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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 72ème jour de séance, 183ème séance

2ème SÉANCE DU VENDREDI 5 MARS 2004

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

      DIRECTIVES ET DROIT COMMUNAUTAIRES 2

      SUSPENSION DES TRAVAUX DE L'ASSEMBLÉE 14

      ORDRE DU JOUR DU MARDI 6 AVRIL 2004 15

La séance est ouverte à quinze heures.

DIRECTIVES ET DROIT COMMUNAUTAIRES

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, portant habilitation du Gouvernement à transposer par ordonnances des directives communautaires et à mettre en _uvre certaines dispositions du droit communautaire.

Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes - Ce projet de loi permettra de transcrire en droit interne plus de vingt textes, conformément aux efforts entrepris par le Gouvernement pour accélérer la transposition.

Je souhaite d'abord rappeler la situation de notre pays en matière de transposition. La législation européenne est constituée pour une part essentielle de directives, qui fixent une obligation de résultat aux Etats membres en leur imposant un délai précis pour les adapter en droit interne. Dès sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a indiqué toute l'importance qu'il accordait au respect de nos engagements communautaires. Un plan d'accélération de la transposition des directives a été mis en place dès novembre 2002, puis adapté six mois plus tard. Mais les résultats n'ont, hélas, pas été à la hauteur des espérances. L'accumulation du retard est certes endiguée, mais il n'a pas été réduit de façon significative. Le déficit de transposition, c'est-à-dire la part des directives qui n'ont pas été transposées dans les délais, était de 3,8 % en novembre 2002 et a été ramené à 3,5 % un an plus tard. On est loin de l'objectif fixé par tous les conseils européens, qui est de 1,5 % ! La France demeure donc parmi les Etats les plus retardataires. Elle comptait 101 directives en souffrance au 1er janvier et accuse un retard moyen de 14 mois par rapport aux échéances de transposition.

Le coût de cette situation est élevé. Sur le plan juridique tout d'abord, même non transposées, les directives ont un certain effet dans le droit national et leur non-transposition génère donc un certain flou sur la norme applicable. Cette incertitude est préjudiciable à nos concitoyens comme aux entreprises implantées sur notre sol et fait peser sur l'Etat une lourde responsabilité. Le défaut de transposition nous expose aussi à des poursuites en manquement devant la cour européenne de justice, qui peuvent désormais déboucher sur de lourdes sanctions financières. A la différence de l'Espagne et de la Grèce, la France n'a jamais été condamnée financièrement, mais plus de deux cents procédures d'infraction sont en cours, dont onze qui pourraient déboucher sur une astreinte. Sur le plan économique, la transposition est également indispensable, puisque l'harmonisation des législations a pour objet d'éviter une concurrence déloyale et de profiter pleinement du marché unique.

Dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, qui vise à faire de l'Europe la zone la plus compétitive du monde d'ici à 2010, l'Union a adopté plus de soixante-dix directives. L'échéance de transposition est passée pour quarante d'entre elles, et nous n'en avons transposé que onze ! C'est lourd de conséquences en ce qui concerne l'implantation des entreprises en France. Mais c'est sur le plan politique que le coût est le plus élevé. Comment être crédible face aux dix nouveaux pays, dont nous exigeons qu'ils intègrent l'acquis communautaire avant l'élargissement ? Comment rester une force de proposition ?

De manière générale, j'ai constaté que la France pouvait parfois apparaître comme n'étant plus attachée aujourd'hui autant qu'hier à son rôle de moteur de la construction européenne ou à la primauté du droit communautaire. Nous avons pourtant défendu fermement ce principe tout récemment encore, lors des travaux sur le projet de Constitution européenne.

Les causes de ces retards ont été identifiées dans l'excellent rapport de Guy Geoffroy et dans celui de Christian Philip pour la délégation à l'Union européenne. Elles résident tout d'abord dans les pesanteurs administratives. En effet, la transposition de 60% des directives n'exige que des dispositions réglementaires. Pour les autres, les projets de loi commencent à être élaborés dans les administrations et peuvent y prendre un premier retard. Le Gouvernement a donc décidé d'agir fermement. Son plan d'action prévoit, entre autres, des bilans réguliers en conseil des ministres, la désignation dans chaque cabinet ministériel d'un correspondant, la diffusion systématique des fiches d'impact aux assemblées parlementaires et une large diffusion dans la presse des retards, ministère par ministère. Ces efforts se poursuivent. Depuis le 1er janvier, douze directives de nature réglementaire ont été transposées. Mais il faut encore calquer l'organisation de certains ministères sur le modèle des plus performants, comme celui de l'agriculture. J'ai ainsi proposé à Alain Lambert, à l'occasion de la réflexion sur la prise en compte des questions européennes dans la loi organique relative aux lois de finances, d'intégrer les retards de transposition des directives de nature réglementaire aux indicateurs de performance qui vont être définis. Le respect de l'Etat de droit doit en effet devenir un paramètre essentiel de la bonne administration.

Mais ces retards s'expliquent également par la charge de travail des assemblées. Si cette législature a adopté neuf lois de transposition, douze autres projets, concernant trente directives, sont en cours d'examen. Deux projets, qui attendent depuis l'été dernier, n'ont en particulier pas pu être examinés en raison du calendrier parlementaire. A quelques semaines du rendez-vous historique de l'élargissement, le recours à une loi d'habilitation semble donc particulièrement opportun.

Bien que le recours à l'article 38 de la Constitution soit très bien encadré par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le Gouvernement n'a voulu s'engager dans cette voie que sous réserve d'une concertation étroite avec les assemblées. Leurs deux présidents ont été consultés à l'automne non seulement sur le principe du recours aux ordonnances, mais aussi sur la liste des directives qui seraient concernées. Toutes celles qui soulevaient une quelconque réserve ont été retirées du projet de loi, dont le « paquet télécom » que vous avez commencé à examiner. Votre rapporteur et tous les intervenants qui en ont fait la demande ont eu accès à l'ensemble des projets d'ordonnances, définitifs ou non, ce qui est sans précédent. Je reste bien sûr à votre disposition pour tout éclaircissement supplémentaire.

