9

POLITIQUE DE L'ÉNERGIE 10

PROTECTION DES ANIMAUX DE COMPAGNIE 11

REVENU MINIMUM D'INSERTION
ET REVENU MINIMUM D'ACTIVITÉ 11

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 24

La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

FINANCEMENT DES COLLECTIVITÉS LOCALES

M. Augustin Bonrepaux - Monsieur le Premier ministre, depuis un an, vous n'avez cessé de réduire les moyens des collectivités locales (Protestations sur les bancs du groupe UMP). En 2003, vous avez réduit les crédits du fonds national d'adduction d'eau, du fonds social du logement, du fonds d'aménagement du territoire, et ce sera pire encore en 2004... (Mêmes mouvements)

Vous ponctionnez les agences de bassin, réduisant ainsi les crédits pour l'eau et l'assainissement. Vous supprimez les crédits pour les investissements de sécurité sur la voirie rurale, vous supprimez la subvention de l'Etat pour les transports urbains, vous détournez les crédits PALULOS des zones rurales, vous taxez les locataires HLM, vous créez une nouvelle taxe pesant sur les collectivités locales pour compenser la suppression d'un jour férié... (Mêmes mouvements)

Vous promettez la péréquation, mais les moyens d'un fonds national de péréquation sont en nette régression, et les communes pauvres ne sont pas épargnées. Les dotations de solidarité urbaine et rurale reculent par rapport à l'inflation. Votre prétendue décentralisation n'est qu'un prétexte pour opérer un transfert de charges et faire payer la baisse de l'impôt sur le revenu et sur la fortune par les contribuables locaux. Vous le savez bien, toutes vos décisions conduiront à une aggravation des inégalités et à une explosion des impôts locaux, qui pénalisent les plus modestes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Vous avez choisi de faire payer les plus pauvres parce qu'ils sont les plus nombreux. Quelle est donc votre conception de la solidarité nationale, qui doit être assurée par l'Etat, mais que vous piétinez ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales - Vous avez apparemment choisi de faire dans la nuance, cet après-midi ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Augustin Bonrepaux - C'est la réalité !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales - La solidarité a longtemps été le cheval de bataille de la gauche, qui s'en est cependant tenue aux discours. Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, lui, a fait de la solidarité un droit, reconnu par la Constitution. Surtout, il est le premier à réformer la dotation globale de fonctionnement de façon à permettre une meilleure péréquation (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Les fonds accordés à la péréquation ont augmenté cette année de 240 millions d'euros (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Qui dit mieux ? Certainement pas vous, qui avez évalué le transfert de l'APA aux départements à 700 millions alors qu'elle leur coûte aujourd'hui 3,7 milliards ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

ÉNERGIE NUCLÉAIRE

M. Jean Dionis du Séjour - Madame la ministre de l'industrie, le Gouvernement a annoncé le dépôt d'un projet de loi sur les choix énergétiques de la nation avant la fin de l'année 2004, et a publié un Livre blanc sur les énergies. Or, vous avez pris position, dès le mois d'octobre, pour le développement d'un réacteur nucléaire de type EPR (« Bravo ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP) afin d'assurer la transition entre l'arrêt du parc actuel - entre 2015 et 2020 - et le démarrage des réacteurs de la quatrième génération.

Pour le groupe UDF, cette décision est prématurée (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP) car le Parlement et la nation n'ont ni débattu ni décidé, que ce soit en matière d'économies d'énergie, d'indépendance nationale ou de partage entre nucléaire, gaz et énergies renouvelables (Mêmes mouvements). Nous ne savons à ce jour, ni quelle puissance nucléaire nous voulons conserver, ni la durée souhaitable d'exploitation des centrales actuelles. Aussi est-il impossible de savoir s'il est urgent de démarrer l'EPR, ou s'il faut passer directement à la quatrième génération de réacteurs, la seule à produire moins de déchets radioactifs.

Le Gouvernement a pris le risque de raviver le clivage archaïque entre le lobby pro-nucléaire (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP) et les associations anti-nucléaires. La France a besoin d'un vrai débat sur l'énergie, calme et raisonnable (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UDF et sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

La filière nucléaire, à laquelle la France doit beaucoup, ne doit être ni diabolisée, ni portée aux nues. La décision de démarrer le générateur EPR est-elle déjà prise ? Des assurances ont-elles été données en ce sens à AREVA et EDF ? Si oui, que reste-t-il du projet de loi sur la politique énergétique de la France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP).

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie - Permettez-moi de citer un propos récent : « Il faut revoir les positions officielles qui condamnent l'énergie nucléaire. C'est la seule forme de production d'énergie qui supprime les rejets dans l'atmosphère ». Ont-ils été tenus par M. Christian Bataille ou par M. Claude Birraux, les deux rapporteurs de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques ? Non ! Ils l'ont été par M. François Bayrou (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF ; « Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) lors de la convention nationale de l'UDF, le 28 avril 2002. Ces propos lui ont du reste valu, d'être estampillé pro-nucléaire par l'association « Sortir du nucléaire » (Rires sur les bancs du groupe UDF).

Nous sommes, pour notre part, bien moins catégoriques, car le nucléaire, vous avez raison, ne doit être ni diabolisé, ni porté aux nues. Aussi la politique gouvernementale repose-t-elle sur trois piliers : maîtrise de la consommation d'énergie, développement des énergies renouvelables, préparation du renouvellement de 2020, en assurant à cette fin la sécurité de l'approvisionnement, l'indépendance énergétique de la France et le respect de nos engagements en matière d'environnement.

C'est pourquoi il faut laisser ouverte l'option nucléaire. Si, au terme du large débat national entamé il y a quelques mois, et qui doit s'achever à la fin de cette année, le Gouvernement fait le choix de construire un démonstrateur EPR, ce ne sera pas par idéologie, mais pour que la France dispose de toutes les orientations énergétiques lui permettant d'assurer le renouvellement de son parc nucléaire dans les meilleures conditions de sûreté et d'efficacité (Approbations sur les bancs du groupe UMP).

M. François Sauvadet - Très bien !

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie - Pour nous, gouverner, c'est savoir prendre des décisions responsables (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

JUSTICE DES MINEURS

M. Frédéric Dutoit - Monsieur le Garde des Sceaux, depuis l'adoption, à l'initiative des députés communistes, de la loi du 9 avril 1996, le 20 novembre est devenu la journée nationale des droits de l'enfant. A l'occasion de la célébration de demain, je souhaite réaffirmer combien certaines mesures sécuritaires sont contraires à l'esprit de cette loi et, partant, à la convention internationale des droits de l'enfant.

Si la France a été l'une des premières à signer cette convention, il ne faut pas que ce soit pour la bafouer ! Le groupe communiste et républicain et les associations concernées ont vivement dénoncé la loi de programmation et d'orientation pour la justice, qui a détourné l'esprit de la justice des mineurs. Désormais, un enfant est responsable pénalement et peut être mis sous contrôle judiciaire, dès 10 ans, et être placé en détention provisoire dès 13 ans.

M. André Chassaigne - Scandaleux !

M. Frédéric Dutoit - En créant des centres éducatifs fermés, vous privilégiez la sanction pénale par rapport aux mesures éducatives. Certes la permissivité sans mesure est contraire à l'éducation, mais comment recréer une relation de confiance et responsabiliser les enfants en les incarcérant ?

Nos enfants ne sont pas une menace, mais la richesse de notre pays.N'y a-t-il pas, aujourd'hui, trop d'enfants en prison ou en milieu fermé, surtout quand on sait ce que sont les conditions de détention ? Est-ce ainsi que vous entendez respecter la convention internationale des droits de l'enfant ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste)

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Vous avez raison d'attirer notre attention sur les droits de l'enfant, et je vais vous prouver que ma politique, loin de remettre en cause ces droits, les défend.

Un chiffre, tout d'abord : le nombre de mineurs détenus était de 895 à ma prise de fonctions ; il est de 728 aujourd'hui. Votre accusation de pratiquer le « tout-carcéral » à l'égard des mineurs me semble donc assez ridicule (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

S'agissant de la loi d'orientation et de programmation, j'ai souhaité que les moyens de la justice des mineurs soient renforcés, et, de fait, depuis dix-huit mois, le nombre de magistrats pour enfants a été augmenté d'un quart (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Nous devons nous donner les moyens d'une justice des mineurs digne de ce nom. Ce n'est pas encore le cas, mais je souhaite que nous la construisions ensemble.

Quant à nos engagements internationaux, soyez assuré que nous les respectons. Je déposerai d'ailleurs prochainement un projet de loi de ratification de la convention européenne des droits de l'enfant, que notre pays a signée depuis 1996.

A côté des mineurs délinquants, il y a aussi les mineurs victimes - ce sont d'ailleurs parfois les mêmes. Nous avons aggravé les peines encourues pour les crimes commis par un adulte sur un mineur. D'une manière générale, nous avons amélioré la prise en considération des victimes dans la procédure pénale, ce qui est extrêmement important dans le cas des mineurs. Nous mettons actuellement au point une fiche de signalement, qui sera prête avant la fin de l'année, afin que tous ceux qui travaillent auprès de mineurs puissent mieux contribuer à leur protection. Enfin, nous développons, en liaison avec les hôpitaux, un dispositif d'écoute de la parole de l'enfant victime d'un traumatisme. Nous travaillons en ce domaine en étroite coopération avec les associations, dont le rôle est essentiel pour la protection des mineurs, objectif qui, je le crois, peut tous nous rassembler (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

LUTTE CONTRE LE TERRORISME

M. Gérard Léonard - L'actualité récente a encore souligné l'impérieuse nécessité pour les Etats de lutter de la manière la plus ferme contre le terrorisme. Lundi matin, une dizaine d'individus présumés proches de la mouvance islamiste radicale et qui entretiendraient des liens suspects à l'étranger, ont été arrêtés par les policiers de la section antiterroriste à Paris et en région parisienne. Ces arrestations interviennent dans le cadre d'une enquête sur le possible financement d'activités terroristes au moyen de marchandises contrefaites. Au-delà de cet exemple qui témoigne des enquêtes très minutieuses auxquelles se livrent les services de sécurité et de la très grande vigilance dont ils font preuve sur le terrain, pouvez-vous, Monsieur le ministre de l'intérieur, faire le point sur la lutte engagée par le Gouvernement contre toutes les formes de terrorisme et leurs modes de financement ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - En matière de terrorisme, notre pays fait face à trois fronts, certes d'inégale importance : le front islamiste, le front basque et le front corse.

Sur le front islamiste, depuis mai 2002, la police a procédé à 92 interpellations, et, avant-hier, en effet, un réseau terroriste lié à un réseau de contrefaçon a été démantelé. Le même jour, un individu, qui serait lié aux assassins du commandant Massoud, a été placé en garde à vue. La plus grande vigilance doit donc continuer de s'exercer. Tous les grands pays démocratiques s'accordent d'ailleurs à reconnaître l'efficacité des services de renseignement français.

S'agissant du terrorisme basque, depuis le début de l'année, la police et la gendarmerie ont procédé à 37 interpellations, dont quatre la semaine dernière, de membres présumés de l'ETA. Le gouvernement espagnol ne manque d'ailleurs jamais - et il l'a encore fait lors du dernier sommet franco-espagnol - de féliciter nos services pour leur efficacité.

S'agissant du front corse, 215 interpellations ont eu lieu depuis mai, dont celle d'Yvan Colonna, dont nos prédécesseurs nous avait laissé la responsabilité... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Après que douze personnes ont été placées en garde à vue depuis le 17 novembre, nous pensons avoir, enfin, atteint le sommet de l'organisation militaire du FLNC.

Puisque les socialistes souhaitent, semble-t-il, dresser le bilan de mon action, qu'ils n'hésitent pas à le comparer au leur, cela sera très instructif pour les Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste)

SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE DÉLÉGATION ÉTRANGÈRE

M. le Président - Je suis heureux de souhaiter en votre nom la bienvenue à une délégation parlementaire, conduite par M. Jerzy Jaskiernia, président de la commission des affaires étrangères de la Diète de la République de Pologne (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent).

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT (suite)

IRAK

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Monsieur le ministre des affaires étrangères, en présence de nos amis polonais qui, comme nous, appartiennent à la vieille Europe et souhaitent construire une grande Europe, je souhaite vous interroger sur l'Irak.

M. Arnaud Montebourg - Que faites-vous là ? Vous n'êtes pas au tribunal ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Après avoir reconnu, il y a quelques semaines, l'absence de liens directs entre Saddam Hussein et Ben Laden, et, partant, les attentats du 11 septembre, le Président Bush a souligné, il y a quelques jours, toute l'importance d'un retour rapide de la souveraineté irakienne en Irak et envisagé, avec l'administrateur Paul Bremer, un calendrier électoral précis. Les positions de la diplomatie française, qui nous ont fait honneur, sont donc maintenant comprises et partagées par notre allié américain. Monsieur le ministre, vous avez publiquement tendu la main aux Etats-Unis, et vous avez eu raison. Quel est aujourd'hui, d'après vous, le calendrier envisageable pour le retour de la démocratie en Irak, ainsi que pour le retour de l'ONU, sans laquelle rien ne sera possible ? Que peut faire la France dans ce nouveau contexte ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF)

M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères - J'ai salué hier à Bruxelles, avec l'ensemble de mes homologues européens, la nouvelle approche américaine, qui reconnaît la souveraineté de l'Irak, principe que nous n'avons cessé de défendre, et prévoit la mise en place d'un gouvernement de transition, avant même l'achèvement du calendrier constitutionnel. Mais la violence s'aggrave, en Irak comme dans l'ensemble de la région, et nous sommes aujourd'hui confrontés à l'urgence.

La France, dans le souci constant de concertation et de proposition qui a été le sien, défendra les principes qui ont guidé son action tout au long de la crise irakienne. Elle privilégiera une approche politique concertée, seule à même d'apporter une solution politique durable. Une approche globale également, car la paix, comme la justice, sont indivisibles : il faut traiter, bien sûr, le problème irakien, mais aussi le conflit israélo-arabe, garantir la sécurité dans l'ensemble de la région et y parer au risque de prolifération. Une approche collective enfin, car seules les Nations unies peuvent apporter la légitimité nécessaire au règlement de cette crise.

Au regard de ces principes, l'objectif est aujourd'hui triple. Tout d'abord, accélérer et élargir le processus politique en Irak, seule réponse à même de briser la spirale du terrorisme. Cela ne peut pas attendre. Il convient d'y associer tous les Irakiens opposés à la violence. Ensuite, associer et responsabiliser tous les Etats de la région afin que l'Irak puisse être réintégré dans son environnement. Enfin, donner aux Nations unies un rôle effectif pour accompagner la transition. C'est pourquoi nous plaidons pour la nomination d'un envoyé spécial du secrétaire général.

