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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 49ème jour de séance, 123ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 15 JANVIER 2004

PRÉSIDENCE de M. Éric RAOULT

vice-président

Sommaire

        CRÉDIT D'IMPÔT AUX ENTREPRISES
        POUR L'INTÉGRATION
        DES PERSONNES HANDICAPÉES 2

La séance est ouverte à dix heures quinze.

CRÉDIT D'IMPÔT AUX ENTREPRISES POUR L'INTÉGRATION
DES PERSONNES HANDICAPÉES

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean-Christophe Lagarde et plusieurs de ses collègues tendant à créer un crédit d'impôt pour investissement des entreprises pour favoriser l'intégration des personnes handicapées.

M. Maurice Leroy, rapporteur de la commission des finances - Le 17 décembre 2003, la commission des finances a examiné la proposition de loi de M. Jean-Christophe Lagarde, cosignée par un grand nombre de députés, qui tend à créer un crédit d'impôt pour investissement des entreprises, pour favoriser l'intégration des personnes handicapées.

Cette intégration est l'une des trois grandes priorités du quinquennat, comme le Président de la République l'a affirmé le 14 juillet 2002. De surcroît, 2003 a été proclamée année européenne des personnes handicapées par le Conseil de l'Union européenne.

Cette proposition de loi n'est cependant pas un propos de circonstance : l'intégration de nos concitoyens handicapés a besoin d'une incitation substantielle pour devenir autre chose qu'un généreux discours.

Plusieurs rapports, dont celui de M. Jean-François Chossy, à qui je rends hommage pour la qualité de ses travaux, ont déjà dressé le bilan de nos lacunes en termes d'insertion des personnes handicapées, particulièrement pour ce qui est de l'accès à la formation et à l'emploi. Récemment encore, le Président de la République a souligné la nécessité d'un changement de mentalité à l'endroit de nos concitoyens handicapés, lors de la présentation en conseil des ministres, le 10 décembre dernier, des grandes lignes de votre projet de loi, Madame la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées.

Je souscris pleinement à l'initiative de M. Jean-Christophe Lagarde, car le crédit d'impôt appliqué aux investissements des entreprises est un outil dont l'efficacité n'est plus à démontrer.

Les chiffres recensés dans mon rapport en témoignent, beaucoup reste à faire, et un aménagement à la marge des outils actuels ne suffirait pas.

Toutes sensibilités confondues, nous avons conscience, à la commission des finances, du travail que vous accomplissez personnellement, Madame la ministre. Nous savons votre attachement à ce que les engagements du Président de la République soient suivis d'actes.

Cette proposition du groupe UDF est un texte consensuel, - ni de droite ni de gauche - qui pourrait être voté à l'unanimité.

Malheureusement, sous tous les gouvernements, les propositions de loi inscrites dans ce qu'on appelle la « niche parlementaire », sont souvent renvoyées précisément à la niche, au motif qu'un projet de loi est imminent. Or, je ne suis pas certain que celui qui va nous être soumis comporte tous les outils nécessaires. Je souhaite qu'au moins cette proposition de loi nous donne l'occasion d'une réflexion approfondie sur ce sujet et qu'elle puisse être reprise dans votre projet de loi, le cas échéant, sous forme d'amendements, l'initiative du Gouvernement devant nous éviter de tomber sous le couperet de l'article 40. Les députés qui sont ici ce matin, et en particulier M. Chossy dont nous connaissons l'engagement personnel, y sont particulièrement attachés.

Notre rapport le montre, malgré les dispositions légales et l'aide financière publique, l'intégration des personnes handicapées demeure insuffisante. Les chiffres résultant de l'excellent travail du Conseil économique et social sont accablants.

Cette proposition de loi tend à répondre à trois insuffisances : déficit d'insertion professionnelle en milieu ordinaire, manque d'accessibilité des locaux professionnels, lacunes constatées par les associations ayant pour objet de promouvoir l'autonomie personnelle et professionnelle des personnes handicapées.

La difficulté qu'il y a à mesurer l'importance de la population française souffrant d'un handicap a d'ailleurs été soulignée, l'an dernier, par un rapport du sénateur Paul Blanc et réaffirmée par la rapporteure du Conseil économique et social, Marie Claude Lasnier, en juin dernier.

S'agissant de l'insertion professionnelle, les données publiées par la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité, par l'Association pour la gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées, et par l'Agence nationale pour l'emploi, dessinent un triste paysage.

Pour ce qui est de l'accessibilité aux locaux professionnels, l'article L. 117-1 du code de la construction et de l'habitation, issu de la loi d'orientation du 30 juin 1975, pose un principe général d'accessibilité des locaux d'habitation, des lieux de travail, et des locaux recevant du public, censé s'appliquer lors de toute opération de construction ou de rénovation. Malgré la réaffirmation de ce principe par la loi du 13 juillet 1991, les décrets et arrêtés d'application ont beaucoup tardé et ont notablement restreint son champ de mise en _uvre. Quant au contrôle de cette réglementation, instauré par un décret du 26 janvier 1994, il est notoirement défaillant.

Quant à l'insertion sociale de nos concitoyens handicapés, quel que soit leur âge, c'est en termes de cadre de vie, d'accompagnement au quotidien, mais aussi de regard porté par chacun de nous sur chacun d'eux que tout reste à faire, comme l'ont montré les manifestations organisées dans le cadre de l'Année européenne des personnes handicapées.

Cette proposition de loi poursuit un louable objectif et l'effort que nécessite l'intégration des personnes handicapées n'a été que trop longtemps différé. Nous ne pouvons plus nous contenter de dispositions obsolètes et incomplètes.

L'incitation fiscale est simple, lisible, efficace, n'en déplaise à Bercy.

Sous réserve d'aménagement technique, je souscris à la démarche volontariste de Jean-Christophe Lagarde et des cent vingt-huit autres députés.

Alors que l'Année européenne des personnes handicapées vient de s'achever, la représentation nationale s'honorerait à montrer la voie en adoptant cette proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Jean-Christophe Lagarde - C'est parce que le groupe UDF souhaite contribuer à mener une politique efficace et concrète en faveur des personnes handicapées qu'il a décidé de consacrer cette séance, dont il avait l'initiative, à cette proposition de loi que j'ai rédigée il y a quelques mois et qui a été cosignée par cent vingt-huit de nos collègues.

L'Année française et européenne du handicap vient de s'achever sans qu'un projet de loi ait été voté, alors que la réforme de la loi de 1975 est urgente.

La nation doit être solidaire avec les personnes handicapées. Le rapport du sénateur Paul Blanc en 2002, comme celui de Jean Gravier en 1975 l'a constaté : il est urgent de permettre aux personnes handicapées d'accéder au monde du travail.

