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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 79ème jour de séance, 199ème séance

2ème SÉANCE DU JEUDI 15 AVRIL 2004

PRÉSIDENCE de M. Jean LE GARREC

vice-président

Sommaire

      DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT
      ET DÉBAT SUR L'ÉNERGIE 2

      RÉUNION D'UNE CMP 54

      SUSPENSION DES TRAVAUX DE L'ASSEMBLÉE 55

      ORDRE DU JOUR DU MARDI 27 AVRIL 2004 55

La séance est ouverte à quinze heures.

DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT ET DÉBAT SUR L'ÉNERGIE

L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement relative à l'énergie, suivie d'un débat sur cette déclaration.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Avec Patrick Devedjian, nous introduisons donc ce débat important qui devrait concerner tous les Français. Sans énergie, pas de production de richesses, pas de confort, pas de progrès économique. Sans énergie, plus rien n'existerait de cette vie quotidienne à laquelle nous sommes habitués au point de ne plus nous étonner d'aucune facilité. La question de l'énergie est loin d'être seulement technique. Il s'agit bien plutôt d'un véritable débat de société. Songeons un instant à cette réalité paradoxale et choquante : un quart des hommes et des femmes dans le monde n'ont pas accès à l'électricité, cependant que pour tous les autres - dont nous faisons partie -, l'énergie apparaît comme un dû : j'en veux pour preuve qu'avant le débat national organisé par le Gouvernement en 2003, 70 % des Français interrogés disaient ne rien connaître du sujet.

Si nos compatriotes ne participent pas à ce débat, c'est parce que, pour la plupart d'entre nous, l'énergie n'est pas un sujet de préoccupation : l'électricité est là, à portée de main, elle permet tous les progrès. Alors pourquoi s'en soucier ? De surcroît, nombre d'enjeux semblent essentiellement techniques, pour ne pas dire abscons : sécurité nucléaire, énergies renouvelables, ouverture des marchés européens ...autant de discussions de spécialistes.

Et pourtant, l'énergie, ce sont des choix qui concernent tout le monde, et qui par conséquent doivent être compris du plus grand nombre. Comment s'étonner de ce que les Français ne s'intéressent pas aux enjeux énergétiques si nous n'affirmons pas une forte volonté politique ? Pour la plupart de nos compatriotes, le débat reste encore trop concentré sur le nucléaire, avec des arguments souvent plus idéologiques que pragmatiques.

S'agissant des économies d'énergie, nombreux sont ceux qui se demandent si elles sont encore utiles aujourd'hui. Et que dire de la nécessité de recourir aux énergies renouvelables : utopie ou véritable opportunité ? Exemple significatif, les éoliennes. L'opinion pensait que c'était écologique ; et puis, on a vu des associations de protection de l'environnement se mobiliser contre nombre de projets d'implantation. Alors, beaucoup ne savent plus que penser et ne sont plus finalement ni pour, ni contre. C'est l'exemple même de ces débats biaisés qui finissent par détourner les citoyens de questions qui devraient les concerner au plus haut point. C'est le contraire de la démocratie.

Avec Patrick Devedjian, notre objectif est que les Français s'approprient tous ces enjeux, qu'ils approuvent ou qu'ils contestent les orientations suivies, qu'ils se passionnent pour ces sujets ou qu'ils les suivent de loin. C'est pour cela que j'ai voulu vous présenter en toute transparence et de la façon la plus claire possible - ce qui est en soi déjà un défi - les priorités de notre politique de l'énergie.

L'histoire de l'énergie en France est marquée par deux dates clés. La première, c'est 1946, avec la décision prise par le général de Gaulle de créer, à partir d'un secteur exsangue, deux entreprises nationales - EDF et GDF - chargées d'accompagner le développement économique de notre pays. Grâce à cette décision, nous disposons aujourd'hui de deux champions nationaux. Depuis, près de soixante ans ont passé. La France s'est ouverte sur l'Europe et l'Europe sur le monde. La question que nous devons nous poser est de savoir comment poursuivre l'_uvre du général de Gaulle en donnant à EDG et à GDF les moyens de devenir pour l'Europe ce qu'elles sont devenues pour la France.

La seconde date marquante, c'est 1973 avec le premier choc pétrolier qui nous a fait découvrir brutalement notre dépendance à l'égard du pétrole. C'est à cette occasion que seront prises deux décisions essentielles. La première, c'est le lancement d'un programme nucléaire sans précédent dont résultent aujourd'hui trois avantages majeurs : un taux d'indépendance énergétique de 50 %...

M. Jacques Myard - Il faut le préserver !

M. Yves Cochet - De quelle indépendance parle-t-on ?

M. le Ministre d'Etat - ...à comparer par exemple à celui des Italiens - 16 % - et alors que nous n'avons pas de pétrole ou de gaz comme les Anglais ou les Néerlandais et que nous n'exploitons plus de charbon contrairement à nos partenaires allemands. Deuxième avantage, une électricité compétitive, de 10 % moins chère que la moyenne européenne pour les ménages, et, enfin, une énergie propre avec des émissions de CO2 réduites, inférieures respectivement de 40 % et de 35 % par rapport à celles de l'Allemagne et de l'Angleterre.

Peu dépendante, moins chère et plus écologique, un tel bilan est de nature à faire consensus, ce qui explique sans doute qu'au gré des alternances politiques, nul n'ait remis en cause les choix fondamentaux de notre politique énergétique, opérés en 1946 et en 1973.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - Très juste !

M. le Ministre d'Etat - Seconde décision stratégique prise à la faveur du premier choc pétrolier, le lancement d'une campagne d'économie d'énergie très volontariste, symbolisée par la formule véritablement entrée dans le vocabulaire courant de « chasse au gaspi ». Las, les succès initiaux de cette entreprise n'ont pas vraiment survécu au contre-choc pétrolier de 1986, lequel a vu le prix du baril s'effondrer de 30 à 10 dollars. Les bonnes habitudes se sont perdues et, depuis lors, les économies d'énergie ne progressent plus.

Nous sommes les héritiers de ces décisions, qui marquent encore notre politique. Le parc nucléaire a toutefois vieilli. La première centrale - celle de Fessenheim - aura trente ans en 2007. Dès lors, comment préparer la relève ? C'est une question fondamentale à laquelle nous ne pouvons pas nous dérober. Quant aux économies d'énergie, que nous avons remisées avec une certaine imprudence, le simple bon sens indique qu'elles sont indispensables, car il nous faudra bien partager demain avec le reste du monde une énergie appelée à devenir rare. Comment relancer une grande politique dans ce domaine, telle est également la question ?

Examinons à présent les contraintes qui pèsent sur nos choix. La première n'est pas nouvelle, c'est l'absence de pétrole et de gaz sur notre territoire. Ses conséquences vont néanmoins croissant. Quand on sait que la Chine est devenu le deuxième consommateur de pétrole au monde avec un taux de croissance de 10 %, que la production de pétrole des pays de l'OCDE stagne, que l'OPEP détient 80 % des réserves de pétrole et que la Russie sera le principal fournisseur de gaz de l'Europe dans vingt ans, il est clair que la sécurité d'approvisionnement doit rester un objectif central de notre politique.

Plus récente, la seconde contrainte a trait au réchauffement climatique. Le monde émet aujourd'hui presque 7 milliards de tonnes de carbone dans l'atmosphère. Ceci a provoqué un accroissement de la température de la planète de 0,6°C en un siècle. Et cela va continuer - entre 1,5 et 6°C d'ici à 2100. Quelques degrés, c'est peu mais c'est hélas suffisant pour entraîner des conséquences majeures en termes de santé, de recrudescence des maladies tropicales, d'atteinte à l'environnement et enfin de multiplication de phénomènes météorologiques extrêmes. Il est ainsi à craindre que l'épisode de canicule que nous avons connu l'été dernier ne soit que le premier d'une longue série à venir.

Pour stabiliser la température de la planète, l'humanité ne devrait émettre que 3 milliards de tonnes de CO2 dans l'atmosphère, soit deux fois moins qu'aujourd'hui. Et pour nous pays riches, cela veut dire diviser par quatre nos émissions, c'est-à-dire les réduire de 3 % par an durant cinquante ans.

Alors, face à ces questions et devant ces contraintes, quelle politique nationale cohérente et ambitieuse engager ? Le Gouvernement se fixe quatre axes prioritaires.

Premièrement, il nous faut renouer avec le dynamisme de 1974 en matière de maîtrise de l'énergie. La France doit produire dans dix ans 25 % de richesse en plus avec seulement 9 % d'énergie supplémentaire. Dans trente ans, il nous faudra produire deux fois plus de richesse avec la même consommation d'énergie qu'en 2015.

Pour y arriver, nous devrons mobiliser toutes les politiques publiques et je donnerai six exemples concrets. Nous travaillerons avec les constructeurs automobiles pour qu'ils affichent, à côté des prix des voitures, le coût annuel de leur consommation d'essence. II nous faut en effet mieux informer les Français pour que ceux-ci puissent modifier leurs comportements et choisir en toute connaissance de cause.

Nous abaisserons d'au moins 10 % les seuils de la réglementation thermique - c'est-à-dire le degré d'isolation, la qualité du chauffage - définie en 2000 pour les bâtiments neufs, avec l'objectif de les diviser par trois à l'horizon 2050. S'agissant de la rénovation de logements anciens, nous demanderons également à l'industrie du bâtiment de respecter des normes d'efficacité énergétique aussi proche que possible de celles de 2000 pour le neuf. Ce secteur est en effet celui qui recèle les opportunités d'économie d'énergie les plus accessibles.

Dans les transports, nous devons poursuivre nos efforts en matière de respect des limitations de vitesse. C'est essentiel pour réduire le nombre de morts sur la route, mais aussi pour l'environnement. Grâce à notre politique de sécurité routière, les consommations d'énergie des transports ont baissé, pour la première fois depuis 1973, de 1,8 % en 2003 alors qu'elles n'avaient cessé d'augmenter les années précédentes.

M. Jacques Myard - Mais pendant ce temps, la TIPP diminue !

M. le Ministre d'Etat - Certes, mais tout ne se réduit pas aux recettes fiscales, et c'est le ministre des finances qui vous le dit. La catastrophe environnementale qui pourrait s'ensuivre coûterait beaucoup plus cher qu'un déficit de recettes.

M. Jacques Myard - Tout à fait !

M. le Ministre d'Etat - De même, dans la continuité des décisions du CIADT de décembre, nous continuerons d'affecter la majeure partie de nos ressources au développement des infrastructures ferroviaires, fluviales et maritimes.

Nous imposerons également par la loi aux fournisseurs d'électricité, de gaz et de fioul domestique d'aider financièrement leurs clients à investir dans la maîtrise de l'énergie afin d'améliorer par exemple l'isolation de leur logement ou l'efficacité de leur chauffage.

En tant que ministre des finances, je vous proposerai de faire évoluer la fiscalité énergétique d'ici à la fin de l'année pour qu'elle avantage les Français qui contribuent à travers leur consommation d'énergie à une meilleure protection de l'environnement. En ce domaine comme dans les autres, je crois davantage à l'incitation qu'à la contrainte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Il nous faudra ensuite développer les énergies renouvelables. Celles-ci sont encore marginales dans notre pays, où elles ne représentent que 6 % de la consommation, mais elles croissent rapidement en Europe et nous devons rester dans la compétition. Les énergies renouvelables, c'est bien pour l'environnement, c'est bien pour l'emploi. C'est aussi une assurance pour demain si les prix du pétrole ou du gaz devaient flamber.

Je vous propose deux objectifs. Le premier est d'accroître de 50 % d'ici à 2015 les énergies renouvelables qui produisent de la chaleur, c'est-à-dire le bois, les déchets et le solaire. C'est possible : ces énergies ont crû de 8 % en 2003. Comment faire ? En améliorant avant la fin de l'année les aides financières. En permettant par exemple aux collectivités locales de subordonner l'octroi d'un permis de construire à l'obligation de recourir en partie aux énergies renouvelables, comme c'est le cas aujourd'hui à Barcelone.

Le second objectif est de porter la production d'électricité d'origine renouvelable de 15 % à 21 % d'ici à 2010. La priorité en ce domaine est de préserver le potentiel hydraulique actuel et de développer l'éolien...

M. Hervé Mariton - Et les paysages ?

M. le Ministre d'Etat - ...l'éolien, notamment off-shore, qui pose en effet moins de problèmes. Les filières industrielles concernées ont besoin de visibilité pour se développer en France mais il faut éviter tous les excès, rentes excessives ou rejet par la population. C'est pourquoi nous avons lancé des appels d'offre en matière d'éolien et souhaitons que la plus grande attention soit accordée à la concertation locale. Ce gouvernement combat tous les intégrismes, y compris celui prétendument écologiste (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Enfin, le Gouvernement continuera d'encourager le développement des biocarburants, comme il le fait actuellement grâce à la défiscalisation votée dans la dernière loi de finances. La meilleure manière d'aider au développement de cette filière pourra bien sûr faire l'objet d'une discussion devant votre assemblée.

Il faut toutefois avoir l'honnêteté de reconnaître que les énergies renouvelables, quelle que soit notre volonté politique, ne peuvent qu'être un appoint aux énergies classiques et non un substitut, ce qui pose inévitablement la question du nucléaire.

Plusieurs députés UMP - Bien sûr !

M. le Ministre d'Etat - Dans le domaine nucléaire, quelles sont nos certitudes, quelles sont nos interrogations ? La moitié de notre parc nucléaire aura en moyenne trente ans en 2011. Trente ans, c'était initialement la durée prévue d'une centrale. Nous avons de bonnes raisons de penser que cette durée pourra être prolongée de dix ans, certains disent même davantage, mais rien n'est certain. Nous pouvons juste raisonnablement escompter qu'elles pourront durer quarante ans, mais il ne s'agit là que d'une probabilité. En tout état de cause, personne ne pourrait sérieusement affirmer que notre parc durera sans problème cinquante ans.

Même avec le plus grand effort de maîtrise de l'énergie et de développement des énergies renouvelables, il est certain que nous aurons à choisir pour renouveler notre parc nucléaire entre nucléaire, gaz et charbon, c'est-à-dire entre les risques inhérents au nucléaire et les émissions de gaz à effet de serre ! Et que certains ne nous disent pas que nous ne luttons pas assez contre celles-ci tout en manifestant par ailleurs contre le nucléaire. Je respecte toutes les opinions mais en l'espèce, il est irresponsable de défendre les deux en même temps (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

M. Yves Cochet - Pas du tout !

M. Jacques Myard - M. Cochet s'est reconnu dans ces irresponsables.

M. le Ministre d'Etat - Nous devons placer notre pays en situation de lancer une nouvelle génération de centrales entre 2015 et 2020, en remplacement de l'actuelle. Une impasse s'annoncerait sinon, dont nous serions responsables.

Pour cela, une seule technologie est actuellement disponible, le réacteur européen à eau pressurisée, l'EPR. Ce réacteur est dix fois plus sûr, 10 % moins cher et produit 15 % à 30 % de déchets en moins. Son déploiement industriel est possible dès 2020, ce qui est déjà un horizon lointain, alors que de l'avis même de tous les scientifiques, les réacteurs dits de quatrième génération, ne seront au mieux disponibles qu'à l'horizon 2045. Vos collègues Christian Bataille et Claude Birraux n'ont d'ailleurs pas dit autre chose dans leur excellent rapport réalisé au nom de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques en mai 2003.

M. le Président de la commission - Tout à fait !

M. le Ministre d'Etat - Le Gouvernement est donc favorable à la construction prochaine d'un EPR. La décision doit d'ailleurs être prise sans retard car s'écouleront au moins sept années entre la décision et l'expérimentation.

Pour autant, il ne s'agit pas de signer un chèque en blanc à la filière nucléaire. Le nucléaire ayant des incidences sur notre vie économique et pouvant en avoir sur notre vie quotidienne, sa filière doit impérativement accroître sa transparence et mieux informer le public. C'est l'objectif de la loi sur l'information et la transparence nucléaire que le Sénat doit examiner avant l'été.

Le nucléaire n'a pas non plus vocation à produire toute notre électricité. Notre pays doit conserver un parc de production thermique, utilisant le gaz, le charbon ou le fioul, suffisant et de qualité.

Dernier axe de notre politique : développer la recherche. Nous ne vaincrons pas le réchauffement climatique sans rompre avec nos habitudes mais non plus sans nouvelles technologies de l'énergie. Celles-ci doivent devenir une des priorités de la recherche. Je proposerai l'élaboration d'un programme d'actions précis, auquel devront être alloués les moyens financiers nécessaires. Il faudra par exemple être capable à l'avenir de capturer et stocker dans des champs de gaz le CO2 émis dans l'atmosphère, savoir faire fonctionner nos véhicules avec des biocarburants, de l'hydrogène ou des piles à combustible, s'éclairer, pourquoi pas, avec le photovoltaïque et bien entendu consommer électricité et gaz sans les gaspiller.

Nous ne pouvons néanmoins mener seuls cette politique énergétique ambitieuse et cohérente. Le temps n'est plus où la France pouvait définir et conduire sa politique énergétique indépendamment de ses voisins européens. L'Europe de l'énergie doit devenir une réalité, pour faire gagner nos entreprises et renforcer l'indépendance énergétique du continent.

II faut d'abord concevoir un véritable projet industriel pour EDF et GDF. Comme le marché intérieur de l'électricité va s'ouvrir encore davantage à la concurrence le 1er juillet prochain, inévitablement EDF va y perdre des parts de marché. Il faut donc lui donner les moyens d'en conquérir de nouvelles à l'étranger.

EDF et GDF sont des fleurons de note industrie, grâce à leurs personnels et à leur savoir-faire. Elles n'en sont pas moins fragiles à plusieurs égards. Ainsi, le principe de spécialité lié à leur statut les empêche de proposer aux clients une offre commune d'électricité et de gaz, alors que leurs concurrents pourront bientôt le faire. Leur statut d'établissement public est aujourd'hui le premier frein à leur développement à l'extérieur de nos frontières - il n'est que de voir ce qui s'est passé en Italie ou en Espagne.

M. Christian Bataille - C'est un point de vue.

M. le Ministre d'Etat - EDF est trop endettée, à hauteur de 22 milliards. Elle doit impérativement renforcer ses fonds propres, lesquels ne sont que de 19 milliards (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Dites-moi pourquoi depuis vingt-deux ans l'Etat n'a pas mis un centime dans EDF ? Que je sache, la gauche a été plus longtemps au pouvoir durant ces vingt-deux années que la droite. Certes, l'Etat n'est pas le meilleur des actionnaires.

A preuve, il n'a pas donné à EDF et à GDF les moyens de leur développement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Christian Bataille - Ces entreprises n'ont donc pas coûté un sou à l'Etat !

M. le Ministre d'Etat - Agir, c'est donc donner à ces deux grandes entreprises les moyens juridiques et financiers de devenir des championnes en Europe. Je pense qu'il y a consensus sur ce point : nous aimons tous également EDF et GDF. En revanche, il peut y avoir débat sur les modalités. Pour notre part, nous estimons qu'il convient de donner à ces entreprises une nouvelle forme juridique, celle de sociétés, et de leur permettre d'augmenter leurs ressources, donc leur capital.

Ce ne seront jamais des entreprises comme les autres et même la comparaison avec France Télécom, que certains avancent, ne tient pas : il n'y a rien de commun entre des centraux téléphoniques et des centrales nucléaires. De plus, EDF et GDF ont des missions de service public. C'est pourquoi le Gouvernement a solennellement écarté toute privatisation. L'Etat restera donc largement majoritaire dans le capital de ces entreprises, qui demeureront ainsi dans le secteur public.

Quant aux agents d'EDF et de GDF, ils en sont la première richesse, non seulement en raison de leur compétence mais aussi en raison de leur attachement à leur entreprise. Dès lors, en quoi serait-il critiquable de leur permettre de devenir actionnaires de cette dernière, dont ils ont fait la prospérité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président de la commission - La participation, enfin !

M. le Ministre d'Etat - Il y aurait même quelque incohérence à se féliciter de cet attachement et à leur interdire de devenir propriétaires d'une entreprise dont ils assurent le développement. C'est pourquoi nous leur avons affirmé que leur statut ne serait pas modifié, qu'ils continueraient de jouir de la garantie de l'emploi, que leurs prestations de retraite resteraient inchangées et qu'ils conserveraient le bénéfice d'un régime de retraite spécial - seul le mode de financement en sera modifié pour en garantir la pérennité, les règles européennes interdisant de maintenir la garantie de l'Etat.

Nous devons nous adapter à l'Europe, mais nous devons aussi redevenir une force de proposition pour celle-ci. Partager un marché unique est certes gage de plus d'efficacité et de solidarité, mais c'est aussi un facteur de réduction des risques - risque d'une coupure généralisée ou risque d'une hausse des prix, du fait de l'imprévoyance de certains Etats voisins. Nous ne voulons pas imiter la Californie. La France contribuera à cette maîtrise collective en déposant un mémorandum. A notre sens, pour que l'Europe dispose d'un parc électrique suffisant, il faut que chaque pays dispose d'un niveau minimal de production, rapportée à sa consommation. Comme nous l'a rappelé le black-out italien de cet été, on ne peut se reposer sur les seules exportations, surtout compte tenu des incertitudes géostratégiques actuelles.

Nous voulons aussi permettre à nos entreprises gazières de conserver des contrats d'approvisionnement à long terme avec les pays producteurs, pour les inciter à investir dans les réseaux de transport.

Nous entendons en outre préserver la compétitivité de nos industries en leur assurant une électricité à bas prix.

Enfin, nous travaillerons à faire progressivement converger les politiques européennes, sur la base de trois priorités : relance de la politique de maîtrise de l'énergie, lancement d'un débat sur l'énergie nucléaire, développement d'une véritable diplomatie énergétique.

S'agissant du nucléaire, chaque pays doit prendre ses responsabilités. Cette forme d'énergie, qui produit 34 % de l'électricité en Europe, évite un accroissement des émissions de gaz à effet de serre quasi équivalent aux émissions de tout le parc automobile européen. Le débat sur ce sujet doit donc s'ouvrir dans toutes nos démocraties (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). La France n'a pas de leçons à recevoir de ceux qui parlent beaucoup de l'effet de serre, mais dont les émissions sont autrement importantes !

La sécurité d'approvisionnement de l'Europe dépend pour beaucoup du dialogue que nous saurons nouer avec les pays producteurs et avec les pays en développement, dont il s'agit de renforcer la sécurité énergétique. L'Union doit donc prendre plus fortement conscience du rôle qu'elle a à jouer à cet égard.

En matière d'énergie, la France a la chance exceptionnelle d'être en avance sur ses concurrents : on le constate dans le domaine de la technologie, en ce qui concerne l'effet de serre, mais aussi dans le souci du consommateur, notamment du consommateur le plus démuni. Nous n'avons pas le droit de gâcher par l'immobilisme ce que nos prédécesseurs nous ont légué. Essayons donc de nous montrer à la hauteur de ces bâtisseurs. Ferons-nous mieux, aussi bien ou moins bien ? Ce qui est sûr en tout cas, c'est que l'immobilisme rendrait l'échec certain. Vous aurez compris que ce n'est pas notre politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Daniel Paul - Comment satisfaire les besoins en énergie en respectant les hommes et la planète, voilà une question majeure qui mérite bien un vrai débat, digne de ce qu'a été notre histoire en ce domaine. Nous devons faire preuve de la même hauteur de vues que le général de Gaulle et Marcel Paul qui, à la Libération, ont su tracer la voie d'une politique pour le XXe siècle, ou que tous ceux qui, dans les années soixante-dix, ont doté notre pays d'une filière nucléaire adossée à un secteur public puissant, ce qui a assuré notre indépendance énergétique.

Ce débat, le Premier ministre nous l'avait promis en janvier, mais en annonçant en même temps une remise en cause du statut d'EDF et de GDF, au prétexte d'une ouverture à la concurrence de 30 % dans un premier temps, puis de 70 % à partir du 1er juillet prochain.

M. le Président de la commission - Le Gouvernement que vous souteniez avait donné son accord.

M. Daniel Paul - Mais la promesse de débat a fait long feu, cependant que l'air bruissait de votre volonté de passer en force pour ouvrir le capital d'EDF et de GDF. Puis est venue la sanction électorale que vous a méritée votre attitude méprisante, dogmatique, ultra-libérale, dure pour le peuple et attentive aux nantis. Le 8 avril, les salariés d'EDF et de GDF ont dit massivement leur refus de votre politique, leur volonté d'être respectés et de préserver les outils patiemment mis en place depuis soixante ans. Quand le message de la rue confirme ainsi celui des urnes, les fruits ne se font pas attendre : vous avez réinscrit ce débat à notre ordre du jour, vous avez reçu les organisations syndicales, vous avez annoncé le dépôt d'un projet de loi d'orientation que nous examinerons à la fin de mai, avant votre projet sur les industries électriques et gazières, et vous avez laissé espérer une relance du dialogue social au sein des deux entreprises.

Ce 8 janvier, le Haut Commissariat à l'énergie atomique notait que les conditions de production et de consommation de l'énergie allaient probablement connaître des bouleversements majeurs au cours de ce premier demi-siècle, en raison de contraintes environnementales, géopolitiques et physiques nouvelles. Il appelait donc la France à faire un effort pour assurer sa compétitivité, diversifier et garantir ses approvisionnements et réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Pour jeter les bases de cette politique, il importe de dresser un état des lieux. Un des premiers éléments à prendre en compte est certainement la mutation climatique dont les experts s'accordent à considérer qu'elle résulte largement de l'augmentation des gaz à effet de serre. Cependant, si l'Europe disposait d'un « bouquet énergétique » analogue au nôtre - nous sommes responsables de moins de 2 % des émissions mondiales -, ses émissions de CO2 seraient réduites de 30 %.

En effet, alors que dans le monde, la production d'électricité est responsable de 40 % des émissions totales de CO2, en France, où l'essentiel de cette production provient du nucléaire et de l'hydraulique, le secteur électrique n'en produit quasiment pas.

Par ailleurs, les ressources fossiles tendent à se raréfier. Les experts considèrent ainsi que la production de pétrole devrait atteindre son maximum entre 2015 et 2030 pour régresser ensuite, décrochant de la courbe de la demande, avec les tensions économiques et géopolitiques que cette situation ne manquera pas de causer. On le voit déjà avec les enjeux que constituent la maîtrise du pétrole irakien et la domination des territoires où passent les oléoducs et gazoducs.

