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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 91ème jour de séance, 224ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 19 MAI 2004

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

ASSURANCE MALADIE 2

PROCÈS D'OUTREAU 3

CONVENTION UNEDIC 3

POLITIQUE ÉCONOMIQUE EUROPÉENNE 3

AFFAIRE BOUZIANE 4

GEL DES EXPULSIONS 5

TOTAL 5

TRANSFERT DÉFINITIF DE L'ENA 6

CONSÉQUENCES DE LA RÉFORME DE LA PAC 7

INDÉPENDANCE DE LA JUSTICE 7

POLYGAMIE 8

LUTTE CONTRE LA DÉSINDUSTRIALISATION 9

RAPPELS AU RÈGLEMENT 10

ÉNERGIE (suite) 10

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 14

AVANT L'ARTICLE PREMIER 20

SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL 31

La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

ASSURANCE MALADIE

M. Jean-Pierre Blazy - Lundi soir, vous aviez, Monsieur le ministre de la santé, cent minutes pour convaincre les Français qu'il faudrait faire payer aux seuls assurés sociaux le prix de votre réforme de l'assurance maladie en instituant une franchise d'un euro par consultation et en augmentant la CSG des retraités imposables. Non seulement vous ne les avez pas convaincus, mais vous ne leur avez pas tout dit ! En effet, vous avez annoncé ce matin même à la radio que vous entendez aussi augmenter à nouveau le forfait hospitalier, et que vous étudiez l'idée d'élargir l'assiette de la CSG - autrement dit d'augmenter le prélèvement auquel sont soumis les revenus des actifs, contrairement à ce que vous aviez expliqué 48 heures plus tôt. C'est qu'à défaut de convaincre les Français, vous avez, vous, été convaincu par le Medef ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

L'addition s'annonce donc salée pour les assurés sociaux. Pour faire passer cette pilule amère, vous dramatisez une situation que vous avez vous-même provoquée (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) puisque les comptes de la sécurité sociale étaient équilibrés entre 1997 et 2002. Et vous qui appelez les Français à la responsabilité s'agissant de l'hôpital public, vous faites bénéficier le seul hôpital public de Toulouse d'une aide que vous dites « ponctuelle et justifiée » de 12 millions, sans vous préoccuper de la situation similaire que connaissent les autres établissements hospitaliers et que la tarification à l'activité va dégrader encore.

M. le Président - Posez votre question !

M. Jean-Pierre Blazy - Quant à prétendre, comme vous le faites de manière répétée, que les socialistes n'auraient rien proposé pour réformer l'assurance maladie, c'est faux : nos propositions sont publiées dans ce document (M. Blazy brandit une brochure ; huées sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Votre question ?

M. Jean-Pierre Blazy - Les Français veulent savoir quelle véritable réforme de l'assurance maladie vous préparez, et ils veulent le savoir avant les élections européennes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale - Vous qui évoquez la CSG, vous avez oublié qu'en 1998, vous l'avez augmentée de 30 milliards de francs, (Huées sur les bancs du groupe UMP ; vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) tout comme vous oubliez avoir puisé dans les caisses de l'assurance maladie pour financer le coût des 35 heures (Mêmes mouvements). Quant à M. Hollande, qui fait mine de s'offusquer que le poids de la dette soit reporté sur les générations futures, il omet de préciser que, si nous suivions ses malencontreux conseils, il faudrait un milliard supplémentaire chaque année (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Oui, nous proposons d'augmenter la CSG pour les retraités imposables et d'élargir l'assiette de la CSG - non son taux ; oui, nous avons demandé aux entreprises un effort de 750 millions à 1 milliard ; oui, nous avons prévu des mesures financières. Et tout cela, parce que notre plan est fondé sur la responsabilisation, terme que vous ignorez, et sur l'équité, mot qui vous est encore plus étranger. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

PROCÈS D'OUTREAU

M. Nicolas Perruchot - Nous venons d'apprendre avec stupeur que treize personnes avaient été innocentées par leur accusatrice de crimes innommables. A l'horreur des actes pédophiles commis s'ajoute donc une horreur judiciaire s'il apparaît que des gens ont été détenus plus de trois ans pour des crimes qu'ils n'avaient pas perpétrés. Treize vies ont été brisées, et treize familles déchirées à cause d'accusations fantaisistes. On peut concevoir une erreur, mais treize ! La justice s'est trompée, et lourdement, et la responsabilité des juges qui ont à tort mis en examen, écroué, et brisé ces vies, est terrible. Quel est votre sentiment à ce sujet, Monsieur le Garde des Sceaux ? Quelles conséquences en tirerez-vous pour prévenir la répétition de telles drames et pour réparer ce qui peut l'être ? (Applaudissements sur presque tous les bancs)

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Nous parlons de souffrance mais aussi d'incertitudes. Comme vous, j'ai été bouleversé à l'idée que, peut-être, des vies avaient été brisées sans motif parce que, peut-être, il y avait eu mensonge. Mais le procès est en cours et il ne m'appartient pas de me prononcer pour l'heure.

Mais s'il apparaît, après que la justice sera passée, que des erreurs graves ont été commises, des mesures seront prises et le préjudice causé sera réparé autant qu'il est possible en une telle matière. Il faudra examiner aussi les conditions qui ont permis que de telles erreurs puissent se produire (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe UMP et de nombreux bancs du groupe socialiste).

CONVENTION UNEDIC

M. Frédéric Dutoit - Je commencerai par présenter tous mes v_ux de victoire à l'équipe de Marseille appelée à jouer ce soit un match important... (Sourires et applaudissements) Dans un tout autre domaine, nous apprenons que le Conseil des ministres a examiné ce matin le projet de loi réformant le statut juridique d'EDF ; dans ces conditions, la suspension du débat sur l'énergie engagé dans notre hémicycle s'impose, car nous devons tenir compte de ce projet pour délibérer valablement.

Par ailleurs, quelle est la situation des chômeurs « recalculés » que la justice a rétablis dans leurs droits ? Vous avez, Monsieur le ministre de l'emploi, lancé le processus de ré-agrément de la convention UNEDIC, et annoncé que le Conseil supérieur de l'emploi se prononcerait sur le nouveau texte, ce qui est dans l'ordre des choses. Mais pourquoi les associations et les organisations syndicales de chômeurs ne seraient-elles pas associées à son élaboration, comme elles vous le demandent instamment ? Un tel mécanisme vaut pour les intermittents ; pourquoi en irait-il autrement pour la nouvelle convention UNEDIC ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale - Comme je vous l'avais annoncé ici-même le 3 mai, toutes les mesures ont été prises pour tenir compte des décisions de la justice. Les chômeurs « recalculés » ont été réintégrés, et ils percevront fin juin le reliquat de ce qui leur est dû. Par ailleurs, mon collègue Gérard Larcher et moi-même entendons réunir l'ensemble des partenaires sociaux pour faire le point sur la démocratie sociale, dont les orientations ont été définies en 1946. Mais un tel chantier s'organise ; je ne doute pas que des progrès auront été accomplis avant Noël (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

POLITIQUE ÉCONOMIQUE EUROPÉENNE

M. Jean-Marie Sermier - Vous avez exposé plusieurs fois, Monsieur le ministre d'Etat, que ni une banque centrale, ni un marché et une monnaie uniques ne suffisent à faire la politique européenne commune que les Vingt-Cinq demeurent incapables de mettre au point. De ce fait, les politiques économiques demeurent, hélas, nationales au sein de l'Union. Quelles initiatives proposerez-vous à vos homologues pour définir une véritable stratégie économique commune ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Vous avez raison, le pacte de stabilité, c'est une politique de bonne gestion, mais cela ne fait pas une stratégie économique (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP). La concurrence, c'est nécessaire, mais cela ne fait pas une stratégie économique. Un marché unique, une monnaie unique, une banque centrale unique, cela ne peut pas fonctionner pleinement s'il n'y a pas un gouvernement économique capable d'impulser une volonté économique commune (Mêmes mouvements). Il faut que les ministres des finances puissent parler des questions monétaires sans que cela gêne personne.

Par ailleurs, on ne peut pas accepter en Europe de dumping fiscal et social. Des nouveaux entrants de l'Europe de l'Est ramènent leurs taux de fiscalité quasiment à zéro : ils en ont le droit, mais il faut que nous adoptions ensemble, par un gouvernement économique, des règles qui interdisent à ceux qui baissent à ce point leurs impôts de demander dans le même temps le bénéfice de fonds structurels, financés par nous-mêmes et que nous ne pourrons plus utiliser pour nos régions (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Enfin, il faut que dès le prochain budget, nous puissions présenter des mesures communes, par exemple pour soutenir la recherche, afin d'avoir non une addition de politiques économiques nationales, mais une véritable politique économique européenne, avec l'objectif que la zone euro connaisse le même taux de croissance que les autres régions du monde (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

AFFAIRE BOUZIANE

M. Alain Merly - Monsieur le ministre de l'intérieur, par arrêté du 26 février dernier, votre prédécesseur a prononcé l'expulsion de M. Bouziane, ressortissant algérien se disant imam et résidant à Vénissieux. Cette expulsion était motivée par les relations étroites qu'il entretenait avec les franges les plus radicales du mouvement salafiste, appelant à la violence et à la guerre sainte. Vous avez mis cette mesure à exécution le 20 avril. Entre-temps, M. Bouziane avait publiquement tenu des propos inadmissibles, appelant à la violence physique contre les femmes. Une décision de justice a pourtant suspendu cet arrêté, permettant à cette personne de rentrer en France.

Cette situation est difficilement compréhensible par l'opinion. Quelles mesures entendez-vous prendre pour éviter qu'elle se renouvelle et pour que de tels personnages puissent être effectivement éloignés de notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Nous sommes confrontés à une menace nouvelle, parce que l'action terroriste a changé d'échelle avec les attentats du 11 septembre et du 11 mars, parce qu'entre le discours intégriste, dévoiement de la religion musulmane, et l'action terroriste, il y a une continuité réelle. Nous devons donc à la fois refuser tout amalgame entre musulmans et islamisme, et conduire une politique de fermeté. J'assumerai pleinement la responsabilité qui est la mienne au service de la sécurité des Français, en prenant toutes les dispositions nécessaires et en utilisant tous les moyens qui sont à ma disposition - en m'appuyant sur les moyens judiciaires, qui permettent de remonter les filières, mais aussi en agissant dans l'urgence par la voie administrative, selon les principes de l'ordonnance de 1945.

Nous devons régler certains problèmes juridiques. Je souhaite tout d'abord inclure dans l'ordonnance de 1945 les incitations aux violences contre les femmes, afin que de telles provocations donnent lieu à des expulsions. Je souhaite aussi que le juge des arrêtés ministériels d'expulsion soit le Conseil d'Etat, afin de mieux concilier la défense des droits individuels et les impératifs de l'Etat républicain. Il nous faut faire évoluer la loi, tout en restant fidèles à nos principes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. René André - Très bien !

GEL DES EXPULSIONS

M. Pierre Cardo - Monsieur le secrétaire d'Etat au logement, vous avez annoncé il y a quelques jours le gel des procédures d'expulsion pour impayés de loyers dans le cas des locataires sociaux dits de bonne foi, en l'attente d'un dispositif pérenne.

Si les élus de villes ayant un très fort pourcentage de logements HLM ne peuvent que se réjouir d'une initiative marquée à la fois par l'humanisme et la rigueur, plusieurs questions se posent. Tout d'abord, ce gel puis le futur dispositif concerneront-ils les propriétaires privés, qui pour beaucoup redoutent que ces dispositions n'encouragent les mauvais payeurs ?

S'agissant du logement HLM, les commentaires de la presse alternent entre les extrêmes, mais je crois pour ma part, comme nombre d'élus de terrain, que vous avez voulu réduire le nombre d'expulsions peu justifiables de familles en situation financière difficile. Mais pouvez-vous préciser le critère de « bonne foi » ? Par ailleurs, ayant insisté à juste titre sur le maintien des aides au logement si une convention est signée entre le locataire, le bailleur et l'Etat, pourrez-vous tenir vos engagements dans ce domaine, alors que le budget 2004 a diminué les crédits pour les aides au logement ?

M. Marc-Philippe Daubresse, secrétaire d'Etat au logement - Au ministère de la cohésion sociale, nous ne faisons pas des discours, nous posons des actes (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Les deux mots clés du dispositif que Jean-Louis Borloo a présenté la semaine dernière sont « humanité » et « responsabilité ».

Humanité, parce que des familles de bonne foi, souvent avec des enfants en bas âge, se trouvaient jetées à la rue dans des conditions inhumaines.

Mme Chantal Robin-Rodrigo - Démago !

M. Marc-Philippe Daubresse, secrétaire d'Etat au logement - La loi votée en 1998, sous le gouvernement Jospin, a provoqué en cinq ans une augmentation de 40 % des expulsions (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Responsabilité, parce que sont visés les locataires de bonne foi, au sens retenu par la loi sur le surendettement (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Le dispositif ne s'applique pas au secteur privé, mais si les propriétaires privés le souhaitent, nous sommes à leur disposition.

Le contrat, c'est le rétablissement de l'aide personnalisée au logement, la suspension des expulsions et l'engagement du locataire de payer son loyer.

