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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 106ème jour de séance, 261ème séance

2ème SÉANCE DU JEUDI 17 JUIN 2004

PRÉSIDENCE de M. Jean LE GARREC

vice-président

Sommaire

      SERVICE PUBLIC DE L'ELECTRICITE
      ET DU GAZ (suite) 2

      AVANT L'ARTICLE PREMIER (suite) 2

La séance est ouverte à quinze heures.

SERVICE PUBLIC DE L'ELECTRICITE ET DU GAZ (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières.

AVANT L'ARTICLE PREMIER (suite)

M. le Président - Le vote sur les amendements identiques 91 à 101 ayant été reporté hier soir, à la suite d'une demande de vérification de quorum faite par le président du groupe socialiste, je les mets aux voix.

Les amendements 91 à 101, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Daniel Paul - Rappel au Règlement, fondé sur l'article 58 de celui-ci. Hier, en statuant sur la loi sur l'économie numérique, le Conseil constitutionnel a indiqué qu'il s'interdisait de censurer une loi qui ne ferait que transposer une directive communautaire en droit interne, décidant ainsi que le droit européen, et notamment les directives qui, les unes après les autres, détruisent nos services publics, seraient supérieures à notre Constitution. Certes, le juge constitutionnel se réserve encore le droit de censurer une loi de transposition « en raison d'une disposition expresse contraire de la Constitution », mais il a ouvert la boîte de Pandore et permet aux institutions européennes de laminer toutes les valeurs sur lesquelles s'est construite notre République, notamment depuis la fin de la dernière guerre. La Constitution, et notamment son Préambule, perdent de ce fait toute valeur symbolique.

Le projet en discussion consiste, pour partie, en la transposition d'une directive. Il me paraît donc difficile de poursuivre sa discussion sans évoquer cette décision et ses conséquences sur notre pacte social. Notre Constitution a été ratifiée par référendum, et la valeur constitutionnelle du Préambule a été par deux fois consacrée par le peuple français lui-même en 1946 et en 1958 ; peut-on accepter qu'elle soit, par une décision de justice, abaissée au rang de simple loi, subordonnée à toutes les directives de l'Union européenne ? Nous sommes, sur les bancs communistes et républicains - mais sur d'autres bancs aussi j'en suis convaincu -, très attachés aux valeurs et aux principes énoncés dans le Préambule de la Constitution de 1946. Or ce projet, comme la décision du Conseil constitutionnel, semble signifier que ces valeurs ne sont plus d'actualité, puisque c'est conformément à l'esprit de ce Préambule qu'EDF avait été nationalisé. Nous ne pouvons continuer à débattre de ce texte dans de telles conditions : il n'appartient pas au juge de se substituer au peuple français. Je demande donc une suspension de séance.

M. le Président - Monsieur Paul, cela n'est pas possible : comme vous le savez, l'article 82 de la Constitution dispose que les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent à tous. Elles ne peuvent donc être discutées ici.

M. François Brottes - Rappel au Règlement également fondé sur l'article 58, alinéa 1, de notre Règlement, pour évoquer à mon tour l'application des directives européennes et leur transposition en droit interne. Le Conseil constitutionnel a confirmé ce que nous savions déjà, à savoir que, même si un Etat membre de l'Union européenne ne transpose pas une directive, celle-ci s'applique. Le Parlement doit donc savoir selon quelles modalités le Gouvernement envisage désormais de transposer les directives en droit interne, et je souhaite que le ministre des affaires européennes vienne nous dire comment le Gouvernement interprète la décision des sages du Conseil constitutionnel, afin que notre travail soit le plus efficace possible.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie - Les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent au Gouvernement comme au Parlement. Ma lecture personnelle de la décision à laquelle vous avez fait allusion est que le juge constitutionnel n'a fait qu'exprimer explicitement ce que sa jurisprudence exprimait jusqu'alors implicitement, en rappelant que, le traité de Maastricht étant conforme à la Constitution française, toutes les directives prises en exécution du Traité sont forcément constitutionnelles. Il n'y a donc aucune nouveauté, mais seulement un effort de clarification, qui ne devrait pas nous conduire à nous égarer dans un débat accessoire.

M. François Brottes - Je prends acte des explications du ministre mais ma question demeure : le Gouvernement pourra-t-il désormais s'exonérer de transposer les directives ? Si tel était le cas, nous serions dessaisis de la moitié de nos prérogatives et nous pourrions, par exemple, nous abstenir de siéger en juillet... (Sourires)

M. le Ministre délégué - Il est dans notre intérêt de transposer nous-mêmes les directives, car cela nous permet de tenir compte de nos particularités politiques et administratives. De surcroît, transposer avec retard, comme les gouvernements français successifs, toutes sensibilités confondues, n'ont que trop tendance à le faire, expose à des pénalités dommageables pour notre pays, comme on l'a vu sous le gouvernement Jospin à propos de l'économie numérique...

M. le Président - J'appelle les amendements identiques 157 à 167.

M. Christian Bataille - Je défends l'amendement 157 en insistant sur le fait que, bien que temps politique et temps énergétique ne soient pas les mêmes, il convient de privilégier le long terme. Or, je crains que, par conception libérale, une vision de court terme ne prime et, avec elle, le choix de ce qui se consomme vite, le choix d'énergies qui ont pour conséquences des rejets de gaz à effet de serre, le choix aussi, de solutions socialement nocives.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - Comme je l'ai dit hier soir, les amendements de ce type sont purement déclamatoires... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. François Brottes - Et le projet ne l'est pas, sans doute ?

M. le Rapporteur - ...si bien qu'ils n'ont pas leur place dans ce texte. C'est pourquoi la commission les a repoussés. Je signale d'ores et déjà que je m'abstiendrai de les commenter et que je me limiterai à donner un avis défavorable.

M. François Brottes - L'amendement 159 est défendu. Je tiens à souligner que si les réponses du ministre sont argumentées, celle qu'a fait le rapporteur est irresponsable et futile. Le texte qui nous occupe est lourd de conséquences ; nous déplorons vigoureusement qu'il refuse d'estimer qu'il ne vaille pas un débat.

M. le Rapporteur - Je n'ai pas dit cela.

M. David Habib - Mon amendement 165 est identique : il vise à inscrire dans la loi que « le service public de l'énergie est un vecteur de croissance et de dynamique industrielle ». M. le ministre d'Etat s'est plu à rappeler que nous étions les héritiers des sages décisions prises en 1946 et dans les années 1970. Nul ne peut nier que le service public de l'énergie a joué un rôle moteur dans la reconstruction de notre pays et dans l'épanouissement de notre outil industriel. Je suis persuadé que nous aurons tous à c_ur, quelles que soient nos sensibilités respectives, de montrer, en adoptant cet amendement, que nous sommes aussi conscients de nos responsabilités présentes et futures que nos grands aînés !

Les amendements 157, 159 et 165, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président - Les amendements 168 à 178 sont identiques.

M. Christian Bataille - L'amendement 168 est défendu.

M. François Brottes - L'amendement 170 vise à écrire dans la loi que le « service public de l'énergie est synonyme de long terme ». Il n'est pas raisonnable d'envisager que l'Etat signe aux entreprises un chèque en blanc, notamment pour ce qui concerne la réalisation des missions de service public. L'expérience de France Télécom a montré que l'on ne pouvait s'en remettre à un hypothétique « contrat » - lequel ne verra peut-être jamais le jour - sans que la loi n'en précise les termes. Les parlementaires que nous sommes ne peuvent accepter un tel dessaisissement

M. David Habib - Il est en effet primordial que la loi fasse une référence expresse à la notion de long terme. Nos décisions engagent l'avenir, et la problématique de la durée de vie ne se pose pas que pour le nucléaire. C'est faire preuve d'esprit de responsabilité que d'adopter notre amendement 176.

M. le Rapporteur - Défavorable (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Ministre délégué - Même avis.

M. François Brottes - C'est un peu court ! Notre rapporteur et M. le ministre délégué feignent de ne pas mesurer l'enjeu : ils nous doivent une réponse ! Accepte-t-on que l'Etat signe un chèque en blanc aux entreprises, en particulier pour ce qui concerne la mise en _uvre des obligations de service public ?

M. le Ministre délégué - Croyez bien, Monsieur Brottes, que je n'ai aucun mépris pour vos propositions, mais j'ai déjà répondu hier soir que la loi du 10 février 2000...

M. François-Michel Gonnot - C'est la loi Bataille !

M. le Ministre délégué - ...fixait déjà un cadre très clair en matière d'exécution des obligations de service public. Je sais bien que les grands artistes sont toujours dépassés par leur _uvre - fût-elle législative ! - (Sourires), mais ne dénaturons pas ce bel édifice !

M. Claude Birraux - Toute politique énergétique s'inscrit de manière intrinsèque dans le long terme. Au reste, le Gouvernement et la majorité l'ont bien compris en écrivant dans la loi d'orientation sur l'énergie qu'il convenait de lancer le réacteur à eau pressurisée pour remplacer à terme le parc nucléaire, aujourd'hui vieillissant. L'enjeu du long terme n'est pas pris en compte au seul plan conceptuel, mais bien dans les faits !

M. Yves Cochet - C'est précisément, Monsieur Birraux, parce que la politique énergétique s'inscrit dans le long terme qu'il ne faut pas persévérer dans l'erreur en renouvelant des choix aussi funestes que celui de l'EPR !

Pour ma part, si je suis, comme nos collègues socialistes, très attaché aux missions de service public de nos entreprises énergétiques, je ne voudrais pas que la promotion du long terme fasse oublier le moyen et le court termes. Une crise énergétique majeure se profile en effet à l'horizon de la prochaine décennie. Il semble que beaucoup préfèrent ne pas le voir, mais les faits sont là : cette crise inéluctable procède de déterminants géologiques - l'entrée en déplétion des combustibles fossiles -, économiques - l'excès structurel de la demande sur l'offre, notamment dans les pays émergents -, géopolitiques - l'instabilité du Moyen-Orient -, écologiques - avec le changement climatique et l'effet de serre. Seule la puissance publique peut mener une autre politique énergétique que celle dans laquelle nous sommes actuellement engagés. Malheureusement, la récente loi d'orientation sur l'énergie n'en montre pas le chemin.

M. Daniel Paul - En réaction à l'intervention de M. Birraux, je veux souligner que la question posée aujourd'hui est la suivante : en quoi le changement de statut d'EDF et de GDF peut-il garantir à notre pays, et plus largement au continent européen où ces deux entreprises ont, nous dit-on, vocation à régner, la protection de nos approvisionnements, la sécurité de nos installations et des prix en rapport avec le pouvoir d'achat de nos concitoyens et avec les possibilités de l'entreprise ?

Permettez-moi à nouveau de citer l'article de Jean Peyrelevade, qui n'est guère suspect de sympathie pro-bolchevique et qui a même plutôt travaillé dans les sphères financières...

M. Jean Dionis du Séjour - Il a été aussi au cabinet de M. Mauroy !

M. Daniel Paul - « L'idéologie ne remplace pas la réflexion », écrit-il. « L'électricité n'est pas stockable. La capacité installée doit donc être à tout moment supérieure à la demande. Or, la production électrique est une industrie très capitalistique, où les investissements sont à la fois lourds et à long délai de réalisation. La question de la sécurité d'approvisionnement future est donc cruciale. Le prix payé par le consommateur aujourd'hui, seule variable qui semble intéresser les adeptes de la libéralisation, est-il compatible avec le niveau d'investissement nécessaire ? A cette question essentielle nous n'avons pas de réponse claire ». Et M. Peyrelevade de poursuivre ainsi : « Le seul effet de la réforme sera de remplacer un réseau de monopoles publics nationaux par un oligopole privé d'opérateurs à vocation européenne. Ce changement sera un facteur non de baisse, mais de hausse des prix. Cela pour plusieurs raisons : un opérateur privé a besoin de fonds propres importants, dont le marché exige une juste rémunération ». Nous savons qu'il s'agit en général d'une rémunération à deux chiffres.

« Le financement par l'emprunt est également limité », explique M. Peyrelevade, « puisque la disparition de la garantie de l'Etat amène les prêteurs à davantage de prudence. La troisième raison est plus décisive encore. Compte tenu des délais et des montants à financer, le risque principal de l'opérateur concerne le niveau de ses investissements. S'il se trompe par défaut, il sera obligé de réduire le nombre de ses clients. Par excès, il aura du mal à écouler sa production future. Le monopole public sera plus sensible au premier danger qu'au second : il peut toujours, en cas de surcapacité temporaire, mettre sous cocon quelques centrales et maintenir ses tarifs. Un ensemble d'opérateurs privés mis en concurrence réciproque aura la réaction exactement inverse : une sous-capacité se traduira par une forte rentabilité financière et une médiocre qualité de service, une surcapacité par un effondrement des prix et donc un risque financier insupportable ».

