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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 81ème jour de séance, 203ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 28 AVRIL 2004

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

SOUHAITS DE BIENVENUE
À DEUX DÉLÉGATIONS PARLEMENTAIRES 2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

ASSURANCE CHÔMAGE 2

CROISSANCE ET ATTRACTIVITÉ 3

LAÏCITÉ 4

POLITIQUE INDUSTRIELLE 5

LUTTE CONTRE LA CONTREFAÇON 6

PLAN DE COHÉSION SOCIALE 6

SITUATION AU SOUDAN 7

LOI PROGRAMME POUR L'OUTRE-MER 8

REDEVANCE ARCHÉOLOGIQUE 8

DÉPLACEMENT AUX ÉTATS-UNIS DU MINISTRE
DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES
ET DE L'INDUSTRIE 9

DÉMOGRAPHIE MÉDICALE 10

RAPPEL AU RÈGLEMENT 11

RÉPARTITION DES SIÈGES
DE SÉNATEURS 12

EXPLICATIONS DE VOTE 18

La séance est ouverte à quinze heures.

SOUHAITS DE BIENVENUE À DEUX DÉLÉGATIONS PARLEMENTAIRES

M. le Président - Je suis heureux de souhaiter la bienvenue à une délégation parlementaire conduite par M. Andreas Khol, Président du Conseil national de la République d'Autriche (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent).

Je suis également heureux de souhaiter la bienvenue à une délégation parlementaire conduite par M. Olivier Kamitatu, Président de l'Assemblée nationale de la République démocratique du Congo (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent).

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

ASSURANCE CHÔMAGE

M. Daniel Paul - Monsieur le Premier ministre, après les urnes, les tribunaux ont sanctionné votre mauvaise politique. Ils ont sanctionné la convention Unedic qui privait de leurs droits près de 850 000 « recalculés ». Il est urgent de mettre en _uvre une nouvelle assurance chômage.

Les raisons du déficit sont connues. Les chômeurs n'abusent pas d'un droit, mais les entreprises usent et abusent de la flexibilité comme de la précarité du travail. Et le Gouvernement conforte cette situation en rejetant notre proposition de loi contre la précarité de l'emploi, et en participant au démantèlement du code du travail.

Monsieur le Premier ministre, quel parti allez-vous prendre ? Allez-vous soutenir les organisations syndicales qui font des propositions progressistes de financement ? Il s'agit par exemple de taxer les entreprises qui abusent de l'emploi précaire, de créer une contribution sociale sur les revenus financiers des grands groupes, ou de réformer l'assiette des cotisations pour maintenir la durée d'indemnisation et la non-dégressivité. Les mannes financières des grandes entreprises le permettent : n'a-t-on pas vu que Sanofi pouvait mettre sur la table 55 milliards d'euros pour une opération purement financière ? Il y a bien dans ce pays des trésors de guerre, des cagnottes, qui ne servent pas l'emploi mais le portefeuille des actionnaires. Ou bien allez-vous faciliter l'offensive du patronat, qui veut toujours réduire l'indemnisation et refuse de renégocier ? Peut-être supprimerez-vous un nouveau jour férié pour voler au secours du Medef ? Céderez-vous aux sirènes qui parlent de dégressivité des indemnités, ou de faire payer plus les salariés et les retraités ? Allez-vous assumer l'agrément que vous avez accordé ? Pour réparer votre injustice, allez-vous explorer avec les organisations syndicales les nouvelles pistes de financement de l'Unedic, en demandant l'ouverture de nouvelles négociations ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail - Comme vous, comme l'ensemble des parlementaires, le Gouvernement suit attentivement le dossier de la convention Unedic, et à travers lui l'avenir de l'assurance chômage. Avec M. Borloo, nous sommes en liaison étroite avec les gestionnaires de l'Unedic et tous les partenaires sociaux. Nous sommes attentifs à leurs propositions et au dialogue qu'ils ont engagé. Nous savons qu'ils recherchent une solution équilibrée, et nous sommes convaincus qu'ils peuvent aboutir dans les jours qui viennent. Si par extraordinaire il n'y avait pas d'accord, le Gouvernement prendrait alors toutes ses responsabilités (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

CROISSANCE ET ATTRACTIVITÉ

M. Jérôme Chartier - Les derniers chiffres le montrent, Monsieur le Premier ministre : l'économie française a commencé à retrouver le chemin de la croissance. Mais ce léger mieux, nous devons le consolider, et faire qu'il profite à tous les Français. Or ceux-ci s'inquiètent des délocalisations, et des pertes d'emploi et de savoir-faire qu'elles entraînent. Ils voient aussi des entreprises étrangères qui rechignent à s'installer en France. Ils sont traumatisés par des cas douloureux de fermetures et de délocalisations, qui représenteraient 10 % des investissements français directs à l'étranger, soit près de 300 millions pour la période 1998-2002. Nos compatriotes s'inquiètent aussi des délocalisations à venir. Ils ont ainsi appris qu'un grand groupe industriel incitait ses sous-traitants à délocaliser, et que d'autres prendraient le même chemin. L'accélération de cette dynamique est notoire, et les Français sont conscients des risques qu'elle comporte.

Dans un environnement dynamique et concurrentiel, la réponse à ces défis n'est pas le repli sur soi, mais la valorisation des atouts de notre pays, en particulier la formation de ses hommes et de ses femmes, son potentiel de recherche et d'innovation et la qualité de ses services publics. Vous avez formé un groupe de travail sur l'attractivité. Comment peut-on transformer ce début de reprise en croissance durable, et surtout faire qu'elle profite à l'emploi de tous les Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - Vous avez raison : la croissance en France est aujourd'hui plus forte que dans l'ensemble de la zone euro. L'INSEE vient d'ailleurs de réévaluer à 0,5 % la croissance de 2003 (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). Sachons accueillir les bonnes nouvelles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Comment accompagner durablement cette reprise ? D'abord, le ministre d'Etat l'a dit, par la maîtrise des dépenses publiques et des déficits : pas de croissance sans bonne gestion. Ensuite, nous voulons accompagner l'activité, comme nous le faisons actuellement en battant les records de créations d'entreprises (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Nous soutenons également la consommation : ainsi nous augmenterons à nouveau le SMIC au 1er juillet, contre l'avis de nos opposants, pour que les plus modestes voient leur pouvoir d'achat renforcé et participent à la croissance (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Nous voulons développer l'attractivité par des logiques industrielles. J'ai réuni vingt-et-un grands groupes industriels qui travaillent dans notre pays et quatre ont créé 30 000 emplois en 2003. Ces industriels sont intéressés par le nouveau volontarisme dont fait preuve la France en matière de développement industriel. La France qui a fait le choix du nucléaire avec EPR et ITER, de la santé avec Sanofi et Aventis, de l'aéronautique avec EAOS, du transport avec Alstom, cette France-là a une ambition industrielle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Nous entendons en convaincre nos partenaires.

Nous poursuivrons dans cette voie avec une vraie stratégie économique et industrielle. Certes, l'image de la France a longtemps été cassée par nos prédécesseurs (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Ils ont fait croire à l'étranger que notre pays n'aimait pas le travail, qu'il ne pouvait se définir que par les 35 heures, qu'il choisissait la logique des loisirs (Mêmes mouvements). La preuve, c'est qu'après cinq ans de socialisme la croissance s'est effondrée, et qu'après dix-huit mois de notre action elle est retrouvée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Je vous en prie ! Votre bilan ne vous autorise pas une telle arrogance ! (Mêmes mouvements)

Notre pays, attaché à la cohésion sociale, au lien social, doit pouvoir faire face aux défis.

Plusieurs députés socialistes - Au Sénat ! Au Sénat !

M. le Premier ministre - Quelle image médiocre vous donnez de la démocratie ! Mais je vous remercie de vous montrer tels que vous êtes, et de révéler votre esprit sectaire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Nous avons des projets sociaux importants, pour les personnes âgées et les personnes dépendantes notamment. Il nous faut des avancées sociales, mais elles ne seront possibles que grâce à des heures de travail supplémentaires, et non par l'impôt (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP). Faire appel à l'impôt priverait notre pays de la croissance. Je vous demande de choisir le progrès social, mais financé par le travail : c'est ce qui est au c_ur de l'attente des Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF ; les députés du groupe UMP se lèvent et applaudissent ).