Face à l'épreuve, soyons exigeants et sachons être à la hauteur des enjeux. L'unité de la communauté internationale pour défendre une vision et des principes communs reste, aujourd'hui comme hier, le meilleur gage de l'efficacité et de la légitimité de son action (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDF).

MARIAGES BLANCS

M. Georges Mothron - Ma question, qui s'adresse au Garde des Sceaux, pourrait tout aussi bien s'adresser au ministre de l'intérieur. L'obligation faite aux maires de célébrer le mariage d'étrangers en situation irrégulière provoque un véritable malaise chez les élus, dont bon nombre de membres de cette assemblée (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

M. Christian Bataille - Parlez pour vous !

M. Georges Mothron - Ce vide juridique actuel profite, hélas, aux filières d'immigration clandestine. Le maire que je suis est attaché au respect de la liberté du mariage, sans distinction de nationalité. Pour autant, je transmets systématiquement au procureur de la République les dossiers qui me semblent relever de trafics dont le but caché est l'obtention d'un titre de séjour ou de la nationalité française. De février à octobre 2003, j'ai transmis 57 dossiers, et ai été obligé de célébrer 50 mariages. Sur ces 57 dossiers, 25 ont été transmis à la préfecture et à la police des étrangers. J'ai reçu en octobre quatre courriers ronéotypés du procureur m'obligeant à célébrer quatre mariages d'étrangers en situation irrégulière, soin étant laissé au préfet de contrôler celle-ci. Cela est choquant, contraire à mes convictions républicaines. Je n'ai pas été élu pour cela ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF) Dans l'attente d'éclaircissements, j'ai décidé de ne pas publier les bans et de ne pas procéder à ces mariages (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Pour éviter une situation paradoxale que nos concitoyens ont bien du mal à comprendre, quelles mesures concrètes envisagez-vous de prendre pour lutter contre ces dérives ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDF)

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Beaucoup d'entre vous m'ont déjà questionné, ainsi que le ministre de l'intérieur, sur le sujet. En effet, nous assistons au développement de véritables réseaux de mariages arrangés, contre lesquels nous luttons avec fermeté. Mais il nous faut aussi améliorer les conditions d'application de la loi (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Laissez-moi m'exprimer, le problème est assez grave pour que l'on en traite sérieusement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) C'est aux maires qu'il appartient de vérifier le consentement des époux. Quant aux procureurs, ils ne peuvent qu'appliquer la loi telle qu'elle est. C'est pourquoi il importe de prévoir un délai suffisant pour mener les investigations nécessaires à la vérification du consentement réel des deux époux. La loi autorise désormais les maires à repousser d'un mois l'échéance, le temps de conduire ces investigations. La loi donne également aux maires la possibilité d'entendre les futurs époux, séparément le cas échéant, pour vérifier la réalité de leurs intentions.

Ce dispositif apporte des réponses à des situations inadmissibles. Il convient d'attendre sa promulgation pour tester son application (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

LUTTE CONTRE LE TABAGISME

M. Jean-Marie Le Guen - Monsieur le Premier ministre, vous avez décidé de combler le déficit budgétaire par une nouvelle et brutale hausse des taxes sur les tabacs, rendant ainsi insupportable une politique pourtant nécessaire (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Après avoir déstabilisé la filière des distributeurs de tabac, vos ministres se bousculent pour donner le spectacle désolant d'une surenchère de promesses inconsidérées (Mêmes mouvements).

Pis, votre maladresse a débouché sur une reculade inouïe : vous avez annoncé l'abandon pour quatre ans de toute hausse, ce qui décrédibilise des années d'efforts dans la lutte contre le tabac.

Il est temps de casser cette politique de gribouille ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Puisqu'il y a unanimité pour vous le demander, reportez donc la hausse de janvier et maintenez le cap d'une politique de santé publique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Un député UMP - Démago !

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - Je vous remercie pour cette leçon de santé publique ! Le Gouvernement que vous souteniez avait augmenté le prix des cigarettes de 1 % en janvier 1998, de 3 % en janvier 1999 et la suite à l'avenant, ne faisant guère preuve de la même conviction qu'aujourd'hui quant à l'efficacité de cette politique en termes de prévention...

Eh bien, le gouvernement auquel j'appartiens a décidé, comme le conseille l'OMS, une hausse importante et rapide puisqu'elle a été de 32 % depuis le 1er janvier dernier.

Après la décision vient l'évaluation : il faut maintenant apprécier les résultats positifs et contrer les éventuels effets pervers. Mais évolution ne signifie pas inaction. Il nous faudra faire en sorte que la loi Evin que nous avons soutenue en son temps soit effectivement respectée. Nous avons donc, ce que vous n'aviez pas fait, accru les moyens de contrôle et donné aux associations la possibilité d'ester en justice.

Dans le cadre du plan cancer, j'ai annoncé une expérimentation dans trois régions - Alsace, Basse-Normandie, Languedoc-Roussillon - pour les substituts nicotiniques.

Enfin, avant la fin de l'année, la France déposera un mémorandum à Bruxelles car il faut aller vers une fiscalité du tabac bâtie sur une logique de santé publique.

L'objectif sur lequel je me suis engagé - moins 30 % de jeunes fumeurs et moins 20 % de fumeurs d'ici cinq ans - sera respecté. C'est la priorité du plan cancer (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

AVENIR D'ÉDITIS

M. Philippe Auberger - Le groupe Vivendi Universal Publishing, qui s'appelle maintenant Editis, comprend des maisons d'édition aussi célèbres que Plon, Perrin, Robert Laffont, Bordas, Armand Colin, Nathan, Larousse et bien d'autres. Il est extrêmement présent dans la littérature générale, les livres pour enfants, les livres de poche, les dictionnaires, les livres scolaires, les encyclopédies. Il est au deuxième rang pour la distribution du livre en France.

Au printemps dernier, il devait être acheté par le groupe Hachette-Lagardère mais l'opération a été soumise à la Commission européenne, qui a publié il y a une dizaine de jours un mémorandum relevant douze objections sérieuses à cette fusion. Il y a donc un risque non négligeable que ce groupe, très important pour le pluralisme de l'édition en France, se désagrège, voire passe sous contrôle étranger.

Le Gouvernement a-t-il l'intention de favoriser l'émergence d'un acheteur appartenant à la profession et adossé à des groupes financiers, afin d'éviter que les fonds de pension américains ou les éditeurs étrangers, qui sont aux aguets, prennent le pouvoir au sein d'Editis ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication - Le livre n'est pas une marchandise ordinaire mais un bien culturel. C'est pourquoi notre pays n'a cessé de s'engager pour garantir la diversité de sa production et de sa diffusion, ainsi qu'un large accès de nos concitoyens à la lecture. C'est dans cet esprit que vous avez adopté à l'unanimité, le 18 juin dernier, la loi sur le droit de prêt dans les bibliothèques et le plafonnement des remises.

C'est dans ce contexte qu'est hélas intervenue la mise en vente de la branche éditoriale de Vivendi, qui a abouti à une offre de rachat par Lagardère. J'ai alors fait savoir que le Gouvernement, sans intervenir dans une affaire privée, marquait sa préférence pour une solution associant capacité financière, savoir-faire industriel et réelle proximité avec les intérêts culturels de notre pays.

La Commission européenne a fait connaître ses observations au groupe Lagardère, qui s'apprête à proposer certains remèdes. S'ils doivent comporter des cessions, le Gouvernement serait attentif à ce que les critères que je viens de rappeler soient à nouveau respectés et que la solution soit aussi respectueuse que possible de nos intérêts industriels, commerciaux et culturels. C'est en ce sens que le Premier ministre s'est personnellement engagé (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Nous ferons en sorte que ne se reproduise pas la situation de 2001, quand Vivendi a mis sur le marché ses participations dans la presse professionnelle, dans l'indifférence du gouvernement d'alors (Protestations sur bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste). Cette branche a été acquise par un consortium financier franco-américain qui l'a remis sur le marché après avoir pris son bénéfice, laissant de grandes publications comme Le Moniteur dans une bien cruelle incertitude (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

RECONVERSION QUALITATIVE DIFFÉRÉE

Mme Arlette Franco - Monsieur le ministre de l'agriculture, vous avez lancé l'année dernière le plan de reconversion qualitative différée pour le vignoble, à titre expérimental, dans le Languedoc-Roussillon. Ce plan a été un réel succès puisque 5 268 viticulteurs et 9 500 hectares ont été concernés. Les viticulteurs vous en remercient !

Ce succès a été acquis grâce à votre volonté et à votre sens de la négociation, puisqu'il représente une dépense de plus de 115 millions d'euros pour l'Union européenne. L'accord, qui n'était pas facile à obtenir, a porté sur 17 000 parcelles de cépages qui, ne correspondant plus à la demande du consommateur, n'ont pas été récoltées en 2003, soit environ 500 000 hectolitres.

La crise viticole, malgré le répit pour les vins de pays lors de la campagne 2002-2003, est toujours là. Elle s'est même généralisée aux grandes régions AOC, mes collègues du Beaujolais, du Bordelais, de la Bourgogne ou encore du Val-de-Loire ne me contrediront pas. Il était donc impératif de renouveler la reconversion qualitative différée pour la campagne 2004. Je vous remercie de l'avoir fait avant la chute des feuilles, ce qui permettra aussi de préserver l'environnement.

Pensez-vous reconduire, voire étendre ce plan en tenant compte de l'expérience de la première campagne ? Cela aiderait nos viticulteurs à mieux commercialiser leurs productions de qualité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales - Je me souviens précisément de ma visite en Languedoc-Roussillon, en juin 2002. J'y avais constaté que les viticulteurs étaient à la fois inquiets de la situation de leur vignoble et mobilisés pour son avenir. Tous, quels que soient leur syndicat et leur mode de production, m'ont dit qu'il fallait conduire la reconversion qualitative différée pour améliorer les cépages.

J'ai donc négocié avec Bruxelles et obtenu en décembre 2002 un plan dépassant toutes nos espérances puisque nous envisagions 6 000 hectares et que l'on est au-delà de 9 000 ! La question de la reconduction de ce dispositif expérimental en Languedoc-Roussillon et de son extension à d'autres régions se posait donc cette année.

La Commission vient de donner son accord, et nous disposerons de 16 millions de plus pour cette opération. Dans les autres vignobles, là où se dégagera un consensus, je serai donc en mesure de répondre favorablement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

FORÊT

M. François Dosé - La forêt occupe le quart du territoire national, et 11 000 communes se reconnaissent « forestières ». Elles sont dans leur immense majorité rurales et modestes, et l'économie locale est directement liée à la gestion de la forêt.

Or, après la tempête de 1999, la canicule de cet été et le marasme du marché du bois, leur situation est préoccupante et même, pour certaines, catastrophique. Le monde rural s'en trouve, une fois de plus, fragilisé. Fermetures de PME de la filière bois, recettes fiscales en baisse, impossibilité de développer des activités de substitution et à ces difficultés s'ajoutent les 53 millions dont sont amputés les crédits de la forêt dont 20 au détriment des petites communes forestières. Cela se traduira par une baisse considérable du versement compensatoire de l'Etat à l'ONF, par la suppression de plusieurs centaines de postes à l'ONF, ou par un affaiblissement de la protection de la forêt méditerranéenne.

Lors du débat budgétaire, Monsieur le ministre, François Brottes vous a interrogé sur ce budget en rupture avec les précédents. Et la fédération des communes forestières vous a alerté, dénonçant le désintérêt du Gouvernement pour la forêt, le manque de crédits pour la reconstitution, l'absence de concertation, le non-respect par l'Etat des engagements pris envers l'ONF. Je reprends là les termes d'un président qui est par ailleurs sénateur UMP...

N'abandonnez pas les communes forestières ! Elles entretiennent un patrimoine au service de tous les Français, et sont des actrices du développement rural. Quelles mesures urgentes et concrètes de solidarité le Gouvernement prendra-t-il pour apaiser les communes forestières avant l'élaboration de leur budget ? Pouvez-vous prendre l'engagement que le contrat Etat-ONF sera respecté jusqu'à son terme en 2006 ? Enfin, si vous acceptez de modifier ces lignes en loi de finances rectificative, pouvez-vous nous préciser la provenance des crédits devenus subitement disponibles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales - Vous avez raison : la forêt est une cause noble, qui doit nous unir au-delà des clivages politiques, et qui doit nous inciter à une gestion durable. Or la forêt française a connu deux drames ces dernières années : la tempête de 1999 et la sécheresse.

S'agissant de la tempête, les crédits inscrits en loi de finances initiale pour 2004 permettront d'atteindre le montant de 91,5 millions, fixé en décembre 1999 par le Premier ministre Lionel Jospin. En outre, l'ONF a reçu en 2003 une dotation exceptionnelle de 25 millions pour faire face à la baisse des recettes. Certaines lignes sont en baisse, mais dans le plan même de décembre 1999, il était précisé que ces crédits étaient non reconductibles : c'est le cas de l'aide au transport de chablis, qui n'a plus lieu d'être. Les engagements budgétaires sont donc honorés.

Quant à la sécheresse, 6,5 millions d'euros sont inscrits en loi de finances rectificative, avec des compléments sur la gestion 2003, pour l'aide aux replantations. D'autre part, avec M. Sarkozy et Mme Bachelot, nous travaillons à un plan de reconstitution durable de la forêt méditerranéenne. Un rapport d'étape vient de nous être remis, et nous annoncerons des mesures début 2004.

Il faut ensuite conforter les institutions en charge de la forêt, et tout d'abord les communes forestières. Dans le projet de loi de finances rectificative adopté ce matin en Conseil des ministres, figurent 20 millions d'euros pour rétablir le versement compensateur. Cette question est donc réglée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Nous créons d'autre part trente emplois dans les centres régionaux de la propriété forestière, mesure très attendue. Enfin, nous tenons nos engagements envers l'ONF : 35 millions d'euros sont inscrits au collectif. Sur le dossier de l'épargne forestière, nous travaillons en liaison avec Alain Lambert, et devrions aboutir vite. Pour ce qui concerne plus globalement l'ensemble de la filière bois, le rapport de votre collègue Dominique Juillot sera suivi d'effets (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

POLITIQUE DE L'ÉNERGIE

M. Claude Birraux - Madame la ministre de l'industrie, le Gouvernement a fait connaître son avant-projet de loi d'orientation sur l'énergie. Pour la première fois, le Parlement votera sur la politique énergétique de la France : démarche éminemment démocratique, dont les parlementaires de l'UMP félicitent le Gouvernement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Je constate avec plaisir que vos propositions reprennent celles du rapport que j'ai présenté en mai avec Christian Bataille, (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) pour l'office parlementaire des choix scientifiques, sur les centrales nucléaires, tendant notamment à lancer le prototype de réacteur EPR. Vous reprenez d'autre part les propositions d'un rapport rédigé en 2001, toujours pour l'office, avec Jean-Yves Le Déaut, sur les perspectives des énergies renouvelables. Monsieur le Président de l'Assemblée nationale, vous vous réjouirez certainement avec le président de l'office parlementaire de voir que les propositions du Parlement, adoptées à l'unanimité dans l'office sous des majorités différentes, sont reprises par le Gouvernement ...