Quel sera donc l'intérêt de groupes privés ? Organiser la sous-capacité électrique pour faire monter les tarifs. D'ailleurs, EDF anticipe déjà cette évolution en augmentant un certain nombre de ses tarifs.

M. le Président - Je donne la parole à plusieurs orateurs car nous sommes en début de séance, mais nous ne pourrons pas faire de même pour chaque bloc d'amendements.

M. Jacques Desallangre - Compte tenu de la qualité de l'intervention de M. Paul, je vous fais grâce de la mienne.

M. François Brottes - Associer le long terme au service public, Monsieur Cochet, c'est prendre en considération le développement durable, étant entendu que lorsqu'on a l'_il sur un horizon lointain, on gère également mieux le court terme.

Je respecte votre compétence, Monsieur Birraux, mais puisque vous nous renvoyez à la loi d'orientation sur l'énergie, je vous fais remarquer que nous ne savons pas quand celle-ci sera définitivement votée et promulguée. Par contre, l'urgence est demandée sur le présent projet et nous allons donc voter dans la précipitation le changement de statut d'EDF, c'est-à-dire que nous allons nous prononcer sur le court terme avant de voter sur le long terme. Vous conviendrez avec moi que ce n'est pas très vertueux. Il vaudrait mieux que le Gouvernement suspende nos travaux sur ce projet, en attendant le vote de la loi qui organise sur le long terme la politique énergétique française.

M. Jean Lassalle - Ce que je vais vous dire, je l'ai déjà dit à M. Sarkozy, dont je respecte le courage et les convictions, et à M. Ollier : je ne pourrai pas voter ce projet. J'entends bien les arguments que l'on nous donne pour le justifier, mais ces arguments, je les ai déjà entendus pour TDF. Or, si les paraboles n'étaient pas arrivées, nous attendrions toujours la télévision dans certaines régions de France ! Je les ai également entendus pour France Télécom, et j'ai vu ensuite ce que cela donnait dans nos modestes régions et dans certains coins de banlieue. Je les ai entendus aussi pour la Poste et je peux vous dire que dans certains parties du territoire, ce sont les maires qui sont obligés de porter le courrier en fin de semaine car il n'y a plus de facteurs.

Il paraît qu'il ne faut toucher à la loi qu'en tremblant. En l'occurrence, s'agissant d'EDF, j'ai peur car j'ai le sentiment que nous faisons quelque chose qui nous dépasse, et que nous le faisons trop tôt. Il aurait fallu préparer davantage les choses et être sûr que ce qui va remplacer l'actuelle organisation sera plus efficace.

Je serai aux côtés de la majorité dans maints combats difficiles, mais je ne participerai pas à celui-là, car je ne veux pas avoir à baisser les yeux dans quinze ou vingt ans (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jean Dionis du Séjour - Mon intervention va témoigner de l'infinie diversité de l'UDF (Sourires). Je vis moi aussi, comme M. Lassalle, en territoire rural et je peux donc me retrouver dans ce qu'il a dit sur l'importance des services publics pour ces territoires, mais nous sommes en 2004 et nous devons donner un avenir aux entreprises françaises. Or, j'ai la forte conviction que cet avenir passe par la possibilité de devenir des leaders européens. Je n'ai donc pas la même appréciation que mon collègue et je voudrais faire, au nom de l'UDF, quelques remarques de fond sur ces amendements.

Dire que le service public de l'énergie doit être synonyme de long terme, bien sûr, mais c'est déjà écrit dans la loi de 2000, qui renvoie à la programmation pluriannuelle. Et cette dimension de planification est également présente dans le récent projet de loi d'orientation.

Les amendements 168 à 178, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président - J'appelle les amendements identiques 179 à 189.

M. Christian Bataille - Par l'amendements 179, il s'agit d'affirmer que "le service public de l'énergie est un élément de contrat social pour les personnels et les usagers". Le terme de contrat social désigne, avec la noblesse qui convient, la place des personnels dans le service public de l'énergie. Que n'a-t-on entendu sur leur statut et les avantages indus dont ils bénéficieraient ? Pour le service public de l'énergie dans la société française, le dilemme est le même que pour les salariés français en Europe : on veut toujours aligner le statut du personnel sur le moins-disant social. S'il est vrai que les personnels des industries électriques et gazières ont un niveau élevé de protection sociale, fruit de décennies de combat syndical, il appartient, non seulement aux IEG, mais à toutes les entreprises de s'aligner sur cet exemple de contrat social.

Mais je veux aussi parler des usagers, et le rôle de notre assemblée trouve ici tout son sens, car nous ne sommes pas les représentants d'une catégorie sociale, mais de tous les citoyens. Ceux-ci, qui sont aussi des usagers, sont au c_ur du service public de l'énergie avec son contrat social. Le débat sur EDF et GDF ne concerne pas seulement les personnels mais aussi les usagers. Pendant toute la IVe et toute la Ve Républiques, le prix de l'énergie a été un élément du contrat social. Un bas prix de l'énergie est-il un signe d'arriération sociale ? On l'a entendu, et certains font des parallèles avec des pays qui, c'est vrai, n'ont pas réussi, pour accréditer l'idée qu'un faible prix de l'énergie signifie une faible valeur de notre économie. C'est effectivement un choix fondamental, pour un pays, que d'assurer aux consommateurs - industriels et ménages - un prix de l'énergie le plus bas possible.

En face de nous, une majorité libérale, qui s'appuie sur la logique du Medef, n'ose pas dire clairement qu'elle veut faire fonctionner l'économie avec un prix de l'énergie élevé. On nous dit que l'économie fonctionnera si l'énergie est payée « à son prix » - mais cela veut dire une hausse pour les ménages. Pour nous ce serait le signe d'un contrat social en constante amélioration si nous parvenions à maintenir le prix à un bas niveau. Là est le vrai débat.

M. François Brottes - Imaginons que nous soyons dans la majorité, et que nous inscrivions dans la loi le texte de notre amendement 181 : « le service public de l'énergie est un élément de contrat social pour les personnels et les usagers ». Sans doute alors l'opposition proposerait-elle d'amender ainsi ce texte : « le service public de l'énergie est un élément de contrat libéral pour les actionnaires et les clients »... Toute la différence est là ! Il y a danger pour le contrat social, et M. Lassalle l'a dit en des termes d'une grande authenticité. Car l'intérêt des capitaux privés érodera nécessairement peu à peu les missions de service public. Et dans le contrat avec le personnel l'éthique du service public risque de prendre moins d'importance que le rendement des actions, dont 15% seront réservés aux agents.

M. David Habib - L'amendement 187 répond à une attente du pays. Il rappelle une dimension qui doit être privilégiée, au regard de l'histoire de ce service public et de ses missions spécifiques. Vous en avez d'ailleurs pris conscience, puisque vous êtes disposés à relever, par un autre amendement, le seuil de participation des salariés. Nos amendements tendent à souligner, dès l'orée du texte, le lien de contrat social qui a fait l'histoire et la force des deux entreprises. Quant aux usagers nous savons - et M.Lassalle, lui aussi député des Pyrénées-Atlantiques, l'a dit - que des questions fondamentales sont posées. A côté de la manifestation de colère et d'inquiétude des salariés, il y a aussi une lassitude, une amertume de tous ces Français qui voient, notamment à la campagne, les services publics disparaître peu à peu et leur qualité diminuer. C'est aussi le cas pour EDF, et j'en suis victime comme mes administrés. Nous amendements apportent donc un élément important , qu'a rappelé avec talent M. Lassalle. Refuser d'écrire que le service public de l'énergie est un élément de contrat social pour les personnels et les usagers serait d'ailleurs une rupture, en termes de rhétorique politique, si l'on se souvient des hommages rendus de toutes parts aux personnels d'EDF et de GDF pour leurs efforts face aux crises climatiques de ces dernières années.

M. le Rapporteur - Défavorable.

M. le Ministre délégué - Même avis (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jacques Desallangre - Je souhaite soutenir ces amendements, en montrant que ce texte fragilise le service public et ne lui apporte que des garanties sans portée réelle. L'article premier mentionne notamment, parmi les missions du service public, la sécurité d'approvisionnement, la qualité du service, les moyens permettant d'assurer l'accès au service public, la politique de recherche et de développement. Mais cette liste est souvent floue et comporte des lacunes.

Ainsi, que recouvre exactement la notion de qualité du service ? Pour la politique de recherche aucun objectif quantitatif n'est fixé ; or on sait par une étude parue le 11 mai que les efforts en ce domaine sont tombés très bas, comme si déjà certains anticipaient sur les démarches du privé. On peut même craindre que la référence à la qualité du service et à l'accès au service public - mais non à sa présence territoriale - puisse être comprise comme un feu vert à la suppression du service public, notamment à la campagne : il suffira à EDF ou à GDF de mettre en avant un critère de qualité pour se désengager de ces zones. Or la présence et l'implication des personnels des deux entreprises est un élément important de la vie locale, notamment dans les zones rurales qui voient peu à peu disparaître leurs commerces et leurs services publics.

Je note enfin que, pour l'électricité, la liste ne comporte pas l'objectif d'enfouissement des lignes et que, pour le gaz, elle ne mentionne pas la desserte de nouvelles communes ni la densification du réseau existant. Tout cela traduit votre manque d'ambition pour le service public.

Les amendements 179, 181 et 187, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président - Je suis maintenant saisi des amendements identiques 113 à 123.

M. Christian Bataille - L'amendement 113 tend à inscrire dans le texte que « la recherche de l'efficacité du service public de l'énergie ne peut entraîner la mise en _uvre d'un système de tarification contraire au principe d'égalité ». Mes collègues développeront la portée de ce principe pour les citoyens : je l'examinerai du point de vue des industriels. Les pages économiques du Figaro, journal qui n'est pas politiquement hostile au Gouvernement, reflètent aujourd'hui une grande inquiétude parmi les industriels face à la remise en cause de ce principe d'égalité. Je citerai ERAMET, groupe métallurgique et minier, dont le dirigeant de la branche manganèse affirme - sur un ton « nettement alarmiste », dit le journal - que le renchérissement de l'électricité aura un impact significatif sur ses coûts de production, et que pour le moment les effets théoriques de la concurrence sur les prix de l'électricité ne lui semblent pas probants.

On aurait pu penser que votre projet, qui dessert les ménages, avait au moins l'approbation des industriels, censément moins attachés au principe d'égalité et favorables à la libéralisation. Or, il n'en est rien. Qui va donc défendre votre libéralisation du marché de l'électricité, si même ceux qui auraient dû être vos plus fidèles soutiens doutent ? La puissante Union des industries utilisatrices d'électricité elle-même déplore que les industriels soient aujourd'hui exclus de la fixation des prix et qu'il n'y ait pas aujourd'hui de véritable marché de l'électricité. Tous vos arguments, Monsieur le ministre, tombent.

Ce projet de loi non seulement n'aura aucune efficacité mais sapera ce que EDF et GDF étaient parvenus à construire.

M. François Brottes - J'espère que le ministre nous répondra sur la question des tarifs un peu plus longuement que tout à l'heure...

La future tarification inquiète en effet non seulement les industriels mais aussi les particuliers, d'autant qu'il ne devrait plus être bientôt question de tarifs, mais de prix, fixés par le marché en fonction du type de clients. La libéralisation conduira les clients à être otages du marché et des fournisseurs, lesquels pourront parfaitement organiser la pénurie en période de forte consommation. N'oublions pas qu'en Californie l'Etat a été obligé de se substituer aux distributeurs, acculés au dépôt de bilan, et d'acheter directement de l'électricité aux producteurs à un prix double de ceux pratiqués avant la libéralisation ! Nos inquiétudes sont donc parfaitement légitimes.

D'ailleurs qui fixera les tarifs ? L'Etat ? Le régulateur ? Comment ne pas s'inquiéter quand certains opérateurs envisagent de « profiler » les clients et de les sélectionner en fonction de leur type de consommation ? Ceux qui n'auront pas la chance d'avoir été sélectionnés seront-ils laissés pour compte ? De même, faut-il croire le concurrent d'EDF qui propose de vendre de « l' électricité verte » ? En effet, comment distinguer physiquement sur le réseau « l'électricité verte » de l'autre ?

Laisser faire, laisser dire tout cela, comme le fait le ministre, c'est prendre nos concitoyens pour des imbéciles. Les usagers domestiques comme les industriels doivent être correctement informés. C'est pourquoi je défends l'amendement 115.

M. David Habib - Permettez-moi de citer Jean-Louis Beffa, président de Saint-Gobain, qui indiquait récemment que, si les industriels devaient s'installer là où la main-d'_uvre est la meilleure marché, ils iraient certainement en Chine, mais que la donne énergétique permettaient à certains pays de conserver une attractivité. Il citait parmi ceux les républiques de l'ex-URSS mais aussi la France où le prix de l'électricité, grâce aux investissements réalisés par le passé, constitue, de même que la qualité du service rendu, d'indéniables atouts. La question des tarifs est donc essentielle. Je ne comprends pas ce qui interdirait d'adopter notre amendement 121.