De plus, les réserves de pétrole et de gaz sont inégalement réparties sur la planète : la France en est totalement dépourvue et l'Union européenne n'en possède pas suffisamment pour assurer son indépendance énergétique et la sécurité de ses approvisionnements.

Or on sait que les temps de réaction, dans l'énergie, sont longs : il convient donc d'intégrer sans attendre ces éléments dans les choix de politique énergétique. On ne peut laisser au marché le soin de régler des questions aussi lourdes. C'est ce que nous avions déjà dit, lors de la discussion de la directive, au sujet de nos approvisionnements en gaz.

Le marché est très massivement influencé par le court terme. La crise californienne incite à se doter de règles du jeu stables et cohérentes, garanties par des autorités de régulation fortes. Il faut s'inscrire dans le long terme, de façon à mobiliser les investissements indispensables.

Cette crise californienne montre aussi l'atout que constitue l'existence d'opérateurs industriels intégrés, producteurs et vendeurs d'énergie, capables de réaliser des investissements importants et de maîtriser les risques industriels.

Une politique énergétique ne peut plus, comme hier, se concevoir à l'échelle d'un seul pays, mais au moins à celle du continent européen.

Dans ce contexte, les députés communistes proposent d'abord de maîtriser la demande d'énergie ! Des progrès peuvent et doivent être réalisés en matière d'efficacité énergétique, dans l'industrie, dans les PME, dans les transports - secteur dont la consommation a augmenté de 2,4 % par an entre 1973 et 2000 - et dans l'habitat. Nous y parviendrons grâce à des mesures réglementaires, portant sur la réduction des consommations unitaires des appareils ménagers et la réglementation thermique des logements, mais aussi grâce à des offres commerciales favorisant les économies d'énergies ou les sources alternatives d'alimentation, comme les pompes à chaleur géothermales ou les capteurs solaires.

Mais il ne faut pas négliger les obstacles. La vie urbaine se caractérise par des migrations alternatives quotidiennes de main-d'_uvre. Le transport ferroviaire de fret reste faible alors que le transport routier fait preuve d'une grande flexibilité. L'organisation de la production en flux tendu accroît la demande de transport. Enfin, il ne faut pas oublier le lobby pétrolier, qui ne verra pas d'un bon _il une réorientation de notre politique de transport.

M. Yves Cochet - Et le lobby nucléaire ?

M. Daniel Paul - Sous la précédente législature, la commission « de la production », devenue celle des affaires économiques avait adopté à l'unanimité un rapport de son président, M. Lajoinie (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP). Ce rapport préconisait un grand emprunt européen pour favoriser le transport combiné. Cette suggestion conserve toute sa pertinence.

Nous devons aussi diversifier le bouquet énergétique, il faut privilégier les énergies les moins polluantes et les moins rares. Dans ce sens, il convient de protéger les ressources fossiles en rappelant qu'aucun moyen de production, à lui seul, n'apporte une réponse parfaite à toutes les questions posées.

En 2001, en France, l'énergie produite provenait à 75,8 % du nucléaire, à 13,9 % de l'hydraulique, à 6,2 % du charbon, à 2 % des produits pétroliers, à 1,4 % du gaz et à 0,7 % du solaire et de l'éolien.

La production d'électricité d'origine hydraulique place la France au deuxième rang européen pour les énergies renouvelables. Grâce à l'importance de notre production nucléaire, notre indépendance énergétique est passée de 22 % en 1973 à près de 50 % actuellement.

M. Yves Cochet - C'est faux !

M. Daniel Paul - Pour les mêmes raisons, nos émissions de CO2 s'élèvent à 6 tonnes par habitant contre 10 en Allemagne, pays qui utilise largement le charbon et le gaz et qui compte abandonner à terme sa production nucléaire.

Alors que notre pays connaît une stagnation de sa production industrielle et que 4 à 5 millions de personnes ne sont pas en situation de consommer de l'énergie au niveau moyen, la consommation globale ne cesse pourtant d'augmenter.

Il en est de même en Europe, où les besoins augmentent d'environ 2 % par an.

Par ailleurs, le flux tendu qu'on connaît bien dans l'industrie existe aussi dans la production d'électricité. Ainsi un mouvement social en février a obligé EDF à se fournir sur le marché international pour faire face à ses engagements.

C'est dire qu'il faut étudier toutes les options, qu'il s'agisse des économies d'énergies, du développement des énergies renouvelables, mais aussi du maintien et du renouvellement des centrales thermiques et nucléaires.

Nous sommes, en ce qui nous concerne, favorables à la relance aussi bien du petit hydraulique qu'à l'installation d'éoliennes, notamment à proximité d'installations classiques, nucléaires ou hydroélectriques.

Nous proposons aussi de restructurer des centrales thermiques à flamme, de rénover plusieurs « tranches charbon », d'assurer leur durée de vie au-delà de 2015 et de remettre en service des « tranches fioul » arrêtées pour utiliser les technologies les plus avancées de désulfuration et de dénitrification du charbon.

Nous sommes pour le renouvellement du parc nucléaire (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP) puisque la plupart des centrales arriveront en fin de vie à partir de 2020. Les réacteurs de quatrième génération ne pourront être mis en service qu'à partir de 2040 : il faut donc prévoir une étape intermédiaire.

Dans ces conditions, la France doit, dès maintenant, préparer ce renouvellement en construisant, dans les plus brefs délais, un prototype de réacteur EPR. Je souhaite qu'il soit installé en Normandie et même en Haute-Normandie (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

La réalisation d'un réacteur EPR, encore plus sûr et plus respectueux de l'environnement, permettrait aussi de pérenniser le tissu industriel français et de confirmer la présence de la France dans ce domaine, au moment où d'autres pays se tournent aussi vers cette forme de production énergétique.

Il nous faut bâtir une Europe de l'énergie. La politique énergétique doit se concevoir au niveau européen, ce qui justifie des échanges et des coopérations, dans le respect des accords de Kyoto.

Nous devons aussi encourager la recherche, qu'il s'agisse de trouver de nouvelles énergies, de réaliser des économies d'énergie ou d'assurer la sécurité des installations.

C'est le moyen de rendre moins dangereux les déchets nucléaires et de découvrir de nouvelles formes d'énergies : c'est le sens en particulier du projet ITER, si important pour notre pays mais aussi pour la communauté internationale (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Comment ne pas souligner, à cet égard, l'importance des grands établissements comme le CEA ?

Mais une telle politique énergétique requiert autre chose que la soumission aux règles du marché et l'obéissance aux lois du libéralisme que vous professez : elle a besoin d'outils à la hauteur des enjeux.

La libéralisation n'entraîne pas de baisse des tarifs, ce que vient d'ailleurs de confirmer le président de la SNCF qui s'inquiète de l'alourdissement de la facture électrique pour l'opérateur ferroviaire public. La libéralisation n'admet pas non plus l'augmentation des emplois ni même leur maintien : c'est ce que montre clairement aujourd'hui l'évolution du secteur des télécoms. Quant aux conditions de travail, donc de sécurité, on sait ce qu'elles deviennent avec les privatisations.

Les pannes qui se sont produites récemment, en Italie et aux Etats-Unis, ont mis en évidence les conséquences de la logique de sous-investissement dans les infrastructures exploitées par le privé. Vous ne pouvez ignorer que, dans le système capitaliste, la première obligation est d'assurer la rentabilité des capitaux investis par les actionnaires. Depuis l'avènement du capitalisme mondialisé, cette rentabilité doit être maximale et rapide ; autant dire qu'elle est en contradiction avec l'investissement énergétique qui a besoin du long terme, comme avec les enjeux d'une indépendance nationale dont elle n'a que faire : depuis longtemps, les capitaux n'ont pas de patrie.

Mais sans doute voulez-vous aussi faire croire que le privé, c'est mieux et que le public, c'est dépassé. Tel est le sens des campagnes idéologiques de ces dernières années. Cette logique a inspiré votre réforme des retraites, elle inspire votre projet sur la sécurité sociale : briser toute référence au travail collectif, ouvrir largement les portes au dogme libéral de la rentabilité financière, avec le mensonge de la prétendue efficacité libérale comme réponse aux besoins de notre société (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Dans une logique d'actionnaire, on cherche à faire des économies sur la recherche - pourtant primordiale -, à freiner la formation et la qualification du personnel pourtant garant de la qualité du service.

Le statut des agents, loin d'être un privilège, assure un niveau de qualification, de formation et de conditions de travail indissociables de la qualité d'un service public sûr. C'est pourquoi nous dénonçons le recours à la sous-traitance, en particulier dans des installations sensibles, avec ce qu'on appelle « les nomades du nucléaire ».

On sait pourtant que la faiblesse de ces installations réside moins dans la technique que dans les conditions humaines d'exploitation.

C'est pourquoi nous nous opposerons à la privatisation des deux établissements publics, comme à l'ouverture de leur capital.

Vous voulez ignorer que ni la Commission européenne, ni le droit communautaire n'obligent la France à modifier le statut d'EDF et de GDF. En outre, rien ne justifie l'ouverture de leur capital, au plan économique.

Je rappelle également que la fusion d'EDF ou de GDF était, elle aussi, « eurocompatible » et nous sommes toujours favorables à un tel projet industriel et économique, qui redonnerait toute sa cohérence à la politique énergétique de notre pays.

Le niveau des fonds propres d'EDF plaide, selon vous, en faveur d'une privatisation. Vous estimez que l'Etat, qui n'a pas mis un sou dans l'entreprise depuis vingt ans, mais qui, sans pudeur, n'a cessé de ponctionner dans les caisses de l'entreprise publique, n'a plus aujourd'hui les moyens de jouer son rôle.

Bruxelles, par la voie de Mario Monti, en décembre dernier, avait donné à l'Etat jusqu'à fin décembre 2004, pour faire disparaître la garantie qu'il accorde à EDF, en vue de trouver des financements à moindre coût sur les marchés de capitaux. Votre prédécesseur Francis Mer avait devancé Bruxelles, en rendant publique une lettre dans laquelle le Gouvernement s'engageait à abolir la « garantie illimitée » dont bénéficie EDF « au plus tard le 31 décembre 2004 ».

Les capacités d'autofinancement d'EDF et GDF sont de l'ordre de 6 à 7 milliards, dont 4 peuvent être affectés à de nouveaux investissements ou au désendettement. A terme, les deux entreprises ont donc les moyens financiers d'assurer leur développement, à condition de savoir quel type d'investissement doit être privilégié. Or, depuis 1988, et surtout 2000, EDF s'est lancée dans des acquisitions externes, avec London Electricite ou EnBw par exemple. L'endettement s'est accru d'autant, pour faire face aux engagements hors bilan ainsi contractés par EDF. Faut-il vraiment continuer dans cette direction, qui ne répond à aucun besoin réel ? L'entreprise publique, à notre sens, a un autre rôle à jouer en France et en Europe. Mais vous estimez, vous, qu'au nom du libéralisme il faut aller vers l'ouverture du capital, prélude à une privatisation, pour qu'EDF soit présente et active sur les marchés mondiaux.

Pour nous, une politique publique énergétique doit pouvoir assurer une maîtrise réelle du secteur grâce à des outils industriels et économiques.

M. Patrick Balkany - Vous l'avez déjà dit !

M. Daniel Paul - Pour nous, un pôle public de l'énergie ne peut pas se réduire à un cadre fiscal et réglementaire à l'usage du secteur privé.

M. Hervé Mariton - La fin est laborieuse !

M. Daniel Paul - Notre pays doit avoir des ambitions techniques, avec le développement de la recherche, et sociales, pour promouvoir l'emploi, réduire les inégalités et servir le développement durable.

M. le Président - Veuillez conclure !

M. Daniel Paul - Aussi la France et l'Europe doivent-elles se doter d'une politique énergétique solidaire, dynamique et cohérente, faisant toute sa place à la démocratie et à la transparence, donc à l'opposé de vos orientations libérales (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Notre peuple vous a dit au reste ce qu'il en pensait les 21 et 28 mars, et les salariés d'EDF ont manifesté leur détermination le 8 avril. Ils s'engagent dans la résistance (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) pour les prochaines semaines, afin de préserver les outils dont notre pays a su se doter il y a soixante ans. Ces outils que sont les entreprises publiques sont plus que jamais en situation. Dans ces combats, nous serons aux côtés des salariés (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. François-Michel Gonnot - Le groupe UMP se réjouit de participer au débat national souhaité par le Président de la République et organisé par le Gouvernement. Il importe d'autant plus de définir nos choix et de préciser le calendrier pour une nouvelle politique énergétique qu'après cinq ans de socialisme, la France n'a plus dans ce domaine de politique lisible pour les Français et adaptée au nouveau contexte européen et mondial.

M. Richard Mallié - S'il n'y avait que cela !

M. François-Michel Gonnot - De fait, les divisions de la gauche plurielle ont empêché de prendre les décisions nécessaires, qu'il s'agisse de l'ouverture des marchés de l'électricité et du gaz à la concurrence, du nucléaire ou de la lutte mondiale contre le réchauffement climatique.

M. Jean-Claude Lenoir - C'est bien vrai !

M. François-Michel Gonnot - Rappelons qu'en 1997, à Kyoto les pays industrialisés se sont engagés à diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre avant 2050. Or le protocole de Kyoto, ratifié par la France, nous impose de ramener en 2010 le niveau des émissions de gaz à effet de serre à celui de 1990. Il faut aujourd'hui prendre des décisions si possible dans un consensus analogue à celui réalisé par nos prédécesseurs il y a trente ans et plus, comme vous l'avez rappelé, Monsieur le ministre.

Ce consensus a permis à la France d'assurer son indépendance et sa sécurité énergétiques, de créer un modèle de service public de l'énergie, de bâtir une filière du nucléaire qui s'impose partout dans le monde et de donner naissance à des entreprises aussi belles qu'EDF, GDF, Areva, Total...

Oui, la France et les Français peuvent être fiers !

Il faut aujourd'hui aller de l'avant, en inscrivant notre politique énergétique dans le développement durable, et en comprenant que l'avenir de la France de l'énergie se trouve désormais dans le marché de 480 millions de consommateurs européens.

Nous devons, en premier lieu, continuer à garantir notre indépendance énergétique, alors que la demande va doubler d'ici à 2050, et la ressource en énergie fossile se raréfier, dans quarante ans pour le pétrole, soixante-cinq ans pour le gaz et deux cents ans pour le charbon. L'augmentation des cours du pétrole, les tempêtes de 1999 et la canicule de l'été dernier, les pannes d'électricité aux Etats-Unis et en Italie ont mis en évidence la nécessité de garantir la sécurité des approvisionnements en France et en Europe.

Notre pays doit donc disposer de sources d'énergie encore plus variées, et pour cela le rôle de toutes les énergies renouvelables doit s'accroître. Le Président de la République, à Johannesburg, l'a souhaité, la France en a besoin, et l'Europe nous le demande. Or nous disposons de réels atouts, en particulier grâce à l'hydraulique qui fournit 95 % de notre production électrique d'origine renouvelable. Le bois représente également une part importante.

La France peut et doit faire mieux tant l'apport des énergies renouvelables reste insuffisant. Reste que celles-ci ne peuvent se substituer aux autres sources d'énergie.

Pour atteindre l'objectif fixé par la directive européenne de septembre 2001 de 22 % de production d'électricité d'origine renouvelable dans l'Union européenne à l'horizon 2010, contre 15 % aujourd'hui, la France va devoir accentuer fortement ses efforts. Vous avez affiché, Monsieur le ministre, votre détermination sur ce point.

Notre collègue Serge Poignant, auteur d'un rapport sur les énergies renouvelables, y reviendra tout à l'heure.

Notre groupe attend un véritable plan national de promotion des énergies renouvelables qui peut aussi être à l'origine de nombreuses créations d'entreprises, donc d'emplois, comme l'ont fait certains pays voisins. De plus, si la France veut relancer sa filière nucléaire, elle n'y parviendra qu'en s'engageant avec force dans les énergies renouvelables.

La France doit développer une politique volontariste de maîtrise de l'énergie, alors que depuis la « chasse au gaspi » dans les années 1970, nous semblons avoir baissé la garde. Nos efforts doivent porter sur le bâtiment, conformément à la directive européenne de décembre 2002.

Il importe également de mieux éduquer les consommateurs et de réaliser des économies dans le secteur des transports, où la consommation d'énergie augmente de 4,2 % par an.

Pour répondre à la demande croissante d'énergie dans un marché dorénavant ouvert, nous aurons à accroître nos capacités de production d'électricité. Grâce au nucléaire, notre taux d'indépendance énergétique est passé de 24 % en 1973 à plus de 50 % en 2002. De plus, l'énergie nucléaire a un coût très compétitif et il a également permis à la France d'être l'un des pays industriels les moins pollueurs. C'est ainsi que les émissions de CO2 ont été divisées par trois et demi au cours des vingt dernières années.

L'énergie nucléaire, dont proviennent 80 % de notre électricité, nous permet d'économiser environ 100 millions de tonnes de pétrole par an, autant que la production du Koweït. La valeur ajoutée créée par notre industrie nucléaire se situe entre 20 et 28 milliards par an, soit entre 1,3 % et 1,8 % du PIB marchand.

Enfin, près de 150 000 personnes travaillent dans le secteur nucléaire, à quoi s'ajoutent les emplois induits.

En 2017, les premiers réacteurs nucléaires auront 40 ans. Se posera alors la question de leur remplacement. Il importe à nos yeux de garder l'option nucléaire ouverte, ce qui ne se conçoit pas avec les réacteurs construits dans les années 1970.

Dans ces conditions, la construction d'un réacteur européen à eau sous pression, l'EPR, s'avère judicieuse. Pour pouvoir faire un choix, il faut que l'ensemble des technologies soient accessibles d'ici à 2010 ou 2015. De conception franco-allemande, l'EPR présente des avantages significatifs : il est plus sûr, il consomme moins de matières premières et produit moins de déchets pour une rentabilité bien supérieure aux centrales d'aujourd'hui. La Finlande vient de le choisir pour son cinquième réacteur nucléaire. Les électriciens allemands ont compris que sans le nucléaire, l'Allemagne ne pourrait respecter ses engagements de réduction d'émission de gaz à effet de serre. Les Etats-Unis portent un intérêt nouveau à la filière, alors qu'ils n'ont pas construit de réacteur depuis 1973, et la Chine commence à la considérer comme une alternative au charbon. Tout cela plaide en faveur de la construction d'un EPR par la France.

La poursuite des activités nucléaires suppose, bien entendu, que nous soyons particulièrement vigilants quant au traitement des déchets radioactifs et que nous maintenions un haut niveau de sûreté, de transparence et d'information du public. Nous sommes heureux que le Sénat doive être prochainement saisi du projet de loi sur la sûreté nucléaire. Enfin, un effort de recherche développement important doit être consenti pour les réacteurs de la quatrième génération et pour la fusion nucléaire, mais aussi afin de découvrir des carburants propres, de nouvelles sources d'énergie et de lancer une véritable filière des énergies renouvelables. Les transferts de technologie vont devenir un enjeu important, car cette industrie commence à émerger dans de nombreux pays et la France doit y être présente.

Tels sont les sujets primordiaux que nous souhaiterions voir aborder dans la future loi d'orientation sur l'énergie. J'en viens à la réforme des statuts d'EDF et GDF, qui n'a de sens que dans ce nouveau contexte. Il ne s'agit aucunement de casser ces deux belles entreprises, qui font la fierté de tous les Français. Il s'agit de les rendre plus fortes sur un marché qui ne sera plus de 60, mais de 480 millions de consommateurs, de permettre au modèle social créé en 1946 de survivre, de se renforcer et d'être exporté ailleurs en Europe, et enfin de réorganiser et de refonder le service public à la française. Pour tout cela, il faut du dialogue social. Merci, Monsieur le ministre d'Etat, de l'avoir si vite compris. Il faut aussi donner à ces deux opérateurs un projet industriel de dimension européenne. Le marché va s'ouvrir. Préparons-nous y avec enthousiasme, car cela ouvre en même temps la perspective de conquérir les marchés de nos 24 partenaires européens. Les électriciens et les gaziers français sont bons, peut-être les meilleurs du monde. De quoi pourraient-ils avoir peur ? Encore faut-il bien sûr qu'on leur donne des explications et qu'on les rassure sur leur statut et leurs avantages.

Le groupe UMP est intimement convaincu de l'intérêt supérieur de la France à réussir ces réformes. Il vous accompagnera, Monsieur le ministre, dans ces chantiers difficiles, mais si importants pour la vie quotidienne de chaque Français comme pour l'avenir industriel de notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Merci d'avoir respecté votre temps de parole.

M. François Dosé - Dans quelques semaines, le Gouvernement présentera au Parlement un projet de loi d'orientation concernant la politique énergétique de la France, puis un projet tendant à modifier le statut d'EDF et de GDF. Il est juste que la représentation nationale débatte enfin des options énergétiques qui doivent être privilégiées dans les quatre à cinq prochaines décennies, tant à cause de la nature des enjeux, qui concernent tous les Français, que des exigences de l'échéancier. Quelle que soit la diversité de nos territoires, de nos sensibilités et de nos engagements, nous devrons élaborer un projet conjuguant efficacité et solidarité, social et environnemental, proximité et international, court et moyen terme, et enfin démocratie participative et choix scientifiques. C'est à cette aune que nous examinerons vos propositions.

Permettez-moi d'abord de revenir sur le contexte. D'abord, le réchauffement climatique est indéniable. Il est dû en quasi-totalité aux activités humaines. Les ressources non renouvelables se raréfient. Les pays en voie de développement nous renvoient clairement à notre modèle de développement et à son cortège de gaspillages. Les marchés énergétiques de l'Union s'organisent selon une nouvelle donne. Un important problème de sécurité se pose, qu'il s'agisse de la gestion des déchets radioactifs ou des dix-neuf réacteurs installés par l'ancienne URSS dans des pays de l'Est. Enfin, l'opinion publique n'a pas une perception exacte de la réalité. Notre consommation sert à 33 % pour les transports et à 22 % à la production électrique. Ces deux secteurs, ajoutés au résidentiel et au tertiaire, sont beaucoup plus importants que le secteur industriel si souvent décrié.

La loi d'orientation devra donc contenir des points essentiels. Il faut d'abord afficher, Monsieur le ministre, un programme pour chacun des secteurs que j'ai cités sans réduire le débat à une seule filière, la plus médiatisée. Dans le domaine de la maîtrise des énergies, il faut remplacer les déclarations par des objectifs simples, s'inscrivant dans des programmes pluriannuels. L'habitat, en particulier l'habitat social, et les transports sont des espaces d'expérimentation immédiate. Il faut inciter tous les territoires à mettre en _uvre nos engagements internationaux, dont bien sûr celui de Kyoto, ainsi que la politique européenne d'indépendance et de sécurité des approvisionnements, et encourager l'initiative locale pour les économies d'énergie, tout en assurant l'égalité des territoires dans l'accès à l'énergie. Nous regrettons que la majorité parlementaire refuse d'inclure ce problème dans la loi sur les responsabilités locales : c'est en effet le meilleur échelon pour sensibiliser les administrés à d'autres modes de production et de consommation.

Autre point essentiel : la diversité des réponses. Un bon réseau routier est bien sûr un instrument d'efficacité et de solidarité, mais sacrifier les transports en commun et le ferroutage n'est pas raisonnable. La filière électro-nucléaire elle aussi doit être préservée, mais il ne faut pas oublier de développer les énergies renouvelables, la cogénération et le gaz. Il faut réaffirmer la complémentarité de toutes les recherches menées dans les domaines de l'environnement et de l'énergie. Ne les sacrifions pas par manque de crédits ou par sectarisme. N'oublions pas la recherche sur les problèmes de stockage et de transport, la pile à combustible, la biomasse ou les réseaux électriques « intelligents »... Enfin, ce texte devra concilier l'efficacité et la solidarité. Tous les choix devront intégrer une solidarité générationnelle - quelle planète léguerons-nous à nos petits-enfants ? -, sociale - égalité dans l'accès à l'énergie -, et territoriale - besoins des pays en voie de développement. Si nous esquivons cette obligation morale, nous porterons la responsabilité de tensions, voire de conflits internationaux.

Après le débat sur les énergies qui s'est déroulé de janvier à juillet 2003 et le rapport de Jean Besson sur la stratégie énergétique de la France, publié le 8 octobre, ce débat est la dernière étape introductive à la loi d'orientation. Les députés socialistes ont l'intention d'aborder les grands enjeux l'un après l'autre. Certains prétendent que les assises décentralisées furent partisanes, d'autres que le débat prévu en mai serait tronqué et truqué. Nous n'osons les croire, mais vous devez dès aujourd'hui apporter la preuve que ce débat n'est pas prévu pour ne répondre qu'à deux questions.

Oui ou non, le Gouvernement attendra-t-il les conclusions du débat d'orientation sur les énergies pour rendre sa décision au sujet de la construction d'un EPR en métropole ? Acceptera-t-il de mettre en discussion l'option EPR dans le « mix énergétique » sans l'imposer préalablement ?

M. Yves Cochet - Mais non ! La décision est déjà prise !

M. François Dosé - Oui ou non, le Gouvernement permettra-t-il aux élus de se prononcer sur la décision unilatérale d'EDF de septembre 2003 de prolonger de dix ans l'amortissement technique et financier de toutes les centrales nucléaires civiles ?

Monsieur le ministre d'Etat, je n'ose croire que l'urgence financière puisse conduire à décider dans la précipitation, sans l'aval des parlementaires, de choix aussi lourds de conséquences économiques, environnementales et sécuritaires. Dois-je rappeler qu'à la suite du rapport de l'OPCST de MM. Bataille et Birraux - peu connus pour leur antipathie à l'égard du nucléaire -, le président Ollier a lui-même préconisé l'allongement de la durée d'amortissement au cas par cas, sur la base des éléments fournis par une institution indépendante de la filière électro-nucléaire ?

M. le Président de la commission - En effet !

M. François Dosé - Compte tenu de la qualité de nos installations, nous ne doutons pas que l'autorisation d'exploiter nos centrales puisse être prorogée. Mais il est essentiel que le Parlement ratifie ce type de dérogation, d'autant que la fermeture immédiate de certains sites s'impose parfois ! Il est de notre responsabilité d'élus de valider de tels choix.

