Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (session ordinaire 2003-2004)

Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 37ème jour de séance, 93ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 9 DÉCEMBRE 2003

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

AFFAIRE EXECUTIVE LIFE 2

INONDATIONS 2

AFFAIRE EXECUTIVE LIFE 3

DÉLINQUANCE ET CRIMINALITÉ 4

INONDATIONS 5

MAISONS FAMILIALES RURALES 6

INSERTION DES JEUNES 6

SCRUTINS AUX ANTILLES 7

PLAN D'URGENCE HIVERNAL 8

POSTE 9

ASSURANCE CHÔMAGE 10

ALLOCATION PERSONNALISÉE D'AUTONOMIE 10

PÊCHE 11

PARITÉ ENTRE HOMMES ET FEMMES
SUR LES LISTES DE CANDIDATS À L'ÉLECTION DE L'ASSEMBLÉE
DE CORSE 12

APRÈS L'ARTICLE UNIQUE 20

BIOÉTHIQUE -deuxième lecture- 22

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 36

La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

AFFAIRE EXECUTIVE LIFE

M. Charles de Courson - Monsieur le Premier ministre, nos concitoyens sont légitimement inquiets de l'affaire Executive life. Celle du Crédit lyonnais, dont la responsabilité incombe pour l'essentiel à la gestion de Jean-Yves Haberer, soutenu par le gouvernement de gauche de l'époque (Protestations sur les bancs du groupe socialiste ; « Très bien ! » sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)...

Un député UMP - Rendez l'argent !

M. Charles de Courson - ...a eu un coût énorme pour les contribuables : plus de 20 milliards à ce jour, soit 800 € par famille. L'affaire Executive life peut alourdir encore la facture de 1 à 3 milliards.

Le Gouvernement a refusé un accord avec la justice américaine, qui mettait les contribuables à l'abri d'un procès au pénal. Pour quelles raisons ? Cette position est-elle définitive ? Et au cas où ce procès au pénal aurait lieu, comment éviter des conséquences désastreuses, pour les contribuables français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Le sujet est complexe. Nous avons une double procédure, pénale et civile. L'intérêt et la responsabilité de l'Etat français sont de trouver les meilleures conditions possibles pour mettre fin définitivement aux poursuites.

Nous avions le sentiment d'avoir obtenu un accord en ce sens le 2 septembre, mais nous avons découvert à notre grande surprise que tel n'était pas le point de vue du parquet californien. Nous devons rechercher un accord global, concernant toutes les parties, pour qu'il ne puisse y avoir de fuites ou de déformations dans les accords partiels.

Nous restons ouverts à un tel accord, mais si, à défaut, il devait y avoir un procès au pénal, nous irions car nous avons les moyens de nous défendre et de sauvegarder les intérêts des contribuables, dont vous avez eu raison de rappeler qu'ils étaient directement menacés par l'ensemble des opérations du Crédit lyonnais dont Executive life est un avatar. Oui, nous avons assez d'éléments pour nous défendre et nous le ferons (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

INONDATIONS

M. François Liberti - Monsieur le Premier ministre, Arles en Provence, Mauguio dans l'Hérault, Comps dans le Gard, une fois encore les populations du sud de la France sont lourdement frappées par les inondations. Les dégâts matériels et économiques sont considérables. Quant aux dégâts humains, ils ne sont pas réparables, pas plus que la perte de souvenirs de toute une vie. Une fois encore, saluons l'engagement, la compétence, le dévouement et le savoir-faire des salariés des services publics, la solidarité des populations, l'engagement des élus locaux. Mais, inondations après inondations, déplorer les conditions climatiques et manifester de la compassion aux victimes ne suffit plus. Il faut remettre en question la conception libérale de l'aménagement du territoire, fait de désengagements de l'Etat, de transferts massifs sans moyens aux collectivités locales, de déréglementations méthodologiques des services publics et d'une spéculation foncière effrénée, prenant le pas sur la sécurité, la protection, l'aménagement durable.

Le plan que Mme la ministre de l'environnement a présenté le 8 septembre, est à des années-lumière des besoins énoncés par le rapport Huet depuis les précédentes inondations en Languedoc-Roussillon.

Les députés communistes et républicains considèrent qu'il est urgent d'arrêter un véritable schéma interrégional avec des moyens financiers exceptionnels de l'Etat et de l'Europe, en partenariat avec les collectivités territoriales. Ou l'on construit des sous-marins nucléaires, ou l'on s'occupe de la sécurité des personnes et des biens (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). A Bellegarde, en bordure du Rhône, on a dépensé deux millions d'euros pour réparer la digue en catastrophe, alors qu'un million aurait suffi à assurer son entretien. Les coûts de réparation sont sans commune mesure avec ceux d'une véritable prévention !

Il y a urgence, enfin, à déclarer les zones sinistrées en l'état de catastrophe et, surtout, à innover dans les dispositifs d'indemnisation, d'assurance, d'aide d'urgence, afin de ne pas allonger la trop longue liste des laissés-pour-compte, de ces centaines de familles qui sont encore dans la galère depuis les inondations de septembre 2002.

Quelles dispositions entendez-vous prendre en ce sens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - J'associe tout le Gouvernement à l'hommage que vous avez rendu aux disparus et au message que vous avez adressé aux familles des sept personnes qui ont trouvé la mort dans cette catastrophe.

Je l'associe aussi à l'hommage à tous ceux qui sont engagés, jour en nuit, pour porter secours à la population, puisque 12 500 personnes ont dû être évacuées, dont 7 000 pour la seule ville d'Arles. Je salue comme vous les 3 000 sapeurs-pompiers volontaires et professionnels, les 900 sauveteurs venus de toute l'Europe pour nous aider, les 1 600 gendarmes, les 1 500 personnels de l'équipement. Une formidable mobilisation est engagée et je félicite pour leur professionnalisme et leur courage tous ceux qui se sont mis à la disposition de la population (Applaudissements sur tous les bancs).

Les moyens mis en _uvre sont très importants. Moyens financiers, d'abord, avec plus de 2 milliards d'aide aux familles. Un guichet unique permettra de soutenir au plus vite ceux que cette catastrophe a à nouveau fragilisés et envers lesquels il faut exercer une solidarité effective. Ce matin, le ministre de l'intérieur était présent sur place pour coordonner les secours et pour organiser ce guichet unique.

Une mission d'inspection interministérielle est aussi sur le terrain pour évaluer les dégâts. Dès qu'elle aura achevé ses travaux, nous organiserons, ensemble, le programme de solidarité nationale. Il commencera par le nettoyage, pour lequel l'armée se tient prête. Ensuite, comme Mme Bachelot l'a annoncé hier, un accord avec les collectivités territoriales permettra de lancer le schéma régional dont vous avez parlé, en vue notamment de la restauration des digues, dont l'état dégradé constitue une menace permanente. Le Gouvernement s'engage à y mettre les moyens nécessaires. Enfin, un programme de soutien à l'activité et aux entreprises permettra d'aider ceux qui subissent chômage technique et difficultés.

C'est l'ensemble de ces moyens qui permettra de porter secours à une population durement touchée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

AFFAIRE EXECUTIVE LIFE

M. Eric Besson - Je souhaite obtenir de M. le Premier ministre des réponses claires à des questions simples (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). En premier lieu, qui a pris la décision de ne pas signer avec la justice américaine un accord dit partiel, c'est-à-dire n'intégrant pas le groupe Pinault ? De toute évidence, le Président de la République est intervenu en ce sens ; il l'a dit à Bruxelles avant de le démentir partiellement à Tunis.

Il semble que ce soit vous-même, Monsieur le Premier ministre, qui avez contraint M. Mer à ne pas signer un accord qui aurait pourtant protégé le Crédit lyonnais, le CDR et le contribuable français (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Oui ou non, lui avez-vous donné un ordre écrit en ce sens ? (Mêmes mouvements)

M. Yves Nicolin - Rendez l'argent !

M. Eric Besson - Ma deuxième question a trait à votre stratégie de négociation. En refusant des propositions à 300, 400, puis 585 millions de dollars - alors que le procureur américain parle maintenant de 700 millions -, vous prenez le risque que cela coûte très cher aux contribuables français (Nouvelles protestations sur les bancs du groupe UMP). Nous sommes déjà à plus de 10 € par Français...

Avez-vous, enfin, bien mesuré les risques que vous faites courir à nos intérêts en semblant privilégier désormais la voie d'un procès au pénal ? Ce risque est colossal puisqu'on parle de milliards d'euros. Vous prenez notamment le risque de la suspension de la licence du Crédit lyonnais, donc du Crédit agricole. Vous prenez enfin un risque pour l'image de la France (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - C'est moi qui ai pris cette décision, par écrit, et je l'assume (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Je l'ai prise après avoir consulté toutes les parties.

Vous devez savoir, parce que vous défendez les intérêts de la nation, que signer un tel accord marque une reconnaissance de culpabilité. Or on demandait au gouvernement français de payer 500 millions de dollars et de reconnaître une culpabilité dans un dossier à propos duquel on ne lui donnait pas toutes les informations. Ainsi, je sais aujourd'hui qu'il y a cinquante chefs d'accusation, mais j'ignore lesquels... Et on voudrait que je signe, au nom de l'Etat français, pour une gestion dont mon gouvernement n'est pas responsable ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste) On me dit qu'un certain nombre d'acteurs ne sont pas concernés par l'accord, y compris des banques que vous avez citées.

Mme Martine David - Et M. Pinault ?

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre  - M. Pinault était en dehors de l'accord que j'avais accepté de signer, mais tous les dirigeants du Crédit lyonnais y étaient. Le parquet américain a ensuite exclu un certain nombre de ces dirigeants. Et il aurait fallu que je signe, que je reconnaisse, de mes deux mains blanches (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), quand tous ceux qui étaient concernés ne reconnaissent pas !

Je reste favorable à un accord mais je refuse de signer, au nom de l'Etat, pour 500 millions de dollars, sans avoir le contenu du dossier. Ce ne serait pas responsable. Je n'adhère pas à cette méthode qui consiste à acheter une décision de justice. Je n'ai pas peur de la justice, même aux Etats-Unis. Je souhaite simplement que le dossier soit clarifié. C'est une décision que j'assume, et personne d'autre (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

DÉLINQUANCE ET CRIMINALITÉ

M. Franck Gilard - Ma question sera simple et brève.

M. le Président - Enfin ! (Rires)

M. Franck Gilard - Monsieur le ministre de l'intérieur, les succès de la police et de la gendarmerie ne se démentent pas depuis plusieurs mois (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) : arrestations de criminels et de délinquants, démantèlement de réseaux, coups de filet dans les milieux intégristes et terroristes, avec notamment, jeudi dernier à Mont-de-Marsan, l'arrestation du chef de l'ETA. Les chiffres démontrent l'efficacité du travail fourni par les forces de l'ordre. A l'approche de la fin de l'année, pouvez-vous dresser un bilan global de l'action du Gouvernement dans la lutte contre toutes les formes d'insécurité ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Vous avez bien fait de poser cette question (Rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) - attendez la suite ! - car il ne faut jamais se priver du plaisir de remercier les fonctionnaires qui travaillent si bien, et les militaires qui se mobilisent si fortement. Jamais un mois de novembre n'avait connu une telle diminution de la délinquance (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF), avec quelque 22 000 crimes et délits en moins. Et l'on ne contestera pas ce chiffre : lorsqu'en septembre la délinquance avait augmenté de 1 %, le parti socialiste, pour une fois mobilisé sur ce dossier (Rires sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste), en concluait : « Cela repart à la hausse ». Si c'était vrai avec 1 % de plus, il doit aujourd'hui, avec 6 % de moins, se féliciter que « cela reparte à la baisse » : les deux chiffres sont issus du même appareil statistique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). En 2001, dernière année pleine du gouvernement socialiste, on comptait 300 000 crimes et délits de plus. Pour les onze premiers mois de 2003, on en compte 145 000 de moins. Il faut en remercier nos policiers et nos gendarmes ! (Mêmes mouvements)

Pour autant, nous ne nous contentons pas de mener une politique ferme. Si elle peut être ferme, c'est parce qu'elle est juste ! Le laxisme était la marque de l'injustice. Nous sommes en train de prouver que la fermeté permet, favorise même, la justice : il était temps que cette démonstration fût faite ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

INONDATIONS

M. Roland Chassain - Monsieur le Premier ministre, le sud de la France est gravement touché par des intempéries sans précédent. Le débit du Rhône a dépassé 13 600 m3 par seconde, ce qui ne s'était pas vu de mémoire d'homme ! C'est un drame humain et économique. D'autres régions sont touchées, comme la Loire.

En Arles, où j'étais ce matin avec le ministre de l'intérieur (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste), plus de 7 000 personnes ont été évacuées. M. Muselier a pu constater sur place que 70 % du tissu économique local était détruit. Seize millions de mètres cubes d'eau ont envahi les quartiers du nord de la ville. Je rends hommage au préfet de région, au sous-préfet, aux pompiers français et étrangers, aux militaires, policiers et gendarmes et à tous les bénévoles.

En temps de crise, l'irrationnel l'emporte souvent sur la raison, surtout quand certains l'utilisent à des fins électoralistes. Ainsi, selon les médias, le président de la région PACA a reproché à l'Etat de n'avoir pas déclenché en Arles le plan ORSEC. Mais les moyens mis en _uvre vont très au-delà de ce qu'aurait permis ce plan ! Je souhaite, Monsieur le Premier ministre, que vous puissiez mettre fin à cette politique politicienne qui déshonore ceux qui l'alimentent (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

A l'inverse, nos concitoyens se posent des questions qui méritent réponse. Quels moyens l'Etat mettra-t-il en _uvre à long terme pour aider les particuliers et les entreprises à reprendre une activité normale ? Comment accélérer les procédures ? Le délai de déclaration de l'état de catastrophe naturelle retarde en effet l'indemnisation des victimes. Enfin, après les inondations de 1993 et 1994, fut créé à l'initiative de M. Balladur et de M. Barnier un syndicat intercommunal pour la gestion des rives du Rhône. Mais, comme l'a dit Mme Bachelot, il faudrait aller plus loin, et pouvoir travailler sur tout le cours du fleuve. Le Gouvernement est-il prêt à envisager la création d'un établissement public interrégional, regroupant l'Etat et toutes les collectivités concernées, pour gérer l'ensemble du lit du Rhône ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - Je voudrais vous remercier pour votre action personnelle sur le terrain, dans cette période si difficile (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF). Et je vous remercie de tenir les mêmes propos en Arles et à l'Assemblée. En effet, ce qu'a fait le Gouvernement face à cette situation, c'est bien plus qu'un plan ORSEC : c'est une mobilisation globale interministérielle, que le ministre de l'intérieur, après le comité interministériel d'hier soir, est allé ce matin présenter aux élus. Et je crois que même le président de la région PACA s'est exprimé de façon positive sur ce programme. Par ailleurs, je dis oui à un schéma régional de protection qui nous permettra d'entretenir les digues.

Je vais vous faire part des dix mesures spéciales pour Arles que le Gouvernement s'engage à prendre. Nous disons oui au financement de deux canaux de dérivation supplémentaires. Oui aussi à la sécurisation de la zone inondée : aux 436 fonctionnaires déjà en place viendra s'ajouter une CRS. Nous allons en outre porter à 1 million d'euros la dotation pour les personnes à reloger. Un plan de nettoyage, associant militaires et bénévoles, sera mis en _uvre dès que les eaux se retireront. Un plan d'hébergement d'urgence est engagé avec la mairie : un terrain de cinq hectares a été dégagé et nous prévoyons cent cinquante mobile homes. Nous préparons également l'aide au redémarrage des entreprises inondées. Nous engageons les travaux sur l'autoroute A54 pour en accélérer l'ouverture. Le Gouvernement a donné son accord, parallèlement, à l'engagement des travaux de réparation des digues appartenant à la SNCF. Enfin, je l'ai dit, l'ensemble du schéma régional sera élaboré.

Avec le ministre de l'intérieur, je recevrai le 19 décembre à Matignon les élus et les acteurs concernés par un programme interministériel de sécurité, destiné à aider toutes les activités à repartir avec confiance.

MAISONS FAMILIALES RURALES

M. Daniel Prevost - Les maisons familiales rurales, Monsieur le ministre de l'agriculture, voient leurs effectifs augmenter chaque année d'environ 1,5 %. Mais pour la rentrée 2003, elles voient leurs crédits stagner. Pour la seule région Bretagne et ses trente établissements, ce sont plus de cent cinquante jeunes dont la formation n'est pas financée. Il serait dommage de voir fermer certaines de ces maisons, qui maillent le territoire rural et forment les futures forces vives du développement local. Vous-même avez reconnu la qualité de la formule pédagogique de ces établissements, où le taux d'insertion des jeunes diplômés atteint 96 %. Comment entendez-vous faire que les crédits soient en rapport avec les effectifs réels, conformément à la loi de 1984 ? Vous donneriez ainsi un signe fort aux parents, aux élèves et à toute la communauté éducative (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales - Oui, les maisons familiales rurales font un travail remarquable, et chacun le reconnaît. Elles sont liées avec l'Etat par un contrat, dont les termes sont définis par la loi Rocard de 1984. Cette loi n'était plus appliquée depuis plusieurs années : nous l'appliquons désormais, en réévaluant les dotations sur la base d'un effectif contractuel. Mais le succès des maisons est tel que l'effectif réel dépasse l'effectif contractuel, d'où les difficultés que vous signalez. Nous avons donc donné des instructions pour que s'opère une compensation entre régions, entre maisons excédentaires et déficitaires. La plupart des problèmes ont été réglés de la sorte. Il subsistait toutefois des problèmes pour quelques établissements : des instructions ont été données pour qu'ils soient réglés au-delà des enveloppes intrarégionales (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

INSERTION DES JEUNES

Mme Nathalie Gautier - Le président du Medef est venu dans ma circonscription, accompagné du ministre délégué à l'enseignement scolaire, pour une rencontre intitulée « L'entreprise voit jeune ». Tel est le discours, Monsieur le ministre des affaires sociales, mais la réalité est bien différente. Plus de 493 000 jeunes sont au chômage. Dans la région Rhône-Alpes, le nombre des demandeurs d'emploi de moins de 25 ans s'est envolé. Dans le seul département du Rhône, il s'est accru de presque 19 % en un an, et touche quelque 13 000 jeunes...

Qu'avez-vous fait face à cette montée du chômage ? Vous avez supprimé les emplois-jeunes, pourtant reconnus par vos propres services comme un dispositif de qualité. Vous fragilisez les missions locales, qui sont dans l'incertitude quant à leurs moyens pour l'avenir.

Vous faites disparaître le programme Trace, alors que 100 000 jeunes en ont bénéficié en 2002. Comment pouvez-vous prétendre que le Civis remplacera le Trace ? Ce n'est pas sérieux ! On annonce 56 Civis dans le Rhône alors que dans ma seule circonscription de Villeurbanne 250 jeunes relèvent du Trace.

Vous n'apportez pas la bonne réponse au besoin de qualification des jeunes. Les contrats jeunes en entreprise ne comportent aucune obligation de formation (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Quant aux contrats de professionnalisation, comment préparer un BTS ou un bac professionnel en alternance ? Aussi, à la rentrée 2004, 70 000 bacheliers ne pourront plus accéder à une formation diplômante tout en travaillant.

Pourquoi poursuivre une politique qui aggrave le chômage des jeunes ? Que faites-vous pour les jeunes tenus à l'écart du monde du travail ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Non, les emplois-jeunes ne constituaient pas une bonne réponse au problème du chômage des jeunes (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Dire qu'offrir des emplois précaires à des jeunes sans débouchés professionnels est une bonne façon de préparer l'avenir, c'est une faute grave que vous avez commise et que nous sommes en train de réparer ! (Mêmes mouvements)

Non, les missions locales ne seront pas fragilisées et elles le savent, du fait du transfert aux régions de la responsabilité de piloter la politique de formation professionnelle.

