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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 112ème jour de séance, 277ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 29 JUIN 2004

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

CONDITIONS D'EXPULSION DES ÉTRANGERS 2

IMPACT BUDGÉTAIRE DU PLAN GOUVERNEMENTAL
DE RÉFORME DE L'ASSURANCE MALADIE 2

SITUATION AU DARFOUR 4

CHÔMAGE ET RMI 4

OUVERTURE DU CAPITAL DE LA SNECMA 5

DÉLINQUANCE ET IMMIGRATION 5

DATE DES ÉLECTIONS MUNICIPALES 6

ALCOOL ET SÉCURITÉ ROUTIÈRE 7

TRAITEMENT DES DÉCHETS MÉNAGERS 8

INCITATION À L'ACHAT DE VÉHICULES
PEU POLLUANTS 8

PRÉCAUTIONS FACE À LA CANICULE 9

ADOLESCENCE 10

LOGEMENT OUTRE-MER 10

SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ
ET DU GAZ (suite) 11

RAPPELS AU RÈGLEMENT 20

ASSURANCE MALADIE 22

La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

CONDITIONS D'EXPULSION DES ÉTRANGERS

M. Pierre Morel-A-L'Huissier - La loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration a réformé le régime de la double peine. Le dispositif que nous avons adopté protège les étrangers ayant tissé des liens importants avec notre pays, et seules trois dérogations à cette protection quasi absolue sont désormais possibles. Pour l'essentiel, elles se limitent aux comportements dont la particulière gravité remet en cause la sincérité de l'attachement que l'étranger porte à la France. C'est ainsi qu'un arrêté ministériel d'expulsion concernant l'imam Bouziane a été suspendu par le tribunal administratif de Lyon (« Scandaleux ! » sur les bancs du groupe UMP).

Pour corriger cette dérive, le groupe UMP a défendu une proposition de loi de MM. Clément et Accoyer relative aux conditions d'expulsion des personnes visées à l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Monsieur le ministre de l'intérieur, pouvez-vous nous dire si cette nouvelle rédaction donnera aux pouvoirs publics les moyens juridiques aujourd'hui manquants pour éloigner du territoire national les auteurs d'actes manifestement contraires aux valeurs fondatrices de notre République ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Monsieur le député, vous avez raison : il faut protéger les étrangers et défendre nos valeurs. Le respect, la tolérance, les droits de l'homme sont des principes partagés par tous les Français. Ils ne sont pas négociables, et chacun doit le comprendre. Or, aujourd'hui, nous sommes confrontés à une nouvelle menace. Sous couvert de religion, un certain nombre d'individus s'emploient avec détermination à importer dans notre pays des doctrines et des comportements contraires à l'esprit de la République. Ainsi, dans les médias et dans les lieux de réunion, nous voyons des ressortissants étrangers s'en prendre aux femmes, à leurs droits les plus fondamentaux et même à leur intégrité physique. Ce n'est pas acceptable, et j'ai donc décidé d'exprimer clairement la détermination du Gouvernement à combattre de tels agissements.

C'est ainsi que j'ai procédé depuis le mois d'avril dernier à quatre expulsions, dont trois ont été confirmées par le tribunal administratif. Je soutiens pleinement la proposition de loi des présidents Clément et Accoyer, parce qu'elle part du constat simple que rien dans la loi ne permet aujourd'hui d'expulser quelqu'un qui appelle publiquement à la violence contre les femmes. Il fallait donc modifier l'ordonnance de 1945 et cette proposition de loi complète opportunément le dispositif créé par la loi de novembre 2003, sans bien sûr remettre en cause le principe des protections renforcées.

Par ailleurs, afin d'harmoniser les jurisprudences, je prépare avec le Garde des Sceaux un décret visant à confier la compétence nationale du contentieux des arrêtés ministériels d'expulsion au tribunal administratif de Paris. C'est par conséquent dans un esprit républicain et sans transiger sur les valeurs que nous abordons cette question difficile (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

IMPACT BUDGÉTAIRE DU PLAN GOUVERNEMENTAL DE RÉFORME DE L'ASSURANCE MALADIE

M. Jean-Marc Ayrault - Monsieur le ministre d'Etat, nous commençons cet après midi l'examen du projet de loi relatif à l'assurance maladie dans le brouillard le plus complet (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) quant à l'impact réel du plan gouvernemental. Les projections de M. Douste-Blazy, 15 milliards de ressources nouvelles et le retour à l'équilibre dès 2007, ont été contredites avec fracas par une note cosignée de vos directeurs de la prévision et du budget ! (Mêmes mouvements) Ceux-ci estiment que les mesures de redressement annoncées rapporteront moitié moins que prévu, conduiront à un déficit annuel de 15 milliards en 2007, et que le cadrage financier du Gouvernement, pour ce qui concerne les économies escomptées, repose sur des hypothèses de changement des comportements dont l'incidence est très incertaine. Si des hauts fonctionnaires n'ont pas à dicter leurs décisions aux responsables politiques, l'éclairage technique qu'ils apportent tend à remettre en cause toute la validité du plan Douste-Blazy.

Mes questions sont donc simples, et je souhaite, Monsieur le ministre d'Etat, qu'autant que sereines, vos réponses le soient tout autant ! Quid de la note émanant de vos services ? Estimez-vous, à l'instar de votre collègue de la santé, qu'elle est le fait de « technocrates qui se trompent tout le temps » ? Engagez-vous la crédibilité de votre signature de ministre d'Etat en cautionnant le chiffrage et l'économie de ce plan ? Tiendrez-vous les engagements de réduction des déficits pris solennellement devant les Français et devant nos partenaires européens ? Nous ne pouvons engager un débat sincère sur ce sujet crucial sans avoir obtenu une réponse claire à ces questions (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Monsieur le Président Ayrault, en 2004 la France s'est engagée sur un déficit équivalent à 3,6 % du PIB. J'y engage ma crédibilité, nous serons au rendez-vous. S'agissant du plan de réforme de l'assurance maladie, nous avions trois solutions. La première, c'était de faire des impôts...

M. François Hollande - Vous en avez fait !

Mme Martine David - Et la CSG ?

M. le Ministre d'Etat - J'étais contre, car cela risquait de casser la croissance. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Deuxième solution, faire des déremboursements. Avec Philippe Douste-Blazy, nous ne l'avons pas voulu (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) car cela aurait été injuste. Au reste, si nous l'avions fait, vous nous l'auriez reproché !

La troisième solution, la seule, était de parier sur un changement structurel des comportements. Mais pour obtenir un tel changement, il faut du temps, sans compter que l'évolution des comportements ne se mesure pas de façon aussi arithmétique que les effets d'un déremboursement (Murmures sur les bancs du groupe socialiste).

Pour ce qui est de la note de Bercy, peut-être ne le savez-vous pas, Monsieur Ayrault, et je ne vous en fais pas le reproche, mais tous ceux qui ont été membres d'un gouvernement savent qu'un ministre reçoit en permanence des documents de travail, destinés à nourrir sa réflexion (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Ne vous moquez pas du président Ayrault : il n'est pas le seul à n'avoir pas d'expérience gouvernementale ! (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste) Les services de Bercy sont dans leur rôle en maximisant les mauvaises nouvelles et en minimisant les bonnes (Brouhaha persistant sur les bancs du groupe socialiste qui couvre la voix de l'orateur). J'ajoute que lorsque certain gouvernement a suivi à la lettre une note de Bercy annonçant l'imminence de la récession, cela n'a pas, à l'époque, conduit à la bonne décision politique... (Rires sur divers bancs) Je revendique donc le droit pour le politique de n'être pas obligé de suivre les technocrates.

Enfin, vous vous inquiétez, Monsieur Ayrault, des vertus de notre réforme de l'assurance maladie. Si vous l'aviez menée à bien en son temps, vous n'auriez pas à vous en inquiéter aujourd'hui ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; vives protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - En votre nom à tous, je souhaite la bienvenue à Bernard Debré, élu dimanche dernier député de la quinzième circonscription de Paris (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP), et auquel je donne la parole.

SITUATION AU DARFOUR

M. Bernard Debré - Monsieur le Premier ministre, après plus de vingt ans de conflits entre le gouvernement musulman du Nord et les rebelles du Sud, le Soudan se meurt. A l'Ouest du pays, au Darfour, des centaines de milliers de réfugiés, qui ont fui leurs villages détruits, victimes d'incessantes attaques, ne survivent aujourd'hui que grâce à l'aide alimentaire et médicale des ONG. Le cessez-le-feu du 8 avril n'est pas respecté et le gouvernement de Khartoum paraît impuissant. Alors que la saison des pluies va débuter dans quelques semaines et rendre encore plus difficile le transport de l'aide, comment la France peut-elle éviter une terrible catastrophe humanitaire dans cette région du monde ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie - Je vous prie d'excuser Michel Barnier, aujourd'hui en visite dans les territoires palestiniens.

La situation au Darfour est en effet extrêmement préoccupante. D'après les informations fournies par les autorités soudanaises elles-mêmes, 1,4 million de personnes ont été déplacées. Si de l'aide ne leur est pas apportée avant la saison des pluies, un désastre humanitaire est imminent. Cette crise, conjuguée aux violations quotidiennes des droits de l'homme dans cette région du Soudan, menace non seulement le processus de paix en cours entre le nord et le sud du pays, mais aussi la stabilité de l'ensemble de la région, y compris le Tchad et la République de Centrafrique.

Depuis plusieurs mois, la France est mobilisée, à la fois sur le plan humanitaire et politique. Dominique de Villepin, alors qu'il était encore ministre des affaires étrangères, s'est rendu en février 2004 au Tchad et au Soudan. Notre pays a soutenu, avec ses partenaires européens, le processus dit de N'Djamena, lequel a conduit au cessez-le-feu du 8 avril dernier - sur place, un colonel français est vice-président de la commission du cessez-le-feu. Je me suis moi-même rendu il y a moins d'un mois à N'Djamena où j'ai rencontré le président Déby. Renaud Muselier a , pour sa part, visité récemment les camps de réfugiés du Darfour et rencontré à Khartoum le président Al Bashir. Il lui a demandé de tout faire pour désarmer les milices qui sèment le terreur au Darfour et d'assurer le libre accès des personnels humanitaires dans la région. L'aide de la France au Darfour atteint dix millions d'euros. Vous le voyez, notre pays est pleinement mobilisé (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

CHÔMAGE ET RMI

M. Gilbert Biessy - Monsieur le Premier ministre, votre Gouvernement vient d'établir un nouveau triste record avec la plus forte hausse du nombre d'érémistes jamais enregistrée depuis neuf ans. Ils sont aujourd'hui 1 190 000. Cette situation dramatique ne doit rien au hasard. Elle est la conséquence directe de votre politique : démantèlement du code du travail, laisser-faire en matière de licenciements boursiers et de délocalisations, assouplissement des 35 heures qui avaient pourtant créé des emplois (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), validation d'une convention UNEDIC inacceptable qui privait les chômeurs de leurs droits pour les faire basculer dans le RMI - justice leur a heureusement été rendue -, baisse des crédits des emplois aidés, suppression des emplois-jeunes... Voilà le résultat de votre politique : un taux de chômage de quelque 10 % et un nombre de érémistes en augmentation de 9,6 %.