Monsieur le ministre d'Etat, vous ne devez pas conforter l'idée que la place à donner au nucléaire dans notre pays peut se décider en secret, hors de tout contrôle démocratique. Réhabilitez le débat politique en soumettant ces orientations stratégiques de première importance à notre délibération. Le Parlement se doit d'examiner votre projet pour arrêter lui-même le mix énergétique et l'assortir de ses propres recommandations.

Ne dupez pas ceux qui ont joué le jeu en participant aux assises décentralisées et ne méprisez pas les parlementaires en les faisant débattre sur l'accessoire plutôt que sur l'essentiel. Et, de grâce, ne « plombez » pas le débat en autorisant l'EPR avant le vote de la loi d'orientation. Ne donnez pas raison à ceux qui nous taxent déjà d'être nous-mêmes des EPR, des « Elus Pour Rien » (Sourires).

C'est le crédit des responsables politiques qui est en cause. Les républicains que nous nous flattons d'être ne peuvent s'exonérer de l'exigence démocratique. Nous serons aussi jugés sur notre capacité à faire de la politique autrement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Philippe Folliot - Sans le soleil, première et inépuisable source d'énergie il n'y aurait pas sur notre planète la moindre trace de vie. Sans énergie pas d'humanité, sans énergie pas de progrès. Nos cent cinquante dernières années d'extraordinaire croissance ont plus bouleversé le monde que les vingt-cinq siècles précédents et elles sont le résultat de progrès scientifiques fondés sur la maîtrise de nouvelles sources énergétiques. N'a-t-on pas parlé de révolutions du charbon, de l'électricité, du pétrole, du nucléaire, lesquelles ont permis de démultiplier la force humaine pour mieux créer, construire, se chauffer, se déplacer, communiquer...

C'est dans cette perspective historique que nous devons replacer notre débat, car nous ne sommes que locataires de notre planète et nos choix ou non-choix conditionneront le devenir de nos enfants. Cela mériterait bien quelques heures d'échanges dans cet hémicycle ! Notre groupe salue donc l'heureuse initiative de susciter cette discussion, d'autant qu'il faut bien reconnaître qu'avant votre arrivée, Monsieur le ministre d'Etat, on a manqué de clarté et de perspectives, tant pour ce qui concerne la politique énergétique nationale que quant au devenir des opérateurs historiques.

S'agissant de l'EPR, on a pu craindre à plusieurs reprises que le Gouvernement n'ait décidé de passer en force, avant même la conclusion du débat national sur l'énergie, ce qui n'a pas manqué de réveiller les clivages archaïques entre pro et anti-nucléaires. Aujourd'hui, nous nous félicitons que vous annonciez comme imminente la discussion du projet de loi d'orientation sur l'énergie, lequel doit statuer sur l'avenir de notre parc nucléaire.

Quant au changement de statut, le gouvernement précédent différait de mois en mois une réforme pourtant cruciale, à l'heure où le marché européen s'ouvre à la concurrence. Dès lors, nous nous réjouissons qu'il soit prévu d'examiner dès le mois de juillet le projet de loi sur le statut des industries électriques et gazières, destiné à lever tous les obstacles sur la route de la modernisation de nos opérateurs.

C'est donc dans ce contexte de clarification du calendrier législatif que le groupe UDF souhaite exposer ses principales orientations.

A nos yeux, une politique énergétique durable pour les vingt ou trente années à venir repose sur trois piliers.

D'abord, toute solution énergétique doit être évaluée en fonction de son impact attendu sur le processus de changement climatique dont l'effet de serre est en grande partie responsable. La politique énergétique doit s'inscrire dans un contexte global de « développement durable »...

M. le Président de la commission - Tout à fait !

M. Philippe Folliot - ...visant à réconcilier les conditions écologiques, économiques et sociales du développement des sociétés humaines tout en préservant les capacités de génération futures à assurer leur propre avenir. Les engagements que nous avons pris en signant le protocole de Kyoto méritent plus que des grands discours ou des projets de loi constitutionnelle : il faut des mesures concrètes et un calendrier précis d'évaluation pour diviser par quatre nos émissions dans les cinquante ans qui viennent. Rappelons qu'au rythme actuel de croissance de la demande mondiale, ce sont dix milliards de tonnes qui seront rejetées dans vingt ans, soit presque 50 % de plus qu'aujourd'hui !

Il faut à tout prix inverser la tendance, car ce sont les pays les plus pauvres qui seront en première ligne pour faire face aux canicules, tempêtes, sécheresse, inondations et autres épidémies que nos sociétés riches peinent déjà à prévenir et à surmonter.

Il est ensuite tout à fait indispensable de pérenniser notre indépendance énergétique, notamment vis-à-vis du pétrole dont la production et les coûts restent soumis à la situation géopolitique ô combien incertaine du Moyen-Orient. Mais il convient également de sécuriser notre approvisionnement, en tirant toutes les leçons des problèmes rencontrés par notre filière nucléaire pendant la canicule de l'été dernier. La recherche d'une diversification de notre bouquet énergétique s'en trouve d'autant plus légitimée qu'il faut raisonner en terme de fourniture de base, que le nucléaire a vocation à assumer, et de fourniture de pointe et de semi-pointe, que la filière du gaz naturel pourra garantir avec des coûts très faibles et une meilleure présence régionale, en complément des énergies renouvelables.

Enfin, nous demandons un véritable plan de maîtrise de la dépense énergétique. Ce sujet est à peine esquissé dans le Livre blanc sur les énergies, alors qu'il est urgent de l'approfondir. Notre groupe souscrit sans réserve à la méthode consistant à fixer un objectif chiffré à différents horizons de temps, assorti d'un mécanisme de rattrapage s'il n'était pas atteint à l'une des dates de référence.

La culture du résultat dont vous avez fait dans vos différents postes de responsabilité un principe d'action doit maintenant inspirer notre politique industrielle et environnementale, laquelle a jusqu'à présent souffert de trop d'approximation et de « flexibilité ».

Il faudra aussi avoir le courage d'aborder la question des transports, lesquels représentent actuellement le tiers de la consommation énergétique finale totale et les deux tiers de la consommation énergétique finale de produits pétroliers. « Les Français aiment la bagnole », avait l'habitude de dire le Président Georges Pompidou, fin connaisseur de notre peuple. Cependant, le changement passe par le transport urbain collectif. Le maire de Londres a mis en place un péage urbain : que fait le maire de Paris ?

A nous d'impulser le changement, en mettant en place un plan global pour les transports en commun combinant mesures fiscales et recettes affectées, construction d'équipements et promotion du covoiturage ou de la « solution vélo ». Il faut bien reconnaître que la subvention accordée de nos jours à la mobilité urbaine est considérable et qu'elle bénéficie en priorité à l'automobile.

J'en viens aux mesures concrètes qui pourraient être adoptées dans le projet de loi d'orientation sur l'énergie.

Nous plaidons d'abord pour la mise au point d'une véritable fiscalité écologique. Notre économie ne progresse que si elle est portée par les mécanismes du marché. Faut-il organiser la protection de l'environnement selon des méthodes de planification de type soviétique ? La loi d'orientation doit corriger les incohérences de notre politique fiscale en matière d'énergie. Les mesures de protection de l'environnement ne seront efficaces que si elles s'insèrent dans les mécanismes du marché en tendant à corriger par des taxes proportionnées aux atteintes à l'environnement.

M. Yves Cochet - Illusion !

M. Philippe Folliot - A l'inverse, les pratiques innovantes et vertueuses doivent être fiscalement encouragées. Ainsi, les biocarburants comme l'ensemble des énergies renouvelables doivent faire l'objet d'une approche fiscale spécifique. Mon collègue Stéphane Demilly précisera nos propositions à ce sujet et nous déposerons plusieurs amendements en ce sens.

Au-delà de la promotion fiscale et technologique des énergies renouvelables, il y a un vrai arbitrage à rendre entre le gaz et le nucléaire, lesquels resteront à court et moyen terme les deux alternatives crédibles au pétrole, chacune avec des avantages et inconvénients qu'il ne faut pas caricaturer. Pour le gaz, sa simplicité de production et distribution, ses faibles déchets, réels mais sans commune mesure avec les problèmes posés par le pétrole et le nucléaire. Pour le nucléaire, l'indépendance énergétique, son coût raisonnable, son absence de production de gaz à effet de serre.

M. Yves Cochet - C'est faux !

M. Philippe Folliot - Cet arbitrage, complexe, mérite un débat démocratique en profondeur qui pourra enfin avoir lieu au Parlement, ce dont nous nous réjouissons... à condition que la décision soit effectivement et formellement mise au vote.

Pour l'UDF, la question de l'EPR ne doit être examinée qu'au terme du débat sur les énergies. C'est une question à la fois de méthode et de fond. Notre collègue Dionis du Séjour s'en était expliqué à de multiples reprises avec Mme Fontaine. Le sujet de l'EPR ne pourra être abordé que lorsqu'on aura défini quelle place exacte on entend réserver au nucléaire, en fonction d'objectifs politiques clairement identifiés.

Dans l'immédiat, l'UDF serait plutôt réservée sur l'EPR et préférerait que l'on passe à la génération suivante de réacteurs dans la mesure où les seules améliorations techniques apportées par l'EPR sont une meilleure efficacité énergétique et une meilleure protection face à des attaques externes. Mais il n'y a pas là le moindre saut technologique majeur. Investir dans l'EPR, n'est-ce pas à terme se priver d'un financement important pour la recherche sur les réacteurs nucléaires de quatrième génération qui pourraient régler le délicat problème des déchets radioactifs ?

S'agissant des énergies renouvelables, les mesures prises jusqu'à ce jour sont insuffisantes et manquent d'efficacité. Pour susciter le développement d'entreprises industrielles et de services, capables de concurrencer, à leur place, des entreprises du secteur énergétique traditionnel, il conviendrait d'encourager de façon homogène, et surtout durable, le développement des énergies les moins coûteuses. Il faudrait éviter de pénaliser artificiellement, comme aujourd'hui, les avantages naturels de compétitivité de ces énergies dans les zones géographiques où l'accès à l'électricité est plus coûteux qu'ailleurs comme les îles non connectées au réseau métropolitain et les zones rurales peu denses. Il faut également réformer en profondeur les mécanismes incitatifs. Ainsi, les aides directes de l'ADEME sont-elles, comme toutes les aides budgétaires, aléatoires et menacées en cas de régulation. En outre, étant donné l'annualité budgétaire, ces aides ne peuvent quasiment être que des subventions d'investissement. Enfin, il n'existe pratiquement aucune aide pour encourager l'utilisation de la biomasse comme combustible, alors qu'elle représente déjà dix millions de tonnes-équivalent-pétrole. Le même constat vaut pour le solaire thermique qui, comme l'a souligné notre collègue Serge Poignant dans son excellent rapport, devrait être beaucoup plus soutenu pour chauffer des habitations et des bureaux.

On pourrait pourtant utiliser les énergies renouvelables dans l'habitat collectif sans coûts excessifs. Pourquoi par exemple ne pas affecter une partie des pénalités financières payées par les communes n'ayant pas 20 % de logements sociaux au financement de dispositifs d'économie d'énergie dans ces communes ? Certaines cités françaises comme à Surieux, près de Grenoble, ont déjà expérimenté les énergies non renouvelables. D'autres constructions écologiques existent, pas seulement dans le sud de la France, aussi à Fribourg, cité modèle en matière d'énergie solaire. L'UDF avait donc souhaité que les 200 000 constructions nouvelles du plan de rénovation urbaine bénéficient de ces technologies en imposant un cahier des charges précis. Une possibilité serait de faire un emprunt, remboursé sur le long terme par les économies réalisées sur les charges locatives.

Par toutes ces mesures, nous pourrions, sans accroître excessivement les coûts de construction, tenir les engagements de Kyoto qui prévoient notamment d'augmenter de 14 % à 22 % la part des énergies renouvelables dans la consommation d'électricité.

Dans le même objectif, la pile à combustible devrait être un des axes majeurs de recherche dans les prochaines années. Ce devrait être une grande cause nationale ou européenne comme l'ont été en leur temps certains programmes aéronautiques ou spatiaux, nés d'un volontarisme affirmé, comme celui du général de Gaulle. D'autres sources d'énergie comme le bois, la géothermie, le photovoltaïque, devraient à l'avenir trouver leur juste place, sans parler de l'hydroélectricité dont la place devrait être contre confortée, en utilisant certains gisements non exploités.

Pour ce qui est de l'éolien, il ne faut pas en sous-estimer les conséquences sur les paysages. Dans les années 70, une émission de télévision, qui a beaucoup fait pour la prise en compte des questions environnementales, avait pour titre La France défigurée. Faut-il au nom du développement de l'éolien, fortement subventionné directement ou indirectement, laisser s'installer des éoliennes n'importe comment, n'importe où au risque de « défigurer la France » ? (Protestations de M. Cochet)

M. le Président - Veuillez conclure, je vous prie.

M. Philippe Folliot - Je terminerai sur le changement de statut d'EDF et de GDF. Nous sommes très attachés à la préservation du service public qui est au c_ur des missions d'EDF et de ses agents, comme on a pu le constater lors de la terrible tempête de 1999. Ces missions de service public d'EDF que sont la péréquation géographique ou le soutien aux énergies renouvelables doivent être impérativement garanties. Il importe également que les personnes les plus défavorisées puissent accéder à ce bien primaire qu'est l'électricité, et que les PME puissent se développer en milieu rural et y avoir accès à des services performants. L'avenir d'EDF ne peut être dissocié d'une réflexion plus large sur celui de l'aménagement de nos territoires.

L'UDF soutient totalement l'ouverture du capital des IEG qui, seule, permettra à ces entreprises de conserver leur rang de leader en Europe. Elle est en revanche opposée à la privatisation des deux entreprises, ne serait-ce que pour garantir la sécurité de notre parc nucléaire. C'est de façon indécente que l'opposition agite le mot de privatisation comme un chiffon rouge sous le nez des syndicats et des citoyens alors que c'est le gouvernement Jospin qui a acté au sommet de Barcelone l'ouverture du marché gazier et électrique.

M. Richard Mallié - Très bien !

M. Philippe Folliot - Enfin, nous défendons une vision intégrée d'EDF avec le maintien dans le même groupe industriel des trois métiers de base : producteur, distributeur et vendeur.

Pour ce qui est du régime spécial de retraites, il est trop ancien pour pouvoir être supprimé du jour au lendemain sans transition. L'UDF pense que, pour des raisons d'équité même entre les régimes, il conviendrait de faire s'éteindre progressivement les régimes spéciaux.

Monsieur le ministre, les dossiers que vous avez en chantier sont nombreux et complexes. Les enjeux sont à la hauteur de votre ambition pour la France et de votre détermination. Vous pourrez compter sur les membres du groupe UDF et apparentés (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Mais comme nous l'avons toujours fait depuis le début de cette législature, nous ne soutiendrons la réforme que si son ambition est vraie et son esprit juste (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. le Président de la commission - La méthode que vous proposez, Monsieur le ministre, est claire. Notre débat d'aujourd'hui sera suivi d'un projet de loi d'orientation, puis d'un projet de loi modernisant le régime juridique d'EDF et GDF. Pourquoi ces chantiers ? En matière énergétique, notre pays a obtenu de beaux succès : forte limitation de notre dépendance vis-à-vis des combustibles fossiles importés, remarquable maîtrise de nos émissions de gaz à effet de serre, préservation de la compétitivité de l'électricité, consolidation d'un service public de qualité sur l'ensemble du territoire, développement des grandes entreprises publiques du secteur comme EDF, GDF ou Areva. Pourquoi changer une politique qui gagne ? Précisément parce qu'il faut préserver ces succès.

Le contexte a été profondément modifié après que le gouvernement de Lionel Jospin a ouvert en 1999 un tiers du marché de l'électricité à la concurrence et accepté au sommet européen de Barcelone que les deux tiers restants le soient au 1er juillet 2004.

M. Jean-Louis Idiart - M. Jospin était-il seul à Barcelone ?

M. le Président de la commission - Cette libéralisation change totalement la donne. Deux options s'offrent à nous. La première est de ne rien faire. Mais, en l'espèce, l'immobilisme, ce serait, de fait, abandonner toute politique énergétique et, à terme, tout service public, au profit du marché. Or, l'énergie n'est pas une simple marchandise. Il est de notre responsabilité de conserver à notre pays une politique énergétique ambitieuse, laquelle a besoin, dans le nouveau contexte, d'instruments nouveaux. Il nous faut donc légiférer, et c'est la voie qu'a choisie le Gouvernement.

Quels sont les objectifs ? Faire face à nos besoins d'énergie, consolider notre service public au profit de la cohésion sociale et territoriale, préserver le pouvoir d'achat des ménages et la compétitivité de nos entreprises grâce à une énergie bon marché, consolider le développement de nos grandes entreprises publiques du secteur de l'énergie. A ces objectifs traditionnels s'en ajoute désormais un autre, assurer un développement durable.

Les émissions de CO2 ont entraîné un réchauffement climatique qui constitue une grave menace, le ministre l'a bien rappelé. Il est urgent d'agir, à rebours de l'irresponsabilité de certains grands Etats. Nous avons déjà fait de gros efforts en matière d'émissions de CO2 puisque celles-ci sont parmi les plus faibles d'Europe. En construisant des centrales nucléaires pour assurer notre indépendance énergétique, nous avons aussi fait, sans le savoir, du développement. Il nous faut poursuivre dans cette voie de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Toutes les décisions doivent être examinées en fonction de cet objectif.

Dès lors, deux options s'offrent à nous. La première serait l'immobilisme, mais cela reviendrait à s'abandonner aux seules forces du marché et l'énergie n'est pas une simple marchandise. Il nous incombe par conséquent de préserver une politique ambitieuse, ce qui suppose de nouveaux instruments juridiques et fiscaux. Il nous faut donc légiférer.

Je suis convaincu que nous partageons tous les mêmes objectifs : satisfaire nos besoins énergétiques, consolider notre service public, préserver le pouvoir d'achat et la compétitivité, consolider nos grandes entreprises publiques du secteur. Mais à ceux-ci s'en ajoute désormais un autre, qui commande lui aussi une rénovation de notre politique : nous devons assurer un développement durable.

Les émissions de CO2 entraînent un réchauffement climatique contre lequel il est urgent d'agir, par une politique nationale exemplaire. Nos rejets sont certes, par habitant, les plus faibles de l'Union européenne, grâce à notre filière électronucléaire. Cependant, nul ne peut soutenir que nous aurions développé cette dernière pour réduire nos émissions de CO2. Nous avons en réalité « fait » du développement durable sans le savoir. Mais, désormais, nous ne pouvons laisser le seul jeu du marché déterminer la part respective des différentes énergies dans notre approvisionnement, et c'est pourquoi nous avons besoin d'une loi d'orientation.

Notre première source d'énergie, ce sont aujourd'hui encore les combustibles fossiles. Or, outre qu'ils sont importés de régions du monde dont la stabilité n'est pas assurée, leur consommation contribue au réchauffement climatique. Il nous faut donc la limiter autant que faire se peut. Ainsi, dans le secteur des transports, nous devons développer les transports collectifs et le fret ferroviaire, accroître la part des modes de propulsion alternatifs tels que la pile à combustible et promouvoir les biocarburants. S'agissant du chauffage, nous devons regarder comme une chance l'importance prise par le chauffage électrique - nous avons ainsi pu économiser plus de sept millions de tonnes de CO2 en 2001 - mais pourrions-nous préserver cette situation si le prix de l'électricité cessait d'être compétitif ? Je m'interroge donc sur la pertinence qu'il y a à financer le développement des sources d'électricité renouvelables en faisant peser la charge sur les consommateurs : plus l'électricité sera « propre » et plus les ménages seront incités à se tourner vers d'autres sources d'énergie. Cependant, Monsieur le ministre d'Etat, je vous remercie de la clarification que vous avez apportée. Peut-être trouveriez-vous d'ailleurs intérêt à vous appuyer sur le rapport de M. Poignant...

Plus généralement, il est temps de cesser d'assimiler énergies renouvelables et sources d'électricité renouvelables. Les premières peuvent se substituer directement aux combustibles fossiles pour la production directe de chaleur. Or notre politique privilégie les secondes alors même qu'en 2001, la production d'électricité n'a été responsable que de 5,3 % de nos émissions de CO2. N'est-ce pas marcher sur la tête que de négliger tout le reste ?

Si la protection de l'environnement a un prix, nous ne pouvons justifier n'importe quelle dépense au nom du développement durable. Il faut d'abord établir l'intérêt pour l'environnement de cette dépense. Je pense particulièrement ici aux éoliennes. Sur ce point, je donne raison à M. Folliot. J'approuve l'installation d'éoliennes off-shore ou dans des parcs industriels spécifiques mais, de grâce, préservons le paysage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Dans le secteur électrique, l'obligation d'achat apparaît être un instrument inadapté, qui ne permet pas de faire jouer la concurrence et permet des rentes anormales. En outre, le développement des filières risque de peser lourdement sur le budget des consommateurs et sur la compétitivité puisqu'aux conditions actuelles de rachat, le développement d'un parc éolien de 12 000 mégawatts coûterait de 17 à 26 milliards d'euros d'ici à 2025. Il convient donc de réviser cette politique, pour la tirer du ghetto électrique où elle a été abusivement enfermée.

A cet égard, il ne faut pas exagérer l'importance de la directive du 27 septembre 2001, qui ne fixe pas d'objectif contraignant et ne prend pas en compte les spécificités nationales. Or comment ignorer que la France produit 90 % de son électricité sans émission de CO2 alors que le Danemark, à l'inverse, en produit 82 % à partir de sources fossiles ? Nous devons obtenir de l'Europe des règles adaptées à nos spécificités !

M. Claude Gatignol - Très bien !

M. le Président de la commission - De même, il est regrettable que la production d'électricité hydraulique soit entravée, bien qu'elle soit à la fois compétitive et respectueuse de l'environnement.

Cependant, il va de soi que notre approvisionnement électrique demeurera largement tributaire de la production d'origine nucléaire. Cette filière est la filière d'avenir, comme l'illustrent la récente décision de la Finlande et les évolutions en cours aux Etats-Unis et en Chine. Il nous faut donc conserver notre avance et cela commande de construire rapidement une tête de série du réacteur EPR. Compte tenu de la position courageuse exprimée par M . Daniel Paul, un consensus me paraît possible sur ce point.

Préparer l'avenir de la filière nucléaire, c'est aussi se préoccuper de la question des déchets nucléaires et le Parlement doit être mis en mesure de se prononcer sur ce sujet dès 2006, conformément au calendrier fixé par la « loi Bataille ».

Enfin, nous ne devons pas négliger les économies d'énergie possibles et une politique de maîtrise de la demande doit par conséquent être relancée.

Parallèlement, nous devons moderniser nos services publics de l'énergie, ce qui exige une nouvelle loi. Il y va de la cohésion sociale et de la cohésion territoriale. De ce point de vue, je ne puis que saluer l'instauration d'un tarif social d'électricité, en faveur d'1,6 million de familles modestes. Mais d'autres décisions seront nécessaires quant au régime juridique d'EDF et de GDF. Ni la propriété publique de ces entreprises ni le statut de leurs personnels ne doivent être remis en cause et je me félicite de la position prise par le Gouvernement, contre la privatisation et pour l'actionnariat.

Le Gouvernement nous propose une vraie politique. J'espère que nous parviendrons à maintenir le consensus qui s'est établi au cours des dernières décennies et que nous continuerons d'_uvrer tous dans un esprit de responsabilité et dans l'intérêt de la France (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Claude Birraux, président de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques - Je commencerai par remercier le Président de l'Assemblée pour ce temps de parole attribué à notre office. Mon intervention sera très factuelle, appuyée sur les rapports adoptés à l'unanimité par celui-ci.

L'office consacre à l'énergie à peu près le tiers de ses rapports depuis 1990. Ces travaux portent sur le contrôle de la sûreté nucléaire, sur la gestion des déchets de faible et haute activité, sur les énergies renouvelables, sur le réchauffement climatique, sur le prix de l'électricité. Leurs auteurs ont nom Christian Bataille, Jean-Yves Le Déaut, Michèle Rivasi, Henri Revol, Marcel Deneux et... Claude Birraux.

S'agissant de l'énergie nucléaire, l'office entend être l'_il extérieur qui s'assure du bon fonctionnement des différents rouages du contrôle de la sûreté et qui veille à ce que l'Etat finance comme il convient les services. Notre méthode de travail consiste à nous entourer de scientifiques aptes à nous éclairer, à observer sur pièces et sur le terrain, à rencontrer tous les acteurs. L'office fait également _uvre de transparence en organisant des auditions publiques.

En 1998, je me suis préoccupé d'évaluer l'impact des 118 recommandations que j'avais émises depuis 1990 : j'ai constaté que les deux tiers avaient été mis en _uvre. De même, les travaux de M. Bataille ont donné naissance à une loi en 1991.

Je tiens à affirmer notre attachement à une loi qui organise la transparence. La création de l'IRSN et de la DGSNR relève de ce souci : fusionner sûreté et radioprotection était le meilleur moyen d'avancer dans un domaine auquel nous ne parvenions pas à intéresser la direction générale de la santé. Cette création doit beaucoup à Robert Galley et à moi-même et il ne saurait être question d'y revenir.

Pour nous, la définition des normes de sûreté, comme des normes environnementales ou de santé, est la fonction de l'Etat, que celui-ci ne doit ni sous-traiter ni concéder.

La sûreté nucléaire est une matière vivante ! Elle se nourrit de la recherche, du retour d'expérience et du dialogue parfois musclé entre l'exploitant et l'autorité de sûreté. Ce n'est pas une sorte de nirvana dans lequel on baignerait en apesanteur. C'est tous les jours qu'elle se gagne, avec la participation de tous - et elle ne serait donc pas convenablement assurée dans les mains d'une autorité bruxelloise.

Ces principes généraux étant posés, permettez-moi de m'attarder un peu sur le dernier rapport de l'office, présenté par Christian Bataille et moi-même, sur la durée de vie des centrales et les nouveaux types de réacteurs.

Il nous est apparu que la durée de vie pourrait être portée à quarante ans - à cinquante ans en comptabilité américaine, depuis le premier béton - pour la plupart des centrales. L'autorité de sûreté se prononcera au cas par cas, après révision décennale des trente ans. Cette méthode a le mérite d'être plus exigeante que celle de la NRC américaine. Nous souhaitons néanmoins que l'on remplace par « autorisation » de fonctionnement le terme de « non-opposition » au redémarrage.