Non, le programme Trace n'est pas abandonné, et il n'y aura pas seulement 56 Civis dans votre région. Il y avait 250 Trace dans votre région, il y aura au moins autant de Civis en remplacement car vous confondez deux volets du Civis : celui qui permettra à des jeunes d'occuper des emplois dans des associations - et nous en avons prévu 11 000 pour l'an prochain - et celui qui tend à remplacer le Trace et les crédits seront maintenus à l'euro près.

Enfin, le contrat jeune en entreprise est un vrai succès (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) : 127 000 ont été déjà signés, dont 27 000 pour le seul mois d'octobre. C'est un chiffre jamais atteint jusque-là (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Grâce à ce dispositif, les jeunes accèdent à de véritables CDI, et peuvent ainsi aborder leur vie professionnelle dans des conditions bien meilleures que celles des emplois-jeunes.

Enfin il est faux d'affirmer que demain, à cause du contrat de professionnalisation voulu par tous les partenaires sociaux, les jeunes ne pourront plus préparer un BTS ou un bac professionnel. Vous n'avez manifestement pas lu le texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

SCRUTINS AUX ANTILLES

M. Didier Quentin - Depuis plus de vingt ans, la question statutaire et institutionnelle était posée aux Antilles, en raison de la coexistence du département et de la région sur le même territoire, avec tous les inconvénients qui en résultent.

Le gouvernement précédent, non seulement n'avait pas su régler le problème, mais l'avait relancé de façon aventureuse (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) sans prendre la précaution de procéder aux réformes constitutionnelles nécessaires.

Au contraire, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin conformément aux engagements du chef de l'Etat, a souhaité ouvrir des possibilités d'évolution dans un cadre constitutionnel rénové et sécurisé, et surtout en soumettant les changements les plus importants au consentement des citoyens.

Vous avez ainsi permis de faire trancher par les électeurs, sans risque de dérapage ni de rupture du lien avec la République, un débat ouvert depuis trop longtemps (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Madame la ministre, quelles interprétations tirez-vous des quatre scrutins de dimanche dernier, dont les résultats contrastés font apparaître deux oui massifs à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin, un non massif à la Guadeloupe et un non de justesse à la Martinique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer - Je suis fière d'appartenir à un gouvernement qui a enfin donné la parole aux Antillais pour décider eux-mêmes en toute sérénité de l'organisation de leurs collectivités (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). C'est l'honneur de ce gouvernement d'avoir tranché une question pendante depuis plus de vingt ans. La forte mobilisation des électeurs montre à quel point cette question les intéressait. J'y vois une victoire de la démocratie (Vives interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). C'est la révision constitutionnelle de mars 2003 qui exige le consentement populaire à toute réforme institutionnelle ou statutaire outre-mer (Mêmes mouvements) dans le cadre sécurisé de la République.

Deux collectivités sur quatre ont répondu oui, et ce serait faire injure aux électeurs de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy de passer sous silence, comme le fait la plupart des commentateurs, leur approbation massive d'une modification statutaire profonde, proposée par leurs élus.

Le Gouvernement en tirera toutes les conséquences en vous soumettant des projets de loi. A la Guadeloupe et à la Martinique, en revanche, le statu quo sera maintenu, comme les électeurs l'ont choisi.

C'est l'honneur du Gouvernement d'avoir respecté le travail important de la large majorité des élus locaux, qui ont demandé que soient consultés les électeurs sur leurs projets. Voilà qui est conforme à l'idée que je me fais de la démocratie locale, qui ne saurait souffrir de tentatives de récupération nationale à des fins politiciennes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

PLAN D'URGENCE HIVERNAL

M. Georges Fenech - Depuis quelques jours, les températures baissent fortement en France. L'hiver semble s'installer (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains), et avec lui les plus vives inquiétudes pour tous ceux qui, malheureusement, vivent dans la rue.

Face à l'annonce d'une vague de froid, Madame la secrétaire d'Etat, vous avez aussitôt alerté les préfets et les directeurs des affaires sanitaires et sociales des 62 départements concernés pour qu'ils déclenchent le niveau 2 du plan d'urgence hivernal. Des moyens d'intervention renforcés ont été aussitôt déployés, grâce à la mise en place de façon anticipée, comme l'an dernier, d'un dispositif hivernal spécifique.

Où en est l'application de ce plan pour 2003-2004 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Dominique Versini, secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion - Ce plan d'urgence hivernal, largement anticipé et coordonné avec tous les partenaires concernés et les collectivités locales, comporte trois niveaux d'intervention. Le niveau 1 est celui de la vigilance ; il a été mis en place à compter du 1er novembre (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). On voit quel intérêt la partie gauche de l'hémicycle porte aux plus défavorisés de nos concitoyens ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Ce niveau 1 offre aux SDF 90 000 places d'hébergement d'urgence, dont 3 000 ouvertes dès le 1er novembre.

Le niveau 2 est déclenché quand les températures avoisinent - 5°, ce qui a été le cas depuis vendredi dans 61 départements. 3 500 places supplémentaires ont ainsi été ouvertes, et les équipes mobiles du SAMU social ont été renforcées. S'y sont jointes celles de la Croix-Rouge, de la protection civile et de l'Ordre de Malte, que je tiens à remercier. Nous avons renforcé les équipes qui répondent au 115 et nous avons ouvert la nuit des lieux d'accueil de jour (Exclamations et interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Le plan passe au niveau 3 lorsqu'un froid de - 10° met ceux qui sont dans la rue en danger de mort (Mêmes mouvements). Les sans-abri, qui sont nombreux à nous regarder, seront surpris des réactions sur les bancs de la gauche ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Ce plan d'urgence hivernal a été abondé de 145 millions, qui ont permis de payer les déficits de toutes les associations de lutte contre l'exclusion que vous nous aviez laissés (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Une campagne de vigilance citoyenne sera lancée le 15 décembre. Pour la première fois, nous disposerons d'un plan à la hauteur des besoins (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

POSTE

M. Emile Zuccarelli - Alors que le Gouvernement s'apprête à signer avec La Poste un nouveau contrat de plan, nous assistons à une série de réorganisations de cette entreprise publique qui conduisent à des réductions drastiques d'emplois, à des fermetures de bureaux de poste ou à leur transformation autoritaire en guichets annexes ou en agences postales à la charge des budgets communaux.

Je ne suis pas ennemi par principe des évolutions et des mutualisations. Mais dans mon département par exemple, ces projets conduiront à supprimer des dizaines d'emplois, en particulier dans les services commerciaux, et nous ne sommes pas épargnés par la fermeture des bureaux de poste. Ainsi, dans une commune de mon département, où la population s'est opposée à la transformation de son bureau de poste en annexe à la charge de la commune, le directeur départemental, après avoir promis le maintien du bureau pendant la durée du contrat de plan, a publié dès le lendemain un rectificatif dans la presse locale pour expliquer que La Poste devait faire des économies. C'est à l'Etat, par le contrat de plan, de donner les moyens à La Poste d'assurer son rôle en matière d'aménagement du territoire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Le contrat de plan que vous allez signer avec La Poste lui permettra-t-il de préserver l'emploi et de pérenniser sa présence en milieu rural ? (Mêmes mouvements)

Mme Martine Billard - Très bien !

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie - Monsieur le député, vous avez été ministre des postes et télécommunications. Au-delà de nos clivages politiques, nous partageons le même souci de préserver le service universel du courrier pour tous les Français, où qu'ils habitent (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Mais il faut sauver La Poste et, partant, l'adapter aux évolutions démographiques, la moderniser, la préparer à la concurrence de nos voisins. Tel est l'objectif du contrat de plan que nous signerons dans les prochains jours.

Vous évoquez les bureaux de poste. En zone rurale, dans les communes de 2 000 habitants, le réseau est extrêmement dense - 10 300 bureaux, c'est trois fois plus qu'il n'y a de pharmacies (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains), et autant qu'il y a de boulangeries. En zone urbaine, en revanche, le réseau est beaucoup plus éloigné des usagers. Notre objectif est de préserver la présence postale en zone rurale en la diversifiant - bureaux de proximité, agences postales communales, points poste commerçants - en étroite concertation avec les élus. Aujourd'hui, fait nouveau, ce sont les populations qui demandent ces formules (« Faux ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains), à même d'offrir une plus grande amplitude des horaires d'ouverture, et une meilleure qualité du service.

Il n'y aura pas de suppressions d'emploi, et nous voulons que La Poste demeure ce grand service public de proximité et de qualité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

ASSURANCE CHÔMAGE

M. Alain Vidalies - Monsieur le ministre des affaires sociales, le 31 décembre 2003, 180 000 demandeurs d'emploi verront leurs droits au titre de l'assurance chômage amputés de plusieurs mois - jusqu'à dix-huit. Avant la fin 2004, ils seront 800 000 à subir une réduction importante de leur durée d'indemnisation. Ils avaient pourtant signé un PARE avant le 1er juillet 2003 et respecté leur engagement de rechercher un emploi, et aucun d'entre eux ne s'est soustrait aux contrôles des Assedic.

Ils sont aujourd'hui victimes de l'application de l'avenant du 20 décembre 2002 à la convention UNEDIC, agréée par le Gouvernement.

Le 19 juin 2003, interrogé par Daniel Vaillant sur l'application de cet avenant aux demandeurs d'emploi en cours d'indemnisation, vous aviez affirmé que les demandeurs d'emploi indemnisés au 31 décembre dernier n'étaient pas concernés.

Or, le 16 novembre, au cours de l'émission France Europe Expresss, vous avez déclaré ne pas vous rappeler avoir tenu de tels propos, ajoutant même « une campagne de désinformation est menée contre moi ». Il n'y a aucune désinformation, et vos engagements figurent au Journal officiel du 19 juin 2003 (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste).

Sur cette base, des centaines de milliers de demandeurs d'emploi ont cru à la parole de l'Etat, et dont bon nombre suivent des programmes de formation, se trouvent aujourd'hui dans des situations inacceptables. Pouvez-vous nous confirmer vos engagements du 19 juin 2003, et nous dire quelles dispositions vous comptez prendre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Le Gouvernement a agréé un accord, signé par trois organisations syndicales sur cinq, qui permet de sauver le régime de l'assurance chômage. Le Gouvernement soutiendra toujours les partenaires sociaux, quand ils prennent courageusement leurs responsabilités (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Pascal Terrasse - Répondez à la question !

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité  - S'agissant des personnes qui poursuivent un programme de formation, je répète que nous nous sommes donné les moyens nécessaires pour qu'elles n'interrompent pas leur cursus.

Si des efforts sont consentis par les partenaires sociaux, l'Etat n'est pas en reste, puisqu'il accroît le niveau de son aide aux personnes qui ne sont plus indemnisées par l'UNEDIC. Ce sera le cas de ceux qui relèveront de l'ASS, dont les crédits augmenteront en 2004, même si sa durée est réduite (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Nous sommes du côté des partenaires sociaux quand ils prennent des décisions réalistes, alors que vous ne proposez rien pour sauver l'assurance chômage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

ALLOCATION PERSONNALISÉE D'AUTONOMIE

M. Bernard Perrut - En ce début d'hiver, la solidarité, en particulier à l'égard des personnes âgées, est au c_ur de nos priorités. La canicule de cet été nous a fait prendre conscience de la nécessité de faire face à la réalité du vieillissement de notre population.

L'APA aide les personnes âgées en situation difficile. Beaucoup peuvent ainsi rester à leur domicile, d'autres être accueillies dans des établissements où elles bénéficient de l'attention et de la compétence du personnel soignant.

Vous avez tout mis en _uvre, Monsieur le Premier ministre et Monsieur le secrétaire d'Etat, pour que l'APA soit financée en 2003, au contraire de nos collègues socialistes qui n'avaient rien prévu à cet effet (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Mieux encore, vous avez annoncé, dans le plan vieillissement solidarité, des mesures concrètes pour l'accueil des personnes âgées.

Si votre engagement est apprécié sur le terrain, certaines inquiétudes (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) naissent quant à une éventuelle remise en cause du barème de l'APA, à une modification de ses conditions d'attribution, ou à la réduction de l'aide spécifique de l'Etat à certains départements. Face à ces rumeurs, certainement infondées, pourriez-vous nous informer de la politique que vous allez mettre en _uvre en 2004 ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées - Grâce aux moyens exceptionnels du plan vieillissement solidarité, nous allons pérenniser l'APA, et en garantir le financement sans en modifier les règles.

Nous allons enfin nous donner les moyens d'une véritable politique de prise en charge des personnes âgées à domicile et en établissement. Et nous, nous allons financer cette politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Je vous remercie de votre concision (Sourires).

M. Michel Lefait - Forcément : il n'a rien dit !

PÊCHE

Mme Hélène Tanguy - Demain, sur tout le littoral, nos bateaux de pêche resteront à quai, en grève. Cette mobilisation des marins, à l'échelle européenne, exprime leur refus des nouvelles propositions du commissaire Fischler, contre lesquelles je vous demande, Monsieur le ministre de l'agriculture, de rester aussi déterminé que l'an dernier. La réduction drastique des autorisations de capture condamne la viabilité même de notre flottille, et met à mal des marchés. C'est une perspective inacceptable, à un moment où votre victorieuse négociation de 2002 débouche sur un véritable plan de renouvellement.

Trop vieux, beaucoup de nos bateaux ne sont plus assez sûrs. Cette semaine, nous nous recueillerons une nouvelle fois autour d'une jeune veuve et de ses enfants, après le décès en mer de son mari. Pour utiliser au mieux les aides, le Finistère prouve son dynamisme. Nos comités locaux de pêche se sont regroupés autour d'une association pour matérialiser leurs demandes de permis de mise en exploitation, ce qui leur a permis de maintenir des prix compétitifs pour des navires génériques. Pour la première fois, l'ensemble des patrons concernés s'est engagé, par la signature d'une charte de bonnes pratiques. Vous avez rencontré ce matin leurs représentants nationaux. Que leur avez-vous dit ? Quelles place allez-vous accorder aux jeunes dans ce programme ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales - Nos pensées vont vers la veuve de ce marin, qui a péri en mer il y a dix jours, et vers ses enfants.

Il faut moderniser notre flotte. La Commission européenne ne le souhaitait pas, mais nous avons obtenu gain de cause il y a environ un an, et nous allons continuer dans cette voie. J'ai annoncé ce matin, devant le Comité national des pêches maritimes, une première tranche d'affectation pour moderniser notre flotte. Cent dix bateaux neufs vont pouvoir être construits, et 58 modernisés. Je salue l'initiative de la Cornouaille, car la fabrication de bâtiments génériques permettra de faire des économies d'échelle et de rendre la pêche plus sélective. Une deuxième tranche est prévue pour le mois de mars, afin d'encourager l'installation des jeunes, indispensable si l'on veut que vivent les métiers de la mer.

Nous nous préparons à une échéance importante et difficile. A partir du 17 décembre, en effet, se tiendra à Bruxelles le conseil des ministres de fin d'année. Nous définirons les totaux autorisés de capture, les quotas et le plan de restauration du cabillaud et du merlu.

Les propositions de la Commission ne nous conviennent pas, elles sont même inacceptables. C'est ce que j'ai dit à mes homologues de Finlande, des Pays-Bas et du Danemark et c'est ce que j'ai répété ce matin aux professionnels de la pêche. Soyez sûre que nous nous battrons à Bruxelles avec la même ardeur que l'année dernière pour empêcher la Commission de faire adopter ses projets funestes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 20 sous la présidence de M. Le Garrec.

PRÉSIDENCE de M. Jean LE GARREC

vice-président

PARITÉ ENTRE HOMMES ET FEMMES SUR LES LISTES DE CANDIDATS
À L'ÉLECTION DE L'ASSEMBLÉE DE CORSE

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la parité entre hommes et femmes sur les listes de candidats à l'élection des membres de l'assemblée de Corse.

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Ce projet est sans doute le plus court qu'il m'ait été donné de vous présenter, puisqu'il compte en tout et pour tout un article, mais, il y a un mois, il a été adopté à l'unanimité par le Sénat et ce fait, suffisamment rare pour qu'on y insiste, s'explique certainement par son objet, qui est d'introduire la parité intégrale, c'est-à-dire l'alternance stricte entre hommes et femmes, au sein de l'assemblée territoriale de Corse.

Comme le rappelle M. Geoffroy dans son rapport très pédagogique et excellent à tous égards, cette parité intégrale ne figurait pas dans la loi du 11 avril dernier, relative aux élections régionales et européennes, parce qu'à cette date, la question de l'évolution institutionnelle n'était pas tranchée en Corse. Si les électeurs de l'île s'étaient prononcés en faveur d'une collectivité unique, un nouveau statut aurait été élaboré, incluant cette parité intégrale. Il se trouve que, le 6 juillet, ils ont refusé cette évolution et le Gouvernement n'a donc pas eu à proposer ce statut. Le Conseil d'Etat ayant confirmé le 25 septembre le résultat de la consultation, il a déclaré le débat institutionnel clos en Corse mais, comme il s'y était engagé devant le Parlement, il vous soumet aujourd'hui ce projet de parité intégrale.

Certes, le 3 avril dernier, le Conseil constitutionnel avait recommandé cette mesure et je salue sa sagesse, mais, en réponse à un amendement de M. Le Roux, je m'étais engagé clairement, dès le mois de mai, à proposer cette parité quel que soit le résultat de la consultation. J'avais même accepté un amendement du groupe socialiste du Sénat visant à faire figurer ce point dans les questions posées aux électeurs corses - ce qui n'a pas empêché M. Zuccarelli de déposer le 16 juillet une proposition de loi strictement identique au présent projet, mais c'est pour moi une raison supplémentaire d'attendre aujourd'hui l'approbation de tous !

Le décalage est grand, actuellement, entre le rôle que tiennent les femmes dans la société corse et leur représentation politique : sur 52 conseillers généraux, on n'en compte qu'une alors qu'elles constituent 42 % de la population active ! En revanche et heureusement, comme le relève le rapporteur, il y a sur l'île plus de femmes maires que sur le continent : 14 %, contre 11 %. J'y vois le signe que l'on fait confiance aux femmes corses pour affronter les réalités quotidiennes, au c_ur de la montagne, loin des grandes villes ! Et ce n'est pas étonnant si l'on pense à leur rôle social : elles transmettent les traditions et sont la clé de voûte des familles ; confrontées à bien des drames, elles ont toujours incarné la force et la continuité. Aimant passionnément leur île et défendant jalousement leur identité, elles le font avec réalisme et sans violence, car elles veulent que leurs enfants aient un avenir dans une Corse développée et prospère. Elles doivent donc parler au nom de la Corse et je suis certain qu'elles y sont prêtes. Si vous votez ce projet, l'île aura une chance supplémentaire de tourner le dos à la violence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Le 6 juillet, le Gouvernement a donné aux Corses une parole dont 60 % se sont saisis - ce qui devrait faire litière de procès injustes. Une majorité - faible, mais ce n'en est pas moins une majorité - a dit non au projet que je présentais et la démocratie commande d'accepter l'expression de la démocratie : on n'a pas raison contre le suffrage universel. J'ai donc tiré toutes les conséquences de ce vote, tournant la page de la réforme institutionnelle, mais je ne saurais méconnaître qu'en Corse, la parole n'est pas toujours libre. Certes, il existe des hommes courageux, au nombre desquels MM. de Rocca Serra, Giacobbi, Renucci et Zuccarelli, mais, dans cette parcelle de notre République, chacun ne peut dire ce qu'il pense. La peur y règne. Il faut lever cette chape de plomb. Le Gouvernement a par conséquent décidé d'agir sans faiblesse contre les mafias, c'est-à-dire contre ce système de terreur visant à tirer profit de l'activité économique et à obtenir des versements d'argent. Cette action ferme commence à produire des résultats ; des poseurs de bombes ont été arrêtés ; le fugitif Colonna, assassin présumé du préfet Erignac, est aujourd'hui devant la justice et des instructions judiciaires sont en cours. Chacun doit comprendre que le Gouvernement ira jusqu'au bout, quels que soient les personnes en cause, pour débarrasser la Corse de la peur (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; M. Emile Zuccarelli applaudit également). Cependant, il est évident que nous ne visons aucun courant politique et que nous ne poursuivons pas pour des délits d'opinion : nous sévissons contre des délinquants et des criminels, qui mettent leur courage à terroriser la nuit, à l'abri d'une cagoule.

