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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 59ème jour de séance, 151ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 4 FÉVRIER 2004

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

        APPLICATION DU PRINCIPE DE LA LAÏCITÉ
        DANS LES ÉCOLES, COLLÈGES ET LYCÉES PUBLICS
        (suite) 2

        ORDRE DU JOUR DU JEUDI 5 FÉVRIER 2004 33

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

APPLICATION DU PRINCIPE DE LA LAÏCITÉ DANS LES ÉCOLES,
COLLÈGES ET LYCÉES PUBLICS (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics.

Mme Danielle Bousquet - En tant que femme de gauche, je me réjouis de ce débat sur la laïcité, car la laïcité permet à chacun de nous, quelles que soient ses convictions, de vivre dans l'espace commun sans subir aucune discrimination.

Dans ce cadre, le voile islamique vient troubler notre communauté nationale, en ce qu'il représente tout ce que notre République laïque combat : l'enfermement de l'individu dans un symbole communautaire, l'intrusion du religieux dans la sphère publique, l'activité des prosélytes et le sexisme.

Le port du foulard, même s'il n'est pas forcément synonyme d'intégrisme, n'est pas une mode vestimentaire adoptée par des adolescentes en quête d'affirmation. Il est bien l'expression d'une pression orchestrée par des groupes intégristes auprès des jeunes lycéennes musulmanes.

Le voile exprime l'inégalité entre l'homme et la femme, la soumission au dogme des intégristes pour qui la femme n'est rien, pire, représente une menace. Cette pratique n'a pas sa place dans notre République, et le port du voile porte atteinte à nos principes constitutionnels.

M. Eric Raoult - Très bien !

Mme Danielle Bousquet - Rappelons-le, cette loi n'est pas dirigée contre les religions ou les libertés religieuses, ni contre une religion en particulier. L'islam en France est parfaitement compatible avec la démocratie et la laïcité.

Du reste, notre réaffirmation de la laïcité doit nous conduire à mieux reconnaître la diversité religieuse en France, et s'agissant de l'islam, deuxième religion de France, à accepter la création de lieux de culte.

Oui, il faut une loi pour réaffirmer la laïcité de l'école, le lieu où sont formés les garçons et les filles.

Oui, il faut une loi pour la cohésion.

Cela étant, quel dommage que votre projet de loi n'aborde pas les questions de l'intégration, des inégalités sociales, de l'accès à l'emploi pour les jeunes issus de l'immigration ! N'est-ce pas là que les fondamentalismes trouvent leur terreau ?

Le combat pour la laïcité est d'abord un combat contre les discriminations, et je regrette que seul l'exposé des motifs de votre projet de loi aborde ce point essentiel. Certes, votre texte a le mérite de mettre en exergue la réalité des mouvements intégristes qui, bien que minoritaires, réussissent à instrumentaliser des jeunes filles. N'oublions pas pour autant l'intégrisme chrétien qui prolifère outre-atlantique et en Europe, et fait aussi reculer les droits des femmes.

M. Gérard Léonard - Pas en France !

Mme Danielle Bousquet - Si le Gouvernement tient un discours ferme sur la laïcité, il n'en cautionne pas moins des pratiques communautaristes ; c'est ainsi qu'il légitime les intégristes qui se réclament d'une interprétation maximaliste de la religion.

Cette remarque étant faite, je réaffirme la nécessité d'agir. Il faut une loi pour protéger ces jeunes filles, mais il faut aussi régler les problèmes de fond. Cette loi ne peut être que la première étape d'un processus d'intégration de tous ceux qui, issus de l'immigration, ont choisi la France.

A cet égard, il faut mener une véritable politique de la ville en direction des banlieues ghettoïsées des grandes villes, des établissements scolaires de ces quartiers. Cette loi est indispensable, mais elle doit s'accompagner d'une lutte contre les discriminations sociales.

Donnons-nous les moyens de reconnaître le caractère multiculturel de la société française (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste).

M. Pierre-André Périssol - La loi sur la laïcité est nécessaire.

Elle l'est, pour défendre à l'école le respect des valeurs républicaines - laïcité, tolérance, liberté de conscience - et pour défendre l'école contre la montée des extrémismes et des communautarismes.

Elle l'est, pour défendre l'ordre public à l'école. Les tensions dans les établissements autour des questions religieuses perturbent le bon déroulement des activités d'enseignement. La loi doit donner au personnel enseignant les moyens d'exercer sereinement leur mission.

Elle est encore nécessaire pour réaffirmer le rôle de l'Etat comme protecteur de la liberté de conscience, notamment dans le cadre de l'espace scolaire, lieu de formation des esprits et d'apprentissage de la vie en commun. L'école a le devoir de protéger les jeunes filles non voilées, et celles qui n'ont pas pu choisir.

Elle est enfin nécessaire pour affirmer, à l'école et dans la société, le principe essentiel de l'égalité entre les femmes et les hommes.

En aucun cas, la loi ne limite l'expression religieuse ou la liberté de conscience. C'est au contraire pour renforcer ce droit qu'elle en restreint ses expressions extrémistes et prosélytes, dans le cadre de l'école, susceptibles de porter atteinte à la dignité et à la liberté des élèves et des membres de la communauté éducative.

Comme toutes les autres, la liberté d'expression des croyances ne peut trouver de limites que dans la liberté d'autrui et dans l'observation des règles de vie en société. Ainsi, la liberté religieuse ne saurait remettre en cause la loi commune dans l'espace scolaire. C'est là la définition même de la tolérance, une des valeurs républicaines cardinales que l'école se doit de transmettre à tous nos enfants.

C'est pourquoi cette loi s'inscrit pleinement dans la conception française de la laïcité, laquelle pose l'égalité de toutes les options spirituelles dans notre République. La loi n'est assurément pas dirigée contre une religion quelle qu'elle soit et n'a pas pour but de stigmatiser telle ou telle. L'islam, en particulier, a toute sa place parmi les religions présentes sur notre sol. Cette reconnaissance participe du combat sans merci livré par le Président de la République et par le Gouvernement contre toutes les formes de xénophobies, de racisme et d'antisémitisme.

Une fois votée, la loi devra être mise en _uvre dans un esprit de dialogue et de médiation. Son objet, l'affirmation d'une règle claire qui fixe des limites en matière d'expression religieuse à l'école, exige que son application s'accompagne d'un travail de pédagogie dans les établissements. Il ne s'agit pas tant de poser des interdits que de fixer des règles de vie en commun.

L'esprit de dialogue doit dominer, cependant que le paysage spirituel s'est considérablement enrichi depuis 1905. Comme le souhaite le Président de la République, il faut assurer par divers accommodements raisonnables, un meilleur respect des grandes fêtes religieuses et mieux prendre en compte, dans chaque établissement scolaire, la diversité culturelle des enfants de France, en y développant l'enseignement de l'histoire du fait religieux.

Il y aura donc la loi, mais aussi tout ce que conditionne sa mise en _uvre. Au-delà de la question du port de signes religieux ostensibles à l'école, la vie des établissements est aussi altérée - comme l'ont bien montré les auditions des commissions Debré et Stasi - par d'autres phénomènes d'affirmation identitaire : demandes d'absence systématiques un jour de la semaine, interruption de cours et d'examens pour un motif de prière ou de jeûne, contestation de certains enseignements, jeunes filles produisant des certificats médicaux injustifiés pour être dispensées des cours d'éducation physique et sportive, épreuves d'examen troublées par le refus d'élèves de sexe féminin d'être entendues par un examinateur masculin, autorité d'enseignants ou de chefs d'établissement contestée au seul motif que ce sont des femmes...

Sur ces différents points, la loi semble très claire. Cependant, les chefs d'établissement se considèrent comme désarmés pour la faire respecter, faute de moyens réglementaires suffisants pour lutter contre ces entorses à nos principes. Il faudrait notamment, pour mettre fin aux certificats médicaux de complaisance délivrés à celles qui refusent d'aller à la piscine ou au gymnase, réserver aux médecins scolaires la capacité d'établir les dispenses médicales, ou, à défaut, rendre possibles les contre-expertises. Il conviendrait également, dans les cas de non-assiduité répétée à certains cours, de donner au chef d'établissement les moyens de réagir en déclenchant les procédures disciplinaires adéquates. Tout ceci relève de la responsabilité du ministère de l'éducation nationale. Il est de son devoir d'agir sans tergiverser pour permettre aux professeurs et aux chefs d'établissement d'exercer sereinement.

L'école est, au premier chef, le lieu de transmission des valeurs républicaines, l'espace où l'on forme les futurs citoyens à la liberté, à l'égalité et à la tolérance. C'est pourquoi il faut réaffirmer la laïcité à l'école, en sorte de la préserver de tout ce qui peut attenter à sa mission. C'est en posant ces principes que le débat sur la laïcité pourra être, selon le souhait formulé par le Président de la République, « l'occasion pour les Français de se rassembler autour d'une volonté de vivre ensemble » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jacques Bascou - La question de la laïcité, telle qu'elle est posée depuis quelques mois, a pris, au regard des problèmes politiques et sociaux qui préoccupent les Français, une place démesurée dans le débat public, sans pour autant gagner en clarté et en sérénité. Les raisons en sont multiples : conflits internationaux, montée des intégrismes religieux, menaces terroristes, crise de l'école elle-même. Il reste que la surmédiatisation du débat a entraîné des crispations dans nombre de communautés et la stigmatisation d'entre elles. Faut-il rappeler que le même phénomène de surexposition médiatique avait amplifié les problèmes d'insécurité à quelques semaines des dernières élections présidentielles. La question de la laïcité justifie la recherche de l'assentiment le plus large des républicains de tous bords.

Or, les prises de positions contradictoires de ministres, les déclarations maladroites sur l'appartenance religieuse d'un préfet, l'invitation faite aux imams de restaurer l'ordre dans les quartiers ou encore, la façon dont le ministre de l'intérieur souhaite organiser le culte musulman en France, n'ont pas contribué à éclairer ce débat.

Nos concitoyens attendent de nous une prise de position claire et responsable. A ce titre, l'adoption d'une loi s'impose, pour permettre aux chefs d'établissement et aux équipes pédagogiques de trancher le problème du port des signes religieux dans les établissements scolaires, et pour mettre fin aux traitements différenciés selon les situations locales. Mais ce n'est pas dans sa rédaction actuelle que le texte est susceptible d'entraîner un progrès. Le mot « ostensible » renvoie en effet à une interprétation forcément toute subjective des intentions de la personne portant un signe religieux. Cette rédaction va entraîner les mêmes difficultés d'interprétation et les mêmes contentieux que le droit en vigueur.

M. Gérard Léonard - Mais non !

M. Jacques Bascou - Certains propos sur les bandanas ou les systèmes pileux ont montré les limites de l'exercice. C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste a déposé un amendement de clarification. Cette loi sera également insuffisante si elle se résume à la seule interdiction. Il est indispensable d'y inscrire que le dialogue et la pédagogie précéderont la sanction et l'exclusion. Un discours laïque borné de simple interdiction participerait du risque de « communautarisation » auquel nous sommes confrontés. Il faut éviter à tout prix de faire éclater l'enseignement en fonction des groupes sociaux, culturels ou religieux ; le service public d'éducation doit accueillir tous les jeunes dans un espace neutre. L'école doit rester un sanctuaire.

Au reste, ce texte n'a pas vocation à régler tous les problèmes car la laïcité ne se résume pas à la question du port d'insignes religieux au sein des établissements. Elle est en effet indissociable de l'intégration et de la lutte contre les discriminations.

Dans un contexte de détricotage du tissu social, de disparition de pans entiers du service public, de faiblesse des politiques d'insertion et de prévention et de chômage massif dans les quartiers, il est inévitable que certains groupes se nourrissent de l'exclusion sociale, économique et culturelle de la population et tentent de l'entraîner sur le terrain de l'intégrisme religieux.

M. Jean Glavany - Evidemment !

M. Jacques Bascou - N'oublions jamais la sentence de Jean Jaurès : « La République Française doit être laïque et sociale, mais restera laïque parce qu'elle aura su être sociale » (« Excellent ! » sur les bancs du groupe socialiste). La laïcité suppose l'adhésion du corps social à un ensemble de règles communes, garantes des droits fondamentaux de la personne humaine et au premier rang desquelles figure l'égalité entre les hommes et les femmes. Je ne reviendrai pas sur la noblesse de la cause du mouvement « Ni Putes Ni Soumises » car beaucoup l'ont évoqué avant moi. La laïcité n'est pas uniformité. Elle suppose le respect des différences, la liberté de conscience et le libre exercice du culte, consacré par la loi de séparation de 1905. En dehors de ce cadre, la diversité entraîne le repli identitaire et le conflit entre communautés. La laïcité suppose la capacité pour chacun de transcender les particularismes, au profit d'une appartenance plus large. En ce sens, elle est l'affirmation d'un intérêt général qui l'emporte sur les intérêts particuliers. Or, aujourd'hui, les notions d'intérêt général, de défense de valeurs communes ou de dessein collectif sont de moins en moins partagés par nos concitoyens et nombreux sont ceux qui ne se sentent pas partie prenante du pacte républicain.

Le débat que nous avons depuis deux jours montre notre attachement, sur tous les bancs de notre Assemblée, à cette forme d'exception française qu'est la laïcité, pilier de la République, et la volonté qui anime une grande majorité d'entre nous de légiférer pour la défendre. Mais ce débat ne peut être dissocié d'un regard critique sur les évolutions de la société dans laquelle nous vivons.

Nous resterons dans le domaine de l'incantation si une autre politique n'est pas mise en place dans notre pays. La montée du chômage, l'exclusion, la pauvreté, les inégalités qui s'accroissent, constituent autant de menaces. L'Etat, garant de la solidarité entre citoyens et territoires, voit son rôle affaibli, au nom d'une politique libérale. Tous nos systèmes de protection collective - régimes de retraites, système de santé, droit du travail, impôt redistributif, services publics, sont systématiquement attaqués et le lien social se délite. La construction européenne, qui consacre le libre échange et l'économie de marché sans en combattre les excès, contribue au repli communautaire.

L'économie libérale, aujourd'hui mondialisée, propose aux nouvelles générations, un modèle culturel standardisé, basé sur l'individualisme, la compétition et le mythe de l'argent facile, alors même que le plus grand nombre n'a pas accès aux biens de consommation. Tous les extrémismes se nourrissent de cette contradiction.

La plupart des auditons menées dans le cadre des missions Stasi et Debré ont montré que le combat pour la laïcité ne pouvait se résumer à un projet de loi limité au port des signes religieux à l'école. Pour être utile, le projet de loi que vous nous proposez doit prendre en compte les amendements du groupe socialiste et le combat pour la laïcité ne s'arrête pas aujourd'hui, à l'évidence, d'autres engagements seront nécessaires pour restaurer le pacte républicain (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) .

M. Claude Goasguen - Cette loi est bien difficile...

M. Jean-Pierre Brard - Pas pour nous !

M. Claude Goasguen - Chacun connaît l'attachement de M. Brard à la laïcité, qui rayonna en Union soviétique !

M. Jean-Pierre Brard - Vous n'êtes qu'un fondé de pouvoir, toujours du côté des puissants !

M. Claude Goasguen - Mais personne ne vous reproche d'avoir été stalinien !

Plusieurs députés UMP - Il l'est toujours (Sourires).

