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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 109ème jour de séance, 269ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 23 JUIN 2004

PRÉSIDENCE de Mme Hélène MIGNON

vice-présidente

Sommaire

      DÉCLARATION D'URGENCE 2

      SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ
      ET DU GAZ (suite) 2

      ARTICLE PREMIER (suite) 2

      APRÈS L'ARTICLE PREMIER 6

      ART. 2 8

      APRÈS L'ART. 2 14

      ART. 3 19

      ORDRE DU JOUR DU JEUDI 24 JUIN 2004 26

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

DÉCLARATION D'URGENCE

Mme la Présidente - M. le Premier Ministre m'informe par lettre que le Gouvernement déclare l'urgence du projet de loi pour le soutien à la consommation et à l'investissement.

Acte est donné de cette communication.

SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ ET DU GAZ (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières.

ARTICLE PREMIER (suite)

Mme la Présidente - Le groupe socialiste a demandé un scrutin public sur l'amendement 1535 de M. Lenoir.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission des affaires économiques - Cet amendement a fait l'objet d'un débat nourri, et je confirme que la commission l'a approuvé.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie - Le Gouvernement lui est favorable.

M. François Brottes - Il ne s'ensuit pas que la discussion n'a plus d'objet. Cet amendement permet à l'Etat de conclure avec tous les opérateurs des contrats par lesquels leur seront confiées des missions de service public. Mais j'interroge M. le rapporteur : qu'en est-il du statut ? L'opérateur historique a un personnel qui bénéficie du statut des industries électriques et gazières, comme - si j'ai bien compris - tous les opérateurs dont l'activité est majoritairement d'ordre énergétique. Mais si vous permettez à l'Etat de confier des missions de service public à tous les opérateurs, cela inclut ceux dont l'activité ne s'exerce que minoritairement dans ce champ, et dont par conséquent le personnel pourra ne pas avoir ce statut. On peut donc se demander si, chez l'opérateur historique comme chez d'autres, le statut ne pourrait pas être menacé par le biais de cette banalisation des missions de service public.

M. le Rapporteur - Je suis heureux que le groupe socialiste ait demandé un scrutin public, car les résultats de ce vote se retourneront contre lui. Par cet amendement je propose en effet que l'Etat puisse conclure des contrats de missions de service public avec tous les opérateurs du secteur électrique et gazier. Ce n'est d'ailleurs là qu'une application de la loi de 2000 (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Cela n'a rien à voir avec la question du statut : quiconque travaille dans les industries électriques et gazières peut en revendiquer le bénéfice.

M. Jean-Jacques Guillet - Je comprends bien les intentions du rapporteur, mais il faut veiller aux effets pervers, et notamment éviter - c'était l'objet de l'amendement 1183 qu'a retiré M. Gonnot - la recentralisation des compétences, ainsi que leur superposition entre les collectivités locales et l'Etat. En l'occurrence, si des contrats entre l'Etat et les entreprises de l'électricité et du gaz fixent les missions de service public, cela concernera les DNN et les régies. Il serait donc bon de sous-amender l'amendement pour préciser que les missions de service public ne relèvent pas de l'article 2234-31 du code général des collectivités territoriales ; tout le monde pourrait alors être d'accord sur cet amendement.

M. le Rapporteur - A titre personnel j'y suis favorable.

Mme la Présidente - Mais nous n'en avons pas le texte. Il y a donc lieu de voter sur l'amendement lui-même.

A la majorité de 29 voix contre 10 sur 39 votants et 39 suffrages exprimés, l'amendement 1535 est adopté.

M. André Chassaigne - Notre amendement 1554 a pour objet de préciser les obligations de service public, compte tenu de l'ouverture du marché. Ce débat est différent de celui que nous venons d'avoir sur les missions de service public proprement dites.

M. François-Michel Gonnot - Mais non : c'est la même chose !

M. André Chassaigne - Avec ce projet de loi le service public du gaz est menacé par la libéralisation et la déréglementation. Parler de service public du gaz implique des exigences essentielles, comme l'égalité de traitement des usagers, la sécurité de l'approvisionnement, la continuité de la fourniture, la qualité du gaz, les prix, la protection de l'environnement, la sûreté des installations. Notre sous-sol est parcouru de canalisations transportant du gaz : il est primordial de garantir les investissements qu'exige la sûreté de ces installations. Celle-ci exige aussi un personnel qualifié et formé pour ce travail. A ce jour c'est Gaz de France qui est chargé de ces missions, et son monopole d'importation assurait à notre pays la sécurité de l'approvisionnement. L'ouverture à la concurrence compromet le haut degré d'exigence en matière de service public. On ne saurait faire peser les obligations de service public sur le seul opérateur historique, et il ne suffit pas que les autres opérations y contribuent financièrement : tous doivent assumer ces obligations, notamment en matière de sécurité d'approvisionnement.

Ces obligations s'imposent aussi quant aux prix. Depuis deux ans les usagers du gaz ont subi des hausses répétées des tarifs : 3 % en novembre 2002, 4 % en mai 2003, alors que les prix d'importation ont baissé de 16 % en 2002... Bien que Gaz de France ait dégagé en 2003 un bénéfice net de 731 millions d'euros, l'usager subit la réduction des lieux d'accueil de proximité, cependant que la sécurité des installations est mise en cause par le report de 2006 à 2009 du renouvellement des réseaux vétustes et dangereux. Ainsi va la politique libérale de réduction des coûts, au détriment des investissements nécessaires. De même, les prix d'achat du gaz ont augmenté de quelque 400 millions d'euros, alors que le prix du baril a baissé entre 2002 et 2003 ! Ces surcoûts résultent d'une nouvelle politique d'approvisionnement qui fait désormais appel au marché à court terme. Les clients éligibles finiront, eux aussi, par en pâtir.

L'ouverture à la concurrence est responsable de cette dérive du comportement de l'entreprise publique, qui s'aligne sur les critères de gestion des firmes privées. Nous contestons ce choix dicté par la libéralisation européenne, qui compromet les investissements nécessaires. La vigilance s'impose face aux conséquences probables de l'ouverture à la concurrence, et c'est pourquoi nous demandons, par l'amendement 1554, que tout fournisseur de gaz naturel sur notre territoire soit, au même titre que Gaz de France, soumis aux obligations de service public que j'ai rappelées.

M. le Rapporteur - Cet amendement est satisfait par celui que nous avons adopté précédemment.

M. André Chassaigne - Non !

M. le Ministre délégué - Satisfait ou pas, défavorable.

M. Pierre Ducout - L'article 2 de la loi du 10 février 2000 détaillait fort bien les missions de service public et précisait qui devait les exercer. L'amendement de M. Lenoir, au contraire, banalise ces missions, en les faisant partager par l'ensemble des opérateurs.

M. Christian Bataille et M. André Chassaigne - Très bien !

L'amendement 1554, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Daniel Paul - Notre amendement 1555 a le même objet, s'agissant cette fois de l'électricité.

C'est lors du sommet de Lisbonne, en mars 2000, qu'il fut décidé d'accélérer la libéralisation des services. Dans le domaine énergétique, le risque de disparition des normes et des règles fondatrices du service public est patent, alors que celles-ci ont permis d'assurer notre indépendance énergétique grâce à une politique à long terme et une programmation pluriannuelle des investissements, en même temps que la continuité de la fourniture d'électricité, la protection de l'environnement et le développement équilibré du territoire. L'ouverture du marché de l'électricité à la concurrence produira ses effets négatifs dans les domaines économique, social et environnemental. Ses effets pervers se font déjà sentir sur les prix : nos industries sont pénalisées par une hausse des tarifs sans précédent. En mars dernier, la SNCF se plaignait d'une augmentation de 40 % de sa facture d'électricité. Lorsque le marché sera complètement ouvert, que restera-t-il des exigences de péréquation tarifaire ? De quelles garanties les consommateurs disposeront-ils en matière de services et de prix ?

En Angleterre, où le marché de l'électricité est complètement ouvert à la concurrence, 6 millions de personnes ont des difficultés d'accès à ce service, devenu trop cher pour eux : la libéralisation et la déréglementation sont facteurs d'exclusion sociale. Elles sont aussi un facteur de rupture de l'alimentation en électricité, comme on l'a constaté en septembre 2003 en Suède, au Danemark et en Italie.

Il est donc impératif non seulement de conforter notre service public, mais de renforcer les obligations de service public de l'ensemble des nouveaux opérateurs concurrents d'EDF.

M. le Rapporteur - Amendement satisfait, donc avis défavorable.

M. le Ministre délégué - Défavorable.

L'amendement 1555, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Chassaigne - Je défends simultanément les amendements 1556 et 1557.

Soumettre l'ensemble des acteurs du marché de l'énergie à certaines obligations de service public est un impératif si nous ne voulons pas être confrontés à des dysfonctionnements aussi graves que ceux qu'a connus la Californie : il ne suffira pas de demander des contributions financières aux différents opérateurs pour compenser les missions de service public qui demeureront à la charge d'EDF. Faut-il rappeler que la CNR a participé à l'aménagement du Rhône, à la construction d'écluses à grand gabarit et de nombreux barrages hydroélectriques ? Que va-t-il se passer maintenant que cette société est détenue à près de 50 % par le groupe Suez ?

M. le Rapporteur - Amendements déjà satisfaits. Défavorable.

M. le Ministre délégué - Egalement.

M. François Brottes - Je sais, Monsieur le rapporteur, que vous voyez sur ce sujet des contradictions au sein de la gauche. Mais nos collègues du groupe communiste poursuivent exactement le même objectif que nous : ils veulent garantir aux usagers que les missions de service public seront pérennisées. Et comme nous, ils considèrent que la meilleure façon d'y parvenir est de maintenir le statut public d'EDF et de GDF. Certes, nous pouvons avoir des divergences sur la méthode.

Il faut fixer un périmètre définitif et sûr du service public en matière d'énergie, et donc en assurer le financement. Tous les opérateurs doivent contribuer aux charges, nous en sommes bien d'accord ; mais le risque, avec la banalisation, c'est que le club des marchands d'énergie aille réclamer une baisse de ces charges, et par voie de conséquence une réduction du périmètre. C'est ce qui s'est passé dans le secteur des télécommunications...

Les amendements 1556 et 1557, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Daniel Paul - Sur la base de la loi du 8 avril 1946, Gaz de France a développé le réseau de distribution du gaz dans ce pays, mais les ministres de l'époque, Marcel Paul et Paul Ramadier, qui ne prenaient pas leur inspiration dans le Gosplan (Sourires), ont laissé subsister les réseaux dont disposaient en propre certaines communes, en assignant certes à leur activité un cadre géographique limité, mais le fait est que des distributeurs non nationalisés ont été maintenus et qu'il n'y a pas eu monopole.