Cette action n'aura de fruits durables que si la communauté nationale admet que les Corses sont victimes, et non coupables. Evitons l'amalgame entre une infime minorité et une société corse qui aspire à un avenir dans la République française : rejeter, ou paraître rejeter, l'ensemble des Corses, c'est donner une chance à ceux qui ne respectent pas cette République.

La réponse à la question corse ne peut être seulement policière. Le travail policier n'est qu'un préalable, qui aurait d'ailleurs dû être levé depuis longtemps. Pour ma part, je ne suis jamais entré dans un débat « en dessous », aux relents sulfureux ; je n'ai jamais autorisé de conférence de presse ni accepté de rencontres secrètes. Mais il faudra bien qu'un jour, tous ceux qui aiment la Corse s'associent. La Corse a besoin de tous ses 250 000 enfants ! Et si je me prépare à effectuer mon onzième voyage dans l'île, c'est que la déception à l'endroit de la République y est telle qu'on ne peut recréer la confiance en une fois, en se bornant à déclamer un mâle éloge de la République sur la grand-place d'Ajaccio ou de Bastia. La Corse a besoin qu'on se batte pour elle avec acharnement !

Ce débat nous permet de nous adresser à elle : les Corses écoutent attentivement tout ce qu'on dit à leur propos sur le continent. Les Corses sont sensibles car ils aiment la France et la République. L'image parfois véhiculée sur le continent leur fait de la peine, elle les humilie, elle pousse un certain nombre d'entre eux, par dépit et non par enthousiasme, vers les cagoulards dont ils ne partagent en rien les thèses.

Tant qu'on n'aura pas trouvé le moyen de donner un avenir aux jeunes Corses, d'ouvrir l'île, de créer les conditions du développement, on n'aboutira pas. Quand on sait que la deuxième industrie de l'île emploie 56 personnes, on mesure les difficultés auxquelles sont confrontés les Corses et les élus.

La Corse n'a pas besoin d'un procès de plus, elle a besoin d'une mobilisation sincère, pour vivre comme les autres régions. Il faut aimer la Corse, il faut la défendre. L'aimer, c'est savoir distinguer le malhonnête de l'honnête, c'est refuser l'amalgame, c'est se donner du mal pour elle, non pendant quelques semaines, mais bien plus longtemps. C'est toute l'ambition du Gouvernement. Devant les échecs, les épreuves, j'ai choisi de ne pas baisser les bras, parce que la Corse le mérite et parce que si la République réussit à résoudre la question corse, c'est la République dans son ensemble qui s'en trouvera plus forte. La question corse, ce n'est pas que l'affaire de la Corse, c'est l'affaire de la France et des Français (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois - Le projet ne pose pas problème. Il se caractérise par sa brièveté, ce qui réjouit sans doute le président de notre commission, pour qui une loi a plus de mérite quand elle n'est pas bavarde...

Il s'agit de franchir une étape attendue et nécessaire, prévue dans le processus auquel vous nous avez invités, Monsieur le ministre, et qui a donné lieu en mai dernier à un débat d'une grande richesse et d'une grande qualité. Vous aviez rappelé alors les enjeux de la consultation que nous organisions et vous aviez indiqué que, bien que, comme la grande majorité de cette assemblée, vous souhaitiez ardemment la victoire du oui, vous n'en tireriez pas moins les conclusions si le peuple français habitant en Corse en décidait autrement.

Vous aviez pris alors l'engagement de revenir devant nous pour faire en sorte que l'exigence constitutionnelle et politique de la parité soit appliquée pour les prochaines élections à l'assemblée de Corse.

Nous aurions préféré avoir aujourd'hui un débat plus large qui, à l'issue d'un autre vote que celui qui est intervenu le 6 juillet, aurait porté sur une nouvelle étape de l'évolution institutionnelle.

Mais cette étape n'aura pas lieu et, le Gouvernement en ayant pris acte, nous sommes ici pour faire en sorte que, lors des prochaines élections à l'assemblée de Corse, la parité s'y applique dans les mêmes conditions que pour les élections des autres assemblées régionales.

Avec ce projet, nous aurons rétabli les choses et fait en sorte que, pour la parité comme pour la représentation proportionnelle, l'exigence constitutionnelle et politique soit enfin respectée.

M. Emile Zuccarelli - Non ! C'est bien le problème...

M. le Rapporteur - Le Conseil constitutionnel, refusant de censurer la disposition relative à la parité aux élections régionales, avait toutefois enjoint au législateur de faire en sorte, le jour venu, que les Corses votent selon les règles de parité s'appliquant sur le territoire national.

Alors que la parité doit refléter l'équilibre entre femmes et hommes au sein de la population, la Corse n'est pas un exemple : une seule femme conseillère régionale, sept sur les cinquante et un conseillers de l'assemblée de Corse, alors que, dans les autres régions, un conseiller régional sur quatre est une femme. C'est pourquoi votre commission des lois a adopté ce texte dans une grande et belle unanimité.

Mais le débat s'est ensuite poursuivi à propos d'un intéressant amendement défendu par M. Zuccarelli et tendant à élargir le débat. Si nous l'avons repoussé, c'est parce qu'il nous a semblé, en relançant la réflexion institutionnelle, sortir de la logique de respect de la décision prise en juillet dernier par les électeurs de Corse. J'invite donc notre collègue à faire preuve de la même sagesse que les sénateurs qui avaient déposé un amendement similaire et qui ont finalement accepté de le retirer. Ainsi, notre vote d'aujourd'hui sera pleinement conforme à la démarche claire à laquelle le Gouvernement nous a invités, pour la Corse comme pour l'ensemble de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Rudy Salles - Si ce texte n'était pas adopté, la Corse serait la seule région de France où la parité stricte ne s'appliquerait pas. Le 11 avril 2003, la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen a introduit la règle de la parité stricte entre hommes et femmes sur les listes électorales, c'est-à-dire l'obligation pour chaque liste de présenter alternativement des candidats de chaque sexe. Ce texte n'avait alors pas vocation à s'appliquer au statut de l'assemblée de Corse, dans l'attente de l'organisation du référendum portant sur l'avenir institutionnel de l'île. On sait quel en fut le résultat. Mais le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 3 avril 2003, avait déclaré « qu'aucune particularité locale, ni aucune raison d'intérêt général, ne justifie la différence de traitement en cause ; qu'ainsi celle-ci est contraire au principe d'égalité ». Afin de ne pas censurer les dispositions relatives à la parité stricte aux élections régionales, il avait adressé une injonction au législateur afin que la prochaine loi relative à l'assemblée de Corse mette fin à cette inégalité. C'est pour cette raison que le Gouvernement a déposé ce projet ainsi que pour respecter les articles 3 et 4 de la Constitution modifiés par la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, aux termes desquels la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.

Par ailleurs, la loi du 6 juin 2000 disposait que, pour les élections régionales et l'élection des membres de l'assemblée de Corse, le principe de parité devait être appliqué par la présentation d'un nombre égal de candidats de chaque sexe au sein d'un groupe entier de six candidats. C'est la loi du 11 avril 2003 qui a institué une alternance stricte. Que de chemin parcouru depuis 1999 !

Il n'en reste pas moins que la parité a du mal à s'installer dans nos institutions, et plus particulièrement en Corse. Avec 13,7 %, la place des femmes dans l'assemblée de Corse est inférieure à la moyenne nationale qui est de 27 %. Sur cinquante et un sièges, sept seulement sont occupés par des femmes. Dans les conseils généraux, la moyenne est encore inférieure : une femme sur vingt-deux conseillers en Corse-du-sud, et aucune en Haute-Corse. Ainsi, plus encore que celles du continent, les femmes corses sont exclues de la vie politique. La seule exception est le nombre des femmes maires, plus élevé que sur le continent. Globalement, la sous-représentation des femmes est alarmante.

Cette loi permettra d'améliorer ces chiffres et de renouveler le paysage politique. Elle permettra aussi de se mettre en conformité avec la Constitution, dont la réforme de 1999 a déjà produit des améliorations sensibles. La parité stricte accentuera encore cette progression. Je ne m'étendrai pas sur le bouleversement du paysage politique insulaire que provoquera l'arrivée massive de femmes à l'assemblée de Corse, où leur nombre devrait passer de sept à environ vingt-cinq. Cela permettra de confier des responsabilités à des femmes qui, localement, s'impliquent déjà fortement depuis longtemps dans la vie économique, sociale, culturelle ou associative. Il paraissait donc anormal que leur sous-représentation politique ne soit pas modifiée par le législateur. Leur engagement sur le terrain n'est plus à prouver, notamment dans leur lutte contre la violence. Et pourtant, leurs efforts ne se traduisent pas par des investitures à des mandats électoraux, sauf au niveau municipal. Le temps est venu de leur donner toute leur place dans des causes politiques qui leur appartiennent. Le groupe UDF, très sensible à la place des femmes dans la société, votera ce texte qui, je l'espère, sera adopté à l'unanimité des groupes : par ce consensus nous donnerons un signe fort (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Michel Vaxès - Ce projet tend à instaurer une stricte parité des candidatures à l'élection des membres de l'assemblée de Corse. Il est conforme à l'objectif de parité inscrit depuis le 8 juillet 1999 dans notre Constitution, et satisfait à l'injonction du Conseil constitutionnel qui relevait le 26 avril dernier qu'aucune particularité locale, ni aucune raison d'intérêt général n'autorisait le législateur à traiter différemment, au regard du principe constitutionnel de parité, les élections en Corse et sur le continent.

La loi du 6 juillet 2000 prévoyait déjà, pour les élections régionales et l'élection de l'assemblée de Corse, la présentation d'un nombre égal de candidats de chaque sexe au sein d'un groupe entier de six candidats. Cette loi, modifiée le 11 avril dernier, instaurait la règle de l'alternance stricte entre hommes et femmes pour les élections régionales en métropole mais non pour l'assemblée de Corse au motif que de nouvelles dispositions institutionnelles seraient prochainement proposées à nos concitoyens insulaires. Il est étrange de subordonner ainsi une mise en conformité constitutionnelle à l'issue incertaine d'un référendum... Ce choix malheureux nous oblige à consacrer aujourd'hui une heure ou deux à un problème qui, au moment opportun, aurait pu être réglé en quelques minutes. Mais je ne ferai pas de ce retard un objet de polémique.

Les Corses ont été consultés et ils ont, ce que le Gouvernement n'avait pas prévu, rejeté son projet. Ils l'ont ainsi contraint à modifier l'article L. 370 du code électoral, afin de respecter l'objectif de parité inscrit à l'article 3 de la Constitution et l'injonction du Conseil constitutionnel. C'est l'objet du présent projet.

Le groupe communiste et républicain soutiendra évidemment ce texte. Mais il n'y a pas de quoi pavoiser, notre pays se situe au dix-huitième rang sur les vingt-cinq pays de l'Union européenne quant à la place des femmes à l'Assemblée nationale, et à l'avant-dernière place sur les neuf chambres hautes que comptent les Etats membres de l'Union.

En outre, cette disposition, en Corse comme sur le continent, perdra beaucoup de sa force si l'on n'institue pas un véritable statut de l'élu, qui rende accessible aux femmes les nouvelles possibilités que la loi leur offre. Nul n'ignore en effet que les difficultés que rencontrent les femmes les empêchent le plus souvent d'exercer tous leurs droits de citoyennes et d'élues.

Plus fondamentalement, en Corse comme sur l'ensemble du territoire, les droits civiques et politiques sont indissociables des droits sociaux et appellent par conséquent une autre conception du travail et des rapports sociaux. Des efforts considérables restent à faire pour corriger les insupportables inégalités dont sont encore victimes les femmes. Selon l'INSEE, le taux d'activité féminin en Corse reste le plus bas de toutes les régions françaises. Bien qu'elles soient plus nombreuses que les hommes, elles n'occupaient en 1999, que quatre emplois sur dix.

Elles restent les plus touchées par le chômage et surtout par la précarité de l'emploi, notamment les plus jeunes. Même les diplômées occupent le plus souvent des emplois précaires et des positions hiérarchiques inférieures, malgré une qualification globalement supérieure à celle des hommes.

En Corse comme sur le continent, dans la fonction publique comme dans le secteur privé, les femmes sont trop rarement investies de responsabilités de direction. Ainsi 7 % de femmes seulement font partie de l'encadrement supérieur des cinq mille grandes entreprises françaises. Dans la fonction publique, 57 % des agents sont des femmes, mais elles ne sont plus que 13 % aux plus hauts niveaux de responsabilité. Dans les emplois de cadres et les professions intellectuelles, elles ne représentent que 34,6 % des effectifs. S'agissant des rémunérations, le déséquilibre est encore plus insupportable. Les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes sont d'environ 25 % en moyenne pour les cadres, de 19 % pour les ouvriers, et de 20 % pour l'ensemble du secteur privé et semi-public. C'est une honte pour la République. Beaucoup plus nombreuses à occuper les emplois à temps partiel, précaires et flexibles, les femmes sont sur-représentées au bas de la hiérarchie des salaires. Ces inégalités auront d'inquiétantes répercussions sur le niveau de leurs retraites. Mais elles auront aussi pour effet d'exclure de l'exercice des responsabilités électives les femmes des catégories sociales les moins aisées.

Ainsi l'égalité et la parité entre les femmes et les hommes sont loin d'être acquises. Elles doivent rester l'objet d'un combat quotidien. Nos débats sur la parité et leur écho médiatique ont sans doute permis une meilleure appréciation de l'injustice dont sont victimes les femmes. Ils ont permis de dépasser les limites de l'opportunisme politicien et de rappeller à l'ensemble de la société, au-delà des cercles de réflexion féministe, l'existence d'inégalités indignes de notre époque et des traditions de la République.

La réponse constitutionnelle et législative représente certes une évolution importante et nous voterons, avec conviction, pour que les femmes corses bénéficient des mêmes droits que celles du continent. Mais l'essentiel reste à faire pour que la parité devienne effective dans toutes les sphères de la société.

Soyez assurés que le groupe des députés communistes et républicains sera demain comme hier de ce combat-là (Applaudissements sur divers bancs).

M. Camille de Rocca Serra - Une question simple, un article unique - une réponse évidente : l'unanimité qui s'est rencontrée au Sénat doit se retrouver dans notre hémicycle. Nous disons des femmes qu'elles nous apportent l'apaisement, la sérénité. Je souhaite que ce débat soit celui de la sérénité, qu'il reconnaisse que les femmes corses ont les mêmes droits que les autres femmes de France, et que nul ne peut en douter. Si la Corse a des spécificités, ce n'est pas dans ce domaine. La Corse souffre d'images d'Epinal, éloignées de sa réalité. Les femmes corses n'ont jamais porté le tchador. Elles ont la liberté de vivre, d'agir, de participer à la vie économique, sociale et culturelle. Au-delà des statistiques qu'ont rappelées M. le ministre et M. le rapporteur, elles participent depuis des siècles à notre vie sociale. Elles ont même eu le droit de vote, au XVIIIe siècle, quand il n'existait pas dans le reste de la France...

Elles ont su s'exprimer, peut-être avec plus de force que nous-mêmes, quand la vie humaine était en jeu. Elles ont su alors effacer leurs clivages : on a eu côte à côte d'anciennes militantes nationalistes et des femmes qui n'avaient pas partagé cet engagement. Elles nous ont obligés à descendre dans la rue, pour dénoncer la transgression des limites du débat politique. Nous les avons vues après l'assassinat du préfet Erignac, au-delà de l'émotion immédiate, s'engager, avec deux listes comprises à 100 % de femmes, l'une se réclamant d'une certaine gauche, l'autre d'une certaine droite.

Qui pouvait penser que les femmes corses ne trouveraient pas un jour leur place dans notre assemblée ? Elles prennent toute leur place dans la vie sociale, associative, culturelle, économique. Au niveau le plus proche du citoyen, la commune, on trouve en Corse plus de femmes maires que sur le continent. Les femmes corses sont l'expression ce qui peut demain nous donner plus de sérénité, d'apaisement, d'engagement pour construire une vie plus belle, où sera retrouvé le sens de l'engagement public et politique.

Les femmes de Corse, femmes de France, devraient avoir les mêmes droits que les autres.

Vous aviez, Monsieur le ministre, respecté la chronologie des événements au sein d'une réforme globale. Aujourd'hui, vous apportez la réponse attendue.

Il ne faudrait pas que, tentés par l'amalgame, certains veuillent traiter des sujets allant au-delà de l'article unique du projet, et qui n'ont rien à voir. Ne mélangeons pas les genres. Ne revenons pas sur un débat qui ne peut pas avoir lieu aujourd'hui, celui qui porterait sur la réforme d'un mode de scrutin ; et pourtant, Monsieur le ministre, vous connaissez ma préférence dans ce domaine.

Aujourd'hui, au nom de la sérénité que les femmes ont en partage, sachons être responsables. Les femmes attendent de nous sérieux et engagement à construire une Corse apaisée et confiante, au sein d'une République sachant l'écouter, comme vous savez le faire avec le Gouvernement ; non seulement l'écouter, mais la comprendre et l'aimer. La Corse en a besoin. Quand on entend un homme d'Etat, ancien Premier ministre, dire à la Corse de prendre son indépendance si elle la veut, et qu'elle rende des comptes parce qu'elle coûte cher, de tels propos n'honorent pas la République, et ne contribuent pas à son unité.

La Corse a répondu et répondra toujours qu'elle est française et entend le rester. Un sondage récent fait apparaître 86 % de réponses dans ce sens. Je ne suis pas sûr que beaucoup de régions offriraient un résultat aussi probant. L'engagement de la Corse auprès de la France a été de tous temps. Alors n'agressons pas cette terre française qui souffre. Vous avez toujours stigmatisé ceux qui, à tort, provoquaient la réaction de nos compatriotes. Vous avez toujours su dire que la Corse était victime et non pas coupable.

Avec ces femmes qui vont recevoir davantage de responsabilités et qui vont nous ouvrir le chemin de l'avenir, sachons tous ici parler des Corses avec respect, car nous parlons de Français comme les autres (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Emile Zuccarelli - L'affaire est entendue. L'article unique va être adopté dans une unanimité à laquelle ma voix ne manquera pas.

Dès l'examen du projet relatif à l'organisation de la consultation référendaire de juillet dernier, j'avais proposé un amendement tendant à soumettre la Corse à la règle nationale en matière de parité aux élections régionales. Vous n'aviez pas jugé opportun de retenir cette proposition à ce moment-là, bien que cela nous eût évité la discussion d'aujourd'hui, même si celle-ci a tout lieu d'être, et dans la sérénité.

J'ai entendu en effet chez le rapporteur et chez certains collègues des appels à la sérénité, comme si débattre était en soi une entorse à la sérénité. Comme si on ne devait pas dire ici tout ce que l'on pense !