M. Armand Jung - Avec quoi ?

M. Marc-Philippe Daubresse, secrétaire d'Etat au logement - Le coût pour l'Etat est de 10 millions d'euros. En mettant en place des dispositifs de prévention sociale, le coût est cinq à dix fois moindre que celui des expulsions. La souffrance, comme disait Malraux, nous préférons la réduire qu'en rendre compte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

TOTAL

M. David Habib - Ma question s'adressait à M. le Premier ministre, mais je ne le vois pas. M. Raffarin est-il déjà sur le banc de touche ? (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP)

Vendredi dernier, jour de l'assemblée générale des actionnaires de Total, cinq cents salariés ont rappelé leur attachement à une entreprise assurant le maintien et le développement de l'exploration, de la production, du raffinage et de l'activité chimique. Le président de Total a refusé de débattre avec eux. Y aurait-il deux catégories d'actionnaires, les salariés et les autres ?

La financiarisation de notre industrie s'accélère. C'est pourquoi le groupe socialiste demande la constitution d'une commission d'enquête parlementaire sur ces questions industrielles.

Le projet de la direction de Total va entraîner la disparition de la chimie française. Il appartient au Gouvernement d'intervenir, et maintenant ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie - Le ton polémique que vous adoptez sur une question qui est importante sur le plan local montre le peu de souci que vous avez du terroir que vous prétendez défendre (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Total, dans votre département, ce sont 4 200 emplois. Il est vrai que l'usine d'éthylène de Lacq va fermer ses portes en 2005, ce qui entraînera la suppression de 183 emplois, directement et indirectement (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Dans le même temps, la société de conversion crée 109 emplois nouveaux sur le site. Soixante-cinq emplois nouveaux sont par ailleurs créés via trois sociétés. Il en manque donc neuf au total pour faire le compte : neufs emplois sur 4 200, cela ne vous permet pas de dire que la France est en perdition ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

TRANSFERT DÉFINITIF DE L'ENA

M. Louis Giscard d'Estaing - Monsieur le ministre de la fonction publique, vous avez annoncé il y a quelques jours la mise en vente d'un des deux immeubles parisiens de l'Ecole nationale d'administration, ce dont nous nous félicitons, car cette opération apparaît bien comme la suite logique de la décision prise en 1991 par Edith Cresson de transférer l'Ecole à Strasbourg, décision qui n'avait pas alors produit tous les effets voulus puisque les deux sites avaient continué à fonctionner en parallèle, avec les surcoûts que l'on sait.

En novembre 2002, un amendement tendant à diminuer le budget annuel de l'ENA avait été repoussé, mais à la suite de ce débat, une commission avait été chargée de proposer des axes de réforme. Des décisions avaient suivi en octobre 2003. Et lors de la discussion du budget pour 2004, le ministre s'était engagé à ramener la taille des promotions au niveau de cent élèves et surtout à achever le transfert de l'ENA à Strasbourg. Voilà l'exemple même d'une réforme où il peut y avoir trois gagnants : Strasbourg, les élèves et les contribuables.

Pouvez-vous nous dire quelles seront les ressources dégagées par la vente de l'immeuble parisien et dans quelle mesure cette réforme de l'ENA est à l'image de celle de l'Etat ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat - Je pense comme vous que la réforme de l'ENA doit être exemplaire de la réforme de l'Etat. Celle-ci passe d'abord par une meilleure gestion des deniers publics. L'ENA avait deux sites d'implantation, ce qui doublait les frais. A compter du 1er janvier 2005, il n'y aura plus qu'un seul site, à Strasbourg. En conséquence, l'Etat mettra en vente les locaux de la rue de l'Université, qui représentent un patrimoine d'environ 40 millions d'euros. La réforme de l'Etat, c'est aussi l'ouverture sur l'Europe. Je suis donc heureux de vous annoncer que le prochain concours de l'ENA sera pour la première fois ouvert à l'ensemble des ressortissants de l'Union européenne.

La réforme de l'Etat, c'est en troisième lieu l'ouverture de la fonction publique sur la société civile. J'ai donc décidé d'élargir le recrutement de candidats issus de la société civile - syndicats, associations, entreprises privées, en particulier par la voie du troisième concours.

Enfin, la réforme de l'Etat, c'est le souci de la formation initiale et continue. Je souhaite donc que l'ENA devienne une grande école de management public (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

CONSÉQUENCES DE LA RÉFORME DE LA PAC

M. Jean-Claude Lenoir - La réforme de la PAC, décidée en juin 2003, suscite quelques inquiétudes dans le département de l'Orne, où l'on assiste à une baisse du nombre des exploitations laitières, beaucoup d'entre elles ne trouvant pas de repreneurs. Il faut dire qu'une installation coûte cher, entre 150 et 200 000 €. Si à ce prix, il faut ajouter - depuis que la décision a été prise de s'orienter vers des droits à produire marchands - des droits à paiement, les jeunes agriculteurs auront de plus en plus de mal à reprendre de telles exploitations. Il est donc absolument nécessaire d'instituer une réserve de droits, qui puisse être mise gratuitement à la disposition de ceux qui s'installent.

Le second défi concerne l'aménagement du territoire. Le risque est grand, en effet, de voir des régions perdre progressivement leurs droits à paiement, et de ce fait leur vocation agricole. Il faut donc prévoir des garde-fous pour maintenir cette vocation.

Pouvez-vous nous dire, Monsieur le ministre de l'agriculture, quelles décisions européennes ont été prises récemment à ce sujet ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales - Il y a deux ans, à la veille de la réforme de la PAC, il y avait de grandes menaces puisque la France était isolée et que beaucoup souhaitaient que le financement de l'élargissement se fasse au détriment du budget de la politique agricole commune.

Grâce à l'accord conclu entre le Président de la République et le Chancelier Schröder, et accepté par les autres Etats membres, nous avons garanti au moins jusqu'en 2013 nos 10 milliards d'euros annuels de retours agricoles. Comment ces aides seront-elles gérées désormais ? Rien ne change ni pour la prime à la vache allaitante, ni pour l'indemnité compensatoire du handicap naturel ni pour la prime herbagère agro-environnementale, c'est-à-dire pour ce que l'on appelle les aides du deuxième pilier, à savoir celles du développement rural. En revanche, pour les autres aides compensatoires, il y aura découplage partiel, et donc un problème de gestion de droits.

Mais la dernière négociation de Bruxelles nous a permis d'atteindre nos objectifs. Nous avons en effet mis en place un mécanisme permettant de maintenir le lien avec le foncier ; nous avons obtenu une taxation pour éviter la spéculation ; et nous avons pu instituer une réserve de droits à taux zéro pour favoriser l'installation des jeunes agriculteurs.

Nous sommes donc depuis hier complètement rassurés et nous allons désormais expliquer aux agriculteurs cette réforme, qui entrera en application le 1er janvier 2006 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

INDÉPENDANCE DE LA JUSTICE

M. André Vallini - Ma question s'adresse à M. le Garde des Sceaux et commence par deux rappels : sous le gouvernement de Lionel Jospin, toutes les nominations de magistrats ont été faites sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, et le Garde des Sceaux n'a jamais donné la moindre instruction aux procureurs sur les affaires judiciaires en cours (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. René André - Soyez sérieux !

M. André Vallini - Deux réformes avaient même été initiées pour inscrire dans la loi ces pratiques vertueuses. Réformes enterrées par le Président de la République et pratiques vertueuses enterrées par vous-même, Monsieur le Garde des Sceaux, puisqu'à peine entré en fonctions, vous avez rétabli les nominations contre l'avis du CSM...

M. Jacques Myard - Très bien !

M. André Vallini - ...ainsi que les instructions au parquet dans les affaires en cours (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

C'est à la lumière de ces deux rappels que j'en viens à l'affaire des emplois fictifs du RPR. Cette affaire doit être rejugée à l'automne par la cour d'appel de Versailles. Or, le procureur général de cette cour d'appel va être admis prochainement à faire valoir ses droits à la retraite, et la presse rapporte, ces derniers jours, que serait nommé pour le remplacer M. Marc Moinard aujourd'hui procureur général près la cour d'appel de Bordeaux, hier directeur de cabinet de Jacques Toubon, ministre de la justice d'Alain Juppé ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Ainsi, ce serait l'ex-bras droit du ministre de la justice d'Alain Juppé qui serait chargé de requérir contre Alain Juppé ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Croyez-vous vraiment qu'une telle nomination serait de nature à garantir une justice sereine, impartiale, indépendante, bref crédible aux yeux de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Monsieur Myard, criez si vous voulez, mais restez assis !

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Le poste de procureur général de Versailles est pourvu jusqu'au 30 juin. Il n'y a donc pas urgence. Il appartient au Garde des Sceaux de proposer en Conseil des ministres les nominations des procureurs généraux. Ce sera fait en temps et en heure. Le seul critère que je retiendrai alors sera celui de la compétence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

POLYGAMIE

M. Jacques Kossowski - Depuis la loi du 24 août 1993, les étrangers polygames n'ont en théorie plus le droit de séjourner en France. La carte de résident peut leur être retirée, le regroupement familial leur est interdit et les cartes de séjour ne peuvent leur être accordées. Malgré ce dispositif restrictif, notre pays continue dans les faits à tolérer la polygamie.

M. Jacques Myard - Scandaleux !

M. Jacques Kossowski - L'exemple de l'iman de Vénissieux est à ce titre très instructif. Il apparaît en effet que cette personne a deux épouses et seize enfants ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Dans ces conditions, je m'étonne qu'il puisse revenir sur notre sol.

Ce cas n'est malheureusement pas isolé. Nombreux sont en effet les élus, les préfets, les responsables d'offices HLM, de caisses d'allocations familiales ou encore de centres de sécurité sociale qui ont connaissance de telles situations. On estime qu'il existe entre 10 000 et 20 000 familles polygames en France, dont le coût pour la communauté nationale et les services sociaux serait d'environ 150 à 300 millions d'euros par an. Il s'agit là d'un détournement abusif de notre politique sociale, sans parler des problèmes de logement et d'insertion sociale que ces situations engendrent.

Alors qu'une majorité de parlementaires vient de voter une loi interdisant les signes religieux à l'école, il convient de faire preuve de la plus grande fermeté à l'égard de pratiques coutumières opposées aux valeurs de la République. Notre collègue Chantal Brunel vient d'ailleurs de déposer une proposition de loi à ce sujet. Quelles mesures comptez-vous prendre pour mettre fin à cette violation de notre droit et à ces atteintes à la liberté des femmes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle - Ni la polygamie, ni les mariages forcés, les violences ou les discriminations ne sauraient être acceptés sur le sol français car ils portent atteinte au respect de la dignité humaine. Nous sommes résolus à faire avancer la législation pour faire respecter ce principe de valeur constitutionnelle, qui fait l'honneur de notre République.

La règle de droit est claire : depuis 1993, le regroupement familial de plusieurs épouses sur le sol français est interdit, ainsi que le renouvellement du titre de séjour d'un chef de famille polygame. Par ailleurs, le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel ont dit à plusieurs reprises que la polygamie était contraire à l'ordre public français et n'ouvrait aucun droit particulier aux personnes concernées. Mais la réalité est plus complexe. Les maires savent combien les procédures sont lourdes. Une évaluation de la loi de 1993 s'impose donc comme préalable, d'autant que les situations que vous décrivez sont largement liées à l'immigration clandestine, contre laquelle les efforts de Nicolas Sarkozy puis de Dominique de Villepin devraient porter leurs fruits.

Si nous sommes déterminés à faire appliquer la loi de manière plus ferme, le droit ne suffit pas. Il est essentiel d'améliorer l'accompagnement social, l'apprentissage de notre langue et l'accès au droit. Nous allons publier un guide qui permettra aux femmes arrivant dans notre pays de connaître leurs droits tant sociaux et professionnels que les droits fondamentaux attachés à la personne humaine. Le contrat d'intégration est certes un outil utile, mais il faut aller au-delà : toutes nos politiques sociales doivent encourager la responsabilité et la dignité. C'est l'enjeu d'une intégration réussie, qui passe par les femmes, premières victimes en cas d'échec (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

LUTTE CONTRE LA DÉSINDUSTRIALISATION

M. François Vannson - M. Sarkozy, ministre d'Etat, a réaffirmé que la lutte contre la désindustrialisation était une de ses priorités. Les délocalisations affectent nos industries les plus fragiles, telles que le textile ou le petit électroménager, avec des conséquences sociales parfois dramatiques. Mais elles ne sont pas une fatalité. Le Gouvernement a lancé, depuis deux ans, des réformes importantes pour améliorer notre compétitivité. Il était urgent, en effet, de libérer le travail, de réduire les charges sociales et d'investir dans la recherche et l'innovation (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Cependant, c'est une politique ambitieuse qui doit lutter contre les transferts d'activité à l'étranger. Le Gouvernement a annoncé son intention de développer une stratégie de lutte contre les délocalisations. Pouvez-vous nous l'exposer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie - En deux minutes, ce sera difficile ! Je dois d'abord vous dire que la France est la cinquième puissance industrielle du monde. Elle possède dix entreprises parmi les plus grandes du monde et des dizaines qui sont leaders dans leur branche. La politique du Gouvernement veut donc redonner confiance aux Français, confiance dans leur économie et dans leur industrie, confiance en eux et en l'Etat. Cette politique est menée avec détermination par Nicolas Sarkozy.