LAÏCITÉ

M. Jean Glavany - Nous sommes ici, Monsieur le Premier ministre, dans le cadre d'un échange républicain qui doit être courtois, et j'entends m'y tenir. Plutôt que de présenter la gauche comme le parti de l'étranger, ou le parti de la paresse, vous devriez écouter le message des Français, qui ont, il y a peu, me semble-t-il, condamné sans ambiguïté les discours caricaturaux. Pour ce qui est des taux de croissance respectifs sous le gouvernement Jospin et sous vos gouvernements successifs, un collège indépendant ferait aisément justice de toutes vos accusations ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

J'en viens à ma question. Nous avons adopté ici même le 10 février dernier, à une très large majorité, au terme d'un long et riche débat auquel les socialistes ont participé de manière constructive, la loi relative au principe de laïcité dans les établissements scolaires, qui doit entrer en application à la rentrée prochaine. Cette loi, destinée à protéger certaines jeunes filles, répondait au souhait unanime de la communauté éducative de pouvoir s'appuyer sur une règle simple et claire. Or, un projet de circulaire assez ahurissant a été diffusé, qui, d'emblée, a fait l'unanimité contre lui. Si nous avons bien compris, une jeune fille portant un bandana devra l'enlever si elle le porte à titre religieux mais sera autorisée à le garder dans le cas contraire !

N'aurait-il pas été plus simple d'adopter l'amendement proposé par les socialistes, conforme aux conclusions unanimes de la mission d'information, et visant à interdire le port de « tout signe religieux visible », ce qui évitait tout problème d'interprétation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Enfin, pour que cette circulaire ne trahisse pas la volonté du législateur, ne serait-il pas sage d'associer celui-ci à sa rédaction, comme les socialistes le demandent depuis plusieurs semaines et comme vient de le demander le Président de l'Assemblée nationale lui-même ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche - L'école de la République ne doit pas être à la merci des querelles religieuses ou ethniques. La liberté des femmes comme l'égalité des enfants sur notre territoire ne se négocient pas. C'est dans cet esprit que le Parlement a voté, de manière quasi-consensuelle, la loi du 15 mars 2004 qui interdit le port de signes religieux ostensibles dans les établissements scolaires, instaure une procédure de dialogue avant toute sanction et prévoit une évaluation du dispositif au bout d'un an. La circulaire d'application est en cours de discussion. Je reçois en ce moment même tous les acteurs concernés, au premier rang desquels les représentants des chefs d'établissement. Je suis à la totale disposition du Parlement, en particulier du Président de l'Assemblée, pour en examiner le texte avec l'ensemble des groupes parlementaires.

Entre ceux qui nous reprochent de réglementer trop strictement et ceux qui nous reprochent de ne pas assez réglementer, il faut trouver un équilibre en se gardant de tout angélisme comme de tout arbitraire.

Plusieurs députés socialistes - La loi !

M. le Ministre - La loi, en effet, rien que la loi. Celle-ci interdit le port du voile sous toutes ses formes, de la kippa, des croix de grande dimension...

Plusieurs députés socialistes - Quelle dimension ?

M. le Ministre - Cette règle simple et claire s'appliquera partout de la même façon. Pour autant, cette fermeté sur l'essentiel doit aller de pair avec le pragmatisme. Il faut laisser aux acteurs de terrain une part de responsabilité pour faire respecter la règle commune, évaluer et sanctionner ses éventuels contournements. La loi du 15 mars 2004 ne nous donne pas mandat pour enrégimenter nos milliers d'établissements scolaires ni ordonner leur tenue vestimentaire à nos millions d'élèves. Mon devoir est de faire respecter les principes de la République, au premier rang desquels celui de laïcité. Sur ce point, l'Assemblée peut compter sur ma détermination (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

POLITIQUE INDUSTRIELLE

M. Gilbert Gantier - Ma question s'adresse au ministre d'Etat en sa qualité de ministre de l'industrie. En réponse à l'un de nos collègues qui l'interrogeait hier sur la fusion Sanofi-Aventis, il a répondu qu'il s'agissait d'une « très bonne nouvelle », puisque va naître de cette fusion un « champion » français, européen et mondial. L'UDF souhaite elle aussi une politique industrielle volontariste, concourant à la croissance de notre économie comme au développement de l'emploi et de la recherche. Pour lutter contre ce que l'on appelle parfois le déclin de la France, il nous faut en effet des champions comme Total, quatrième entreprise pétrolière mondiale, notre industrie automobile, notre industrie nucléaire, l'une des plus performantes au monde, comme Air France qui vient de s'allier avec KLM, comme Airbus... A cet égard, nous tenons beaucoup à Alstom, constructeur du TGV mais aussi du Queen Mary II, plus grand paquebot jamais construit au monde. Comment concilier une politique industrielle volontariste avec les convoitises que suscitent parfois à l'étranger quelques-unes de nos plus belles pépites industrielles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Bien que la France ait perdu environ un million d'emplois industriels depuis vingt ans, elle demeure la cinquième puissance industrielle du monde. Nous avons identifié trois menaces. Tout d'abord, notre pays ne dépose pas assez de brevets par rapport à ses partenaires européens, 6 % contre 18 % pour l'Allemagne par exemple. C'est ce qui a conduit le Gouvernement à soutenir une grande politique de recherche (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Ensuite, les centres de décision quittent notre pays. C'est pourquoi le Gouvernement s'est battu pour que Sanofi et Aventis parviennent à un accord, dont la première conséquence sera que le centre de décision demeure en France. Enfin, dans la mesure où les coûts salariaux ont augmenté dans notre pays de 4 % depuis 1998 contre 2 % seulement en Allemagne, de par la faute de nos prédécesseurs... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Je comprends que cela vous gêne que je le rappelle, mais la France a perdu en compétitivité ces dernières années. Il nous faut donc poursuivre la baisse des charges pour que continuent de se créer des emplois dans notre pays (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). La meilleure politique sociale, c'est la création d'emplois, pas des promesses inconsidérées.

S'agissant d'Alstom, question essentielle et difficile... (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Si elle avait été résolue par nos prédécesseurs, nous n'aurions pas à la régler aujourd'hui !

Enfin, autant on peut comprendre qu'une entreprise délocalise pour gagner des parts de marché, autant ce n'est pas acceptable quand il s'agit seulement de dumping social, au prix d'emplois détruits en France. Notre politique en ce domaine ne sera pas d'interdire mais d'encourager et de récompenser les entreprises qui développent l'emploi dans notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

LUTTE CONTRE LA CONTREFAÇON

M. Alain Venot - Monsieur le ministre délégué à l'industrie, je sais combien vous êtes déterminé à lutter contre la contrefaçon qui s'est beaucoup développée ces vingt dernières années et qui, au début limitée aux produits de luxe, touche désormais un nombre croissant de secteurs. Ce fléau aggrave les délocalisations et détruit quelque 30 000 emplois par an en France et plus de 200 000 en Europe. Il convient donc de mobiliser toutes les énergies pour endiguer le commerce des produits contrefaits. Le ministre des finances a réuni pour ce faire jeudi dernier à Bercy des représentants de l'ensemble des industries victimes de la contrefaçon, des organisations professionnelles et des administrations concernées. Quel a été le constat de cette table ronde ? Quels moyens les pouvoirs publics peuvent-ils mettre en _uvre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie - Sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy, nous avons en effet réuni la semaine dernière à Bercy... (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) La contrefaçon est un thème qui ne devrait pas prêter à polémique ni esprit partisan, car, comme l'a rappelé M. Venot, ce fléau coûte 30 000 emplois par an à notre pays et 200 000 à l'Union européenne.