Cela étant, ce double réseau ne permet pas à toutes les communes d'être raccordées. En 2000, un plan de desserte gazière a été élaboré pour y remédier. Toutefois, au cours de ses trois années d'application, de 2001 à 2003, il n'a pas été possible de satisfaire toutes les demandes de raccordement dans ce cadre. En effet, obéissant à une stratégie de pré-privatisation, la direction de GDF a estimé que l'équipement n'était pas toujours suffisamment rentable. Qu'elle prenne ainsi des libertés avec ses missions de service public serait exclu si l'Etat assurait un contrôle effectif. Il faut cependant prendre en considération les contraintes économiques qui s'imposent à l'entreprise publique : celle-ci ne peut faire fi de tout retour sur investissement. Mais les communes pourraient sans doute reformuler leurs demandes dans le cadre de l'intercommunalité, et leurs projets recevoir cette fois un accueil favorable de GDF. Il conviendrait dès lors de prévoir, parallèlement à la discussion du prochain contrat de groupe liant l'Etat à l'entreprise, l'élaboration d'un nouveau plan de desserte. Tel est l'objet de notre amendement 1558.

Non seulement les communes concernées pourraient pour la plupart être raccordées dans ce cadre, ce qui les rendrait plus attractives pour les industriels, mais encore tout refus aurait à être motivé. Ce plan permettrait en outre à l'Etat de rappeler GDF à ses obligations de service public. On conçoit que l'entreprise ne puisse assurer la distribution du gaz à perte totale, mais on ne saurait non plus admettre qu'elle pousse à la privatisation en hiérarchisant les projets qui lui sont soumis en fonction de leur seule rentabilité.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

M. le Ministre délégué - Même position.

M. Christian Bataille - Au cours des dernières années, GDF a remarquablement contribué à l'aménagement du territoire, et on le doit sans doute à son statut d'entreprise publique. En effet, la desserte de communes isolées ou de quartiers périphériques n'est pas d'une rentabilité démontrée. Or l'évolution du statut vers celui de société anonyme risque de freiner ce mouvement et de remettre en cause les projets des maires. L'amendement rappelle donc utilement GDF à ses obligations de service public. Cependant, il ne convient pas pour autant d'oublier le rôle des opérateurs privés : nous devrons définir leurs obligations propres.

M. Jean Gaubert - Il ne faudrait pas en effet que l'entreprise publique renonce à étendre la desserte. L'exemple de France Télécom a de quoi nous inquiéter à cet égard. Cette entreprise, dont on a ouvert le capital et modifié le statut en 1996, a totalement changé son mode de fonctionnement depuis cette date : dès que les impératifs de rentabilité se sont imposés à elle, elle a pris en considération le rapport qualité-prix de chaque investissement. Les effets en sont particulièrement sensibles sur l'enfouissement des lignes, et c'est d'ailleurs ce qui a amené le Sénat à voter un amendement à la loi sur l'économie numérique pour obliger France Télécom à se plier au v_u des collectivités.

Pour le gaz, en l'absence d'obligations inscrites dans la loi, il risque d'en être de même dans quelques années : GDF préférera remplacer un petit « feeder » par un plus gros plutôt que d'étendre son réseau dans des secteurs où ce ne sera pas rentable. D'où l'intérêt de ce nouveau plan de desserte.

L'amendement 1588, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme la Présidente - Tout arrive : voici le moment venu de voter l'article premier ! (Sourires)

M. le Rapporteur - Quel bonheur !

L'article premier, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ARTICLE PREMIER

M. André Chassaigne - Aux termes de l'amendement 1656, le ministre en charge de l'énergie devra prendre « les mesures appropriées pour garantir l'accès au réseau et la continuité de la distribution en gaz naturel et en électricité pour l'ensemble des usagers et en particulier, ceux des régions les plus reculées. »

On m'objectera certainement que l'article 3.5 de la directive sur le marché de l'électricité et l'article 3.3 de la directive sur le marché du gaz naturel font déjà obligation d'assurer une réelle égalité de traitement des usagers sur l'ensemble du territoire national, mais je renverrai mes contradicteurs à ce qui se passe avec la Poste ou avec les opérateurs de télécommunications : en milieu rural, il faut littéralement se battre pour maintenir les services publics et les usagers doivent payer deux fois, en acquittant l'impôt puis en remettant la main à la poche pour être desservi ! L'amendement donnerait à tous les habitants de ce pays, où qu'ils demeurent, une garantie supplémentaire d'accéder aux réseaux de gaz et d'électricité et de bénéficier de la continuité de la distribution.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

M. le Ministre délégué - Même avis.

M. André Chassaigne - Quel dommage de ne pas recevoir d'explications !

L'amendement 1656, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme la Présidente - Les amendements 377 rectifié à 387 rectifié sont identiques.

M. Christian Bataille - L'amendement 377 rectifié vise à renforcer le rôle du maire ou du président de l'établissement de coopération intercommunale, en s'inspirant de ce qui se fait déjà pour l'eau, pour l'élimination des déchets et pour l'assainissement : nous proposons que, chaque année, dans les six mois suivant la clôture de l'exercice, ils présentent au conseil municipal ou à l'assemblée délibérante un rapport sur le prix et la qualité du service public de l'électricité. Ce rapport, qui s'appuiera sur des indicateurs techniques et financiers, permettra d'apprécier les incidences du changement de statut d'EDF, tant en matière de tarifs que de qualité de la gestion.

Je sais déjà que cet amendement a retenu l'intérêt du rapporteur, qui a déposé des sous-amendements, et je souhaite que le gouvernement le prenne de même en considération, car cette disposition favorisera une meilleure circulation de l'information en fournissant une sorte de tableau de bord.

Mme la Présidente - Avant de donner la parole au rapporteur, je pense que nous devons entendre ce qui sera dit pour la défense des dix amendements identiques...

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - Est-ce la peine puisque, précisément, ils sont identiques ?

Mme la Présidente - Vous m'avez opposé hier soir le Règlement : à mon tour de vous le rappeler !

M. le Président de la commission - Alors nous n'accepterons pas ces amendements ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. François Brottes - Pas de menaces ni de marchandages, je vous prie ! Cet après-midi déjà, vous avez soutenu que nous ne cessions de nous répéter sous prétexte que nous défendions des amendements identiques...

M. le Ministre délégué - Ce n'est pas gentil, en effet !

M. François Brottes - « Peut-on dénier le droit d'ouvrir la bouche à tous ceux qui osent faire valoir un point de vue différent de celui de la majorité ? », a demandé un jour M. Lenoir - alors qu'il n'était pas dans la majorité, bien sûr. L'histoire bégaierait-elle ?

Nos explications ne sont pas des redites : nous essayons chaque fois de développer des arguments complémentaires. Ainsi ferai-je par rapport à ceux qu'a exposés M. Bataille.

Les communes sont en droit de connaître les évolutions du prix et de la qualité du service public de l'énergie. En effet, si, comme cela est à craindre et commence de se faire sentir, les prix s'envolent, c'est immanquablement à elles que l'on demandera d'aider les personnes qui ne pourront plus payer leurs factures d'électricité. Dans ma commune, le CCAS dispose déjà de crédits « énergie », qui ont supplanté les anciens « tickets charbon » et servent à cela.

Je vous remercie, Madame la Présidente, de nous permettre de défendre nos amendements. Nous ne marchanderons pas leur acceptation contre une quelconque renonciation à notre du temps de parole. Nous souhaitons pouvoir exposer tous nos arguments.

M. Pierre Ducout - Ce sont des gouvernements de gauche qui ont permis une certaine transparence dans l'exécution de divers contrats de services publics concernant par exemple l'eau, l'assainissement, le traitement des ordures ménagères, en exigeant la présentation au conseil municipal d'un rapport sur chacun de ces sujets. L'information des usagers et la démocratie y ont gagné.

Aujourd'hui, EDF fait déjà rapport à l'autorité concédante -commune ou syndicat de communes- sur la qualité de la fourniture d'électricité, indiquant par exemple le nombre d'éventuelles micro-coupures, la régularité de la tension... Dans un souci de démocratie, nous demandons un rapport supplémentaire sur les prix et la qualité du service public. Tel est l'objet de l'amendement 382 rectifié.

M. Jean Gaubert - Monsieur le président Ollier, nous ne parlons pas pour le plaisir de nous écouter parler ! Nous ne sommes pas ici dans une salle de classe où les relations peuvent se gérer à l'affectif. J'espère que vous vous prononcez sur les amendements de l'opposition en fonction de leur intérêt, et non de considérations subjectives. Vos propos, tout à l'heure, m'ont profondément choqué (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste).

Jusqu'à présent, l'information des consommateurs avait été quelque peu négligée. C'est à quoi l'amendement 383 rectifié propose de remédier. La présentation d'un rapport au conseil municipal permettra d'informer les consommateurs des conditions dans lesquelles est assuré le service public de l'électricité et du gaz.

M. le Rapporteur - La commission avait donné un avis favorable à ces amendements sous réserve de l'adoption des trois sous-amendements 1242, 1243 et 1244, que je retire. Dans ces conditions, et à titre personnel, j'y deviens défavorable.

M. le Ministre délégué - Avis défavorable également.

M. François Brottes - Belle démonstration de puérilité ! Comme nous n'avons pas été sages, nous voilà punis par le rejet de nos amendements ! Tous ceux d'entre nous qui ont défendu un amendement ont exposé des arguments différents. Ce comportement de cour de récréation est inadmissible !

Je demande une suspension de séance.

Mme la Présidente - Elle est de droit.

La séance, suspendue à 22 heures 20, est reprise à 22 heures 35.

Mme la Présidente - Nous allons passer au vote des amendements identiques 377 rectifié à 387 rectifié, repoussés par la commission et par le Gouvernement, le rapporteur ayant retiré ses sous-amendements 1242 rectifié à 1244 rectifié.

M. François Brottes - La loyauté devrait commander au rapporteur de préciser que la commission avait adopté notre amendement. Libre à lui d'y être opposé, mais c'est alors un avis personnel qu'il exprime et non celui de la commission.

M. le Rapporteur - Il n'y a pas d'ambiguïté. A titre personnel, je ne suis pas favorable à cet amendement, mes sous-amendements ayant été retirés.

M. Jean Dionis du Séjour - Il y a tout lieu de regretter cette crispation. La commission avait adopté ce bon amendement, en considérant qu'il est tout à fait regrettable que les instances communales et intercommunales ne débattent jamais des problèmes relatifs à l'électricité. Le groupe UDF souhaiterait que l'on parvienne, sur de tels enjeux, à adopter des positions raisonnables et équilibrées.