Alors même que ces chiffres donnent le vertige, rien n'est fait pour répondre à ces situations d'urgence. Vous avez beau entretenir le mirage de la croissance : l'illusion ne prend pas... (« La question ? » sur les bancs du groupe UMP) Quant à votre « plan de cohésion sociale », il reste très en deçà du virage social annoncé par le Président de la République au lendemain des revers électoraux du Gouvernement. Un milliard et demi d'euros, c'est une goutte d'eau par rapport aux besoins ! Quelles mesures comptez-vous prendre pour aider les départements à faire face aux demandes de près de 1,2 million d'érémistes ? Monsieur le Premier ministre, prenez la mesure de la situation, et répondez y autrement que par de nouveaux effets d'annonce ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste)

Mme Nelly Olin, ministre déléguée à la lutte contre la précarité et l'exclusion - Sur un tel sujet, nous devrions tous réfléchir à nos responsabilités respectives. Si la situation est aussi difficile aujourd'hui, ce n'est pas du fait des réformes engagées par ce Gouvernement, mais bien plutôt de réformes trop longtemps différées (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

Depuis la création du RMI, le nombre de ses allocataires a quasiment triplé. Aujourd'hui, un érémiste sur trois perçoit le RMI depuis plus de trois ans et un sur dix depuis plus de dix ans ; plus inquiétant encore, un sur deux n'a toujours pas signé de contrat d'insertion. Face à cette situation, nous sommes plus que jamais résolus à agir avec détermination. Cette évolution n'est pas une fatalité. Nous refusons la logique d'assistance qui emprisonne ceux qu'elle paraît aider. Depuis le 1er janvier dernier, les ménages de bonne foi qui se sont surendettés peuvent enfin retrouver l'espoir (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Vous l'ignorez souverainement, mais le seul gouvernement qui ait augmenté le smic, c'est le nôtre ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

OUVERTURE DU CAPITAL DE LA SNECMA

M. Jean-Claude Decagny - Monsieur le ministre d'Etat, dans le cadre de votre politique de privatisation, vous aviez annoncé l'introduction en bourse de 35 % du capital de la SNECMA. La cotation, assurée depuis le 18 juin, a montré que cette opération était bien accueillie, d'autant qu'elle vise aussi à redynamiser l'actionnariat populaire.

Pouvez-vous nous présenter le bilan de cette opération ? Quels enseignements en tirez-vous ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Chacun connaît la mauvaise situation des marché boursiers. De nombreux observateurs nous avaient demandé, pour cette raison, de différer la privatisation de la SNECMA. Mais nous avons été volontaristes, et en fin de compte, l'offre a été deux fois souscrite. Plus que les institutionnels, ce sont 800 000 petits porteurs qui ont fait le choix de l'actionnariat populaire (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP). Quant aux salariés de l'entreprise, ils ont intégralement souscrit les 3 % du capital qui leur étaient réservés. Dans cette opération, les intérêts patrimoniaux de l'Etat ont été préservés (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste). Notre politique de l'actionnariat populaire a permis de redonner des moyens à une entreprise qui en avait besoin, d'associer les salariés au capital et de renforcer le contrôle des Français sur leur patrimoine industriel (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP)

DÉLINQUANCE ET IMMIGRATION

M. Christian Estrosi - Il y a quelques jours, un grand hebdomadaire révélait des statistiques alarmantes, provenant de l'Institut des hautes études de la sécurité intérieure et issues des travaux conduits par un chercheur réputé du CNRS. Il apparaît qu'une grande part de la délinquance est le fait de Français originaires de l'étranger ou d'étrangers présents sur notre sol (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Je prends ces statistiques avec beaucoup de hauteur (Exclamations sur les mêmes bancs), car ces données scientifiques ne valent pas pour tous les actes de délinquance. Mais elles se vérifient tout particulièrement en matière de violences volontaires et de vol à main armée.

Monsieur le ministre de l'intérieur, alors que la France s'honore d'être une terre d'accueil, un constat s'impose : les politiques d'intégration menées depuis trente ans ont fait faillite. Depuis deux ans et demi, votre prédécesseur et vous-même, avec Jean-Pierre Raffarin, regardez la situation avec lucidité. Quelle est votre analyse ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour répondre aux préoccupations des Français et de tous ceux qui vivent en France ? Les droits et les devoirs de chacun doivent être garantis sur l'ensemble du territoire national (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Le premier devoir en politique, c'est la lucidité. Que la délinquance trouve un terrain favorable chez ceux qui sont en situation de précarité, c'est vrai. Que cette réalité traduise l'échec de l'intégration dans un certain nombre de cas, c'est vrai aussi. Que l'immigration clandestine aggrave la délinquance, c'est une évidence : les filières criminelles qui exploitent la personne humaine fragilisent l'insertion.

L'échec des politiques d'intégration conduites depuis trente ans doit nous inciter à faire preuve d'humilité, mais surtout à faire mieux. Je veux certes restaurer l'autorité de l'Etat sur tout le territoire et augmenter le nombre des reconduites à la frontière, mais je compte aller plus loin et c'est pourquoi j'ai ouvert plusieurs chantiers, comme le démantèlement des grands réseaux de trafic de drogue.

Il faut s'attaquer aux racines du problème. Nous tirerons les enseignements des politiques pilotes menées dans vingt-quatre quartiers. C'est tout le sens du projet de loi de cohésion sociale.

Vous l'avez dit, la République, ce sont des droits mais aussi des devoirs. Il nous appartient de faire respecter les règles (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP).

DATE DES ÉLECTIONS MUNICIPALES

M. Bruno Le Roux - Monsieur le Premier ministre, le week-end dernier, à Châtelaillon-Plage, vous avez annoncé le report des élections municipales à six ou douze mois après l'échéance normale. Cette annonce, faite alors que vous inauguriez un marché, est désinvolte et choquante. Pourquoi, sur une décision de cette importance, n'avoir consulté ni les partis politiques, ni les associations d'élus, ni même votre ministre de l'intérieur, qui prévoyait quant à lui d'organiser ces élections en décembre 2006 ? Vous remettriez-vous à la petite cuisine électorale qui a donné la réforme des élections régionales et européennes ? (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Vous étiez passé en force en utilisant le 49-3, mais cette opération ne vous a pas réussi !

Trois principes devraient vous guider. D'abord, celui de transparence. Il faut clarifier le calendrier électoral de 2007, mais cela implique de connaître d'abord les différentes possibilités juridiques. Disposez-vous, Monsieur le Premier ministre, d'une note du Conseil d'Etat ou d'un avis du Conseil constitutionnel, et pouvez-vous, dans ce cas, nous les fournir ? Il sera ensuite nécessaire, comme l'exige l'esprit de concertation républicaine, de prendre l'avis des associations d'élus et des formations politiques. Enfin, le principe de représentativité exige que les sénateurs ne soient pas élus en 2007 par le collège électoral actuel. Ce serait inacceptable et très certainement anticonstitutionnel.

Quelle sera donc votre méthode ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Permettez...

M. Bernard Roman - Il ne peut pas répondre, il n'était même pas au courant !

M. le ministre de l'intérieur - ...que nous sortions de la suspicion pour apporter une vraie réponse à un vrai problème. Le calendrier électoral pour 2007 est intenable : élections municipales, cantonales, présidentielle, législatives, sénatoriales, il ne sera pas possible de tout faire bien dans les délais... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Alain Néri - Il n'y a qu'à dissoudre ! (Rires sur divers bancs)

M. le ministre de l'intérieur - ...pour des raisons à la fois techniques, juridiques et institutionnelles. Il faut en effet éviter une confusion entre les différentes élections.

L'élection du Président de la République rythme la vie politique. On ne peut donc pas y toucher. Il en va de même des législatives. Les élections sénatoriales ne sont quant à elles pas reportables, si l'on veut éviter le télescopage avec le débat sur la loi de finances.

Deux solutions se présentent donc. La première, qui consisterait à avancer les élections municipales et cantonales, pourrait avoir des vertus car cela permettrait que le collège électoral pour le renouvellement du Sénat soit le même qu'en 2001 et 2004, ce qui serait inédit. Mais il n'est pas certain que le Conseil constitutionnel s'accommoderait d'une telle solution. La seconde consisterait à reporter ces élections soit à la fin de 2007 soit au début de 2008, comme l'a indiqué le Premier ministre.

Notre méthode sera celle du dialogue et de la concertation (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) avec les associations d'élus, avec les groupes politiques, avec les commissions des lois et les présidences des deux assemblées, en vue de proposer un projet et un nouveau calendrier. Il y a dans ce pays assez de sujets de polémique pour ne pas en rajouter. Le calendrier électoral n'en est pas un ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste)

ALCOOL ET SÉCURITÉ ROUTIÈRE

M. Yves Boisseau - En faisant de la lutte pour la sécurité routière l'une de ses priorités, le Gouvernement a obtenu une baisse significative du nombre d'accidents et de tués. Mais la situation des conducteurs de 18 à 24 ans reste préoccupante, car cette tranche d'âge représentait 22 % des victimes de la route en 2003, près de la moitié de ces accidents mortels étant liée à une surconsommation d'alcool.

Vous avez déjà pris, Monsieur le ministre des transports, des mesures visant à sensibiliser davantage tant les responsables de discothèques que ceux des débits de boisson, mais ces efforts ne risquent-ils pas d'être compromis par l'apparition régulière de nouveaux produits vendus à bas prix ? Je veux parler des « prémix » et autres « prêts à boire ». Une célèbre marque d'apéritif a lancé récemment un mélange de ce type qui vise les jeunes et qui sera disponible prochainement dans tous les supermarchés.

Comment concilier le respect des activités professionnelles concernées et une politique volontaire de santé publique et de sécurité routière ? Et quelle politique de prévention comptez-vous mettre en _uvre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer - Lorsqu'on conduit, l'excès d'alcool tue. Nous estimons que plus de 1 600 personnes auraient la vie sauve chaque année si les textes étaient respectés et si les conducteurs évitaient l'abus d'alcool. J'ai donc réuni, voici quelques semaines, les directeurs de discothèques et d'établissements distribuant de l'alcool afin de leur demander de travailler avec nous. J'ai eu en face de moi des professionnels extrêmement responsables, avec lesquels je m'apprête à signer une charte de partenariat contenant des mesures telles que la présence obligatoire, dans ces établissements, d'éthylotests ou la promotion d'opérations dites « capitaine de soirée » - dont le principe est que celui qui conduit ne boit pas. J'espère que cette charte pourra être signée dans les semaines qui viennent et que l'été sera ainsi plus sûr pour les jeunes sur les routes.