M. le Rapporteur - La commission a émis un avis défavorable.

M. le Ministre délégué - Dans ce débat qui s'annonce long, vous me permettrez, pour éviter les redites, de me contenter parfois d'un mot. Mais sur cette importante question de la tarification, je répondrai plus longuement.

Monsieur Bataille, moi aussi j'ai lu l'article du Figaro auquel vous avez fait allusion. Et je ferai quatre remarques à ce sujet. Premièrement, les hausses de prix constatées sont antérieures au vote de cette loi, laquelle ne peut donc être incriminée.

M. François Brottes - Elle a été anticipée !

M. le Ministre délégué - Deuxièmement, EDF, et donc l'Etat, ont longtemps consenti des avantages tarifaires particuliers aux gros industriels au détriment des plus petits consommateurs. L'ouverture du marché de l'électricité à la concurrence, organisée, je le rappelle, par le précédent gouvernement, oblige à supprimer ces distorsions de concurrence.

Troisièmement, une large partie de ces hausses de tarifs est imputable à la restructuration de RTE, laquelle est intervenue dans les premières semaines de 2002.

M. François Brottes - Nous vérifierons.

M. le Ministre délégué - Vous m'en reparlerez ensuite - mais peut-être ne m'en reparlerez-vous pas après avoir vérifié...

Quatrièmement, s'agissant d'Eramet, le groupe avait initialement avec EDF un contrat « effacement des jours de pointe », au tarif de 24 €. Une fois éligible, il a trouvé chez un concurrent un contrat à 20 €, qui n'était, hélas, que de courte durée et lorsqu'il a voulu le prolonger, le fournisseur a augmenté son tarif à 30 €. Eramet se tourne maintenant de nouveau vers EDF pour obtenir un contrat à long terme, mais celle-ci lui propose désormais un tarif sur les bases de son contrat actuel, à savoir 30 €. Eramet n'a donc qu'à s'en prendre à lui-même de ses mauvais choix !

M. Daniel Paul - Le ministre vient de rappeler que EDF a longtemps consenti des tarifs bas aux industriels au détriment des usagers domestiques...

M. François-Michel Gonnot - C'est le théorème de Montreuil !

M. Daniel Paul - M. Brard vous a donné rendez-vous dans sa ville de Montreuil pour débattre de ces questions.

M. le Ministre délégué - Je m'y rendrai bien volontiers lors de la prochaine campagne électorale !

M. Daniel Paul - Le pays ne vit pas que pendant les campagnes électorales !

En dépit de cette distorsion de concurrence, disais-je, les usagers domestiques bénéficiaient de tarifs particulièrement bas.

Le patronat de la branche électrique reconnaît que les gros consommateurs ont vu les prix de l'électricité augmenter de 50% depuis le début de 2003. Le président de la SNCF se plaint du renchérissement de 200 millions d'euros en 2004 de la facture d'électricité de son entreprise. Celui de l'UFE indique d'ailleurs que le prix du mégawatt passera de 32,6 € en 2003 à 34,5 en 2004 pour atteindre 40 € en 2007, ce qui entraînera un surcoût de 1,45 milliard d'euros pour les industriels. Ces indications n'ont été nulle part démenties. M. Beffa enfin, qui ne passe pas pour l'un de nos amis et dont le groupe est le quatrième consommateur d'électricité de notre pays, souligne dans la presse que la France est en train de perdre l'un de ses principaux avantages compétitifs, à savoir un prix bas de l'énergie, inférieur de 30% à ce qu'il est en Allemagne. Si les prix continuent d'augmenter, dit-il, « nous délocaliserons nos activités, vraisemblablement vers la Russie » (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). « Le monopole avait donné un avantage concurrentiel à la France. Ce n'est pas le statut d'EDF qui est en cause, poursuit-il, mais bien les orientations erronées de la Commission européenne. »

M. François-Michel Gonnot - Ce sont les effets de la loi Bataille !

M. Daniel Paul - Monsieur le ministre, depuis 1946 EDF a été l'un des tout premiers atouts du développement industriel de notre pays. Or, au nom de la rentabilité, vous êtes prêt à le remettre en cause. Vous évoquez sans cesse le marché, vous nous dites que l'entreprise Eramet n'a qu'a s'en prendre à elle-même ; mais derrière Eramet, il y a des hommes : on ne peut pas accepter qu'une erreur de patron entraîne la perte d'une filière industrielle comme celle du nickel.

M. le Ministre délégué - Ce n'est pas ce que j'ai dit.

M. Daniel Paul - Non, mais c'était sous-entendu : si les patrons font des erreurs dans le domaine de l'énergie, il n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes ! Cela devient une raison supplémentaire de la fragilisation de nos entreprises.

M. François Brottes - Je remercie le ministre de m'apporter des réponses ; je vérifierai son explication de l'augmentation des prix. En tout cas, j'ai apprécié l'attitude qu'il a eue récemment au sujet des tarifs des SMS.

S'agissant de l'énergie, qui pèse lourd dans les coûts supportés par nos entreprises industrielles, il aurait été judicieux, de même que l'on se bat pour une harmonisation sociale et une harmonisation fiscale au sein de l'Europe, d'envisager une harmonisation du coût de l'énergie. A défaut, il faudrait au moins nous dire comment on va assurer la transparence et l'honnêteté des tarifs. Si les opérateurs se lancent dans des publicités comparatives du type « je vous garantis x % d'énergie verte », où va-t-on ? Il faut faire en sorte que l'ensemble des clients - puisque c'est ainsi qu'il faut les appeler désormais - soient correctement informés : l'Etat ne peut pas dire que la question des tarifs n'est pas son affaire. Comment va-t-on contrôler tout cela ?

M. Christian Bataille - J'entends notre collègue Gonnot marteler : « C'est la loi Bataille ». Non : je ne connais qu'une loi Bataille, celle du 30 décembre 1991 relative aux déchets radioactifs. Je crois comprendre que M. Gonnot fait allusion à la loi de février 2000 sur l'électricité.

M. François-Michel Gonnot - Je le confirme !

M. Christian Bataille - La responsabilité de cette loi est assumée collectivement par le gouvernement Jospin, et on pourrait plutôt l'appeler la loi Pierret, du nom de son secrétaire d'Etat à l'industrie. J'étais pour ma part, et je l'assume totalement, le rapporteur de ce texte, qui avait fait l'objet d'un large consensus à l'intérieur de la majorité de gauche, et que vous aviez combattue parce que vous estimiez que nous n'allions pas assez loin dans la libéralisation, l'ouverture des marchés et la privatisation des entreprises publiques. C'était une loi de transposition a minima des directives européennes voulues par les accords Chirac-Kohl et par le gouvernement Juppé, et présentées ici-même par un ministre de vos amis, Franck Borotra.

Quant à Eramet, Monsieur le ministre, elle s'est tournée vers la concurrence et, déçue, veut revenir, ce dont personnellement je me réjouis, vers l'entreprise publique. Celle-ci doit à mon avis faire preuve de disponibilité, au lieu de la punir parce qu'elle l'a momentanément abandonnée.

Les amendements 113, 115 et 121, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. François Brottes - Au nom du groupe socialiste, je demande une suspension de séance pour permettre au rapporteur de retrouver ses notes pour répliquer à nos arguments. Nous nous étions en effet, en commission, dits prêts à aller vite, pour laisser toute sa place au débat dans l'hémicycle ; mais nous souhaitons que le ministre ne soit pas seul à nous répondre.

La séance, suspendue à 16 heures 20, est reprise à 16 heures 30.

M. le Président - Nous en arrivons aux amendements identiques 125 à 134.

M. François Brottes - Espérons que grâce à cette suspension, le rapporteur pourra répondre de façon plus étoffée aux questions que nous ne manquerons pas de lui poser de nouveau.

Ces amendements précisent que l'efficacité du service public de l'énergie ne saurait s'accommoder de la remise en cause du principe de continuité, ce à quoi différents opérateurs pourraient trouver intérêt. Le principe de continuité est partie intégrante de la notion de service public.

M. David Habib - Les services publics sont organisés pour assurer la continuité. Or certains opérateurs privés pourraient être tentés de raréfier ou de désorganiser l'offre. En adoptant ces amendements, permettons à EDF et GDF de fonctionner comme elles le font depuis 50 ans et d'être compétitives.

M. le Rapporteur - Je m'en voudrais de laisser sans réponse les questions de M. Brottes. La commission a repoussé toute une série d'amendements socialistes, dont les amendements 124 à 134, car ils introduisent des notions générales avant l'article 1er et l'article 2. Ceux-ci sont justement consacrés au service public, et ce sera donc le lieu de faire ces considérations de portée générale et de tenir ces propos pour tout dire melliflus.

Plus précisément, on m'a demandé comment un client qui signe un contrat avec un fournisseur d'énergie « verte » peut-il être certain que les Kw qu'il consomme ont été produits par une source d' énergie renouvelable ? Bien entendu, l'exploitant d'une éolienne en Belgique ne va pas envoyer à son client, disons à Mortagne-au-Perche, sa propre production, qu'il envoie sur le réseau de distribution français sans qu'il y ait e traçabilité.

M. François Brottes - Il y a donc publicité mensongère.

M. le Rapporteur - Pas du tout. Il s'est constitué une association des producteurs d'électricité « verte » qui milite pour un minimum de vérité dans les contrats.

M. François Brottes - Ce « minimum » m'inquiète !

M. le Rapporteur - Et, ne voulant pas mettre en difficulté l'opposition, je n'ai pas mentionné que l'article 9 de la loi d'orientation sur l'énergie prévoyait que le fournisseur doit produire au client final un certificat garantissant qu'il s'est approvisionné pour une même quantité que celle qu'il lui a délivrée auprès d'un producteur d'énergie renouvelable. Mais ensuite, le groupe socialiste a déposé des amendements, et notamment un amendement 73 de M. Brottes... Je ne voulais pas en parler pour ne pas le prendre en flagrant délit devant ses collègues.

M. François Brottes - Et quel était son contenu ?

M. le Rapporteur - Vous m'inquiétez si je dois vous rappeler le contenu de vos propositions.

M. le Ministre délégué - Même avis.

Les amendements identiques 124 à 134, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président - Nous arrivons aux amendements identiques 135 à 145.

M. Christian Bataille - Le service public de l'énergie doit être transparent. Il y a plus de dix ans, j'avais présenté un rapport montrant que ce n'était pas le cas pour la gestion des déchets nucléaires. C'est malheureusement vrai dans d'autres secteurs. Ainsi, le développement international d'EDF-GDF s'est fait dans une opacité totale, la représentation nationale n'étant informée qu'a posteriori. Tout juste savons-nous que le bilan est positif depuis peu.

De même, les fonds nécessaires au démantèlement du parc des centrales et à la gestion des déchets radioactifs ont été prélevés depuis très longtemps sur le prix du kilowattheure, mais l'on ne sait à quelles dépenses ils ont réellement été affectés. Un tel débat demande la plus grande transparence et il serait grand temps que la représentation nationale y soit associée. Tel est l'objet de l'amendement 135.

M. François Brottes - La transparence doit prévaloir pour que la traçabilité soit garantie et que, si elle ne peut l'être, on n'autorise pas des mensonges en tous genres. Ainsi, prétendre que l'on fournirait 20 % d'énergie verte au motif que l'on produit 20 % d'énergie verte en amont, c'est, au mieux, un abus de langage, au pire une publicité mensongère faussant la concurrence. Mais le principe de transparence doit s'appliquer aussi aux factures d'EDF, à ce jour incompréhensibles - tout comme le sont les tarifs bancaires, parce que vous n'avez pas souhaité obliger les établissements financiers à plus de clarté, contrairement à ce que nous avions prévu dans la loi sur les nouvelles régulations économiques. La seule mention du principe de transparence attaché à la fourniture d'énergie électrique, objet de l'amendement 137, devrait faire l'unanimité.

M. David Habib - La transparence doit s'imposer aussi en matière d'évolution technologique et de recherche. Une vision européenne est nécessaire, puisque tous les Etats ont pour même souci de répondre à une demande croissante tout en préservant l'environnement. Nos concitoyens doivent être associés à la réflexion sur ces questions, et l'absence de transparence ferait courir le risque de transformer l'espace européen, et français en particulier, en une chasse gardée que se disputeraient quelques grands groupes industriels uniquement intéressés à une compétition marchande. Poser dans la loi le principe de transparence garantirait la perpétuation du service public de l'énergie et d'une vision de l'intérêt collectif.

M. le Rapporteur - La commission a exprimé un avis défavorable sur ces amendements identiques. A propos d'énergie verte, rappelez-vous, Monsieur Brottes, que, pour éviter tout risque de tromperie, ce gouvernement a proposé que les certificats soient inscrits dans la loi d'orientation. D'autre part, vous ne pouvez ignorer que ni les électrons consommés ni les molécules de gaz n'ont de couleur ! Dans ce domaine, la vertu consisterait à faire ce à quoi ont consenti les Californiens, qui acceptent de payer de 20 à 30 % plus cher l'énergie verte. Quant aux amendements, ce sont des déclarations de principe et des tautologies. Avis défavorable.

