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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 31ème jour de séance, 78ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 26 NOVEMBRE 2003

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

CODE DU TRAVAIL 2

PROJET ITER 3

PACTE DE STABILITÉ 4

FUTUR CONTRAT DE PROFESSIONNALISATION 5

INFORMATION INDIVIDUELLE DES SALARIÉS
SUR LEURS DROITS À RETRAITE 6

APPLICATION DES PEINES
EN MATIÈRE DE TERRORISME 6

POLITIQUE GÉNÉRALE DU GOUVERNEMENT 7

EUROPE DE LA DÉFENSE 8

POLITIQUE DE LA VILLE 9

PÉAGES ROUTIERS 9

CONSTRUCTION DE LOGEMENTS SOCIAUX 10

VIOLENCES CONTRE LES FEMMES 11

ÉLARGISSEMENT DE L'UNION EUROPÉENNE (suite) 11

EXPLICATIONS DE VOTE 13

ADAPTATION DE LA JUSTICE AUX ÉVOLUTIONS DE LA CRIMINALITÉ (deuxième lecture) 17

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR 30

ADAPTATION DE LA JUSTICE AUX ÉVOLUTIONS DE LA CRIMINALITÉ
- deuxième lecture - (suite) 30

ARTICLE PREMIER 32

La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

CODE DU TRAVAIL

M. Maxime Gremetz - Vous allez profiter de la période de Noël pour entreprendre une remise en cause sans précédent du code du travail. Nous tenons à alerter avec solennité le monde du travail.

La réforme qui se dessine menace les acquis protecteurs des salariés, de telle sorte que la loi ne sera plus respectée par les employeurs.

En effet, l'extension des accords dérogatoires fera voler en éclat les garanties apportées par la loi. Il y aura autant de règles que d'entreprises. Voilà le nouveau code du travail dicté par le Medef.

Quant au principe de l'accord majoritaire, vous faites certes un pas, mais nous sommes loin d'un véritable accord majoritaire tel que souhaité par les syndicats.

Nous travaillons avec eux depuis des mois pour un véritable projet de démocratie sociale actualisant la représentativité des organisations syndicales et permettant un véritable accord majoritaire à tous les niveaux de négociations.

Vous voulez en fait faire régresser de cinquante ans la législation sociale.

Vous avez réussi à vous mettre à dos toutes les organisations syndicales, excepté le Medef, qui saute de joie. En guise de dialogue social, on peut mieux faire.

Nous exigeons le retrait de votre projet et la poursuite des discussions avec les syndicats (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Nul ne peut nier la crise du syndicalisme et, plus généralement, des institutions représentatives. Ainsi, seuls 5 % des salariés sont syndiqués, ce qui est un des taux les plus faibles d'Europe (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Cette crise constitue l'une des causes de la crise politique que nous traversons.

Dès notre arrivée, nous avons trouvé un accord intitulé « La position commune sur les voies et moyens de la négociation collective », signé en 2001 par tous les syndicats à l'exception de la CGT.

Cet accord invite le Gouvernement et le Parlement à ouvrir un champ plus large à la négociation sociale. Ainsi, le législateur s'engage à ne pas intervenir dans des domaines où les partenaires sociaux sont à même de trouver un accord.

Il prévoit également une indépendance des différents niveaux de négociations. Il s'agit de permettre aux entreprises d'adapter les accords à leur situation particulière.

Enfin, il prévoit une marche progressive vers l'accord majoritaire.

Le Gouvernement a repris cet accord tel quel. Il vous proposera un texte équilibré qui vise à donner plus de responsabilités aux partenaires sociaux et plus d'indépendance à la négociation d'entreprise.

Il est faux de prétendre que ce texte permettra d'aller contre la loi.

M. Maxime Gremetz - Mais si !

M. le Ministre - La loi aura toujours une valeur supérieure aux accords, quel que soit le niveau où ils sont signés.

On m'accuse ici de faire le jeu du Medef, mais on m'accuse ailleurs d'avoir une position bolchévique en matière d'accords collectifs. Entre ces deux caricatures, la démonstration est faite que le texte est équilibré et favorisera le progrès social (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

PROJET ITER

M. Bernard Deflesselles - J'associe à ma question Mme Maryse Joissains Masini, présidente de la communauté du Pays d'Aix, et M. Daniel Spagnou.

Il y a trois heures à peine, l'Europe a choisi à l'unanimité son champion pour accueillir le plus grand projet scientifique mondial des trois prochaines décennies : le CEA de Cadarache, en Provence-Alpes-Côte d'azur (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Nous recueillons ainsi les fruits de l'engagement de la communauté scientifique, des collectivités territoriales et des pouvoirs publics.

Monsieur le Premier ministre, votre engagement sans faille, ainsi que celui de Mme Claudie Haigneré, de M. Pierre Lellouche et de M. Renaud Muselier, ont été déterminants.

Le projet de réacteur permettra de satisfaire durablement les besoins énergétiques de la planète tout en préservant l'environnement.

Cependant, nous n'avons remporté qu'une étape, et nous ne devons pas relâcher nos efforts. Nous devons en effet concourir contre le Japon et le Canada pour obtenir d'ici un mois une décision favorable de la communauté internationale.

Ce projet, important pour la France, l'est également pour la région PACA, avec 5 milliards d'investissements pour la construction sur dix ans, 5 milliards pour l'exploitation sur vingt ans, plusieurs milliers d'emplois créés et 2 milliards de retombées économiques. C'est pour notre région le plus beau des défis à relever.

Monsieur le Premier ministre, comment comptez-vous porter les espoirs et les attentes de notre pays et de notre région ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - L'Europe, en effet, vient de choisir Cadarache comme site d'implantation du projet ITER, premier grand projet scientifique mondial avec plus de 10 milliards d'investissements et une exceptionnelle mobilisation de la communauté scientifique.

J'exprime toute ma gratitude à nos amis espagnols, qui ont su faire prévaloir l'intérêt général (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) en faisant en sorte que l'Europe se rassemble sur un seul projet.

J'exprime également toute ma gratitude à la Commission, qui a préparé l'ensemble de ce dispositif, et en particulier au commissaire Busquin.

Je salue les chercheurs, les ingénieurs, les techniciens, tous ceux qui ont fait que ce projet s'est imposé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Je salue également le travail des collectivités territoriales, de Mme Joissains, de M. Spagnou, des élus locaux, de la région PACA.

Je salue l'action de Claudie Haigneré (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF), à qui la France doit beaucoup.

Je salue enfin l'ensemble de la diplomatie française et le travail accompli par M. Pierre Lellouche.

Ce projet contribue au développement de la recherche française, dont le budget augmente. Face à ceux qui parlent du déclin, notre pays doit retrouver le goût de l'avenir, des sciences et de la technologie.

Le projet ITER permettra de produire une énergie non polluante et contribuera à aider les pays les plus fragiles. Il s'agit d'un projet scientifique, industriel, mais aussi humanitaire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

PACTE DE STABILITÉ

M. François Loncle - Dans cette série de compliments façon « 7 d'or », Monsieur le Premier ministre (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF), vous auriez pu mentionner le travail de votre prédécesseur sur ce dossier et l'implication de la région PACA, présidée par M. Michel Vauzelle (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe des députés communistes et républicains).

Vous ne respectez pas l'Assemblée nationale. A deux reprises, hier, M. Jean-Marc Ayrault a dénoncé la façon dont votre Gouvernement impose un ordre du jour préjudiciable au bon déroulement de nos travaux.

Hier, vous avez également refusé de répondre aux questions de Didier Migaud et même, de M. Philippe Auberger. Le sujet est pourtant important, puisqu'il s'agit des conséquences sociales, fiscales et budgétaires des engagements pris par la France à Bruxelles, des conséquences du conseil ECOFIN. Pourquoi ces silences ? Pourquoi raser les murs ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Auriez-vous pris des engagements inavouables ?

La note que devront payer les Français ne peut-elle être rendue publique avant les échéances électorales ? Est-ce parce que notre position vient de s'affaiblir gravement en Europe au moment où la Conférence intergouvernementale se réunit pour décider d'une Constitution ?

Quel est le montant précis des annulations de crédits prévues dès janvier 2004, après les 6 milliards déjà intervenues en 2003 ? Dans quels budgets allez-vous tailler, celui du logement, celui de la santé, celui des transports, celui de la recherche... ou bien tous à la fois ?

Monsieur le Premier ministre, expliquez-vous, expliquez aux Français ce qui les attend, car l'origine de toutes ces difficultés, c'est bien votre politique économique et sociale désastreuse ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Assumez enfin vos responsabilités, et, pour ce faire, commencez par vous expliquer devant la représentation nationale. Vous supprimez de façon absurde un jour de congé pour les Français, vous venez vous-même de vous mettre, dangereusement pour la France, en congé du Gouvernement ... (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Monsieur Loncle, veuillez conclure.

M. François Loncle - Ne vous mettez pas en congé de l'Assemblée nationale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - La parole est à M. Dutreil (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation - (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) J'ai toute la patience nécessaire.

Monsieur le député, hier, la position de la France, défendue avec conviction et efficacité par Francis Mer, a été comprise et approuvée. La décision prise est irréprochable sur la forme : le Conseil Ecofin, après avoir rejeté les recommandations formulées par la Commission européenne concernant la France et l'Allemagne, a approuvé les conclusions de la présidence italienne. Les dispositions du traité ont donc été parfaitement respectées. Notre position était également solide sur le fond (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). La meilleure preuve en est que la majorité des Etats membres a entendu nos arguments (Mêmes mouvements).

Cela étant, plusieurs leçons me paraissent devoir être tirées de ce qui s'est passé hier. Tout d'abord, nous n'en serions jamais arrivés là si le gouvernement Jospin n'avait pas fait preuve de tant de légèreté (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste). Alors même que la croissance était forte, vous avez sacrifié l'avenir budgétaire du pays à des intérêts immédiats (Mêmes mouvements). Si nous avions appliqué de façon littérale les prescriptions de la Commission, nous aurions peut-être cassé le moteur de la reprise. Si, aujourd'hui, l'économie française repart (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), c'est parce que nous avons fait les bons choix de politique conjoncturelle et budgétaire.

Un député socialiste - Vous ne répondez pas à la question !

M. le Secrétaire d'Etat - Si nous avions fait preuve de laxisme, la majorité des Etats membres ne nous aurait pas suivis. L'Europe qui s'est fait entendre hier est une Europe des citoyens (Rires et interruptions sur les bancs du groupe socialiste), qui a compris qu'il fallait préserver l'emploi et la croissance. La décision prise sert l'intérêt de notre pays, mais aussi celui de l'Europe (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

FUTUR CONTRAT DE PROFESSIONNALISATION

M. Gilles Artigues - Notre collègue Yvan Lachaud s'associe à ma question. Monsieur le ministre des affaires sociales, le groupe UDF, aux côtés des professionnels de l'alternance et de leurs étudiants, s'inquiète de la suppression annoncée du contrat de qualification, lequel a pourtant fait ses preuves, offrant une formation rémunérée et apportant une solide expérience professionnelle.

Quel est l'avenir des cinq cents centres de formation répartis sur l'ensemble du territoire et qui emploient plus de vingt mille personnes, si, comme vous le proposez dans le texte que nous allons examiner prochainement, la présence y est réduite de 25 % à 15 % ? Qu'en sera-t-il de l'accès à une formation diplômante si la durée des formations est, comme vous le prévoyez, limitée à douze mois, sauf dérogation ? Aujourd'hui, la préparation d'un BTS ou d'un bac professionnel en alternance prend de dix-huit à vingt-quatre mois. Sur quoi les directions départementales de l'emploi et du travail s'appuieront-elles pour choisir la durée des formations ? Les branches professionnelles ne seront-elles pas tentées de proposer un contrat ou un certificat de qualification professionnelle interne qui n'aura pas la même valeur qu'un diplôme national ? Pouvez-vous nous dire quelles sont vos intentions en ce domaine, avant même que nous n'examinions votre texte en commission, car il ne faudrait surtout pas que celui-ci constitue une régression sociale, mais qu'il marque l'avancée que l'UDF appelle de ses v_ux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Le contrat de professionnalisation, que nous nous apprêtons à créer par la loi, figure dans l'accord signé par les partenaires sociaux. Il ne présente pas les risques que certains pointent aujourd'hui. Tout d'abord, parce qu'il ne fixe qu'une durée minimale de formation de six à douze mois, laquelle, soit dit au passage, représente un progrès dans certaines branches où la formation professionnelle était très réduite. Les branches pourront, à tout moment, décider d'une durée plus longue de formation, par exemple pour les jeunes n'ayant pas achevé le second cycle secondaire ou n'étant titulaire d'aucun diplôme de l'enseignement technologique. Ce dispositif ne risque pas non plus de déboucher sur des formations de branche, non sanctionnées par un diplôme national. Les organismes de formation, aujourd'hui inquiets, n'ont, pour leur part, rien à craindre car tout l'objectif de cette réforme, voulue par les partenaires sociaux, est précisément qu'il y ait davantage de personnes en formation. Les entreprises vont quasiment doubler leur effort en ce domaine, et si les formations sont en moyenne plus courtes, elles seront plus nombreuses. Enfin, si le dialogue social s'approfondit, nous serons très souvent amenés, à l'avenir, à transposer dans la loi un accord unanime des partenaires sociaux. J'espère que l'Assemblée nationale aura, en l'espèce, à c_ur de respecter les équilibres de ces accords (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF).

INFORMATION INDIVIDUELLE DES SALARIÉS SUR LEURS DROITS À RETRAITE

Mme Valérie Pecresse - La réforme des retraites, votée en juillet dernier, prévoit une information individuelle de chaque Français sur ses droits à retraite, ce qui signifie qu'à échéance régulière, nos concitoyens doivent savoir à combien se montera leur retraite. Les parcours professionnels sont beaucoup plus variés aujourd'hui qu'il y a vingt ans - dans une vie professionnelle, on exerce souvent plusieurs métiers, on connaît des périodes de chômage et des périodes de formation - et il existe de très nombreux régimes de retraite. C'est pourquoi nos concitoyens ignorent la plupart du temps quel pourra bien être le montant de leur retraite, ce dont ils se plaignent, à juste titre. Le Gouvernement doit faire en sorte qu'ils disposent de cette information qui leur permettra de décider, en toute connaissance de cause, par exemple de changer ou non d'emploi, de passer ou non à temps partiel, de continuer ou non de travailler après 60 ans, de racheter ou non des années d'études pour augmenter leur retraite.

