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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 49ème jour de séance, 124ème séance

2ème SÉANCE DU JEUDI 15 JANVIER 2004

PRÉSIDENCE de M. Jean LE GARREC

vice-président

Sommaire

      SAISINE POUR AVIS D'UNE COMMISSION 2

      DÉVELOPPEMENT DES TERRITOIRES RURAUX 2

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 21

      QUESTION PRÉALABLE 28

      RÉUNION DE COMMISSIONS MIXTES PARITAIRES 34

La séance est ouverte à quinze heures.

SAISINE POUR AVIS D'UNE COMMISSION

M. le Président - J'informe l'Assemblée que la commission des affaires culturelles a décidé de se saisir pour avis du titre II du projet de loi relatif aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle.

DÉVELOPPEMENT DES TERRITOIRES RURAUX

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux.

M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales - J'ai l'honneur de soumettre à votre examen le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux dont j'espère comme vous, qu'il favorisera un regain de développement de nos territoires ruraux et une plus grande confiance en l'avenir du monde rural.

Ce texte ayant un caractère interministériel, je tiens à souligner la contribution de mes collègues, Roselyne Bachelot et Jean-Paul Delevoye, qui se trouvent aujourd'hui au banc du Gouvernement. François Fillon, Gilles de Robien, Jean-François Mattei, Alain Lambert, Patrick Devedjian et Léon Bertrand ont également pris une part essentielle à son élaboration, et je les en remercie. Depuis le dépôt de ce projet sur le bureau de l'Assemblée, votre commission des affaires économiques a _uvré à l'élaboration de très nombreux amendements destinés à l'enrichir. Je salue le travail considérable réalisé par son président, Patrick Ollier, sur toutes ces questions d'aménagement du territoire qu'il connaît bien et dont il mesure la difficulté. Sous sa conduite, votre commission a examiné en quelques jours près de 1 000 amendements. Je le remercie de son engagement personnel, tout comme vos rapporteurs pour la qualité de leurs travaux.

Ce projet traduit l'engagement du Président de la République pris à Ussel en avril 2002 de définir une nouvelle politique en faveur de nos territoires ruraux.

Il répond également au sentiment d'abandon que ressentent beaucoup de ceux qui vivent et travaillent en zone rurale. Je n'entends pas, par-là, sacrifier à une quelconque nostalgie ou évoquer un « bon vieux temps » mythique où l'agriculture aurait été reine : le paysan n'a jamais été roi, mais notre monde rural reposait sur le pacte que le pays avait noué avec ses paysans. Dès le XVIIe siècle, la campagne française hébergeait autant d'activités artisanales ou préindustrielles que d'activités proprement agricoles. Puis, à la fin du XIXe siècle, alors que la ville naît à la manufacture et à l'industrie, Gambetta, en faisant de la terre un patrimoine et du paysan un petit propriétaire, promeut une agriculture produisant un peu de tout partout, en même temps qu'il « fait chausser aux paysans les sabots de la République ». Notre pays scelle alors avec ses paysans un pacte qui durera plusieurs décennies.

Depuis l'après-guerre, nos campagnes ont subi d'importants bouleversements. Exode rural, vieillissement de la population, désertification des campagnes, progression de la friche, enclavement des territoires... Daniel Halévy avait donné un titre à ce constat : « La terre meurt ».

Avec 680 000 exploitants, 550 000 conjoints, 1 million de descendants, 135 000 salariés agricoles et 120 000 salariés des coopératives, les agriculteurs, demeurent heureusement le « c_ur battant » de nos campagnes. Mais s'ils participent au progrès, ils ont souvent le sentiment de moins en bénéficier que les autres.

Depuis plusieurs années, beaucoup s'étaient résignés à ces évolutions, résignés à l'idée que les territoires ruraux ne se trouvaient plus au c_ur de notre politique d'aménagement du territoire, résignés à l'idée que le monde rural devait se vider progressivement de sa population au profit des villes, résignés à l'idée que rien ne pouvait véritablement empêcher ce mouvement inexorable. La dispersion des politiques menées a contribué à aggraver ce sentiment : tout au plus, espérait-on pouvoir retarder cette évolution. On persistait ainsi à opposer une France urbaine dynamique à une France rurale condamnée au déclin, et rien n'a véritablement été entrepris depuis la loi Pasqua du 4 février 1995 qui a créé les pays et les démarches territoriales, développé les schémas d'aménagement des territoires et un système efficace de péréquation en faveur du monde rural.

Afin de le placer au plus près du terrain, nous avons élaboré ce texte de façon très concertée, car le Gouvernement tenait à entendre la voix trop souvent méconnue du réel, pour reprendre la belle expression de René Girard. Dans cet esprit, Jean-Paul Delevoye et moi avons chacun reçu les représentants de l'Association des maires de France, de l'Association des départements de France et de l'Association des régions de France.

J'ai également nourri ma réflexion des échanges que j'ai eus avec les parlementaires à l'occasion de mes déplacements, et nous avons également consulté la plupart des organisations qui participent à l'activité économique du monde rural, et recueilli les propositions des différents acteurs de la ruralité.

Parallèlement, des groupes de travail ont travaillé sur des thèmes particuliers : la pluriactivité, les groupements d'employeurs, l'agriculture de groupe, l'action sociale, la politique en faveur de la montagne et du pastoralisme, les services au public, la rénovation du patrimoine bâti ou encore la protection des espaces agricoles périurbains.

Tous les services de la DATAR, dont je salue le délégué, ont été mobilisés et les services centraux de mon ministère ont été réorganisés, avec la création d'une direction générale chargée des affaires rurales et de la forêt.

Enfin, outre les travaux du Commissariat général du plan et de l'Institut national pour la recherche agronomique, j'ai pris en compte l'excellent rapport que la DATAR a consacré à « l'aménagement de la France rurale en 2020 ». Ces rapports, auditions et consultations nous ont permis de dresser le tableau précis du monde rural et des politiques conduites en sa faveur.

Certains soulignent le caractère éclectique, voire composite de ce projet. Mais la France est diverse et la variété des mesures que comporte ce texte correspond à la diversité du monde rural et de ses problèmes.

Dans les campagnes autour des villes, une part croissante des terres agricoles est soumise à la pression croissante de l'urbanisme et de la spéculation foncière, ce qui contribue à leur renchérissement, à un niveau trop souvent incompatible avec le maintien de l'activité agricole, et provoque de fréquents conflits d'usage.

Les campagnes plus isolées souffrent de dépopulation, de déprise agricole progressive et de mauvaises liaisons aux réseaux de communication modernes. La fracture numérique succède aux retards dans l'électrification. La solidarité nationale, dont M. Delevoye a la charge dans ce cas, doit s'exercer plus efficacement à leur égard.

Enfin de nouvelles campagnes, sous l'influence de centres bourgs actifs, ont gagné un demi million d'habitants entre 1975 et 2000. Il faut y soutenir mieux la dynamique de projets.

Nos campagnes ont retrouvé le même nombre d'habitants qu'en 1970. Mais ce ne sont plus les mêmes campagnes, plus les mêmes ruraux. En effet les déséquilibres territoriaux se sont accentués, dans les zones isolées et les espaces périurbains en particulier.

Avec ce projet, le Gouvernement ne souhaite pas faire d'effet d'annonce, mais enrichir, de façon pragmatique, les outils mis à la disposition du monde rural. Privilégiant tantôt la norme, tantôt l'incitation, il s'inscrit dans un « bouquet rural » qui comprend les mesures décidées lors des CIADT des 3 septembre et 20 décembre dernier. Il en est complémentaire, par exemple sur les zones de revitalisation rurale. De même, il s'articule avec le projet de loi organique sur les finances locales adopté en Conseil des ministres le 22 octobre dernier et avec la loi sur les nouvelles initiatives économiques.

D'autre part, ce projet ne tient pas compte seulement de l'agriculture, mais de toutes les activités créatrices d'emploi dans le monde rural. Cependant, je le répète, les agriculteurs doivent en demeurer le c_ur battant. En 2004-2005, un projet de loi de modernisation agricole tirera les conséquences de la réforme de la PAC de juin dernier. La place de l'agriculture dans le monde rural et la gestion du foncier rural en seront les thèmes communs.

Ce projet, comme celui relatif au développement des initiatives locales, que vous examinerez ensuite, s'inscrit dans notre conception d'une France décentralisée dans laquelle l'Etat n'a pas vocation à tout faire - ni à tout laisser faire - mais est garant de la cohésion nationale et de l'équité territoriale. Pour cela, il lui faut aider à la libération des énergies en tenant compte de la spécificité des zones rurales.

Il vise aussi à donner une cohérence à des politiques dispersées. Lancé par Michel Debré et poursuivi par Olivier Guichard et Jérôme Monod à la DATAR, l'aménagement du territoire voulait conjurer l'inacceptable scénario de « Paris et le désert français » prédit par Jean-François Gravier en 1947. Au fil du temps, les intervenants se sont multipliés, les dispositifs se sont accumulés, selon des logiques sectorielles et cloisonnées. Il est temps de redéfinir une ambition pour nos campagnes et de mettre en cohérence nos moyens. Pour cela, rendons la liberté d'action aux décideurs locaux, mais accompagnons ceux qui portent des projets. En même temps, soyons plus solidaires de ceux qui sont en réelle difficulté, notamment en montagne. Le projet est particulièrement attentif à l'objectif de péréquation au profit des régions fragiles, auquel le Gouvernement a conféré une valeur constitutionnelle. La réforme de la DGF y concourra dès cette année.

Mais il faut aussi adapter nos outils à la situation particulière de chaque territoire pour répondre aux attentes de nos concitoyens ruraux en ce qui concerne le développement économique et l'emploi, l'offre de services publics et le respect des équilibres et des traditions.

Favoriser le développement économique, assurer l'égalité d'accès aux services, protéger certains espaces, tels sont les objectifs du texte. Je fais confiance à la représentation nationale pour l'enrichir en exerçant pleinement son droit d'amendement .

D'abord, pour conforter le développement économique des zones en déclin démographique, il faut faire jouer la solidarité nationale de façon plus efficace. Dans cet esprit, il est proposé d'aménager le dispositif des ZRR et d'en actualiser les zonages en tenant compte des intercommunalités à fiscalité propre et des données du dernier recensement. Le projet crée également des sociétés d'investissement pour le développement rural, les SIDER, qui soutiendront l'installation d'entreprises innovantes. Leurs actionnaires bénéficieront d'avantages fiscaux comme l'amortissement, dès la première année, de 50 % du montant des sommes souscrites. Nous améliorons également les modalités de responsabilité solidaire entre les membres des groupements d'employeurs appartenant à des secteurs d'activité différents.

L'amortissement du prix de revient pour les constructions sera étendu aux rénovations, ce qui facilitera la rénovation de bâtiments à usage professionnel inoccupés et qui se dégradent. Professionnels de santé et vétérinaires bénéficieront d'exonérations de taxe professionnelle et les logements privés sociaux d'exonérations de taxe foncière. Nous accompagnerons mieux, sur le plan financier, les projets des petites communes. S'agissant des activités agricoles et touristiques, des dispositions financières et fiscales facilitent les initiatives locales.

Le Président de la République a fait de l'emploi une priorité nationale. C'est aussi un enjeu majeur pour le monde rural, et il fait l'objet de dispositions importantes, que le Gouvernement est prêt à enrichir par voie d'amendement.

Pour mieux reconnaître la pluriactivité, la mutualisation de l'emploi entre différents employeurs est favorisée. La possibilité de cumuler un emploi dans la fonction publique territoriale et un emploi privé est étendue aux communes de moins de 3 500 habitants, au lieu de 2 000 actuellement.

Une commune pourra désormais partager avec une entreprise de travaux agricoles un emploi de conducteurs d'engins. Le salarié pourra, par exemple, entretenir les accotements de la voirie communale et, mis à disposition de l'entreprise privée, réaliser des travaux liés aux cultures.

Pour faciliter l'association des différents acteurs économiques du monde rural au sein de groupements d'employeurs multisectoriels, le projet de loi assouplit des règles qui les régissent et veille à leur neutralité fiscale. Nous étendrons cette neutralité au régime des cotisations sociales par voie réglementaire. Pour lever le frein que constitue la responsabilité solidaire des membres des groupements d'employeurs, le Gouvernement déposera un amendement permettant à ces derniers de constituer une réserve défiscalisée, afin de faire face au risque d'impayé de salaires et de charges sociales. Ces mesures sont essentielles car elles contribuent à briser les cloisonnements et à mettre en synergie les différentes activités du monde rural.

Il arrive que certains emplois saisonniers ne soient pas pourvus faute de logement. Afin de favoriser l'hébergement des saisonniers, le projet de loi prévoit un amortissement accéléré des gros travaux d'amélioration ainsi qu'un aménagement de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la taxe d'habitation.

Par ailleurs, il simplifie les règles de rattachement aux régimes sociaux pour les pluriactifs non salariés et encourage la formation professionnelle des salariés, notamment saisonniers, ou des conjoints collaborateurs. Les partenaires sociaux pourront désormais adapter les conditions d'accès des salariés en contrat à durée déterminée au congé individuel de formation. Une personne ayant accompli une campagne saisonnière en agriculture puis en station de sport d'hiver pourrait ainsi bénéficier d'une formation la qualifiant pour l'emploi durable, possibilité qui ne lui est pas ouverte aujourd'hui. Par voie d'amendement, le Gouvernement proposera au Parlement de créer un nouveau cas de recours au contrat de travail à durée déterminée, le CDD formation, afin de permettre aux saisonniers de se former entre deux contrats de travail tout en restant liés à l'entreprise. Les frais de formation et de rémunération s'imputeront sur le plan de formation de l'entreprise.

Afin que les personnes souffrant de handicaps puissent exercer une activité parallèle en milieu ordinaire, le projet comporte des dispositions visant à favoriser la conclusion de contrats de travail hors ateliers protégés.

Parce que les territoires sont en concurrence, nous devons renforcer l'attrait des territoires ruraux, afin d'y promouvoir l'installation et la reprise d'entreprises. Or, nous nous trouvons confrontés à une situation nouvelle et paradoxale : la crise du logement en milieu rural.

En effet, l'offre de logements reste quantitativement et qualitativement insuffisante. Des maisons de village se dégradent sans qu'on puisse ni les louer, ni les acheter, et trop de corps de fermes sont laissés à l'abandon, les repreneurs des terres n'ayant pas besoin de ces bâtiments, souvent inadaptés pour l'élevage ou la culture.

M. Jean Dionis du Séjour - Très juste !

M. le Ministre de l'agriculture - Allons-nous continuer à fermer les yeux...

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - Non.

M. le Ministre de l'agriculture - ...et continuer à considérer que seule la ville peut loger les gens ? Bien entendu non. Nous devons donc augmenter l'offre de logements destinés aux actifs, en favorisant la rénovation du patrimoine bâti et le développement de l'habitat locatif dans les ZRR.

Combien d'entre nous n'ont-ils pas été frappés par l'état d'abandon d'un grand nombre de bâtiments agricoles anciens, parfois même de caractère, lorsque le manque de logements est réel dans la commune ? En laissant ainsi son patrimoine se dégrader, la France rurale s'appauvrit. Désormais, la loi permettra à tout propriétaire, en fin de bail, de reprendre le bâtiment devenu inutile à son fermier, de le rénover et de le louer.