Dès le lendemain du scrutin de juillet, j'avais déposé une proposition allant dans le même sens que votre projet. J'entendais déjà çà et là des commentaires acides sur le machisme supposé des Corses, dans le droit fil des généralisations quasi ethnicistes dont on aime abreuver les insulaires, et dont ils commencent à avoir par-dessus la tête !

Vous avez bien voulu rendre hommage au courage dont les femmes de Corse font preuve dans la vie publique. Si, en effet, la proportion de femmes au conseil général et au conseil régional n'est pas tout à fait égale à celle du continent, vous reconnaissez qu'elles sont plus nombreuses dans les fonctions de maire. Et si nous parlons autant de parité, c'est que la gauche a donné dans ce domaine une impulsion décisive. Notre assemblée, il n'y a guère, offrait, dans ce domaine, un spectacle surprenant. Seules la Corée du Nord et la Grèce, je crois, faisaient moins bien que nous.

En Corse, le retard dont nous étions victimes relevait de la rage de vouloir toujours, depuis Paris, nous singulariser de manière nocive. Ainsi, parce que nous serions une collectivité territoriale promise à des élections elles aussi territoriales, nous serions sans ce projet restés dans une situation d'iniquité, qui aurait réjoui le Prosper Mérimée sommeillant dans chacun des prétendus spécialistes de la Corse. Nous l'avons échappé belle !

Mais, sans vouloir attenter à la sérénité du débat, je constate que vous ne proposez de n'ôter qu'une partie du poison que la rage de spécificité a introduit pour la Corse. Notre assemblée ne sait pas assez qu'en Corse, par les caprices de la loi, les seuils applicables qui sont ailleurs de respectivement 10 % et 5 % pour se maintenir au deuxième tour ou pour fusionner, sont en Corse de 5 % au lieu de 10 %, ou de 0 % au lieu de 5 %. Dans une région dont le corps électoral est le plus restreint de France, les seuils sont en pourcentage les plus réduits. Quel paradoxe !

Notre assemblée sait-elle aussi que la prime majoritaire, qui est maintenant partout ailleurs de 25 % des sièges, n'est en Corse que de 6 %, ce qui revient dans la pratique à une proportionnelle intégrale, qui a ses partisans, mais dont le législateur a jugé conforme à l'intérêt général de sortir, ailleurs, pour dégager des majorités stables. Ailleurs, même outre-mer, mais pas en Corse. Il s'ensuit en Corse une balkanisation de la représentation, ce qui fait le jeu des négociateurs de tout poil qui, dans le dos des électeurs, s'emploient dans des conciliabules de troisième tour à constituer des majorités improbables. Je crois me souvenir de la vigueur avec laquelle le général de Gaulle pourfendait de semblables systèmes ! Peut-on taxer nos collectivités d'inefficacité et s'accommoder de pareilles méthodes ? Il n'y a pas moins de neuf groupes à l'assemblée de Corse pour une cinquantaine d'élus, au moment où la collectivité territoriale doit se saisir de compétences bien plus étendues. Monsieur Salles, avec le système actuel, il pourrait se faire qu'on se retrouve avec 51 conseillers territoriaux répartis en 17 listes, toutes conduites par des hommes à raison de trois élus par liste, ce qui ferait 34 hommes et 17 femmes. Bonjour la parité ! Sans doute m'opposerez-vous la règle non écrite selon laquelle on ne change pas le mode de scrutin trop près d'une élection. Pourtant c'est ce que vous faites avec la parité, et c'est tant mieux ! Et c'est ce que vous auriez fait en profondeur si le oui l'avait emporté au référendum. C'est pourquoi je propose dans ce débat serein de porter les seuils et la prime au niveau de ceux applicables aux autres régions françaises. Il s'agit simplement d'appliquer à la Corse la règle nationale, et nul ne sera surpris que je revendique dans ce domaine le droit à la ressemblance plutôt que le droit à la différence.

M. Paul Giacobbi - Le statut actuel de la Corse donne solidité et stabilité à l'exécutif régional. Les règles de fonctionnement interne sont elles aussi différentes de celles qui prévalent au plan national, si bien qu'il n'est pas nécessaire de changer les règles. La dernière fois qu'un député du nom de Paul Giacobbi s'est adressé à cette assemblée en matière de réforme électorale, c'était en 1951. Ministre en charge de la réforme électorale, vaste programme sous la IVe République, mon grand-père est mort littéralement à la tâche en s'efforçant d'instiller un maximum de scrutin majoritaire dans un système proportionnel !

Je n'ai pas hérité de cette science électorale. D'autres que moi sont aujourd'hui des experts, voire des artistes dans ce domaine, dont nous admirons les acrobaties tout en nous inquiétant parfois des risques qu'ils prennent à travailler sans filet.

Cependant, on ne change pas les règles du jeu à trois mois du scrutin, quelles que soient les intentions et les justifications. Ce serait scandaleux, ce serait une atteinte à l'esprit démocratique. On ne peut donc que laisser les choses en l'état, hormis l'indispensable parité.

Ensuite, l'effet d'une réforme électorale est rarement celui que ses initiateurs ont recherché. En l'espèce, la cohérence nationale pourrait aboutir à une majorité nationaliste dans notre région, dangereuse en ce qu'elle n'a pas rejeté le recours à la violence comme moyen d'expression.

Enfin, l'introduction de la parité est une forme de discrimination positive qui s'impose dans notre pays, l'un des plus réticents à la participation des femmes à la vie publique. Je ne suis pas un adepte de la discrimination positive, mise en _uvre depuis un demi-siècle, dans un pays que je connais bien, et où elle fut un échec total. Mais concernant la place des femmes dans la vie publique, cette mesure est le seul moyen pour la France de se départir d'un redoutable handicap.

Le précédent gouvernement a érigé au niveau constitutionnel cette place réservée aux femmes dans la vie politique. En Corse, la parité s'impose encore plus qu'ailleurs. Les débats sur la Corse nous ont souvent divisés, mais celui-ci saura sans doute nous rassembler, comme ce fut le cas au Sénat.

En Corse, certaines femmes accèdent aux fonctions municipales, quelques-unes aux fonctions de conseillères régionales, mais très peu deviennent conseillères générales. Je suis aujourd'hui probablement le seul président d'un conseil général de France qui ne compte aucune femme. Quant à la Corse du Sud, elle n'a qu'une femme conseillère générale, veuve, du reste, d'un remarquable conseiller général décédé en fonction. Il n'y a peut-être qu'en Arabie Saoudite que l'on retrouve une telle prééminence masculine.

Je ressens d'autant plus la nécessité de cette réforme que j'entends, en Corse, des responsables politiques me parler du problème de la parité à propos des prochaines élections régionales. Comment trouver des femmes ? Il y a pourtant, en Corse, des femmes remarquables par leur expérience professionnelle, leur compétence, et surtout, leur caractère, souvent plus trempé que celui des hommes. Pour qui connaît l'histoire de la Corse, ce courage des femmes n'est pas une surprise, mais une tradition.

Du reste les femmes n'ont pas attendu la révision constitutionnelle, ou ce projet de loi pour militer au sein d'associations, grâce auxquelles elles présentent une image de la Corse plus humaine et solidaire que celle des hommes.

En Corse, plus qu'ailleurs, nous avons besoin de parité, mais aussi de prudence en matière de réforme électorale. Pour ces raisons, j'espère que nous approuverons tous ce texte.

M. le Rapporteur - Très bien !

M. Simon Renucci - Permettez-moi de souligner, non sans malice, que si la Corse fut la première région à utiliser les possibilités ouvertes par le nouvel article 72 de la Constitution, elle est la dernière, pour l'élection de son assemblée territoriale, à bénéficier des dispositions relatives à la parité.

La loi du 11 avril 2003 avait, en effet, omis d'étendre ses effets à l'assemblée de Corse, aussi ne puis-je que me réjouir de la fin de cette inégalité, et ce d'autant plus que le groupe « Corse social démocrate » à l'assemblée de Corse, que j'ai longtemps présidé, respecte déjà la parité.

La loi ne peut à elle seule remédier à l'insuffisante proportion de femmes dans nos assemblées, mais elle est indispensable pour en assurer une représentation plus juste. Malgré la législation, les femmes ne représentent que 12,3 % de cette assemblée. Cette sous-représentation dénote un déficit démocratique. Heureusement, les femmes de notre île sont déjà impliquées dans la vie politique insulaire.

Dans les communes de moins de 3 500 habitants, elles sont 14 % à être maires, contre 11 % au niveau national.

Ce projet de loi, adopté par le Sénat, représente un des plus grands événements que la Corse ait connus depuis longtemps. Son adoption conduira à une modernisation sans précédent de la vie politique locale.

Les femmes apporteront leurs compétences et leur vision de la société. Mais n'oublions pas qu'elles sont aussi absentes des sphères dirigeantes de nombre de secteurs d'activité et, qu'à travail égal, leur salaire est moindre.

Cette disposition, si elle est adoptée, donnera un nouvel élan à la démocratie, au moment où notre collectivité territoriale va être investie de nouvelles compétences. La Corse aura besoin de toutes les énergies. Depuis trente ans, notre île vit dans un climat de violence qui nourrit l'immobilisme et peut faire douter de l'avenir. Parce que les femmes connaissent le prix de la vie, parce qu'elles participeront activement à la vie économique, sociale et culturelle, parce qu'elles sauront porter des projets inédits, leur présence dans nos assemblées nous permet de croire en un avenir meilleur.

L'unanimité est un gage de confiance. Merci de nous avoir écoutés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

L'article unique du projet, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - A l'unanimité.

APRÈS L'ARTICLE UNIQUE

M. Emile Zuccarelli - L'amendement 1 a été défendu. Vous m'avez appelé à ne pas rompre cette belle unanimité. L'unanimité sur la parité est scellée. Je fus même favorable à la parité bien avant bon nombre d'entre vous.

Quant à retirer mon amendement, quelle conception ahurissante de la vie parlementaire ! J'ai exposé les raisons pour lesquelles je crois qu'il serait bon pour la Corse que l'Assemblée l'adopte, mais elle tranchera, dans sa sagesse. Je le maintiens.

M. le Rapporteur - J'ai déjà dit ce que la commission a pensé de cet amendement. Le seul objet de ce projet de loi est la parité. Le 6 juillet dernier, les Corses ont refusé le nouveau statut qui leur était proposé, ce qui serait un argument suffisant pour repousser cet amendement. On ne modifie pas les règles du jeu à quelques semaines d'un scrutin.

Par ailleurs, après le rejet par les électeurs corses du changement de statut, M. Zuccarelli lui-même a déposé une proposition pour remédier à l'inégalité entre l'île et le continent en matière de parité. Je comprendrais le maintien de l'amendement si un dispositif analogue figurait dans la proposition, mais tel n'est pas le cas. Pour cette raison d'élémentaire cohérence, et non dans un souci béat d'unanimisme, je réitère la demande de retrait de la commission. Si l'amendement est maintenu, je demanderai à l'Assemblée de le repousser.

M. le Ministre - Aimant moi-même le débat, je ne reprocherai à quiconque de débattre. La vie politique meurt faute de débat. On a peur des mots et on subit la réalité. Or la Corse a besoin de débat, vous le savez. En Corse, on ne parle pas assez. J'oserai dire qu'on ne s'y parle jamais : on préfère prendre des postures.

Le Gouvernement ne craint pas le débat. J'ai des amis, ici, qui ont trouvé des arguments en faveur de votre amendement, Monsieur Zuccarelli. Pourquoi le nier ? Je ne dirai pas qu'il est en tout point négatif. Pourtant, au nom du Gouvernement, je vais demander à l'Assemblée de le repousser.

La Corse est minée par la méfiance. Si un mode de scrutin faisait l'unanimité, ou même rassemblait une majorité des élus républicains - vous voyez ce que je veux dire -, le Gouvernement serait enclin à le faire adopter. Mais nous ne sommes pas dans ce cas de figure. Sur le mode de scrutin, la droite comme la gauche sont divisées. Dans ces conditions, pourquoi le Gouvernement proposerait-il de modifier le mode de scrutin à quatre mois de l'échéance ? En l'absence de consensus, nous serions tous accusés de combine et d'arrière-pensées. Personne ne trouverait la moindre noblesse dans votre vote et l'ensemble de la classe politique serait déconsidérée.

Par ailleurs, quand on dit que l'île est minée par la violence, comment peut-on en déduire qu'il faut relever le seuil qui permet d'appartenir à la collectivité territoriale ? Combat-on la violence en rendant possible la représentation d'un grand nombre de courants à l'assemblée de Corse, ou la favorise-t-on en condamnant à n'avoir aucune représentation des groupes, certes minoritaires, mais qui existent ? Je n'apporte pas de réponse définitive, mais la Corse a ses spécificités, on ne peut pas le nier.

Un changement de mode de scrutin profiterait-il à la paix ou aggraverait-il la violence ? Et si nous empêchons toute représentation des petits groupes avec qui discuterons-nous ? Telles sont les questions que nous devons nous poser.

On me dit parfois qu'il y a une solution simple, traiter la Corse comme les autres régions. M. Zuccarelli le dit de façon plus pertinente, mais nous sommes un certain nombre, de M. Rocca Serra à M. Giacobbi, à penser que cette île a ses spécificités. A qui irait la prime de 25 % en Corse, alors que les courants républicains sont très divisés ? Il y aura un grand nombre de listes, parce qu'en Corse l'histoire pèse plus qu'ailleurs et qu'on ne se réconcilie pas comme cela.

J'ai entendu dans le discours de M. Giacobbi un avertissement. Quand il y a tant de divisions parmi les républicains et quand on parle tant d'union chez ceux qui ne le sont pas, la sagesse veut qu'on s'en tienne au mode de scrutin actuel.

Ce que sera la loi électorale en Corse dans cinq, dix ou quinze ans, bien malin qui peut le dire. Si la classe politique corse souhaite une harmonisation, qu'elle donne l'exemple en rassemblant les courants républicains. Peut-être le droit suivra-t-il cette heureuse évolution. Ce serait une bonne nouvelle pour tout le monde (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Emile Zuccarelli - Monsieur le ministre, je respecte profondément votre position, mais je suis un parlementaire responsable et je défendrai jusqu'au bout ce qui me paraît être l'intérêt général.

Vous ne pouvez à la fois redouter que les non-républicains - pour parler élégamment - emportent la prime majoritaire et demander le maintien de seuils favorables à leurs petites formations.

Il y a certes un risque à prendre : celui de la clarté. J'ai apprécié votre détermination à combattre la violence et à mener la bataille contre les mafieux. Je vous en remercie. Vous avez dit aussi qu'il n'y a pas en Corse de délit d'opinion. C'est vrai. Mais certains pensent qu'en démocratie, la violence peut être une arme dans le débat. Ceux qui disent comprendre la violence ou qui s'allient avec des groupes qui la prônent et qui la pratiquent émettent des opinions qui n'ont pas leur place dans la République.

M. le Ministre - Vous me dites qu'il y a un risque à prendre. En Corse, il y en a même beaucoup à prendre quand on est ministre de l'intérieur (Sourires). Je préfère courir des risques dans d'autres domaines que la loi électorale.

Je tiens d'ailleurs à rendre hommage aux élus républicains de l'île. Je veux bien qu'il n'y ait pas de spécificité corse, mais faire un travail d'élu demande un grand courage. En tant que ministre de l'intérieur, je veux pouvoir le dire.

Dans certains journaux dits « d'opinion », comme U Ribombu, je suis menacé chaque semaine. Vous aussi, mais je réclame une part plus importante que d'autres... (Sourires).

Un certain nombre de mafieux veulent faire croire à des gens sincères qu'il suffit d'exprimer des opinions nationalistes pour être poursuivi par l'Etat républicain. C'est grâce à ce type d'amalgames que prospèrent des gens malhonnêtes. Si je me suis montré favorable à l'apprentissage de la langue corse, c'est qu'à mon avis on peut très bien être attaché à la fois à cette langue et à la République française. Cela n'a rien à voir. Au contraire, contester le droit d'apprendre le corse donne un avantage à certains nationalistes. On a le droit de croire aux vertus de l'autonomie, à partir du moment où c'est une opinion. L'Etat ne poursuit pas des idées, mais des comportements mafieux (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

L'amendement 1, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'ensemble du projet, mis aux voix, est adopté.

La séance, suspendue à 17 heures 45, est reprise à 17 heures 55.

BIOÉTHIQUE -deuxième lecture-

L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la bioéthique.

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - Vous savez combien les sujets dont nous allons débattre me tiennent à c_ur et combien - particulièrement vous, Monsieur le rapporteur, et vous, Monsieur le président de la commission des lois qui suivez depuis plus de dix ans l'élaboration de cette matière - ils touchent de près aux rapports entre médecine, science et société. En fait, c'est l'_uvre législative de ces quinze dernières années que nous devons aujourd'hui parfaire.

Comme en 1994, il revient à une majorité de mener à terme le travail entrepris par la majorité et le gouvernement précédents. Le Sénat a toutefois amendé ce premier texte et le projet actuel reflète les choix et les convictions de notre gouvernement.

Médecin, je ne suis naturellement pas porté à dénoncer le progrès médical et scientifique. Je suis bien placé pour savoir que les chercheurs ont continuellement offert à l'homme de nouveaux services, lui assurant une meilleure qualité de vie et des conditions de travail plus humaines. Mais je sais aussi que la science n'est pas une activité neutre et qu'en tant qu'instrument d'un progrès illimité, elle n'échappe pas à la critique. Nous devons en effet distinguer entre progrès réel et progrès apparent.

L'évolution récente des sciences du vivant pose en termes radicalement nouveaux la question des relations entre progrès médical et repères moraux : les biotechnologies opèrent, non plus sur le monde extérieur, mais sur l'homme lui-même ; d'autre part, elles ne permettent plus seulement à celui-ci de se faire « maître et possesseur de la nature » au sens cartésien, puisque cette entreprise de domination risque de se retourner contre lui. Avec la médecine de la reproduction, avec les techniques de clonage cellulaire et le décryptage du génome, l'homme est en effet de plus en plus à même de s'approprier la nature pour la modeler à son goût, mais sans en maîtriser vraiment les effets pour l'humanité de demain. Notre tâche est donc de distinguer ce qui personnalise l'homme et ce qui le dépersonnalise, ce qui le rend plus libre et ce qui le rend plus esclave.

C'est une vieille histoire : la science, pour avancer, se heurte aux repères moraux, qu'elle fait en retour évoluer. Songez à l'opposition rencontrée par la dissection, l'anesthésie ou la vaccination ! Toutefois, avec les sujets qui nous occupent aujourd'hui, je crois que nous touchons à une frontière. Je crois aussi que nos concitoyens ont compris qu'il faut des limites au développement de la bio-médecine pour que ces sciences restent en accord avec la dignité de chaque homme.

C'est dans cet esprit que s'est développée l'éthique de la vie - la bioéthique. Les chercheurs, les biologistes notamment, ont pris une part importante aux premières réflexions.

En 1963, au cours d'un colloque organisé par la fondation Ciba, le prix Nobel J. Ledeberg exprima une position assez répandue dans l'assemblée, celle d'une responsabilité nouvelle des biologistes pour assurer un développement de l'humanité.

En France, médecins et biologistes avaient, avant 1994, défini des règles déontologiques, des garanties éthiques ; le législateur s'est ainsi largement inspiré de celles posées par les CECOS pour réglementer le don de gamètes.

Cependant, la bioéthique ne peut être du ressort exclusif des praticiens, parce que l'éthique n'est pas un prolongement naturel de la science. Sont en cause, en effet, des pratiques qui mettent en jeu les représentations de la société : qu'est-ce que la personne humaine ? Jusqu'où le respect lui est-il dû ? De quoi peut-il être fait commerce ? Quelles sont les implications de la médecine prédictive ou de la possibilité de concevoir un enfant avec un tiers donneur ?