M. le Ministre délégué - Même avis.

M. Yves Cochet - Je tiens à préciser que les auto-producteurs d'énergie renouvelable, dont je suis, ne sont pas des auto-consommateurs. Autrement dit, les termes de la convention passée avec EDF ne sont pas que les auto-producteurs lui revendent le surplus de leur production : ils consomment l'énergie que leur vend EDF, et l'entreprise leur rachète l'intégralité de leur production un peu plus cher qu'elle ne leur vend la sienne. De ce fait, pour ce qui me concerne, je me trouve en crédit permanent. Il s'agit donc de traçabilité, certes, mais aussi de négoce, et il est vrai, comme l'a dit le rapporteur, que l'on ne peut suivre un électron vert. S'agissant de la gestion des « fonds Bataille » destinés au démantèlement des centrales et à la gestion des déchets nucléaires, la transparence devrait, en effet, prévaloir. Mais elle doit s'exercer dans bien d'autres domaines, si l'on en croit M. Arthuis, président de la commission des finances du Sénat, qui s'inquiète des sommes inconnues mais dans tous les cas considérables que l'entreprise EDF devrait provisionner pour garantir les droits à pension de ses salariés, et qui s'inquiète d'autant plus qu'il dit ne pas savoir d'où viendrait l'argent...

Le ministre de l'économie a annoncé la création d'une commission appelée à établir la vérité de la situation financière d'EDF... après que la loi aura été votée et l'entreprise transformée en société anonyme. C'est le monde à l'envers ! Peut-on légiférer sur le monde à l'envers ?

Les amendements 135 à 145, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président - Nous en arrivons aux amendements 146 à 156 identiques.

M. Christian Bataille - La recherche d'efficacité ne doit pas conduire à la perte de cohésion sociale. Tel est le sens de l'amendement 146, par lequel nous rappelons que l'électricité n'est pas seulement un commerce.

Lorsqu'une électricité de qualité est disponible sur l'ensemble du territoire, c'est la cohésion nationale qui est assurée. Nous ne voulons pas voir s'installer la situation qui prévaut dans certains pays ultra libéraux, où les zones favorisées ont accès à une ressource abondante cependant que les plus isolées ou les plus déshéritées doivent se contenter du minimum.

M. François Brottes - Cet amendement est effectivement essentiel car il faut être bien conscient que ce texte constitue la première étape du démantèlement du service public de l'énergie. Les personnels des entreprises, très attachés à leur mission de service public, n'adhèrent évidemment pas à cette logique car ils considèrent avec nous que l'électricité, en tant que bien de première nécessité, ne peut être soumise aux lois d'un libéralisme débridé. Je vous renvoie à l'oraison funèbre de notre collègue Lassalle : c'est bien à l'enterrement de première classe de l'un de nos plus grands services publics que nous sommes conviés !

M. David Habib - Cet amendement tend à rappeler que l'énergie représente un bien universel. Il n'y a pas si longtemps, dans les années 1970, on avait pu craindre que les campagnes d'économies d'énergie ne diffèrent encore de quelques années l'accès à la ressource pour les plus démunis. Il ne faut pas méconnaître les grandes disparités qui existent encore entre nos concitoyens, et la cohésion nationale doit être placée au c_ur de notre dispositif énergétique, conformément aux engagements pris en 1946. Vous pouvez, Monsieur le rapporteur, trouver cela « déclaratif » mais ce n'est pas inutile pour autant. Le pays a le droit de savoir ce que pense la représentation nationale, et j'observe au passage que notre position n'est guère différente de celle qu'a exprimée le Président de la République au lendemain des élections régionales et cantonales ! Je m'étonne d'avoir à le rappeler à ceux qui se présentent comme ses fidèles !

M. le Rapporteur - Monsieur Habib, la cohésion sociale, vous, vous en parlez, nous, nous la pratiquons ! (M. Daniel Paul s'exclame) A l'initiative du groupe communiste, la loi du 10 février 2000 - que M. Bataille connaît bien puisqu'il l'a rapportée a créé pour les ménages en difficulté un tarif social. Qu'advint-il alors ? 2000, 2001 et 2002 se sont passées sans rien que ne vienne ! (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP) Et il aura fallu attendre l'arrivée du gouvernement Raffarin pour que soit publiée le décret d'application afférent, inscrivant dans les faits une mesure qui concerne tout de même un million et demi d'abonnés ! Le tarif social, vous ne l'avez pas fait, nous si ! Mieux, au nom de la majorité des commissaires des affaires économiques, je défendrai un amendement étendant le bénéfice du tarif social aux services connexes à la fourniture d'énergie, et je ne doute pas que nos collègues de l'opposition l'acceptent d'enthousiasme ! Défavorable à ces amendements.

M. le Ministre délégué - Même avis, et j'invite du reste à leur retrait dans la mesure où le troisième alinéa de l'article premier de la loi du 10 février 2000 les satisfait largement, en disposant que le service public de l'énergie concourt à la cohésion sociale en assurant le droit à l'électricité pour tous et en concourant notamment à l'aménagement du territoire. Votre amendement n'ajoute rien à ce dispositif.

M. Léonce Deprez - Il est en effet précieux de constater que nous sommes tous d'accord sur au moins un point : l'électricité concourt à la cohésion sociale et, aux termes de la loi du 10 février 2000 que vient d'évoquer M. le ministre, l'approvisionnement en énergie sur l'ensemble du territoire doit être assuré dans les meilleures conditions économiques, sociales et énergétiques. Les amendements de nos collègues sont donc déjà satisfaits.

M. Daniel Paul - Je remercie M. Lenoir d'avoir rappelé que le tarif social avait été créé à l'initiative des députés communistes. Il serait urgent d'évaluer l'ensemble du dispositif car nous avons connaissance de nombre de situations où l'accès aux crédits d'aide afférents est extrêmement difficile, parfois par manque de bonne volonté des services instructeurs. Il est bon de rappeler dans la loi que nos entreprises énergétiques jouent un rôle social. N'oublions pas que six millions de nos compatriotes ont du mal à boucler leurs fins de mois et que, pour beaucoup d'entre eux, la fin du mois commence... quelques jours après son début !

Les amendements 146 à 156, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président - Les amendements 190 à 200 sont identiques.

M. Christian Bataille - Il s'agit d'inscrire dans la loi que « le développement d'une politique d'accueil et d'aide à l'accès au service public de l'énergie pour tous les usagers est la garantie de fidélisation des citoyens-usagers ». M. le ministre nous objectera sans doute qu'il s'agit encore une fois de rappeler un principe et que la loi du 10 février 2000 en pose déjà plusieurs mais il ne nous semble pas superfétatoire de montrer que le législateur est toujours animé de la même préoccupation, quelque cinq ans après.

S'agissant du tarif social, vous ne pourrez pas nous retirer de l'avoir créé ! Et je ne suis pas du tout persuadé que vous l'auriez fait !

M. François Brottes - Ils ont voté contre !

M. Christian Bataille - Quant à notre rapporteur, il connaît sans doute, pour avoir présidé le conseil supérieur de l'électricité et du gaz, la lourdeur de l'appareil administratif et la complexité du circuit de production des décrets d'application de nos textes de loi !

On ne peut que se féliciter de la continuité de l'Etat, qui fait qu'une disposition votée par une certaine majorité continue de s'appliquer quand cette majorité a changé.

Si vous êtes d'accord sur les principes que nous énonçons à l'amendement 190, acceptez de les intégrer à votre texte. Cela n'aurait rien de déshonorant ! Sinon, nous penserons que l'opposition est seule à défendre ces principes.

M. François Brottes - Nous continuons notre effort de pédagogie pour convaincre le rapporteur et l'ensemble de nos collègues de la nécessité de renforcer le service public dans ce texte de loi. Je vois quatre raisons de voter notre amendement. D'abord, parce que vous avez voté contre les tarifs sociaux quand nous les avons instaurés. Comprenez donc que nous soyons méfiants : au premier moment d'inadvertance de notre part, vous risqueriez de les faire disparaître. Ensuite, parce que, même si la loi 2000 n'est pas abrogée, le fait de passer d'un statut d'EPIC à celui de SA change tout. Nous craignons, en troisième lieu, qu'assez rapidement les opérateurs ne s'intéressent plus à ceux qui habitent loin ou qui n'ont guère de moyens. Enfin, et je m'adresse là particulièrement au président Ollier, nous constatons que les charges du service public sont contestées par les opérateurs, ce qui risque bel et bien de remettre en cause le financement des tarifs sociaux.

M. David Habib - Nous sommes à la veille de la signature d'un contrat d'objectif entre l'Etat et l'entreprise. Il faut donc que nous affichions clairement notre volonté politique. Force est en effet de constater que, depuis un an ou deux, le service public de l'électricité se dégrade. Je le constate tous les jours chez moi, dans les Pyrénées Atlantiques. EDF ne rend pas toujours les services que les usagers et les collectivités sont en droit d'attendre. Nous avons ici l'occasion de dire au président d'EDF que nous n'accepterons pas que l'entreprise néglige certains territoires et certaines de ses missions.

M. le Rapporteur - Si l'on commence à ajouter au texte du Gouvernement des passages empruntés à des lois déjà votées, nous aboutirons à quelque chose d'illisible.

M. le Ministre délégué - C'est du psittacisme juridique.

M. le Rapporteur - Je tiens ensuite à protester contre les affirmations de certains collègues de l'opposition qui travestissent la vérité. La loi du 10 février 2000, je l'ai votée ! Avant de vous livrer à des agressions gratuites contre votre rapporteur, mes chers collègues, vérifiez donc la véracité de vos propos !

M. Daniel Paul - Si ce n'est vous, c'est donc votre frère !

M. le Rapporteur - Je suis également obligé de réagir à certaines allégations concernant le Conseil supérieur de l'électricité et du gaz, que j'ai l'honneur de présider. Il a été affirmé que si les décrets d'application relatifs aux tarifs sociaux n'avaient pas été pris à temps, c'était la faute de cette instance, qui doit examiner tous les textes réglementaires qu'impliquent les lois sur l'électricité et le gaz. A l'époque je n'étais que membre suppléant de ce Conseil, mais j'en ai suivi les travaux avec beaucoup d'intérêt et je peux donc vous dire qu'il a été saisi dès le 14 mars des premiers textes réglementaires requis par la loi du 10 février, ce qui a permis au Gouvernement de signer les premiers décrets d'application dès le 29 mai. Quant aux dispositions réglementaires relatives aux tarifs sociaux, le Conseil n'a jamais eu à les examiner, tout simplement car le Gouvernement ne les avait pas rédigées. Mais je suis certain que mon prédécesseur à la tête du Conseil les attendait avec impatience.

M. le Ministre délégué - Même avis défavorable.

M. François Brottes - Quand je disais « vous », Monsieur le rapporteur, je ne vous visais pas en particulier, mais je m'adressais à votre famille politique. Car il est exact que, s'il y a eu quelqu'un au sein de l'actuelle majorité pour soutenir la gauche, c'était bien vous. Vous étiez en somme le Jean Lassalle de la précédente législature.

Les amendements 190 à 200, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président - Nous en arrivons aux amendements identiques 102 à 112.

M. Christian Bataille - Je veux, à mon tour, témoigner du vote singulier de M. Lenoir. Il fut à l'époque le seul de son groupe à soutenir la majorité de gauche. Mais nos reproches à la droite restent valables.

Par l'amendement 102, nous proposons d'écrire : « les principes du service public de l'énergie garantissent des prestations d'un haut niveau de qualité ». Et puisque le rapporteur, en dépit de son naturel cordial, s'est efforcé d'être un peu désagréable, je vais l'être moi-même à mon tour en rappelant à la droite les méfaits du libéralisme aux Etats Unis. Chacun se souvient en effet de la crise électrique majeure qu'a connue la Californie à l'été 2002 et de la façon dont les spéculations d'Enron ont mis le système électrique californien à genoux. Rappelons aussi l'effondrement du réseau qui est survenu le 14 août 2003 et qui a touché huit Etats du Nord-Est des Etats Unis et l'Est canadien. 50 millions de personnes ont été privées d'électricité pendant plusieurs jours, parfois pendant une semaine !

L'Autorité fédérale de régulation de l'énergie américaine souligne elle-même la mauvaise qualité du réseau, due à l'insuffisance des investissements réalisés par le principal opérateur. Quand il n'y a ni planification à long terme pour développer le réseau, ni entretien de celui-ci, cela génère à l'évidence une mauvaise qualité du courant. La France sera elle aussi exposée à ce risque si vous persistez à faire d'EDF une SA, car cela conduira à une privatisation avec des actionnaires qui minimiseront leurs investissements afin de maximiser leurs profits.