Les boissons nouvelles et les « prêts à boire » dont vous parlez sont, c'est vrai, une source d'accidents. C'est pourquoi j'ai lancé cette semaine une opération « éthylo à un euro », à laquelle les pharmaciens se sont largement associés, puisqu'ils ont déjà acheté 260 000 éthylotests, qui sont tout à fait fiables et que j'invite chacun à utiliser (Sourires) afin que nous passions tous un meilleur été (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

TRAITEMENT DES DÉCHETS MÉNAGERS

M. Thierry Mariani - Le développement de la société de consommation s'est accompagné d'une croissance alarmante de nos déchets ménagers, de sorte que notre pays sera très bientôt confronté à une pénurie des installations de traitement. En novembre 2003, un rapport parlementaire tirait déjà la sonnette d'alarme, soulignant que la fermeture récente d'une trentaine d'incinérateurs, combinée à l'accroissement continu de la production de déchets, rendait particulièrement aigu le problème du stockage et du traitement de ces derniers. La fermeture, d'ailleurs tout à fait justifiée, de plusieurs décharges illégales ou obsolètes, et l'insuffisance du recyclage ainsi que de la réduction à la source, rendent d'autant plus urgentes les mesures à prendre en ce domaine. Le rapport Blessig préconisait le recours à des installations de proximité respectueuses de la santé et de l'environnement. Les installations modernes de stockage et de traitement sont sûres et non polluantes ; elles combinent tri, recyclage et valorisation énergétique.

Une telle installation est à l'étude à Valréas. Ce projet permettra une valorisation énergétique des déchets en toute sécurité, l'électricité produite grâce à la méthanisation étant réinjectée dans le réseau EDF. Les installations de ce type restent hélas en nombre insuffisant, alors même qu'elles contribuent à la protection de l'environnement. Elles se heurtent en effet aux réticences de la population, à cause d'opposants virulents qui se complaisent à jouer sur la peur.

Qu'envisagez-vous, Monsieur le Ministre de l'environnement, pour réduire les déchets à la source et quelle est votre position sur ce type d'installations ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP, du groupe UDF et sur les bancs du groupe socialiste)

M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable - Les volumes de déchets ne cessent d'augmenter, il faut les diminuer. J'ai donc demandé aux grands distributeurs d'éviter le suremballage et de réduire la distribution de sacs de caisse. Par ailleurs j'ai lancé un autocollant "stop pub" pour les personnes qui ne souhaitent pas recevoir de prospectus dans leur boîte aux lettres.

Le second problème est celui de la valorisation et du traitement des déchets. Je partage votre préoccupation devant la pénurie annoncée d'installations de traitement. Aussi faut-il ici être pragmatiques et refuser tout dogmatisme : les situations doivent dépendre des situations locales. Il faut d'abord trier et recycler, après quoi plusieurs solutions sont possibles : mise en compost, incinération avec récupération de l'énergie, mise en centre d'enfouissement technique en récupérant les gaz produits. Le projet situé à Valréas répond aux exigences environnementales. Il a d'ailleurs passé avec succès les différentes étapes d'instruction, dont l'enquête publique et le passage en commission départementale d'hygiène. Les prescriptions techniques proposées par les services de l'Etat permettront d'atteindre un très haut niveau de qualité sanitaire et environnementale (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

INCITATION À L'ACHAT DE VÉHICULES PEU POLLUANTS

M. Christophe Caresche - Monsieur le Ministre de l'Écologie, le plan santé -environnement, annoncé la semaine dernière par le Premier Ministre, comprenait une mesure phare : l'instauration d'un système bonus-malus pour inciter à l'achat de voitures moins polluantes. L'idée était de taxer à l'achat les véhicules non équipés pour lutter contre l'émission de gaz carbonique et de particules diesel.

Une semaine après cette annonce spectaculaire, il ne reste rien de ce projet, ou presque (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Vous avez en effet été immédiatement désavoué, Monsieur le Ministre, par M. Accoyer, président du groupe UMP, qui s'est fait l'ardent défenseur de l'industrie automobile, mais aussi par votre collègue M. Devedjian, qui a jugé la mesure "un peu embêtante". Vous venez de faire l'expérience, non seulement de la solidarité qui règne dans votre majorité (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), mais surtout de la difficulté de porter une politique écologique au sein d'un gouvernement qui y est fondamentalement hostile (Mêmes mouvements). Un mois seulement après le vote par l'Assemblée de la Charte de l'environnement, cette première volte-face montre que son adoption par la majorité n'exprime qu'un unanimisme de façade et un pur affichage. Face à l'opposition de vos amis, vous avez dû reculer. Vous avez annoncé le report de la mise en _uvre de ce dispositif en déclarant qu'il serait soumis au Parlement avant la fin 2004. Ma question est simple : avez-vous pour cela l'appui du Premier Ministre et de la majorité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable - Vous parlez de recul. Il est vrai que sous les gouvernements socialistes il n'a pu y avoir de recul en matière d'environnement, car il n'y avait même pas d'annonces ! (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

La pollution de l'air et le réchauffement climatique sont un enjeu majeur, et le secteur de transports est un de ceux dont les émissions de gaz à effet de serre croissent le plus : plus de 21 % en plus depuis 1990. La tendance est à une hausse constante. Il faut donc prendre des mesures significatives dans le cadre du plan climat.

De nombreux pays européens ont des systèmes d'incitation fiscale à l'achat des véhicules ou sur leur durée de vie, en fonction de leur consommation d'énergie. La France se doit de réfléchir à un tel dispositif. L'idée du bonus-malus consiste à moduler le prix de vente des véhicules en fonction de leur impact écologique, en offrant pour les véhicules les moins polluants une prime à l'achat financée par une contribution des plus polluants. C'est un principe de péréquation, sur lequel j'ai engagé sans préjugé la concertation. Au niveau national, nous mènerons avec le Parlement une large réflexion à ce sujet. Au niveau européen, j'en ai discuté hier encore avec mes homologues au Conseil de l'environnement, et nous aurons des échanges avec la Commission dans les prochains jours.

M. Maxime Gremetz - Et les poids lourds, pourquoi n'en parle-t-on jamais ?

M. Henri Emmanuelli - Chacun aura noté que personne n'applaudit !

PRÉCAUTIONS FACE À LA CANICULE

M. Claude Goasguen - Monsieur le Ministre chargé des personnes âgées, beaucoup de Français qui nous regardent en ce moment, dans les maisons de retraite, dans les hôpitaux ou chez eux, ont besoin d'être rassurés. Ils s'inquiètent de l'arrivée de la canicule. Ils vous demandent de les rassurer sur les précautions prises depuis l'an dernier. Un journal du matin affirme que certains hôpitaux parisiens ne sont pas encore équipés de dispositifs de précaution pourtant prévus depuis un an, ce qui peut créer une inquiétude légitime.

Pouvez-vous nous dire ce qu'il en est vraiment des maisons de retraite, des hôpitaux, des cliniques, et si nous sommes en mesure de rassurer les Français, notamment les Parisiens (Exclamations sur divers bancs), sur les préparatifs faits dans ce domaine (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Hubert Falco, ministre délégué aux personnes âgées - La mise en place du plan canicule se fait d'une manière accélérée. Au début de l'année, 12% des maisons de retraite publiques et 25% des maisons de retraite privées étaient équipées en pièces rafraîchies : nous en avons aujourd'hui 65%. A Paris, 90% des maisons de retraite sont équipées, ainsi que 93% des hôpitaux de l'Assistance publique. Au total 65% des hôpitaux et cliniques sont équipés.

D'autre part nous avons pris des dispositions pour que 92% des lits d'hôpitaux restent ouverts en juillet et août, contre 70% l'été dernier. Nous avons également fait en sorte, avec M. Douste-Blazy (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste), que les maisons de retraite puissent embaucher du personnel temporaire durant l'été, et débloqué 26 millions d'euros à cette fin (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Soyez plus modestes devant un problème si grave ! Vous n'avez pas de leçons à nous donner (Mêmes mouvements). Nous avons pris toutes les précautions, et mis en place un plan de veille et d'alerte d'urgence qui n'existait pas, ainsi qu'un plan bleu pour les maisons de retraite, que nous avons actionné au niveau 3 en région PACA dès mardi.

Nous sommes prêts pour affronter de façon responsable une nouvelle canicule, et notre souhait à tous est que l'été 2004 ne ressemble pas à l'été 2003. Quant à notre effort financier, il est sans commune mesure avec celui de nos prédécesseurs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Michel Delebarre - Rafraîchissez-le !

ADOLESCENCE

M. Bruno Gilles - L'adolescence, Madame la ministre de la famille, a été la grande oubliée de la politique familiale. Age de toutes les espérances, elle a été trop souvent délaissée par les pouvoirs publics.

Les problèmes, et parfois les souffrances, auxquels les adolescents sont confrontés ont souvent été mal appréhendés. Aujourd'hui l'adolescence commence plus tôt et dure plus longtemps (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste). Cette longue période impose aux adultes d'aider les jeunes dans leur apprentissage des responsabilités puis à faire vivre leurs ambitions. Votre prédécesseur avait créé trois groupes de travail afin de proposer des réponses concrètes aux attentes des adolescents. Sur cette base , les orientations d'une véritable politique de l'adolescence ont été arrêtées ce matin lors de la conférence de la famille. En quoi consiste-t-elle exactement ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

Mme Marie-José Roig, ministre de la famille et de l'enfance - Oui, le choix, cette année, du thème de l'adolescence pour la conférence de la famille répond aux besoins que vous avez notés : le temps de l'adolescence s'est allongé, il est celui de toutes les utopies, de tous les élans et de tous les dangers (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Trois axes ont été définis. Nous souhaitons que les adolescents s'engagent réellement dans la vie associative, comme le permet le code civil. Nous souhaitons également solenniser le passage à la majorité civique en instaurant le rite républicain de la remise de la carté d'électeur. Nous allons enfin valoriser les initiatives prises par les adolescents en dehors de l'école (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), ainsi que leur approche du travail, en défiscalisant les revenus de leur travail.