La bioéthique, on le voit, éprouve notre édifice juridique dans ce qu'il a de plus central, le statut des personnes, le droit de la filiation et de la famille, le droit des contrats. Les questions qu'elle pose relèvent a priori du politique, puisque c'est moins la recherche en tant que telle qui est visée que ses applications et ses conséquences. A ces questions, les scientifiques ne sont pas plus aptes à répondre que les autres citoyens. Le législateur devait intervenir car, comme l'a écrit fort justement Luc Ferry, « les questions éthiques n'ont en leur fond aucun lien avec les connaissances scientifiques. Le fait de savoir ce qui est ne détermine en rien ce qui doit être ».

Mme Christine Boutin - Oui !

M. le Ministre - Ce besoin de limites et de repères est aujourd'hui bien admis par les praticiens, médecins et chercheurs, pourtant méfiants en 1994. Ils savent combien est nécessaire une régulation qui émane aussi largement que possible du corps social. Notre édifice normatif a donné l'onction du droit à des pratiques pour lesquelles ils encouraient auparavant des poursuites ; il en a aussi favorisé l'acceptabilité sociale. Ainsi, le diagnostic préimplantatoire a pu se développer dans un cadre strictement défini qui garantit son caractère exceptionnel et prévient les dérives.

Le mot « bioéthique » s'est imposé, grâce à sa force expressive, mais il est ambigu car il laisse croire que c'est la biomédecine qui façonne sa propre éthique, alors que l'éthique est au-dessus des savoirs particuliers. Puisqu'on l'inscrit dans la loi, pour la première fois, je voudrais qu'on ne puisse pas lui attacher une signification trouble. Afin de le laver de tout soupçon, il est indispensable que cette révision montre que l'éthique biomédicale n'est pas obligée d'adapter inévitablement ses principes à toute pratique nouvelle afin de la justifier a posteriori. On n'attend pas du législateur bioéthique qu'il concilie tous les contraires mais qu'il dise les limites, qu'il donne, avec humanité, un cadre permettant à chacun de s'exprimer dans le respect de l'intérêt collectif (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Le souci du Gouvernement est d'assurer le fondement de la bioéthique. Pour le législateur, la place du droit par rapport à la morale et à la biologie est le premier axe de travail. La tâche n'est pas évidente mais sur des sujets revendiqués depuis longtemps par les philosophes et les théologiens, qui demandent une bonne compréhension des enjeux scientifiques, la place du droit a été définie avec intelligence et efficacité. Sans craindre de faire naufrage au milieu des tempêtes déclenchées par les biotechnologies, sans craindre ce cap Horn de la science juridique qui marque la frontière de la morale et du droit, le législateur a assumé ses responsabilités, traçant les limites de son intervention : ni de la philosophie ni de la science, mais du droit.

Cette juste conception de sa fonction est particulièrement manifeste dans la manière dont il traite de l'embryon humain : il a édicté un régime fondé sur le principe du respect dû à l'embryon, solennellement inscrit à l'article 16 du code civil, et sur la définition des atteintes qui peuvent lui être portées, mais il a renoncé à définir cet embryon. Ce faisant, il s'est tenu à l'écart des querelles biologiques et philosophiques. En effet, les données biologiques nous montrent que l'embryon est humain dès le début et qu'il est un individu, c'est-à-dire un être organisé et doué d'une unicité, mais certains tâchent de trouver un moment qui marquerait l'apparition de l'humain dans cet être. Au plan philosophique, la question ontologique du début de la personne fait l'objet de controverses et il paraît impossible de savoir si l'embryon est une personne. Pour autant, sur le plan pratique, nous devons définir notre conduite à son égard : le législateur doit se situer sur le plan du devoir-être à l'égard de l'embryon et non de son être.

Ce choix, critiqué par certains, est à la fois juste, parce que la loi n'a pas à qualifier les êtres humains, mais seulement à les constater et à les protéger. A défaut, la qualité d'être humain serait une concession, qui pourrait être accordée ou retirée selon les convictions ou l'humeur de la majorité du moment ; et efficace, parce que le droit a ainsi trouvé son espace propre par rapport à celui de l'éthique.

Le législateur a bien fait en renvoyant dos à dos les différents courants de pensée : son devoir est de veiller à ce que la dignité soit protégée, d'éviter que la communauté humaine soit régie par la loi du plus fort.

Le législateur bioéthique doit aussi pacifier le débat, guidé par le souci constant de l'éducation et de la participation de tous les citoyens. Afin que le choix éthique qui est fait, sur des questions aussi délicates que le don d'organes entre personnes vivantes ou la recherche sur l'embryon notamment, reflète au mieux les convictions morales de chaque citoyen, il faut poser le débat aussi purement que possible et ne pas s'abriter derrière des barrières langagières érigées pour les besoins de la recherche. Il faut surtout afficher clairement les partis que l'on prend et les évolutions que l'on consacre. Le gouvernement précédent ne pouvait s'y résoudre, puisque c'est subrepticement qu'il permettait, par exemple, que des embryons fussent créés à des fins de recherche.

Ce souci de clarté commande aussi de ne pas « techniciser » à outrance les problèmes. Je souhaite donc que scientifiques, juristes, politiques et média s'attachent à ne pas occulter les difficultés par des querelles terminologiques, comme celle qui consiste à parler de morula ou de zygote quand il s'agit de désigner l'embryon du sens commun à un certain stade de son développement. Il y a toujours un mobile inavoué derrière les tours de passe-passe terminologiques : le désir d'évincer un problème au lieu de s'y confronter.

Mieux informés qu'hier des tenants et des aboutissants du débat bioéthique, grâce notamment au rôle éducatif des lois de 1994, les citoyens seront particulièrement sensibles à ce que ces sujets ne soient pas captés par les spécialistes. Ils nous reprocheraient à bon droit des euphémisations déloyales et de perdre la mesure des enjeux.

Nous devons enfin consolider notre arsenal législatif autour de principes stables et assurer le fondement de la bioéthique. C'est pourquoi, le Gouvernement a souhaité revenir sur l'inscription dans la loi du principe de sa révision. En 1994, c'était un signe de modestie de la part du législateur, qui s'attelait à une tâche inédite. Aujourd'hui, ce serait un procédé ambigu et néfaste. Ambigu car, dépourvu de toute valeur normative, il ne contraint en rien le législateur et ne modifie pas la faculté dont dispose celui-ci de remettre en chantier la loi. Dans certains domaines, on voit bien que la clause de révision a pu, au contraire, être un frein sur des questions appelant des décisions rapides. A l'inverse, elle risque de pousser à aborder trop tôt des questions, alors que les enjeux scientifiques ne sont pas suffisamment clairs, ou que les implications n'ont pas été suffisamment débrouillées. Néfaste, car le législateur n'a pas, en particulier lorsqu'il édicte des principes, vocation à faire une _uvre dont la date de péremption est déjà annoncée. C'est la solennité et la légitimité de la loi qui s'en trouvent malmenées. Il est essentiel que les normes en matière de bioéthique ne soient pas conçues d'emblée comme caduques : elles n'ont pas vocation à être sans cesse remodelées au gré de l'évolution technique. On ne réinvente pas l'éthique à chaque nouvelle découverte !

Le débat bioéthique est désormais international. La France doit _uvrer afin de parvenir, sinon à une régulation commune encore utopique, du moins à une concertation aussi riche que possible. Or, elle fera entendre sa voix d'une manière d'autant plus convaincante qu'elle pourra s'appuyer sur un arsenal législatif interne actualisé, adopté d'une manière aussi consensuelle que possible.

Je souhaite en effet que, dès la promulgation de la loi de révision, nous ratifions la convention du conseil de l'Europe sur les droits de l'homme et la biomédecine signée à Oviedo le 4 mars 1997, premier texte international ambitieux et contraignant en matière de bioéthique. Je souhaite aussi, que nous poursuivions dans la voie engagée par l'initiative commune prise à l'automne 2001 par la France et l'Allemagne afin que soit mise en chantier dans le cadre de l'ONU une convention interdisant le clonage à des fins de reproduction humaine, assortie de sanctions suffisamment dissuasives et de mesures de coopération policière et judiciaire. Le Président de la République a aussi demandé le 14 octobre dernier, lors de l'assemblée générale de l'UNESCO, qu'une convention mondiale de bioéthique soit mise en chantier sous l'égide de cette institution. Nous devons progresser vers des positions communes.

J'en viens au contenu du texte, en commençant par les sujets qui posent le moins de difficultés.

En ce qui concerne les greffes, depuis la loi Caillavet de 1976, c'est le choix du consentement présumé qui a été fait et qui a résisté à l'épreuve du temps.

En 1994, une impulsion nouvelle a été donnée grâce à l'Établissement français des greffes, dont je dois saluer le travail. Mais, malgré des initiatives intéressantes, comme le plan 15-20 de Didier Houssin, nous restons largement en deçà de nos ambitions, parce que nous ne sommes pas parvenus à régler le problème de la pénurie d'organes.

Le texte voté par le Sénat marque plusieurs avancées.

Il permet tout d'abord une extension, mais très mesurée, du don d'organes entre vifs. Au regard des centaines de malades qui décèdent chaque année en France faute de greffons, un effort s'impose pour élargir le cercle des donneurs vivants potentiels, notamment aux personnes en mesure d'apporter la preuve d'une vie commune stable avec le receveur.

Mais, s'agissant d'interventions lourdes, il ne faut pas pécher par imprudence, comme le texte voté en première lecture en janvier 2002. Il élargissait - à l'excès selon moi - le champ des donneurs vivants aux personnes ayant « un lien étroit et stable » avec le receveur. Comment, dans cette perspective, s'assurer que les principes de libre consentement et de non-commercialité du corps ne soient pas bafoués ?

Deuxièmement, ce texte impose à la personne en charge d'un enfant, d'obtenir le consentement de celui avec qui elle partage l'autorité parentale, pour donner un de ses organes. On ne peut qu'être touché par un don issu d'un élan de générosité spontanée ; mais il faut rester attentif aux risques encourus par les gens, et les protéger, parfois contre leur propre générosité.

Enfin, point essentiel, ce texte renforce l'information sur le don cadavérique. Le prélèvement sur les vivants pose toujours de graves problèmes, et le don entre vifs doit absolument rester subsidiaire par rapport au don cadavérique. Certains pays, comme l'Espagne, couvrent d'ailleurs les besoins de la transplantation avec leurs seuls prélèvements cadavériques.

Aussi, pour progresser dans cette voie, la loi issue du Sénat prévoit que toute personne, entre seize et vingt-cinq ans, doit être informée du but du don d'organes après le décès et du régime du consentement auquel il est soumis, c'est-à-dire de l'existence d'un registre des refus. Il s'agit de rendre effectif le régime de consentement présumé des personnes décédées par une politique d'information plus active, qui doit rassurer les familles en deuil sur la connaissance qu'avait la personne disparue du régime du prélèvement d'organes. On sait que la loi ne requiert qu'un témoignage et non, à proprement parler, l'autorisation des familles. Toutefois, lorsque le médecin demande à la famille si le défunt était opposé au prélèvement, elle ignore le plus souvent la réponse et demande de ne rien faire. Même s'il en a le droit, dans ces conditions, le médecin ne prélève généralement pas.

Deuxième thème : l'assistance médicale à la procréation. La révision des dispositions qui la concernent a été engagée à partir d'un bilan satisfaisant, tant du point de vue du débat public que de la progression des naissances par fécondation in vitro.

Outre quelques ajustements techniques, la petite loi votée en janvier 2002 par l'Assemblée revenait sur l'un des choix du législateur de 1994 en autorisant le transfert d'embryon post mortem en cas de décès. Cette possibilité a été supprimée par les sénateurs, au nom de leur souci, qui est aussi celui du Gouvernement, que le développement de la procréation assistée soit invariablement guidé par le respect de l'intérêt primordial de l'enfant, c'est-à-dire de son environnement affectif. La mise au monde consciente d'un orphelin, au nom du respect dû à la volonté du couple, est bien difficile à admettre au plan des principes. Elle est aussi impossible à organiser en pratique : il faut bouleverser le code civil pour régler la filiation et la situation patrimoniale de l'enfant qui pourrait venir au monde, et cela sans même garantir que cet enfant sera traité comme n'importe quel autre.

La même inspiration a conduit à amender les textes afin que l'accès à la procréation assistée demeure subordonné, pour les couples non mariés, à la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans, de sorte que seuls des couples stables se lancent dans cette aventure souvent difficile et que les embryons conçus artificiellement et congelés le soient dans le cadre d'un projet parental solide.

J'en viens à la recherche sur l'embryon humain. Ce sujet très difficile nourrira vraisemblablement en chacun de nous une délicate délibération intérieure. A vrai dire, je vous ai déjà dit, pour une large part, ma réflexion sur la question. Elle se fonde sur l'article 16 du code civil, qui prévoit que la loi garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie. Dire que ce principe est premier, c'est n'admettre qu'on lui porte atteinte que lorsque c'est nécessaire à la sauvegarde de principes jugés également essentiels. C'est bien cette ligne qui a inspiré le législateur jusqu'à aujourd'hui. Seules des exceptions précises et strictement encadrées permettent de porter atteinte à l'embryon : c'est le cas de l'interruption volontaire de grossesse et, plus récemment, du diagnostic préimplantatoire.

Le présent texte reste dans cette logique d'exception par rapport à cet interdit fondateur, pour moi intangible. La recherche sur l'embryon demeure interdite, mais, à titre dérogatoire, dans des conditions fort strictes et pour une durée limitée, il est permis que certaines recherches soient menées sur certains embryons.

Cette position de principe rejoint le bon sens scientifique. Les techniques utilisant des cellules souches pourraient transformer des branches entières de la médecine. Mais il faut raison garder, non par scepticisme, mais parce que, me semble-t-il, on a pu donner de faux espoirs à nos concitoyens. On a eu tendance à s'exagérer la vitesse possible du progrès. Les perspectives thérapeutiques liées à l'utilisation des cellules souches embryonnaires ne sont encore qu'un pari qui n'a pas commencé d'être validé ; il faudra des années, au mieux, pour que des applications cliniques puissent être envisagées. Que l'on songe au génie génétique, apparu au début des années 1970, qui n'en est qu'à ses balbutiements thérapeutiques ! Que l'on songe que la thérapie génique n'en est encore qu'à ses prémisses ! Il n'y a pas de retombées thérapeutiques immédiates : nous sommes seulement engagés sur une longue route qui, pour le moment, repose sur un concept judicieux, mais qui n'a pas commencé à produire le moindre début de preuve, pas même sur les modèles animaux.

Par ailleurs, des cellules souches existent aussi dans les tissus adultes ; des travaux récents ont mis en évidence leur fort potentiel régénératif et leur grande plasticité.

Je souhaite que la France se distingue par un engagement massif dans la recherche sur les cellules souches adultes. Des appels d'offres pour favoriser tant la recherche cognitive que la recherche clinique sur les cellules souches tissulaires sont, à cette fin, lancés conjointement par mon ministère et par celui de la recherche.

J'ai longtemps espéré que l'on pourrait faire l'économie de la recherche sur les cellules issues d'embryons. Mais la réalité des exigences de la recherche, j'en ai été convaincu, impose qu'on l'autorise : il est indispensable de mener de front, pendant quelques années au moins, des recherches sur les cellules embryonnaires et sur les cellules souches adultes, afin de comparer leurs potentialités, mais aussi leur innocuité pour l'homme. Je ne souhaite pas pour autant masquer que cela représente un bouleversement ontologique.

Mme Christine Boutin - C'est vrai.

M. le Ministre - La levée de l'interdiction posée en 1994 par le législateur ne va donc pas de soi et doit être assortie de conditions très précises.

Tout d'abord, le but de ces recherches est précisément défini, ce qui n'était pas le cas dans le texte précédent. Ce but est double.

La recherche sur l'embryon est avant tout une recherche pour l'embryon, pour lui permettre d'entrer dans le champ de la médecine. Or, cette progression de la médecine vers les tous premiers stades de la vie ne pourra se réaliser sans l'aide de la recherche.

A cet égard, il y a urgence, en raison du fort décalage entre les progrès réalisés pour diagnostiquer les problèmes du f_tus et, plus récemment, de l'embryon, et les moyens dont on dispose pour les traiter. Le biais qui en résulte en faveur de l'élimination plutôt que du traitement alimente un discours récurrent mais aussi, peut-être, de moins en moins irréaliste, sur le tri eugénique des êtres humains et sur la décence ou l'acceptabilité plus grandes de ces pratiques, devenues plus indolores. Pour éviter cette dérive, il faut tout faire pour que le foetus et l'embryon puissent accéder au statut de patient.

Un seul autre but doit être assigné à la recherche sur l'embryon : évaluer les perspectives thérapeutiques, apparemment très prometteuses, liées à l'utilisation de cellules souches embryonnaires. Comme je l'ai dit, la route sera longue jusqu'à la validation thérapeutique, mais il faut se mettre en ordre de marche. Dans le même temps, nous devons privilégier la recherche sur les cellules souches adultes et explorer d'autres voies, telle celle des cellules de sang de cordon ombilical.

D'autre part, ces recherches doivent être strictement encadrées. C'est pourquoi le texte prévoit que seuls pourront être affectés à la recherche les embryons in vitro conçus dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation dont les parents ne veulent pas demander le transfert et qui n'auront pas été donnés à un autre couple. Toute recherche sur l'embryon humain sera soumise à autorisation après une évaluation scientifique et éthique de son protocole.

Enfin, l'ouverture de la recherche sur l'embryon est transitoire : son bien-fondé sera réexaminé dans cinq ans, notamment parce qu'il n'est pas exclu que les progrès de la science conduisent à vider le débat de son contenu ou du moins à en atténuer la vivacité. En bref, le Gouvernement souhaite ouvrir une « fenêtre d'action » strictement délimitée en respectant les principes et le souci d'équilibre qui inspirent la législation actuelle.

C'est pourquoi le Gouvernement est très attaché à ce que la création d'embryons humains à des fins de recherche demeure fermement exclue et sévèrement sanctionnée ; elle est d'ailleurs contraire à l'article 18 de la convention d'Oviedo. C'est pourquoi la possibilité, introduite par amendement en janvier 2002, que des embryons soient créés pour les besoins de la recherche en procréation assistée, pudiquement masquée sous l'« évaluation des techniques d'AMP », a été supprimée.

Quant au clonage thérapeutique, déjà interdit en première lecture à l'Assemblée nationale, il nous expose à deux dangers majeurs. Il pourrait permettre de contourner l'interdiction de faire naître un enfant cloné, à partir du moment où la première étape peut être réalisée. Et il exige d'obtenir en grand nombre des ovocytes prélevés chez les femmes après un traitement fort lourd et, à n'en pas douter, des tractations financières peu compatibles avec le principe de non-commercialité du corps humain, inscrit dans le code civil. J'ajoute que l'on peut y voir une forme de création d'embryons à des fins de recherche, contraire à nos engagements internationaux. Le Sénat a donc confirmé, sur ce sujet, le choix initial de l'Assemblée nationale.

Enfin, le Gouvernement vous proposera un dispositif transitoire permettant, sans dérogation aux garanties fixées par le projet de loi, que des recherches soient menées, dès la promulgation de la loi, sur des lignées cellulaires importées. Ainsi, sans attendre la mise en place de l'Agence de la biomédecine, les quelques équipes de recherche françaises qui attendent depuis des années ces dispositions pourront engager leurs travaux.