M. Claude Goasguen - Si l'examen de cette loi est difficile, c'est que deux problématiques se superposent. Dans un premier temps, il est apparu que la jurisprudence du Conseil d'Etat et la circulaire prise sur cette base, après avoir permis d'obtenir certains résultats, ne suffisaient plus aux chefs d'établissement, confrontés à des situations nouvelles. Il était donc nécessaire d'intervenir, au strict plan scolaire. Nous étions tous d'accord pour donner aux chefs d'établissement une source du droit qui soit intangible. Or seule la loi permet de donner cette assise à l'exercice de leur autorité.

Puis, progressivement, le débat est devenu plus global. Il ne concernait plus seulement l'école, mais la société dans son ensemble. Il a mis les Français en présence d'une contradiction qui perdure depuis vingt ans. Nous sommes passés au débat sur l'immigration et sur les politiques d'intégration qui, sous tous les gouvernements, sont restés plus incantatoires que réelles. Les Français ont découvert un grave problème de société.

Nous sommes pour la laïcité au sens strict, qui ne doit pas viser à évacuer la religion, même si c'est là une tendance de certains en France. Il n'est pas question d'instaurer une société laïque.

M. Jean Glavany - Si ! C'est notre divergence.

M. Claude Goasguen - Si vous pouviez voter contre ce projet, cela m'arrangerait bien !

M. Jean Glavany - Nous ne sommes pas ici pour vous arranger...

M. Claude Goasguen - Je sais. On cherche le consensus à tout prix ; on a peut-être tort. Ce débat, débordant le cadre scolaire, est devenu un débat de société.

M. Yves Durand - Parfaitement, c'est un débat de société.

M. Claude Goasguen - Au plan scolaire, pour être franc, je pense que la loi ne règlera que peu de problèmes. Il est plus facile de pérorer à la tribune que d'agir sur le terrain, contre des gens qui ne manquent pas d'avocats (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). J'ai peur que les chefs d'établissement placent une confiance exagérée dans la nouvelle source du droit que nous allons leur donner. C'est pourquoi, s'il ne s'était agi que d'un problème scolaire, je me serais abstenu. Je ne crois pas, encore une fois, que la loi suffise à régler les problèmes.

Je la voterai cependant, parce que je sais que c'est en février que se prépare la rentrée scolaire. Mais je ne la voterai pas dans le même esprit que mes collègues de la gauche.

Je la voterai parce que la République est confrontée à un véritable défi, le défi de l'islamisme et du fondamentalisme, le défi lancé par ceux qui, dans leurs manifestations, emploient des termes qui relèvent du code pénal.

M. Jean Glavany - Nous l'avons dit !

M. Claude Goasguen - Nous avons entendu des propos antisémites et racistes.

Plusieurs députés socialistes - Et homophobes !

M. Claude Goasguen - Je ne veux pas me dérober au motif que ce projet est imparfait.

C'est pourquoi, après avoir longuement réfléchi, je m'associerai par un vote positif à ce texte.

M. Pascal Clément, président et rapporteur de la commission des lois - Très bien !

M. Claude Goasguen - Il ne résoudra pas tous les problèmes, mais il permet d'ouvrir ce débat sur l'immigration et l'intégration que notre société attend depuis deux décennies. Je me réjouis d'ailleurs que le Premier ministre ait étendu son propos à la neutralité du service public en parlant explicitement des hôpitaux, où la situation est plus critique encore que dans les établissements scolaires.

Il s'agit de résoudre les problèmes qui résultent de l'absence d'une réelle politique d'intégration depuis vingt ans et du sabotage de la politique d'immigration par le laxisme de certains (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Mais oui, c'est parce que vous avez laissé faire que nous nous retrouvons dans l'anarchie complète et qu'il est nécessaire de voter ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Elisabeth Guigou - « La République assure la liberté de conscience ». Par l'article premier de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat de 1905, la République s'affirme responsable du « vivre ensemble ». A ce titre, elle respecte toutes les opinions, elle garantit la libre expression, mais elle assure la neutralité de l'espace public.

L'école, proclamée gratuite, obligatoire et laïque par les lois de Jules Ferry de 1883, a été le premier champ d'application de la laïcité. Nos enfants doivent pouvoir grandir dans un environnement ouvert, tolérant et serein. Jusqu'à l'âge de la majorité, ils doivent être préservés de tout enrôlement, leur libre arbitre n'étant pas totalement fortifié. Tout prosélytisme doit être banni de l'enceinte de l'école. L'enfant ne doit pas être confronté à des querelles de croyances. Il doit acquérir des connaissances qui lui permettent de se forger un jugement. L'école, le collège et le lycée doivent rester des lieux d'apprentissages diversifiés, où se développe l'esprit critique.

Pour les familles qui tiennent à tout prix à éduquer leurs enfants dans une religion donnée, elles sont libres de les inscrire dans des écoles privées confessionnelles. Si elles choisissent l'école publique, elles doivent se conformer à son exigence de neutralité.

Une loi est-elle réellement indispensable pour interdire les signes religieux dans les établissements scolaires ? C'est la question que nous avons été nombreux à nous poser.

A l'origine, je n'étais pas favorable à une loi, qui risque d'être interprétée comme une loi contre le voile, contre les musulmans. Dans mon département de Seine-Saint-Denis, beaucoup de Français d'origine maghrébine ou africaine voient dans ce projet un texte dirigé contre eux, alors même qu'ils souffrent déjà de nombreuses inégalités dans leur vie quotidienne : chômage, discrimination à l'embauche, difficultés à se loger, insécurité, dégradation des quartiers... Ils ressentent comme une injustice de plus un interdit qui, pensent-ils, les vise exclusivement.

Malgré ce risque, je me suis ralliée à l'idée d'une loi au fur et à mesure qu'avançaient les travaux de la Mission d'information sur les signes religieux dont j'étais membre. Je tiens d'ailleurs à rendre hommage au Président Debré pour la conduite éclairée et équitable de nos débats (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe UMP). Lors des auditions, j'ai compris que nous étions en face, non pas seulement d'une incompréhension culturelle, mais d'une véritable offensive politique de groupuscules intégristes, peu nombreux, mais actifs et déterminés. Des initiatives agressives, comme la circulation du guide des intégristes rédigé par le docteur Abdallah Milcent, m'ont convaincue qu'il existe des tentatives de déstabilisation. Les extrémistes testent la capacité de réaction de la République. Il faut donc donner un coup d'arrêt et dire : « Cela suffit ! ».

Et puis, il y a les femmes. Des millions de femmes dans le monde attendent toujours de pouvoir aller et venir librement, parler librement, montrer librement leur visage. L'oppression des femmes afghanes ou iraniennes est devenue le symbole de cet obscurantisme, qui veut voiler la moitié de l'humanité. Il faut rendre hommage à des voix comme celles de Taslima Nasrin ou de Chirine Ebadi, qui ont osé interpeller les consciences. Mais, en France aussi, j'ai pu entendre, dans les réunions de quartier ou lors de la marche des jeunes femmes de « Ni putes, ni soumises », la souffrance de nombreuses femmes. Pour moi qui ai défendu la réforme de la parité, la mixité de l'espace public est un élément fondamental de notre vie démocratique : la mixité est l'acceptation de l'autre, la première application du respect de la différence.

Ce sont donc ces deux raisons - offensive intégriste et respect de la liberté des femmes - qui m'ont conduite à estimer une loi nécessaire.

Encore faut-il que cette loi soit utile et ne stigmatise pas certains de nos concitoyens. Pour cela, elle doit clarifier la règle en vigueur et garantir l'égalité de toutes les croyances. Or, je redoute que le terme « ostensible » retenu par le Gouvernement ne soit qu'une variation stylistique du terme « ostentatoire » employé par le Conseil d'Etat et qu'il n'apporte aucune aide supplémentaire aux équipes pédagogiques. Car il sera aussi difficile de dire ce qui est ostensible qu'il est malaisé de définir ce qui est ostentatoire. Le ministre de l'éducation nationale nous en a donné une illustration un peu pathétique, avec ses considérations malvenues sur le système pileux, qui ont davantage semé le trouble que calmé les appréhensions. Or les équipes enseignantes souhaitent pouvoir s'appuyer sur une norme simple et compréhensible par tous. La visibilité est une notion beaucoup plus objective et égalitaire que l'ostentation. Car arborer un signe visible témoigne de la volonté, de l'intention de la personne portant le signe religieux. Il faudrait donc, selon nous, et conformément aux conclusions de la commission Debré, privilégier une interdiction des signes « visibles », si nous voulons clarifier la règle et viser tous les signes d'appartenance religieuse.

Une fois le principe réaffirmé dans la loi, il importe de privilégier le dialogue, la médiation entre le corps enseignant, l'élève et sa famille. L'interdit ne devra s'appliquer qu'en dernier recours, dans les cas vraiment insolubles. La meilleure stratégie pour combattre les intégrismes de tous bords est de promouvoir le dialogue.

Cette loi doit aussi permettre d'unifier les règles en vigueur dans les établissements scolaires. J'ai constaté en Seine-Saint-Denis une extrême diversité dans leur application : ici, on tolère les signes religieux, là on les interdit, là encore, on passe un compromis. Or, la République, c'est aussi l'indivisibilité des règles. Cette loi doit donner aux équipes pédagogiques les outils juridiques et symboliques nécessaires pour réagir de façon claire et cohérente, dans le souci systématique du dialogue.

Mais cette loi à elle seule ne résoudra pas tout. D'autres initiatives devront la prolonger. Nous souhaitons ainsi une charte de la laïcité qui puisse être diffusée à toutes les institutions publiques et dont l'application à l'école donne lieu à des textes précis. Quelles initiatives comptez-vous prendre, Monsieur le ministre, en ce sens ? Pourquoi ne pas créer une direction ou une sous-direction de la laïcité dans votre ministère ?

M. Hervé Mariton - Voilà qui règlerait tout !

Mme Elisabeth Guigou - Un guide de la laïcité sera-t-il diffusé aux enseignants, aux élèves et aux parents ? Un enseignement obligatoire de la laïcité et de ses implications pédagogiques figurera-t-il au programme des IUFM ? La laïcité sera-t-elle enseignée à l'école ? Ce vaste chantier doit être lancé dès maintenant.

Mais la laïcité ne concerne pas que l'école. D'autres espaces publics sont concernés. Il convient, là aussi, de redire fermement la règle qui est la nôtre. L'interdiction du port de signes religieux par les agents des services publics est déjà clairement affirmée par la loi. Reste à réaffirmer la mixité à l'hôpital et le principe de détermination des soins sur des critères strictement médicaux, en aucun cas religieux. L'hôpital devient en effet, de plus en plus, un lieu d'expression des fondamentalismes, comme en témoignent l'action des commandos anti-avortement des catholiques extrémistes. L'intégrisme n'est pas seulement le fait de certains musulmans. En vérité, tous les extrémismes religieux oppriment les femmes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La République, ce sont des droits et des devoirs. Et si elle doit faire respecter ses règles, elle doit aussi garantir à tous l'égalité. Or je constate, hélas, chaque jour en Seine Saint Denis, que la République n'a pas rempli certains de ses devoirs vis-à-vis de ses enfants, notamment ceux issus de l'immigration. Comment lutter contre le communautarisme et le repli sur l'identité religieuse sans proposer aux individus de réelles opportunités d'intégration dans la République ?

M. Bernard Carayon - Voilà le résultat de vingt ans de socialisme ! Faites au moins repentance !

Mme Elisabeth Guigou - Pour préserver notre modèle de « vivre-ensemble », il faut absolument garantir l'égalité des chances dans la société. Cela suppose lutter activement contre le chômage et les discriminations à l'embauche pour permettre l'intégration professionnelle, de démanteler les ghettos qui cumulent les handicaps pour garantir l'intégration territoriale, et de multiplier les actions éducatives et culturelles pour favoriser l'intégration sociale.

Il faut également garantir l'égalité entre les religions et, pour ce faire, aider l'islam à obtenir, comme les religions chrétienne et juive y sont parvenues au fil des siècles, des lieux de culte décents - trop de maires refusent encore d'accorder des permis de construire pour une mosquée -, des carrés dans les cimetières. Souvenons-nous que bien des pères et des grands-pères de nos compatriotes, enrôlés dans nos armées, ont versé leur sang pour la France. Souvenons-nous aussi que vivent aujourd'hui sur notre sol de nombreux Français d'origine maghrébine qui ne sont pas musulmans et affirment fièrement leur athéisme. Le jeune Ali de Bondy, dont il a été question hier, refuse d'être désigné par une identité religieuse, lui qui n'est pas musulman.

Les conflits à l'école ne sont que le miroir des tensions à l'_uvre dans l'espace social. Clarifier les règles à l'intérieur de l'école ne servirait à rien si l'on ne clarifiait pas également celles en vigueur à l'extérieur. Une promotion active des valeurs laïques, des actions volontaristes en faveur d'une vraie égalité entre les hommes et les femmes ainsi qu'une lutte déterminée contre toutes les formes de discriminations, notamment sociales et professionnelles, doivent prolonger ce projet de loi. Si celui-ci est l'amorce d'une telle dynamique en faveur de l'intégration de tous, de l'égalité concrète, du respect mutuel, en somme de la concorde nationale, alors il aura atteint son but (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Hervé Mariton - Un pas considérable va être franchi avec ce texte, qui vient à l'issue d'un débat qui nous aura passionnés comme il a passionné tous nos compatriotes partout dans le pays, dans les villes comme dans les campagnes et les banlieues.

Ce débat aura donné l'occasion de porter un diagnostic lucide. Après la dernière élection présidentielle, Philippe Manière avait, dans son ouvrage La revanche du peuple, souligné combien les résultats du premier tour étaient la conséquence d'une absence de diagnostic, et de conscience, sur ce qu'était la France aujourd'hui. « La France n'est plus la France de Bécassine, simplement, les politiques ne le disent et ne l'expliquent jamais », écrivait-il.

Mme Buffet a regretté hier que ce projet de loi puisse « remettre en cause la France plurielle ». Je lui répondrai qu'il ne suffit pas de constater que notre pays est pluriel pour que tout aille bien... Le voile islamique remet en question la neutralité de l'espace public, l'égalité entre les hommes et les femmes et, d'une manière plus générale, le modèle français. Le problème est à la fois religieux et politique.

Ce projet de loi, simple et court, qui répond à une demande de nos compatriotes, doit donner un signal clair. Il respecte parfaitement les équilibres de la République, laquelle respecte l'expression des convictions, « même religieuses », comme il est dit dans certains textes. La neutralité s'impose à la République elle-même et c'est pourquoi l'école doit être neutre. Vous nous avez remis il y a quelque temps, Monsieur le président, un superbe ouvrage sur les Marianne. Marianne porte un bonnet phrygien. Pour autant, celui-ci ne serait pas bienvenu à l'école.