Deuxième axe : nous voulons convaincre la Commission européenne de mener une politique industrielle européenne, à caractère sectoriel (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP). Dans le textile par exemple, nous sommes en train d'organiser avec les vingt-cinq pays de l'Union et vingt autres du pourtour méditerranéen, une zone de libre-échange à l'abri du protectionnisme et du soutien financier des Etats, capable de faire face à la sévère concurrence des pays de la zone asiatique. Nous menons parallèlement une politique d'attractivité de notre territoire, par la constitution de pôles de compétitivité ou par l'encouragement de la recherche - qui elle-même est un élément important de la politique du médicament et de la réforme de l'assurance maladie menées par Philippe Douste-Blazy. Plusieurs politiques contribuent donc à former un ensemble cohérent.

En ce qui concerne les délocalisations, il faut distinguer celles qui étendent nos industries sur le territoire d'autres pays pour créer des marchés et de l'emploi, et celles qui sont le fait de patrons voyous, de chasseurs de primes (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). A l'égard de ceux-là, notre politique sera sévère. En particulier, je considère que la prime à l'installation pour la reconversion d'un territoire est un contrat. Contrairement à ce qui est arrivé dans le passé, nous n'accepterons pas que certains ne le respectent pas (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La séance, suspendue à 15 h 50, est reprise à 16 heures 15, sous la présidence de M. Raoult.

PRÉSIDENCE de M. Éric RAOULT

vice-président

RAPPELS AU RÈGLEMENT

M. André Gerin - Le Conseil des ministres a décidé ce matin de privatiser EDF-GDF. C'est un choix politique grave. L'Etat français démissionne devant le Medef et les directives de Bruxelles. Il s'agit d'un coup de force, comme celui dont fut victime France Télécom. Il est scandaleux qu'une entreprise qui marche soit mise sur le marché financier. Or, EDF est la référence publique mondiale ; peut-être fait-elle tache à ce titre par rapport aux objectifs capitalistes.

Dans ces conditions, nous considérons que le débat en cours sur l'énergie est pipé, car les orientations énergétiques du pays sont conditionnées par le statut d'EDF-GDF. Désormais tout est changé. Nous demandons par conséquent le report de l'examen du projet en cours, car on se moque de la représentation nationale. Hier, le ministre d'Etat faisait briller devant nous le miroir aux alouettes, aujourd'hui le Conseil des ministres porte un mauvais coup à la France.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie - Votre déclaration est malvenue. Aucun élément nouveau n'a de quoi vous surprendre. Le Gouvernement a toujours dit avoir l'intention de modifier le statut d'EDF pour qu'elle devienne une entreprise de droit commun. Il ne s'en est jamais caché, au contraire.

Il ne s'agit pas d'une privatisation, qui est effective quand l'Etat détient moins de 50 % du capital. Mais nous voulons faire d'EDF un grand champion mondial et européen. Loin de vouloir faire le malheur d'EDF, en la cantonnant au territoire national et en l'empêchant d'accroître ses parts de marché, nous voulons qu'elle les augmente ; elle ne peut les augmenter qu'en Europe, et pour y parvenir elle a besoin d'être une entreprise comme les autres, afin de ne plus rencontrer les difficultés qu'elle a connues en Italie avec l'ENI.

M. Pierre Ducout - EDF n'est pas une entreprise comme les autres !

M. le Ministre délégué - Où est le scandale ? Que les institutions de la République fonctionnent ? Que le Conseil des ministres décide l'adoption des projets de loi ? Que le Parlement soit saisi ?

M. André Gerin - L'Etat a démissionné !

M. le Ministre délégué - Saisir le Parlement serait un coup de force ? Où vivez-vous ? Quoi de plus démocratique que de saisir le Parlement ? Vous voterez ce que vous voudrez ! C'est cela la démocratie ! (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Vous voudriez qu'on ne saisisse pas le Parlement ? Voilà ce qui serait contraire à la démocratie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Un long débat nous attend. M. Brottes va d'abord faire un rappel au Règlement.

M. François Brottes - Il paraît choquant, voire méprisant, de faire examiner un projet de loi d'orientation sur l'énergie, et en même temps d'annoncer de grandes décisions relatives à une entreprise jouant un rôle majeur dans le domaine de l'énergie. Il aurait été courtois, pour le moins, d'attendre que le Parlement se prononce sur cette orientation, avant que l'exécutif présente des propositions opérationnelles. Mais tout se passe dans l'urgence, la précipitation et l'improvisation. C'est regrettable.

ÉNERGIE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi d'orientation sur l'énergie.

M. le Président - Hier soir l'Assemblée a entendu les orateurs inscrits dans la discussion générale.

M. le Ministre délégué - Monsieur Gerin, vous me trouverez maintenant beaucoup plus aimable, car nos convergences sur l'énergie, sont beaucoup plus fortes que ne le laisse penser votre malheureux rappel au Règlement.

M. Pierre Ducout - Qui était tout à fait justifié !

M. le Ministre délégué - Je remercie M. Gatignol de son soutien à la politique du Gouvernement. J'ai noté son attachement au développement de la recherche, en particulier dans le domaine de l'hydrogène, ainsi qu'à la priorité à donner aux énergies non renouvelables thermiques. Nous partageons la même préoccupation. Vous avez lancé, monsieur Gatignol, un vibrant appel en faveur du site de Flamanville ; je pense que l'offre peut être améliorée.

Comment affirmer, comme l'a fait M. Tourtelier, que nous ne nous fixons pas d'objectifs précis pour la maîtrise de l'énergie ? Nous nous engageons à améliorer l'intensité énergétique de 2 % par an à l'horizon 2015 ! Nous associons les Français à cette démarche, et je viens de lancer avec le ministre de l'environnement la campagne de l'ADEME pour les économies d'énergie.

Non, Monsieur Dionis du Séjour, le choix du Gouvernement n'est pas celui de tout-nucléaire, mais celui du nucléaire, et c'est pourquoi nous voulons à la fois lancer l'EPR et développer toutes les formes d'énergie renouvelable.

Madame Jambu, je me réjouis de me retrouver avec vous sur l'EPR, que l'EDF aura bien à concevoir et à exploiter. Nous reprocher une vision libérale me paraît infondé (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Nous serions incapables selon certains du moindre pragmatisme, d'aucune analyse lucide de la réalité. Que les dévots de leur propre religion n'intentent pas à leurs adversaires le procès de croyances qui sont les leurs. Je suis moins libéral que vous n'êtes socialistes (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). C'est parce que le marché ne peut pas tout que nous voulons, par ce projet, offrir un cadre à l'action des entreprises énergétiques.

Merci, Monsieur Gonnot, d'avoir souligné combien il est important de réaliser l'EPR, et aussi de développer conjointement, sans les opposer, le nucléaire et les énergies renouvelables, y compris l'éolien. S'agissant de la CSPE, il est incohérent, c'est vrai, de faire financer exclusivement par le secteur électrique, peu émetteur de gaz, les énergies renouvelables et la co-génération. Patrick Ollier s'est exprimé dans le même sens. Ainsi la commission a-t-elle proposé de répartir cette charge sur l'électricité et sur le gaz, ce qui risque de créer une distorsion entre le gaz et le fioul, en renchérissant fortement le prix du gaz.

S'il convient donc de garder l'idée avancée par la commission, sans doute faudra-t-il la préciser par quelques amendements.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - J'en suis d'accord.

M. le Ministre délégué - Mme Gautier, qui a consacré l'essentiel de son propos aux énergies renouvelables, a prétendu que nous aurions pris du retard en ce domaine. Je lui indique donc que nous sommes n° 1 pour le bois, n° 2 pour les biocarburants et l'hydraulique, n° 3 pour la géothermie et le biogaz, et n° 4 pour le solaire. Ce n'est tout de même pas si mal ! Et, s'il est vrai que nous avons pris du retard pour ce qui est de l'éolien, en particulier par rapport à l'Allemagne, c'est que nos besoins sont moins importants que ceux d'un pays qui recourt pour 50 % au charbon. Au reste, ce retard a été pris entre 1997 et 2002, de sorte que nos critiques devraient bien se livrer à un examen de conscience...

M. Jacques Myard - Ils n'ont pas de conscience !

M. le Ministre délégué - C'était notamment le temps où M. Cochet était ministre ! Nous, nous sommes en train de combler ce retard : nous disposions de 150 MW en 2003 et, surtout, des permis de construire ont été accordés pour 760 MW.

M.  Masdeu-Arus a raison de rappeler que la sécurité de notre approvisionnement exige un réseau de transport de l'électricité fort et solidement maillé. RTE a montré son savoir-faire dans ce domaine et nous veillons à ce qu'il dispose, au sein du groupe EDF, des moyens d'exercer sa mission.

Oui, la recherche sur les nouvelles technologies doit constituer une priorité et le Gouvernement entend tout faire pour que notre pays conserve son avance ou comble ses lacunes.

J'ai bien entendu votre exhortation à développer le recours aux biocarburants, Monsieur Masdeu-Arus, mais il me faut aussi tenir compte de contraintes financières et l'équilibre n'est pas si facile à trouver...

Monsieur Cochet, j'ai admiré votre audace intellectuelle, votre détermination et votre courage...

M. Jacques Myard - Il faudrait plutôt parler de constance dans l'erreur !

M. le Ministre délégué - Il n'est pas aisé d'être seul à défendre ses idées dans une assemblée - et ne croyez pas que je vous adresse un reproche : les gaullistes savent la noblesse de la solitude. Votre logique et votre culture vous autorisent même à corriger vos amis quand ils s'égarent ou se montrent trop peu précis ! Cependant, vous ne nous avez pas convaincus...

M. Yves Cochet - Pas encore !

M. le Ministre délégué - Il est permis d'espérer ! (Sourires) Continuez donc de déployer votre talent, il vous en faudra beaucoup !

Monsieur Lenoir, je ne puis égaler votre aisance et votre brio. Votre maîtrise du sujet vous a permis de parler sans papier et votre démonstration fut impressionnante, et je suis d'autant plus admiratif que vous avez mis ces qualités au service de la politique gouvernementale !

Mme Darciaux a oublié que nous avons lancé un grand débat l'an passé, en recourant à tous les moyens modernes. On pouvait bien sûr faire encore mieux, mais nos prédécesseurs ne peuvent se prévaloir du même effort et le moment est venu maintenant de décider.

Je sais gré à Mme Kosciusko-Morizet d'avoir souligné l'importance du nucléaire pour garantir une énergie compétitive. Nos atouts en ce domaine bénéficient à l'emploi mais il faut que les industriels aussi en tirent profit, en effet. D'autre part, je reconnais les faiblesses de notre recherche sur les différents domaines du nucléaire et je souhaite donc qu'on y remédie, en particulier pour ce qui est de l'efficacité énergétique.

Un peu comme M. Cochet encore que travaillant dans un autre registre, M. Bataille se retrouve parfois isolé ou, du moins, quelque peu à l'écart au sein de son propre camp - ce qui n'est pas une situation facile, j'en puis témoigner. Il y gagne d'être reconnu par ses adversaires et, je pense, respecté par ses amis. En l'espèce, la position qu'il a prise en faveur de l'EPR rejoignait celle du Gouvernement et, si je l'en remercie, ce n'est pas que je croie qu'il ait voulu nous faire plaisir : c'est que, fort d'une conviction ancrée en lui depuis des années, il sait défendre sa conception de l'intérêt national en négligeant les calculs politiciens. Puissions-nous tous faire preuve de la même conscience civique.

M. Gaillard nous a invités à faire preuve de pédagogie, en particulier auprès des jeunes, et il a insisté sur l'intérêt qu'il y aurait à développer l'hydraulique...

M. Michel Bouvard - Très bien !

M. le Ministre délégué - Je le rassure : celle-ci n'est pas taxée davantage que le bois.

M. Michel Bouvard - Ce sont eux, là-bas, qui l'ont taxée !

M. le Ministre délégué - A M. Destot, je dirai qu'il n'existe sans doute pas de solution miracle, en l'état des techniques, pour arrêter une croissance de la consommation, en effet préoccupante, dans le secteur des transports. Lorsqu'elle était au pouvoir, la gauche n'a d'ailleurs pas fait mieux que nous. Cependant, j'observe qu'avec la limitation de la vitesse, décidée pour de tout autres raisons, nous avons obtenu l'an passé une baisse de 1,8 % de cette consommation. C'est sans précédent depuis trente ans !

Je suis reconnaissant à M. Nicolas de son soutien. Il a raison d'insister sur le facteur temps et il a raison aussi de nous demander de veiller à que le soutien aux énergies renouvelables et à la cogénération n'aboutisse pas à une hausse du prix de l'électricité. Mais je sais que la commission s'est souciée de ce dernier point.

Mme Perrin-Gaillard s'est montrée très sévère... pour l'absence de décisions sous le gouvernement de la gauche ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Pierre Ducout - Votre exégèse est un brin orientée !