Enfin, le projet simplifie le dispositif du remembrement et en fait un outil mieux adapté à la préservation de l'environnement et à l'approfondissement de la décentralisation.

J'en viens au deuxième grand objectif du projet, sur lequel veille particulièrement Jean-Paul Delevoye : garantir une meilleure offre de services aux populations. C'est essentiel pour l'attractivité économique de ces territoires et pour l'égalité des chances que notre pays doit à ses enfants.

Ces dernières années, diverses dispositions ont cherché à maintenir les services publics en milieu rural, mais elles n'ont pas suffi à résoudre les difficultés de nombreuses communes ni à satisfaire totalement les nouvelles attentes des usagers.

Certaines dispositions législatives avaient fait l'objet d'expérimentations. M. Delevoye nous en parlera.

Nous souhaitons faire prévaloir une nouvelle logique fondée sur la polyvalence des services et des partenariats. C'est pourquoi le projet simplifie et adapte le régime juridique des maisons de service public. L'Office national des forêts pourra, dans ce cadre, apporter son concours technique et mettre son maillage territorial au service de la communauté rurale.

Nous devons également offrir aux familles qui veulent s'installer à la campagne un cadre de vie économique, social et environnemental à la hauteur de leurs aspirations. Bien sûr elles y trouvent l'air pur, l'espace et le calme qu'elles sont venues chercher. Bien sûr, elles ont également trouvé les solutions économiques leur permettant d'y vivre. Mais socialement ? Où est la halte garderie pour les enfants ? Où est le médecin ? Non seulement les territoires ruraux gagnent des habitants, comme en atteste le dernier recensement, mais les naissances s'y multiplient. Nul ne s'en plaindra, mais il faut maintenant faire face à cette situation nouvelle. Notre pays doit l'égalité d'accès aux services de santé à l'ensemble de ses citoyens : c'est un facteur essentiel de l'équité territoriale.

Il est proposé à cette fin d'instaurer une véritable coordination des aides accordées aux professions médicales par les diverses collectivités territoriales et les organismes d'assurance maladie, l'idée étant d'assurer une présence médicale sur l'ensemble du territoire et par conséquent d'inciter les médecins à s'installer en zone rurale. Il y a quelques semaines, j'ai rencontré un jeune étudiant lozérien parti à Montpellier suivre des études de médecine avec l'intention de revenir au pays pour y exercer son métier. Il pourra désormais bénéficier d'une indemnité d'étude s'il s'engage à exercer comme médecin généraliste au moins cinq ans en zone déficitaire. De leur côté, les collectivités territoriales pourront accorder des indemnités de logement et de déplacement aux étudiants de troisième cycle de médecine générale lorsqu'ils effectuent leurs stages dans les zones déficitaires.

Afin de favoriser aussi l'installation des vétérinaires dans les zones d'élevage, je vous propose de les exonérer pendant cinq ans de taxe professionnelle.

Troisième objectif du projet : préserver les espaces spécifiques ou sensibles.

L'agriculture et la forêt occupent 80 % de notre territoire, mais leur rôle d'occupation de l'espace se heurte à la menace de l'étalement urbain, aux risques de déprise et de banalisation des espaces pastoraux et humides, à la perspective d'un morcellement de la propriété et d'une multiplication des dégâts de gibier en forêt. Nous nous attachons donc à résoudre les problèmes particuliers de ces différents types d'espaces : les espaces périurbains, les zones de montagnes, les forêts et les zones humides.

Alors que le tiers des exploitations agricoles se trouvent désormais en zone périurbaine, nous ne disposons pas d'un instrument foncier efficace comme il en existe pour aménager les territoires urbains. Il est pourtant essentiel d'y protéger l'agriculture, non seulement en raison de son importance économique, mais aussi pour sa contribution à l'entretien des paysages et du cadre de vie des 20 millions de nos compatriotes qui y vivent. C'est pourquoi le projet de loi permet de créer des périmètres de protection et d'aménagement de ces espaces, en concertation avec les communes concernées et en cohérence avec les outils d'urbanisme. Il s'agit par là d'offrir aux collectivités intéressées la possibilité de s'engager conjointement en faveur de la protection de ces espaces, grâce à un programme d'action articulant mieux les procédures et les compétences existantes. La question de savoir quelle doit être la collectivité territoriale « tête de file » dans ces opérations reviendra certainement dans le débat. Le Gouvernement a noté la réticence des régions et des parlementaires à ce que les régions jouent ce rôle. Les départements ayant manifesté leur intérêt, le Gouvernement ne s'opposera pas à l'idée de le leur confier.

Afin de préserver nos forêts, le projet de loi introduit des incitations fiscales favorisant la restructuration et une gestion durable des forêts privées et il encourage les pratiques pastorales telles que la lutte contre l'embroussaillement.

Grâce à une fiscalité adaptée à des programmes d'actions spécifiques, le projet favorisera une meilleure prise en compte des zones humides. Autrefois considérées comme des territoires insalubres à conquérir, elles constituent un important patrimoine biologique et un réservoir d'eau superficiel, qui régularise l'écoulement et prévient les risques d'inondations. Le projet reconnaît l'enjeu de leur préservation et de leur gestion. Il prévoit une exonération totale ou partielle de la taxe foncière, moyennant un engagement de préservation. De même, les baux pourront être adaptés dans les zones présentant un intérêt stratégique pour l'eau.

Certaines des mesures générales du projet bénéficieront particulièrement aux territoires montagnards, favorisant leur attractivité et leur gestion durable. Mais le projet cherche aussi à résoudre les problèmes propres à la montagne. Je conviens qu'une loi autonome sur la montagne serait nécessaire ; mais les contraintes du calendrier parlementaire nous ont conduits à préférer lui consacrer un titre de ce projet.

Je suis convaincu de la nécessité d'une politique différenciée des massifs montagneux, attentive au développement durable. Le projet a été établi en concertation étroite sur ce point avec la commission permanente du conseil national de la montagne, présidé par Michel Bouvard, et l'association nationale des élus de la montagne, dont le secrétaire général est François Brottes : je les salue tous deux. Le texte actualise la loi Montagne de 1985, pour tenir compte de la décentralisation et de la diversité des territoires de montagne et pour assurer un meilleur équilibre entre leur protection et leur développement. Il tend à favoriser la coordination des collectivités et des structures administratives concernées par la gestion d'un même massif montagneux, dans le cadre d'ententes de massifs. Nous proposons ainsi de conférer aux comités de massif de nouvelles prérogatives, qui renforceront leur rôle dans la définition du projet de leur territoire et la gestion de leurs espaces naturels, aux fins de mieux intégrer les spécificités des massifs, tout en préservant l'unité de la politique de la montagne. Le projet de loi propose enfin de simplifier le régime des unités touristiques nouvelles, qui régit les aménagements touristiques en montagne, et d'adopter un mode de gestion de la taxe de séjour des stations touristiques de montagne plus favorable à l'intercommunalité.

Ma collègue Roselyne Bachelot s'exprimera dans un instant sur la chasse.

Enfin, le projet renforce les capacités d'intervention des établissements publics partenaires des territoires ruraux, et d'abord des chambres d'agriculture, dont le champ d'action est étendu et le réseau conforté. De même, les établissements d'enseignement agricole sont explicitement chargés d'une mission de développement.

Ce projet a suscité beaucoup d'attentes. Elles sont à la mesure du découragement qui frappe de nombreuses zones rurales. Le mouvement des hommes et des activités vers les grands centres urbains est moins net que dans le passé. Mais il nourrit dans ces zones un sentiment d'abandon et une inquiétude légitime pour l'avenir. L'importance de ces attentes reflète aussi l'importance que la ruralité conserve dans la société française et sa place dans l'équilibre de notre pays.

Je voudrais répondre à certains des commentaires que vous m'avez adressés, notamment en commission. J'ai entendu avec plaisir les nombreux commentaires favorables au projet. Ils rendent hommage à la qualité des expertises et des concertations qui l'ont préparé, et confortent ma conviction de vous proposer, grâce à ce texte, une gamme d'outils bien adaptés aux besoins du monde rural comme aux objectifs du Gouvernement.

Mais j'ai bien entendu aussi les réserves, voire la circonspection qui se sont exprimées. Certains ont jugé ce texte éclectique, voire composite. En fait, la variété et l'ampleur des dispositions se sont imposées d'elles-mêmes, lors de mes déplacements et de mes échanges avec les acteurs ruraux comme avec mes collègues ministres. En élaborant ce projet, nous n'avons pas cherché à faire _uvre esthétique, mais à être au plus près des réalités du terrain et en phase avec les préoccupations, elles-mêmes très diverses, qui s'y manifestent.

D'autres y voient un texte de la « dernière chance » pour les zones rurales en déclin. Mais il y a trop de volontés, d'énergies et de projets dans nos territoires ruraux pour être aussi définitif et ignorer leurs capacités de rebond. Le Gouvernement veut aider ces dynamiques locales.

Les mesures qui tendent à faire de l'aménagement foncier un outil mieux adapté à la préservation de l'environnement et à l'approfondissement de la décentralisation suscitent encore des interrogations et des inquiétudes. Ces dernières semaines, un travail considérable a été accompli, grâce au dynamisme du président Ollier et de sa commission. Le Gouvernement a écouté ses propositions et a décidé d'améliorer significativement le projet.

M. le Président de la commission - C'est vrai, et je vous en remercie.

M. le Ministre de l'agriculture - Je le remercie, ainsi que Jacques Barrot, pour la part essentielle qu'ils ont prise à ce travail. Je veux enfin remercier tous les parlementaires qui ont contribué à l'élaboration du projet, en particulier Yves Censi, parlementaire en mission sur ce dossier, dont les propositions ont permis d'améliorer le texte.

Si les problèmes du développement rural étaient simples, cela se saurait... Nous rêvons tous de « la » mesure emblématique qui règlerait tout. Mais le développement rural est complexe et multiforme. Il appelle donc une pluralité d'interventions et de dispositions, ce que nous avons appelé une « boîte à outils » qui doit être mise à la disposition des acteurs locaux.

Mais cette boîte à outils, dans sa partie réglementaire - telle que l'a arrêtée le CIADT de septembre - comme dans les compléments législatifs qu'apporte ce projet, ne suffit pas. Le développement rural comporte des fondamentaux. Le premier, c'est la qualité des infrastructures, classiques - rail, route - ou numériques : sur ce point les CIADT de septembre et de décembre ont pris certaines mesures. Le second, c'est la péréquation financière, sans laquelle les collectivités locales pourraient difficilement mener des politiques dynamiques. C'est pourquoi le rendez-vous sur les finances locales, proposé par le ministre de l'intérieur et le ministre des collectivités locales, est si important. Le troisième est la question des services publics et des services au public, qui requiert de notre part imagination et ambition : avec M. Delevoye nous avons beaucoup travaillé sur ce problème. Je conclus en vous demandant d'excuser la longueur de mon propos : il y a tant à dire, et à faire, sur le monde rural ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable - Ce projet, dont Hervé Gaymard vient de nous exposer les enjeux et les principales dispositions, contribue au maintien d'une présence humaine sur l'ensemble du territoire national. Cette présence peut être un atout pour l'entretien des espaces naturels, en évitant l'uniformisation si préjudiciable à la biodiversité et en assurant la prévention des risques naturels. Je suis donc intéressée par l'ensemble de ce texte, mais directement partie prenante pour deux de ses chapitres, ceux relatifs à la protection des zones humides et à la chasse.

Je remercie Hervé Gaymard d'avoir accordé dans ce projet une large place à des mesures en faveur des espaces naturels. Elles marquent des avancées dans deux domaines où il était urgent d'agir et où les acteurs de terrain sont prêts à relayer les orientations proposées. Il faut cependant les inscrire dans la perspective d'un calendrier plus large, qui verra d'ici à quelques mois le dépôt d'un projet de loi traitant du patrimoine et de la biodiversité - parcs nationaux, Natura 2000, fiscalité, statuts des espèces... - et d'un projet sur l'eau, dont j'ai annoncé les orientations le 16 décembre.

Le chapitre III du titre quatrième du projet porte sur les zones humides. Elles ont longtemps été regardées comme des territoires insalubres, qu'il fallait assécher. Ce faisant, l'homme y a façonné l'espace, contribuant à la richesse des milieux tout en chargeant ces territoires d'histoire et de culture. Les livres d'histoire le montrent bien : c'est l'homme, pour une bonne part, qui a fait la richesse de ces milieux et leur pérennité dépend de celle des gestes traditionnels qu'il a su y développer. En outre, les zones humides sont utiles à la collectivité, que ce soit comme bassins d'expansion de crues, par leur fonction d'assainissement, par leur biodiversité ou par leur attrait pour les activités de tourisme et de loisir.

Malheureusement, depuis quelques décennies, ces zones ont connu une forte régression, comme l'a montré en 1994 le rapport du préfet Bernard. En 1995, le Gouvernement a engagé un plan national d'action pour enrayer cette régression, mais il s'est révélé insuffisant. Il faut donc de nouvelles mesures de sauvegarde.

Le volet « zones humides » du projet entend rechercher avant tout la mise en valeur de ces territoires, dans le respect de l'équilibre économique des activités qui s'y développent ainsi que des héritages culturels et institutionnels. Une maîtrise d'ouvrage adaptée doit s'organiser autour de projets de développement durable et les mettre en _uvre à l'aide de nouveaux outils contractuels et réglementaires efficaces, à commencer par des exonérations fiscales. Le projet retient trois axes d'intervention. Tout d'abord, mieux identifier les zones humides et y assurer la cohérence des politiques et financements publics ; ensuite, créer les conditions d'un équilibre économique reposant sur des pratiques respectueuses des milieux ; enfin, aider à la structuration des maîtrises d'ouvrage pouvant _uvrer en faveur des zones humides.

Ainsi, l'article 48 précise la définition des zones humides, car l'imprécision des textes actuels a donné lieu à trop de contentieux.

Les articles 49 et 50 posent les bases de dispositifs de gestion adaptés aux enjeux de ces territoires. Dans le premier cas, il s'agit de promouvoir des pratiques nouvelles. Ce mécanisme reprend les caractéristiques déjà introduites pour les zones d'érosion dans la loi sur les risques. L'article 50 vise plus spécialement les zones humides dont l'existence est nécessaire à la qualité de l'eau potable ou des milieux aquatiques. Dans ces zones, des servitudes indemnisables pourront être instaurées.

Les articles 51 et 52 concernent les maîtres d'ouvrage. Les collectivités concernées par les zones humides côtières pourront faire appel au Conservatoire du littoral. Le statut des associations syndicales est mis à jour afin de mieux prendre en compte les enjeux actuels.

Enfin, l'article 53 permet aux communes de décider d'une exonération totale ou partielle de taxe sur le foncier non bâti au profit des propriétaires de terrains dans les zones humides. Cette mesure sera de nature à compenser la surévaluation de cette taxe dans les zones humides et contribuera au rééquilibrage économique souhaité par le Gouvernement.

Le chapitre IV du titre quatrième du projet de loi porte sur la chasse. La chasse et les chasseurs contribuent à la conservation et à l'entretien des territoires...