M. Yves Durand - Et pourquoi ?

M. Hervé Mariton - Pour une raison essentielle.

M. le Président - Après 1875, Marianne ne portait plus de bonnet phrygien, Monsieur Mariton.

M. Jean-Marc Ayrault - Monsieur Mariton, vous n'avez pas lu le beau livre qui vous a été offert.

M. Hervé Mariton - Je l'ai lu comme il me plaisait.

La véritable question à laquelle conduit notre débat est bien la suivante : qu'est-ce que la France aujourd'hui ? Quelle est donc, comme le demandait hier le Premier ministre, « la grammaire de notre vivre-ensemble » ? Selon un récent sondage, nos concitoyens considèrent comme éléments constitutifs de notre identité tout d'abord la langue française, puis notre système de protection sociale, enfin, en troisième position seulement, notre culture et notre patrimoine. Claude Nicolet écrit dans son ouvrage L'unité républicaine en France « L'unité juridique et territoriale, horizontale, exige une unité d'une autre sorte, verticale, morale - c'est la laïcité. »

La laïcité à l'école, certains l'ont souligné, est en quelque sorte l'arbre qui cache la forêt. Mais pour traiter la forêt, il faut bien commencer par un arbre (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). Au-delà, c'est bien de l'unité de la communauté nationale qu'il s'agit, de la conscience morale qui définit la nation.

Ernest Renan n'écrivit-il pas que « la France devint très légitimement le nom d'un pays où n'était entrée qu'une imperceptible minorité de Francs » ? Oui, notre communauté nationale est ouverte et doit aujourd'hui relever plusieurs défis. Un débat est nécessaire sur l'égalité des chances, mais celui-ci ne peut pas résumer notre projet, lequel ne saurait se résumer à des statistiques. Il doit être dynamique et susciter l'adhésion, et pour ce faire, il importe que la communauté nationale ait une force d'attraction pas tant matérielle que morale. Notre République n'est pas un self-service, ni un menu à la carte. Il faut faire l'effort d'adhérer à ses valeurs. Devant la mission que vous présidiez, Monsieur le président, Shmuel Trigano déclarait lui-même que « ce sont les nouveaux venus qui doivent s'adapter au modèle en place, et non l'inverse » (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

La loi que nous allons voter est-elle celle de la dernière chance...

M. Pierre Lellouche - Probablement.

M. Hervé Mariton - ...pour affirmer l'expression française de la nation. La laïcité à la française étonne à l'étranger. Le communautarisme peut-il être évité ? Certains diront sans doute qu'il est trop tard ; je pense pour ma part que l'alerte étant donnée, le réveil a eu lieu, mais que par ce texte nous n'apportons qu'une réponse partielle au défi qui nous est lancé. Il faut désormais qu'une exigence s'impose à la collectivité, à tous les citoyens, ce qui ne sera pas facile dans une société du « droit à » ! Réussirons-nous ? Ce sera à nos enfants de le constater.

Certains termes à la mode ont leurs limites mais aussi leurs vertus. C'est le cas du « développement durable »... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) qui est une belle idée. De même, on peut souhaiter que soit durable notre envie de France. Car il doit être dit que ce n'est pas d'un simple bout de tissu que nous parlons, mais bien de ce que nous croyons, de ce que nous espérons et de la France que nous voulons construire. Voilà pourquoi je voterai volontiers ce texte : parce que nous n'avons pas le droit de nous dérober (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Yves Durand - Voilà une démonstration d'une grande clarté...

M. Jean-Christophe Cambadélis - Pour nous, le débat ne porte pas sur la place du foulard à l'école mais sur les moyens de l'en faire sortir, et l'exclusion du voile des établissements scolaires - et non pas de celles qui le portent - comme de tout autre signe religieux, repose sur deux principes qui ne me semblent pas négociables. Il s'agit d'une part de l'attachement à la laïcité de l'enseignement, compris comme la délivrance à tous les enfants d'un savoir commun, objectif et rationnel, d'autre part du refus viscéral de toute discrimination, notamment entre hommes et femmes.

Voilà pourquoi lorsque, en avril 2003, une nouvelle offensive est venue tester les résistances de la République lorsque, comme vous, j'ai entendu que l'enjeu n'était pas, ou plus, la foi de quelques adolescentes, mais bien que la République s'adapte à l'islam, je me suis résolu à une loi, qui permettrait évidemment d'étendre l'interdit à tout port visible de signes religieux. Etant donnée cette tentative d'utiliser les limites de la jurisprudence du Conseil d'Etat, il était temps de faire _uvre législative utile, et symbolique.

Après le 11 septembre 2001, le problème n'est plus celui d'une exception française qu'il faudrait résorber. Il est partout celui d'une crise de la politique et d'une interrogation sur la démocratie mais le malaise a pris une tournure paroxystique dans notre nation le 21 avril 2002. Comme nous le dit Pierre-André Taguieff, « la globalisation économique et communicationnelle, l'internationalisation du droit et l'uniformisation marchande du monde n'ont pas fait disparaître les puissantes aspirations identitaires », bien au contraire. L'individualisme consumériste suscite une logique communautariste et j'estime, comme Yacoub Joseph, que cet « ethnonationalisme étroit est devenu envahissant ». Le caractère inacceptable de l'islamisme militant, c'est sa prétention à l'exclusivité, le fait de vouloir se faire reconnaître comme la seule vérité. Voilà pourquoi il n'était pas bon que le ministre de l'intérieur vienne adouber le rassemblement de l'Union des organisations islamiques de France (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste). Pour autant, si la loi réaffirme la séparation entre espace public et espace privé et si elle codifie le premier, elle doit donner au second les moyens de s'organiser. Notre pays s'honorerait donc d'une loi permettant l'organisation du culte musulman et le fait que nous n'abordions pas cette question fragilise la République en laissant nos détracteurs libres de se référer à une prétendue islamophobie.

Pourquoi, alors, limiter le port du voile à l'école ? En premier lieu, pour offrir aux adolescentes issues de familles musulmanes un cadre de « désaffiliation positive », leur permettant de se construire comme des individus libres de leurs choix, dans la tradition émancipatrice de la République. Le fait que certaines adolescentes manifestent leur fierté à porter le voile ne change rien : la République a encore le droit de penser pour ses enfants (« Bien sûr ! »sur les bancs du groupe socialiste). Hannah Arendt voyait d'ailleurs dans le renoncement à ce droit un symptôme de la « crise de la culture ». Il a d'autant moins lieu d'être que l'on est amené à penser que, pour beaucoup de jeunes musulmans, la pression du milieu ne laisse que peu de place au choix. La seconde raison de se limiter à l'école, plus pragmatique, tient à ce que l'on ne peut que très difficilement interdire dans un Etat démocratique, le port du voile dans la rue et, a fortiori, dans l'espace privé. Mais l'école est l'antichambre de la vie en société et y proscrire le voile pourra induire une évolution susceptible de se propager à toutes les sphères de l'existence. L'école n'est-elle pas le « lieu de l'arrachement » à l'ignorance, aux préjugés, à la tradition, à l'enfermement, le lieu de l'émancipation, le lieu de l'ouverture sur le monde et sur l'altérité, le lieu de la formation de l'esprit critique et de la liberté de conscience authentique ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste) Voilà ce qui justifie, selon le joli mot d'Alain Finkielkraut, que l'on se découvre face aux livres, par opposition au Livre, qui exige que l'on se voile.

Et à ceux qui nous disent, « c'est ma religion » ou « c'est leur religion », qui impose le port du voile, nous répondons, avec le philosophe Henri Pena-Ruiz : « on n'entre pas en uniforme, avec oriflamme et tenue partisane, dans les lieux de culte dévolus au recueillement. Pourquoi le ferait-on dans les lieux de culture dévolus à l'étude ? »

Mais il existe un troisième argument : la place de la femme dans un pays qui a ratifié il y a vingt ans la convention internationale des droits de la femme, et qui doit respecter les engagements souscrits. A cet égard, la laïcité scolaire peut desserrer l'étau de la contrainte paternelle ou de la tutelle communautariste. L'école apparaîtra clairement pour ce qu'elle est, un espace de liberté où la stigmatisation sexiste et religieuse n'a pas de place. Tête nue, la jeune fille est d'emblée reconnue comme l'égale des garçons. L'école lui apprend ainsi qu'elle peut vivre autrement qu'en étant soumise à l'arbitraire du « sexe fort ».

Mais, pour fondés que soient ces arguments, la question est d'abord politique, car elle relève de la mystique républicaine avec laquelle nous avons grandement besoin de renouer, cette idée toute simple que la loi commune peut être libératrice. L'atomisation sociale, l'éclatement des demandes et leur complexité ont entravé la capacité à vouloir des politiques. Mais paradoxalement, la société française adresse à la classe politique une demande de maîtrise, d'autorité et de sens.

Et l'idée que tout se négocie toujours et partout, que tout corporatisme, tout particularisme culturel peut s'opposer à l'intérêt général, la négation de toute visée commune, de tout universalisme, tout cela heurte profondément l'inconscient français.

Nous savons depuis longtemps de quel prix se paie le renoncement des élites dans un pays qui est et restera politique ! (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste)

Alors, d'où vient le trouble ? Du flou de ce projet ? De son instrumentalisation politique ? De l'absence de mesures d'accompagnement ? De ce qui a gêné nombre de membres de la commission Stasi, à savoir un calendrier quelque peu opportuniste ? Mais passons. Lorsque, le 15 décembre, le Président de la République s'est, après le parti socialiste et bien d'autres, prononcé pour une loi, lorsqu'il a fixé les missions de la commission Stasi, je pensais sincèrement que la concorde républicaine était possible, comme lors du deuxième tour de l'élection présidentielle et, de façon plus mesurée, à propos de la guerre entre les Etats-Unis et l'Irak. Ne fallait-il pas travailler en ce sens et rassembler la France plutôt que rassurer son camp ? Le Gouvernement le pouvait en reprenant le terme « visible » proposé par la mission Debré. Au lieu de cela, il est revenu au mot « ostensible » - celui-là même qui obligeait à légiférer. On en comprend les raisons : nécessité de passer un compromis entre les différentes sensibilités de la majorité, volonté de faire un geste en direction de certains soutiens...

Mais votre volonté acharnée, et paradoxale, de ne gêner personne compromet l'efficacité même de la loi. Et c'est en quoi, loin d'être une coquetterie sémantique, le mot « visible » est préférable : nous voulons voter avec vous une loi simple, claire, applicable et si possible efficace, mais nos trois amendements ne sont pas une pirouette en attendant de vous applaudir.

Nous ne combattons pas frontalement votre loi. Pour les socialistes, la laïcité n'est pas un sujet politicien mais un vieux combat, celui de l'émancipation des hommes. Il me suffira pour le prouver de vous citer le propos tenu le jeudi 3 mars 1904, dans cet hémicycle même, par Jean Jaurès : « Liberté à vous tous, croyants, d'esprit à esprit, d'intelligence à intelligence, de conscience à conscience, de propager votre croyance et votre foi, quelle que puisse être la redoutable conséquence lointaine, même pour les libertés fondamentales de l'ordre nouveau ! Mais du moins, à la racine de la vie intellectuelle des hommes, dans l'_uvre d'éducation où la conscience s'éveille, où la raison incertaine se dégage, intervention de la communauté laïque, libre de toute entrave, libre de tout dogme pour susciter dans les jeunes esprits l'habitude même de la raison et de la vérité. Et c'est ainsi que, sans toucher à la liberté de conscience, nous avons le droit, nous avons le devoir de faire de cette liberté de l'esprit une réalité vivante, l'_uvre laïque et nationale d'éducation et d'enseignement. »

C'est parce que nous marchons dans les pas de Jaurès que nous voulons une loi qui serve la laïcité. Tout dépend maintenant de votre capacité à entendre notre volonté de rassemblement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Christian Vanneste - Un médecin qui ne traiterait que les symptômes serait un très mauvais médecin, mais que dire d'un législateur qui s'en prendrait aux symboles sans s'attaquer aux dangers qu'ils représentent ? Le danger en l'occurrence, c'est l'affaiblissement de l'idéal national et républicain et l'affaiblissement de l'Etat. C'est ce qu'il y a dans les têtes, non sur les têtes.

Lorsque, dans un stade, des jeunes sifflent la Marseillaise, que signifie ce comportement ? A l'âge où l'affirmation de soi passe par l'appropriation d'une identité collective, ce n'est ni l'appartenance nationale ni l'adhésion à notre République qui l'emportent en force et en séduction - et la citoyenneté au rabais proposée par M. Fabius par le biais d'une participation aux élections locales n'arrangera rien. Notre inquiétude devrait naître moins de signes que de notre impuissance à transmettre des valeurs positives. Une loi qui interdit un symbole risque de n'être que symbolique. Une loi n'est pas faite pour envoyer un signal : elle est là pour édicter une norme - et c'est pourquoi il est dangereux d'y recourir trop souvent : trop de loi tue la loi, surtout lorsqu'elle est d'application difficile.

Fallait-il une loi pour interdire le port du hidjab dans les écoles publiques ? J'ai d'abord trouvé qu'il y avait disproportion entre le problème et sa solution. C'est le gouvernement des juges, en l'espèce la jurisprudence du Conseil d'Etat, qui nous conduit à ce choix. Cependant le problème demeure très circonscrit : ni le respect des horaires ni celui des programmes ne sont menacés, cette jurisprudence confirmant par exemple l'interdiction du port du foulard au cours des activités d'éducation physique. La justification de la loi ne se fonde que sur la nécessité de légitimer les règlements internes des établissements scolaires et de conforter les chefs d'établissements. La démarche semble logique compte tenu de la jurisprudence du Conseil d'Etat, mais la mise en pratique de la loi paraît bien périlleuse...

Il y avait trois possibilités : on pouvait employer le terme « visible », qui avait le mérite de l'objectivité mais le défaut d'être clairement anticonstitutionnel en raison de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme. On pouvait s'en remettre à la rédaction adoptée dans le projet, mais elle ne fait que renforcer la subjectivité de l'appréciation, la forme adverbiale « ostensiblement » indiquant nettement qu'on vise l'intention et non le fait. Or si une croix ou une étoile de David manifeste bien une appartenance, un foulard ne montre rien : il ne fait que cacher, pour obéir une prescription coranique. De même pour les Sikhs : le signe d'appartenance est la longueur des cheveux et enlever le turban sera faire apparaître ce signe ! C'est pourquoi j'aurais préféré une troisième solution : l'école de la République ne doit pas interdire, mais inculquer ses valeurs et le port de l'uniforme concilierait le respect du principe primordial d'égalité et un rappel à la rigueur propice au travail et à l'enseignement.

En revanche, limiter la loi à l'interdiction du port de signes religieux aura deux conséquences négatives. Tout d'abord, le concept même de laïcité est né dans un contexte chrétien, à une époque où on distinguait clercs et laïcs, pouvoir spirituel et pouvoir temporel. Il trouve une de ses meilleures expressions dans la pensée libérale anglo-saxonne et dans la Lettre sur la tolérance de Locke - « la loi ne doit se préoccuper que du maintien de l'ordre social ; elle a le droit de réprimer les manifestations destructrices de l'Etat mais elle n'a aucune juridiction sur les âmes des hommes. » De même, la Déclaration universelle et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme insistent sur le caractère essentiel de la liberté de conscience, l'une affirmant le droit des parents à choisir le genre d'éducation qu'ils veulent pour leurs enfants et l'autre la liberté de manifester sa religion en public comme en privé.