Quant au clonage, le Gouvernement et le Sénat ont souhaité que l'interdiction du clonage d'embryons humains à des fins de reproduction soit assortie d'une sanction à la hauteur de l'enjeu, qui fasse référence à ce qu'il s'agit de garantir, à savoir la dignité de l'homme et la survie de l'espèce.

On peut certes condamner la pratique du clonage comme totalement irresponsable du point de vue scientifique : elle bafoue les principes déontologiques les plus élémentaires de la recherche, puisqu'on créerait sciemment un être qui aurait toutes les chances soit de mourir prématurément, soit d'être atteint de diverses malformations.

Mais l'objection essentielle au clonage, c'est-à-dire au photocopiage génétique, est d'ordre éthique : il s'agit de programmer un humain comme un objet fabriqué en fonction d'une commande ; il s'agit de le transformer en un objet calculable, manipulable et prédéterminé dans toutes ses caractéristiques physiques, quand la personne, subtil mélange de hasard et de choix, est une et est libre grâce à la part d'indétermination dont elle procède ; il s'agit enfin et surtout d'annuler l'altérité naturelle qui constitue le support biologique de la personne.

Quelles que soient les motivations que l'on peut prêter aux partisans du clonage, aucune hypothèse ne paraît pouvoir être sauvée. Il est impossible de souhaiter être cet enfant-là. Cela ne signifie aucunement que sa dignité ne serait pas la même que celle de tout autre individu, car elle est un attribut ontologique de la personne et ne varie pas au gré des circonstances de l'existence. Mais il faut élever une digue aussi solide que possible pour se garder d'une telle éventualité.

Mme Christine Boutin - C'est tout à fait vrai !

M. le Ministre - Aussi le projet s'inscrit-il contre cet arbitrage despotique, en rappelant que le propre de toute personne est d'être indéterminable. Il réprime toute tentative de reproduction par clonage, qui fait l'objet d'une nouvelle incrimination, baptisée « crime contre l'espèce humaine » ; cette incrimination vise aussi les pratiques eugéniques tendant à l'organisation de la sélection des personnes, assortie d'une peine que les sénateurs ont portée à trente ans de prison et dont la prescription peut être suspendue.

Comme il existe déjà huit agences compétentes en matière de santé publique, le Gouvernement a souhaité regrouper les activités de l'organisme compétent en matière de procréation, d'embryologie et de génétique humaine voulu par le gouvernement précédent et celles de l'Etablissement français des greffes, en raison de la proximité des questions scientifiques et des questions éthiques traitées par l'une et l'autre.

Les missions et les pouvoirs de la nouvelle Agence de la biomédecine ont été étendues et précisées. Son architecture a été revue et clarifiée. Sur tel ou tel point, des améliorations restent certainement possibles. Davantage encore, la prolifération des agences finit par gêner la visibilité de notre politique de santé.

Je souhaite donc aller aussi rapidement que possible vers une grande Agence de la biomédecine et des produits de santé, qui intègrerait donc l'actuelle AFSSAPS.

Enfin, au moment où des dizaines de milliers de brevets revendiquant des séquences de gènes étaient déposés, la France a porté au niveau international le message qu'une telle appropriation était éthiquement inacceptable et pouvait nuire à l'efficacité tant de la recherche fondamentale que de l'innovation pharmaceutique.

L'esprit et la lettre de la loi française et ceux de la directive européenne de 1998 sont incompatibles : la première exclut les gènes de la brevetabilité, la seconde les y inclut en assimilant leur connaissance à l'invention d'une molécule chimique. Mais cette directive a été adoptée, sans que le gouvernement français s'y oppose et elle s'impose désormais à nous.

Outre les problèmes éthiques soulevés par ce qui peut apparaître comme une appropriation du génome humain, la multiplication de brevets concurrents portant sur des résultats de plus en plus fondamentaux et fragmentaires à la fois, la confusion entre découverte et invention, risquent de bloquer le développement des produits de santé en aval.

Un équilibre entre critères économiques, exigences académiques, besoins de santé publique et respect de principes éthiques pourrait être trouvé, à condition de ne pas bloquer l'accès à la connaissance des séquences génétiques.

C'est ce que votre assemblée avait voulu éviter en introduisant un article 12 bis disposant : « Un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène, ne peut constituer une invention brevetable ». Cette rédaction, en phase avec mes convictions, ne pourra trouver à s'appliquer dès lors qu'elle est directement contraire aux dispositions de l'article 5 de la directive.

Le texte voté au Sénat entend sortir de l'impasse en proposant une formule qui préserve nos principes tout en constituant une interprétation de la directive plaidable auprès de la Commission européenne, puisqu'elle mixe le deuxième et le troisième alinéa de son article 5 : elle signifie que le gène, toujours breveté « en tant que », c'est-à-dire par son lien avec une application scientifique ou thérapeutique particulière, n'est jamais réellement couvert par le brevet ; le brevet de méthode comme le gène, le mentionne formellement, mais n'étend pas en pratique sa protection à celui-ci, qui reste disponible.

Voilà les sujets dont nous aurons à discuter.

Je tiens à avoir quelques mots pour tous ceux qui ont contribué à faire avancer la discussion, d'abord en 1992, au sein de la majorité d'alors, puis en 1994, pour conduire l'examen du texte à son terme, puis encore ceux qui sont intervenus comme Alain Claeys, dont je salue la qualité du rapport, et Roger-Gérard Schwartzenberg. Le débat a eu lieu en janvier 2002, et il nous appartient de le poursuivre. Il est utile que tous les avis s'expriment, avant que, je l'espère, nous parvenions aux solutions les plus consensuelles.

Le mot qui, selon moi, doit présider à l'élaboration des nouvelles lois de bioéthique, est celui de prudence. Entendons-nous bien : la prudence n'est pas l'inverse de l'audace, et on peut prendre des risques au nom de la prudence. Etre prudent, c'est résister à la tentation de la démesure ; nous pouvons y parvenir si, comme y invitait Aristote, nous cherchons ensemble un point d'équilibre. Etre prudent consiste à viser un juste milieu entre deux extrêmes opposés, ou - pour reprendre une métaphore utilisée par ce philosophe - « une ligne de crête entre deux abîmes ».

Alors que se profile le spectre de la manipulation de l'homme par sa marchandisation et même de sa fabrication programmée, la prudence s'impose comme le repère le plus assuré de l'éthique et du droit. Les avancées spectaculaires de notre science ont fait naître autant d'angoisses que de fantasmes. Sachons y répondre de façon rationnelle, en restant animés par le souci, lorsque nous sommes dans l'incertitude, d'explorer tous les possibles, d'anticiper tous les scénarios imaginables. Notre débat est grave, parce que, nous le voyons bien, c'est de notre humanité qu'il s'agit (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Pierre-Louis Fagniez, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Voici les questions majeures dont traite le projet : la création de l'Agence de la biomédecine ; la modification du droit relatif aux dons des greffes d'organes ; les conditions de la brevetabilité du vivant ; les modifications apportées au régime juridique de l'assistance médicale à la procréation ; les possibilités de recherche sur les embryons ne faisant plus l'objet d'un projet parental ; l'interdiction du clonage.

C'est à un amendement du Gouvernement, adopté par le Sénat, que l'on doit la création de l'Agence de biomédecine, nouvel établissement public de l'Etat, placé sous la tutelle du ministre de la santé.

Cette initiative répond à la politique de simplification administrative engagée par la majorité. Notre commission propose de consolider son rôle en lui confiant le soin de promouvoir une démarche d'amélioration de la qualité et de la sécurité sanitaires, et d'incitation à la recherche scientifique dans les domaines de la greffe et de la reproduction ; le soin aussi de mettre en _uvre un suivi de l'état de santé des donneurs d'organes et d'ovocytes, et de rendre compte, dans son rapport annuel, des éventuels trafics d'organes. En matière de don d'organes, la présomption du consentement est généralisée, et la gratuité est pleinement appliquée, les frais pour les donneurs étant intégralement pris en charge. Les règles de sécurité sanitaire sont renforcées et la greffe ne peut avoir lieu que si le bénéfice escompté est supérieur au risque encouru par le receveur.

Déjà en 2001, Jean-Michel Dubernard attirait l'attention sur la pénurie d'organes. Plus de 6 000 personnes étaient candidates à une greffe, et plus de 200 patients en attente décédaient chaque année.

Aussi, à mon initiative, la commission a-t-elle décidé de faire du prélèvement et du don d'organes une priorité nationale. Demain, le Président Debré présidera une cérémonie d'hommage aux donneurs et plantera à l'hôtel de Lassay un arbre à leur mémoire.

La rareté des greffes tient avant tout à la rareté de l'état de mort encéphalique, que de plus certains hôpitaux ne sont pas toujours capables d'identifier. Ainsi près de 50 % des morts encéphaliques ne donnent pas lieu à prélèvement malgré la règle du consentement présumé.

Face à cette situation, on peut s'interroger sur l'intérêt de recourir à des donneurs vivants. En France, ces dons concernent 5 % des greffes de reins et de foies et 2 % des greffes de poumons. Cependant, les risques de décès pour le donneur ne sont pas négligeables.

Par ailleurs, la pression psychologique exercée sur le donneur est un réel obstacle. Cette pratique peut être une possibilité, qu'il faudra encadrer, mais elle ne saurait pallier la pénurie actuelle de greffons.

Tout d'abord, le régime du consentement présumé doit être renforcé. En dehors des personnes inscrites sur le registre notarial des refus, toute personne est présumée consentir un don d'organe. Depuis la création de ce registre, seuls deux prélèvements n'ont pu être opérés pour cette raison.

Ensuite, les médecins ayant procédé à un prélèvement sur une personne décédée doivent s'assurer de la restauration décente du corps.

Enfin, le projet propose que le prélèvement soit considéré comme une activité médicale à part entière. Un amendement du Gouvernement tend à intégrer le prélèvement dans les missions de service public des établissements de santé. Il s'agit de transformer l'autorisation de prélèvement en obligation de service public. René Couanau s'est félicité de cette proposition.

Pour le don du vivant, le Sénat a élargi le cercle des donneurs potentiels aux parents du deuxième degré et à la personne apportant la preuve de deux ans de vie commune avec le receveur. Avec Jean-Michel Dubernard, nous souhaitons ajouter une garantie supplémentaire en prévoyant la saisine systématique du comité d'experts pour le cercle familial, à l'exception du père ou de la mère du receveur, dont le don d'organes paraît aller de soi.

En ce qui concerne la brevetabilité du génome humain, Valérie Pecresse, rapporteure pour avis de la commission des lois, a proposé des modifications techniques

Pour ce qui est de l'assistance médicale à la procréation, une attention toute particulière doit être apportée au dispositif de l'AMP-vigilance, qui permet de prendre en compte le devenir des enfants conçus selon les différentes techniques. Le suivi médical de ces enfants mérite d'être renforcé.

Par ailleurs, il convient de clarifier les cas dans lesquels il doit être mis fin aux activités de l'AMP.

Afin de permettre à un maximum de personnes de réaliser leur projet parental, il faut élargir la possibilité de recueil et de conservation de gamètes, non seulement aux cas où la personne subit un traitement médical susceptible d'altérer sa fertilité, mais aussi à ceux où la fertilité de la personne est prématurément altérée.

Reste la question du « bébé médicament ». On ne peut pas faire un enfant comme on fabrique un médicament.

Mme Christine Boutin - Ah bon ?

M. le Rapporteur - Il ne peut être question de recourir à la procréation assistée pour le seul intérêt thérapeutique d'autrui.

Il en va autrement du « bébé de l'espoir ».

Espoir, pour des parents ayant un enfant menacé de mort par une maladie génétique incurable, d'avoir un autre enfant indemne grâce à la procréation assistée avec diagnostic préimplantatoire. Cela est permis aujourd'hui.

Espoir, à la naissance de cet enfant, de prélever dans son cordon les cellules providentielles, susceptibles de sauver l'aîné car on s'est assuré de leur compatibilité grâce à une extension du diagnostic préimplantatoire. Cela n'est pas permis aujourd'hui.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Très belle démonstration.

M. le Rapporteur - Au terme d'une longue réflexion, je propose de confier à l'Agence de biomédecine une expérimentation thérapeutique dans des conditions scientifiques indiscutables, avec mission de produire un rapport d'évaluation.

Mme Christine Boutin - Ah là là !

M. le Rapporteur - En matière de recherche sur les embryons surnuméraires ne faisant plus l'objet d'un projet parental, la recherche sur l'embryon est interdite, sauf dérogation. Il n'est pas question d'une quelconque méfiance du politique envers le monde scientifique, mais il faut encadrer des recherches qui peuvent poser des problèmes éthiques graves.

Toutefois, le principe de limiter la recherche aux seuls embryons surnuméraires ne faisant plus l'objet d'un projet parental à la date de promulgation de la loi n'a pas été retenu par notre commission, qui ne se justifie pas d'un point de vue éthique.

D'après de nombreux chercheurs, les recherches sur les cellules souches embryonnaires sont prometteuses, et méritent d'être soutenues à l'instar de celles sur les cellules souches adultes.

Le clonage, enfin, est interdit par l'article 15 du projet et l'incrimination de crime contre l'espèce humaine a été retenue pour en signifier le caractère monstrueux.

Le clonage thérapeutique a une autre finalité et suscite beaucoup d'intérêt pour les scientifiques et d'attentes pour les associations de malades, mais il serait prématuré de passer à l'expérimentation humaine car l'expérimentation animale n'est pas concluante et doit être poursuivie et le risque de dérive vers le clonage reproductif est incontrôlable.

J'ai ainsi survolé le travail de votre commission qui a cherché l'équilibre entre la protection des droits individuels et la satisfaction des intérêts collectifs (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Valérie Pecresse, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République  - J'insisterai sur deux questions.

Tout d'abord, la nouvelle incrimination pénale, le crime contre l'espèce humaine. En première lecture devant l'Assemblée nationale, sous le gouvernement précédent, le clonage reproductif et les pratiques eugéniques étaient traités comme un crime ordinaire. Mais l'an dernier, les déclarations d'un médecin italien, ainsi que l'annonce par la secte Raël de la naissance d'un enfant cloné, ont suscité la stupeur.

Le tabou absolu de la reproduction à l'identique d'une personne humaine avait-il été transgressé ?

Confronté à ce choc, le Gouvernement a proposé au Sénat de solenniser la condamnation du clonage reproductif, ce qui a conduit à la création d'une nouvelle incrimination « crime contre l'espèce humaine », assortie de sanctions lourdes - trente ans de réclusion criminelle et réclusion à perpétuité lorsque ces crimes sont commis en bande organisée ou en cas d'association de malfaiteurs. Par ailleurs, un régime de prescription spécifique a été fixé - trente ans à compter de la majorité de l'enfant né du clonage. Enfin, les criminels peuvent être poursuivis même si le clonage a été commis hors de France.

Un débat sémantique a eu lieu en raison du caractère biologique de l'expression « espèce humaine ». Certains préféraient la notion de « crime contre le genre humain » mais l'expression reste abstraite. Quant au « crime contre l'humanité », il est strictement défini par des conventions internationales.

Au-delà, la création de cette nouvelle incrimination soulève plusieurs interrogations.

Tout d'abord, notre droit pénal a toujours fait du meurtre le premier des crimes. Or cloner, n'est-ce pas donner la vie ?

N'a-t-on pas créé cette nouvelle incrimination sous le coup de l'émotion ? Quid de l'enfant issu d'un éventuel clonage ?

Après avoir auditionné de nombreux experts, la commission a jugé légitime la démarche du Gouvernement.

En clonant une personne, les scientifiques brisent l'interdit suprême. Ils enfreignent la première des lois de la nature, selon laquelle l'enfant naît de la rencontre, avec une part de hasard, d'un homme et d'une femme. Le clonage, en reproduisant à l'identique une personne, prédétermine un enfant, et lui enlève l'essence même de son identité.

Aussi n'est-il pas exagéré de qualifier le clonage de crime contre l'espèce humaine, et la France, avec l'Allemagne, doivent poursuivre leur combat pour une condamnation universelle du clonage reproductif.

Mêler à ce débat la condamnation du clonage thérapeutique, comme le font notamment les Etats-Unis, est une erreur qui retarde le travail de l'ONU, fait craindre qu'un jour l'impensable puisse se produire.

Mme Christine Boutin - Je ne suis pas de cet avis.

Mme la Rapporteure pour avis - Dans ce combat, nous comptons sur votre détermination sans faille, Monsieur le ministre.

Pour ce qui est de la brevetabilité du génome humain, la question est difficile. Entre la dignité de la personne humaine et la nécessité de faire progresser la recherche en santé publique, un équilibre est à construire, au moins au plan européen.

Il vous appartient aujourd'hui de transposer l'article 5 de la directive européenne du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques.

Dans un premier paragraphe, celui-ci dispose que la découverte d'un gène n'est pas une invention brevetable.

Mais il précise, dans le paragraphe suivant, qu'un élément isolé du corps humain, ou autrement produit par un procédé technique, y compris une séquence génique, peut constituer une invention brevetable, même si la structure de cet élément est identique à celle d'un élément naturel.

Cet article est ambigu. Saisi d'un recours en annulation par les Pays-Bas, la Cour de justice des Communautés européennes, dans un arrêt du 9 octobre 2001, a précisé que « s'agissant du respect dû à la dignité humaine, il est en principe assuré par l'article 5 paragraphe I de la directive, qui interdit que le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement puisse constituer une invention brevetable ». Puis elle a indiqué que « seules peuvent faire l'objet d'une demande de brevet les inventions qui associent un élément naturel à un procédé technique permettant de l'isoler ou de le produire en vue d'une application industrielle ».

Alors que l'Assemblée nationale avait adopté en première lecture un amendement prenant le contre-pied de la directive, le Sénat a réalisé un compromis entre la réaffirmation du principe de non-brevetabilité du génome humain et la délivrance de brevets, essentielle au développement des industries biotechnologiques.

La nouvelle rédaction que nous vous proposerons d'adopter reprend le premier paragraphe de l'article 5 de la directive mais précise ensuite qu'une « application technique particulière d'une fonction d'un élément du corps humain » peut être protégée par un brevet.

Elle concourt ainsi à garantir le libre accès à la connaissance scientifique et le développement de la recherche, tout en protégeant le génome humain de toute appropriation privée.

Le choix de cette rédaction laisse enfin ouverte la possibilité de renégocier la directive dans un sens conforme au droit français. Cette renégociation paraît souhaitable. En effet, moins de la moitié des Etats membres ont aujourd'hui ratifié la directive et, parmi eux, seul le Royaume-Uni l'a fait sans états d'âme.

Pour toutes ces raisons, je donnerai un avis favorable au projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - La bioéthique n'est pas figée. Elle évolue lentement, avec les progrès scientifiques, et se confronte avec les valeurs culturelles, voire religieuses, de la société. Cette confrontation explique la lenteur de son évolution, mais aussi ses fluctuations, qui reflètent nos doutes.

Ce sont eux qui justifient la révision législative quinquennale inscrite dans la loi de bioéthique de 1994, une révision à laquelle la commission est très attachée même si nous avons pris quatre ans de retard. Mais réviser pourquoi et dans quelle direction ? S'agit-il d'une réflexion purement philosophique ? S'agit-il d'un débat sur des pratiques thérapeutiques chaque jour plus audacieuses, qui se heurtent à des habitudes culturelles peu évolutives en raison d'une éducation déficiente dans ces domaines ? C'est à cette deuxième interprétation que je souhaite consacrer cette intervention.

L'inviolabilité du corps humain, sa non-patrimonialité sont des concepts solidement ancrés dans notre culture et inscrits dans la loi. L'utilisation du corps à des fins scientifiques et, aujourd'hui, thérapeutiques, est depuis longtemps en débat. Mais la définition de la mort elle-même continue de susciter l'inquiétude. Elle met en jeu des éléments scientifiques mais aussi des convictions philosophiques et religieuses.