Le chantier est difficile, mais l'engagement pris doit être tenu. Monsieur le ministre, après votre communication en Conseil des ministres de matin, pouvez-vous nous indiquer les intentions du Gouvernement en ce domaine ? En un mot, l'information de chaque Français sur sa retraite, c'est pour quand ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe UDF)

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - C'est pour maintenant ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) En effet, un guide va être distribué à tous les fonctionnaires d'Etat et mis à la disposition de tous les Français à partir de mi-décembre par le réseau de la CNAV et des caisses affiliées. Parallèlement, un numéro de téléphone et un site internet seront ouverts dans les prochains jours. Outre cette information générale, nous avons décidé de permettre l'information individuelle prévue dans la loi de juillet dernier. Ainsi, dès le début de 2004, sera mis à la disposition de tous les Français qui le souhaitent un moteur de simulation qui effectuera les calculs, dans un premier temps, sur la base des données qu'ils auront eux-mêmes saisies, puis dans un second temps, une fois harmonisés les systèmes informatiques des caisses grâce au GIP qui regroupera les 200 régimes de retraite existants, sur la base des données réelles communiquées par les caisses. Et en 2006, nous pourrons offrir à tous les Français qui le souhaitent une simulation individuelle, soit à leur demande, soit par l'envoi périodique à leur domicile d'un bulletin de situation (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

APPLICATION DES PEINES EN MATIÈRE DE TERRORISME

M. Jean-Paul Garraud - La juridiction de la libération conditionnelle du tribunal de Pau vient d'ordonner la remise en liberté d'un des plus grands terroristes emprisonnés dans notre pays, à savoir Georges Ibrahim Abdallah, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en 1987. Heureusement, sur vos instructions, Monsieur le Garde des Sceaux, le Parquet a immédiatement fait appel de cette décision et l'ex-chef des Fractions armées révolutionnaires libanaises, détenu depuis 1984, restera en prison jusqu'à l'examen de l'appel en janvier prochain.

Sans porter le moindre jugement sur une décision de justice, je m'interroge néanmoins sur l'application de la loi du 15 juin 2000, laquelle a déjà permis la libération en mars 2001 d'un autre terroriste condamné en 1985 à la réclusion à perpétuité. En effet, avant cette loi, c'était le Garde des Sceaux, et lui seul, qui se prononçait en un domaine concernant au plus haut point la sécurité de l'Etat et de nos concitoyens.

Si je comprends l'évolution de la procédure en matière de droit commun, je suis plus que réservé en matière de terrorisme, à l'heure où celui-ci connaît un dramatique regain partout dans le monde. Alors que pour l'enquête concernant des actes terroristes et le jugement de leurs auteurs s'applique une procédure particulière - la cour d'assises siège par exemple en formation spéciale, uniquement avec des magistrats professionnels -, il n'en est rien pour l'application des peines. On fait là comme si un acte terroriste était assimilable à n'importe quelle autre infraction.

Afin d'éviter l'érosion des peines, que j'ai déjà dénoncée ici, et d'éviter des remises en liberté intempestives, ne conviendrait-il pas de prévoir également une procédure spécifique pour l'application des peines en matière de terrorisme ? Ce serait cohérent, dans la mesure où il en existe une pour l'enquête et le jugement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Vous avez raison de souligner le caractère particulier de la lutte antiterroriste. Nous sommes en situation de quasi-guerre avec un certain nombre d'organisations terroristes internationales. C'est pourquoi la France s'est progressivement dotée d'un dispositif particulier.

Après les attentats qui ont frappé notre pays il y a une vingtaine d'années, notre législateur a donné une compétence spéciale au tribunal de grande instance de Paris. Nous avons fait le choix de la spécialisation et ce système donne entière satisfaction.

Cet après-midi, nous allons examiner en deuxième lecture le projet de lutte contre la criminalité organisée, qui permettra de combattre le terrorisme grâce à ses dispositions relatives aux infiltrations et aux repentis. Il donnera des armes à la justice, pour mieux combattre le terrorisme national et international.

Les lois de 1986 et 1996 ont alourdi les peines qui peuvent être prononcées par les magistrats.

Mais le particularisme qui caractérise notre droit jusqu'à la condamnation des terroristes ne se retrouve pas en matière d'exécution des peines, la proximité entre le juge et le détenu étant nécessaire dans ce domaine. Confier l'exécution des peines au TGI de Paris ne manquerait pas de poser des problèmes pratiques, dans la mesure où je souhaite conserver la possibilité d'enfermer les condamnés dans des prisons différentes, pour des raisons de sécurité.

Je ne peux vous répondre tout de suite, mais il nous faut comparer les avantages et les inconvénients du système actuel.

Le cas que vous évoquez montre qu'il est possible de faire appel : la décision est renvoyée devant la cour d'appel, qui tranchera avec le recul nécessaire. Je m'engage, en tout cas, à faire le point sur le dispositif actuel (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

POLITIQUE GÉNÉRALE DU GOUVERNEMENT

M. Gérard Bapt - Monsieur le Président, j'avais l'intention d'interroger le Gouvernement sur des questions de santé publique, mais ce qui s'est passé au cours des trois dernières séances de questions me conduit à interpeller directement M. le Premier ministre. Je veux en effet insister sur un point qui sape le moral des Français et, par conséquent, affaiblit notre économie. Monsieur le Premier ministre, vous refusez systématiquement de répondre aux questions de l'opposition ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

Un jour, c'est le ministre délégué au commerce extérieur, un autre c'est le ministre de la fonction publique... On chargera bientôt le secrétaire d'Etat aux anciens combattants de nous répondre sur des questions de fond relatives à l'avenir de la France !

Avez-vous quelque chose à cacher, pour jouer systématiquement en défense ? (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Quelles seront les conséquences des engagements que vous faites prendre à M. Mer devant l'Union européenne ?

Vous avez vous-même déclaré qu'il n'y avait qu'un seul patron au sein du Gouvernement. Prouvez-le ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

Votre défausse systématique accroît le malaise des Français. Elle compromet le retour de la confiance et de la croissance.

Nous ne pouvons pas penser que vous agissez ainsi par mépris pour la représentation nationale, ni que vous n'ayez aucun plan budgétaire. Monsieur le Premier ministre, assumez votre rôle ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Indiquez-nous vos intentions pour l'année qui vient (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - La parole est à M. le Premier ministre (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - Je vous réponds, pour une raison : je vis mal le mépris que vous avez pour un certain nombre de ministres qui s'expriment devant vous (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Hommes ou femmes, ministres ou secrétaires d'Etat, il font partie de la même équipe. Ils vous répondent, comme ce fut toujours le cas dans notre République, au nom du Gouvernement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

J'ai toujours respecté l'opposition (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Vous répondre n'est pas pour moi un problème, j'ai même un certain plaisir à vous expliquer ce que vous devriez savoir.

La France a connu des difficultés importantes, en particulier pendant les cinq années du précédent gouvernement. Elle avait perdu sa crédibilité, elle n'inspirait plus confiance. Il a fallu, pas à pas, restaurer cette crédibilité et cette confiance (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Pensant que le Gouvernement actuel agissait comme le précédent, nos partenaires ont d'abord voulu le sanctionner. Petit à petit, nous les avons convaincus que notre feuille de route était crédible, qu'ils pouvaient nous faire confiance et que nous _uvrions au retour de la croissance. Quand je vois que la consommation et l'investissement redémarrent, je me dis que nous avons fait les bons choix économiques. Je me réjouis que l'Europe l'ait compris (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDF).

L'engagement pris devant l'Union européenne est le même que celui qui a été pris devant l'Assemblée nationale : maîtriser les dépenses, respecter le budget et atteindre en 2005 l'objectif des 3 % de déficit. Nous avons dit à l'Europe qu'il nous fallait du temps, compte tenu des difficultés à surmonter (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDF). L'Europe a compris et elle nous a donné la capacité de procéder, étape par étape, au redressement de la France. Le pacte de stabilité n'est pas remis en question. Mais il faut faire des réformes structurelles et je regrette que vous ne l'ayez pas voulu ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDF)

Si je ne passe pas mon temps au micro pour vous répondre, c'est tout simplement pour ne pas vous mettre en trop mauvaise posture ! (Mmes et MM. les députés UMP se lèvent et applaudissent ; applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UDF)

EUROPE DE LA DÉFENSE

M. Céleste Lett - Madame la ministre de la défense, la semaine dernière, le conseil « Affaires générales » réuni à Bruxelles a décidé de créer une agence européenne de l'armement et de la recherche. Lundi dernier, à Londres, le Président de la République a longuement évoqué la politique européenne de défense avec le Premier ministre britannique. La presse a indiqué que Londres et Paris allaient proposer de doter l'Union européenne d'une force de réaction rapide, capable d'intervenir au service des Nations unies en cas de crise.

Pouvez-vous nous préciser les contours de ces deux propositions, qui montrent une volonté d'avancer pas à pas vers la constitution d'une défense européenne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense - Les deux opérations conduites avec succès, en Macédoine et en République démocratique du Congo, ont montré que l'Europe de la défense existe déjà. Mais elle a besoin d'être confortée et développée. Les deux avancées que vous évoquez vont dans ce sens.

La création d'une agence de l'armement montre la volonté des 25 d'agir en commun pour garantir la cohésion des choix opérationnels, pour développer la recherche et pour s'entendre sur des programmes d'acquisition. Cette agence sera une réalité au printemps 2004.

La création d'une force d'intervention très rapide, initiative commune des Britanniques et des Français, sera proposée aux 23 autres partenaires européens. Il s'agit de constituer une force capable d'intervenir la première sur un théâtre d'opération dans le cadre d'une action autonome de l'Union européenne, en application d'une résolution de l'ONU, en Europe ou en Afrique. Je proposerai à nos partenaires de mettre en _uvre cette proposition dans les prochains mois (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF).

POLITIQUE DE LA VILLE

M. Jean-Pierre Nicolas - Monsieur le ministre délégué à la ville, depuis vingt ans, la crise urbaine persiste dans nos quartiers défavorisés. Avec le Premier ministre, vous avez su tirer les leçons des politiques menées antérieurement et vous avez agi en nous présentant votre projet de loi d'orientation et de programmation pour la ville. Ce texte s'inscrit dans la droite ligne des engagements pris par le Président de la République.

Avec la création de 41 zones franches urbaines supplémentaires, vous allez modifier considérablement l'habitat et l'environnement de ceux qui vivent dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Des moyens financiers sans précédent ont été affectés à ce programme : 6 milliards d'euros seront mobilisés chaque année, en partenariat avec les acteurs sociaux concernés. Encore faudra-t-il éviter que la régulation budgétaire ne fasse fondre ces crédits, comme sous le gouvernement précédent. Quel dispositif avez-vous mis en place pour que les fonds alloués arrivent là où il faut et quand il faut ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Louis Borloo, ministre délégué à la ville et à la rénovation urbaine - Sur ce sujet, qui est devenu un problème central de la société française, le diagnostic fait par tous est assez sévère : moins de 8 % des crédits annuels de la rénovation urbaine arrivaient réellement sur le site !

Nous nous sommes donné ensemble les moyens d'y remédier. Pour la première fois, une loi de programmation prévoit les financements sur cinq ans et elle fixe l'engagement minimal annuel de l'Etat. Dès le 10 septembre, la convention d'intervention entre les partenaires impliqués a été signée, de sorte que chacun sait qui finance quoi.

Le programme est six fois plus important que précédemment, mais surtout la méthode de gestion des fonds a été radicalement modifiée. Au lieu de faire l'objet de onze ou douze procédures de l'Etat, la gestion est confiée à un seul établissement, un EPIC cogéré avec les collectivités locales et les offices d'HLM. Moins de trois mois après le vote de la loi, dix villes ont déjà bénéficié de concours pour 1,2 milliards d'euros, dont près de 400 millions au titre de l'agence. D'autres suivront dès la semaine prochaine et, d'ici à l'été prochain, toutes les villes comportant un site de rénovation urbaine auront signé une convention claire, prévoyant des crédits pour plusieurs années - 30 milliards d'euros au total pour cinq ans.

Un comité de suivi indépendant surveillera l'utilisation des fonds et chaque site sera filmé, de façon à pouvoir nous rendre compte des opérations chaque année.

Je remercie le Premier ministre et le Parlement pour des arbitrages qui ont permis la véritable révolution que constitue la gestion de crédits de mon ministère par un établissement extérieur (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

PÉAGES ROUTIERS

M. Alain Gouriou - Monsieur le Premier ministre, vous n'avez toujours pas répondu à nos questions. Nous vous demandions des informations précises et chiffrées sur les engagements pris par votre Gouvernement pour éviter des sanctions financières de l'Europe : vous nous répondez par des incantations et des propos polémiques sur la gestion de votre prédécesseur (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste). Dois-je vous rappeler que de 1997 à 2002 le pacte de stabilité a été intégralement respecté (Interruptions sur divers bancs) et que c'est depuis votre arrivée au pouvoir que la France est en infraction permanente ? (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Plusieurs députés UMP - La question !

M. Alain Gouriou - Lors du débat au Sénat sur la loi de décentralisation, le Gouvernement a fait voter un amendement autorisant la perception de péages par l'Etat ou par les collectivités locales sur les liaisons routières express.

Ces péages pénaliseront particulièrement les régions excentrées comme la Bretagne. Dois-je rappeler que le plan routier breton voulu par le général de Gaulle s'inscrivait dans une action nationale de solidarité vis-à-vis d'une région périphérique ? (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Posez votre question, Monsieur Gouriou !

M. Alain Gouriou - J'abrège ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) Qui faut-il croire : M. Devedjian qui a fait adopter cet amendement ou M. Delevoye qui, avant-hier encore, affirmait que les axes routiers n'étaient pas concernés ou vous-même, Monsieur le Premier ministre, qui garantissez aux régions périphériques la gratuité de leur réseau ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - Je pense que vous faites allusion à l'éventualité, actuellement étudiée par l'Europe, d'une redevance sur les poids lourds (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et vous voulez savoir si la Bretagne serait touchée par cette mesure.