Les amendements 377 rectifié à 387 rectifié, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Mme la Présidente - Les amendements 388 rectifié à 398 rectifié sont identiques.

M. Christian Bataille - Dans la même logique que le précédent, l'amendement 388 rectifié vise à ce que le maire présente au conseil municipal - ou le président de l'EPCI à l'assemblée délibérante de celui-ci - un rapport annuel sur le prix et la qualité du service public du gaz.

M. François Brottes - J'invite notre rapporteur à retrouver toute sa sérénité. La commission avait également adopté cet amendement de bon sens, auquel mon amendement 390 rectifié est identique.

M. Pierre Ducout - Mon amendement 393 rectifié est défendu.

M. Jean Gaubert - De même que le mien, qui porte le numéro 394 rectifié.

M. le Rapporteur - La commission les avait adoptés sous réserve de l'adoption de mes sous-amendements 1245 rectifié à 1247 rectifié, que je retire. Je suis par conséquent défavorable à ces amendements.

M. Jean Gaubert - Puisque vous voulez jouer à ce petit jeu, je reprends ces trois sous-amendements.

Les sous-amendements 1245 rectifié à 1247 rectifié, repoussés par la commission et par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés, non plus que les amendements 388 rectifié à 398 rectifié.

ART. 2

M. Pierre Ducout - Cet article touche au service commun à Électricité et Gaz de France, créé en application de la loi de nationalisation de 1946 et dénommé « EDF-GDF services », aujourd'hui fort de 60 000 agents et qui constitue l'un des piliers de notre service public de l'énergie. Dans l'exposé des motifs du présent texte, vous indiquez que ce service commun est chargé d'assurer la gestion des réseaux de distribution et un service public de qualité au plus près du terrain, et qu'il est à ce titre souhaitable de le pérenniser afin de continuer à tirer profit des synergies existantes entre les deux entreprises. L'emploi du mot « souhaitable » n'est guère rassurant ! N'aurait-il pas été préférable d'écrire que ce service commun doit être pérennisé ? Mais sans doute avez-vous été retenu dans votre élan après avoir pris conscience que cette pérennisation serait rendue impossible par la mise en concurrence sauvage de nos entreprises nationales sur les marchés conjoints de l'électricité et du gaz, le principe de spécialité ayant sauté.

Il faut donc se poser la question du rapprochement ou de la fusion des deux sociétés. Sur ce point, le rapport demandé aux deux présidents aurait dû être communiqué à l'Assemblée avant l'examen de ce projet.

Il faut aussi se demander quelles contreparties exigeraient les autorités européennes en cas de fusion. La Commission de Bruxelles a demandé une commission d'enquête approfondie pour étudier l'accord de coopération entre Areva et Urenco, qui sont pour moi des champions européens. Peut-être aboutira-t-on à la conclusion que cet accord est conforme à l'intérêt général européen, mais encore faudrait-il que les commissaires recherchent autre chose que l'application des idées ultra-libérales de Mme Loyola de Palacio. J'ai entendu celle-ci s'exprimer sur le projet européen Galileo et sur sa compatibilité avec le système GPS : il s'agit d'une importante initiative européenne qui a été lancée par la France et le général de Gaulle.

M. Christian Bataille - Mon groupe est favorable au maintien du service commun, garant du service public et de l'aménagement du territoire. Nous sommes partisans d'une politique de rapprochement et non d'éclatement ou de filialisation qui viderait EDF et GDF de leur substance. Nous entendrons donc avec intérêt le ministre délégué. Est-il partisan de l'unité du service public ou de sa division par appartements ?

M. Daniel Paul - Dans l'exposé des motifs, on lit qu'en application de la loi du 8 avril 1946, « Electricité de France et Gaz de France ont développé un service commun dénommé EDF-GDF Services et chargé d'assurer la gestion des réseaux de distribution et un service public de qualité au plus près du terrain. Il est souhaitable que ce service soit pérennisé afin de continuer à tirer profit des synergies existant entre les deux entreprises. »

Mais il y a un écart considérable entre l'exposé des motifs et la lettre de l'article 2. Loin de pérenniser les services communs - car EDF-GDF Services n'est pas le seul - cet article compromet leur existence à moyen terme. La réduction de leur champ d'activité, l'appauvrissement de leurs missions sont certains.

Ainsi, l'article n'évoque pas les activités de commercialisation et de fourniture, que les deux directions projettent de regrouper avec les activités commerciales, déjà extraites de la distribution. Il est même en deçà de l'avant-projet de loi, puisqu'il ne reprend pas l'alinéa selon lequel l'opérateur commun « contribue à assurer une présence efficace sur le territoire national et facilite l'accès des citoyens au service public de l'énergie ».

N'est pas mentionnée non plus la possibilité de créer d'autres structures communes entre EDF et GDF ou entre leurs services communs et les distributeurs non nationalisés. Mais ce parti pris ne saurait surprendre, puisque l'article 27 vise justement à faire de ceux-ci des concurrents d'EDF et de GDF.

Enfin, l'article précise que les services communs pourront être dotés de la personnalité morale. Rien n'exclut donc qu'ils soient constitués en sociétés filiales ou en groupements d'intérêt économique. En revanche, prévoir la création d'une personne morale par convention, c'est exclure que cette personne morale soit un établissement public. On voit tout le danger que représente cette disposition !

M. André Chassaigne - La fusion des deux EPIC est une nécessité. La direction de la distribution « EDF-GDF Services », commune aux deux établissements, regroupe 65 000 agents répartis sur 102 centres. C'est un exemple unique de synergie et d'économie d'échelle, que le choix de la séparation casserait.

Si la fusion était abandonnée, chacun irait de son côté chercher un gazier et un électricien. Or, aller chercher loin ce qui est à portée de la main est incontestablement un gâchis. Au plan européen, personne ne semble s'opposer à la fusion, sinon la direction d'EDF qui prétend que les entreprises réalisent plus des deux tiers de leur chiffre d'affaires à l'intérieur d'un même Etat, ce qui reste à vérifier.

Quels sont nos objectifs ? Fusionnés, les moyens d'EDF et de GDF pourraient être mis au service de la politique énergétique. Sans fusion, les entreprises se mettraient en danger. Le Gouvernement a soutenu Alstom et encouragé la fusion de Sanofi et d'Aventis. Il devrait faire de même pour EDF et GDF.

Notre amendement 1503 tend à supprimer l'article 2. Pour se convaincre des dangers de démantèlement, il suffit d'écouter cet agent de Périgueux qui déclarait en mai dernier à la presse que « le problème, ce n'est pas la défense des acquis sociaux, c'est l'avenir de l'entreprise ». La direction a décidé de fermer de nombreuses agences de proximité, comme celles de Suresnes, de Rueil, de Levallois-Perret. En milieu rural, les élus locaux ont compris que préférer le droit de la concurrence à l'aménagement du territoire signifie se résigner à la disparition de nombreux services.

La direction a certes signé un accord avec La Poste, mais celle-ci ferme aussi de nombreux guichets, parfois remplacés par des « points postaux » que tiennent des commerçants, des buralistes. Ainsi, EDF et GDF délèguent à La Poste, qui délègue à des commerçants, alors que ceux-ci, malgré toute leur bonne volonté, ne sont ni postiers, ni électriciens, ni gaziers. Nous sommes dans une situation ubuesque.

Les agents s'inquiètent. « On nous parle de plus en plus d'objectifs individuels », dit l'un d'eux. « On nous demande, dans les agences, de choisir entre l'électricité ou la gaz, sans que nous connaissions l'échéance. Nous ne sommes même pas sûrs d'avoir la possibilité de choisir. »

Voici un dernier témoignage, celui d'un agent chargé du service de la relève à Perpignan : « On sait qu'on va être concurrents ; on aurait aimé rester ensemble, avec nos véhicules EDF-GDF. » Avec lui, nous affirmons que séparer la distribution du gaz et celle de l'électricité est illogique et fratricide. Qui peut croire que le service commun pourra perdurer dans ces conditions ? L'article 2 laisse la porte ouverte à toutes les possibilités. C'est pourquoi nous proposons de fusionner les deux EPIC, au côté d'organisations syndicales qui représentent plus de 80 % du personnel.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

M. le Ministre délégué - Même avis.

M. François Brottes - J'adhère à l'amendement du groupe communiste. L'article 2 tend en effet un rideau de fumée destiné à masquer l'accélération prochaine du démantèlement. Le projet n'évoque pas les activités de commercialisation et de fourniture, que la direction a l'intention de regrouper avec les activités commerciales.

De plus, le texte crée l'obligation d'établir un service commun pour un certain nombre d'activités, mais ne reprend pas l'alinéa selon lequel cet opérateur commun contribue à assurer une présence efficace sur le territoire national et facilite l'accès des citoyens au service public de l'énergie. Ce retrait est gênant.

Il est précisé aussi qu'EDF-GDF services pourra être doté ou non de la personnalité juridique. Rien n'exclut, dans ces conditions, que les services puissent être constitués aussitôt en sociétés filiales ou de groupements d'intérêt économique.

Enfin le Gouvernement et les directions se sont engagés à créer EDF-GDF services en s'appuyant sur le maillage des centres de distribution actuels. C'est une promesse, ce n'est pas une disposition législative.

Le Gouvernement peut-il nous apporter des précisions ?

L'amendement 1503, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Daniel Paul - On l'a compris, nous sommes attachés à la préservation des services communs EDF-GDF, qui constituent une sorte de socle sur lequel bâtir un projet industriel au moyen de la fusion des deux EPIC.

Il est vain, en effet, de dissocier les électriciens des gaziers. Il existe entre eux quelque chose qui a fait que des retraités ont spontanément repris du service face à la tempête de 1999, quelque chose qui n'est pas l'existence de prétendus privilèges, mais qui s'appelle la culture de service public : voilà le lien unissant les 60 000 agents qui font vivre EDF-GDF services. L'établissement d'une comptabilité analytique destinée à identifier les coûts afférents à chacune des deux entreprises ruinerait cette cohésion.

L'amendement 1524, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Chassaigne - L'amendement 1526 est défendu.

L'amendement 1526, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Daniel Paul - L'amendement 1525 est également défendu.

L'amendement 1525, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Chassaigne - L'amendement 1650, comme l'amendement 1648, tend à élargir le bénéfice du fonctionnement commun des services d'EDF-GDF aux filiales de transport. L'article 2 ne garantit absolument pas la préservation de ces services communs. Filialiser les activités de transport aboutirait à désintégrer les entreprises et à rompre les synergies nécessaires entre elles. Rien ne justifie de séparer les activités de production, de transport et de distribution d'EDF. Et pour GDF, la perte des activités de transport serait fatale, sauf à transformer l'entreprise en une simple société de négoce.