La peur d'être enterré vivant hante depuis toujours les individus dans notre société. Elle a inspiré des textes nombreux, tout comme l'autopsie et les prélèvements d'organes. En 1886, La Valette, alors ministre de l'intérieur, impose des délais entre le constat du décès et toute autopsie ou opération de prélèvement de tissus. Le décret de décembre 1941 ira jusqu'à imposer un délai de vingt-quatre heures entre la déclaration de la mort et tout prélèvement. Ce décret fut annulé par un autre décret, d'octobre 1947, qui supprimait la notion de délai. Il prévoyait aussi la possibilité de réaliser un prélèvement sans délai, même en l'absence d'autorisation de la famille, si un intérêt scientifique ou thérapeutique le nécessitait. Par prudence cependant, le même décret stipulait que ces prélèvements ne pourraient se faire que dans des établissements figurant sur une liste établie par le ministère de la santé et à condition d'observer des règles précises. La « circulaire Jeanneney » introduisit en 1958 le concept de coma dépassé, qui doit être constaté à partir de preuves concordantes de l'irréversibilité de lésions encéphaliques incompatibles avec la vie. Depuis, on ne meurt plus par arrêt du c_ur, mais par destruction cérébrale. Ces difficultés à définir la mort ne sont pas seulement celles des médecins, mais aussi celles des philosophes ou des religieux pour lesquels ce concept majeur n'est pas d'ordre scientifique, et le profane ne s'en sort plus. L'importance prise par l'utilisation des organes humains à des fins thérapeutiques et leur pénurie croissante sont les raisons de ce débat.

La notion fondamentale d'inviolabilité du corps humain complique le prélèvement d'organes.

De nombreux textes s'efforcent de limiter la portée de ce concept chaque fois qu'un intérêt scientifique ou thérapeutique pourrait conduire à le violer. Déjà, à la fin du XIIIe siècle, Philippe Le Bel autorise les dissections anatomiques, sources de connaissance pour les médecins. Louis XIV, par un arrêté royal de 1707, encourage également l'enseignement sur les cadavres. La loi Caillavet de 1976, confirmée par les lois de bioéthique de 1994, rend possible les prélèvements sur le corps humain lorsqu'un intérêt scientifique ou thérapeutique les rend souhaitables.

Mais à qui appartient le corps humain après la mort de la personne ? Voilà encore une question mal résolue, et cependant fondamentale. La loi du 15 novembre 1887 précise que le corps d'un sujet décédé est un bien extrapatrimonial qui ne peut donc faire partie de l'héritage des ayants droit ni donner lieu à saisie par les créanciers ou à cession par ordre d'un institut d'anatomie. Dans ces conditions, à qui appartiennent les organes d'une personne décédée ? A cette personne ? A sa famille ? A la société ? La même loi de 1887 fait dépendre le sort du sujet décédé de sa volonté exprimée de son vivant. Le cadavre appartiendrait-il à la personne ? Un décret du 2 décembre 1941 complique la situation en faisant dépendre tout prélèvement anatomique de l'autorisation de la famille, autorisation qui va cependant être limitée par le décret d'octobre 1947.

La loi Caillavet de décembre 1976 distingue le corps de l'individu vivant du cadavre. Le prélèvement d'organes ou de tissus sur une personne vivante est autorisé, à condition que la personne soit majeure et qu'elle ait librement et expressément consenti à ce prélèvement. En revanche, sur un sujet décédé, le prélèvement, qui ne peut avoir lieu qu'à des fins thérapeutiques ou scientifiques, dépend de la volonté exprimée par le défunt de son vivant.

Ce bref rappel historique montre les hésitations, les incertitudes et donc les fluctuations auxquelles je faisais allusion en introduction. Les idées de notre société ne sont pas encore fixées.

En 1978, avec la loi Caillavet et les décrets pris par Mme Simone Veil, la France fait le choix audacieux du consentement présumé. Il est en effet présumé que la personne décédée qui ne s'était pas opposée de son vivant à un prélèvement sur son cadavre y était favorable, ce qui le rend légal. Mais présumer de la pensée d'un individu est mal accepté par notre éthique et les décrets d'application de la loi, reflétant cette gêne, vont rendre encore plus ambiguë son interprétation. Le refus de l'individu peut être exprimé par tous moyens, en particulier par l'intermédiaire d'un registre national. Si le nom n'apparaît pas sur le registre, les médecins doivent s'informer auprès de la famille de la volonté du défunt. C'est en fin de compte la famille qui va prendre la décision.

Certains pays nous ont emboîté le pas, notamment l'Espagne, l'Autriche et plus récemment la Belgique. Dans chacun de ces pays, le nombre de donneurs est supérieur au nôtre. Pourquoi sommes-nous passés derrière ces pays ? Parce qu'ils ont su adapter ce concept de présomption à leur spécificités culturelles. Plus que l'organisation de notre système de prélèvement et le fonctionnement des centres de prélèvements, qui devraient être aidés davantage, ce sont les ambiguïtés de notre législation qu'il convient d'incriminer. La démarche légale revient, en effet, à poser à une famille désespérée la question suivante : « Votre parent est mort, nous souhaitons prélever ses organes pour sauver d'autres vies. Savez-vous si, de son vivant, il s'y était opposé ? Autrement, nous présumerons qu'il y était favorable. » Si la question est difficile à poser, la réponse est encore plus difficile à donner.

En outre, la loi devient inapplicable lorsque l'on veut prélever les organes d'une personne dont le c_ur s'est arrêté. Or des prélèvements sur les individus dont le c_ur vient de s'arrêter nous permettraient d'accroître significativement le nombre des organes disponibles pour tous ceux qui attendent avec angoisse une transplantation. Malheureusement, ces prélèvements doivent être effectués dans les minutes qui suivent la déclaration du décès, alors que les formalités sont très longues.

Nous avons une bonne loi, mais elle est difficile à appliquer. Faire en sorte qu'elle puisse l'être permettrait de remédier à la pénurie d'organes, sans avoir à chercher des alternatives beaucoup plus dangereuses.

D'autres pays ont fait un choix différent du nôtre, celui du consentement explicite ou express, qui ne heurte pas notre éthique. Ils en mesurent aujourd'hui les limites. Il en va ainsi de la Grande-Bretagne, des pays scandinaves ou encore de l'Allemagne qui voient régulièrement diminuer le nombre de prélèvements faits sur des cadavres. Parce que le nombre des organes disponibles reste très insuffisant, les médecins se sont alors tournés vers le donneur vivant apparenté. Poussés par les patients en attente d'une greffe et vivant très mal de les voir souffrir ou mourir avant d'être greffés, ils minimisent ou oublient les dangers potentiels. Les donneurs vivants ne pourront jamais satisfaire tous les besoins. Mais le concept de donneur vivant acceptable tend à s'élargir, passant des parents du premier degré aux parents plus éloignés, aux conjoints, puis à toute personne ayant un lien « étroit et stable » avec le receveur. Dans le texte revu par le Sénat, si les conjoints rejoignent le cercle des donneurs familiaux, la notion de « lien étroit et stable » est supprimée, mais la notion de cercle familial est élargie aux petits-enfants, neveux et nièces, cousins germains, enfants du conjoint, ainsi qu'aux personnes faisant la preuve de deux ans de vie commune.

Dans notre pays, une partie du corps médical a des réticences à prendre un organe chez une personne en bonne santé. La mutilation du donneur s'oppose au principe du caractère bénéfique que doit avoir tout acte médical. Si le risque ne paraît pas majeur pour un donneur de rein, quoique la mortalité se situe néanmoins autour de 1 pour 3 000, il devient nettement plus important pour un donneur de foie, la mortalité atteignant 1 %. Surtout, cet élargissement du recours à des donneurs vivants ne va-t-il pas nous entraîner, en France, sur une pente glissante ? Ne risquons-nous pas d'ouvrir la voie au commerce du corps humain et ainsi de remettre en question les valeurs sur lesquelles est bâtie notre société.

Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne, le nombre de donneurs vivants n'est toujours pas suffisant et de nouvelles théories apparaissent. Parmi elles, le « principe de réciprocité » autoriserait tout citoyen, de son vivant, à donner à la société l'un de ses organes doubles ou une partie d'un organe unique. La société, en réciprocité, lui procurerait certains avantages : cotisations sociales réduites, assurance maladie à coût réduit, assurance-vie gratuite, voire le paiement par l'Etat d'une somme compensatoire.

Il s'agit de faire de l'Etat l'acheteur du corps humain, en vue de rendre le système plus moral. En allant à peine plus loin, pour éviter l'importation d'organes prélevés dans les pays pauvres, c'est-à-dire la mondialisation du marché, la logique ultime serait de légaliser le commerce d'organes... (Murmures sur divers bancs) Je ne fais que citer des idées de plus en plus souvent soutenues, qui commencent à s'enraciner en France.

Le Parlement a déjà modifié la loi, en élargissant le don d'organes à partir de donneurs vivants. Avec Pierre-Louis Fagniez, nous avons présenté un amendement adopté par la commission qui prévoit la saisine systématique d'un comité d'experts pour valider la transplantation d'organes provenant d'autres membres du cercle familial que le père et la mère.

Mais nous ne devons pas nous laisser entraîner au-delà. Nous ne pouvons accepter la réification du corps humain, qui ne doit pas devenir objet de commerce. Nous devons résister, réagir et pour cela proposer de nouvelles orientations.

On peut se demander si l'erreur des médecins n'a pas été de fonder le dispositif de transplantation sur l'altruisme. Un système de santé ne peut reposer sur la bonne volonté du public, dont on sait qu'elle peut changer d'un jour à l'autre. N'y aurait-il pas un autre mode de transfert, plus efficace, pour accroître le nombre des organes disponibles sans pour autant transgresser nos principes moraux les plus importants ? Faut-il continuer à torturer la famille en la plaçant devant un dilemme dans une période de drame ?

Quelle est la place de la famille ? Si le défunt, de son vivant, avait accepté de donner ses organes, il est normal de considérer que la famille ne fait que transmettre les souhaits du défunt. Celui-ci peut être considéré comme le donneur et la famille comme l'instrument du don, il n'y a rien à redire. Mais dans le cas où le défunt, de son vivant, n'a pas pris de décision, la famille peut encore décider du don. Dans ce cas, même si les membres de la famille considèrent qu'ils sont en train de faire ce que le défunt aurait voulu, ce sont eux qui deviennent donneurs et le défunt n'est plus que la source des organes. Ce transfert d'une propriété déjà fort mal définie à la famille complique d'autant plus la question que, dans un grand nombre de pays, une définition claire et légale de la famille fait défaut. Qui a l'autorité pour décider d'un don ? Le père, la mère, le conjoint ? Un membre de la fratrie ou un enfant ? Mais lequel, s'ils sont plusieurs ? La complexité de ces questions explique, en partie la situation d'échec dans laquelle nous sommes aujourd'hui.

Se dessine alors un système fondé sur l'appropriation des organes par la société, mais, pour respecter l'autonomie de la personne, il s'agirait d'une « appropriation conditionnelle ».

Là pourrait être la vraie solution de ce problème de prélèvement à condition que la société l'accepte et qu'on ne prenne en considération que le refus opposé de son vivant. On pourrait ainsi poser qu'après la mort de la personne, les parties de son corps permettant de sauver des vies - mais non le corps dans sa totalité, afin de respecter le rite des funérailles - appartiennent à la société sans qu'il soit besoin de demander une quelconque autorisation ni de présumer de la volonté du défunt.

Avant d'en arriver à cette décision qui reviendra au Parlement, il faudrait un débat sur la transplantation, afin d'affirmer définitivement notre acceptation de cette voie thérapeutique.

Le chemin de la bonne volonté où nous nous empêtrons depuis plus de trente ans semble bien être un cul-de-sac et la transplantation apparaît condamner si nous persistons dans cette erreur. Posons à la société les bonnes questions... et espérons en recevoir les bonnes réponses !

Je suis d'autre part surpris que les textes sur la bioéthique n'aient jamais abordé la question de la répartition et de l'attribution des greffons prélevés sur une personne décédée. Deux décrets, de 1996 et 2002, appellent à respecter les principes d'équité et d'éthique médicale tout en faisant référence à des priorités définies pour chaque spécialité par un collège d'experts - en fonction de l'âge, de l'existence d'une menace vitale à court terme ou d'une hyper-immunisation... Il conviendrait également, selon ces règles, de considérer l'aspect territorial de la question et de maintenir un juste équilibre entre équité et prise en compte des contraintes techniques. Or, aujourd'hui, en France, l'accès à la transplantation est inégal, les délais d'attente variant selon les centres et les régions. C'est ce qui nous a décidés, le rapporteur et moi, à présenter un amendement disposant que, « les greffons étant une ressource inestimable et rare, les règles de répartition et d'attribution doivent respecter les principes d'équité. » Nous entendons ainsi ouvrir le débat et stimuler la réflexion (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité.

M. Alain Claeys - L'Assemblée s'apprête donc à achever la deuxième étape de la révision des « lois bioéthiques » de 1994. Il y aura fallu dix ans et, devant le Sénat, en janvier, Monsieur le ministre, vous avez imputé ce retard au gouvernement Jospin, allant jusqu'à considérer que celui-ci avait ainsi contribué au « discrédit » de la bioéthique ! Quelle sévérité, et quelle indulgence à votre égard ! Le sentiment n'est certainement pas partagé par les 325 députés qui ont adopté ce projet en première lecture, ni même par les 151 qui se sont abstenus !

Lors de cette première lecture, j'ai rappelé que la révision avait été voulue par le législateur de 1995 comme le résultat d'un réexamen d'ensemble, non d'adaptations ponctuelles et successives. Elle exigeait donc nécessairement un travail préparatoire long et complexe. Aussi, avec le président Bernard Charles, ai-je combattu la tentation de ne pas engager la discussion du projet avant la fin de la législature au motif que celle-ci approchait de son terme.

Il aurait été pour le moins paradoxal, en effet, que tous, des divers comités consultatifs au Gouvernement et au Président de la République, aient pu se prononcer, mais non l'Assemblée nationale, si ce n'est par le truchement d'une mission d'information.

Pour le reste, le délai est le fait du Gouvernement. De ce retard que vous avez donc contribué à beaucoup aggraver, ou dont vous n'avez pu empêcher qu'il s'aggrave, vous concluiez devant le Sénat au caractère « néfaste » du principe de révision inscrit dans la loi bioéthique. Le Sénat vous a suivi, mais non notre commission, qui a bien fait.

Sous la précédente législature, la commission spéciale et notre assemblée avaient fait de même, avec raison car invoquer l'indispensable solennité inhérente à la légitimité même de la loi bioéthique, et qui serait incompatible avec un prétendu danger de péremption annoncée, revient à confondre la procédure et le fond.

La démarche bioéthique repose sur une affirmation de la dignité de la personne humaine, née d'une expérience historique tragique. Le premier enseignement qui en a été tiré est que de nouvelles atteintes à cette dignité sont toujours possibles. Mais ces atteintes pourraient, à l'avenir, prendre d'autres formes que celles que nous connaissons et il faut donc être capables de les identifier.

Reprocher à la loi bioéthique de suivre une démarche de conciliation est une erreur, vouloir en faire une loi de fermeture serait une faute. Comment convaincre de son caractère réaliste, légitime et donc durable, sauf à consentir à un déclassement de notre recherche, qui ne tarderait pas à retentir sur l'audience de la réflexion bioéthique menée en France ? Car de quelle portée, pour les autres, pourrait être une réflexion qui ne se confronterait pas aux réalités des recherches ? Nous n'avons pas vocation à devenir le pays d'accueil des colloques consacrés à l'histoire de la bioéthique au XXe siècle. Notre ambition n'est pas de devenir un musée, mais d'être au service d'une société et d'une recherche vivantes.

La démarche de conciliation vise à proportionner les moyens et les fins, les garanties et les risques. Le législateur doit tirer les conséquences concrètes de la liberté de pensée, c'est-à-dire de la liberté du chercheur qui doit savoir quelles limites la société entend fixer à son activité ; il doit reconnaître pleinement les droits des malades et des personnes handicapées à voir atténuer leurs souffrances, le respect dû à la personne, y compris à la personne humaine potentielle, le respect dû au corps humain, ainsi que les droits du couple et de l'enfant.

Cette conciliation vaut pour l'aide médicale à la procréation et pour les pratiques médicales utilisant des éléments du corps humain, notamment.

Prenons pour exemple le diagnostic préimplantatoire. L'encadrement strict dont il est l'objet garantit qu'il intervient à la demande d'un couple ayant engagé une démarche d'AMP, pour sélectionner un embryon indemne d'une affection grave et incurable. Le comité consultatif national d'éthique a été saisi de la question de l'extension de ce diagnostic, pour les familles atteintes de la maladie de Fanconi, au typage HLA permettant de transférer un embryon indemne de la maladie, mais donneur potentiel à l'intention d'un autre enfant déjà né et malade. Le refus de « l'enfant médicament » est une première réponse. La possibilité donnée aux parents qui souhaitent un deuxième enfant indemne n'exclut pas, selon le comité, de « pouvoir faire face avec générosité à des situations de particulière détresse ». Le législateur, quant à lui, ne peut faire comme si la science n'offrait pas des choix nouveaux. Il doit permettre au médecin et au couple de se saisir ou non de ces possibilités. La difficulté était d'ailleurs la même s'agissant du transfert d'embryon post mortem.

La majorité sénatoriale, qui n'a pas été trop réticente à traduire vos analyses dans la loi, a voulu répondre à ce qu'elle a considéré comme notre propension à céder sur l'essentiel. C'est une erreur complète d'analyse et c'est en outre déplacer le centre de gravité de la révision en l'éloignant des besoins auxquels il s'agit de répondre. Un tel choix pourrait bien coûter cher aux malades et aux personnes handicapées.

La formulation souvent très technique qui s'impose à nous ne doit pas donner à penser que nous aurions perdu de vue le sens humain, humaniste de notre démarche. Aux hommes et femmes qui attendent tout de possibles nouveaux traitements, nous devons la vérité sur l'état balbutiant des recherches. La finalité thérapeutique ne doit pas servir d'alibi et il est peu respectueux de laisser croire, comme le fait le Sénat, qu'on substitue la sagesse à l'irréflexion, lorsqu'on refuse les recherches sans finalité claire, comme si elles ne servaient que l'intérêt du chercheur.

Il faut avoir le courage de dire que les recherches fondamentales sont encore nécessaires avant de passer à l'expérimentation thérapeutique. Mais ces recherches sont aussi utiles pour mieux comprendre la pluripotence, et donc la cancérisation, ce qui ne peut être indifférent au regard des ambitions affichées par le Président de la République.

Dès lors, cacher derrière l'appellation « thérapeutique » l'acceptation de recherches que l'on condamne par ailleurs au nom de principes supérieurs, n'est-ce pas se renier ? A l'inverse, refuser une voie de recherche en s'abritant derrière une distinction entre ce qui serait « thérapeutique », donc permis, et ce qui ne le serait pas encore, donc interdit, est habile dans l'immédiat, mais intenable à terme. En effet, ou bien les recherches menées ailleurs aboutiront et il faudra alors refuser l'accès aux médicaments nés d'une recherche par essence « non éthique », ou bien elle n'aboutiront pas, mais alors la satisfaction du « je vous l'avais bien dit » paraît bien disproportionnée au regard de l'enjeu.

Pour la recherche, le choix du Sénat contribue également, non seulement à une crise financière mais aussi à une grave crise de confiance. Et parce que cela concerne autant le ministère de la recherche que le vôtre, je déplore l'absence de votre collègue...