M. Michel Bouvard - Très bien ! Bravo !

Mme la Ministre de l'écologie - ...ainsi qu'à la diversité des habitats naturels.

La chasse occupe une place significative dans l'économie de nombreux territoires ruraux.

M. Michel Bouvard - Tout à fait.

Mme la Ministre de l'écologie - La loi du 30 juillet 2003 concernait assez peu la pratique de la chasse, hormis l'abrogation du « mercredi » comme jour sans chasse, mais bien plutôt la réforme des statuts des fédérations des chasseurs.

Cette réforme n'était sans doute pas la plus attendue, mais les fédérations ont une responsabilité importante et il convenait de restaurer la confiance en supprimant des dispositions contraignantes, voire vexatoires issues de la loi chasse de 2000.

La loi que vous avez votée l'été dernier a donc ramené la sérénité et nous permet de nous appuyer sur les fédérations et les associations pour approfondir ce travail entrepris dans un nouvel état d'esprit.

Le projet du Gouvernement aborde tous les sujets évoqués par votre assemblée lors de l'examen du premier projet de loi sur la chasse et résulte d'un travail soutenu des ministères de l'agriculture et de l'écologie.

Nous travaillons depuis plus d'un an à la réforme de l'ONCFS. Ses principes sont simples. Il s'agit tout d'abord de conforter cet établissement public et ses missions. Le projet et les instructions que j'ai données au nouveau directeur général de l'établissement visent à améliorer la formation et l'encadrement des agents chargés des missions de police, à prendre en compte les priorités d'action fixées par les préfets et à mieux coordonner leurs interventions avec celles des autres agents publics chargés de missions de même nature.

Il s'agit ensuite de restaurer la confiance entre l'établissement et le monde de la chasse. La recomposition du conseil d'administration devra y contribuer ; c'est pourquoi j'ai proposé un conseil plus resserré d'une vingtaine de membres où les représentants du monde cynégétique retrouvent leur place.

M. Patrice Martin-Lalande - Très bien !

Mme la Ministre de l'écologie - Il s'agit enfin de rétablir les conditions d'un équilibre financier durable. Outre des mesures immédiates d'économies internes, un contrat d'objectif sera signé d'ici à l'été. Le principe d'une contribution de l'Etat à la prise en charge des missions d'intérêt général patrimonial y sera inscrit.

Le Gouvernement a déjà marqué son engagement en octroyant sur le budget de 2004, un premier versement de 2 millions.

Les modifications législatives introduites dans le projet supposent un effort équitablement partagé entre l'Etat, l'ONCFS et les chasseurs.

Ce projet intègre mieux les questions cynégétiques dans la planification territoriale, incluant une mise en cohérence de ses instruments de gestion. Ainsi, le contenu des Orientations Régionales de Gestion et de Conservation de la Faune et de ses Habitats - dont le nom est modifié à cette occasion pour affirmer leur rôle dans la conservation de la faune - est-il précisé. Elles permettront de déterminer les axes de la politique régionale pour une gestion durable de la faune, chassable ou non. C'est dans le cadre de ces orientations que s'inscrivent les schémas départementaux de gestion cynégétique, qui sont établis par les fédérations départementales des chasseurs en tenant compte des intérêts agricoles et forestiers du département, et en cohérence avec les principes de « gestion durable du patrimoine faunique et de ses habitats ».

Avec l'article 56, la loi clarifie le régime de délivrance et de validation des permis de chasser et simplifie l'accès à la chasse pour les non-résidents, Français ou étrangers.

La loi simplifie également les conditions d'exercice de la chasse grâce à des dispositions issues des propositions du groupe de travail sur la simplification des textes que j'ai créé en février 2003.

M. Patrice Martin-Lalande - C'est une bonne chose.

Mme la Ministre de l'écologie - Les articles 58 et 59 assurent un partage harmonieux entre les différents usages de l'espace rural, notamment en recherchant un équilibre agro-sylvo-cynégétique satisfaisant. S'il convient de maîtriser le développement des populations de grand gibier, il est tout aussi essentiel de garantir un exercice de la chasse conforme au souci de développement durable des territoires.

Plusieurs dispositions visent à responsabiliser les différents acteurs et à maîtriser une situation préoccupante tant pour les agriculteurs et sylviculteurs que pour les chasseurs qui financent les indemnisations ou protections.

Il n'est toutefois pas question d'instaurer une indemnisation systématique des dégâts de grand gibier aux peuplements forestiers, comme c'est le cas pour les cultures agricoles.

En revanche, le texte comporte un ensemble de solutions de nature à résoudre le problème des nombreux propriétaires forestiers dont la surface boisée trop petite ne leur permet pas d'intervenir dans la gestion des populations de grands animaux.

Enfin, les articles 60 et 61 clarifient les incriminations pénales pour les infractions de chasse et les règles applicables aux gardes particuliers avec les représentants desquels nous travaillons depuis plusieurs mois.

Je remercie MM. les rapporteurs, et en particulier Yves Coussain et Jean-Claude Lemoine.

Je remercie également tous les parlementaires qui se sont mobilisés en contribuant à la rédaction d'un projet attendu par les citoyens, les élus et tous les acteurs des espaces naturels et ruraux (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire - Je salue le travail de M. Gaymard, qui s'inscrit dans la démarche entreprise par le Président de la République et par le Premier ministre.

Je salue également le travail de MM. les rapporteurs, des présidents Ollier et Blessig, ainsi que le travail de M. Yves Censi sur la ruralité.

Nous devons valoriser les nombreux atouts de nos territoires. Le déclin de certains territoires ruraux n'est pas une fatalité.

Conduit par Hervé Gaymard, en liaison avec Roselyne Bachelot, Gilles de Robien, Jean-François Mattei et la DATAR, ce projet n'est pas la seule réponse que nous entendons donner aux problématiques des mondes ruraux. De nombreuses décisions ont déjà été prises, et un comité interministériel d'aménagement du territoire a été consacré à ces questions.

Nous refusons d'enfermer la ruralité dans une série de décisions immuables qui finiraient par l'asphyxier. Il convient au contraire de libérer les énergies, d'ouvrir nos espaces ruraux sur l'Europe, de favoriser leur complémentarité avec la ville.

Comme le disait le Président de la République, « la France rurale est un creuset où peuvent se renouer les liens sociaux et se développer de nouvelles dynamiques ».

Pour être compétitif, nous devons favoriser partout la croissance. Il convient d'inventer de nouvelles relations entre l'Etat et nos partenaires ruraux.

C'est sur ce principe de complémentarité que nous devons bâtir ce nouveau partenariat. A l'Etat de fixer le cap, d'accompagner les projets et de respecter les attentes du terrain. Aux acteurs locaux d'être dynamiques. Associons nos volontés, et à l'Etat, à l'Europe d'assurer l'égalité des chances des territoires !

En matière d'emploi, plusieurs mesures ont précédé l'examen de ce texte. Ainsi en est-il du décret du 6 janvier 2003 relatif à la pluriactivité. Il permet de cumuler une activité publique avec un emploi privé. Vous serez amenés à voter dans les prochains jours le complément de ce dispositif.

Je défends également à Bruxelles l'idée qu'il nous faut plus de souplesse pour le développement local. La règle de minimis autorise aujourd'hui jusqu'à 100 000 € d'aides publiques sur trois ans. J'espère au moins doubler ce plafond pour libérer les énergies créatrices de richesse.

Nous reviendrons enfin sur les zones de revitalisation rurale. Je suis prudent sur le principe du zonage, qui crée des frustrations et ignore les évolutions qui peuvent faire d'une zone handicapée une zone développée et inversement. Nous renfoncerons néanmoins les dispositifs fiscaux applicables dans les ZRR, notamment en portant de deux à quatre ans la durée des exonérations d'impôt sur les sociétés.

Pour restaurer le lien social, il faut réduire les fractures territoriales en favorisant l'accès de tous à l'habitat, aux infrastructures, à la téléphonie mobile et aux nouvelles technologies de l'information et de la communication...

M. Patrice Martin-Lalande - Enfin !

M. le Ministre de la fonction publique - ...aux services publics et à la santé.

Il n'y a pas de ruralité sans ruraux. Nous avons choisi, pour gommer les disparités territoriales, d'agir sur l'habitat en portant de 6 % à 40 % l'abattement fiscal applicable aux revenus des loyers en ZRR. Il faudra s'attacher à l'avenir à préserver la richesse culturelle et patrimoniale de nos territoires. Pour de nombreux urbains, la campagne est l'espoir de goûter à une meilleure qualité de vie, mais pour de nombreux ruraux, elle est synonyme de désespoir économique. Toutefois, les investissements étrangers sont en train de changer la donne.

Le CIADT du 18 décembre a posé les fondements d'une politique ambitieuse des infrastructures de transport. Sous l'impulsion de Jean-Pierre Raffarin et de Gilles de Robien, nous allons dégager 7,5 milliards d'euros pour faciliter l'accès de nos territoires à l'Europe et à l'espace mondial.

La bataille de la compétitivité nous impose d'offrir à nos concitoyens l'accès aux nouvelles technologies. Ainsi, pour la téléphonie mobile, 44 millions d'euros ont été affectés aux régions afin d'éradiquer toutes les zones blanches de notre territoire. Les préfets ont été chargés de consulter les élus pour définir les priorités.

Pour accélérer l'application de ce dispositif, le CIADT du 3 septembre 2003 permet aux collectivités locales de bénéficier, sur la période 2003-2005, du fonds de compensation de la TVA. Le Gouvernement se fixe pour objectif de garantir en 2006, en partenariat avec les collectivités territoriales et les opérateurs, un accès aux services de téléphonie mobile dans les 3 000 bourgs centre aujourd'hui non couverts et sur les axes de transport prioritaires.

M. Léonce Deprez - Très bien !

M. le Ministre de la fonction publique - A cette date, le taux de couverture avoisinera donc les 100 %. Autre objectif : doter le territoire de l'internet à haut débit d'ici à 2007 et résorber ainsi la fracture numérique. L'absence de haut débit est vécue comme un véritable handicap et un frein au développement. Le Gouvernement travaille à combler le retard qui a été pris dans ce domaine !

Il a ainsi pris des mesures pour promouvoir l'utilisation des technologies alternatives : baisse des redevances dues au titre de l'utilisation de paraboles satellitaires, mesure fiscale pour l'acquisition d'un terminal satellite haut débit par les entreprises, mais aussi libéralisation du WIFI et expérimentations des courants porteurs en ligne.

L'aménagement numérique du territoire passe par l'extension du champ d'intervention des collectivités territoriales décidée par le CIADT du 13 décembre 2002.

Votre assemblée - et je remercie une nouvelle fois Patrick Ollier pour son implication - vient d'adopter en deuxième lecture le projet de loi sur l'économie numérique qui permettra aux collectivités locales d'être opérateurs d'opérateurs.

En complément de ce dispositif, nous orienterons vers le haut débit une partie de la réserve de performance des fonds européens. A l'occasion de la révision des DOCUP, les collectivités locales bénéficieront de 100 millions d'euros pour financer leurs projets.

L'accord national du 21 juillet 2003 pour la conduite d'expériences pilotes sur de nouvelles formes d'accès aux services publics dans les territoires officialise notre volonté de ne plus cantonner le débat aux seules stratégies nationales. Lorsque j'étais président de l'association des maires de France, j'ai constaté que peu de schémas départementaux d'organisation et de modernisation des services publics avaient été élaborés. Trop souvent, les élus locaux déplorent un manque d'information. Face à ce double constat d'échec, j'ai demandé à quatre départements de procéder à une large concertation et à une expérimentation. L'accord du 21 juillet est unique en son genre. Pour la première fois, près de vingt organismes de service public - La Poste, l'ANPE, EDF - se sont mobilisés. Il conduit, sous l'égide du préfet, organismes publics et élus, à réfléchir ensemble et à organiser de concert une coopération territoriale. Cette territorialisation concertée a pour objectif d'identifier les dispositions législatives, réglementaires et financières nécessaires à l'adaptation des services publics et de définir une méthode de construction de l'offre de services publics susceptible d'être généralisée. J'ai pu constater en Charente que cette voie était possible.

Il n'y aura pas de grand soir de la réforme, ni d'inflation législative, mais une démarche pragmatique, territoire par territoire.

Cessons de croire que la vie de nos territoires se guide d'en haut !

Il en va de même en matière de politique de santé. L'exemple de l'expérience menée dans le département de la Manche à l'instigation notamment de l'un de vos rapporteurs, également médecin, Jean-Claude Lemoine, montre que, grâce à une politique volontariste d'offre médicale, la démographie médicale de la Manche présente un solde positif. Là aussi, l'Etat doit avoir un rôle de facilitateur.

Il faut permettre à ceux qui veillent sur la santé de nos concitoyens de s'installer sur des territoires où la démographie médicale est en recul : la décision du CIADT du 3 septembre dernier de conférer aux médecins une aide de 10 000 € par an pendant cinq ans est conforme à cet objectif.

La vie de nos territoires découle de leurs projets. Il faut réhabiliter l'idée de projet, comme nous l'avons fait en simplifiant la procédure des pays. La croissance passe par le projet. Le développement est affaire de volonté politique : le discours sur le traitement des handicaps ne suppléera pas à l'absence de volonté locale.

Certes, il est plus difficile d'élaborer un projet de développement pour un territoire en difficulté que pour un territoire en développement, mais les décisions du CIADT en faveur de l'ingénierie mise au service des territoires ruraux y concourent.

Dans le même esprit, je me réjouis que cette loi comporte un titre « montagne ». Son élaboration, en étroite relation avec les élus de la montagne, montre qu'au-delà des clivages politiques et de la diversité des massifs, on peut trouver des solutions acceptables par tous. La montagne est riche d'atouts rares qu'elle a su maintenir dans un juste équilibre entre développement et préservation de ses espaces. Nous pouvons nous féliciter de la vision politique qui fut celle de la loi montagne de 1985.

Il y a beaucoup à dire sur la ruralité. Si je me suis inspiré d'exemples tirés de mes déplacements, c'est que je suis convaincu qu'il faut savoir s'inspirer de solutions locales.

La ruralité est un sujet que l'on évoque avec passion, avec c_ur. Chacun est fier d'appartenir à une région, à un département, à une commune, fier de ses origines, de sa diversité culturelle, de son identité.

Le combat pour la ruralité est un combat d'avenir : la ruralité est une richesse économique, patrimoniale, culturelle et environnementale plus nécessaire que jamais dans ce XXIe siècle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Yves Coussain, rapporteur de la commission des affaires économiques - Les succès et les problèmes de la France rurale sont divers. Le présent projet est à l'image de cette diversité.

Les territoires ruraux connaissent aujourd'hui une situation contrastée : certaines zones ont une démographie favorable, d'autres s'appauvrissent.

La population qui vit dans ces espaces souvent enclavés, mal desservis par les services publics, se sent abandonnée. Nous qui sommes attachés à l'unité du peuple que nous représentons et qui voulons offrir à tous nos enfants les mêmes chances, nous ne pouvons rester insensibles à la détresse exprimée par les habitants des zones rurales fragiles, détresse que je partage, puisque j'en suis.

Il nous faut entendre leur appel en faveur d'un soutien économique accru, d'une présence publique renforcée et de procédures administratives simplifiées.