Une expérience est actuellement menée en Allemagne. Une telle redevance permettrait de taxer enfin les poids lourds étrangers passant sur le sol français, mais elle compromettrait l'attractivité des régions excentrées, comme la Bretagne.

Une telle redevance ne pourrait donc être instituée qu'à trois conditions : être entièrement affectée aux infrastructures de transports, préserver la compétitivité des entreprises françaises et ne pas porter atteinte à l'attractivité des régions excentrées (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

CONSTRUCTION DE LOGEMENTS SOCIAUX

M. Lucien Degauchy - Nombre de Français se heurtent à la hausse rapide des loyers et des prix de vente des maisons et appartements et certains ont même du mal à trouver un logement adapté à leurs besoins, en province comme à Paris. En effet, malgré ses déclarations fracassantes, la majorité précédente a construit très peu de logements sociaux (Interruptions et exclamations sur divers bancs).

Il est indispensable d'augmenter l'offre de logements et c'est ce que fait le Gouvernement. Pouvez-vous nous préciser les chiffres de la construction de logements en 2003 et les mesures que vous envisagez pour satisfaire les attentes des Français ? (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - La crise du logement est le résultat de la politique de nos prédécesseurs (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Ce gouvernement a pris des mesures énergiques et je remercie la majorité d'avoir voté une loi qui facilite la tâche des maires, libère des terrains et relance l'investissement locatif.

Les résultats de l'année 2003 sont éloquents : le nombre de permis de construire progresse de 7 %, la vente de logements neufs de 24 %, les permis de construire pour les logements sociaux de 11 % et le nouveau dispositif fiscal avait déjà créé 40 000 logements le 30 septembre dernier.

Notre objectif pour 2004 est de construire 80 000 logements sociaux, chiffre jamais atteint depuis dix ans, et de développer l'accession sociale à la propriété.

La construction de logements était en panne, elle est désormais relancée. Ce ne sont pas les 10 000 personnes supplémentaires employées par ce secteur qui s'en plaindront ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

VIOLENCES CONTRE LES FEMMES

Mme Geneviève Levy - Alors qu'hier avait lieu la journée internationale contre les violences faites aux femmes, la situation en France reste préoccupante : aujourd'hui une femme sur six est victime de violences, une sur dix est battue par son conjoint et six femmes succombent chaque mois des suites de ces agressions ; quelque 50 000 femmes sont victimes de viols chaque année.

Madame la ministre déléguée à la parité, vous avez réuni hier une trentaine d'hommes de la presse, de la chanson, du droit et de la publicité pour signer une charte contre ces violences. Ce matin, vous avez fait une communication en conseil des ministres. De quelle façon la France compte-t-elle s'engager dans ce combat sur le plan national et international ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle - La lutte contre les violences, c'est le combat de la modernité et je me félicite de la mobilisation de votre Assemblée sur ce sujet. Elle est à l'honneur de la République et a touché toutes les femmes de France, particulièrement celles qui sont victimes de ces violences.

L'action que nous menons s'élargit à la société civile. J'ai souhaité que les hommes s'engagent sur le principe de « zéro violence », personnellement et collectivement. Et demain matin, nous signerons avec les professionnels de la publicité un accord qui fera progresser la déontologie concernant l'image des femmes. Enfin, par la voie législative, nous allons promouvoir non seulement la lutte contre les discriminations, mais aussi la lutte contre les violences conjugales par l'éloignement du conjoint violent.

Je sais votre engagement remarquable au service des femmes afghanes. La lutte contre les violences ne s'arrête pas, en effet, aux frontières de la France, et à Kaboul un formidable espoir est né que la Loya Jirga ouvre la voie à l'égalité des droits ; il y a quelques semaines, je suis allée dire sur place aux femmes afghanes que la France était à leurs côtés. Toute régression pour les femmes, à Kaboul ou ailleurs dans le monde, serait un recul pour l'humanité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - J'espère que la semaine prochaine nous serons dans les temps.

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 15, sous la présidence de M. Le Garrec.

PRÉSIDENCE de M. Jean LE GARREC

vice-président

ÉLARGISSEMENT DE L'UNION EUROPÉENNE (suite)

L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'article unique du projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion à l'Union européenne de la République Tchèque, de l'Estonie, de Chypre, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Hongrie, de Malte, de la Pologne, de la Slovénie et de la Slovaquie.

M. Hervé de Charrette, rapporteur de la commission des affaires étrangères - A parcourir des yeux les bancs de cette Assemblée, je vois que la foule s'y presse...

M. le Président - Elle va venir !

M. le Rapporteur - Merci de votre optimisme. Après les débats d'hier, je me réjouis de ce qu'une majorité impatiente - on pourrait même dire la quasi unanimité - des députés approuve la ratification du traité d'adhésion des dix pays d'Europe centrale et orientale. A l'instar des autres pays européens, la France s'apprête à les accueillir avec sympathie, chaleur et conviction.

Notre démarche est déterminée et lucide.

S'il leur reste encore des efforts à faire, l'on ne peut que saluer les progrès déjà accomplis par ces pays pour respecter les normes européennes.

Nous disposons d'un bon traité, qui s'inspire de la mise en _uvre des règles prévues par l'Union européenne, - ce n'est pas une adhésion au rabais - et comporte des dispositions particulières propres à dissiper les dernières inquiétudes.

Concernant les conséquences de cet élargissement, l'adhésion a déjà été un facteur formidable de progrès pour les nouveaux candidats, et ce mouvement continuera de s'amplifier durant les prochaines années.

Pour nous, sans oublier les difficultés rappelées sur ces bancs, cet élargissement nous ouvre de nouveaux horizons, notamment en matière de développement économique.

Pour reprendre la belle formule de M. Jacques Barrot « l'élargissement est une chance ». Par ailleurs, vous avez été nombreux sur tous les bancs de cette assemblée, à souhaiter que l'Europe ne renonce pas à ses ambitions en s'élargissant, à ce qu'elle poursuive son projet, fondé sur l'idée d'une Europe forte, à insister sur la nécessité de mener à bien la réforme institutionnelle, corollaire naturel et indispensable de l'élargissement.

Monsieur le ministre et Madame la ministre déléguée, je ne doute pas que vous ayez entendu le message qui vous a ainsi été délivré : « Tenez bon » !

Le débat a connu cette nuit un moment fort entre minuit et 4 heures ; ce n'était pas l'heure idéale, mais nos convictions n'en ont pas été changées pour autant (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères - Nous voici parvenus au terme de notre débat sur la ratification du traité d'adhésion de dix nouveaux Etats membres : c'est un moment historique pour l'Europe, pour les dix pays adhérents comme pour la France.

Le débat d'hier a témoigné du sérieux avec lequel vous avez abordé ce sujet et marqué la vigueur de l'engagement européen de notre pays. Il a mis en avant l'esprit de responsabilité qui nous anime au moment où l'Europe s'engage dans un élargissement sans précédent. La volonté de rassemblement est manifeste, même si certaines inquiétudes, qui doivent être prises en considération, se sont fait jour.

Permettez-moi de tirer les enseignements de ce débat.

Nous avons été nombreux à constater qu'au terme de ces longues négociations l'élargissement s'effectuera dans des conditions satisfaisantes pour les pays adhérents comme pour les membres actuels.

Les pays adhérents sont largement prêts à entrer dans l'Union, à respecter les règles communes, au terme d'un effort sans précédent, que nous saluons. S'il leur reste des efforts à accomplir, personne ne doute qu'ils seront prêts le 1er mai prochain. Du reste, des mesures de sauvegarde ont été prévues en cas de difficulté.

Les coûts de l'élargissement sont maîtrisés et ils inspireront la réforme des perspectives financières de l'Union, qui sera le premier grand chantier de l'Europe élargie. Il faudra, à cette occasion, trouver les moyens de financer les nouvelles politiques communes avec le souci d'une saine maîtrise de nos dépenses.

Les perspectives économiques de l'élargissement sont prometteuses. Grâce à l'extension du marché unique à 75 millions de nouveaux consommateurs, l'économie européenne bénéficiera du dynamisme de la croissance dans les nouveaux Etats membres. Il y a là, pour nos entrepreneurs et, en particulier, pour nos petites et moyennes entreprises, de nouveaux marchés qui sont autant d'opportunités bienvenues face au ralentissement actuel de la conjoncture.

Par ailleurs, cet élargissement s'accompagnera d'un approfondissement de l'Europe, qui supposera l'adaptation de ses institutions et de ses politiques.

Nous avons examiné hier le détail de ces politiques européennes et pris la dimension des nouvelles priorités, dans le domaine de la croissance et de l'emploi, de la sécurité intérieure, de la politique étrangère et de la défense. Il y a là un nouvel horizon pour faire de l'Europe élargie un acteur qui compte au sein de la communauté internationale.

L'effort d'approfondissement, c'est surtout une capacité renouvelée de l'Union à faire évoluer ses institutions pour les rendre plus démocratiques et efficaces. A cet égard, nous devrons assouplir la conduite des actions de l'Europe à 25.

Le projet de traité, issu des travaux de la Convention présidée par M. Giscard d'Estaing, nous permettra, dans le cadre de la conférence intergouvernementale en cours, d'adopter une Constitution à la hauteur des défis que nous devons relever.

Je veux, à la veille du conclave ministériel de Naples, rester optimiste. Tous les membres de l'Union doivent prendre conscience de leurs responsabilités face à l'Histoire et mesurer les enjeux d'une aventure européenne engagée depuis près de cinquante ans.

Enfin, nos débats ont montré que l'Europe élargie devait définir de nouvelles relations avec ses voisins, qu'il s'agisse des futurs membres de l'Union ou des pays avec lesquels nous entendons nouer des partenariats privilégiés.

Il faudra être patients, et inventer de nouvelles formes d'association. L'Europe élargie devra rester fidèle à sa vocation et offrir l'exemple d'une Union soucieuse de solidarité, de justice et de paix.

La France devra être à la hauteur de ses responsabilités, et délivrer un message de générosité et de lucidité.

Ayons confiance dans la capacité de notre pays à se faire entendre : notre voix est écoutée et respectée. Tel est bien l'esprit qui doit maintenant nous guider sur le chemin de l'Europe nouvelle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Je signale la présence dans les tribunes du ministre des affaires européennes de Slovaquie, M. Korcok, et il convient de le saluer en ce moment important (Mmes et MM. les députés ainsi que les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent).

En application de l'alinéa 3 de l'article 54 du Règlement, nous en venons aux explications de vote.

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Gilles Artigues - Aujourd'hui est un grand jour, car nous avons à débattre et à voter la ratification du traité d'adhésion à l'Union européenne des dix pays que nous ne nous lassons pas de citer, la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie, la Pologne, la Lituanie, la Lettonie, l'Estonie, Malte et Chypre.

Pour les députés de l'UDF, c'est une étape décisive dans l'histoire de notre continent. Nous accueillons chaleureusement nos dix voisins. L'Europe se retrouve enfin unie, les murs tombent, les frontières s'ouvrent.

Demain, nous serons 25 et plus de 450 millions d'habitants. Les occupants de la maison européenne sont là, mais encore faut-il être capable de les accueillir. Nous devons donc faire évoluer les règles du jeu. L'élargissement est inséparable de la mise en place d'une Constitution et d'institutions fortes.

Nous en avons enfin l'occasion historique et nous saluons à ce propos le travail accompli par le président Giscard d'Estaing.

Nous confions à cette nouvelle Europe de hautes ambitions, et tout d'abord un vrai projet de paix et de stabilité pour des pays qui ont souffert. La constitution d'une Europe de la défense devient donc une priorité urgente.

Ensuite, l'Europe doit être une zone de prospérité économique et de progrès social. La dynamique des échanges doit s'accélérer, et l'expansion soutenue des économies de l'Europe centrale et orientale doit profiter aux autres pays.

De même, les principes de solidarité et de progrès social doivent permettre d'élaborer un modèle social européen reposant sur le principe de l'économie sociale et du développement durable.

Enfin, l'Europe doit défendre un modèle de civilisation et des valeurs. Elle doit assurer le développement d'une identité culturelle forte, dans la diversité des langues, nationales et régionales.

Le projet de traité sur la Constitution constitue en ce sens une avancée. Pour la première fois, un projet de traité donne valeur constitutionnelle aux droits fondamentaux des citoyens, notamment sur le plan social.

Pour la première fois sont reconnus juridiquement la lutte contre l'exclusion et les discriminations, le développement durable et l'égalité des sexes.

Construire l'Europe à 25, c'est construire une communauté de destin.

Avec enthousiasme, le groupe UDF votera le projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

Mme Marie-George Buffet - Les députés communistes et républicains sont favorables à l'élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux pays (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP), dès lors que les peuples concernés l'ont eux-mêmes souhaité.

Les hommes et les femmes de notre continent attendent que l'on _uvre au rapprochement effectif des peuples. Ils attendent que l'Europe soit un espace ouvert, qui concourt à la construction d'une autre mondialisation. Ils veulent construire une Europe sociale et solidaire en lieu et place de cette Europe libérale, une Europe renforçant ses atouts économiques, ses potentiels de recherche, une Europe harmonisant par le haut ses politiques sociales et développant les services publics, une Europe respectueuse de la diversité culturelle.

Nous ne nous reconnaissons pas dans les arguments qui développent des peurs égoïstes et le dumping social n'a pas attendu l'élargissement pour exister. Le contrecarrer devrait être l'honneur et l'objectif d'une Europe de progrès.

A ceux qui clament que cet élargissement coûtera cher aux contribuables français, il faut expliquer que le tort de l'Union européenne n'est pas d'être trop généreuse avec les pays entrants, mais de ne l'être pas assez. Voyez les efforts drastiques qui leur ont été demandés. Le coût de l'élargissement devrait d'ailleurs mettre à contribution les grandes entreprises occidentales qui ont réalisé des profits faramineux dans ces pays depuis l'ouverture de leurs marchés.

Il faut ouvrir les portes de l'Europe, mais de quelle Europe parlons-nous ? Celle de la concurrence, de la loi du marché ? Ce n'est pas celle que veulent les peuples de notre continent.