Si nous voulons mettre le réseau à l'abri des mauvais effets de la libéralisation, il y a des mesures à prendre. En France nous avons un réseau et un courant de qualité, et nous ferons tout pour les préserver et ne pas être, comme les Américains, privés de courant faute d'investissements.

M. François Brottes - On objectera que cet amendement n'est qu'une déclaration d'intention. Mais je pourrais citer nombre d'articles de la loi Pasqua sur l'aménagement du territoire - laquelle est toujours en vigueur - qui sont du même type que notre amendement. Parmi les principes du service public figurent la notion d'aménagement du territoire et d'égal accès sur tout le territoire. En matière industrielle, la qualité du courant est importante. J'ai appris qu'il existait différentes qualités de courant, et que certaines industries y sont très sensibles. Cela peut les dissuader de s'installer sur certains territoires si l'on ne peut y fournir la qualité de courant voulue, mais aussi si l'on n'est pas capable de sécuriser l'acheminement de l'énergie vers ces entreprises. Mais il y a encore, outre la qualité intrinsèque du courant et la sécurisation de la fourniture, un troisième élément dans le niveau de qualité. Le fournisseur doit assurer les branchements, la maintenance, jouer un rôle de conseil, faire des visites de sécurité... Avec la privatisation qui s'annonce, on assurera ces prestations « à la tête du client » : elles ne seront plus les mêmes selon l'endroit où vous résiderez, ou selon votre niveau de consommation. Cette dérive est d'ailleurs déjà observable. D'où la nécessité de réaffirmer, avec la portée non d'une simple répétition, mais en quelque sorte d'une sanction de ces dérives, que « les principes du service public de l'énergie garantissent des prestations d'un haut niveau de qualité » sur tout le territoire.

M. David Habib - La qualité des prestations est fonction de deux éléments : l'investissement et le renouvellement du parc. Ceux-ci à leur tour, tout industriel, tout cadre d'EDF vous le dira, dépendent de la stabilité de l'actionnariat et de son esprit de responsabilité, de sa capacité à anticiper les investissements futurs ; cela suppose une éthique de l'entreprise inscrite dans la durée. C'est l'une des implications de notre amendement. Par ailleurs, nous sommes à quelques mois de la signature d'un contrat d'objectifs : refuser cet amendement serait priver l'Etat d'un argument dans cette négociation. La matière dont il s'agit, l'énergie, est non stockable et dangereuse : c'est notre responsabilité d'en préserver la qualité. J'ajoute que la France joue un rôle éminent dans l'Europe de l'énergie, et qu'elle a des responsabilités à cet égard. En proposant cet amendement nous sommes fidèles à ceux qui ont construit le service public de l'énergie, et dont M. le ministre d'Etat, dans son propos liminaire, a eu à c_ur d'évoquer le souvenir. En votant cet amendement, nous honorerions le témoin qui nous a été passé.

M. le Rapporteur - La commission a émis un avis défavorable. On n'amende pas une loi en y introduisant des énoncés qui figurent déjà à l'article suivant, ou ailleurs dans notre législation : c'est une étrange manière d'enrichir le débat en alourdissant le texte !

M. le Ministre délégué - Un mot à M. Bataille, qui évoque, à l'horizon du libéralisme qu'introduirait ce texte, le spectre du black-out californien. Tout d'abord le statut juridique d'EDF n'est pas une garantie contre ce type de dysfonctionnement, puisque nous en avons connu un en 1978. Ensuite les causes du black-out californien n'ont rien à voir avec le libéralisme. La première, c'est le refus de recourir au nucléaire, d'où une sous-capacité de production qui a conduit à recourir au gaz, énergie coûteuse. La deuxième faute n'avait vraiment rien de libéral, et elle était même plutôt de type socialiste : c'est que la Californie avait un tarif de l'électricité très bas, et obligatoire. Enfin le socialisme ne garantit pas l'approvisionnement. Lénine a eu beau dire que "le socialisme, ce sont les soviets plus l'électricité", durant soixante-dix ans les Russes ont tous connu les soviets, mais ils n'ont pas tous eu l'électricité...

M. Daniel Paul - Vous dites, Monsieur le ministre, que le statut d'EDF n'est pas une protection contre ces accidents. Si ! Car des leçons ont été tirées du passé, et la mission dévolue à EDF n'est pas d'avoir les capacités strictement suffisantes pour répondre aux besoins du pays, mais d'aller au delà, afin d'être toujours en capacité de fournir. On sait en effet que l'électricité ne se stocke pas : il faut donc avoir en permanence une capacité disponible pour satisfaire les engagements pris envers les consommateurs. Malheureusement, depuis quelques mois, EDF anticipe les décisions vers lesquelles vous êtes en train d'orienter le pays, et essaie de faire prendre à ses instances internes des mesures qui vont au devant de cette loi et des directives à venir. C'est ainsi que, depuis quelques années, l'entreprise a supprimé 1000 mégawatts de capacité de production sans les remplacer. Ce faisant elle développe sa rentabilité, ce dont nul ne se plaindrait si ce n'était au détriment de la prudence.

Autre aspect : on développe l'éolien, ce qui est bien. Nous avons tous reconnu la nécessaire de diversifier notre bouquet énergétique. Mais l'éolien ne produit pas les jours sans vent : il faut alors prévoir une capacité de production alternative, que le nucléaire, faute de souplesse, ne peut assurer (M. Claude Birraux proteste). Ainsi on doit, pour 1 mégawatt en éolien, prévoir 700 à 800 kilowatts issus d'énergies fossiles. En bref : EDF supprime des moyens de production, elle est contrainte à développer l'éolien, et elle doit prévoir une compensation pour les jours où il ne fonctionne pas. D'où une certaine inquiétude sur la production qu'elle peut être amenée à fournir, et plus encore sur ce que sera la pratique de ses concurrents.

Les amendements 102 à 112, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président - Nous en arrivons aux amendements 201 à 211 identiques.

M. Christian Bataille - Il s'agit d'écrire que « le service public de l'énergie favorise l'écoute de l'usager ». Ses dirigeants, ses agents doivent écouter ce que l'usager a à dire. Or il s'exprime, de diverses façons. Nos amendements tendent à garantir un climat de compréhension mutuelle entre l'usager et le service public, auxquels il faudrait ajouter le Gouvernement .

M. François Brottes - Lorsque l'EPIC se sera transformé en SA, lorsque des actionnaires privés se seront substitués à l'Etat, le comportement de l'entreprise pourra changer et les usagers, devenus entre temps clients, pourront, à juste titre, faire preuve de méfiance. Si les agents d'EDF ont aujourd'hui une telle cote de popularité, c'est bien parce que les usagers ont totalement confiance dans leurs conseils. Qu'en sera-t-il demain lorsque ces conseils seront inspirés par des actionnaires privés ? De même, il est fréquent que des élus ou des entreprises se tournent vers leur député en cas de problème avec EDF et que celui-ci parvienne à le régler. Qu'en sera-t-il demain lorsque EDF sera une entreprise privée, se gérant comme elle l'entend ? Ni nous, ni le Gouvernement, n'aurons plus aucune possibilité d'intervention.

M. David Habib - Par ces amendements, nous exprimons le souhait que EDF conserve l'atout que constitue le lien irremplaçable que l'entreprise publique a su nouer avec ses usagers. En réaffirmant que « le service public de l'énergie favorise l'écoute de l'usager », nous protégeons EDF de la tentation de négliger son « c_ur de cible ».

Maire d'une ville de neuf mille habitants, j'ai pu constater que, sans doute par anticipation des évolutions à venir, le service offert par EDF s'était dégradé : ainsi n'est-il plus possible dans ma ville de joindre le centre de distribution 24 heures sur 24. EDF a d'ores et déjà commencé de rogner sur ses missions de service public. Aussi ces amendements nous paraissent-ils tous à fait justifiés. L'écoute, c'est aussi la proximité et l'humanité.

M. le Rapporteur - La commission a repoussé ces amendements.

M. le Ministre délégué - Même avis.

Les amendements 201 à 211, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président - Les amendements 212 à 222 sont identiques.

M. Christian Bataille - L'amendement 212 précise que le service public de l'énergie favorise l'expression des personnels. La manière dont EDF a conduit, ces dernières semaines, une campagne de presse massive pour vanter les mérites de la réforme en cours, faisant d'ailleurs comme si celle-ci était d'ores et déjà adoptée, est profondément choquante. Un équilibre a été rompu car les personnels n'ont pas pu, eux, faire valoir leur point de vue de la même façon. Si on leur avait donné la possibilité de s'exprimer eux aussi dans la presse, peut-être n'auraient-ils pas eu recours aux coupures de courant que vous dénoncez... Cette campagne publicitaire d'EDF, tout à fait provocatrice car il n'est pas normal dans une démocratie que la direction d'une entreprise publique assure la promotion de l'action gouvernementale, a d'ailleurs eu des effets négatifs. Il n'est pas trop tard pour permettre aux personnels de faire connaître eux aussi leur avis.

M. François Brottes - Une remarque liminaire sur le déroulement de nos débats. Selon le président Séguin, l'honneur d'une Assemblée se mesure à la façon dont l'opposition y est traitée. Or, force est de constater qu'après plusieurs heures de débat, aucun amendement de l'opposition n'a été adopté. Sans doute méprisez-vous les députés de l'opposition... comme vous méprisez les personnels d'EDF que vous avez été nombreux, dans la majorité, à stigmatiser. Vous n'avez cure de leur avis. Par ces amendements, nous posons la question du sort qui leur sera réservé dans l'entreprise future. Ils sont en droit de le savoir. Personne ne comprendrait que le Gouvernement ne réponde pas sur ce point après le funeste destin qu'il prépare à leur entreprise.

M. David Habib - La plupart des entreprises et des collectivités ont compris qu'une vision la plus largement possible partagée entre direction et salariés participait d'une bonne gestion. Nous ne disons pas autre chose par ces amendements en exigeant que le service public de l'énergie favorise l'expression des personnels. Qui ne comprendrait cette exigence ?

Pour ce qui est de la récente campagne de presse de EDF, je considère que l'entreprise est sortie de son rôle. Une entreprise publique n'a pas à influencer l'opinion su tel ou tel sujet. Si elle s'était livrée à une telle opération lorsque nous étions au pouvoir, vous auriez été les premiers, à juste titre d'ailleurs, à protester ! Il me semble important de rappeler les entreprises publiques à leur strict devoir de neutralité.

M. le Rapporteur - La commission a donné un avis défavorable à ces amendements.

Le président d'EDF, avec lequel nous nous sommes entretenus, nous a rappelé que les personnels de l'entreprise n'avaient pas manqué de moyens fournis par l'entreprise pour exprimer eux aussi leur point de vue. Des autobus, des trains entiers ont ainsi été mis à leur disposition pour se rendre à des manifestations...

Dernière remarque : dans cette liasse d'amendements figure le 217 de M. Ducout, identique aux dix autres, mais présentant la particularité d'être le 127e que nous examinons depuis le début de ce débat. Eh bien, sachez qu'en 1946, l'Assemblée avait examiné en tout et pour tout 127 amendements ! Preuve que l'imagination des parlementaires actuels est beaucoup plus féconde.

M. le Ministre délégué - Avis également défavorable à ces amendements.

Pour que l'opposition ne se sente pas méprisée -j'y ai été assez longtemps pour savoir combien cela est désagréable-, je vais répondre un peu plus longuement, non sans lui rappeler que l'obstruction n'est guère utile.

Le président d'EDF a pris la décision de communiquer par voie de presse pour rassurer ses clients, et non pour soutenir le point de vue de la majorité. (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jacques Desallangre - Vous êtes faussement naïf.

M. le Ministre délégué - Il est légitime que les clients s'interrogent sur l'évolution du statut d'EDF et qu'ils soient informés. Je trouve donc excessive l'accusation de partialité que vous formulez à l'encontre du président d'EDF, qu'on ne peut pas considérer comme étant de notre sensibilité et qui n'a pas reçu d'instructions. Il a voulu agir dans l'intérêt de l'entreprise ; c'est un acte de gestion, sur lequel le Gouvernement n'a pas à se prononcer.

M. David Habib - Nous ne vous avons pas accusé d'en être à l'origine.

M. le Ministre délégué - Quant à l'amendement, il énonce une évidence puisque l'expression des personnels est garantie par le code du travail. D'ailleurs, s'il est une chose dont la France entière est convaincue, c'est que le personnel d'EDF ne manque pas de moyens d'expression...

M. Daniel Paul - Une question, Monsieur le ministre. Actuellement, il y a au conseil d'administration d'EDF des représentants des salariés. Quand EDF sera une société anonyme, les salariés pourront-ils y siéger à la fois en tant que tels et comme actionnaires ?

M. le Ministre délégué - Oui.

Les amendements 212 à 222, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président - Nous passons aux amendements identiques 223 à 233.

M. Christian Bataille - Monsieur le ministre, les nombreux amendements que nous avons déposés sont justifiés et permettent d'enrichir la discussion. C'est d'ailleurs une méthode de travail parlementaire que vous avez inaugurée à l'automne 1981.