L'exception française consiste en l'introduction explicite du concept de laïcité dans la Constitution, en une application plus stricte et dans une histoire marquée par une laïcité de combat, qui ne céda à une laïcité « de respect » qu'après 1905-1907 et, surtout, après l'accord passé en 1924 avec le Saint Siège. C'est l'esprit de cette laïcité qu'il faut sauvegarder : l'esprit d'une laïcité bienveillante envers les religions. Or je ne suis pas sûr que cette loi y contribue.

Deuxième conséquence négative : une identité humiliée risque d'être une identité révoltée et donc tentée par le repli communautaire. En stigmatisant par trop la religion, on risque de susciter un enseignement communautaire, voire communautariste. En s'attaquant aux symptômes, on aura aggravé la maladie !

Les religions n'ont jamais été des obstacles à l'intégration, bien au contraire. Le problème que pose l'islam est moins un problème d'identité que de temps : il faut lui laisser le temps de s'intégrer à la République. Il y a là un défi que cette loi ne me paraît pas en mesure de relever (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

Mme Jacqueline Fraysse - Si le sujet est débattu sur les lieux de travail, dans les familles ou entre amis, il a aussi donné lieu à un festival médiatique et politique assez étonnant, occupant les unes de la presse et des journaux télévisés... et masquant au passage d'autres préoccupations tout aussi importantes.

Laïcité : de quoi s'agit-il ? D'un principe d'organisation de la société sur la base de valeurs communes et dans le respect des différences individuelles. La laïcité, c'est la séparation des Eglises et de l'Etat, le respect du pluralisme religieux, la liberté de conscience. Ce sont les valeurs qui font la nation, les valeurs de progrès inscrites dans la loi de 1905.

Mais la laïcité, c'est aussi le mariage civil, le divorce, l'école publique, l'exercice légal de la médecine, la légalisation de l'IVG, qui sont autant de valeurs incluses dans le patrimoine culturel et social de notre pays.

Votre projet de loi garantit-il ces acquis ?

Non, car il ne vise qu'à stigmatiser le port du voile par des jeunes filles dans l'école publique. Par là même, il discrimine plutôt qu'il intègre. Il faut combattre le port du voile religieux par les femmes en ce qu'il les oblige à cacher leur corps et leur féminité. Il est l'instrument d'une domination inacceptable.

Pour autant, je me refuse, au nom même de l'esprit de laïcité, à réduire la représentation de l'islam à ces seules pratiques, comme ce projet de loi tend à l'insinuer.

Il a déjà pour conséquence de flatter les dérives populistes qui alimentent l'extrême-droite et les intégristes. Bien sûr, il faut combattre la montée des intégrismes, mais gardons-nous de réduire cette question complexe au seul intégrisme musulman. Les intégristes catholiques ne manifestaient-ils pas tout récemment, devant l'Assemblée nationale, pour la remise en cause de l'IVG consécutive à l'amendement de M. Garraud ?

M. Christian Vanneste - Cela n'a rien à voir !

Mme Jacqueline Fraysse - La stigmatisation de la seule religion musulmane profitera aux intégristes. L'immense majorité des musulmans vit sa foi dans le respect des lois de la République, et le principe de la liberté de culte doit s'appliquer à leur religion. Notre pays est fort quand il s'enrichit de la diversité culturelle de ses habitants, aussi devrait-il reconnaître la citoyenneté de résidence. Les étrangers doivent avoir le droit de voter dans le pays où ils vivent, et je regrette que la gauche ne leur ait pas accordé le droit de vote et d'éligibilité.

Quant à la droite, elle a rejeté cette proposition au début de cette législature. Mais surtout, elle a, en 2003, gelé plus du quart des crédits accordés au Fonds d'action de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations, qui finançait, notamment, des associations pour la socialisation des femmes.

Il reste beaucoup à faire, en matière de droits des femmes, et pas seulement concernant les femmes musulmanes. Quid de l'égalisation des retraites et des salaires à qualification égale ? Quid de l'accès des femmes aux postes à responsabilités dans les entreprises, mais aussi, ici, à l'Assemblée nationale, où nous ne représentons qu'un peu plus de 13 % des députés ?

Notre pays a besoin d'un réel débat sur la laïcité, l'immigration et les droits des femmes. C'est une condition préalable à toute réforme. Mais vous préférez présenter un texte stigmatisant et restrictif, confinant à une discrimination inacceptable, aussi ne le voterai-je pas.

M. René Couanau - J'ai longtemps pensé qu'il serait abusif de légiférer pour interdire le port des signes religieux à l'école. Je comprends aujourd'hui ceux qui, par une loi sobre, veulent mettre en garde contre une dérive insidieuse que notre tradition de tolérance pourrait favoriser.

Nous avons cru à une laïcité apaisée, établie par des années de pratique, à un tel point que depuis l'apparition des premiers voiles à l'école, à la fin des années 1980, on a continué de croire que des règlements intérieurs, des circulaires ministérielles, et une jurisprudence du Conseil d'Etat, suffiraient à mettre fin à ce qui apparaissait comme une turbulence passagère.

Non, cette crise n'est ni passagère ni limitée. Notre société est bel et bien confrontée à un fait nouveau important, religieux certes, mais surtout sociétal et politique.

La laïcité rêvée et apaisée risque d'éclater en morceaux à l'école, et hors l'école, et, avec elle, des pans entiers des valeurs de la République.

M. Jean-Michel Dubernard, président et rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Très bien !

M. René Couanau - Le port du voile à l'école va au-delà du seul respect des préceptes religieux. Cette revendication identitaire d'un islam intégriste comporte l'adhésion à un code juridique, à des normes sociales, à une conception des rapports entre le citoyen, les religions et l'Etat, qui ne sont pas ceux de la République française.

Il s'agit bien d'une tentation pour les uns, d'une tentative pour les autres, de fonder une communauté qui ne se reconnaîtrait, ni dans nos lois, ni dans notre système social.

Cela va au-delà de l'inacceptable.

Le port du voile est aussi l'expression de la soumission, volontaire ou non, de la part de toutes les jeunes filles ou non, là n'est pas la question. Que serait une société de droit, d'égalité et de liberté, si elle courait le risque de ne pas assurer, ne serait-ce qu'à une personne, la protection qu'elle lui doit contre la contrainte et la discrimination ?

Il est nécessaire, aujourd'hui, de voter une loi symbole qui affirme solennellement les limites de la liberté individuelle dans une école ouverte à tous, et destinée à former des citoyens responsables d'eux-mêmes, et porteurs d'une parcelle de la responsabilité collective.

Mais ne nous faisons pas d'illusions. Cette loi ne sera pas un exorcisme, ni contre telle religion, ni contre tel fantasme. Ni contre les maux qui ont abouti à cette crise de laïcité, véritable crise de société. Le port du voile est revendiqué par la deuxième ou troisième génération de l'immigration. Quel échec de la politique d'intégration !

La commission Stasi a rappelé l'existence de 700 quartiers de nos villes, accueillant de nombreuses nationalités, où se cumulent chômage élevé, problèmes de scolarisation, précarité.

Cette situation n'est pas étrangère aux tentations de repli identitaire et de revendication communautaire.

Cette loi ne sera pas non plus un exorcisme contre les retentissements douloureux du conflit au Moyen-Orient, ni les ondes de choc provoquées par les affrontements à travers le monde, ni les peurs nées du sentiment d'incapacité de la communauté internationale à juguler le recours à la loi du plus fort, ni l'attirance des jeunes esprits à la recherche d'idéaux, voire de modèles extrêmes.

C'est à notre société, et en premier lieu à notre école, d'ouvrir un nouveau champ de reconquête des valeurs qui fondent notre communauté nationale.

Cette loi sera un signe clair pour les enseignants, les chefs d'établissement, qui en viennent parfois à douter de leurs missions.

Son adoption peut être perçue par ceux qui sont en première ligne comme une marque de confiance (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Serge Janquin - Lorsqu'on ambitionne de siéger dans cette assemblée, on se fait une certaine idée des grandes voix qui s'y sont élevées sur de grandes causes, une certaine idée aussi de la mission du parlementaire. Les députés ne sauraient se résigner à ce que la loi soit - comme le dénonce Renaud Denoix de Saint Marc - « bavarde, précaire, banalisée et utilisée comme moyen d'action politique ». Bien au contraire, nous voulons édifier des lois fortes, parfaites et majestueuses comme des temples grecs.

Le projet de loi qui nous est soumis est-il à la hauteur de la grande cause qu'il prétend défendre ? L'impératif de laïcité est la clé de voûte de la construction de notre modèle républicain. Et si nous n'en abordons aujourd'hui qu'un aspect, l'interdiction du port de signes religieux à l'école, celui-ci est suffisamment constitutif du principe de laïcité pour que nous voulions le conforter par la vigueur de la loi, plutôt que de laisser les chefs d'établissement tenter de régler seuls des comportements qui conduisent du libre exercice d'une faculté à un prosélytisme menaçant pour l'unité de la République.

Encore faut-il qu'au terme du débat, nous puissions voter une loi conforme aux impératifs rappelés. Quelles sont les questions auxquelles doit répondre le législateur ? Le texte répond-il à la question sociale essentielle de notre temps, celle de l'intégration de toutes les composantes de la société française ? Répond-il à la nécessité de réaffirmer le principe de laïcité dans toutes ses composantes ? La laïcité peut-elle se résumer à l'interdiction de porter à l'école un voile sur la tête ? Le projet permet-il de mieux assurer l'émancipation des femmes de toute origine et de toute confession ? Dote-t-il enfin les chefs d'établissements publics d'enseignement de références législatives assez claires pour qu'ils puissent exercer leur mission en toute sérénité ?

Permettez-moi d'abord de faire valoir mon point de vue sur l'utilité de la loi. Comme beaucoup d'autres, j'aurais préféré que le texte évoque les signes religieux « visibles » ou « apparents » plutôt que « portés de manière ostensible ». Si l'on dit « ostensible » ou « ostentatoire », toute décision pourra être contestée et réformée, le texte n'introduisant aucune sécurité juridique supplémentaire.

On a beau nous opposer le risque de censure du Conseil constitutionnel ou de la Cour de justice européenne, je suis de ceux qui considèrent qu'une loi votée dans des termes non équivoques répondrait aux impératifs de proportionnalité de la réponse législative à l'atteinte à l'ordre public et à la limitation des libertés, d'autant qu'elle contient le périmètre de son action de deux manières.

D'une part, seuls les enfants et les adolescents sont concernés - et il convient à cet égard de protéger la liberté de détermination personnelle car elle est au c_urs de notre projet éducatif émancipateur. D'autre part, la loi est cantonnée à la porte des établissements.

Pour pusillanime qu'elle reste dans sa formulation, la loi tend à introduire une sorte de « renversement de la preuve » par rapport à l'avis du Conseil d'Etat de 1989. Il sera en effet désormais bien établi que les insignes religieux sont interdits dans l'enceinte des écoles, collèges et lycées publics. Mais accordez-nous au moins, Monsieur le ministre, l'évaluation que demande Jean Glavany.

Chacun a bien perçu que le c_ur de la loi, c'était la condition de la femme. La commission Stasi a parfaitement rendu compte de tous les enjeux qui s'y attachent et je souscris à ses conclusions. Je note simplement que les fondamentalistes qui cherchent à instrumentaliser les femmes de confession musulmane ne manquent pas d'audace : leur plaidoyer pour autoriser le port du voile là où il n'est pas toléré serait plus recevable s'ils mettaient la même énergie à dénoncer toutes les situations où le voile est utilisé pour dominer, asservir ou dévaloriser : dans combien de pays, dans combien de foyers les femmes sont-elles outragées dans leur dignité, saccagées dans leur chair, reléguées dans une condition inférieure, confinées dans la dépendance, niées en tant qu'êtres humains ? S'en émeuvent-ils ? De ce point de vue, le projet de loi établit un code de droits de la femme que nous sommes résolus à conforter.

A l'évidence, ce texte n'épuise pas la question de la laïcité. Quid du refus de se faire soigner par un médecin de sexe opposé ? Quid de la neutralité du service public ? Nous sommes loin de la grande loi sur la laïcité que certains se sont cru autorisés à annoncer. En vérité, vous restez au milieu du gué. Au reste, c'est aussi d'une grande loi sur l'intégration dont nous avons besoin ici et maintenant, pour lutter contre toutes les formes de discrimination : délit de faciès à l'entrée des boîtes de nuit, difficultés d'accès à l'emploi ou au logement, offense à la dignité à raison de l'appartenance à une minorité ethnique, culturelle ou sexuelle. Et que dire du maintien de lieux de culte indignes ou du déni du droit à être inhumé dans des conditions conformes à ses convictions ? Oui, Monsieur le ministre, nous attendons toujours cette loi « forte, parfaite et majestueuse comme un temple grec ».

Du haut de cette tribune, Victor Hugo haranguait ses collègues en ces termes : « Messieurs, tant que vous n'avez pas vaincu la misère, vous n'avez pas fait votre devoir ». M'inspirant de notre illustre prédécesseur, j'ai envie de dire ce soir que, tant que nous n'avons pas rendu à nos citoyens l'égalité des chances et combattu pied à pied toutes les discriminations, nous n'avons pas fait notre devoir.

Incertaine dans son application et dépourvue du souffle hugolien qui aurait dû l'animer, cette loi va tout de même dans le bon sens (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des députés communistes et républicains).

La séance, suspendue à 23 heures 25, est reprise à 23 heures 30.

M. Bernard Carayon - Ce projet a pour premier mérite de rappeler la primauté de la loi civile sur la loi religieuse, primauté qui découle de notre identité judéo-chrétienne et dont la République a fait un des principes généraux du droit avant de l'intégrer dans la Constitution.

Depuis la distinction entre les deux cités par Saint Augustin jusqu'à la loi de séparation de 1905, ce cheminement a été chaotique, mais l'inspiration était la même : la religion relève de l'intimité, peut-être du visible, mais sûrement pas de l'ostensible.

L'encyclique Mirari vos de 1832, qui considérait la liberté religieuse comme absurde et erronée, n'est plus d'actualité. Il faut dénoncer ce que Jean-François Revel appelle « la néfaste compote de la religion et de la politique », compote très indigeste de ceux qui voudraient régler jusqu'aux menus détails de la vie quotidienne et condamnent l'apostasie.

Donner un coup d'arrêt à l'offensive politique des intégristes musulmans est une nécessité vitale. Il s'agit du dernier intégrisme religieux dans le monde, mais il serait vain de rechercher un quelconque accommodement avec ceux qui revendiquent un pouvoir total, y compris en matière culturelle. Un accord, pour eux, n'est qu'un armistice. Tout arrangement local est donc inutile, qu'il s'agisse des horaires pour les femmes dans les piscines ou des régimes spéciaux dans les cantines. On ne peut négocier avec ceux qui érigent la haine et la discrimination en règle de droit, c'est-à-dire en principe de vie.

Aussi loin que remonte notre civilisation gréco-latine et judéo-chrétienne, l'égalité entre les hommes et les femmes est une référence constante. L'infériorité ontologique de la femme est étrangère non seulement à notre civilisation, mais à la civilisation tout court. Tolérer le voile aujourd'hui, ce serait interpréter demain l'excision ou la lapidation comme des faits culturels. Nous ne sommes plus dans l'ordre juridique, mais dans le débat sur la dignité humaine.