Nous avons décidé de mettre en _uvre un plan énergique. Les douanes vont renforcer le contrôle du fret afin de démanteler les filières, souvent mafieuses, de contrefaçon, mais aussi le contrôle des consommateurs, tant il est vrai que sans acheteurs de produits contrefaits, il n'y aurait pas de contrefaçon. Des contrôles seront également effectués sur Internet où, par exemple, beaucoup de médicaments sont proposés à la vente qui ne répondent à aucune norme médicale. Il y va là non seulement de l'emploi dans notre pays mais de la vie même des utilisateurs de ces produits... Sur le plan judiciaire, la loi du 9 mars 2004 a déjà renforcé les sanctions à l'encontre des contrefacteurs. Nous souhaitons maintenant pouvoir accélérer les procédures. Nous incitons par ailleurs les entreprises à nouer des contacts avec nos administrations, tant en France qu'à l'étranger. Au-delà, une action internationale est nécessaire, auprès de l'Union européenne afin d'améliorer la directive concernée, auprès des pays d'origine des contrefaçons - je pense en particulier à l'Italie et à la Pologne. Nous pourrions par exemple échanger des douaniers avec eux afin de renforcer la répression. Ne doutez pas de la détermination du Gouvernement, car, on ne le dira jamais assez, la contrefaçon, c'est du vol (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

PLAN DE COHÉSION SOCIALE

M. Jean-Michel Ferrand - Le chômage est la principale préoccupation des Français et de la majorité. C'est aussi celle du Président de la République. Aussi le Gouvernement en a-t-il fait sa priorité (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste), comme en témoignent la simplification des créations d'entreprise, la mise en place du RMA, l'augmentation du RMI, les 100 000 contrats en entreprise pour les jeunes ou encore les mesures en faveur de l'égalité professionnelle entre hommes et femmes, de l'apprentissage et de la formation professionnelle. Hier, le Président de la République a réaffirmé avec force la priorité absolue donnée à la cohésion sociale, indiquant notamment que la future loi de mobilisation devra aller plus loin dans l'application du préambule de la Constitution de 1946 qui dispose que chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Il a souligné que les préfets devraient se mobiliser pour la mise en _uvre du plan de cohésion sociale que vous préparez, Monsieur le ministre de l'emploi. Pouvez-vous nous dire quels sont les objectifs que vous vous assignez ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale - Je vous remercie d'avoir rappelé ce qui a été enclenché par François Fillon et Renaud Dutreil.

Aux chômeurs indemnisés par l'Unedic, il faut ajouter 1,6 million de foyers français très loin de l'emploi et dans l'assistance. Malheureusement, dans ces cas-là, les handicaps se cumulent.

L'objet du plan de cohésion sociale est triple. Il s'agit d'abord de ramener dans la République l'ensemble de ces populations fragilisées, et ce par l'activité et par le logement...

Plusieurs députés socialistes - Sans argent ?

M. le Ministre - Il faut ensuite expliquer à nos autres compatriotes, qui s'inquiètent de cette insécurité sociale, que ce pays a un avenir social.

Enfin, il n'y a pas de développement économique possible si toute la nation ne se prépare pas à relever les défis actuels. Or, la courbe démographique fait que nous aurons besoin dans les années qui viennent de plus d'un million de Français prêts à l'activité.

Ce plan de cohésion sociale, c'est un plan social, humain, mais aussi de développement économique. Savez-vous que l'inquiétude se mesure au taux d'épargne ? Or, celui-ci se situe depuis assez longtemps autour de 18 %, alors qu'il fut un temps, en France, où il n'était que de 11 % ? Un point, c'est 15 milliards d'euros dans le circuit économique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

SITUATION AU SOUDAN

M. Paul Quilès - Dix mille morts, plus d'un million de personnes déplacées à la suite de pillages, d'incendies, de meurtres et de viols, des centaines de milliers de personnes menacées par la faim et par la mort : telle est la situation tragique de la région soudanaise du Darfour.

Ce véritable nettoyage ethnique a commencé il y a plus d'un an et la communauté internationale est au courant. L'ONU sait, mais ne fait rien. Pourtant, son secrétaire général, Kofi Annan, l'a exhortée à réagir rapidement et fermement, y compris par des mesures militaires. En vain. Quant à la commission des droits de l'homme de l'ONU, elle n'est même pas capable de condamner le Soudan. Il faut dire qu'elle comprend une majorité de pays eux-mêmes coupables de graves violations des droits de l'homme.

Le Soudan n'a pas de pétrole et ne représente pas un intérêt stratégique majeur pour les grandes puissances. Est-ce une raison pour l'abandonner à son triste sort ? Que peut donc faire l'Europe et que compte faire la France pour amener l'ONU à se ressaisir et à enfin intervenir ? Si rien n'est fait, ces crimes contre l'humanité vont se transformer en un véritable génocide et il ne servira à rien de faire acte de repentance dans quelques années (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe UMP).

Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes - Veuillez excuser Michel Barnier, actuellement en visite en Afrique.

La situation dans le Darfour nous préoccupe gravement, d'une part parce qu'il s'agit d'une terrible crise humanitaire, d'autre part parce qu'elle menace la stabilité de toute une région. C'est pourquoi M. de Villepin s'était rendu au Tchad et au Soudan en février dernier. Et la France a fortement soutenu, avec ses partenaires européens, la médiation du président Deby dans les pourparlers de paix qui ont abouti, le 8 avril dernier, à N'Djamena, à la conclusion d'un accord de cessez-le-feu humanitaire entre le gouvernement soudanais et les rebelles. Mais nous devons rester vigilants, car cet accord doit être confirmé sur le terrain.

Plusieurs missions humanitaires internationales se trouvent actuellement au Darfour. Il faut nous assurer qu'elles ont la possibilité de travailler.

La situation au Soudan a été évoquée à la commission des droits de l'homme de l'ONU et a donné lieu à une longue concertation entre l'Union européenne et le groupe africain, laquelle a permis un accord sur un mécanisme concret de surveillance de la situation des droits de l'homme. C'est un progrès, qui répond en partie aux préoccupations exprimées par le secrétaire général des Nations unies. La communauté internationale doit maintenant soutenir ce mécanisme de suivi du cessez-le feu, que l'Union africaine doit mettre en place, et bien sûr ne pas abandonner (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

LOI PROGRAMME POUR L'OUTRE-MER

M. Joël Beaugendre - L'Assemblée nationale a voté l'an dernier la loi programme pour l'outre-mer, qui a pour ambition de restaurer la dignité en luttant contre le chômage qui plombe notre économie. Là où certains ont créé des emplois précaires générant l'assistanat, nous voulons relever le défi de la responsabilité en favorisant la création de vrais emplois durables dans le secteur marchand. Là où certains avaient lesté le développement économique, nous entendons relancer l'investissement privé, que la gauche avait durablement compromis (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Et surtout, Madame la ministre, vous avez enfin donné un contenu concret au principe de continuité territoriale, jusque là ignoré par cette même gauche qui entend aujourd'hui en entraver la mise en _uvre ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Les parlementaires de la majorité ont voté la continuité territoriale entre l'outre-mer et l'hexagone. La gauche a tout fait pour la démantibuler, notamment en introduisant un recours devant le Conseil constitutionnel.

La loi programme pour l'outre-mer, qui pose des jalons sur quinze ans, est une loi de courage. Pouvez-vous nous indiquer quels en sont les effets d'ores et déjà perceptibles. Et nous dire aussi où en est la mise en _uvre de cette continuité territoriale qui renforce le lien entre les Français de là-bas et ceux d'ici bas ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer - Sur les cinq premiers mois d'application de cette loi, dont vous avez bien voulu rappeler l'ambition, c'est-à-dire entre fin septembre 2003 et fin février 2004, le chômage dans les quatre DOM a baissé de 5,4 %, ce qui correspond en rythme annuel à une baisse de 13 %. Sur cette même période, le chômage des jeunes a baissé de 20 %. Je précise que les emplois créés sont des emplois durables dans les entreprises et que nous n'avons bien sûr pas augmenté le volume des emplois aidés, précaires par nature.

Le nombre de projets d'investissements sur le 1er trimestre 2004 a doublé, sur l'ensemble de l'outre-mer, par rapport au 1er trimestre 2002 et 2003.