La filialisation des réseaux de transport n'a d'autre motif qu'une volonté politique européenne inspirée par des choix idéologiques libéraux. De plus, le processus de déréglementation est mené dans la plus extrême précipitation. En effet les premières directives, de 1996 pour l'électricité et de 1998 pour le gaz, ont été transposées respectivement en 2000 et 2003. Alors qu'aucun bilan n'aura encore été fait, on entreprend de séparer la gestion du réseau de transport de celle de la production ou de la fourniture, en mettant en avant les vertus supposées de la concurrence. Or, au lieu des gains d'efficacité annoncés, ce sont des pertes qui sont apparues, et qui ont conduit des pays comme l'Angleterre à se réapproprier un secteur abandonné à la pure loi du marché. Mais vous, en dépit de demandes émanant d'organisations et d'associations de toute sorte, vous poursuivez le mouvement de destruction au risque de compromettre la pérennité de notre système énergétique. Continuer dans cette voie est suicidaire, à la fois pour nos services publics mais aussi pour nos grandes entreprises qui assurent notre indépendance énergétique.

Les amendements 1650 et 1648, repoussés par la commission et par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. André Chassaigne - Notre amendement 1647 tend à éviter la filialisation des services communs à EDF et GDF. Sous le titre « Les agents d'EDF-GDF services s'inquiètent du redécoupage annoncé de leur activité », un article fort intéressant est paru dans Le Monde daté du 10 mai. Relayant les réformes adoptées à Bruxelles, et en particulier la distinction très contestable entre distribution et fourniture, le Gouvernement entend séparer la distribution d'électricité et celle de gaz des autres activités commerciales.

Un tel choix, qui sera source de dégradation de la qualité du service et de gâchis économique, devrait conduire EDF et GDF à modifier profondément le fonctionnement de leur principal service commun, qui groupe 64.000 agents. La journaliste en a rencontré un certain nombre : leur témoignage est important. Une assistante clientèle se dit « dans le flou » et appréhende le jour où ses collègues techniciens seront devenus des étrangers à qui elle ne pourra plus demander un service. Et de résumer : « on nous demandait de gérer des dossiers et à la rigueur de proposer des services ; aujourd'hui c'est l'inverse, on doit en priorité vendre des services ». On mesure la dégradation de la qualité du service dans le cadre de l'ouverture à la concurrence, à laquelle les directions essaient de préparer le personnel à marche forcée et au mépris de son attachement au service public.

La journaliste constate la fréquence du mot « éclatement ». On envisage en effet de séparer les services à la clientèle. Un jour viendra où l'agent qui fait un branchement chez un client ne saura pas pour quel fournisseur il le fait... A ce niveau, les agents ne comprennent pas plus que nous l'apport de la concurrence. On entend aussi beaucoup les mots « externalisation » et « précarisation ». En trois ans, EDF-GDF Services a déjà perdu cinq mille emplois. Le recours aux emplois précaires se développe ; à Nanterre la relève des compteurs est confiée au privé pour 60 %. La conclusion de la journaliste devrait nous interpeller : « si à l'avenir l'opérateur commun est soumis à la pression des fournisseurs pour faire baisser les coûts d'approvisionnement, le recours à l'externalisation pourrait se généraliser ».

Loin de rassurer les 64 000 agents d'EDF-GDF Services, votre article 2 est propre à aviver leurs craintes. En acceptant d'interdire que les services communs soient dotés de la personnalité morale, vous les rassureriez, et montreriez votre volonté de refuser cette dégradation progressive - pour ne pas dire programmée - de la qualité du service public.

L'amendement 1647, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Chassaigne - L'amendement 1561 a pour but d'éviter la filialisation des services communs à EDF et GDF. Dans sa rédaction actuelle, l'article 5 de la loi du 8 avril 1946 permet aux deux établissements publics d'organiser par convention des services communs. Sur ce fondement a été conclue entre eux la convention du 15 décembre 1951, dont l'article 4 mérite d'être rappelé, à l'heure où la majorité veut lancer une concurrence fratricide contre laquelle nos prédécesseurs de 1946 avaient eu le courage de légiférer. Dans cet article, EDF et GDF « reconnaissent l'intérêt d'instituer sous l'autorité d'un service central de la distribution, des services mixtes pour la distribution d'électricité et de gaz dans la mesure où il en résulte une meilleure utilisation du personnel et du matériel et une amélioration du service à la clientèle ». Pour cette raison, les deux EPIC ont institué un service commun, aujourd'hui nommé EDF-GDF Services, qui exerce l'ensemble des activités liées à la distribution, y compris l'entretien et l'exploitation des réseaux de distribution d'électricité et de gaz concédés ou appartenant à EDF-GDF, mais également la commercialisation et la fourniture aux clients domestiques et industriels.

Selon l'exposé des motifs, le projet de loi prétend vouloir pérenniser ce service « afin de continuer à tirer profit des synergies existantes entre les deux entreprises. » L'article 2 récrit ainsi l'article 5 de la loi du 8 avril 1946 et maintient la possibilité d'organiser des services communs.

Regardons-y cependant de plus près. Tout d'abord, la faculté actuelle de confier certains services d'EDF à GDF ou vice versa disparaît, ce qui réduit la portée de la loi de 1946.

Mais il y a plus. L'exposé des motifs de l'avant-projet de loi laissait entendre que la sauvegarde d'EDF-GDF services était « souhaitable », ce qui n'équivalait pas à une obligation. La réécriture a minima qui nous est proposée aujourd'hui n'a évolué que dans la forme, plus rassurante, mais le fond est inchangé. En effet, bien que le texte affirme pour EDF et GDF l'obligation de créer un service commun de distribution, celui-ci pourra être doté de la personnalité morale. Si effectivement ce service devient une personne juridique à part entière, il prendra fatalement la forme d'une filiale, ce qui remettrait en cause de fait le fondement du service public pour la distribution ainsi que le statut du personnel.

C'est pourquoi notre amendement 1561 vise à assurer la rupture avec la sinistre ambition gouvernementale, constante à travers les moutures successives du texte. Il convient d'inscrire dans la loi que les services communs, dans le secteur de la distribution comme dans d'autres, ne seront pas dotés de la personnalité juridique.

L'amendement 1561, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Daniel Paul - Notre amendement 1653 précise que « le service commun de distribution contribue à assurer une présence efficace sur le territoire national et facilite l'accès des citoyens au service public de l'énergie ». Je souhaite évoquer ici un amendement qui nous sera proposé à l'article 13. Il prévoit ceci : « en cas de création de sociétés gestionnaires de réseaux de distribution, l'ensemble des contrats relatifs à l'activité de gestionnaire de réseau de distribution peut être transféré à la société nouvellement créée, sans que ce transfert n'emporte aucune modification des contrats en cours d'exécution, quelle que soit leur qualification juridique, et ne soit de nature à justifier ni la résiliation ni la modification de l'une quelconque de leurs clauses, ni le cas échéant le remboursement anticipé des dettes qui en résultent. Ces transferts, apports partiels ou cessions d'actifs ne donnent lieu au paiement d'aucun impôt, droit, taxe, redevance, rémunération au profit de l'Etat, de ses agents ou de toute personne publique. » Cet amendement à l'article 13 heurte de front notre débat sur l'article 2. Il permettra dans les trois ans la filialisation du ou des GRD et leur transformation en sociétés anonymes. Il s'applique aussi bien à EDF et GDF qu'aux entreprises non nationalisées. Et de fait transformer les GRD en SA, filiales d'EDF et GDF, revient à créer deux nouvelles sociétés, et pourra se faire sans nouveau débat législatif. La séparation du domaine régulé et du domaine non régulé en sera accrue, compromettant la nécessaire synergie entre l'évolution des moyens de production et celle du réseau. Le risque est grand de déséquilibrer l'ensemble et de porter atteinte à la continuité du service.

Le risque existe d'autre part de séparer les activités au sein de la distribution, entre le gestionnaire de réseau, devenu une SA, et l'activité d'exploitation qui pourrait rester à EDF. Les agents de la distribution deviendraient de simples prestataires de service d'une société anonyme qui gérerait le réseau public de distribution.

La création de sociétés gestionnaires concerne également les distributeurs non nationalisés. Le tarif d'acheminement défini par la CRE garantit une péréquation nationale, mais l'existence de plusieurs gestionnaires de réseaux à capitaux privés conduira inévitablement à des disparités dans la qualité du service.

L'amendement 1653, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Chassaigne - L'amendement 165 tend à contrecarrer la perversité de la réécriture proposée de l'article 5 de la loi de 1946. Le projet prévoit en effet que les services communs à EDF et à GDF peuvent réaliser des «prestations » pour le compte des distributeurs non nationalisés ainsi que des collectivités locales et de leurs groupements, en qualité d'autorités concédantes des réseaux locaux de distribution. Rappelons que les distributeurs non nationalisés sont divers : régies communales ou intercommunales, sociétés d'économie mixte locale, coopératives d'usagers, ou encore sociétés d'intérêt collectif agricole d'électricité.

La possibilité pour un service commun comme EDF-GDF Services de réaliser des telles prestations pour les DNN est déjà prévue par la loi de 1946. Cependant, l'article 2 du projet ne mentionne plus la possibilité de créer des structures communes entre EDF et GDF ou leurs services communs et les DNN. « Réaliser des prestations pour le compte de » n'est assurément pas la même chose que « réaliser des prestations en commun ».

Le Gouvernement a sa cohérence. Son objectif, à travers l'article 27 du projet, est de créer artificiellement des concurrents à EDF et GDF dotés d'une envergure nationale. Je renvoie sur ce point à la page 23 de l'exposé des motifs, où le Gouvernement souhaite « atténuer les contraintes juridiques de territorialité et de domaine d'activité pesant sur les distributeurs non nationalisés. » En clair, plutôt que de renforcer les synergies existantes entre les DNN et les deux entreprises nationales, il s'agit de les mettre en concurrence ! Ce choix sera à nouveau source de gâchis et risque de compromettre l'avenir des actuels centres de distribution mixtes.

Nous proposons donc par l'amendement 1654 que, par convention, EDF, GDF et les distributeurs non nationalisés créent des services communs de distribution.

L'amendement 1654, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Daniel Paul - Notre amendement 1649 est défendu.