S'agissant du projet proprement dit, les directives visées sont en nombre relativement limité ; il n'existe pas d'autre possibilité d'adoption à court terme ; les délais de transposition sont soit dépassés soit en passe de l'être. Les textes retenus sont soit d'ordre technique, soit plus importants mais, dans ce cas, aucun retard supplémentaire dans leur transposition ne serait tolérable, et cela vaut particulièrement pour ceux qui traitent de la sécurité maritime. Alors que la France a eu une action déterminante dans l'élaboration de ces directives, le retard de la transposition est tel que notre pays fait désormais l'objet d'une procédure d'infraction. Cette situation n'est pas acceptable, car l'Europe ne pourra lutter efficacement contre les délinquants de la mer que si tous les membres de l'Union transposent les directives pertinentes. Notre culpabilité serait avérée si des catastrophes telles que les naufrages de l'Erika et du Prestige se répétaient sans que nous ayons pris, à temps, les mesures préventives nécessaires.

En ayant recours, selon ces modalités, aux ordonnances, le Gouvernement n'entend en rien rejeter sur le Parlement une responsabilité dans les retards de transposition qui se sont accumulés depuis plus de dix ans. Il a souhaité, au contraire, mettre l'accent sur l'indispensable coopération entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif qui doit permettre à la France de respecter, dans les meilleurs délais, ses engagements européens. Dans le même esprit, votre Assemblée a accepté d'examiner ce projet dans des délais brefs. J'en remercie le Président Jean-Louis Debré, ainsi que le président et le rapporteur de la commission des lois.

Le Sénat a esquissé les contours d'un dispositif de transposition pérenne, et je sais que M. Geoffroy, votre rapporteur, traitera aussi cette question. De fait le recours à la loi d'habilitation pour transposer des directives communautaires ne peut être qu'une solution exceptionnelle. Si nous n'engageons pas une réflexion de fond sur le mécanisme de transposition, les retards s'accumuleront à nouveau inexorablement.

C'est pourquoi le Gouvernement plaide, depuis un an, en faveur d'un rendez-vous régulier devant le Parlement, reprenant en cela l'esprit d'une proposition de loi constitutionnelle déposée par le Sénat en 2001. Les discussions ont été engagées, et je suis convaincue qu'elles aboutiront très vite, car il en va de notre engagement à bâtir l'Europe. Je me félicite déjà qu'un plus grand nombre de projets de transposition ait été examiné par le Parlement dans les dernières semaines, et que d'autres soient programmés au printemps. C'est un signal important adressé à nos partenaires et aux institutions européennes.

Au-delà, il nous faut méditer l'exemple de certains Etats membres de l'Union, notamment des pays nordiques, qui sont les plus efficaces dans la transposition des directives. Je salue l'analyse comparée menée tant par M. Geoffroy que par M. Philip. Qu'en est-il, par exemple, du Danemark ? Ce pays ne compte que cinq directives en retard de transposition : il y en a cent en France ! Comme vous le savez, les pays nordiques associent étroitement les parlementaires en amont de la négociation des directives européennes, si bien que la transposition en est simplifiée. Sans doute pourrions-nous nous-même définir un circuit particulier pour l'adoption de la législation d'origine communautaire. Ainsi, pour certaines directives d'intérêt secondaire, une procédure d'examen simplifiée, s'inspirant de celle en vigueur dans votre assemblée, mériterait d'être examinée.

Chacun s'est réjoui de l'heureuse initiative prise par le président Debré d'instituer des séances mensuelles de questions d'actualité au Gouvernement consacrée à l'Europe, car ces séances illustrent la volonté de votre assemblée de s'ouvrir davantage aux enjeux de la construction communautaire. Mais les questions européennes sont omniprésentes dans notre vie quotidienne. C'est donc tout le travail législatif qui doit être rééquilibré. Il faut en effet reconnaître la place primordiale qu'a prise la législation européenne dans notre législation nationale, donc permettre à la représentation nationale d'orienter davantage la position française lors de la négociation des actes communautaires, en utilisant plus largement la procédure de l'article 88-4 de la Constitution.

Il faut aussi développer les échanges et les liens de travail entre les assemblées et les représentants de la France au Parlement européen et, en revanche, économiser le temps parlementaire consacré à la transposition des directives de portée limitée ou exclusivement techniques. De façon générale, il faut enfin mettre autant l'accent sur l'application du droit communautaire que sur sa négociation dans les instances communautaires.

La volonté politique ne peut s'exprimer durablement dans la négociation européenne, si elle ne se soucie pas avec la même vigueur de l'application du droit qui résulte de cette négociation. Nous devons donc, avec la même détermination, préparer l'avenir et effacer les retards. Le projet qui vous est présenté vise à transposer des directives souvent anciennes, puisqu'elles ont pour la plupart été adoptées en l'an 2000, et certaines, dès 1993. Grâce à ce projet, vous pouvez mettre un terme à douze procédures d'infraction déjà engagées contre la France et apporter une meilleure sécurité juridique à tous nos concitoyens. Voilà pourquoi le Gouvernement vous demande de l'autoriser à transposer, par ordonnances, des directives communautaires (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois - Accepter d'habiliter le Gouvernement à légiférer à sa place n'est pas une faveur revendiquée par notre Assemblée, ni un moment de joie pour elle. Mais cette réticence doit être tempérée par les circonstances particulières qui nous réunissent. Reprenant nos habits d'ancien proviseur, je serais en effet tenté de porter sur notre pays l'appréciation suivante : « A cessé d'être un mauvais élève ; plutôt en progrès, mais peut mieux faire » (Sourires).

M. le Président - Et quelle sera la note ? (Sourires)

M. le Rapporteur - Disons six sur dix...

Grâce à ce projet, le retard accumulé sera légèrement grignoté, mais le problème de fond demeurera : loin d'avoir jamais appartenu au peloton de tête des nations vertueuses en matière de transposition, nous sommes toujours soit à la dernière soit à l'avant-dernière place de l'ensemble des Etats membres. Ce qui n'est déjà pas satisfaisant dans une Union à Quinze le sera encore moins, demain, dans une Europe à vingt-cinq.