L'heure n'est évidemment pas à l'autosatisfaction, mais ces premiers résultats sont encourageants et je crois que chacun peut s'en réjouir en-dehors de toute polémique partisane, car la bataille pour l'emploi n'est ni de gauche, ni de droite. Si ces bons résultats se confirment, c'est la jeunesse d'outre-mer qui sera gagnante, une jeunesse à laquelle nous aurons montré que nous pouvons lui offrir autre chose que de faux emplois publics.

J'ajoute que ces créations d'emplois sur cinq mois nous ont permis de faire, dans un contexte budgétaire particulièrement difficile, une économie de l'ordre de 25 à 30 millions d'euros.

S'agissant de la dotation de continuité territoriale, mesure qu'aucun Gouvernement n'avait prévue jusqu'alors, j'espère que les présidents des régions d'outre-mer feront preuve de responsabilité et d'esprit non partisan et j'attends qu'ils m'adressent, très vite, leurs critères d'éligibilité (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Les collectivités françaises du Pacifique m'ont déjà répondu et les dotations sont en cours de versement (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). J'engage donc les quatre présidents des régions d'outre-mer à m'adresser leurs propositions (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

REDEVANCE ARCHÉOLOGIQUE

M. Philippe-Armand Martin - La loi du 17 janvier 2001 a instauré, dans un souci de sauvegarde du patrimoine, une redevance destinée à alimenter le Fonds national pour l'archéologie préventive. Le montant de cette redevance a été fixé à 0,32 € le mètre carré. Elle porte sur la totalité de la superficie dans laquelle s'inscrivent les projets d'aménagement. Or de nombreux projets s'inscrivent dans un espace très important, alors même que leur implantation foncière est réduite. Je pense par exemple à la réalisation de sites de loisir ou de sport.

Cette redevance archéologique risque donc de nuire à la réalisation de projets d'aménagements créateurs d'emplois. Dès à présent, elle met en difficulté des entreprises immobilières qui se sont engagées dans la réalisation de projets assis sur une grande superficie sans pour autant comprendre de grandes implantations foncières.

Ma question ne vise pas à remettre en cause la redevance archéologique, mais à engager un débat sur les assouplissements nécessaires de ses conditions d'exigibilité. Peut-on envisager des aménagements de son assiette, afin de permettre l'aboutissement de certains projets et d'assurer la pérennité des entreprises réalisatrices ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication - Ne pas pénaliser notre histoire tout en permettant la naissance dans chaque commune de nombreux projets : tel est le défi. L'objectif de la loi du 1er août 2003 était de préserver une discipline essentielle à notre mémoire et à notre fierté nationales. Elle avait fait l'objet d'une préparation et d'une concertation préalables dans le cadre des travaux de votre mission d'évaluation et de contrôle, coordonnés par mon collègue Laurent Hénart. L'impossibilité dans laquelle se trouvaient les communes de financer les fouilles d'archéologie préventive a conduit à créer un fonds de mutualisation, financé par la redevance générale d'archéologie prélevée sur l'ensemble des aménageurs, et non plus seulement ceux qui sont exposés à un « risque » archéologique. Ce principe est juste, mais l'assiette choisie a créé des situations de réelles injustices.

M. Michel Bouvard - Très bien.

M. le Ministre - Nous avons donc entrepris, avec mon collègue de l'équipement, une vérification au cas par cas des situations locales, afin d'examiner les aménagements possibles. Je rappelle néanmoins que la redevance ne concerne que des terrains d'une superficie égale ou supérieure à 3 000 mètres carrés et que, par ailleurs, les communes réalisant un lotissement ou une zone d'aménagement concerté peuvent bénéficier d'exonérations pour la construction de logements à usage locatif.

Je reste très attentif à ce dossier et serai, le cas échéant, amené à vous faire des propositions de correction (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

DÉPLACEMENT AUX ÉTATS-UNIS DU MINISTRE DE L'ÉCONOMIE,
DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

M. Philippe Martin - Ma question s'adresse à M. le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Mes chers collègues, lorsque le Président de la République a demandé au Parlement d'approuver la position française de fermeté et d'hostilité à la guerre en Irak, l'unanimité s'est faite dans notre assemblée et les députés socialistes y ont pris toute leur part.

Monsieur le ministre d'Etat, vous venez d'effectuer un déplacement remarqué aux Etats-Unis, dont nous n'ignorons pratiquement plus aucun détail. Ma question porte sur le sens qu'il convient de donner à ce voyage et les conséquences politiques de son déroulement. Je suis d'ailleurs certain de ne pas être le seul dans cet hémicycle à me la poser.

Votre frénésie de notoriété ne vous aurait-elle pas conduit, cette fois-ci, à un peu d'aveuglement (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), au point de ne pas voir que vous placiez les dirigeants américains en situation de choisir chez nous les bons dirigeants, qui ont droit à des égards de chef d'Etat, et ceux qui le seraient moins, qui n'auraient droit qu'au service minimum ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP) En procédant ainsi, ne craignez-vous pas d'avoir pris le risque d'affaiblir la voix du Président de la République et celle de l'ONU ? Est-ce qu'un peu plus de modestie, ou à tout le moins de lucidité n'aurait pas abouti à un peu moins de succès personnel mais à un peu plus de grandeur et de cohérence pour la France ?(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Monsieur Martin, vous n'allez pas être déçu de la réponse !

Outre l'assemblée générale du FMI - je comprends que vous ne soyez pas familier de ces matières (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) - et le sommet du G7 avec les ministres des finances, j'ai fait deux choses dont je n'avais pas pensé rendre compte à l'Assemblée nationale, mais puisque vous m'y invitez, je ne vais pas me gêner.

Tout d'abord, j'ai été l'invité de la totalité des associations de juifs américains, qui ont souhaité remercier la France pour le combat déterminé que nous menons contre l'antisémitisme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Ils ont même voulu me remettre une récompense. Je vais vous faire une confidence : cela ne risquait pas d'arriver à M. Vaillant (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), car après cinq années du gouvernement de M. Jospin, on était arrivé à faire croire aux Etats-Unis que la France était un pays antisémite ! (Violentes protestations sur les bancs du groupe socialiste, dont les membres se lèvent pour se diriger vers la sortie de l'hémicycle en criant « Scandaleux ! »)

D'autre part (Le ministre poursuit son propos dans un grand brouhaha), j'ai tenu à indiquer à nos amis américains que nous pouvions avoir un désaccord sur l'Irak mais qu'il ne nuisait en rien à l'amitié historique entre les Américains et la France. Les chefs d'entreprise français qui investissent aux Etats-Unis sont heureux que le ministre des finances l'ait affirmé (Les députés du groupe UMP se lèvent et applaudissent longuement).

Plusieurs députés socialistes - Suspendez la séance, Monsieur le Président !

M. le Président - Ou vous sortez, ou vous regagnez vos places !

Plusieurs députés socialistes - Des excuses ! Des excuses !

M. le Président - Monsieur Marty, vous avez la parole pour poser votre question.

DÉMOGRAPHIE MÉDICALE

M. Alain Marty - Je vais essayer. Elle s'adresse à M. le ministre de la santé et de la protection sociale (Interruptions des députés du groupe socialiste).

M. le Président - N'en rajoutez pas ! Cela ne sert à rien ! (Mêmes mouvements ; les députés du groupe UMP crient « Dehors ! »)

M. Alain Marty - La limitation du nombre des médecins ces dernières années a été une faute. Heureusement, le Gouvernement a compris les enjeux en termes de santé et augmente régulièrement le nombre de places en médecine. Je voudrais, Monsieur le ministre, appeler votre attention sur la situation des spécialistes.

Les députés du groupe socialiste - Des excuses ! Des excuses !

Les députés du groupe UMP - Dehors ! Dehors !

M. Alain Marty - Nous sommes dans une situation de pénurie. Pour être spécialiste, il faut passer un examen classant national à la fin de la sixième année de médecine. Comme souvent dans notre pays, nous privilégions la sélection plutôt que le savoir-faire et le savoir-être. Un étudiant de sixième année a intérêt à choisir des stages peu contraignants pour pouvoir préparer l'examen classant, puisque sa place déterminera complètement sa carrière. Est-il normal que dans la profession médicale, il n'y ait pas possibilité d'une formation tout au long de la vie ? Il serait indispensable de créer des passerelles, permettant aux médecins généralistes de valider leurs acquis (Mêmes mouvements).