M. le Ministre délégué - Peut-être ai-je mal compris, mais nierez-vous que ce gouvernement n'a pas lancé de débat, ni proposé de loi d'orientation ?

M. Pierre Ducout - Il a fait voter la loi de 2000 !

M. le Ministre délégué - Les reproches de l'oratrice étaient donc quelque peu excessifs.

Monsieur Bouvard, voici enfin venue pour moi l'occasion de répondre à une de vos interpellations anciennes. Je conçois que le silence du Gouvernement vous ait en quelque sorte frustré...

M. Michel Bouvard - Ce sont les salariés des industries qui sont frustrés !

M. le Ministre délégué - Ils peuvent compter sur vous pour les défendre. Je reconnais que ce problème de la hausse du prix de l'électricité est un vrai problème. Avant que n'intervienne la directive, EDF avait tendance à faire payer plus cher les ménages, de sorte que ceux-ci ont financé l'industrie. Avec l'ouverture à la concurrence et poussée de surcroît par ses difficultés financières, l'entreprise a relevé les tarifs imposés aux industriels, pour s'aligner sur ceux de l'Allemagne.

M. Jacques Myard - C'est bien là que gît le problème !

M. le Ministre délégué - En effet : nous bénéficions de l'énergie nucléaire, ce qui n'est pas le cas de l'Allemagne ! On peut donc avoir le sentiment qu'EDF essaie de reconstituer des marges compromises par certaines aventures. C'est pourquoi j'ai chargé l'inspection générale des finances et le conseil général des mines de dresser un état de la situation.

J'attends de la mission des propositions - mais la difficulté vient de ce que, faute de concurrence réelle, il n'y a pas de discipline de marché possible - et je ne manquerai pas de vous faire part de ses conclusions.

M. Michel Bouvard - Quand ?

M. le Ministre délégué - Vous le savez bien : on ne bouscule pas l'inspection des finances, non plus que le conseil général des mines... mais chacun est conscient de l'urgence.

M. Jung, qui a couvert un très vaste champ, de la bicyclette au nucléaire, a demandé avec acharnement l'arrêt d'une centrale nucléaire qui concourt pourtant à la fourniture d'une énergie de qualité et compétitive à l'Alsace...

M. Pierre Ducout - Encore l'installation doit-elle être sûre !

M. le Ministre délégué - Nous avons, à cet égard, la garantie de l'Autorité de sûreté nucléaire, dont l'expertise doit primer sur les fantasmes... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Pierre Ducout - Elle ne peut rien contre l'inquiétude !

M. le Ministre délégué - L'inquiétude est utile si elle permet de progresser, mais elle ne doit pas conduire à la paralysie.

M. Myard nous a fait part de son scepticisme narquois au sujet des énergies renouvelables. M. Besson, pour sa part, a soutenu l'orientation politique du texte, qui conforte l'option nucléaire, mais il souhaite l'approfondissement de la réflexion sur le stockage des déchets. Cela sera fait, et le rendez-vous de 2006 sera tenu. Il a appelé de ses v_ux une circulaire aux préfets sur l'énergie éolienne : ce texte existe, et je le tiens à sa disposition.

M. Rouault a soutenu le texte tout en se prononçant en faveur des économies d'énergie et des énergies renouvelables ; il n'est pas le seul à penser de la sorte, et cette piste devra être explorée, mais il faudra tenir compte de l'état des finances publiques. M. Deprez a, lui aussi, appuyé le projet, en insistant sur la nécessité de concilier différentes sources d'énergie : c'est bien notre intention.

Je ne reviendrai pas sur les critiques de M. Cohen relative à la procédure, sinon pour répéter que si nous avons dû déclarer l'urgence, c'est que rien n'avait été fait, à ce sujet, au cours des cinq ans de la précédente législature (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jacques Myard - Et toc !

M. François Brottes - Mais vous êtes au pouvoir depuis deux ans !

M. le Ministre délégué - Précisément : le Gouvernement a pris un an pour cerner le problème et une autre année pour mener le débat public à son terme, ce que vous n'avez jamais fait.

M. François Brottes - Après quoi, nous avons eu, en tout et pour tout, huit jours pour débattre !

M. le Ministre délégué - Mais non ! Le débat dure depuis un an ! Dans ces conditions, nous accuser de précipitation est tout à fait excessif. Mme Gruny s'est dit favorable à la promotion d'une filière des biocarburants. Je confirme l'intérêt du Gouvernement pour cette filière, à la condition, encore, de ne pas alourdir la dépense publique.

Je ne saurais conclure sans remercier votre rapporteur et le président de votre commission pour le très important travail de réagencement du texte qu'ils ont mené...

M. le président de la commission - C'est que nous sommes les partenaires du Gouvernement.

M. le Ministre délégué - C'est bien pourquoi le Gouvernement vous remercie de l'habileté avec laquelle vous avez su rassembler des dispositions qui pouvaient paraître quelque peu hétéroclites. Et je ne doute pas que le texte enrichi de vos amendements sera un texte de qualité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission.

M. François Dosé - Toute loi d'orientation est un moment d'exception dans la vie parlementaire, car de tels textes résistent mieux que d'autres aux alternances politiques. Je ne le regrette pas, mais je souligne l'exceptionnelle responsabilité qui va être la nôtre. Chacun le ressent confusément : l'une des caractéristiques de ce projet tient à ce qu'il a pour dimension le temps ou, plus exactement, sa démesure. Déjà, nos engagements internationaux rythmeront les décennies à venir mais il y a davantage : des cycles d'investissements qui s'inscrivent dans une durée séculaire, puisqu'aux études succèderont la réalisation, l'exploitation puis le démantèlement des installations. Et qui parle d'élimination des déchets radioactifs parle de millénaires. A cela s'ajoute la multiplicité des domaines concernés et la diversité des intervenants, français et étrangers.

Etant donnée cette complexité, le projet ne devait esquiver ni la question des transports, ni celles de l'habitat, du développement économique et donc de la recherche, de l'environnement, et des solidarités sociales, territoriales et générationnelles sans se soustraire du même coup à une obligation éthique.

M. François Brottes - Très bien !

M. François Dosé - Ainsi, ne laissons pas croire qu'il s'agit d'organiser la solidarité, car chacun comprend que les intérêts ne peuvent être que conflictuels quand il faut tenir compte à la fois des Etats, de l'Union européenne, des collectivités territoriales, des producteurs, des développeurs, des gestionnaires de réseaux, des entreprises, des consommateurs, des usagers et des citoyens...

Ce texte serait-il, alors, une gageure ? Je ne le crois pas, et il me paraît juste de dire que le projet a le mérite d'exister.

M. le Président de la commission  - Merci !

M. François Dosé - Il fallait engager ce débat, et c'est pourquoi ce texte est le bienvenu : même imparfait, même contestable, il est préférable à l'étrange silence qui a prévalu jusqu'à présent...

M. le Président de la commission et M. Jean Dionis du Séjour - Belle honnêteté !  

M. François Dosé - ...s'agissant de notre approvisionnement en énergie.

Il est déjà tard, et mieux vaut aujourd'hui que demain... Pourtant, nous demandons le renvoi de ce projet en commission. Quelques semaines suffiraient : il est raisonnable de le soumettre au vote en première lecture avant la fin de cette session, mais il est totalement déraisonnable et même inadmissible d'en délibérer dès maintenant.

Nous réclamons du temps, en premier lieu pour corriger le déficit démocratique de la phase préparatoire.

Rares, trop rares, sont les projets de loi introduits par des rencontres et débats préalables pour ne pas signaler cette bonne intention des deux ministères concernés. Notre démocratie fragilisée gagnerait, chaque fois que faire se peut, à inviter nos concitoyens à participer aux débats publics. Mais pour que cette invitation soit crédible, il faut veiller à la diversité des intervenants, susciter les expressions contradictoires et respecter ce temps d'écoute et de partage. On ne doit pas pouvoir dire : « Démocratie alibi ». L'annonce par Mme Fontaine, au quatrième trimestre 2003, tandis que les débats décentralisés sur les énergies n'étaient pas achevés, que l'EPR serait rapidement réalisé en France discrédita la démarche.

M. Jean Dionis du Séjour - C'est vrai, malheureusement.

M. François Dosé - Cela dit, nous devons saluer les rapports souvent remarquables rédigés par nos collègues qui ont mis à notre disposition les synthèses de leurs recherches et recommandations. Mais nous devons déplorer avec vigueur un calendrier inadmissible : 5 mai, présentation du projet en Conseil des ministres ; 12, 13 et 19 mai : examen en commission ; 18 et 19 mai : première lecture dans l'hémicycle. L'urgence n'excuse pas la précipitation. Comparaison n'est pas raison, mais la loi relative au développement des territoires ruraux fut examinée en dix-neuf séances...

En outre, la déclaration d`urgence est à l'évidence inadaptée à une loi d'orientation, et je note que de tous les bancs se sont élevées des protestations.

En réalité, vous instrumentalisez ce texte sur les énergies en le réduisant à un projet sur l'électricité, avec deux obsessions : apaiser la communauté entrepreneuriale EDF-GDF avant de remettre en cause, dès juin, le périmètre financier de ces deux entreprises et le statut de leurs agents, et susciter par avance l'intérêt des futurs actionnaires. L'augmentation du capital fait force de loi et de calendrier !

Il nous faut du temps, en deuxième lieu, pour hiérarchiser les chantiers du possible.

Certes, les collègues de la commission des affaires économiques ont évité le ridicule : devant notre instance, les annexes - objets juridiques non identifiés - ne sont plus seulement adossées à l'article premier mais incluses dans celui-ci. Mais cela ne suffit pas ! Il nous faut énoncer clairement nos v_ux et définir une stratégie nationale volontariste... Nos collègues gaullistes - s'il en reste...

M. le Président de la commission et M. le Ministre délégué - S'il n'en reste qu'un... (Sourires)

M. le Président - Il en reste plusieurs !

M. François Dosé - ...auraient nommé cela une ardente obligation !

Afin d'apprécier et de promouvoir de futures initiatives, il faut dès l'automne 2004 établir une première loi de programmation pluriannuelle, visant tout à la fois la maîtrise des énergies, l'amélioration du rendement des productions et des distributions et la diversification des sources.

Analysons tous les secteurs d'activités « énergétivores » et hiérarchisons immédiatement « les chantiers du possible » dans chaque domaine. Profitons-en pour populariser certaines réalités méconnues. Ne réduisons pas la problématique énergétique à la production électrique.

Privilégions la maîtrise des consommations énergétiques dans tous les domaines. Le gâchis énergétique est une injustice économique, territoriale, sociale et intergénérationnelle.

Favorisons la diversification. Développons les énergies dites renouvelables, sans les cantonner à l'appoint. Refusons le « tout-nucléaire » sans revendiquer la « sortie du nucléaire ».

Respectons à la date prévue la directive du 27 septembre - assurer 21 % de notre consommation électrique par des énergies renouvelables en 2010. Faire mieux, d'ailleurs, n'est pas une utopie !

Fixons-nous des objectifs par filière, notamment dans la perspective du renouvellement des centrales nucléaires civiles. Actuellement, 80 % de l'électricité est en France produite grâce à la technologie électronucléaire ; si nous valorisons la cogénération, le gaz, le charbon propre..., dimensionnons le parc nucléaire à sa juste contribution. Ne diabolisons pas le nucléaire, mais ne méprisons pas les autres sources d'énergie. Dans cette perspective, la construction d'un EPR n'est ni inéluctable, ni souhaitable.

Monsieur le ministre, en félicitant l'un de nos collègues pour la permanence de ses convictions, vous avez ajouté qu'il ne pouvait être soupçonné de calculs politiciens. Mais, Monsieur le ministre, les autres non plus ! Non, les choix énergétiques des uns et des autres n'obéissent pas à des considérations électorales. L'honnêteté intellectuelle des uns et des autres ne doit pas être suspectée.

Je disais donc que la construction de l'EPR n'est ni inéluctable, ni souhaitable, car elle perturberait à l'évidence la situation financière d'EDF et reporterait à plus tard, trop tard, nos efforts de recherche et de développement en faveur des énergies renouvelables.

Les nuisances des différentes techniques de production doivent être examinées sans tabou et hiérarchisées : ici, les déchets radioactifs de haute activité et de longue durée, là les émissions de CO2 et de gaz à effet de serre. Parlons aussi des problèmes paysagers que posent les éoliennes et des problèmes de gestion des eaux que posent les barrages. Les biocarburants ? Oui, mais les intrants ? Le bois ? Oui, mais les importations ?

Le ministre d'Etat a cité hier Saint-Exupéry : nous n'héritons pas de la terre de nos parents, nous l'empruntons à nos enfants. On ne peut qu'être d'accord. Tout le problème est dans la juste reconnaissance du capital d'aujourd'hui et des intérêts pour demain. Ce débat-là malheureusement n'a pas été ouvert.

Le monde est un village et il est bien évident que le nuage radioactif de Tchernobyl ne s'est pas dissipé dans le ciel d'outre-Rhin, pas plus que ne se dissiperont dans le ciel asiatique les nuages de CO2 sortis des usines de Chine ou d'Inde, surtout si leur croissance se poursuit au même rythme soutenu.