Se pose toutefois la question du remplacement du parc actuel. Les premières révisions décennales des trente ans auront lieu en 2007, mais ces opérations vont ensuite s'enchaîner, compte tenu de la croissance rapide du parc, qui produit un « effet de falaise ». Si le renouvellement débute en 2020, il faut allonger la durée de vie du parc à quarante-huit ans et s'il débute en 2035, il faut la porter à cinquante-six ans. Qui peut s'engager sans risque dans de telles voies ?

D'autre part, si la durée de vie des centrales ne dépassait pas quarante ans, treize réacteurs seraient arrêtés d'ici 2020 et vingt-quatre supplémentaires entre 2020 et 2025, soit 63 % du total. Alors, il ne s'agit nullement de « relancer » le nucléaire - avec près de 80 % d'électricité d'origine nucléaire, ce terme est inapproprié - mais de préparer le renouvellement du parc. Il faut décider de construire le premier EPR dès maintenant, pour qu'il entre en service en 2012 et que, sur la période 2012-2015, EDF et le constructeur puissent le faire fonctionner. Alors, le gouvernement en place à ce moment-là devra choisir quelles centrales arrêter, lesquelles remplacer et quelle devra être la part du nucléaire dans notre production électrique. Ce n'est pas la relance, mais le maintien de l'option nucléaire. Tout autre scénario conduirait, Monsieur Folliot, non à utiliser les réacteurs de génération IV, mais des centrales à gaz, ce qui nous mettrait hors jeu au regard du protocole de Kyoto. Une centrale à gaz de 50 mégawatts rejette 2 millions de tonnes de gaz à effet de serre, ce que vous avez oublié de préciser dans votre discours.

Certains prônent l'attentisme pour passer à la génération IV. De quoi s'agit-il ? Il existe six types de réacteur. Les réacteurs à eau légère sont refroidis à l'eau supercritique. Les réacteurs à haute température sont refroidis au gaz. Les réacteurs à neutrons rapides peuvent être refroidis soit au sodium, soit à l'hélium, soit au plomb et au bismuth dans le cas du système ADS qui pourrait brûler les actinides. Il existe enfin des réacteurs à sels fondus.

Les réacteurs à haute température pourraient produire de l'électricité et de l'hydrogène à partir de sulfure d'iode.

Le forum Génération IV prévoit une coopération internationale sur la base du volontariat. Différents pays assurent le pilotage des six projets, qui n'en sont qu'au stade des études. De nombreux verrous technologiques demeurent, en particulier la résistance des matériaux à très haute température et celle des turbines.

Une coopération internationale est indispensable. Le ministère américain de l'énergie propose qu'un consortium de type Airbus se crée pour les projets de génération IV, seul moyen de surmonter le problème de la propriété intellectuelle et de favoriser le passage à un stade industriel. L'office est très favorable à cette manière de procéder, ainsi qu'au maintien du pluralisme dans la recherche, le CNRS étant impliqué dans les recherches sur l'incinération dans la technologie ADS. Si tout se passe bien, un modèle industriel pourrait être disponible dans les années 2035. Il faut donc assurer une transition avec le réacteur EPR.

Celui-ci s'appuie sur l'expérience des autorités de sûreté française et allemande et des exploitants. Vous avez déjà décrit ses avantages, Monsieur le ministre. J'ajouterai qu'il permet de réduire la consommation d'uranium de 17 % et qu'à 27,7 € par mégawatt/heure, sa compétitivité est assurée par rapport au cycle combiné gaz, quel que soit le nombre de réacteurs construits.

D'ailleurs, le choix d'EPR par la Finlande réduit à néant les critiques outrancières des experts en contestation.

En mai 2001, j'avais présenté, avec Jean-Yves Le Déaut, un rapport sur l'état actuel et les perspectives techniques des énergies renouvelables.

Nous avons accepté comme valides l'hypothèse du réchauffement climatique et l'excellent rapport du sénateur Deneux sur le sujet.

L'objectif de satisfaire aux exigences du protocole de Kyoto et de l'Union européenne en produisant, en 2010, 21 % de notre électricité à partir de sources renouvelables est un objectif ambitieux. Si on examine la structure de la production d'électricité en 2000 et en 2010, on se rend compte qu'il faudra, pour l'atteindre, recourir à toutes les sources existantes, y compris le nucléaire.

Par ailleurs, les deux domaines dans lesquels la consommation d'énergie augmente le plus ces dix dernières années sont le résidentiel tertiaire et les transports.

A une époque où l'éolien était présenté comme la solution, notre enthousiasme n'a été que modéré. En effet, si on considère les périodes de production d'une ferme éolienne, on se rend compte de l'irrégularité de la production. La puissance débitée sur le réseau n'est que du tiers de la puissance installée.

Pour faire de l'éolien dans les conditions les plus favorables, nous avons proposé qu'un inventaire des sites favorables soit dressé et qu'on favorise l'éolien off-shore. Dans notre esprit, il est clair qu'il faut faire de l'éolien et que les utilisateurs - citoyens, collectivités, coopératives agricoles - doivent s'approprier cette source d'énergie.

Nous avons proposé le lancement d'un programme intitulé : « Face Sud pour les biotoits intelligents », dont l'objectif est d'atteindre un million de mètres carrés de capteurs solaires en 2010, 200 000 chauffe-eau solaires par an et 50 000 toits photovoltaïques par an.

Ce programme comporte quatre axes : la relance de la recherche et développement sur l'habitat bioclimatique, la mobilisation et la formation des concepteurs, le réexamen des règles d'urbanisme et le soutien aux industries pour créer une filière française.

Un second programme, intitulé « Terre Energie pour des biocarburants indépendants », vise à accroître la production et à économiser 20 millions de tonnes équivalent pétrole à l'horizon 2010.

Il comporte également quatre axes : la relance de la recherche et développement pour fabriquer les biocarburants, la concertation avec la profession agricole, pour augmenter durablement les surfaces de cultures énergétiques, la concertation avec l'industrie pétrolière pour la fabrication et avec l'industrie automobile pour la flexibilité des moteurs, ainsi qu'un réexamen des mécanismes fiscaux.

Suite à la publication de notre rapport, le CNRS a élaboré un nouveau programme interdisciplinaire de trois ans, consacré aux recherches sur les énergies, qui est soutenu par le ministère de la recherche et la DGA. Nous nous en félicitons.

Pour réaffirmer notre engagement dans les énergies renouvelables, il conviendrait de pérenniser et d'amplifier cette initiative du CNRS par la création d'un Institut national des énergies renouvelables.

Nous devons faire du solaire chez nous, mais nous devons aussi le faire pour les pays en développement. Je me suis attaché à faire la promotion du projet de kit photovoltaïque pour les populations rurales africaines.

Un organisme de micro-crédit financerait l'achat de panneaux solaires, d'un coût de 240 €, contre un remboursement en deux à trois ans à raison de 10 € par mois. Ce montant correspond à la dépense des familles rurales africaines en sources archaïques de lumière.

Nous comptons sur votre soutien pour une action de grande ampleur en faveur des pays en développement.

M. Philippe Folliot - Très bien !

M. le Président de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques - J'ajoute qu'avec Christian Bataille, à la demande des quatre groupes de cette assemblée, nous travaillons actuellement à l'évaluation de la loi de 1991 sur la gestion des déchets de haute activité. Nous comptons rendre nos conclusions à la fin de l'année 2004 ou au début de l'année 2005, c'est-à-dire bien avant l'échéance du 31 décembre 2006 fixée par la loi. Le processus de préparation d'une nouvelle loi pourra commencer. Il est impératif que cette loi soit adoptée avant 2007, compte tenu des nombreuses échéances électorales prévues cette année-là !

Tels sont les travaux conduits par l'office depuis 1990. Je crois en avoir rendu compte avec rigueur et chaque rapporteur peut reconnaître son apport.

La durée de nos travaux et leur impact dans les milieux scientifiques, politiques ou administratifs montrent le sérieux et la solidité de nos arguments et de nos méthodes de travail. Je crois qu'ils font honneur au Parlement.

La politique énergétique est une politique de long terme, qui va bien au-delà d'une échéance électorale.

A tous ceux qui demandent au Gouvernement de différer des choix, je propose de méditer ce proverbe chinois que nous avons mis en exergue de notre dernier rapport : « Seul l'imprévoyant creuse un puits quand il a soif » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La séance, suspendue à 17 heures 25, est reprise à 17 heures 40.

M. Michel Destot - Nous parlons tous de développement durable, à commencer par le Président de la République dans la campagne présidentielle et au sommet de Johannesburg. Aussi est-il grand temps de mettre en conformité les paroles et les actes, et donc en _uvre cette orientation politique fondamentale. Le développement durable signifie une démarche volontariste de protection de l'environnement, tenant compte du caractère fini des sources d'énergie fossiles, du réchauffement climatique et de la hausse significative de la demande d'énergie mondiale, qui doublera d'ici à 2020.

Le développement durable appelle aussi une politique de l'énergie de solidarité sociale, garantissant l'accès de tous à l'énergie. Or, on le sait, 20 % de la population mondiale consomment 80 % de la production totale d'énergie. Même dans l'Europe des Quinze, on estime à plusieurs millions le nombre des exclus de l'énergie. On consomme trois fois plus d'électricité dans les quartiers résidentiels que dans les quartiers pauvres, et on parle en France de 140 000 coupures de courant dans les foyers pourvus d'un compteur. Beaucoup reste donc à faire pour rendre plus sociale notre politique énergétique.

Enfin le développement durable requiert une action économique qui mise sur une gestion optimale des ressources humaines, et tout autant sur le respect des coûts et sur celui de la qualité de la vie.

De tout cela ressort qu'aucune source d'énergie ne peut à elle seule répondre aux exigences du développement durable. Nous devons donc à la fois exploiter de nouveaux gisements d'économies d'énergie et diversifier l'offre énergétique, en mettant principalement l'accent sur les énergies renouvelables. Or le Gouvernement, sur ce point, a plutôt enclenché la marche arrière. Il se refuse à prendre les décisions propres à lever les blocages au développement de l'éolien de faible puissance. Aucune mesure forte n'a été prise pour encourager d'autres types d'énergies renouvelables, comme le photovoltaïque ou le solaire thermique. Dès lors, l'écart entre la France et les autres pays européens se creuse.

Sur le nucléaire, si la France décidait de s'en retirer en produisant son électricité par exemple avec du gaz, nous émettrions 30 millions de tonnes de carbone supplémentaires chaque année, face à un total de 105 millions de tonnes dont 9 seulement pour la production d'électricité et 40 pour les transports. La seule substitution de 10 % d'électricité fossile à la production nucléaire actuelle annulerait trente ans d'efforts pour réduire la consommation automobile. Dans ce cadre, une politique résolument tournée vers le développement durable doit permettre aux collectivités locales de jouer un rôle essentiel, si du moins l'organisation centralisée de notre pays le permet. Qui mieux que les collectivités territoriales connaissent les besoins en énergie relatifs à l'habitat ou aux transports ? Le 1er juillet 2004, rappelons-le, les collectivités pourront choisir librement leurs fournisseurs d'énergie.

Elles sont en droit d'affirmer le principe d'un service public de l'énergie accessible à tous, pour un coût raisonnable, et en participant à la promotion des métiers de l'énergie. Je regrette d'ailleurs que l'énergie soit totalement absente du projet de loi relatif aux responsabilités locales, alors que les initiatives locales sont de plus en plus nombreuses. Peut-être M. Devedjian, ayant changé de portefeuille, pourra-t-il corriger cette lacune avant la deuxième lecture ? Une partie de la politique énergétique nationale doit être réalisée au plus près du terrain. C'est essentiel pour la réussite de la politique de développement durable. Je regrette que le Gouvernement ait rejeté tous les amendements socialistes sur le rôle des collectivités locales dans ce domaine.

Le rôle accru des collectivités, tout comme celui de l'Europe, ne doit pas se traduire par un désengagement de l'Etat. C'est pourtant ce qu'on peut craindre après la diminution des crédits de l'ADEME, de 15 % pour 2004, (M. Yves Cochet approuve), le désengagement total de l'Etat envers les transports urbains ou son attitude à l'encontre de la recherche. Cela ne ressemble guère à une politique de développement durable. En matière de transports, je suis convaincu, tant en tant qu'élu local que de président du groupement des autorités responsables de transports, qu'il sera très coûteux, à terme, de ne pas prendre dès aujourd'hui des mesures pour réduire nos déplacements. De 1980 à 2000, nos émissions totales ont diminué de 18 %, mais les émissions dues aux transports ont augmenté de 53 % ! Le débat sur le nucléaire ne doit pas occulter celui-ci, autrement difficile. Au-delà de ce que paye l'utilisateur, les transports, notamment routiers, engendrent des dépenses importantes pour la collectivité : infrastructures, accidents, atteintes à l'environnement... La TIPP ne transforme pas les automobilistes en « vaches à lait », comme on voudrait nous le faire croire. C'est un impôt dont le produit reste encore bien inférieur aux coûts externes de la circulation des voitures et des camions. De même, la primauté donnée aux investissements routiers par rapport aux transports en commun et au ferroutage devient aujourd'hui socialement, financièrement et écologiquement insupportable. A titre d'exemple, la part de marché du fret ferroviaire, dont les avantages sont pourtant bien connus, est tombée de 58 % en 1960 à 22 % aujourd'hui.

En ce qui concerne la recherche enfin, le Gouvernement s'est obstiné dans une position insoutenable. Le Président de la République l'a lui-même reconnu. Sans un effort accru, comment développer de nouvelles filières, notamment pour les énergies renouvelables ou l'hydrogène ? Comment encourager la cogénération et régler le problème des déchets nucléaires ? Comment améliorer le taux de récupération des hydrocarbures et développer les ressources non conventionnelles ? Autant dire qu'il y a beaucoup à faire, tant en France qu'au niveau européen ou à celui des collectivités locales.

N'en restons pas à un débat franco-français. Un Chinois ou un Indien consomme encore dix fois moins d'énergie qu'un Américain et cinq fois moins qu'un Français. Deux milliards et demi d'individus dans le monde n'ont pas accès à l'électricité. Nous aurions bien tort de l'oublier (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Claude Lenoir - Enfin, un débat ! Et bientôt un vote ! Mme Fontaine avait, dans le cadre des assises régionales, fait appel à l'imagination des Français et à la compétence des acteurs concernés pour nourrir le débat que nous tenons aujourd'hui, qui se traduira prochainement par la loi d'orientation sur l'énergie et la réforme du statut d'EDF et GDF. Le calendrier, très serré, traduit la volonté politique qui est à l'_uvre. C'est la première fois que l'Assemblée nationale aura à se prononcer par un vote sur notre politique de l'énergie. Depuis 1958 en effet, nous avons développé des outils performants et installé le nucléaire sans jamais un vote.

M. Yves Cochet - C'est vrai !

M. Jean-Claude Lenoir - Il y eut des débats en 1974 sur les économies d'énergie, sous les gouvernements Rocard en 1989 et Balladur en 1993, et deux lois transposant des directives européennes dans des domaines limités, mais c'est la première fois que la représentation nationale se prononcera sur les choix de la politique énergétique française. Il faut en féliciter le Gouvernement.

En matière d'électricité, la politique française est une réussite. Le contexte était pourtant particulièrement défavorable : peu de ressources, un développement économique fort après la guerre, une crise pétrolière subie de plein fouet. Cette réussite est d'abord due à la forte volonté des dirigeants de l'époque, au lendemain de la guerre, pour l'hydraulique et ensuite avec le nucléaire. Sans Etat fort, jamais la France n'aurait pu engager une telle politique. C'est ensuite le résultat d'une organisation très particulière, appuyée sur les entreprises publiques et la notion de service public. La constance des choix a été par ailleurs essentielle : il faut féliciter l'actuelle opposition de ne pas avoir renoncé, malgré ses promesses, à cette politique et surtout au nucléaire. Ce succès est également dû à la mobilisation des agents d'EDF et de GDF, des collectivités locales et de tous les acteurs de l'industrie et de la recherche. Enfin, il doit beaucoup au consensus qui s'est exprimé dans l'opinion par le biais de divers sondages.

Cette politique a permis de remplir des objectifs de sécurité d'approvisionnement et d'indépendance, de compétitivité, de respect de l'environnement et de solidarité, tant entre les territoires qu'envers les plus démunis. Pour autant, elle doit évoluer, pour tenir compte de données nouvelles. J'en citerai trois. La première est la nécessité aujourd'hui de voir loin. L'échéance est au moins à 2020, et plutôt 2050. Il faut préserver, pendant cette période, la place du nucléaire, qui nous garantit la sécurité d'approvisionnement,...

M. Yves Cochet - Mais non !

M. Jean-Claude Lenoir - ...l'indépendance,...

M. Yves Cochet - Mais non !

M. Jean-Claude Lenoir - ...l'efficacité économique et surtout la préservation de l'environnement. (M. Yves Cochet s'esclaffe). Cette politique suppose de consolider l'outil industriel. Il faut rapidement construire le premier réacteur EPR - le site de Basse-Normandie serait idéal  (Sourires) - et réfléchir déjà à la quatrième génération. Les chercheurs sont en train d'y travailler. Il faut ensuite sortir la France de son relatif isolement. Elle est un des rares pays à continuer à construire des installations nucléaires, mais les choses sont en train de changer, tant chez nos voisins qu'aux Etats-Unis.

Cette politique suppose également de diversifier l'offre et donc de sortir du débat du tout-nucléaire. Le développement des énergies renouvelables implique de nouvelles technologies. J'insiste sur la pile à combustible et surtout sur la pompe à chaleur, qui équipe déjà la moitié des logements neufs en Suisse et 90 % en Suède !

M. le Président de la commission - Très bien !

M. Jean-Claude Lenoir - Il faudra également traiter définitivement la question du stockage des déchets, garantir la transparence et la sécurité, favoriser les économies d'énergie et faire adhérer le plus grand nombre de nos compatriotes à ces priorités.

M. Yves Cochet - Par la propagande ?

M. Jean-Claude Lenoir - La seconde donnée nouvelle est l'insertion de notre politique électrique dans le système européen. Entre le monopole étatique et le libéralisme débridé, la France a choisi une troisième voie qui consiste à engager un processus concerté de l'ouverture des marchés.

Notre politique suppose que le secteur public occupe une place importante. Le ministre a évoqué le changement de statut des entreprises. Une entreprise peut rester publique tout en ouvrant son capital. Nous avons besoin de l'actionnariat privé pour renforcer le capital de nos entreprises. Ce n'est pas une privatisation au sens où l'entend l'opposition mais une ouverture du capital visant à donner aux entreprises considérées les moyens de se développer.

Cette organisation du secteur public repose sur un cahier des charges fixant les missions de service public qui lui incombent. On y retrouve la péréquation tarifaire, les dispositions sociales et le soutien aux énergies renouvelables et à la cogénération...

M. Yves Cochet - Tu parles !

M. Jean-Claude Lenoir - Cela suppose de séparer juridiquement les différents opérateurs et d'autoriser un accès régulé des tiers au réseau.

Autre principe essentiel, la sécurité d'approvisionnement, garantie notamment par l'arrêté du 7 mars 2003 établissant une programmation pluriannuelle des investissements de production d'électricité et fixant les objectifs de production à atteindre, par sources d'énergie et par filières techniques.

Dernier principe, la préservation de l'environnement : l'objectif des 21 % d'énergies renouvelables est facile à atteindre tant la France a _uvré en leur faveur ...

M. Yves Cochet - Comment peut-on dire cela !

M. Jean-Claude Lenoir - Le Gouvernement doit fixer des objectifs et déterminer le niveau de pollution acceptable.

Autre donnée nouvelle à prendre en considération, l'attente de nos sociétés. De nouvelles exigences se manifestent, en matière d'efficacité économique, de confort, de protection de l'environnement et de transparence quant à la diffusion des informations relatives à la sécurité des installations. Nos concitoyens attendent de nous un discours de vérité (M. Yves Cochet manifeste son scepticisme).

Nous avons pris acte du fait que le texte déposé au Sénat en novembre dernier sur la sûreté et la transparence allait être prochainement débattu. Il constitue un maillon essentiel en ce qu'il renforcera notre crédit auprès de nos compatriotes. Soyons également attentifs à l'opinion plutôt défavorable qu'expriment nombre de nos partenaires européens à l'égard du nucléaire. Elle repose sur des informations biaisées qu'il nous revient de redresser.

Notre groupe soutiendra sans réserve la politique énergétique du Gouvernement, laquelle doit se fixer plusieurs objectifs simples : indépendance et sécurité de l'approvisionnement, préservation de l'environnement - en ne se contentant pas d'incantations comme la majorité précédente mais en posant des actes -, régulation du marché, sécurisation de l'environnement juridique et institutionnel, de manière à ne pas pénaliser les industriels.

Une telle politique a un prix, et celui-ci a vocation à être supporté notamment par l'usager, auquel nous devons la vérité des coûts qui lui a trop longtemps été refusée.

Derrière des choix technologiques souvent complexes, il y a, le ministre l'a dit, de vrais enjeux de société. Nous adhérons aux choix politiques du Gouvernement et je ne doute pas qu'un large consensus puisse se dégager sur ces sujets (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe UDF).

M. Patrick Braouezec - Aborder l'orientation de la politique énergétique de la France, c'est se confronter à des enjeux sociaux, économiques et environnementaux qui dépassent de beaucoup les frontières nationales. Dans cette discussion, nous souhaitons promouvoir la conception d'un service public visant l'efficacité économique, la solidarité sociale, le respect de l'environnement, le droit à l'énergie pour tous et la cohésion territoriale.

L'énergie n'est pas un bien comme les autres. Sa spécificité justifie qu'elle fasse l'objet d'organisations économiques particulières, à même de remplir les missions de service public, et de satisfaire les besoins de péréquation tarifaire, d'aménagement du territoire, de sécurité d'approvisionnement et d'indépendance énergétique.

Cette amorce de débat intervient alors que le Gouvernement affiche clairement, notamment dans son projet de loi sur le service public de l'électricité et du gaz, sa volonté d'ouvrir le capital EDF et GDF et de remettre en cause leur statut. Or, la politique libérale est par nature incompatible avec une protection efficace de l'environnement. Les marchés n'ont pas vocation à exercer des fonctions de prévision ou de précaution. Les naufrage de l'Erika et du Prestige ou la crise énergétique californienne l'ont démontré !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie - N'oubliez pas Tchernobyl !

M. Patrick Braouezec - Aujourd'hui, les questions sociale et environnementale se rejoignent et l'idée que l'énergie - mais aussi l'eau, l'éducation ou les transports - ne doit pas être traitée comme une marchandise progresse partout. En janvier 2001, dans son rapport d'information sur l'énergie, la commission de la production et des échanges affirmait le choix d'un approvisionnement énergétique diversifié. Ce document indique que, pour les cent prochaines années, les choix énergétiques seront moins contraints par une limitation de la ressource que par des exigences environnementales, dans la mesure où la prévision d'émission de gaz à effet de serre excède rarement la limite supérieure fixée à Kyoto. Un tel scénario appelle la mise en _uvre de politiques volontaristes face aux défis d'un approvisionnement énergétique quantitativement suffisant et qualitativement respectueux de l'environnement. Il convient d'engager une action ambitieuse, minimisant les risques et ouvrant le spectre des possibles. L'énergie idéale n'existant pas, il faut donc utiliser toutes les ressources disponibles et encourager les économies d'énergie. A cet égard, notre pays doit renouer avec une politique très énergique. Les efforts accomplis après le premier choc pétrolier se sont en effet gravement relâchés et les orientations données par le ministre en la matière paraissent bien modestes, cependant que le budget du ministère de l'écologie traduit une diminution des crédits de l'ADEME et que celui de l'équipement continue de privilégier la route au détriment du rail et du ferroutage. Le rail a besoin d'investissements massifs pour se développer. Las, de tels programmes ne sont lancés ni en France ni en Europe ! Là encore, le marché est incapable de se projeter dans le long terme et n'autorise aucun investissement d'intérêt général dépourvu de rentabilité immédiate.

Nombre d'orateurs ont souligné l'effet favorable de la production nucléaire sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Mais il faut aussi rappeler que la prépondérance de l'énergie nucléaire a l'effet pervers de limiter nos ambitions en matière d'économie d'énergie et de développement des énergies renouvelables. En d'autres termes, la prépondérance du nucléaire ne doit plus conduire à une présentation exagérément favorable du niveau des émissions de gaz à effet de serre de notre pays. Et nous ne devons pas davantage négliger le défi que pose la gestion des déchets irradiés.

A ce jour, la France compte cinquante-huit réacteurs des première et deuxième générations, lesquels lui procurent une indépendance énergétique proche de 50 %. Cette indépendance doit cependant être relativisée au regard de l'importation de la totalité de l'uranium utilisé en France.

M. Yves Cochet - Bien sûr !

M. Patrick Braouezec - Si la France a développé des compétences nucléaires importantes, sa politique de sobriété énergétique et de développement des énergies renouvelables demeure largement insuffisante.

Dans ces conditions, le débat sur l'EPR doit excéder largement le cadre énergétique, s'étendre à l'ensemble de l'Union européenne et se situer dans la perspective d'une relance du dialogue Nord-Sud.

Comment oublier - M. Destot l'a dit - que deux milliards de personnes restent privées de tout accès à l'électricité ? Si, comme l'a déclaré Mme Tokia Saïfi le 17 mars dernier, « la stratégie de développement durable engage la France au plan international et oriente l'action du Gouvernement pour les cinq ans qui viennent », un vrai débat - bien différent de celui d'aujourd'hui - doit s'engager sans plus tarder. La question des choix énergétiques du pays doit être traitée en toute transparence, au travers d'un débat contradictoire. Nous ne devons pas faire croire à nos concitoyens qu'il n'existe aucune alternative à l'« option nucléaire » et nous devons plutôt leur rappeler que le pétrole sera épuisé d'ici quarante ans, son coût de production allant croissant, cependant que la concentration de la ressource au Moyen-Orient n'est pas sans poser de réels problèmes politiques. Et nous devons aussi les informer que le gaz arrivera au bout des réserves dans soixante-dix ans et que sa production se concentre elle aussi dans des espaces politiquement sensibles. Cela revient à dire que les difficultés d'approvisionnement surviendront dans la deuxième moitié du siècle et que plus on développera des énergies dépendant de ces ressources, plus leur potentiel d'utilisation se réduira.