M. le Ministre délégué - Vous avez bien appris !

M. Christian Bataille - Je parlais bien tout à l'heure d'une campagne de propagande sur le projet gouvernemental. Nous n'avons nommé personne ; nous parlons de la direction d'EDF dans son ensemble. Et je maintiens que les personnels, en revanche, n'ont pas bénéficié de moyens particuliers pour s'exprimer.

L'amendement 223 est ainsi rédigé : « Le service public de l'énergie est un moyen privilégié pour la France d'atteindre l'objectif de cohésion économique et sociale qui est le sien ». EDF a été jusqu'à présent un levier dans le développement économique et social du pays ; je déplore que ce projet tende à nous priver d'un tel outil.

M. François Brottes - Nos collègues, dont la pensée valorise parfois plus l'économique que le social, seront peut-être plus sensibles à cet amendement qu'ils ne l'avaient été à la seule notion de cohésion sociale. Dans ce domaine de la cohésion économique et sociale, je voudrais insister sur la formation des personnels, généralement malmenée - comme la recherche et les investissements lourds - quand les entreprises publiques ouvrent leur capital. Les personnels sont donc inquiets. Même si cet amendement est rejeté, ce que je crains, il vous donne l'occasion de nous éclairer sur l'avenir de cette formation.

M. David Habib - La cohésion économique et sociale est réapparue comme une nécessité absolue à l'occasion des élections régionales et cantonales ; le Président de la République nous a dit que le Gouvernement devait réorienter sa politique pour tenir compte de l'appel du pays, et il a même créé un ministère, dont il a confié la charge à M. Borloo. On afficherait cet objectif au niveau politique, et on priverait le service public de cette référence ? Ce serait contradictoire. En rappelant cet objectif de cohésion économique et sociale, nous sommes, nous, fidèles à la volonté du Président de la République (Exclamations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Quand à moi, j'ai voté pour lui au second tour de l'élection présidentielle !

M. le Rapporteur - Cet amendement est satisfait par la rédaction de l'article premier... En conséquence, la commission l'a repoussé.

M. le Ministre délégué - Même avis.

Les amendements 223 à 233, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Daniel Paul - Il nous paraît nécessaire de préciser, comme nous le faisons dans notre amendement 1621, que le service public de l'énergie a pour objet de garantir l'approvisionnement en électricité et en gaz sur l'ensemble du territoire national, dans le respect de l'intérêt général. L'électricité est un bien non stockable et difficilement transportable, et pourtant EDF a réussi depuis 1946 à assurer notre approvisionnement de la manière la plus sûre.

Quant au gaz, notre pays n'en fournit plus ; celui que nous utilisons provient de pays souvent lointains et parfois situés dans des zones peu sûres. Nous avons donc besoin de contrats à long terme, ainsi que, pour faire face aux aléas de la situation internationale, de lieux de stockage, qui sont des installations stratégiques. Il faut aussi que les engagements pris auprès des collectivités locales en matière de desserte gazière soient tenus. Or, on voit bien, dans ce domaine de l'aménagement du territoire, ce qu'amène la logique de libéralisation et de privatisation : la disparition des bureaux de poste, remplacés par des « points de contact », en est un exemple. Il risque de se produire la même chose dans le domaine de l'énergie...

M. le Rapporteur - Nous abordons une autre série d'amendements, à base de « copié-collé », en l'occurrence, du premier article de la loi du 10 février 2000.

M. Daniel Paul - Mais la libéralisation va passer par là !

M. le Rapporteur - C'est donc une redite. Par ailleurs, si l'on peut envisager pour l'électricité un approvisionnement sûr de tout le territoire, pour le gaz, malgré la qualité du service public, on ne vous donnera jamais satisfaction. Rejet.

M. le Ministre délégué - Même avis.

M. Jacques Desallangre - M. le rapporteur néglige une autre dimension importante, qui est l'indépendance énergétique de notre pays. Devenues sociétés anonymes, EDF et GDF auront des comportements dictés par le marché, préféreront la rentabilité à court teme à l'investissement à long terme, la logique du profit à celle du service. Aucun programme nucléaire ne sera décidé, sauf si l'Etat garantit la rentabilité et s'engage sur le coût du démantèlement des installations. Pourtant seul le nucléaire nous permet de respecter les engagements de Kyoto. Si des opérateurs privés l'abandonnent, nous polluerons davantage, et en même temps que nous dépendrons d'un marché pétrolier que nous ne maîtrisons pas.

L'amendement 1621, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jacques Desallangre - Notre amendement 1622 précise que le service public de l'énergie a pour objet de garantir l'indépendance et la sécurité d'approvisionnement, le respect de l'environnement et l'utilisation rationnelle de l'énergie. On a dit que l'électricité n'était pas stockable, d'où les problèmes d'approvisionnement, et des Etats-Unis à l'Italie les exemples de pannes abondent. La direction d'EDF a anticipé sur une logique de rentabilité, au risque de rompre la continuité de l'approvisionnement.

Nous avons dit aussi que l'énergie fossile, grande productrice de CO2, nourrit l'effet de serre et menace notre environnement. La libéralisation et la recherche de rentabilité conduiront à dégrader encore plus notre cadre de vie - c'est ce que nous dit le Toronto Environmental Alliance qui a étudié la privatisation de l'électricité dans la province de l'Ontario, et ce que montre l'exemple californien.

Enfin, par souci de rationalisation, il faudrait diminuer le recours aux énergies fossiles qui se raréfient. Selon le ministre, les pannes aux Etats-Unis viennent de ce qu'on n'y recourt pas assez au nucléaire. Mais pourquoi ? Parce que les investisseurs privés reculent devant les coûts à long terme et choisissent la facilité que donnent les énergies fossiles, ce qui a conduit ce pays à ne pas signer le protocole de Kyoto.

M. le Rapporteur - Cette fois, il s'agit du « copié-collé » du deuxième alinéa de l'article premier de la loi du 10 février 2000. Avis défavorable.

Mme Janine Jambu - C'est lassant !

M. le Ministre délégué - Défavorable.

M. Daniel Paul - Le rapporteur s'en tient toujours à la même réponse. Mais c'est parce que cette loi modifie la donne, que le changement de statut va entraîner un changement de comportement, que nous voulons réaffirmer ce que prévoyait la loi de février 2000 et écarter les aspects les plus dangereux du présent texte. Il est vrai que votre objectif est surtout d'offrir de nouvelles possibilités de profit aux financiers.

L'amendement 1622, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Janine Jambu - Notre amendement 1623 dit que le service public de l'énergie a pour objet de garantir la cohésion nationale, en assurant le droit au gaz et à l'électricité pour tous, en contribuant à la lutte contre les exclusions, au développement équilibré du territoire ainsi qu'à la recherche et au progrès technologique.

Le service public a joué un rôle primordial pour l'aménagement du territoire, l'électrification, la péréquation tarifaire. Il a développé la qualification de ses agents, dont la tempête de 1999 a mis en évidence la capacité à faire face. Il s'est aussi révélé un service de proximité.

L'électricité et le gaz ne peuvent être considérés comme des marchandises. Y accéder doit être un droit pour tous. Lutter contre l'exclusion est une mission essentielle du service public dans une société de plus en plus inégalitaire. L'exemple de l'Angleterre nous incite à rejeter la libéralisation.

La déréglementation a conduit à installer des compteurs de prépaiement pour les plus démunis ; nous ne voulons pas d'un pareil dispositif en France. La question est cruciale, car l'ouverture à la concurrence portera atteinte aux services publics en les tirant vers le bas. La notion minimaliste de « service public universel » retenue par les institutions européennes est d'ailleurs révélatrice. Il nous faut d'autre part préserver notre capacité de recherche et de développement, dont l'expérience montre que la déréglementation l'affaiblit. Voilà pourquoi nous souhaitons voir réaffirmer dans la loi les objectifs assignés au service public de l'énergie.

M. le Rapporteur - Les commissaires, qui partagent les préoccupations exprimées par Mme Jambu, ont néanmoins exprimé un avis défavorable sur cet amendement, car il répète ce qui est écrit ailleurs.

M. le Ministre délégué - Même avis.

M. Daniel Paul - Ces réponses sont insuffisantes. L'article premier du projet met en évidence le rôle du contrat. Or, ces contrats, bien souvent, ne sont pas respectés, comme on l'a vu dans tous les pays dans lesquels le système que vous voulez nous imposer a été institué. Il convient donc de renforcer les obligations législatives.

M. François Brottes - Comme mon collègue Daniel Paul, je considère que la loi est le meilleur des contrats puisqu'elle s'applique à tous, en toutes circonstances et en tous lieux. La rédaction de l'amendement proposé par Mme Jambu étant très ramassée, j'aimerais comprendre ce qui, dans les éléments énoncés, devrait ne pas figurer dans le projet.

M. le Ministre délégué - Sur la forme, l'Assemblée ayant, il y a peu, rejeté un amendement identique du groupe socialiste, celui-ci aurait dû tomber...

M. François Brottes - Ce n'était pas exactement le même.

M. le Ministre délégué - De plus, l'amendement reprend, en « copié-collé », les dispositions du 3e alinéa de l'article premier de la loi du 10 février 2000, qui demeure en vigueur. Ces répétitions incessantes induisent une dégénérescence de la loi (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) et en font un instrument de propagande (Mêmes mouvements). Entre vos mains, les institutions se flétrissent (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Mme Janine Jambu - Rappelez-vous, Monsieur le ministre, que nous aussi sommes des législateurs !

M. Daniel Paul - Je ne peux laisser passer de tels propos sans réagir. Je maintiens qu'une fois voté, parce qu'il introduit dans l'article premier la notion de contrat, votre projet modifiera les relations entre les entreprises énergétiques et les consommateurs...

M. le Ministre délégué - Mais il ne modifiera pas la loi de février 2000 !

M. Daniel Paul - Il convient donc de maintenir le règne de la loi, le meilleur contrat qui soit.

M. le Ministre délégué - Là-dessus, je suis d'accord.

M. François Brottes - Le moins que l'on en puisse dire est que le ministre a eu des mots assez forts ! Mais avec ce texte, c'est le service public qui va se flétrir, puisque vous instaurez le règne des dividendes (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. le Ministre délégué - Contrairement à ce que vous affirmez, le contrat ne se substituera pas à la loi, puisqu'elle s'impose aux contractants. Je le répète, il n'y a pas lieu de répéter à l'identique la définition du service public de l'énergie qui figure dans la loi du 10 février 2000. Même si, j'en conviens, les relations entre les individus sont modifiées par le nouveau texte, la notion de service public s'imposera aux co-contractants comme elle s'impose aujourd'hui lorsqu'un usager passe un contrat avec EDF.

Vous vous opposez au texte, c'est votre droit, mais ne prétendez pas qu'il s'agit d'une opposition de fond, alors qu'elle n'est que de forme.

L'amendement 1623 mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jacques Desallangre - L'amendement 1602 est fondamental puisqu'il vise à ce que les missions du service public de l'électricité et du gaz soient définies par la loi. Une telle disposition est indispensable, car la contractualisation ne suffit pas : le contrat qui a été passé entre EDF et l'Etat n'a pas été respecté, les objectifs de rentabilité ayant primé. La représentation nationale doit pouvoir se prononcer sur les services publics qu'elle souhaite, et cette exigence est d'autant plus forte que l'on peut tout craindre de ce qui adviendra après l'ouverture du capital.

M. le Rapporteur - Si l'amendement était adopté, les dispositions des lois de 1946, 2000 et 2003 tomberaient. Pour éviter un tel retour en arrière (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains), j'invite ses auteurs à retirer l'amendement, faute de quoi j'en demanderai le rejet, comme l'a fait la commission.

M. Jacques Desallangre - C'est spécieux !

M. le Ministre délégué - Défavorable.

M. François Brottes - Le rapporteur peut bien se faire donneur de leçons, pour autant qu'il reste courtois, mais sur le fond, il faut bien aller dans le détail des engagements qui devront être respectés, sans s'en tenir aux seuls principes.

L'amendement 1602 mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Daniel Paul - Pour défendre notre amendement 1553, je voudrais évoquer, avec tout le respect qui lui est du, la mémoire de Marcel Paul, et citer les propos qu'il tint ici-même le 27 mars 1946, pour défendre le projet de nationalisation de l'électricité et du gaz. Votre prédécesseur, Monsieur le ministre, considérait alors que la crise énergétique du pays interdisait à celui-ci une utilisation irrationnelle de ses disponibilités, qu'il fallait éviter les délestages et mettre en place une autorité unique de gestion de la ressource. Evoquant l'équipement des chutes d'eau, Marcel Paul mettait en garde contre le risque de répétition des errements du passé, si d'aventure les entreprises candidates à la réalisation des barrages étaient placées dans une situation de concurrence exacerbée. « Notre pays », concluait-t-il, « ne peut s'offrir le luxe de la disparité. Il faut une vision d'ensemble de la politique énergétique ».