Le réchauffement atmosphérique est principalement provoqué par l'activité des puissances économiques de l'hémisphère nord, mais les premières victimes en seront les habitants de pays pauvres de l'hémisphère sud. Pourtant, un Africain consomme quinze fois moins qu'un Américain, sept fois moins qu'un Français.

Les dix-neuf réacteurs de type soviétique installés dans cinq des dix nouveaux pays membres de l'Union européenne ont sans doute épargné des rejets de CO2, mais leur fragilité inquiète désormais toute l'Europe, qui devra, pour conjurer le danger, passer à la caisse.

Evidemment, en Chine ou en Inde, la filière nucléaire peut se substituer avantageusement aux énergies combustibles et à leurs rejets polluants, mais les instances internationales seront confrontées aux difficultés de la gestion d'importants stocks de déchets radioactifs et au risque de prolifération nucléaire.

Oui, le monde est un village, le nôtre. C'est bien pourquoi il faut absolument concilier efficacité économique et utilité sociale, solidarité territoriale, pertinence environnementale. Cela nous impose une sorte de veille internationale, qui doit s'appuyer sur une réelle politique énergétique européenne. Montrons à ceux qui ricanent de la « vieille Europe » qu'elle est capable d'avoir un projet énergétique fort et cohérent.

Mais prenons garde : la banalisation des produits énergétiques dans un marché commun européen élargi et libéralisé au fil des ans conduira à redéfinir la notion d'indépendance nationale. Faut-il, pour être indépendant, disposer in situ du potentiel nécessaire ou considère-t-on qu'on l'est si l'on a les moyens d'acheter le produit voulu ?

Alors que ce gouvernement prétend mettre en _uvre une nouvelle étape de la décentralisation, vous avez refusé, Monsieur le ministre, dans le projet de loi concernant les responsabilités locales, les propositions faites par notre collègue Tourtelier au nom du groupe socialiste tendant à élargir à l'énergie les compétences des collectivités territoriales. Pourtant, dans ce domaine, une gestion de proximité se justifie particulièrement.

Nous réclamons du temps pour esquisser des échéanciers. Si ce projet était un projet de loi d'orientation digne de ce nom, nous aurions dû débattre en commission de l'état actuel des réserves mondiales des matériaux combustibles, des hypothèses de variation de coûts, des évolutions climatiques par continent, des amortissements de nos investissements lourds, des traités internationaux concernant l'énergie. Puis, nous aurions hiérarchisé nos objectifs et évalué les moyens financiers susceptibles d'être mobilisés. En fait, la seule date clairement énoncée le fut par le ministre d'Etat : « été 2004, un site pour le futur EPR. »

Si le Gouvernement redoute de s'engager sur des échéances trop précises, les réservant pour une éventuelle loi programme, alors il nous faut connaître la date du dépôt de celle-ci. Faute d'un tel engagement, c'était à nous d'esquisser un échéancier, dans le respect des priorités fixées.

Nous voulons du temps aussi pour préciser le rôle des différents partenaires. Qui fera quoi ? Quand ? Comment ?

Evidemment, l'Etat doit être exemplaire. Nous avons dû rappeler cette évidence en commission, car l'Etat prétendait se dispenser des orientations qu'il fixe aux autres !

Exemplaire, cela signifie par exemple que les recherches prévues soient financées. Le discrédit serait immédiat si, dans la loi de finances pour 2005, les crédits consacrés aux recherches énergétiques s'inscrivaient dans la tendance constatée ces deux dernières années. L'ADEME, l'ANAH ou le CNDB aimeraient être sûrs du contraire.

Exemplaire, cela implique que le souci de rentabilité des actionnaires ne conduise pas hors du champ de l'intérêt de la nation les activités de nos deux opérateurs, EDF et GDF. Personne ne conteste la nécessité d'ouvrir leur périmètre financier, mais la présence d'actionnaires privés pose le problème du retour qu'ils exigent.

Exemplaire, cela veut dire que l'Etat ne se défausse pas sur les collectivités territoriales et sur certaines entreprises ou associations, et que le Parlement, chaque année, doit valider ou non le bilan des programmes en cours et les projets envisagés.

La loi d'orientation sur les énergies aurait pu être un texte remarqué et remarquable. Elle aurait pu permettre de mieux identifier les enjeux, les priorités, le calendrier et les partenaires. C'est une occasion gâchée. On est même loin du Livre blanc, que certains trouvent très insuffisant. C'est un texte alibi. Accords et désaccords font la richesse d'une démocratie vivante, et nous n'avons pas à la craindre. Or, l'examen de ce projet fut conduit dans des conditions déplorables. Le dernier record homologué fut de 450 amendements en 30 minutes ! Ni le président de notre commission, ni le rapporteur n'en portent la moindre responsabilité. Ils ont constaté ces dysfonctionnements et ont tenté, parfois avec succès, de les atténuer.

Imaginez un instant qu'un gouvernement de gauche vous ait infligé cela !

M. le Ministre délégué - Mais il l'a fait !

M. François Dosé - Il s'agit d'une loi d'orientation ! Au lieu de planter le décor dans lequel les événements futurs devraient s'inscrire, elle est pensée comme un sous-ensemble, voire comme un préalable à ce qui se passera au mois de juin. Pour marquer notre désaccord sur le rythme qui nous a été imposé, pour dire notre volonté de rendre au Parlement une place prépondérante, pour approfondir dans la sérénité d'une commission un programme couvrant des décennies d'action, j'en appelle à l'ensemble de mes collègues pour renvoyer ce texte en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président de la commission - M. Dosé est un des membres les plus assidus de notre commission. Je rends hommage à son honnêteté intellectuelle et j'apprécie toujours nos discussions, qui sont apaisées et sérieuses. Mais, Monsieur Dosé, votre motion de renvoi relève pourtant plus du plaidoyer contre le texte même que d'une demande de réexamen ! Vous avez demandé à disposer de temps, en faisant état d'un déficit démocratique. Mais vous avez aussi reconnu que le Gouvernement avait organisé les débats sur l'énergie dont nous manquions cruellement et évoqué le rapport qu'il a remis le 7 novembre. Il devient dès lors paradoxal de parler de précipitation !

Je comprends que vous souhaitiez que la commission travaille plus, mais elle doit rester dans son champ de compétences. Or, la plupart des sujets que vous avez évoqués sont de la responsabilité du Gouvernement ou de celle de chaque groupe parlementaire, au sein de cet hémicycle. Quant à la préparation de ce texte, il est vrai que nous nous sommes tous posé des questions sur le calendrier, mais j'en appelle à votre honnêteté intellectuelle : cette discussion arrive au terme d'un débat public de quatre mois, auquel vous avez d'ailleurs largement participé, et après un rapport du Gouvernement rendu public le 7 novembre 2003. La majorité comme l'opposition ont néanmoins souhaité qu'un débat se tienne à l'Assemblée nationale. La commission a fait bloc et a demandé ce débat au Gouvernement. Il s'est tenu le 15 avril et a permis de faire entendre des propositions sérieuses, dont bon nombre ont été prises en compte. Alors ne cherchez pas à faire croire que ce texte est sorti de nulle part !

Enfin, il n'est pas possible de laisser dire que la commission n'a pas fait son travail. Elle a rarement consacré plus d'heures de réunion qu'à ce texte et les 1 065 amendements qui ont été déposés prouvent, par leur importance, que vous avez eu le temps nécessaire pour y réfléchir ! Nous en avons d'ailleurs adopté une grande partie, qu'ils proviennent de la majorité ou de l'opposition, et le ministre a manifesté sa volonté d'ouverture pour le travail en séance. La majorité comme l'opposition ont souhaité, dès la première réunion de la commission, que l'architecture du texte soit revue et que son annexe soit intégrée dans le corps de la loi. J'ai donné mon accord et Serge Poignant s'est mis immédiatement au travail. Quelques heures plus tard, le ministre nous donnait satisfaction ! Je ne pense pas que cet excellent travail, dont vous êtes autant artisans que nous, mérite d'être renvoyé en commission.

Je ne vous répondrai qu'en ce qui concerne le renvoi en commission, et non sur vos orientations en matière de politique énergétique : nous y reviendrons au cours du débat. Je pense que la place du Parlement a été respectée et qu'il a pu bien faire son travail. Je souhaite donc que la majorité rejette ce renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Claude Gatignol - François Dosé, selon son habitude, a élevé le débat et j'ai apprécié le ton de son intervention. Nous partageons tous son sentiment quant au rôle irremplaçable de la démarche démocratique, qu'elle soit représentative ou participative, et tirerions tous profit de relire un de nos illustres prédécesseurs, Alexis de Tocqueville (« Très bien ! » sur divers bancs). Mais je ne peux suivre M. Dosé dans ses conclusions. La commission a effectué un travail dense et si son rythme a été quelque peu différent de son habitude, personne n'a manqué d'énergie, si je puis dire, pour produire des amendements ! Ce texte est en effet l'aboutissement d'un processus qui a commencé début 2003, s'est prolongé par des publications et des commentaires et nous a permis, le 15 avril, de tous nous exprimer dans cette enceinte.

Le temps de la synthèse et de la décision est venu. Le groupe UMP ne votera donc pas la motion de renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Philippe Tourtelier - « En prenant du temps aujourd'hui, on en gagnera demain », a dit avec raison François Dosé. De fait, nous serons plus efficaces, et nous éviterons un déni de démocratie. Car c'est bien de démocratie qu'il s'agit ici.

Avec le débat national que vous avez lancé, vous avez mis en branle la démocratie participative. Mais les participants ont vivement regretté de n'avoir pas eu le temps de présenter des propositions. Au total, vous avez bafoué la démocratie participative. Aujourd'hui c'est la démocratie représentative qui souffre. Nouveau député, je suis ahuri de ce que je vis. Comme l'a dit un collègue de l'UDF, nous avons été « écrabouillés » (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Monsieur le président de la commission, en dépit de vos efforts pour améliorer la situation, aller à 125 amendements à l'heure nous conduit dans le mur.

Et comment pourrons-nous exercer un contrôle démocratique sur un texte improvisé sous nos yeux, à coups d'amendements, sans que nous puissions approfondir ce dont nous sommes saisis.

A vous entendre, le Gouvernement doit travailler dans l'urgence parce que le précédent n'a rien fait pendant cinq ans. Avez-vous la mémoire courte, ou êtes-vous de mauvaise foi ? Nous avons élaboré un plan pour le ferroutage, nous avons décuplé l'enveloppe consacrée au rail dans les contrats de plan, nous avons doublé les crédits relatifs aux transports en commun en site propre. Depuis, vous avez réduit les crédits des TCSP, supprimé les crédits pour les DPU et vous n'honorez pas les contrats de plan.

M. le Ministre délégué - Il s'agit de transport, pas d'énergie.

M. Philippe Tourtelier - Nous avons suffisamment parlé du rapport entre les modes de transport et l'effet de serre ! Dans le domaine de l'habitat, nous avons imposé des normes techniques dans le neuf, et nous avions augmenté les crédits de l'ANAH et de l'ADEME, que vous vous êtes empressés de réduire. J'ai entendu à Rennes des chefs d'entreprise dans le secteur du solaire interpeller vos prédécesseurs en déclarant que, les crédits de l'ADEME n'étant plus disponibles, ils devraient licencier. Je pourrais parler aussi des obligations d'achat de l'électricité éolienne, que nous avons imposées. Votre argumentation pour justifier l'urgence ne tient donc pas.

En début de séance, vous avez tenté de donner une leçon de démocratie particulièrement déplacée, invoquant la saisine du Parlement, critère de la démocratie. Or hier vous avez déclaré au même André Gerin qu'il avait bien compris que l'essentiel du débat, c'était l'avenir du nucléaire et l'EPR. Je croyais que nous examinions un texte d'orientation sur l'énergie... Vous nous proposez donc un vrai-faux débat.

Huit jours pour examiner le projet, un vrai-faux débat, une seule lecture : vous n'avez vraiment pas de leçon à donner. Vous gagneriez en crédibilité démocratique si vous souteniez notre motion, que tout parlementaire qui s'honore devrait voter (Exclamations sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Dionis du Séjour - Je salue à mon tour la qualité de l'intervention de M. Dosé. Oui, soumettre au Parlement un projet de loi d'orientation sur l'énergie est une initiative courageuse.

Le débat préalable, au premier semestre 2003, était de bonne tenue démocratique. Le Livre blanc présenté le 7 novembre par Mme Fontaine était lui encore bienvenu. En revanche le travail parlementaire, lui, a été un peu écrabouillé, c'est un fait. Pourquoi une telle urgence ? Parce que nous examinerons mi-juin le texte relatif au statut d'EDF (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. André Gerin - Le débat d'aujourd'hui est donc plombé !

M. Jean Dionis du Séjour - C'est qu'au cours des négociations entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, certains de ces derniers ont exigé de voir au préalable des orientations inscrites dans le marbre de la loi sur la politique énergétique (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Pierre Cohen - C'est donc la faute des salariés ? C'est un comble !