Nous ne pouvons pas faire comme si toutes les ressources étaient inépuisables. Nous devons, comme le préconise Hubert Reeves, faire en sorte que notre pays devienne le pays du droit des générations futures à vivre décemment. Pour ce faire, il nous faut mettre en avant le principe de précaution défini à l'article L 110-1 du code de l'environnement, et inscrire ce principe dans notre Constitution. Il garantirait que rien d'irréversible ne sera commis contre l'environnement au nom d'intérêts financiers de groupes, plus tentés par un Monopoly mondial qu'intéressés par l'avenir de nos enfants - ce qui pourrait arriver à EDF, hélas, si d'aventure elle était privatisée.

La privatisation d'EDF serait très inquiétante non seulement pour ses agents mais aussi pour l'environnement. Si l'Etat français souhaite conserver la maîtrise de sa politique énergétique, il ne doit pas ouvrir le capital d'EDF. L'Etat est par ailleurs seul à même de garantir que tous les modes de production d'énergie seront respectueux de l'environnement. Le débat sur le statut d'EDF ne peut être dissocié d'un débat plus large sur un mode de vie consumériste, que l'on tend à nous imposer, alors même qu'il déresponsabilise chacun d'entre nous et fait courir de graves risques pour les générations futures. Il s'agit bien d'un choix de société.

Il est communément admis que sortir du nucléaire serait dramatique en matière d'emploi. Or, à y regarder de près, cette sortie exigerait au moins vingt ans, ce qui laisserait le temps aux technologies éolienne, solaire, de la biomasse de se développer - et donc de régler le problème des emplois.

Pour développer les énergies renouvelables, il faudra y consacrer les moyens financiers nécessaires, aujourd'hui pour l'essentiel absorbés par le nucléaire. On ne cesse de dire que les énergies renouvelables coûtent cher...

M. le Président de la commission - C'est vrai.

M. Patrick Braouezec - Si cela devait permettre de sauver la planète, serait-ce une dépense scandaleuse ?

La recherche et les expérimentations doivent porter aussi bien sur la demande que sur l'offre d'énergie. Il faudra, dans les programmes, définir des priorités et s'appuyer sur des coopérations internationales. S'agissant de la filière nucléaire, il faudra oser en traiter sans passer sous silence le cycle du combustible ni les questions de sécurité. Il est urgent d'engager un large débat public et d'en attendre les conclusions avant de lancer ou non l'EPR. Et il est fondamental de garantir le statut public d'EDF, seul garant de la maîtrise de l'Etat, et donc des citoyens, sur l'énergie électrique. Il convient enfin de se fixer des objectifs ambitieux en matière d'énergies renouvelables. Il y va de l'avenir environnemental même de notre pays.

M. Yves Cochet - Très bien !

M. Stéphane Demilly - Comme mon collègue Philippe Folliot, je me réjouis de l'organisation du présent débat, et surtout de la volonté du Gouvernement de soumettre à la représentation nationale, dès le mois de mai, un projet de loi sur les énergies. Il est en effet de bon sens, avant de débattre sereinement du statut d'EDF et de GDF, de déterminer la politique énergétique que nous souhaitons pour notre pays.

Je me concentrerai sur un volet de la politique énergétique auquel l'UDF est particulièrement attachée, celui des biocarburants.

Les conséquences de l'effet de serre sur le changement climatique sont préoccupantes. Or, les deux tiers des émissions de CO2 sont dus à la combustion d'énergies fossiles comme le charbon, le pétrole et le gaz naturel. On comprend que, comme l'avait déclaré le Président de la République au sommet de la Terre de Johannesburg, la question énergétique sera l'une des questions fondamentales du XXIe siècle.

Dans cette perspective, la diversification énergétique est impérative. L'UDF souhaite véritablement donner « de la couleur » à l'énergie et appelle au développement des énergies renouvelables. Un grand programme de recherche-développement devrait être lancé sans retard pour rendre les nouvelles filières compétitives. Afin de donner un coup d'accélérateur à la valorisation énergétique de la biomasse, il faut notamment une grande ambition pour le développement des biocarburants. J'ai l'honneur de présider un groupe d'études parlementaire sur le sujet, qui compte déjà plus de 70 députés, alors qu'il n'a été créé que récemment. C'est dire tout l'intérêt de nos collègues pour ce champ.

Peu de filières présentent autant de vertus que celle des biocarburants. Elle est intelligente sur le plan environnemental. Pour tenir l'engagement pris par les pays européens à Kyoto de réduire de 8 % par rapport à 1990 leurs émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2008-2012, et sachant que près de 30 % de ces émissions sont dues aux transports, les biocarburants peuvent apporter une solution partielle. En effet, les végétaux - blé, betterave ou colza - se développent en fixant le gaz carbonique de l'air. Transformé en biocarburant et brûlé dans les moteurs, celui-ci ne fait que retourner dans l'atmosphère. Ce recyclage permanent limite donc l'enrichissement de l'atmosphère en CO2. Chaque hectare de betteraves transformé en éthanol permet d'économiser quatre tonnes de carbone par an ! Par ailleurs, en incorporant des biocarburants à l'essence et au gazole, on enrichit en oxygène le carburant, ce qui améliore l'efficacité de la combustion dans les moteurs. Il en résulte une diminution de la pollution de l'air. Autre avantage, les biocarburants permettent aux raffineurs de diminuer l'incorporation dans les essences de certains composé aromatiques comme le benzène, aux effets cancérigènes avérés.

La filière des biocarburants est également intelligente sur le plan de la stratégie énergétique. L'Europe dépend aujourd'hui à près de 50 % d'approvisionnements extérieurs pour sa consommation d'énergie, et dans vingt ans, ce taux passera à 70 % si rien n'est fait pour trouver des énergies de substitution. Pour le pétrole, la situation est encore plus grave puisque nous dépendons à 80 % des importations.

Or, le pétrole sera de plus en plus rare, et donc de plus en plus cher. En outre, il provient, essentiellement, de zones à l'équilibre géopolitique fragile - l'actualité nous l'a rappelé récemment.

Il est donc urgent de diversifier nos sources d'énergie. Les biocarburants le permettent. Cette filière présente également un intérêt en matière d'emploi. Les biocarburants utilisent en effet plus de main-d'_uvre que les carburants issus du pétrole. Six emplois locaux sont directement induits par la production annuelle de mille tonnes d'éthanol contre seulement 0,08 emploi pour mille tonnes d'essence. Ces emplois sont agricoles pour un tiers. Les deux tiers restants se situent essentiellement en zone rurale, où existent peu d'alternatives en matière d'emploi industriel. Il ne peut y avoir de ruralité sans agriculture durable comme il ne peut y avoir d'agriculture durable sans politique d'énergies renouvelables durable.

La filière des biocarburants présente même une vertu fiscale si toutes les externalités sont prises en compte - je tiens, Monsieur le ministre, à votre disposition une excellente étude sur le sujet.

Pourtant, pour intelligente qu'elle soit, les Européens, et les Français en particulier, n'ont pas pris la véritable mesure de ces formidables atouts, alors que, depuis plusieurs années, le Brésil, les Etats-Unis, l'Australie, l'Afrique du Sud, la Chine, l'Inde, ont engagé de grands programmes de biocarburants. L'administration Bush mise sur un développement considérable de la production d'éthanol, celui-ci étant désormais coté à la bourse de New-York. De 2,7 milliards de gallons d'éthanol produits cette année dans 73 usines, les Etats-Unis passeront à 3,6 milliards début 2005 pour augmenter ensuite leur production de 20 % à 30 % chaque année. Seize usines sont en cours de construction. Et le soutien du ministère américain de l'agriculture s'accroît : le Farm Bill prévoit entre 3 et 6 milliards de dollars pour la filière entre 2002 et 2012.

Or, en 2002, la production d'éthanol n'était que de 2,9 millions d'hectolitres en Europe contre 122 millions au Brésil et 76 aux Etats-Unis. La France a pourtant été exemplaire pendant une décennie. Alors que la production de biocarburants était quasi nulle en 1992, plus de 300 000 tonnes de diester et de 90 000 tonnes d'éthanol sont produites chaque année. Pour autant, nous avons perdu notre rang en Europe. La Suède a consommé un million d'hectolitres d'éthanol en 2003 ; l'Espagne en est devenue en 2003 le premier producteur européen - les biocarburants y bénéficient d'une exemption totale de TIPP pour des volumes correspondant à la capacité des deux usines existantes. Une troisième usine en construction produira deux millions d'hectolitres.

En Allemagne, le Bundestag a adopté le 7 novembre une proposition de détaxation totale des biocarburants, qui est entrée en vigueur le 1er janvier, et une unité de production de 2,6 millions d'hectolitres d'éthanol va ouvrir prochainement.

Notre retard m'inquiète et me choque d'autant plus que la France, première puissance agricole européenne, dispose de l'or vert en abondance, à défaut d'or noir. Nous devons donc redresser la barre et, d'ailleurs, l'Europe elle-même nous y incite : la Commission n'a-t-elle pas adopté une stratégie de développement des carburants de substitution au pétrole prévoyant de remplacer d'ici à 2020 20 % du carburant diesel et de l'essence consommés dans le transport routier ? En novembre 2001, elle avait déjà adopté deux propositions de directive allant dans le même sens. Après dix-huit mois de discussion, le 8 mai 2003, la première a été approuvée ; elle demande que la vente des biocarburants soit portée en 2005 à 2 % de celle de l'essence et du gazole, et à 5,75 % en 2010. La seconde directive, quant à elle, autorise à appliquer une fiscalité spécifique, comprenant notamment l'exonération, partielle ou totale, des droits d'accise.

L'heure est aujourd'hui aux actes. On parle des biocarburants depuis des années, mais les progrès, récents, sont bien timides : défiscalisation de l'incorporation directe de l'éthanol, agrément de 80 000 tonnes de diester supplémentaires. Il ne faut plus parler maintenant : il faut produire ! La future loi d'orientation doit fixer des objectifs clairs et précis et définir des moyens. Il faut tout d'abord que la France s'engage à respecter la directive de mai 2003 et qu'elle élabore une fiscalité adaptée et cohérente, jouant à la fois sur les agréments de volumes, sur les défiscalisations et, le cas échéant, sur l'obligation d'incorporation. Cette fiscalité doit être stable car la filière a besoin de sécurité pour se développer : le coût d'une seule usine exige un investissement de plusieurs dizaines de millions d'euros et deux ans séparent le feu vert de la mise en service effective - contre six mois en Espagne !

Il conviendra également de traiter sur un pied d'égalité le diester et l'éthanol, quelles que soient les réserves des pétroliers à l'égard du second. Enfin et surtout, il faudra faire montre d'une forte volonté politique. Mais je sais que vous n'en manquez pas, Monsieur le ministre d'Etat, et j'attends avec confiance vos arbitrages. Je n'imagine pas un seul instant que nous nous en remettions, pour respecter nos engagements européens, à des importations : à la dépendance envers l'Arabie saoudite, nous ajouterions alors une dépendance vis-à-vis des Etats-Unis et du Brésil !

Ne laissons pas passer l'occasion de la prochaine loi d'orientation ! Avec mon groupe d'études, je me tiens à votre disposition et à celle de vos collègues de l'agriculture et de l'environnement pour faire en sorte qu'équilibre financier, avenir de nos agriculteurs et intérêt des générations à venir se concilient dans un grand projet politique !

M. Yves Cochet - Je défendrai ici une autre politique que celle que vous venez de présenter - et que je combattrai, Monsieur le ministre d'Etat ! Et j'entends aussi vous dire quelques vérités que vous aurez rarement l'occasion d'entendre dans votre ministère, et encore moins dans votre formation politique.

Cette autre politique se fonde sur trois priorités qui peuvent se résumer en trois mots : sobriété, efficacité et « renouvelable ». Nous devons changer notre attitude envers l'énergie : nous montrer plus sobres dans nos comportements, plus efficaces dans notre utilisation, et avoir le souci d'une production « renouvelable ».

Je n'énumérerai pas les propositions concrètes qui en découlent, mais vous les trouverez, au nombre de 143, dans ce petit ouvrage dont je suis l'auteur.

M. Jean-Claude Lenoir - Pourquoi ne les avez-vous pas appliquées quand vous étiez ministre ?

M. Yves Cochet - Cette politique du « mégawatt » est incompatible avec la vôtre, qui, hormis quelques allusions aux économies d'énergie, vise avant tout à une relance du nucléaire - ne venez-vous pas de confirmer la construction de l'EPR, annoncée il y a peu par le Premier ministre ?

En effet, on ne peut mener la politique que je préconise et, en même temps, développer le nucléaire. Tout cela coûte, mobilise des équipes, des industriels, et il faut donc choisir. Nous, nous avons choisi depuis plus de trente ans : dès la campagne de René Dumont en 1974 ! Nous avons opté pour une politique qui permettrait d'économiser 50 % de l'énergie actuellement consommée, mais surtout pour une politique qui permet de vivre mieux en consommant moins et en produisant autrement - en ce sens, on peut bien parler de choix de société.

C'est aussi une politique de vérité, de paix et de solidarité, ce que n'est pas la priorité au nucléaire.

M. Sarkozy a répété les vieux arguments du lobby de l'atome : le nucléaire serait synonyme d'indépendance énergétique et de compétitivité ; il permettrait de lutter plus efficacement contre l'effet de serre.

M. Jean-Claude Lenoir - C'est la vérité !

M. Yves Cochet - Tout cela est faux ! On avance un taux d'indépendance énergétique de 50 %, mais ce calcul est biaisé : il faut considérer, non la puissance thermique des réacteurs, mais les kilowatts/heure effectivement dépensés. On descend alors à 25 %. Mais il serait plus juste de s'en tenir aux 14 ou 15 % de la production hydraulique car, dans ce domaine, nous n'avons de français que nos fleuves : les mines d'uranium sont au Niger, en Australie ou en Russie ! Nous n'en possédons pas plus que de puits de pétrole et l'indépendance du nucléaire à l'égard des sources énergétiques se réduit donc à zéro ! Ne racontez pas d'histoires !

M. le Président de la commission - Et le retraitement ?

M. Yves Cochet - Le nucléaire serait compétitif, dites-vous. Mais quand - et je ne remonte qu'au plan Messmer - on y a investi quelque 300 milliards d'euros d'argent public, il serait malheureux que le prix du kilowatt/heure restât élevé. Pour autant, on ne peut accepter le montant de trois centimes d'euro avancé par Areva et par EDF. Ceux-ci négligent toutes les externalités - pour la gestion des déchets, pour le démantèlement, pour les coûts d'environnement et de santé et, surtout pour l'assurance. N'oublions pas, en effet, que si les usines Seveso sont tenues de s'assurer à 100 %, les usines nucléaires ne le font qu'à 2 %. S'il y avait vérité des coûts, on serait plus près de six, voire de neuf centimes que de trois !

Le nucléaire est-il efficace contre l'effet de serre ? Il faut être sérieux sur ce point : le nucléaire est une électricité spécifique, qui n'est pas conçue pour le transport ni pour la production de chaleur. Le chauffage électrique est une aberration thermodynamique à laquelle il faut immédiatement mettre fin ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Le nucléaire, parce qu'il est dangereux, produit une société centralisée et policière. Il exige armée, police, gendarmerie - en particulier pour garantir la sécurité du transport d'uranium. Le nucléaire, ce n'est pas la paix, mais comme l'a montré Jacques Attali dans Economie de l'Apocalyse, la prolifération ! C'est aussi la tentation du terrorisme et de la guerre. Ce n'est pas un hasard si, en 1975, le CEA a vendu à « notre ami » Saddam Hussein Osirak, clone d'Osiris ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Heureusement les Israéliens, qui sont aussi nos amis, ont bombardé le site. Pourquoi Saddam Hussein voulait-il des installations nucléaires ? Pourquoi l'Iran, qui ne manque pas d'énergie, voulait-il de telles installations ? Pour faire la guerre ! Le nucléaire, c'est avant tout une volonté de puissance.

Je voudrais passer à un sujet dont on n'a pas parlé.

M. François-Michel Gonnot - Le pétrole !

M. Yves Cochet - Le pétrole, en effet, et le fameux « pic de Hubbert ». Dans quelques années, peut-être avant la fin de la législature, il va se produire un phénomène majeur. Depuis 150 ans que nous vivons dans l'ère du pétrole, la courbe mondiale de l'offre est au-dessus de celle de la demande. Dans quelques années, les deux courbes vont se croiser, pour des raisons géologiques : sur tous les gisements, même les plus importants, on aura extrait plus de la moitié des réserves souterraines. Il va donc se produire un choc pétrolier, beaucoup plus grave que les précédents, parce qu'il sera géologique et non politique. Ce sera un choc de civilisation, qui aura des conséquences immédiates sur l'agriculture productiviste et sur l'aviation. Ces deux secteurs utilisent beaucoup de produits pétroliers, qu'il s'agisse du kérosène consommé par les avions ou des intrants azotés de synthèse destinés à l'agriculture : littéralement, nous mangeons du pétrole ! Or ces deux secteurs sont peu taxés. Quel est aujourd'hui le message de l'aviation civile de masse ? « Plus vite, plus loin, plus souvent, et moins cher ! » Quel sera-t-il dans quelques années ? « Moins vite, moins loin, moins souvent, et beaucoup plus cher !

M. le Président - Veuillez résumer votre pensée.

M. Yves Cochet - Il faut sortir du nucléaire. Nous pouvons le faire en vingt-cinq ans. J'ai élaboré un scénario que je vais vous remettre. Il faut aussi réduire l'impact du choc pétrolier qui s'annonce. Ce sera, je l'ai dit, un choc de civilisation, ce sera même la fin du monde - du monde tel que nous le connaissons.

M. Birraux a conclu sur un proverbe chinois. Je l'imiterai en citant un proverbe saoudien actuel (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) : « Mon père chevauchait un chameau. Je conduis une voiture. Mon fils vole en jet. Son fils chevauchera un chameau ».

M. le Ministre délégué - Nietzsche l'a dit autrement : c'est l'éternel retour !

(M. Cochet remet son ouvrage à M. le ministre délégué).

M. Hervé Mariton - M. Cochet nous annonce l'apocalypse. Mais tout n'est pas écrit d'avance et il faut, dans le domaine qui nous occupe, beaucoup de raison et de pondération.

Le ministre d'Etat l'a dit, le Gouvernement souhaite montrer que le volontarisme et la loi du marché peuvent aller ensemble. Il est possible de combiner politique industrielle et adaptation à un monde qui change pour promouvoir les intérêts français.

En matière énergétique, les rapports entre le public et le privé ont toujours été pragmatiques. Le groupe Suez est propriétaire de tranches de centrales nucléaires. Il est attributaire, direct et indirect, d'une partie de leur production. Cela fait plus de vingt ans qu'il en est ainsi sans que personne ne s'en offense.

Nous voulons maintenir une stratégie nationale et préserver le statut du personnel, mais cela fait longtemps que le secteur de l'énergie sait répondre aux nécessités du marché. Il n'y a pas de miracle : tout repose sur des décisions prises il y a plusieurs dizaines d'années.

Si nous voulons qu'EDF continue d'exister, il faut faire évoluer son statut. Si nous voulons que l'équilibre énergétique français continue de renforcer notre compétitivité, il faut maintenir les fondamentaux tout en faisant respirer le système. Nos centrales vieillissent, les techniques aussi. Je suis heureux que le Gouvernement ait confirmé son intention d'expérimenter l'EPR pour préparer l'avenir.

M. le Président de la commission - Très bien !

M. Hervé Mariton - La Drôme, et tout particulièrement le site du Tricastin, sont intéressés par une telle implantation.

Le ministre d'Etat a évoqué la fiscalité énergétique. La question est bonne mais elle n'est pas nouvelle. Chiche ! Ouvrez une réflexion sur l'encouragement aux énergies renouvelables, mais faites-le de manière à ne pouvoir être accusés d'arrière-pensées budgétaires. Chacun a en mémoire ce malheureux débat à propos de la fiscalité sur le gazole. Il ne faut pas retomber dans de tels travaux. Vous devez donc être insoupçonnables.

Je veux enfin évoquer les éoliennes. C'est en train de changer, mais les politiques publiques dans ce domaine sont, depuis plusieurs années, illisibles. A moins qu'elles ne soient trop visibles !

Il ne faut pas céder au « politiquement correct », ni - et ici, c'est la même chose - à l'intégrisme écologique.

S'il y a des éoliennes, c'est grâce à un mécanisme qui leur donne artificiellement une certaine rentabilité. Mais, élu d'une circonscription de montagne, je connais les dégâts qu'elles peuvent causer à nos paysages.

M. le Président de la commission - Très bien !

M. Hervé Mariton - Produire de l'électricité à des tarifs artificiels en saccageant nos paysages, ce n'est pas là une politique de développement durable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

J'ai entendu avec satisfaction les récents propos de Serge Lepeltier sur ce point, ainsi que la déclaration du ministre d'Etat. Il est essentiel que le Gouvernement précise sa politique. Nos concitoyens souhaitent qu'elle soit cohérente. Elle peut d'ailleurs être partagée sur de nombreux bancs.

Il s'agit d'un enjeu important pour lequel nous avons la chance de disposer d'acteurs économiques performants, et d'un gouvernement à la volonté politique affirmée. Monsieur le ministre, nous vous encourageons à aller de l'avant (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Christian Bataille - Un débat sur l'énergie qui ne serait pas consacré pour l'essentiel à la lutte contre le changement climatique et qui ne préluderait pas à des mesures vigoureuses pour limiter les émissions de gaz à effet de serre n'aurait en 2004 aucun sens. Le changement climatique est une énorme affaire, et traité comme telle dans de nombreux pays de l'Union européenne, où la mobilisation a sonné pour atteindre au minimum les objectifs de Kyoto. Ce n'est pas le cas en France, où depuis 2002 le réchauffement climatique n'est plus considéré comme une question sérieuse. Les initiatives prises par le gouvernement de Lionel Jospin ont été détricotées une à une : reports successifs du plan climat, retard du plan national d'allocations de quotas d'émissions. Pourtant les atteintes portées à la composition de notre atmosphère paraissent toujours plus effrayantes. En 2000, le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat publiait son troisième rapport. Il prévoyait l'accélération de la hausse de la température moyenne et de la montée du niveau de la mer, une fréquence accrue des précipitations violentes, une multiplication des typhons et raz-de-marée, des épisodes de canicule et de froid extrême, un accroissement des difficultés d'approvisionnement en eau dans les régions subtropicales et une diminution des rendements agricoles dans les zones tropicales et tempérées. Or, les rejets de CO2, qui s'élevaient en moyenne annuelle à 13 milliards de tonnes dans les dix dernières années, ont atteint 17 milliards de tonnes en 2002 et près de 19 milliards en 2003. Et aucun ralentissement n'est à espérer à terme, puisque les besoins en énergie des pays en développement sont immenses.

Tous les indicateurs climatiques sont déjà dans le rouge : 1998 a été l'année la plus chaude du dernier millénaire, 2003 la troisième année la plus chaude depuis 1861. Les épisodes de température extrême se sont multipliés en 2003, entre canicule et froid intense. Le trou d'ozone au-dessus de l'antarctique s'est à nouveau étendu, la superficie des glaces polaires a été exceptionnellement faible. Ainsi les anticipations de 2000 ne relevaient pas d'un catastrophisme millénariste.

Peut-on espérer une autorégulation naturelle, qui effacerait en partie les effets de nos rejets massifs et incontrôlés dans l'atmosphère ? C'est bien plutôt une amplification qui est à craindre.

Pourtant, l'urgence de la situation n'est pas reconnue dans notre pays. Mais ne demandera-t-on pas aux pouvoirs publics une réaction brutale et exemplaire si survient un épisode analogue à la canicule de l'an dernier ? La France, c'est vrai, est l'un des meilleurs élèves pour la limitation des rejets de carbone, avec 1,64 tonne par habitant et par an en 1999. Seules font mieux dans l'OCDE la Suisse et la Suède.

Il faut donc consolider la production électronucléaire et les énergies renouvelables, au premier rang desquelles l'hydraulique. Notre électronucléaire possède de nombreux atouts : absence de rejets de CO2, indépendance énergétique et faible coût du kWh produit.

M. Yves Cochet - Et la production de déchets ?

M. Christian Bataille - Alors que nos centrales les plus anciennes atteindront quarante ans en 2020, peut-on imaginer de les remplacer par des centrales brûlant des combustibles fossiles comme le gaz naturel ? Cela serait difficile. Lorsque la sécheresse de 2002 et 2003 a fait chuter la production hydroélectrique, et qu'il a fallu mobiliser à outrance les centrales thermiques à charbon et à fuel, les émissions de CO2 ont augmenté aussitôt.

Comme je l'ai écrit avec Claude Birraux dans mon rapport sur « la durée de vie des centrales nucléaires et les nouveaux types de réacteur », nous ne pouvons pas prendre le risque de voir notre production d'électricité nucléaire subitement décroître, faute d'un réacteur de remplacement déjà testé.

Aussi la construction d'une génération de centrales à eau pressurisée plus performantes est-elle indispensable. Contrairement à ce que disent ses détracteurs, l'EPR apporterait de nombreux progrès (Approbations sur les bancs du groupe UMP). Les réacteurs « de quatrième génération » ne sont que des réacteurs « papier » qui ne pourront apporter de nouvelles solutions avant 2040. Qui parierait aujourd'hui sur la sustentation magnétique pour réaliser la liaison ferroviaire à grande vitesse Paris-Strasbourg ?

Cette perspective n'est envisageable que si l'on règle le problème des déchets. La recherche sur l'entreposage, le stockage à grande profondeur et la transmutation doit être amplifiée. Le rendez-vous de 2006 fixé dans la loi de 1991 doit être respecté.

Mais l'électronucléaire n'est pas tout. Avec Claude Birraux, Jean-Yves Le Déaut a appelé à un développement rapide des énergies renouvelables, appliqué à des priorités telles que les transports et le résidentiel tertiaire, dont les émissions de gaz à effet de serre augmentent le plus rapidement.

Du solaire thermique à l'architecture bioclimatique et même à l'éolien, la France dispose de centres de recherche et d'industrie qui pourraient être au premier rang mondial. Or, ce potentiel est quasiment en jachère. Pourquoi ?

Nos efforts pour consolider notre système énergétique seront de nul effet sur le changement climatique si notre pays ne se trouve pas à la tête d'un grand mouvement de transferts de technologies sans carbone en faveur des pays en développement. Pour cela, notre industrie et notre recherche sur l'énergie doivent être vigoureusement dynamisées, et la France doit être exemplaire vis-à-vis de ses engagements internationaux.