La question qui nous est posée est piégée. Nous craignons que le rendez-vous historique dont on nous rebat les oreilles demeure dans l'histoire un moment douloureux pour les peuples concernés.

M. Jean Marsaudon - Budapest, 1956 !

Mme Marie-George Buffet - Il faut avoir à l'esprit la façon féodale dont les négociations ont été menées : par un chantage à l'isolement, ils se sont vu imposer l'acquis communautaire, la chape libérale, le traité de Maastricht et ses frères de misère. C'était à prendre ou à laisser. Est-ce cela l'Europe, présentée comme une construction des peuples ? Le dernier exemple en date est le passe-droit que se sont octroyés Paris et Berlin, pliant l'Europe à leur volonté, alors que c'est le pacte de stabilité qu'il faut remettre en cause. L'acquis communautaire, qu'il faut traduire par « dogme libéral » n'est pas une valeur sacrée mais un vice rédhibitoire.

C'est pourquoi il faut remettre l'Europe sur le métier, avec les dix nouveaux entrants. Partout, il faut que les peuples aient leur mot à dire. Nous demandons un référendum sur le projet de Constitution, qui vise à faire du libéralisme le fin mot de l'histoire européenne.

Nous disons à ces peuples « bienvenue », mais nous leur disons aussi « attention ». L'Europe qui vous ouvre les bras a imposé à nos peuples déjà trop de souffrances (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

S'il s'agissait de dire oui à l'Europe des peuples, nous n'aurions pas une seconde d'hésitation, mais il nous est demandé de dire oui à l'Europe des marchés qui s'imposera à eux.

C'est pourquoi les députés communistes et républicains ne prendront pas part à ce vote (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Président - Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

M. Jacques Barrot - Notre oui à l'élargissement est d'abord une démarche d'accueil fraternel pour les dix nouveaux Etats (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Ces peuples ont traversé des épreuves terribles. Ils ont vécu sous le joug soviétique, ils ont tourné leur regard vers l'Europe, comme la chance de leur libération. Puis ils ont fait de remarquables efforts pour sortir de l'économie administrée, pour construire un Etat de droit, pour transposer les règles que s'est données l'Union européenne.

Se dérober à ce rendez-vous avec eux serait incompréhensible et injuste. En les accueillant, l'Europe poursuit sa vocation. Il s'agit en effet de construire un espace de paix à l'abri des conflits d'hier et des nationalismes belliqueux.

L'élargissement, c'est une chance pour l'ensemble des européens de jouer un rôle irremplaçable dans la construction de la paix à travers le monde. L'Europe n'est-elle pas par excellence le continent des réconciliations ? Cette Europe, qui a été capable de guérir de ses traumatismes, est sans doute plus capable que d'autres de servir de modèle au Moyen-Orient, en Afrique, en Amérique latine.

L'élargissement, ce sont des chances nouvelles pour la croissance économique de la France et de l'Europe. Nous devenons l'un des plus grands marchés du monde. Nous accueillons des pays dont la croissance actuelle est plus élevée que la nôtre et qui recèlent un potentiel important de dynamisme. Leur histoire témoigne de leurs capacités scientifiques et industrielles.

L'élargissement fera de l'Europe un acteur plus écouté dans la mondialisation. Elle pèsera plus fortement au sein des organisations internationales, elle pourra promouvoir un modèle social et culturel original.

Mais cet élargissement doit être réussi. Il faut pour cela une vie institutionnelle efficace. Oui, nous soutenons les efforts du Gouvernement pour préserver les avancées inscrites dans le projet de Constitution. Oui, nous le soutenons quand il refuse une Constitution au rabais.

Il faut également organiser au sein de cette Europe élargie un cercle vertueux de croissance. Aux Quinze d'accepter un effort pour les Dix afin de permettre leur remise à niveau et d'en faire des partenaires économiques et sociaux à part entière.

Enfin, il faut populariser cette nouvelle Europe. Il est temps de susciter de nouveaux projets dans les domaines de la défense, des infrastructures, de la recherche, car l'Europe ne saurait se réduire à une zone de libre-échange.

L'UMP militera avec le Gouvernement pour donner à cette Europe une identité qui lui permettra de jouer son rôle dans le monde. C'est ainsi que nous entendons rester fidèles à l'esprit des fondateurs. Qui peut nier que cette construction ait déjà été déterminante pour la paix et le progrès ?

L'UMP, à l'unanimité, soutient pour toutes ces raisons le traité d'élargissement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jean-Marc Ayrault - La manière dont ce débat a été organisé, en pleine nuit, n'est pas digne d'une grande démocratie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). La portée historique de ce vote en a été affaiblie. Le Gouvernement est en fait indifférent, ou gêné, vis-à-vis de pays, qui, pendant cinquante ans, ont eu la malchance d'être du mauvais côté du mur.

Le continent européen s'unit, comme nous l'avions souhaité depuis cinquante ans. Votre Gouvernement donne pourtant le sentiment de subir cet événement. Comment demeurer frileux quand tombe le Mur de l'histoire ? Parce que nous sommes la France, parce que nous portons l'esprit de solidarité dans le monde, nous n'avons pas le droit de céder à un égoïsme de riches ou de faire preuve d'une prudence de rentiers. L'adhésion des dix peuples de l'Est et du Sud qui nous rejoignent est un dû. C'est pourquoi je redis solennellement à ces peuples : Bienvenue, vous êtes des nôtres, à égalité de droits et de devoirs. Nous pouvons avoir des divergences sur la manière de construire l'Union, sur son degré d'intégration, sur la représentation de chacun, mais nous avons tous le même projet de civilisation : une Europe des solidarités, fondée sur une communauté de destin qui unit des peuples libres dans des pays libres.

Tout recommence aujourd'hui. L'Europe ne fonctionnera pas à 25 comme elle l'a fait à 6, puis à 10 et à 15. La paralysie et l'impuissance la guettent. Ce qui s'est passé lundi soir, à Bruxelles, hélas à l'initiative de la France, témoigne du danger que fait peser l'égoïsme de notre Gouvernement, prompt à donner des leçons à ses partenaires mais le premier à s'affranchir des règles qu'il a lui-même acceptées (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Certes, le pacte de stabilité mérite d'être réformé. On ne peut plus se contenter d'une vision monétariste, il faut également favoriser la croissance et l'emploi. Mais cette réforme ne peut récompenser l'échec économique et la gabegie financière, ni être menée à bien par le diktat du fait accompli. Par la faute de votre Gouvernement, Monsieur le ministre, le gouvernement économique de l'Europe vient de subir sa plus cinglante défaite. Quelles seront les conséquences pour les Français des engagements pris à Bruxelles ? Quel plan d'austérité se prépare ? Le refus persistant du Premier ministre de répondre à nos questions est non seulement choquant, mais inquiétant.

La France et l'Europe risquent de payer très cher cette arrogance. Nous le voyons d'ailleurs déjà à la conférence intergouvernementale. Monsieur le ministre des affaires étrangères, vous avez réitéré hier votre refus d'une constitution européenne au rabais. J'aimerais croire à votre sincérité. Une constitution pour l'Europe mérite mieux que des messes basses. Le projet de la Convention marque un progrès important qui mérite d'être encore amélioré sur le plan fiscal, social, diplomatique, militaire... Hélas, les manquements de votre Gouvernement à la solidarité et à la discipline isolent notre pays et font le lit de la coalition des « eurotièdes » qui souhaite s'en tenir au statu quo.

Cela étant, la Constitution n'est qu'un cadre, un moyen. C'est une vision politique de l'Europe future qui serait nécessaire. Or, vous n'avez pas répondu à cette attente. Osons reconnaître que l'Europe souffre d'une dérive libérale. Osons dire à nos partenaires et à nos peuples que l'Europe, à 25, n'avancera plus du même pas qu'à 15. Osons exprimer le souhait de groupes d'avant-garde, qui iront plus vite et plus loin en matière d'intégration sociale, fiscale, diplomatique et militaire. Osons dire que la France et l'Allemagne en seront les moteurs mais qu'aucune nation n'en sera exclue a priori.

La condition impérative, que votre Gouvernement ne respecte pas, est la constance. Que la France soit elle-même exemplaire et qu'elle respecte sa parole devant les nations de l'Union ! Abandonnons les incantations ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Finissons-en avec les discours qui font de l'Europe le bouc émissaire ou la panacée ! L'Europe à venir ne réussira qu'en mariant le possible et le souhaitable, en associant les peuples à sa construction, en étant un véritable espace politique où l'alternance démocratique peut modifier le cours des choses. Telle est en tout cas la position des socialistes.

Le défi est à la fois simple et considérable. Que tous les progressistes d'Europe s'unissent ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Qu'ils travaillent ensemble pour faire contrepoids à la mondialisation libérale ! C'est ainsi que nous retrouverons la confiance des peuples. Cette longue marche commence aujourd'hui. C'est pourquoi le groupe socialiste votera oui à l'élargissement, avec conviction, mais les yeux grand ouverts.

A la majorité de 505 voix contre 3 sur 527 votants et 508 suffrages exprimés, l'article unique du projet de loi est adopté.

La séance, suspendue à 16 heures 50, est reprise à 17 heures.

ADAPTATION DE LA JUSTICE AUX ÉVOLUTIONS DE LA CRIMINALITÉ
(deuxième lecture)

L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi modifié par le Sénat portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Nous examinons en deuxième lecture le texte qui va renforcer les moyens d'action de la justice contre la criminalité organisée.

Dans une matière aussi sensible que le droit pénal, le dialogue entre les deux assemblées a une importance particulière. Le Gouvernement a souhaité que la navette permette d'aboutir à la rédaction la plus exhaustive possible.

Je vais vous rappeler les grandes lignes de ce projet, dont je tiens à dire qu'il a fait l'objet d'une large consultation à la Chancellerie. Nous avions diagnostiqué la radicalisation d'une partie de plus en plus importante de la délinquance et de la criminalité. Nous avons devant nous, en effet, de véritables entreprises criminelles, qui organisent les trafics et qui utilisent la violence pour parvenir à leurs fins.

Notre diagnostic insistait donc sur la nécessité d'améliorer le fonctionnement de la justice pénale et le service rendu au citoyen, en introduisant dans notre droit la notion de « délinquance ou criminalité organisée », comme l'ont fait nos voisins européens. C'est indispensable au bon fonctionnement des mécanismes d'entraide.

Nous proposons en outre d'adapter la structure même de la justice pénale à celle du crime organisé et de spécialiser les magistrats.

Ce sont les juridictions interrégionales qui auront vocation à connaître des affaires de criminalité organisée et qui bénéficieront des moyens logistiques et humains nécessaires.

Dans la même logique, j'ai placé au niveau interrégional les pôles financiers qui n'existent actuellement que dans quelques grandes juridictions.

En ce qui concerne les pouvoirs des autorités de poursuite et les règles de procédure applicables à la criminalité organisée, mon propos était d'étendre des règles qui sont actuellement d'application très restreinte, alors que la plupart de nos partenaires en ont une conception plus volontaire. Il s'agit de la possibilité de recourir aux procédures de surveillance, d'infiltration et à des mécanismes d'atténuation ou d'exemption de peine au bénéfice des repentis. Vous y avez ajouté la sonorisation et l'interception d'images dans certains lieux et votre commission des lois a précisé le régime applicable à la garde à vue d'une durée maximale de 96 heures, que je vous avais proposé de rendre applicable à la catégorie la plus grave des infractions de criminalité organisée.

Je vous avais également soumis une innovation procédurale, à mon avis indispensable à l'amélioration du fonctionnement de notre justice : la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Le nombre d'articles parus depuis lors sur le sujet, l'organisation de colloques montrent que les praticiens du droit se sont déjà approprié cette procédure, ce dont je me félicite.

La navette a permis d'en préciser les contours et elle préserve les fondements traditionnels de notre système juridique en réservant l'exclusivité du déclenchement au procureur de la République et la décision finale au président du tribunal.

Avec l'accord du Gouvernement, le Sénat a transposé les dispositions de la décision-cadre du 13 juin 2001 relative au mandat d'arrêt européen. Cette initiative très opportune était pleinement justifiée par la nécessité de respecter nos engagements dès le début de l'année 2004.

Autre innovation, le fichier national informatisé des auteurs d'infractions sexuelles. Au nom du Gouvernement, le 15 septembre dernier, je m'étais engagé, avec le ministre de l'intérieur, à mettre en place ce fichier. Le constat est en effet alarmant : les infractions sexuelles sont devenues, en vingt ans, la première cause d'incarcération.

Il s'agit là de comportements traumatisants pour les victimes et leur entourage. Dans le texte qui vous est soumis, les personnes ayant fait l'objet d'une condamnation pour une infraction sexuelle grave seront enregistrées dans un fichier national tenu par l'autorité judiciaire. Obligation leur sera faite de signaler tout changement d'adresse. Le Sénat a fixé à quarante ans la durée de conservation des informations.

Ce fichier, qui sera alimenté par l'autorité judiciaire, pourra être consulté par les magistrats, mais aussi par les officiers de police judiciaire, sur la base d'un critère géographique ou nominatif, à l'occasion des enquêtes ouvertes pour la recherche d'auteurs d'infractions sexuelles. Enfin, l'autorité préfectorale pourra vérifier si une personne qui sollicite un agrément au titre d'une profession impliquant des contacts avec l'enfance et l'adolescence est inscrite au fichier.

Telle est la première ébauche du dispositif que votre commission des lois se propose de compléter et de préciser. Ce système, nous en sommes d'abord débiteurs à l'égard des victimes. Ce que les Français nous demandent, nous n'avons pas le droit de ne pas l'entendre.

M. Gérard Léonard - Tout à fait !

M. le Garde des Sceaux - Il faut affronter les réalités sans faiblir. La force d'une démocratie se mesure à sa capacité à se protéger des atteintes et par là même à se renforcer. Jamais je n'accepterai qu'on continue de ne rien faire pour punir rapidement les coupables et sauvegarder les droits des victimes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois - La navette a permis de renforcer les deux piliers de ce texte. Le premier, c'est la création de pôles spécialisés, comme il a été fait, sous une autre législature, pour combattre le terrorisme. En créant des juridictions spécialisées, nous éviterons qu'un tribunal local s'en tienne aux infractions les plus visibles, sans remonter jusqu'aux véritable auteurs de la criminalité organisée.