M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale - Nous avons aujourd'hui 206 000 médecins en activité. Dans dix ans, il y en aura au maximum 175 000.

De plus, une pénurie touche certaines spécialités, les plus pénibles comme la gynécologie-obstétrique, la pédiatrie ou l'anesthésie-réanimation, ou celles où la judiciarisation augmente, comme la chirurgie. Par ailleurs, des spécialités nouvelles émergent, telle la médecine f_tale.

J'ai trois propositions à vous faire.

La première : augmenter le numerus clausus en fin de première année de médecine. Il nous faut passer de 5 700 aujourd'hui à 7 000 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et UDF).

La deuxième : développer la formation médicale continue en créant des passerelles entre spécialités.

La troisième : créer des diplômes universitaires permettant de valoriser les nouvelles compétences.

Quant aux étudiants européens, ils n'auront pas à passer par le classement pour le choix des spécialités.

Enfin, il faut tout faire pour inciter les médecins à venir dans les régions à faible démographie médicale, afin d'assurer l'égalité des Français dans l'accès aux soins (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - M. Vaillant m'a demandé la parole pour un fait personnel. Conformément à notre Règlement, elle lui sera donnée à la reprise de séance.

La séance, suspendue à 16 heures est reprise à 16 heures 20.

RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Daniel Vaillant - Permettez-moi de revenir sur les propos tenus par M. Sarkozy à la fin de la séance des questions au Gouvernement. Au vu de l'incident d'hier, et de multiples mises en cause, il semblerait que le ministre d'Etat ne supporte pas la diversité démocratique, pas plus que la représentation nationale telle qu'elle est ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Au delà du fait personnel - selon M. Sarkozy, je n'aurais pu, quand j'étais ministre de l'intérieur, être reçu aux Etats-Unis par des associations de lutte contre l'antisémitisme, et plus généralement contre toute forme de racisme, alors qu'il s'agit d'une lutte partagée... (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Hervé Mariton - Que ne l'avez-vous fait !

M. le Président - Que chacun reste digne, à l'instar de M. Vaillant ! Le sujet est suffisamment grave !

M. Daniel Vaillant - Merci, Monsieur le Président. Au-delà du fait personnel, la mise en cause du gouvernement de M. Jospin est de nature à affaiblir l'image de la France sur la scène internationale en laissant croire que tout n'a pas été fait pour combattre les actes d'antisémitisme entre 1997 et 2002. Et M. le Président de la République devrait également se sentir interpellé !

Le respect dû à la représentation nationale par les ministres devrait conduire le Ministre d'Etat, qui n'a pas jugé bon de rester, à présenter ses excuses.

Il faut qu'il reprenne son sang-froid. Voilà le rappel que je voulais faire solennellement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Je prends acte de votre rappel au Règlement, et j'en saisirai la Conférence des présidents. Le Gouvernement souhaite vous répondre.

M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur - Monsieur Vaillant, le Gouvernement n'a voulu blesser personne, mais l'heure n'est pas à relancer la polémique (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

La lutte contre l'antisémitisme est pour ce gouvernement une priorité absolue, que nous mettons en _uvre avec détermination. C'est une cause républicaine, et j'invite chacun à retrouver son calme (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Il s'agit en effet d'une cause républicaine qui nous rassemble tous.

La séance, suspendue à 16 heures 25, est reprise à16 heures 30 sous la présidence de M. Le Garrec.

PRÉSIDENCE de M. Jean LE GARREC

vice-président

RÉPARTITION DES SIÈGES DE SÉNATEURS

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, actualisant le tableau de répartition des sièges de sénateurs et certaines modalités de l'organisation de l'élection des sénateurs.

M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur - Le Sénat a pris l'initiative, en juillet dernier, d'une réforme ambitieuse qui modifie de façon substantielle les règles de désignation des sénateurs. La durée de leur mandat passe de 9 ans à 6 ans, ce qui entraîne désormais un renouvellement par moitié et non plus par tiers ; l'âge d'éligibilité est abaissé de 35 à 30 ans ; le nombre de sièges passera progressivement de 321 à 346 en 2010 pour tenir compte de l'augmentation de la population.

Cette proposition de loi en tire les conséquences. D'abord, elle regroupe les sénateurs en deux séries, par partage de l'actuelle série C et aménage les tableaux de répartition dans le code électoral. Ensuite, la proposition contient diverses dispositions relatives à l'élection et au collège électoral. Les députés, conseillers régionaux, conseillers à l'assemblée de Corse et conseillers généraux, seuls grands électeurs qui ne pouvaient pas voter par procuration, y sont désormais autorisés. Les grands électeurs seront désignés au moins six semaines, et non plus trois semaines, avant le jour de l'élection. Il est également mis fin à l'anachronisme que constituait le vote de tous les conseillers municipaux des communes de moins de 9 000 habitants dans les départements du Val-de-Marne, des Hauts-de-Seine et de la Seine-Saint-Denis, issus du département de la Seine. Il en résulte la disparition de 140 grands électeurs en Ile-de-France. Par ailleurs, il ne sera possible de retirer une liste de candidats dans un scrutin à la proportionnelle qu'avec la signature de l'ensemble des candidats de cette liste, et obligatoirement avant l'expiration du délai de dépôt des candidatures. Le texte autorise également l'utilisation des machines à voter lors des élections sénatoriales et le ministre de l'intérieur prendra toutes les dispositions nécessaires pour l'encourager. Enfin, l'amende sanctionnant les grands électeurs n'ayant pas pris part au scrutin sera sensiblement augmentée.

Ces dispositions modernisent nos institutions et sont, comme l'écrit le rapporteur, un préalable à la fois modeste et nécessaire aux élections du 26 septembre prochain. Je vous invite à adopter la proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jacques-Alain Bénisti, rapporteur de la commission des lois - En vertu de l'article 24 de la Constitution, le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales et, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel, la répartition des sièges par département doit être fondée sur des bases essentiellement démographiques. Le tableau du code électoral fixant cette répartition, établi en 1976, ne respectait plus cette condition d'égalité du suffrage.

Conscient d'un « déficit de représentativité », le Sénat a pris l'initiative d'une réforme d'une grande portée. L'abaissement de l'âge d'éligibilité et l'application du scrutin majoritaire ne nous concernent pas ici. Mais la réforme réduit aussi de 9 ans à 6 ans la durée du mandat, ce qui entraîne désormais un renouvellement par moitié, et augmente progressivement le nombre de sièges qui atteindra 346 à partir de 2010.

Le dispositif transitoire, très élaboré, s'étalera sur les trois renouvellements de 2004 à 2010. Dès le 26 septembre prochain, la série C sera scindée. Une partie sera élue pour six ans et constituera ensuite la série 1 avec l'actuelle série B soumise à renouvellement en 2010 ; l'autre, élue pour 9 ans, constituera la série 2 avec l'actuelle série A. Comme en 1958, c'est par tirage au sort que le 1er octobre dernier, le bureau du Sénat a désigné les 62 sénateurs d'Ile-de-France, de la Guadeloupe, la Martinique, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon pour un mandat de six ans, les sièges pourvus dans les départements allant du Bas-Rhin à l'Yonne l'étant pour neuf ans. Le tableau 5 annexé à l'article 278 du code électoral peut être modifié en conséquence, ce qui est l'objet de l'article premier de cette proposition.

Douze autres articles procèdent à un toilettage, bien nécessaire, du code électoral. Je souligne simplement la portée de l'article 3. Dans les communes de moins de 9 000 habitants et dans celles de plus de 30 000 habitants, les délégués seront désormais élus au moins six semaines avant l'élection sénatoriale. C'est donc avant la mi-juillet qu'ils le seront pour celle qui aura lieu fin septembre. L'allongement de ce délai entraînera certainement celui du nombre de grands électeurs votant par procuration. Il faudra donc faire preuve de rigueur dans la vérification des justificatifs. Je ne doute pas, Monsieur le ministre, que la circulaire que vous diffuserez expliquera nettement les nouvelles règles du jeu.