C'est pourquoi l'essentiel de mon propos ne portera pas sur le contenu des directives qui doivent être transposées, qui sont pour la plupart d'ordre technique et que le Sénat a minutieusement examinées. Tout en soulignant leur importance, notamment en matière de sécurité maritime, comme l'a fait Madame la ministre, je tiens à rappeler que la transposition dans les délais s'impose à nous pour plusieurs raisons : image, efficacité et sécurité juridique.

Quand je parle d' « image », il ne s'agit pas du plaisir de paraître, mais du rôle de la France et de son rang. En ce sens, nous ne pouvons accepter que notre incapacité à transposer dans les délais requis des directives à l'initiative et à l'élaboration desquelles nous sommes pour beaucoup ne dégrade notre image. Nous nous devons d'être vertueux, d'autant que cette vertu nous évitera la contrainte de procédures d'infraction et garantira la sécurité juridique de nos concitoyens et de nos entreprises, assurés que le droit qui leur est appliqué est le même que celui qui s'applique aux autres Etats membres.

En bref, il est nécessaire de mettre au point un mécanisme qui nous évitera de devoir en passer à nouveau par un projet d'habilitation.

S'agissant des directives que nous permettrions au Gouvernement de transposer par ordonnances, rompant avec la démarche qui avait abouti à la loi du 3 janvier 2001, ce Gouvernement, et il faut l'en féliciter, a souhaité que le Parlement soit informé très en amont des directives appelées à être transposées par voie d'ordonnance, et puisse donner son avis sur leur nature et leur portée. Alors qu'il y en avait eu 46 en 2001, il n'y aura cette fois-ci que 22 directives transposées par ordonnance - plus exactement 23 puisque le Sénat en a ajouté une à la liste, en quoi je le suivrai, le président de notre commission des affaires économiques ayant accepté, à votre demande, Madame la ministre, que cette vingt-troisième directive figure dans ce projet de loi de transposition. Des progrès ont donc été accomplis et les relations entre Gouvernement et Parlement sur ce point sont les moins mauvaises possibles - les meilleures même pourraient dire les plus optimistes. Vous avez tout fait pour que le Parlement ne soit pas davantage dessaisi de ses prérogatives. Nous vous autoriserons donc aujourd'hui à recourir à une transposition par voie d'ordonnance, qui permettra de combler quelque peu le retard accumulé de manière très dommageable.

Mais il faut, au-delà, proposer des solutions pour l'avenir. La France doit faire partie du peloton de tête des pays de l'Union vertueux en matière de transposition. L'effort que vous avez engagé, Madame la ministre, devra pour cela être poursuivi, mais aussi relayé par vos collègues : il faut que les dispositions relevant du domaine réglementaire, lesquelles représentent environ 60 % des textes, soient elles aussi transposées de façon régulière et transversale. Le contrôle de l'action du Gouvernement fait aussi partie des prérogatives du Parlement.

Une page doit être définitivement tournée pour le Parlement. Il n'est plus possible d'accepter que le Gouvernement dépose des projets de loi de transposition sur le bureau des deux Assemblées et que ceux-ci ne parviennent pas à être inscrits à l'ordre du jour. Pourquoi ne pas consacrer une séance par mois à la transposition des directives européennes ? Notre rendez-vous d'aujourd'hui préfigure peut-être l'avenir. Mais il ne faudrait pas que cette séance mensuelle ait lieu le vendredi matin ou après-midi, à la sauvette, devant un hémicycle dégarni - je tiens, à cet égard, à saluer nos collègues ici présents. L'Europe mérite mieux. Le Sénat a suggéré qu'une des séances de questions orales sans débat soit une fois par mois remplacée par une séance de transposition de directives. De même, certaines des réunions de la Délégation pour l'Union européenne, qui ont désormais lieu le mercredi matin, ne pourraient-elles pas être remplacées de la même façon ?

M. le Président - L'ordre du jour des travaux parlementaires est, aux termes mêmes de la Constitution, fixé par le Gouvernement. Il faut donc adresser votre demande, Monsieur le rapporteur, au Gouvernement.

M. le Rapporteur - Au risque d'être audacieux, je suggérerais que nous modifiions notre Règlement, et pourquoi pas, au-delà, proposions une modification de la Constitution, afin que notre assemblée puisse assumer les prérogatives qui sont les siennes, de manière plus régulière et surtout plus respectueuse de la place de la France dans l'Union européenne.

La commission des lois a approuvé le projet de loi en l'état. Je propose à l'Assemblée de faire de même. Madame la ministre, je vous remercie d'avance de faire en sorte que ce soit la dernière fois que nous ayons à formuler les demandes que nous avons réitérées aujourd'hui (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l'Union européenne - Pourtant pays fondateur de l'Union, la France est l'un des plus mauvais élèves européens en matière de transposition des directives. Elle partage, avec la Belgique et l'Allemagne, le triste privilège d'avoir le plus important déficit de transposition -3,5 %. Cinquante-quatre directives relatives au marché intérieur n'avaient toujours pas été transposées dans les délais au 30 novembre 2003, et parmi elles, sept accusaient un retard de plus de deux ans. Et encore, cette statistique n'est-elle que partielle, puisque limitée au marché intérieur.

Le présent projet de loi permettra de réduire rapidement le stock de directives restant à transposer. Si on ne peut, bien sûr, en théorie qu'être réservé sur la procédure des ordonnances, il faut être réaliste et il fallait bien trouver une solution. Le Premier ministre a préalablement sollicité l'avis des présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat sur la liste indicative des directives visées par le projet de loi. Saisi par le président de l'Assemblée, j'ai réuni le bureau de la Délégation le 2 décembre 2003, lequel a approuvé, à une large majorité, le principe du recours aux ordonnances, tout en soulignant que les directives du « paquet télécom » relevaient d'un secteur sensible. Grâce à cette initiative du Gouvernement, complétée par la transmission aux rapporteurs des commissions saisies au fond ou pour avis de la plupart des projets d'ordonnances, l'intervention du Parlement dans la procédure d'habilitation a été sensiblement étendue. Par ailleurs, le présent projet de loi ne concerne que des dispositions techniques, dont seul l'encombrement du calendrier parlementaire explique le retard de transposition.