L'amendement 1649, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Chassaigne - L'article 2 dispose que la création d'un service commun est obligatoire dans le secteur de la distribution, mais nous avons quelques raisons de craindre une filialisation des activités de distribution. Quoi qu'il en soit, le champ de cette obligation est précisé : construction des ouvrages, maîtrise d'_uvre des travaux, exploitation et maintenance des réseaux, opérations de comptage. Il manque donc dans cette liste un élément essentiel, qui actuellement entre pleinement dans le champ des compétences d'EDF-GDF Services : le service de facturation du gaz et de l'électricité aux consommateurs domestiques. Notre amendement 1652 vise à l'inclure, la facturation commune permettant des économies d'échelle.

L'amendement 1652, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Daniel Paul - Notre amendement 1562 est défendu.

L'amendement 1562, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Chassaigne - Notre amendement 1560 est défendu.

M. Daniel Paul - L'institution de services communs a été rendue possible par l'article 5 de la loi du 8 avril 1946. En application de cet article, ont été mis en place non seulement EDF-GDF Services mais le service mixte de la formation professionnelle et celui de la direction du personnel. Notre amendement 1559 vise à rendre obligatoire la création de services communs dans ces deux derniers domaines.

M. le Rapporteur - Avis défavorable aux deux amendements.

M. le Ministre délégué - De même.

L'amendement 1560, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l'amendement 1559.

M. André Chassaigne - Notre amendement 1655 est défendu.

L'amendement 1655, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - Je rectifie l'amendement 5 de la commission, qu'il faut lire ainsi : « Chacune des sociétés assume les conséquences de ses activités propres dans le cadre des services communs non dotés de la personnalité morale ». En effet, si le projet pérennise les services communs en les rendant obligatoires, il convient aussi de préciser que, dans le cadre de cette mixité, chaque entreprise est individuellement responsable de ses activités.

L'amendement 5, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Daniel Paul - Notre amendement 1270 est défendu.

L'amendement 1270, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 2 modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 2

M. le Rapporteur - J'ai déjà évoqué l'amendement 6 de la commission, qui vise à étendre la tarification sociale de l'électricité - dispositif de la loi de février 2000 qui est désormais en application grâce à la publication du décret par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin - aux services liés à la fourniture.

M. le Ministre délégué - Avis favorable.

M. François Brottes - Pourriez-vous, Monsieur le rapporteur, préciser ce que recouvre l'expression « services liés à la fourniture » ?

M. le Rapporteur - Il s'agit, en particulier, du rétablissement - qui a un coût - de la fourniture d'électricité à un client à qui elle a été coupée pour non-paiement.

L'amendement 6, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 7 vise à permettre au gestionnaire du réseau de transport, en cas de crise, de solliciter l'ensemble des producteurs, et non pas seulement EDF - à qui, au moment de la canicule, il en a coûté 300 millions d'euros pour assurer la continuité du service public.

M. le Ministre délégué - Favorable.

M. Jean Gaubert - On avait un système qui marchait bien, on le remet en cause, alors on essaie de rebâtir un système qui marche le moins mal possible...Certes cet amendement est un progrès par rapport au démantèlement qu'on nous propose dans ce projet, mais ce n'est pas un progrès par rapport au système antérieur ! Il empêchera sans doute certains d'arrêter des installations pour faire monter les prix ; néanmoins il n'empêchera pas que des prétextes puissent être trouvés pour congestionner le réseau -comme cela s'est produit aux Etats-Unis.

M. François Brottes - C'est un amendement important, qui est l'aveu d'un danger latent. Mais, Monsieur le ministre, comment le Gouvernement exercera-t-il sa contrainte sur les opérateurs récalcitrants ? Dans quel délai ? Quelle sera la sanction si un opérateur n'obtempère pas ? A-t-on vraiment des garanties, ou est-ce seulement un amendement de bonne conscience ?

M. le Ministre délégué - J'admets qu'un travail de mise au point est nécessaire mais il existe une possibilité de réquisition et, d'autre part, toutes les installations disponibles doivent être déclarées...

M. Pierre Ducout - Tout cela était déjà dans la loi de 2000 !

M. Pierre Cohen - Si l'on a pu réquisitionner après la tempête, c'est parce que les retraités d'EDF, qui se sont d'ailleurs mobilisés spontanément, sont aux termes de leur statut des « salariés inactifs » et, à ce titre, restent à la disposition de l'entreprise publique. Or on ne peut imposer le même statut dans les entreprises de droit commun. D'autre part, travaillant pour le profit, elles n'auront jamais les capacités de production dont EDF a dû se doter pour accomplir ses missions de service public... Ou vous vous trompez sincèrement - ce que je ne crois pas car je vous sais bon connaisseur du sujet -, ou vous abandonnez la notion de service public à la française pour celle de service d'intérêt général - au mieux.

M. Pierre Ducout - La loi du 10 février 2000 imposait à tous les producteurs des missions de service public, dont celle d'assurer un développement équilibré de l'approvisionnement mais, pour autant, on a vu que cela n'excluait pas la rétention de capacités de production pour faire monter les prix. Il faut donc aller un peu plus loin. L'amendement du rapporteur démontre d'ailleurs qu'on ne peut se fier à la vertu du marché...

L'amendement 7, mis aux voix, est adopté.

M. Michel Bouvard - S'agissant du gaz naturel, le bon fonctionnement du marché repose en bonne partie sur les stockages. L'amendement 1153 tend donc à réguler l'accès des tiers à ces derniers. En cela, il ne fait d'ailleurs que transposer une directive européenne.

M. le Rapporteur - En raison de sa complexité, cette question exigerait un examen plus approfondi et, précisément, le Gouvernement est en train d'élaborer un texte. Rejet, par conséquent.

M. le Ministre délégué - Il s'impose certainement de transposer la directive, Monsieur Bouvard, mais le gouvernement s'emploie précisément à le faire dans un texte qui, au stade actuel, occupe deux pages et demie ! Le vôtre ne fait que trois lignes et demie : auriez-vous un secret ou une capacité de synthèse sans égale pour régler en si peu d'espace un problème aussi complexe ?

M. Michel Bouvard - Je m'entraîne, pour réaliser la synthèse entre les diverses sensibilités de l'UMP !

M. le Ministre délégué - Je pense cependant que ce texte est perfectible et je vous saurais donc gré de faire confiance au Gouvernement, quitte à vous associer à son travail.

M. Michel Bouvard - Je vais retirer l'amendement mais, plutôt que de surcharger notre ordre du jour ou de procéder par ordonnance, ne vaudrait-il pas mieux, pour transposer les directives, mettre à profit les textes déjà soumis à notre examen ? Le contrôle du Parlement en serait renforcé.

L'amendement 1153 est retiré.

M. François-Michel Gonnot - Monsieur le Ministre délégué, lors de la transposition de la directive « gaz » en décembre 2002, le Gouvernement avait déjà jugé prématuré de s'attaquer à cette question de l'accès de tiers aux stockages. Il en a été de même lorsque certains ont fait une autre tentative lors de la discussion du projet de loi d'orientation : on nous a demandé d'attendre la loi sur le statut. Or la directive doit être transposée avant le 1er juillet prochain ! Je comprends donc l'impatience de notre collègue Bouvard quand vous nous demandez à nouveau un peu de temps et j'aimerais donc savoir quand se fera cette transposition. Je ne pense pas que ce soit à la faveur du projet actuellement en première lecture au Sénat. Sera-ce à l'automne, pour la deuxième lecture du projet de loi d'orientation ? Dans ce cas, la promulgation n'interviendra qu'à l'automne et nous aurons six mois de retard ! 

M. le Ministre délégué - Je vous remercie pour votre soutien !

M. François-Michel Gonnot - L'amendement a été retiré et je ne fais que demander une précision. Les professionnels ont besoin de savoir.

M. Christian Bataille - Avec l'amendement 594, nous faisons application du principe de prévention : nous demandons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport « sur les mesures prises pour éviter et faire face aux ruptures de fournitures d'électricité ».

A l'été 2000, la crise électrique de Californie a été révélatrice des dysfonctionnements entraînés par la libéralisation : l'insuffisance des investissements a produit un déséquilibre entre offre et demande, largement responsable de l'effondrement du réseau. Celui-ci reste d'ailleurs sous-dimensionné.

Il n'est peut-être pas indifférent que celui qui a ainsi mis à genoux le système électrique américain ait été le spéculateur Enron, responsable du désastre infligé à des dizaines de milliers de retraités.

Trois ans plus tard, en août dernier, les mêmes causes ont produit les mêmes effets dans huit autres Etats du nord-est des Etats-Unis ainsi qu'en Ontario. Cinquante millions de personnes ont été privées d'électricité, parfois pendant une semaine. L'autorité fédérale de régulation a incriminé à nouveau l'insuffisance des investissements...

Que vous abandonniez le statut d'établissement public pour faire le choix de la libéralisation ne peut par conséquent que nous inquiéter. Ce rapport nous aiderait à prévenir ce genre d'incidents en France.

M. François Brottes - Je crains fort que le Gouvernement ne rejette cette proposition...

M. le Ministre délégué - Un nouveau rapport...

M. François Brottes - Pourtant, cette question préoccupe tous les Français.

Aux Etats-Unis, l'Etat a dû mettre la main à la poche parce que certains opérateurs ou bien avaient refusé de jouer le jeu, ou bien se trouvaient en faillite. Il importerait donc de connaître les moyens que le Gouvernement compte déployer pour éviter une situation identique. J'admets qu'il n'ait pas encore toutes les réponses mais le moyen légal que le rapporteur lui a soumis dans l'urgence ne saurait de toute façon suffire. Dans cette affaire, Monsieur le Ministre délégué, vous êtes en effet à la fois le médecin et le policier : celui qui rédige l'ordonnance et celui qui va contraindre les récalcitrants à alimenter le réseau. Et surtout, s'il faut importer de l'électricité, aurez-vous, vous ou le gestionnaire du réseau, les provisions financières suffisantes ?

Ce rapport serait certes un rapport de plus, mais ce ne serait pas un rapport « pour rien » : nous avons besoin d'avoir une claire idée des mesures qui seront appliquées en cas de besoin.

Sans vouloir céder au catastrophisme, nous avons toutes raisons d'être inquiets. Il sera trop tard pour réfléchir, une fois la catastrophe arrivée.

M. Pierre Cohen - Nous demandons « un rapport de plus », Monsieur le ministre, parce que votre projet nous inquiète. La commission d'enquête sur la gestion des entreprises publiques a montré que l'Etat, de droite comme de gauche, n'avait pas toujours donné tous les moyens nécessaires à ces entreprises. Nous avons aujourd'hui les plus grandes craintes pour l'avenir, quand EDF aura été transformée en SA, prélude à l'ouverture de son capital et à sa privatisation.