Je vous le demande : pouvons-nous aujourd'hui nous offrir le luxe de l'éparpillement ? Si votre funeste loi était votée, les errements du passé - qui sont déjà ceux du présent pour nombre de nos voisins - deviendraient ceux du futur ! Nos aînés ont traité ces problèmes avec un pragmatisme qui vous fait aujourd'hui défaut, quand vous vous montrez plus têtus que les faits eux-mêmes ! A l'évidence, nous avons besoin de nos entreprises énergétiques telles qu'elles fonctionnent aujourd'hui. EDF et Gaz de France sont les instruments essentiels de la mise en _uvre du service public de l'énergie. Marcel Paul et tous ceux qui l'entouraient ont pris les décisions qui s'imposaient - encore ignoraient-ils les deux défis auxquels nous sommes aujourd'hui confrontés, la lutte contre l'effet de serre et l'extinction progressive des ressources fossiles. Les principes de 1946 sont plus actuels que jamais !

M. le Rapporteur - La commission n'est pas indifférente aux préoccupations qu'exprime M. Paul mais nous n'allons pas réécrire ce qui existe déjà dans plusieurs textes. Rejet.

M. le Ministre délégué - Même avis.

M. François Brottes - Dommage ! Je soutiens cet amendement anti-écrémage avec force. L'objet essentiel de cet amendement est d'affirmer la primauté de la dignité humaine sur toute autre considération. Comment vous convaincre, Monsieur le ministre, que les lois du marché ne règlent pas tout ! Le gouvernement Raffarin III ne songe-t-il pas à revenir sur la décision du Raffarin II de supprimer l'aide médicale d'Etat, après s'être enfin rendu compte qu'elle était indigne et dangereuse...

M. Richard Mallié - Qu'est-ce que ça à voir avec l'électricité ?

M. François Brottes - Il n'y a que les sots qui ne changent pas d'avis ! Nous disons non à une concurrence qui ne profite qu'à la crème des consommateurs et lèse tous les autres !

L'amendement 1553, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Janine Jambu - Afin de prévenir tout risque de démantèlement du service public de l'énergie, dont la contribution à l'indépendance énergétique de notre pays doit être saluée, notre amendement 1624 tend à inscrire dans la loi que, dans le domaine énergétique, les missions de service public sont assurées dans le respect des conditions suivantes : sécurité et continuité de l'approvisionnement, égalité de traitement entre les usagers - grâce notamment à la péréquation tarifaire -, conditions optimales de qualité et de prix, mesures sociales en faveur des ménages modestes ou en situation de précarité. Nous plaidons notamment pour l'interdiction des coupures pour défaut de paiement et pour l'instauration d'une tranche tarifaire abordable.

M. le Rapporteur - Avis défavorable, pour les raisons que j'ai déjà indiquées.

M. le Ministre délégué - De même.

Mme Janine Jambu - C'est un peu court !

M. Christian Bataille - Je déplore la fermeture du rapporteur et du ministre. Cet amendement mériterait plus de considération. Il est essentiel que le service public garantisse la sécurité et la continuité de l'approvisionnement, présent et futur, ne serait-ce que pour garantir l'égalité de traitement entre les usagers. Cela nous impose une vision prospective, à vingt ou trente ans. Compte tenu des délais de réalisation, une centrale électrique, surtout s'il s'agit d'une centrale nucléaire, se programme vingt ans à l'avance. La sécurité d'approvisionnement de demain, c'est aujourd'hui que le service public doit la préparer. La confier au privé, c'est courir le risque de voir se multiplier les centrales à cycle combiné gaz, comme au Royaume Uni ou aux Etats-Unis. Autant celles-ci constituent un complément utile d'un réseau de distribution, autant il serait risqué que tout le monde se mette à demander du gaz. Cela déséquilibrerait les cours. Autrement dit, le système libéral risque de favoriser le court terme et de se faire un croche-pied à lui-même.

L'amendement 1624 mis aux voix, n'est pas adopté.

La séance, suspendue à 19 heures, est reprise à 19 heures 10.

M. le Président - Nous en arrivons aux amendements identiques 542 à 554.

M. François Brottes - Voici un amendement que je suis prêt à retirer si j'ai un complément d'explication, car j'ai bien conscience de son caractère insuffisamment normatif. Mais j'aimerais que le rapporteur et le Gouvernement nous expliquent pourquoi ils vont au-delà de ce que la directive européenne nous impose. Nous savons en effet, et Francis Mer lui-même l'a reconnu le 27 janvier 2003, que les directives laissent à chaque Etat une marge d'appréciation. La directive postale par exemple permettait à chaque pays de conserver une part de monopole et c'est le choix qu'a fait la France pour le courrier, sous le gouvernement de M. Jospin, afin de garantir un prix du timbre unique sur l'ensemble du territoire. S'agissant de l'énergie, la directive ne nous impose pas de privatiser l'opérateur public. Alors je pose la question : pourquoi le Gouvernement n'use-t-il pas de sa marge de man_uvre et ne propose-t-il pas un texte plus favorable au service public que celui-ci ?

M. le Rapporteur - Quand on lit votre proposition, on croit lire un projet de directive européenne, car il ne contient que des recommandations. Nous ne sommes donc pas ici au niveau normatif qu'exige la loi. C'est pourquoi la commission a balayé cet amendement.

M. le Ministre délégué - Même avis.

M. François Brottes - Je vous avais dit moi-même avec honnêteté que mon amendement avait une portée normative discutable et que j'étais donc prêt à le retirer si vous admettiez avec moi que les directives laissent à chaque pays une marge d'appréciation. Vous ne m'avez répondu qu'en soulignant à votre tour le caractère insuffisamment normatif de mon amendement.

M. le Ministre délégué - Je conviens volontiers que la directive laisse une latitude aux Etats, et qu'elle nous permet d'imposer des obligations de service public. Dans les lois de 2000 et de 2003, comme dans le présent projet, sont posées de telles obligations, conformément à la latitude laissée par la directive. Je crois donc que ces amendements pourraient être retirés.

M. Christian Bataille - Je fais observer au passage à M. le ministre que cette latitude laissée aux Etats est un acquis de Barcelone. Ce maudit Barcelone aura donc tout de même laissé quelques traces positives...

M. François Brottes - Je vais retirer les amendements. Il était important que M. le ministre confirme l'existence de cette latitude laissée aux Etats, pour corriger l'effet de propos lapidaires du type : si nous faisons ceci ou cela, c'est à cause des directives...

Les amendements 542 à 554 sont retirés.

M. Jean Dionis du Séjour - L'UDF a été discrète jusqu'à présent dans ce débat ; elle vous propose maintenant quatre amendements qui, je l'espère, retiendront l'attention de nos collègues. M. le rapporteur ne pourra pas nous reprocher de faire du « copié-collé » à partir de la loi de 2000. Nous sommes favorables à la construction d'une Europe juridique, et nous avançons en tenant dans une main la loi de 2000 et dans l'autre la directive 2003 54-CE, que le projet transpose - d'une façon parfois problématique à nos yeux. L'amendement 1233 tend à compléter l'article 2 de la loi de 2000. Quant aux amendements 1220, 1217 et 1218, ils ont pour objet de transposer les alinéas 3 et 5 de l'article 3 de la directive 2003.

Il y va d'un problème de fond. Quel est - qu'on l'aime ou non - le modèle européen ? C'est d'une part un marché ouvert à la concurrence et régulé par des instances nationales - en France la CRE ; et d'autre part, un service universel, qui définit les droits fondamentaux des consommateurs. Ce modèle est appliqué avec une certaine cohérence dans différents secteurs de notre économie, notamment les télécommunications. Or, à Barcelone en 2002, un élément nouveau est apparu : pour la première fois la France a imposé, en sus du modèle européen, la notion de service public. Le titre III de la directive s'intitule - et c'est une petite révolution dans le droit communautaire - « obligations de service public et protection du consommateur ». Et je souligne qu'il s'agit bien de deux choses différentes.

En 2002 la France a remporté, en imposant cette notion de service public, une victoire sur ces concepts fondamentaux. Mais à nous, aujourd'hui, cela impose de faire preuve d'audace et d'innovation. Pour la première fois nous avons à mettre en cohérence trois principes fondamentaux : le marché, le service universel - c'est-à-dire les droits des consommateurs - et le service public. Nous devons penser ensemble de façon cohérente le service universel et le service public. Or qu'est-ce que le service public ? C'est un ensemble de missions contractuelles données par l'Etat à une entreprise publique pour réaliser un certain nombre d'objectifs. Mais le service universel est le grand absent de ce projet.

Pour m'en tenir dans l'immédiat à l'amendement 1233, il complète le II de l'article 2 de la loi du 10 février 2000 afin de conforter le service public de proximité, de préciser et d'élargir ses missions. Nous souhaitons d'abord introduire ici la dimension de l'efficacité énergétique, dans la ligne de la loi d'orientation sur l'énergie que nous avons adoptée : il est important que les entreprises publiques de l'électricité et du gaz soient elles aussi mobilisées sur le thème des économies d'énergie. Il y a eu dans le passé des dérapages : pensons à certaines campagnes de promotion du chauffage électrique.

En second lieu, nous souhaitons souligner l'importance dans le service public de l'accueil, du conseil, de l'aide aux utilisateurs, élément absent de la loi de 2000. Nous visons en particulier deux cibles territoriales : les quartiers de la politique de la ville et les territoires ruraux. Je rejoins sur ce point Jean Lassalle ; nous venons de circonscriptions où une agence EDF, cela compte, dans une armature de services publics que nous voyons s'effilocher.

En troisième lieu nous souhaitons préciser que la cohésion sociale est une fonction du service public, et qu'un des moyens pour y parvenir est d'inscrire dans la loi la péréquation géographique des tarifs.

M. le Rapporteur - Cet amendement très intéressant, qui tend à conforter le service public de proximité, a recueilli l'approbation de la commission et de son rapporteur. Je ferai toutefois deux remarques. Tout d'abord l'amendement n'est sans doute pas situé là où il devrait l'être dans le texte ; mais nous pouvons nous en remettre au Sénat pour le déplacer s'il le souhaite. Ensuite le II de l'amendement fait doublon avec un alinéa de l'article 30 du projet : il serait donc souhaitable que M. Dionis du Séjour accepte de le retirer.

Un mot sur la présentation d'ensemble que notre collègue a fait de ses amendements, et plus spécialement sur le service universel. Il y a sur ce point une certaine redondance, et surtout une restriction par rapport au service public tel qu'il est défini aujourd'hui, du fait de la limitation du droit de raccordement et d'approvisionnement notamment pour les PME. C'est pourquoi je souhaite que M. Dionis du Séjour retire ses amendements 1220,1217 et 1218.

M. le Ministre délégué - Le Gouvernement est favorable à l'amendement 1233 dans les mêmes conditions que la commission, c'est-à-dire sans le paragraphe II. Comme la commission, il souhaite le retrait des trois autres amendements, bien que sur le fond ils soient très intéressants ; mais le problème qu'ils posent, celui de l'ouverture aux ménages, ne sera traité qu'en 2007, après qu'un bilan aura été fait conformément aux obligations de Barcelone. Et cette ouverture aux ménages devra passer par une loi, de sorte que nous aurons l'occasion d'en reparler.

M. Jean Dionis du Séjour - J'accepte la rectification proposée par M. le rapporteur.

M. François-Michel Gonnot - Cet amendement a été largement approuvé par la commission. M. Dionis du Séjour pose deux problèmes : celui de la proximité avec la clientèle, et celui de la recherche et du développement. Sur ce dernier point, Monsieur le Ministre, vous avez mené ces dernières semaines une large consultation avec les organisations syndicales. Nous avons, nous aussi, reçu des délégations, et constaté, la grande inquiétude des personnels de la recherche. Il s'interrogent sur leurs moyens à l'avenir. J'aimerais savoir, Monsieur le ministre, ce que vous leur avez dit à ce sujet. Pouvez-vous les rassurer ? Les chercheurs des opérateurs historiques ne sont pas seuls concernés, tous ceux de la filière industrielle le sont aussi.