En 2004, rien ou presque n'a changé. Il existe bien une loi d'obligation d'emploi, depuis 1987, mais ses effets sont dérisoires. 622 000 personnes handicapées occupaient un emploi en 2001 sur une population active estimée à 840 000 personnes. 148 000 salariés travaillaient dans le secteur public et 350 000 dans le secteur privé.

A ce propos, il est extrêmement choquant que l'Etat se soit permis d'imposer des obligations au secteur privé sans en imposer au secteur public. En effet, l'Etat, les collectivités locales ne sont pas pénalisés lorsque l'obligation d'employer 6 % de salariés handicapés n'est pas satisfaite. C'est scandaleux.

M. Gérard Bapt - Très bien. C'est exact.

M. Jean-Christophe Lagarde - Je me demande d'ailleurs, Monsieur le Président, combien de personnes handicapées travaillent dans notre institution.

M. le Rapporteur - Très bien.

M. Jean-Christophe Lagarde - Dans le secteur privé, 122 000 personnes travaillaient dans des établissements de moins de vingt salariés et 228 000 dans des établissements assujettis à l'obligation d'emploi. 107 000 travaillaient dans le milieu de travail protégé, dont 18 000 en ateliers protégés et 89 000 en centres d'aide par le travail. Enfin, 17 000 étaient des travailleurs indépendants. A ce propos, on ne dira jamais assez, Madame la ministre, combien le nombre de places en CAT est insuffisant et combien la situation des familles est douloureuse.

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées - Depuis deux ans, nous avons fait des efforts.

M. Jean-Christophe Lagarde - Ainsi, le taux d'activité des personnes handicapées en âge de travailler est de 45 % contre 70 % pour l'ensemble de la population. A la fin de 2001, le taux de chômage de ces salariés était proche de 26 % contre 9 % pour la population française totale. Dans le monde du travail, le constat du handicap prévaut sur la valorisation des compétences. La loi de 1987 tendait pourtant à favoriser l'emploi en milieu ouvert, mais ses résultats sont très décevants. Le taux d'emploi des travailleurs handicapés stagne depuis plusieurs années autour de 4 %, alors que la loi fixait une obligation de 6 %. De plus, 37 % des entreprises assujetties à l'obligation d'emploi n'emploient aucun travailleur handicapé et ne recourent à aucune forme de sous-traitance.

La Cour des comptes, dès 1993, a souligné les incohérences de ce système.

Il ne s'agit pas de stigmatiser l'attitude des entreprises, puisque la loi les autorise à s'acquitter de leur obligation sous d'autres formes que l'emploi direct. Elles peuvent rencontrer des difficultés à recruter des travailleurs handicapés en raison de la spécificité de leur activité, de la faible qualification de ces salariés, mais aussi de leur vieillissement qui entraîne un taux de départ en retraite assez élevé et qui conduit à un effort d'embauche important pour seulement maintenir le taux d'emploi.

A compétences égales, une personne handicapée met deux fois plus de temps qu'une personne valide pour trouver un emploi. Encore beaucoup trop d'entreprises considèrent comme impossible d'intégrer des personnes handicapées dans leur effectif. Il s'agit d'abord de combattre les idées reçues sur le handicap, qui serait difficilement compatible avec un monde du travail dominé par l'idée de performance.

Or, bien souvent, les personnes handicapées sont aussi performantes, sinon plus, que les personnes valides.

Notre proposition de loi vise donc à accorder un crédit d'impôt aux entreprises qui font des investissements pour accueillir des salariés handicapés.

Nous proposons également d'autres pistes : renforcer les dispositifs de placement des travailleurs handicapés, relancer les aides à l'emploi, dont les contrats aidés. Il conviendrait enfin d'approfondir le dialogue social. Le code du travail prévoit en effet que les employeurs peuvent s'acquitter de l'obligation d'emploi en concluant un accord de branche ou d'entreprise, prévoyant la mise en _uvre d'un programme annuel ou pluriannuel en faveur des travailleurs handicapés.

Mais l'objet même de cette proposition de loi est de permettre à une entreprise, qu'elle investisse en faveur de l'insertion de personnes handicapées ou qu'elle fasse un don à une association qui _uvre dans ce sens, de bénéficier d'un crédit d'impôt. J'ai entendu dire que cette proposition ne serait pas adaptée. Il est surprenant que le crédit d'impôt soit adapté à des travaux domestiques comme l'isolation de la maison d'un particulier, et non à l'insertion professionnelle des handicapés.

Pour une entreprise, installer par exemple un ascenseur dans un local constitue un investissement lourd. Certaines entreprises préfèrent renoncer quitte à payer la taxe.

Si notre proposition de loi n'est pas adoptée, pourquoi le Gouvernement ne reprendrait-il pas ce dispositif ?

M. Patrice Martin-Lalande - Ce serait bien.

M. Jean-Christophe Lagarde - Le Parlement s'honorerait en témoignant ainsi de sa volonté d'_uvrer en faveur de l'emploi des personnes handicapées (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Gérard Bapt - Cette proposition de loi a le mérite de poser un vrai problème, resté d'actualité depuis la loi de 1987 qui obligeait les entreprises de plus de 20 salariés à employer au moins 6 % des travailleurs handicapés. Le taux est aujourd'hui de 4 %.

Le secteur public ne fait pas mieux, y compris les directions régionales et départementales de l'action sanitaire et sociale.

Sur cinq millions de personnes handicapées, 800 000 travaillent, - seulement 30 % recherchent un emploi et le taux de chômage est d'environ 30 %.

On compte 110 000 travailleurs handicapés en milieu protégé, 20 000 travailleurs indépendants, 500 000 employés en milieu ordinaire dont 150 000 dans le secteur public et 350 000 dans le secteur privé.

Si les raisons du sous-emploi des travailleurs handicapés sont connues, elles ne sont pas recevables : défaut de qualification, incapacité matérielle à accueillir une personne handicapée, accès insuffisant à la formation initiale et professionnelle.

Dans la continuité de la loi d'orientation du 30 juin 1975, la loi du 10 juillet 1987 a obligé les établissements de vingt salariés et plus à embaucher des travailleurs handicapés ou à verser une cotisation au fonds de développement pour l'insertion professionnelle des travailleurs handicapés géré par l'AGEFIPH. Trop d'employeurs préfèrent malheureusement payer plutôt qu'embaucher des personnes handicapées.

Le secrétariat d'Etat aux personnes handicapées reconnaît lui-même que le taux d'emploi direct des travailleurs handicapés dans les entreprises stagne et qu'il faut relancer l'initiative en ce domaine.

L'AGEFIPH, créée il y a douze ans, est pourtant un bon outil, dont le budget - 380 millions d'euros - n'est pas négligeable. Elle a indéniablement permis des progrès en matière d'intégration professionnelle, mais ils restent insuffisants.