La politique énergétique est une politique à long terme. Pour l'avoir oublié, la Californie et l'Italie l'ont réappris à leurs dépens. Ceux qui trouvent que les décisions sont précipitées et qu'il faut attendre - les mêmes qui reprochaient hier au Gouvernement de ne pas aller assez vite - devraient méditer ce proverbe chinois : « Seul l'imprévoyant creuse un puits quand il a soif... ». Après le débat national sur l'énergie, après les rapports des Sages et celui du parlementaire en mission Jean Besson, voici le temps de l'action. Pouvez-vous nous indiquer le calendrier législatif prévu, et nous dire quelles régions ont déjà exprimé un intérêt pour la première implantation du réacteur EPR ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie - Il est exact que, dans les propositions du livre blanc que j'ai présenté le 7 novembre, j'ai été très inspirée par l'excellent rapport que vous avez élaboré avec M. Bataille (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) - un rapport dont je serais tentée de recommander la lecture à ceux qui n'en ont pas encore pris connaissance, et notamment à M. Dionis du Séjour... De même, je me suis largement inspirée des enseignements du grand débat, transparent et pluraliste, qui s'est déroulé pendant le premier semestre 2003.

La politique du Gouvernement repose sur un triptyque indissociable. Nous proposons d'abord de mieux maîtriser la consommation d'énergie, par des incitations fortes et une campagne de sensibilisation. Nous proposons ensuite de diversifier notre bouquet énergétique en développant les énergies renouvelables, notamment en mobilisant la recherche. Nous préparons enfin les décisions d'avenir, qui requièrent que toutes les options restent ouvertes, y compris le nucléaire. Le débat se poursuit. Nous avons voulu que les Français soient informés dans la transparence, aussi avons-nous mis ces propositions sur Internet. Et au début de l'année prochaine, le Parlement sera saisi d'un projet de loi.

Il est prématuré de parler de la localisation d'un éventuel démonstrateur EPR.

M. Maurice Leroy - Dionis avait raison !

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie - Je peux seulement indiquer que nous avons reçu la candidature de quelques sites de Basse et de Haute-Normandie, ainsi que celle de la région Rhône-Alpes, par la voix de Mme Comparini (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF).

PROTECTION DES ANIMAUX DE COMPAGNIE

M. Lionnel Luca - Monsieur le ministre de l'agriculture, vous avez en charge la protection animale. En France, plus d'un foyer sur deux possède un animal de compagnie. C'est aussi un enjeu commercial et financier, qui suscite, hélas, certains comportements ignobles. Je pense aux trafics d'animaux venus d'Europe de l'Est, avec de grands risques sanitaires, comme Mme de Panafieu a pu le constater, alertée par la SPA, dans le XVIIe arrondissement de Paris (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Ce n'est pas parce qu'il est question d'animaux que nos collègues socialistes doivent se sentir concernés ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Je pense aussi à la vente de peaux de chiens et de chats venant d'élevages clandestins. Se posent enfin la question des conditions de l'expérimentation animale, souvent inutilement cruelle, et celle de la stérilisation pour maîtriser la croissance des populations animales.

Ces problèmes, Monsieur le ministre, vous les avez abordés dès votre prise de fonctions, en rencontrant tous les partenaires, notamment les associations de défense des animaux, qui font un travail remarquable, insuffisamment reconnu. Vous venez de prendre des décisions importantes, au bout d'un an, dans un domaine où d'autres n'ont rien fait en cinq ans... Pouvez-vous nous en faire part ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales - Les animaux de compagnie sont seize millions en France. Leur rôle est important auprès des personnes isolées, malades ou handicapées, et il faut s'en occuper. Chacun doit être responsable : un animal n'est pas une peluche, son achat n'est pas un coup de c_ur. Pour un million d'achats chaque année, on compte plus de cent mille abandons... Nous avons donc pris des mesures pour responsabiliser l'ensemble de la filière, en réglementant les conditions d'élevage et les conditions sanitaires pour assurer une traçabilité des animaux de compagnie. Avec Francis Mer, nous avons décidé d'interdire l'introduction de peaux de chats et de chiens, et, avec Roselyne Bachelot, de créer des brigades de lutte contre les importations sauvages et les trafics d'animaux. Avec Claudie Haigneré, nous avons mis en place un comité sur les questions de l'expérimentation animale et sur celle du statut de l'animal dans notre société.

Quant à la stérilisation des animaux divagants, elle ne peut être abordée que dans un partenariat entre les maires, les associations et mon ministère. Là aussi, nous avons décidé d'avancer. Les animaux de compagnie doivent être mieux respectés, eu égard à leur rôle dans notre société (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

La séance suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 25, sous la présidence de M. Baroin.

PRÉSIDENCE de M. François BAROIN

vice-président

REVENU MINIMUM D'INSERTION ET REVENU MINIMUM D'ACTIVITÉ

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Le projet que votre assemblée est appelée à examiner nous conduit à traiter de certaines des difficultés les plus aiguës de la société française. Derrière la question du RMI, se croisent des trajectoires humaines complexes : on trouve des femmes, des hommes, des familles, à la frontière du décrochage social, cette frontière dont Christine Boutin, dans son beau rapport sur l'isolement, traçait les contours avec tact et précision.

C'est l'honneur de notre République d'avoir instauré un ultime filet de protection destiné à ceux qui sont dans l'extrême difficulté. Mais c'est aussi son devoir de ne pas se satisfaire d'une situation qui fait qu'un million de nos concitoyens sont aux marges du progrès individuel et collectif.

A la source de ce projet il y a le refus de la fatalité, un sentiment que je souhaite pouvoir vous faire partager.

Au nom de la justice sociale, au nom d'une certaine conception de la dignité de la personne, le Gouvernement ne se satisfait pas du statu quo, et il a décidé d'agir.

M. Jean-Marie Geveaux - Très bien !

M. le Ministre - Ce projet tire les enseignements d'une expérience de quinze années, qui a donné lieu à de nombreuses analyses et évaluations.

Il s'est enrichi de plusieurs améliorations, issues de la concertation menée avec les partenaires sociaux et les associations.

Les Français sont attachés à la solidarité qui s'exerce envers les personnes les plus défavorisées, les plus durablement isolées, les plus fragilisées par des accidents de la vie. Ils souhaitent que notre système d'aide sociale épaule tous ceux qui ont besoin d'une assistance momentanée. C'est pourquoi le projet préserve l'architecture du revenu minimum d'insertion, qui associe à des droits liés à l'âge ou aux ressources, un contrat, c'est-à-dire un « engagement réciproque » - ainsi que l'indique la loi ! - entre la collectivité et l'allocataire.

Mais nos concitoyens expriment aussi une autre attente. De façon croissante, ils estiment qu'une contrepartie de l'aide publique est légitime : cette contrepartie, c'est celle de l'effort d'insertion et de la recherche d'une activité. Cette attente est particulièrement vive chez les Français qui tirent de leur travail des revenus modestes. Nul ne peut ignorer le malaise qui traverse les milieux populaires et le jugement sceptique, voire critique, de ceux qui travaillent dur pour un revenu qu'ils jugent quasi équivalent à celui de l'assistance.

Selon une récente enquête, 67 % des Français - dont 58 % de sympathisants de gauche - estiment qu'il faut réduire les indemnisations après une longue période de chômage. Ils sont près de 70 % chez les employés et ouvriers.

En rappelant ces chiffres, je ne porte pas de jugement de valeur, ni ne me réjouis du clivage, que je sens grandissant, entre ceux qui bénéficient de l'assistance et ceux qui vivent des revenus de leur travail. Si je dis à voix haute ce qui se dit de moins en moins bas dans le pays, c'est pour que chacun mesure le défi que nous devons collectivement relever.

Si les Français ont longtemps manifesté leur confiance vis-à-vis des systèmes d'aides, ils soulignent désormais davantage leurs effets dissuasifs sur l'emploi. Si l'on ne remet pas en cause la solidarité envers les bénéficiaires de ces aides, on attend des pouvoirs publics qu'ils aient le courage d'en renouveler les termes.

M. Alain Cousin - Très bien !

M. le Ministre - Aujourd'hui, notre devoir social n'est pas de flatter une « tradition d'assistanat » à laquelle, d'ailleurs, beaucoup de Rmistes ne souscrivent pas. Il est, dans un même élan, de restaurer les idées de responsabilité et de fraternité.

Il convient d'éviter deux écueils : celui du statu quo et, inversement, celui d'un rejet critique qui conduirait à des stigmatisations ou à des généralisations blessantes à l'endroit des Rmistes. Cette attitude, contraire à nos valeurs républicaines, serait fondée sur un diagnostic inexact.

En effet, la plupart des bénéficiaires du revenu minimum d'insertion aspirent à sortir du dispositif : sur environ un million d'allocataires, 300 000 en sortent chaque année. De plus, la moitié environ des allocataires sont inscrits à l'ANPE. S'ils n'accèdent pas au travail, c'est parce qu'ils ne trouvent pas d'offre d'emploi adaptée à leurs compétences ou parce que les employeurs ont donné la préférence à d'autres. Mais la majorité d'entre eux souhaitent trouver ou retrouver un emploi, non seulement pour améliorer leurs conditions d'existence ou leur autonomie, mais surtout pour retrouver une dignité personnelle et utilité sociale.

M. Alain Cousin - Tout à fait !

M. le Ministre - La lutte contre l'exclusion ne saurait donc se réduire à une assistance permettant à tous de faire face aux besoins élémentaires de l'existence. Elle doit s'inscrire, en aval et en amont de la pauvreté, dans un processus dynamique.

En amont, il s'agit de renforcer la prévention. La détresse sociale se traduit d'abord par des difficultés de logement ou des besoins concernant la santé. C'est à quoi doit répondre l'insertion sociale des allocataires du revenu minimum d'insertion.

En aval, le projet de loi mise sur une aide personnalisée à l'insertion sociale et professionnelle, ainsi que sur une palette élargie d'aides à l'emploi destinée à mieux répondre à chaque situation individuelle.

A l'origine, le RMI devait rompre avec la logique traditionnelle de l'assistance. Mais à l'évidence, il existe aujourd'hui un profond décalage entre l'objectif d'insertion qui lui avait été assigné et les résultats décevants observés depuis plusieurs années.

Le nombre des allocataires âgés de 35 à 60 ans bénéficiaires depuis plus de deux ans du revenu minimum d'insertion ne cesse d'augmenter, s'installant, voire s'enfermant dans l'assistance.

Le taux de contractualisation stagne à environ 50 %, ce qui n'est pas imputable aux seuls allocataires mais tient souvent à la dispersion des acteurs et à l'émiettement des compétences. Il en résulte un isolement accru, faute de suivi de l'allocataire par un accompagnateur identifié.

Mme Christine Boutin, rapporteure de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Absolument.

M. le Ministre - La proportion des allocataires accédant aux contrats aidés est, elle, en baisse continue : elle est passée de 21 % en 1996 à 13 % en 2002.

Tout se passe comme si, quinze ans après, le dispositif conçu comme une aide momentanée était devenu une prestation de « masse » et d'assistance durable. Face à ce constat, les leçons de morale de ceux qui, la main sur le c_ur, accusent le Gouvernement parce qu'il veut faire évoluer les choses, n'ont aucune valeur (Mme Jacquaint proteste).

Le camp de la justice sociale n'est pas celui des grands discours, c'est celui de l'action !

Une réforme s'impose. Nous la jugeons urgente. Le Gouvernement a donc décidé d'agir dès 2004.

Nous souhaitons tout d'abord améliorer la gestion du RMI en misant sur la proximité, car on ne peut plus se satisfaire de simples ajustements techniques à l'initiative de l'Etat.

C'est pourquoi nous proposons de décentraliser le dispositif.

La décentralisation a confié depuis vingt ans aux départements l'aide aux personnes en difficulté. Ce savoir-faire mérite d'être utilisé. Aussi le texte confie-t-il aux départements la responsabilité de la gestion et du financement du RMI. Nul ne peut douter qu'ils assumeront avec compétence cette nouvelle responsabilité.

Ceux qui redoutent cette décentralisation du RMI devraient s'interroger sur les lacunes du système actuel. Ils ont tort de ne pas accorder leur confiance aux élus locaux qui, en matière de solidarité, se sont souvent montrés plus réactifs que l'Etat.

M. Christian Estrosi - Quelle méfiance !

M. le Ministre - Cette décentralisation portera sur environ 5 milliards d'euros et s'accompagnera de l'attribution aux départements d'une fraction du produit de la TIPP.

M. Christian Estrosi - Quelle bonne chose !

M. le Ministre - Je sais l'inquiétude que suscite la réforme de l'allocation de solidarité spécifique et ses conséquences sur les charges liées au RMI. Le Gouvernement y est très attentif. C'est pourquoi il a décidé de réévaluer en 2005, sur le base des comptes administratifs, le montant des charges transférées aux départements. Je déposerai un amendement en ce sens. Le Gouvernement entend ainsi respecter tant la lettre que l'esprit de la Constitution.

La nouvelle architecture du RMI permettra aussi de mettre fin à l'enchevêtrement des compétences - actuellement revient à l'Etat le financement des allocations et aux conseils généraux celui de l'insertion. Mettant fin à un copilotage par le préfet et le président du conseil général, le financement par un seul acteur, le conseil général, de l'allocation et de l'insertion restaurera la cohérence du dispositif et mobilisera davantage les acteurs locaux de l'insertion.

Au demeurant, les Etats de l'Union européenne ont opté le plus souvent pour une gestion locale et décentralisée des minima sociaux.

Le texte corrige aussi les dysfonctionnements constatés par la Cour des comptes : les conseils départementaux d'insertion s'engagent insuffisamment dans l'élaboration d'une stratégie départementale et les commissions locales d'insertion se contentent trop souvent d'enregistrer les contrats d'insertion. Leur engorgement explique en grande partie le faible taux de contractualisation.

Le texte apporte ici deux correctifs. La présidence du conseil départemental d'insertion sera confiée au président du conseil général, qui en désignera les membres et qui élaborera et mettra en _uvre le programme départemental d'insertion. D'autre part, le président du conseil général désignera seul les membres et le président des commissions locales d'insertion, dont les compétences en matière d'approbation des contrats d'insertion sont transférées au conseil général, à l'exception des avis sollicités préalablement à une demande de suspension.

Le projet met également un terme à la dispersion des formes d'accompagnement, liée au hasard du lieu de dépôt de la demande. Une même personne accompagnera désormais l'allocataire dans ses démarches et ses efforts d'insertion, qu'il ait déposé sa demande au centre communal d'action sociale ou auprès d'une association agréée, qu'il soit à la recherche d'un logement, de soins ou d'un emploi.