Les chercheurs ne méritent pas le soupçon permanent sur lequel on prétend asseoir un raisonnement éthique. Les chercheurs ont le sens des responsabilités et leur réflexion éthique n'est pas indigente ; ils sont aussi des citoyens dans la cité, comme les médecins, comme les représentants des confessions et des courants de pensée.

Cette crise de confiance prend un tour aigu à la lumière de la réponse apportée à la question centrale de cette révision, la recherche sur l'embryon. Certes, des progrès considérables ont été réalisés, ces dernières années, dans la découverte des pouvoirs des cellules souches embryonnaires et des cellules souches adultes, mais on est encore dans le domaine du possible. Les pistes de recherche devront encore être scientifiquement validées pour l'être humain, en travaillant en priorité sur les techniques de prolifération et de différenciation afin d'être capable d'obtenir les cellules souhaitées. Pour l'instant, rien ne permet de privilégier la voie des cellules souches adultes, même si elle présente un « confort éthique » évident. Aucun des scientifiques que nous avons auditionnés, sous la précédente législature, n'a été en mesure de dire avec certitude quelle piste aboutira effectivement à la mise au point de nouvelles thérapies. Deux ans plus tard, rien ne corrobore le choix de tout miser sur les cellules souches adultes.

C'est pourquoi notre assemblée avait choisi d'autoriser la recherche sur les cellules souches embryonnaires, de façon stricte et encadrée. Plusieurs conditions avaient été posées : cette recherche devait d'abord s'inscrire dans une finalité médicale, c'est-à-dire non seulement thérapeutique mais aussi préventive et diagnostique. Cette formulation répondait en outre à un souci de vérité : en l'état actuel des connaissances, ces recherches ne peuvent être pour l'instant que fondamentales. On soulignait ainsi que les perspectives immenses de cette thérapie ne pourraient déboucher qu'à moyen terme.

Ensuite, cette recherche restait limitée, avec le consentement des couples, aux embryons « surnuméraires », conçus initialement dans une démarche d'AMP. Enfin, elle était strictement encadrée, chaque protocole devant être soumis à l'Agence, les ministres chargés de la santé et de la recherche ayant la possibilité de l'interdire. On le voit ce cadre n'avait rien de laxiste. Le Sénat y a substitué un dispositif fondé sur la conciliation des inconciliables... L'idée que la recherche aurait pour objectif des progrès thérapeutiques majeurs, peut être interprétée soit de façon stricte ce qui restreint considérablement la portée de l'autorisation, soit de façon large, ce qui ne permet guère de discriminer entre les recherches éligibles et les autres. S'il s'agit en fait de permettre ou de refuser la recherche sur l'embryon, il est des façons plus franches d'assumer ses choix...

Le Sénat a ensuite fixé une période de cinq ans pendant laquelle la recherche sur l'embryon serait autorisée. Pourquoi cinq ans, ce qui n'est pas même la durée du mandat sénatorial ? (Sourires) Si l'on n'a pas abouti, les recherches cesseront et on révisera la loi à cette fin. On n'autorisera plus de recherches nouvelles et les protocoles déjà autorisés qui n'auraient pas été concrètement mis en _uvre pourraient, être poursuivis, au-delà des cinq ans. Ce serait vraiment malchance que l'équipe de chercheurs qui fera décisivement avancer la connaissance n'en ait l'intuition ou l'idée qu'après ce délai de cinq ans... Qui plus est, alors que, pour les sénateurs, la loi bioéthique ne doit plus faire l'objet d'une révision périodique, cela n'empêche pas de prévoir ici une telle révision.

Le texte adopté par le Sénat est aussi peu satisfaisant que celui de 1994, le législateur ayant alors prohibé toute expérimentation sur l'embryon, à l'exception des études menées sur des embryons conçus dans le cadre de l'AMP, menées avec le consentement du couple, dans une finalité médicale, sans pouvoir porter atteinte à l'embryon. De nombreux interlocuteurs de la mission d'information ont dénoncé l'impossibilité d'appliquer un tel dispositif qui impose que l'embryon puisse toujours pouvoir être implanté après l'étude et poursuivre son développement normal...

Le dispositif proposé par le Sénat témoigne d'aussi peu de franchise. Les chercheurs et les malades méritent mieux que cet assaut d'hypocrisie ! En effet, soit on interdit la recherche sur les cellules souches embryonnaires et il faut avoir le courage de l'assumer ;...

Mme Christine Boutin - Eh oui !

M. Alain Claeys - ...soit on l'autorise, mais alors on le fait sans arrière-pensée, en fixant un cadre strict, mais praticable, et non des conditions qui vident l'autorisation de sa substance. Pour nous, c'est bien le texte du Sénat qui contribue au discrédit de la bioéthique, d'autant qu'il supprime aussi tout dispositif spécifique d'autorisation des nouvelles techniques d'AMP reposant sur le consentement des couples.

L'avant-projet de loi, soumis à la consultation de différentes instances par le gouvernement de Lionel Jospin, n'excluait pas la piste des recherches par clonage thérapeutique. Cette question avait fait l'objet, après des débats animés en leur sein, d'avis opposés du Comité consultatif national d'éthique et de la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Ce gouvernement, qui avait fait le choix de la transparence, en avait pris acte et n'avait finalement pas ouvert cette possibilité.

Désormais, le choix de ne pas permettre ces recherches repose notamment sur l'idée que, pour aller vers le clonage thérapeutique, il faut régler le problème du don d'ovocytes, dans des conditions respectueuses de la dignité et de la santé de la femme. La pénurie d'ovocytes conduit à penser qu'il convient d'abord d'améliorer l'offre faite aux couples, avant de faire appel à un effort de solidarité supplémentaire de la part des femmes, en faveur de la recherche fondamentale.

Mais le contexte dans lequel cette décision a été prise évolue : des solutions existent pour obtenir des ovocytes humains sans risques de marchandisation ou de trafic. Au cours d'une FIV, tous les ovocytes recueillis ne sont pas fécondées et les ovocytes surnuméraires pourraient être offerts à la recherche avec le consentement éclairé des femmes. Par ailleurs, un premier protocole de recherche sur le clonage thérapeutique a été autorisé en Grande-Bretagne.

M. Yves Bur - Un seul !

M. Alain Claeys - Il convient que l'Agence de la biomédecine puisse se saisir de cette question sans tarder pour récapituler les enjeux, actualiser les connaissances disponibles, proposer un dispositif d'encadrement.

La création de l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines, dotée de réels pouvoirs a été conçue par la précédente assemblée, comme le complément indispensable de l'ouverture de nouveaux champs de recherche.

Vous avez fait part, Monsieur le ministre, de votre intention de recomposer les agences intervenant dans le domaine de la santé autour de quelques pôles. Cela va dans le bon sens, mais il faudra rechercher un équilibre entre les domaines de la santé et de la recherche, l'agence devant être sous la tutelle des deux ministres. En effet, la recherche n'est pas une question de deuxième ordre et le soupçon permanent à l'égard du comportement et des préoccupations éthiques des chercheurs n'est pas convenable. Le ministre chargé de la recherche n'est pas plus « le porte-parole de la communauté scientifique », comme vous l'avez dit, que vous n'êtes celui du corps médical. Ces querelles de clocher n'ont pas leur place dans la loi de bioéthique.

Enfin, il conviendrait que les décrets d'application permettant à l'agence de fonctionner effectivement soient pris très rapidement.

S'agissant de la brevetabilité du vivant, l'article 12 bis a été modifié pour transposer une partie de la directive sur la brevetabilité des inventions biotechnologiques alors que le gouvernement de Lionel Jospin avait retiré l'article 5 de cette directive de son projet de loi de transposition.

Les avancées de la recherche et les revendications des entreprises, notamment américaines, sur les gènes récemment découverts ont montré les enjeux scientifiques et économiques. Par ailleurs, la transposition de la directive européenne du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques a suscité un vaste débat, en France comme dans d'autres Etats de l'Union. La Cour de justice des Communautés européennes a confirmé la validité de la directive, y compris son article 5, au regard des principes fondamentaux du droit européen.

L'enjeu du débat est celui des brevets « de produits », qui permettraient aux entreprises ayant, les premières, inclus un gène ou la séquence d'un gène dans une invention, de faire jouer la protection à l'égard de toute autre utilisation de ce gène.L'article 5 de la directive prévoit, en effet, que la simple découverte de la séquence ou de la séquence partielle d'un gène n'est pas une invention brevetable. Mais le même article dispose ensuite que de telles séquences, isolées ou autrement produites par un procédé technique, peuvent être brevetées, même si leur structure est identique à celle d'un élément naturel... Ces dispositions sont ambiguës au regard du souci de garantir la non-patrimonialité du corps humain. Pourquoi affirmer qu'on ne peut breveter le gène si, une fois l'application et la fonction décrites, ce gène ou sa séquence seront bien inclus dans le brevet ? Cela se passe ainsi tous les jours à Munich, à l'Office européen des brevets, qui a déjà inséré dans son règlement la directive européenne sur la protection des inventions biotechnologiques.

Le seul constat de la conformité de l'article 12 bis au droit communautaire ne peut clore le débat. Conformément à l'article 55 de la Constitution, les traités ont valeur supérieure aux lois. Mais la conformité au droit communautaire n'emporte pas, par elle-même, la conformité à la Constitution. Il demeure une interrogation sur la conformité aux principes constitutionnels, qui garantissent la liberté de pensée et de recherche, d'une disposition qui permet de soumettre à redevance des recherches postérieures, au seul motif de l'antériorité d'un brevet incluant un gène ou la séquence d'un gène, alors même que ce brevet peut être déposé dans un tout autre domaine que celui des recherches futures. L'instauration de tels péages pour l'accès à la connaissance, sans aucun motif d'intérêt général, porte une atteinte excessive à la liberté de la recherche, indépendamment de l'exception de recherche prévue par le droit des brevets. Elle n'est pas conforme à la liberté de pensée telle qu'elle est garantie par l'article 11 de la déclaration des droits de l'homme de 1789, réaffirmée par le préambule de la Constitution de 1946. Il faudra que le Conseil constitutionnel soit saisi d'une telle disposition.

J'ai déjà proposé un amendement qui renvoie à une renégociation de la directive, pour des raisons non seulement éthiques, mais aussi économiques, car cette directive ne peut que contribuer à l'apparition de phénomènes de rentes de nature à amoindrir l'efficacité économique du financement de la recherche.

Au total, la précédente assemblée avait constamment cherché à concilier la possibilité d'accéder à de nouveaux champs de connaissance avec le respect de nos principes éthiques fondamentaux. Elle a eu le souci constant d'éviter que le politique puisse être accusé, soit d'abdiquer ses responsabilités, soit d'ignorer le monde tel qu'il est. Derrière les percées attendues dans la connaissance des cellules souches, se profilent en effet les risques de la marchandisation du vivant et celui de voir contourner nos conceptions éthiques.

Contrairement à ce qu'on a dit, l'Assemblée avait été très claire de ce point de vue, qu'il s'agisse des conditions d'importation des cellules souches ou de la condamnation des brevets de produits. Rapporteur du texte en première lecture, je me suis attaché à ce que notre assemblée refuse une gesticulation éthique sans souci d'efficacité quant au respect des interdits et des limites fixés par le législateur. Contrairement à ce qu'on a entendu au Sénat, nous avons refusé toute hypocrisie et assumé clairement nos choix.

Nous devions cette franchise, d'abord à nous-mêmes, en tant que législateurs et politiques ; nous la devions également aux hommes et aux femmes qui attendent beaucoup des nouvelles recherches, comme à ceux qui les refusent au nom de leurs croyances ou de leurs convictions morales.

Pour ces raisons, il nous est impossible de voter, en l'état, le texte adopté par le Sénat (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Ministre - J'ai écouté M. Claeys très attentivement, et si je ne lui réponds pas point par point, c'est que nous en aurons l'occasion dans la discussion des articles. Je reviens toutefois sur un aspect important de ce qu'a fait l'Assemblée en première lecture : pour la première fois, le terme « bioéthique » intervenait pour qualifier une loi. Mais dès lors, il devient dangereux de s'en tenir à une révision quinquennale. Les trois lois précédentes ont décrit un certain nombre de thèmes, et désormais, on a le sentiment que n'est bioéthique que ce qui figure dans cette loi... Nous avons pourtant eu à traiter, dans le cadre de la CMU, d'un problème bioéthique essentiel, celui de la stérilisation des femmes handicapées.

D'autre part, lors du débat de janvier 2002, où les rôles étaient inversés, j'avais bien noter le retard qui avait été pris, mais je n'avais pas voulu axer là-dessus mon argumentation. On pouvait en effet comprendre ce retard : entre 1994 et 1999, tous les décrets n'avaient pas été pris ; on ne pouvait pas avoir une bonne évaluation ; et certaines avancées technologiques avaient marqué le pas. J'avais le sentiment que nous étions coincés entre le délai prescrit et des techniques telles que le clonage thérapeutique - dont vous n'avez pas l'intention, si j'ai bien compris, de plaider pour qu'il soit appliqué, car ce serait prématuré. Mais faut-il attendre cinq ans ? Et si dans deux ans on nous démontre que c'est important ? Un rendez-vous quinquennal est donc trop rigide, trop figé. Dès lors qu'une loi s'intitule « bioéthique », on ne peut s'enfermer dans un délai. Or, si vous tenez vraiment à ce dernier, il faudra modifier le titre. Nous ne pouvons pas nous laisser enfermer dans un cadre bioéthique quinquennal, alors que nous sommes constamment confrontés au besoin de décider et de légiférer.

Vous ne souhaitez pas, Monsieur Claeys, voter le texte en l'état. Pour ma part, en 2002, je m'étais abstenu, au terme d'un débat un peu rude mais respectueux. J'ai toujours respecté les convictions différentes, surtout dans le domaine bioéthique. Et vous verrez que dans certains cas je demanderai à l'Assemblée de prendre ses responsabilités, fût-ce après avoir donné mon avis. Mais quand je regarde les textes, je voudrais que vous m'expliquiez quelles divergences fondamentales font qu'aujourd'hui vous seriez opposés à un texte que vous aviez présenté.

M. Jérôme Lambert - Ce n'est pas le même.

M. le Ministre - Quoi qu'il en soit, le consensus le plus large possible est évidemment souhaitable, parce qu'il exprime la philosophie même de notre société.

M. Jean Leonetti - Il m'est difficile de présenter une explication de vote « au nom du groupe UMP », car nous sommes ici devant un problème de conscience où chacun doit se situer personnellement. Une idée me semble toutefois s'imposer, c'est qu'il faut se garder des excès. Or j'en ai noté quelques-uns dans votre propos, Monsieur Claeys. Le premier était de présenter une exception d'irrecevabilité sans parler de constitutionnalité. C'est un détournement de procédure, certes habituel, mais qui mérite un rappel à l'ordre. Compte tenu de ce que vous souhaitiez dire, il eût mieux valu vous inscrire dans la discussion générale.

J'ai eu d'autre part le sentiment que vous déploriez le changement de majorité. Mais la malice des Français a toujours voulu que les lois bioéthiques soient examinées tour à tour par deux majorités différentes. Peut-être est-ce leur manière de nous rappeler qu'il ne s'agit pas d'un débat droite-gauche, mais d'une confrontation avec l'évolution scientifique et technique, qui dépasse largement nos clivages.

Je vous donne acte du fait que M. Jospin était favorable au clonage thérapeutique, et qu'il y a une contradiction entre le délai de cinq ans prescrit pour la révision de la loi bioéthique et le rythme propre de la recherche sur l'embryon. Mais cette contradiction, que vous dénoncez dans le texte du Sénat, je me permets de vous la renvoyer. Si les cinq ans sont utiles pour réviser la loi, ne peuvent-ils l'être pour revoir un dispositif que nous considérons comme transitoire ?

J'ai été un peu choqué quand vous avez dit : assez d'hypocrisie, soit on interdit, soit on autorise ! Dans un tel domaine, il y a toujours deux abîmes, deux excès à éviter ; les problèmes ne sont jamais binaires, mais résultent d'une confrontation entre science et conscience. Et leur solution, à un moment donné, ne peut être qu'un compromis, qui doit permettre à la fois la poursuite de la recherche et le respect de la personne humaine.

Enfin, vous invoquez une opinion de la majorité des chercheurs. Pour l'avoir été, je sais qu'un chercheur est centré sur sa recherche, qui n'a pas la dimension universelle que vous lui prêtez et moins encore sur le plan éthique. Il a un objectif et il veut l'atteindre. Le chercheur n'est pas immoral : il est amoral. C'est pourquoi il convient d'encadrer ses activités par des règles éthiques.

Vous n'avez pas très bien défendu votre prétendue exception d'irrecevabilité. Conclure en effet en déclarant que vous ne voterez pas le texte en l'état laisse entendre que si cet état changeait vous pourriez l'accepter. Est-ce cohérent avec le principe même de l'exception d'irrecevabilité qui, si nous la votions, mettrait fin immédiatement à l'examen du projet ?

Le groupe UMP, lui, ne la votera pas (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Marie Le Guen - Le premier motif d'irrecevabilité se trouve dans les conditions dans lesquelles nous examinons le projet. Il ne s'agit pas d'une seconde lecture, mais d'un nouveau projet présenté en fait par le Gouvernement et que nous aurons bien peu de temps pour examiner. Et de fait, il ressort de votre propos, Monsieur Leonetti, que nous ne devrions pas véritablement débattre. Vous nous expliquez que nous devrions être tous d'accord, en assimilant d'ailleurs un peu vite l'UMP à l'ensemble de la majorité.

A l'évidence, nous nous trouvons en présence d'un arbitrage politique rendu par la majorité sur des questions de bioéthique qui ne se limitent pas à ce texte. Voilà encore quelques jours, vous avez rendu, au travers de la question de l'interruption involontaire de grossesse, un arbitrage politique en matière de bioéthique. Comme il existe encore un peu d'opposition dans ce pays et que les mouvements de défense des droits et de la liberté des femmes ont réagi, le Gouvernement a dû reculer et nous nous en félicitons. Mais le texte d'aujourd'hui s'inscrit dans la continuité d'arbitrages idéologiques rendus par le Gouvernement. Aussi bien M. Mattei a-t-il approuvé l'amendement sur l'interruption involontaire de grossesse alors que, comme ministre de la santé, il aurait eu bien des raisons de se montrer réservé. M. Mattei l'a approuvé, comme bien d'autres, pour des raisons idéologiques.

Alors, soyons clairs. Si vous nous dites de renoncer à l'affaire des cinq ans et au titre de bioéthique, contre le retour au texte Jospin, nous signons tout de suite !

Un certain consensus, c'est vrai, s'était naguère dessiné. En première lecture, le texte avait été adopté bien au-delà des limites de la majorité d'alors. Huit ministres d'aujourd'hui l'avaient voté. Voilà du véritable travail parlementaire ! Nous ne trouvons rien de tel dans le texte d'aujourd'hui. Nous constatons le retour du politique dans la bioéthique. Le groupe socialiste est unanime pour condamner les dispositions que vous introduisez comme pour proposer des amendements. Vous avez fait des choix déplaisants, qui ne correspondent pas à ce que nous croyons être l'aspiration moyenne existant dans le pays, ni à un certain esprit laïque qui doit s'appliquer autant à la recherche qu'au port du voile (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Le droit des malades est lui aussi en cause et nous entendons bien le défendre.

Le manque de moyens pour la recherche est flagrant et l'absence de la ministre compétente le confirme. Va s'y ajouter une restriction de liberté. Il y a là aussi un problème constitutionnel (Exclamations sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 20 heures 10.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      François GEORGE


© Assemblée nationale