En classe de cinquième, une rencontre médicale permettra de déceler les petites fissures qui risqueraient de devenir de grandes failles (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), grâce à un examen gratuit confié à des généralistes spécialisés dans les problèmes spécifiques de l'adolescence (Mêmes mouvements). En accord avec Philippe Douste-Blazy (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) et en concertation avec les collectivités locales, nous allons créer des maisons de l'adolescent, qui seront des lieux d'écoute et d'accueil, afin que nos jeunes parviennent à l'âge adulte dans les meilleures conditions (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

LOGEMENT OUTRE-MER

Mme Huguette Bello - Monsieur le ministre de la cohésion sociale, la crise du logement est générale. A deux jours des assises nationales du logement, je souhaite appeler votre attention sur la situation de l'outre-mer, où l'accès au logement rencontre des difficultés particulièrement graves. Les retards accumulés qui s'ajoutent aux contraintes nouvelles font du logement le premier problème de ces territoires, à égalité avec l'emploi ; le récent rapport de Marie-Claude Tjibaou confirme ce diagnostic.

Alors que l'on compte 100 000 demandes de logements, seuls 10 000 sont financés chaque année, dont la moitié se compose de logements locatifs sociaux. A la Réunion, le déséquilibre du marché du logement ne cesse de s'accentuer. Le surpeuplement concerne plus d'un ménage sur cinq . La recrudescence de logements informels sévit. Dans le même temps les crédits affectés au logement, pourtant insuffisants, ne sont pas épuisés. Ce paradoxe bien connu est imputable principalement à l'augmentation continue du prix des terrains, et à la complexité des financements.

Tous les acteurs concernés reconnaissent aujourd'hui que la chaîne de construction de logements est en panne, et qu'une réforme est nécessaire, d'autant que la croissance du nombre des ménages entraînera inexorablement une augmentation des besoins en logements pendant les vingt prochaines années, ce qui suppose de construire 9 000 logements par an, dont deux tiers de logements sociaux. Avec l'emploi, dont les crédits viennent de subir une amputation budgétaire de 12 millions d'euros, le logement est, outre-mer, l'autre facteur de la cohésion sociale.

Envisagez-vous un volet spécifique pour l'outre-mer, tant à l'intérieur du plan de cohésion sociale qui sera présenté demain, que dans la future loi «habitat pour tous » ? (Applaudissements sur divers bancs)

M. Marc-Philippe Daubresse, secrétaire d'Etat au logement - Le Gouvernement partage votre diagnostic alarmant sur la situation du logement outre-mer et a bien l'intention d'apporter des réponses précises à la crise actuelle. Demain, Jean-Louis Borloo, avec les cinq ministres qui l'entourent, présentera sous l'autorité du Premier ministre, un plan de cohésion sociale tendant à mobiliser des moyens exceptionnels, sur une période limitée, dans les domaines de l'emploi, du logement et de l'égalité des chances.

Le cas de l'outre-mer est particulier, puisque le logement y relève de la LBU. Cependant la boîte à outils du plan de cohésion sociale, qu'il s'agisse du domaine foncier, de la mobilisation du parc privé ou de la méthode nouvelle applicable à la production de logements sociaux - que nous voulons fortement augmenter durant cinq ans -, pourra s'appliquer à l'outre-mer. Nous étudierons donc, avec Mme Girardin, les propositions que vous nous ferez dans le cadre des assises nationales du logement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 15.

SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ ET DU GAZ (suite)

L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - Je m'exprime également au nom du rapporteur, M. Lenoir, malheureusement empêché.

Il a été décidé au sommet de Barcelone, en mars 2002, avec l'accord de Lionel Jospin, Premier ministre, d'ouvrir à la concurrence le marché européen de l'énergie dès le 1er juillet 2004. Mais le gouvernement de l'époque n'ayant rien fait pour adapter EDF et GDF à ce nouveau contexte, il revenait au gouvernement actuel de le faire. Il le fait, avec le soutien de la majorité. Comment, sinon, affronter la concurrence en Europe ?

Oui, la majorité est attachée, autant que l'opposition, à la réussite d'EDF et de GDF....

Plusieurs députés socialistes - Sûrement pas !

M. le Président de la commission - ...et à ce qu'elles remplissent leurs missions de service public !

Mme Martine David - Ce n'est pas vrai !

M. le Président de la commission - Nous sommes attachés, autant que vous, au respect des engagements pris envers les agents tant sur le statut que sur les retraites, et je le dis solennellement au nom de la majorité.

Nul d'entre nous ne veut porter atteinte à ces fleurons de notre industrie nationale...

M. Pierre Ducout - Vous peut-être pas, mais beaucoup d'autres , si !

M. le Président de la commission - ...dont les agents sont dévoués et compétents.

Mais dans un marché ouvert à la concurrence, ces entreprises ne peuvent plus bénéficier de la garantie illimitée de l'Etat, elles ne peuvent plus être des EPIC (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Elles deviendront donc des sociétés anonymes dont l'Etat possèdera 70 % du capital, ce dernier point résultant d'un amendement de la commission que je remercie M. Sarkozy d'avoir accepté.

M. Pierre Ducout - Il faut 100 % !

M. le Président de la commission - EDF et GDF ont aussi besoin de capitaux pour se moderniser face à la compétition européenne. Or, depuis vingt-deux ans, aucun Gouvernement n'a apporté son soutien financier à EDF.

Par ailleurs, la majorité a choisi d'assurer la pérennité du nucléaire avec l'EPR (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP). J'en suis heureux. L'actuelle opposition, elle, avait tergiversé pendant cinq ans (« C'est faux » ! sur les bancs du groupe socialiste) alors même qu'elle savait qu'il devenait nécessaire de préparer le renouvellement de nos 58 réacteurs nucléaires et qu'il faut quinze ans au moins pour assurer le déploiement industriel de l'EPR.

Oui, EDF sera l'instrument de ce vaste projet industriel. Pour cela, elle a besoin de capitaux...

M. Pierre Ducout - De 100 % de capitaux publics !

M. le Président de la commission - ...C'est pourquoi 30% du capital pourront être ouverts à d'autres investisseurs que l'Etat.

Et c'est en raison de la spécificité de ce projet nucléaire que nous n'avons pas l'intention de privatiser EDF (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Je le répète pour l'opposition qui fait semblant de ne pas le comprendre : qu'EDF soit un établissement public ou une société anonyme détenue à 70 % par l'Etat, de toutes façons, il faudra une nouvelle loi pour la privatiser ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Alors , cessez d'entretenir ce fantasme, cessez d'inquiéter les agents et de mettre leurs légitimes interrogations au service de vos intérêts politiques ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Vous ne rendez service ni à EDF-GDF, ni à la France !

Vous créez ainsi les conditions qui ont conduit à des actes absolument inacceptables d'une infime minorité ...

M. Pierre Ducout - Les irresponsables, c'est vous !

M. le Président de la commission - ....pour empêcher le débat démocratique, notamment en prenant en otages les usagers des transports en commun. Cela, nous ne pouvons pas l'accepter ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) D'ailleurs des organisations syndicales, dont l'organisation majoritaire, ont condamné ces actes qui constituent de véritables sabotages, faisant ainsi preuve de plus de responsabilité que certains dans l'opposition.

De tels actes sont d'autant plus scandaleux que nous ne touchons ni au statut du personnel, ni aux retraites, dont nous garantissons le financement par la caisse nationale de retraite des industries électriques et gazières. En définitive, c'est d'abord pour le personnel que cette réforme est faite, et l'opposition a tort de manier des contrevérités pour susciter les réactions de ceux qui, naturellement, veulent préserver leur situation.

Enfin, je suis heureux que le gouvernement ait accepté l'amendement que j'ai déposé avec M. Lenoir pour permettre la participation des agents à hauteur de 15% du capital. Le gaulliste que je suis se réjouit de voir cette idée mise en _uvre dans des entreprises qui sont des symboles de notre réussite industrielle.

Je remercie la majorité, qui a bien fait son travail tout au long du débat et je remercie le Gouvernement pour l'esprit d'ouverture dont il a fait preuve, comme pour avoir su, avec courage et pragmatisme, proposer cette réforme vitale pour nos entreprises, pour le service public et pour la nation. Je vous invite à la voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Le Gouvernement remercie les parlementaires, de l'opposition comme de la majorité, qui ont tous, à leur manière, manifesté leur attachement à ces deux grandes entreprises que sont EDF et GDF. Il vous remercie également, Monsieur le Président, d'avoir présidé de nombreuses séances, notamment celle de la dernière nuit de débat.

Cette réforme est importante, car elle démontre que l'on peut moderniser le service public dans notre pays : (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) nous avons démontré que le service public n'est pas condamné à l'immobilisme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Comment imaginer que le statut de 1946 permettrait d'affronter les défis de 2004 ? Cette réforme, de nature industrielle, va permettre aux deux entreprises de devenir des champions européens en ayant les moyens financiers et juridiques de leur développement. Après 1946, année fondatrice où fut instauré le statut, le début des années 1970 où se fit le choix du nucléaire, la troisième date marquante pour l'entreprise sera désormais 2004, avec ce nouveau statut qui lui permettra d'affronter la concurrence (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). La majorité était au rendez-vous. C'était le droit de l'opposition de ne pas y être.

Cette réforme permet aussi à la France d'honorer la parole du Premier ministre Lionel Jospin et du Président de la République à Barcelone. Grâce à vous, leurs engagements sont tenus.

Enfin, elle illustre note volonté de dialogue social. Il ne s'est jamais démenti au cours de ces trois derniers mois, y compris dans les moments les plus tendus. Qu'on fasse la comparaison avec d'autres crises sociales. Il y a eu des incidents, des incompréhensions, nous sommes allés à la rencontre des électriciens et des gaziers sur le terrain. Il y a eu des manifestations (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Mais dans leur immense majorité, les organisations syndicales d'EDF et GDF ont fait preuve d'un sens des responsabilités qui est à leur honneur. Ce n'était facile pour personne, et chacun était poussé à avoir une réaction idéologique. La majorité ne l'a pas voulu, les organisations syndicales non plus...

M. Maxime Gremetz - Ce n'est pas fini !

M. le Ministre d'Etat - Je regrette que l'opposition, seule, ait eu par moments ce comportement idéologique (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Aussi pouvons-nous dénoncer avec force des incidents inacceptables. Des plaintes ont été déposées et des sanctions seront prises, car ce n'est pas la tradition à EDF ou GDF que des agents endommagent des installations qui sont sous leur garde. Ne faisons pas d'amalgame, mais n'ayons aucune indulgence pour ce qui est inacceptable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Cette réforme, on en parlait depuis des années, grâce à vous, elle est faite (Mêmes mouvements).