M. Jean Dionis du Séjour - Ce n'est pas scandaleux ! N'ayez pas un langage en circonscription et un autre ici ! Pour le groupe UDF, la déclaration d'urgence aurait marqué le franchissement de la ligne rouge. Or, hier, à la suite d'un échange un peu mystérieux entre le Président Debré et le ministre, nous retenons l'engagement du Gouvernement d'organiser une véritable navette. Nous l'en remercions, ainsi que le président Ollier qui s'est entremis, non sans difficulté j'imagine.

Il est recevable d'indiquer la direction dans laquelle s'engage la nation avant de réviser le statut d'EDF-GDF. Il serait scandaleux de ne pas laisser le Parlement améliorer le projet de loi d'orientation. Nous faisons confiance, Monsieur le ministre, à votre engagement sur une seconde lecture. Dans ces conditions, nous ne voterons pas le renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. André Gerin - Il faut voter cette motion, après l'élément nouveau de ce matin, qui plombe le débat sur la politique énergétique. Toucher au statut d'EDF, c'est mettre en cause une conception de l'électricité comme bien public et universel. Changer de statut, c'est privatiser subrepticement, et provoquer une rupture historique avec les principes définis par le Conseil national de la Résistance. Il n'est pas vrai que le statut d'EDF et que notre politique énergétique dépendent de l'impératif de concurrence.

M. le Ministre délégué - La concurrence est déjà là !

M. André Gerin - Nous allons sortir peu à peu...

M. François-Michel Gonnot - Lionel Jospin était favorable au changement de statut !

M. André Gerin - Je ne suis pas responsable de Jospin ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). J'ai voté contre la transposition de la directive européenne sur l'électricité ! Je suis conséquent. Je vote aujourd'hui avec les socialistes parce que ce débat est plombé et doit être suspendu.

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

AVANT L'ARTICLE PREMIER

M. le Président - Les amendements 173 rectifié à 182 rectifié sont identiques.

M. François Dosé - En peu de mots, mon amendement 174 rectifié dit toute la chose : nous ne voulons pas du démantèlement à brève échéance d'un service public de l'énergie.

Nous souhaitons que notre politique énergétique continue d'être définie en France même, et ce y compris à l'heure où l'Europe se libère d'un certain nombre de contraintes juridiques, administratives ou politiques. C'est pourquoi la notion de service public doit prévaloir au début de cette loi.

M. François Brottes - Les mots ont un sens et nous tenons donc - c'est l'objet de l'amendement 176 rectifié - à ce que ceux de « service public » figurent en tête de la loi d'orientation. En dépendent notre cohésion sociale et l'aménagement harmonieux de notre territoire. L'énergie est le poumon de notre société, de nos territoires et il est donc indispensable de poser en préalable le principe d'égal accès de tous aux mêmes services. Mais la notion de service public est en outre indissociable de celle d'indépendance stratégique, économique et industrielle que nous rappelons dans la suite de l'amendement. J'ose donc espérer que notre proposition fera l'unanimité dans l'Assemblée : nous sommes là au c_ur du pacte républicain.

M. David Habib - Je défendrai l'amendement 179 rectifié. Osons reconnaître que ce qui fait d'abord problème, c'est la reconnaissance du service public comme tel. C'est cette question qu'ont posée en premier les syndicats et c'est elle également que le Président de la République avait en tête, ce matin, lorsqu'il a exclu toute privatisation. Contester l'intérêt de cette référence au service public serait donc contester la position du chef de l'Etat et je suis sûr que le ministre délégué n'aimerait pas qu'on glose sur quelque différence d'appréciation entre eux deux !

Comme l'a souligné M. Brottes, c'est le pacte républicain et l'héritage de la Résistance et de la Libération qui sont ici en jeu, et l'unanimité serait de mise.

M. Pierre Cohen - Si l'on veut fournir par cette loi quelques garanties avant d'imposer la privatisation d'EDF, il serait dommage d'oublier de faire référence à cette spécificité française que sont les services publics ! Il y a quelques jours, l'Union a fait paraître un Livre blanc sur les services publics et nous ne pouvons que nous sentir honorés de voir que l'Europe libérale commence à reconnaître le juste rôle de la puissance publique et à marquer les limites de la marchandisation. Dès lors, ne pas faire référence au service public dans cette loi d'orientation aurait quelque chose d'un peu scandaleux et, en tout cas, de paradoxal.

Au surplus, cette mention - que tend à introduire l'amendement 180 rectifié - donnera tout son sens à la partie de l'annexe consacrée à la contribution à la cohésion sociale et territoriale ou à l'égal accès de tous à l'énergie.

M. Philippe Tourtelier - Dans ces amendements identiques - je défends le 181 rectifié -, chaque mot compte. Vient d'abord la référence au service public, qui fonde les impératifs d'égal accès et de péréquation des prix. Mais on trouve ensuite l'idée de garantir « une indépendance stratégique, économique et industrielle ». On ne peut, compte tenu de la situation géostratégique, faire confiance au privé pour assurer la sécurité de notre approvisionnement. Seul un service public de l'énergie peut répondre à ce souci. D'un point de vue économique, on constate tous les jours à quel point les multinationales sont indifférentes aux intérêts des pays d'où elles sont issues. Enfin, d'un point de vue industriel, il est clair que l'on ne peut confier le nucléaire à des entreprises privées, tandis que le secteur public a prouvé sa capacité à développer efficacement cette filière et fera certainement de même lorsqu'il s'agira de développer les énergies renouvelables.

M. Christian Bataille - En ces temps de libéralisation, il n'est sans doute pas politiquement correct d'insister sur le rôle de l'Etat mais, pendant des décennies, dans le domaine de l'énergie, ce rôle a été incontesté. Aujourd'hui encore, c'est le service public, expression démocratique de la nation, qui reste à même de garantir notre indépendance énergétique. Jamais nous n'aurions un service de l'électricité aussi efficace si ce secteur était demeuré sous la domination du capital privé ! En effet, seul l'Etat est capable de fournir l'effort de long terme nécessaire : n'est-ce pas lui qui a veillé à l'équipement de notre pays en centrales ? Dans le nucléaire, le temps se mesure par périodes de trente à cinquante ans. Comment le privé pourrait-il faire face, avec son obsession du court terme ? On le voit bien aux Etats-Unis, où l'on privilégie les centrales au gaz, le temps de retour n'étant que de quelques années dans ce secteur : le résultat est que beaucoup de ces centrales se trouvent à l'arrêt ! Le service public est donc la seule réponse qui vaille sur le plan stratégique. D'où cette série d'amendements identiques.

M. le Président - L'amendement 722 diffère des onze précédents par deux mots...

M. Jean-Yves Le Déaut - En effet, mais sans que cela compromette l'accord au sein de notre groupe !

Je me félicite que la commission ait accepté ces amendements et j'espère que le Gouvernement fera de même. L'énergie, en effet, n'est pas un bien de consommation comme les autres et ce n'est qu'en affirmant la place du service public qu'on peut imposer aux opérateurs de prendre en compte l'intérêt général - ce qui n'est pas indifférent dans des périodes de canicule, par exemple. Nos amendements préservent donc une régulation nécessaire.

D'ailleurs, à Barcelone, lorsqu'on a ouvert à la concurrence, n'a-t-on pas annoncé un débat sur un service universel européen et une directive sur le sujet ? Où en est la discussion de ce texte ? Il importe que l'Europe aussi avance sur ce point !

M. Serge Poignant, rapporteur de la commission des affaires économiques - Je ne pense pas trahir la pensée de la commission si je dis qu'il y a eu en son sein un large accord pour un service public fort. Toujours est-il qu'elle a accepté les onze premiers amendements, identiques. Mais au-delà reste posée la question de savoir comment conforter ce service public et ses entreprises, qui doivent avoir les moyens de lutter à armes égales avec leurs concurrentes, et c'est sans doute sur ce point que nous divergerons...

M. Jean-Yves Le Déaut - J'aligne la rédaction de l'amendement 722 sur celle des onze autres !

M. le Ministre délégué - Dans la précipitation et l'urgence, en catastrophe même, le Gouvernement va permettre l'adoption de ces amendements identiques, si nombreux soient-ils !

M. François Brottes - Nous prenons acte de cet accord général. Mieux vaut inscrire dans la loi cette notion de service public car cela fournira le cadre dans lequel devront entrer toutes les dispositions législatives ultérieures. Et, si nous avons déposé onze amendements strictement identiques, nous n'avons pas répété onze fois la même argumentation : c'est que de multiples arguments soulignaient l'importance du sujet.

M. André Gerin - Je me félicite évidemment de l'adoption de ces amendements, mais je me demande si leur application ne sera pas mise à mal par le changement de statut sur lequel nous serons appelés à nous prononcer en juin. A moins qu'ils n'aient pour conséquence de le remettre en cause...

Les amendements 173 rectifié à 181 rectifié et l'amendement 722 rectifié, mis aux voix, sont adoptés.

M. le Président - Les amendements 123 à 132 sont identiques.

M. François Dosé - Les électriciens et les gaziers ont une relation particulière avec les usagers, qu'ils ne considèrent pas comme des clients. On l'a bien vu lors des tempêtes dévastatrices de fin 1999, avec une mobilisation exceptionnelle des personnels des entreprises publiques. Je me rappelle qu'à cette époque, un ou deux de nos collègues, sur d'autres bancs, avaient souhaité la constitution d'une commission d'enquête sur EDF-GDF, qui, selon eux, n'aurait pas été à la hauteur. Je me rappelle aussi que cette proposition avait été très largement repoussée, M. Galley prenant la tête des contestataires... Il reconnaissait ainsi la force du lien entre le service public de l'énergie et les usagers, élément du contrat social qui doit être inscrit comme tel dans la loi. Tel est l'objet de l'amendement 124.

M. François Brottes - La culture d'entreprise est telle, au sein d'EDF-GDF, que même les retraités se sentent concernés en cas de difficulté. Dans quelle entreprise privée se seraient-ils ainsi impliqués, après les tempêtes de sinistre mémoire ? Ils ont, on l'a vu, le sens du service public chevillé au corps. Mais si, demain, les usagers deviennent des clients, leur comportement changera et aussi l'image de l'entreprise, quelle que soit sa couleur - orange ou une autre... Voilà pourquoi je tiens à réaffirmer, par l'amendement 126, que le service public de l'énergie est un élément du contrat social.

M. David Habib - Nous venons de confirmer à l'unanimité notre attachement au service public de l'énergie, mais nous ne pouvons nous en tenir là et ignorer l'inquiétude des électriciens et des gaziers, que de nombreuses informations provenant des entreprises expliquent, Monsieur le ministre, comme vous le constaterez si vous venez en Béarn. Nous devons inscrire dans la loi que ce service est un élément constitutif du contrat social. L'adoption unanime de l'amendement 129 et des amendements identiques sera le gage d'un bon travail parlementaire.

M. Pierre Cohen - Nous nous réjouissons de l'adoption, par un vote unanime, des amendements tendant à la reconnaissance du service public de l'énergie, mais il faut aller plus loin, et dire comment et avec qui il s'exercera. Un prochain projet nous permettra de définir le « comment » - et je ne doute pas que des divergences trouveront à s'exprimer -, mais nous pouvons dès maintenant dire « avec qui », en rappelant, comme cela a été fait, l'engagement des électriciens et des gaziers lors des tempêtes de 1999. De plus, l'appartenance à un service public donne une certaine indépendance : c'est ce que l'on constate par ailleurs avec tous les fonctionnaires qui assurent, par un travail de qualité, la continuité de l'Etat au-delà des alternances politiques. La notion de contrat social doit figurer dans la loi pour garantir l'accès de tous les usagers à l'énergie. Si l'on passe de l'usager au client, le risque est grand qu'à terme certains de ces clients, considérés comme insuffisamment rentables, se voient refoulés. Voilà pourquoi il est important d'adopter l'amendement 130.

M. Philippe Tourtelier - L'efficacité des électriciens et des gaziers d'EDF-GDF a été reconnue par tous et elle doit être préservée. Tel est l'objet de l'amendement 131. J'ajoute que la contribution moyenne au service public de l'électricité est de 6 € par personne, dont 30 % servent à la péréquation des tarifs et 10 % à la promotion des énergies renouvelables, et que nul n'en conteste le bien-fondé.

M. le Rapporteur - La commission, après s'être interrogée tant sur la notion de « contrat social » que sur la place que l'on souhaitait lui donner dans le texte, a exprimé un avis défavorable sur les dix amendements identiques.

M. le Ministre délégué - Si le concept philosophique de « contrat social » a un sens, ce n'est pas une notion juridique. Mieux vaudrait, pourtant, donner une valeur normative à ce projet...

M. François Brottes - Voyez ce qu'il en a été de l'annexe !

M. le Ministre délégué - Je me suis rendu aux arguments de votre commission, j'ai convenu qu'elle n'avait pas valeur normative et j'en ai tiré les conséquences. Vous devriez, vous aussi, assumer vos erreurs, et convenir que la notion de « contrat social » est, en droit, source de confusion plus qu'autre chose. D'autre part, quel sens aurait une telle notion pour une entreprise devenue un champion européen ? Avis défavorable.