Ce projet est très attendu par les élus et par les professionnels du monde rural. Leurs espoirs ne doivent pas être déçus. A la lumière des nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé, j'ai le sentiment que le pari que vous avez fait, Monsieur le ministre, est globalement tenu même si son ambition politique est encore mal reconnue. Ce projet comporte en effet une série de mesures fiscales, agricoles, foncières, mais aussi relatives à l'environnement et aux services publics, qui amélioreront la vie quotidienne dans nos territoires ruraux.

Nous nous sommes attachés - Francis Saint-Léger sur la montagne, Jean-Claude Lemoine sur la chasse et moi-même - à enrichir ce texte en commission, en lui apportant l'élan qui convaincra nos compatriotes que le monde rural a de l'avenir ou, mieux, que l'avenir est dans le rural. Le dispositif des zones de revitalisation rurale est apparu comme le meilleur moyen de soutenir les zones rurales les plus fragiles, et je me félicite qu'il fasse l'objet de l'article premier.

Aussi avons-nous été étonnés que les engagements pris lors du CIADT du 3 septembre 2003 concernant le renforcement du volet fiscal des ZRR ne figurent pas dans le texte. Les rapporteurs ont interrogé le ministère à ce sujet début décembre, et nos demandes se sont faites de plus en plus pressantes, jusqu'à ce que, excédée, notre commission unanime décide, à l'initiative de son président, de reporter l'examen de l'article premier du projet après les vacances de Noël. Cette désinvolture à l'égard de la représentation nationale est révoltante.

M. le Président de la commission - Très juste ! (Approbation sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Yves Coussain, rapporteur - Grâce à la ténacité de Patrick Ollier, ces amendements ont finalement pu être examinés. Ils permettront donc, fort heureusement, de soutenir l'activité économique dans les ZRR. Je souhaite que les professions libérales figurent aussi parmi les bénéficiaires des nouvelles exonérations.

Le texte permet aux collectivités territoriales situées dans les ZRR d'accorder des avantages fiscaux aux actifs et aux entreprises qui s'installent sur leur territoire. Mais, étant donné la faiblesse de leurs moyens, beaucoup ne le pourront pas. Je proposerai donc que ces exonérations soient compensées par l'Etat, comme cela a été fait pour les ZFU. Pourquoi ne pas accorder aux zones rurales fragiles les mêmes chances qu'aux zones urbaines difficiles ? Par ailleurs, le rapport de la DATAR insiste avec pertinence sur la nécessité du désenclavement.

Le projet propose un cadre rénové aux relations entre les exploitants agricoles et les pouvoirs publics et, en premier lieu, des mesures de simplification administratives fort utiles, qu'il s'agisse des obligations des associés des GAEC ou de l'organisation des assolements en commun. Les transmissions d'entreprises agricoles seront facilitées et, surtout, la dotation aux jeunes agriculteurs sera exclue du calcul des cotisations sociales.

Le texte propose d'autre part un ensemble de mesures destinées à favoriser de nouvelles formes d'emploi adaptées aux besoins des campagnes. S'agissant des groupements d'employeurs, la commission a considérablement enrichi le dispositif initial. Elle s'est félicitée de la remarquable qualité d'écoute du Gouvernement à ses propositions visant à développer la pluriactivité.

Dans les espaces périurbains, on constate trop souvent une urbanisation anarchique. Pour éviter que cette croissance ne s'effectue aux dépens des espaces agricoles, le projet définit une politique spécifique, qu'il charge les régions de conduire. L'ambition est louable, mais ses modalités d'application ont paru excessivement compliquées à la commission, qui les a profondément remaniées, pour les simplifier d'une part, et d'autre part pour confier la responsabilité de cette politique aux départements plutôt qu'aux régions.

La même démarche a prévalu pour l'aménagement foncier rural, dont la compétence globale a été confiée au département alors que cette responsabilisation incombait jusqu'alors au préfet. J'espère que le futur projet de modernisation agricole permettra de mener à bien la nécessaire réforme des organismes de gestion foncière.

Certaines mesures contenues dans le projet favorisent la rénovation du patrimoine rural bâti ; nous nous en réjouissons, car nous avons vu trop de corps de bâtiments magnifiques tomber en ruine à cause de dispositions législatives trop contraignantes. Il est bon d'encourager la reprise par le bailleur d'un bâtiment qui présente un intérêt architectural.

Le texte se saisit par ailleurs de la question des services au public et plus précisément des maisons de services publics, dont il n'existe qu'un très petit nombre. Le projet relance résolument le dispositif créé en 2000, en autorisant la participation de personnes privées aux maisons de services publics, qui deviendront des maisons de services au public. Il sera désormais possible à une personne publique de déléguer l'exécution d'une mission de service public à une personne privée pour maintenir un service de proximité, ce qui nous satisfait (M. Chassaigne s'exclame). Ainsi, un bureau de tabac pourra réceptionner et distribuer le courrier, et cela est préférable à un bureau de poste qui ne reste ouvert que quelques heures par semaine. Ce type de mesure est propre à réduire le sentiment d'abandon que ressentent parfois nos concitoyens ruraux.

La commission, qui avait par ailleurs de très fortes attentes s'agissant de l'installation des professionnels de santé, se félicite des mesures annoncées à ce sujet.

Je me réjouis également de la volonté manifestée par le Gouvernement d'améliorer la restructuration et la gestion des forêts privées. La commission a été particulièrement sensible à l'effort consenti en faveur des zones de montagne, et au fait que le projet reconnaisse le handicap des zones humides. Elle a cependant souhaité élargir le champ d'exonération de taxe sur le foncier non bâti profitant à certaines d'ente elles, estimant le projet trop restrictif.

Plusieurs dispositions tendent à adapter le statut et le fonctionnement de nombreux établissements publics qui interviennent en zone rurale avec l'objectif de moderniser et de simplifier leurs modalités d'intervention. Ces mesures donnent l'occasion de rappeler toute l'importance des actions interconsulaires en matière de revitalisation des territoires ruraux. L'intention du législateur ne doit évidemment pas être d'assurer dans ces territoires la prééminence des chambres d'agriculture mais au contraire une étroite coopération entre les chambres consulaires.

La commission a adopté plusieurs amendements précisant les conditions dans lesquelles le CNASEA pourra mener des actions d'accompagnement pour le compte des personnes publiques en milieu rural, et approuvé le regroupement de l'IDF et du CNPPF ainsi que la création d'un établissement public chargé de gérer le domaine national de Chambord.

Ce texte est riche de promesses, mais les attentes du monde rural sont fortes. C'est pourquoi, je l'espère, le Gouvernement appréciera à sa juste mesure le très important travail réalisé par les commissaires, que je remercie.

La représentation nationale sera, j'en suis persuadé, à vos côtés pour faire de ce projet le point de départ du renouveau des territoires ruraux (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Claude Lemoine, rapporteur de la commission des affaires économiques pour les dispositions relatives à la chasse - Que les dispositions relatives à la chasse soient incluses dans ce projet me paraît hautement significatif. De fait, la chasse a une place prépondérante dans l'économie rurale : elle représente trois milliards de chiffre d'affaires et 23 000 emplois directs, sans compter les dix mille gardes privés, le personnel de l'ONCFS et celui des fédérations ni les 6 000 emplois dans les armureries. La chasse, ce sont aussi d'importants flux financiers, car les chasses commerciales, professionnelles et d'affaires permettent d'entretenir de nombreux territoires tout en employant 150 000 personnes. De plus, les élevages de gibier emploient 10 000 personnes, dont 90 % sont des pluriactifs, ce qui contribue au maintien de certaines exploitations agricoles. Enfin, bien des hôtels et restaurants vivent directement de la chasse.

Mme la Ministre de l'écologie - Très juste.

M. Jean-Claude Lemoine, rapporteur - Un week-end de chasse en Sologne, c'est un chiffre d'affaires de 50 millions de francs. Le poids économique de la chasse équivaut à celui de l'exploitation forestière et des scieries. On a besoin de la chasse pour faire vivre nos campagnes.

Ce texte complète heureusement la loi de juillet 2003 qui a rétabli la confiance et responsabilisé le monde de la chasse. Il contribuera à apaiser les tensions et à éviter les contentieux grâce aux plans de chasse, aux plans de gestion, aux schémas départementaux et à l'indemnisation des dégâts de gibier avec mise en cause de responsables éventuels. Il fera également mieux accepter la chasse comme activité régulatrice des milieux naturels.

Outre les orientations régionales de gestion et de conservation de la faune, nécessaires pour restaurer les populations de petit gibier et leurs habitats, vous proposez de maintenir un équilibre entre la conservation d'un effectif raisonnable de cervidés et de sangliers et les intérêts agricoles et sylvicoles. Autrefois, il fallait favoriser le développement de ces populations, aujourd'hui il faut en maîtriser le nombre. N'est-ce pas la preuve que les chasseurs ne détruisent pas la nature mais la protégent ?

Sur les problèmes de l'Office national de la chasse, de la garderie et de l'indemnisation des dégâts de gibier, la commission n'a pas modifié vos propositions mais a apporté certaines précisions. Nous avons voulu affirmer que l'Office est un organisme au service de la chasse et des chasseurs, qui assure des mission scientifiques, techniques et de promotion de la chasse, et une mission régalienne, la police de la chasse. Pour cela, il gère dans chaque département la garderie, qui opère sous la responsabilité du préfet. Bien entendu, s'agissant d'une mission régalienne, le financement doit être assuré par l'Etat. D'ailleurs les crédits importants accordés cette année à l'Office ne doivent surtout pas être compris comme une subvention d'équilibre, mais représentent la rétribution normale d'actions menées par les fonctionnaires de l'Office pour l'Etat.

J'espère que vous accepterez les amendements de la commission pour que, après la loi de juillet 2003, la chasse dispose enfin d'un cadre juridique stable et que les passions s'apaisent (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Francis Saint-Léger, rapporteur de la commission des affaires économiques pour les dispositions relatives à la montagne - Je remercie d'abord le Président de la commission qui, encouragé par M. Coussain, a souhaité un rapport spécifique pour la montagne.

M. François Brottes - Très bien.

M. Francis Saint-Léger, rapporteur - J'ai pu ainsi analyser les parties du texte qui y sont consacrées, et me mettre à l'écoute des forces vives de ces territoires. Je remercie également M. Coussain et M. Brottes dont le rapport sur les adaptations du droit applicables à la montagne a été une base de travail appréciable, de même que celui des sénateurs Blanc et Amoudry, et la proposition de loi relative à la politique de la montage déposée en octobre 2003.

Ce projet vise à impulser une dynamique de développement à l'échelle de chaque massif, assouplir certaines contraintes législatives et réglementaires et favoriser de nouvelles activités économiques en montagne. Nous ne pouvons qu'y souscrire.

Ecoutant les propositions de parlementaires, le Gouvernement a clarifié les compétences des institutions pour organiser un meilleur dialogue. Ainsi, il crée une entente de massif, interrégionale ou sous forme de syndicat mixte lorsque des départements y sont associés. Il était nécessaire que l'Etat ne participe pas à cette institution, afin qu'elle puisse représenter les intérêts du massif face aux pouvoirs publics. Certains auraient voulu en écarter les départements, mais mieux vaut laisser s'investir toutes les collectivités qui le désirent.

Le comité de massif, renforcé, devient l'organe exécutif. Il élaborera le schéma interrégional d'aménagement et de développement prévu par la loi « montagne ». Les conventions interrégionales de massif, outil financier essentiel, tiendront compte des orientations de ces schémas.

Certains amendements ont réaffirmé les objectifs de la politique de la montagne, tels qu'ils figurent dans les premiers articles de la loi de 1985, pour rappeler tout l'intérêt que la République porte à ces territoires et à leur développement équitable. De même a été réaffirmé l'intérêt de maintenir les services de proximité en zone de montagne.

En second lieu, le projet assouplit certaines contraintes. Il simplifie la procédure des unités touristiques nouvelles. Jusqu'à présent, le préfet coordonnateur de massif autorisait leur installation après avis du comité de massif. Désormais, le préfet de département pourra accorder une telle autorisation après avis de la commission de sites, et les communes n'auront plus à être pourvues d'un plan local d'urbanisme, mais seulement d'une carte communale. En outre, les communes de montagne pourront reverser la taxe de séjour à un EPCI, pour mieux répartir les retombées du tourisme. Enfin, un amendement propose de restaurer le principe de la taxe sur les entreprises spécialement intéressées à la prospérité de la station, supprimée par la loi de finances pour 2002.

Pour desserrer plus encore les contraintes, certaines solutions de bon sens s'imposent, surtout en matière d'urbanisme. A l'initiative de M. Proriol, M. Binetruy et moi-même, la loi urbanisme et habitat de juillet 2003 a précisé la notion de hameau. Déjà, j'ai pu constater son effet dans des communes de Lozère en déclin qui, jusque-là, étaient contraintes de refuser toute construction. Dans cette logique, comme le propose un amendement de M. Ollier, il faut adapter le principe de l'inconstructibilité de 100 et 75 mètres autour des autoroutes et routes à grande circulation en montagne....

M. le Président de la commission - Très bien.

M. Francis Saint-Léger, rapporteur - ... tout en veillant à l'environnement. Dans certaines vallées étroites, cette règle interdit en effet tout développement. Il devrait en aller de même pour la bande inconstructible de 300 mètres des parties naturelles des rives de plan d'eau. Enfin, il est proposé de préciser l'ordre prioritaire d'attribution des biens sectionnaux des communes. Il faudra y revenir dans le projet de loi de modernisation agricole.

Le troisième objectif du projet est de favoriser les activités économiques en zone rurale. Les mesures incitatives dans le cadre des ZRR bénéficieront particulièrement aux régions de montagne, notamment les mesures fiscales concernant les amortissements et les exonérations de taxes locales. Il faut bien entendu que celles-ci soient compensées par l'Etat. D'autres mesures visant à favoriser l'installation de professionnels vont dans le bon sens, à preuve l'exemple de cet étudiant en médecine de Lozère que vous avez évoqué, Monsieur le ministre. Vous avez indiqué en commission vouloir conserver en ZRR l'ensemble des communes qui y sont actuellement classées.

Mais il paraît nécessaire de faire un geste supplémentaire pour ces zones. Le déclin démographique, la déprise économique et les enjeux liés à l'aménagement du territoire y sont plus importants. L'Etat doit donc y intervenir de façon plus marquée. Des dispositions ont ainsi été prises pour y favoriser le maintien d'activités essentielles à leur équilibre économique. L'une d'elles consiste à confier à l'Agence de l'eau le soin d'établir un programme pluriannuel d'incitation financière à la réalisation de travaux d'aménagement des exploitations agricoles. La montagne constitue en effet une très importante réserve naturelle en eau, qui doit absolument être préservée.

En tout état de cause, la partie du projet consacrée à la montagne a été sensiblement enrichie. La commission l'a en outre réorganisée de façon à en faciliter la compréhension.

Je ne peux que me réjouir de constater que les mesures en faveur de la montagne ont été bien accueillies par la commission des affaires économiques, et j'espère que la discussion permettra au Gouvernement de faire un geste en faveur de ces territoires aux problématiques si particulières (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - Cette intervention est presque un anniversaire puisqu'il y a dix ans, à quelques jours près, je présentais à cette même tribune le projet de loi d'orientation et d'aménagement du territoire dont j'étais le rapporteur.