En second lieu, ce texte donne au procureur de la République plus d'outils pour apporter une réponse proportionnée à la délinquance. Nos concitoyens sont en effet révoltés par le nombre important de classements sans suite. Des innovations comme la comparution après reconnaissance de culpabilité ou le développement de la composition pénale sont autant de réformes adaptées. Pour cette deuxième lecture, la commission des lois a travaillé principalement sur quatre points importants. D'abord, le fichier des délinquants sexuels. Nous avons cherché des solutions à la fois proportionnées et efficaces. Nous n'avons pas retenu la durée d'inscription de 40 ans votée par le Sénat : le maintien des informations dans le fichier ira de 10 à 30 ans selon la gravité de l'infraction. Nous avons également mieux encadré le droit de consultation du fichier par l'administration.

L'objectif du fichier est double : interdire aux délinquants sexuels l'accès à des professions en contact avec les enfants et fournir rapidement à la police judiciaire des informations fiables en cas d'enquête sur la disparition d'un enfant. Toute personne inscrite au fichier devra justifier chaque année de son adresse. Nous avons également souhaité que tous les auteurs de délits ou crimes sexuels condamnés ces dernières années y figurent, soit 100 000 personnes environ.

En première lecture, nous avions commencé à travailler sur l'application des peines. Nous avons maintenant avancé sur un point important, l'exécution des peines. Trop souvent la police et la justice font leur travail, mais le jugement n'est pas appliqué, ou trop tard - le délai moyen entre l'audience pénale et le début d'exécution de la sanction dépasse sept mois, ce qui lui enlève une grande partie de son efficacité et développe un sentiment d'impunité chez les délinquants. La rapidité d'exécution de la sanction nous semble aussi importante que sa gravité, tant vis-à-vis des victimes que des auteurs de l'infraction (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Nous avons donc voté un dispositif novateur, la généralisation de la convocation directe à l'audience. La personne condamnée recevra, avant de quitter le palais de justice, une convocation pour se rendre, dans les trente jours, chez le juge d'application des peines ou au service pénitentiaire de probation. Pour éviter de créer des problèmes de fonctionnement dans les juridictions, cette disposition ne sera appliquée systématiquement qu'à partir de 2007. Le Garde des Sceaux a annoncé une expérimentation dans trois cours d'appels et le délai de trois ans permettra d'informatiser toute la chaîne pénale.

Dernier point traité par la commission des lois, l'accompagnement des détenus après leur sortie de prison. La plupart d'entre eux sont renvoyés sans aucune préparation ni suivi dans leur milieu d'origine, ce qui les pousse à la récidive. Il faut limiter au maximum ces sorties « sèches » et mieux utiliser les dispositifs existants. Sur les 2 000 places en centres de semi-liberté, régime qui permet au détenu de travailler à l'extérieur, 1 200 seulement sont actuellement utilisées. Et 223 personnes seulement sont placées sous surveillance électronique, pour 500 places disponibles.

En Allemagne, 15 % des peines de prison sont effectuées en semi-liberté. Pour les courtes peines, ce régime est bien préférable à l'oisiveté et à la promiscuité de la prison. Il permet aussi d'indemniser les victimes et de mieux maîtriser les dépenses publiques : une journée en maison d'arrêt coûte 60 € au contribuable, une journée en semi-liberté entre 20 et 30 €.

Pour les peines de durée moyenne - jusqu'à cinq ans de prison -, nous estimons que, sauf contre-indication, les derniers mois devraient être exécutés de préférence en régime de semi-liberté. Bien entendu, si les obligations imposées ne sont pas respectées, le juge d'application des peines pourra décider le retour immédiat à la maison d'arrêt.

Je remercie mes collègues de la commission, dont le travail fera de ce projet un grand texte de procédure pénale et améliorera le fonctionnement de notre justice (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. André Vallini - Avant une réforme de la procédure pénale, il faut toujours se poser une question simple : améliore-t-elle ou non le fonctionnement de notre justice pénale ?

En ce qui concerne votre texte, la réponse est, hélas, négative (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). La justice française n'en peut plus des réformes successives. Depuis 1981, la procédure pénale a été réformée 23 fois.

A peine les règles sont-elles entrées en application qu'elles sont modifiées. Les textes votés sont complexes, parfois contradictoires, et donc toujours mal appliqués. Ce qu'il nous faudrait, c'est une réflexion de fond sur ce que doit être la procédure pénale en Europe. Or, vous nous présentez aujourd'hui un texte qui touche à 418 articles du code de procédure pénale !

Nous disons oui, évidemment, aux amendements du rapporteur concernant l'exécution des peines. C'est un progrès, même si le vrai progrès serait de discuter le projet préparé, après une longue concertation, par Mme Lebranchu.

Nous disons oui aussi à la coopération judiciaire internationale et au mandat d'arrêt européen - nous ne vous avons d'ailleurs pas attendus à cet égard !

Et nous aurions dit oui aussi à un vrai projet de loi sur la grande criminalité organisée. Mais votre texte est très insuffisant en matière économique, financière et fiscale.

Quelles sont les principales dispositions du projet, après que le Sénat l'ait un peu amélioré sur certains points et beaucoup durci sur d'autres ? Il accroît considérablement les pouvoirs de la police judiciaire au stade de l'enquête, la flagrance pouvant être étendue à quinze jours en cas d'urgence.

La durée de la garde à vue pourra être portée à 96 heures, mesure qui ne concernait jusqu'à présent que les terroristes et les trafiquants de stupéfiants.

Les perquisitions de nuit vont être facilitées et l'installation secrète de micros et de caméras dans des domiciles privés pourra être autorisée par le juge des libertés.

Quant à la réquisition de toute personne physique ou morale pour obtenir la remise de documents intéressant l'enquête, c'est une disposition dangereuse. Si le choix fait au départ par l'OPJ d'agir dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée se révèle par la suite erroné, cela sera sans incidence sur la régularité de la procédure - c'est du jamais vu dans notre pays !

En ce qui concerne la procédure pénale de droit commun, votre texte renforce également les pouvoirs de la police judiciaire et le rôle du ministère public.

Les parquets auront beaucoup de mal à assumer ces missions supplémentaires. Et puisque vous réaffirmez le pouvoir hiérarchique sur le parquet, comme vous l'avez confirmé hier après-midi à l'occasion des questions au Gouvernement, il faudrait néanmoins lui assurer son autonomie et offrir aux magistrats les mêmes garanties statutaires que celles dont bénéficient leurs collègues du siège en matière d'avancement et de discipline. Le projet de loi Chancellerie-Parquet, initié par Mme Guigou, avait été voté en première lecture mais vous n'êtes pas allé plus loin ; quant à la réforme du CSM, le Président de la République a renoncé à la soumettre au Congrès : sans doute a-t-il eu peur que sa majorité change d'avis entre Paris et Versailles... (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Les magistrats du siège, votre projet vise à les cantonner à un pouvoir de décision, voire à les faire évoluer vers une fonction de contrôle et d'homologation.

En ce qui concerne les droits de la défense, le développement des procédures accélérées ne laissera qu'un rôle secondaire, voire d'alibi, aux avocats, le parquet pouvant même assister aux auditions des témoins sans que la défense soit présente.

Vous remettez en cause tant le débat contradictoire que la publicité des audiences.

En résumé, vous marginalisez le juge d'instruction au profit du procureur, sous le contrôle léger - très léger - du juge des libertés et de la détention, face à une défense qui sera bien démunie. Si la loi sur la présomption d'innocence de juin 2000 avait réformé notre système par le haut, notamment au regard des droits de l'homme et des droits de la défense, vous vous apprêtez, Monsieur le ministre, à modifier la procédure pénale par le bas, c'est-à-dire par le répressif (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

En outre, votre texte s'est transformé en fourre-tout, puisqu'on y trouve maintenant des dispositions relatives au fichier des délinquants sexuels, à la liberté de la presse ou encore à la responsabilité des personnes morales... On est loin de l'objectif affiché au départ.

Vous cherchez à prendre votre revanche sur la loi du 15 juin 2000, cette grande loi républicaine qui avait fait faire un progrès considérable à notre droit (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Le premier de ses inspirateurs était le Président de la République, et le Parlement avait amélioré le projet, le plus souvent à l'unanimité. Depuis la campagne présidentielle, le vent souffle dans l'autre sens, vers le tout répressif... Ce texte a d'ailleurs été concocté par le ministre de l'intérieur : ce sont M. Sarkozy et les commissaires de police qui l'ont voulu et quasiment écrit ! C'est une grande première...

Dans l'évolution de notre procédure pénale, le passage du code d'instruction criminelle au code de procédure pénale en 1958 a été une grande étape. En 1981, la justice française s'est placée enfin dans le cadre de la Convention européenne des droits de l'homme. La loi de juin 2000 a également constitué une étape très importante. Mais les principes fondamentaux qui se sont dégagés depuis vingt ans permettent maintenant d'envisager une véritable conception européenne du procès pénal, dans le cadre d'un jus communis élaboré par des juristes de près de quatre-vingts pays ; c'est cela que le monde de la justice attend, et non pas une énième réforme de la garde à vue ou de la détention provisoire.

Ce projet est mauvais et dangereux. Il ne traite même pas de la criminalité organisée économique, financière et fiscale. Nous voterons donc contre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Elisabeth Guigou - Excellent !

M. Jean-Paul Garraud - Conformément aux engagements pris, Monsieur le Garde des Sceaux, vous nous proposez une réforme courageuse et particulièrement importante de notre système pénal. En revenant sur des lois qui avaient paralysé l'action des forces de l'ordre et de la justice, nous allons nous donner les moyens de lutter contre les formes nouvelles de délinquance et de criminalité.

Notre rapporteur Jean-Luc Warsmann n'a pas ménagé sa peine et a réalisé un excellent travail, notamment sur toutes les dispositions concernant l'individualisation des peines et l'accompagnement, destinées à éviter la récidive et à favoriser la réinsertion.

Comment concilier sanction et prévention, condamnation et éducation, privation de liberté et réinsertion ? Nos prédécesseurs ont beaucoup réfléchi à toutes ces questions à travers colloques et conférences, pendant que la délinquance explosait et privait nos concitoyens de la première des libertés, qui est la sécurité ; nous préférons agir, avec pragmatisme et efficacité.

Nous nous attaquons par ce texte à la grande délinquance, celle des réseaux mafieux et des trafics internationaux ; celle qui utilise toutes les techniques modernes et dispose de revenus considérables, grâce notamment au trafic de drogue ; celle qui profitait de notre législation archaïque, fondée sur des a priori idéologiques jetant la suspicion sur les forces de l'ordre, taxées de vouloir porter atteinte aux droits de l'homme.

M. André Vallini - Je n'ai pas dit cela !

M. Jean-Paul Garraud - Pour limiter la détention provisoire, vous avez estimé qu'il suffisait d'enlever cette compétence au juge d'instruction pour la confier à un autre juge, dit des libertés et de la détention. Mais vous ne vous êtes pas souciés de l'augmentation de la délinquance...

Mme Elisabeth Guigou - Que ne le supprimez-vous ?

M. Jean-Paul Garraud - En fait, les juges des libertés prononcent bien plus de mises en détention provisoires que les juges d'instruction, et l'on constate nombre d'effets pervers. Le système pénal s'est quasiment bloqué, les « niches à nullité » se sont multipliées et on a abouti à des mises en liberté scandaleuses. Dans un avenir que j'espère proche, il faudra lancer un grand débat sur la place du juge d'instruction dans notre système procédural.

Ce projet de loi reprend l'ensemble de nos souhaits : restauration de l'autorité de l'Etat, grâce à une justice plus efficace ; innovations procédurales ; reconnaissance des droits des victimes, bien peu considérés jusqu'ici, au moins dans les faits, le sort du délinquant l'emportant sur celui de la victime...

Mme Elisabeth Guigou - Comment pouvez-vous dire cela ?

M. Jean-Paul Garraud - Il faut évidemment persévérer dans la voie de la simplification des procédures car les nombreuses réformes ont en général ajouté de nouvelles contraintes, au point que, malgré des budgets en hausse, la justice est toujours aussi lente. Le « dégraissage » de nos textes est vraiment une nécessité ; tous les professionnels du droit attendent cette refonte d'ensemble de notre procédure pénale, d'autant plus quand il s'agit de lutter contre la grande criminalité.

Appréhender un membre d'une organisation criminelle sans démanteler l'ensemble du réseau est un coup d'épée dans l'eau. Or, notre justice pénale a été conçue sur l'idée que le crime était un acte commis par un individu déterminé en une circonstance donnée. Dans les réseaux criminels, les actes délictueux sont multiples, leur accomplissement résulte d'une subtile division du travail. Le crime n'est pas immédiatement visible, mais ses conséquences sont multiples. Les trafics s'articulent entre eux - drogue, armes, traite des êtres humains. Les énormes capitaux que procurent ces activités sont blanchis puis réinvestis dans d'autres activités, légales ou criminelles.

Pour être efficace, l'organisation de la justice doit répondre aux nécessités qui lui sont imposées par la matière qu'elle traite. On n'affronte pas la grande criminalité organisée comme le crime passionnel !

Il serait tentant de scinder les étapes, en réservant l'enquête à la police et la finition du dossier à la justice. Mais cette procédure accusatoire de type anglo-saxon est source d'erreur judiciaire - douce aux riches et aux puissants, elle est impitoyable pour les petits et les pauvres. Dans notre projet, au contraire, certains pouvoirs d'enquête ont été dévolus au parquet, composé de magistrats qui doivent solliciter d'un juge des libertés les autorisations et les mandats, attentatoires par principe aux droits et libertés de l'individu.

Ce système a le mérite de clarifier l'exercice des pouvoirs de chacun, tout en garantissant le respect des droits des justiciables, aussi tend-il à devenir le modèle procédural européen.

Le dispositif a encore l'avantage de rendre au parquet son rôle de directeur d'enquête, à même de mener sur l'ensemble du territoire une politique pénale définie, si besoin est au niveau central. Le parquet n'est pas tenu par les mêmes contraintes procédurales que le juge d'instruction, ce qui présente un intérêt dans la lutte contre les grands trafics.

