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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 50ème jour de séance, 128ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 20 JANVIER 2004

PRÉSIDENCE de M. Marc-Philippe DAUBRESSE

vice-président

Sommaire

      DÉBAT SUR L'AVENIR DE L'ÉCOLE (suite) 2

      ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 21 JANVIER 2004 24

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

DÉBAT SUR L'AVENIR DE L'ÉCOLE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite du débat sur l'avenir de l'école.

Mme Martine Billard - La réalité de cet hémicycle, à cette heure, témoigne du peu d'intérêt que suscite ce débat !

M. Eric Raoult - Parlez pour vous !

Mme Martine Billard - Nous ne sommes que quatre parlementaires présents.

Monsieur le ministre, vous avez ciblé quatre problématiques : motiver les élèves, lutter contre les violences scolaires, lutter contre l'échec scolaire, diversifier les parcours. Mais est-il possible de dissocier ces questions de l'évolution de la société ?

Croyez-vous réellement à la sanctuarisation de l'école ? L'aggravation des inégalités sociales, ces dernières années, a alimenté, à tort, le procès de l'école, rendue responsable de maux qui n'ont d'autre source que notre société à la recherche perpétuelle du profit. Malgré cette situation dégradée, l'école a su accueillir tous les jeunes. Gardons-nous de tenir un discours catastrophique sur la baisse du niveau scolaire dans les écoles publiques. La maîtrise de la grammaire et de l'orthographe restent stables, alors que les rédactions et l'apprentissage des langues vivantes s'améliorent, même s'il reste beaucoup à faire.

Le principe de l'égalité républicaine devant l'école est bafoué. La publication dans la presse du palmarès des écoles publiques, en particulier des lycées, influence les parents dans leurs choix. Mais tous n'ont pas cette possibilité, et les jeunes ont le sentiment que leur origine sociale les stigmatise au point de figer leur future place dans la société, ce qui ne peut que les démotiver dans l'apprentissage scolaire.

Face à la raréfaction de l'emploi et à l'explosion du nombre de diplômés, le patronat pèse sur les programmes scolaires pour que les jeunes entrent de plus en plus tôt sur le marché du travail, souvent même avant le CAP ou le BEP.

Les stages valorisent les diplômes, mais, obtenus le plus souvent grâce aux relations personnelles, ils reproduisent les inégalités sociales.

Il faut renforcer les efforts dans les zones d'éducation prioritaire pour compenser l'inégalité des chances. Plutôt que d'instituer une discrimination positive, il faut lutter contre la discrimination à la formation ou à l'embauche, qu'elle soit sociale, raciste, misogyne ou homophobe.

Il faut revisiter les programmes scolaires qui véhiculent encore trop souvent des idées stéréotypées et sexistes.

Il faut alléger les programmes et favoriser les apprentissages collectifs, les échanges interdisciplinaires, l'éducation civique.

Il faut diversifier les cycles scolaires, car tous les enfants ne progressent pas au même rythme, et assouplir les cursus.

Il faut revoir le temps de travail pour que les élèves puissent travailler en petits groupes, mais aussi individuellement, avec un tuteur.

Beaucoup donc reste à faire. Les Verts ne nourrissent guère d'illusions sur la politique du Gouvernement. La baisse des impôts, qui se traduit par des coupes budgétaires, le non-remplacement des départs à la retraite des enseignants issus du baby-boom, le non-remplacement des instituteurs absents - comme à Paris, en ce moment -, sans parler du fait que l'Etat se décharge sur les collectivités territoriales du personnel non enseignant, tout cela fait craindre que l'Education nationale ne sorte en lambeaux de cette législature.

Pourtant, la grandeur d'un pays se reconnaît à l'investissement qu'il consacre à l'éducation de ses enfants.

M. Eric Raoult - Ce débat aura eu lieu dans les préaux, comme dans cet hémicycle, et vous avez préféré le dialogue au monologue, Messieurs les ministres. Ce débat, sans précédent, aura permis d'échanger, d'éclairer, d'expliquer.

Vous avez su renouer avec les enseignants, qui ont retrouvé une considération oubliée. L'apaisement a remplacé l'embrasement et, conscient d'être allés trop loin, les enseignants sont redevenus des hommes et des femmes de réflexion et de suggestion.

Depuis dix-huit mois, alors que vous proposiez d'agir, on vous enfermait dans la caricature. Dans mon département, en tête de tous les retards, nous avons vécu le déferlement. Parce qu'il fallait répondre, nous avons, avec plusieurs collègues, choisi de vous soutenir, pour que ne triomphe pas la tentation de l'immobilisme.

Vous avez su lancer, avec succès, le grand débat sur l'école, sous l'autorité de Claude Thélot. Ce débat a lieu sans exclusive, car débattre de l'école n'est le monopole de personne. Sans barrières ou tabous, chacun a pu apporter sa pierre à l'édifice. Ce débat a eu le mérite de restaurer l'écoute, le dialogue et d'ouvrir une nouvelle étape, celle de l'action.

En ma qualité de député de banlieue, ayant dans ma circonscription des communes comme Montfermeil ou Clichy-sous-Bois, vous me permettrez d'insister sur les zones « sensibles » où quatre tendances se dégagent.

Tout d'abord, l'absentéisme scolaire, face auquel les enseignants restent impuissants.

Ensuite, l'illettrisme - dans les cités, beaucoup de jeunes de moins de 20 ans ne maîtrisent pas plus de deux cents mots.

Puis, le recul du nombre de diplômés au niveau d'une classe d'âge, accompagné d'une dégradation de la qualité et de la maîtrise des savoirs fondamentaux.

Enfin, le dossier récurrent de la violence scolaire, les derniers évènements du Havre en témoignent. Vous avez du reste, Monsieur le ministre, judicieusement nommé auprès de vous un parlementaire en mission, M. Christian Demuynck, sénateur de Seine-Saint-Denis.

Cette violence revêt plusieurs visages. Celui de la délinquance ordinaire, les vols, les rackets. Celui de la violence sur les jeunes filles : est-il besoin de rappeler les effets psychologiques et physiques d'un viol répété sur une jeune fille de seize ans ? Celui encore du racisme et de l'antisémitisme. Maire d'une commune qui accueille des jeunes issus d'origines religieuses ou étrangères différentes, j'impose des mesures draconiennes de sécurisation aux abords des écoles pour éviter les affrontements.

Les insultes sont courantes : or, on commence par une injure antisémite et l'on finit par brûler une école, comme à Gagny.

Parallèlement, les inégalités et les disparités se creusent. De nombreux établissements scolaires deviennent des « écoles ghettos ». L'école ne joue plus son rôle de cadre pour l'égalité des chances, de lieu d'apprentissage de la vie en société, d'ascenseur social.

Ce nouveau défi de l'école, c'est en réalité celui de la République ! Le Président de la République l'a rappelé, « l'école, c'est l'instrument par excellence de l'enracinement de l'idée républicaine ». Ce débat complexe, il faut le prendre à bras-le-corps. C'est ce que vous avez fait, en ouvrant le débat aux parents d'élèves, aux familles, à tous les enseignants, aux élèves.

Monsieur le ministre, vous êtes venu, il y a quelques mois, dans ma ville du Raincy pour assister au débat organisé au lycée René Cassin. Avec sa proviseure, Mme Nicole Pernet, vous avez écouté les familles et les enseignants, durant près de trois heures. Ils s'en souviennent encore. La Seine-Saint-Denis, vous l'avez constaté, n'est pas si violente que cela.

Voici donc venu le temps de l'action, qui passe par la réaffirmation de certaines priorités. Assurer l'égal accès de tous au savoir. Lutter vraiment contre la violence, assurer la maîtrise des savoirs fondamentaux, et enfin rendre confiance aux enseignants. Un sur cinq exerce en zone d'éducation prioritaire. Souvent frais sortis de l'IUFM, ils déchantent vite. Être élève du lycée Camille Guérin de Niort, ce n'est pas être élève du collège Louise Michel de Clichy-sous-Bois ; y être enseignant non plus.

Il faut également mieux mettre en adéquation éducation et politique de la ville, comme vous avez commencé à le faire avec M. Borloo, en intégrant les projets de zone dans la politique de la ville et en assurant une meilleure liaison entre contrats de ville et contrats éducatifs locaux. C'est ainsi que l'on rendra son sens à la belle expression « Ecole de la République », qu'on rétablira la confiance avec la communauté éducative et qu'on pourra agir plus efficacement contre les inégalités. Ayons pour projet de faire « l'école des villes ». Grâce à ce débat, grâce à vous, nous y réinstallerons la République (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jean-Claude Beauchaud - Enseignant pendant toute ma carrière, je ne pouvais que participer à ce débat utile. Encore fallait-il qu'il permette des échanges réels. Vous vous êtes félicité de sa tenue et de son contenu. Pour ma part, j'ai constaté une participation inégale mais toujours faible. Ainsi, dans tel lycée professionnel de ma circonscription, sur sept cents invitations seuls vingt professeurs et deux parents d'élèves sont venus.

M. Alain Néri - Ils avaient tout compris, ceux-là.

M. Jean-Claude Beauchaud - Est-ce la complexité de certains textes - au demeurant fort bien préparés - ou un manque de confiance ? Est-ce le fait de n'aborder que quatre des vingt-deux thèmes ? Certains ont eu un sentiment d'inachevé.

On attribue pour missions essentielles à l'école de transmettre les savoirs pour assurer la formation de l'esprit civique, l'insertion sociale et l'insertion professionnelle. Mais ces missions ne sont pas hiérarchisées et chacun privilégie une priorité différente. Il est du devoir de l'Etat de fixer la hiérarchie des missions voulue par la nation, avant d'y affecter les moyens nécessaires.

Dans le cadre de la décentralisation, les établissements devraient être plus autonomes. Le ministère de l'éducation nationale exercerait un contrôle a posteriori. Cependant, il serait préjudiciable d'y superposer la tutelle des collectivités territoriales.

Il est de bon ton aujourd'hui de dire qu'il ne sert à rien de donner à l'école plus de moyens. C'est une vision caricaturale. En Charente par exemple, les effectifs diminuent et les crédits aussi. Mais en fait, comme on ne saurait remettre en cause ceux des établissements ruraux et des ZEP, ce sont les autres qui subissent toute la baisse.

La formation dispensée dans les IUFM doit certainement être adaptée. Mais surtout il est inconcevable de jeter dans l'arène certains enseignants vacataires ou contractuels sans formation préalable. Comment s'étonner ensuite des échecs et du manque de candidats, surtout dans les matières scientifiques ?