Quelles réformes envisager pour l'avenir ? Les dysfonctionnements sont identifiés depuis longtemps. Dès 1989, la section des rapports et études du Conseil d'Etat avait analysé les problèmes. De juin à octobre 2001, un groupe de travail a réfléchi à des améliorations. Les Délégations à l'Union européenne des deux Assemblées ont consacré plusieurs rapports d'information à cette question. Notre collègue Christian Philip s'est ainsi vu confier un rapport sur le problème des transpositions, et il faut saluer son excellent travail.

Dans le droit fil de ces travaux, plusieurs réformes ont déjà été adoptées. La circulaire du 9 novembre 1998, document de référence en matière de transposition, a été complétée en 2002 dans le sens d'une meilleure information du Parlement. Et surtout, ce Gouvernement a annoncé, en novembre 2002, un plan d'urgence. Pour autant, peu de progrès sensibles ont été enregistrés.

A l'occasion de l'examen de ce projet de loi par le Sénat, de nouvelles pistes de réforme ont été suggérées aussi bien par vous, Madame la ministre, que par les rapporteurs des commissions.

La première serait de fixer un rendez-vous mensuel, ce qui supposerait d'aménager le calendrier parlementaire en conséquence.

La deuxième consisterait à utiliser plus systématiquement la procédure d'examen simplifiée prévue par les articles 103 à 107 de notre Règlement, surtout utilisée jusqu'à présent pour l'adoption de conventions internationales. J'attends avec intérêt les conclusions du rapport que j'ai confié à Christian Philip sur les procédures simplifiées auxquelles ont recours les autres Parlements européens.

La troisième réforme suggérée par Madame la ministre me paraît encore beaucoup plus prometteuse. Vous avez en effet proposé d'intégrer les retards de transposition imputables aux ministères parmi les indicateurs de performance prévus par la loi organique relative aux lois de finances. Cette mesure présenterait deux avantages. D'abord, elle rappellerait que la transposition des directives ressortit en premier lieu du pouvoir réglementaire. Ensuite, elle mettrait l'accent sur l'importance de l'impulsion politique en ce domaine.

La Commission ne cesse d'insister sur la nécessité d'un engagement au plus haut niveau politique. Les résultats obtenus dans les mois qui ont suivi l'annonce du plan gouvernemental confirment la pertinence de cette approche : quatre mois seulement après, le stock de directives restant à transposer avait diminué de moitié. De même, l'Irlande avait réduit son déficit de transposition de moitié à l'approche de sa présidence de l'Union, grâce à la détermination de son chef de gouvernement, désireux d'aborder cette échéance dans de bonnes conditions. D'autres solutions sont envisageables, Christian Philip aura l'occasion d'en présenter quelques-unes dans son rapport.

Pour autant, aucun résultat vraiment satisfaisant ne pourra être obtenu tant que nous n'aurons pas perçu l'impérieuse nécessité d'adapter nos structures institutionnelles à l'omniprésence du droit communautaire. Celui-ci régit désormais 60 % à 80 % de notre législation. Il est particulièrement important dans le domaine agricole, et occupe une part croissante des dispositions juridiques concernant les migrations ou la criminalité. Nos ministères ne semblent pourtant pas avoir adapté leur organisation à cette évolution, même si, sous votre impulsion, Madame la ministre, un responsable du suivi des transpositions a été désigné dans chaque ministère.

Mais nous sommes encore loin du Royaume-Uni, qui n'est pourtant pas réputé pour son enthousiasme européen : chaque ministère y dispose d'une section européenne, et le retard dans la transposition y est très faible. De même, si notre ministère de l'agriculture a divisé par cinq le stock de directives en retard entre octobre 2002 et octobre 2003, c'est que chaque direction a désormais un responsable chargé de veiller au suivi et qu'un responsable du service juridique centralise les informations pour alerter le cabinet si nécessaire.

Enfin, je remercie le Président de l'Assemblée des initiatives qu'il a prises pour placer l'Europe au centre de nos débats. Nous avons débattu avec le Président Giscard d'Estaing de la Convention. Les rencontres franco-allemandes de Versailles ont eu un retentissement certain. Le Bundestag voudrait s'inspirer de la réforme des questions au Gouvernement pour faire place à des questions européennes. Les dix présidents d'assemblées des pays candidats ont assisté à notre débat sur l'élargissement. Vous avez pris une initiative pour rendre plus solennelle « l'entente cordiale », alors que la Grande-Bretagne se rapproche de l'Allemagne et de la France. Vous avez permis que la Délégation soit plus efficace grâce à l'installation d'un fonctionnaire à Bruxelles. Nous avons aussi travaillé avec les commissions permanentes sur des sujets européens, désormais bien plus présents au Parlement. Pour ma part, j'ai ouvert la délégation aux députés européens et quatre d'entre eux ont participé à la séance d'audition de Mme Haigneré.

Nous devons certes améliorer la transposition des directives. Il y va de la crédibilité de la France dans l'Europe élargie. La Délégation a émis un avis favorable sur ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président - Nous aurions pu examiner ce projet selon une procédure simplifiée. Il aurait fallu pour cela me le demander en conférence des Présidents. La conséquence en aurait été que l'orateur de chacun des quatre groupes aurait disposé de cinq minutes de temps de parole. M. Caresche a maintenant la parole pour dix minutes.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - Est-ce une recommandation ?

M. le Président - Une simple remarque.

M. Christophe Caresche - Merci, Monsieur le Président, de veiller à nos intérêts.

Majorité et opposition partagent la même insatisfaction sur le retard pris dans la transposition des directives, quel que soit le gouvernement, et chacun, en son temps, s'est plaint de la procédure par ordonnance. Ce retard nuit à l'image de la France et au rôle qu'elle veut jouer, le recours aux ordonnances ne peut satisfaire les parlementaires.

Or, les rapports se succèdent, les dysfonctionnements sont connus, et la situation perdure. Que pourrait faire le Gouvernement pour que la France retrouve une place plus honorable ? Vous avez évoqué un certain nombre de propositions, et souligné d'abord les pesanteurs administratives. Si la volonté politique existe, elle doit en venir à bout. Vous avez élaboré un tableau de bord, vous présentez une communication au Conseil des ministres, et vous proposez maintenant au ministre du Budget de faire de la rapidité de transposition un des critères de performance prévus par la LOLF. Il lui faudra beaucoup d'abnégation pour accepter, car sur 108 directives non transposées, 35 relèvent du ministère de l'économie et des finances. L'inertie de ce ministère, qui n'hésite jamais à donner des leçons, est très particulière puisque, en seconde place, le ministère de l'écologie n'est en retard que pour treize directives.