Cet accompagnateur coordonnera la mise en _uvre du contrat d'insertion pour aider l'allocataire à lever tous les obstacles qui se présentent.

Mme la Rapporteure - Très bien !

M. le Ministre - Il veillera à la qualité du parcours d'insertion et à son éventuelle réorientation.

Pour éviter toute confusion des rôles entre juge et partie, le projet apporte deux garanties importantes.

D'une part, la CLI sera appelée à donner son avis préalable dans le cas où une procédure de suspension serait mise en _uvre. C'est le seul cas où cette commission conserve un rôle de décision individuelle. D'autre part, et surtout, la composition de la commission départementale d'aide sociale appelée à statuer en matière de revenu minimum d'insertion est modifiée. Pour garantir son indépendance, elle sera composée, comme dans les autres domaines de l'aide sociale, d'un magistrat de l'ordre judiciaire, président, de trois conseillers généraux et de trois fonctionnaires de l'Etat.

Le projet de loi va plus loin en renforçant les garanties dans l'accès au droit.

Pour assurer l'égalité de traitement quel que soit le lieu de résidence, les conditions d'attribution du revenu minimum d'insertion et son barème demeurent fixés au plan national.

De même, le service de l'allocation continue d'être assuré par les caisses d'allocations familiales et de mutualité sociale agricole qui, depuis 1989, ont exercé une gestion efficace et développé des relations avec des publics fragiles et isolés. Cette continuité de la gestion du RMI facilitera le basculement du 1er janvier prochain, dans des conditions sans commune mesure avec l'application de la loi instaurant le RMI, promulguée le 12 décembre 1988 pour une application au 1er janvier 1989 !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Exact !

M. le Ministre - Pour conforter cette transition, je vous proposerai la mise à disposition à titre transitoire, en 2004, du personnel de l'Etat actuellement en charge du revenu minimum d'insertion.

Le Gouvernement a aussi décidé d'activer les dépenses de solidarité en créant un dispositif original : le revenu minimum d'activité.

Le RMA répond à une aspiration croissante, dont plusieurs propositions de loi se sont déjà fait l'écho. Il s'inspire aussi des méthodes d'activation des dépenses d'indemnisation de l'assurance chômage, d'abord sous forme de conventions de coopération, puis d'allocations dégressives à l'employeur. L'idée du revenu minimum d'activité est simple : créer une transition entre l'assistance et le travail, en instaurant une passerelle entre le revenu de solidarité et l'emploi ordinaire.

Il s'agit d'éviter d'enfermer les allocataires dans un choix trop contraignant, entre une situation prolongée d'assistance et l'accès difficile à l'emploi, surtout pour les allocataires du RMI depuis plusieurs années.

Aujourd'hui, près d'un allocataire sur trois est au RMI depuis plus de trois ans, près d'un sur dix depuis plus de dix ans, et le nombre de Rmistes ne cesse d'augmenter.

Telle est la réalité et il faut être animé par une étrange philosophie politique pour préférer un Rmiste sans travail à un Rmiste ayant une activité ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Le Garrec - Vous nous faites un procès d'intention !

M. le Ministre - Je n'ai pas dit que c'était là la position du parti socialiste ! De nôtre côté, nous préférons promouvoir la valeur du travail comme source d'épanouissement personnel.

Il faut être suspicieux et idéologue pour penser que seule la sphère publique peut permettre l'insertion. Face à un million de Rmistes, il faut au contraire multiplier les voies de sortie : c'est là toute ma préoccupation ! (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Le RMA évitera l'installation durable dans le revenu minimum d'insertion.

Ce dispositif est innovant, mais il est encadré.

M. Patrick Roy - Des mots !

M. le Ministre - Tout d'abord, le projet retient le principe d'une ancienneté minimale pour accéder au revenu minimum d'activité. Le RMA s'adresse aux allocataires les plus en difficulté, ceux qui n'accèdent jamais ni à l'emploi ordinaire ni à l'emploi aidé. Il préserve l'existence des règles de cumul entre une activité et une allocation au titre du mécanisme d'intéressement. Mais il crée une nouvelle chance d'accéder à l'emploi.

Mme Martine Billard - Moins intéressante !

M. le Ministre - Inversement, le revenu minimum d'activité n'est pas un sas obligatoire ; il élargit simplement les possibilités.

Il ne doit pas y avoir installation dans le revenu minimum d'activité. Celui-ci n'a pas vocation à se prolonger au-delà du temps nécessaire à une réinsertion. Aussi sa durée totale doit-elle être limitée.

Enfin, il s'agit de créer une étape dans un parcours d'insertion professionnelle. Une durée inférieure à 20 heures hebdomadaires n'aurait pas l'effet formateur attendu d'une activité qui tourne le dos aux « petits boulots », aussi a-t-on retenu, après le débat au Sénat, une durée minimale de 20 heures.

Le revenu minimum d'activité est aussi un contrat de travail destiné à faciliter la sortie du RMI.

Tout d'abord, il améliore les gains de l'allocataire d'environ 50 % dans le respect des limites de la dépense publique.

M. Patrick Roy - 2 € de l'heure !

M. le Ministre - En effet, le RMA associera une allocation forfaitaire du revenu minimum d'insertion versée par la caisse d'allocations familiales ou par la caisse de mutualité sociale agricole à l'employeur, et un complément à la charge de ce dernier. Cette rémunération sera versée par l'employeur au salarié, qui bénéficiera d'un gain au moins égal au SMIC.

Ensuite, à la différence des contrats aidés, le revenu minimum d'activité est mis en _uvre de façon similaire dans le secteur public et dans le secteur privé. Le champ d'application de ce contrat est celui des employeurs du secteur marchand - à l'exception des particuliers - et du secteur non marchand - à l'exception de l'Etat et des départements eux-mêmes. Dans le secteur non marchand, le revenu minimum d'activité ouvrira droit à une exonération des cotisations patronales de sécurité sociale compensée par le budget de l'Etat.

Enfin, l'équilibre est assuré entre les diverses incitations proposées aux partenaires du contrat. Pour l'employeur, le coût du travail bénéficie de l'allègement procuré par l'aide départementale, en échange de la mise en _uvre d'un tutorat, d'un suivi individualisé ou d'une formation. Le respect de ces obligations sera conditionné par une convention entre l'employeur et le département. Pour les allocataires, le RMA offre la sécurité d'une rémunération constante à la différence de l'intéressement dans le secteur privé qui se caractérise par une dégressivité continue et la complexité de ses calculs.

Mmes Martine Billard et Hélène Mignon - Il fallait l'améliorer !

M. le Ministre - Mais surtout, les droits garantis au titre du revenu minimum d'insertion, notamment la CMU et la CMU complémentaire, tant pour l'allocataire que pour sa famille, sont maintenus. De surcroît, la rémunération en cas de maladie est maintenue, sans délai de carence ni référence à une ancienneté minimale dans l'entreprise. Les autres droits sont proportionnels aux cotisations assises sur la part de rémunération à la charge directe de l'employeur : la rémunération nette et, partant, l'attractivité du travail en sont améliorées. Le revenu minimum d'activité donne donc la préférence à la protection sociale et laisse à l'étape suivante de l'emploi ordinaire la plénitude des droits contributifs à pension de retraite de base ou complémentaire.

Le projet de revenu minimum d'activité a suscité des interrogations multiples. Pour certains, la création du RMA s'apparente à un workfare à la française, c'est-à-dire un dispositif où les pouvoirs publics exigent des personnes sans emploi qu'elles effectuent des travaux d'utilité collective ou entreprennent une formation professionnelle, en contrepartie du versement d'allocations publiques. C'est faux. En effet, le projet ne modifie pas la loi en vigueur et l'attribution du revenu minimum d'insertion n'est pas conditionnée par une activité qui serait imposée. Elle répond au contraire à des critères objectifs fixés au plan national et est assortie, selon les termes de la loi de 1988, d'un « engagement réciproque » entre la collectivité et l'allocataire.

M. Bernard Derosier - Et le RMA ?

M. le Ministre - C'est la même chose !

De surcroît, cet engagement ne porte pas sur la seule insertion professionnelle, mais s'attache aussi à l'insertion sociale, comme l'accès aux soins.

On est donc loin du workfare !

Telles sont les caractéristiques du RMA, qui a pour seul but de rétablir l'égalité des chances pour l'accès à l'emploi au profit des allocataires les plus en difficulté.

Une société comme la nôtre ne peut pas laisser au bord de la route un nombre aussi important de nos concitoyens, allocataires du RMI. Leur nombre a doublé depuis l'instauration du dispositif pour se stabiliser aujourd'hui à un million de personnes, voire le double si l'on compte les membres de chaque foyer.

Les Français attendent une réforme vigoureuse et rapide. Ils souhaitent que les valeurs de responsabilité et d'engagement personnel nourrissent davantage la chaîne de solidarité qui fait l'honneur de notre pays.

Moins d'assistance passive, plus de soutien actif. Ce projet est animé par une conception dynamique de notre pacte social (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF).

Mme Christine Boutin, rapporteure au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - L'Assemblée nationale est appelée à examiner le projet de loi portant décentralisation du revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité, déposé sur le bureau du Sénat le 7 mai dernier et adopté par celui-ci le 28 mai.

Les dispositions les plus notables, adoptées par le Sénat, consistent en l'abrogation de l'obligation pour les départements d'inscrire à leur budget des crédits équivalents à 17 % des sommes versées l'année précédente, au titre de l'allocation du RMI et en l'assouplissement de la durée hebdomadaire du contrat insertion-revenu minimum d'activité.

Personne ne remet en cause le RMI, mais force est de constater l'insuffisance de son volet « insertion », et la nécessité de prendre des mesures pour favoriser le retour à l'emploi.

Je ne reviendrai pas sur la nécessité de réformer la gestion du RMI, largement reconnue.

Ce projet repose sur deux piliers. Tout d'abord, les conseils généraux deviennent les principaux acteurs de l'insertion, à compter d'une date qui fera l'objet de nos échanges.

M. Patrick Roy et Mme Muguette Jacquaint - Ah ?

Mme la Rapporteure - Les conseils généraux trouveront dans les transferts de charges les compensations de cette nouvelle responsabilité.

Ensuite, la création d'un RMA est, pour les personnes en difficulté, une nouvelle chance de s'insérer par une activité professionnelle rémunérée.

Aujourd'hui, le million d'allocataires du RMI doit nous importer plus que toutes les considérations d'ordre budgétaire, aussi les débats de la commission des affaires sociales ont-ils accordé la priorité à l'aspect humain, à la valeur du travail, de l'insertion, et au nécessaire équilibre financier. En effet, nous ne devons jamais perdre de vue qu'il s'agit d'abord dans ce texte, de personnes en situation extrêmement fragile. Telle a été en tout cas la volonté de la commission.

Conformément à nos engagements électoraux, il importait de rappeler par la loi que le travail est l'expression la plus haute de la dignité humaine, porteur de sens à la fois sur le plan individuel et collectif. Il n'existe pas de plus bel objectif politique, de plus belle action sociale que de redonner à chacun la possibilité d'être l'artisan de sa propre subsistance et d'exercer sa pleine responsabilité.

Le RMA sera ouvert à la fois au secteur marchand et au secteur non marchand - c'est toute l'innovation de ce texte. Je salue tout particulièrement les chefs d'entreprise, beaucoup plus nombreux qu'on le croit, prêts à accueillir des personnes au RMA. Certains dénoncent la compensation financière qui leur sera accordée en contrepartie, au motif qu'elle créerait un effet d'aubaine. Je ne comprends pas cette critique, qui témoigne d'une profonde ignorance des impératifs à la fois économiques et sociaux. Le chef d'entreprise qui embauche une personne au RMA, par définition fragile, devra lui consacrer beaucoup de temps pour qu'elle réapprenne les contraintes du travail. Par ailleurs, le premier objectif de l'entreprise est la rentabilité économique, objectif peu conciliable, dans un premier temps, avec l'emploi de personnes au RMA.

Reprendre une activité professionnelle, même à temps très partiel, même dans un emploi peu qualifié, demeure néanmoins un défi hors de portée pour certains de nos concitoyens, du moins dans l'immédiat. Ils ne doivent néanmoins pas être oubliés. C'est pourquoi, à côté de la valeur de l'insertion par le travail, la commission a tenu à réaffirmer celle des actions de réinsertion sociale ne passant pas par le travail. C'est ainsi qu'elle a adopté un amendement rétablissant le bénéfice du RMI pour l'allocataire du RMA en cas de rupture de son contrat de travail. En effet, le RMI est pour certains une allocation de réelle survie.

La commission a recherché un équilibre entre conseil généraux, entreprises et candidats au RMA. Son amendement qui rendait le recours suspensif pour un RMA a été déclaré irrecevable au titre de l'article 40.

Elle a également tenu à affirmer que les allocataires du RMI ne sont ni des fraudeurs ni des profiteurs. Certes, il en existe, mais mon expérience de conseiller général depuis vingt ans me permet de dire que leur nombre est vraiment marginal. Il est trop communément admis dans l'opinion française qu'être au RMI, c'est être paresseux ou profiter de l'assistance. Nous devons dénoncer cette idée fausse...

Mme Muguette Jacquaint - Très bien !

Mme la Rapporteure - ...et lutter contre d'éventuelles attributions abusives du RMI. Que la responsabilité du RMI ait été clairement donnée aux conseils généraux, ce qui favorise la gestion de proximité, permettra d'en diminuer le nombre.

Il existe une définition précise de la fraude dans le code pénal. La notion de profiteur est, elle, plus difficile à appréhender, quasiment impossible à définir en droit. Nous aurons l'occasion d'y revenir, car il serait regrettable que l'existence de quelques pique-assiette sociaux aboutissent à la stigmatisation des plus fragiles d'entre nous.

La commission, qui a examiné 136 amendements, en a adopté 46, dont 43 de votre rapporteur. 13 d'entre eux ont été cosignés par des députés appartenant à tous les groupes de l'Assemblée. Je me contenterai, à ce instant, de vous présenter les plus importants.

Ainsi avait-elle adopté un amendement à l'article 3 tendant à préciser les conditions de compensation, de façon que les départements puissent effectivement rembourser les frais de gestion administrative du RMI aux CAF, organismes payeurs - amendement, hélas, déclaré irrecevable. Il eût pourtant été opportun, à l'occasion de cette décentralisation, de clarifier la gestion du RMI. En effet, les CAF gèrent depuis l'origine le RMI, sans jamais avoir obtenu quelque compensation que ce soit, ce qui fait supporter à la branche famille des charges indues.

M. Jean-Marie Geveaux - C'est le jeu de la solidarité.

Mme la Rapporteure - Non, ce n'est pas cela, la solidarité.