Il est inacceptable que notre pays n'ait pas été en mesure de transmettre à la Commission européenne son plan d'allocation de quotas d'émissions. La France doit aussi respecter la directive du 27 septembre 2001 qui lui prescrit que 21 % de sa consommation d'électricité en 2001 proviennent de sources d'énergies renouvelables, contre environ 17 % en 2000.

Au centre du problème climatique, se trouve le charbon qui joue encore un rôle déterminant aux Etats-Unis ou en Allemagne, et qui sera l'énergie du XXIe siècle dans les pays émergents comme la Chine ou l'Inde. Réduire les rejets liés à sa consommation, grâce aux technologies du charbon propre et à la séquestration du gaz carbonique, substituer au charbon des énergies avec peu ou pas de carbone, favoriser la maîtrise de l'énergie, voilà des pistes à ouvrir, avec des transferts de technologies adéquats.

On le voit, pour atténuer les drames que le changement climatique ne va pas manquer de multiplier, il n'y a pas de priorité plus importante que l'énergie pour la politique industrielle de notre pays (Approbations sur les bancs du groupe UMP).

M. Serge Poignant - La question de l'énergie appelle des choix clairs et déterminés. Je vais reprendre ici certaines des conclusions de mon rapport sur la politique de soutien aux énergies renouvelables. Par énergie, il faut entendre toute production venant de diverses sources, du charbon au nucléaire, en passant par l'eau, le soleil et même le bois - que ces sources produisent de l'électricité ou de la chaleur.

De plus, un débat sur l'énergie doit commencer par traiter de la maîtrise de cette énergie, un domaine où beaucoup reste à faire, et de la substitution d'une source plus économique à une autre. Enfin, il faut rappeler que nous nous devons d'appliquer les directives européennes.

Cela posé, trois priorités m'apparaissent. La première est de garantir notre indépendance énergétique. La sécurité de nos approvisionnements était passée au second plan, mais la situation internationale nous rappelle que cette question ne peut être négligée. Selon le Livre vert de la Commission européenne, si rien n'est entrepris d'ici vingt à trente ans, l'Union devra couvrir ses besoins à 70 % par des produits importés, contre 50 % actuellement. Et que dire des réserves de la planète, qu'on s'accorde à évaluer à moins d'un siècle ?

Notre indépendance est assurée par l'électricité nucléaire, n'en déplaise à M. Cochet. Celle-ci constitue 85 % de notre production totale d'électricité. Convaincu de la nécessité de développer les énergies renouvelables, je le suis tout autant du fait qu'elles ne pourront remplacer le nucléaire. Soyons réalistes : en 2001, la part des énergies renouvelables dans notre production d'électricité a été de 15,1 %, dont 14,3 % pour l'hydraulique ! La production d'origine hydraulique ne pouvant être significativement augmentée, nous savons déjà que l'objectif de 21 % d'énergies renouvelables nous demandera à lui seul d'énormes efforts. La production nucléaire ne peut donc être totalement remplacée. Le gaz, même si la cogénération a ses qualités, n'est pas une énergie propre ; les réserves sont limitées et nous serions dépendants. La Finlande, sur proposition d'un ministre écologiste, ne vient-elle pas de décider la construction d'une cinquième centrale nucléaire, afin notamment de ne pas être dépendante de l'importation de gaz russe ?

Chacun sait que nos centrales vieillissent et qu'elles devront être remplacées avant qu'une nouvelle génération de réacteurs ne soit au point. Il faudra dans l'intervalle faire le choix de l'EPR, tout en développant au maximum nos investigations en matière de sécurité, notamment dans le stockage des déchets, en toute transparence et avec un maximum d'information en direction du grand public.

La deuxième priorité est d'assurer le développement durable. Pour cela, il ne faut pas opposer énergie nucléaire et énergies renouvelables. Du point de vue de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, qui ont des conséquences désastreuses, l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables ont la même vertu. Il faut s'attacher à réduire l'utilisation des énergies fossiles, productrices de gaz à effet de serre, et en tout premier lieu de dioxyde de carbone. C'est pourquoi il nous faut développer notre bouquet énergétique et avoir une politique ambitieuse en matière d'énergies renouvelables, dans le domaine de la production d'électricité certes, mais plus encore dans ceux de la production de chaleur et des transports. Ce sont en effet les secteurs résidentiel, tertiaire et des transports qui émettent le plus de dioxyde de carbone.

C'est pourquoi je propose dans mon rapport d'octobre 2003 un objectif ambitieux : satisfaire, en 2010, 10 % de nos besoins énergétiques globaux. Il implique un effort plus important que le fameux objectif de 21 %. C'est pourquoi, je propose également une action très ambitieuse de promotion des biocarburants, sachant que le secteur des transports a consommé en 2002 environ un tiers de la consommation totale d'énergie française. Compte tenu de la croissance continue de ce secteur, ou ne pourra certes pas attendre des biocarburants seuls qu'ils résolvent le problème, mais ils peuvent aider à le réduire en attendant des solutions techniques nouvelles, et constituer en outre un débouché intéressant pour notre agriculture

Développer notre bouquet énergétique implique de nous intéresser, au-delà de l'hydraulique, à l'éolien mais aussi au bois, au biogaz, à la géothermie, au solaire, aux pompes à chaleur, aux déchets urbains solides ou encore aux résidus de récolte. Cela implique de réorienter notre fiscalité de l'énergie, en transférant par exemple les charges du service public de l'électricité sur les énergies fossiles, et de renforcer les instruments fiscaux, par exemple en augmentant le crédit d'impôt pour les particuliers qui s'équipent en énergies renouvelables. Cela suppose également de simplifier le système de primes et de mesurer le rapport coût/efficacité des systèmes d'obligation d'achat ou d'appels d'offre. Cela implique enfin de mieux structurer l'action de l'Etat, éminemment interministérielle, et peut-être de créer un établissement public.

Notre troisième priorité doit être de soutenir nos entreprises et notre recherche. EDF, grâce à l'ouverture du marché européen, doit pouvoir demeurer à son niveau de performance en gagnant des marchés à l'étranger. Selon l'Agence internationale de l'énergie, l'énergie produite par les filières renouvelables, hors hydraulique, devrait augmenter d'environ 4 % par an jusqu'en 2030. Ces filières étant appelées à connaître un tel développement, il est souhaitable que nos industriels, traditionnellement puissants dans le secteur de l'énergie, profitent de ces opportunités. Le fait de disposer d'un marché national important ne peut que les y aider.

Il nous faut par ailleurs très substantiellement augmenter nos moyens en matière de recherche. Là encore, n'opposons pas le nucléaire et les énergies renouvelables. Nous devons poursuivre nos efforts dans le domaine nucléaire, que ce soit sur les réacteurs de nouvelle génération, sur les produits de fission ou sur les conditions de stockage. Nous devons aussi changer d'échelle dans la recherche sur les technologies du renouvelable ou sur les matériaux employés, travailler sur la technologie du captage du dioxyde de carbone comme sur l'utilisation de l'hydrogène. Cela implique des moyens publics, en recherche fondamentale comme en recherche appliquée. Cela suppose également de coordonner plus efficacement l'action de l'Etat en la matière, mais aussi d'inciter les acteurs privés à s'impliquer fortement.

Monsieur le ministre, la France doit afficher clairement ses ambitions pour son avenir et pour celui des générations futures (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean Gaubert - Un débat sur l'énergie était attendu depuis longtemps. Nous sommes heureux qu'il se tienne, même si nous n'avons été prévenus que la semaine dernière. Le temps qui m'est imparti étant limité, je commencerai en évoquant seulement quelques questions qui me paraissent primordiales.

La première concerne la ressource. Les énergies fossiles ne sont pas inépuisables. Il faudra travailler d'ici l'été sur la façon d'assurer la maîtrise de la ressource, tant du point de vue technique que géopolitique, sur la sécurité nucléaire certes, mais aussi celle des transports par exemple, ainsi que sur l'opinion, qui accepte difficilement certaines installations, y compris pour les énergies renouvelables comme l'éolien. La question du transport d'énergie est également primordiale. Tout le monde théorise les échanges entre pays européens sans se demander le moins du monde si les capacités d'interconnexion existent ! Enfin, le sujet de la consommation des particuliers a été négligé ces derniers temps. Nous devons nous pencher sérieusement sur la façon d'en assurer la maîtrise.

Je voudrais m'arrêter maintenant sur le statut des entreprises publiques, et rétablir quelques vérités. Depuis quelques jours, le débat fait rage et certaines voix éminentes - comme celle de M. Sarkozy, il y a quelques jours -, assènent de flagrantes contrevérités. Ainsi, la première directive européenne relative à l'énergie a été prise sous le gouvernement de M. Juppé et sa transposition n'a été faite qu'a minima par le gouvernement de M. Jospin. L'opposition d'alors nous l'a du reste beaucoup reproché. Il est donc pour le moins exagéré de prétendre que nous devons assumer la responsabilité de la situation. Au surplus, la première transposition ne concernait que les clients industriels et il n'est pas conforme à la réalité de dire que l'ouverture aux particuliers a été acceptée à Barcelone ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP) A preuve, lorsque Mme Fontaine est venue nous présenter en commission la position que défendrait la France au conseil des ministres européens de l'énergie du 25 novembre 2002, elle a bien précisé que le Gouvernement serait ouvert à la libéralisation du marché de l'énergie, y compris pour les ménages, ce qui démontre bien que la décision n'avait pas été prise antérieurement...

M. le Ministre délégué - Si, à Barcelone, et Mme Fontaine ne faisait que respecter la parole de la France ! (Murmures sur les bancs du groupe socialiste)

M. François Brottes - La vérité vous blesse !

M. Jean Gaubert - Autre contrevérité souvent entendue ces jours derniers, c'est Bruxelles qui imposerait le changement de statut des opérateurs historiques. Là encore, l'audition de M. Monti devant la commission d'enquête sur la gestion des entreprises publiques en date du 10 juin 2003 ne laisse planer aucun doute. La Commission européenne ne privilégie aucune forme de détention du capital. Ce n'est pas l'Europe qui impose l'ouverture du capital.

Il nous est aussi parfois reproché de n'avoir fait aucun cas du principe de spécialité. Là encore, un démenti formel s'impose. L'article 44 de la loi du 10 février 2000 en traite expressément, notamment pour ce qui concerne la séparation entre clients éligibles et non éligibles. Monsieur le ministre, même assénées avec beaucoup de conviction, les contrevérités ne deviennent pas des vérités.

Nous ne contestons pas qu'EDF - plus sans doute que Gaz de France - ait besoin de fonds propres. M. Sarkozy a fort justement relevé que l'Etat s'était comporté en mauvais actionnaire, la dernière augmentation de capital remontant à 1982. Pire, l'Etat venait régulièrement piquer dans la caisse pour boucler l'exercice budgétaire ! En 1987 - mais j'admets que des dérives ont eu lieu aussi sous des gouvernements de gauche -, l'Etat a fait main basse sur la quasi-totalité des bénéfices d'EDF !

Quoi qu'il en soit, le besoin de fonds propres ne sera pas comblé par une forme de privatisation tendant à opérer une substitution plutôt qu'une augmentation du capital des entreprises. Si la totalité du produit de l'ouverture du capital va dans les caisses de Bercy, en quoi celle-ci profitera-t-elle aux opérateurs ?

J'en viens aux conséquences de la libéralisation pour le consommateur. M. Sarkozy répète à l'envi qu'elle n'aura aucune incidence sur la péréquation tarifaire : est-ce crédible ? Il n'est pas sérieux non plus de prétendre que les petits abonnés seront en situation de négocier leurs tarifs ! Les petites collectivités et les entreprises de taille moyenne ont déjà du mal à être considérées comme des interlocuteurs en capacité de peser sur la négociation. Alors les particuliers... Comment les préservera-t-on de l'offensive publicitaire et commerciale parfois abusive des vendeurs ? La grande distribution ne viendra-t-elle pas s'en mêler ?

Enfin, il serait faux d'imaginer que la libéralisation sera sans incidence sur les choix énergétiques du pays. Par souci de rentabilité à court terme, les nouveaux opérateurs risquent de renoncer à investir dans les techniques les plus novatrices. Un industriel privé préférera, par précaution, investir dans une centrale à gaz, moins coûteuse mais moins respectueuse de l'environnement. Ne nous leurrons pas, la libéralisation va conduire à une orientation par défaut des systèmes de production de l'électricité. Le Gouvernement se prépare-t-il à contrecarrer d'éventuelles dérives ?

Les exemples étrangers de libéralisation du marché, en Norvège, au Royaume Uni ou dans plusieurs grands Etats américains ont permis de dégager trois constantes : le marché tend à organiser la pénurie de l'offre, les réseaux et les moyens de production connaissent un vieillissement accéléré par défaut d'investissement et de maintenance, le petit consommateur est systématiquement lésé. Est-ce le modèle dont vous souhaitez vous inspirer ? N'est-il pas temps d'envisager des solutions alternatives pour éviter le pire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Mignon remplace M. Le Garrec au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de Mme Hélène MIGNON

vice-présidente

M. Jean-Pierre Nicolas - Enjeu majeur par excellence, l'énergie représente un facteur déterminant de notre compétitivité économique. Aussi, monsieur le ministre, permettez-moi de vous féliciter pour la célérité avec laquelle vous avez inscrit ce débat essentiel à l'ordre du jour de nos travaux.

Nous allons devoir décider d'une politique énergétique riche d'au moins trois composantes - économique, sociale et environnementale - et prenant en compte toutes les évolutions prévisibles, tant au plan national qu'au plan mondial.

Quand la Chine s'éveillera, titrait le regretté Alain Peyrefitte. C'est désormais chose faite, et l'Inde va faire de même. La croissance économique de ces deux géants entraînera inéluctablement une augmentation importante de la consommation d'énergie, avec une incidence sur les prix et un accroissement des émissions de gaz à effet de serre.

Notre production d'électricité nucléaire et hydraulique nous permet d'avoir aujourd'hui un taux d'indépendance énergétique de 50 %, identique à la moyenne de l'Union européenne. Mais la demande d'énergie croît en moyenne de 0,7 % par an sous l'effet des besoins de chauffage des habitations et des bureaux, et de 2,3 % sous l'effet de ceux des transports. Il nous faut dans ces conditions un « mix » énergétique permettant de garantir à tous nos concitoyens un droit à l'énergie à un prix compétitif sur l'ensemble du territoire - car l'énergie est un bien de première nécessité - et des conditions satisfaisantes de compétitivité pour nos entreprises. Son prix doit leur permettre de relever le défi de la concurrence internationale, mais aussi rendre notre territoire attractif. Sa disponibilité, c'est-à-dire la sécurité de notre approvisionnement, doit limiter l'exposition de notre économie aux aléas de livraison des énergies importées.

L'indispensable diversification de notre « bouquet » énergétique repose sur un triple socle : une meilleure maîtrise de notre consommation énergétique ; l'augmentation dans notre bilan énergétique de la part des énergies renouvelables et du gaz naturel ; et le nucléaire, quelles que soient les passions qu'il suscite.

Une politique efficace d'économies d'énergie suppose des dispositions fiscales incitatives mais aussi une politique volontariste de développement des énergies renouvelables thermiques, comme la biomasse, la géothermie ou le solaire thermique dont le potentiel mériterait un effort de recherche. Dans les bâtiments anciens, la consommation d'énergie primaire est actuellement de quelque 500 kW/h/m². Avec les progrès de l'isolation et de la régulation, il est possible de la ramener aux environs de 50 kW/h/m². C'est dire le gisement d'économies potentielles !

Pour ce qui est des transports, premiers responsables des émissions de gaz à effet de serre comme de l'accroissement de notre consommation d'énergie, il convient de promouvoir l'utilisation des biocarburants ou d'autres carburants renouvelables ; conduire avec les constructeurs des recherches afin de réduire les émissions de CO2 des véhicules particuliers à 120 g/km ; enfin, améliorer l'organisation des transports collectifs et de fret.

S'agissant des énergies renouvelables, j'adhère aux conclusions de l'excellent rapport de notre collègue Poignant. J'appelle toutefois l'attention sur les conséquences de l'obligation d'achat faite aux opérateurs électriciens. Dans le scénario envisagé par RTE pour 2006-2015, la production d'électricité à partir d'énergies renouvelables nécessaire pour respecter les engagements pris à Kyoto est loin d'être neutre sur la facture du consommateur. Sur la base des tarifs moyens d'achat, le surcoût total, en tenant compte des économies induites pour le système électrique, s'établirait en 2010 entre 1 456 et 1 614 millions d'euros. La commission de régulation de l'énergie a estimé que, pour la seule filière éolienne, le surcoût cumulé jusqu'en 2025 serait compris entre 7,2 et 25,9 milliards d'euros selon les hypothèses retenues. Il faut dire que les conditions d'achat du kW/h éolien sont particulièrement avantageuses pour les producteurs, la rentabilité atteignant 20 % par an après impôt pendant quinze ans, voire 32 % dans des sites très ventés. Pourquoi la promotion des énergies renouvelables dans le secteur électrique, qui répond à des objectifs d'intérêt général, serait-elle financée par les seuls consommateurs d'électricité ? Ce n'est certainement pas le plus judicieux sur le plan social ni économique. En renchérissant le coût de l'électricité, cela pourrait même inciter les consommateurs à utiliser le fuel ou le gaz naturel, qui émettent des gaz à effet de serre.

Cette spécificité de l'énergie éolienne encourage le développement de la spéculation et suscite une agressivité commerciale excessive de la part des opérateurs qui démarchent à outrance les communes rurales, suscitant des conflits parmi la population. Certains maires, initialement favorables aux projets, du fait notamment des recettes fiscales escomptées, sont désormais inquiets, voire hostiles. D'une part, ils s'aperçoivent que ces projets rencontrent une farouche opposition parmi leurs administrés. D'autre part, ils ne savent plus si les ressources espérées seront au rendez-vous, avec la réforme de la taxe professionnelle voulue par le Président de la République. Ne faudrait-il pas limiter dans le temps l'obligation d'achat, tout en permettant de tester l'efficacité des techniques ? Pour l'heure, de nombreux élus ruraux de ma circonscription souhaiteraient que soient différés certains projets d'éolien terrestre, en attendant le vote de la loi d'orientation sur l'énergie, et en savoir davantage sur l'évolution de la taxe professionnelle.

La place du gaz naturel dans notre bilan énergétique doit s'accroître. D'une part, notre pays ne peut rester à l'écart de l'évolution prévisible en Europe, où la consommation de cette énergie doit augmenter de quelque 60 % d'ici à 2020. D'autre part, l'opérateur national GDF s'affirme aujourd'hui comme un énergéticien intégré à dominante gaz. Leader sur le marché européen, il a fait évoluer sa position de négociant vers une position plus équilibrée, intervenant à chaque maillon de la chaîne gazière. De plus, il disposera d'une production propre couvrant environ 15 % de ses ventes, participant ainsi à l'indispensable sécurité d'approvisionnement, dont le socle demeure notre capacité de stockage.

J'en viens au nucléaire, énergie qui suscite le plus de débats passionnés. Pourtant, sans les choix faits après le second choc pétrolier, notre dépendance énergétique nous pénaliserait fortement, fragilisant notre économie et notre cohésion sociale. Je me réjouis de la volonté du Premier ministre d'assurer l'avenir de cette filière. Cela permettra à notre pays, sans céder au tout-nucléaire, comme certains le prétendent, de maintenir son indépendance énergétique sans avoir recours à une technologie étrangère, et même d'exporter ses propres technologies, ce qui est bon pour l'emploi. A cet égard, j'indique que le site de Bernay dans l'Eure accueillerait volontiers l'EPR.

Je suis convaincu que notre sens de l'intérêt général nous permettra de définir une politique énergétique équilibrée, recueillant un large consensus national. Il reste qu'au-delà de nos choix, ce sont des hommes et des femmes qui seront appelés à les mettre en _uvre. Dans ce cadre, EDF et GDF doivent prendre toute leur place. Ces deux entreprises et leurs personnels ont déjà montré leurs capacités de s'adapter et d'évoluer pour fournir à notre pays l'énergie abondante et compétitive dont il a besoin. La libéralisation du marché de l'énergie voulue par l'Union européenne et acceptée par le gouvernement de Lionel Jospin exige d'adapter le statut de EDF et de GDF. Il faut leur donner les moyens de faire face à la concurrence internationale - je rappelle seulement que les bénéfices semestriels d'un grand groupe pétrolier sont équivalents au chiffre d'affaires annuel de GDF...

Le ministre de l'économie a pris des engagements clairs, qui sont de nature à rassurer les électriciens et les gaziers sur leur statut. Ce qui importe aujourd'hui, c'est de les fédérer autour de grands projets industriels distinguant entre activités concurrentielles et activités régulées, mais permettant à l'Etat d'être toujours garant de la chaîne production-transport-distribution, pierre angulaire de notre service public de l'énergie. Notre politique énergétique, inscrite dans un cadre européen, doit répondre à un triple objectif économique, social et environnemental. Nul doute que les électriciens et les gaziers sauront participer à l'augmentation de la richesse nationale dans un concept gagnant-gagnant. Monsieur le ministre, vous avez toute ma confiance (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Philippe Tourtelier - Cette année 2004 sera-t-elle décisive pour l'énergie ? Ce débat augure-t-il d'une réelle volonté de développer les énergies renouvelables et maîtriser la consommation d'énergie ? Ou n'est-ce encore une fois qu'un effet d'annonce, une mascarade démocratique ? Décidé dans l'urgence de la conjoncture politique, ce débat ne sert-il pas simplement à habiller une décision déjà prise, de lancer l'EPR, équipement contesté et contestable ?

Pour l'instant, qu'il s'agisse du débat controversé sur l'énergie « façon Nicole Fontaine », de la mise à l'écart du Parlement sur la politique énergétique, de l'absence de mesures concrètes dans tous les précédents budgets de l'industrie, de la recherche, de l'écologie ou du développement durable, les politiques de Raffarin I et Raffarin II en matière d'énergie ont pour le moins manqué de souffle ! Voilà maintenant que, dans l'urgence, vous nous promettez de belles et grandes mesures. Mais qui croire et quand vous croire ? Il y a quelques jours, dans sa déclaration de politique générale, M. Raffarin a surtout parlé de l'EPR. Mais en juillet 2002, dans sa première déclaration de politique générale, il indiquait vouloir renforcer les énergies renouvelables, ajoutant qu'un important investissement avait été fait pour la filière nucléaire et qu'il convenait maintenant de miser sur celles-là. Devons-nous comprendre que le Gouvernement investira autant dans les énergies renouvelables qu'il a été investi dans les recherches sur le réacteur de troisième génération ? Et si l'on construit l'EPR, où trouvera-t-on les moyens nécessaires ?

Ce débat est biaisé par la question de l'EPR. On ne saurait pourtant réduire l'intérêt des énergies renouvelables à la seule production d'électricité : nous avons là des énergies très diversifiées, et dont le grand mérite est de ne pas rejeter de gaz à effet de serre - ce sont des énergies « propres », à la différence du nucléaire, grand producteur de déchets - et de contribuer à notre indépendance énergétique. Leur développement participe donc d'une croissance « soutenable », de loin préférable à la « décroissance ». Il peut être porteur de progrès économique et social à l'échelle de la planète.

Cette politique maîtrisée d'une énergie diversifiée, appuyée sur une modification de nos modes de consommation et de production et sur une promotion des énergies renouvelables, constituerait une révolution - la véritable rupture que nous souhaitons.

Le meilleur moyen d'accroître notre indépendance énergétique, c'est de consommer moins. On estime que nous pourrions économiser jusqu'à 50 % de notre consommation actuelle, sans baisser notre niveau de vie, uniquement en supprimant les gaspillages et en améliorant l'efficacité énergétique de nos produits. Dans notre débat, ce point doit donc passer bien avant la question de savoir comment produire l'électricité, qui ne compte d'ailleurs que pour 22 % du total. Ce n'est qu'après avoir tout fait pour maîtriser la demande que nous pourrons juger du niveau tendanciel de celle-ci et de la part de l'électricité dans cette demande. Au reste, au vu du dernier rapport sur l'état de notre parc nucléaire, il n'y a pas urgence.

Le critère essentiel de la décision doit être l'adaptation de l'énergie à l'usage qu'on en fait. Pour réellement maîtriser l'énergie, il faut associer pédagogie et incitations fiscales et réglementaires. S'agissant du premier point, appuyez-vous donc sur les collectivités locales et, pour cela, acceptez l'introduction, dans la loi sur les responsabilités locales, d'un chapitre VI consacré à l'énergie et à l'effet de serre. Quant aux incitations, il est clair que celles qui découlent du règlement sont d'autant plus efficaces qu'elles sont complétées par des mesures fiscales, mais avez-vous bien les moyens de ces dernières ? Allez-vous rétablir l'aide aux PDU et aux transports en commun et soutenir l'effort de mise aux normes des logements construits avant 1975 ? Seules des réponses précises attesteront de la réalité de votre volonté.

S'agissant des énergies renouvelables, quelles décisions concrètes allez-vous prendre pour combler le retard pris sur les autres pays européens. Dans les années 1980, la France était en tête pour le solaire et elle est le pays le plus riche de possibilités pour ce qui est de l'éolien. Pourtant, nous sommes maintenant dans les derniers. Nous avons par exemple installé 46 000 m2 de capteurs en 2001, contre 900 000 m² en Allemagne.

Souscrivez-vous, Monsieur le ministre, aux critiques de M. Ollier contre notre politique tarifaire en la matière ? Mais je regrette que M. Ollier refuse de considérer l'intérêt économique de ces formes d'énergie, ainsi que leur intérêt pour l'emploi. Ce secteur emploie pourtant 200 000 personnes en Europe et en emploiera 800 000 en 2010, contre 5 000 en France actuellement...

On ne peut en rester à une production étriquée, hexagonale de la production de l'énergie, en laissant les autres pays s'emparer de parts de marché. Si vous croyez vraiment que le solaire est une filière d'avenir, il faut le prouver par des actes forts, immédiatement. Ainsi, pourquoi ne pas mettre en _uvre certaines des recommandations de MM. Jean Besson et Serge Poignant ? Je pense en particulier à l'alignement du tarif de rachat de l'électricité solaire photovoltaïque sur le tarif allemand : il vous suffirait d'un simple arrêté !