Les gouvernements successifs de ce pays se sont réclamés d'une doctrine de l'intégration en apparence généreuse qui, respectant toutes les cultures, a ouvert la voie à une théologie de la différence et à l'éloge du singulier. Le moyen est ainsi devenu une fin. Mais la République, ce n'est pas cela : la République, c'est l'assimilation et non l'intégration. L'assimilation dans l'adhésion sans réticence ni résistance aux valeurs universelles proclamées par la Déclaration de 1789. C'est la nation conçue, selon Ernest Renan, comme un vouloir-vivre collectif, une adhésion de tous les instants. La République, ce n'est pas une négociation permanente entre des particularismes, la tolérance à l'égard de l'intolérable : on ne négocie pas l'essentiel ! On ne relativise pas les droits de l'homme.

La République, c'est la paix.

Ce n'est pas un hasard si les intégristes musulmans ont choisi l'école comme terrain d'affrontement : l'école est le creuset républicain de l'égalité des chances, le lieu d'apprentissage des émancipations.

Certains voudraient faire croire que ce texte traduit l'islamophobie et l'intolérance de la société française. C'est d'autant plus inacceptable que ce sont les mêmes qui, de Téhéran ou du Caire, justifient la haine, l'antisémitisme ou les pratiques les plus barbares de la charia.

Ce texte ne mettra pas un terme aux violences réelles ou symboliques que nous observons, mais il a le mérite de rassembler les Français autour des valeurs de notre nation : la liberté contre la soumission, l'égalité contre la discrimination, la fraternité contre le conflit.

Il ne convaincra pas celles qui ont trouvé dans l'aliénation de leur personnalité leur mode normal d'existence. Mais s'il apporte une bouffée d'espoir aux femmes qui refusent la violence, l'humiliation et la soumission, alors notre démocratie aura retrouvé les couleurs de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire - Bravo !

M. Gérard Charasse - La grande loi républicaine de séparation des églises et de l'Etat aura bientôt cent ans. Depuis 1905, le concept de laïcité a été constitutionnalisé, en 1946 puis en 1958. La France en a donc fait un principe essentiel du pacte républicain.

La laïcité repose sur trois fondements : la liberté de conscience, l'égalité en droit des options spirituelles et religieuses et la neutralité du pouvoir politique. Ainsi peut-elle être définie comme une philosophie qui se rattache au courant de l'humanisme radical et à une certaine vision du monde en vertu de laquelle l'Homme donne la mesure de toute chose, un Homme ouvert à la raison et curieux d'explorer l'inconnu. La laïcité est une philosophie politique, qui distingue la confession de la citoyenneté ; elle rend la politique autonome, elle le délie de toute transcendance divine. Elle repose sur la Déclaration de 1789, dans la filiation des Lumières, rejette le pouvoir absolu des dogmes et garantit le pluralisme.

La séparation des Églises et de l'Etat nous semble aujourd'hui tout à fait légitime, c'est un acquis démocratique. Mais n'oublions pas qu'elle est le fruit d'une évolution. Cette séparation nous a affranchis de la tutelle de l'Église qui pesait sur les activités publiques. Ce mouvement commença au Moyen Age avec la critique thomiste de la continuité du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel. Lorsqu'à la Renaissance l'unité de foi se brisa, l'apprentissage de la pluralité des croyances fut douloureux. Dans ce contexte, l'organisation des rapports entre le politique et le religieux devenait indispensable. La Révolution française permit de dépasser les clivages du passé.

Ce qui s'observait dans le domaine de la foi fut transposé dans celui des convictions politiques : on accepte la diversité d'opinion qui deviendra un principe fondateur de notre démocratie. La cohésion du corps social se fait sur des valeurs communes, dont le droit imprescriptible à suivre librement sa voie spirituelle et à faire valoir pacifiquement son opinion.

La grande loi républicaine de 1905 réalise la séparation des Eglises et de l'Etat. Parce qu'elle est fondée sur l'égale dignité des personnes et les libertés fondamentales de conscience, de culte, d'opinion et d'expression, elle va plus loin que la tolérance : si l'une et l'autre reconnaissent la diversité comme une valeur, seule la laïcité pose le principe de l'égalité en ne privilégiant aucun culte.

La loi de 1905 n'est pas une loi antireligieuse. Au contraire, c'est une loi d'apaisement qui affirme aussi bien la liberté des églises que l'autonomie du politique. Elle a permis la réconciliation des « deux France ». La liberté de conscience suppose la liberté du culte, mais les choix religieux des citoyens ne doivent pas peser sur l'organisation de la cité. L'esprit de la loi de séparation peut se résumer en une phrase : la loi doit respecter la foi, mais la foi ne doit pas faire la loi.

Loin de nier le religieux, la laïcité lui donne toute sa place dans la formation des idées, la force des convictions et l'inspiration de l'art. Loin de combattre la religion, la République y puise : l'idée de progrès, républicaine et humaniste, issue du concept chrétien d'espérance, qui lui-même puise ses racines dans l'idée juive du « temps qui va quelque part ». Ainsi, la République et les religions ne s'opposent pas quand elles prônent le même idéal de perfectibilité de l'homme.

En fait, la laïcité constitue un rempart qui préserve la République de toutes les influences extérieures, qu'elles soient confessionnelles, économiques ou partisanes. Le combat pour la laïcité est un combat pour l'égalité des citoyens, mais aussi pour l'indépendance du pouvoir politique. N'oublions pas le devoir qui est le nôtre, en tant que représentants du peuple souverain : toujours faire prévaloir l'intérêt général sur les intérêts particuliers.

Parce qu'elle est la matrice des valeurs républicaines, l'école doit être préservée de toute influence. Les pressions religieuses ont trouvé refuge dans la tolérance républicaine. La question aujourd'hui posée est celle de l'inégalité entre les religions, et le principal danger auquel l'école se trouve exposée réside dans le consentement, donné par la République elle-même, à des discriminations contraires à la devise républicaine. Il faut que l'école redevienne républicaine et la laïcité un militantisme. Nous ne pouvons pas prendre le risque de voir nos enfants s'échapper vers l'intégrisme et le communautarisme.

La question du foulard, en réalité celle de l'ostentation de la foi en milieu scolaire, a révélé un des malentendus fondamentaux qui obscurcissent la question de la laïcité. Je pense à l'idée fausse selon laquelle la laïcité devrait être modernisée. Elle doit certes prendre en compte les questions nouvelles telles que la biotechnologie, mais elle ne peut se réduire au plus petit dénominateur commun des parties en présence.

C'est notre croyance absolue en l'autonomie du sujet qui seule garantit le respect des droits imprescriptibles de l'individu. Tolérer une limitation communautariste de ces droits, quand bien même l'individu concerné y consentirait, serait ouvrir une brèche dans les principes républicains. C'est une chose de reconnaître la diversité des identités, c'en est une autre de croire que la République pourrait survivre si elle n'était qu'une mosaïque, privée du principe organisateur qu'est la laïcité. Il faut réaffirmer avec force que les valeurs universelles sont fédératrices de toutes les identités et que la garantie de l'égalité entre les individus est la laïcité.

Si ce projet de loi permet de renforcer le principe de laïcité, nous le soutiendrons. Nous savons toutefois combien il faudra travailler à laïciser les identités pour vaincre le danger du communautarisme. La laïcité n'est pas qu'une règle du jeu institutionnel. C'est la possibilité de concilier « vivre ensemble » et pluralisme. Parce qu'aucun droit ne naît d'une appartenance, aucune inégalité entre les communautés, les sexes, les personnes n'est envisageable, même au nom d'une tradition religieuse, il faut réaffirmer avec force que la laïcité est le seul moyen de forger l'unité tout en respectant la diversité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Pierre Lellouche - Ce projet de loi est tout sauf un texte de circonstance. Rarement texte aura mûri aussi longtemps, depuis les premières affaires de voile à Creil en 1989, et aura donné lieu à tant d'auditions, d'études et de débats, ici même comme à l'extérieur.

Cette longue maturation est la preuve même de la difficulté de l'exercice et les hésitations qu'il a entraînées dans la classe politique, longtemps tentée de se défausser sur le juge administratif, quand ce n'était pas sur le personnel de l'éducation nationale.

Comment préserver le principe de laïcité, consubstantiel à notre République, « laïque et indivisible » aux termes mêmes de l'article premier de notre Constitution, alors même qu'en moins d'une génération, l'islam est devenu la deuxième religion de notre pays, et qu'une petite partie des musulmans de France revendique de plus en plus ouvertement, non pas seulement le droit d'exercer librement leur religion, mais celui de modifier les principes mêmes de notre pacte républicain pour se conformer à leur lecture de la foi islamique ?

Comment, alors que la communauté musulmane de France a tant de mal à s'intégrer, éviter qu'aux discriminations sociales ou économiques, ne s'ajoute la perception d'une discrimination juridique supplémentaire sous la forme d'une loi, vécue comme « anti-voile » ? Bref, qu'au lieu de résoudre un problème, on en crée un autre plus vaste encore ? Comment faire pour que cette loi englobe tous les cultes au nom du principe d'égalité, évitant ainsi l'écueil de l'islamophobie, mais aussi qu'elle distingue dans son application entre la libre pratique de la religion et l'utilisation politique de celle-ci ?

Sur la nécessité de légiférer, il existe désormais un consensus quasi général, non seulement au sein de l'exécutif mais aussi sur la quasi-totalité de nos bancs. Des dérives graves n'ont cessé de se multiplier ces dernières années à l'école, à l'hôpital, dans les services publics, sur les lieux de travail. Les travaux de la commission Stasi ont révélé l'ampleur du problème, au point que son président a pu écrire : « Il faut être lucide : oui, des groupes extrémistes sont à l'_uvre pour tester la résistance de la République et pousser certains jeunes à rejeter la France et ses valeurs ». Les exemples sont, hélas, légion, qu'il s'agisse de la violence antisémite, verbale ou physique, dans les écoles - laquelle m'avait amené à proposer l'an passé une proposition de loi visant à la réprimer, proposition qui fut adoptée à l'unanimité ; de l'impossibilité d'enseigner telle ou telle partie du programme dans certaines classes ; des revendications pour séparer filles et garçons en classe de gymnastique ou à la piscine ; des violences parfois terribles, comme celles commises à l'encontre de la jeune Sohane, brûlée vive, ou contre de jeunes Françaises qui refusent de porter le voile, sans parler du refus de certaines femmes de se faire soigner par un médecin homme... « Indivisible et laïque », notre République l'est, hélas, de moins en moins au quotidien, notamment dans les « quartiers », ces ghettos à la française que nous avons nous-mêmes créés depuis trente ans.

Si le consensus existe désormais sur la nécessité de protéger l'école, et d'y soulager les équipes enseignantes d'une responsabilité qu'elles ne peuvent plus assumer, faute d'un cadre législatif précis, ce consensus est, hélas, moins net, comme l'a montré aujourd'hui le débat entre M. Juppé et M. Fabius, sur ce que doit être le texte de la loi.

J'aurais moi aussi préféré un texte plus clair, retenant l'adjectif « visible » comme le préconisait la mission Debré, plutôt que l'adjectif « ostensible », sujet à moult interprétations (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). Je préférerais aussi que le texte ne soit pas affaibli par l'amendement 8, déjà adopté par la commission des lois, qui prévoit une concertation préalable avant l'application de sanctions, d'ailleurs non prévues par le texte. Si l'objectif d'un tel amendement est assurément louable, je crains qu'il ne serve de prétexte à de multiples provocations.

Comme l'ont dit plusieurs orateurs de la majorité comme de l'opposition, ce texte se veut une loi « d'apaisement et non de combat », « un bouclier, plutôt qu'un couperet ». Approche louable là encore, tournant délibérément le dos à l'esprit anti-clérical de la loi de 1905, précisément parce que nous souhaitons tous ici éviter le piège fatal qui consisterait à ostraciser une communauté. J'espère que cette approche sera suffisante.

Cela étant, certaines réactions, notamment dans le monde arabo-musulman, sans parler de déclarations faites en France, laissent craindre que le dispositif retenu ne montre rapidement ses limites, face à ceux qui dénient purement et simplement à la République française le droit de légiférer sur le sujet. Je citerai seulement un texte publié hier dans un quotidien national sous la plume de Hani Ramadan, frère du très médiatique Tariq et directeur du Centre islamique de Genève, déjà connu pour ses positions sur la lapidation des femmes. Il écrit : « Dans les pays musulmans, des millions de femmes sortent voilées, elles ne le font nullement par ostentation mais uniquement pour obéir à une injonction divine ». Au nom du « respect de la femme », poursuit-il, il est hors de question de « la mettre de force sous la tutelle d'une quelconque loi ». Ce qui signifie que la souveraineté d'un Etat laïc et républicain s'arrête là où commence la « charia ».

Mieux encore : M. Ramadan entend nous imposer sa propre définition de la morale. Le sexe est bien sûr au c_ur de ce choc des civilisations ou plutôt des morales. Jugeons-en plutôt : « Et si l'avilissement de la femme résidait plutôt dans la prostitution que la République autorise ? Ou dans l'exploitation dégradante de son corps livré aux appétits malsains d'une horde d'hommes qui consomment à fortes doses, sur grand écran ou dans des lits de hasard, les femmes dites libérées ? L'islam est la religion de la pudeur. La femme en islam a une valeur inestimable. Elle est la perle qui illumine le foyer et la société. Une perle que l'on protège dans un écrin de velours, et que l'on tient à l'abri des privautés. C'est une autre philosophie, difficilement compréhensible, certes, pour des communautés déchristianisées qui considèrent qu'il est parfaitement normal de multiplier les partenaires, comme l'on se passe une pièce de cent sous ». Et M. Ramadan de conclure : « En islam, l'être humain n'est réellement libre, qu'il s'agisse d'un homme ou d'une femme, qu'à partir du moment où il se soumet entièrement à Dieu et à Dieu seul ».

Face à cela, il est grand temps de légiférer ! Non contre l'islam, encore moins contre l'immense majorité des Français de confession musulmane qui ne revendiquent que le droit à l'indifférence et à l'égalité des chances, mais contre l'islamisme politique.

Ayons cependant conscience que cette loi nécessaire n'est pas suffisante. Le monde musulman connaît depuis 1979 une formidable montée de l'intégrisme, dont les effets se font ressentir dans tous les pays musulmans, et bien sûr dans les communautés installées en Occident, y compris en France. Le terreau est là, produit de la ségrégation urbaine et des écarts scolaires et sociaux. La cible aussi, notamment parmi les jeunes en quête de repères et d'identité.

Dans un tel contexte international, cette loi n'est qu'une première étape. Pour que celle-ci soit franchie avec succès, il faut réunir plusieurs conditions. D'abord qu'elle soit votée dans un consensus bi-partisan le plus large possible, et appliquée sans faiblesse, ni procrastination - le voile est bien interdit en Tunisie et en Turquie - ; que, loin de donner l'impression de céder face aux pressions étrangères, nous adressions au contraire un message d'espoir à toutes ces femmes, à tous ces démocrates qui, au sein du monde arabo-musulman, se battent pour la démocratie et l'égalité, enfin que les institutions représentatives du culte musulman de France, récemment mises en place, prennent clairement position en faveur de la loi de la République, et contre l'intégrisme.