S'agissant de la suspension du RMI, la commission a subordonné la suspension du versement à un avis conforme de la commission locale d'insertion. Il ne s'agit nullement de limiter les pouvoirs des présidents de conseils généraux, mais de donner une dimension collective à une décision grave, qui ne doit être prise qu'à plusieurs. Nous savons tous que certaines personnes touchent aujourd'hui le RMI alors même qu'elle n'ont pas de contrat d'insertion, dont la loi fait pourtant une condition de l'attribution du RMI. Or, nous ne pourrions rien en droit contre un président de conseil général qui, à ce motif, suspendrait le versement de l'allocation. Cette décision, inattaquable en droit, risquerait pourtant d'avoir de très graves conséquences pour la personne et sa famille, dès lors privés de tout moyen de survie.

La commission a également rétabli par amendement à l'article 28 l'obligation, supprimée par le Sénat, faite aux départements d'inscrire à leur budget de l'année n au titre de l'insertion, 17 % des sommes consacrées au RMI l'année n-1. Il s'agit de garantir une réelle politique de l'insertion dans tous les départements. L'amendement en question tend aussi à apurer les reports, de façon que la décentralisation du RMI démarre sur des bases saines. Le débat est ouvert sur la question.

Le RMA, créé par l'article 35, est un contrat de travail atypique, visant à favoriser l'insertion professionnelle mais aussi sociale des allocataires du RMI. C'est pourquoi la commission a tenu à qualifier de salaire l'ensemble des revenus du RMA, faisant ainsi entrer celui-ci dans le champ ordinaire du droit du travail et de la protection sociale.

Mme Muguette Jacquaint - Très bien !

Mme la Rapporteure - Le RMA sera composé du montant forfaitaire que représente le RMI pour un célibataire, complété par l'employeur au prorata du nombre d'heures au-dessus de vingt heures, payées au SMIC horaire. De deux choses l'une : soit l'on considère que le RMA vise effectivement à réinsérer la personne, et il doit relever du droit du travail ; soit l'on considère qu'il n'est qu'une étape supplémentaire vers la réinsertion, et il s'agit alors d'un nouveau contrat aidé ou d'accompagnement. La commission a souhaité donner un signal fort en faisant des bénéficiaires du RMA des salariés comme les autres. C'est une marque de confiance dans leur capacité à travailler et à se relever. Se pose certes la question des cotisations sociales, tant à la charge de l'employeur que du salarié. Mais des solutions existent. Nous aurons l'occasion d'en reparler.

Enfin, la commission a adopté un amendement à l'article 41 tendant à reporter l'application de la loi au 1er janvier 2005, avec la possibilité pour les départements d'en expérimenter les mesures dès le 1er janvier 2004, comme le permet désormais la Constitution. Sur ce point non plus, le débat n'est pas clos.

La commission, modifiant certes sensiblement le texte du Sénat, est parvenue à trouver un réel équilibre, rendant les dispositions à la fois pleinement humaines et pleinement efficaces. Je souhaite que notre débat en séance publique ait la même tenue qu'en commission et que la belle perspective de venir en aide aux plus fragiles d'entre nous permette de dépasser nos clivages partisans légitimes.

Comme vous l'aurez constaté, j'ai pu exprimer, ce qui n'est pas courant ici, le point de vue d'un rapporteur en toute liberté. J'en remercie la majorité à laquelle j'appartiens et souhaite que cette « première » soit suivie de nombreuses autres. C'est par un véritable débat démocratique que nous pourrons réconcilier les Français avec la politique et renforcer les principes républicains auxquels nous sommes tous très attachés.

Je tiens à remercier les membres et les administrateurs de la commission, ainsi que son président. Je salue également le ministre des affaires sociales et ses collaborateurs, toujours attentifs à mes remarques.

Les amendements de la commission n'ont eu d'autre visée que de rechercher l'équilibre entre tous les acteurs. Je suis convaincue que ce texte ouvre le chemin vers un revenu minimum pour tous, vers l'idée qui m'est chère d'un « dividende universel », qui tiendrait compte de la réalité fluctuante de l'emploi tout en éradiquant la très grande pauvreté. Je ne peux que m'en réjouir, en soutenant ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme Marie-Anne Montchamp, rapporteure pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du plan - La commission des finances a souhaité se saisir pour avis de ce projet afin de souligner la dimension financière de cette réforme ambitieuse, sociale d'abord, mais également emblématique de l'acte II de la décentralisation.

En effet, vous donnez tout son sens à l'insertion par l'activité, alors que, quinze ans après la création du RMI, une véritable résignation semblait s'installer. Vous faites le choix d'une prestation bien connue de nos concitoyens, sujette à tous les commentaires, voire à toutes les critiques. Vous faites le pari de lancer, dès le premier janvier prochain, une réforme rapide et déterminée. Ainsi, vous avez, Monsieur le ministre, une nouvelle fois pris le parti du réalisme et de la responsabilité. Soyez-en remercié. Vous nous proposez des solutions pour rénover un dispositif en semi-échec, disiez vous hier dans cet hémicycle. Mais le courage de ce Gouvernement, le vôtre, c'est d'engager résolument une politique sociale refondée, tournée vers l'activité plutôt que vers l'assistance, vers la responsabilisation plutôt que vers la compassion, vers la proximité plutôt que vers le jacobinisme.

Alors que l'on reconnaît unanimement la compétence des départements en matière d'action sociale, donc, implicitement, l'intérêt majeur de la décentralisation du RMI, comment ne pas s'étonner des appels répétés et médiatisés à retarder l'entrée en vigueur de ce texte ? N'y a-t-il pas quelque incohérence à réclamer une réforme à la condition qu'elle soit différée ?

M. Augustin Bonrepaux - Qui la réclame ?

Mme la Rapporteure pour avis - Pourquoi se focaliser sur les ressources destinées aux départements et oublier qu'ils pourront bien mieux favoriser la réinsertion, l'accompagnement et le retour à l'emploi, donc accélérer la sortie de nombreux Rmistes du dispositif ?

Nos collègues sénateurs, à l'écoute des préoccupations des collectivités territoriales, ont dépassé cette controverse en adoptant ce projet sans en modifier l'entrée en vigueur.

L'adoption en première lecture du volet financier de la réforme, dans le cadre du PLF 2004, remplit la principale condition à la mise en _uvre de ce projet où est transcrit le nouvel article 72-2 issu de la révision constitutionnelle du 28 mars dernier. Si ce texte nécessite encore quelques améliorations, nos travaux en commission l'ont montré, il faut le soutenir, d'autant que la plupart des départements se disent prêts à l'appliquer dès le 1er janvier prochain. Nous devons adresser à nos concitoyens un message sans équivoque sur le thème de l'insertion, crucial pour nos équilibres sociaux : si toute personne qui se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence, s'il est de notre devoir de lui permettre de retrouver ou de développer son autonomie sociale, pour cela, il faut privilégier le retour à l'emploi dans sa forme la plus traditionnelle, l'insertion dans l'entreprise.

Pour autant, je n'ignore pas les incertitudes qui pèsent sur l'application concrète de la réforme. En 2004, la première tient à un effet de calendrier : l'application de l'accord conclu en décembre 2002 dans le cadre de l'UNEDIC va provoquer en janvier prochain un surcroît de sorties du régime de l'assurance chômage, donc un ressaut dans les demandes d'admission au bénéfice de l'allocation de solidarité spécifique ou du RMI. Vos services ont anticipé ce mouvement, que les services sociaux des conseils généraux connaissent eux aussi.

Une deuxième incertitude a trait à certaines modalités de la réforme de l'allocation de solidarité spécifique. Monsieur le ministre, vous avez pris l'engagement d'instituer pour les personnes qui perdraient le bénéfice de l'ASS une « passerelle » vers l'éligibilité au revenu minimum d'activité. Pouvez-vous en préciser les modalités ?

Les modalités techniques de la « prime de Noël », qui n'a plus d'exceptionnelle que le nom, suscite aussi des craintes qu'il serait bon d'apaiser. Je suppose que nous reparlerons de son financement à l'occasion du prochain collectif. Mais nous nous interrogeons aussi sur les conditions juridiques et financières de sa reconduction, pour un montant de 225 millions...

Je souhaite aussi évoquer la question des charges de personnel que les départements vont devoir supporter à partir de 2004 pour assumer leurs compétences nouvelles. Je pense en particulier aux mouvements d'agents de l'Etat observés cette année dans bien des départements. Merci, Monsieur le ministre, d'avoir répondu à ma préoccupation.

Quant aux économies de gestion, elles sont nécessaires, si j'en juge par la situation dans mon propre département, le Val-de-Marne. Ce n'est pas le moindre mérite de cette réforme que de rationaliser la gestion du RMI, dont le traitement local a été critiqué tant par la Cour des comptes que par l'inspection générale des affaires sociales. Cela rend d'autant plus critiquables les dérives strictement politiciennes destinées à nourrir une regrettable suspicion.

Enfin, je voudrais aborder le thème plus large de la péréquation entre départements...

M. Augustin Bonrepaux - Elle n'y est pas !

Mme la Rapporteure pour avis - ...que j'entends réclamer, parfois avec véhémence, comme un dû plutôt que de façon responsable. J'ai pu me rendre compte de la diversité des situations départementales au regard du RMI ; la péréquation est donc nécessaire.

Au moment où nous entamons le nouveau chantier de la décentralisation, je ne crois pas qu'il faille créer un fonds de péréquation pour chaque compétence transférée car nous nous retrouverions ainsi dans les travers de la lourdeur administrative.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du plan - Très bonne analyse !

Mme la Rapporteure pour avis - La péréquation doit donc être globale, et s'apprécier tous transferts confondus. Ceux qui ont hâte d'en débattre en trouveront l'occasion avec le projet relatif aux responsabilités locales, qui vient d'être adopté par le Sénat.

M. Alain Gest - Très bien !

Mme la Rapporteure pour avis - S'agissant du RMA, la commission des finances s'est essentiellement attachée à examiner l'équilibre entre l'attractivité qu'il doit offrir par rapport à l'inactivité et la marge qu'il doit laisser subsister pour ne pas concurrencer l'emploi ordinaire.

Destiné à la fois aux secteurs marchand et non marchand, calibré de telle sorte qu'il soit systématiquement préférable à un RMI sans pour autant concurrencer l'emploi non aidé, le RMA devrait, à l'issue de nos débats, être pleinement opérationnel. Il y a urgence, car il sera l'accompagnement vers l'emploi, indispensable quand le Rmiste n'a pu, avec le parcours d'insertion qui lui est proposé ordinairement dans le dispositif, retrouver un emploi « traditionnel ». Alors qu'un tiers d'entre eux trouvent une solution d'insertion en moins de six mois, que 45 % ont besoin d'un an pour y parvenir, 22 % des bénéficiaires restaient sur le bord de la route. Avec le RMA, ils pourront bénéficier d'un véritable tutorat vers l'insertion professionnelle, au c_ur de nos entreprises, en particulier, je l'espère, des PME et des TPE. A ce titre, l'échelon territorial est fondamental.

Des assurances nous ont été apportées quant aux modalités du transfert de compétence. Dans l'attente de la fixation définitive des fractions de TIPP attribuées à l'ensemble des départements ainsi que des pourcentages du produit de la taxe qui leur seront dévolus, soutenons cette réforme nécessaire et attendue dont nous proposerons une évaluation aussi précoce, aussi complète et aussi transparente que possible.

Grâce à cette « clause de revoyure », le transfert peut être organisé en confiance. Car il s'agit bien d'un transfert ! Où seraient la décentralisation et la responsabilisation des départements, désormais seuls pilotes de l'insertion, si le texte se contentait de majorer la dotation globale de fonctionnement ? Tel n'est pas l'esprit de la loi constitutionnelle !

La décentralisation en actes, c'est celle qui nous est proposée dans ce projet. Elle commande l'implication réelle des acteurs locaux. A eux de faire la preuve de leur savoir-faire, immense dans le champ social. Le récent épisode de l'allocation personnalisée d'autonomie alimente les craintes, jusque parmi des partisans fervents de la décentralisation.

Ce gouvernement et cette majorité ont sauvé cette prestation ; à ce titre, ils sont, plus que d'autres, fondés à faire valoir leur expérience et leur sens de la responsabilité.

M. Alain Gest - Très bien !

Mme la Rapporteure pour avis - Les erreurs commises lors de la création de l'APA ne se reproduiront pas cette fois puisque le dispositif est déjà monté en charge. De plus, une ressource est transférée aux départements, dont je ne doute pas que le ministre nous indiquera le montant initial.

Dorénavant, les conseils généraux seront dotés des outils leur permettant d'assumer pleinement leur rôle de maître d'_uvre de l'insertion, l'Etat restant le garant de l'égalité fondamentale entre tous les bénéficiaires du RMI.

Avec cette réforme, l'insertion trouve un souffle nouveau grâce à la gouvernance décentralisée de notre République (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président de la commission des affaires sociales - Depuis longtemps, l'Etat aide les départements à conduire de nombreuses politiques d'aide sociale. Mais, s'il existait déjà des allocations pour les personnes âgées, les mères célibataires ou les handicapés, rien n'était prévu pour tous les autres. Le RMI a donc été conçu comme un dernier filet de sécurité, rompant quelque peu avec la logique du versement d'une allocation sans que rien ne soit demandé en échange.

Le RMI entendait rompre avec cette philosophie. Sa grande originalité était le « I », le volet insertion. Pour la première fois dans notre histoire sociale, une allocation était offerte contre un engagement de se socialiser, de faire des démarches pour retrouver une « employabilité ».

Quinze ans après sa création, et cinq ans après la loi contre les exclusions, le bilan est contrasté. Si le RMI reste incontournable dans l'optique de la lutte contre la pauvreté, son impact en termes de retour à l'emploi est resté très en deçà des espérances. Que faire aujourd'hui ? Ne rien faire serait accréditer l'idée d'une certaine normalité de l'exclusion. Ce serait oublier que le chômage est vécu comme une perte de statut, dans une société où le travail reste la première forme de reconnaissance d'une utilité sociale. Ce serait oublier que le chômage est synonyme de dévalorisation, d'ennui, d'angoisse, de mépris et d'insécurité, que les relations sociales et familiales en sont altérées... Ne rien faire, c'est aussi prendre le risque qu'un abîme de préventions sépare, chaque jour davantage, les RMistes et les salariés modestes. Pour beaucoup d'entre nous, le RMI est un légitime subside versé aux plus démunis. Mais pour beaucoup de salariés modestes, dont les conditions de vie ne sont guère meilleures, c'est un système de faveur où beaucoup se complaisent... Le différentiel entre les bas salaires et le RMI s'est certes accru depuis sa création, mais le ressentiment ne s'en développe pas moins, dans les couches sociales les moins favorisées, entre ceux qui travaillent et ceux qui perçoivent une aide sociale. Qu'on le veuille ou non, cet aspect du RMI est un échec. Les revenus minimum expérimentés en Europe ont en partie échoué pour ce qui est de la réinsertion, pour ne pas avoir su régler l'articulation entre l'obligation, le contrat et le bénévolat. Ils ont souvent enfermé les populations dans la trappe du chômage, pendant que les salariés modestes se sentaient oubliés.