Pour les autres articles, je vous renvoie à mon rapport. La commission a adopté le texte du Sénat sans modification et vous invite à faire de même (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean Dionis du Séjour - Dans notre régime bicaméral, l'Assemblée nationale est élue au suffrage direct, le Sénat au suffrage indirect, ce qui ne leur donne pas la même représentativité. Mais tous deux le sont sur une base démographique, et l'augmentation de population, ainsi que les modifications dans sa répartition, ont servi d'argument pour justifier celle du nombre de sénateurs et leur répartition territoriale.

Je ne reviens pas sur la réforme de juillet 2003, dont cette proposition est la suite logique.

Je souhaite simplement rappeler la position du groupe UDF à cette occasion. Nous avions alors soutenu la réduction de la durée du mandat et l'abaissement de l'âge d'éligibilité. En revanche, nous avions émis des réserves sur l'augmentation du nombre de sénateurs : il ne nous apparaissait pas opportun d'alourdir les charges publiques en ces temps de restrictions budgétaires. Nous étions également réservés quant au relèvement du seuil du scrutin majoritaire, que la loi prévoyait d'appliquer jusqu'à l'élection de trois sénateurs au lieu de deux. La loi de juillet 2000 introduisait une dose significative de représentation proportionnelle : celle de 2003 visait donc à rectifier le dispositif en diminuant cette dose. Selon nous, il faudra bien avoir un jour un vrai débat, sur la meilleure façon de dégager une représentation en harmonie avec la nation.

L'objet de la présente proposition est donc principalement d'actualiser le tableau de répartition des sièges des sénateurs dans les différents départements, avant la prochaine élection sénatoriale. Ces dispositions techniques ont fait l'objet d'un examen approfondi par l'administration sénatoriale et je ne remettrai pas en cause le travail de nos collègues sur ce point. Le texte apporte par ailleurs quelques mises à jour et diverses dispositions d'actualisation du mode d'élection, portant en particulier adaptation à l'introduction du scrutin proportionnel dans certains départements, ainsi que des retouches au code électoral comme la reconnaissance du droit de vote unique par procuration et le recours aux machines à voter, qu'il faut encourager. Je ne reviendrai pas sur ces dispositions évoquées par notre rapporteur.

    Malgré les réserves émises en juillet 2003, nous soutiendrons ce texte, car il a pour but - je le dis avec modestie et respect - de commencer à moderniser la Haute Assemblée et nous y souscrivons totalement. Il créera un dynamisme supplémentaire en permettant un rajeunissement et un renouvellement plus rapide, ce qui donnera un souffle nouveau à la vie politique française, et en tout cas à l'institution sénatoriale. Le groupe UDF votera donc cette proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Frédéric Dutoit - La présente proposition se situe dans la continuité de la réforme du Sénat opérée par les lois du 30 juillet 2003, qui ont modifié les règles de désignation des sénateurs, l'âge d'éligibilité et la durée du mandat sénatorial. Il s'agit donc principalement aujourd'hui de modifier le tableau annexé au code électoral relatif à la répartition des sièges de sénateurs. Ainsi, le Sénat passera progressivement d'un effectif de 321 sénateurs aujourd'hui à 346 en 2010.

La réforme de l'institution sénatoriale était nécessaire, et même urgente. Des critiques récurrentes étaient en effet émises sur le statut électoral des sénateurs, la durée de leur mandat et la représentativité du Sénat. Ce constat, partagé par tous, a déterminé les conclusions du groupe de réflexion sur l'institution sénatoriale, dont le rapport a largement inspiré les lois de juillet 2003.

A nos yeux, pourtant, cette réforme n'a pas été assez audacieuse, et la révolution espérée de l'institution sénatoriale n'a pas eu lieu. Certes, le mandat sénatorial a été réduit de neuf à six ans, ce qui était une de nos anciennes revendications. Si cette disposition nous satisfait, nous déplorons en revanche le maintien d'un renouvellement sur deux séries. Il eût été préférable d'opter pour un renouvellement intégral du Sénat, afin de lui assurer une réelle représentativité. Ce qui aurait pu être une révolution s'est heurté à un regrettable conservatisme, et deux séries ont été maintenues : le Sénat se renouvellera donc par moitié tous les trois ans. Nous le regrettons : la volonté affichée d'assurer au Sénat une plus grande représentativité commandait de faire que ses bancs reflètent l'opinion du pays à un instant précis.

La question de l'âge d'éligibilité mérite également d'être reposée. Certes, il est désormais de trente ans au lieu de trente-cinq. Mais nous persistons à prôner un alignement de l'âge d'éligibilité des sénateurs sur celui des députés. Pourquoi un tel écart, alors que l'âge requis pour se présenter à l'élection présidentielle est également de vingt-trois ans, et que le droit de vote est fixé à dix-huit ans? Là était l'audace ! Pourquoi refuser à la jeunesse d'entrer au Palais du Luxembourg ? Nous continuerons donc à défendre l'idée d'un alignement de l'âge d'éligibilité des sénateurs sur celui des députés.

Mais ce ne sont pas nos seuls regrets. On nous propose aujourd'hui d'ajuster la répartition des sièges de sénateurs aux évolutions démographiques. L'augmentation du nombre de sénateurs se comprend bien, mais nous regrettons qu'elle ne permette pas un rééquilibrage entre villes et campagnes : elle ne corrigera pas la sur-représentation des communes rurales dans le collège électoral.

Enfin, nous regrettons que la réforme du mode de scrutin ait pour conséquence de réduire les effets de la représentation proportionnelle sur la composition du Sénat. Le dispositif adopté en 2003 rétablit en effet le scrutin majoritaire dans les départements où sont élus trois sénateurs au moins, ce qui aura des conséquences dommageables pour la parité et le pluralisme politique. Et le scrutin majoritaire consolidera la notabilisation du Sénat, fort peu représentative de notre population.

Pour conclure, cette réforme n'est pas assez audacieuse pour recueillir notre assentiment. Nous aurions souhaité qu'elle assure une meilleure répartition du corps électoral et une meilleure représentativité du collège électoral des sénateurs. Tout en ne contestant pas l'utilité de la réforme, qui vise à augmenter le nombre de sénateurs, nous regrettons la frilosité de la majorité : nous sommes encore loin d'une avancée vers cette nouvelle république dont nous aurions tant besoin...

M. Guy Geoffroy - Y a-t-il vraiment du hasard dans le calendrier ? Nous sommes le 28 avril : il y a trente-cinq ans le Général de Gaulle faisait savoir aux Français qu'il quittait ses fonctions. C'était le lendemain du référendum du 27 avril 1969, par lequel le chef de l'Etat avait proposé à la nation une profonde réforme de nos institutions, tant au niveau territorial - la régionalisation, déjà ! - qu'au niveau institutionnel, avec une refonte profonde du Sénat. C'est dire que parler du Sénat sous la Ve République, qui l'a rétabli dans son nom et dans sa dignité, n'est pas évoquer un épiphénomène. Le Sénat peut faire tomber un chef d'Etat, même le Général de Gaulle. La question du Sénat, de sa place dans nos institutions, de sa nécessaire modernisation, ne peut donc être traitée de manière anecdotique, simpliste ou polémique. Qu'on s'en souvienne : le Sénat fut à l'avant-garde de ceux qui menèrent le combat - avec lequel nul n'est obligé d'être d'accord, mais qui fut un fameux combat - lorsque le Président du Sénat, prenant la tête d'une grande fronde, affirma que le chef de l'Etat devait être accusé de forfaiture. Cette forfaiture consistait à donner la parole au peuple, pour que ce dernier dise s'il était d'accord pour élire directement le chef de l'Etat. J'ai aussi évoqué 1969. Et le Sénat était encore sur le devant de l'actualité - mais cela ne plaît pas aux mêmes, alors que sa volonté profonde reste la même - quand il était au premier rang pour la défense de l'école libre, et plus tard lorsqu'il a mené le combat politique et institutionnel qu'il fallait mener dans la révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité de Maastricht.