Dix ans plus tard, nous en sommes toujours au même stade, les nécessités de l'aménagement du territoire ayant largement été ignorées par M. Jospin et Mme Voynet (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). La loi du 4 février 1995 avait pourtant organisé le travail pour vingt ans et créé un instrument - le schéma national d'aménagement et de développement du territoire - qui garantissait la cohérence de la politique menée dans ce domaine. Malheureusement, cette loi n'a pas été appliquée, car avec Mme Voynet, le dogmatisme a remplacé le pragmatisme (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), ce qui a eu notamment pour effet de faire du monde rural le musée vivant d'une agriculture aussi idyllique et traditionnelle que dépassée. Et pendant ce temps, les problèmes sont devenus plus aigus.

La notion d'aménagement du territoire est maintenant ancienne, nous la devons aux familles politiques qui forment la majorité d'aujourd'hui. En 1945, le Général de Gaulle confiait à Jean Monnet la lourde tâche de constituer le commissariat général au plan. En 1960, Michel Debré créait les premiers CIAT, et trois ans plus tard la DATAR voyait le jour. C'était le temps de l'aménagement conquérant du territoire.

Les trente premières années de cette politique volontariste ont permis de créer près de 500 000 emplois et de réaliser plus de 3 500 opérations de décentralisation. Hélas, en 1981, un coup d'arrêt lui fut porté (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

La loi de 1982 sur la décentralisation...

Plusieurs députés socialistes - Vous ne l'avez pas votée !

M. le Président de la commission - ...a contribué à cet immobilisme, du fait de son caractère incomplet.

L'aménagement du territoire passe par une inflexion des tendances qui conduisent à une concentration des hommes et des activités dans certaines zones. Pour réussir, il doit être pérenne. C'est en effet dans la durée que doivent s'inscrire les trois caractères fondamentaux d'une politique d'aménagement du territoire : la cohérence, la solidarité et la programmation.

En supprimant le schéma national, le précédent gouvernement a privé la France d'une référence qui était un gage de cohérence et qui constituait le seul véritable outil de prévision et de programmation.

M. François Brottes - Réinstaurez-le !

M. le Président de la commission - Le territoire ne doit pas être considéré comme la juxtaposition de collectivités et de communautés isolées les unes des autres, mais doit être regardé comme un tout, l'Etat s'y affirmant comme le garant de l'égalité des chances. Cela étant, l'initiative doit venir du terrain et non des bureaux parisiens.

L'aménagement du territoire, c'est aussi la solidarité entre les territoires, entre les villes et le monde rural - solidarité et complémentarité.

Il doit être programmé de manière structurée, étant entendu que de nombreux défis nous obligent à nous montrer vigilants mais aussi prévoyants : l'évolution européenne, la mondialisation, le respect du développement durable... Il nous faut aussi nous conformer aux ambitions affichées par le Président de la République à Ussel, en 2002.

Le présent texte répond à toutes ces attentes. Nous l'avons renforcé en commission, après des débats constructifs. Nous nous sommes parfois montrés pressants, Monsieur le ministre de l'agriculture, et cela vous a peut-être aidé à débloquer, auprès du ministère des finances, certaines situations. Je vous remercie en tout cas d'avoir répondu positivement à nos demandes. Je remercie aussi tous ceux, de la majorité ou de l'opposition, qui ont participé au débat de qualité que nous avons eu en commission. Vingt heures de discussion, plus de mille amendements : je crois que nous avons bien travaillé.

Ce projet a le grand mérite d'être interministériel. Plusieurs ministres - Mme Bachelot, M. Delevoye, que je salue - sont aujourd'hui aux côtés de M. Gaymard pour le défendre. D'autres les rejoindront, je le sais.

Les moyens destinés au développement doivent être consacrés prioritairement aux parties du territoire qui en ont le plus besoin. C'est cette idée qui fonde le dispositif des Zones de Revitalisation Rurale qui englobent aujourd'hui près de 5 millions d'habitants. Je comprends que certains déplorent que l'on privilégie ces zones par rapport à d'autres zones rurales, mais l'égalité des chances passe par l'inégalité des traitements.

Le développement harmonieux du territoire exige que soient mis en _uvre des moyens spécifiques et cumulés en faveur des territoires les plus fragiles, ceux qui se marginalisent et pour lesquels un soutien est une question de survie. Je me félicite donc des mesures introduites en commission, et visant à renforcer la fiscalité dérogatoire applicable aux ZRR. Je n'y reviens pas, puisque M. Coussain les a détaillées. Je me félicite également de la création des SIDER.

Le présent projet vise aussi à garantir une meilleure offre de services aux populations. La pugnacité de M. Delevoye nous a permis d'obtenir de belles avancées en ce domaine.

Le texte adapte le régime juridique des maisons de service public, afin notamment de permettre l'accueil de services privés. Il comporte aussi des mesures destinées à encourager l'installation des professionnels de santé et à assurer une meilleure coordination de l'action sanitaire et sociale entre les caisses de sécurité sociale.

L'un de ses objets est d'assurer la protection des espaces spécifiques ou sensibles, sujet qui m'intéresse particulièrement puisque je travaille sur la montagne depuis quinze ans. Nous avons créé en commission un groupe d'étude spécial sur ce sujet présidé par M. Brottes et dont le rapporteur est M. Coussain. Les propositions de ce groupe de travail ont été reprises par la commission et par le rapporteur M. Saint-Léger, afin de modifier la loi Montagne dans une discussion constructive avec le Gouvernement.

J'en donnerai un seul exemple : l'inconstructibilité dans une bande de 75 mètres de part et d'autre des routes à grande circulation, et de 100 mètres pour les autoroutes. La force aveugle de la loi doit ici laisser place à des possibilités de dérogations, faute de quoi, connaissant l'étroitesse de certaines vallées en montagne, plus aucune vie humaine n'y est possible ! Si l'on veut y protéger les hommes et leurs activités, il faut que le Gouvernement nous soutienne pour autoriser les dérogations nécessaires ; ce sera l'objet de certains amendements de la commission.

Nos amendements tentent également d'apporter des réponses aux problèmes de l'étalement urbain dans les zones périurbaines. D'autre part les incitations fiscales prévues pour favoriser la restructuration et la gestion durable des forêts privées sont un élément très important. D'autres dispositions doivent permettre une meilleure prise en compte des zones humides, et nous sommes allés, Madame la ministre de l'écologie, aussi loin que possible dans le sens que vous souhaitez.

Le projet comporte aussi des dispositions relatives à la chasse. Celle-ci fait partie de notre culture et de nos traditions rurales. Je me réjouis de la pugnacité du rapporteur Jean-Claude Lemoine, qui demande le simple respect des engagements pris dans cet hémicycle. Notre commission lui apportera un soutien actif sur les amendements que nous avons adoptés, et nous débattrons en vue de concilier les souhaits de la commission et les exigences du Gouvernement.

Ce projet est ambitieux, en ce qu'il tente de répondre à la diversité des problèmes et des attentes du monde rural. Je remercie M. le ministre de l'agriculture pour son écoute et son ouverture d'esprit. Je remercie également Mme Bachelot et M. Delevoye, et tout particulièrement le Premier ministre, qui a rendu possible des arbitrages en faveur des ministres ici présents. C'est dire que ce texte a retenu l'attention des plus hautes autorités, qui ont souhaité un texte ambitieux. « Là où il y a une volonté, il y a un chemin », a écrit Jacques Chirac (Sourires). Madame et Messieurs les ministres, nous saluons votre volonté de faire évoluer nos territoires ruraux. Vous pouvez compter sur le soutien de notre commission pour mener à son terme le débat que vous ouvrez aujourd'hui. Nous sommes convaincus que l'avenir de la France passe par une politique ambitieuse en faveur de la France rurale, et ce texte en sera un élément essentiel ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Emile Blessig, président de la délégation de l'Assemblée nationale à l'aménagement et au développement durable du territoire - Quant à moi, je dois ma présence à Mme Voynet, qui a créé la délégation que je préside.

M. Jean-Claude Pérez et M. François Brottes - Bel hommage.

M. Emile Blessig - Voilà qui illustre la permanence de la loi à travers les changements de majorité. Notre délégation s'intéresse à l'aménagement du territoire et au développement durable, deux domaines où intervient le présent projet. Vous avez eu l'idée originale, Monsieur le ministre de l'agriculture, de saisir notre délégation sur la base d'une note d'orientation très en amont du projet. Nous avons eu des échanges très constructifs, qui nous ont montré que votre exercice serait très difficile...

Aujourd'hui les membres de la délégation se félicitent de deux choses. La première est votre approche horizontale, interministérielle de la ruralité - indispensable à l'efficacité législative. La seconde est votre façon de prendre à bras-le-corps l'évolution de notre conception de la ruralité.

Votre projet définit des espaces et des fonctions différenciés. Ainsi, même à s'en tenir aux fonctions économiques, on peut discerner, à côté de la fonction agricole classique, d'autres fonctions : le secteur tertiaire, les très petites entreprises. Mais au-delà de l'économie il y a aussi la fonction résidentielle, et les usages touristiques et de loisir. Ce sont les trois vecteurs de l'avenir rural, sous la contrainte d'une gestion durable des ressources. A cet égard la conception de votre texte est nouvelle et intéressante.

Le temps n'est plus où l'on pensait la ruralité dans une opposition simple entre ville et campagne. A cet égard votre projet illustre les travaux de la DATAR, et notamment le rapport « Quelle France rurale pour 2020 ?», qui distingue trois types de campagne. D'abord, la campagne périurbaine, où les conflits d'usages sont fréquents. Puis ensuite les campagnes les plus fragiles, qui appellent un effort de solidarité. Et enfin, un espace plus difficile à définir, celui des « nouvelles campagnes », où les dynamismes émergents doivent être encouragés.

Votre texte répond aux préoccupations différentes de ces trois espaces. Pour la campagne périurbaine, l'enjeu principal réside dans l'aménagement et la maîtrise du foncier. Vous apportez des réponses intéressantes à ce problème, qu'il faut traiter si nous ne voulons pas que les conflits d'usage dégénèrent.

Pour les campagnes les plus fragiles, vos mesures en faveur des ZRR illustrent la solidarité nécessaire. Bien sûr les critères et le zonage ne sont pas absolument satisfaisants ; mais ce dispositif a le grand avantage d'éviter le saupoudrage, et de donner la priorité à ceux qui souffrent le plus.

Pour ce qui est enfin des nouvelles campagnes, le texte prend acte de leur diversification économique, et de la nécessité d'une égalité de traitement pour leurs différentes activités. Il prend acte aussi du fait que le monde rural ne se réduit pas à sa fonction économique, mais qu'il a aussi une fonction résidentielle : nous nous félicitons du volet sur l'habitat.

Mais qui dit activité économique et habitat dit services. Là encore le texte comporte des avancées.

Parallèlement, en intégrant le développement rural dans un texte sur la ruralité, nous le sortons d'un certain isolement, et nous démontrons que cette priorité horizontale concerne un certain nombre de domaines précis. Cette manière complémentaire, collective de légiférer est la plus efficace. Les observations des rapporteurs à ce sujet sont intéressantes.

Le temps est révolu où l'on pouvait concevoir l'aménagement du territoire comme une compétence exclusive de l'Etat. Vous avez parlé, Monsieur le ministre, d'une boîte à outils, que l'Etat met à la disposition des acteurs de l'aménagement. Ces acteurs, à l'heure de la décentralisation, ce sont aussi les communes, les intercommunalités, les départements et les régions. Il leur appartient d'utiliser ces outils dans la construction du projet de territoire qu'évoque M. Delevoye. Avec ce texte, le Gouvernement et la majorité montrent la cohérence de leur conception de l'aménagement du territoire qui, de CIADT en projet de loi, propose des orientations que les acteurs, dans leurs projets, auront à faire vivre. A cet égard ce projet est une avancée importante, sur le fond et plus encore dans la méthode (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

La séance, suspendue à 17 heures 30, est reprise à 17 heures 45.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Henri Nayrou - Ce projet a d'abord suscité intérêt et espérance, avant que n'apparaissent ses imperfections et ses carences, en particulier sur le plan financier.

Il est irrecevable aux yeux de tous ceux qui ont une certaine idée de la ruralité au troisième millénaire, et qui espéraient un grand texte fondateur, en particulier pour les élus ruraux qui espéraient de nouveaux moyens. Irrecevable, enfin, pour le monde rural que le manque d'ambition de vos propositions condamne à un abandon définitif.

Nous partageons votre état des lieux. Qui pourrait se satisfaire de la situation actuelle de nos campagnes et de nos montagnes, victimes de la déprise et de la déprime ? Mais votre texte reste une coquille vide. Il s'attache certes à résoudre quelques problèmes sectoriels et procède à quelques aménagements opportuns. Nous ne disons pas que ce n'est pas bien, mais que c'est insuffisant - et vous le savez très bien !

Le mal est si profond qu'on ne le vaincra pas avec des pistolets de paille ou des sabres de bois. Il faut une thérapie de choc englobant fiscalité, solidarité, péréquation et ressources nouvelles. Or, vous nous proposez des médecines douces, voire inoffensives. Ce cruel décalage entre les discours d'hier et la proposition d'aujourd'hui nourrit dans le monde rural un fort sentiment d'irritation et de déception que les rapporteurs ont ignoré.

Voilà un texte fourre-tout, qui ne comporte hélas aucune mesure phare. Le volet agricole est substantiel, alors même qu'une loi de modernisation agricole est annoncée pour la fin de l'année et que la ruralité des temps modernes va bien au-delà de l'agriculture. Quant aux services publics, ils sont réduits au service minimum. De nombreux amendements - y compris ceux de l'ANEM - ont été repoussés. Vous en aviez pourtant appelé à l'initiative parlementaire !

Déception également sur l'absence d'ambition, de lisibilité, et de transversalité des grands enjeux de la ruralité, notions bien présentes dans la proposition de loi de l'ANEM.

Vous avez parlé d'une boîte à outils. Ce serait plutôt, aux dires mêmes de la majorité, un étal de bricolage. M. Sauvadet, que l'on ne saurait soupçonner de collusion avec l'opposition, a estimé le 10 décembre en commission que votre projet s'apparentait à un texte portant diverses dispositions concernant l'aménagement des territoires ruraux. Ses soixante-seize articles touchent à des domaines aussi divers que les ZRR chères au président Ollier, la création d'un nouvel outil de développement - le SIDER -, le temps de travail dans l'agro-tourisme, l'agriculture, l'emploi, l'aménagement foncier, le bâti rural, les espaces naturels, les services publics - d'ailleurs aux abonnés absents - quatre articles sur la montagne et, enfin, des précisions sur les établissements publics.

M. Hervé Mariton - Mais enfin que critiquez-vous ?

M. Henri Nayrou - Compte tenu des besoins réels des 10 millions de personnes qui vivent à la campagne, cette initiative du Gouvernement demeure très en deçà des attentes des élus et des responsables d'organisations agricoles, rurales, artisanales et familiales.

Bref, la déception est à la mesure des attentes qu'avait suscitées la préparation de votre loi.