En tant qu'élu local, je dois souligner combien l'adaptation aux normes, l'équipement, notamment informatique, pèsent lourdement sur les budgets des collectivités locales. Depuis le plan Jospin de dotation informatique, l'Etat n'a jamais abondé les financements. Les aides-éducateurs, qui contribuaient à l'utilisation des technologies modernes et à des interventions plus individualisées, ont représenté une bouffée d'oxygène. Vous avez programmé leur disparition. Est-ce aux collectivités à assurer le financement de leurs remplaçants ? Les conséquences seraient lourdes sur le plan fiscal, et l'écart irait croissant entre communes riches et pauvres. Il est donc de la responsabilité de l'Etat de répondre à ces besoins pour assurer l'égalité.

Faire une loi doit servir à assurer l'égalité des chances dans une seule école pour tous, sur tout le territoire.

Mme Claude Greff - Nous sommes bien d'accord.

M. Jean-Claude Beauchaud - Mais vous ne le faites pas. Par les baisses massives des effectifs enseignants, vous portez un mauvais coup à l'école. Votre projet de loi nécessitera toute notre vigilance (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Xavier Bertrand - Organiser ce grand débat était un défi. Pourtant, on a bien donné la parole aux Français, justifiant le mot de Claude Thélot : l'école est l'affaire de la nation et pas seulement de spécialistes. Un million de Français se sont approprié ce débat. On doit cette réussite à votre volonté politique, ainsi qu'à Claude Thélot et à sa commission, qui ont organisé 15 000 forums et su recourir à internet.

Le débat fut passionnant. Il a prouvé qu'il n'y avait pas d'idées reçues sur l'éducation.

Mme Claude Greff - Tout à fait !

M. Xavier Bertrand - L'UMP a souhaité organiser sa contribution en interrogeant les Français de son côté. Nous avons reçu 10 000 questionnaires et 250 000 contacts sur notre site. Ce débat ne fut en rien tourné vers le passé, et ne s'est absolument pas limité à la question des moyens. A l'évidence, pour les Français, l'école est plus une question d'ambitions et de priorités. Enfin, on s'est moins intéressé aux « pourquoi » qu'aux « comment », moins aux problèmes qu'à leurs solutions, dans un esprit très positif.

Les défis d'hier ont été relevés : en deux générations, le nombre de bacheliers a été multiplié par dix, les effectifs ont augmenté de 40 %, la qualification des professeurs s'est améliorée de façon spectaculaire. Les défis d'aujourd'hui sont tout autres. 158 000 jeunes sortent chaque année de l'école sans qualification, 15 % sont illettrés, la violence gangrène certains établissements, le malaise s'est installé chez les enseignants.

Nous avons un certain nombre de pistes à proposer. D'abord, l'école est le lieu de l'apprentissage et les Français veulent en priorité qu'à la sortie du primaire, tous les enfants sachent lire, écrire et compter. Pour cela, il faut détecter les difficultés dès le cours préparatoire. La loi devra assurer cet apprentissage des savoirs fondamentaux.

En second lieu, il faut ouvrir l'école aux parents, en définissant leur place. Elle doit aussi s'ouvrir sur l'Europe et favoriser la maîtrise par nos jeunes de plusieurs langues étrangères. Elle doit enfin s'ouvrir sur l'entreprise. A ce titre, l'alternance doit se développer.

Autre thème essentiel du débat, comment mieux vivre ensemble à l'école et cela passe notamment par la promotion du respect de l'autre et par la défense de la laïcité. Nous devrons veiller à ce que la loi d'orientation prévoie bien l'enseignement du fait religieux, tant il est vrai que l'intolérance se nourrit de l'ignorance... (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Eric Raoult - Bravo !

M. Xavier Bertrand - Nombre de nos interlocuteurs ont insisté sur la nécessité de rendre nos écoles plus sûres. Pour y parvenir, l'autorité des chefs d'établissement doit être renforcée et il doit leur être possible, comme l'a suggéré récemment le ministre de l'intérieur, de s'adresser à un policier référent.

Les valeurs républicaines gravées au fronton de nos écoles doivent imprégner le c_ur et l'esprit de nos jeunes. L'instruction civique doit être enseignée partout avec la même détermination...

Mme Claude Greff - Enfin !

M. Xavier Bertrand - ...et pourquoi ne pas étendre l'initiative que nous avons prise à Saint-Quentin de faire flotter sur chaque établissement scolaire les drapeaux français et européen ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Il faut aussi penser aux enseignants et les aider à retrouver toute leur place dans notre société. Nous avons pu apprécier leur esprit d'ouverture et nous devons être attentifs à leurs légitimes revendications. La réforme des IUFM est attendue, l'accès à la formation tout au long de la vie professionnelle doit être facilité et des possibilités de reconversion en fin de carrière doivent être ménagées à ceux qui le souhaitent.

Ce débat valait la peine d'être lancé et il était utile d'y participer. Les parlementaires de l'UMP ont été au rendez-vous pour en faire un débat pour agir. Sachons dépasser les clivages d'un autre temps et les slogans faciles, et bâtissons ensemble une école de bon sens. C'est à ce prix que sera renouée la confiance entre la nation et l'école. Cette confiance, Monsieur le ministre, nous la sentons. Et vous pouvez compter sur celle du groupe UMP ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Nathalie Gautier - Monsieur le ministre, votre politique est un exemple de renoncement et de défaut d'ambition : suppression de 9 000 postes de MI-SE (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) non-reconduction de 20 000 aides-éducateurs, suppression de 2 500 postes de stagiaires administratifs, refus de créer des postes d'infirmier, d'assistant social ou de médecin scolaires, suspension des aides aux projets d'action culturelle... La liste est longue et ce sont les communes qui doivent suppléer le désengagement de l'Etat pour aider les écoles.

Sous couvert de dédoublement des CP, vous avez supprimé les postes REP et il aura fallu toute la vigilance de la communauté éducative pour mettre au jour ce funeste tour de passe-passe ! Quant aux assistants d'éducation que vous nous promettez, soyons sérieux ! Il est prévu dans le département du Rhône de n'ouvrir que dix postes alors qu'une trentaine d'emplois-jeunes intervenaient avec profit dans les seules écoles de Villeurbanne ! Il faut favoriser ceux qui ont le plus de besoins. Les équipes éducatives des collèges situés en quartiers sensibles ou classés en ZEP sont inquiètes. Seront-elles à même demain d'assurer l'égalité des chances comme elles s'y sont toujours efforcées ? Qu'en sera-t-il des classes de soutien dont le sort semble compromis ?

Votre politique consiste à dénigrer toutes les innovations des professeurs tendant à favoriser la réussite des enfants issus des milieux populaires. En créant les ZEP en 1981 - et leur utilité n'est guère contestée -, Alain Savary s'était fixé pour ambition de donner plus à ceux qui ont moins. Est-ce toujours la logique qui prévaut ?

Les établissements scolaires des quartiers populaires ne connaissent pas, loin s'en faut, que des échecs. Il convient de restaurer leur image et d'y stabiliser les équipes enseignantes, de sorte que l'élite issue des milieux populaires puisse aller le plus loin possible. Toutes les initiatives en ce sens doivent être soutenues. J'ai la chance d'avoir dans ma circonscription un collège classé en ZEP disposant d'une classe européenne et c'est une réussite !

Nous voulons une école de la réussite pour tous, pas une école de la sélection...(Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Une école de la relégation...

M. Eric Raoult - Mme Billard est battue !

M. Patrick Roy - La vérité fait mal !

M. Yves Durand - Et le ministre qui ricane encore !

Mme Nathalie Gautier - L'école doit répondre à sa vocation de creuset des valeurs républicaines, ouverte aux élèves de toutes origines. L'objectif est que tous nos jeunes accèdent au niveau de formation requis à la fin de la scolarité obligatoire, car si notre société a su démocratiser l'accès à l'école, elle n'a pas su mettre la réussite à la portée de tous. On ne réduira pas cette véritable fracture sociale avec moins de moyens...

M. Michel Bouvard - Pas du tout ! Lisez les rapports de la Cour des comptes à ce sujet !

Mme Nathalie Gautier - Accepter la logique de sélection, c'est se résigner à l'inégalité des chances entre citoyens d'en haut et citoyens d'en bas. Les objectifs que vous prétendez assigner à l'école doivent être validés par la représentation nationale. Avec la loi d'orientation de 1989, nous avons voulu placer l'élève au c_ur du système. Nous sommes fiers de continuer à défendre cette ambition (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Frédéric Reiss - Le débat national sur l'avenir de l'école fait étape à l'Assemblée nationale et je m'en réjouis. Partout en France, depuis novembre dernier, enseignants, parents, élèves - trop peu sans doute -, éducateurs et autres chefs d'entreprise ont contribué à ce grand brassage d'idées qui dégagera les lignes directrices d'une loi d'orientation pour le XXIe siècle. Le constat de départ est sévère puisque chacun s'accorde à considérer que l'école remplit mal son rôle de vecteur de la promotion sociale. Dans son ouvrage déjà ancien, Le bonheur d'apprendre et comment on l'assassine, François de Closets relevait que « la jeunesse suit une scolarité difficile, un enseignement déculturé et une sélection impitoyable pour obtenir des diplômes dévalués ». Le malaise de l'école n'est donc pas récent et il suscite des passions parfois violentes. Trop investie, notre école s'est vue confier trop de missions, parfois contradictoires. On a empilé matières et options. A force de zapper, on a fini par vider de toute substance l'acte d'enseigner. A l'école comme ailleurs, « la perfection ne consiste pas en la multitude des choses qu'on fait, mais à les bien faire ». Je cite là Saint-Vincent-de-Paul.

M. Eric Raoult - En toute laïcité !

M. Frédéric Reiss - Depuis trop longtemps, les acquis fondamentaux ont été négligés. Les efforts actuels devront donc être intensifiés pour vaincre le fléau de l'illettrisme. Les syndicats et la gauche continuent à réclamer toujours plus de moyens. De décennie en décennie, les dépenses d'éducation nationale n'ont pas cessé d'augmenter et, paradoxalement, l'échec et la violence scolaires ont suivi la même courbe (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Aujourd'hui un enseignant passe plus de temps à faire le gendarme et à créer des conditions d'écoute satisfaisantes qu'à dispenser un savoir à ses élèves (Mêmes mouvements).