Au-delà, il faut que l'égalité des chances devienne une réalité dans notre pays, et qu'à l'école en particulier, l'intégration devienne le maître-mot. Lors de ma première intervention devant cette Assemblée, j'avais proposé quatre mesures qui ne coûteraient pas un centime au budget de l'Education nationale : qu'un drapeau français soit placé dans chaque salle de classe ; que l'hymne national soit appris et maîtrisé par les enfants ; que l'uniforme ou la blouse redevienne la règle pour tous ; enfin que chaque journée commence par quinze minutes d'éducation civique. Ces propositions avaient fait sourire à l'époque. Aujourd'hui, elles compléteraient heureusement les mesures que nous nous apprêtons à introduire dans notre droit.

L'affaire du voile a été l'occasion pour une majorité de Français de prendre conscience que l'islam était devenu, en une génération à peine, la seconde religion du pays. Mais ces mêmes Français qui légifèrent sur le voile, ignorent, parce que la loi l'interdit, ce que sera la composition ethnique et religieuse de notre pays dans vingt ans. La question est taboue ! Pourtant, les autres grandes nations démocratiques, terres d'immigration comme nous, reconnaissent toutes sans problème le droit de recenser avec précision leur population à partir de critères ethniques ou religieux, ce qui leur permet de mieux assurer l'intégration de telle ou telle minorité - sans qu'elles aient besoin d'interdire le voile... Par un curieux paradoxe, hérité de nos principes révolutionnaires, nous voici interdisant le voile, mais refusant de connaître la composition même de notre peuple français, aujourd'hui comme demain. Un voile peut en cacher un autre. Est-ce vraiment raisonnable ? Combien de temps encore cela durera-t-il ?

Mme Christiane Taubira - Monsieur le Président, à l'occasion d'un débat comme celui-ci, je comprends combien votre fonction est un sacerdoce. Je suis émue par votre sérénité.

M. le Président - C'est moi qui suis touché de susciter, pour une fois, votre émotion.

Mme Christiane Taubira - Depuis plusieurs mois, la laïcité a envahi tout le champ du débat public, au point que l'insécurité sociale peut sournoisement progresser, et que toutes sortes de machinations peuvent se tramer contre notre système de protection sociale, sans que grand monde ne s'en émeuve, de même qu'il y a deux ans, le thème de l'insécurité avait saturé le débat de la campagne présidentielle, au point de laisser accroire que la France ressemblait désormais au Chicago des années trente. Nous savons ce qu'il nous en a coûté...

Depuis huit mois, donc, nous entendons dire que la République est en péril à cause d'intégristes dissimulés derrière un millier d'adolescents. Oui, les intégrismes, tous les intégrismes menacent les valeurs républicaines ; mais, non, il n'y a pas de menaces dans ces foulards qui sont autant l'expression d'un défi que celle d'une identité culturelle qui rétrécit au rythme où l'autorité publique abandonne à elles-mêmes certaines portions du territoire national, où se démaille le lien social.

Ce texte ne résoudra pas le problème auquel il s'attaque. D'ailleurs, si la laïcité est un principe constitutionnel, aucun document officiel n'en porte définition. Voilà qui explique sans doute que, dans un joyeux désordre, on ait entendu citer Aristote, Averroès, Spinoza et même Confucius... L'on peut certes dire de la laïcité qu'elle marque la séparation entre sphère publique et sphère privée, entre le spirituel et le temporel ; plus certainement, on dira d'elle qu'elle est, en France, un récit collectif. Et si elle est un rempart contre les influences partisanes, cette fortification ne peut souffrir aucune brèche.

De fait, la pensée laïque rassemble athées et libres-penseurs, mais aussi agnostiques, tous unis dans la conviction que le religieux ne peut avoir d'influence sur la décision publique. Mais il est bien d'autres batailles à la laïcité que l'extension du fait religieux dans l'espace public ! Que dire de l'influence des milieux économiques et financiers ? Que dire de l'inégalité d'accès aux médias ? Des attaques à la laïcité, il en est de frontales, mais aussi de fourbes et d'insidieuses. Parfois, elles sont inoffensives, comme lorsque l'on adapte le menu des cantines scolaires à certaines exigences alimentaires. Mais il en est d'hostiles aussi, comme ces aumôneries installées dans des espaces publics, et qui sont rarement _cuméniques. D'autres sont franchement hostiles : quand on en vient, par exemple, à récuser tel ou tel médecin dans un hôpital public, mais aussi quand le Vatican sonne la charge au moment où l'on élabore le projet de convention de l'Union européenne, ou encore lorsque l'on constate, en de multiples circonstances, la présence de ministres de la République dans un lieu de culte lors d'une célébration. Et que dire, pour finir, de ce calendrier dont les fêtes sont celles d'une seule religion ?

On l'aura compris : la fermeté et la vigilance s'imposent, mais elles valent dans tous les cas et pour toutes les inégalités. A cet égard, l'un des mérites de ce débat aura été de nous renvoyer au statut de la femme - car il y a beaucoup à dire et les chiffres sont éloquents. Ainsi, les femmes ne participent que pour 10 % à la décision politique et pour 4 % à la décision économique. Leur salaire moyen est de 27 % inférieur à celui des hommes, elles constituent 80 % de la population la plus pauvre et les deux tiers des bataillons de salariés en contrats précaires ou à temps partiel. Et encore : elles ne votent que depuis cinquante ans et subissent de plein fouet les violences domestiques, inceste inclus. Voilà qui devrait interroger la République, elle qui a le devoir constitutionnel de protéger tous les citoyens ! La laïcité, c'est aussi l'égalité des chances et des droits, et elle est niée lorsque, dans cet hémicycle, ce sont toujours des hommes qui sont là, majoritaires, lorsque l'on parle des droits des femmes.

Ce débat a lieu en raison d'un exhibitionnisme religieux qui nous gêne parce que nous n'en avons plus l'habitude. Mais quelle étrangeté que ce texte qui ne s'appliquera pas aux écoles confessionnelles ! Mais il s'appliquera, nous dit-on, en Alsace-Moselle et en Guyane, encore concordataires. Nous verrons ce qu'il en sera à Mayotte, à 80 % musulmane.

Comment ne pas voir, encore, que ce débat nous renvoie, aussi, au passé colonisateur de la France et qu'il s'agit d'un débat faussé sur une intégration qui concerne - faut-il vraiment le rappeler ? - des Français !

La laïcité est sans aucun doute en péril, mais c'est un combat permanent, non une tolérance ; l'école ne se satisfait plus des schémas classiques ni des débats artificiels. Lieu d'affranchissement de tous les déterminismes, ce n'est ni celui de la tolérance molle, ni celui de l'intolérance. La République française est un bien laïque qui appartient à tous ses citoyens, quelle que soit leur croyance ou leur absence de croyance, et elle se doit de garantir leur liberté de conscience. Mais c'est aussi une République sociale, qui ne peut se sentir quitte des inégalités qui se creusent. Il revient donc au Gouvernement, par des politiques efficaces, de reconquérir les territoires abandonnés et de veiller aux promesses de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Etienne Pinte - L'exposé des motifs du projet explique que « l'application du principe de laïcité se heurte à des difficultés nouvelles et grandissantes qui ont suscité un large débat ces derniers mois dans la société française. »

De fait, la commission Stasi a lancé un débat de fond, mais l'un de ses membres a constaté cruellement que la montagne avait accouché d'une souris. Le texte qui nous est transmis est en effet très réducteur et je reste persuadé que la voie réglementaire aurait suffi. Surtout, le problème central n'est pas celui du port du voile, mais l'échec de la politique d'intégration : comment croire que nous allons régler cette question cruciale en trois articles ? Et fallait-il une loi pour régler le cas d'une centaine d'élèves, au risque de renforcer ce communautarisme tant redouté, une loi de circonstance qui en appellera automatiquement d'autres ? La voie est déjà tracée, puisque l'on entend parler d'un texte concernant les hôpitaux. Ce sera bientôt le ministre de la santé qui s'adressera à nous, suivi peut-être de celui de la fonction publique. Et qu'adviendra-t-il, ensuite, des signes syndicaux et politiques ? Faudra-t-il aussi légiférer pour les proscrire ? Pourquoi une loi alors que les textes réglementaires contiennent toutes les dispositions nécessaires ? Pour dire les choses de manière plus crue, je considère que la loi ne doit pas servir de piqûre de rappel quand une loi n'est pas appliquée faute de volonté politique suffisante.

Est-il normal que, depuis des années, on tolère que de jeunes garçons suivent des cours coiffés de casquettes ou adoptent un comportement d'une désinvolture complète ?

Pour avoir été pendant dix-huit ans chargé des questions d'enseignement dans ma commune, je peux témoigner que les règlements intérieurs des établissements sont toujours respectés ; pourquoi donc ne pas y inclure une disposition interdisant le port de signes religieux ? Une circulaire précise aurait suffi. Je suis d'ailleurs surpris que le projet ne prévoie pas l'adaptation des règlements intérieurs des écoles, mais seulement ceux des collèges et lycées.

« La mise en _uvre de la loi devra également être assurée en usant du dialogue et de la concertation et en recourant à une démarche fondée sur l'explication et la persuasion, soucieuse de faire partager aux élèves les valeurs de l'école républicaine », explique encore l'exposé des motifs. Fort bien, mais où sont les parents dans tout cela ? Ce sont bien eux qui signent le règlement intérieur et qui participent aux conseils de classe. Ce sont eux ou leurs représentants qui siègent dans les conseils d'école, dans les conseils d'administration des lycées et collèges et dans les conseils de discipline.

Maire et président d'une communauté de communes, j'ai fait inscrire dans le règlement intérieur de ces collectivités une disposition relative à la tenue vestimentaire qui a été acceptée sans drames ni crispation. Il n'est donc nul besoin d'une loi pour faire respecter la laïcité dans la fonction publique dès lors qu'il y a dialogue, explication, volonté politique... et courage.

Plutôt que de débattre sur les signes religieux ostensibles, j'aurais préféré que nous prenions le temps de réfléchir à l'ensemble des propositions avancées par la commission Stasi. C'était le moment d'élaborer un projet traitant de tous les aspects de l'intégration. Nous aurions aussi pu tirer profit de la réflexion sur la place, l'image et la connaissance des religions dans notre société, afin de parvenir à une application plus intelligente de la laïcité. Au lieu de cela, nous avons une fois de plus brandi l'étendard de la laïcité menacée, incapables que nous sommes d'instaurer des relations plus sereines entre la République et les religions. Nous avons aussi créé un malaise au sein de la communauté musulmane et même parmi l'ensemble des croyants. Nous avons enfin suscité incompréhension et doutes dans tout le monde arabe.

Il nous faut une véritable politique d'intégration, dans le respect des autres et des particularités de nos concitoyens d'origine étrangère, car là est la réponse aux questions soulevées aujourd'hui. Nous ne pouvons pas non plus faire l'impasse sur le statut des femmes d'origine étrangère. Or cette loi ne suffira pas, loin s'en faut, à résoudre toutes leurs difficultés.

Je ne puis adhérer à un projet qui ne répond pas à ces vraies questions. Nous manquons ici une belle occasion de nous pencher sereinement sur la façon dont nous pouvons aider nos compatriotes à devenir des Français à part entière. C'est pourquoi je ne vous suivrai pas sur une fausse route qui ne conduit en rien à un mieux vivre dans notre pays.

Mme Christine Boutin - Très bien !

M. Marc Dolez - Confrontée à l'intrusion des symboles religieux dans les établissements scolaires, la représentation nationale se doit de réaffirmer fermement la primauté de la loi commune sur les revendications identitaires et notre indéfectible attachement au principe de laïcité, fondement du pacte républicain.

La laïcité n'est ni dogmatique ni intégriste. Elle est le cadre dans lequel un individu est libre de pratiquer ou non une religion. Posant le droit absolu à la liberté de conscience et d'expression, elle participe d'un humanisme moderne qui donne à chaque femme, à chaque homme un égal accès aux connaissances et aux responsabilités, aux mêmes droits et aux mêmes devoirs.

De ce point de vue, la place de l'école est évidemment centrale : la liberté s'apprend dès l'enfance et l'école laïque peut seule donner au futur citoyen les moyens de son émancipation et de son autonomie, y compris à l'égard de sa famille et de son milieu d'origine.

Oui, une loi est nécessaire mais évidemment pas pour juger une religion ou une pratique religieuse. En aucun cas il ne s'agit ici de montrer du doigt l'islam et si nous jugeons que le port du voile est inacceptable à l'école, c'est d'abord au nom de l'égalité entre hommes et femmes. La laïcité à l'école n'est pas seulement le refus des signes religieux, mais le refus de tous les signes de soumission d'origine sexiste. Lancer ce message à l'école, c'est le lancer à toute la société et enseigner l'humanisme pour mieux préparer l'avenir.

Oui, une loi est nécessaire, mais pas n'importe laquelle : à l'obscurantisme, nous devons répondre par la clarté. Malheureusement le texte du Gouvernement ne satisfait pas à cette exigence. Faisant référence à des signes et tenues manifestant « ostensiblement » l'appartenance religieuse, il ne manquera pas de susciter des contentieux importants. L'exposé des motifs ajoute à ce flou en précisant que des signes « discrets » seront possibles. Comment distinguer une croix ostensible d'une croix discrète ?

M. Patrick Roy - Bien vu !

M. Marc Dolez - Les chefs d'établissement n'obtiendront donc pas la sécurité juridique qu'ils réclament. La mission Debré avait d'ailleurs bien analysé cette difficulté, mettant en garde contre des compromis peu satisfaisants et précaires, et avait conclu à l'unanimité à la nécessité d'interdire le port « visible » de tout signe d'appartenance religieuse.

M. Patrick Roy - Elle avait raison !

M. Marc Dolez - Si nous légiférons, nous devons le faire de manière efficace et seule une règle claire, égalitaire et applicable le permet.

Rien ne serait pire que de donner le sentiment de stigmatiser une religion. Voter une loi de circonstance ne ferait que susciter de nouvelles incompréhensions et accentuer l'exclusion. Il nous faut donc favoriser le dialogue et la médiation, l'écoute et le respect.

Une loi est nécessaire, mais non suffisante. La laïcité ne se réduit pas à l'interdiction des signes religieux : c'est avant tout la protection de la liberté de conscience et l'égalité, quels que soient le sexe, la religion, l'origine ou la couleur de peau. La faire vivre implique aussi de lutter contre les discriminations. Or, si la majorité des jeunes Français issus de l'immigration partagent les valeurs, les codes et les références de notre société, le contraste est grand entre ce qu'ils sont et l'image négative que nous leur renvoyons. Du coup, ils doutent du discours sur l'égalité des chances et sur le pacte républicain. Pense-t-on que cette loi suffira à leur redonner foi dans les valeurs de la République, tant qu'ils auront plus de difficultés que les autres à se loger ou à trouver un emploi, et qu'on leur infligera paroles insultantes, contrôles d'identité au faciès et filtrages à l'entrée des boîtes de nuit ? La présente loi devrait donc être complétée par un engagement politique plus ambitieux contre le racisme et contre toutes les discriminations, et s'accompagner d'un effort national en faveur de l'intégration urbaine et sociale. La gauche réaffirme avec force que la république sociale doit être le prolongement de la république laïque.