S'agissant du volet agricole, un ministre en poste rue de Varenne ne pouvait évidemment se permettre d'aborder la ruralité sans semer quelques graines pour l'agriculture. Mais dans la mesure où vous avez annoncé une loi d'orientation pour la fin de l'année, il aurait été plus cohérent de tout regrouper. En outre, l'agriculture ne représente plus que 17 % de l'emploi et de la population dans les territoires ruraux. Les ruraux qui ne sont pas agriculteurs attendaient plutôt une loi qui résolve leurs problèmes d'emploi, de services publics, de logement et de communications. Vous avez voulu contenter tout le monde : personne n'est satisfait.

Lors de son audition en commission, le président de la FNSEA a parlé d'agriculture, mais aussi de culture. Nous ne saurions cependant nous en plaindre !

Autre sujet de discorde, le problème crucial des services publics, dont la présence conditionne le maintien de l'activité en milieu rural. Or, dans ce domaine si sensible, votre loi se résume à deux mesures : l'ouverture au privé des maisons de services publics - ce qui se faisait déjà - et l'appui des collectivités locales à des maisons de soins. Mais la communauté de communes du Séronais, dans l'Ariège, vient de réaliser un centre médical d'un coût de 320 000 € grâce à une subvention de la DDR, sans avoir besoin de l'article 38 de votre projet : donnez-nous de l'argent et vous n'aurez pas à légiférer ! Un grand texte sur la ruralité pouvait-il ainsi faire l'impasse sur les services publics ?

M. le Président de la commission - En quoi le projet de loi est-il irrecevable ?

M. Henri Nayrou - Il s'agit toujours pour l'Etat d'assumer ses missions régaliennes et ses obligations de solidarité territoriale et de garantir un service universel en tout point du territoire. Ce n'est pas le secteur dans lequel votre gouvernement est le plus à l'aise ! L'application sur le terrain de votre pensée libérale amène une multitude de services publics à déserter campagne et montagne, sans faire de bruit, vouant à l'échec toute tentative de revitalisation. Vous imaginez le scénario dans lequel l'Etat affirmerait sa volonté de développer des territoires en déprise et, dans le même temps, donnerait lui-même le signal du déménagement sur ces territoires en supprimant des pans entiers des missions d'intérêt public et des paquets d'emplois.

Je reviendrai d'ailleurs sur le fossé qui se creuse entre vos dogmes et le terrain : il ne saurait en aucun cas faire de vous les champions du rural.

Autre déception, votre refus d'accepter les nombreux amendements déposés, s'agissant notamment des compensations financières.

Vous avez clairement exprimé lors de votre audition en commission, Monsieur le ministre, le souhait que votre texte soit enrichi par le Parlement.

M. le Président de la commission - C'est ce que nous avons fait !

M. Henri Nayrou - Les députés ont noté les craintes des élus ruraux face aux nombreuses exonérations qui leur seront imposées par votre texte et à la décentralisation en cours : ils savent que le pire reste à venir ! C'est au vu de ces craintes que les parlementaires de l'ANEM ont tenté d'introduire par leurs amendements équilibre et sagesse dans les articles prévoyant des exonérations fiscales sans compensation de l'Etat. Fin connaisseur de la montagne et de la campagne, le président de la commission a pourtant écarté ces enrichissements du texte.

Avec franchise, l'un des rapporteurs, M. Coussain, a déclaré regretter que, dans le cadre de la politique de décentralisation menée actuellement par le Gouvernement, il soit laissé à la charge des collectivités territoriales les moins riches les exonérations fiscales proposées, sans aucun rééquilibrage des dotations au profit des collectivités rurales. Ce partage des responsabilités financières que vous refusez, vous ne l'aviez même pas inscrit dans votre texte initial.

Mais nous avons bien compris qu'il ne s'agit pour vous que d'envoyer quelques signes avant les élections - ostentatoires ou ostensibles - au monde rural, avec un texte qui ne coûte rien au Gouvernement . Les caisses sont vides...

M. Jean Auclair - La faute à qui ?

M. Henri Nayrou - L'Europe menace et le Président de la République persiste contre vents et marées à vouloir baisser l'impôt au profit des plus aisés et au détriment des citoyens et des territoires les plus pauvres.

Les élus ruraux de la majorité remercient donc le Gouvernement de la prodigalité dont il fait preuve en leur faveur, à quelques semaines, curieusement, des prochaines élections... Mais nous ferons savoir ce qu'il en est, et vous devriez prendre garde que tout cela n'ait un effet boomerang.

Je constate enfin que ce projet manque d'ambition, contrairement à ce qu'a déclaré M. Ollier, que l'on a connu plus perspicace lorsqu'il était dans l'opposition.

M. le Président de la commission - Il est vrai que j'ai tenté, en vain, de vous convaincre !

M. Henri Nayrou - Qui avait entendu le discours prononcé à Ussel par le candidat Chirac pensait que le gouvernement compterait un secrétaire d'Etat à la ruralité...

M. le Président de la commission - A quoi bon, quand on a un excellent ministre de l'agriculture et des affaires rurales ?

M. Henri Nayrou - ...doté des moyens à la hauteur des enjeux et agissant dans un cadre transversal. J'avais moi-même proposé une disposition en ce sens en 2000, mais je n'avais pas été suivi, ce que je regrette. Je ne mets pas en cause vos compétences, Monsieur le ministre : je dis seulement qu'il y a loin des promesses à la réalité. L'anticipation devrait pourtant être la règle, d'autant que, dans votre domaine, point n'est besoin de lire dans le marc de café pour faire des prévisions. Une forte volonté politique est nécessaire, comme elle a été nécessaire à la création, il y a dix ans, d'une politique de la ville. Pour sauver le soldat rural, il faut désigner un secrétaire d'Etat ou un ministre délégué dûment référencé, comme l'est M. Borloo pour la ville et la rénovation urbaine, car le cadre interministériel ne permettra pas d'aboutir. Le consensus national sur la politique de la ville ne devrait-il pas être médité ? De fait, le développement des territoires ruraux, comme celui des zones franches urbaines, n'est pas un enjeu politique mais un enjeu de société. Comment ne pas vouloir un aménagement du territoire mieux équilibré ? Qui peut se satisfaire de zones urbaines hypertrophiées et de zones rurales désertiques ? Pour autant, les changements nécessaires supposent une vision ainsi qu'une volonté forte - ils ne résulteront pas d'incantations.

La désertification des campagnes n'est pas une fatalité, à condition que l'on tienne compte de ce que la ruralité est protéiforme. S'agissant de l'espace « rurbain », il s'agit de ne pas répéter les monstrueuses erreurs commises au cours des années 1950, en abordant la question, comme vous le faites, sous le seul aspect du foncier, alors qu'il faudrait agir bien en amont. Pour ce qui est de l'espace rural accessible, il est promis au meilleur avenir, à condition d'un développement maîtrisé. Quant à l'espace rural « profond », il doit être l'objet de toutes les attentions et de toute la solidarité d'un Etat digne de sa mission.

Il faut aussi distinguer ceux qui considèrent l'espace rural comme purement récréatif, et qui veulent donc en faire un sanctuaire, de ceux qui le conçoivent comme un espace de vie, et qui attendent désespérément les moyens de mener leurs initiatives et leurs rêves à terme. De vrais partenariats s'imposent donc, et le décloisonnement entre villes et campagnes.

La désertification rurale n'est pas une fatalité, puisque un nombre croissant de nos concitoyens sont tentés par la vie à la campagne, le dernier recensement en atteste. On aurait donc pu penser que la tâche des grands ordonnateurs de l'aménagement du territoire était simple : il leur suffisait d'accompagner le mouvement. Seulement, il est souvent compliqué de faire simple !

Outre que les grandes ambitions manquent dans ce projet, les grands éléments structurant du développement rural ne sont qu'effleurés, que ce soit l'emploi, les services, le logement ou les communications.

S'agissant de l'emploi, vous savez aussi bien que moi, Monsieur le ministre, qu'il n'y a plus d'industriels pour venir s'installer dans les vallées. L'Ariège a pris de plein fouet le lâchage de Pechiney et, dans ces conditions, il n'y a guère que les réformateurs de l'UMP qui peuvent imaginer laisser au marché la création des emplois ruraux, mais je constate qu'ils sont absents aujourd'hui.

M. Jean Auclair - Pas du tout, Messieurs les conservateurs et les champions de l'immobilisme !

M. Henri Nayrou - Je préfère de loin l'aveu du président UMP du conseil général de Saône-et-Loire, qui déclarait dans Le Monde d'hier « ne pas voir d'autres solutions que d'introduire de l'argent public dans le privé » ! Bien sûr ! Seule une intervention publique massive peut redonner quelque espoir à ceux qui survivent à peine dans les zones que les marchands désertent car le profit potentiel y est inexistant ! Bien sûr ! La seule possibilité de relance économique, ce sont les emplois aidés !

Je vous fais donc le reproche, Monsieur le ministre, de ne pas avoir accepté la proposition que vous avait faite M. Bonrepaux d'instituer des zones franches rurales, alors que tout aurait dû vous pousser à pactiser avec l'opposition, d'autant que les ZRR n'étaient pas remises en question...

M. le Président de la commission - C'est nous qui les avons créées, et je vous remercie de reconnaître leur efficacité !

M. Henri Nayrou - Pourtant, qui peut nier que le dispositif que nous vous proposions avait plus d'efficacité que votre texte n'en aura pour créer des emplois dans la vallée ariégeoise de Vicdessos-Auzat par les managers de Pechiney ?

Le deuxième pilier du développement rural, ce sont les services publics ; il y a là un cercle vicieux car il ne saurait y avoir de service public, et il serait choquant qu'il n'y ait pas de services quand il y a un public. Il revient à l'Etat, garant de la solidarité territoriale de jouer son rôle. Seulement, cela a un coût, que vous ne pouvez assumer en raison des difficultés financières dans lesquelles vous vous êtes empêtrés. Prenons l'exemple de La Poste, service public à Bourg-Saint-Maurice et entreprise à Bruxelles ! Bien entendu, les missions de service public que l'on attend d'elle ne doivent pas mettre son existence en péril, mais il n'en est pas moins vrai que l'Etat assume ses responsabilités, en cette matière, à l'égard des collectivités territoriales. Voilà ce qui aurait dû être exploré dans votre texte, au moment où commence à s'appliquer le contrat de plan Etat-La Poste qui va provoquer des dégâts considérables dans les zones rurales.

En troisième lieu, le logement est un véritable enjeu pour le maintien et l'accueil des populations. Les campagnes ont à la fois un parc vétuste et inoccupé et des candidats aux logements. Pour mettre fin à ce gâchis, il faut une volonté politique. Nous verrons si vos articles 34, 35 et 36 sont efficaces pour mettre en adéquation l'offre et la demande.

Je passe rapidement sur la quatrième pilier du développement, les communications. Déjà la loi sur l'économie numérique a montré que l'UMP attribue volontiers aux collectivités locales le rôle de dindons de la farce, ou de cochons de payants.

Et vous qu'avez-vous fait, nous dit-on ?

M. Yves Coussain, rapporteur - Rien !

M. Henri Nayrou - La majorité d'hier n'a pas à rougir de son action en faveur des territoires ruraux. Les citoyens s'en rendront compte quand ils compareront les services et l'addition. Certes, nous n'avons pas fait voter de loi spécifique. Mais à quoi sert votre loi, déjà squelettique, sans crédits ? Mieux vaut des moyens sans une loi qu'une loi sans les moyens !

Nous avons fait les emplois jeunes, bien utiles dans les campagnes (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Vous avez été contents de les recruter ! Nous avons fait voter la loi d'orientation agricole, créant les contrats territoriaux d'exploitation.

M. Jean Auclair - Quel échec !

M. Henri Nayrou - Ils sont la meilleure réponse à la mondialisation.

Pour revenir à l'habitat, les communes rurales ont su proposer les mêmes services qu'à la ville, grâce à l'intercommunalité.

M. Jean Auclair - Mais non !

M. Henri Nayrou - ....Et cela grâce à des dotations mises en place par la gauche depuis plus de dix ans. Vous semblez ne pas vous en souvenir. Je vais vous rafraîchir la mémoire.

En 1991, la loi sur le développement urbain créait la dotation de solidarité urbaine. Les députés ruraux obtinrent du Gouvernement la création d'une DFM, dotation minimale de fonctionnement, pour 24 départements. C'était de l'argent pour le monde rural dans une loi sur la ville ! Faites en autant.

La loi de 1992 sur l'intercommunalité créa la dotation de solidarité rurale et la dotation de développement rural qui, avec la loi corrective des déséquilibres régionaux, sont des mesures symboliques de solidarité territoriale. Mais l'opposition de l'époque avait voté contre.

Vous n'avez donc pas de leçon à nous donner, vous qui faites voter une loi sans moyens et vous apprêtez à pratiquer purge des fonctionnaires, gel des crédits, chute libre des budgets, dérégulation et déréglementation.

M. Hervé Mariton - C'est l'apocalypse.

M. Henri Nayrou - Autant de bonnes nouvelles que vous n'allez pas annoncer au bon peuple. Je vais le faire à votre place.

La décentralisation à la mode Raffarin est « un délestage » selon M. Poncelet. L'Etat veut repasser le mistigri aux collectivités locales qui ne pourront plus financer leur développement. La taxe professionnelle serait supprimée sans que les élus sachent quelle serait la compensation de l'Etat.

Surtout, vous aggravez la situation en appliquant votre cher libéralisme. Vous dérégulez les services, vous diminuez le nombre de fonctionnaires alors que les territoires ruraux manquent cruellement d'appuis techniques (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Vous irez expliquer à vos électeurs ruraux que leur bonheur passe par la suppression des postiers, des agents de l'EDF, des percepteurs..

M. Hervé Mariton - En tout cas, leur bonheur ne passe pas par vous !

M. Henri Nayrou - ... des agents de l'équipement ou de la DDA. Bientôt vous allez supprimer les services départementaux de la jeunesse et des sports au profit de l'échelon régional.

M. Hervé Mariton - Et cela menace le rural ?

M. Henri Nayrou - Les crédits baissent considérablement pour le logement, les transports, l'aménagement du territoire, l'agriculture.

Vous prenez les crédits du fonds de renouvellement urbain au profit du budget général, puis vous ponctionnez les offices d'HLM au bénéfice du fonds de renouvellement urbain. Comment feront-ils ensuite du logement social dans les zones rurales ?

M. Jean Auclair - Mais c'est le contraire !

M. Henri Nayrou - Et pour les contrats de pays, l'Etat n'a plus d'argent. Nous voulons aussi la vérité sur les contrats de plan. Combien de temps faudra-t-il pour désenclaver les zones rurales, pour y amener les nouvelles technologies ? La solidarité nationale a disparu. L'an prochain, les crédits du fonds national pour l'eau et l'assainissement diminueront de 40 %, comme diminuent ceux du fonds social du logement.

Tout comme les chercheurs, les zones rurales n'ont pas besoin d'une loi, mais d'argent.

Il est clair que rural ne peut pas rimer avec libéral (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Seul l'Etat peut revitaliser les zones rurales. Et on ne peut être libéral à Paris et rural dans la Maurienne.