Si jusqu'à la canicule de l'été dernier, chacun était confiant en la capacité d'EDF de fournir toute l'électricité nécessaire sur le plan national, voire au-delà, nous avons alors pris conscience que des difficultés d'approvisionnement pouvaient survenir - alors même que l'entreprise était encore à 100 % publique. Qu'en serait-il demain avec une SA, dont l'horizon ne dépassera pas le court terme ? Le Gouvernement doit obliger les opérateurs à prévenir tout risque de rupture dans la fourniture d'électricité, dont les conséquences peuvent être dramatiques, par exemple dans les hôpitaux. C'est ce que nous demandons par l'amendement 598.

M. Pierre Ducout - Les pannes électriques survenues l'été dernier aux Etats-Unis et au Canada, puis en Italie, mais aussi les enseignements tirés de la canicule de l'été dernier dans notre pays -les responsables de RTE et de EDF n'ayant pas manqué d'alerter sur le risque de rupture de fourniture à la reprise des activités à la mi-août, nous conduisent à proposer cet amendement 950. Le Parlement doit être informé dans les meilleurs délais. Des études ont certainement été faites, dont nous devrions débattre. Quelles mesures de délestage étaient prévues en cas de besoin ? Au détriment de qui ? Comment le prix du mégawatt/heure a-t-il pu atteindre mille euros en août dernier ? Quelles sont les conditions requises pour le refroidissement des réacteurs nucléaires ? Quel en est l'impact sur les fleuves ? Comment prévenir le risque de rupture d'approvisionnement dans les régions qui, comme la Bretagne ou la Côte d'Azur, faute d'interconnexions suffisantes, sont gravement menacées en cas de défaillance de l'un de leurs moyens de production ? Où en sont les interconnexions entre pays européens -il semble qu'il soit toujours aussi difficile de passer les Pyrénées ? Autant de questions qui justifient amplement notre demande d'un rapport avant la fin de l'année.

M. Jean Gaubert - La nouvelle donne comporte au moins deux risques majeurs. Tout d'abord, la congestion du réseau. L'expérience américaine a montré que l'insuffisance des investissements sur le réseau pouvait conduire à l'incapacité de transporter une électricité pourtant produite en quantité suffisante. L'Etat donnera-t-il à RTE les moyens suffisants pour investir ? On peut s'inquiéter quand des bruits circulent faisant état d'une diminution à venir de 3% par an en euros constants des investissements sur le réseau... Le Parlement a tout lieu de craindre les mesures qui pourraient être prises par des technocrates, éloignés des réalités.

Le second risque est l'insuffisance de la production. On nous dit qu'en ce cas, le Gouvernement lancera un appel d'offres. Mais d'une part, un appel d'offres peut être infructueux, d'autre part, ne risque-t-on pas si nous sommes les seuls en Europe à investir assez dans nos moyens de production électrique, d'exporter notre électricité plutôt que de fournir le marché national ? Une clause de sauvegarde est-elle prévue ?

A ce sujet, Mme de Palacio, qui est intervenue il y a peu comme si elle était le commissaire européen à la concurrence, ferait mieux d'assumer ses responsabilités de commissaire à l'énergie et de veiller à ce qu'on apporte à toutes ces questions une réponse au niveau européen.

M. David Habib - Si nous demandons un rapport, Monsieur le ministre, ce n'est pas pour alourdir le travail du Gouvernement. Mais nous savons pertinemment que nous serons confrontés un jour aux mêmes difficultés de maintenance du réseau et d'approvisionnement qu'ont connues tous les pays qui ont ouvert le capital de leurs entreprises électriques ou totalement dérégulé leur marché de l'électricité. Des dizaines et des dizaines de cas peuvent être rapportés. M. Berlusconi n'assurait-il pas à la mi-août dernier qu'une panne comme celle qui venait d'avoir lieu aux Etats-Unis et au Canada ne pouvait pas arriver en Italie ? On a vu ce qu'il en était un mois plus tard...

C'est en amont que toutes ces questions doivent être traitées. Une association de consommateurs, mais aussi un syndicat d'industriels ont exigé du gouvernement anglais plus de transparence sur les dysfonctionnements du marché électrique en Grande-Bretagne et les black-out qui peuvent en résulter.

En demandant par notre amendement 604 un rapport au Gouvernement, nous sommes tout à fait dans notre rôle qui est de l'inviter à prendre toutes ses responsabilités pour prévenir de telles pannes dans notre pays.

M. le Rapporteur - La commission a repoussé ces amendements.

A cet instant du débat, je souhaiterais rafraîchir la mémoire de nos collègues socialistes qui demandent aujourd'hui un rapport pour prévenir les ruptures de fourniture d'électricité. Qu'ils me permettent de douter de l'efficacité d'un rapport pour atteindre cet objectif (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Avez-vous oublié, chers collègues, que l'article 6 de la loi de 2000 - que nous avons votée avec vous-, dispose que le ministre établit une programmation prévisionnelle des investissements sur la base d'un rapport fourni par le gestionnaire du réseau de transport, lequel évalue les besoins à l'horizon d'une dizaine d'années ?

L'article 8 dispose que le ministre chargé de l'énergie décide des investissements à réaliser pour combler la demande non satisfaite sur la base de ce rapport. Vous voyez donc que le dispositif visant à adapter les capacités de production existe déjà et que nous nous employons même à le conforter par le présent texte.

M. le Ministre délégué - Votre rapporteur a excellemment décrit le dispositif existant, que son amendement 7 à venir va encore enrichir pour ce qui concerne le délestage. S'agissant des éléments d'information que vous réclamez, je rappelle qu'un rapport est prévu en 2006 : il est indispensable, mais suffisant.

M. Jean Gaubert - M. Lenoir nous renvoie régulièrement à la loi du 10 février 2000, certes excellente mais votée dans un contexte radicalement différent...

M. le Ministre délégué - Disons qu'elle anticipait le présent texte !

M. Jean Gaubert - Nous raisonnions alors à statut constant de nos entreprises...

M. le Ministre délégué - C'est pourtant vous qui aviez décidé d'ouvrir le marché !

M. Jean Gaubert - Il est inhabituel que le représentant du Gouvernement rallume la polémique et je croyais que ce débat était derrière nous. Je me borne à rappeler que la directive européenne d'ouverture du marché date de 1996 et qu'elle a été approuvée par M. Borotra, ministre du gouvernement de M. Juppé. La loi de 2000 a donc été adoptée dans une perspective où l'Etat conservait un rôle déterminant dans le pilotage des entreprises énergétiques. Après l'ouverture du capital, nous ne serons plus dans cette configuration. Plusieurs dispositions du texte prévoient que les investissements à réaliser devront être décidés à la majorité des actionnaires. La donne change totalement.

Et M. Lenoir n'a pas davantage répondu sur les risques d'assèchement du réseau faute de participation des autres Etats européens à l'effort commun d'investissement.

Mme la Présidente - Sur le vote des amendements 594 à 606, je suis saisie par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public.

M. Jean-Louis Dumont - Il est impératif d'adopter cet amendement pour prévenir tout risque de rupture dans la fourniture d'électricité. La qualité du réseau de transport de l'électricité est un élément déterminant de notre dispositif énergétique, dont l'importance est encore accentuée par l'interconnexion du système européen. Il faut veiller à prévenir toute rupture de charge en procédant aux investissements nécessaires préalablement à l'ouverture du marché. A plusieurs reprises, nous avons déjà frôlé la catastrophe et le château de cartes a failli s'écrouler ! Ce n'est que grâce au talent de nos techniciens que le pire a été évité...

M. le Président de la commission - Tout cela n'a aucun rapport avec l'amendement !

M. le Ministre délégué - Aucun, en effet !

M. Jean-Louis Dumont - La vérité, c'est que vous détricotez la loi du 10 février 2000 sans prendre les mesures de prudence élémentaire qui s'imposent et sans aucune anticipation des conséquences de votre action !

A la majorité de 39 voix contre 18 sur 57 votants et 57 suffrages exprimés, les amendements 594 à 606 ne sont pas adoptés.

ART. 3

M. François Brottes - Cet article est court mais lourd de conséquences. Je souhaite interroger à son sujet le Gouvernement et le Président de notre commission des finances.

Monsieur le ministre, interpellée sur votre projet de loi, Mme de Palacio, dont vous êtes proche, a insisté sur la nécessaire indépendance des gestionnaires de réseaux et elle semble redouter que votre projet entraîne à cet égard un retour en arrière. Les injonctions de la Commissaire à l'Energie ne sont-elles pas de nature à désintégrer l'entreprise intégrée ? Je sais pouvoir compter sur votre schizophrénie pour tout à la fois faire allégeance à Mme de Palacio, et, la main sur le c_ur, nous jurer que jamais vous ne toucherez à l'entreprise intégrée, mais tout de même ! Le flou que vous entretenez à ce sujet n'est guère rassurant.

Je m'adresse ensuite au Président de notre commission des finances car l'un de nos amendements avant l'article 3, ainsi rédigé, « la gestion des réseaux de transport d'électricité ou de gaz doit être assurée par des entreprises ou organismes à capitaux totalement publics », a été déclaré irrecevable en application des articles 92 et 98 de notre Règlement. Comment justifier cette décision, sachant que notre proposition ne tend ni à créer ni à aggraver les charges publiques ? Maintenir la décision d'irrecevabilité reviendrait à interdire à l'opposition de défendre les services publics, lesquels, par nature, génèrent des dépenses publiques.

M. Jean Gaubert - Cet article est stupéfiant ! La question n'est évidemment pas de savoir si la gestion des réseaux de transport d'électricité ou de gaz doit être assurée par des « personnes » distinctes de celles exerçant les activités de production ou de fourniture mais bien plutôt de prévoir des règles de séparation fonctionnelles des différentes entreprises, afin que l'obligation de confidentialité sur laquelle nous reviendrons ultérieurement soit respectée. Là est le véritable enjeu.

Que nous cachez-vous ? Nous avions déposé un amendement visant à garantir que le réseau serait contrôlé à 100 % par des capitaux publics et nous sommes étonnés qu'il ait été considéré comme irrecevable.

M. Pierre Ducout - Cet article 3, en prévoyant que la gestion du réseau sera assurée par une personne morale distincte de celle qui assure la production, obéit à la directive européenne qui exige une séparation juridique entre le gestionnaire du réseau de transfert et l'entreprise productrice.

Il y a quatre ans, nous avons créé RTE, qui est un service indépendant à l'intérieur d'EDF. Son directeur est nommé pour six ans par le ministre. Ce système a bien fonctionné.