Structure hiérarchisée, capable de s'organiser en départements dotés de magistrats et d'assistants spécialisés, en lien étroit avec les différents services administratifs et policiers, le parquet peut adapter ses moyens aux nécessités nouvelles d'une lutte intelligente contre la grande criminalité organisée.

Voilà l'orientation de votre projet qui ne supprime pas le juge d'instruction, mais superpose cette nouvelle procédure au système inquisitoire.

Vous avez choisi la voie du pragmatisme, plutôt que de revenir à l'éternel débat sur les mérites et les inconvénients des systèmes procéduraux. Ne vous arrêtez pas en chemin !

Tout d'abord, le renforcement des pouvoirs du parquet implique de garantir son indépendance, ce qui ne signifie pas que les procureurs doivent être laissés à eux-mêmes. Il n'y a rien de choquant à ce que le Garde des sceaux puisse saisir la justice d'une demande de poursuites, ni même donner son avis sur celles-ci.

M. Gérard Léonard - Très bien !

M. Jean-Paul Garraud - Les réformes mises en _uvre depuis le début de cette législature commencent à porter leurs fruits, mais il faut poursuivre les efforts, ce que nous faisons avec cette loi essentielle. Nous la voterons avec conviction (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Gérard Léonard - Très bien !

M. Michel Vaxès - Ce projet de loi a été considérablement modifié par le Sénat, qui a adopté près de 300 amendements, répondant ainsi en partie aux craintes que nous avions exprimées en première lecture. Les sénateurs ont rétabli la présence de l'avocat dès la 36 ème heure de la garde-à-vue, dans le cadre de la procédure exceptionnelle de l'article premier qui instaure une garde à vue de 96 heures.

Ils ont par ailleurs rétabli l'information du parquet dès le début de la garde à vue. La commission nationale consultative des droits de l'homme s'était, avec nous, inquiétée des atteintes aux droits de la défense, notamment du fait de la réduction du délai pour invoquer la nullité des actes d'instruction. Le Sénat est revenu au délai de six mois.

Nous avions par ailleurs dénoncé la procédure du « plaider coupable ». Sans nous rejoindre sur ce point, le Sénat a renforcé la présence de l'avocat, et décidé que la personne devait être entendue en audience publique.

L'enquête de flagrance, qui accorde à la police judiciaire des pouvoirs exceptionnels, et dont la durée a été allongée, sera mieux encadrée, le procureur de la République étant seul habilité à la conduire.

Le Sénat a également rétabli la mesure selon laquelle une personne ne peut être condamnée sur le seul fondement des déclarations d'un policier infiltré.

Une fois n'est pas coutume, les sénateurs ont adouci les dispositions les plus agressives du texte. Mais nous ne pouvions attendre plus de leur part, et le projet n'emporte pas pour autant notre adhésion et la majeure partie des remarques que nous avions formulées en première lecture restent d'actualité.

La multiplication des juridictions spécialisées pour répondre à la délinquance et la criminalité organisée, ne saurait garantir les conditions d'un procès équitable et respectueux des droits de l'homme.

Le Sénat a ainsi fondé la compétence de ces juridictions sur la notion « d'affaires qui sont ou apparaîtraient d'une grande complexité », formulation trop imprécise pour fonder d'exceptionnelles extensions de compétences territoriales.

Par ailleurs, nulle trace, dans votre projet, de la criminalité organisée en matière économique, financière et fiscale.

Nous insistons encore sur la notion de « délinquance et de criminalité organisée » car le recours à une procédure exceptionnelle ne saurait reposer sur une qualification juridique délicate à déterminer. Le choix de l'OPJ d'agir ou non dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée, ne sera jamais constitutif de nullité, même s'il se révèle erroné par la suite. Enfin, nous avions stigmatisé le développement des procédures accélérées sans débat contradictoire, comme la composition pénale qui permet au procureur, avant d'engager l'action publique, de proposer certaines mesures, dont des mesures de sûreté.

Le procureur sera encore maître du recours du « plaider coupable », qui permet à une personne ayant avoué une infraction d'éviter un procès et d'être condamné à une peine réduite. Cette procédure à l'anglo-saxonne répond à la seule préoccupation du coût de la justice, au détriment de sa qualité. La victime se sentira abandonnée par la justice et l'auteur ne pourra pas prendre la mesure de la gravité de son acte.

Les procureurs généraux des cours d'appel ont du reste fustigé, dans un « projet de charte du ministère public français », l'introduction de la procédure accusatoire qui serait de nature à « instaurer des inégalités entre les justiciables » et à « déterminer le sort des procès quasi-exclusivement en fonction de la qualité des prestations de la défense ou de l'accusation ». Est-il encore possible de vous faire changer d'avis ? J'en doute.

Nous avons choisi, par réalisme, de ne pas redéposer l'ensemble de nos amendements. Nous avons, en revanche, décidé d'amender les modifications apportées par le Sénat dans le sens d'une aggravation du projet.

Nous vous proposerons ainsi d'introduire, dans la liste des infractions de criminalité et de délinquance organisée, les délits de corruption, et de créer une nouvelle infraction afin de réprimer les comportements délictueux commis par les chefs d'entreprise.

Nous reviendrons sur la création, par le Sénat, d'un nouveau fichier des auteurs d'infractions sexuelles, ainsi que sur l'article 16 ter qui porte atteinte à la liberté de la presse.

Enfin, nous proposerons la suppression de l'article 69 quater A qui représente un véritable recul pour la dignité des détenus gravement malades ou dont l'état est incompatible avec la détention.

Parce que nous restons sceptiques sur l'efficacité réelle de ce texte, et que nous nous opposons à la nouvelle architecture de la justice qu'il dessine, nous voterons contre ce projet de loi.

M. Philippe Folliot - Willy Bruggeman, coordinateur adjoint d'Europol, déclarait en 2001 : « L'Europe combat une criminalité organisée, unifiée dans ses objectifs et ses méthodes, avec 40 codes pénaux différents et autant de forces de police et d'appareils judiciaires qu'il y a de pays en cause. Là réside le secret de la progression et de la réussite du crime organisé ».

Cette phrase reste d'actualité. La mafia sicilienne, contrôlant les trafics d'armes et de drogues, a évolué. On ne parle d'ailleurs plus aujourd'hui de la mafia, mais des mafias - chinoise, russe, turque, albanaise ou autres. La mondialisation s'est étendue aussi à la criminalité.

Les secteurs d'activités de la criminalité organisée se sont diversifiés, allant de la prostitution au blanchiment de capitaux en passant par le détournement des aides humanitaires ou le contrôle des matières premières.

Ces organisations ont su profiter des failles du système et des événements internationaux. Ainsi, le 11 septembre a polarisé l'action des forces de police sur la lutte anti-terroriste, le chef du FBI par exemple classant la lutte contre les organisations mafieuses au sixième rang de ses priorités.

Votre texte, que nous soutiendrons, témoigne d'une volonté forte de combattre cette criminalité organisée.

M. le Rapporteur - Très bien !

M. Philippe Folliot - Nous ne pouvons qu'être favorables à l'institution d'une procédure particulière applicable à la criminalité et à la délinquance organisées.

Il faut se donner les moyens de sortir d'un angélisme naïf et ne pas traiter cette délinquance de la même manière que des actes criminels isolés.

Ainsi, la légalisation de la procédure d'infiltration permettra à la police de remonter des réseaux. Nous savons en effet que les grandes structures criminelles utilisent la petite délinquance.

Elle permettra également de mettre à jour la délinquance en col blanc, que nous devons combattre avec la plus grande vigueur. Il ne peut y avoir plus longtemps deux poids, deux mesures.

Ce texte prévoit également la mise en _uvre de la convention d'entraide judiciaire européenne en matière pénale, signée le 29 mai 2000, avec la création d'équipes d'enquête communes à plusieurs pays et la possibilité pour les enquêteurs étrangers infiltrés d'opérer sur notre territoire. En effet, nous ne lutterons efficacement qu'en mutualisant nos compétences.

Sur le plan national, la coopération doit aussi être le mot d'ordre, notamment entre la police et la justice : la coordination des enquêtes sous la tutelle du procureur et l'allongement de la durée de l'enquête de flagrance y concourront.

Certes, le rôle du juge d'instruction évolue. Mais les cabinets d'instruction sont surchargés. Le projet de loi permettra de renvoyer moins de dossiers devant ces juridictions qui pourront, par conséquent, mener des enquêtes plus approfondies. Il s'agit de redonner à la profession de juge d'instruction ses lettres de noblesse en lui donnant les moyens de concentrer son action.

Je tiens à souligner le travail des rapporteurs Jean-Luc Warsmann et François Zocchetto qui ont remarquablement enrichi ce texte, notamment en ce qui concerne les mesures relatives à l'application des peines.

Nous nous étions interrogés, lors de la première lecture, sur les mesures nouvelles concernant les repentis. Si nous étions favorables à cette disposition, notre inquiétude portait sur l'absence de modalités propres à assurer leur protection. Or, le rapporteur de la commission des lois du Sénat a mis au point un dispositif complet qui comprend des mesures de réinsertion et l'institution d'une commission s'inspirant du modèle italien.

En outre, l'insertion, par la commission des lois du Sénat, d'un fichier des délinquants sexuels évitera la multiplication des faits divers mettant en cause des récidivistes. Je me suis rendu il y a quelques mois à l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie, et j'ai pu apprécier l'important travail accompli pour traquer les crimes les plus odieux.

Mais permettez-moi, Monsieur le Garde des Sceaux, d'émettre une bien modeste critique. Votre projet de loi a certes été enrichi par les travaux de l'Assemblée nationale et du Sénat, mais je suis inquiet quant à la cohérence de la politique pénale globale. Le texte de loi a fait, me semble-t-il, trop de place à l'actualité judiciaire estivale. Nous nous sommes tous indignés de la récidive d'un violeur, des feux de forêts, mais je ne pense pas que nous puissions avoir une politique pénale solide en ajoutant de nouvelles dispositions dès qu'apparaît un problème.

En d'autres termes, les objectifs du projet de loi « grande criminalité » ont été modifiés par un empilement législatif excessif, d'autant que la multiplication des réformes peut être à l'origine d'annulations de procédure.

De grâce, ne cédons pas aux pressions médiatiques et donnons-nous le temps de la réflexion.

Quatre points nous tiennent particulièrement à c_ur.

Tout d'abord, nous sommes très favorables à l'adoption d'une procédure particulière visant à la pollution des eaux maritimes par les rejets des navires. Ce problème, ainsi que toutes les catastrophes écologiques provoquées par le naufrage de pétroliers, nécessitent en effet de prendre des mesures spécifiques.

Par ailleurs, nous nous félicitons des dispositions retenues grâce à l'excellent travail de notre rapporteur sur l'application des peines. La surpopulation carcérale, la récidive trop fréquente ne pouvaient se réduire uniquement par des moyens financiers. Il fallait simplifier et accélérer les sanctions alternatives à la détention, tombées en désuétude faute d'efficacité. Favoriser le travail d'intérêt général ou le sursis-mise-à-l'épreuve redonnera confiance aux magistrats.

En outre, exiger par la loi l'exécution rapide des courtes peines de prison redonnera sens et crédibilité à la sanction.

De la même manière, une réorganisation de notre système judiciaire doit permettre de réduire les délais d'instruction et de jugement car des procédures trop longues sont péniblement ressenties par les victimes.

De plus, nous sommes favorables à la diversification des modalités d'exécution des peines, notamment avec le placement sous surveillance électronique et la semi liberté.

Enfin, il nous paraissait important d'inscrire dans la loi la répression du négationnisme concernant tous les génocides, et notamment le génocide arménien.

Vous avez pris conscience, Monsieur le ministre, des problèmes existants, vous donnez à notre institution judiciaire les moyens d'y remédier : nous ne pouvons que vous en féliciter (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Guy Lengagne - En préambule, je signale qu'une erreur s'est glissée dans la « feuille jaune ». En effet, je ne suis pas apparenté socialiste, mais bien socialiste, et fier de l'être. C'est en ma qualité d'orateur socialiste que j'interviens ici, mais aussi en celle de co-rapporteur de la délégation à l'Union européenne, avec notre collègue Didier Quentin de l'UMP, d'un rapport sur les questions de sécurité maritime. Je limiterai donc mon propos aux articles 9 et 10 du texte, relatifs aux infractions en matière de pollution des eaux marines par rejets des navires.

Que la France donne l'exemple renforcera nécessairement son influence dans les instances européennes et internationales : il faut s'en féliciter. Le texte qui nous revient du Sénat confirme, pour l'essentiel, les objectifs du projet en matière de lutte contre les voyous des mers, même si les sanctions ont été atténuées, pour ne pas pénaliser notre seule flotte de commerce.

Après les marées noires de l'Erika et du Prestige, l'opinion publique juge que l'Etat a obligation de résultat. Les articles 9 et 10 de ce texte répondent à cette attente. Les débats de première lecture, ici comme au Sénat, ont montré la nécessité de doter les tribunaux, en particulier ceux des villes du littoral, de magistrats supplémentaires. Des efforts seront également nécessaires dans d'autres domaines, qui ne relèvent pas directement de la Chancellerie. Il y a par exemple urgence à créer un corps unique de garde-côtes, comme en Grande-Bretagne. En effet, la dispersion actuelle des moyens matériels et humains entre plusieurs administrations entrave la prévention.

Mais légiférer ne suffit pas. Je l'illustrerai d'un seul exemple. Il est interdit aux navires de procéder à des déballastages ou à des dégazages sauvages en mer et les ports doivent mettre à leur disposition les installations nécessaires pour qu'ils puissent vider leurs cuves de déchets. Or, un commandant de navire, d'ailleurs président de l'association des commandants, s'est plaint à nous du manque général d'infrastructures appropriées dans les ports, quand celles-ci ne sont pas en panne ou saturées... Que peut faire en ce cas un navire dont les cuves sont pleines ? Rester au port ? Cela lui coûte très cher, et il doit de toute façon respecter son plan de transport. Repartir quand même ? Mais il n'a alors d'autre solution que de vider ses déchets en mer.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - Très juste !