M. le Président - Nous en arrivons aux explications de vote.

M. Jean Dionis du Séjour - Avec ce projet, Electricité et Gaz de France rompent avec le modèle économique de la reconstruction et du développement industriel de notre pays au cours de la deuxième moitié du XXe siècle et tournent une page brillante de leur histoire. Le groupe UDF comprend l'émotion que suscite cette réforme au sein de la communauté des électriciens et des gaziers. Tout au long du débat, notre groupe a fait entendre une parole libre. Il s'est ainsi réjoui que soit adopté son amendement tendant à renforcer les missions de service public dévolues aux entreprises et à prévenir toute disparition des agences locales d'EDF et de Gaz de France, tant redoutées par les populations des zones rurales. Nous regrettons, en revanche, que notre proposition visant à transposer en droit interne la notion de service universel telle que posée par la directive européenne n'ait pas été entendue. Nous avons collectivement manqué d'audace en refusant d'inscrire dans la loi que le marché de l'énergie doit être fondé sur un secteur concurrentiel fort, sur une branche assurant la régulation du système et la promotion des énergies renouvelables et sur un service universel dans l'acception communautaire du terme.

Parole libre, encore, lorsque nous avons approuvé l'intégration dans le même groupe des activité de production, de transport et de distribution et votre décision de renvoyer à plus tard la délicate question de la fusion des deux entreprises - à laquelle je suis personnellement plutôt favorable.

Parole libre, ensuite, lorsque nous nous sommes opposés au statu quo social et au maintien du régime spécial de retraite, y compris aux agents recrutés après le changement de statut, manifestement contraire à la réforme des retraites de l'été dernier. Oui au respect de la parole donnée aux agents en place. Non au maintien d'avantages rompant l'égalité entre les salariés de ce pays pour les nouveaux entrants. Votre choix du statu quo social - alors qu'EDF accuse 29 milliards de dettes et que le financement du régime spécial mobilise 6% de son chiffre d'affaires - est socialement inéquitable et économiquement contre-productif. Au surplus, il y tout lieu de craindre que la dette sociale et managériale de l'entreprise ne soit finalement payée par le client, exposé à une hausse des prix contre laquelle il n'aura guère de recours.

Parole libre, enfin, lorsque nous nous déclarons favorables à l'ouverture du capital, dont ce projet de loi est le c_ur. A ce sujet, d'aucuns vous reprochent de vouloir changer à tout prix une formule qui gagne. Mais il faut le faire, tout simplement parce que le monde change. Et s'il ne nous revient pas de trancher la controverse entre Mme de Palacio et M. Monti, force est d'admettre que le risque de saisine de la CJCE par un pays tiers auquel nous exposait le maintien du statut d'EPIC et de la garantie de l'Etat était bien réel.

Grâce à un statut rénové, EDF - dont le besoin de financement est estimé à 15 milliards - pourra poursuivre le renouvellement de son parc nucléaire - notamment grâce au réacteur à eau pressurisée - et conforter sa position en Europe. Fort d'une stratégie industrielle offensive, Gaz de France - dont le besoin de financement s'établit à 16 milliards - s'est fixé l'objectif de gagner quatre millions de nouveaux clients français en quatre ans et de développer ses parts de marché à l'international.

Entre l'immobilisme et le développement industriel, le choix est aisé, mais qui va payer ? Faute d'une quelconque recapitalisation - pas un sou injecté au cours des deux dernières décennies -, la capacité d'autofinancement des entreprises est au plus bas et leur niveau d'endettement reste conséquent. Au reste, les situations respectives d'EDF et de Gaz de France - plus distributeur et transporteur que producteur - doivent faire l'objet d'un traitement distinct et nous regrettons de n'avoir pas été suivis, dans la nuit de vendredi, lorsque nous avons proposé que l'Etat conserve au moins 50 % du capital de Gaz de France. Puisse, dans sa sagesse, le Sénat se montrer plus persuasif !

Même incomplet, ce texte donne à nos entreprises énergétiques une perspective à vingt ans. C'est pourquoi le groupe UDF le votera sans réserve (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Daniel Paul - Dans la nuit du 25 au 26 juin 2004, votre majorité a voté l'ouverture à 30 % du capital d'EDF, transformant l'opérateur public en société anonyme. Vous avez ainsi pris, devant le pays et devant l'histoire, la lourde responsabilité de détruire un outil national pour le mettre au service des financiers (Murmures sur les bancs du groupe UMP). Tout au long de la discussion, notre groupe a expliqué les raisons pour lesquelles le statut d'EPIC devait être préservé. En effet, les motifs des responsables politiques de l'époque restent valides. Ainsi, Marcel PAUL, le 27 mars 1946, à un député qui l'interrogeait sur les principes guidant la politique du Gouvernement, répondait : « Faire en sorte que les intérêts privés n'aient pas la possibilité de s'opposer aux intérêts du pays ». Ce que Joseph Laniel reprenait à son compte en disant « L'orientation, l'exploitation , le contrôle de la gestion, la surveillance de l'administration des sociétés étant organisés de haut en bas, il n'existe pas la plus petite possibilité de voir une coalition quelconque d'intérêts privés s'opposer à l'intérêt général ».

Qui oserait dire aujourd'hui que tout cela n'a plus cours ? L'électricité n'est pas un bien comme les autres ; elle est indispensable à la vie, à l'activité économique et à l'indépendance du pays. Elle doit donc être soustraite aux intérêts marchands, pour demeurer accessible à tous, dans le cadre d'une péréquation nationale. Et ce constat se trouve encore renforcé par ce que l'on sait aujourd'hui des relations entre la politique énergétique et l'environnement, de sa contribution à l'effet de serre et aux modifications climatiques, ou bien encore de la raréfaction des sources d'énergies fossiles.

Nos prédécesseurs d'il y a soixante ans ignoraient tout cela. En nationalisant EDF et GDF et en faisant des Français les véritables propriétaires de ces entreprises, ils ont pourtant vu juste. Las, vous n'en avez cure et vous choisissez de spolier les Français (Interruptions sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) . Oui, Monsieur le Ministre d'Etat, c'est à une spoliation que vous vous livrez et nous demandons que le peuple soit consulté par référendum (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Vous vous plaisez à évoquer l'Europe et l'accord de Barcelone : ce n'est pas d'aujourd'hui que date notre condamnation du socle libéral d'une construction européenne mettant à mal les services publics dans tous les pays. L'accord de Barcelone n'a jamais eu notre soutien... (« Gayssot ! Gayssot ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP) et nous demandons la renégociation de tous ces traités ultra-libéraux et rétrogrades.

Rien ne vous oblige à ouvrir le capital de nos entreprises, sinon votre vision dogmatique. A plusieurs reprises, nous vous avons demandé de rouvrir les négociations en prenant appui sur les déclarations de M. Monti et sur le bilan que chacun peut tirer de la libéralisation dans les pays qui nous ont précédés dans cette voie. Qu'il s'agisse de la Californie, de l'Italie, du Royaume Uni ou de l'Espagne, les mêmes causes ont partout entraîné les mêmes effets ! L'introduction d'intérêts privés dans la production d'électricité alimente le risque car le privé a besoin de rentabilité à court terme alors que la production d'énergie appelle des investissements durables à rentabilité différée. Chacun sait notamment que les pics de consommation nécessitent des moyens de production intervenant « à la pointe », dont la rentabilité immédiate n'est pas garantie. Il y a par conséquent tout lieu de craindre que ne surviennent des ruptures d'approvisionnement ou un recours massif à des moyens de production peu soucieux de l'environnement.

Un autre bilan est bien établi : Électricité et Gaz de France ont contribué de manière décisive à la reconstruction puis à l'essor de notre outil industriel, et vous mentez en disant que la concurrence et l'ouverture du capital vont faire baisser les prix ! Ce sont les responsables des plus grandes entreprises de notre pays - et, partant, celles qui consomment le plus d'électricité -, M. Gallois, président de la SNCF, M. Beffa, président de Saint-Gobain, M. Brun, président de l'Union française de l'Electricité ou encore M. Peyrelevade, qui vous ont alertés sur les conséquences de la hausse de prix pour leurs entreprises.

Vous prétextez aussi qu'EDF ayant besoin d'un afflux de fonds propres, seuls les marchés financiers peuvent le lui procurer. Mais à quelle fin ? S'agit-il de lui permettre de se fourvoyer une nouvelle fois dans des aventures extérieures ? Vous connaissez notre opposition à ce monopoly boursier qui n'est en rien conforme à la vocation d'une entreprise publique. Et s'il ne s'agit que de faire face aux besoins de notre pays ou de nouer des coopérations en Europe et dans le reste du monde, EDF n'est pas confrontée aux problèmes que vous vous plaisez à décrire, en dépit des ponctions financières auxquelles l'Etat procède chaque année sur son résultat !

Vous voulez supprimer le principe de spécialité, au risque de permettre à EDF de s'allier avec un autre gazier et Gaz de France avec un autre opérateur d'électricité ! C'est pousser à une concurrence fratricide entre nos deux champions. Nous plaidons au contraire pour leur fusion, laquelle pourrait valablement s'appuyer sur les 64 000 agents du service commun de distribution.

La vérité, c'est que nous ne trouvons dans votre projet aucun motif de satisfaction ! Et quand nous avons souhaité améliorer la sécurité dans les centrales nucléaires où sévit le recours à la sous-traitance la plus dangereuse qui soit, vous vous y êtes opposé ! Autant dire que vous acceptez de couvrir les accidents qui pourraient survenir. Comptez sur nous pour que votre attitude soit connue.

Vous avez aussi refusé notre amendement visant à empêcher les collectivités locales qui, demain, seront actionnaires d'EDF et de GDF, de vendre au privé leurs actions, comme ce fut le cas pour la Compagnie Nationale du Rhône.

Vous refusez d'entendre les salariés qui rejettent le bradage d'une entreprise nationale. Vous refusez d'entendre la majorité des Français qui réprouvent votre projet. Vous refusez d'écouter les inquiétudes des responsables économiques soucieux de la compétitivité de nos entreprises.

Vous avez annoncé qu'un groupe de travail vous remettrait un rapport en septembre sur les avantages et les inconvénients d'une fusion entre EDF et Gaz de France, et qu'un autre groupe de travail vous rendrait compte, dans un an, des besoins, avérés ou non, de fonds propres pour EDF. Ce sont là deux sujets dont la réponse modifierait la donne ! Au reste, cela ne vous empêche pas de poursuivre sur la voie de la privatisation sans attendre leurs conclusions. Incohérence, ou volonté délibérée de tromper l'opinion ? Vous aviez indiqué que l'Etat conserverait 50 % du capital de l'entreprise ; puis ce fut 70 % ou finalement la totalité ! Dans la nuit de vendredi à samedi, nous en sommes revenus à 70 %... Quoi qu'il en soit, dans quelques mois sinon quelques semaines, le privé entrera donc dans le capital d'EDF et de GDF.

En votant un tel texte, nos collègues de la majorité choisissent de pénaliser nos entreprises, puis nos concitoyens par des hausses de prix de l'électricité et du gaz. Ils prennent aussi le risque d'une rupture dans la continuité des approvisionnements, ainsi que celui de voir ces secteurs désormais dominés par des intérêts financiers. Ils orchestrent également la fin de la péréquation tarifaire.