Il faut préciser que ce taux d'emploi mesure un stock. Il ne rend pas compte des mouvements de main-d'_uvre qui affectent plus particulièrement les personnes handicapées.

Avant la loi de 1987, seuls 7 000 travailleurs handicapés accédaient chaque année à l'emploi. Ils sont aujourd'hui 100 000. 60 % des personnes handicapées qui travaillent ont été embauchées alors que leur handicap était déjà déclaré. Enfin, un demandeur d'emploi handicapé sur trois suit une formation professionnelle. Grâce au réseau « Cap Emploi », le placement est souvent plus durable, avec un contrat à durée indéterminée.

Nous avons appris depuis douze ans à diversifier les aides aux personnes handicapées : un malvoyant n'a pas les mêmes besoins au travail qu'un handicapé moteur.

Mais il reste beaucoup à faire en dépit de ces progrès. Nous devons notamment mieux renseigner les employeurs sur les handicaps et leur degré d'adaptabilité aux postes de travail, et améliorer le niveau de la formation initiale. Enfin l'apparence prévaut encore trop, s'agissant des personnes handicapées, sur la compétence.

Une action volontariste s'impose donc. Le remarquable rapport du Conseil économique et social sur l'insertion professionnelle en milieu ordinaire appelle ainsi à une nouvelle impulsion politique. Le projet de loi que vous allez présenter au Parlement, Madame la ministre, est construit autour de l'aide à la personne et non autour de la nécessité de l'insertion professionnelle.

La proposition qui nous est faite aujourd'hui est donc intéressante. Elle consiste principalement à moduler davantage les aides de l'AGEFIPH et les pénalités pour non-respect des obligations légales en fonction de l'attitude des entreprises à l'égard des travailleurs handicapés. Il faut à mon sens aller plus loin en engageant auprès des employeurs, y compris publics, une campagne de sensibilisation. Il serait en outre intéressant de réformer le champ de compétence de l'AGEFIPH pour ouvrir les aides aux collectivités locales. J'ai pu mesurer en tant que maire combien le coût des adaptations au poste de travail était élevé, d'autant qu'elles doivent être renouvelées à chaque remplacement.

La proposition de loi du groupe UDF, qui semble dépasser les clivages internes à la majorité...

M. le Rapporteur - Nous pouvons encore élargir !

M. Gérard Bapt - ...a le mérite de poser un vrai problème. Son inconvénient est de s'appuyer sur la seule incitation fiscale - qui aurait pu être débattue dans le cadre de la loi de finances, à l'instar du crédit impôt-recherche ou du projet de loi de Mme Boisseau. Quoi qu'il en soit, cette incitation fiscale ne saurait remplacer l'action publique, même si elle peut y participer.

L'insertion des handicapés est une action de solidarité. Je tiens d'ailleurs à saluer l'engagement personnel de Mme Boisseau (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) en matière de création de postes et d'actions nouvelles. Je pense à la réadaptation des traumatisés crâniens et à la réinsertion auxquelles je vous sais particulièrement attachée. Mais la volonté politique peut également s'exercer auprès du secteur public, des collectivités locales, des associations, au profit de qui il faudrait multiplier les contrats aidés destinés aux personnes handicapées.

Nous avions voté en commission pour la poursuite de la discussion. Nous nous déterminerons au vu du déroulement du débat (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Jean-François Chossy - Cette proposition de loi, due à l'initiative de notre collègue Jean-Christophe Lagarde et défendue avec brio et sagesse par Maurice Leroy, a un fondement parfaitement légitime.

La loi du 10 juillet 1987, qui définit l'obligation d'emploi de 6 % de personnes handicapées par les entreprises, est en effet aujourd'hui mal appliquée et mal adaptée. D'où un taux de chômage des travailleurs handicapés proche de 27 %, qui s'explique notamment par la faiblesse de la qualification.

Il faut donc prendre des dispositions nouvelles. Cependant, l'heure est enfin venue de réviser la loi d'orientation du 30 juin 1975 et je veux ici saluer l'engagement de Mme la ministre sur ce dossier, qui est l'un des chantiers prioritaires du quinquennat.

Le texte à venir devra, selon les propres termes de Mme la ministre, pallier les insuffisances qui subsistent pour tous les types de handicap - psychique, mental, sensoriel ou moteur - sans oublier les polyhandicapés et les autistes qui, eu égard à la gravité de leur déficience, ne trouvent pas toujours l'accueil et l'accompagnement qui s'imposent.

Ce texte novateur fondera un nouvel âge du handicap. Ce sera la loi des grandes exigences et de toutes les attentes.

Le Conseil national consultatif des personnes handicapées, présidé par notre ancien collègue Jean-Marie Schléret, reconnaît que ce projet ne laisse personne à l'écart et salue la régulière concertation à laquelle il a donné lieu.

La mouture qui en a été présentée en décembre devra cependant être amendée pour répondre véritablement aux besoins quotidiens des personnes handicapées. Le CNCPH sera donc vigilant et le Parlement saura enrichir votre loi.

La proposition Lagarde devrait trouver sa place parmi les dispositions envisagées par le Gouvernement, qui consistent à moduler la contribution dont sont redevables les entreprises en fonction de l'effort consenti en matière de recrutement direct, donc à alourdir la contribution des entreprises qui n'emploient aucune personne handicapée.Les collectivités publiques ne sauraient s'exonérer de cette obligation d'emploi et des pénalités doivent aussi être envisagées pour elles en cas de manquement à la règle.

Jean-Christophe Lagarde sait que Mme la ministre a prévu une disposition qui répond à sa préoccupation, puisqu'elle permet aux entreprises redevables d'une contribution à l'AGEFIPH de déduire de cette contribution le montant total des dépenses engagées pour favoriser l'insertion et l'accès des personnes handicapées à la vie professionnelle. Cette déduction est souvent plus intéressante que le crédit d'impôt.

Au-delà des nouvelles places créées en CAT - 3 000 par an - qui correspondent à un besoin urgent, Mme la ministre a entrepris d'améliorer sensiblement les moyens des 548 ateliers protégés, qui emploient environ 20 000 personnes. Ces ateliers protégés seront transformés en entreprises adaptées, ce qui les rapprochera du milieu du travail ordinaire.

Comme les associations, les parents et les personnes handicapées elles-mêmes, je suis impatient de voir enfin évoluer la loi, qui devra s'appuyer sur des piliers solides. D'abord la simplification, qui se traduira essentiellement par l'implantation, partout en France, de maisons départementales du handicap, véritable guichet unique dont le mode de fonctionnement devra être précisé.

Ensuite la compensation des conséquences du handicap par des aides personnalisées - financières, techniques ou humaines.

Des efforts particuliers doivent être faits en matière d'accueil et d'accompagnement des personnes handicapées, quels que soient leur âge et leur projet de vie.

La formation de tous les accompagnants et aidants - professionnels, bénévoles ou familiaux - devra être assurée, car elle est indispensable.