M. Guy Lengagne - Il conviendrait de sanctionner aussi les Etats, lorsque ceux-ci ne peuvent offrir les installations nécessaires. La France, qui n'est d'ailleurs pas seule dans ce cas, n'a, hélas, toujours pas transposé la directive du 27 novembre 2000 sur les installations de réception portuaires pour déchets d'exploitation et résidus de cargaison. Cela n'est pas directement de votre compétence, Monsieur le Garde des Sceaux, mais il serait bon de faire remonter l'information. Une transposition par voie d'ordonnance prise dans le cadre de la loi d'habilitation sera peut-être la solution.

Le littoral français, bordé à l'ouest par le plus grand boulevard maritime du monde, est l'un des plus exposés. La législation nationale ne saurait suffire, à elle seule, pour prévenir les marées noires. La réglementation est même du ressort exclusif de l'Organisation maritime internationale. Hélas, l'adoption d'une décision à l'OMI prend de cinq à sept ans et les Etats voyous ou semi-voyous ont la majorité au sein de cette instance, si bien que les propositions soumises à approbation sont très édulcorées. En attendant, l'Union européenne peut jouer un rôle important. Et force est de constater que la Commission, qu'il est coutume de critiquer - je ne suis pas le dernier à le faire - a été, à l'initiative de Mme de Palacio, pionnière avec les mesures Erika I et Erika II. Si celles-ci avaient été mises en _uvre auparavant, la catastrophe du Prestige n'aurait sans doute pas eu lieu.

Le Conseil européen des 20 et 21 mars 2003 a souhaité que l'Union européenne se dote avant la fin de l'année, « sur la base juridique appropriée », d'un dispositif de sanctions pour lutter contre les pollutions maritimes. La Commission a donc élaboré une proposition de directive, dont la discussion se présente, hélas, sous les plus mauvais auspices. En effet, l'émotion et la pression des médias s'étant maintenant estompées, les Etats membres, y compris la France, ont repris leurs mauvaises habitudes et freinent l'initiative de la Commission. Les Etats contestent notamment le fait qu'une directive portant sur le premier pilier puisse définir des sanctions pénales, domaine relevant, selon eux, du troisième pilier. Cette controverse a conduit la Commission à présenter en mai dernier une proposition de décision-cadre précisant le régime des sanctions. Or, une décision-cadre ne peut être adoptée qu'à l'unanimité - le Parlement européen n'étant d'ailleurs que consulté -, et la Commission n'a quasiment aucun recours si elle n'est pas appliquée, alors que dans le cas d'une directive, dont l'adoption requiert, elle, l'unanimité, elle peut exercer un recours en manquement à l'encontre d'un Etat qui n'en respecte pas les dispositions. On voit bien dès lors que l'on va chercher à gagner du temps, de façon à arriver au 1er mai 2004, date de l'adhésion de dix nouveaux pays, parmi lesquels Malte et Chypre, classés il y a peu parmi les Etats voyous. Ils ont certes fait des progrès pour intégrer l'Union, mais je ne pense pas qu'ils soient pour autant prêts à voter une décision à l'unanimité concernant la répression des pollutions maritimes. C'est pourquoi Didier Quentin et moi avons présenté, il y a quelques jours, une proposition de résolution, adoptée à l'unanimité par la Délégation à l'Union européenne, pour que les infractions et les sanctions pénales demeurent bien définies dans la directive.

Je souhaite que le Gouvernement, dans ses arbitrages futurs, partage notre préoccupation. Il y va de l'intérêt bien compris de notre pays, mais aussi des riverains de la Baltique et de la Méditerranée, nullement à l'abri d'une catastrophe. Il ne faudrait surtout pas que demain, parce que les discussions à Bruxelles n'ont pas avancé assez vite, une nouvelle marée noire souille nos côtes. Je vous laisserai alors expliquer à nos concitoyens les subtilités entre ce qui relève du premier et du troisième pilier ! L'expérience m'a appris que c'est en « débordant » légèrement des textes que l'on fait avancer les choses. Je sais, Monsieur le Garde des Sceaux, que votre position n'est pas facile. Je vous demande simplement de faire passer le message dans vos services, ainsi que dans la forteresse du ministère des affaires étrangères et au SGCI (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président de la commission - Très bien !

M. Christian Estrosi - Ce projet de loi marque une étape importante dans la lutte contre les criminalités de toutes sortes. Je vous en félicite, Monsieur le Garde des Sceaux ainsi que tous les membres de la majorité qui vous ont soutenu.

Je me limiterai dans cette intervention à trois points. Tout d'abord, je salue la mise en place d'un fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles, sous le contrôle des juges. Je suis, pour ma part, convaincu que c'est la police scientifique et technique qui permettra de gagner en efficacité et que c'est dans ce secteur qu'il faut concentrer les moyens. J'ai pu constater, lors d'un déplacement à Londres au Home Office et dans les entreprises ayant reçu délégation pour assurer le prélèvement et le traitement des empreinte génétiques, que le fichier britannique comporte deux millions de noms. Le nôtre n'en comportait, il y a peu encore, que 1 800. Il devrait en comporter 13 000 à la fin de l'année, 150 000 à la fin 2004 et de 300 000 à 400 000 dans quelques années. Notre retard était considérable. En effet, des pays comme la Grande-Bretagne et les Etats-Unis s'étaient dotés d'un tel outil depuis 1988.

Je me réjouis de voir qu'il sera possible d'effectuer un prélèvement forcé d'empreinte sur les criminels sexuels. Enfin, nous nous donnons les moyens de combattre ces criminels monstrueux qui violent, mutilent et assassinent des innocents.

Je veux par ailleurs évoquer les nouvelles peines frappant les auteurs volontaires et involontaires d'incendies de forêts. C'est pour aggraver ces peines que j'ai déposé cet été une proposition de loi, qui a été cosignée par deux cents députés.

Désormais, les incendiaires, pyromanes et imprudents paieront le prix fort et j'ose espérer que plus jamais nos paysages ne seront dévastés par des incendies qui, dans ma région, ont coûté la vie à plusieurs pompiers.

Au-delà de votre projet, Monsieur le Garde des Sceaux, je souhaite que s'engage une réflexion sur l'amélioration de notre système judiciaire et sur la responsabilité de nos magistrats.

Il y a une semaine, la gérante d'un magasin de chaussures du XVIIe arrondissement de Paris était sauvagement égorgée et tuée de vingt-cinq coups de couteau. L'arrestation de son meurtrier présumé, un multirécidiviste déjà recherché pour une tentative de meurtre sur une autre femme, n'apaise pas notre colère et notre incompréhension. Je pourrais aussi évoquer ce délinquant, arrêté cinquante-trois fois et condamné vingt-six fois, qui vient d'assassiner un policier. A Nice, il y a dix jours, un bijoutier est mort d'une balle en pleine tête, tirée par un individu plusieurs fois condamné pour violences, qui était sorti de prison trois semaines auparavant.

Pourquoi ces meurtres gratuits et ignobles ? Et pourquoi des individus violents et dangereux sont-ils en liberté ?

Quand un policier tire sur un délinquant qui essaye de l'écraser avec sa voiture, il est poursuivi pour cette bavure.

Quand un magistrat relâche un dangereux multirécidiviste qui abat froidement le premier commerçant venu, ne commet-il pas une faute tout aussi grave ?

Il est temps de réfléchir à un système de responsabilisation de nos magistrats, au-delà des primes au mérite que vous avez raison de créer.

Il faut sans doute rappeler à certains magistrats qu'ils ne peuvent, en s'abritant derrière le principe de l'opportunité des poursuites, s'affranchir totalement de la politique pénale !

Je sais que l'accroissement constant des pouvoirs des juges, dans le souci d'une meilleure personnalisation de la peine, a dominé l'évolution de notre droit pénal depuis deux siècles. En 1994, quand nous avons réformé le code pénal, nous avons ainsi supprimé les minima des peines encourues. Il est temps de songer à les rétablir, au moins pour certains crimes.

Monsieur le ministre, gardons présents à l'esprit nos engagements : chaque faute doit être sanctionnée, par une peine adaptée, certes, mais réelle.

Trop souvent, la police interpelle et les parquets relâchent. Avec ce projet, nous faisons un grand pas. Il restera des petits pas à faire, mais nous savons que nous pouvons compter sur vous (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Noël Mamère - Ce projet n'était que l'application de la doctrine Sarkozy en matière judiciaire. Il est devenu, après son examen par le Sénat et la commission des lois, un vaste fourre-tout dont j'avais déjà dénoncé le caractère liberticide en première lecture. Du fichage des délinquants sexuels à l'information des maires sur les procédures judiciaires concernant leurs administrés, votre projet est devenu un OVNI législatif. Son application risque d'engorger les tribunaux qui attendent surtout de nouveaux moyens. On ne peut que s'interroger sur cette stratégie qui est davantage celle de la place Beauvau que celle de la place Vendôme. Cette contre-réforme va ébranler les bases mêmes de notre République, fondée sur la cohésion sociale, l'égalité de tous devant la loi, les libertés individuelles et collectives. Vous prétendez adapter la justice aux évolutions de la criminalité, mais vous faites l'impasse sur la grande délinquance économique et sociale. Après les catastrophes de l'Erika et du Prestige, vous envisagez une juridiction pour réprimer la pollution maritime, mais vous ne dites pas un mot sur la criminalité écologique, sur ceux qui introduisent les OGM, qui polluent notre air et nos sols. Ce projet se caractérise par un accroissement des pouvoirs de la police et un affaiblissement de la justice dans son rôle constitutionnel de garantie des libertés individuelles.

L'extension de la procédure contre les bandes organisées - dont nous cherchons vainement une définition précise - à la criminalité organisée donne aux services de police la liberté de choisir la qualification des infractions sur lesquelles ils enquêtent. Dans son avis du 27 mars 2003, la commission nationale consultative des Droits de l'homme s'est inquiétée de ce projet qui crée une procédure dérogatoire au droit commun et accroît la complexité de la procédure pénale. Ces nouveaux pouvoirs sont censés être contrôlés par les procureurs de la République et par les juges des libertés, mais ces derniers ne sont qu'un alibi judiciaire.

Enfin, si le secret professionnel est en principe respecté, dans le cas spécifique des journalistes, la possibilité de perquisitions à leur domicile inquiète grandement la profession et pourrait ouvrir la voie à de graves abus.

Votre projet se caractérise aussi par l'américanisation des procédures. Le statut de repenti, copié sur la tradition américaine, et dont l'application chez nos voisins italiens a montré les dérives, est une prime à la délation. Après l'affreuse mise en cause de personnalités à Toulouse, on voit à quel point cette procédure pourrait être dangereuse ! Le recours aux repentis, c'est la manipulation à tous les niveaux. Je préfère une vraie enquête, menée par un juge d'instruction sur la base de preuves, à une justice fondée sur l'infiltration.

Enfin, le texte crée une procédure de comparution sur reconnaissance préalable, qui n'est autre qu'une transposition dans notre droit de la procédure anglo-saxonne du « plaider coupable ». Or celle-ci autorise des dérapages évidents, sous la pression de l'urgence, du secret et de la menace de comparution immédiate. En américanisant la justice française, on ne sert ni les libertés individuelles, ni les droits de l'homme.

Ce projet porte atteinte à l'indépendance de la magistrature. Il tend à marginaliser la fonction de juge au profit d'un parquet tout puissant. Il réduit les droits de la défense, surtout pour les plus démunis. Le rôle du juge d'instruction est marginalisé. De ce point de vue, il faut s'inquiéter de l'introduction d'un nouvel article 30 du code de procédure pénale selon lequel le ministre ne veille pas à la définition de la politique pénale mais surveille l'application de la loi. D'autres articles renforcent les pouvoirs de contrôle des procureurs généraux sur le procureur de la République. Autant dire que sur des dossiers sensibles, le pouvoir exécutif choisira ses juges.

Enfin, j'ai été choqué que dans cette loi fourre-tout, un amendement de M. Rudy Salles visant à inclure le génocide arménien dans le champ des dispositions réprimant les crimes contre l'humanité ait été rejeté par la commission des lois, alors qu'il pouvait faire consensus dans cette assemblée qui a reconnu le génocide arménien. Nos compatriotes d'origine arménienne apprécieront.

Les députés Verts voteront contre ce projet qui aggrave la fracture judiciaire et morale. Monsieur le ministre, ne laissez pas votre nom attaché à une telle loi !

M. Thierry Mariani - Ce projet, déposé en avril 2003 et adopté ici au mois de mai en première lecture, va permettre de répondre efficacement aux nouvelles formes de la criminalité organisée, pour la première fois définie en droit français. Vous donnez en effet la liste des infractions relevant du crime organisé, de plus en plus présent.

Vous créez aussi un régime procédural spécifique afin de donner les armes adéquates à nos forces de sécurité intérieure et à notre justice.

Vous autorisez les opérations d'infiltration ainsi que la sonorisation des images prises dans certains lieux. Vous avez en outre accepté mon amendement visant à autoriser la rémunération des indicateurs de police ; il fallait en finir avec l'hypocrisie. Le Sénat a modifié le texte adopté ici en première lecture et j'approuve la nouvelle rédaction. Néanmoins, le Sénat a renvoyé le financement de cette mesure à la loi de finances.

Que comptez-vous faire, Monsieur le Garde des Sceaux, pour disposer du financement nécessaire ?

Vous rendez plus efficace la réponse pénale en créant la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité. Sur ce point, vous avez accepté nos amendements et je me félicite que le Sénat ait conservé celui par lequel j'avais proposé de supprimer une mesure calamiteuse héritée de la gauche, l'effacement automatique des condamnations au casier judiciaire des mineurs délinquants lorsque ceux-ci atteignent 18 ans.

Il faut aussi, s'agissant de la notification de leurs droits aux personnes gardées à vue, remplacer l'expression « sans délai » par « dans les meilleurs délais », de nombreuses procédures étant annulées à cause d'une rédaction proposée par des députés de gauche qui n'avaient pas conscience des réalités. Je souhaite que soit adopté l'amendement déposé par la commission.

Monsieur le Garde des Sceaux, c'est faute d'une publicité des actions de justice que certains de nos concitoyens, à tort, ont le sentiment que la justice n'est pas bien rendue. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement à l'article 24 prévoyant une publication sous forme de « bans de justice » des condamnations à dix ans et plus.