En votant un tel texte, ils se soumettent au diktat des marchés financiers, alors qu'il faudrait imaginer une Europe de l'énergie fondée sur la coopération, et non la concurrence dont la seule raison d'être est de prendre de nouvelles parts de marché.

En votant un tel texte, vous tournez le dos aux principes voulus par les pères de 1946 qui avaient vu juste, mais aussi aux intérêts, actuels et futurs de notre pays. Deux dates resteront : 1946, création de ces deux grandes entreprises nationales que sont EDF et GDF ; 2004, casse de ces entreprises (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

Vous êtes un gouvernement de mission, soutenu par une majorité parlementaire qui est restée étrangement silencieuse durant le débat. Bien que minoritaires dans le pays (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), vous voulez, coûte que coûte, porter les plus mauvais coups aux acquis sociaux de notre papys. Lorsque les conséquences de ce texte pénaliseront les entreprises et les ménages, il vous faudra assumer vos responsabilités.

La bataille n'est pas finie, et le vote de ce soir ne signera pas la fin de l'histoire. Vous avez dû donner des gages et faire des concessions : comptez sur nous pour y appuyer notre combat, qui continue. Nous sommes aux côtés des électriciens et des gaziers, aux côtés de tous les citoyens qui refusent la situation, de tous ceux qui souhaitent qu'en ce XXIe siècle, nos atouts nationaux puissent devenir aussi ceux d'une Europe qui donne la priorité aux intérêts humains et non financiers (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. François-Michel Gonnot - Eh bien, oui, le groupe UMP va prendre ses responsabilités devant l'histoire en votant ce projet de loi nécessaire à la survie comme au développement de EDF et GDF.

Le monde a changé depuis soixante ans. Si nous assumons pleinement l'héritage de la loi de 1946, laquelle a permis de faire de EDF et GDF les plus belles entreprises énergétiques du monde et de créer une filière industrielle exemplaire, ne rien faire, comme nous y a invité l'opposition durant plus de cinquante heures de débat parlementaire, aurait été une grave erreur. Empêcher EDF et GDF de s'adapter aux nouvelles réalités aurait été les condamner. Le marché du gaz et de l'électricité n'est plus national, mais européen. De son ouverture, voulue par tous les gouvernements, de droite comme de gauche, depuis dix ans, il fallait tirer les conséquences pour les deux opérateurs historiques. Je ne reprendrai pas ici les multiples déclarations de Laurent Fabius, Michel Rocard, Lionel Jospin, tous anciens Premiers ministres socialistes, non plus que de Dominique Strauss-Kahn et tant d'autres qui, il y a peu encore, réclamaient le changement de statut de EDF et GDF, voire leur privatisation (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Lorsque vous étiez au pouvoir, vous n'avez pas eu le courage d'entreprendre les réformes nécessaires - non plus qu'en matière de retraite ou d'assurance maladie -, et voilà qu'aujourd'hui, vous nous reprochez d'engager ce que, hier, vous réclamiez avec insistance ! Assumez vos contradictions !

Messieurs les ministres, vous avez conduit cette réforme avec réalisme et dans un esprit d'ouverture, sans idéologie ni dogmatisme, en assumant le passé et en recherchant toujours le dialogue avec les salariés des deux entreprises. A aucun moment, la négociation n'a été close car cette réforme, loin de se faire contre eux, se fait pour eux, pour que EDF et GDF conservent demain toutes leurs chances et puissent conquérir l'Europe.

Aucune porte n'est fermée. Les rapprochements entre EDF et GDF sont à l'étude. Leurs besoins précis de financement sont en train d'être évalués...

M. Pierre Ducout - Il était temps !

M. François-Michel Gonnot - ...avant d'envisager toute augmentation éventuelle de capital. Les acquis sociaux et les avantages des personnels sont garantis. Rien n'a été modifié du service public à la française qui fait notre fierté.

Le Gouvernement a su écouter les électriciens et les gaziers avec lesquels il a dialogué et négocié. Il les a entendus... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) comme il a entendu certaines propositions de la majorité au cours du débat. Il a su envisager les évolutions à venir.

L'extrémisme de quelques-uns ne doit pas faire oublier la qualité du dialogue social et de l'esprit de partenariat que vous avez su faire prévaloir et qui sera encore nécessaire demain. Cette réforme difficile était indispensable. Nous l'avons menée à bien. Nous en sommes fiers (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe UDF)

M. François Brottes - Ce qui se passe ici aujourd'hui est très grave. Votre majorité nous invite à franchir la ligne jaune sans réflexion, sans débat digne d'un enjeu qui concerne pourtant tous les Français (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Vous nous proposez, à la hussarde, juste après deux échecs électoraux pour le Gouvernement, entre deux mi-temps de football (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) et à la veille du départ en vacances de beaucoup de nos concitoyens, de privatiser EDF et GDF, en commençant par les transformer en sociétés anonymes. Vous nous proposez de tourner le dos, certes en plusieurs étapes, car vous êtes habile, au service public de l'énergie, à la péréquation des tarifs et à l'égalité d'accès sur tout le territoire.

Voilà un dessein remarquable ! Il est vrai qu'il vous faut accepter de faire des concessions aux plus libéraux de votre majorité, à ceux qui font passer le dogme libéral avant les valeurs de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Ce qui se passe aujourd'hui est grave, tout d'abord sur le plan de la méthode. Vous avez laissé croire que la question du statut des personnels était le premier enjeu de ce texte et cela a marché puisque la plupart des media se sont contentés de traiter de ce point. Vous avez ajusté vos positions au gré du vent pour mieux détourner l'attention et rester seuls à la man_uvre. Vous avez méprisé le Parlement non seulement parce que vos annonces, comme le fait que le capital d'EDF resterait 100 % public, ne figurent pas dans le texte, mais parce que vous n'avez même pas daigné répondre à tous nos collègues qui n'ont eu de cesse pendant deux semaines, jour après nuit, de vous interpeller (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Rien à faire ! Vous ne répondiez que par le silence : il est vrai qu'il fallait « plier » ce texte avant l'été... et avant le congrès de l'UMP ! Cette méthode n'est pas acceptable.

Ce qui se passe aujourd'hui est grave aussi sur le fond. Vous avez laissé croire que tout cela était de la faute de l'Union européenne et de Lionel Jospin (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP). Dois-je vous rappeler que c'est un gouvernement de droite qui en 1996, a accepté l'ouverture des marchés électrique et gazier, le Sommet de Barcelone n'ayant que fixé le calendrier de cette ouverture, dont Lionel Jospin avait réussi à exclure les ménages ? Depuis, Mme Fontaine et le gouvernement Raffarin II ont cautionné avec entrain l'ouverture à la concurrence pour tous en 2007. M. Borotra, alors qu'il était ministre de l'industrie, avait pourtant assuré que cette ouverture n'obligerait pas à changer le statut d'EDF, comme l'a d'ailleurs confirmé le commissaire Monti. Vous savez donc pertinemment que ce n'est la faute ni de M. Jospin, ni de M. Monti, c'est votre choix politique. Vous avez aussi expliqué qu'il fallait transformer EDF et GDF en sociétés anonymes, pour abandonner le principe de spécialité. Mais la loi de 2000 avait déjà assoupli la contrainte et rien ne vous empêchait d'en élargir les contours. Vous nous avez dit aussi que EDF et GDF avaient besoin de fonds propres, tout en indiquant que rien ne pressait pour augmenter leur capital. Ce n'est pas la moindre de vos contradictions !

Ce qui se passe aujourd'hui est grave, car vous agissez dans la plus totale improvisation. Ce n'est plus la loi, mais le contrat qui définira les missions de service public, lesquelles seront d'ailleurs partagées entre tous les opérateurs, ce qui banalisera le rôle d'EDF et GDF, rendra plus fragile le statut de leurs agents, et lèsera leurs usagers devenus clients. Au lieu de laisser une commission « Théodule » décider de l'opportunité pour l'Etat de descendre en dessous de 100 % dans le capital, pourquoi ne pas oser un référendum ? Même le réseau de transport haute tension sera filialisé, donc en partie possédé par des intérêts privés, au risque que son extension et sa maintenance soient négligées. Vous n'avez même pas pris soin de consulter les autorités concédantes que sont les collectivités locales auxquelles appartient le réseau de distribution. Vous annoncez que EDF et GDF verseront une soulte pour compenser la charge des retraites, supportée par ailleurs - solution que les salariés avaient nettement rejetée lors d'un référendum interne - mais vous êtes incapables d'en indiquer le montant. Ce sera entre zéro et dix milliards d'euros ! Nous prenez-vous pour des imbéciles ? (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Surtout, vous n'osez pas avouer que c'est là le moyen de réduire ponctuellement et en façade le déficit des comptes de la nation pour 2004. Nous ne savons toujours pas ni quand ni de combien vous allez ouvrir ou augmenter le capital des sociétés anonymes nouvellement créées. Vous êtes également incapables de nous dire quels seront le taux et l'assiette de la nouvelle taxe d'acheminement sur le transport et, semble-t-il, la distribution d'énergie, autrement dit quelle sera l'incidence sur les tarifs. Vous avez engagé, pour calmer le jeu, une réflexion sur l'intérêt stratégique d'une fusion entre EDF et GDF, ce que je ne saurais vous reprocher, mais vous n'en avez pas attendu le résultat. Vous n'avez apporté aucune garantie quant au maintien du maillage du territoire ni de l'emploi des 65 000 agents concernés. Vous avez rebaptisé RTE en EDF Transport, ce qui déplaît à Mme de Palacio mais peut calmer les personnels, qui mènent un combat difficile car ils sont parfois victimes de provocations (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Sachez que leur détermination est à la hauteur du cynisme avec lequel ils sont traités, eux bien sûr, mais avant tout le service public qu'ils défendent bec et ongles (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Tout cela suffit à démontrer que ce texte a été élaboré dans l'improvisation, avec la seule volonté de mettre à terre l'un des plus beaux symboles de la réussite du secteur public.

Ce qui se passe aujourd'hui est grave, car vos choix seront lourds de conséquences. Les exemples de la Californie, de l'Angleterre ou de l'Italie parlent d'eux-mêmes. Dans la mesure où l'électricité ne se stocke pas et où un réseau électrique est par nature fragile, on comprend que d'autres intérêts que le seul intérêt général peuvent suffire, que la raison en soit la spéculation ou l'incompétence, à mettre à genoux une entreprise aussi fiable que EDF. Qu'en sera-t-il de la sécurité et de la maintenance de nos 58 centrales nucléaires, gages de l'indépendance énergétique nationale, en passe d'être convoitées à leur tour par des opérateurs privés, parfois sans scrupules ?

L'énergie, c'est un bien de première nécessité. L'énergie, c'est vital. La soumettre à la seule logique de rentabilité est inacceptable.