Vous évoquez la charge de travail du Parlement. Mais c'est le Gouvernement qui est maître de l'ordre du jour, c'est à lui de l'organiser pour que nous examinions les directives de façon régulière. Là encore, c'est une question de volonté politique. Ce gouvernement, comme tous les autres, a tendance, il est vrai, à surcharger l'ordre du jour de ses projets. Vos propositions vont donc dans le bon sens, mais je reste sceptique sur leur application.

Les parlementaires ont aussi leurs responsabilités. Ils ont pris conscience de l'enjeu et la Délégation accomplit un travail positif. Pour aider la ministre à se faire entendre du reste du Gouvernement, ne pourrions-nous formaliser notre position dans une résolution ? Elle serait, je n'en doute pas, adoptée par l'ensemble des groupes.

Enfin, je regrette que seule notre commission des lois ait été saisie de ce texte. Au Sénat, plusieurs autres commissions permanentes l'ont été et nous aurions dû faire de même. Il faudra y veiller à l'avenir. Je le répète, nous ne pouvons apprécier d'être dessaisis. Les ordonnances ne sont pas faites pour combler une carence du travail parlementaire, et nous aimerions avoir le sentiment d'être utiles !

J'en viens au contenu du texte. La plupart des mesures que le Gouvernement présente comme purement techniques, portent pourtant sur des sujets très importants.

M. Frédéric Dutoit - Tout à fait.

M. Christophe Caresche - Plusieurs habilitations concernent les transports. En ce qui concerne la sécurité maritime, nous nous félicitons du renforcement des exigences de contrôle par « l'Etat du port » et de la transposition de la directive de 2002 sur le suivi des navires.

Mais ce renforcement, pour être effectif, suppose des moyens budgétaires. Or, si la France a réussi à atteindre les 25 % requis par les textes communautaires pour le contrôle des navires entrés dans ses ports, l'augmentation très faible du nombre d'inspecteurs laisse penser que de réelles inspections des navires n'ont pu avoir lieu.

Par ailleurs, la directive de 2002 comporte des mesures visant à améliorer la surveillance du trafic dans les eaux européennes. Il s'agit notamment d'équiper les navires de transpondeurs afin de transmettre des informations sur l'identité du navire, sa position et la route suivie ; nous attendions cette transposition, les chauffards des mers étant de plus en plus nombreux, comme l'a montré le tragique naufrage du chalutier Bugaled-Breizh.

Ce débat nous donne l'occasion de souligner les contradictions entre vos discours et vos actes. Dans l'affaire du Prestige, il est regrettable que la majorité parlementaire ait refusé d'étendre le champ d'investigation de la commission d'enquête sur la sécurité maritime à la coopération transfrontalière et à la chaîne de décision qui a amené l'Etat français à exonérer l'Etat espagnol de toute responsabilité. Elle ne faisait là que reprendre la position de la droite parlementaire européenne qui, les 19 décembre 2002 et le 17 janvier 2003, a repoussé la création d'une commission d'enquête parlementaire indépendante sur ce naufrage.

En outre, alors même que le Président de la République a fait de la sécurité maritime une de ses priorités, vous osez afficher votre volonté de créer un pavillon de complaisance français ! La proposition de loi visant à instituer un registre international français, au mépris de notre code du travail, va à l'encontre de cet objectif de sécurité maritime. Il n'est pas acceptable que la volonté de réduire les coûts conduise à exploiter des personnels sans statut. Le Gouvernement a préféré repousser l'examen de ce texte après les élections régionales, mais comment peut-il expliquer qu'il continue à l'envisager fin avril ?

En matière de transports, nous sommes inquiets de l'article 6, qui permettra de prendre par ordonnance - ce que la commission des affaires économiques du Sénat elle-même ne souhaitait pas - des mesures d'adaptation concernant la durée du travail dans les transports routiers. La durée hebdomadaire maximale est en effet actuellement fixée à 56 heures en France, alors que la norme européenne est de 60 heures. Vous devriez d'autant plus renoncer à demander une habilitation sur ce sujet qu'il est largement lié à la sécurité routière, autre chantier du quinquennat. Qu'en est-il du rapport demandé à notre collègue Francis Hillmeyer ?

La transposition de la directive relative à l'interopérabilité du système ferroviaire ne pose pas de problème et nous saluons à ce sujet l'excellent travail de notre collègue député européen Gilles Savary. Mais, au lendemain de la proposition de la Commission européenne d'ouvrir le trafic ferroviaire de passagers entre les Etats membres, nous demandons une nouvelle fois au Gouvernement d'y résister.

Dans le domaine environnemental, il est surprenant de voir le Gouvernement se précipiter pour transposer des directives alors qu'il nous présentera en avril un projet de loi constitutionnelle visant à insérer dans la Constitution le droit à un environnement sain et équilibré, qu'il conviendrait d'examiner d'abord. Pourquoi, en particulier, vouloir aller si vite pour transposer la directive du 13 octobre 2003 établissant un système d'échange de quotas d'émissions de gaz à effet de serre dans l'Union ?

Dans le secteur médical, la directive de 2001 vise à simplifier et clarifier le dispositif de reconnaissance mutuelle des diplômes, titres et qualifications, et à permettre la compensation des éventuelles différences de cursus par les expériences professionnelles acquises. Le groupe socialiste appelle l'attention sur la nécessité d'éviter tout laxisme en la matière.

Vous l'aurez compris, nous sommes vraiment hostiles à votre méthode, qui nous contraint à renoncer à notre pouvoir de législateur. Cependant cette hostilité ne saurait être confondue avec une remise en cause de notre engagement européen ; nous nous abstiendrons donc.

La séance, suspendue à 16 heures 5, est reprise à 16 heures 10.

M. Christian Philip - Pourquoi est-il tellement nécessaire de transposer les directives européennes, et de le faire dans les délais ?