Monsieur le ministre, je vous remercie pour la qualité de ce projet, auquel j'apporterai tout mon soutien. Il devrait rassurer notre population et inquiéter les délinquants (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Christian Decocq - L'histoire d'un peuple est inséparable de la géographie ; les gens du Nord, qui l'ont appris à leurs dépens dans le passé, connaissent aujourd'hui un nouvel avatar, les trafics de drogue transfrontaliers.

Dans de nombreux quartiers se développe une criminalité organisée et bien installée, qui profite de la proximité de la frontière. Cette criminalité est à l'origine d'une économie souterraine importante, qui a besoin elle-même d'un silence complice pour se développer : on voit donc des trafiquants aider des personnes en difficulté... Ce sont là des pratiques de type mafieux.

Votre projet combat cette pieuvre, cette gangrène morale qui corrompt toutes nos valeurs républicaines. Face à l'Europe de la délinquance organisée, vous entreprenez de mettre en place l'Europe de la justice. Les outils existent déjà : le mandat d'arrêt européen, la convention du 29 mai 2000 relative à l'entraide judiciaire, Eurojust.

En transposant les dispositions prévues par cette convention, vous donnez à la police et à la justice française les moyens de lutter efficacement contre ces ramifications transnationales.

Inauguré le 29 avril 2003, à La Haye, Eurojust permet de coordonner l'action des autorités nationales chargées des enquêtes et des poursuites.

C'est sur cette coopération que votre vigilance doit se porter. En effet, un rapport du Conseil de l'Europe sur l'entraide judiciaire mentionne de graves dysfonctionnements, dus à trois causes principales : les lourdeurs bureaucratiques, le manque de personnels et de moyens et la mauvaise formation des juges concernant les langues et la législation européennes.

Notre assemblée a déjà contribué à la solution du problème des moyens, en votant en 2002 la loi d'orientation et de programmation pour la justice.

La qualité de la formation de nos magistrats n'étant pas en cause, mon inquiétude concerne surtout les lourdeurs bureaucratiques. Le Gouvernement s'est engagé dans le vaste chantier de la réforme de l'Etat ; elle est impérative.

La relation transfrontalière évolue. Nous sommes passés de la ligne Maginot à l'Euro-district. Bientôt, cette assemblée aura d'ailleurs à discuter d'un amendement du Sénat au projet de loi relatif aux responsabilités locales qui ouvre le syndicat mixte d'une collectivité française aux collectivités territoriales étrangères. Les élus apprennent au quotidien le travail transfrontalier. La justice ne doit pas être en décalage.

Que répondre à ce maire de la métropole lilloise, qui se plaint des dysfonctionnements de la coopération judiciaire entre la France et la Belgique dans une affaire où il y a eu mort d'hommes ?

Monsieur le ministre, votre volontarisme pour construire l'Europe de la justice doit s'accompagner de réalisme, compte tenu de l'ampleur et de la gravité des actes de la criminalité organisée. Tout enlisement bureaucratique serait mal vécu par les élus comme par nos concitoyens.

Avec ce texte, vous éviterez aux régions transfrontalières d'être exclues de l'Etat de droit, vous éviterez à nos quartiers d'être ghettoïsés par ces organisations mafieuses.

C'est la vraie réponse aux extrémismes : montrer à nos concitoyens que nous les avons entendus, et que nous avons la volonté de réformer.

C'est pourquoi, avec mon groupe, je soutiens votre projet de loi et votre action (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le Président - Je crois, Monsieur le ministre, que vous voulez nous annoncer une modification de l'ordre du jour.

M. le Garde des Sceaux - Je crois savoir que le texte de la CMP sur le financement de la sécurité sociale ne sera pas prêt pour le début de la séance de nuit. En ce cas, je souhaite que nos travaux sur le présent texte se poursuivent sans interruption.

M. le Président - C'est clair.

    ADAPTATION DE LA JUSTICE
    AUX ÉVOLUTIONS DE LA CRIMINALITÉ - deuxième lecture - (suite)

M. le Garde des Sceaux - Je souhaite répondre brièvement aux orateurs.

Monsieur Vallini, le développement de la criminalité organisée, en France et ailleurs, nécessite que nous réorganisions nos juridictions et notre procédure et que nous nous donnions des moyens efficaces pour la contrer. J'ai noté que vous approuviez la création d'un fichier des délinquants sexuels.

Monsieur Garraud, la dernière version du projet renforce les prérogatives des magistrats du siège, en particulier du juge des libertés. Nous avons veillé également au renforcement des droits de la défense : c'est le cas pour la procédure du « plaider coupable à la française », qui n'est pas comparable à celles d'autres pays, comme les Etats-Unis.

M. Vaxès a centré son intervention sur la lutte contre la délinquance économique et financière. Les pôles financiers fonctionnent plus ou moins bien. Le projet prévoit des pôles renforcés et mieux structurés dans les juridictions interrégionales. Je ne comprends donc pas bien les critiques de M. Vaxès.

Par ailleurs je souligne et c'est aussi une réponse à M. Mamère, que ce texte vous est présenté après dix-huit mois d'action sur le plan budgétaire pour renforcer les effectifs en magistrats et en fonctionnaires. La mise en place des sept à dix juridictions interrégionales implique cette augmentation et le budget pour 2004 la rend possible.

M. Folliot s'est ému de l'ampleur prise par le texte au fil des lectures. Elle ne résulte pas uniquement de la volonté du ministre, mais aussi des amendements parlementaires, et c'est heureux. La loi est faite par le Parlement et si j'ai souhaité que l'urgence ne soit pas demandée par le Gouvernement, c'est parce qu'en matière de procédure pénale il faut prendre le temps de procéder à des ajustements successifs pour parvenir à un équilibre satisfaisant.

Les adjonctions au texte initial sont dues, pour l'essentiel, à l'introduction en droit interne du mandat d'arrêt européen - elle aurait dû être opérée avant le 1er janvier 2004, nous aurons donc quelques jours de retard sur les pays voisins - et aux initiatives du rapporteur, fermement soutenues par le Gouvernement, concernant les aménagements de peines. Compte tenu de la surpopulation dans les prisons et des conditions actuelles de détention - que nous entendons améliorer, mais cela demande quelques années - l'aménagement des peines et des fins de peines est une nécessité.

A M. Lengagne, je voudrais dire que, compte tenu des amendements sénatoriaux et des discussions que nous avons eues avec la commission des lois, nous devrions parvenir à un texte qui permettra de lutter de façon volontariste contre les pollueurs des mers sans déséquilibrer économiquement le pavillon français ni le pénaliser à l'excès par rapport à ses concurrents étrangers.

Monsieur Estrosi, en ce qui concerne la récidive, vous avez cité des cas qui peuvent susciter une émotion compréhensible. En même temps, toute peine doit pouvoir être aménagée et les tribunaux doivent conserver une marge de man_uvre. Je suis tout prêt à confier une réflexion sur le sujet à un groupe de travail composé de professionnels et d'élus, afin que nous puissions y voir plus clair.

M. Christian Estrosi - Merci.

M. le Garde des Sceaux - A M. Mamère, je réponds que bien sûr, cette loi n'a de sens qu'accompagnée d'une évolution positive des moyens de la justice, mais à cet égard, la loi d'orientation du 9 septembre 2002 constitue une grande avancée et, pour la deuxième année consécutive, le projet de budget en est la stricte application.

Je suis un peu désolé que M. Mamère nie quasiment l'évidence, à savoir le développement de la criminalité organisée. Il a dit chercher la définition de la notion de bande organisée : il la trouvera dans le texte, à l'article 132-71.

M. Mamère est revenu sur la question des moyens ; je lui confirme que les postes nécessaires de magistrats, de greffiers et de fonctionnaires seront créés en 2004.

Monsieur Decocq, vous avez raison de souhaiter la collaboration entre la justice et la police, qui passe par une confiance réciproque et par le respect des prérogatives de l'une et de l'autre. Le travail entrepris depuis dix-huit mois répond à ce besoin.

M. Michel Vaxès - Rappel au Règlement, fondé sur l'article 58, alinéa 1.

Nous avions prévu d'interrompre cette séance à la fin de la discussion générale, pour examiner ensuite le texte de la CMP sur le projet de financement de la sécurité sociale. Or on nous dit que celui-ci ne sera peut-être pas prêt ce soir. Il serait bon que nous sachions comment vont s'organiser nos travaux... Va-t-on examiner le texte de la CMP demain matin, où la séance devait être consacrée à l'examen d'une proposition de loi du groupe socialiste ?

M. le Président - Ainsi que M. le Garde des sceaux vient de l'indiquer, le Gouvernement modifie l'ordre du jour de la séance de ce soir pour en retirer l'examen des conclusion de la CMP sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale. L'ordre du jour de la séance de demain matin n'est pas modifié.

M. le Président de la commission - Pourquoi devrions-nous attendre ce soir pour aborder la discussion des articles ?

M. le Président - Je suis d'accord avec vous, mieux vaut ne pas lever la séance tout de suite ; mais je vais la suspendre quelques instants.

La séance, suspendue à 19 heures 10, est reprise à 19 heures 25.

M. le Président - J'appelle, dans le texte du Sénat, les articles du projet de loi sur lesquels les deux assemblées du Parlement n'ont pu parvenir à un texte identique.

ARTICLE PREMIER

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - L'amendement 304 tend à préciser la définition de la bande organisée, qui telle qu'elle figure dans le code pénal est insuffisante d'autant qu'il s'agit non pas seulement de trouver là une circonstance aggravante, mais de fonder la possibilité de recourir à une procédure particulière.

Tant les députés et les sénateurs que des professeurs de droit ou des acteurs du monde judiciaire ont appelé à une nouvelle définition de la bande organisée, afin de lever toute ambiguïté sur les faits qu'elle recouvre et les conditions dans lesquelles les services de police et le parquet peuvent ouvrir une procédure complexe et lourde de conséquences.

Nous sommes d'autant plus convaincus par la nécessité de cet amendement qu'il ne sera pas possible d'obtenir la nullité de la procédure s'il apparaît qu'elle a été engagée sans fondement.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

L'article 132-71 est très clair. La définition de la bande organisée existe depuis longtemps et a fait l'objet d'une jurisprudence abondante.

De plus, l'amendement 304 comprend des notions très vagues comme « structure » ou « entreprise », qui constitueraient un recul.

M. le Garde des Sceaux - Même avis.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Les notions d'entreprise et de structure sont justement très importantes. L'objectif de la loi est en effet de s'en prendre à des bandes organisées éminemment structurées.

M. le Président de la commission - Si l'on adopte les termes que vous proposez, toute la jurisprudence s'effondre. Votre amendement serait contre-productif.

L'amendement 304, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 4 rectifié est rédactionnel.

L'amendement 4 rectifié, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Michel Vaxès - Le délit auquel fait référence le 14ème alinéa de l'article 706-73 du code de procédure pénale est le pendant de celui adopté à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à l'immigration, mais il n'était alors nullement question de l'insérer dans le champ d'application de la criminalité organisée.

L'amendement 402 vise à supprimer le 10e bis de cet article, ce qui me paraît d'autant plus nécessaire avec la définition de la bande organisée que vous venez de rappeler.

En effet, notre pays est riche d'un mouvement associatif solidaire et généreux, sensible à la souffrance des plus vulnérables. Ces associations ne se déterminent pas en fonction de l'appartenance politique, ethnique ou religieuse de ceux qu'elles secourent. Elles ne font que soutenir ceux qui en ont besoin.

Si le 10e bis de l'article est maintenu, ces associations ne risqueront-elles pas d'être mises en cause ? Ce serait inacceptable.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

Nous visons les réseaux organisés qui profitent de la misère. Il s'agit de les démanteler.

M. le Garde des Sceaux - Ce type de réseaux se développe de plus en plus. Des candidats à l'immigration paient des sommes astronomiques et meurent dans des camions ou dans les cales des navires.

Nous voulons lutter contre les mafias internationales, non contre les associations. Ne confondez pas tout.

M. Michel Vaxès - Le texte de la loi ne dit pas la même chose. Nous voudrions avoir l'assurance que les associations seront exclues de l'application du 10e bis de l'article.

M. Xavier de Roux - Cela va de soi !

M. Michel Vaxès - La loi doit être précise. Elle ne l'est pas.

L'amendement 402, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Nous proposons, par l'amendement 291, que le délit de corruption soit intégré dans la liste des infractions et délits.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

L'opposition, en première lecture, nous a reproché de donner à la définition de la criminalité organisée un champ trop large, et voilà qu'elle nous explique, en seconde lecture, que ce champ n'est pas assez étendu ! Nous avons eu un souci d'équilibre.

L'amendement 291, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Michel Vaxès - L'amendement 403 vise également à intégrer le délit de corruption dans la liste de l'article premier concernant les délits commis en bande organisée.

La délinquance économique et financière est en effet largement constituée d'affaires de corruption active ou passive.

Elle représente 72 % des faits d'atteinte à la probité.

Les magistrats assurent que ces délits de corruption sont de plus en plus difficiles à prouver parce que leur mode opératoire est de plus en plus sophistiqué et parce qu'ils mettent en jeu des sociétés-écran ainsi que des intermédiaires particulièrement bien organisés.

Il est donc d'autant plus important de viser ce type de délit.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

Je vous rappelle que nous avons étendu le champ de la criminalité organisée, en première lecture, au blanchiment d'argent et au recel.

Je vous propose de conserver cet équilibre général.

L'amendement 403, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 392 est de coordination.

L'amendement 392, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 5 tend à rétablir la rédaction adoptée par l'Assemblée en première lecture.

M. le Garde des Sceaux - Avis favorable.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - L'amendement 305 vise à substituer aux mots « du procureur de la République donnée par tout moyen » les mots « écrite et motivée du procureur de la République » dans le premier alinéa de l'article 706-80 du code de procédure pénale.

Que l'information du procureur de la République soit écrite et motivée nous paraît de nature à éviter toute contestation sur les modalités d'intervention des officiers de police judiciaire.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Nous sommes attachés à l'information préalable du procureur « par tout moyen », pour une question de rapidité. Exiger une information écrite ferait perdre en efficacité et en souplesse.

M. le Garde des Sceaux - Même avis.

L'amendement 5, mis aux voix, est adopté.

L'amendement 305 tombe.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu, ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 45.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      François GEORGE


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