Si, au cours du débat national, certains parents ou non-spécialistes de l'éducation se sont un peu perdus dans les vingt-deux questions posées, la discussion a été riche. Tous ceux qui ont voulu la parole ont pu la prendre. Le travail de synthèse sera sans doute difficile, mais la convergence des réflexions fera émerger des pistes pour l'avenir de l'école.

Le débat n'a subi aucune censure. Un élu local a pu affirmer que « la violence est entrée à l'école avec les parents ». Cette réflexion, excessive, a permis de discuter de la place des parents à l'école. Comment ne pas comprendre cette mère pleine de bonne volonté qui ne savait pas quelle attitude adopter pour accompagner la scolarité de ses enfants. Si elle s'y intéresse de trop près, les enseignants la considèrent comme une enquiquineuse ; si elle laisse faire, la voilà démissionnaire. Des relations de confiance entre parents et enseignants ou administration sont salutaires lorsqu'un enfant rencontre des difficultés. Des conflits sont toujours préjudiciables à sa scolarité. Aussi faut-il chercher des solutions dans une confiance mutuelle.

Certains prônent le retour des devoirs à la maison. Pourquoi ne pas suggérer un quart d'heure quotidien d'attention non partagée pour chaque enfant ? Pour un enfant, la perception que ses parents ont de l'école est déterminante pour sa réussite. Des cours de cuisine ouverts aux parents ont été suggérés par certains d'entre eux.

Le collège unique, qui fut la réponse à la démocratisation de l'enseignement, a montré aujourd'hui ses limites. Que proposer à des professeurs qui doivent faire face à des élèves de 4e et de 3e totalement à la dérive, dont certains savent à peine lire, accumulent les lacunes et régressent à mesure que l'année avance ? Notre système scolaire fabrique des chômeurs en puissance. Il faut que cesse l'orientation par l'échec ! Nous sommes aujourd'hui à un tournant. Ce n'est pas en généralisant les itinéraires de découverte que l'on s'en sortira. Lorsqu'on a tout essayé en vain pour mettre à niveau les élèves, en fin de 5e, il est temps de leur proposer autre chose. L'intelligence de la main permettrait à ces élèves une valorisation différente ouvrant sur une réussite (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Nos ministres, je le sais, font tout pour valoriser la voie professionnelle et diversifier les parcours. Tous les talents manuels, artistiques ou sportifs doivent être traités avec une égale dignité à côté d'une culture plus académique. L'alternance, telle qu'elle existe actuellement, ne va pas assez loin. Pourquoi ne pas créer des classes spécifiques dans lesquelles les élèves concernés progresseraient à leur rythme ? La pédagogie différenciée creuse en fait le fossé entre les élèves qui progressent normalement et ceux qui peinent. Réformer en profondeur le collège unique est désormais devenu indispensable.

L'autorité à l'école est devenue une question majeure. « Quelqu'un qui respecte les mômes n'a pas besoin de s'imposer », déclarait récemment Gabriel Cohn-Bendit. Encore faut-il que les élèves respectent de leur côté les professeurs ! Mais cela ne se décrète pas. Les facultés de contact avec les jeunes sont indispensables. Un enseignant, pour être respecté, doit être respectable.

Restaurer l'autorité passe aussi par une redéfinition du rôle et du statut des chefs d'établissement, et par l'affirmation des pouvoirs des conseils de classe et des conseils de discipline.

Des enseignants enthousiastes et pédagogues ne demandent qu'à s'impliquer dans la rénovation de l'école. Il faut leur rendre hommage et motiver ainsi les jeunes pour prendre leur relais.

Il serait bon également de repenser les fins de carrière. Enseigner est harassant. Les dernières années avant la retraite pourraient ouvrir à d'autres fonctions au sein de l'école.

Avec l'arrivée de la cyberculture et des technologies galopantes, avec la chute de l'autorité parentale et le spectre du chômage, le rôle de l'école est plus déterminant que jamais. En un siècle, la société s'est profondément transformée. Mais les valeurs de générosité, de respect, de tolérance, d'honnêteté méritent d'être réactivées (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Sylvie Andrieux-Bacquet - Débattre de l'avenir de l'école est important, mais ne doit pas masquer votre bilan de deux ans de gestion désastreuse.

Nous déplorons, pour commencer, que vous vous désintéressiez à ce point de l'école maternelle. Pourtant l'entrée à l'école maternelle constitue pour beaucoup d'enfants la première expérience de la vie en société, et conditionne souvent leur réussite future.

La loi n'oblige pas à scolariser son enfant dès l'âge de deux ou trois ans, mais l'évolution de la société et l'activité professionnelle des parents ont conduit à ce qu'aujourd'hui près de 100 % des enfants de trois ans et un tiers des enfants de deux ans soient scolarisés.

De plus, l'augmentation des naissances a transformé l'entrée à la maternelle en véritable enjeu démographique, qui appelle des mesures concrètes et efficaces. C'est pourquoi le gouvernement de Lionel Jospin avait engagé des moyens financiers supplémentaires (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) pour accueillir les plus petits à l'école. Au contraire, vous avez délibérément choisi de favoriser la garde individuelle de l'enfant, ce qui ne profite qu'aux ménages les plus aisés (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Aux sacrifices budgétaires vous ajoutez un désintérêt flagrant envers l'école maternelle, puisque M. Darcos se demandait ici même s'il ne fallait pas ralentir la scolarisation des enfants de deux ans. Dans ce cas, il vous faudrait augmenter les capacités d'accueil en crèches. Dans les zones défavorisées ou pour les familles modestes, l'école maternelle n'est pas une option, c'est une nécessité. Quand un maire refuse de créer des places de crèche supplémentaires, comme c'est le cas à Marseille (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)...

Vous êtes donc tous Marseillais ? Je l'ignorais ! Quand donc il n'est pas possible d'accéder à une garde individuelle, ne reste qu'une solution : l'école maternelle. Ajoutez une démographie en croissance, et vous obtenez une situation bloquée, voire dramatique : des frères et des s_urs que l'on sépare (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) faute de pouvoir les inscrire dans la même école ; des bibliothèques transformées en salles de classe ; des bâtiments préfabriqués installés dans les cours de récréation. Dans ma circonscription, je suis sollicitée en permanence par des parents désemparés qui voient arriver la rentrée scolaire avec angoisse, car aucune école maternelle publique ne peut accueillir leur enfant.

M. Eric Raoult - Que fait le conseil général ? Que fait la région ?

Mme Sylvie Andrieux-Bacquet - Je ne savais pas que les écoles dépendent de la région !

Solution ultime, l'école priée atteint elle aussi ses limites. Je ne pense pas me tromper en disant que nous avons tous quelqu'un, dans notre entourage, réduit à devoir rédiger une véritable lettre de motivation pour obtenir une place.

Préparer la réussite future de nos enfants, c'est d'abord s'occuper d'eux dès leur plus jeune âge. Cela suppose plus de moyens financiers.

M. Michel Bouvard - Nous y voilà !

Mme Sylvie Andrieux-Bacquet - C'est ainsi seulement que nous pourrons réduire les inégalités.

Cela suppose que les besoins soient clairement recensés afin que les communes puissent réagir rapidement. Cela suppose plus de recrutements pour assurer un encadrement suffisant.

Cela suppose avant tout du courage et de la volonté de la part de l'Etat. L'école de la République commence dès la maternelle : refuser son accès à des enfants, même en bas âge, c'est bafouer délibérément ses principes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Marie-Jo Zimmermann - Le débat national sur l'avenir de l'école, voulu par le Président de la République et le Premier ministre, lancé par vous, Messieurs les ministres, s'est achevé vendredi dernier. Pour citer Le Figaro, le débat fait étape aujourd'hui à l'Assemblée. Contrairement à certains de mes collègues qui jugent cette étape inutile, je vous remercie d'avoir prévu cet échange. Il fallait que la représentation nationale s'exprime, non seulement dans les réunions publiques, mais aussi dans l'hémicycle où nous votons la loi.

Ce dialogue ouvert à tous était nécessaire. Depuis de nombreuses années, ce débat nous était promis. Vous avez eu le courage de l'organiser, ce qui n'était pas tâche facile. Messieurs les ministres, vous avez compris que l'école doit demeurer une priorité. Elle représente le premier budget de l'Etat ; il est important que nous nous penchions sur ses difficultés.

Trois thèmes ont été retenus par la Commission nationale du débat : « Comment faire travailler efficacement les élèves ? », « l'adaptation de l'école à la diversité des élèves » et « la prise en charge des élèves en grande difficulté ». Ces thèmes relèvent tous d'une même problématique : l'accueil d'un public perçu comme difficile et hétérogène.

Mais, devant tous les élèves, qui est le moteur du système éducatif ? C'est l'enseignant. Or, on a fort peu parlé de la redéfinition de son métier, de la formation, du recrutement et des carrières.

Mme Claude Greff - Tout à fait !

Mme Marie-Jo Zimmermann - Il faudra, quand nous examinerons la loi d'orientation, revenir sur ces questions (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Seulement 45 % des enseignants ont participé à ce débat. Cette profession traverse une crise de confiance, et nous avons l'obligation de réagir rapidement. L'Etat doit se montrer exemplaire. A ceux qui donnent corps à l'école, nous devons accorder une considération particulière. Il est vital pour l'avenir de notre pays que tous les talents qui choisissent l'école le fassent par vocation et non par défaut.

M. Yves Durand - Très bien !

Mme Marie-Jo Zimmermann - L'école est au service des élèves, certes, mais l'élève a évolué. Sa capacité d'attention a changé. Il zappe en cours aussi bien que sur le petit écran. Et l'enseignant doit s'adapter en permanence, non seulement à l'élève, mais à la classe entière.

Les parents aussi ont changé. Les uns, forts de leur cursus universitaire, voudraient dire à l'enseignant comment il doit exercer son métier ; les autres se démettent de leurs responsabilités les plus élémentaires. Ainsi, le monde enseignant est-il dans l'obligation de s'adapter. Il est aujourd'hui primordial de s'intéresser au métier d'enseignant. Il faut apporter un soutien matériel au jeune professeur qui occupe son premier poste. Il faut réformer les IUFM afin d'améliorer la formation initiale, qui doit donner sa juste place à la pratique et à l'expérience. Il faut réfléchir aux obligations des services, s'agissant de la réussite des élèves. Il faut prévoir non seulement aide et soutien, mais aussi une évaluation transparente qui mette en avant aussi bien les difficultés rencontrées que les succès obtenus. Enfin, les enseignants doivent pouvoir approfondir leurs connaissances tout au long de leur carrière, ce qui signifie leur reconnaître un droit individuel à la formation.