Vous l'avez rappelé, Madame la ministre, la France a l'obligation juridique d'effectuer cette transposition dès lors qu'elle a ratifié les traités communautaires. C'est aussi une nécessité économique, puisqu'il s'agit d'organiser le marché intérieur, et une nécessité politique, puisque la crédibilité de notre engagement européen est en jeu.

J'ai donc été étonné du propos de M. Caresche, qui s'est interrogé, directive par directive, sur le bien-fondé de la transposition envisagée.

Ou il y a obligation, ou il n'y a pas obligation. Je note du reste que la directive sur le temps de travail évoquée par M. Caresche a été adoptée sous le gouvernement précédent.

Le constat est loin d'être glorieux : nous sommes parmi les pays européens qui ont le plus de retard. Dès lors, le Gouvernement ne pouvait que nous proposer ce projet. Procéder aux transpositions par ordonnances n'est d'ailleurs pas une première, comme on l'a rappelé. Il est également vrai que les deux Chambres ont été consultées sur le nombre et le contenu des textes à inclure. Néanmoins, cette procédure n'est pas satisfaisante. De plus, elle ne réduit que très partiellement le nombre de directives en retard de transposition.

Il faut également compter avec le retard réglementaire, quantitativement le plus important : sur 101 directives en retard de transposition, 58 n'exigent que des dispositions réglementaires. Je salue les efforts du Gouvernement, votre engagement personnel, Madame la Ministre, mais comme Guy Geoffroy, je pense que « l'élève peut mieux faire ».

Nous devons impérativement éviter de recourir trop souvent à ces lois d'habilitation : le parlementarisme n'en sort pas gagnant. Comme l'a souligné M. Lequiller, un certain nombre de pistes peuvent être explorées à partir d'autres expériences des pays de l'Union. Nous pouvons ainsi rejoindre M. Caresche lorsqu'il évoque la possibilité d'un projet de résolution. La délégation à l'Union Européenne a souhaité que l'on débatte des perspectives possibles au sein de la COSAC.

Deux conditions sont nécessaires à la bonne réussite des transpositions : une volonté parlementaire - et vous en faites preuve, M. le Président - et une volonté gouvernementale - il convient de donner les moyens nécessaires au ministre chargé des affaires européennes pour qu'il puisse imposer à temps la préparation de projets de loi et instaurer des procédures d'alerte en cas de retard.

J'espère que de nos débats émergera une réelle discipline propre à modifier la situation.

Le Groupe UMP votera ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Frédéric Dutoit - L'élargissement à 25, les élections européennes, la conférence intergouvernementale sont autant d'événements politiques majeurs. Alors, 2004, année de l'Europe démocratique, sociale, citoyenne ? La réponse du Gouvernement est cinglante, qui se permet de demander au Parlement de se dessaisir de ses compétences. Il ne s'agit pas de renier les obligations de la France, mais c'est précisément au nom de ce sens des responsabilités que nous rejetons le recours aux ordonnances, en particulier concernant des directives essentielles.

Le retard de la France dans la transposition ne justifie pas le réflexe antidémocratique consistant à recourir à l'article 38 de la Constitution. Comment dès lors peut-on être surpris par le faible engouement des Français pour la construction européenne ?

Le groupe communiste n'a jamais accepté la législation par ordonnances. Il en va de l'équilibre démocratique des pouvoirs.

L'article premier énumère les directives concernées par l'habilitation. Il est en particulier question de la transparence des relations financières entre Etats membres et entreprises publiques. Derrière cette rhétorique se cache la politique libérale de l'UE qui pourchasse l'intervention publique, même lorsque des millions d'emplois et l'avenir économique de toute une région sont en jeu. Les entreprises publiques constitueraient en outre une menace pour la libre concurrence.

Je note enfin que la notion de solidarité est absente de ces directives, dont la transposition est si urgente.

De la même manière, il est question de la mise en place d'un marché de quotas d'émissions de gaz à effet de serre que certains qualifient déjà de « droit à polluer » ; mais aussi d'un projet de réseau ferroviaire transeuropéen qui pose de nombreuses questions sociales. Les directives tendent également à modifier les conditions de travail dans les transports.

L'article 6 prévoit l'allongement du temps de travail des chauffeurs routiers, qui passera de 56 à 60 heures hebdomadaires.

L'article 7, quant à lui, tend à libéraliser les services portuaires, notamment ceux du remorquage et du lamanage. Comprenez que, comme député de Marseille, je sois particulièrement sensible à cette question. On tente ainsi de remettre en cause le statut spécifique des travailleurs portuaires.

Le Gouvernement réintroduit ainsi certains aspects de la directive sur la libéralisation des services portuaires que le Parlement européen avait rejetée. Les grèves coordonnées à l'échelle européenne et les manifestations de Rotterdam ou de Barcelone ont pourtant montré l'opposition de tous les intéressés et abouti au rejet du compromis passé entre la Commission et le Parlement européen. Le Gouvernement français prendrait donc le relais. Cette méthode est inadmissible.

Les arguments avancés pour justifier le recours aux ordonnances ne sont pas convaincants. D'abord, le délai de transposition n'est pas échu pour un certain nombre de directives. Il n'y a donc pas une telle urgence. Ensuite, le retard de la France est si considérable que le Gouvernement agite la menace de sanctions, mais il est pourtant maître de l'ordre du jour ! Il pourrait donc parfaitement transposer les directives les plus importantes par la voie parlementaire classique. Le retard accumulé est de la responsabilité des gouvernements successifs, et le Parlement n'a pas à en supporter les conséquences. Par ailleurs, le calendrier parlementaire n'est pas un argument très convaincant quand on sait que les directives réglementaires accusent le même retard ! Quant au caractère technique des directives concernées, il dissimule des choix politiques capitaux.

Non seulement ce projet de loi n'est pas justifié, mais il semble même nuisible à la construction d'une Europe démocratique, politique et citoyenne. Il marque le manque total d'ambition de votre projet pour l'Europe. En effet, la résorption du déficit démocratique dont souffre l'Europe passe indubitablement par une meilleure association de la représentation nationale tant à l'élaboration des textes communautaires qu'à leur transposition. Laisser faire le Gouvernement à notre place ne peut en rien résorber ce déficit. En procédant de la sorte, vous ne rapprochez pas les Européens d'une institution déjà trop lointaine et technocratique. Comment cela serait-il possible si les directives adoptées à Bruxelles par le Conseil des ministres, c'est-à-dire par les gouvernements, sont transcrites en droit français à nouveau par le Gouvernement ? Ce n'est pas ainsi que se construira l'Europe des citoyens, du progrès social et du développement économique !