Nos amendements, fondés sur les travaux de la mission Debré, devraient permettre de voter une loi de concorde nationale, une loi d'apaisement, une loi utile. Si tel n'était pas le cas, ce serait une grave faute politique, mais cette faute, le Gouvernement a encore la possibilité de l'éviter (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Christine Boutin - Je tiens d'emblée à remercier le Président Debré pour l'organisation de ce débat auquel pourront participer tous ceux qui le souhaitent - et j'espère que cette formule trouvera encore à s'appliquer, sur d'autres sujets d'importance.

Pourquoi le cacher ? Je voterai contre ce texte, mes convictions m'interdisant de faire autrement. Depuis octobre, je sens peu à peu « monter » un débat qui fragilise notre pacte social. Me fondant sur le rapport que j'ai remis au Premier ministre sur l'état de la cohésion sociale, je crois pouvoir affirmer que nous n'avons aucun intérêt à remettre en cause notre loi fondamentale.

L'histoire est ancienne : des jeunes filles - quelques dizaines - viennent en classe voilées. Les enseignants, dépassés, appellent au secours. La réaction du politique est d'abord de ne pas prendre garde, puis d'émettre une circulaire. Les cas les plus difficiles sont même soumis aux tribunaux, qui condamnent et excluent l'élève s'ils estiment qu'il y a prosélytisme. Tout cela suscite naturellement passions et nervosité. Des commissions sont créées... et une énergie débordante est déployée pour obtenir une très large majorité en faveur d'un projet de loi. Un accord semble même avoir été conclu avec le parti socialiste qui souhaite un dialogue avant toute sanction - comme si ce n'était déjà pas le cas !

Contrairement à ce qu'on a annoncé explicitement ou non, ce projet ne favorisera pas l'émancipation ni ne garantira la dignité de la femme - si cela avait été le cas, j'aurais été la première à le voter. En réalité, on n'a pas osé dire clairement qu'il s'agissait de donner un coup d'arrêt à l'intégrisme musulman. Mais il est vrai que nous vivons dans une confusion extrême qui fragilise notre société. Pour certains, le voile est un signe religieux. Pour d'autres, une instrumentalisation politique des jeunes filles. Pour ne pas avoir eu le courage d'affronter le mouvement politique extrémiste, on s'est appuyé sur l'interprétation religieuse du port du voile.

Qu'on le sache : avoir pris en otage une religion, la religion musulmane, sans oser la citer, la stigmatise bien sûr, mais fragilise l'ensemble du fait religieux dans notre société, et le principe de laïcité à la française.

C'est notre fierté d'être parvenus, après bien des combats, à cet équilibre exemplaire que l'on nomme la laïcité à la française. Ce principe comporte plusieurs dimensions. Tout d'abord, la reconnaissance au fait religieux par la puissance publique, et l'engagement de celle-ci à ne pas en contrecarrer l'expression. Puis, le refus de l'Etat de reconnaître une croyance en particulier, et de se déclarer compétent en matière confessionnelle. Enfin, l'engagement corollaire des croyants de ne pas troubler l'ordre public. Cette laïcité est faite de l'acceptation des différences, et du respect de toutes les religions.

Or, le projet fait le lit des extrémismes de tous bords, alors que notre corpus législatif était suffisant. Rappelons l'article premier de la Constitution qui dispose que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race, ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée ». Si l'on ajoute la loi de 1905, nous avons tous les textes fondamentaux nécessaires.

Peut-être restait-il à donner aux recteurs ou inspecteurs d'académie la responsabilité de l'ultime décision ? Il est encore temps de renoncer, de manifester un geste d'apaisement, mais aussi la confiance aux recteurs d'académie, aux directeurs d'établissement et aux enseignants.

Cette loi ne règlera pas le problème posé, mais elle fragilisera notre pacte social, et surtout, portera atteinte à la liberté de conscience et à la liberté d'expression. Depuis vingt ans, je me bats en politique pour que mon adversaire puisse exprimer ses idées, pour que toutes les religions puissent vivre ensemble. La France, pays des droits de l'homme, ne peut fragiliser ce principe fondamental qu'est la liberté (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Emile Blessig - Très bien !

M. Philippe Vuilque - Merci, Monsieur le président, d'avoir permis à chaque député de prendre la parole.

M. le Président - Un quart des députés se seront exprimés, ce qui montre bien qu'il y avait des choses à dire.

M. Philippe Vuilque - La République est « bonne fille », tant les libertés qu'elle offre peuvent se retourner contre elle si l'on n'y prend garde.

La vie dans notre société démocratique suppose un équilibre permanent entre tous les systèmes de valeurs. La laïcité le permet, et la République doit combattre tout ce qui peut y porter atteinte.

Prenons garde à ceux qui, au nom du droit à la différence, se font les apôtres d'une différenciation des droits et rejettent l'universalité des droits de l'homme. La religion devient oppressive lorsqu'elle se confond avec un projet politique.

Ce texte de loi, encore perfectible, reste utile pour l'école publique, car il fixera les règles du vivre ensemble. Je ne reviendrai pas sur ce qu'a dit Jean-Marc Ayrault, sauf pour relever la perte du sens du terme laïcité pour les collégiens et lycéens, qui justifierait la distribution d'une charte de la laïcité dans les écoles.

Si ce texte est nécessaire, le choix du moment de sa discussion n'est pas judicieux. A la veille des élections, il permet peut-être d'éviter les sujets qui fâchent, mais il peut aussi nourrir la cause de l'extrême droite. En tout état de cause, il dessert la cause de la laïcité.

Par ailleurs, ce texte manque d'envergure, en ce qu'il néglige l'un des problèmes majeurs de notre société : les discriminations. Il y a urgence à agir, car la liste des discriminations est longue. Bien sûr, il faut refonder le pacte républicain, lutter contre les ghettos urbains. Concrètement, aujourd'hui, quelles sont les chances, pour un enfant d'immigrés, d'accéder aux formations et aux emplois ?

Les chiffres sont cruels. Les jeunes Français issus de l'immigration maghrébine sont quatre fois plus touchés par le chômage que les Français dits « de souche ». Comment alors dissuader des jeunes, nés dans une famille de tradition musulmane, de chercher dans l'appartenance religieuse, l'identité politique, sociale et professionnelle que la République leur refuse ?

Sans politique d'intégration digne de ce nom, une loi sur la laïcité n'est rien. Ce n'est pas en nommant un préfet, un recteur, deux secrétaires d'Etat, issus de l'immigration, que l'on résoudra le problème. Et je ne parle pas des gesticulations du ministre de l'intérieur qui se permet de parler de « préfet musulman » !

Curieuse conception de la République pour laquelle, pourtant, il n'y a, depuis 1789, que des citoyens ! Peu importe qu'un préfet soit catholique, protestant, juif ou musulman. C'est avant tout un individu nommé pour ses seules compétences.

Ces polémiques auront au moins le mérite de faire mettre le doigt sur l'essentiel. Nous avons besoin d'une politique globale et cohérente. Certains prônent la discrimination positive, mais elle ne règlera pas le fond du problème. Il faut une volonté politique ferme, un changement d'attitude des entrepreneurs, des bailleurs, des tenanciers de bars et de boîtes de nuit, de la société toute entière.

Permettez-moi de citer Antoine de Saint-Exupéry pour conclure : « Loin de m'indisposer, mon frère, ta différence m'enrichie ». Puissions-nous collectivement faire nôtre cette belle formule ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jacques Domergue - Je m'exprime en tant que député d'une circonscription où le débat sur le voile a été au c_ur de la campagne des législatives. Mon adversaire, le maire de Montpellier, avait tenu des propos outranciers à l'égard de la communauté musulmane, disant à propos des jeunes filles voilées : « ce n'est pas grave, elles n'ont que les oreillons ». Ces excès de langage délibérés n'ont eu pour conséquence que d'exacerber le communautarisme. Il y a quelques années, l'on se serait contenté de relever le caractère inélégant d'une telle plaisanterie ; aujourd'hui elle est vécue comme une provocation.

On ne plaisante pas avec les symboles. J'ai rencontré des femmes voilées. Les plus âgées portent le voile par tradition, sans se poser la question de sa signification profonde, comme les religieuses le portaient au couvent ou dans les hôpitaux catholiques. Nous ne pouvons que les respecter, tant le port du voile est naturellement installé dans leur vie quotidienne, sans la moindre provocation. Certaines le portent ostensiblement. Parfois récemment converties à l'islam par ferveur religieuse, parfois pratiquantes par révolte à l'égard de la France, ces femmes arborent le voile comme le signe de leur différence. Le voile n'est plus le signe religieux des musulmanes de la vieille génération. Il est devenu le symbole de la résistance d'une minorité qui ne se sent pas intégrée ou qui ne veut pas l'être. Pour emprunter au vocabulaire médical, c'est une véritable réaction « greffon contre hôte ». Dans ces conditions, la loi pourra fonctionner comme un rappel à l'ordre, mais elle ne sera appliquée que si nous gagnons la bataille de l'intégration.

Certaines portent le voile par contrainte. Tel est le cas des jeunes filles, enrôlées par des imams, pères, grands frères ou tuteurs autoritaires, voire dangereux. Le voile devient alors le prélude aux mariages forcés, aux idées moyen-âgeuses d'un islam immature, instrumentalisé contre l'Occident et ce qu'il a de plus emblématique, la liberté de la femme.

Enrôlées dès leur plus jeune âge, elles se voient confisquer leurs droits les plus élémentaires. Elles ont osé nous le dire. Ce voile est donc parfois devenu l'instrument de l'aliénation intellectuelle d'une jeunesse en perdition. Le manque de repères de notre société, le manque d'éthique, l'affaiblissement de la cellule familiale, le malaise de l'école sont autant de vecteurs vers un islam refuge.

En France, les femmes ont lutté depuis plusieurs siècles pour être reconnues comme nos égales. Faudrait-il oublier tous ces combats - et toutes ces victoires au nom d'une religion ? En tant que médecin, j'ai été confronté aux problèmes posés par cette discrimination négative. Peut-on admettre qu'une femme refuse de se faire examiner par un médecin pour la seule raison qu'il est un homme ? Chacun est libre d'exprimer et de défendre ses opinions dans les limites du fonctionnement de la société où il vit.

Le débat sur le voile est toujours passionnel. En tant que membre de la mission Debré, je me suis prononcé, dès les premières auditions sur la nécessité d'une loi. On doit répondre à un symbole par un symbole. Le voile est devenu celui d'un islam prosélyte brandi par une minorité de musulmans. La loi doit se poser en contre-symbole. N'oublions pas cependant que la France est une république laïque aux origines judéo-chrétiennes. Terre d'asile et d'échanges, terre des droits de l'homme, la France doit s'affirmer comme une terre d'intégration. La passion des débats sur le voile reflète les difficultés qu'éprouve notre pays pour intégrer ses enfants de confession musulmane. La loi de 1905 peine à régler les problèmes posés par l'islam, lequel s'est invité à grand bruit dans le paysage religieux français, par la voix de ceux qui véhiculent des idées communautaristes. L'islam ne trouvera sa place qu'en se positionnant de manière consensuelle à côté des autres religions, avec tolérance et modération.

La France n'est pas une confédération de communautés ethniques ou religieuses. L'unité de la nation est inscrite dans notre Constitution. Elle est le ciment indispensable à la cohésion du peuple français. Nul ne souhaite revivre les moments les plus noirs de notre histoire, la Saint Barthélemy ou la Shoah.

Soit nous serons capables de régler une fois pour toutes, le problème de l'intégration de l'islam dans le paysage religieux français, soit nous mettrons en danger notre cohésion nationale.

M. Emile Blessig - Tout à fait !

M. Jacques Domergue - La loi est nécessaire mais elle est difficile à écrire. Il convient notamment de prévenir certains dangers. Il faut éviter aux religions catholique, protestante ou juive de se sentir menacées par le texte. On aurait pu interdire les signes religieux visibles à l'école, comme le propose le groupe socialiste (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste).

Mais était-il raisonnable d'interdire à nos enfants de porter une médaille de baptême ou une étoile de David ?

M. Alain Néri - Il suffit de la porter sous la chemise !

M. Jacques Domergue - Notre passé, nos croyances et nos coutumes doivent pouvoir s'exprimer. Ce que l'on veut interdire, c'est le prosélytisme d'un islam dur, ou de toute autre religion pratiquée ostensiblement. C'est l'islam d'une minorité agissante et non celui que pratiquent en silence la grande majorité des musulmans de France. C'est pourquoi le terme « ostensible » a été choisi. Ce qui est ostensible, c'est ce qui se voit outrageusement, de manière volontaire et délibérée, avec le souci de faire passer un message, parfois agressif.

M. Patrick Roy - Tout cela est bien subjectif !

M. Jacques Domergue - Au sein du groupe UMP, c'est en conscience que nous nous déterminerons. Je respecte l'islam de France, je respecte nos compatriotes musulmans, et c'est parce que je les respecte que je voterai ce texte, en méditant ce précepte de Mahomet : « Si tu veux savoir si un comportement individuel est valable, étends-le aux dimensions de la société. » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jérôme Lambert - Pendant mes années de lycée, en Charente et à Paris, j'ai milité à la JEC et dans divers mouvements de jeunesse socialistes et jamais je n'ai eu le sentiment que cette action militante mettait en cause les fondements de notre République. Au reste, certains ici s'en souviennent sans doute, lorsque les affrontements avec le GUD ou avec le BETAR n'étaient pas seulement rhétoriques, l'administration n'intervenait qu'en dernier ressort et nos échanges ne faisaient que très rarement la une des médias ! Pour ma génération, l'engagement citoyen et militant, mis au service de convictions bien ancrées, n'a jamais été ressenti comme contraire aux principes républicains !

Aujourd'hui, les fondements de la République sont-ils mis en cause par le fait que certaines jeunes filles portent le foulard ? Plutôt que d'y voir une tentative de faire vaciller nos grands principes, ne faut-il pas considérer que le port du voile exprime avant tout le profond malaise d'individus ou de groupes que notre société a été incapable d'intégrer ? Au reste, renoncer au voile ne poserait certainement pas un grand problème à des jeunes filles parfaitement intégrées. La situation sera bien différente pour celles qui ressentent au plus profond d'elles-mêmes les stigmates de l'exclusion, au point qu'elles considèrent - souvent à tort - que l'extrémisme est la seule voie possible.

Force restera à la loi, mais à quel prix ? Est-il concevable d'exclure définitivement de nos établissements des dizaines de jeunes filles de moins de seize ans ? A quel avenir les condamne-t-on ?

Nous n'aurions jamais dû commencer par cette loi. Il fallait s'intéresser d'abord aux millions de personnes en grande difficulté sociale qui restent aux portes de notre société. Ce texte n'apporte pas de réponse adaptée au désarroi qui s'exprime parfois de manière déroutante et son adoption ne découragera pas les groupes les plus radicaux - de mieux en mieux organisés - de persister dans la provocation. D'ailleurs, sera-t-elle applicable ? Si les difficultés d'interprétation que ne manquerait pas de provoquer une rédaction ambiguë ne sont pas levées, la démonstration risque d'être faite que la loi peut être bafouée.