Les dysfonctionnements du marché européen, la hausse du prix de l'électricité pour les industriels, justifieraient que notre pays demande un moratoire, ainsi qu'un rapport sur l'effectivité de l'ouverture du marché chez nos voisins européens. On sait que l'Allemagne, parce qu'elle est un pays fédéral, peut prétendre sur le papier que son marché est ouvert à 100 % alors qu'il n'en est rien dans la réalité. Il en va de même en Espagne.

Il serait sage de demander ce rapport et ce moratoire avant de procéder à une séparation juridique qui risque de provoquer l'éclatement de nos entreprises intégrées.

Vous avez voulu changer le nom de RTE. La dénomination EDF-transport peut faire plaisir à certains, mais ce sera un chiffon rouge pour la Commission européenne.

Le rapporteur, à de nombreuses reprises, nous a affirmé que le gestionnaire du réseau, quel que soit son nom, resterait à 100 % public. C'est impossible si son actionnaire de base est EDF, dont le capital va être ouvert.

Enfin, même si certains voudraient qu'EDF puisse faire faillite, nous sommes heureusement très loin de cette situation.

M. Christian Bataille - Actuellement, RTE constitue une direction indépendante à l'intérieur d'EDF. La loi de 2000, par un savant dosage, était conforme à la directive européenne tout en préservant l'unité de l'entreprise publique. Cet équilibre ne doit pas être rompu.

Si EDF-transport doit devenir une société anonyme à l'intérieur d'EDF, comment préserver l'intérêt national ? On n'ose imaginer que le réseau de transport soit soumis au caprice d'un actionnaire. Dans la même hypothèse, comment le Gouvernement entend-il exercer ses prérogatives ? Nommera-t-il le directeur ou celui-ci dépendra-t-il d'intérêts privés ?

Enfin, je soutiens la demande de M. Brottes. Je ne comprends pas que notre amendement ait été déclaré irrecevable.

M. Jean Dionis du Séjour - Nous abordons le titre II du projet, qui tend à préserver le caractère intégré de l'entreprise s'agissant de la production, de la distribution et de la vente d'électricité. Le groupe UDF approuve ce choix stratégique qui garantit la meilleure desserte territoriale. Cependant, ce choix fait d'EDF l'actionnaire unique de RTE. Comment garantir l'indépendance de la filiale ?

Je veux dire à M. Bataille que le montage sophistiqué de la loi de 2000 ne peut plus tenir, la directive imposant l'indépendance juridique.

M. André Chassaigne - C'est vite dit !

M. Jean Dionis du Séjour - Ce que nous devons résoudre, c'est le problème crucial de l'accès de la concurrence au réseau. Certaines dispositions laissent craindre que l'actionnaire unique puisse faire obstacle à certaines décisions, concernant l'interconnexion avec nos voisins par exemple.

Nommer la filiale EDF-transport est sans doute symbolique, mais c'est afficher de manière visible pour tous nos concurrents le lien de subordination entre le producteur et le distributeur. Nous avons donc déposé des amendements pour clarifier le dispositif.

M. François Brottes - Sous l'influence de Mme de Palacio !

M. Jean Dionis du Séjour - La CRE a parfaitement joué son rôle, mais notre régulateur est singulièrement absent de ce texte. Cela pose le problème de la régulation du marché et des conditions de l'ouverture à la concurrence.

Il faut donc préciser que la CRE doit être le contre-pouvoir du choix de l'intégration. La directive a été incomplètement transposée, en particulier dans son article 23 qui confère des compétences renforcées à l'autorité de régulation. Si la transposition avait été intégrale, nous ne serions pas obligés de tordre le droit commun des SA pour garantir l'indépendance de la filiale par rapport aux intérêts légitimes d'EDF et de GDF. La CRE deviendra incontournable dans un marché ouvert en 2007 à 100 %. C'est pourquoi nous devons conforter ses missions. Nous serons ouverts aux amendements permettant de prévenir toute ingérence d'EDF dans le fonctionnement de RTE.

M. André Chassaigne - L'article 3 instaure le principe de séparation juridique de la gestion des réseaux de transport de l'électricité et du gaz. Le Gouvernement affirme qu'il s'agit de transcrire les deux directives européennes de juin 2003. On reconnaît là l'air connu du « c'est pas moi, c'est Bruxelles » cher aux gouvernements courageux qui n'assument pas leurs choix ultralibéraux régulièrement désavoués par notre peuple. L'Europe est un alibi bien commode, mais qui finit par mettre en péril la démocratie, comme le prouve le très fort taux d'abstention aux élections du 9 juin. Mais cet alibi ne trompe plus grand monde, d'autant que le commissaire Monti, insoupçonnable d'étatisme, a clairement indiqué qu'aucune directive ne contraignait le Gouvernement à transformer EDF et GDF en SA...

M. le Ministre délégué - Il y a longtemps qu'on n'avait pas parlé de Mario Monti !

M. André Chassaigne - Les directives ne tombent pas du ciel. Le gouvernement français y prend toute sa part. Mieux, il fait avec ce projet le choix politique d'aller au-delà de ce qu'elles imposent. Nous préconisons, nous, une renégociation des traités européens, comme celui de Barcelone. C'est possible. Ne dit-on pas ici que l'impuissance publique n'est que le fruit de renoncements successifs ? Romano Prodi a ainsi qualifié de « stupide » le pacte de stabilité. Des membres du Gouvernement ont eux-mêmes sollicité des accommodements au critère jusqu'ici intangible de limitation du déficit budgétaire à 3 % ; il est vrai que c'est pour financer la baisse de l'ISF et celle des plus hautes tranches de l'impôt sur le revenu. Une fois encore nous vous demandons de surseoir à votre projet. Les enjeux énergétiques sont suffisamment importants pour mériter une renégociation. Il faut reposer la question à l'échelle européenne et privilégier les coopérations plutôt que d'organiser des affrontements concurrentiels. Mais vous voulez, vous, aller le plus vite et le plus loin possible dans la voie de la libéralisation, alors que grandit partout la conscience que l'énergie n'est pas une simple marchandise. C'est pourquoi sans doute le projet est discuté en urgence, alors qu'il conviendrait d'examiner les propositions présentées par les organisations syndicales, et aussi d'étudier le choix d'une fusion entre EDF et GDF. Retirer le projet serait d'autant plus raisonnable que le Gouvernement a annoncé qu'un rapport lui serait remis en septembre sur l'opportunité d'ouvrir le capital ou de regrouper EDF et GDF en une seule entité.

M. Daniel Paul - L'efficacité du système électrique français réside dans le choix historique d'une intégration maximale de l'ensemble des activités qui concourent au service public. Le statut du personnel constitue l'une des garanties de cette intégration. Or cette unicité de traitement entre les agents d'EDF n'est pas assurée par la loi. Les graves incidents qui se sont produits aux Etats-Unis et en Italie ont pour causes l'insuffisance des investissements et la séparation du transport d'avec la production. En France, durant la canicule de l'été dernier, une deuxième catastrophe sanitaire a été évitée parce que les personnels d'EDF sont parvenus, forts de leurs traditions, à assurer la sécurité du système électrique dans son ensemble, plaçant le service public avant l'intérêt de l'entreprise. La séparation juridique du transport risquera au contraire de conduire à des conflits d'intérêt entre le producteur EDF et le transporteur RTE, qui pourraient provoquer des défaillances techniques du système et un enchérissement du coût de l'électricité. La directive européenne relative au marché de l'électricité définit dans son article 10 quatre critères de base à respecter pour le gestionnaire du réseau de transport : son indépendance managériale vis-à-vis de l'entreprise intégrée ; des mesures protégeant l'indépendance des dirigeants du GRT vis-à-vis de la maison mère ; des pouvoirs complets de décision du GRT pour exploiter et le réseau et investir ; des règles strictes permettant au GRT d'assurer un accès non discriminatoire au réseau. Ces critères sont largement satisfaits par l'organisation actuelle du GRT au sein d'EDF. Il est donc inutile de séparer juridiquement le transport de la maison mère.

M. le Président de la commission - Non, Messieurs Bataille et Brottes, le transport de l'électricité et du gaz n'est pas actuellement public à 100 %, comme vous l'affirmez. Il existe trois sociétés en partie privées, filiales de Total : Gaz du Sud-Ouest, Compagnie française de méthane et SEAR. C'est vous qui leur avez vendu le réseau de transport par l'article 81 de la loi de finances rectificative pour 2001. L'auriez-vous oublié ?

M. le Ministre délégué - Ce n'est pas de la schizophrénie, c'est de l'Alzheimer !

M. le Président de la commission - Votre amendement, Monsieur Brottes, tend en fait à nationaliser ces sociétés. Comme l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme impose une juste indemnisation, cette nationalisation a un coût qui représente une charge supplémentaire pour l'Etat, ce qui conduit à opposer à votre amendement l'article 40.

M. Michel Bouvard, vice-président de la commission des finances - Je pense comme le président Ollier que l'article 40 s'applique en l'occurrence. L'article 81 de la loi de finances rectificative pour 2001 a assuré le transfert de cette société dans le secteur privé. Sa réintroduction dans le public impliquerait une indemnisation, donc une création de charge. C'est donc en toute logique que votre amendement a été jugé irrecevable, et aucun des parlementaires chevronnés qui sont ici ne peut contester cette application de l'article 40.

M. François Brottes - A la lumière de cette réponse, on ne voit pas pourquoi nos amendements identiques 633 à 645 n'ont pas été déclarés irrecevables, puisqu'ils demandent que la fonction de gestionnaire du réseau de transport soit assurée par des personnes publiques. Il y a deux poids et deux mesures.

M. Daniel Paul - Notre amendement 1271 de suppression de l'article 3 est défendu.

L'amendement 1271, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Chassaigne - L'amendement 1563 tend à maintenir au sein d'EDF et de GDF les gestionnaires de réseaux de transport. Les articles 3 et suivants du projet transposent les directives du 26 juin 2003 sur le marché intérieur de l'électricité et du gaz naturel. Cependant il y a un monde entre l'exposé des motifs de l'article 3 et sa lettre. L'exposé des motifs indique que l'article 3 pose le principe de l 'exercice des activités de gestion des réseaux de transport par des "entreprises" juridiquement distinctes de celles qui exercent des activités de nature concurrentielle, à savoir la production et la fourniture d'électricité ou de gaz. Mais l'article lui-même dispose que cette activité doit être assurée par des "personnes" distinctes de celles qui assurent la production ou la fourniture. Dans un cas les activités doivent être exercées par des entreprises distinctes, dans l'autre par des personnes distinctes : ce n'est pas la même chose...