Tout le monde va s'en rendre compte, les tarifs vont augmenter. Or l'énergie est un poste budgétaire très lourd, pour les entreprises comme pour les ménages. La hausse des tarifs provoquera une nouvelle baisse du pouvoir d'achat, mais aussi des délocalisations et des pertes d'emploi.

Chers collègues de droite, en vous entendant dire avec Mme de Palacio qu'il faut permettre à EDF et à GDF de faire faillite comme tout le monde, on n'a même pas envie de rire, car il s'agit d'une provocation ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

C'est justement parce qu'il y a concurrence qu'il faut conforter l'existence d'un pôle public de l'énergie fort et innovant. L'expérience l'a montré, dès qu'on ouvre le capital, on s'achemine vers la privatisation car les réflexes de management changent : on sacrifie les investissements lourds au court terme et à la cotation.

Ce qui se passe aujourd'hui est très grave. Les Français doivent savoir que ceux qui auront engagé la privatisation d'EDF et de GDF porteront la responsabilité des incidents et des augmentations de tarifs (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Le groupe socialiste votera contre ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

A la majorité de 376 voix contre 180 sur 558 votants et 556 suffrages exprimés, l'ensemble du projet, mis aux voix, est adopté.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie - Je veux faire le bilan de ce débat. Je commencerai par remercier la majorité pour sa présence constante, sa détermination et sa patience, une majorité qui s'est montrée à la hauteur dans un débat très technique qui a duré 47 heures et 20 minutes, réparties sur treize séances. Ont été défendus 1960 amendements, dont 138 ont été adoptés.

Je veux remercier tout particulièrement la commission des affaires économiques, son président M. Ollier (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) et son rapporteur. Cette commission est à l'origine de 68 amendements qui ont été adoptés. C'est ainsi que la taux de détention de capital par l'Etat est passé de 50 à 70 %, que le taux de participation des salariés en cas d'augmentation de capital a été porté de 10 à 15 %, que la nomination du président et du directeur général d'EDF-Transport est soumise au ministre et que le tarif social, qui concerne déjà plus d'un million de Français, a été étendu.

L'opposition a présenté beaucoup d'amendements, dont quelques-uns ont été adoptés. Je veux remercier M. Bataille pour son opposition déterminée mais toujours courtoise et argumentée. Je rends hommage à M. Brottes, qui a mis toute sa passion mais aussi son sens de l'organisation dans ce débat. L'opposition nous a fait découvrir une méthode d'action intéressante : déposer douze fois le même amendement, ce qui permet à douze orateurs de parler du même sujet pendant une heure. Ce système, parfaitement conforme au Règlement, s'est révélé d'une efficacité redoutable pour retarder les débats, mais il a été mis en _uvre avec intelligence et courtoisie.

Nos collègues ont longuement répété leurs arguments et nous n'avons pas répliqué à chaque fois, mais il est certain que nous avons répondu au moins une fois à chacune de leurs questions.

Déplorant la hausse des tarifs, vous ne pouvez en rendre responsable une ouverture du capital qui n'a pas encore eu lieu ! Quant au changement de statut, le Gouvernement vous a cité la décision de la Commission européenne du 16 décembre 2003, selon laquelle le statut d'EPIC comporte un avantage qui peut subsister s'il est payé par la cession de parts de marché.

Ce texte, qui va aller au Sénat, ne fait que tirer les conséquences d'une ouverture du marché à la concurrence qui a été voulue des deux côtés de l'hémicycle. Nous l'assumons, vous ne l'assumez pas (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La séance, suspendue à 17 heures 10, est reprise à 17 heures 15.

RAPPELS AU RÈGLEMENT

M. Jacques Brunhes - Le président de notre groupe, M.Alain Bocquet, vous a écrit le 10 juin, Monsieur le Premier Ministre, pour protester contre des conditions de travail qui ne permettent pas à la représentation nationale d'approfondir sa réflexion sur des sujets importants pour nos concitoyens. M.Bocquet vient d'avoir une réponse sous la forme du décret du 25 juin 2004 portant convocation du Parlement en session extraordinaire. Le programme de celle-ci constitue une véritable provocation : un débat d'orientation, dix projets de lois, trois propositions de lois...

Mme Martine David - C'est fou !

M. Jacques Brunhes - C'est du jamais vu ! Vous entrez ainsi dans le livre des records !

Mme Martine David - Triste record !

M. Jacques Brunhes - Ce n'est plus une session extraordinaire mais une session ordinaire prolongée ! D'autant qu'il ne s'agit pas de textes anodins : outre la casse de la Sécurité sociale et la privatisation d'EDF et GDF, mesures phares de ce gouvernement ultra-libéral, on trouve au programme de la session extraordinaire la décentralisation, la privatisation d'Air France, la santé publique, la bioéthique et la sécurité civile, pour ne citer que ces exemples !

Les députés communistes et républicains s'élèvent contre ce détournement de la Constitution qui relève de l'excès de pouvoir (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) et j'ai d'ailleurs élevé une solennelle protestation ce matin en conférence des présidents. Car enfin est-il normal qu'un pouvoir qui a été rejeté massivement trois fois de suite et qui ne recueille que 16 % des suffrages décide de faire passer en plein été, au cours d'une session extraordinaire, 14 textes qui sont autant de réponses à l'injonction du président du Medef - réformer encore ! -et qui reposent toujours sur le credo du profit pour quelques-uns ?

Le Gouvernement est seul maître de l'ordre du jour. Mais quand un gouvernement prévoit un tel ordre du jour pour une session extraordinaire, il témoigne de son mépris pour la représentation nationale. (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Nous ne pouvons pas accepter une telle humiliation et nous combattrons, comme à l'accoutumée, tous les mauvais coups qui se préparent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Jean-Marc Ayrault - Monsieur le Premier Ministre, l'ouverture de ce débat parlementaire est un rendez-vous cardinal. En auriez-vous peur, ce qui expliquerait que le projet nous soit présenté en plein c_ur de l'été ? Craindriez-vous une réaction de défiance populaire face à un plan qui marie l'illusion, l'imprévoyance et l'injustice ? Les doutes qui s'expriment au sein même de votre Gouvernement vous feraient-ils vous sentir peu assuré sur vos bases ? J'espère à ce propos que l'absence de M.Douste-Blazy n'est pas due à une urgence qui l'aurait appelé ailleurs ou à une hésitation de dernier moment.

Mon rappel au règlement a pour but essentiel de demander de la clarté dans l'organisation de nos travaux, comme je l'ai déjà fait ce matin en conférence des présidents. On ne peut plus parler de réforme à propos d'un projet qui n'est qu'un cataplasme, un plan d'austérité médicale comme nous en avons déjà connu plusieurs depuis vingt ans et qui ne fait que colmater dans l'urgence le déficit record que vous et vos amis avez vous-mêmes causé.

Et que l'on nous épargne la ritournelle du « courage » pour ce plan qui est le contraire du courage ! Il esquive en effet la question cruciale des structures de notre système de soins, alors que le Haut Conseil de l'assurance maladie avait fait de leur réorganisation une priorité. Il reporte le remboursement de la dette sur les générations futures...

M. Alain Gest - On est déjà dans la discussion générale ?

M. Jean-Marc Ayrault - Quant au financement prévu, il relève d'une arithmétique aussi personnelle que fantaisiste.

Plusieurs députés UMP - Ce n'est pas un rappel au règlement !

M. Jean-Marc Ayrault - La seule assurance qu'ont les patients dans ce projet est d'être ponctionnés, alors que les autres acteurs de santé - professions médicales, industrie pharmaceutique, entreprises - sont soigneusement dispensés de tout effort. Où est la justice ?

Notre système de santé avait besoin d'une opération à c_ur ouvert, vous avez préféré les soins palliatifs ! Inutile dans ces conditions d'espérer une guérison. Au mieux, le déficit annuel sera réduit de moitié. Telle était du moins notre estimation. Mais les services de Bercy, pourtant peu suspects de chercher à vous nuire, se montrent beaucoup plus alarmistes en prévoyant un déficit situé de 7 à 15 milliards en 2007 ! La réponse du ministre des finances à la question que j'ai posée tout à l'heure à ce sujet ne nous a pas convaincus. Il a maintenu le doute. C'est pourquoi je demande qu'il soit auditionné par la commission spéciale qui a été créée pour examiner ce projet.

M.Bussereau, qui vient d'être auditionné par elle mais qui a refusé le dialogue...

M. Richard Mallié - C'est faux !

M. Jean-Marc Ayrault - ...a déclaré en d'autres circonstances que si ce plan échouait, il faudrait entrer dans une logique de dureté. Voilà qui a le mérite de la franchise, à défaut de l'esprit de justice.

L'audition du ministre des finances constitue à nos yeux un préalable. Je demande une suspension de séance pour réunir mon groupe dans l'attente de la réponse qui me sera faite à ce sujet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - Je ne répondrai pas sur le fond, dont nous allons débattre dans les prochains jours, mais seulement sur les rappels au Règlement.

Cela fait plus d'un an, Monsieur Brunhes, que la concertation est engagée. Le Haut Conseil a fait ses propositions à l'automne, nous avons multiplié les réunions et organisé un grand débat national sur le sujet. Si le projet vient à cette heure, c'est précisément parce que nous avons voulu une concertation approfondie et que nous avons respecté nos partenaires. Quand nous allons vite, vous nous reprochez de ne pas assez négocier, et quand nous négocions, vous nous reprochez d'empiéter sur l'été ! Ce n'est de toute façon pas la première fois, loin de là, que des textes importants sont présentés au Parlement durant l'été : souvenez-vous par exemple de 1982 ou de 1984. En l'occurrence, nous continuons un travail qui a été engagé depuis de longs mois et qu'il faut, dans l'intérêt des Français, achever.

L'opposition prendra toute sa part au débat et nous serons attentifs à ses propositions, jusqu'ici assez rares (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Je souhaite donc que le débat puisse commencer rapidement.

Quant au rappel au Règlement de M. Ayrault, il appartient à la commission de l'apprécier. Mais chaque fois qu'elle souhaite entendre le Gouvernement, celui-ci est à sa disposition (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - La demande de suspension est de droit.

La séance, suspendue à 17 heures 30, est reprise à 17 heures 40.

M. Maxime Gremetz - En fin de matinée, Monsieur le Président, nous avons reçu une convocation pour 16 heures à la commission spéciale que vous avez créée, afin d'entendre M. Bussereau expliquer la note de Bercy. Mais 16 heures, c'est à peine la fin des questions au Gouvernement ; et surtout, c'est le moment où étaient prévus les explications de vote et le vote sur un sujet majeur, EDF-GDF. Ainsi Mme Fraysse et moi-même n'avons pu y prendre part. D'autre part on nous avait promis cette note de Bercy : nous ne l'avons toujours pas. Tout cela est un peu léger.