Dans la situation dans laquelle nous place ce débat, ne pas la voter poserait cependant d'autres problèmes. Comme le Gouvernement a engagé un bras de fer avec des mouvements pour lesquels nous ne pouvons avoir la moindre sympathie, ne pas voter le texte donnerait le sentiment que leurs thèses antidémocratiques ont triomphé de nos principes républicains. Résultat, quoi que nous fassions, nous aurons le sentiment de n'avoir pas fait ce qu'il fallait.

Certains ont mis en avant la situation des femmes auxquelles des hommes imposeraient le port du foulard. Mais la situation n'est pas très différente dans d'autres milieux. Les 10 % de femmes battues que compte notre pays ne sont pas toutes musulmanes. Evitons de stigmatiser systématiquement les musulmans, qui n'ont pas l'apanage des mauvais traitements.

Beaucoup d'entre eux vivent parfaitement leur foi, en harmonie avec leur milieu familial. Mon épouse étant musulmane, je peux en témoigner.

Il y a des brutes dans tous les milieux et nous devons les combattre partout. Parfois, leur violence prend la forme du voile, parfois elle est très différente. Et le voile n'est pas toujours une violence. Ma grand-mère ne sortait pas sans mettre un foulard. On me dira qu'il y a foulard et foulard. Mais évitons les amalgames et n'avivons pas certains sentiments véhiculés par l'extrême droite.

Votre projet sera voté, mais tout restera à faire. Pour lutter contre le communautarisme, il faut avoir une politique d'insertion sociale. Ceux qui se replient dans le communautarisme sont souvent des jeunes privés d'emploi et de perspectives, malgré le dur labeur de leurs parents. Les problèmes que vous voulez résoudre sont les conséquences d'une dizaine d'années difficiles. Les bonnes réponses sont d'ouvrir le marché du travail, de faire disparaître les ghettos et d'améliorer la formation.

Voter une loi si restrictive, dans les conditions actuelles, serait dangereux et ne profiterait qu'aux provocateurs de tout bord. J'aurais souhaité que le Gouvernement et le Président de la République, pour une fois, ne se contentent pas de faire un coup politique, mais qu'ils prennent la dimension du problème et recherchent des solutions durables. La France ne peut se construire dans l'ignorance des uns pour les autres, et encore moins les uns contre les autres (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Gabriel Biancheri - Ce texte résulte de l'accumulation d'événements divers. De silence en silence, de reculade en reculade, d'une jurisprudence boiteuse à une autre, sans parler des récentes manifestations, il est apparu de plus en plus nécessaire de légiférer.

Je me contenterai d'énumérer tout ce qui justifie une loi. Celle-ci doit donner un coup d'arrêt à l'entrisme politique des religieux. Elle doit mettre fin à l'intrusion de la loi religieuse dans les lieux publics, en particulier à l'école.

La loi religieuse nous impose ses tabous. C'est pourquoi, dans beaucoup de cantines, on ne sert plus de viande de porc. Les programmes scolaires sont amputés. La situation dans les hôpitaux, inqualifiable, est tout aussi dangereuse qu'à l'école. Nous assistons à une véritable offensive dans la fonction publique et dans les entreprises.

Dans ma circonscription, une jeune femme que rien ne distinguait des autres tant qu'elle travaillait en CDD s'est présentée voilée deux jours après avoir obtenu un CDI. A l'employeur, elle a opposé son « droit à la différence ». Un chef d'entreprise confronté à une telle situation n'est guère enclin à de nouvelles embauches.

Je regrette que l'égalité entre les hommes et les femmes ne soit pas clairement réaffirmée. Elle est un fondement de notre société, avec ce principe corollaire, la liberté individuelle.

Mais l'école a besoin d'une loi. C'est parce qu'elle est le lieu où se transmettent les valeurs républicaines que la République peut perdurer. C'est la loi qui doit rappeler la séparation entre les connaissances, communes à tous, et les croyances individuelles.

Mais cette loi sur l'école doit être complétée par des dispositions relatives à la fonction publique, à l'hôpital, à l'entreprise. Elle doit être un message de la République, un message de tous les républicains qui redonne espoir à celles qui vivent dans la crainte et à ceux qui souhaitent s'intégrer. Elle doit montrer que notre pays n'accepte aucun signe d'infériorité de la femme.

Au-delà de l'hexagone, notre loi aura une portée universelle. Elle s'adresse à toutes celles qui sont emmurées dans le silence comme à celles qui se battent pour ôter le voile. Elle confortera les pays modérés qui marchent vers la démocratie.

Cette loi va rappeler la séparation du temporel et du spirituel, ainsi que la primauté de la loi républicaine sur la loi religieuse. C'est l'adhésion à ces principes fondamentaux qui nous permet d'envisager un avenir commun dans la sérénité.

Mme Claude Darciaux - Rarement un débat aura autant passionné les Français et les médias, au point d'occulter les graves problèmes sociaux qui persistent. Je suis d'ailleurs inquiète des traces qu'il laissera dans notre société.

Cependant, je crois nécessaire de rappeler les limites du permis et de l'interdit au sein de l'institution scolaire. Au nom de la dignité des femmes, de la laïcité et de la cohésion sociale, il est légitime de légiférer pour qu'enfin gagne le droit. Mais l'interdiction des signes religieux à l'école doit ouvrir un processus général de renforcement de l'intégration et de la laïcité.

Les signes religieux à l'école ne sont compatibles ni avec l'article 2 de notre Constitution affirmant le principe de laïcité de l'Etat ni avec la liberté de conscience, d'opinion et d'expression proclamée à l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ni avec l'égalité des sexes affirmée dans le préambule.

Tout en respectant l'article 18 de la Déclaration sur la liberté de culte et de religion, la loi de 1905 garantit aux citoyens la neutralité du politique à l'égard du religieux. Depuis lors, la laïcité est devenue une valeur qui rassemble et qui respecte les différences. Montrons-le, dans ce projet de loi. L'école publique et l'ensemble des services publics doivent être protégés contre toute intrusion de groupes de pression.

N'oublions pas la circulaire de Jean Zay interdisant en 1936 tout signe religieux visible. Personne ne dit qu'elle est contraire au droit européen, mais cette circulaire n'a bien sûr pas force de loi. C'est pourquoi nous avons besoin d'une loi, claire, émancipatrice, protectrice, républicaine, utile et efficace. Je souhaite donc l'interdiction de tout signe « visible » d'appartenance religieuse. On ne peut laisser aux enseignants le choix d'appliquer ou non la règle ou le soin d'édicter un droit local à géométrie variable. Il appartient au Parlement de légiférer.

Ne laissons pas les intégristes imposer leur loi. Face à eux, l'Etat doit faire respecter les lois de la République. Ce sont des principes stables qui permettent à chacun de vivre en liberté et à égalité de droits et de devoirs, sans discrimination liée au sexe, à l'origine ou à la conviction religieuse.

C'est pourquoi je défends aussi le principe d'égalité entre les hommes et les femmes, qui implique la lutte contre toutes les atteintes à la dignité des femmes. Avec le port du voile, que reste-t-il de la dignité des femmes ? L'égalité des sexes est le parent pauvre de ce projet de loi alors que la convention internationale de New York du 18 décembre 1979, ratifiée par le Parlement français le 20 mars 1984, réaffirme que le sexisme est une discrimination majeure.

Le port du voile à l'école, souvent imposé à des jeunes filles mineures, ne peut être interprété que comme un signe d'infériorité, de soumission inacceptable des femmes, un signe sexiste contraire aux valeurs républicaines. Le voile donne une image offensante et dévalorisée des femmes. Il est un instrument d'oppression, d'aliénation, de discrimination, de pouvoir des hommes sur les femmes. C'est pourquoi il faut faire évoluer les comportements.

Certes, la société accepte encore bien des discriminations sexistes - les salaires des femmes restent ainsi inférieurs de 27 % en moyenne à ceux des hommes. Mais avec le port du voile dans les écoles, les principes sont bafoués dans les lieux mêmes où l'on est censé les transmettre.

Le voile abolit la mixité de l'espace public et il est toujours symbole d'inégalité. Imposer le voile, c'est rendre encore plus difficile l'émancipation des filles. Cette pratique n'a pas sa place dans une République où l'égalité de l'homme et de la femme est garantie par la Constitution.

Accepter le voile, c'est accepter une idée de la femme contraire à sa dignité, c'est soutenir d'une certaine façon l'islam politique. Je souhaite rendre ici hommage à Chirin Ebadi, Prix Nobel de la paix, qui s'est consacrée à la défense du droit des femmes et des enfants et qui estime essentiel de protéger les mineures contre tous ces abus. La plus belle chose a été de la voir recevoir son prix tête nue. Faut-il rappeler que des militantes d'autres pays ont dû s'exiler ou ont été tuées pour ne pas porter le voile mais qu'en Turquie et en Tunisie ce port est interdit dans les écoles et les universités ?

Dans toutes les grandes religions monothéistes juive, chrétienne ou musulmane, il ne fait pas bon être une femme ! Toutes les avancées sociales en matière de droit des femmes se sont faites contre les religions - je pense notamment au droit à l'avortement. On ne peut pas d'une part revendiquer l'égalité des femmes et des hommes, d'autre part accepter la discrimination que constitue le port du voile pour les filles. La loi est le seul moyen de réaffirmer que « les femmes sont des hommes comme les autres ». Etre laïc, c'est reconnaître que tous les citoyens sont égaux et qu'il est des lieux, comme l'école, où l'appartenance religieuse n'a pas à se manifester. Après la fracture sociale, devrions-nous accepter la fracture entre filles et garçons ? Le voile devrait-il devenir l'uniforme des cités ?

Je suis pour une loi de clarification et d'apaisement interdisant tout signe religieux visible à l'école, défendant les valeurs de la République, respectant les principes de laïcité, d'égalité et de dignité des femmes. Cependant, cette loi ne suffira pas si elle ne s'accompagne de gestes forts en matière d'accès à l'emploi, au logement, au savoir, au droit de vote. Une telle politique d'intégration exigera un investissement social et financier important.

Je voterai la loi prohibant le port de signes religieux à l'école car il convient de protéger les jeunes filles qui subissent une pression communautariste. Mais il faut aller plus loin et lutter contre toutes formes de discrimination sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Thierry Mariani - Je souhaiterais dans ce débat faire part de deux expériences que j'ai eues dans ma commune, Valréas, et qui me paraissent traduire un problème bien plus grave que le voile.

Chaque année, les enseignants de notre collège organisaient bénévolement un cross pour motiver et encourager les élèves. Il s'est trouvé qu'en 2002, celui-ci, qui comportait un parcours de cinq kilomètres pour les garçons et trois pour les filles, a eu lieu pendant le Ramadan. Au bout de deux kilomètres, quatre jeunes filles musulmanes sont tombées à terre, apparemment victimes d'un malaise. Faisant le Ramadan, elles auraient été à jeun... Rassurez-vous, après avoir été évacuées par le Samu, elles se sont très bien remises ! Quelques jours plus tard, et je m'en félicite, une association maghrébine a publié un communiqué selon lequel ces jeunes filles avaient été « manipulées ». Hélas, fait sans précédent, hallucinant, qui témoigne d'une lâcheté inqualifiable de la part des services de l'éducation nationale, l'inspecteur d'académie a ensuite écrit aux enseignants qui avaient organisé ce cross qu'ils avaient « commis une faute », qu'ils auraient dû tenir compte du calendrier religieux pour l'organisation de cette manifestation. Monsieur le ministre, trouvez-vous cela normal ?

M. Xavier Darcos, ministre - Non.

M. Thierry Mariani - La conséquence de tout cela est qu'en 2003, le cross n'a pas eu lieu, tant les enseignants étaient dégoûtés d'avoir été ainsi lâchés par l'éducation nationale.

Plus grave encore, un problème qui concerne 40 000 élèves par an en France - quand le port du voile ne concerne que quelques dizaines de jeunes filles. Il s'agit de l'enseignement de la langue et de la culture d'origine, le fameux ELCO. Sait-on assez que, dans les années 1970, ont été passés des accords, confirmés dans les années 1980, avec plusieurs pays, dont l'Algérie, le Maroc, la Tunisie et la Turquie, afin que les élèves originaires de ces pays suivent un enseignement de la langue et de la culture de ces pays ? On voit combien l'idée, sans doute sympathique qui a présidé à ces accords, et selon laquelle ces jeunes, appelés à retourner un jour dans leur pays auraient besoin d'en connaître la langue, est dépassée. Eh bien, figurez-vous que j'ai reçu un jour un courrier m'intimant de mettre une salle à disposition d'un enseignant choisi et rémunéré par le consulat du Maroc ! Trouvez-vous normal, Monsieur le ministre, que des enseignants nommés depuis l'étranger, puissent dans nos écoles enseigner ce qu'ils veulent, y compris la religion, sans que nous puissions exercer aucun contrôle ? Ces cours d'ELCO peuvent être « différés », c'est-à-dire avoir lieu hors de l'horaire scolaire normal, ou « intégrés », durant l'horaire scolaire normal, ce qui est pire. Est-il tolérable que des élèves, le plus souvent en difficulté scolaire, soient appelés à suivre un enseignement d'arabe à un jour et à une heure où ils devraient avoir un cours de français ou de mathématiques ?

M. Xavier Darcos, ministre - Cela ne se passe pas ainsi.

M. Thierry Mariani - Si, et nous n'avons absolument aucun moyen de contrôle. Je souhaite d'ailleurs demander la constitution d'une commission d'enquête sur ces ELCO.

D'accord pour réaffirmer le principe de laïcité à l'école, mais il faut aller plus loin. Je ne peux accepter, en tant que maire, d'avoir à fournir les clés d'une salle de notre école laïque pour que des élèves y suivent, pendant l'horaire de classe normal, l'enseignement d'un professeur choisi et payé par un pays étranger, sans aucun contrôle de quiconque.

Mes propos seront sans doute considérés comme iconoclastes, mais il s'agit, je le répète, de 40 000 élèves, et non de vingt jeunes filles voilées !

Autant dire que je tiens le projet pour absolument insuffisant : réformez l'ELCO, et je le voterai. Il est intolérable de laisser les clés de nos écoles à des gens que nous ne contrôlons pas.

M. le Rapporteur - Mais ils dépendent du ministère des affaires étrangères.

M. Thierry Mariani - Nullement ! En conclusion : la laïcité, chiche ! Mais alors, allons jusqu'au bout.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu ce matin, jeudi 5 février, à 9 heures 30.

La séance est levée à 1 heure 35.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU JEUDI 5 FÉVRIER 2004

A NEUF HEURES TRENTE : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

Suite de la discussion du projet de loi (n° 1378) relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics.

M. Pascal CLÉMENT, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. (Rapport n° 1381.)

M. Jean-Michel DUBERNARD, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. (Avis n° 1382.)

A QUINZE HEURES : 2ère SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 3ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

M. Jean-Luc WARSMANN, rapporteur. (Rapport n° 1377.)

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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