Il existe aujourd'hui dans notre pays un consensus sur la nécessité de réformer le RMI. Nous le savons tous, l'humanité et l'équité exigent de préserver un revenu minimum pour toutes les personnes qui ne bénéficient pas de ressources minimales équivalentes à celles qu'il garantit. La commission a tenu à réaffirmer l'importance des mesures d'insertion sociale, qui sont souvent un préalable au retour à l'emploi. La réforme du RMI ne saurait donc se réduire à la seule promotion du retour à l'emploi. C'est ce qu'a très bien dit Mme Boutin, qui mérite les vives félicitations des membres de la commission pour la qualité de son travail, même si elle n'est pas le premier rapporteur à défendre vigoureusement ses idées et à se battre pour faire évoluer un texte.

Cela étant, nous devons gommer, aussi intelligemment que possible, la distinction classique entre le travailleur et le bénéficiaire de l'aide sociale. Nous devons rendre moins étanche la frontière qui les sépare, et tout faire pour que ceux qui le désirent aient accès à l'emploi. Ce qui signifie établir une différenciation entre trois niveaux de revenu, correspondant respectivement à l'assistance, à l'insertion en cours, à l'insertion réussie : ce sont le RMI, le RMA, et le salaire minimum de droit commun. M. Fillon a donc présenté ce projet tendant à remanier le RMI pour accroître le taux d'activité de ses bénéficiaires. Je rappelle que l'idée de changement était au c_ur même de la loi de 1988, qui prévoyait une obligation biennale d'évaluation : ainsi, d'emblée, il était apparu nécessaire de pouvoir adapter le dispositif.

Le présent projet tend tout d'abord à décentraliser le RMI, pour optimiser sa gestion. Cette option, évoquée dès 1992, permettra de sortir d'un copilotage par l'Etat et le département qui a montré ses limites, afin d'instaurer une unité d'action dans le département. La notion de proximité est fondamentale en matière d'action sociale.

Les départements ont déjà reçu cette compétence, ils ont l'expérience et le savoir-faire : il est logique de poursuivre dans cette voie, grâce à une réforme qui devrait permettre un meilleur traitement des situations individuelles. L'architecture de base du RMI n'est pas affectée : il reste une prestation de solidarité nationale, un bloc de règles communes persiste, la définition du montant et des critères d'attribution demeure au niveau national, et l'Etat conserve un pouvoir de contrôle et d'évaluation. Le département et l'Etat continueront d'ailleurs à coopérer.

Le texte initial prévoyait une obligation d'inscrire au budget départemental un crédit d'insertion au moins égal à 17 % du montant des allocations du RMI versées l'année précédente. Le Sénat a supprimé cette obligation ; notre commission l'a rétablie. On peut certes en discuter : à bien des égards, elle contredit l'idée même de décentralisation et la volonté de donner au département la capacité de décision. Du reste, la montée en puissance du RMA devrait réduire pour chaque département les besoins d'insertion. Mais nous avons le souci de rassurer les associations sur le fait que les départements ne lèvent pas le pied. La portée opérationnelle de cette obligation devra être exactement appréciée : nous y reviendrons dans le débat.

Ce débat nous permettra aussi de revenir sur la question du financement exact et des moyens humains donnés aux départements pour mettre en _uvre cette réforme. Je sais que le Gouvernement a pris en compte sur ce point les inquiétudes des départements. Pour ma part, je souhaite une application rapide de ce texte : l'intronisation du département comme pilote unique doit être facilitée par le maintien de la gestion aux mains des caisses d'allocations familiales et des caisses de la MSA, qui en ont l'expérience.

Le deuxième objectif du projet est d'encourager l'accès ou le retour à l'activité grâce au RMA, qui doit aider à sortir de l'assistance et rendre l'emploi financièrement attractif. L'idée est de mettre en contact avec le monde du travail les RMistes qui en sont le plus éloignés. Pour cela, il s'agit d'activer la dépense du RMI, transformée en une aide à l'employeur qui embauchera son bénéficiaire. Le RMA est un contrat à mi-temps de vingt heures au moins, accompagné d'actions de tutorat, de suivi et de formation. Sa durée ne pourra excéder dix-huit mois, pour éviter une installation dans le système. Son bénéficiaire conservera la qualité de RMistes et tous les droits connexes, notamment pour ce qui concerne la CMU et la CMU complémentaire.

Le projet initial limitait l'accès au RMA aux personnes qui étaient au RMI depuis au moins deux ans. Certains auraient estimé plus judicieux de « capter » les gens le plus tôt possible. Mais nous n'avons pas souhaité cibler le RMA sur des gens qui seraient capables de sortir du RMI par eux-mêmes. Votre commission a donc maintenu un délai, mais en le ramenant à un an.

Nous avons eu en commission des débats approfondis, avec le souci que le RMA colle à la réalité des situations. La crainte qu'il engendre des effets d'aubaine nous est apparue infondée. L'embauche d'une personne qui est au RMI depuis un an ou deux n'est pas un choix anodin pour l'employeur, c'est une décision qui l'engage. Pouvons-nous d'ailleurs nous passer de ce type de discrimination positive pour remettre sur le chemin du travail ceux qui en sont le plus éloignés ? Et cela, qui plus est, dans le secteur marchand ! Car la nouveauté du RMA est d'ouvrir aux RMistes une chance d'insertion sur le marché privé de l'emploi. C'est un virage par rapport à l'offre habituellement réservée aux publics les plus en difficulté.

L'équilibre de la loi de 1988 n'est pas transformé. Ce projet est un pas vers la remise à plat complète, que vous avez engagée, Monsieur le ministre, de la lutte contre le chômage et la précarité. D'autres projets viendront, sur les questions d'insertion. Notre pays connaît depuis vingt ans une extension continue, à grande échelle, de la pauvreté et de l'exclusion, qui brise la cohésion sociale.

M. Augustin Bonrepaux - Vous allez l'aggraver !

M. le Président de la commission des affaires sociales- Ne m'obligez pas à chercher les responsabilités... A cette évolution catastrophique on ne pourra pas remédier tant qu'on ne fera pas tout pour remettre les gens sur le chemin du travail, et surmonter la dichotomie dangereuse entre travail et assistance (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La séance, suspendue à 17 heures 45, est reprise à 18 heures.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - Je suis saisi par M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste d'une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Jean Le Garrec - Le débat est difficile, et je l'engagerai avec modestie, sans donner de leçons de morale, mais au nom de mes convictions, qui sont grandes, et avec gravité, car pour avoir travaillé ce sujet en 1988 et en 1993, je connais l'ampleur des problèmes qui se posent à nous.

C'est avec raison que l'économiste Joseph Schumpeter a établi la théorie de la création destructive, signifiant de la sorte que nos sociétés peuvent créer des richesses immenses, mais aussi en détruire autant qu'elles en créent, et d'abord sur le plan social. C'est ce phénomène que nous avons voulu combattre, c'est cette casse sociale que nous avons voulu éviter. De nombreux députés, sur tous les bancs, se sont engagés dans cette action, tant sur le plan local que sur le plan national, et je les en remercie, comme je remercie les grandes figures que furent, dans ce combat commun, Geneviève Anthonioz-de Gaulle et le père Joseph Wrezinsky.

On ne peut mener un tel débat sans porter un regard attentif sur notre société. Vous avez parlé de « morale », Monsieur le ministre - ce n'est pas mon problème, car je n'en ai qu'une : la morale républicaine. Vous avez aussi évoqué la nécessité de renouveler l'approche de la solidarité : c'est ce à quoi nous nous sommes employés en permanence, notamment avec le programme TRACE. Vous avez, aussi, fait allusion à je ne sais quelle méfiance envers les acteurs locaux : c'est faux ! Qui, sinon nous, a inscrit dans la loi de 1993 le rôle fondamental des centres communaux d'action sociale ?

Et puis, vous avez parlé de « ceux qui se flattent d'une tradition d'assistance », expression dont le sens m'échappe. Je préfère, quant à moi, évoquer la tradition républicaine de solidarité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Nous n'avons jamais « flatté » Emmaüs ou ATD Quart monde ; nous nous sommes efforcés de les aider !

Quant aux résultats de l'enquête que vous avez citée, selon laquelle de nombreux Français estiment qu'il faut réduire les indemnisations après une longue période de chômage, je les connais et je les prends très au sérieux. Elu d'une circonscription populaire, je connais ces réactions et je les combats, comme nous devons le faire tous au risque, sinon, que ces dérives ne finissent par nous emporter, et l'on sait de quel côté (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

En présentant votre budget, le 5 novembre, vous avez dit que « le travail vaut mieux que l'assistance ». Mais, sans vouloir vous offenser, c'est une lapalissade ! Que veulent les chômeurs, les RMistes, tous ceux qui vivent dans la précarité, sinon trouver du travail ? Et puis, en ajoutant qu'il faut « réhabiliter le travail », ne vous inscrivez-vous pas, inconsciemment, dans la lignée de tous ceux qui vilipendent « la France paresseuse », comme le fait Nicolas Baverez dans son affreux pamphlet ? On connaît ce discours sur les classes populaires, « classes dangereuses », et il n'a pas changé ! Après M. Michelin, qui imputait la défaite de 1940 aux congés payés, c'est M. Pébereau qui se croit autorisé, depuis son grand bureau, à une incitation méprisante, invitant chaque Français à troquer « une demi-heure quotidienne de télévision contre une demi-heure de travail supplémentaire » ! C'est une phrase insultante, méprisante et dangereuse.

Un député UMP - Ça suffit !

Mme Elisabeth Guigou - Il a raison ! (« Pas ça ! Pas vous ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean Le Garrec - Allez donc dire aux ouvriers des usines du Nord, aux salariés de Métaleurop qui rebattent comme des chiens pour sauver leur entreprise alors qu'ils ont bouffé de l'amiante et du plomb toute leur vie, qu'il faut « réhabiliter le travail » ! Lisez plutôt Aurélie Filipetti, qui rappelle que pour les sidérurgistes lorrains, aller à la mine c'était « aller au chagrin » ! Voilà qui dit tout !

Quoi que vous en pensiez, le travail reste une valeur cardinale dans notre pays. Et le rapport demandé par le Premier ministre - pour se convaincre, peut-être ! - au Conseil économique et social sur la place du travail dans la société française établit clairement que ce n'est pas la moindre durée du travail qui est source de démotivation, mais que la précarité en est un facteur bien plus puissant. Je pourrais multiplier les exemples, et citer toutes ces enquêtes et ces études qui démontrent à l'envi que nombreux sont les RMistes qui ont repris un emploi sans y trouver d'intérêt financier - et même, pour certains, en y perdant ! Elles émanent de l'INSEE et du CNRS, mais Martin Hirsch, président d'Emmaüs France dit la même chose. Les gens ont envie de travailler, voilà la vérité ! Qu'il y ait des tricheurs, c'est probable, mais le phénomène est marginal. Des constatations que j'ai pu faire, il doit s'agir d'un pour cent des chômeurs. Aussi, laissons cela de côté, et examinons plutôt la situation des six millions de personnes à la recherche d'un emploi et pour lesquelles le travail est une valeur fondamentale.

Comment nier l'impact de la course à la productivité et à ces délocalisations, dont M. Guillaume Sarkozy juge bon de s'enorgueillir ? Qui peut nier, encore, la difficulté de maîtriser les nouvelles technologies ? Voilà tout ce qui doit nous faire réfléchir ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste)

Mme la Rapporteure pour avis - Que ne l'avez-vous fait !

M. Jean Le Garrec - Et que contenaient donc les lois de 1988 et de 1993, dont je suis très fier ?

Nous avions trois objectifs. D'abord, ne laisser personne au bord de la route... Ensuite, garantir des droits fondamentaux, des citoyennetés...

M. Patrick Roy - Nous l'avons fait !

M. Jean Le Garrec - Eviter enfin, par une double démarche d'insertion sociale et professionnelle ce que vous appelez « l'enfermement dans l'espace unique de la solidarité ». Nous avons voulu ouvrir de nouvelles pistes : économie solidaire, besoins non satisfaits, validation des acquis, rapport au temps de travail... Là est le véritable enjeu : de la même manière que le déclin de l'agriculture dans les années 1960 s'est opéré au profit du développement industriel, le développement industriel non-créateur d'emplois exige aujourd'hui de rechercher de nouveaux espaces. Or, c'est une révolution du rapport au travail. Il n'est que de voir avec quelle hargne certains incriminent le temps de travail !

Le problème, Monsieur le ministre, n'est pas là. Il est - pas seulement en France mais dans toute l'Europe - celui d'une société en crise qui doit trouver de nouveaux espaces d'emploi. Si l'offre est insuffisante, tous les dispositifs du monde ne sauraient répondre à cette question fondamentale.

M. Patrick Roy - Excellente analyse !

M. Jean Le Garrec - Du reste, vous le savez bien. Qui peut mesurer les conséquences de vingt-cinq ans de chômage de masse sur les comportements ? On l'a bien vu sous le gouvernement Jospin, la création de 2 millions d'emplois a permis de desserrer l'étau.

Selon l'INSEE, 17 % des RMmistes, définitivement cassés par l'assistance, n'en sortent que par l'âge, la retraite ou l'attente. Ce chiffre terrible suffit à donner la mesure de la réalité. Voici ce qu'écrit Robert Castel dans son dernier livre, L'insécurité sociale : « C'est donc bien autour de l'emploi que continue à se jouer une part essentielle du destin social. Mais la différence par rapport à la période antérieure, c'est que si le travail n'a pas perdu son importance, il a perdu beaucoup de sa consistance, dont il tirait l'essentiel de son pouvoir protecteur ». Et il ajoute : « Il y avait un statut de l'emploi qui échappait largement aux fluctuations du marché et aux changements technologiques, et constituait une base stable de la condition salariale ». Aujourd'hui, on assiste à une fragmentation des emplois, avec la multiplication des contrats de travail atypiques et la flexibilisation des tâches. Il en résulte une multiplication des situations de hors droit mal couvertes par le droit, qu'Alain Supiot appelle « les zones grises de l'emploi » et qui concernent près de six millions de personnes.

On ne peut ignorer cette réalité sociale qui naît d'une transformation en profondeur des modes de production et du rapport au temps. Nous l'avons parfois appris à nos dépens, Monsieur le ministre. Ecoutez donc la leçon que nous en tirons.

Je crains que votre volonté - dont je ne doute pas - vous conduise à agir à la hâte, en négligeant cette réalité sociale.