Il faut en somme permettre à l'enseignant d'exercer son métier avec d'autres moyens. Le malaise est réel. Nous ne pouvons nier un moindre respect de la fonction enseignante, une dégradation de la relation entre le maître et l'élève comme des rapports entre enseignants et parents.

On a trop demandé à l'école et aux enseignants, devenus des éducateurs spécialisés, des assistantes sociales et des agents de sécurité... Aujourd'hui l'école doit se concentrer sur sa véritable mission. Il nous faut renouer le dialogue avec ceux qui forment les citoyens de demain.

M. Michel Bouvard - Très bien !

Mme Marie-Jo Zimmermann - La nation doit leur donner les moyens de remplir leur mission. Ils doivent pouvoir compter sur l'Etat.

L'école doit être la fierté de la République. Elle a accueilli des générations toujours plus nombreuses, qu'elle a amenées à des niveaux de formation toujours plus élevés.

Grâce au dévouement et à la compétence des enseignants, notre pays a décuplé en cinquante ans la proportion des jeunes titulaires du baccalauréat.

Nous devons explorer toutes les pistes pour redonner à ces fonctionnaires le plaisir et la fierté d'enseigner. Il nous faut leur manifester aussi la reconnaissance de la nation. Tel est le message que je souhaitais adresser au Gouvernement, en tant que parlementaire et ancienne enseignante (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. Yves Durand - Elle dit le contraire du ministre, mais c'est très bien !

M. Eric Raoult - Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

M. Patrick Roy - Vous voyez, à cette tribune, un homme en colère.

En colère, parce qu'il y a mystification et injustice ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

M. Ghislain Bray - C'est « Vidéogag » !

M. Patrick Roy - Ces ricanements ne vous font pas honneur.

Chez moi, dans le Nord où le chômage de masse a fait des ravages, où l'école est souvent la dernière résistance collective, nous avions réussi à scolariser les enfants de 2 ans au taux moyen de 65 % (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Dans ce territoire meurtri, ce n'est pas un luxe.

Mais, pour des logiques politiciennes, pour des logiques budgétaires, vous avez décidé de remettre en cause la scolarisation des enfants de deux ans. Vous appliquez une politique de droite là où il faut une grande politique nationale (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Alors qu'on nous annonce 2 400 élèves de plus dans les écoles, vous supprimez 49 postes ! Telle est votre logique.

Le recteur du Nord, votre recteur, a commencé par déclarer, première attaque, qu'il ne voulait « pas de Bac + 5 pour surveiller des enfants qui dorment », puis, il a rappelé que le ministère n'était pas obligé d'accueillir les enfants de deux ans. Enfin, troisième attaque, vous supprimez des postes. Vous êtes le parti du renoncement (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Alors que l'insécurité est le fonds de commerce de votre gouvernement, vous avez décidé de licencier là où tout se joue.

Votre conception de la citoyenneté, de la lutte contre les violences scolaires, c'est d'abord la suppression de l'encadrement adulte auprès de nos élèves. Nous l'avions dénoncé l'an dernier, vous l'avez fait ! La disparition des aides-éducateurs est très mal vécue par les établissements. Je suis aussi conseiller général, je suis interpellé par les équipes éducatives. Le constat est le même partout : il y a de moins en moins d'adultes.

Où nous avions mis dans un collège dix adultes, vous supprimez cinq postes au minimum.

Dans ma région, le recteur annonce trois départs pour une arrivée. Alors, Messieurs les ministres, allez-vous enfin admettre le fiasco de cette politique ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP). L'école est un ciment qui lie les Français entre eux. Ne lui envoyez pas une entreprise de démolition (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Bernard Perrut - L'école de la République est le symbole de la connaissance et le creuset de l'égalité des chances. Tous les enfants, sans discrimination, doivent pouvoir accéder aux mêmes valeurs, à la même culture.

L'école transmet le savoir : c'est la plus noble de ses missions. Nous sommes sensibles à la qualité du travail des professeurs, à leurs préoccupations. Leur rôle doit être revalorisé.

L'école d'aujourd'hui n'est plus un sanctuaire. Elle est confrontée au doute, aux difficultés, à la violence. Le débat que vous avez engagé, Messieurs les ministres, est une chance pour la France. Il contribue à la constitution de l'école de demain.

Comment motiver les élèves, comment recentrer l'école sur ses vraies missions ? Favoriser l'égalité des chances doit être une priorité. J'espère, sur ce point, un consensus. Comme l'écrivait Bernanos, « on ne subit pas l'avenir : on le fait ». Nous devons préparer l'école aux défis à venir.

Nous ne voulons pas d'une école à deux vitesses, mais comment apporter plus aux plus défavorisés ? Vous avez fait de la lutte contre l'illettrisme une priorité. Il est en effet inacceptable que près de 15 % des élèves entrant en sixième ne sachent pas lire et écrire correctement. Les parents ont aussi un rôle à jouer dans la transmission du goût de la lecture, dans la formation des jeunes.

Des pistes sont à envisager, comme le développement des ateliers d'écriture ou d'expression, la généralisation de l'informatique comme moyen ludique d'apprendre à lire.

J'ai remarqué combien les parents sont inquiets quand l'accès au baccalauréat régresse, quand des jeunes sortent du système scolaire sans diplôme ni qualification. Il serait souhaitable d'introduire à l'école une culture professionnelle, une sensibilisation au monde de l'entreprise. Ne faudrait-il pas permettre aux élèves qui le souhaitent, dès la cinquième, de suivre une formation professionnelle ? Trop longtemps, l'enseignement professionnel a été dévalorisé. Chacun doit pouvoir s'épanouir.

Mme Sylvie Andrieux-Bacquet - Très bien !

M. Bernard Perrut - Ne pourrait-on établir un partenariat renforcé entre parents et enseignants ? Les parents pourraient ainsi, chaque trimestre, retirer le bulletin scolaire de leur enfant auprès d'un professeur mandaté.

L'acquisition des savoirs demande la mise en place de pratiques pédagogiques performantes et adaptées.

Il est de plus urgent de restaurer l'autorité et d'assurer la paix dans nos écoles.

Enfin, à l'heure où l'on parle de décentralisation, sachons encourager toutes les initiatives des élus, des professeurs, des parents. Pouvons-nous envisager pour nos établissements plus de souplesse et plus d'autonomie, des contrats d'objectifs entre chaque école et l'Education nationale ?

Mme Sylvie Andrieux-Bacquet - Programme ambitieux !

M. Bernard Perrut - Si nous sommes ce soir des élèves studieux, nous attendons encore les bons résultats à venir. Alors, travaillons ensemble (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Sylvie Andrieux-Bacquet - Très beau discours.

M. Jean-Claude Guibal - Je prends le risque d'être excessif, et peut-être injuste. Telle qu'elle est, l'école n'est plus l'école. A trop vouloir s'ouvrir sur la société, elle s'est confondue avec elle, renonçant à sa mission première. Il lui arrive donc ce qui arrive à la société : l'une et l'autre sont emportées et déstructurées par l'action conjointe du rousseauisme et de l'économisme.

Apprendre à apprendre, telle est la fonction irremplaçable de l'école, qui implique respect du travail et de l'effort. Or, tout se passe comme si l'école y avait renoncé, tant elle privilégie le bien-être de l'enfant plutôt que son épanouissement intellectuel.

L'école n'est plus ce lieu sacré voué au perfectionnement de l'homme. Factotum de la société, elle produit des agents économiques immergés dans une culture de masse. Plutôt que de démocratiser la connaissance et la culture, on a introduit la démocratie dans le fonctionnement de l'école. Les élèves assimilent désormais la démocratie à l'expression de leurs convictions personnelles plus qu'à la recherche de valeurs communes. Ils en sont arrivés à contester les savoirs au nom d'une improbable démocratie d'opinion.

En instaurant avec l'enfant des relations d'égalité, l'école a remis en question la supériorité de l'éducateur, par ailleurs déjà rétrogradé dans la hiérarchie des prestiges sociaux. Les formes anciennes de l'autorité y sont devenues impraticables. Or, fondée sur l'inégalité des savoirs entre le maître et l'élève, l'autorité est indissociable de la transmission des connaissances.

M. Jacques Myard - Très bien !

M. Jean-Claude Guibal - Dans la salle de classe, vérité et autorité ont lentement laissé la place à la conviction et à la discussion. Résultat, 45 000 adolescents sont illétrés. Un échec aussi patent justifie à lui seul notre débat. Il faut insister sur l'apprentissage des données essentielles et renoncer à l'objectif factice d'un taux de réussite de 80 % au baccalauréat.

La finalité première de l'école n'est pas de divertir l'élève mais de le préparer à grandir. Certes, elle doit également préparer à l'exercice d'un métier. Dans certains cas, d'ailleurs, elle y parviendrait mieux en n'étant pas obligatoire, sauf en alternance, après l'âge de 14 ans. Mais elle peut d'autant moins se réduire à cette approche utilitariste qu'elle n'est plus qu'un lieu parmi d'autres où l'élève apprend et que l'apprentissage des techniques se fait désormais tout au long de la vie. Le temps de la scolarité est celui où l'on peut apprendre à apprendre, apprendre à penser, apprendre à être un citoyen, bref apprendre à devenir soi-même. Ce serait une faute que de le gâcher.

L'école doit aider l'élève à devenir un homme libre capable de raisonner, de juger et de décider par lui-même. La culture et le savoir, l'héritage et la critique, qui passent par la maîtrise des fondamentaux sont, à ce titre, fondamentaux. L'école doit respecter la liberté de l'enfant, mais par le travail. L'école ne doit pas être un simple lieu de vie. « L'apprendre » doit remplacer « le faire ». Les valeurs spirituelles, mais aussi intellectuelles, éthiques, les valeurs de civilisation doivent prévaloir sur les valeurs marchandes.