Le texte que vous nous proposerez, Madame la ministre, devra comporter un volet important sur l'intégration de la personne, qui suppose l'accès à tout pour tous. L'intégration doit certes être professionnelle, mais elle doit d'abord être scolaire. Je considère comme une disposition symbolique importante le fait d'obliger l'éducation nationale à inscrire l'enfant handicapé dans l'école la plus proche du domicile et d'assurer, le cas échéant par la mise en place d'un réseau, le suivi de sa scolarité, y compris si nécessaire dans les établissements adaptés.

M. le Rapporteur - Très bien.

M. Jean-François Chossy - Quant à l'accessibilité, elle ne se négocie pas : tout doit être accessible à tous. Cette obligation ne doit souffrir d'aucune dérogation.

Nos efforts conjugués devraient faire de la future loi sur l'égalité des droits ou l'égalisation des chances des personnes handicapées notre fierté de parlementaires et de citoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président - Pour répondre à M. Lagarde, je précise qu'en juin 2003 a été effectué à l'Assemblée un recensement des fonctionnaires relevant de l'obligation d'emploi de personnes handicapées instituée par la loi du 10 juillet 1987. Il montre que l'Assemblée satisfait à l'obligation légale des 6 %, puisqu'elle compte 6,5 % de personnes handicapées parmi ses fonctionnaires - soit le double du taux constaté dans le reste de la fonction publique de l'Etat. Je ferai parvenir dans quelques instants à M. Lagarde une note plus complète (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Daniel Paul - Année européenne du handicap, l'année 2003 devait être, selon le Président de la République, une année de « mobilisation pour une pleine reconnaissance par la société des droits, des besoins, des richesses des personnes handicapées ». Elle n'aura été que l'année des déclarations (Protestations sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

Nous attendions avec intérêt des dispositions sur le handicap dans le projet de loi de finances pour 2004, mais nous sommes restés sur notre faim. Il en va de même pour l'avant-projet de loi baptisé « Pour l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées ». « Grand chantier, petites ambitions » : tel est le commentaire qu'il inspire aux associations.

Comme elles, nous attendions un grand élan, à la hauteur des envolées verbales du Président de la République et de son Premier ministre. Si chacun peut approuver les principes énoncés, tels le droit à la compensation, à l'accessibilité des bâtiments et des transports publics ou à l'intégration scolaire, il est regrettable que les dérogations en atténuent la portée. Les associations estiment qu'on ne fait que toiletter la loi d'orientation de 1975, alors qu'il faudrait l'adapter complètement aux exigences contemporaines.

Après les proclamations de bonnes intentions, il nous a fallu attendre ce matin pour voir la première initiative concrète de la majorité.

M. Jean-Christophe Lagarde - Quand la précédente majorité avait-elle proposé un texte ?

M. Daniel Paul - Cette proposition de loi part d'un constat qui a été dressé par plusieurs rapports : l'insertion professionnelle des personnes handicapées est en panne. Un handicapé sur quatre est sans emploi. Alors que depuis 1987 la loi impose à toutes les entreprises de plus de 20 salariés d'employer 6 % de handicapés, le taux d'emploi de handicapés ne dépasse pas 4 %. Plus d'un tiers des entreprises n'emploient aucun travailleur handicapé et se libèrent de l'obligation légale par un versement de l'AGEFIPH, contrairement à l'esprit de la loi.

S'agissant de l'accessibilité, l'article L. 117-1 du code de la construction et de l'habitation, issu de la loi d'orientation du 30 juin 1975, pose un principe général d'accessibilité des locaux d'habitation, des lieux de travail et des locaux recevant du public, censé s'appliquer lors de toute opération de construction ou de rénovation. Malgré la réaffirmation de ce principe dans la loi du 13 juillet 1991, les décrets et arrêtés d'application ont beaucoup tardé et ont notablement restreint son champ de mise en _uvre, en l'assortissant de très nombreuses dérogations. Quant au contrôle de cette réglementation, instauré par un décret du 26 janvier 1994, il est notoirement insuffisant. Par ailleurs, comment se fait-il qu'aucune obligation spécifique ne soit imposée dans les quartiers en rénovation urbaine alors qu'ils bénéficient d'aides de l'Etat très substantielles ?

Les députés communistes souhaitent soutenir toutes les initiatives tendant à améliorer l'insertion des personnes handicapées. Mais à un vrai problème, cette proposition de loi apporte une réponse maladroite, et même inadéquate, mais sans doute conforme à l'esprit libéral qui caractérise la majorité. Je le dis sans esprit partisan (Exclamations sur les bancs du groupe UDF).

Comment en effet, ne pas être choqué que l'on veuille inciter financièrement les entreprises à respecter la loi ? La loi s'impose à ceux à qui elle s'adresse ; pourtant, M. Lagarde et ses collègues proposent que les entreprises soient, par le biais d'incitations fiscales, payées pour respecter la loi ! (Exclamations sur les bancs du groupe UDF)

Autre chose serait, comme le préconisait un rapport du Conseil économique et social en juin dernier, l'institution d'aides financières ou fiscales en direction de toutes les structures qui vont au-delà des obligations légales minimales. Ce serait plus moral... Dans le même esprit, on pourrait imaginer que le montant de la contribution volontaire soit majoré progressivement pour les entreprises dont l'effort effectif d'insertion des personnes handicapées demeure insuffisant ou inexistant.

Quant à la proposition d'une déduction fiscale à hauteur de 75 % du montant de l'investissement, elle finirait par semer le doute sur vos intentions : est-ce un texte en faveur des handicapés ou en faveur des entreprises ? (Protestations sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

Enfin, le fait que des dons à des associations donnent droit à cette déduction fiscale me laisse songeur. Certes, la loi sur le mécénat rend légitime cette pratique, mais n'allez-vous pas donner une caution morale aux entreprises qui s'exonéreront de tout effort d'insertion en versant aux associations des dons, lesquels, en plus, leur ouvriront un droit à une déduction fiscale ? (Exclamations sur les bancs du groupe UDF)

Oui, il faut permettre une insertion professionnelle massive des handicapés dans le milieu ordinaire de travail. C'est un défi ambitieux, mais notre société à les moyens de s'y attaquer. Encore faut-il en avoir la volonté politique. Or force est de constater que depuis dix ans, les nombreuses propositions émises, en dépit de leur pertinence, n'ont pas été suivies d'effets. Pour les personnes handicapées, travailler relève toujours de l'exploit.

L'Etat doit prendre toutes ses responsabilités et cesser de se décharger sur l'AGEFIPH. Des mesures contraignantes doivent être prises dans la fonction publique, afin que l'Etat, chargé de veiller à l'application des lois, soit le premier à les respecter.