M. Léonce Deprez - On peut être social-libéral !

M. Henri Nayrou - Vous aggravez la situation du monde rural et vous qui prétendez en être les champions, vous en serez les fossoyeurs.

Ce texte est soutenu du bout des lèvres par la majorité, combattu par nous et par la plupart des acteurs du monde rural. Mais, Monsieur le ministre, votre responsabilité n'est pas engagée, car la volonté politique est à l'Elysée...

M. Jean Auclair - Pourquoi avez-vous voté Chirac ?

M. Henri Nayrou - .. qui décide des moyens. Ni volonté ni moyens ne sont au rendez-vous. A quelques semaines des élections, il faudra toute votre habileté pour sortir de ce mauvais pas. Pendant ce temps, les gens de nos campagnes et de nos montagnes souffrent. C'est en pensant à eux que je crains que votre « bouquet rural » ne se transforme en fleurs du mal (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Yves Censi - Je partage avec M. Nayrou l'amour de nos campagnes, et nous avons la même exigence pour leur développement. Mais si j'ai apprécié la voix de l'Ariège, je ne comprends pas celle du parti socialiste. Que de contradictions ! Vous avez dépensé tellement d'énergie sous la précédente majorité pour obtenir une loi sur les territoires ruraux, sans succès. Pourquoi en dépenser autant contre ce Gouvernement qui mène une action ambitieuse, appréciée du monde rural ? Pourquoi le faire, de plus, en défendant une exception d'irrecevabilité ?

Je compatis, Monsieur Nayrou, car les contradictions dans lesquelles vous vous débattez doivent être douloureuses.

La dernière loi ambitieuse dans le domaine de l'aménagement du territoire fut celle de 1995. Aujourd'hui, nous franchissons une autre étape importante, mais entre les deux, c'est-à-dire sous le gouvernement Jospin, il ne s'est rien passé. Je comprends que vous en ayez assez de voir passer les trains, mais de grâce, ne tentez pas de les arrêter !

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont - Ne parlez pas de train en ce moment ! Je pense au Paris-Orléans-Limoges-Toulouse !

M. Yves Censi - Vous avez évoqué Pechiney, Monsieur Nayrou, mais les managers de ce groupe viennent du cabinet du Premier ministre socialiste et vous devriez donc ne pas avoir de mal à prendre contact avec eux...

Vous avez reproché au présent projet de vouloir contenter tout le monde mais au final de ne satisfaire personne. Mais j'ai le sentiment que le précédent gouvernement n'a pas, lui, essayé de contenter qui que ce soit et s'est borné à afficher un certain mépris pour les territoires ruraux.

Donnez-leur de l'argent, avez-vous dit, et il ne sera pas nécessaire de légiférer. Mais enfin, dites-moi à combien s'est chiffré l'effort financier sous la précédente législature ! La vérité est qu'il n'y a eu aucune mobilisation.

Vous fustigez notre prétendu libéralisme, mais je crois que vous confondez libéralisme et confiance accordée aux acteurs de terrain. Vous nous accusez de vouloir « passer le mistigri » mais la responsabilité n'est pas un mistigri ! Nous, nous faisons confiance aux acteurs locaux et nous pensons que c'est là une des clés de développement des territoires ruraux.

Ce dernier s'inscrit dans la durée et les difficultés ou les opportunités qu'il rencontre sont bien souvent le fruit des politiques antérieures, celles de la décennie qui précède. Mesurez donc à cette aune l'étendue de votre responsabilité.

Pour conclure, Monsieur Nayrou, je dirai que je n'ai pas noté dans votre intervention la moindre référence à une éventuelle irrecevabilité. C'est pourquoi j'appelle l'Assemblée, au nom du groupe UMP, à voter contre cette motion, en étant d'ailleurs bien persuadé qu'au fond de vous, vous approuverez la plupart des décisions que nous voterons ensuite (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Joël Giraud - Le groupe socialiste partage l'analyse de M. Nayrou sur le manque de cohérence et d'ambition de ce texte, qui en outre a le défaut d'occulter, malgré les engagements pris, des pans entiers de la politique en faveur de la montagne.

Ce texte nous est présenté au moment où les postes, les écoles et les services publics sont victimes de votre politique, ce qui rend assez indécent de parler aujourd'hui de développement des territoires ruraux !

Par cette exception d'irrecevabilité, que le groupe socialiste votera, il s'agit surtout pour nous d'exprimer notre déception face à une loi fourre-tout et dépourvue de moyens. C'est à ce titre qu'elle n'est pas recevable par les territoires ruraux qu'elle est censée aider (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Lassalle - Nous ne voyons rien dans ce projet qui puisse le rendre suspect d'irrecevabilité au regard de la Constitution et nous pensons qu'il y a urgence, pour nos campagnes, à en discuter, en espérant d'ailleurs que nos travaux le bonifieront. C'est pourquoi le groupe UDF votera contre l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. André Chassaigne - Bien entendu, le groupe CR votera la motion, d'abord parce que la démonstration de M. Nayrou a été foudroyante (Rires sur les bancs du groupe UMP), ensuite parce que les réactions qu'elle a suscitées dans les rangs de la majorité sont la meilleure preuve de sa pertinence (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Ministre de l'agriculture- Je vous remercie, Monsieur Nayrou, d'avoir évoqué la vallée de la Maurienne et ma commune natale de Bourg-Saint-Maurice. Je crois que nous partageons le même attachement envers les territoires ruraux et envers la montagne et je puis également partager certaines de vos analyses, mais je vois mal en quoi ce projet serait irrecevable.

Loin de moi l'envie de polémiquer sur des sujets qui doivent nous réunir, mais permettez-moi tout de même de rappeler que sous la législature précédente, il y a eu au moins trois coups durs portés contre le monde rural : la suppression du Fonds de gestion de l'espace rural ; la suppression des dispositions de 1995 en faveur de la pluriactivité ; et la baisse drastique des crédits destinés au logement en milieu rural, je pense notamment aux opérations programmées d'amélioration de l'habitat. Par ailleurs, les ZRR n'ont pas été activées. Le bilan de la législature précédente est donc, dans ce domaine, plutôt accablant.

Ce projet a le mérite d'être interministériel, ce qui, à mon avis, a plus de sens que telle ou telle recomposition gouvernementale. S'il suffisait de créer un secrétaire d'Etat au développement rural pour régler les problèmes de la ruralité, cela se saurait. Ce gouvernement a préféré faire du ministère de l'agriculture un ministère qui est également chargé des affaires rurales et qui travaille en étroite concertation tant avec le ministère de l'aménagement du territoire qu'avec la DATAR et toutes autres structures concernées.

En matière agricole, nous avons un certain nombre de rendez-vous importants qui s'annoncent, sur différents sujets, le tout devant s'inscrire dans la mise en _uvre de la réforme de la PAC. C'est pourquoi nous avons décidé, en concertation avec les organisations professionnelles et syndicales, de traiter séparément le développement rural et la modernisation agricole. Il y a néanmoins dans ce projet des dispositions agricoles, car certaines modifications ont été très concertées et peuvent donc s'appliquer immédiatement.

S'agissant des services publics, je crois, Monsieur Nayrou, que l'on ne peut pas à la fois avoir soutenu un gouvernement qui a pris à Lisbonne la position que l'on sait - et que vos amis altermondialistes vous reprochent abondamment - et tenir aujourd'hui le discours caricatural qui est le vôtre.

Je voudrais terminer en évoquant la décentralisation. La décentralisation Mauroy a été une bonne chose et je reconnais que ma formation politique aurait dû la voter, mais les compensations de charges accordées par les gouvernements que vous avez soutenus n'ont ensuite pas été à la hauteur, qu'il s'agisse du transport scolaire ou de l'APA. Mais nous travaillons maintenant dans un cadre juridique différent, puisque la Constitution a été modifiée de façon à garantir la sincérité financière et budgétaire de la décentralisation.

Pour toutes ces raisons, j'invite l'Assemblée à ne pas voter l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe communiste et républicain une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. André Chassaigne - Ce projet résulte d'un diagnostic que partagent, je pense, tous les députés : un malaise profond secoue aujourd'hui la France rurale. Il incombe aux représentants de la nation d'affronter ce problème et de chercher à le résorber.

Les manifestations de ce malaise sont nombreuses. Les crises sanitaires de ces dernières années ont révélé et accentué le désespoir de nombreux agriculteurs. L'industrie en zone rurale est frappée, comme en ville, par les restructurations, les fermetures de sites, mais aussi la faiblesse des formations et surtout des salaires. Rien d'étonnant, dès lors, si les habitants des régions les plus rurales, comme l'Auvergne ou le Limousin, sont ceux qui ont le plus faible revenu médian par unité de consommation. Et, au sein de ces régions, c'est évidemment dans les départements les plus ruraux que les habitants ont les revenus les plus bas. Ainsi, dans le Cantal, la moitié des habitants a déclaré en 2000 moins de 11 400 € de revenu. Dans des zones montagneuses comme le Livradois et les Combrailles, dans le Puy-de-Dôme, la moitié de la population a déclaré en 2000 moins de 10 500 €, soit un revenu inférieur de 50 % à celui des habitants de la périphérie urbaine de Clermont-Ferrand.

En ce qui concerne les services publics, la lutte remarquable menée à l'automne par les élus et citoyens de Saint-Affrique dans l'Aveyron pour obtenir le maintien d'un hôpital de proximité a montré l'attachement de nos concitoyens à ces services de proximité et aux valeurs du service public. Cette lutte, comme d'autres, a montré que ce qui relie aujourd'hui encore les citoyens à l'Etat, à la République, ce sont les services publics. C'est là que prennent encore sens des valeurs d'égalité et de solidarité, c'est là que prend toute sa dimension l'idée que les questions d'intérêt général doivent faire l'objet de politiques publiques. Or toute votre politique vise aujourd'hui à les détruire, à remettre en cause leurs statuts pour mieux contester les valeurs qu'ils portent. Toute votre politique essaie de couper les dernières attaches de nos concitoyens ruraux à la République et, de fait, à réduire l'attractivité des territoires ruraux.

Les conflits récurrents qui opposent les écologistes et les chasseurs à propos de la chasse ont révélé la profondeur actuelle du fossé culturel entre les ruraux et les citadins. Ce qui apparaît comme l'hégémonie culturelle des citadins est d'autant plus mal accepté qu'elle contribue à transformer les modes de vie et les valeurs attachées à la ruralité. Cette conflictualité latente est d'autant plus dommageable que les néo-ruraux, de plus en plus nombreux du fait de la rurbanisation, sont une chance réelle de développement pour le monde rural, par les dynamiques qu'ils impulsent et leurs exigences de qualité de vie.

Cette crise d'identité est apparue au grand jour en trouvant, aux dernières élections, un débouché politique. Les scores réalisés à la campagne par les candidats du CPNT, voire ceux du Front national, reflètent la profondeur du sentiment d'abandon ressenti par nos compatriotes ruraux.

En annonçant une grande loi pour le développement des territoires ruraux, le Gouvernement avait suscité l'espoir que la voix de la France rurale soit enfin entendue, et que le souffle d'une politique nouvelle vienne réveiller et redynamiser nos campagnes. Vous aviez en main, Monsieur le ministre, des cartes prometteuses. Le remarquable rapport de la DATAR, « Quelle France rurale pour 2020 ? », décrit bien la situation dans le monde rural, les dynamiques qui s'y développent et les perspectives de développement.

Ce rapport décrit différents scénarios d'évolution du monde rural. Un scénario au fil de l'eau trace les contours de l'inacceptable. En l'absence de volontarisme politique, notre France rurale serait condamnée à servir d'annexe urbaine, de cour de récréation, voire de lieu de stockage des déchets urbains. Un autre scénario définit les éléments d'une stratégie de développement rural durable. Lors du CIADT de septembre dernier, le Gouvernement a prétendu qu'il reprenait les conclusions de ce rapport. On n'en voit guère de traces, toutefois, dans les projets présentés. Nos campagnes ont pourtant besoin d'une politique volontariste qui ne se réduise pas à des propos incantatoires ! L'examen du présent projet montre que vous n'avez pas cru bon, Monsieur le ministre, quoi que vous en disiez, vous appuyer sur cette étude. En fait de souffle, nous n'avons que celui d'un asthmatique...

Pourtant la ruralité occupe toujours une place privilégiée dans l'imaginaire collectif français. Notamment parce que la force politique et idéologique dominante de la IIIe République, le radicalisme, voyait dans la paysannerie, non seulement une assise sociale et politique solide, mais aussi la concrétisation de son idéal politique : une République de petits propriétaires libres et indépendants. Sans doute aussi parce que la France s'est urbanisée bien plus tard que ses principaux partenaires européens et qu'elle a conservé plus longtemps des campagnes vivantes. L'exode rural n'a véritablement débuté qu'au lendemain de la grande boucherie de 1914-1918. La population urbaine n'est devenue majoritaire en France qu'en 1931. Et ce n'est qu'après guerre que l'exode rural et la modernisation de l'agriculture française se sont véritablement accélérés, ce que certains ont appelé une « révolution silencieuse ». Cela explique que les Français soient nombreux à avoir gardé des attaches avec le monde rural.

La crise qu'affronte celui-ci résulte de ces évolutions économiques et sociales. Les mutations de l'agriculture ont aussi transformé l'identité nationale et républicaine. Le sentiment d'abandon qu'éprouvent beaucoup de nos concitoyens ruraux est aussi lié au fait que la ruralité n'est plus constitutive de l'identité républicaine : nul aujourd'hui ne penserait à représenter la République en « semeuse »...

On affirme pourtant que le déclin démographique du monde rural serait enrayé. Le dernier recensement l'a confirmé, de plus en plus de citadins recommencent à investir les territoires ruraux. Mais cette évolution ne doit pas masquer les fractures nouvelles. Au sein même des espaces ruraux, les communes proches des villes n'ont pas les mêmes problèmes que les zones rurales isolées, souvent situées en moyenne montagne. Dans les espaces périurbains, l'évolution démographique favorable ne signifie pas que la question de la revitalisation rurale est en passe d'être résolue. Ces espaces ne sont en effet que l'extension des agglomérations et le résultat des mutations urbaines. Les déplacements alternés entre ces lieux de vie et les lieux de travail situés en centre ville montrent que les espaces périurbains, comme les espaces ruraux isolés, sont confrontés à la question de leur développement : ils ne parviennent pas à en concevoir un qui soit autonome.

Quant aux campagnes isolées, malgré tous les beaux discours sur l'aménagement du territoire, elles sont toujours confrontées à la démission des pouvoirs publics. Ceux-ci sont en proie à une tentation diffuse que résume le sinistre aveu du géographe Jacques Lévy : « oser le désert »... Ces territoires, amputés de leurs forces vives, sont conduits au déclin et contraints, souvent sur leurs propres deniers, d'en aménager les conséquences : en quelque sorte, ils financent eux-mêmes la morphine pour accompagner leur mort lente. Force est de le constater, votre projet ne suscite aucun espoir d'un retour de la solidarité nationale.