Ce qui est en cause, c'est l'idée même que nous nous faisons de la construction européenne et du rôle du Parlement. Aucun parlementaire ne peut accepter de se démettre du peu de droits qu'il a ici.

M. le Rapporteur - Tout de même !

M. Frédéric Dutoit - Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce projet de loi.

M. Gilbert Gantier - Le groupe UDF ne peut qu'approuver la transposition d'une vingtaine de directives, surtout sur des sujets aussi importants que la sécurité des jeunes au travail, la protection des travailleurs et des consommateurs, la reconnaissance des diplômes et des formations professionnelles, la protection de l'environnement et enfin la sécurité maritime, qui a tant, et à juste titre, ému nos concitoyens ces derniers temps.

Ce projet de loi permet de résorber quelque retard dans la transposition des directives communautaires. La France est en effet à l'avant-dernier rang de l'Union, avec 101 textes en souffrance ! C'est inacceptable. Il en va de notre crédibilité, notamment au moment de l'élargissement. C'est également préjudiciable à notre image et au fonctionnement du marché intérieur, sans compter d'éventuelles condamnations à des astreintes. Or, les deux tiers des directives en retard n'impliquent pas de modification législative. L'encombrement de l'ordre du jour des assemblées ne peut donc expliquer cette carence, dont il faut plutôt chercher les causes dans des dysfonctionnements administratifs. Quant au retard des directives législatives, il s'explique bien souvent par des difficultés politiques qui font redouter le débat au Gouvernement, comme ce fut le cas pour la directive relative au marché intérieur du gaz naturel.

Le seul remède proposé par les gouvernements successifs consiste à demander aux assemblées de l'habiliter à transposer tout un paquet de directives par ordonnances. Ce fut le cas en décembre 2000. Le gouvernement socialiste fit ainsi passer une cinquantaine de textes, qui n'avaient d'ailleurs pas suffi à résorber notre retard chronique. Déjà, bon nombre de parlementaires avaient exprimé leurs réticences envers cette procédure qui contourne le débat. Même si le recours aux ordonnances est constitutionnel, nous ne devons pas sous-estimer la gravité de l'atteinte qu'il porte aux droits du Parlement.

C'est pourquoi notre jugement est réservé. L'intervention du Parlement dans la construction européenne est de toute évidence essentielle pour l'avenir de la démocratie dans notre pays. C'est la capacité des Etats à peser sur les choix des autorités européennes qui est en jeu. Le projet de loi dont nous discutons révèle une nouvelle fois le manque de participation du Parlement. Sa mise à l'écart ne constitue pas le meilleur moyen de faire progresser l'adhésion des peuples à la construction européenne.

Nos objectifs sont simples : il faut transposer dans les meilleurs délais, pour pouvoir jouer un rôle moteur. Une meilleure organisation de la transposition en droit français revaloriserait les pouvoirs du Parlement. On pourrait notamment souhaiter que les citoyens soient mieux associés à la prise des décisions. Les difficultés de résorption du stock des directives en attente sont pour partie dues à l'existence de spécificités françaises, notamment en ce qui concerne les services publics ou la politique sociale. Les retards concernant la directive sur l'électricité en sont un bon exemple. Mais cela n'explique pas tout. Plus de la moitié de notre législation est aujourd'hui d'origine communautaire. Il serait donc déraisonnable d'envisager de dessaisir régulièrement le Parlement de son pouvoir. Les retards de transposition posent le problème du lien entre la volonté politique et sa traduction concrète.

C'est pourquoi l'UDF réclame depuis plusieurs années une plus grande participation du Parlement, et une meilleure concertation lors de l'adoption des directives. Le déficit démocratique de l'Europe, si souvent évoqué, trouve en partie sa source à ce niveau. Le problème de l'accélération de la transposition doit donc en partie être résolu par une réflexion sur la manière d'associer les parlements à l'élaboration des directives. Dans une Europe démocratique, ce sont les peuples et leurs représentants qui doivent élaborer les normes et déterminer les priorités.

Pour toutes ces raisons, le groupe UDF votera ce projet de loi, tout en rappelant que la procédure des ordonnances doit rester une exception et qu'il appartient au Gouvernement de tout mettre en _uvre pour résorber notre retard de transposition.

Mme la Ministre déléguée - Je voudrais d'abord remercier votre excellent rapporteur pour son travail très complet et prospectif, ainsi que tous les orateurs pour la qualité de leurs interventions.

Votre souci commun est que la législation européenne soit plus en phase avec les aspirations de notre pays, et que la représentation nationale participe donc à son élaboration. Je vais tenter de répondre aux points que vous avez soulevés.

Le recours aux ordonnances était-il justifié en l'espèce ? Je ne reviendrai pas sur le fait que cette procédure soit strictement encadrée. Chacun a convenu qu'il était d'une impérieuse nécessité pour la France de respecter ses engagements européens, donc de résorber son retard dans la transposition. La plupart d'entre vous ont donc bien compris l'utilité de la procédure, même s'il est légitime que le Parlement exprime ses réserves.

Je tiens toutefois à rappeler à M. Dutoit que cette procédure n'est pas propre à notre pays et que le Parlement britannique, dont on sait l'attachement à ses prérogatives, pratique couramment la législation déléguée.

Certes, des débats plus longs auraient pu être souhaitables sur des sujets tels que la reconnaissance des diplômes et des qualifications professionnelles, si la transposition n'accusait pas un tel retard, et il en est de même pour les dispositions relatives au système d'échange de quotas d'émissions de gaz à effet de serre. Mais, contrairement à ce que vous avez dit, Monsieur Caresche, nous sommes en retard dans l'application du protocole de Kyoto. Quant aux autres textes relatifs à l'environnement, soyez assurés qu'ils s'inscrivent dans la logique de notre future charte.