D'une manière générale, il n'est plus possible d'en rester aux bons sentiments. Tout en étant convaincus de la réalité des problèmes auxquels sont confrontées les personnes handicapées, nous sommes extrêmement réservés sur les réponses apportées par cette proposition de loi ; mais conformément à notre position concernant les « niches » parlementaires, nous soutiendrons sa mise en discussion.

M. Dominique Tian - Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2004, en tant que rapporteur pour avis, je me suis intéressé tout particulièrement à l'insertion professionnelle des personnes handicapées. J'ai reçu, entre autres, les représentants de l'UNAPEI, l'AGEFIPH, l'AFPA, l'ANPE et le délégué interministériel aux personnes handicapées.

Le constat est unanime : en dépit de nombreuses déclarations de principe, la mobilisation des pouvoirs publics et du monde économique reste insuffisante. Aussi je souhaite présenter quelques propositions de nature à faire avancer cette cause.

Il importe, tout d'abord, de mieux connaître la population handicapée. L'amélioration des outils statistiques et le développement d'études qualitatives sont le préalable à la nécessaire évaluation des politiques menées en sa faveur. Il conviendrait aussi de mettre au point un système de calcul du taux d'emploi identique dans le secteur privé et le secteur public et de disposer de statistiques sur les emplois occupés en fonction de la nature et de la gravité du handicap.

Il est nécessaire d'imposer aux administrations, à la fonction publique hospitalière et aux collectivités locales le respect effectif de leurs obligations légales. Non seulement elles n'encourent aucune sanction financière, contrairement aux entreprises, mais certaines ne font même pas d'efforts pour confier à des CAT ou à des ateliers protégés la réalisation de leurs travaux d'ingénierie, d'objets publicitaires, etc. C'est inacceptable et le législateur se doit d'intervenir en fixant des sanctions, dont le produit devrait aller à un fonds doté de la personnalité morale pour échapper à tout risque de régulation.

Actuellement certains ministères, comme l'Education nationale, ne se donnent même pas la peine de répondre aux questionnaires adressés par le rapporteur !

En ce qui concerne le secteur privé, il y a consensus pour maintenir le taux d'emploi de 6 %, mais en rendant le système plus incitatif. La Cour des comptes a souligné l'anomalie que constituait l'accumulation de réserves par l'AGEFIPH - 330 millions d'euros fin 1998, soit 11 % des contributions reçues depuis l'origine ! - alors même que de nombreux besoins n'étaient pas couverts. Il faudrait s'employer à mobiliser les 37 % d'employeurs qui n'emploient aucune personne handicapée, parfois faute de conseils adaptés. L'AGEFIPH et l'ANPE pourraient réaliser des diagnostics par entreprise et proposer des solutions d'embauche concrètes.

La septième semaine pour l'emploi des personnes handicapées, organisée en novembre dernier par l'AGEFIPH, a mis en évidence un étrange paradoxe : alors que 87 % des employeurs se déclarent très satisfaits de leurs salariés handicapés, une entreprise sur trois ne respecte pas ses obligations légales.

Aussi est-il urgent qu'une loi encourage l'insertion professionnelle des personnes handicapées en abordant l'ensemble des problèmes connexes. La scolarisation des enfants, si possible en milieu ordinaire, doit être généralisée. Le niveau de formation des personnes handicapées est, en effet, très inférieur à la moyenne, ce qui freine leur insertion dans une société où les diplômes sont devenus un facteur déterminant d'accès à l'emploi. L'accessibilité, notamment dans les transports publics et les logements, est aussi un point important car il ne sert à rien d'aménager des postes dans les entreprises si ceux à qui ils sont destinés ne peuvent habiter à proximité et se rendre à leur lieu de travail.

Une loi d'ensemble est donc nécessaire et celle-ci est prête : le projet préparé par Mme Boisseau réforme en profondeur la loi de 1975 et traite de tous ces sujets. Afin que ce texte fondamental garde toute sa cohérence, il me semble plus raisonnable de ne pas retenir la proposition de M. Lagarde, quitte à ce que notre collègue enrichisse, par ses réflexions et ses amendements, le texte qui va bientôt nous être soumis et qui, j'en suis sûr, satisfera le groupe UDF et tous ceux qui se mobilisent pour la cause des personnes handicapées (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Françoise Imbert - Selon un sondage de l'IPSOS effectué en décembre 2003, 50 % des Français estiment que l'accès à l'emploi est le principal facteur d'intégration sociale pour les personnes handicapées ; 64 % des personnes en activité ne verraient pas d'inconvénient à avoir un collègue handicapé et pour 24 %, cela apporterait même un plus ; quant à celles qui ont déjà un collègue handicapé, elles sont 43 % à y voir un « plus » et 53 % à juger que cela n'a pas d'importance.

Et pourtant, pour les trois millions de personnes handicapées en âge de travailler, qu'il est difficile d'accéder à un emploi !

La Dépêche du Midi citait récemment le cas d'une jeune femme, titulaire d'un DESS de l'ENSA de Toulouse : alors que tous les élèves de la filière trouvent un emploi dans les trois mois, elle est la seule à rester sans travail dix-huit mois après l'obtention de son diplôme : elle est malentendante. C'est son unique point faible, mais elle est jugée sur son handicap plus que sur ses compétences.

Ne parlons pas de ceux qui n'ont aucune formation...

Pourtant, il existe des dispositifs visant à faciliter l'embauche, notamment la loi du 10 juillet 1987 sur l'emploi des handicapés, la loi d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989, celle du 13 juillet 1991 relative à l'accessibilité. Mais en dépit des efforts des pouvoirs publics, un grand nombre de personnes handicapées n'ont toujours pas accès à l'emploi.

Dans mon département, la Haute-Garonne, les 1 600 entreprises de plus de vingt salariés n'emploient que 3,4 % de travailleurs handicapés, au lieu des 6 % imposés par la loi, et on compte 4 000 demandeurs d'emploi handicapés.

Il est donc de notre devoir de chercher des solutions pour garantir l'accès à l'emploi à toute personne et donner à celles qui sont handicapées une formation adaptée à leurs capacités et à leurs choix.

La proposition d'instituer un crédit d'impôt pour encourager l'embauche de salariés handicapés est une démarche louable.

On peut regretter, cependant, qu'elle ne vise que le secteur privé. Le secteur public ne respecte pas davantage ses obligations, même si le protocole signé en octobre 2001 cherche à améliorer la situation : un bilan doit en être dressé courant 2004.

Ce que demandent les handicapés, c'est une réforme en profondeur de la loi de 1975. C'est l'objectif du projet présenté récemment en Conseil des ministres et qui devrait être discuté durant cette session.

On peut regretter qu'il semble manquer d'ambition en ce qui concerne la rénovation de la loi de 1987, pourtant indispensable. Oui, il faut responsabiliser les employeurs ! Mais il faut également qu'ils se sentent engagés dans cette action d'insertion sociale. Au sein de l'entreprise, la hiérarchie doit de même être impliquée et sensibilisée. N'oublions pas enfin que le succès de cette insertion dépend aussi, largement, des collègues de travail et du médecin du travail.