Le manque d'ambition de l'Etat en matière d'aménagement du territoire devient criant. On a brassé beaucoup d'air au CIADT du 3 septembre, consacré à la ruralité. Mais il n'en résulte aucune mesure concrète pour stopper la casse de nos services publics. Et tout ce qu'on a trouvé pour réduire la fracture numérique, c'est de faire payer les collectivités territoriales ! Les territoires ruraux, en déclin économique, devront financer pour une bonne part un équipement payé dans les villes par les opérateurs privés ! Il est inacceptable de faire payer par les secteurs les plus fragiles les équipements que d'autres ont obtenu gratuitement. La responsabilité d'éradiquer les zones blanches devrait incomber aux seuls opérateurs de télécommunications.

Si la majorité des représentants politiques du pays tient ainsi un double langage, cela résulte évidemment de son acceptation de la politique européenne de libéralisation, d'une ouverture des marchés qui ne peut conduire qu'au démantèlement de nos services publics. Comment parler de développement des territoires ruraux, tout en laissant dévoyer l'idéal européen de coopération pacifique entre les peuples et en faisant de cette Europe le cheval de Troie du libéralisme sauvage, du développement de la misère et des inégalités territoriales ?

Plus qu'une discrimination positive, les territoires ruraux demandent d'abord une égalité de traitement et de respect du principe d'égal accès au service public. Mais la France rurale est tellement délaissée que ses problèmes sont isolés du reste du territoire national. Alors qu'il serait urgent de dépasser les oppositions entre villes et campagnes, vous ne recherchez plus de réponses globales concernant l'aménagement du territoire : après que le CIADT de septembre ait été spécifiquement consacré à la ruralité, le suivant, trois mois après, a occulté complètement cette question. La solidarité nationale promise en septembre est enterrée en décembre. Le Gouvernement a certes confirmé son soutien de principe à quelques projets structurants, mais il a surtout confirmé sa volonté de ne pas les financer et d'en déléguer la charge aux collectivités territoriales. Est-ce indifférence devant la demande d'égalité qui monte de la France rurale, irresponsabilité en matière de solidarité nationale, inconséquence ?

Tous ces territoires restent confrontés à la question de leur développement économique. Leurs habitants aspirent à ce que leurs régions vivent. Ce devrait être notre objectif, mais force est de constater qu'en cédant en juin dernier, à Luxembourg, aux chants des sirènes libérales, le Gouvernement s'est résigné à transformer le monde rural en espaces naturels aseptisés. Certes, l'agriculture n'est plus l'activité principale dans les territoires ruraux, mais parce qu'elle en est encore « le c_ur battant », vous n'aviez pas le droit d'engager le pays dans un programme de destruction des dernières structures familiales, à peine six mois avant de débattre d'une loi censée favoriser le développement du monde rural. La démission de Luxembourg est une porte ouverte à la spéculation foncière et la concentration capitaliste des terres.

Des grands mots ? Pas du tout. L'introduction de ce « paiement unique par exploitation » permettra aux propriétaires fonciers de toucher des aides sans lien avec une quelconque production. En prenant en compte la baisse des prix, il s'agit d'un véritable soutien public à l'abandon des terres et à l'extinction progressive de l'agriculture en France. En considérant que ces aides découplées seront versées sur un montant de référence correspondant aux aides reçues pendant la période 2000/2002, il ne reste plus grand-chose des atours environnementalistes de la réforme de la PAC. Les exploitations intensives qui touchent beaucoup d'aides aujourd'hui continueront à en toucher autant, les exploitations extensives de montagne et des marges du Massif Central auront les miettes.

Les conséquences de cette réforme sur le marché foncier seront incalculables. La valeur marchande des terres sera aussi fonction, désormais, du montant des aides qui leur sont attachées. C'est un boulevard pour la spéculation foncière et la hausse du prix des terres notamment dans les régions où l'agriculture est aujourd'hui la plus développée. L'installation de jeunes agriculteurs en sera entravée : seuls les agriculteurs déjà richement dotés pourront acquérir ces terres, et puis, par nécessité économique, prendre un statut de société. Nous nous orientons vers un système agricole capitaliste qui emboîte le pas aux pays du groupe de Cairns favorables à une libéralisation à outrance.

Les militants politiques et syndicaux du monde rural revendiquaient naguère « la terre à ceux qui la travaillent ». Ce modèle d'une agriculture familiale, que d'autres appellent aujourd'hui, édifiant pléonasme, « agriculture paysanne », est encore le nôtre, parce qu'il est le moins inégalitaire et le mieux à même d'assurer un développement économique durable. Privilégier de petites et moyennes exploitations, c'est détruire moins d'emplois et mieux respecter l'environnement.

Avez-vous décidé, Monsieur le ministre, de tourner définitivement le dos à ce modèle agricole ?

L'agriculture n'est pas la seule activité en zone rurale et le développement des campagnes passe aussi par le développement de l'industrie ou des services.

Or, le secteur agroalimentaire fera les frais des évolutions du marché agricole. La réforme de la PAC aura aussi des conséquences sur toute la filière agroalimentaire : le secteur coopératif en sera fragilisé. Le reste du secteur privilégiera avant tout le profit, et comme vient de le faire la société Doux en Bretagne, n'hésitera plus à déserter la France pour les grandes propriétés des pays du groupe de Cairns ou d'Europe centrale.

Les autres secteurs industriels continueront de faire les frais du repli de l'Etat : tant que rien ne facilitera le crédit aux entreprises ou l'assainissement des rapports entre les sous-traitants et leurs donneurs d'ordres, je crains que nous ne puissions espérer aucun développement industriel en France, a fortiori en zone rurale.

Reste le mirage des nouvelles technologies. Je parle de mirage, car à force de laisser nos industries de télécommunications abandonner leurs missions de service public, nous ne sommes pas près de bénéficier en zone rurale des services de téléphonie mobile et d'internet à haut débit, sans lesquels aucune nouvelle industrie ne s'implantera.

M. Jean Dionis du Séjour - Douteux. Douteux.

M. André Chassaigne - Sans vivier industriel ou agricole, les activités de services ne pourront se développer, à moins de faire de nos territoires ruraux de simples parcs d'attraction, ce que personne ne veut dans nos campagnes.

La discussion de ce projet aurait dû montrer qu'il ne s'agit pas de céder au fatalisme, et que nous pouvons espérer pour nos campagnes.

Et nous discutons de mesurettes et de dispositions techniques sans cohérence.

Nous ne voulons pas imaginer que l'indigence de ce projet résulte d'une décision politique réfléchie. Les syndicats et les organisations agricoles, les associations d'élus ruraux, les associations intéressées par le développement rural auraient pu l'enrichir. Ils n'ont semblent-ils pas été entendus, à supposer même qu'ils aient été consultés.

En outre, le volet agricole de ce texte a été remis à une hypothétique nouvelle loi d'orientation agricole en 2005. Il est donc isolé de la problématique globale de développement local que ce projet était censé développer ! Comment peut-on parler d'agriculture lorsque l'on débat du développement rural ? Le saucissonnage de ce débat est aberrant et témoigne de la vacuité de votre politique pour le monde rural.

En outre, si l'on excepte quelques exonérations fiscales supplémentaires, sans compensation pour les collectivités locales, il n'est pas prévu de lâcher un euro pour des territoires en grande difficulté quand leur développement exigerait au contraire d'en appeler à la solidarité nationale.

Ce projet ne vise qu'à accompagner les mutations socio-économiques actuelles et en aucun cas à favoriser un développement durable des territoires ruraux. Il respire la résignation.

M. Hervé Mariton - Et vous, le désespoir.

M. André Chassaigne - Les multiples décisions gouvernementales de fermeture de services publics illustrent le renoncement des autorités publiques quant à l'aménagement du territoire. Les privatisations, les ouvertures de marché accentuent la concurrence et réduisent les interventions publiques..

Toute fermeture nouvelle de services hospitaliers...

M. Jean Auclair - Merci pour les 35 heures !

M. André Chassaigne - C'est curieux, cette obsession... Toute fermeture d'école, de bureau de poste condamne davantage le développement rural. Il eût été judicieux de proposer un moratoire or, depuis deux ans, nous assistons plutôt à l'accélération du démantèlement des services publics. Là, vous jouez « gros bras ».

M. Jean Auclair - Pas autant que M. Jospin.

M. André Chassaigne - Dans ces conditions, aucune famille ne s'installera en zone rurale.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont - Très bien.

M. André Chassaigne - L'attractivité du monde rural et le maintien d'une population jeune exigent aussi une offre culturelle que les services de l'Etat désormais délaissent. Les festivals d'été disparaissent, les cinémas ont toujours plus de difficultés à survivre.

La demande est pourtant forte pour habiter à la campagne, mais la faiblesse de l'offre locative ne permet pas d'y répondre. Le danger est grand de ne favoriser que les couches moyennes et supérieures et de rejeter nos concitoyens aux revenus modestes dans les ghettos urbains. Le retour des retraités dans les campagnes dont ils sont originaires, l'arrivée de populations, notamment d'Europe du nord, en quête d'une meilleure qualité de vie, renforcent ce problème.

Ainsi, des mesures doivent être prises pour permettre aux collectivités locales et aux OPHLM de développer une offre de logements sociaux en nombre suffisant. Cela suppose de relancer les aides à la pierre et de financer des aides nouvelles. Les moyens manquent pour rénover le bâti existant et limiter le mitage de l'espace communal.

Dans ce domaine du logement comme dans bien d'autres, les décisions du Gouvernement pèseront sur le devenir des territoires ruraux.

Loin de chercher à ralentir les évolutions économiques et sociales à l'_uvre dans nos campagnes, ce projet semble même les accélérer : certains articles concernant l'agriculture ne cherchent qu'à faire sauter les verrous législatifs à l'agrandissement des exploitations, et donc à précipiter l'accumulation capitaliste et foncière dans nos campagnes, ce qui est inacceptable.

Ce projet ne répond donc ni aux promesses du Gouvernement, ni aux attentes de nos concitoyens. En aucun cas il ne constitue une chance pour le monde rural. Je vous invite donc à voter la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Hervé Mariton - Notre collègue vient de nous démontrer qu'il y avait matière à débattre. Vous vous êtes livré avec beaucoup de conviction, Monsieur Chassaigne, à une intéressante description... mais quel désespoir !

Vous et vos amis socialistes, que proposiez-vous hier, que proposez-vous aujourd'hui ? Des structures, toujours plus, là où nous voulons encourager les initiatives ; des méthodes fumeuses là où nous préférons faire simple ; des contraintes là où nous préférons des solutions ; le désespoir et le mépris là où nous préférons la confiance ; l'incantation là où nous préférons le résultat.

Vous avez évoqué l'école. Dans ma circonscription, rurale s'il en est - sa plus petite commune a un habitant - l'école à classe unique d'une petite commune avait fermé il y a quelques années à l'initiative d'un gouvernement socialiste. Elle a rouvert à la dernière rentrée. Notre volonté et nos résultats sont les mêmes s'agissant du service au citoyen, par exemple avec la résorption des zones blanches en téléphonie mobile ou le développement d'ADSL.

Certes, vous n'êtes pas toujours de mauvaise volonté. Nous sommes minoritaires dans nos camps politiques respectifs, mais la différence, c'est que nous, nous arrivons à nous faire entendre. La gauche, dans sa majorité, ne croit pas au monde rural (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). C'est pour elle un mal nécessaire auquel il faut survivre le temps d'une majorité. Les rares d'entre vous qui y croient ne sont pas entendus.

Nous, nous prenons l'initiative. Il n'y a pas de méthode miracle. Du moins proposons-nous des solutions et nous engageons-nous à des résultats. Il faut débattre de ce projet. C'est pourquoi l'UMP votera contre cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Claude Perez - Notre collègue Mariton a dû se laisser distraire. Autrement il aurait évité ces contrevérités et ces propos infâmants pour les élus ruraux. S'il avait écouté M. Chassaigne, il aurait entendu que ce texte, qui a suscité l'espoir, déçoit aujourd'hui : il est loin des conclusions du CIADT et ne promet aucune solidarité nationale. Il brasse de l'air : dépourvu de moyens financiers, il ne porte aucune ambition pour l'aménagement du territoire et le développement rural. Fait de mesurettes, pâle et sans saveur, il respire la résignation. Le groupe socialiste votera donc la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Lassalle - Pour les mêmes raisons qu'à propos de l'exception d'irrecevabilité, le groupe UDF votera contre (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. le Ministre de l'agriculture - Merci, cher André Chassaigne, d'avoir évoqué le Livradois cher à Alexandre Vialatte. Merci pour votre conviction et pour votre passion pour le monde rural. Cela dit, je ne partage pas du tout votre vision de la politique agricole européenne. Vous la présentez comme ultralibérale. M. Lula da Silva, au nom du Brésil, et bien d'autres pays ont précisément dit le contraire à Cancùn. Nous devons donc défendre ce modèle européen fondé sur des exploitations familiales, des productions de qualité et le développement rural, auquel une conférence était consacrée il y a quelques semaines à Salzbourg. La réforme de la politique agricole commune aboutira d'ailleurs à renforcer son deuxième pilier, le développement rural.

Depuis dix-huit mois, nous avons singulièrement accru les moyens de la politique agricole dans les zones les moins favorisées - augmentation des indemnités compensatoires du handicap naturel, augmentation de 70 % de la prime herbagère agro-environnementale. En ce qui concerne l'élevage, nous avons obtenu à Luxembourg le maintien du couplage à 100 % de la PMTVA réclamé par l'ensemble des organisations d'éleveurs, notamment dans le Massif central.

Entre le CIADT de septembre et celui de décembre, il y aurait eu, dites-vous, un déménagement du territoire et les annonces n'auraient pas été suivies d'effets. Mais nombre de mesures sont entrées en application depuis le CIADT de septembre. La loi de finances pour 2004 exonère les ZRR de l'impôt sur les sociétés, autorise un amortissement accéléré des investissements immobiliers et en paraboles satellitaires et ouvre le bénéfice du FCTVA pour la téléphonie mobile.

Le décret du 28 novembre 2003 a défini les critères des zones médicalisées et les modalités de la prime d'installation des médecins en milieu rural. L'expérimentation des schémas de services publics dans les départements a commencé. 44 millions d'euros sont prévus pour la téléphonie mobile et 100 millions d'euros pour le haut débit.

Le CIADT de décembre a décidé la réalisation de plusieurs infrastructures ferroviaires et routières attendues de longue date.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement vous invite à rejeter cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

M. le Ministre - Je propose à l'Assemblée d'observer une minute de silence à la suite de la catastrophe qui vient de se produire en mer : un chalutier de Guilvinec a été perdu. Les recherches se poursuivent, mais il y a déjà deux victimes. Je veux dire notre solidarité aux familles éprouvées dans l'exercice de ce métier difficile. Il ne faut jamais baisser la garde sur la sécurité en mer.

M. le Président - Le Parlement ne peut que s'associer à votre demande, à laquelle beaucoup d'entre nous, notamment Mme Lebranchu, députée du Finistère, et moi-même, sommes très sensibles.

Mmes et MM. les députés et M. le ministre se lèvent et observent une minute de silence.

RÉUNION DE COMMISSIONS MIXTES PARITAIRES

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre des lettres m'informant qu'il avait décidé de provoquer la réunion de commissions mixtes paritaires sur les dispositions restant en discussion de projet de loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française et du projet de loi complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française.

Prochaine séance, ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 30.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE


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