L'école doit retrouver sa mission d'instruction et d'éducation. Elle doit aussi retrouver son autorité. Kant résumait ainsi le but ultime de la relation de maître à élève : « Prouver à l'élève qu'on exerce sur lui une contrainte qui le conduit à l'usage de sa propre liberté, qu'on le cultive afin, qu'un jour, il puisse être libre ». C'est sur ce chemin que notre école redeviendra l'école de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Henri Nayrou - Je dresserai un tableau plus réaliste que le précédent ! La France est malade de son système éducatif où tout le monde doute - les élèves, les parents d'élèves, les enseignants, et le Gouvernement lui-même -, comme en témoigne cette démarche à tâtons qui nous conduira, au mieux dans le vide, au pire dans le mur.

Nous n'allons pas cautionner ce débat, mais l'utiliser pour vous dire vos quatre vérités, et j'aborderai surtout le problème de l'éducation dans le monde rural.

L'enjeu est de taille, puisqu'il s'agit d'élaborer, avant la fin de l'année, une nouvelle loi d'orientation. Mais comment l'imaginer, alors qu'aucun bilan n'a été dressé de la précédente, que les mesures budgétaires menacent l'avenir de l'école, et que 4 000 postes d'enseignants seront supprimés à la rentrée 2004 ?

Inquiets, de nombreux élus, associations et parents d'élèves se mobilisent. L'Education nationale se doit d'encourager les partenariats avec l'ensemble des acteurs du milieu rural, afin d'assurer l'égalité des chances aux élèves des petites communes rurales et de consolider les structures scolaires.

Malheureusement, la qualité de l'enseignement, sa diversité et l'égalité d'accès semblent compromises. Je refuse de cautionner un tel débat.

M. Jacques Myard - N'importe quoi !

M. Henri Nayrou - Les enfants ont besoin d'être heureux et équilibrés pour recevoir, et à cet égard, l'école rurale est un exemple.

Vous fermez les collèges ruraux, vous baissez les crédits aux associations de jeunesse et d'éducation populaire, et vous videz ainsi nos communes rurales.

Pendant une trentaine d'années, les regroupements pédagogiques intercommunaux ont rempli leur rôle. Aujourd'hui fragiles, ils s'apparentent davantage à des regroupements « économiques » sans compensation de charges pour les collectivités territoriales dont l'implication financière augmente.

Il est urgent de donner davantage de moyens financiers à l'école, mais vous n'en prenez pas le chemin (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jacques Myard - Monsieur le ministre, votre tâche est exaltante, car l'école porte le berceau de la République. Après la mère, le maître ou la maîtresse enfante une seconde fois un être en l'éveillant à la connaissance.

L'école et la République vont de pair, comme le diplomate et le soldat selon Vigny, l'un n'étant rien sans l'autre. L'école est le socle de la nation. Elle est le fidèle reflet de notre image, de nos atouts et de nos faiblesses. Elle traduit notre identité, et la projette dans l'avenir.

M. Yves Durand - Jusque-là, pas de problème.

M. Jacques Myard - « Les profs pensent qu'ils n'ont pas d'influence observait Keynes, mais il se trompent, ils ont une influence à 30 ans ». Et c'est vrai que nous ne vivons rien d'autre aujourd'hui que les utopies de soixante-huitards en manque de réformes. La question de l'école n'est pas une question de moyens !

M. Michel Bouvard - Très bien !

M. Jacques Myard - Elle les a largement, avec près de 71 millions d'euros, premier budget de la nation, loin devant la défense nationale.

M. Yves Durand - Heureusement !

M. Jacques Myard - Laissons de côté les braillards qui réclament toujours plus et encombrent le débat des cris d'orfraie de leur incompétence avérée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La question de l'école est compliquée, mais je veux saluer d'abord le dévouement et le travail des membres de l'Instruction publique. Pourtant, il y a bien une crise, elle est qualitative et non quantitative. Je souhaite rappeler quelques idées fortes. D'abord, restaurons l'autorité des maîtres, en considérant l'enfant comme un être doué de raison, avec des droits, mais surtout des devoirs, dont celui d'apprendre.

Mme Claude Greff - Tout à fait !

M. Jacques Myard - C'est une réalité à rétablir, chez les parents eux-mêmes. Restaurer l'autorité des maîtres, c'est aussi restaurer l'autorité de leurs décisions, et notamment celles des conseils de discipline qui, depuis le précédent gouvernement peuvent être contestées devant les tribunaux. Belle aubaine pour les avocats en mal de causes ! Il faut rétablir la souveraineté des conseils de discipline (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste).

Il faut aussi rétablir l'autorité des chefs d'établissement, afin de leur donner une véritable fonction de direction et de discipline.

Seconde idée forte, l'école est d'abord un lieu de transmission des savoirs - lire, écrire, compter - en français. Cessons de jouer avec toutes les idées à la mode, comme l'apprentissage d'une langue étrangère sans effort. L'école primaire est le domaine du savoir fondamental, et il est inadmissible que le quart des élèves de 6e ne maîtrise pas la langue française. Ils auront tout le loisir d'apprendre une langue étrangère avec un dictionnaire, à l'adolescence.

M. Alain Néri - Lui, au moins, il dit ce qu'il pense !

M. Jacques Myard - Au collège et au lycée de transmettre les savoirs fondamentaux que tout homme moderne doit connaître. Là encore, tenons-nous en à l'essentiel, les valeurs du pacte républicain. La République n'est pas une auberge espagnole. Elle est fondée sur des valeurs simples, la discipline de soi, le respect de l'autre, l'amour de la patrie, et le mérite.

M. Alain Néri - Roulement de tambour !

M. Jacques Myard - Dernière idée forte : s'adapter. L'école identique pour tous est un leurre qui creuse les inégalités. En revanche, l'école doit s'adapter en fonction des élèves, sachant qu'elle n'est que le premier pas d'un apprentissage permanent.

Monsieur le ministre, le navire que vous pilotez porte nos espérances, il a besoin d'un gouvernail solide et d'un homme ferme à la base pour surmonter les obstacles. « Il n'est pas de bon vent à qui ne sait où est le port », disait Sénèque.

Pas besoin de révolution, quelques idées fortes suffiront (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Yves Durand - Vous en avez d'autres comme celui-ci ?

M. Daniel Prevost - Ce débat, véritable exercice de démocratie directe, permet de jeter les bases d'une nouvelle loi d'orientation sur l'éducation. Il a mobilisé plus d'un million de personnes - enseignants, élèves, associations, parents d'élèves. Certains thèmes furent récurrents : la motivation et l'efficacité du travail des élèves, la lutte contre la violence et les incivilités, les valeurs de l'école, la laïcité, la formation et le recrutement des enseignants.

Afin de tracer un nouveau chemin pour l'école, « de grands objectifs ont été retenus » comme l'a dit le Président de la République : inculquer dès le plus jeune âge les savoirs fondamentaux, restaurer l'autorité, ouvrir l'école aux handicapés, aux familles, aux entreprises, transmettre les valeurs républicaines, utiliser au mieux les ressources exceptionnelles que l'Etat consacre à l'Education.

Après dix ans de léthargie du ministère et vingt ans de réformes inabouties, l'école, paralysée par une crise de confiance, a besoin d'un nouveau souffle. Elle ne peut être le domaine d'un camp, mais a besoin des efforts de tous, ce que les socialistes n'ont pas compris puisqu'ils ont organisé un « contre-débat » qui a été un fiasco.

Lire, écrire, compter sont la première priorité ; sans maîtrise de la langue, il n'y a pas de réussite scolaire. Or 65 % des élèves seulement réussissent aux évaluations de sixième. Il faut mieux intégrer les actions contre l'illettrisme aux projets d'école et y sensibiliser les enseignants dans les plans académiques de formation. Toujours à l'entrée en sixième, le taux de réussite aux évaluations de mathématiques est également de 65 %. Il faut mettre en place une double évaluation dès le primaire et suivre les élèves en difficulté. Le Président Chirac a invité les écoles à s'engager dans une culture d'objectifs avec une obligation de résultat et une évaluation digne de ce nom.

M. Yves Durand - Cela ne veut strictement rien dire !

M. Daniel Prévost - Tous les enfants, y compris les handicapés, doivent accéder à l'accomplissement personnel.

Par ailleurs, la maîtrise des langues est une priorité.

M. Alain Néri - Dites-le à M. Myard !

M. Jacques Myard - Au collège et au lycée !

M. Daniel Prévost - Dès l'école élémentaire l'élève doit être sensibilisé aux langues, gage d'ouverture, mais il faut aussi respecter les langues régionales et la diversité culturelle. Elu de Bretagne, je souhaite que l'on consacre des moyens à la promotion de la langue bretonne.

Il faut aussi faire un bilan de l'orientation, qui est décisive, afin de bien en situer les mécanismes et les acteurs, pour améliorer ces services.

Aujourd'hui, dix fois plus d'élèves parviennent au bac qu'il y a cinquante ans. Il faut rendre hommage à ceux qui les ont formés. Mais la profession est devenue moins attractive, en raison de la violence, du manque de respect. Pour revaloriser la fonction, il faut restaurer l'autorité. Ce doit être une priorité de la loi d'orientation. D'autre part, l'éducation civique commence à la maison. Certains parents en difficulté s'en remettent parfois aveuglément à l'école. Ce grand débat doit permettre de trouver les meilleurs équilibres, dans le souci de la réussite des élèves (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Huguette Bello - En vingt ans, l'école a connu une profonde mutation à la Réunion, comme en témoignent les effectifs, les constructions, le taux de réussite aux examens. Mais il faut désormais enrayer les échecs, trop importants, et faire face à de nouveaux problèmes. Le nombre d'élèves augmente toujours fortement, surtout dans le second degré, et les collectivités doivent consentir de gros efforts. 25 lycées ont été construits depuis 1984 et pendant quelques années encore il faudra construire un lycée et deux collèges par an. S'agissant du personnel, le plan de rattrapage de 1998 a permis simplement de combler les retards, et les taux d'encadrement demeurent inférieurs à la moyenne nationale. Les prévisions d'emploi pour la rentrée 2004 ne laissent pas présager une amélioration. Elles ne semblent pas tenir compte de l'indicateur social prévu par le ministère, alors qu'à la Réunion 65 % des collégiens perçoivent une bourse, contre moins de 25 % au niveau national.

Dans le préscolaire, la très légère amélioration ne peut masquer le fait que les enfants scolarisés ne sont que 15 %. Cette situation, préoccupante en soi, devient dramatique quand beaucoup de parents sont illettrés. Le déficit de plusieurs centaines de postes de personnels non enseignants est très inquiétant. On tente de le combler en recourant massivement aux emplois précaires, ce qui est de plus en plus difficile depuis la disparition des emplois-jeunes. Aussi la suppression programmée d'une vingtaine d'emplois administratifs est-elle incompréhensible. Une décentralisation imposée n'améliorera rien.