Il conviendrait, d'autre part, de revoir la liste des emplois exigeant des conditions d'aptitudes particulières. La réforme de la loi de 1975 devrait dans cet esprit reprendre les dispositions de la loi du 10 juillet 1987 sur l'obligation d'emploi, ainsi que les recommandations de la loi du 10 juillet 1990 visant à combattre les discriminations du seul fait du handicap.

Il est aussi de notre devoir de favoriser l'autonomie de tous ceux qui ne peuvent s'intégrer dans le milieu de vie ordinaire, en éliminant ou en atténuant les obstacles, en valorisant les potentialités de chacun et en luttant activement contre la discrimination.

Rendre l'emploi accessible à toutes les personnes handicapées qui le souhaitent, leur garantir ensuite le maintien dans leur emploi, est un impératif pour la nation. C'est le moyen de reconnaître leur pleine citoyenneté et une façon de garantir à tous l'égalité des chances. Les handicapés restent trop souvent en marge de la vie ordinaire, ils ne sont que trop souvent considérés comme des citoyens à part plutôt que comme des citoyens à part entière ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Arlette Grosskost - Constatant comme tous les difficultés que rencontrent les personnes handicapées pour intégrer le milieu du travail, c'est avec un réel plaisir que j'ai découvert cette proposition de loi. Mais je tiens avant tout à saluer le travail mené avec passion par Mme Boisseau, qui a su susciter des émules au rang desquels je me compte !

Alors que le chômage frappe actuellement 9 % de notre population active, ce taux s'élève à près de 26 % pour les personnes souffrant de handicap. Or, lorsque celles-ci ont acquis, avec les difficultés qu'on imagine, diplômes et compétences, elles ont certainement la même envie que d'autres de réussir leur parcours professionnel. Il reste que, sur cette population active de 840 000 personnes, 220 000 sont inscrites à l'ANPE...

C'est que, malgré l'obligation faite par la loi de 1987 aux entreprises de plus de vingt salariés et aux administrations d'embaucher 6 % de travailleurs handicapés, ce taux se maintient aux alentours de 4 % seulement depuis près de dix ans. Les plus mauvais élèves sont les entreprises moyennes et les services de l'Etat, bien frileux en la matière.

Il est urgent d'explorer d'autres voies d'insertion et il me semblerait judicieux, par exemple, d'instaurer un « droit de retour » en faveur de tout travailleur handicapé ayant connu l'échec en milieu ouvert, pour lui permettre de réintégrer un CAT ou un atelier protégé. Il faut également que l'Etat conforte sa politique d'insertion en s'acquittant des mêmes obligations que le secteur privé : actuellement, il n'est pas sanctionné s'il ne remplit pas son obligation légale d'embauche. En avril dernier, j'ai déposé une proposition de résolution visant à créer une commission d'enquête sur le sujet. En effet, au début de 1998, la proportion de personnes handicapées ne s'élevait qu'à 3,06 % dans la fonction publique d'Etat, à 4,5 % dans la fonction publique territoriale et à 5,43 % dans la fonction publique hospitalière.

Si l'étendue des compétences des collectivités offre de larges ressources pour l'emploi de ces personnes, le milieu territorial est le reflet de la société française et les barrières « comportementales » y sont encore nombreuses. L'insertion des handicapés serait pourtant un précieux atout, permettant de jeter des ponts et de mieux comprendre les besoins spécifiques de ces administrés...

Le handicap demeure, hélas, un frein important à l'embauche : trop de chefs d'entreprise et d'administrations le regarde comme une source de difficultés, qu'il s'agisse de l'exécution des tâches, de l'aménagement des conditions de travail ou même des relations humaines - et le manque d'information n'améliore rien.

Autant d'éléments qui militent pour que la France prenne une initiative en ce domaine, afin de montrer l'exemple d'une politique en faveur d'une insertion pleine et entière, sociale et professionnelle. Votre proposition, Monsieur Lagarde, vise à faire bénéficier d'un crédit d'impôt de 75 % les entreprises qui effectueraient des investissements en faveur des handicapés et, à ce titre, elle mérite d'être saluée. Je souhaiterais toutefois qu'elle trouve sa place dans un projet plus global, tel que celui que nous soumettra prochainement Mme Boisseau (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme la Secrétaire d'Etat - Je félicite M. Lagarde pour son initiative qui, contrairement à ce que dit M. Paul, est généreuse et contribuera indéniablement à enrichir notre réflexion.

M. le Rapporteur - Très bien !

Mme la Secrétaire d'Etat - Je remercie également M. Leroy pour la qualité de son rapport, qui constituera également pour nous un outil très utile. J'exprime enfin ma gratitude à tous les orateurs, mais également à tous ceux qui ont tenu à assister à cette discussion, manifestant par là même leur engagement personnel en faveur d'une cause ô combien noble et donc étrangère aux clivages politiques.

Non, Monsieur Paul, la politique d'insertion des personnes handicapées n'est pas en panne ! Elle est en marche, même si le chemin à parcourir est encore long et le retard à rattraper encore grand. L'Année européenne du handicap a permis une importante mobilisation du Gouvernement, des particuliers, des associations et des collectivités : j'en veux pour preuve le millier de projets réalisés, dont la plupart ont été labellisés et une partie soutenue financièrement. Nos voisins européens nous ont enviés pour cela !

Je suis intimement convaincue que cette année européenne a aidé à faire évoluer les mentalités, à faire prendre conscience des problèmes auxquels se heurtent les handicapés, mais aussi de la richesse de leur contribution à la société.

D'autre part, le Président de la République a fait de l'insertion des handicapés l'un des trois grands chantiers de son quinquennat et, depuis, le Gouvernement a agi concrètement. En 2003, nous avons doublé le nombre de places de CAT, de maisons d'accueil spécialisées et de foyers médicalisés, ainsi que le nombre de postes d'auxiliaires de vie. En 2004, nous ferons de même. Ainsi, s'il manque aujourd'hui 15 000 places de CAT, nous devrions au moins parvenir à résorber en cinq ans la file d'attente en en ouvrant 3 000 chaque année.

Le projet de loi visant à moderniser la loi de 1975 sera présenté au conseil des ministres le 28 janvier, puis vous sera soumis dans la foulée. Il organisera la compensation du handicap, il simplifiera et personnalisera le traitement des dossiers et il garantira l'accès de tous à tout - je dis bien de tous : nous entendons qu'une partie au moins des 600 000 handicapés psychiques, oubliés dans la loi de 1975, puissent accéder à un travail.