M. François Brottes - Monsieur le ministre, nous sommes très déçus que vous n'acceptiez pas ces amendements car une loi d'orientation a vocation à affirmer des principes, y compris philosophiques - comme ce sera le cas dans la Charte de l'environnement dont nous débattrons la semaine prochaine...

Vous n'avez de cesse de nous dire que nous devrions penser au personnel d'EDF, mais vous montrez là le peu de cas que vous faites de son sort !

M. le Ministre délégué - Je ne sais pas ce que c'est que le « contrat social »...

Les amendements 123 à 132, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Yves Cochet - Je propose, par une série d'amendements, une stratégie énergétique alternative pour notre pays. A l'occasion de la défense du premier, l'amendement 609, qui tire les conséquences d'une directive européenne en précisant que les collectivités locales pourront choisir leurs opérateurs, je voudrais la présenter rapidement.

Le Gouvernement me semble sous-estimer assez fortement la crise énergétique, très grave, qui se profile à un horizon très rapproché. Il faut donc tout d'abord analyser la situation, énergie par énergie.

Ensuite, je considère que, à l'horizon d'une trentaine ou une cinquantaine d'années, on peut avoir une stratégie sans pétrole et sans nucléaire.

Cette stratégie alternative s'organise autour de quatre axes : sobriété énergétique ; efficacité énergétique ; énergies renouvelables ; réorientation forte et rapide dans le domaine des transports.

M. le Rapporteur - Parce que cette série d'amendements a en effet pour objet de définir une stratégie tout à fait différente de celle du Gouvernement, la commission est défavorable à celui-ci, comme elle le sera aux suivants.

M. le Ministre délégué - Même avis. Au demeurant, l'amendement 609 sera satisfait ultérieurement par l'amendement 9 du rapporteur.

L'amendement 609, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Yves Cochet - Notre amendement 590 vise à examiner tout d'abord les contraintes liées à chaque type d'énergie.

Hier, M. Sarkozy a évoqué les décisions qui avaient été prises il y a trente ans, engageant la France dans un immense programme électronucléaire, en les présentant comme une réponse au choc pétrolier - comme si une énergie était substituable à une autre : pourtant, si l'on peut faire du bitume avec du pétrole, on ne peut pas en faire avec du nucléaire !

Il y a trente ans, en ce qui me concerne, j'ai participé à la campagne de René Dumont pour les élections présidentielles. Dans un livre intitulé L'écologie ou la mort - voyez que les termes du débat étaient déjà posés -, il évoquait l'épuisement des ressources minérales et pétrolières et, déjà, « l'altération des climats, due notamment à l'accumulation du gaz carbonique » et « l'attaque de la précieuse couche d'ozone ». Certains, notamment dans la majorité, n'ont découvert cela que l'an dernier...Vous ne nous avez pas écoutés il y a trente ans, écoutez-nous maintenant !

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

M. le Ministre délégué - Depuis trente ans, M. Cochet répète que le choix nucléaire est une impasse : la réalité de ces trente dernières années semble prouver le contraire. Dans trente ans, j'espère que nous pourrons en reparler...

Monsieur Cochet, vous évoquez le risque nucléaire, mais l'histoire de l'humanité est faite de risques affrontés et surmontés. Le Gouvernement ne peut pas accepter que, dans votre amendement, vous placiez l'effet de serre et le risque nucléaire sur le même plan, alors que le nucléaire permet de lutter contre l'effet de serre.

L'amendement 590, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Yves Cochet - L `amendement 591 vise à appeler à la mobilisation de tous - autorités publiques, qui doivent montrer l'exemple, entreprises, syndicats, associations, citoyens.

M. le Rapporteur - Défavorable.

M. le Ministre délégué - Défavorable.

M. François Brottes - La commission et le Gouvernement ont tort de refuser la proposition de M. Cochet, car on ne mettra pas en _uvre une loi d'orientation sur l'énergie sans une forte adhésion de la population. Les enjeux doivent être compris et portés par tous.

L'amendement 591, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Yves Cochet - Mon amendement 682 transpose en droit interne français la directive européenne qui définit les différentes sources d'énergie.

M. le Rapporteur - Vous aurez satisfaction avec l'amendement 28 de la commission.

M. le Ministre délégué - Avis défavorable pour la même raison.

M. Yves Cochet - Je retire l'amendement 682.

Mon amendement 593 met l'accent sur le fait que les énergies renouvelables sont ce que j'appelle des énergies « à faible contrainte », c'est-à-dire qu'elles apportent de la liberté au système et à tout un chacun. Il faut donc les développer en priorité et prendre conscience que le prix des énergies à forte contrainte n'est pas sincère, car il n'intègre pas le prix des externalités et parce que le principe pollueur-payeur n'est pas appliqué.

M. le Rapporteur - Défavorable.

M. le Ministre délégué - Défavorable.

L'amendement 593, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Yves Cochet - Le secteur des transports est à l'origine d'une part très importante de la pollution, que ce soit en France, en Europe ou dans le monde, et peut par conséquent être considéré comme responsable de nombreux problèmes de santé publique. Voyez à ce sujet l'analyse du professeur Belpomme : sur les 150 000 morts par an dus au cancer, il y en a selon lui environ 120 000 qui tiennent à l'environnement. Il est donc urgent de réorienter les transports de façon à les rendre plus sobres et moins polluants.

Je constate d'ailleurs que les gens d'Air France s'inquiètent. 10 % de leur chiffre d'affaires passe en effet dans le kérosène. Or, les prix du pétrole ont doublé en dix-huit mois et, dans les transports aériens, les hausses des cours du brut sont directement répercutées sur le prix du carburant. Il n'y a pas, comme pour les carburants utilisés dans le transport terrestre, l'effet stabilisateur de la TIPP. Vous imaginez donc l'effet des récentes hausses sur les coûts de production. Je lis d'ailleurs dans Le Parisien de ce matin qu'Air France a décidé d'augmenter de trois euros tous ses billets.

Par ailleurs, les carburants représentent 21 % des coûts de production des transporteurs routiers. Supposons, comme je le crois, que les prix du pétrole continuent à augmenter. Comment réagiront-ils ? Le problème est sérieux, car il n'y a plus désormais dans nos maisons le moindre objet qui n'ait pas été transporté par camion. Alors que fait-on ?

Je vous propose d'adopter l'amendement 595.

L'amendement 595, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Yves Cochet - Je retire l'amendement 596. Je considère en revanche l'amendement 597 comme très important.

Nous sommes en effet à la veille d'une crise pétrolière, qui ne ressemblera pas à celles de 1973 et 1979 qui étaient des crises politiques entre l'OPEP et les Etats-Unis, mais qui sera une crise structurelle, pour toujours si j'ose dire. D'abord pour des raisons géologiques : quand on a extrait du sous-sol la moitié de la ressource qu'il contenait, il y a déplétion et on aura beau pomper, il en viendra moins. Ensuite pour des raisons économiques : la demande devenant structurellement supérieure à l'offre mondiale, les prix du pétrole vont évidemment grimper. Le pétrole à 10 ou 15 dollars le baril, cela ne reviendra plus. La fête est finie pour tout le monde.

C'est la raison pour laquelle il serait bon que le Président de la République, qui a parfois, à l'extérieur, des paroles fortes, propose aux Nations unies d'adopter un accord international qui garantirait aux pays pauvres qu'ils pourront continuer à importer le pétrole qui leur est nécessaire pour survivre, qui interdirait de tirer profit de la pénurie structurelle et qui inciterait à de fortes économies d'énergie ainsi qu'à développer les énergies renouvelables.

Pour atteindre ces objectifs, l'accord contiendrait les mesures suivantes : chaque Etat réglementera les importations et les exportations de pétrole ; aucun pays exportateur de pétrole ne produira plus de pétrole que ne lui permet son taux annuel de déplétion annuel scientifiquement calculé ; chaque Etat réduira ses importations de pétrole à un taux de déplétion mondial convenu.

M. Chirac et le Gouvernement se grandiraient en soumettant cette proposition à l'ONU. Elle permettrait en effet de réduire les conséquences de ce choc inéluctable.

M. le Ministre délégué - Avis défavorable. Cet amendement est inconstitutionnel, puisqu'il contient une injonction au Gouvernement.

L'amendement 597, repoussé par la commission, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Yves Cochet - Je regrette que la réponse du ministre ait été aussi formelle. L'histoire nous en dira plus dans quelques années.

M. le Ministre délégué - Je rejoins votre analyse sur la crise pétrolière, qui est effectivement structurelle. Le pétrole commence à être conçu comme une ressource limitée. Mais ce n'est pas la fin de la fête pour tout le monde : seulement pour les producteurs !

M. Yves Cochet - En effet, Total et BP vont gagner beaucoup d'argent !

M. le Ministre délégué - Il est aussi vrai que la demande mondiale est en augmentation. Raison de plus pour faire le choix du nucléaire !

M. Yves Cochet - Le nucléaire ne remplace pas le pétrole ! La moitié des habits que nous portons sont dérivés du pétrole. Vous ne ferez pas des fibres synthétiques avec du nucléaire !

M. le Ministre délégué - Mais si nous n'avons besoin de pétrole que pour l'habillement et le bitume, et non plus pour satisfaire nos besoins énergétiques, nous en consommerons beaucoup moins !

M. le Président - Nous en étions à l'amendement 598...

M. Yves Cochet - Cet amendement dispose tout simplement que la France s'engage vers la sortie du nucléaire et donc ne construira aucun nouveau réacteur. La précédente ministre de l'industrie avait pris contact avec l'ensemble de nos ingénieurs, et notamment avec leur corps d'élite : les ingénieurs des mines. Vous êtes, Monsieur le ministre, président du corps des mines.

M. le Ministre délégué - Précaire !

M. Yves Cochet - Son vice-président avait écrit à Mme Fontaine au sujet de la division par quatre de nos émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2050, voulue par M. Raffarin. Se basant sur le rapport de son ingénieur principal, il estimait que même dans l'hypothèse d'une forte maîtrise de la consommation d'énergie, une forte diminution des émissions de gaz à effet de serre obligerait à augmenter sensiblement la production d'électricité nucléaire. Pour diviser les émissions par trois à l'horizon 2030, il faudrait engager sans tarder la construction de deux groupes EPR... par an ! Vous nous parlez donc de la construction d'un EPR, mais vous en voulez en réalité trente ou quarante !

M. François-Michel Gonnot - C'est incroyable ! Surréaliste !

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

M. le Ministre délégué - Même avis.

M. Claude Gatignol - Il faut d'abord rappeler que la plupart de nos sites nucléaire ont reçu la certification ISO 14 000, qui est la plus exigeante en matière de respect de l'environnement. Ensuite, ces sites ne fonctionnent pas n'importe comment. Ils sont soumis à de nombreux contrôles, dont ceux de l'Autorité de sûreté nucléaire, menés par les DRIRE et qui sont d'une rigueur à toute épreuve. Il ne faudrait pas faire un procès d'intention à ceux qui sont chargés de ces contrôles, ni contester si légèrement la valeur scientifique de toutes les recherches qui ont été menées dans ce domaine. Par ailleurs, le contrôle du fonctionnement des sites n'est pas dénué d'une dimension démocratique, avec les commissions locales de contrôle et d'information et l'Agence internationale de l'énergie atomique.

Le nucléaire nous permet de disposer du kilowatt le moins coûteux d'Europe. Au moment d'une compétition économique forte et de l'augmentation du baril de pétrole -, la question n'est pas de savoir si le pétrole atteindra les 50 dollars, mais quand ! -, c'est d'une importance capitale. Le nucléaire ne sait faire, à ce jour, que de l'énergie électrique. En revanche, les réacteurs de quatrième génération seront susceptibles de nous fournir dans d'excellentes conditions de sécurité de l'hydrogène, peut-être utilisable dans des véhicules propres. Ce sont des perspectives qu'il ne faut pas négliger. Enfin, notre filière nucléaire peut être citée comme un exemple d'autonomie. L'isolement complet des déchets permet de réutiliser 97 % du combustible utilisé. Sortir du nucléaire ne peut être le projet d'une nouvelle politique énergétique de la France.

M. Yves Cochet - Ne parlons pas des normes ISO 14000 : le débat est beaucoup plus sérieux !

En votant cette loi, vous vous engagez dans la construction d'une trentaine de réacteurs EPR. Le premier sera en service vers 2012 ou 2014, puis il y en aura deux de plus par an. Nous possédons aujourd'hui 58 réacteurs mais, les EPR étant un peu plus gros, vous en construirez à peu près 35. Toutefois, ces EPR ont une durée de vie d'une soixantaine d'années. Arrêtez donc de nous faire miroiter les réacteurs de quatrième génération ! D'autres pays les construiront peut-être, mais la France, qui se sera engagée pour soixante ans dans la réalisation de 35 EPR, pour quelques centaines de milliards, n'aura pas les moyens de se lancer également dans ce projet ! Ce sont des rêves irréalisables !

M. le Président - Monsieur Cochet, veuillez conclure...

M. Yves Cochet - Pour être réellement cohérents, il vous faudrait reconnaître que l'EPR relève d'une technologie ancienne vaguement modernisée et décider de passer directement à la quatrième génération. Abandonnez l'EPR... et j'espère, le nucléaire ensuite !