Pour ce qui est de la décentralisation, nous souhaitons bien également agir au plus près du terrain. N'avons-nous pas créé les commissions locales d'insertion, les plans locaux pour l'insertion et l'emploi ? Il faut certes simplifier les procédures, lutter contre la bureaucratisation et nous rapprocher encore du terrain. Nous l'avons toujours dit, mais nous nous sommes heurtés à des obstacles. Tant mieux si certains disparaissent.

Je crains en revanche que vous ne confondiez décentralisation et désengagement de l'Etat.

M. Patrick Roy - C'est ce qui va arriver !

M. Jean Le Garrec - Je ne sais quand le débat s'achèvera... Il faudra aussi compter avec la saisine du Conseil constitutionnel et le délai nécessaire à la publication des décrets d'application. La présidente de la CAF est du reste inquiète : il faudra s'assurer que, grâce aux avances de trésorerie, le versement du RMI ne souffrira aucun retard.

M. le Ministre - Cela va de soi !

M. Jean Le Garrec - L'inquiétude n'en est pas moins réelle.

M. Patrick Roy - Ce sont encore les départements qui paieront !

M. Jean Le Garrec - Je suis en désaccord total avec la réforme de l'allocation de solidarité spécifique, mais la décision est prise. Vous venez de dire que vous ne compenserez les charges transférées aux départements qu'en 2005. Il faudra bien passer l'année 2004, et il s'agit tout de même de 130 000 personnes. Quant à la suppression du bonus de 40 % des salariés de plus de 55 ans qui perçoivent l'ASS, c'est une petite économie vraiment très médiocre. La subvention de l'Etat au fonds de solidarité a déjà diminué de 170 millions. 540 conseillers de l'ANPE spécialisés sur le RMI sont rémunérés à 50 % par l'Etat et à 50 % par le département. L'Etat se désengage et le budget de l'ANPE s'en trouve réduit d'autant. Aux conseils généraux de prendre le relais ! 100 coordinateurs de l'ANPE placés auprès des préfets subiront le même sort. Au 1er janvier 2004, 180 000 demandeurs d'emploi sortiront du système d'indemnisation. Toucheront-ils l'ASS, le RMI ? Nul ne le sait. Or, ils seront 600 000 en deux ans à sortir du système d'indemnisation. Les chiffres sont là.

La mise en place du tutorat représente un effort considérable. Le suivi du RMA devrait mobiliser 2 000 à 3 000 personnes pour l'ensemble des conseils généraux. L'association nationale des directeurs de l'action sociale des conseils généraux, qui s'est réunie à Bordeaux les 18 et 19 septembre, s'en est émue. Il faudrait au moins six mois, selon ses responsables, et le passage en force est déraisonnable. Les présidents de conseils généraux de gauche protestent...

M. René Dosière - Pas seulement ceux de gauche !

M. Jean Le Garrec - ...et demandent au Premier ministre de reporter l'entrée en vigueur du dispositif. Vous avez annoncé des dispositions pour réduire les risques : évaluation des charges transférées en 2005, mise à disposition de personnels. Il n'en reste pas moins que je considère cette décentralisation comme un désengagement.

J'en viens au RMA. L'objectif constamment affirmé par MM. Belorgey, Evin ou par moi-même, a été celui de l'insertion par l'activité professionnelle, qui requiert dans la plupart des cas une insertion sociale, sauf à créer pour les personnes concernées des chocs terribles qui les mettront vite en situation d'échec dans l'entreprise.

Pour réussir, il faut une offre d'emplois. Laquelle ? Dans quelles conditions ? Nul ne le sait. Il faut aussi un accompagnement social, une formation qualifiante, une réadaptation à l'environnement.

Le RMA est un nouveau contrat de travail, à temps partiel, assorti de droits sociaux diminués, et d'une protection sociale précaire.

Mme Elisabeth Guigou - Exactement !

M. Jean Le Garrec - L'employeur déduira le montant du RMI du coût de la rémunération et utilisera pour 20 heures un salarié dont le coût sera égal au tiers du coût horaire de travail au SMIC. Un grand journal n'a-t-il pas titré « Trois RMA égalent un smicard » ? (« Caricature ! » sur les bancs du groupe UMP) C'est la réalité ! Le salarié n'aura de droits dérivés - droit à la retraite, droit à l'indemnisation en cas de chômage ou au RMI - que sur la part de salaire qui revient à l'employeur, soit 260 € pour 20 heures.

Mme Elisabeth Guigou - Voilà la réalité !

M. Jean Le Garrec - La rémunération d'un travail effectif n'est pas un salaire effectif, mais un mélange d'allocation et de salaire.

Mme Huguette Bello - C'est un scandale.

M. Jean Le Garrec - Voici une construction dangereuse, fragile, et contraire à la Constitution.

Vous avez la majorité suffisante pour faire voter le RMA, mais vous devrez prendre des précautions. L'insertion n'est pas de la compétence de l'entreprise qui poursuit d'abord un but économique. Le conseil général devra exercer un contrôle rigoureux. Pas moins de deux à trois mille référents seront nécessaires. Que de difficultés pour les conseils généraux ! Au passage, je souhaiterais que l'on rétablisse l'obligation de 17 % de mobilisation des moyens d'insertion. Certes, le rapport de la Cour des comptes révèle que cette obligation n'est pas respectée, même si certains départements accomplissent un gros travail, et je salue à cet égard le président du conseil général des Alpes-Maritimes avec qui j'en discutais hier.

La garantie de l'égalité des droits et de la solidarité nationale doit rester de la compétence de l'Etat.

Par ailleurs, certains articles de ce projet posent problème, et risquent d'inciter à la multiplication des RMA.

M. Patrick Roy - Hé oui !

M. Jean Le Garrec - L'article 35 du projet n'est-il pas ambigu lorsqu'il prévoit d'inscrire à l'article L. 322-4-15-9 du code du travail que le département peut prendre en charge tout ou partie du coût afférent aux embauches ? Le débat permettra sans doute de nous éclairer, mais grand est le risque de voir le RMA se substituer aux emplois réels, alors qu'il a pour but, et je ne le conteste pas, d'insérer les allocataires dans l'emploi - à moins de nommer emplois des tâches mal payées et sans avenir.

Vous avez déclaré, Monsieur le ministre, que le RMiste n'était pas financièrement incité à chercher du travail. Dans ce cas, le RMA n'y changera rien, en ce qu'il est un mélange hybride d'une allocation et d'une petite part de salaire classique. ATD Quart Monde a pu qualifier, à juste titre, ce contrat de dérogatoire, voire discriminatoire.

M. Alain Gest - Comme les emplois-jeunes !

Mme Muguette Jacquaint - Au moins, ils étaient payés au SMIC !

M. Jean Le Garrec - Votre projet est contraire à la Constitution. Tout d'abord, il porte atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales, et au principe d'attribution, en cas de transfert de compétences, de recettes équivalentes à celles consacrées à leur exercice, comme en dispose l'article 72 de la Constitution.

La décentralisation du RMI est totale et les départements deviennent seuls responsables de l'instruction des demandes, des attributions, du versement, du suivi des contentieux.

L'article 3 de votre projet dispose que les charges résultant, pour les départements, des transferts et créations de compétences réalisés par cette loi sont compensées par l'attribution de ressources constituées d'une partie du produit d'un impôt perçu par l'Etat dans les conditions fixées par la loi de finances. Il s'agit d'affecter une part du produit de la TIPP aux départements, laquelle évoluera chaque année en fonction de la consommation de carburant.

La responsabilité de la charge est transférée, mais non la détermination de la ressource, ce qui porte atteinte au principe de libre administration.

Ensuite, votre projet porte atteinte au principe d'égalité inscrit au onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, selon lequel « la nation garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».

Selon votre projet, seul le barème du RMI restera fixé au niveau national, tout le reste étant transféré aux départements - les modalités d'attribution de l'allocation et d'instruction des dossiers, le suivi des droits, l'accueil des bénéficiaires - sans aucun droit de regard de l'Etat. La recherche d'une certaine proximité dans la gestion du RMI ne doit pas ôter à la lutte contre l'exclusion son caractère national.

En l'absence de mécanisme de péréquation et de correction des inégalités entre les départements, les différences de traitement sont inévitables.

Enfin, votre projet porte atteinte aux alinéas 5 et 10 du préambule de la Constitution de 1946 : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi » ; « La nation assure à l'individu et à sa famille les conditions nécessaires à leur développement ».

Le RMA est défini, à l'article 35, comme un contrat de travail destiné à faciliter l'insertion professionnelle. Il s'agit en réalité d'une forme de travail forcé, en échange d'une rémunération. Le contrat de RMA déroge, par ailleurs, au droit commun du travail. La rémunération est versée en partie par le département et pour l'autre partie par l'entreprise. Les droits sociaux ne sont calculés que sur la part versée par l'entreprise, tandis que les droits à la retraite et au chômage sont largement inférieurs à ceux d'un salarié à temps partiel ayant le même niveau de rémunération.

Voici les trois arguments que nous développerons à l'appui de notre recours devant le Conseil constitutionnel.

M. le Premier ministre a affirmé que le dialogue social devait précéder la décision législative. Nous avons rencontré les associations concernées, qui connaissent parfaitement la situation et fournissent des efforts importants pour lier insertion sociale et insertion professionnelle. Si elles ont été reçues, elles n'ont pas été écoutées.

M. Patrick Roy - Hé oui !

M. Yves Durand - Comme d'habitude !

M. Jean Le Garrec - Le collectif ALERTE écrivait, il y a quelques jours, que les associations ne comprenaient pas une telle précipitation, alors que leur travail en commun avec l'ensemble des acteurs aurait abouti à un texte plus adapté.

Le bureau du Conseil national de l'insertion par l'activité économique, réuni hier, a adopté une déclaration qui demande le report du dispositif du RMA, en ces termes : « Tous les membres du bureau s'inquiètent d'un dispositif qui ne semble pas intéresser les futurs employeurs, notamment ceux du secteur privé, et qui est critiqué par les associations les plus proches des salariés. Ne risque-t-on pas, par précipitation, de substituer à une offre d'insertion par l'activité économique, spécifique, adaptée, patiemment élaborée depuis une vingtaine d'années, une offre d'emploi bien vague tant pour ce qui est de la formation que de l'accompagnement, de créer de nouvelles difficultés pour des personnes déjà en difficulté ?

Ma conviction personnelle, que je me suis forgée en tenant compte de nos erreurs, - de ce que vous appelez, Monsieur le ministre, notre « demi-échec » et que je qualifierais, pour ma part, de demi-réussite -, comme de ma longue expérience de terrain, est que c'est d'abord en matière d'insertion qu'il convient de responsabiliser les départements. C'est l'élément-clé de la réforme. Or, sur ce point, votre texte est tout à fait insuffisant. Il faut rétablir l'obligation pour les départements de consacrer à l'insertion au moins 20 % du montant des allocations de RMI ; créer un fonds de péréquation entre départements, de façon que tous puissent faire face, d'égale façon, à cette nouvelle charge ; évaluer précisément, sur le plan quantitatif comme qualitatif, les actions d'insertion menées par chaque département - nombre de référents et de contrats, résultats, dialogue avec les acteurs, capacités de mobilisation. Pourquoi ne pas imaginer un dispositif transparent de bonus-malus, qui permettrait de récompenser les départements qui se mobilisent véritablement en faveur de l'insertion et de pénaliser ceux qui n'y consacrent pas l'énergie nécessaire ?

M. Christian Estrosi - Très bien !

M. Jean Le Garrec - J'ai rendu hommage à l'action conduite par votre département.

Enfin, l'ensemble du dispositif devrait être piloté à la fois par l'Etat, les départements et les acteurs de la lutte contre l'exclusion. Décentralisation ne signifie pas désintérêt de la part de l'Etat. Ce doit être au contraire l'occasion d'inventer un nouveau mode de gestion publique en transposant au niveau national la méthode ouverte de coopération qui a fait ses preuves au niveau européen. L'Etat doit demeurer le garant, en dernier ressort, de la cohésion sociale, donc de la cohésion nationale.

Mme Elisabeth Guigou - Bien sûr !

M. Jean Le Garrec - Elu d'un département qui connaît la crise depuis plus de vingt ans, et pour n'avoir cessé de travailler avec les acteurs de terrain, dont je loue d'ailleurs le courage et la ténacité, je sais les pesanteurs et les lenteurs administratives, je sais aussi l'ampleur du travail de reconstruction sociale à réaliser et l'impossibilité pour les entreprises, happées dans une course folle pour pouvoir maintenir leur activité, de le mener à bien - je ne le leur reproche pas, ce n'est pas leur métier. De tout cela, je sais aussi le risque qu'il y a à faire du RMA un contrat de louage de travail.

M. le Président de la commission des finances - C'est excessif !

M. Jean-Marie Geveaux - C'est décevant !

M. Jean Le Garrec - Si c'est le seul point décevant de mon propos, je veux bien retirer le mot (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Je crains, disais-je donc, que le RMA, contrat extrêmement précaire, ne soit pas la bonne réponse. Vous prenez, Monsieur le ministre, un raccourci dangereux, et soyez bien sûr que je ne m'en réjouis pas.

Permettez-moi en conclusion de citer Lao-Tseu, lequel disait que « pour construire l'avenir, le sage regarde d'abord l'espace qui l'entoure. » En l'espèce, on ne peut pas construire sans connaître parfaitement les réalités sociales ni les mettre en perspective (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Voilà pourquoi, en l'état actuel des choses, nous sommes opposés à votre texte. Il serait certes possible de voter l'amendement adopté par la commission qui reporte l'application du texte au 1er janvier 2005, ce qui permettrait d'ici là de travailler plus au fond. Mais le vote de cet amendement risque d'être problématique. En conséquence, il n'est plus qu'une solution pour avoir toute garantie que ce texte ne s'applique pas dès le 1er janvier prochain : voter cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Président de la commission des finances - Tous les acteurs de terrain pensent que le RMA représente un réel espoir pour ceux et celles qui n'attendent que de travailler (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Pour avoir, en tant que président de l'ODAS, travaillé avec les directeurs départementaux de l'action sociale, je puis vous assurer que la grande majorité d'entre eux sont très heureux des perspectives ouvertes par le RMA en matière d'insertion par le travail. Je n'accepte pas donc pas que l'on parle de régression sociale à propos de ce texte (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Puisque vous avez cité Lao-Tseu, Monsieur Le Garrec, permettez-moi de le citer à mon tour. Ne disait-il pas, « celui qui n'a pas d'objectifs ne risque pas de les atteindre » ? Ce texte, contrairement à ce que vous prétendez, est porteur de progrès social et d'espoir pour beaucoup d'hommes et de femmes en grande difficulté (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme Huguette Bello - C'est une régression sociale !