L'insertion professionnelle - l'emploi - est bien sûr une préoccupation majeure des personnes handicapées comme elle l'est de tous les Français. Le Gouvernement est animé à cet égard d'une volonté farouche. Il entend proposer à ces personnes des formules aussi souples que possible, de préférence en milieu ordinaire, Monsieur Lagarde. Le milieu protégé restera nécessaire, bien évidemment, mais il faut faciliter le passage de ceux qui s'y trouvent vers le travail en milieu ordinaire. Trop peu de personnes en CAT accèdent aujourd'hui au travail en milieu ordinaire. Inversement, des personnes qui sont en difficulté dans le milieu ordinaire doivent pouvoir se replier sur le milieu protégé.

Le quota de 6 % de personnes handicapées dans les entreprises n'est pas le chiffre majeur. Ce qu'il faut retenir, c'est qu'il y a trois fois plus de personnes handicapées au chômage que de personnes valides. C'est une situation inadmissible, due en partie au déficit de formation initiale, comme l'a rappelé M. Chossy.

L'insertion d'une personne handicapée dans une entreprise est difficile. S'il faut sanctionner les 37 % d'entreprises qui refusent d'embaucher des personnes handicapées, il faut surtout, Monsieur Paul, encourager et accompagner les entreprises. Dans cet esprit, la proposition de loi de M. Lagarde se justifie pleinement.

Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué avec M. Chossy le problème de l'accessibilité des locaux. C'est vrai, le principe général de l'accessibilité, posé par la loi du 30 juin 1975, n'est pas respecté. Aussi le projet de loi du Gouvernement s'attache-t-il à renforcer cette obligation, et son contrôle, tant pour le bâti neuf que pour le bâti existant. Ces mesures viseront même les lieux de travail.

M. le Rapporteur - Très bien !

Mme la Secrétaire d'Etat - Vous avez encore abordé, Monsieur le rapporteur, le problème de l'insertion professionnelle des personnes handicapées, auquel le projet de loi consacre un volet important, mais perfectible.

Tout d'abord, le principe de non-discrimination est conforté par l'introduction, dans notre droit du travail, de la notion d'aménagement raisonnable, telle qu'elle résulte de la directive européenne du 27 novembre 2000. Une obligation de négocier est également prévue au sein de la branche professionnelle tous les trois ans et au sein de l'entreprise tous les ans, afin de placer le thème de l'emploi des personnes handicapées au c_ur du dialogue social.

Pour ce qui est de l'obligation d'emploi instituée par la loi du 10 juillet 1987, le montant de la contribution dont sont redevables les entreprises qui ne la respectent pas pourra être désormais modulé en fonction de l'effort consenti en matière de recrutement direct.

Cela permettra d'alourdir la contribution des entreprises qui n'emploient aucune personne handicapée...

M. Daniel Paul - Voilà !

Mme la Secrétaire d'Etat - ...et de diminuer celle des employeurs qui ont recruté certaines catégories de salariés, comme ceux anciennement titulaires d'un CDD, ou d'un contrat de travail temporaire, demandeurs d'emploi de longue durée, salariés issus de structures de travail protégé.

Madame Imbert, la liste des emplois exigeant des aptitudes particulières sera supprimée dans le projet de loi. Par ailleurs, afin de renforcer la cohérence de l'action de l'AGEFIPH, ses modalités d'intervention feront désormais l'objet d'une convention d'objectifs pluriannuels ayant une base législative.

Afin que cet effort soit partagé par les collectivités publiques, un fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés, commun aux trois fonctions publiques, sera mis en place. Vous avez beaucoup parlé de la fonction publique d'Etat, mais il ne faut pas oublier les fonctions publiques territoriale et hospitalière.

A l'image du fonds géré par l'AGEFIPH pour le secteur privé, ce fonds public sera alimenté par les contributions des administrations, collectivités ou établissements publics de plus de vingt salariés qui ne satisfont pas à leur obligation d'emploi.

Par ailleurs, le projet de loi prévoira l'obligation, pour les employeurs publics, de présenter chaque année un rapport à l'assemblée délibérante. Pour la fonction publique de l'Etat, ce rapport sera soumis aux assemblées parlementaires.

Le projet de loi consacre également la transformation des ateliers protégés en entreprises adaptées, leur reconnaissant ainsi une place dans le milieu de travail ordinaire. Il conforte de surcroît la vocation médico-sociale des CAT, en réactualisant leur définition et leur rôle dans l'insertion des personnes handicapées. Pour faciliter l'évolution des travailleurs de CAT vers le milieu ordinaire de travail, un dispositif passerelle sera institué.

Toutes ces dispositions forment un ensemble cohérent en faveur de l'insertion des personnes handicapées tant dans les entreprises privées que dans le secteur public.

Enfin, le projet de loi comprend une disposition technique répondant à la préoccupation de M. Lagarde. Les entreprises redevables d'une contribution à l'AGEFIPH pourront déduire de celle-ci le montant des dépenses engagées pour favoriser l'insertion professionnelle des travailleurs handicapés au sein de l'entreprise ou, plus largement, l'accès des personnes handicapées à la vie professionnelle.

Ce mécanisme est préférable au crédit d'impôt en ce qu'il n'impose pas la création d'une recette nouvelle pour compenser la perte fiscale. Il s'inscrit en outre dans un souci d'allégement des procédures pour les entreprises.

Le champ de la déduction couvre l'intégralité des dépenses visées par la proposition de loi, et va au-delà en prenant en compte les dépenses de transport de personnes handicapées, ou les actions de formation en partenariat avec les établissements d'enseignement supérieur.

Enfin, ce dispositif permet de déduire la totalité de la dépense, alors que le crédit d'impôt est limité à 75 % des investissements.

La présente proposition de loi répond au souci, partagé par tous, de promouvoir l'insertion professionnelle des personnes handicapées, et je ne peux qu'y souscrire. Cependant, compte tenu de l'imminence d'un projet de loi, je demande, Monsieur le Président, que cette proposition ne fasse pas l'objet d'un examen détaillé par articles.

Le défi de l'insertion des personnes handicapées est immense, et nous avons le devoir de le relever. Nous ne le relèverons qu'ensemble. La société tout entière doit se mobiliser, et l'Année européenne des personnes handicapées fut une belle étape qui nous a permis de grandes avancées. Le projet de loi qui nous sera présenté est évidemment perfectible, et je reste ouverte à la discussion, voire à l'intégration de l'idée généreuse de M. Lagarde dans le projet gouvernemental. Mon souci le plus cher - partagé du reste - est que les personnes handicapées soient toujours plus nombreuses à travailler et à s'épanouir dans notre société.

Merci pour cette proposition de loi, et la haute tenue de ce débat, qui augure bien de l'avenir (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF, et sur les bancs du groupe socialiste).

La discussion générale est close.

M. le Président - A titre exceptionnel, je vais laisser l'auteur de la proposition dire un mot avant le vote sur le passage à la discussion des articles.