En droit, la personnalité juridique est conférée à des réalités qui nécessitent d'être protégées, qu'il s'agisse d'êtres humains - les personnes physiques - ou des groupements d'individus auxquels la loi attribue la personnalité juridique - les personnes morales. Une entreprise est une personne morale de droit privé. Donc, écrire que l'activité de transport doit être exercée par une entreprise juridiquement distincte de celle qui assure la production ou la fourniture, c'est considérer que cette activité de transport doit être confiée à une personne morale séparée. Et si l'on dit, comme le fait l'article 3, que l'activité de transport doit être exercée par des personnes distinctes de celles qui exercent des activités de production ou de fourniture, on ne tranche pas la question de savoir s'il s'agit de personnes morales ou de personnes physiques. Ainsi la rédaction de la directive, transposée dans l'article 3, tend à laisser aux Etats membres le choix de la séparation juridique mise en _uvre.

Aujourd'hui l'activité de transport est exercée par un service séparé, du point de vue managérial et comptable, au sein d'EDF, à savoir RTE. Or celui-ci est géré par des personnes physiques distinctes de celles qui assurent production et fourniture au sein d'EDF. En ce sens la séparation juridique existe déjà, et il n'est nul besoin de créer une société chargée du réseau de transport d'électricité. En le faisant, le Gouvernement va au-delà de ses obligations communautaires. Il procède à un choix lourd de conséquences, qui sonne le glas du modèle d'intégration d'EDF bâti à la Libération. Pour ces raisons, nous sommes opposés tant aux articles 3 et 4 qu'à l'article 5 de votre projet .

L'amendement 1563, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Daniel Paul - L'amendement 1695 a pour objet de remplacer dans cet article le verbe "doit" par le verbe "peut". Pour nous la gestion d'un réseau de transport d'électricité ou de gaz ne doit pas, mais peut être assurée par des personnes distinctes de celles qui assurent la produit et la fourniture : il faut préserver la possibilité de choix. En effet nous satisfaisons déjà à ce qu'exige la directive, et aux critères que j'ai rappelés. Nous pouvons adopter cet amendement et inviter sans crainte la Commission à vérifier l'efficacité du système mis en place par notre pays.

M. le Rapporteur - Défavorable.

M. le Ministre délégué - Défavorable : la directive impose la distinction.

M. Daniel Paul - Vous en faites une lecture intégriste. Le paragraphe 8 des attendus de la directive prévoit que la Commission pourra évaluer les mesures d'effet équivalent à la séparation juridique du transport élaborées par les Etats pour atteindre cet objectif. Le Gouvernement français est tout à fait habilité à proposer à la Commission ces mesures d'effet équivalent sans séparer juridiquement le transport de la maison mère.

M. le Ministre délégué - Ce serait contraire à l'article 10, paragraphe c.

M. Daniel Paul - C'est votre interprétation.

L'amendement 1695, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Daniel Paul - L'amendement 1696 a pour but de prendre à contre-pied la perspective de démantèlement de l'entreprise intégrée EDF-GDF. L'efficacité économique et technique du système électrique français résulte du choix d'une intégration maximale des activités nécessaires au fonctionnement et aux investissements de service public. Cette intégration est indispensable pour des raisons sociales, d'efficacité économique et de sûreté d'approvisionnement, et les soixante dernières années ont montré, pour le moins, la pertinence de ce choix. L'intégration permet la cohérence de notre politique énergétique. C'est pourquoi nous avons refusé votre loi d'orientation sur l'énergie, car les outils qu'elle met en place ne permettent pas de maintenir cette cohérence.

Le réseau de transport d'électricité est un élément essentiel de cette intégration, car il détermine un maillage équilibré du territoire. C'est lui qui garantit à l'usager du fin fond de la Creuse qu'il sera relié et servi avec la même qualité que celui de la capitale. Le transport est aussi une composante essentielle du prix final.

Aujourd'hui, RTE, le transporteur, est un service d'EDF avec séparation comptable. Le séparer juridiquement tout en le soumettant aux exigences du marché poussera évidemment chacun des opérateurs du secteur à tirer la marge à lui, au risque de léser le consommateur. Au transporteur qui veut augmenter ses marges, il suffira d'économiser sur les investissements d'équipement. Dans le cas de la Creuse, il suffira de réduire les investissements d'entretien des réseaux : tant pis pour les pannes éventuelles. C'est accorder moins de considération à un Creusois qu'à un Parisien et faire reculer l'aménagement du territoire.

Il serait conforme à votre pensée décentralisatrice de transférer à terme sur les collectivités locales les coûts que vous ne voulez pas laisser à la charge de RTE privatisé. En ces temps d'ouverture au marché, les collectivités locales peuvent avoir le bon goût d'assumer les charges dont vous voulez délester, non seulement l'Etat, mais également les entreprises qui héritent de ses missions....

Le statut social du personnel et les dispositions appliquées aujourd'hui aux agents d'EDF, quel que soit leur secteur d'activité, est une garantie de cette intégration. En France, pendant la canicule, une deuxième catastrophe a été évitée grâce à ces personnels. Notre opposition à l'évolution que vous voulez imprimer au réseau de transport vise à préserver l'esprit qui a permis à EDF et GDF de développer depuis 1946 une efficacité que nul ne conteste.

Mme la Présidente - Je suis maintenant saisie de treize amendements identiques 633 à 645.

M. Christian Bataille - Je remercie le rapporteur de ses références constantes et élogieuses à la loi de 2000. Je me rappelle avec émotion qu'il fut le seul de son groupe à voter avec la gauche, ce qui nous fut d'une aide précieuse, cette loi n'ayant été votée qu'à quelques voix près. Si aujourd'hui beaucoup à droite revendiquent la loi de 2000, seul M. Lenoir est en droit de le faire. Je crains toutefois de ne pouvoir lui rendre la pareille comme le voudrait la courtoisie... Des raisons profondes s'y opposent. Et par exemple je n'admets toujours pas l'explication qu'on nous a donnée sur les raisons pour lesquelles nos amendements ont été déclarés irrecevables.

Cet amendement vise à préciser que les gestionnaires de réseaux sont des personnes « publiques ».

M. François Brottes - Ce que souhaite Mme de Palacio, c'est que la gestion des réseaux soit assurée par des « personnes morales » totalement distinctes de celles qui exercent des activités de production ou de fourniture. Ce n'est pas ce qu'écrit le Gouvernement à cet article, qui n'évoque que des « personnes », sans les qualifier juridiquement. Allez-vous, Monsieur le ministre, appeler RTE EDF-Transports, ce qui serait aussi une atteinte aux principes de la directive ? Vous avez une lecture sélective des demandes de l'Europe...

M. Sarkozy ne cesse de nous dire : ne vous inquiétez pas, ce sera 100 % public. Accepter cet amendement serait confirmer cette annonce.

M. le Ministre délégué - Je vous ai répondu hier.

M. le Président - Sur le vote des amendements identiques 633 à 645, je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public.

M. Pierre Cohen - Je voudrais compléter les propos de M. Brottes par une autre question : M. Sarkozy nous a annoncé en commission que la gestion du réseau de transport serait à 100 % publique. Mais, mathématiquement, quand une structure mère est à 70 % publique, comment sa filiale, même si elle est à 100 % dépendante d'elle, pourrait-elle être à 100 % publique ?

M. Pierre Ducout - A ce qui vient d'être dit, j'ajouterai que le marché a clairement montré, notamment aux Etats-Unis, son incapacité à assurer correctement l'entretien, le renouvellement et le renforcement des réseaux de transport.

M. Jean-Louis Dumont - Il y a quelques jours, devant la commission des finances, le directeur général de la Caisse des Dépôts, interrogé sur son éventuelle entrée dans le capital du gestionnaire du réseau de transport d'électricité, indiquait que son ambition, voire sa mission, quant à la valorisation des capitaux dont il avait la charge, était d'obtenir une rentabilité à deux chiffres. Cet objectif de rentabilité financière - même s'il est au service du logement social - peut être en contradiction totale avec l'efficacité dans la prévention des ruptures d'approvisionnement.

La première directive fixait le cadre juridique dans lequel l'ensemble des réseaux de transport en Europe devait fonctionner, mais visait surtout à garantir aux fournisseurs d'électricité la possibilité de les utiliser. Ce projet est un retour en arrière quant à l'indépendance du gestionnaire.

Il serait indispensable de conserver ce qui depuis quatre ans est une formidable réussite : le gestionnaire RTE.

M. le Rapporteur - Rejet : s'agissant du transport du gaz, on ne peut exiger que tous les gestionnaires en soient des personnes publiques : actuellement, certaines relèvent du droit privé (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Ministre délégué - Mon avis sera également défavorable, mais je vais essayer de vous expliquer pourquoi.

En droit, vous l'admettrez, je pense, une société est dite publique dès lors que son capital est détenu à 50 % au moins par l'Etat. Mais, pour RTE - EDF-Transport -, M. Sarkozy a décidé de se montrer plus exigeant : la proportion sera de 100 %. On peut y parvenir en recourant à la société-mère, EDF, qui est une société publique...

M. Pierre Cohen - Les intérêts privés y sont déjà présents pour 15 % !

M. le Ministre délégué - Il n'empêche : c'est une société publique puisqu'il suffit pour cela que l'Etat en soit actionnaire à 50 %.

On peut donc atteindre l'objectif fixé par le ministre d'Etat grâce à une participation d'EDF, de l'Etat et d'autres sociétés publiques...

M. Pierre Ducout - La démonstration n'est pas probante !

M. le Ministre délégué - Si. C'est du droit et de l'arithmétique : pour que RTE soit une société à 100 % publique, il faut que 100 % de son capital soit détenu par des sociétés publiques, et une société est publique dès lors que 50 % de son capital est propriété de l'Etat ! C'est aussi simple que cela !

M. Jean-Louis Dumont - On appréciera l'habileté de la démonstration !

M. le Ministre délégué - Il suffit d'un peu de jugeote...

L'amendement 1696, mis aux voix, n'est pas adopté.

A la majorité de 31 voix contre 17, sur 48 votants et 48 suffrages exprimés, les amendements 633 à 645 ne sont pas adoptés.

L'article 3, mis aux voix, est adopté.

La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.

Prochaine séance, ce matin, jeudi 24 juin, à 9 heures 30.

La séance est levée à 1 heure 35.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU JEUDI 24 JUIN 2004

A NEUF HEURES TRENTE : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

Déclaration du Gouvernement et débat d'orientation budgétaire pour 2005.

A QUINZE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 1676) pour le soutien à la consommation et à l'investissement.

Rapport (n° 1682) de M. Gilles CARREZ, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 3ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.


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