L'avenir de l'école ne se limite pas aux moyens. Sur le contenu, des progrès ont été faits car le créole n'est plus banni de l'école. Mais une pédagogie adaptée conduirait à l'échec si elle s'enfermait dans un particularisme (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste). Il faut donc assurer un équilibre entre le proche et le lointain, le particulier et l'universel. A la Réunion, la coexistence de deux langues est vécue comme un handicap par les familles, alors que selon les linguistes, elle devrait favoriser l'apprentissage. Pour utiliser cet atout, il faudrait généraliser l'étude de l'anglais, dans un océan indien surtout anglophone, mais aussi de toutes les langues parlées dans les pays d'où viennent les Réunionnais, hindi, swahili, mandarin, arabe. Les initiatives en ce sens , souvent privées, remportent un grand succès. Les spécificités de la Réunion valent également dans l'approche de la laïcité. Nous y reviendrons prochainement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Béatrice Pavy - Dans les propos de nos collègues socialistes, les enfants sont peu présents. Ils sont pourtant les premiers concernés. L'école, ce microcosme, reflète toutes les tensions de la société ; elle est aussi le terrain privilégié sur lequel des adultes qui se soucient moins de l'épanouissement des enfants que de tenter des expériences ont mis en _uvre leurs idéologies, parfois leurs élucubrations (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Grâce à vous, Monsieur le ministre, cette période semble révolue. La crise de l'école, tellement dénoncée, exige de revenir au pragmatisme, pour aider notre jeunesse à comprendre le monde et à l'affronter.

Rechercher l'intérêt de l'enfant, c'est l'aider à surmonter ses difficultés, son agressivité, sa paresse aussi parfois ! La liberté ne consiste pas à laisser faire n'importe quoi. Au contraire, les équipes pédagogiques et les parents doivent amener les enfants au meilleur d'eux-mêmes et déceler les trésors qui, en chacun d'eux, n'attendent que d'être découverts (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Priver les enfants de l'expérience acquise, c'est les condamner à l'échec. Pour que les enseignants puissent mener à bien leur mission, il faut rétablir et récompenser le goût de l'effort. L'école de la vie est aussi école d'exigence et d'autorité (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Pour faire accéder l'adulte en devenir au débat citoyen, il importe que tout élève maîtrise la lecture, l'écriture et le calcul avant la sixième. Les enseignants du primaire doivent être considérés comme les garants de l'acquisition des savoirs fondamentaux. Il leur revient de faire prendre conscience à chaque enfant que sa réussite est entre ses mains. C'est par l'émulation que chacun doit être amené à se dépasser.

Je souhaite mentionner les difficultés particulières du monde rural, dont j'ai l'honneur d'être issue...

M. Michel Bouvard - Très bien !

Mme Béatrice Pavy - ...car les enseignants des classes les plus isolées se sentent souvent démunis. Parfois affectés dans des classes à niveau unique pour leur premier poste, ils manquent de perspectives et de moyens. Un effort s'impose pour les stabiliser. Le maintien de classes en zone rurale constitue un impératif de l'aménagement du territoire auquel il ne saurait être question de se soustraire. Sans doute faut-il privilégier la solution des réseaux d'écoles, afin que les élèves des milieux concernés accomplissent des parcours scolaires gratifiants et que les enseignants y exercent leur métier dans de bonnes conditions.

Je me réjouis de m'être vu confier la mission parlementaire sur les classes de découverte...

Mme Claude Greff - Excellent choix !

Mme Béatrice Pavy - Ecoles de la vie hors les murs, ces classes sont autant d'occasions pour les élèves et pour les enseignants de mieux se connaître et elles permettent d'apprendre les règles de base de la vie en communauté.

Mme Claude Greff - Absolument !

Mme Béatrice Pavy - Porteuses d'un projet pédagogique fort, elles ne s'apparentent en rien à un temps de vacances, et la découverte par l'enfant de matières ou d'activités nouvelles rend possible un changement dans le regard qu'il porte sur la connaissance. La sortie du cadre de travail quotidien est propice à de saines curiosités.

Si nous nous félicitons de l'organisation d'un large débat sur l'avenir de l'école, nous attendons à présent une remise sur pied efficace de notre système éducatif car l'avenir de nos enfants en dépend. C'est en pensant à eux que nous devons arrêter les mesures qui permettront à l'école de remplir toutes ses missions (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Bouvard - Il ne me semble pas inutile de rappeler les objectifs que se fixait la loi d'orientation de 1989 : faire de l'éducation la première priorité nationale, placer l'élève au centre du système et ajouter à l'obligation traditionnelle de scolarisation une obligation de résultats. Depuis lors, il incombe ainsi à l'école de proposer à chaque élève une formation appropriée à ses goûts et à ses possibilités. Cette nouvelle conception du rôle de l'institution scolaire a requis un investissement financier de la nation croissant. Dans son rapport spécial de 2003 sur la gestion du système éducatif, la Cour des comptes évalue la dépense intérieure d'éducation pour 2000 - dernière année globalisée - à 98 milliards d'euros, dont 21 milliards à la charge des collectivités (« Eh oui! » sur les bancs du groupe UMP). Si un effort financier de cette ampleur peut sembler justifié, encore faut-il veiller à ce que les crédits soient dépensés avec efficacité. Or, dans son rapport annuel de 2001 sur la fonction publique de l'Etat, la Cour relevait l'insuffisante diffusion de la culture de l'évaluation.

En matière scolaire, l'objectif quantitatif d'accueil des élèves n'a été atteint qu'au prix d'une gestion de masse. Face à cette situation, vous avez su, messieurs les ministres, engager dans le cadre de la décentralisation le transfert aux régions et aux départements des personnels ATOS (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Le deuxième objectif de la loi de 1989 était d'offrir à chaque élève un parcours de formation conforme à ses aspirations et à ses aptitudes. Il s'agit là d'un exercice délicat, car il nécessite une souplesse de gestion et une polyvalence des enseignants qui ne correspondent guère à la culture de l'institution scolaire... Il est souhaitable, au-delà de la décentralisation des personnels administratifs, d'introduire une gestion des effectifs de l'Education nationale par métiers, ainsi que le préconise d'ailleurs la LOLF, mais aussi de donner plus de souplesse aux chefs d'établissement dans la gestion des enseignants en fonction des besoins...

M. Yves Durand - Et voilà !

M. Michel Bouvard - Le troisième objectif est d'aider à construire un projet d'orientation scolaire et professionnelle. Or comme l'écrit la Cour des comptes, l'on constate trop souvent l'absence de priorités affichées, et les décisions d'affectation paraissent parfois moins liées aux intérêts des élèves que conditionnées par l'offre de formations disponible localement. Cette critique sévère correspond bel et bien à une réalité. Nous savons tous que des inscriptions continuent d'être enregistrées dans des filières dépourvues de tout débouché professionnel ! Dans le même temps, les élus constatent des difficultés - et surtout des lenteurs - dans la création de nouvelles formations. Il est notamment indispensable d'assouplir les conditions de mise en place des BTS afin de mieux répondre aux mutations des métiers. Sans les FCIL, nous ne parviendrions pas à créer les filières professionnelles que réclament nos entreprises, j'ai pu le vérifier dans ma circonscription.

Si, à l'évidence, les aspects financiers ne peuvent déterminer à eux seuls une politique de l'éducation, parce que nous sommes désormais dans une logique de moyens et non de résultats, vous permettrez au vice-président de la commission des finances en charge de la mise en _uvre de la LOLF de dire son attachement à ce que les observations de la Cour des comptes, trop souvent restées lettre morte dans le passé,...

M. Yves Durand - Plus besoin de ministre, la Cour des comptes est là !

M. Michel Bouvard - ...trouvent, Monsieur le ministre, des suites dans la gestion de votre ministère. Il importe que celle-ci soit plus transparente et que la représentation nationale soit mieux associée à la mise en _uvre des indicateurs de performance mesurant l'efficacité de la dépense. C'est ainsi qu'à nos yeux, la capacité d'un établissement classé en ZEP de se rapprocher des taux nationaux de réussite aux examens a plus de valeur que les 100 % de réussite au bac de certains grands lycées parisiens ! L'environnement sociologique est aussi, pourquoi le nier, un facteur de réussite. Au reste, il en va de même pour les universités et, là aussi, les pratiques doivent évoluer.

Un mot enfin sur un problème spécifique des régions rurales et de montagne : l'évolution et l'encadrement des internats. Je suis l'élu du département français qui accueille la plus grande proportion d'internes. Or depuis de nombreuses années et malgré les discours, l'encadrement des internes a faibli. Les moyens mis à disposition - infirmiers, personnels de surveillance - ont reculé...

M. Yves Durand - Je croyais qu'il ne fallait pas parler des moyens !

M. Michel Bouvard - ... alors même que ces structures sont indispensables, en particulier dans certaines régions. Les collectivités locales ont beaucoup fait pour la réhabilitation des bâtiments. L'Etat doit permettre aux internats de remplir toutes leurs fonctions (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Alain Néri - La déclaration du Gouvernement sur l'avenir de l'école, sans cesse promise puis reportée, est censée clore la démarche pompeusement qualifiée de « grand débat », lancée à l'automne dernier et qui n'a pas, tant s'en faut, rencontré le succès escompté. Il s'agit à nos yeux d'un débat tronqué et truqué, dont les conclusions semblaient à ce point connues d'avance que le ministre n'a pas hésité à déclarer ici même, lors de la séance de questions au Gouvernement du 7 novembre dernier, que la future loi d'orientation devrait tendre à recentrer l'école sur la maîtrise des savoirs fondamentaux. C'est dire que tout était bouclé d'avance, ce qui explique notre scepticisme et la participation souvent confidentielle aux réunions locales. Ayant eu le plaisir d'en animer certaines, je vous parle d'expérience !

Quant au débat sans vote que vous nous proposez aujourd'hui, la représentation nationale, qui est là pour décider, ne peut s'en contenter.

Cette déclaration est un leurre, elle fait partie de votre stratégie de mystification. En effet, un grand écart sépare vos paroles de vos actes. Le budget pour 2004 se traduit par la disparition, pour l'académie de Clermont-Ferrand...

Mme Claude Greff - Nous y voilà !