L'amendement 598, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Yves Cochet - L'amendement 683 met la production d'électricité par des sources renouvelables au premier rang des priorités de notre pays. Ces énergies sont à peine naissantes, il faut les soutenir ! Je dois reconnaître que la majorité plurielle de 1997, peut-être à cause d'un contexte qui ne s'y prêtait pas, n'avait pas vraiment de projet industriel pour faire gagner la France en matière d'énergies renouvelables.

M. François-Michel Gonnot - Bel aveu !

M. Yves Cochet - Nous nous sommes dotés de la loi sur l'électricité de 2000, et des arrêtés tarifaires. Mais le véritable projet industriel démarre à peine. Pour qu'il se développe véritablement, il a besoin d'un soutien financier puissant. Or vous ne pourrez pas à la fois poursuivre la filière nucléaire et promouvoir réellement les énergies renouvelables. C'est pourquoi il faut réduire les investissements dans le pétrole et le nucléaire au profit de ces dernières.

L'amendement 683, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Gerin - Nous pensons que la maîtrise publique de la politique énergétique nécessite le maintien et le développement d'entreprises publiques nationales. C'est à nos yeux le préalable à une politique énergétique ambitieuse et efficace.

Pourquoi EDF et GDF ont-ils été constitués en EPIC après la Libération ? Alors que l'électricité et le gaz tiennent une place fondamentale dans la vie quotidienne de nos concitoyens les grandes compagnies privées de production et de distribution n'étaient soumises à aucune obligation de desserte et de tarif. Pourtant l'électricité, le gaz et les autres sources d'énergie sont des produits publics de valeur universelle. Ils relèvent donc de l'intervention de la communauté politique et non pas de la loi du marché. EDF et GDF sont des symboles de l'égalité de traitement : quelle que soit la localisation des usagers sur le territoire, le prix du kWh est le même pour tous. Or ce principe est menacé par l'introduction de la logique de marché, comme on l'a constaté pour France Télécom. Le général de Gaulle et Marcel Paul...

M. Franck Gilard - Ce n'est pas la même chose !

M. André Gerin - ...avaient ouvert une voie autrement prometteuse. Vous vous apprêtez, vous, à opérer une rupture historique qui provoquera une fracture énergétique. C'est ce que tend à empêcher notre amendement 954.

M. le Rapporteur - Avis favorable, dans le même esprit que pour la première série d'amendements, sachant que la stratégie de soutien aux entreprises publiques ne se conçoit pas de manière identique sur tous les bancs.

M. le Ministre délégué - Je le répète, le Gouvernement n'a pas l'intention de privatiser EDF. Mais ce que vous proposez pourrait-il conduire à nationaliser Total ou d'autres groupes du même genre ?

M. André Gerin - Pourquoi pas ?

M. le Ministre délégué - Dans ce cas, je m'oppose à l'amendement.

L'amendement 954, mis aux voix, est adopté.

M. Yves Cochet - Notre amendement 603 tend à affirmer le droit fondamental d'accès aux services énergétiques, et par conséquent à garantir la péréquation territoriale et sociale.

L'amendement 603, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 602 est retiré.

M. Yves Cochet - Depuis que le gouvernement précédent a eu le courage de faire adopter la loi de février 2000 sur l'électricité, assortie d'arrêtés tarifaires, des opérateurs se sont lancés dans la production d'électricité à partir de sources renouvelables et se sont heurtés à l'inertie administrative française. Celle-ci doit être surmontée pour donner confiance aux investisseurs, aux banquiers, ou même à EDF, et permettre de mettre en _uvre les arrêtés tarifaires sans obstacle majeur. Tel est le sens de l'amendement 656.

L'amendement 656, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Yves Cochet - La loi d'orientation engageant la politique énergétique du pays pour 30 ou 50 ans, il nous paraît indispensable d'établir un bilan après une année d'application, afin de saisir où en est la production d'électricité issue de sources renouvelables, et comment nous remplissons nos engagements internationaux pris en 2000, par exemple celui de faire passer de 15 % à 21 % en 2010 la part de l'électricité d'origine renouvelable. Pour y parvenir, nous n'avons pas de temps à perdre.

Ce rapport pourra ainsi commencer à servir de référence aux instances administratives dans le développement en France des énergies renouvelables. Il sera particulièrement utile à l'ADEME.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

M. le Ministre délégué - Rejet.

M. Philippe Tourtelier - Je ne comprends pas pourquoi le Gouvernement, après les déclarations d'intention qu'il nous a prodiguées, repousse les deux amendements qui viennent d'être présentés et qui tendent simplement à vérifier l'adéquation entre les moyens mobilisés et les objectifs affichés. Si vous ne les adoptez pas, nous serons fondés à douter de votre volonté de développer les énergies renouvelables.

M. Jean Dionis du Séjour - Nous ne voterons pas l'amendement 657 parce que nous le trouvons trop modéré, trop centriste en quelque sorte. Demander un rapport n'est pas la solution. Nous reviendrons sur ce sujet.

L'amendement 657, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. François Brottes - L'amendement 953 est défendu.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Nous proposerons plus loin de créer un « jaune » budgétaire retraçant annuellement les résultats de la politique énergétique.

M. le Ministre délégué - Même position, d'autant que la France a obtenu que la directive électricité, dans son article 27, prévoie un bilan à l'échelle de l'Union d'ici à 2006. D'autre part, l'ouverture du marché se fera progressivement jusqu'en 2007...

M. François Brottes - Ce bilan de l'ouverture à la concurrence s'impose en l'absence d'étude d'impact. Sous le gouvernement Raffarin I, Mme Fontaine a souhaité que cette ouverture à la concurrence concerne les foyers dès 2007 alors que le gouvernement précédent avait toujours affirmé sa volonté de la limiter aux industriels, et elle a pris cette décision sans se soucier de faire procéder à la moindre évaluation ! Le rendez-vous proposé permettrait à tout le moins de mesurer les dégâts, car nous sommes persuadés que beaucoup de Français seront exclus du service public de l'énergie.

Le ministre délégué ne cesse de nous opposer le rendez-vous du 1er juillet, qui imposerait de changer le statut d'EDF. Il ne s'agit là que d'une entourloupe : les deux choses n'ont rien à voir entre elles. EDF peut parfaitement en l'état s'affirmer sur le marché européen et l'Europe n'impose aucune modification. Celle-ci résulte de la seule décision du Gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Ministre délégué - Ce n'est pas vrai ! Bien entendu, il n'est pas expressément écrit qu'il faudra changer le statut, mais il est fait obligation à EDF d'être à parité avec ses concurrents. Or un établissement public bénéficie de la garantie de l'Etat et, de ce fait, ne peut être mis en faillite par exemple. C'est là un avantage considérable, un avantage discriminatoire auquel la directive nous oblige de mettre fin. Je ne vois pas comment nous pourrions y parvenir autrement qu'en modifiant le statut !

M. François Brottes - Lors d'une séance de questions d'actualité, M. Bataille a lu la lettre d'un commissaire européen qui disait tout autre chose ! De grâce, Monsieur le ministre délégué, assumez votre décision ! Vous avez le droit d'opter pour la privatisation, même si nous nous y opposons, mais ne faites pas porter le chapeau à l'Europe ! Ce ne serait pas courageux ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Christian Bataille - M. Mario Monti a effectivement écrit au secrétaire général de la CGT-Energie qu'aux termes de l'article 295 du traité des Communautés européennes, la Commission ne peut imposer un régime de propriété particulier et que cela n'avait d'ailleurs pas été sa ligne dans l'affaire EDF. Il a même précisé dans ce courrier que le gouvernement français aurait pu recourir à d'autres moyens que le changement de statut pour soumettre EDF à la législation sur le redressement et la liquidation judiciaires des entreprises.

M. le Ministre délégué - Il faut lire tout !

M. Christian Bataille - Les Communautés n'ont donc rien imposé, c'est le Gouvernement qui a décidé. Charger ainsi la Commission, c'est rendre un bien mauvais service à la construction européenne. Assumez donc votre choix !

M. le Ministre délégué - Nous l'assumons, naturellement. Mais la Commission nous a invités à mettre fin aux avantages découlant du statut d'établissement public. M. Monti, qui est plus versé en droit italien ou en droit européen qu'en droit français, nous a suggéré que, pour ce faire, nous pourrions modifier la loi de manière à ce qu'un établissement public puisse être mis en faillite, mais notre organisation administrative l'exclut. Nous n'avions donc pas d'autre choix que celui que nous avons fait - et qui n'est nullement contradictoire avec notre volonté de faire d'EDF un champion européen.

Mais vous aussi, vous avez à assumer une décision : le 15 mars 2002, n'est-ce pas M. Jospin qui a accepté l'ouverture du marché de l'énergie et tout ce qui s'ensuit ?

M. Christian Bataille - Il n'était pas seul !

M. le Ministre délégué - Certes, mais il a accepté l'ouverture à la concurrence et celle-ci oblige EDF à se conformer aux règles de celle-ci ! L'entreprise doit donc renoncer aux privilèges qui résultent du statut de la fonction publique et, pour cela, il faut bien modifier ce statut !

M. François Brottes - Vous avouez donc que vous êtes en train de vous livrer à une man_uvre pour essayer d'amadouer le personnel ! Vous venez en effet de dire que le statut de fonctionnaire n'est pas compatible avec les exigences européennes et avec les règles de la concurrence. Cela ne vous a pourtant pas empêché de garantir le statut de France Télécom, qui n'est pourtant plus à 50 % propriété de l'Etat. Mais sans doute allez-vous sous peu renier cet engagement... Et vous venez aussi de nous annoncer la privatisation de La Poste, l'ouverture du marché du courrier ne pouvant pas ne pas entraîner les mêmes obligations que celle du marché de l'énergie ! Toutes nos entreprises publiques vont ainsi passer sous le contrôle du privé !

M. le Ministre délégué - J'ai sans doute commis un lapsus : je voulais parler du statut d'établissement public, non du statut de la fonction publique, qui n'est nullement en cause.

L'amendement 953, mis aux voix, n'est pas adopté.

Les amendements 592 et 605 sont retirés.

M. Yves Cochet - L'amendement 606 précise ce que j'entends quand je parle d'une autre stratégie énergétique pour la France : il est évident que les impératifs de sobriété, d'efficacité énergétique et d'installation des énergies renouvelables doivent être pris en compte dans toutes nos procédures administratives, industrielles et financières, mais on ne saurait non plus les oublier quand il s'agit du patrimoine de l'Etat. Les services publics, comme les collectivités, doivent donner l'exemple sur ces trois points.

Dans d'autres amendements, je résumerai cette stratégie en faisant appel aux trois premiers chiffres : on devra, dans les bâtiments publics, réduire chaque année de 1 % la consommation globale d'énergie, de 2 % la consommation d'énergie fossile et de 3 % l'émission de gaz à effet de serre.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

M. le Ministre délégué - Même avis.

M. François Dosé - Je ne comprends pas qu'un gouvernement, de gauche ou de droite, puisse imaginer de soustraire l'Etat aux orientations politiques qu'il a lui-même définies ! Va-t-on, dans une commune, appliquer les dispositions de ce texte à telle école, parce qu'elle relève de la mairie, mais non à une antenne universitaire ou à une caserne, sous prétexte qu'elles dépendent de l'Etat ? Ce serait incroyable ! Est-ce ainsi qu'on va conforter la citoyenneté et rétablir le crédit des politiques ? J'avoue que je ne comprends pas : c'est pourtant la vertu politique même qui commande de s'appliquer à soi-même ce qu'on veut imposer aux autres ! J'ai joué au foot pendant quinze ans : si j'étais capitaine, c'est moi qui me « défonçais » le plus, ne serait-ce que pour pouvoir engueuler mes coéquipiers !

M. Jean-Yves Le Déaut - Sur cet amendement, je ne puis qu'être en accord total avec M. Cochet. Le meilleur moyen d'économiser l'énergie est évidemment d'encourager à la sobriété et de gagner en efficacité, c'est-à-dire de faire ce qui est proposé dans l'amendement ! Comment un gouvernement qui affirme, par la voix de son ministre de l'économie, vouloir réduire des trois quarts les émanations des gaz à effet de serre d'ici 2050 peut-il commencer par ne pas vouloir donner l'exemple ?

M. le Président de la commission - Les convictions qui se sont exprimées sont à tous égards respectables, mais la rédaction de l'amendement le rend inapplicable...

M. Yves Cochet - Comment cela ?

M. le Président de la commission - ...car je ne sache pas qu'un objectif se soit jamais appliqué à un bâtiment (M. Cochet proteste).

M. François Brottes - S'il ne s'agit que de rédaction, une rectification peut être faite sur le champ !

L'amendement 606, mis aux voix, n'est pas adopté.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

M. le Président - J'ai reçu de M. le président du Conseil constitutionnel une lettre m'informant qu'en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, plus de soixante députés ont saisi le Conseil constitutionnel d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi pour la confiance dans l'économie numérique.

Prochaine séance ce soir, mercredi 19 mai, à 21 heures 30.

La séance est levée à 20 heures 45.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


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