J'ai, comme tout un chacun, lu dans la presse les campagnes des opérateurs historiques qui assurent vouloir être « toujours au plus près des usagers », « toujours plus attentifs à leurs besoins ». J'ai également lu une déclaration du ministre d'Etat dans laquelle celui-ci s'engageait sur le maintien d'une présence des services d'EDF et GDF sur l'ensemble du territoire national. Or, nous venons d'apprendre, dans ma circonscription, que la seule agence commerciale d'EDF de tout l'arrondissement de Compiègne va fermer. Les 160 000 habitants concernés ne pourront donc plus joindre EDF que par téléphone. EDF nous dit certes que les usagers utilisent surtout le téléphone. Mais qu'en sera-t-il, s'il n'y a plus d'agence, pour nos concitoyens les plus démunis qui n'ont pas ou plus le téléphone, notamment pour cause d'impayés ? Je vois dans cette décision une énorme maladresse, sinon une entorse aux engagements pris par le ministre en matière de proximité. Je souhaiterais que le Gouvernement s'engage ce soir clairement quant au maintien de la présence, non seulement des services techniques mais aussi des agences commerciales d'EDF sur l'ensemble du territoire national (« Très bien ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. François Brottes - J'observe que l'amendement 1233 reprend certains principes des amendements que nous avions déposés, qui tous ont été repoussés, alors que la commission et le Gouvernement s'apprêtent à donner un avis favorable à celui-ci... Faut-il y voir le premier signe d'un rapprochement entre l'UMP et l'UDF après le scrutin de dimanche dernier ? (Murmures sur les bancs du groupe UMP)

Par-delà les mots, il faut s'en tenir aux actes. La transformation du statut d'EDF est quasiment acquise, car je doute que nous puissions vous convaincre d'y renoncer. Pour le reste, l'ouverture du marché à la concurrence pour les particuliers, annoncée pour juillet 2007, n'est pas obligatoire : les Etats peuvent s'y opposer et sans doute serait-il bon qu'ils le fassent, étant donné le tournant déjà pris, comme par anticipation - voyez l'exemple cité par M. Gonnot. Je ne prendrai pas d'autre exemple que celui donné par M. Gonnot. La directive prévoit expressément que, pour les usagers domestiques, les Etats puissent recourir à un « fournisseur de dernier recours », ce qui est reconnaître que le jeu du marché pourrait conduire à délaisser des pans entiers de notre territoire. Dans quelles conditions se ferait cette fourniture « en dernier recours » ? On court à la catastrophe.

M. le Ministre délégué - M. Brottes nous invitant purement et simplement à retirer notre texte, je ne peux pas lui répondre grand-chose.

Monsieur Gonnot, pour ce qui est de la recherche, vous pouvez être rassuré : les contrats de service public comporteront des objectifs précis et quantifiés. Par ailleurs, le lancement de l'EPR garantit un effort important de recherche.

En ce qui concerne les relations avec la clientèle, vous l'avez vous-même dit, l'essentiel des contacts avec EDF - 85 % se fait d'ores et déjà par téléphone. Cela dit, l'entreprise a organisé un maillage du territoire en 102 centres qui correspondent à peu près au découpage des départements. Pour le reste, EDF, comme La Poste, développe des « points de contact », mutualisant ses moyens avec d'autres services publics ou des partenaires privés.

L'amendement 1233 rectifié, mis aux voix, est adopté.

M. Jean Dionis du Séjour - Je remercie le rapporteur et le ministre d'avoir accepté cet amendement. C'est la preuve que des avancées sont encore possibles sur ce texte au Parlement, comme le ministre s'y était engagé.

J'en viens à mon amendement 1220 que j'ai déjà un peu présenté tout à l'heure. L'article 3 de la directive du 26 juin 2003, relatif aux obligations de service public et à la protection des consommateurs, définit, notamment, le contenu du service universel. Notre Parlement s'honorerait à transposer ces dispositions de la directive, il le doit d'ailleurs. Le concept de service universel constituerait une avancée, par exemple pour les petites entreprises rurales de ma circonscription auxquelles serait, par ce biais, effectivement garanti le droit d'être approvisionnées en électricité d'une qualité bien définie, à prix raisonnable et dans des conditions de totale transparence. Le rapporteur m'a objecté tout à l'heure qu'il manquait des précisions concernant l'interconnexion : je suis disposé à les ajouter.

Gardons toujours présent à l'esprit que nous légiférons ici pour garantir que le marché fonctionne, que notre service public à la française fonctionne avec des missions claires données par l'Etat à EDF, et que le service universel soit assuré.

M. le Président - Puis-je considérer que vous avez présenté aussi l'amendement 1217 - et l'amendement de coordination 1218 ?

M. Jean Dionis du Séjour - Oui.

M. le Rapporteur - J'ai accepté le premier amendement de M. Dionis de Séjour, mais en lui demandant en même temps de retirer les autres... Il s'est contenté de la première partie de ma proposition : dont acte !

Que les choses soient claires : en France, le service universel tel qu'il est défini par la directive est réalisé. Le droit d'être raccordé existe pour tout le monde. Le droit d'être approvisionné est évidemment assuré pour ceux qui sont fournis par EDF ; et si une personne - aujourd'hui une personne morale - sort du tarif EDF, c'est qu'elle a un fournisseur ; si ce fournisseur est défaillant et que cette personne n'en trouve pas d'autre, il est prévu qu'un appel d'offres est lancé par le gestionnaire du réseau de transport.

Vous avez avec ce dispositif, Monsieur Dionis du Séjour, entière réponse à vos préoccupations. Je vous demande donc à nouveau instamment de retirer vos amendements.

M. le Ministre délégué - Même avis.

M. Jean Dionis du Séjour - Je maintiens mes amendements car il s'agir du c_ur de nos convictions européennes.

M. Daniel Paul - Beaucoup ici sont d'accord pour défendre le droit à l'énergie. En matière de ressources énergétiques, l'ensemble du continent européen est dans la même galère, et dans nos différents pays se sont constituées des entreprises énergétiques puissantes. Mais elles n'ont pas toutes le même statut, ni la même approche. Je ne rêve pas d'une Europe construite partout à l'identique : je souhaite qu'on préserve les acquis de chaque peuple. Sur le territoire européen, je ne conçois pas la politique énergétique en termes de concurrence, mais en termes de coopération - sous contrôle public, qu'il relève des Etats ou, dans le futur, d'une autorité européenne.

Actuellement, des entreprises font l'expérience de cette concurrence. M. Bataille a cité le cas d'Eramet, à qui EDF veut faire payer son infidélité. Mais derrière les entreprises, il y a des hommes ; l'énergie, qui est un bien vital, ne doit pas être soumise à des logiques de concurrence destructrices - pour les entreprises, pour les hommes et pour les territoires. Nous n'avons pas la même conception de la construction européenne, y compris dans le domaine énergétique...

M. François-Michel Gonnot - Je comprends que notre collègue de l'UDF soit attaché au service universel. En Europe, il est à construire. Mais le service public à la française, c'est le quatre étoiles du service universel ! Cet amendement n'apporte donc rien à ce qui existe et que, tous, nous voulons défendre. Votre combat, cher collègue, que vous vous honorez de faire au nom de l'Europe, n'a pas lieu d'être en France. Je vous appelle donc moi aussi à retirer vos amendements.

M. François Brottes - Personne ne peut douter de la force des convictions européennes de M. Dionis du Séjour, mais nous, nous sommes pour un « quatre étoiles » pour tout le monde, non pour une Europe garantissant seulement un service minimum à nos concitoyens ! Nous ne pouvons donc nous associer à une démarche qui ne laisserait plus de latitude aux Etats.

M. Jean Dionis du Séjour - Je ne suis pas convaincu, mais j'accepte de retirer mes amendements. Je suis heureux en tout cas qu'ils nous aient permis d'avoir ce débat.

Les amendements 1220, 1217 et 1218 sont retirés.

M. Jacques Desallangre - Notre amendement 1629 demande qu'un bilan démocratique et contradictoire des conséquences de l'ouverture du marché soit établi dans les trois mois suivant la promulgation de la loi. La poursuite du processus dépendrait de son examen par le Parlement. Un tel bilan est indispensable. On connaît l'expérience catastrophique des chemins de fer britanniques : aujourd'hui, 60% de la population sont favorables à la renationalisation. Et que penser d'une ouverture du marché pour le financement des centrales nucléaires ? Sécurité et sûreté ne font pas bon ménage avec la recherche de rentabilité maximale.

M. le Rapporteur - Ce bilan démocratique et transparent ferait un rapport de plus, comme ceux que demandent les amendements suivants. Qui les lit ? Quelques experts. Il faut cesser d'en demander...

M. François Brottes - Faut-il cesser aussi de réfléchir ?

M. le Rapporteur - L'intention est louable. Mais la directive de 2003 et la décision de Barcelone prévoient un rapport d'étape en 2006. Vous avez donc satisfaction.

M. le Ministre délégué - Même avis sur les six demandes de rapports. Que de forêts dévastées en perspective ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Christian Bataille - A force d'ironie, Monsieur le rapporteur, on va imaginer que la majorité est hostile à la décision de Barcelone, dont le principal acteur fut le Président de la République.

Ce rapport est nécessaire, car votre projet bouleverse un système qui a fait la preuve de son efficacité, en nous faisant courir des risques considérables. Il faut les évaluer rapidement, et le cas échéant, savoir reconnaître votre échec - car je ne doute pas un instant, quoi qu'en dise M. Sarkozy, que l'objectif final est bien la privatisation.

M. Daniel Paul - Nous demandons que l'on effectue un bilan précis des conséquences sur le plan social, tarifaire, économique, environnemental, de cette course effrénée à la libéralisation. Le rapporteur aborde la question de façon un peu légère. Un rapport d'étape est bien prévu, au niveau européen, en 2006. Mais outre que la décision de Barcelone n'est pas pour moi l'alpha et l'oméga, depuis lors on a entendu nombre de responsables économiques s'inquiéter des évolutions récentes. La SNCF proteste contre une augmentation de 40% de sa facture d'électricité ; partout aux Etats-Unis et au Canada, on cherche des solutions contre la dérégulation. Et ces protestations on ne les trouve pas dans l'Humanité, mais dans L'Express et Le Monde, peu hostiles à la libéralisation. Le constat objectif des décideurs économiques est édifiant : contrairement à ce qui se passe dans d'autres secteurs, la dérégulation de l'électricité ne profite pas plus aux entreprises qu'aux particuliers. Le monde change, EDF et GDF doivent s'adapter, nous dites-vous. Si c'est pour créer un tel environnement, le gouvernement et la direction d'EDF feraient mieux de revoir leur copie.

M. François-Michel Gonnot - Je partage l'avis du ministre et du rapporteur. Ces bilans « démocratiques » sont un peu ridicules, surtout trois mois après la promulgation de la loi, quand le marché viendra juste de s'ouvrir. Néanmoins, la question de fond est importante. Au passage, je rappelle que, contrairement à ce qu'a dit M. Bataille, la loi de janvier 2003 ne prévoit pas l'ouverture du marché aux particuliers en 2007. C'est la décision de Barcelone qui le prévoit. Pour la France...

M. le Ministre délégué - Il faut un bilan et une loi !

M. François-Michel Gonnot - Il faut une loi, après un bilan dont je ne doute pas qu'il sera alors démocratique et contradictoire, car il faudra être très attentif à cette ouverture du marché aux ménages. A coup sûr, le Gouvernement le sera. Peut-être le Parlement devra-t-il se pencher également sur ce qui s'est passé depuis la loi de 2000.

M. le Ministre délégué - Je confirme que le bilan le plus large sera fait, et que toutes les conclusions seront analysées par le Parlement. Les demandes de rapports me paraissent donc inutiles mais aussi irréalistes étant donné les délais indiqués.

L'amendement 1629, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Daniel Paul - La réponse du ministre vaut, je l'ai bien compris, pour les cinq amendements qui suivent, et que je retire. Je maintiens cependant qu'un bilan général est nécessaire, parce que l'on se rend compte que ce qui devrait fonctionner, depuis deux ou trois ans ne fonctionne pas. Les entreprises se révoltent à la perspective des hausses de tarifs qui vont leur être appliquées, et que le patronat lui-même évalue à 1,45 milliard pour 2003 et 2004...

M. François-Michel Gonnot - Vous vous faites le porte-parole du Medef ?

M. Daniel Paul - En Allemagne, l'augmentation tarifaire a été de 9,3% en 2003, et de 9,4% en Grande-Bretagne après la déréglementation du marché de l'énergie. Comment prétendre que de telles hausses seraient sans conséquences pour nos concitoyens, et qu'elles n'auraient pas d'incidence sur la croissance ? Et rien de tout cela ne justifierait, aux yeux du Gouvernement, que l'on s'arrête un moment pour y regarder de plus près et, éventuellement, pour faire machine arrière ? Et quant on sait qu'EDF se prépare déjà à ne plus assurer que de 70 à 80% de la production, anticipant sur les pertes de marchés inéluctables, on comprend que le seul moyen de gagner en rentabilité sera d'augmenter le prix du kw et de privilégier les productions énergétiques les moins immédiatement coûteuses, quelles que soient leurs conséquences pour l'environnement. Qu'en sera-t-il, alors, des engagements internationaux de la France, et des nobles objectifs définis par le Président de la République ? Là encore, il faut faire le bilan de l'évolution constatée dans les pays qui ont choisi la déréglementation. D'ailleurs, si vous étiez si sûrs de vous, vous ne refuseriez pas de procéder à ces bilans.

M. le Président - Les amendements 1630 à 1634 sont donc retirés.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu, ce soir, à 22 heures.

La séance est levée à 20 heures 20.

              Le Directeur du service
              des comptes rendus analytiques,

              François GEORGE


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