M. Alain Néri - ...de 24 postes dans le premier degré, de 111 postes dans le second degré, et de 64 postes administratifs et TOSS, alors que le nombre d'élèves augmente, et sans tenir compte des particularités géographiques et démographiques de notre académie (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Vous ne créez, d'autre part, aucun poste de médecin scolaire, d'infirmière ou d'assistante-sociale, alors que la prévention se joue dès la petite enfance. Vous sacrifiez la scolarisation en maternelle des enfants de deux ans (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Vous préparez mal le droit égal de tous les enfants à l'éducation. L'école de la République est celle de la nation. L'Etat a dans ce domaine une compétence régalienne. L'éducation ne peut donc qu'être nationale. Si la déclaration des droits de l'homme affirme que les hommes naissent libres et égaux en droits, l'influence du milieu socio-culturel est déterminante dans la réussite scolaire. Dans les années 1960, Bourdieu et Passeron affirmaient dans Les Héritiers : « Vous aurez beau faire, vous n'empêcherez pas que les enfants de M. Brejnev aient plus de chance de réussir que ceux du batelier de la Volga » (Sourires). Il en est de même pour les enfants du baron Seillière et pour ceux de l'ouvrier smicard.

M. Jacques Myard - Je suis moi-même fils d'ouvrier !

M. Alain Néri - Non, l'égalité des chances n'existe pas. C'est pourquoi l'école de la République doit être celle de l'égalisation des chances, ce qui n'est pas possible si vous supprimez des moyens en personnels. Souvenez-vous de notre débat, ici même quand vous défendiez la suppression des emplois-jeunes dans les écoles (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Aujourd'hui des ateliers informatiques financés par les collectivités locales ne peuvent plus fonctionner parce que les emplois-jeunes ont disparu. Or l'enfant qui ne maîtrise pas l'outil informatique aujourd'hui sera l'illettré de demain.

Platon, dans La République, affirmait déjà que l'égalité est juste entre égaux et l'inégalité juste entre inégaux, ce qui signifie qu'il faut donner plus à ceux qui ont moins. C'est pourquoi l'éducation ne peut être que nationale, et que nous rejetons votre projet de prétendue décentralisation. Seule une éducation vraiment nationale peut éviter les distorsions de traitement entre les enfants selon la richesse de leur famille ou du territoire où ils résident.

Face à votre politique de renoncement, nous avons la volonté et l'ambition de rendre espoir et confiance aux maîtres de l'école de la République, à la jeunesse française et à ses familles (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Giran - Le débat sur l'école a été un succès incontestable (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Ceux qui le contestent, comme M. Néri, devraient plaider coupable soit de ne pas y avoir participé (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), soit de n'avoir pas su mobiliser, soit de n'avoir pas su émettre des idées constructives. Pour la première fois, dans toute la France, parents, enseignants, élus, membres de la société civile ont échangé des idées sur un sujet qui relève des principes et du long terme. Soyez-en remerciés.

Ce débat a provoqué l'affluence. Il est de bon ton d'affirmer que les Français ne seraient intéressés que par l'immédiat et par la défense de leurs privilèges. Les voir se mobiliser ainsi pour réfléchir sur l'avenir est réconfortant. Leur message est clair : l'éducation est la priorité de la nation, et elle doit l'être, me semble-t-il, pour le Gouvernement.

Les propositions émises sont nombreuses et variées, mais révèlent des tendances lourdes : priorité aux acquis fondamentaux, lutte contre l'illettrisme et la violence, école ouverte sur la vie et sur l'entreprise.

Les participants, souvent de gauche, n'ont pas cessé d'invoquer les valeurs de la République. La République est fière de s'affirmer autour de la liberté, de l'égalité et de la fraternité. Mais citer ces valeurs n'est rien si l'on n'a pas conscience que leur contenu doit être « revisité ».

La liberté est inhérente à la connaissance et à la culture. Mais comment peut-elle conserver un sens si, entre maîtres et élèves elle ne s'appuie pas sur une sécurité suffisante ? C'est à l'Etat de garantir que la violence ne polluera pas l'acquisition du savoir.

L'égalité est nécessaire à l'existence de toute communauté. Mais dans une France où le risque du communautarisme s'affirme, elle constitue moins un principe qu'un objectif. Si l'on veut viser l'égalité des chances, encore faut-il reconnaître l'inégalité des situations. Un enseignement unique pour des populations différentes n'a pas grand sens. Une discrimination positive paraît donc s'imposer.

La solidarité, qui s'exprimait hier dans les cadres traditionnels, se loge à présent dans l'école, dépositaire d'une mission d'intégration. Si l'école parvient à mieux convaincre chacun des mérites de la laïcité, la loi sur les signes religieux n'aura plus de raison d'être.

Sans doute pour éviter de se remettre en cause lorsqu'ils étaient enseignants, peut-être pour ne pas choquer ces derniers lorsqu'ils étaient parents, les participants au débat national ont passé sous silence la question du recrutement des enseignants. Pourtant, si l'école et la formation sont la priorité nationale, elles doivent attirer les meilleurs d'entre nous. Le meilleur capital humain de la nation doit former la plus importante de nos matières premières, la matière grise.

Or aujourd'hui l'enseignement ne draine plus les meilleurs de nos étudiants. Est-ce un problème de rémunération, de statut, de sécurité ? Dans les concours du secondaire et du supérieur, on ne doit pas accepter que seuls se présentent demain ceux qui n'auraient pas réussi à entrer dans le secteur privé. Qui remplacera les enseignants issus du baby-boom et partant à la retraite ? Trop souvent, quand on parle de moyens pour l'école, on pense aux moyens matériels. Or, à budget constant, il faudra substituer des dotations en capital humain à celles attribuées au capital matériel. La qualité des maîtres comptera toujours plus que le nombre de mètres carrés. Dans la future loi sur l'éducation, cette orientation fondamentale doit prévaloir (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jean-Marc Roubaud - Depuis trop longtemps un malaise règne dans notre système éducatif, avec l'addition de revendications catégorielles, une demande incessante d'augmentation de moyens et de services, alors que - parallèlement - le nombre d'élèves diminuait et que l'illettrisme augmentait.

Le grand débat que vous avez lancé a le mérite de susciter une réflexion de fond et de faire prendre conscience à tous qu'il est indispensable de repenser l'école. C'est la première fois qu'un débat réunit un million de nos concitoyens.

M. Jean Launay - Combien selon la police ?

M. Jean-Marc Roubaud - Sous prétexte de placer l'enfant au centre du dispositif scolaire on en était arrivé à oublier que l'école a pour fonction première de transmettre la connaissance.

Aujourd'hui on demande aux enseignants de gérer les problèmes de la société, alors que l'école a pour seule mission de distribuer le savoir et de fabriquer des citoyens.

Faire abstraction de cela, c'est faire entrer dans l'enceinte scolaire des problèmes qui ne sont pas du ressort de l'enseignement : démission de certains parents, carences familiales, violence de la société, chômage, absence de perspective d'avenir.

Plus que la place de l'enfant à l'école, c'est le contenu pédagogique qui doit être garant de la bonne adéquation entre élève et école. Ainsi un élève en échec scolaire total ne doit pas être maintenu artificiellement à l'école jusqu'à seize ans, sous peine de créer des troubles et de déboucher sur de la violence (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; « Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

L'âge légal de fin d'obligation scolaire est trop tardif. 16 ans, c'est trop pour un élève qui va d'échec en échec. Mais c'est aussi trop tôt pour se former aux défis de la compétition économique.

Il faudrait donc prévoir d'autre modes de formation, qui permettraient de réintégrer ces jeunes dans le système scolaire au moyen de contrats de professionnalisation ou de qualification placés dans le giron de l'Education nationale. Il faut aussi développer l'école de la deuxième chance que le Gouvernement s'est engagé à mettre en place.

Il faut que l'acquisition du savoir revienne au centre du dispositif scolaire.

La mission essentielle de l'enseignant doit redevenir la délivrance des connaissances, elle ne peut plus être celle d'un animateur ou d'un assistant social.

Il faut ramener l'âge limite de l'obligation scolaire à quatorze ans, en permettant à tous ceux qui en éprouvent le besoin un retour volontaire dans le système éducatif.

Comme beaucoup d'entre vous, j'ai participé personnellement au débat. Il faudra, dans la loi, réformer les programmes pour les mettre en adéquation avec notre époque. Il faudra traiter le problème de la violence scolaire et de la drogue. Il faudra lutter contre l'échec scolaire en revenant aux fondamentaux : écriture, lecture, calcul, mais aussi informatique, langues et sports. Il faudra diversifier les parcours pour répondre aux attentes du monde du travail. Il faudra enfin revaloriser le rôle des enseignants en leur redonnant le goût des responsabilités et en leur témoignant la reconnaissance à laquelle ils ont droit.

Ce n'est qu'à ces conditions que l'école de la République redeviendra ce creuset de l'intégration et de la citoyenneté qui a fait ses preuves. On le voit, ce n'est pas qu'une question de postes et de crédits, contrairement à ce que l'opposition voudrait nous faire croire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Michel Vergnier - Il est tard et, au lieu d'un discours, je vais vous raconter une histoire (« Ah ! » sur divers bancs).

Il était une fois un petit garçon qui s'appelait Romain. C'est un joli nom pour un petit garçon. Romain habitait un beau département au centre de la France.

Autrefois, son arrière-arrière-arrière-grand-père, qui était maçon, faisait le trajet à pied jusqu'à Paris pour construire la grande ville. C'était un « limousinant ». Son histoire, il l'avait racontée des dizaines de fois et sans doute l'avait-il embellie. Romain savait que son ancêtre avait été solidaire. Martin Nadaud, qui deviendrait député, lui avait appris à lire et à se défendre.

Un autre arrière-arrière-arrière-grand-père avait fait la guerre de 14-18, la « grande guerre ». Comme il était paysan et costaud, on l'avait envoyé en première ligne où un obus l'avait fauché. Il avait défendu la France, solidaire lui aussi.

Le grand-père de Romain, lui, était artisan. De ses mains, il faisait vivre les matières brutes qu'il travaillait. C'était un peu un magicien. Il aurait voulu être instituteur mais, à 14 ans, il avait dû gagner sa vie car les temps étaient rudes et le pot-au-feu du dimanche était la seule entorse qu'on s'autorisait.

Romain, lui, était un petit garçon vif, intelligent. Il parlait aux oiseaux, au soleil, aux forêts. Il allait à l'école du village où son maître éveillait sa curiosité, lui disant toujours qu'il ne suffit pas d'apprendre mais qu'il faut comprendre.