Le Sénat a donc raison de prendre l'initiative, que nul n'aurait pu l'obliger à prendre, de proposer, à lui-même et à l'Assemblée Nationale, cette réforme dont nous examinons aujourd'hui le dernier texte. Déjà la loi organique et la loi ordinaire du 30 juillet dernier ont établi le nouveau dispositif, modifiant la durée du mandat et les conditions d'éligibilité des sénateurs. Le présent texte vise à acter le tirage au sort qui a eu lieu le 1er octobre dernier, et opère un toilettage nécessaire de certaines dispositions.

En commission, le groupe UMP a tout naturellement approuvé les explications du rapporteur et donné son aval à une adoption du texte sans modification. L'UMP entend participer à cet acte nécessaire, même s'il n'est pas grandiose, de l'évolution de notre institution sénatoriale, dans la perspective des élections qui, le 26 septembre, assureront le renouvellement, un des derniers sous la forme actuelle, d'un tiers des sénateurs.

Qu'on me permette pour finir une référence territoriale, en réponse à certains propos tenus à gauche sur le prétendu conservatisme du Sénat. Les exemples historiques que j'ai rappelés le montrent bien, le « conservatisme » est apprécié de façon fort variable selon les époques et les positions de chacun. Du fait de son évolution démographique, mon département de Seine-et-Marne va bénéficier de deux sénateurs supplémentaires, passant de quatre à six représentants. Et pour la première fois ils seront élus au scrutin proportionnel. Or je veux faire remarquer, sans malice aucune, combien ce mode de scrutin, dans notre département, attire de candidatures vers une assemblée qu'on dénonce pourtant comme conservatrice...

C'est avec grand intérêt que j'ai pris connaissance de la liste présentée par le parti socialiste en Seine-et-Marne et constaté que le premier de cette liste n'était autre qu'un honorable vice-président du conseil régional, militant exemplaire récompensé par une première place éligible aux sénatoriales alors qu'il a toujours été battu au scrutin majoritaire. Et derrière lui, figurent sur la liste trois députés socialistes battus en 2002, qui seront sans doute heureux de se retrouver dans ce Sénat au conservatisme si souvent décrié par la gauche... (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) La réforme qui nous est proposée aujourd'hui, plus profonde qu'il n'y paraît au premier abord, est nécessaire. Au-delà, il n'était pas inutile de rappeler certains points à certains enclins à décrier une assemblée qu'au fond, ils apprécient tout à fait lorsqu'elle les concerne plus directement... (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Bernard Roman - Propos de caniveau !

M. Jean-Louis Idiart - C'est vraiment au ras des pâquerettes !

M. Bernard Roman - Cette proposition de loi « modeste » dans son objet n'en revêt pas moins « un caractère d'urgence » à l'approche des sénatoriales de septembre, explique notre rapporteur. Dont acte. Si nous pouvons comprendre la nécessité d'actualiser avant l'été certaines dispositions du code électoral concernant les élections sénatoriales, si nous savons que la répartition des sièges de sénateurs entre les séries n'a qu'une portée limitée, nous souhaitons néanmoins débattre du fond du sujet, à savoir le Sénat, ou plutôt l'anomalie sénatoriale.

Emet-on quelques doutes sur la représentativité de cette assemblée ? Regrette-t-on le déséquilibre entre les deux assemblées ? On se voit ici aussitôt soupçonné de remettre en question le bicamérisme, sinon la démocratie, et les cris d'indignation permettent de taire les vraies questions.

Cependant, l'immobilisme devient parfois intenable, et le Sénat a lui-même accepté de se réformer en 2003. Pas trop, pour ne pas menacer son « équilibre », lequel consiste à être assuré de rester à droite quelles que soient les vicissitudes électorales. Mais assez, juste assez, pour donner des gages de sa bonne volonté. C'est ainsi qu'en juillet 2003, là encore en urgence, nous avons examiné deux propositions de loi préparées par et pour les sénateurs, qui réformaient a minima la Haute assemblée. Réforme qui, sous l'apparence de la modernisation, masquait bel et bien, cher Monsieur Geoffroy, une régression démocratique. Tout d'abord, un alibi : la nécessité de modifier le nombre des sénateurs pour l'adapter à l'évolution démographique. Ensuite, des gages de moralité : la réduction à six ans de la durée du mandat, le renouvellement par moitié et l'abaissement à trente ans de l'âge d'éligibilité. Enfin, le coup bas : le relèvement du seuil de la représentation proportionnelle dans les départements à quatre sièges, donc, le recul automatique de la parité. Et, pour couronner le tout, un silence : pas un mot sur la composition du collège électoral.

Modernes selon M. Geoffroy, les sénateurs sont également habiles. Et tant pis s'ils sont incohérents ! Preuve de leur incohérence : ils ont accepté en 2003 une réforme qu'ils avaient rejetée en 2000. La contradiction n'est toutefois qu'apparente. L'augmentation du nombre de sénateurs proposée en 2000 par le gouvernement Jospin avait suscité une levée de boucliers, entraînant même l'adoption d'une question préalable au motif que le Sénat représentant les collectivités, il n'était nul besoin d'accroître le nombre des sénateurs. Trois ans plus tard, ce qui était inutile était devenu urgent. Pourquoi ?

M. Guy Geoffroy - Parce que le Conseil constitutionnel...

M. Bernard Roman - Pas du tout. Le Conseil constitutionnel n'avait rien dit à l'époque.

Ce qui indisposait nos modernes sénateurs en 2000, c'était que l'augmentation de leur nombre devait accompagner la réforme de leur mode d'élection, l'abaissement du seuil de la proportionnelle et l'élargissement du collège électoral, toutes évolutions dont ils ne voulaient pas. En 2003, la majorité sénatoriale, désireuse de revenir sur l'élection à la proportionnelle des sénateurs dans les départements à trois sièges, réforme qu'elle avait vécue comme un outrage, acceptait l'augmentation de l'effectif afin de revenir dans le même temps sur la proportionnelle et la parité qui en découle.

La présente proposition de loi, simple mise en musique d'une partition déjà écrite, montre néanmoins à quel point la représentativité du Sénat reste d'actualité. Le rapporteur assure que la réforme du 30 juillet 2003 a amélioré cette représentativité et précise qu'elle a émané de la volonté du Sénat lui-même. Façon de s'en désolidariser quelque peu ? Pour notre part, nous ne partageons pas ce sentiment. Le Sénat n'est pas plus représentatif après la réforme de 2003 qu'avant, tout simplement parce que la question essentielle, celle du mode d'élection des sénateurs, notamment la composition du collège électoral, n'a pas été traitée. Les délégués des conseils municipaux constituent à eux seuls 95 % du collège électoral, ce qui assure une représentation presque exclusive des communes, avec une sur-représentation des communes rurales.

Le rapport Hoeffel de 2003 reconnaissait la nécessité de prendre davantage en compte les grandes villes dans le collège, et préconisait que les départements et les régions élisent des délégués supplémentaires, à l'instar des communes les plus peuplées. Comment prétendre en effet ouvrir l'acte II de la décentralisation, censé donner plus de poids aux régions et les ériger en collectivités d'avenir, et ne pas les intégrer de façon plus équilibrée dans le collège électoral ? La même question vaut d'ailleurs pour les départements et les structures intercommunales. Sait-on que les résultats des dernières élections régionales ne joueront que sur 1 % du collège électoral sénatorial ?

M. le Rapporteur - Heureusement !

M. Bernard Roman - Quels qu'aient été les résultats de ces élections, ils n'auraient quasiment pas eu d'incidence sur la composition du collège.

Comment prétendre que le principe d'égalité du suffrage est respecté quand les communes de moins de 9 000 habitants, qui rassemblent un peu moins de la moitié de la population, désignent les deux tiers des délégués des conseils municipaux alors que les villes de plus de 30 000 habitants, qui comptent 32 % de la population, désignent seulement 17 % des délégués ?