Nous savons tous l'importance de la recherche pour le développement des énergies renouvelables. Or, comme M. Poignant l'a montré, nous y avons consacré neuf fois moins de moyens que l'Allemagne au cours des dix dernières années. Puisque vous voulez désormais faire de la recherche une priorité nationale, faites de la recherche sur les ressources énergétiques nouvelles une priorité des priorités ! Il faut rapprocher les organismes qui travaillent actuellement en ordre dispersé, définir un plan pluriannuel, mobiliser les acteurs publics et privés. La loi d'orientation et de programmation pourrait y pourvoir.

On a souvent expliqué le retard pris dans ce domaine par la priorité donnée au nucléaire. Lorsqu'on interroge le ministre de la recherche sur ce point, on n'obtient pas de réponse. Ne pourriez-vous faire établir un état des lieux ? Sur cette base, nous pourrions enfin juger de votre volonté de développer les énergies renouvelables... Jusqu'ici, votre politique n'a pas été à la hauteur des ambitions affichées. Etes-vous encore en train de nous mystifier, au risque de compromettre non seulement l'avenir de notre pays, mais aussi celui de nos enfants et de la planète ? Echaudés par deux ans d'immobilisme, quel crédit pouvons-nous donner à vos discours ? Avez-vous les moyens de promouvoir à la fois l'EPR et les énergies renouvelables ? Votre propos sur celles-ci et sur la maîtrise de l'énergie n'est-il pas un alibi pour « faire passer » l'EPR ?

Développement des énergies renouvelables, diversification, réduction des émissions de gaz à effet de serre, décentralisation de la production : voilà de grandes ambitions. Si ce sont les vôtres, il vous faut préciser les moyens que vous y consacrerez ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Michel Bouvard - Je commencerai par dire ma satisfaction de voir enfin organisé ce débat que nous attendions depuis de nombreuses années, mais ô combien nécessaire compte tenu de son importance, aussi bien pour la vie quotidienne des Français que pour notre environnement et pour le maintien de nos capacités industrielles.

A ceux qui parlent de débat hâtif, je rappellerai que le Parlement dispose depuis longtemps de toutes les données nécessaires : au moins depuis le rapport Souviron. Au surplus, à l'initiative du Gouvernement, un débat national s'était ouvert en janvier 2003.

Le présent débat répond à une attente de nos concitoyens qui à 51 % se déclarent intéressés par les questions énergétiques mais à 70 % se considèrent insuffisamment informés. Il intervient également au bon moment, avant le choix majeur qu'il va falloir faire à propos d'EDF et alors que nous commençons à mesurer les effets de la libéralisation du marché énergétique.

Précisément, mon propos portera plus particulièrement sur le marché de l'électricité et sur les conséquence industrielles des choix que nous allons devoir effectuer.

Grâce au choix du nucléaire, nous assurons à 50 % notre indépendance énergétique, alors que la proportion n'est par exemple que de 16 % pour l'Italie. Nos voisins qui, pour beaucoup, ont choisi de sortir du nucléaire, sont confrontés aujourd'hui à une production très déficitaire.

La France, où l'électricité est 10 % moins chère que la moyenne européenne, est également exportatrice d'électricité, pour 69,5 térawatts-heure, soit un peu plus de 13,5 % de sa production. Malheureusement, la situation de l'Union européenne est différente et l'ouverture du marché atteint sa limite pour le consommateur français, notamment pour le consommateur industriel, en raison de ce décalage entre les capacités de production et les besoins. Dès lors, l'ouverture des marchés et les projets de grands réseaux profitent davantage à nos voisins et concurrents qu'à nous-mêmes.

Si EDF peut en effet espérer trouver dans des débouchés supplémentaires les ressources de son développement, des craintes existent quant à la progression des tarifs pour des industries comme la chimie, la cartonnerie, le papier, l'électro-métallurgie, l'aluminium ou les aciers spéciaux. Dans ma circonscription, ces secteurs représentent près de 10 000 emplois, créés à une époque où l'électricité ne se transportait pas. Et ces emplois ont été gravement menacés dans le passé : on se souvient notamment du projet coupable de TGAP, que nous avons heureusement réussi à faire restreindre avant que ne réussisse notre recours devant le Conseil constitutionnel.

Cette grande industrie est confrontée à une concurrence étrangère très vive. Elle travaille en cycle long et repose sur des investissements hautement capitalistiques. Elle a besoin d'une vision de long terme. N'oublions pas qu'elle représente plusieurs centaines de milliers d'emplois.

Alors qu'en 2001 la facture électrique globale des industriels baissait de 3 %, de fortes hausses ont été enregistrées depuis. Les principaux consommateurs industriels se plaignent qu'on soit passé d'un monopole de droit dans un cadre prévisible à un oligopole de fait à l'avenir illisible. L'organisation du marché profite principalement aux électriciens. On a vu apparaître sur le marché des « producteurs traders », pseudo-commerçants à l'origine d'une hausse des prix en partie artificielle.

Cette incertitude sur les prix pèse sur l'avenir des sites industriels. Les hausses touchent nos industries au fur et à mesure que sont renouvelés leurs contrats. Une entreprise de ma circonscription, qui représente 400 emplois, a dû accepter une hausse de 25 % après avoir traité avec la CNR. La proposition d'EDF se traduisait pas une hausse de 27 %, les négociateurs ayant clairement indiqué qu'ils avaient intérêt à vendre à l'étranger au meilleur prix. Je ne peux pas me résoudre, pour ma part, à ce que l'exportation d'énergie par EDF se traduise par une importation du chômage. La présence industrielle, dans nos vallées, est directement liée au prix de l'énergie.

Le président d'ALCAN et le vice-président de ce groupe canadien aujourd'hui propriétaire de Pechiney m'ont clairement indiqué que la politique énergétique française conditionnait leurs investissements dans notre pays. Le PDG de Pechiney, M. Rodier, ne m'a pas tenu un autre discours : son principal rendez-vous est le renouvellement de son contrat d'électricité en 2012.

Au-delà du problème que constitue l'organisation du marché, nous devons nous donner les moyens de garder une électricité à bon marché. Il est clair que nous ne pouvons nous passer du nucléaire. La modernisation du parc est indispensable, même si elle doit s'accompagner du développement des énergies renouvelables pour couvrir les besoins domestiques. La décision prise par le Premier ministre est donc positive.

Je veux enfin insister sur les potentialités de l'hydraulique - la situation justifie le lancement de programmes complémentaires, sur la Romanche par exemple. Deux minutes suffisent à l'usine de Grand Maison, dans ma circonscription, pour produire 1800 mégawatts. La part de l'hydraulique dans notre production énergétique doit être confortée. Il faut supprimer la taxe hydraulique instituée par les socialistes pour faciliter la privatisation de la CNR. Le gouvernement Raffarin a ouvert la voie à de nouveaux projets. Encore faut-il qu'EDF les réalise.

Une fois que le débat aura eu lieu et que le Gouvernement aura défini sa politique énergétique, nous saurons quelle devra être la place d'EDF. Pour ma part, je considère qu'EDF doit rester une entreprise sous la maîtrise de l'Etat, compte tenu des enjeux en matière d'environnement, de sécurité nucléaire, mais aussi d'emploi industriel. N'oublions pas que des centaines de milliers d'emplois sont concernés (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. David Habib - Ce débat sera un moment précieux de l'activité parlementaire.

La donne environnementale a changé, les discours les plus techniques sur les bouleversements climatiques sont aujourd'hui compris par nos concitoyens. L'effet de serre est cité parmi les menaces les plus préoccupantes, au même titre que le chômage ou les désordres internationaux. La dépréciation du dollar, depuis deux ans, modifie la facture énergétique, alors que l'accroissement structurel, et peut-être souhaitable, du coût des matières premières nous rappelle que cette facture sera demain plus lourde pour nos économies occidentales.

L'augmentation démographique mondiale, la sollicitation accrue des pays en voie de développement, la croissance du PIB dans nos pays développés sont trois réalités qui conditionnent nos choix énergétiques.

Ce débat s'ouvre dans un contexte international complexe. Le Moyen et le Proche-Orient, régions énergétiques s'il en est, sont secoués par des désordres croissants. L'Europe a compris que l'énergie était une composante essentielle des politiques communautaires, même si la réponse donnée paraît largement insuffisante.

Ce débat se tient enfin dans un environnement culturel différent.

La donne démocratique, elle aussi a changé. Les Français exigent un discours de vérité. Ils demandent que nous garantissions notre approvisionnement et celui des générations futures ; ils demandent un meilleur contrôle des différents acteurs de cette filière. Ce débat est donc souhaité.

Mais en précipitant ses choix, par exemple sur l'EPR, ou en considérant que l'ouverture du capital d'EDF était une fatalité, le Gouvernement ne respecte pas le calendrier qu'il nous a fixé ; il prend le risque de réduire le débat énergétique à la seule question de l'EPR ou même du nucléaire et affaiblit la portée de notre réflexion collective. C'est d'autant plus dommage que la politique énergétique pouvait apparaître comme un des rares sujets de consensus au sein de cette assemblée.

La politique énergétique de notre pays relève de l'espace européen. Avec la politique agricole, la politique spatiale et l'aéronautique, il est urgent que nous proposions à nos partenaires européens une démarche intégrée en matière d'énergie, qu'il s'agisse de régulation en situation de crise, de sûreté des approvisionnements, de respect de l'environnement. Par ailleurs, les interconnexions, pour l'électricité comme pour le gaz, nous imposent cette stratégie communautaire.

Les insuffisances des pratiques européennes sont telles qu'il nous faut aujourd'hui passer à une étape supérieure. La communauté s'est contentée de rappeler que le marché de l'énergie devait être européen et unique. Elle a oublié que nos concitoyens lui demandent d'abord d'harmoniser les politiques, de favoriser la recherche, d'engager des stratégies environnementales. Elle n'a fait qu'organiser la coexistence de quinze marchés, demain vingt-cinq, unis autour d'une conception libérale des échanges.

Puisque nous évoquons la question essentielle des approvisionnements en Europe, je souhaite interroger le Gouvernement sur le statut futur de RTE : le réseau de transports d'électricité est-il concerné par l'ouverture du capital évoqué ?

Par ailleurs, la politique énergétique relève du service public, dont les principes sont connus et admis par les différents traités européens : il s'agit de la continuité de l'approvisionnement, de la sûreté de la production et de la solidarité tarifaire. La Commission européenne parle de « service universel ». L'expression est différente, mais la pensée identique.

Alors que vous tentez de mélanger les débats, nous affirmons avec force que si nous sommes attachés à l'espace européen, nous souhaitons aussi le maintien d'EDF dans la sphère publique.

Le Gouvernement, qui rejette l'idée d'une privatisation mais évoque l'idée d'ouverture du capital, semble ouvrir un processus de désengagement de la puissance publique.

La politique énergétique, pour des raisons liées à la sécurité des installations nécessite une maîtrise publique.

Quand on parle d'ouverture du capital dans ce secteur, je ne peux pas, moi qui suis l'élu du bassin de Lacq, oublier la décomposition de l'ex-entreprise Elf, ni les reniements du nouveau groupe Total.

J'ai ici les déclarations du gouvernement Balladur, mais aussi de l'ancien président d'Elf, Philippe Jaffré, qui nous assurait que les dispositifs réglementaires s'opposeraient à la privatisation complète de son entreprise. Un jeune ministre délégué au budget, en 1993, avait même pris un décret créant une Golden share, c'est-à-dire une action privilégiée qui devait garantir à jamais la présence de l'Etat dans le capital de cette entreprise. On a tous vu que ces murs juridiques ne résistaient pas.

Avant 1993, l'entretien des installations était triennal, ce qui était d'autant plus nécessaire que le champ gazier de Lacq, est l'un des plus dangereux du monde. Depuis la privatisation, cet entretien est quinquennal, dans le meilleur des cas. Je vous invite à demander à la DRIRE de Pau ce que cela signifie.

Quant à la recherche sismique, elle a été stoppée. Le groupe Elf puis Total préférant investir à coup sûr, il a abandonné une région qui a fait et qui continue à faire sa prospérité.

EDF, forte de ses succès technologiques exceptionnels, reste un merveilleux outil au service des Français et de leur économie.

La mobilisation du 8 avril mais aussi l'annonce des journées d'action du 22 avril et du 27 mai montrent bien qu'en quelques semaines, ce gouvernement a pris le risque de déstabiliser EDF.

Nous sommes favorables à la suppression du principe de spécialité. En revanche, nous nous opposerons à une privatisation, même partielle. L'ouverture du capital d'EDF serait à mes yeux une faute politique, tout comme le serait l'ouverture du capital d'Areva.

A ceux qui aiment les Etats-Unis, dont je suis, je suggère de méditer ce commentaire d'un auteur américain connu pour ses convictions libérales, M. Severin Borenstein : « Ces Etats qui n'ont pas encore emprunté le chemin de la dérégulation de l'électricité seraient avisés d'attendre, pour tirer les enseignements des expériences en cours en Californie, à New York, en Pennsylvanie, en Nouvelle-Angleterre, au Pays de Galles, en Norvège, en Australie et ailleurs ».

Nous proposons qu'une mission parlementaire puisse, avant l'examen de votre projet, évaluer les effets des privatisations en matière énergétique.

Enfin, notre politique énergétique doit prendre en compte une réalité, l'augmentation croissante de la demande, et deux impératifs : l'impératif environnemental et l'impératif de diversification de nos sources énergétiques.

La population mondiale s'établira entre 8 et 10 milliards d'habitants en 2100. Cette augmentation démographique s'accompagnera d'une demande énergétique croissante. Le Conseil mondial de l'énergie retient l'hypothèse qu'en 2050, la consommation mondiale d'énergie sera de 1,5 à 3 fois plus élevée qu'en 1990.

La consommation des pays en voie de développement représentera la moitié de la consommation mondiale, de sorte que les matières premières consommées en France seront plus rares et plus chères. Notre propre consommation énergétique continuera à croître, de 1,1 % pour l'électricité en 2002. Cette hausse n'est plus due à l'industrie, mais à notre mode de vie, dont rien n'indique qu'il se modifiera. Au contraire, les Français les plus démunis revendiquent, avec raison, un meilleur accès à l'énergie.

C'est pourquoi je milite moi aussi pour un bouquet énergétique qui tienne compte de cette demande croissante, et aussi qui respecte l'environnement et les engagements de Kyoto, et donc favorise l'éolien, le solaire, la biomasse et demain l'hydrogène, et bien sûr le nucléaire.

Les dernières législatures ont permis de sortir le nucléaire du débat d'experts, pour traiter de la sûreté ou des déchets. Il faut poursuivre cette démarche. Or, en réduisant le débat énergétique à la question de l'ouverture du capital d'EDF et à la question de l'EPR, vous commettez une mauvaise action contre le nucléaire.

Il aurait mieux valu engager un vrai débat démocratique sur la réalité du réchauffement climatique, sur la durée de vie des centrales existantes et sur la mission assignée à l'EPR, qui est devenu un enjeu politique alors qu'il devait être un laboratoire.

En décidant de multiplier les EPR, on ne règle pas la question posée par nos collègues Birraux et Bataille sur la durée de vie des réacteurs.

La réponse énergétique est dans ce mélange qui limiterait l'usage des énergies fossiles, améliorerait l'efficacité énergétique et réconcilierait les défenseurs du nucléaire et les promoteurs des énergies renouvelables. Politiquement et financièrement le dos au mur, votre gouvernement, je le crains, manquera ce rendez-vous (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Claude Gatignol - Président du groupe d'études sur les énergies, j'ai apprécié les propositions réalistes et courageuses du Gouvernement, après une année 2003 riche en évènements énergétiques. Le sujet n'est pas simple, que l'on se réfère à l'origine de chaque énergie, à ses utilisations ou au risque d'effet de serre, sans oublier les considérations géopolitiques. Une politique énergétique ne peut donc se concevoir que comme un ensemble équilibré et cohérent, mobilisant tout un bouquet énergétique et tenant compte d'un marché désormais ouvert par les directives européennes.

La France ne possède pas d'énergies fossiles, et pourtant elle en utilise beaucoup. GDF est prêt à affronter la concurrence, dès lors qu'il sera libéré de ses boulets statutaires. Le gaz naturel a toutes les qualités d'une énergie rapide, à condition que la France diversifie ses approvisionnements. Les carburants issus du pétrole, depuis longtemps dans le marché ouvert, ont permis l'extraordinaire développement des automobilistes et poids lourds sans oublier le chauffage domestique. Mais tout ce pétrole ainsi consommé a conduit à des émissions considérables de gaz à effet de serre, malgré les efforts de recherche des constructeurs automobiles. J'ai même exprimé l'espoir, dans mon rapport sur la pile à combustible, de voir se développer une voiture utilisant de l'hydrogène. Mais selon l'académie des sciences américaines, cette solution ne sera pas crédible avant deux ou trois décennies. C'est pourquoi je propose de créer dès maintenant une Agence nationale de l'hydrogène, afin de parvenir à maîtriser l'usage de ce gaz. Déjà, en Amérique du Nord et en Asie, la notion d'économie de l'hydrogène rencontre un succès croissant. Ne nous laissons pas dépasser sur ce terrain. Quelle est la réalité des réserves mondiales en hydrocarbures ? Les Etats-Unis, semble-t-il, ne disposent plus sur leur territoire que de huit années de production. On comprend qu'avec 53 % d'énergie provenant d'un charbon abondant et peu coûteux, ils éprouvent des réticences envers le protocole de Kyoto. Mais de nouvelles technologies laissent espérer un usage du charbon plus respectueux de l'environnement.

Serge Poignant s'est exprimé sur les carburants renouvelables issus de l'agriculture. Leur production et leur usage ne vont pas sans difficulté, surtout face à un parc français de véhicules dédié à 68 % au diesel. Les énergies renouvelables thermiques, du bois à la géothermie, demeurent à l'état de promesses qu'il faut s'efforcer de concrétiser. Je souhaite que le futur projet de loi aille dans ce sens, car il y a là un bon moyen de lutter contre le gaz carbonique.

Au total, on mesure à quel point il est nécessaire de soutenir les efforts d'économie d'énergie ; l'ADEME doit retrouver là tout son rôle.

L'électricité, dont on connaît toutes les qualités de souplesse et d'adaptation, provient à 78 % chez nous de nos cinquante-huit réacteurs nucléaires, ce qui nous place en tête des pays les plus vertueux pour les émissions de gaz à effet de serre.

Ce choix résulte de la courageuse clairvoyance du général de Gaulle, maintenue par les présidents et gouvernements successifs, dont celui de Pierre Messmer. Après trente ans, le bilan est clair : grâce au choix nucléaire, EDF a acquis une maîtrise et une compétence internationalement reconnues, et nos groupes industriels spécialisés comme Areva, sont devenus des interlocuteurs recherchés. Le secrétaire d'Etat américain à l'énergie, Spencer Abraham, m'a fait part, en visitant ma circonscription, de son émerveillement face à la réussite de notre filière électro-nucléaire. Les délégations japonaises, chinoises et européennes ont eu la même réaction. On comprend mieux qu'EDF attende impatiemment de pouvoir donner sa pleine mesure en étant libéré de son statut d'EPIC et du principe de spécialité. Les précisions apportées par le ministre d'Etat nous ont pleinement rassurés.

Nos choix politiques ont permis à la France de réduire sa dépendance énergétique de 75 % en 1973 à moins de 50 % aujourd'hui ; d'être le pays de l'Union européenne qui émet le moins de gaz carbonique, ce qui devrait inciter certains donneurs de leçons à se les garder ; de maintenir un prix de l'électricité particulièrement compétitif ; de se doter d'une filière à haute technologie employant directement près de 100 000 salariés. Je n'oublie pas l'hydraulique, ni les espoirs à fonder sur les piles solaires.

Il serait donc irresponsable de ne pas préserver le choix du nucléaire au moment où se pose la question du renouvellement du parc. Le nucléaire, rappelons-le, représente moins de 38 % de notre consommation énergétique totale, ce qui n'a rien d'excessif. En effet, selon l'AIE, la part du nucléaire dans la production électrique de l'Union européenne s'élèverait en 2002 à environ 33 %. Or tout le processus engagé au niveau communautaire pour libéraliser les marchés nationaux de l'électricité tend à constituer un marché intégré, qui est déjà en partie une réalité. En 2002, nos exportations d'électricité, soit 77 Twh, ont représenté environ 17 % de notre production, et j'ai bien noté ce que vous avez dit des ratios de consommation par rapport à la production dans chaque pays.

Se profilent en outre les problèmes de gestion du CO2. Comment le Gouvernement compte-t-il défendre les intérêts français ? Les décisions que nous rendrons dans le domaine nucléaire nous engageront pour des dizaines d'années. Les nouvelles centrales fonctionneront encore en 2060 ou 2080, époque ou les réacteurs de quatrième génération et l'hydrogène auront révolutionné le paysage énergétique.

Indépendamment de ces évolutions, il faut rappeler la forte croissance que connaîtront nos besoins nationaux. La consommation intérieure d'électricité a augmenté, en 2003, de 3,9 %. La pointe extrême de la consommation a atteint, le 8 juillet, 83 000 mégawatts. On estime que la pointe extrême pourrait atteindre, en 2020, 100 000 mégawatts. Comment les produira-t-on ? Nous devons préserver la capacité de notre système électrique à faire face à nos besoins dans des conditions optimales de coût et de protection de l'environnement. Le président Ollier a été très réconfortant à ce sujet.

Convaincu de la nécessité d'un nucléaire fort dans notre pays, je me félicite de la décision de construire une tête de série de réacteur EPR. Elle aurait dû être prise dès 2000 et je regrette que des considérations politiciennes aient conduit le gouvernement Jospin à la retarder, prenant le risque de fragiliser notre industrie et notre recherche. En revanche, je ne veux pas que l'ouverture du marché à la concurrence nous rende victimes du « syndrome californien ». Ouvrir un marché sans avoir assez de marchandise à vendre conduit à une élévation immédiate des prix. Nous avons déjà constaté une augmentation récente d'un euro par mégawatt et par mois, et la production n'a augmenté que de 1,4 % en 2003 contre 3,9 % pour la consommation. Ceci étant dit, l'énergie est un secteur trop stratégique pour que les décisions soient laissées au seul marché. L'énergie nucléaire est certes compétitive, mais elle demande des investissements lourds qui représentent un risque à long terme pour les opérateurs. Il faut réfléchir à un régime juridique et fiscal adapté. Les parlementaires américains sont en plein débat sur ce sujet. Ils ont besoin de construire plusieurs dizaines de réacteurs, pour plusieurs milliards de dollars, alors que les prix du gaz et du pétrole augmentent. La décision récente de la Finlande, pays soucieux s'il en est de son environnement, de choisir le réacteur EPR apporte un cinglant démenti aux détracteurs de cette technologie sûre, performante et compétitive. Demain, la Chine, le Japon et les Etats-Unis annonceront des décisions forte en matière d'électronucléaire. L'industrie française doit être prête à y répondre. Ce sont des milliers d'emplois qui en dépendent.

Mais il ne servirait à rien de bien produire si nous ne savons pas transporter notre électricité. Les ruptures de flux qui ont eu lieu aux Etats-Unis, en Scandinavie et en Italie, en 2003, ont attiré l'attention sur ce problème. Notre gestionnaire de réseau, le RTE, a montré ses capacités. Ses compétences sont mondialement reconnues. Il faut lui donner toute l'autonomie nécessaire pour remplir ses missions. Un réseau performant et des interconnexions européennes sont indispensables pour le marché de l'électricité, surtout alors que nous avons la chance de disposer d'une commission de régulation de l'énergie attentive et d'une neutralité à toute épreuve.

Alors que la France, malgré la récession, a vu sa consommation d'électricité augmenter de 3,9 % en 2003, soit l'équivalent de la production de deux tranches nucléaires, il y a lieu de prendre en urgence deux décisions. La première est le choix du site qui va recevoir le premier réacteur EPR.

Mme la Présidente - Monsieur Gatignol, je vous prie de finir rapidement...

M. Claude Gatignol - Le site de Flamanville, dans la Manche, présente toutes les qualités technologiques requises. Il est déjà en exploitation, et est préparé à recevoir une nouvelle tranche. Il est idéalement situé du point de vue de l'aménagement du territoire et le littoral évite tout problème lié à la canicule. Il vient de recevoir l'agrément ISO 14001 pour le respect de l'environnement. Par ailleurs, le projet soulève le plus large consensus populaire. L'expérience des grands chantiers est un gage pour le bon déroulement des travaux, dans cette région qui connaît la valeur du travail bien fait.

La deuxième décision consiste à réunir rapidement les représentants d'EDF et les éventuels partenaires européens intéressés par une participation à l'investissement, qui sera très lourd. La construction devant durer six à sept ans, il est nécessaire d'agir dans les meilleurs délais. Je sais que je peux vous faire confiance pour cela, Monsieur le ministre.

La politique énergétique française doit combiner une continuité de référence et une approche innovante. Une capacité industrielle importante, la diversité des sources énergétiques, une recherche soutenue, un parc électronucléaire qui assure notre indépendance et notre compétitivité sont les bases de la politique qui donnera à la France, pour le XXIe siècle, les moyens de combler ses besoins et de prendre une importante place internationale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Daniel Mach - La France a connu cet été une situation exceptionnelle. Le degré d'ensoleillement, l'absence de précipitations et de vent et les températures élevées ont eu des conséquences humaines dramatiques, mais ont aussi permis d'évaluer la résistance de nos moyens de production électrique. La diminution du débit des cours d'eau a réduit de 19 % la production hydroélectrique. Les centrales nucléaires ou thermiques à flamme, soumises à une réglementation sévère, n'ont pas pu fonctionner normalement. La production des éoliennes a été nulle. En matière de distribution, la chaleur des sols a multiplié les incidents sur le réseau souterrain. Les coupures ont été nombreuses, même si le travail de la force d'intervention rapide électricité a permis qu'elles soient les plus courtes d'Europe. Parallèlement, RTE a mené de nombreuses interventions pour maîtriser le transit et sécuriser l'alimentation de plusieurs régions.