M. Jean-Christophe Lagarde - Je voudrais en effet répondre à un discours doctrinaire que j'ai entendu tenir tout à l'heure sur les entreprises et qui me paraissait ridicule et déplacé ce matin.

M. Daniel Paul - Vous ne pouvez pas dire ça !

M. Jean-Christophe Lagarde - Je citerai le cas du chef d'une entreprise de douze salariés qui a une fille paraplégique. Il emploie un travailleur aveugle et a dû acheter, à ses frais, un clavier en braille et procéder à diverses adaptations pour un coût de 7 000 €. Je ne suis pas sûr qu'un employeur qui n'aurait pas été personnellement sensibilisé à la question du handicap aurait engagé la même dépense !

Lors d'un recrutement, un travailleur paraplégique fait acte de candidature. L'accès aux locaux nécessiterait 30 000 € de dépense. Il n'est donc pas recruté.

Il est inadmissible de considérer que c'est à l'entreprise de supporter le coût de ces aménagements, et non à la nation.

Mme la Secrétaire d'Etat - Tout à fait.

M. Jean-Christophe Lagarde - Et encore ai-je proposé que 25 % du coût reste à la charge de l'entreprise ; pour une PME, la somme est déjà importante.

M. Paul a laissé entendre que ma proposition visait, en catimini, à procurer de nouveaux avantages fiscaux aux entreprises. Pas du tout ! Aujourd'hui, une entreprise de moins de vingt salariés qui souhaiterait embaucher des travailleurs handicapés et qui ne peut le faire financièrement ne reçoit aucune aide.

Le dégrèvement fiscal pour don existe déjà dans bien d'autres domaines. Celui-ci le mérite.

Monsieur Chossy, la déduction des investissements pour contribution à l'AGEPHI favoriserait les entreprises qui sont obligées de verser parce qu'elles ne respectent pas le quota de 6 %. Celles qui le respectent ne bénéficieraient d'aucune exonération. Peut-être n'ont-elles pas eu à procéder à des aménagements, mais le jour où ce sera le cas, alors qu'elles ont déjà fait des efforts, elles n'auraient droit à aucune aide.

Le projet de loi devra tenir compte de ces situations.

Je vous remercie, Madame la ministre, pour l'ouverture dont vous avez fait preuve.

Je rappelle, enfin, que j'ai fait cette proposition de loi, co-signée par 128 de nos collègues, parce que l'article 40 ne m'aurait pas permis de proposer cette disposition dans le cadre de la discussion du projet de loi à venir.

Aider ceux qui veulent agir pour l'insertion des personnes handicapées dans le monde du travail relève de notre responsabilité de parlementaires (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. le Président - La commission des finances n'ayant pas présenté de conclusions, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 3, du Règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi.

Conformément aux dispositions du même article du Règlement, si l'Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.

Sur le passage à la discussion des articles, je suis saisi par le groupe UDF d'une demande de scrutin public.

Nous en venons aux explications de vote et je considérerai l'intervention que vient de faire M. Lagarde comme valant explication du vote de son groupe.

M. Jean-Christophe Lagarde - Tout à fait.

M. Daniel Paul - Souffrez, Madame la ministre, qu'il puisse y avoir aussi des parlementaires qui connaissent, sur un plan familial, le problème du handicap lourd.

Mme la Secrétaire d'Etat - Je le sais.

M. Daniel Paul - Ils n'ont aucune raison de recevoir des leçons de qui que ce soit. Leur avis importe autant que d'autres.

De plus, je crois préférable de sanctionner ceux qui ne respectent pas la loi plutôt que d'encourager financièrement à la respecter. Je préfère féliciter ceux qui vont au-delà même des exigences de la loi plutôt que d'ajouter encore de nouveaux avantages fiscaux.

J'ai entendu que votre projet de loi comporterait un certain nombre de dispositions différentes. J'ai également noté que vous étiez prête à sanctionner ceux qui ne respectent pas la loi.

Mme la Secrétaire d'Etat - En effet. Sanction et encouragement.

M. Daniel Paul - Il est également nécessaire de mieux informer les entreprises des dispositifs existants.

Mme la Secrétaire d'Etat - Oui.

M. Daniel Paul - Cette proposition visait à introduire des incitations à mes yeux inutiles et dangereuses. Je maintiens néanmoins qu'il aurait été nécessaire de poursuivre la discussion.

M. Gérard Bapt - La commission des finances a voté en faveur de la discussion des articles, mais il serait pour le moins insolite que celle-ci ait lieu sans que nous ayons pu déposer des amendements et en débattre en commission.

Je prends acte de ce que le projet de loi à venir élargira le champ des réponses à apporter aux problèmes de l'insertion professionnelle des handicapés.

Enfin, le passage à la discussion des articles étant également une question politique entre l'UDF et l'UMP, le groupe socialiste s'abstiendra.

M. Jean-François Chossy - Il est temps, le Président de la République nous y a invités, de faire évoluer les mentalités concernant le handicap. Nous y avons modestement contribué ce matin.

Le travail de M. Leroy est exemplaire, mais le groupe UMP s'oppose à la discussion des articles. Nous attendons le projet de loi à venir, plus global, et Mme la ministre m'a pleinement rassuré quant à la prise en compte des propositions de M. Lagarde. Nous continuerons à travailler pour faire évoluer les mentalités sur le handicap et l'insertion professionnelle des handicapés (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

A la majorité de 38 voix contre 4 sur 44 votants et 42 suffrages exprimés, l'Assemblée nationale décide de ne pas passer à la discussion des articles. La proposition de loi n'est donc pas adoptée.

M. le Rapporteur - Je remercie nos collègues qui nous ont rejoints pour ce vote et tous ceux qui ont pris part à notre débat.

Je remercie Mme la ministre, qui a répondu longuement et sur le fond à notre préoccupation.

Je vous rappelle que si nous avons eu ce débat, si Jean-Christophe Lagarde a défendu cette proposition avec passion et générosité, c'est que nous ne pourrons pas, en raison de l'article 40, en débattre dans le cadre du projet de loi à venir.

Je souhaite que Jean-Christophe Lagarde, que le groupe UDF, Madame la ministre, puissent continuer à dialoguer avec vous, et que cette proposition puisse être reprise, sous une forme ou sous une autre, dans le texte dont le Conseil des ministres sera saisi le 28 janvier. Le groupe UDF en serait très heureux : s'agissant de l'insertion professionnelle des personnes handicapées, nul ne revendique de droits d'auteur.

C'est un dernier appel, mais je sais, Madame la ministre, que vous saurez l'entendre. Je vous remercie du fond du c_ur, de même que tous nos collègues, pour la haute tenue du débat de ce matin, même si nous ne passons pas à la discussion des articles (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

Prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 15.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      François GEORGE


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