Mme Elisabeth Guigou - Venez voir la situation en Seine-Saint-Denis !

M. Christian Estrosi - Pas dans le Vaucluse, Madame Guigou ? A Avignon ?

M. le Ministre - A vous entendre, Monsieur Le Garrec, vous seriez le seul à avoir une expérience de terrain et une vision globale en matière d'emploi.

M. Jean Le Garrec - Je n'ai jamais dit cela !

M. le Ministre - Souffrez, je vous le dis amicalement, que nous soyons nombreux à partager cette expérience et à nous être, depuis longtemps, largement mobilisés, au niveau local, pour l'insertion des personnes en difficulté. M'a également frappé que vous preniez pour vous et les vôtres l'ensemble des critiques que j'ai formulées à l'endroit de ceux qui contestent aujourd'hui l'ouverture du RMA au secteur marchand. Faut-il que vous ayez beaucoup à vous reprocher pour ne pas voir que toutes ces critiques ne s'adressent pas à vous ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Votre analyse globale de la situation de l'emploi est certes intéressante - vous nous l'avez d'ailleurs déjà exposée à l'occasion de plusieurs débats -, mais elle n'a rien à voir avec le sujet qui nous occupe. Nous ne modifions en rien la philosophie du RMI, qui continuera d'être attribué selon les mêmes critères, et n'adhérons en rien à un quelconque workfare. Le RMA ne se substitue pas au RMI, il n'existera même pas de lien obligatoire entre l'un et l'autre. C'est dire, Monsieur Le Garrec, que votre démonstration, était brillante, mais hors sujet. Ce texte crée un contrat aidé d'un nouveau type, dont l'originalité réside dans l'ouverture au secteur privé, comme le proposait d'ailleurs M. Belorgey, membre de la majorité lors du débat de 1988 et auquel le ministre des affaires sociales avait toutefois répondu, après l'avoir invité à retirer son amendement à ce sujet, que la véritable insertion se ferait dans l'entreprise.

Pour ce qui est de vos arguments d'anticonstitutionnalité, ils ne sont pas fondés. Ce texte ne porte pas atteinte au principe de libre administration des collectivités. Au contraire, la compensation qui leur sera accordée en contrepartie de la charge nouvelle sera calculée sur la base du compte administratif 2004. Si cette règle avait été appliquée pour tous les transferts de compétences par le passé, les départements ne connaîtraient pas tant de difficultés aujourd'hui !

Ce texte ne méconnaît pas non plus le principe d'égalité entre les citoyens, puisque le barème et les critères d'attributions du RMI et du RMA seront bien les mêmes sur l'ensemble du territoire national.

Quant au droit au travail, affirmé dans le préambule de la Constitution de 1946, il n'a jamais été interprété par le juge constitutionnel comme une obligation faite à l'Etat de fournir un emploi à chacun. L'Etat ne saurait avoir qu'obligation de moyens, non de résultats. Le RMA est précisément un moyen de tendre à l'objectif souhaité par les Constituants de 1946.

Un mot, enfin, sur la méthode. Nous avons consulté toutes les associations, vous-même l'avez reconnu. Nous n'avons avec elles que deux points de désaccord. Le premier concerne l'ouverture du RMA au secteur privé : nous assumons cette décision.

Ensuite, tant que persistera le sentiment de défiance à l'égard des collectivités locales, notre décentralisation demeurera inachevée (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP). C'est d'ailleurs sans doute cette défiance qui a conduit à toujours imbriquer les compétences et à empêcher ainsi les collectivités de jouir d'une responsabilité pleine et entière sur un sujet.

Monsieur Le Garrec, votre discours ressemblait diablement au livre de Nicolas Baverez que vous fustigez. Il était brillant, mais je n'y ai pas vu le début d'une réponse aux questions que vous avez vous-même posées (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président - Nous en venons aux explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité.

M. Eric Raoult - Homme de c_ur et d'expérience, M. Le Garrec m'a parfois ému mais jamais convaincu.

Il y a quinze ans, je l'écoutais déjà, ainsi que Michel Rocard, quand nous débattions du RMI. On le sait, c'est la troisième lettre, le « I » d'insertion, qui fait que cette mesure n'a pas rempli ses objectifs. Le RMI devait être provisoire et ponctuel, il s'est institutionnalisé et pérennisé !

Il est temps de dresser le bilan de ce volet insertion, car on n'a écrit ce I qu'à moitié. La générosité de Jean Le Garrec n'y change rien : recevable, ce texte l'est naturellement. En aurait-il été autrement, pensez-vous que nos collègues sénateurs - avec leur sagesse et leur compétence pour tout ce qui touche aux collectivités locales - l'auraient voté ? Soyons donc pragmatique et efficace dans un débat qui doit nous mobiliser plus que nous diviser.

Nous agissons aujourd'hui car certains ont trop attendu hier !

Ce texte est recevable d'abord, car il s'inscrit dans une logique plus globale, du reste validée par le Conseil constitutionnel, celle de la décentralisation, dont il concrétise l'acte II.

En faisant confiance aux conseils généraux dont la solidarité est la mission même, nous responsabilisons les acteurs et nous rapprochons l'allocataire de celui qui verse l'allocation.

Responsabilisation, pragmatisme, proximité, tels sont les objectifs poursuivis. Ils étaient, déjà, ceux de Gaston Deferre en 1982.

M. Alain Néri - Vous le combattiez !

M. Eric Raoult - Aujourd'hui, ils sont ceux de Jean-Pierre Raffarin, ceux du bon sens, qui veut que l'on réduise les inégalités de situation des allocataires et que l'on responsabilise les conseils généraux.

Je ne connais pas très bien la situation de l'Aveyron, des Deux-Sèvres ou du Morbihan, mais je peux vous parler de celle de la Seine-Saint-Denis.

Dans notre département, la mise en place du RMI, en 1988, a été difficile, longue ; ce sont les élus d'opposition qui ont dû la réclamer. Car l'exclusion est toujours combattue, parfois utilisée...

Mme Muguette Jacquaint - Scandaleux !

M. Eric Raoult - Si l'on avait donné dès le départ, comme vous le faites, Monsieur le ministre, le pilotage intégral du dispositif au conseil général, peut-être n'aurait-on pas perdu tant de temps... Responsabiliser les acteurs est donc une excellente méthode.

Ce texte est également recevable, car il répond aux devoirs de solidarité et de droit à l'emploi que notre Constitution reconnaît à nos concitoyens. L'objectif de solidarité est au c_ur du projet, l'excellent rapport de Christine Boutin le montre bien quand elle y écrit, avec l'humanisme qui est le sien, que le revenu minimum doit être considéré comme « un droit universel ».

Cette universalité de l'aide aux plus démunis, ce texte ne l'abroge pas, il la fortifie, donnant ainsi toute sa force à la fameuse troisième lettre, qui devient ainsi le I d'insertion plutôt que d'inadaptation et le A d'activité plutôt que d'assistance...

Le principe du droit à l'emploi est directement énoncé dans le préambule de 1946 : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi ». Tels sont bien vos objectifs, Monsieur le ministre, et ce projet y répond, enfin !

Tel n'est pas aujourd'hui le cas puisqu'un RMiste sur trois touche cette allocation depuis plus de trois ans, et près d'un sur dix, depuis dix ans. Le RMI qui devait être ciblé sur des cas particuliers est aujourd'hui devenu une prestation de masse : en 1988, il concernait 407 000 personnes, il en touche aujourd'hui 1 million. Enfin, seuls 48 % des allocataires ont un contrat d'insertion et même moins dans des départements comme la Seine-Saint-Denis.

Avec le RMA, il s'agira non d'un contrat précaire mais d'une vraie dynamique de retour à l'emploi.

Enfin, ce texte est recevable, car il est constitutionnellement juste. Il s'inscrit, en effet, dans la politique menée par le Gouvernement pour réhabiliter le travail plutôt que l'impôt, ainsi que l'effort et la solidarité, plutôt que l'assistance. Il y a là une vraie différence de philosophie avec le précédent gouvernement. En matière de solidarité envers les plus défavorisés, ce gouvernement ne fait pas vivre la France à crédit, il essaie de lui redonner du crédit !

Cette nouvelle politique sociale s'est traduite en particulier par la forte revalorisation du SMIC et par sa refondation. Avec le présent projet, il s'agit à la fois d'optimiser le RMI en redonnant tout son sens à cette mesure et de créer un nouveau cadre plus efficace et plus incitatif, avec le RMA.

Pour le groupe UMP, ces deux objectifs montrent la volonté du Gouvernement de sortir nos compatriotes de la spirale de l'échec et de l'exclusion, que de nombreux départements, comme la Seine-Saint-Denis, connaissent, hélas, trop bien.

Notre rôle est de redonner espoir, de relancer une dynamique et de faire preuve de volonté. Vous avez géré le RMI pendant dix ans, nous cinq ans seulement...

Mme Muguette Jacquaint - Heureusement !

M. Eric Raoult - ...et déjà, nous le réformons. Cette volonté est recevable, le texte l'est tout autant. L'UMP repoussera donc cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme Muguette Jacquaint - Nous n'avons jamais dit qu'il ne fallait pas prendre des mesures favorisant l'insertion, la qualification, la formation...

M. Eric Raoult - Mais vous ne le faites pas quant vous gérez un département.

Mme Muguette Jacquaint - Vous, attendez un peu, vous allez en prendre pour votre grade ! (Sourires)

M. Eric Raoult - En Seine-Saint-Denis, vous êtes au « gouvernement »...

Mme Muguette Jacquaint - Vous êtes expert en matière d'exclusion ! Ce n'est pas moi qui ai inscrit au fronton de ma mairie « Pas de construction d'HLM » ! Or, quand vous ne prévoyez pas de logements pour les pauvres, vous les excluez bien !

M. Eric Raoult - Caricature !

M. le Président - Pas de débat entre collègues ! Madame Jacquaint, vous avez la parole pour expliquer le vote de votre groupe.

Mme Muguette Jacquaint - M. Raoult a évoqué la situation en Seine-Saint-Denis, je la connais aussi bien que lui !

Qu'il aille donc, en compagnie de M. Fillon, expliquer aux salariés d'Aventis qui viennent d'être licenciés qu'ils seront, demain, des « assistés »... Qu'ils expliquent aux travailleurs d'Alstom pourquoi leur patron a touché des milliards de fonds publics pour faire d'eux des « assistés » ! De cela, nous ne voulons pas ! Nous voulons une vraie solidarité !

Vous prétendez que certains souhaitent que les chômeurs soient moins indemnisés pour qu'il y ait une réelle différence entre le chômage et l'emploi. Mais à quel niveau faut-il faire tomber l'allocation pour qu'elle soit sensiblement moindre qu'un temps partiel payé 3 200 F par mois ? Pour vous, la solidarité s'exerce toujours en faveur des plus aisés ! Quant à ceux qui trouvent que les chômeurs sont trop indemnisés, qu'ils prennent donc garde à ne pas se trouver demain, à cause de votre politique, dans une situation d'assistance.

Parce que ce texte n'améliore pas la situation, nous voterons l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. Francis Vercamer - J'ai écouté avec attention, parfois avec émotion, M. Le Garrec, élu du Nord comme moi. L'agglomération roubaisienne connaît de grosses difficultés. Ce débat, particulièrement important pour elle, est double. Il porte d'abord sur la décentralisation, et le transfert aux départements de la charge de gérer le RMI. A cet égard, M. Le Garrec a raison, lorsqu'il dit qu'il faut veiller à éviter une « fracture » entre les départements, ceux qui ont les moyens de faire face et ceux qui ne les ont pas.

Le second débat porte sur le RMA : lequel d'entre nous ne s'intéresse pas à ceux qui sont laissés au bord de la route, en proie à toutes les difficultés sociales, familiales, voire de santé ? Le RMA est une réponse. L'UDF fera des propositions pour améliorer le projet. Les débats en commission, et l'ouverture de Mme la rapporteure, qui nous a entendus sur certains points, me rendent optimiste sur une issue favorable de ce travail sur l'insertion. Pour moi, l'insertion, c'est remettre l'homme dans la société française, par le travail certes, mais surtout par la reconnaissance et la dignité. Sur ce but, nous sommes tous d'accord ; nous débattrons des moyens d'y parvenir. Mais sincèrement, Monsieur Le Garrec, je crois important que nous menions rapidement ce débat : celui qui est sur le bord de la route n'a pas le temps d'attendre que passe un deuxième train. Nous voterons donc contre l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Patrick Roy - Le groupe socialiste votera l'exception d'irrecevabilité. Je tiens à rendre hommage à la prestation de M. Le Garrec : pour la première fois dans ce débat, nous avons entendu un discours grave et sérieux, sur un sujet d'une grande complexité qu'on ne saurait traiter par un texte aussi hâtif. M. Le Garrec a eu le mérite de mettre le problème du RMI en rapport avec le chômage de masse que nous connaissons. Et il a rappelé que l'Etat ne pouvait se laver les mains d'une situation qu'il a créée. Le dispositif d'insertion est plombé par ce chômage de masse qui se développe depuis vingt-cinq ans. Le problème appelle une vraie réflexion. Ce texte hâtif ne tient pas compte du développement du chômage de masse. Et je partage l'émotion de Mme Jacquaint. Le Président de la République vient dans ma circonscription et fait un grand discours. Et quelques jours plus tard sont annoncés cinq cents licenciements supplémentaires !

J'ajoute un point extrêmement choquant pour le déroulement de nos travaux. Nous sommes en démocratie. Or nous avons appris avec stupéfaction il y a quelques jours que trois ministres, dont celui qui est présent ce soir, avaient adressé une note aux préfets, expliquant tout le mécanisme futur du RMI et du RMA, avant même que nos travaux ne commencent. Autrement dit, ce que nous faisons ici ne sert à rien ! Il y a là de quoi heurter les démocrates que nous sommes.

Ce texte est irrecevable pour maintes raisons, notamment pour son caractère hâtif. Son entrée en vigueur est prévue dans quelques semaines. Y avait-il une telle urgence ? Tous les gens responsables en demandent aujourd'hui le report. Mais ce texte est avant tout idéologique. Il y a des coûts incontournables, dont les conseils généraux devront faire l'avance : sur ce point, le Gouvernement garde le silence. Enfin, le RMA est un sous-contrat de travail, absolument scandaleux, et j'aurais honte de voter un tel dispositif.

M. le Ministre - Et ce sont les créateurs des emplois-jeunes qui parlent...

M. Patrick Roy - Vous postulez que l'insertion peut se faire par le monde des employeurs. Mais ceux-ci ont d'abord pour but de faire fonctionner l'économie. Or l'insertion est une tâche difficile et délicate, comme le savent ceux qui l'ont en charge depuis quinze ans. Ce n'est pas l'entreprise qui pourra assumer cette tâche. Pour toutes ces raisons nous voterons l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 20.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      François GEORGE


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