Plusieurs orateurs ont salué le dialogue qui a prévalu entre le Gouvernement et l'Assemblée lors de l'élaboration de ce projet. De fait, et c'est une première, le Parlement s'est vu communiquer tous les projets d'ordonnances, et tous les groupes qui l'ont souhaité ont eu accès à ces textes par le truchement de votre rapporteur. En retirant du projet les dispositions qui, du point de vue des assemblées, exigeraient un plus large débat, le Gouvernement a enfin scrupuleusement respecté les demandes des parlementaires.

S'est ensuite posée la question de savoir si le « déficit démocratique » souvent déploré, de la construction européenne, serait dû au manque d'implication des parlements nationaux, parlement français compris ? Je souscris, évidemment, aux propos tenus par M. Gantier sur l'impact croissant de la législation communautaire sur notre législation nationale. L'Europe est encore trop souvent perçue comme « bruxelloise » alors qu'elle est désormais au c_ur de la politique française. Pourtant, des dispositifs existent déjà qui permettent d'associer le Parlement à l'élaboration de la norme communautaire, et tout particulièrement l'article 88-4 de la Constitution. C'est ainsi que 317 textes communautaires ont été transmis à votre Assemblée en 2003, qui a adopté huit résolutions tendant à orienter la position du Gouvernement dans la négociation. Le Gouvernement tient toujours le plus grand compte de ces résolutions - par exemple celle de M. Christian Philip sur le deuxième paquet ferroviaire - ainsi que des excellentes propositions de votre délégation pour l'Union européenne. J'ai même pris l'initiative de relancer les présidents de vos commissions afin qu'elles soient examinées dans des délais raisonnables.

Je rappelle au passage que le projet de Constitution européenne renforce le rôle des parlements nationaux en garantissant leur meilleure information sur les textes en discussion et en leur donnant un rôle actif dans le contrôle de subsidiarité. Ces progrès, fortement soutenus par la France, ne font plus débat entre les Etats membres ; ils devraient donc figurer dans le texte.

M. Dutoit a évoqué ce qui serait la logique libérale du projet européen. Il est clair que ce projet, fruit de la volonté de gouvernements dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils sont de sensibilités différentes n'est prisonnier d'aucune « logique » partisane. Jacques Delors faisait valoir que la construction européenne reposait sur trois piliers : la compétition, la coopération et la solidarité. Les directives qui figurent dans le projet s'inscrivent dans ce cadre. Elles ne visent pas à déréguler mais au contraire à doter l'Europe de meilleures règles. S'agissant, en particulier, des services portuaires, il ne s'agit nullement de réintroduire des dispositions repoussées par le Parlement européen et sur lesquelles la France était réservée.

MM. Dutoit et Caresche ont déploré que la construction européenne conduise parfois à instaurer des normes communes minimales inférieures aux normes françaises. Reconnaissez que sans ces normes minimales, la pression concurrentielle serait encore plus forte, et avec elle le risque du dumping social. Quant à l'ordonnance relative au transport routier, elle ne sera évidemment prise, Monsieur Caresche, qu'après concertation avec les partenaires sociaux. J'ajoute que l'Union permet aussi des avancées en matière de droit du travail, comme c'est le cas avec la directive relative à la protection des jeunes au travail qu'il vous est demandé d'autoriser le Gouvernement à transposer.

Enfin, quels dispositifs définir pour que cesse définitivement le retard chronique que connaît la France en matière de transposition ? Le remarquable travail réalisé par votre rapporteur et par M. Philip donne un aperçu clair des différentes options.

En premier lieu, la poursuite de la modernisation de nos administrations permettra des transpositions plus efficaces et plus précoces. Je remercie M. Lequiller d'avoir soutenu ma suggestion faite au ministre délégué au budget d'inclure le respect des délais de transposition au nombre des indicateurs de performance de la LOLF.

Plusieurs orateurs ont ensuite reconnu l'utilité d'un rendez-vous régulier, dont la périodicité reste à déterminer. Mon sentiment est qu'un rendez-vous mensuel pour traiter des transpositions créerait de saines habitudes.

Votre rapporteur s'est aussi prononcé en faveur d'un mode d'examen simplifié pour certaines directives techniques, faculté déjà prévue par le Règlement de votre Assemblée. Faut-il, enfin, comme il l'a également suggéré, procéder à une révision constitutionnelle, à l'occasion de l'adoption de la future constitution européenne, pour mieux associer les parlementaires à l'élaboration des textes communautaires ? La réflexion à ce sujet sera enrichie par la comparaison institutionnelle que va entreprendre M. Philip, auquel mes services apporteront tout le soutien nécessaire.

Je souhaite en tout cas que notre débat donne l'impulsion politique nécessaire pour aboutir, dans les prochaines semaines, aux mesures indispensables à une meilleure organisation de notre travail collectif, notre objectif commun étant de mieux faire comprendre à nos concitoyens les enjeux de la construction européenne pour notre pays, dans toute leur dimension démocratique. Cela suppose l'implication de tous les parlements, dont le Parlement français (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président - J'appelle maintenant les articles du projet de loi dans le texte du Sénat.

Les articles premier à 11 du projet de loi, successivement mis aux voix, sont adoptés.

L'ensemble du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

SUSPENSION DES TRAVAUX DE L'ASSEMBLÉE

M. le Président - Je vous rappelle que, sur proposition de la Conférence des Présidents, l'Assemblée a décidé, en application de l'article 28, alinéa 2, de la Constitution de suspendre ses travaux pour les quatre semaines à venir.

En conséquence, et sauf séance supplémentaire décidée en application de l'article 28, alinéa 3, de la Constitution, la prochaine séance de l'Assemblée aura lieu le mardi 6 avril 2004 à 9 h 30.

Prochaine séance, mardi 6 avril, à 9 heures 30.

La séance est levée à 17 heures.

              Le Directeur du service
              des comptes rendus analytiques,

              François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU MARDI 6 AVRIL 2004

A NEUF HEURES TRENTE : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions orales sans débat.

2. Fixation de l'ordre du jour.

A QUINZE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Discussion, en deuxième lecture, du projet de loi (n° 1335) portant transposition de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau.

M. André FLAJOLET, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. (Rapport n° 1466.)

Eventuellement, A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 3ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


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