La majorité sénatoriale refuse de poser ces questions, et la majorité de notre Assemblée ne s'y hasarde pas non plus. Elles sont pourtant urgentes.

Cette proposition de loi ne permet pas davantage de les aborder. Mais il faudra bien, un jour, réfléchir au mode d'élection du Sénat et faire en sorte que les collectivités territoriales y soient représentées telles qu'elles sont aujourd'hui ! Les communes rurales ne sont pas toute la France. La France, ce sont aussi des villes, moyennes et grandes, des structures intercommunales, des départements et des régions.

Nous aurons aujourd'hui procédé à une énième réformette destinée à faire croire que le Sénat se modernise quand il ne fait que se sanctuariser. Dans ces conditions, le groupe socialiste s'abstiendra (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La discussion générale est close.

M. le Rapporteur - M. Dutoit a regretté que ce texte n'introduise pas au Sénat la « révolution » qu'il aurait espérée, et reflète plutôt une certaine frilosité de la majorité. Il y a eu, notamment au Sénat, de longs débats sur le sujet et, chaque fois, les sénateurs, de gauche comme de droite, ont pris leurs décisions à l'unanimité. Il est donc normal que le Gouvernement aille aujourd'hui dans le sens du consensus qui s'est dégagé dans la Haute assemblée. Le texte proposé tient compte des aspects géographiques et démographiques afin d'assurer une représentation équitable des territoires ruraux et urbains.

Monsieur Roman, il eût été plus judicieux d'ouvrir en commission le débat que vous avez ouvert ici et, surtout, de l'engager avec les sénateurs eux-mêmes.

Vous dites qu'il y a 95 % des délégués issus des communes. C'est vrai, mais auriez-vous tenu le même propos sur les régions il y a un mois ou deux ? Ou si la droite avait remporté les élections régionales ?

M. Bernard Roman - Je disais la même chose sous la précédente législature quand j'étais président de la commission des lois !

M. le Rapporteur - Enfin, j'indique à M.Dutoit que le renouvellement par moitié qu'il souhaiterait aurait exigé une modification de la Constitution.

M. le Ministre délégué - M. Roman a fait, conformément à la tradition de son groupe, un exposé assez violent contre le Sénat. Je suis donc obligé de lui rappeler que ce texte a été adopté à l'unanimité au Sénat, y compris donc avec l'appui utile des voix socialistes - et communistes, Monsieur Dutoit. Etant moi-même de Seine-et-Marne, Monsieur Geoffroy, je constate sans aucun mauvais esprit que le Sénat attire, de tous les côtés de l'échiquier politique, de nombreuses vocations, ce dont d'ailleurs je me réjouis, car je suis de ceux qui sont en faveur d'un bicamérisme bien tempéré comme celui que connaît notre Ve République.

M. Dionis du Séjour s'est interrogé sur l'augmentation du nombre de sénateurs. Elle se justifie par l'évolution démographique des collectivités territoriales, comme l'a souligné le Conseil Constitutionnel dans sa décision de juillet 2003.

Dès lors que le Sénat a vocation à représenter les collectivités locales, Monsieur Roman, il faut bien admettre qu'on ne peut pas mettre tout à fait sur le même plan 22 régions et 36 000 communes, sauf à rentrer dans un système compliqué de pondération qui serait sujet à caution. J'ajoute que sur des sujets aussi importants que celui-là, on ne doit pas se laisser influencer par des considérations circonstancielles, car chacun sait que ce qui est vrai aujourd'hui sur le plan électoral peut demain être tout autre.

J'ai trouvé un peu sévère le jugement de M. Dutoit sur cet exercice de réforme sénatoriale, car enfin il n'est pas si fréquent qu'une assemblée élue décide d'elle-même de réduire la durée de son mandat ! Quant à l'âge minimum requis pour être sénateur, on peut bien sûr toujours le descendre à l'infini, mais je crois qu'il y a une certaine cohérence à le fixer à 30 ans. Pour être élu député, je crois qu'il faut avoir 23 ans...

M. Bernard Roman - Et même pour être Président de la République !

M. le Ministre délégué - ...mais il est assez normal de souhaiter que les membres d'une assemblée qui a vocation à représenter les collectivités territoriales aient quelque expérience élective, ce qui est plus probable à 30 ans qu'à 20. Du reste des pays aussi divers que le Canada, les Etats-Unis ou le Japon ont retenu ce même seuil.

Pour répondre à la critique plus générale que M. Roman et ses amis adressent au Sénat, comme l'avait fait naguère de façon assez déplacée M. Jospin, je ferai simplement observer qu'à ma connaissance, il existe au Sénat à la fois une majorité et une opposition et que la contribution de cette dernière au débat démocratique, très active et très dense, justifierait à elle seule que l'on ne s'interroge pas sur l'existence d'une deuxième assemblée.

En conclusion, j'invite l'Assemblée à adopter cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - J'appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte du Sénat.

L'article premier, mis aux voix, est adopté, de même que les articles 2 à 13.

M. le Président - Cela nous change de certains débats, il faut bien le reconnaître !

M. Bernard Roman - Vous seriez digne de présider le Sénat, Monsieur le Président !

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Frédéric Dutoit - Je voudrais simplement dire que ce n'est pas parce qu'un texte est issu du Sénat et de sa grande sagesse que nous n'avons pas à donner notre point de vue. Sachez qu'en le donnant, j'étais en totale harmonie avec les collègues sénateurs de mon groupe.

Il ne s'agit pas aujourd'hui d'un texte majeur, mais je crois que nous aurons un jour à réfléchir à l'ensemble de nos institutions, car le monde évolue et notre République doit s'adapter, et peut-être devenir une VIe République. Je prends donc date pour l'avenir.

M. Bernard Roman - La position que j'ai défendue au nom du groupe socialiste de l'Assemblée est peut-être un peu différente de celle du groupe socialiste du Sénat. Ce n'est pas la première fois et ce n'est pas illogique. Je dois dire que j'ai plusieurs fois regretté que les positions de sénateurs socialistes soient plus celles de sénateurs que celles de socialistes (« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP). Je ne cite personne !

Il y a des sujets sur lesquels on peut changer d'avis, mais au moins sur ce point, il vaut mieux se répéter que se contredire. L'absence de représentativité du Sénat est une anomalie, j'assume complètement cette expression de notre ancien Premier ministre et c'est un problème que je soulève depuis de nombreuses années. En outre, le Sénat est le temple du conservatisme. Il s'est opposé à la parité, il s'est opposé à la limitation du cumul des mandats, il s'est opposé à l'élection au suffrage universel des représentants d'intercommunalités. On peut remonter à 1958 et au procès en forfaiture ou à 1969 et à la démission du Général de Gaulle, mais une chose est claire : le Sénat dans sa configuration actuelle est à la traîne de l'évolution de la société. C'est la Chambre du XIXe siècle alors que nous sommes entrés dans le XXIe !

On ne peut pas vouloir une avancée de la décentralisation, constater que les budgets consolidés des départements, des régions et des intercommunalités sont deux fois supérieurs à ceux des communes, et dans le même temps laisser à ces dernières plus de 95 % de la représentation. C'est une anomalie, et c'en est une autre qu'une chambre soit destinée à rester éternellement de la même couleur politique.

M. Jean Dionis du Séjour - Mais non !

M. Bernard Roman - Je peux vous donner les chiffres ! Il faudrait qu'aux élections municipales, trois renouvellements successifs donnent 70 % à la gauche pour que le Sénat ait une chance d'avoir une majorité de gauche...

Mais on peut formuler ces critiques et être favorable à un système bicaméral. C'est mon cas. Je pense en effet qu'il y a plus d'intelligence dans deux têtes que dans une, et l'expérience montre que le système des navettes permet d'améliorer les textes législatifs. De plus, il me paraît nécessaire, y compris dans le cadre de l'Europe, qu'une chambre représente spécifiquement les collectivités territoriales. Encore faudrait-il qu'elle les représente effectivement.

M. Jean-Louis Idiart - Très bien.

L'ensemble de la proposition de loi, mis aux voix, est adopté.

Prochaine séance ce soir à 21 heures 30.

La séance est levée à 17 heures 35.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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