Romain grandissait. Son envie d'apprendre faisait plaisir à voir. Et puis, un jour de juin, le maître lui a dit qu'ils ne se verraient plus, que l'école allait fermer.

L'année suivante, Romain changea d'école. Il devait se lever plus tôt, trop tôt. Les yeux gonflés par le manque de sommeil, il allait attendre le car. L'hiver, un froid glacial lui brûlait le visage.

Romain n'avait plus la même envie d'apprendre, mais il se consolait en pensant qu'il allait entrer au collège, où il pourrait apprendre une langue étrangère.

Il avait choisi l'allemand. Mais son père décida qu'il apprendrait l'anglais, car on venait de supprimer le cours d'allemand dans le lycée voisin. Ce petit garçon obéit sans trop comprendre. Il avait rencontré pendant les vacances un petit parisien qui ne parlait ni aux oiseaux, ni au soleil, ni aux forêts, mais qui, lui, avait pu choisir l'allemand.

Alors Romain interrogea son père. « Dis papa, pourquoi n'avons-nous pas tous les mêmes droits ? On me dit que je ne pourrai pas non plus apprendre le grec et le latin. Devrais-je, comme mon aïeul, partir à Paris ? On me dit qu'il y a là-bas un monsieur qui décide, un monsieur qui est ministre. C'est quelqu'un d'intelligent, qui a lui aussi des enfants. Il ne voudrait sans doute pas que ses enfants ne puissent apprendre le grec ni le latin ».

Alors le papa de Romain m'appela et il me dit : « Puisque tu peux parler au ministre, dis-lui que notre département a le droit de vivre. Dis-lui que nous voulons y travailler, y vivre, et que Romain a le droit d'y grandir. Dis-lui que nous ne pourrons pas le développer si tous les services publics s'en vont ».

Monsieur le ministre, écoutez les enfants de la Creuse. Ils sont moins ennuyeux que les adultes. Ne les condamnez pas d'avance. Ne les empêchez pas d'apprendre l'allemand, le grec et le latin !

Monsieur le ministre, regardez ces enfants dans les yeux. Ecoutez les maîtres d'école de la République, les élus, les professeurs, les parents. Supprimez la carte scolaire annuelle : contractualisez avec ceux qui connaissent le territoire, ne les obligez pas à perdre plus d'énergie à se défendre qu'à construire.

Monsieur le ministre, répondez à Romain (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Christian Philip - On a dit que le débat sur l'école avait peu mobilisé. Je veux vous apporter un témoignage différent.

M. Yves Durand - Encore une histoire !

M. Christian Philip - J'ai organisé des réunions dans ma permanence et j'ai été frappé par le nombre des personnes présentes, qui ont participé avec un intérêt manifeste à des échanges de plus de deux heures.

Contrairement à ce que tentent de faire croire certains, ce débat a dépassé la question des moyens. On commence à comprendre que, si l'école a naturellement besoin de moyens, son efficacité n'est pas proportionnelle à son budget. En euros constants, nous avons doublé, en vingt-cinq ans, les moyens consacrés à l'école. Qui dira que l'école est devenue deux fois plus efficace ?

Dans les écoles maternelles et primaires, la dépense unitaire par élève a doublé entre 1975 et 2002. Dans le second degré, elle a augmenté de 75 %. Or les résultats n'ont pas suivi l'effort consenti par la nation.

Aujourd'hui les effectifs diminuent, sous l'effet des évolutions démographiques, et les taux d'encadrement ne cessent de s'améliorer.

Il y a certes des disparités, mais notre débat ne se limite pas à la question des moyens. C'est dans un seul secteur que ceux-ci sont insuffisants : l'enseignement supérieur. Il n'est pas moral de ne consacrer à un étudiant de premier cycle universitaire que la moitié de ce que nous dépensons pour un collégien ou le tiers de ce que coûte un élève de cours préparatoire (« Très bien ! » sur de nombreux bancs du groupe UMP). Il faudra avoir le courage de dire que les évolutions démographiques doivent permettre d'allouer à l'université une partie des moyens actuellement accordés à l'école.

Il appartient à l'Etat de définir les orientations générales, les programmes et le niveau attendu en fin de cycle. Mais il faudra jouer le jeu de la responsabilité et de l'évaluation, en accordant une plus grande autonomie aux établissements pour leur permettre d'intervenir dans le recrutement du chef d'établissement et des enseignants.

M. Yves Durand - Il n'y aura donc plus d'Education nationale !

M. Christian Philip - L'Etat, qui fixe les grandes orientations, doit ensuite faire confiance aux établissements dans la mise en _uvre de sa politique.

Une telle réforme doit s'accompagner d'une évaluation des établissements par l'Etat, d'une évaluation transparente qui puisse déboucher sur la révision du projet ou le changement de chef d'établissement (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Dans un monde toujours plus ouvert, l'apprentissage des langues étrangères doit être une priorité dès l'école primaire. Ce n'est pas contraire à la défense du français. C'est justement grâce au multilinguisme que nous pourrons empêcher l'omniprésence de l'anglais (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP).

Je souhaite que la prochaine loi définisse des objectifs clairs pour l'école. La volonté réformatrice du Gouvernement doit s'exercer. Comment pourrait-il en être autrement quand l'école est le socle de nos valeurs républicaines ? Comment adapter notre pays aux enjeux du XXIe siècle sans former les jeunes Français aux exigences du monde contemporain ? Une institution qui n'évolue pas se condamne (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) et la réforme de l'Etat ne réussira pas sans celle, préalable, de l'école (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Lionnel Luca - Il faut vous féliciter, Messieurs les ministres, pour votre culture du débat, fondement de la démocratie. Malgré des moyens financiers considérables et les nombreuses réformes qui se sont succédé depuis trente-cinq ans, les inégalités n'ont pas été réduites au sein de l'Education nationale.

Selon plusieurs rapports dignes de foi, la France se situe en matière d'enseignement, dans une position très moyenne, derrière le Royaume-Uni, et au niveau des Etats-Unis, alors que les meilleurs sont la Finlande, la Corée du Sud et le Canada, qui présentent, en outre, l'écart le plus faible entre bons et moins bons élèves.

L'enseignement français est, socialement parlant, l'un des plus injustes. Il ne favorise guère la promotion des élèves issus des classes modestes et demeure donc un enseignement pour privilégiés.

La transition entre éducation et vie active est, en France, l'une des plus brutales. L'inadéquation entre l'offre et la demande est préoccupante.

Enfin, au-dessus d'un certain seuil, les performances d'un système éducatif ne dépendent plus de son financement.

M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire - C'est exact.

M. Lionnel Luca - Ainsi la Corée du Sud, dont les performances sont excellentes, dépense, par enfant, deux fois moins que l'Italie et trois fois moins que l'Autriche, dont les performances sont médiocres.

Chacun peut constater les insuffisances de l'enseignement, en particulier à l'école primaire. L'égalité des chances consiste à donner un savoir, non un savoir-faire. Les consignes pédagogiques données depuis trente ans transforment les enseignants en animateurs de centres aérés (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Huguette Bello - N'importe quoi !

M. Lionnel Luca - Conservera-t-on encore longtemps un mode d'apprentissage de la lecture et de l'écriture qui a fait la preuve de son inefficacité et n'a procuré du travail qu'aux orthophonistes ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Redonnera-t-on le goût de la lecture avec l'apprentissage de l'abécédaire (Mêmes mouvements), considéré comme réactionnaire par les ayatollahs de la pédagogie moderne (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), mais qui a fait ses preuves ?

Quant au redoublement, il doit être décidé par les enseignants, et non par les familles (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

M. Yves Durand - En Finlande, on ne fait redoubler personne, et à l'arrivée ce sont les meilleurs !

M. Lionnel Luca - Il faut également développer le soutien scolaire, notamment pour les enfants issus de l'immigration, et réhabiliter l'apprentissage par c_ur, support indispensable à la réflexion.

L'école doit s'ouvrir au monde, et notamment à l'entreprise - et cela vaut pour les élèves comme pour les enseignants. Nous sommes trop en retard pour l'apprentissage des techniques nouvelles, je pense en particulier à l'internet.

L'école doit enfin enseigner à vivre en société, dans le respect et la tolérance. Il faut redonner à la sanction sa valeur pédagogique et réaffirmer le principe de laïcité.

Pour réussir cette réforme, il faut y associer l'ensemble du monde éducatif, et pas seulement des syndicats corporatistes qui freinent toute évolution. Nous devons revenir à ce que disait Condorcet, et empêcher que « l'instruction, qui est instituée pour les élèves, ne soit réglée d'après ce qui convient à l'intérêt des maîtres » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Le débat est clos.

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche - En mon nom et en celui de Xavier Darcos, je vous remercie pour la qualité de ce débat. Nous avons écouté avec la plus grande attention vos critiques, vos suggestions, vos conseils, vos encouragements.

Je ne ferai pas en quelques minutes la synthèse de ce matériau trop riche, mais je note que personne n'a contesté la qualité des documents qui ont servi de base à l'organisation de ce grand débat, qu'il s'agisse des travaux du Haut Conseil de l'évaluation ou de ceux de la Commission nationale présidée par M. Claude Thélot.

Personne n'a non plus contesté, d'ailleurs, l'indépendance de cette dernière, ni le pluralisme de sa composition et personne, enfin, n'a cherché à sous-estimer l'ampleur de la participation, et je salue à ce propos le remarquable travail accompli par les parlementaires de la majorité dans l'organisation de nombreux débats.

Sur le fond, je me contenterai de relever que nombre d'entre vous ont insisté sur la nécessité de recentrer l'école sur ses missions fondamentales.

En conclusion, Xavier Darcos et moi-même sommes heureux de voir que la représentation nationale s'est à son tour, saisie de ce grand débat sur l'avenir de l'école. C'est à elle qu'il reviendra dans peu de temps de discuter des orientations de la loi et de décider de son contour. Je vous remercie (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Prochaine séance cet après-midi, mercredi 21 janvier, à 15 heures.

La séance est levée à 0 heure 30.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU MERCREDI 21 JANVIER 2004

A QUINZE HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Suite de la discussion du projet de loi (n° 1058) relatif au développement des territoires ruraux.

MM. Yves COUSSAIN, Francis SAINT-LÉGER et Jean-Claude LEMOINE, rapporteurs au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. (Rapport n° 1333)

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.


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