Ces difficultés ont été aggravées par l'augmentation de la consommation intérieure, évaluée à 4,2 % par rapport à la même période l'année précédente. La France a donc tenté de s'orienter vers les pays voisins, mais, le phénomène s'étant généralisé, les marchés étaient très tendus. La canicule nous a ainsi prouvé que, malgré une efficacité reconnue au niveau mondial, nous ne sommes pas à l'abri d'une catastrophe à laquelle seul le développement des interconnexions pourrait remédier. Aujourd'hui en effet, en cas d'arrêt imprévu d'une installation importante, ce sont les moyens de production d'Europe occidentale et centrale qui prennent le relais. Il est crucial pour l'Union européenne de renforcer sa sécurité d'approvisionnement et de réduire le prix de l'électricité par l'ouverture à la concurrence. La position de la France en fait un acteur incontournable dans cette politique. Ses réseaux de transport d'électricité constituent le seul lien vers le reste de l'Europe pour le Royaume-Uni, le Portugal ou l'Espagne. Ces deux derniers connaissent une forte croissance et leur consommation énergétique augmente considérablement. Leur approvisionnement en électricité repose en grande partie sur des énergies renouvelables et est donc soumis à des aléas climatiques.

L'accroissement de nos échanges électriques avec l'Espagne notamment est indispensable. C'est un acte de solidarité vis-à-vis de notre voisin, et plus spécialement de la Catalogne sud, qui est une zone de forte consommation. L'ensemble des chefs d'Etat et de gouvernement européens ont d'ailleurs déclaré ce projet d'intérêt communautaire en 1994. En 2001, les gouvernements français et espagnol ainsi que les deux gestionnaires de réseau ont conclu un accord pour augmenter progressivement la capacité d'interconnexion, notamment par une nouvelle ligne à travers les Pyrénées. RTE a proposé l'esquisse d'une ligne à très haute tension qui traverserait le département des Pyrénées-orientales. Une contre-expertise a été confiée à un cabinet italien totalement indépendant, qui a étudié l'ensemble des possibilités, et notamment l'enfouissement. Un large débat public a suivi la remise de cette expertise en 2003. La ligne aérienne a soulevé une vague d'inquiétude parmi les élus et la population. Une manifestation d'envergure a réuni, le 31 mai 2003, 10 000 personnes fermement opposées à ce projet. Mme Fontaine a alors demandé à RTE de retirer son projet initial et de procéder à de nouvelles études, portant cette fois sur l'ensemble des solutions.

Dans l'attente de nouvelles propositions, la tension ne faiblit pas, ainsi que le prouve la manifestation du 31 janvier dernier, malheureusement politisée à l'aube des élections régionales. Nos concitoyens, bien que n'étant pas opposés au développement de ces échanges avec l'Espagne, sont inquiets quant à la préservation de leur département, et notamment de ses ressources touristiques. Ils ne supporteraient pas que leurs Pyrénées-Orientales soient totalement défigurées par le passage d'une telle ligne et attendent énormément des études en cours. D'ailleurs, cette démarche doit être un acte de solidarité nationale et, à ce titre, c'est l'ensemble de la chaîne des Pyrénées qui doit y être associée. Seul, le département des Pyrénées-Orientales aurait du mal à accepter une telle cicatrice, si une telle structure devait y être implantée.

M. Edouard Leveau - Quelle énergie pour demain ? Notre nation a dû faire face à cette question dans les années 1970, au lendemain du premier choc pétrolier. Les choix qui ont été faits alors ont permis d'assurer à la France une indépendance énergétique supérieure à celle d'autres pays européens ; situation à laquelle s'ajoute la compétitivité du coût de l'énergie produite par EDF. Il importe de garder en mémoire ces deux caractéristiques avant de répondre à la question posée.

A cet égard, je félicite le Gouvernement pour sa volonté de transparence et le souci de démocratie dont témoigne l'organisation de ce débat. Et le nombre important de participants rend compte de l'importance que nous attachons tous au devenir de notre bouquet énergétique.

La politique énergétique de notre pays doit relever plusieurs défis.

D'abord, l'environnement, sachant qu'à l'horizon 2012, le niveau d'émission de gaz à effet de serre devra avoir diminué de 8 %. Ensuite, la raréfaction des ressources naturelles, dont toutes les études s'accordent à souligner le caractère non inépuisable. Enfin, la croissance de la consommation. Avec les vagues de froid du début de l'année et les fortes chaleurs de l'été, la consommation a connu en 2003 une progression de l'ordre de 4 %. Du reste, l'augmentation de demande d'énergie est un phénomène mondial.

Compte tenu des caractéristiques de notre bouquet énergétique - indépendance et compétitivité - et des trois défis du futur, la France ne peut faire l'impasse sur l'énergie nucléaire pour s'en remettre aux seules énergies renouvelables, certes indispensables mais non suffisantes. La production d'énergie nucléaire est en effet la plus transparente et elle ne produit quasiment aucun gaz à effet de serre, contrairement au charbon et aux hydrocarbures.

A cet égard, je me félicite que dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre ait indiqué qu'il était de notre responsabilité d'assurer l'avenir de la filière nucléaire. Et cette position n'est due ni à l'emprise du lobby nucléaire - comme disent certains -, ni à une quelconque anticipation de l'évolution du statut d'EDF et de GDF !

La France doit opter pour le réacteur à eau pressurisée, tant sa technologie est supérieure aux autres programmes. Mais, bien entendu, certains affirment qu'il faut attendre la prochaine génération, comme si après avoir paralysé tant d'autres domaines essentiels, l'immobilisme devait aussi prévaloir en matière d'énergie ! Compte tenu du vieillissement de notre parc nucléaire, l'immobilisme serait irresponsable, même s'il reste des incertitudes quant à la disponibilité technique d'un réacteur de la quatrième génération. Sans l'exploitation de l'EPR, qui devient urgente, il y aurait un trou d'une quinzaine d'années entre l'arrêt des premières installations et la mise en service des générateurs de la dernière génération.

Permettez-moi pour conclure de vous exposer les atouts du site de Penly pour accueillir le réacteur-démonstrateur EPR. Atout géographique, du fait de la situation en bord de mer ; atout technique, grâce au bon état opérationnel des lignes de transport ; atout politique, enfin, tous les élus locaux plaidant pour une extension du site.

Nous sommes prêts à recevoir l'EPR ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Bernard Carayon - Nos travaux s'inscrivent dans le débat national voulu par le Président de la République il y a plus d'un an. Il va nous conduire à faire des choix et à définir la politique énergétique de la France pour plusieurs décennies. De telles décisions ne sont pas neutres, car le marché de l'énergie n'est pas un marché concurrentiel où prévaudraient les critères classiques de prix et de qualité des services. C'est depuis toujours un marché stratégique, la maîtrise des sources d'énergie et des modes de transport conditionnent la puissance des Etats. Les guerres ouvertes entre eux - les guerres du Golfe -, les contentieux comme les conflits opposant les Etats du Caucase, ou les guerres économiques larvées telles que celle menée par les Etats-Unis contre le protocole de Kyoto donnent à ce secteur d'activité une nature radicalement différente.

L'organisation du marché de l'énergie se pose ainsi autant en termes de sécurité économique que de conquête de marchés ou de compétitivité globale de l'économie nationale. Nos champions internationaux que sont Areva, EDF-GDF, ou Total participent de ce « périmètre stratégique » qui est au c_ur de la nouvelle politique publique d'intelligence économique que j'appelle de mes v_ux depuis plusieurs mois.

Le secteur énergétique est aussi un sujet stratégique pour la cohésion sociale. Il y a trente ans, les choix énergétiques de la France ont bénéficié d'un consensus politique et social. Cette « synthèse républicaine » unissant celles et ceux qui avaient d'abord à c_ur de défendre l'intérêt national a permis à la France d'assurer son indépendance énergétique, de bâtir une grande filière industrielle nucléaire et d'assurer un service public de qualité, le seul où un « service garanti » en cas de conflit social a pu être mis en _uvre.

Or, en juillet prochain, l'ouverture du marché européen de l'énergie est un formidable défi. Aussi me semble-t-il essentiel d'entendre ce que nous disent les acteurs quotidiens de notre secteur énergétique, pour mieux les associer à cette étape capitale. Ce dialogue social, c'est, Monsieur le ministre, ce que vous venez de relancer et je tiens à le saluer.

Dessiner l'avenir de nos opérateurs locaux et nationaux, c'est savoir s'adapter. Pour imaginer l'avenir de nos opérateurs énergétiques, il faut regarder sans a priori l'évolution de la demande en énergie. Elle ne porte plus uniquement sur la fourniture d'une quantité d'énergie, mais également sur la fourniture simultanée de différentes énergies - gaz et électricité -, sur les services entourant la mise à disposition de la ressource et sur la capacité du fournisseur à accompagner son client dans ses différentes implantations. Ainsi, pour rester compétitif, il est désormais nécessaire de fournir à la fois de l'électricité et du gaz et de proposer aux clients un savoir-faire « cumulatif ».

Cette évolution, je la mesure particulièrement en tant que maire, président d'une entreprise locale de distribution d'énergie et de l'association nationale des régies, lesquelles fournissent 5 % des consommateurs français. En effet, pour mieux répondre à la demande de nos administrés, certaines ELD proposent depuis plusieurs années à leurs clients plusieurs sources d'énergie. Cette mixité de l'offre, cette capacité à s'adapter à la demande que nous avons su développer localement contribuent aujourd'hui à la réussite de ces entreprises locales, dont la gestion financière reste exemplaire.

Je ne sais si l'on peut s'inspirer valablement de cette singularité pour adapter notre outil industriel énergétique. Je suis sûr en revanche que, dans un contexte concurrentiel nouveau pour les gaziers et les électriciens, les personnels de nos deux champions internationaux doivent être à la fois associés à la définition des enjeux et mobilisés dans la conquête des marchés. C'est à ce prix que le défi des nouvelles concurrences sera relevé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet - Je salue à mon tour l'initiative prise par le Gouvernement d'organiser ce débat. La politique de l'énergie touche tout à la fois la vie quotidienne des Français et l'indépendance du pays. Elle intéresse des enjeux tant écologiques qu'économiques et doit faire l'objet d'une délibération publique visant à dégager un consensus. Et ce n'est pas le moindre mérite de cette majorité que de provoquer un tel débat, alors que la majorité précédente, surtout soucieuse de masquer ses dissensions internes, avait éludé des enjeux essentiels, nié l'urgence et organisé l'atonie (Murmures sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Brottes - Et où en est la charte de l'environnement ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet - L'urgence existait pourtant et elle demeure aujourd'hui. Urgence industrielle, d'abord, tant il est essentiel de conforter l'avenir des deux entreprises de premier plan que nous avons la chance de détenir, EDF et GDF. Urgence dans un monde et une Europe qui bougent et où l'adaptation doit être permanente. Urgence écologique, enfin, tant nous devons aux générations futures de relever le défi de l'effet de serre.

Nous devons en premier lieu nous attacher à mieux maîtriser l'énergie et il ne faut pas voir dans cette exhortation un rappel obligé : le kW/h le moins polluant, c'est celui qu'on ne consomme pas ! Dans les années 1970, la France « n'avait pas de pétrole mais elle avait des idées », et elle a été pionnière dans la lutte contre le gaspillage de l'énergie. N'avons-nous pas perdu de vue cette priorité ?

Souvenons-nous, pour la remettre à l'ordre du jour, qu'en matière de maîtrise de l'énergie, il ne suffit pas qu'un investissement soit rentable pour qu'il soit réalisé. Un facteur déclenchant est souvent nécessaire et c'est tout le rôle de l'ADEME. Voyez l'exemple de l'habitat : les consommations y sont en constante augmentation. Or, les premières réglementations énergétiques datent de 1975 ! La consommation d'électricité moyenne est supérieure à 300 kW/h par m2 et par an dans les habitations construites avant cette date, alors qu'elle tombe à une centaine de kW/h dans les logements plus récents. En Allemagne, la réglementation impose 75 kWh par m2 par an. Les investissements de réhabilitation énergétique des logements anciens sont rentables dès la première année, pourvu que le remboursement soit correctement étalé dans le temps ; des prêts bonifiés pourraient y aider, de même que la possibilité, à l'achat, de s'endetter un peu plus pour financer des investissements qui, en réduisant la facture énergétique, améliorent dès la première année la capacité de remboursement. Cela permettrait en outre de créer des emplois dans le secteur du bâtiment.

Maîtrise de l'énergie, donc, mais aussi diversification de l'offre : nous sommes fort heureusement sortis des débats stériles du type « écologie ou progrès », « nucléaire ou énergies renouvelables », et nous devons avoir en la matière une approche pragmatique. Beaucoup a déjà été dit sur le sujet. Il nous faudra aussi tirer les enseignements des trois appels d'offres qui ont été lancés, deux sur l'éolien, un sur la biomasse, et ne pas oublier le solaire thermique, qui mériterait un développement rapide dans les applications qui sont les siennes et dans les régions les plus favorables. D'une manière générale, en matière d'énergies renouvelables, la règle devrait être la production décentralisée, de petite ou de moyenne capacité, selon le principe « à chaque usage son énergie ».

Enfin, il ne serait pas raisonnable de renoncer à l'énergie nucléaire, étant donné son intérêt stratégique pour notre indépendance nationale, le fait qu'elle ne produit pas de gaz à effet de serre et son avantage économique. Les centrales nucléaires produisent une électricité 10 à 30 % moins chère que les autres types de centrales : c'est la compensation de l'effort consenti par la nation. Nous devons faire en sorte que ces avantages ne soient pas perdus dans le cadre d'un grand marché à prix unique. La « prime » dont nous disposons doit être utilisée, tout d'abord, pour financer les recherches sur les réacteurs de quatrième génération, qui constituent l'horizon écologique du nucléaire, celui du réacteur sans déchet. L'EPR n'en est pas moins une nécessité pour gérer la période de transition. D'autre part, l'avantage économique du nucléaire doit se traduire dans la compétitivité de notre économie : la visibilité à moyen et long terme du prix de l'électricité peut être un avantage concurrentiel de taille, déterminant pour la localisation des entreprises.

La charte constitutionnelle de l'environnement dont nous débattrons prochainement va répondre comme en écho à plusieurs des questions que j'ai soulevées. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité initier un cycle de rencontres intitulé « les travaux pratiques de la charte de l'environnement », appliqués cette année à l'énergie, occasion pour des professionnels, des élus et des acteurs de la société civile de dialoguer sur ces sujets (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Frédéric Reiss - Voilà plus de six heures que nous débattons sur l'énergie, sujet qui est évidemment de première importance, au-delà de nos frontières hexagonales.

Comment freiner la consommation mondiale ? Tous les intervenants ont exposé les aspects auxquels ils étaient le plus sensibles, dans le cadre d'un développement durable. Le collectif des anti-nucléaire souhaite le remplacement de l'énergie nucléaire par des énergies renouvelables, mais il faut se rendre à l'évidence : il n'y a pas aujourd'hui de solution satisfaisante sur les plans économique et environnemental sans recours au nucléaire.

Par ailleurs, si l'alternance peut parfois être salutaire en politique, dans le domaine de l'énergie notre pays a besoin d'une ligne directrice : c'est pourquoi le Gouvernement nous propose courageusement une vision à long terme.

Je partage la volonté de développer les biocarburants, le bois énergie, l'énergie éolienne ou l'énergie solaire, tout en continuant à utiliser au mieux l'énergie hydraulique. Mais je voudrais ici me borner à évoquer une expérience concernant ma circonscription. En Alsace, nous étions les premiers en 1977 avec la centrale nucléaire de Fessenheim ; pourquoi ne serions-nous pas les premiers dans le domaine de la géothermie sèche profonde ?

A Soultz-sous-Forêts dans le Bas-Rhin, une expérience pionnière d'exploitation de la chaleur provenant des roches souterraines pourrait se révéler déterminante pour l'avenir. A 40 km sous terre, on a une température de 1 000°C : c'est un stock d'énergie inépuisable ! Le tout est de trouver une méthode pour la récupérer et produire de l'électricité. Les coûts de production sont encore trop élevés, mais des progrès techniques devraient permettre de les réduire.

La structure géologique de la plaine d'Alsace est très favorable, mais d'autres régions d'Europe pourraient également convenir à ce type de production.

Dès 1997, deux puits creusés à 450 mètres l'un de l'autre, l'un pour l'injection, l'autre pour le pompage, ont permis de réaliser une boucle de circulation d'eau à une profondeur de 3 000 mètres. La température de l'eau récupérée était de 140°C. En 1999, un forage à 5 084 mètres de profondeur a permis d'atteindre des formations de roches ayant une température supérieure à 200 °C. Devant le succès indéniable, les sceptiques se sont tus...

Un groupement européen d'intérêt économique a été constitué notamment avec EDF et électricité de Strasbourg pour financer 20 % du projet, le reste provenant de fonds publics français, allemands et européens. L'objectif est de développer une centrale de 6 mégawatts. L'avenir paraît très prometteur : l'extrapolation des succès déjà acquis permet d'envisager d'alimenter toute la région Alsace. Pour l'heure, l'objectif est de fiabiliser les nouvelles techniques d'injection et de pompage. L'étape suivante serait la réalisation d'un prototype quasi industriel de 25 mégawatts comportant neuf puits, trois pour les injections et six pour les pompages.

C'est un projet écologique à 100 %. En outre, à la différence des éoliennes ou du solaire, dont le rendement dépend des caprices météorologiques, l'énergie géothermique est concentrée, puissante et continue.

Permettez-moi de souligner combien l'engagement volontariste des régions en matière de politique énergétique peut être déterminant. La région Alsace soutient non seulement le développement du bois énergie, mais aussi celui de l'énergie solaire, pour limiter la pollution atmosphérique, pour diversifier les activités des professionnels du bâtiment et pour combler le retard par rapport à d'autres régions européennes. Avec l'aide de l'ADEME et avec l'installation de 1 000 capteurs solaires par an, elle est exemplaire en matière d'énergies renouvelables. Je crois aussi à la multiplicité des initiatives pour économiser l'énergie domestique en responsabilisant les consommateurs, mais n'oublions pas que la meilleure énergie est celle qu'on ne consomme pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Le débat est clos.

M. le ministre délégué - Ce débat a été d'un niveau élevé. Chacun a su s'abstraire le plus possible des choix partisans pour s'élever à des considérations d'intérêt national et à une vision à long terme qui honore le Parlement.

Sur la question de la filière nucléaire et de l'EPR, un relatif consensus s'est dégagé, en dehors de M. Cochet, dont je salue le courage puisqu'il a su défendre avec force un point de vue original, de nature à nous faire réfléchir.

La volonté est également très largement partagée de voir garantir l'indépendance énergétique de notre pays, de protéger l'environnement et de lutter contre l'effet de serre, enfin d'assurer la compétitivité du prix de l'énergie et l'accès de tous à l'énergie. Les nuances qui, bien sûr, existent, ont été exprimées avec le sens des responsabilités.

La question du statut d'EDF est sans doute celle qui a le plus fait débat. Monsieur Paul, si nous pouvons nous accorder en ce qui concerne la maîtrise de l'énergie, le développement du rail ou la nécessité d'une politique énergétique européenne, je ne saurais certes vous suivre et accepter le statu quo, à EDF comme à GDF. Le marché domestique de ces deux entreprises n'est pas la France, mais bien l'Europe : c'est là qu'elles ont des chances de trouver les marchés nouveaux qui leur permettront de créer des emplois. Il n'est en tout cas pas question de sacrifier le long terme : je le répète, le Gouvernement entend que toutes deux restent des entreprises publiques.

Il n'est donc pas exact que nous souhaitions privatiser, Monsieur Gaubert. Selon vous, ni la directive, ni M. Monti ne nous feraient obligation de changer le statut. Je veux donc mettre les choses au point : M. Monti a dit, et même écrit, que la question de la propriété de l'entreprise ne faisait en rien problème et, de fait, comme je viens le dire, EDF restera dans le secteur public. Nous sommes mêmes prêts à inscrire des garanties en ce sens dans la loi. En revanche, le commissaire et, plus largement, la Commission ont jugé qu'EDF ne devait plus bénéficier d'avantages concurrentiels tels que ceux que lui assure son statut d'établissement public. Nous sommes donc obligés de faire évoluer ce statut et la décision italienne de retirer à l'entreprise ses droits de vote ne peut que confirmer notre analyse. Il faut savoir aussi que les autres gouvernements européens comprennent mal qu'EDF puisse prendre des participations dans leurs entreprises nationales, mais que la réciproque soit exclue ! Or, si nous voulons donner toutes ses chances à l'entreprise, il faut lui permettre de nouer des alliances...

Le débat n'est donc pas entre socialistes et libéraux, mais plutôt entre immobilistes et modernistes (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Et, MM. Strauss-Kahn et Fabius s'étant prononcés pour l'ouverture du capital, je me sens autorisé à conclure qu'on peut être moderniste à gauche ! (Sourires)

M. Gonnot a raison de souligner que le développement des énergies renouvelables favorisera l'émergence de nouvelles technologies. Dans ce secteur, Monsieur Tourtelier, la France n'a pas pris le retard que vous dénoncez : nous sommes premiers pour le bois, deuxièmes pour les biocarburants, troisièmes pour la petite hydraulique, la géothermie et les biogaz, et quatrièmes pour le solaire thermique. Il est vrai que notre position est bien moins bonne pour l'éolien, mais à qui la faute ? Après cinq ans de socialisme, nous n'avons trouvé à notre arrivée moins de cent mégawatts installés. Mais nous avons lancé un appel d'offres pour permettre le développement de 1 000 mégawatts d'ici deux ans. Actuellement, la progression est de l'ordre de 70 % par an...

M. Demilly a défendu avec enthousiasme les biocarburants. De fait, notre pays a été un précurseur dans ce domaine et il est maintenant le second producteur, avec 52 000 tonnes, soit un peu plus de 1 % de la consommation. On doit ce succès à la défiscalisation, confirmée dans la dernière loi de finances mais qui a un coût : 180 millions d'euros par an. Le coût de revient, hors taxe, est ainsi double de celui du pétrole. Dès lors, il est clair que le rythme de ce développement, auquel nous sommes favorables, doit dépendre des gains de productivité possibles.

Quant au développement de l'éolien, il est vrai, Monsieur Nicolas, qu'il se heurte souvent aux fortes réserves des élus locaux. En outre, cette forme d'énergie revient de trois à quatre fois plus cher que l'énergie nucléaire - et l'écart ne peut que s'accroître si l'on constitue des parcs off-shore.

M. Cochet nous a expliqué que le nucléaire était une fausse garantie d'indépendance parce qu'il faut importer l'uranium comme on importe le pétrole. Ce n'est tout de même pas la même chose qu'importer de l'uranium du Canada ou de l'Australie et importer du pétrole du Moyen-Orient ! Il y a aussi une différence entre la filière gaz, où le prix de l'électricité produite augmente de 50 % lorsque le prix du pétrole double, et la filière nucléaire, où il n'augmente que de 2 % lorsque le prix de l'uranium double. Enfin, s'agissant du nucléaire, nous avons plus de dix ans de stock alors que nos réserves de gaz ne permettent de tenir que moins de soixante jours. On ne peut donc raisonnablement soutenir que le nucléaire nous rende aussi dépendants que le pétrole.

Quant à la compétitivité du nucléaire, je crois qu'il n'est pas de meilleurs juges que des industriels libres et indépendants. Or les papetiers finlandais ont fait le choix de cette électricité au prix à la fois peu élevé et stable.

Au défenseur farouche des énergies renouvelables qu'est M. Cochet, je rappelle que nous projetons de nous doter de 10 000 mégawatts d'éolien avant 2010, ce qui représente dix milliards d'investissements aidés - plus de 800 millions d'euros par an quand on en sera à 10 000 mégawatts -, et de 1 600 mégawatts de nucléaire pour 2012, soit, cette fois, 3 milliards d'euros d'investissements financés exclusivement par les industriels - EDF en l'occurrence. Ces chiffres montrent, me semble-t-il, où vont nos priorités !

Je reconnais en revanche qu'un effort de recherche s'impose, s'agissant du nucléaire, particulièrement pour le traitement des déchets et pour le démantèlement des centrales. Mme Kosciusko-Morizet, qui a bien voulu, elle, ne pas offrir le site de Longjumeau pour l'EPR (Sourires), a donc eu raison d'insister sur ce point, d'autant que la transition sera particulièrement longue à la génération IV de ce réacteur.

Sur la durée de vie des centrales, M. Dosé s'est interrogé sur le prolongement de trente à quarante ans de l'amortissement comptable. Il ne faut pas confondre la sûreté nucléaire, qui relève de l'autorité compétente, et la comptabilité, qui doit donner une image fidèle des immobilisations. Un amortissement à trente ans est-il sincère ? Si oui, il est urgent de construire l'EPR. Sinon, le Gouvernement aura du mal à remplacer Fessenheim en 2007. Mais c'est un autre débat.

M. Reiss a eu raison de souligner le rôle des régions, qu'il s'agisse des énergies renouvelables ou des économies d'énergie. Pour modifier les comportements individuels, les élus locaux ont un important travail pédagogique à faire.

Le Gouvernement vient de publier le bilan énergétique de la France. Pour la première fois, la consommation d'énergie liée à la circulation automobile a baissé. Les Français ont en effet accepté une politique de limitation de vitesse qui, voulue pour des raisons de sécurité, a aussi des effets en matière énergétique.

Ce débat de qualité mérite d'être prolongé par l'examen, prochainement, du projet de loi d'orientation. Je souhaite qu'il ait lieu dans le même climat de responsabilité. Les questions énergétiques dépassent les clivages politiques : il s'agit de l'avenir du pays pour de longues années et l'Assemblée a montré un grand sens des responsabilités (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme la Présidente - Le débat est clos.

RÉUNION D'UNE CMP

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant qu'il a décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au divorce.

SUSPENSION DES TRAVAUX DE L'ASSEMBLÉE

Mme la Présidente - Je vous rappelle que, sur proposition de la Conférence des présidents, l'Assemblée a décidé, en application de l'article 28, alinéa 2, de la Constitution, de suspendre ses travaux pour la semaine à venir.

En conséquence, et sauf séance supplémentaire décidée en application de l'article 28, alinéa 3, de la Constitution, la prochaine séance de l'Assemblée aura lieu le mardi 27 avril 2004, à 9 heures 30.

La séance est levée à 21 heures 40.

                Le Directeur du service
                des comptes rendus analytiques,

                François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU MARDI 27 AVRIL 2004

A NEUF HEURES TRENTE : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions orales sans débat.

2. Fixation de l'ordre du jour.

A QUINZE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Éloge funèbre de Claude Girard.

3. Suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi (n° 1364) relatif à la politique de santé publique.

M. Jean-Michel DUBERNARD, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

(Rapport n° 1473.)

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 3ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


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