Par ailleurs M. le Premier Ministre a affirmé qu'il n'y avait pas de propositions venant de nos bancs. Je vais donc lui remettre les nôtres ; vous savez, Monsieur le Président, que nous les avons communiquées à la commission spéciale dès le 1er juin (M. Maxime Gremetz remet un document à M. le Premier Ministre, ainsi qu'à M. le président et à M. le rapporteur de la commission spéciale).

M. Alain Claeys - A la fin de son intervention, M. le Premier Ministre a dit que le Gouvernement était à la disposition du président de la commission spéciale pour toute audition. Les uns et les autres, nous avons fait, au sein de la mission d'information créée par M. le Président, puis de la commission spéciale, un certain nombre de propositions, qui ont été publiées et nous avons déposé des amendements. Je souhaite connaître la position du président de la commission spéciale sur notre demande d'audition du ministre de l'économie et des finances.

Votre mission, Monsieur le Président, a auditionné le directeur de la prévision, qui, je suppose, est venu avec l'accord de son ministre. Je souhaite que la Commission spéciale entende maintenant le ministre de l'économie.

M. le Président - Le président de la commission spéciale vous répondra ultérieurement. La parole est au Premier ministre.

M. Jean-Marie Le Guen - Rappel au règlement !

M. le Président - J'ai donné la parole au Premier ministre.

ASSURANCE MALADIE

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à l'assurance maladie.

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - Le Gouvernement vous présente aujourd'hui le troisième pilier de son action pour la sauvegarde de notre pacte social. Après la réforme des retraites, après les textes de soutien aux personnes dépendantes, âgées et handicapées, avant le plan de cohésion sociale qui sera le quatrième pilier de cette action, voici le projet relatif à l'avenir de l'assurance maladie. L'allongement de la durée de la vie, chacun le sait même si on a peu agi dans le passé, a remis en cause nos équilibres sociaux. Le rapport entre les actifs et les retraités, la démographie des personnes âgées, les souffrances des personnes handicapées, les besoins sans cesse renouvelés d'une santé de qualité, la promotion du travail pour favoriser l'insertion, tous ces graves sujets nous imposent de renouveler notre pacte social. A la fin de cette session, nous aurons mené les nécessaires réformes qui donneront un avenir à notre modèle social. J'ai trouvé, au printemps 2002, un pacte social délabré, avec un système de retraites dans l'impasse, avec une prise en charge des personnes âgées qui n'était pas financée, avec des initiatives en faveur des handicapés restées inabouties, avec un SMIC éclaté, avec une assurance maladie...

M. Pascal Terrasse - Bénéficiaire !

M. le Premier ministre - ...structurellement déficitaire, puisque les dépenses n'avaient pas été maîtrisées. Nous avons entrepris ces réformes pour offrir un avenir à notre pacte social, et redonner la confiance aux Français. Ces réformes, je le sais, sont difficiles pour de nombreux Français. Je veux rendre hommage à ceux qui, en travaillant plus, permettent à la nation de sauver son système de retraites par répartition ; à ceux qui donneront une journée de travail (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) pour la solidarité que nous devons aux personnes âgées et handicapées ; à ceux qui contribueront à financer la pérennité de notre assurance maladie. Je veux rendre hommage à ceux qui font des efforts. Je sais bien qu'il de bon ton de préférer la polémique au courage (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Mais je veux saluer les Français grâce aux efforts desquels nous sommes en mesure d'assurer un avenir à notre pacte social (Mêmes mouvements) ! A ces efforts correspondent des progrès, à ces réformes, des droits nouveaux. Ces efforts sont utiles, et ils sont justes. Je pense par exemple à l'augmentation de 300 € pour les plus petites retraites, aux nouveaux droits accordés à ceux qui ont commencé à travailler à partir de 14, 15 ou 16 ans. 120 000 d'entre eux ont déjà choisi cette procédure (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Je me réjouis aussi des 40 000 nouvelles places d'accueil pour les handicapés, et des 17 000 places d'infirmiers à domicile pour les personnes âgées. Je salue dans le texte présenté par Philippe Douste-Blazy le droit nouveau offert à deux millions de Français de bénéficier d'une mutuelle. Voilà une grande avancée sociale (Mêmes mouvements). Ne la méprisez pas ! L'accès à une couverture pour les plus fragiles, c'est nous qui le réalisons !

M. Pascal Terrasse - Vous êtes bien seul !

M. le Premier ministre - Ces réformes créent des droits nouveaux pour des millions de nos compatriotes.

S'agissant de la réforme que nous proposons aujourd'hui, je remercie les membres du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, qui ont établi un diagnostic partagé. Je remercie aussi les députés et leur président Jean-Louis Debré pour la qualité des travaux de la mission d'information. Je suis heureux de remercier M. Yves Bur et M. Jean-Michel Dubernard. Tout ce travail a permis au Gouvernement de vous proposer un texte qui a obtenu l'adhésion de très nombreux partenaires (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Je sais que certains souhaitaient refaire le débat des retraites, provoquer à nouveau de l'agitation politique et sociale. Aujourd'hui, grâce à la négociation et à la concertation, nous présentons un texte raisonnable. J'en remercie Jean-François Mattéi, Philippe Douste-Blazy et Xavier Bertrand. Aujourd'hui, nous pouvons dire que nous avons sauvé un paritarisme que vous aviez cassé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Cette réforme présente trois caractéristiques principales. D'abord, nous dotons l'assurance maladie d'un nouveau dispositif de pilotage qui allie concertation et responsabilisation. Ensuite, l'offre de soins nouvelle permettra de moderniser le traitement des informations médicales, ce qui contribuera à améliorer les soins et à rationaliser les coûts. Le dossier médical partagé va dans ce sens. Enfin le financement de la réforme est inspiré par l'esprit de justice (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Je connais les méthodes de l'opposition. Nous l'avons vu pendant cinq ans, il fallait toujours désigner des boucs-émissaires : on accuse un jour les médecins, le lendemain les pharmaciens, un autre jour le thermalisme, puis les usagers...On flétrit les coupables, qu'on cherche à sanctionner (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Nous avons fait en sorte que l'effort soit partagé par tous, que chacun s'engage pour la sécurité sociale de tous. La réforme n'est pas une fin en soi, elle nous permet de pérenniser notre modèle social et de faire de l'allongement de la vie un mieux-être partagé. Vous avez la possibilité, d'ici à la fin juillet, de franchir une étape essentielle de cette législature grâce à l'avenir que, par cette réforme, vous allez garantir à notre pacte social. C'est ce qu'attendent de vous les Français. Ce travail accompli, nous pourrons franchir une troisième étape avec les réformes de société, concernant en particulier la recherche et l'école. La première étape a permis de traiter les problèmes de sécurité, la seconde de renouveler notre pacte social. Le retour de la croissance nous permettra de donner à cette nouvelle étape toute sa portée, avec des créations d'emplois...

M. Pascal Terrasse - Ce n'est pas le cas aujourd'hui !

M. le Premier ministre - C'est vrai ! Mais quand les chiffres de la croissance sont bons, ceux du chômage le deviennent aussi quelques mois plus tard (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). En 2000, la croissance atteignait 4%, mais nos prédécesseurs l'ont laissée se dissoudre dans l'appareil d'Etat. Nous voulons, nous, une croissance partagée entre tous les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) .

M. Jean-Marc Ayrault - Rappel au règlement. Je ne vois pas en quoi le Premier ministre nous a éclairés sur les questions que j'ai posées (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Nous avons demandé la clarté, vous avez répondu comme si les Français ne s'étaient pas exprimés depuis trois mois, à deux reprises, par leurs bulletins de vote. Je ne comprends pas ce que vous voulez faire. Quand vous parlez de l'effort des Français concernant l'assurance maladie, vous parlez de celui de nos enfants et petits-enfants, puisque vous avez décidé de financer le déficit passé et à venir par le prolongement du CRDS.

M. Jean-Jacques Descamps - Vous l'avez déjà fait !

M. Jean-Marc Ayrault - Est-ce cela la justice sociale ? Est-ce cela l'effort partagé ? Nous ne pouvons accepter cette philosophie. C'est un véritable scandale !

Plusieurs députés UMP - Ce n'est pas un rappel au Règlement !

M. Jean-Marc Ayrault - Les emprunts que vous allez faire pour financer le déficit vont entraîner des intérêts de 50 milliards, presque autant que le déficit cumulé de la sécurité sociale !

M. le Président - Je vous prie de terminer.

M. Jean-Marc Ayrault - Puisque le Premier ministre a renvoyé la balle au Président de la commission spéciale, je demande que celui-ci réunisse la commission pour entendre le ministre des finances... Et pour connaître la vérité, et non qui est l'auteur de la fuite - peut-être le ministre des finances lui-même, d'ailleurs pour manifester son désaccord avec la philosophie de cette réforme. Nous voulons savoir la vérité.

M. Yves Bur, Président de la commission spéciale - Dès vendredi, le rapporteur et moi-même avons demandé au ministère de l'économie et des finances de nous transmettre cette note. Elle nous est parvenue hier soir. Nous l'avons fait envoyer par le secrétariat de la commission dès 19 heures. Aujourd'hui, à votre demande, et pour clarifier les circonstances de l'apparition de cette note, nous avons réuni la commission spéciale et auditionné M. Bussereau, secrétaire d'Etat qui a parlé au nom de son ministre. Il nous a expliqué qu'il s'agissait d'un document de travail interne, comme d'autres, et il a affirmé clairement que le ministre d'Etat et lui-même étaient parfaitement solidaires avec le ministre de la Santé et le secrétaire d'Etat à l'assurance maladie et soutenaient sans réserve la réforme. Vous avez voulu relancer en commission le débat de fond que nous devons avoir ici. Cette affaire est close. Débattons maintenant devant les Français des enjeux financiers et de l'ambition de ce plan, qui est de changer les comportements pour mettre l'assurance maladie sur un chemin vertueux. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Marie Le Guen - Rappel au Règlement. Nous n'avons toujours pas reçu cette fameuse note. Seuls nos collègues qui étaient en commission ont pu en avoir connaissance.

M. Jean-Jacques Descamps - Il fallait y être !

M. Jean-Marie Le Guen - Les autres membres de la commission ne l'ont toujours pas reçue. La réunion qui s'est tenue s'est achevée dans la confusion. Nous n'avons pas eu la possibilité d'interroger vraiment le ministre, qui n'a apporté aucune réponse aux quelques questions posées essentiellement par des collègues de la majorité, car on a suspendu cette réunion pour voter sur le projet relatif à EDF. Serait-ce qu'on veut fuir le débat ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Nous demandons au Gouvernement de s'expliquer sur cette note, de donner les vrais chiffres, et, conformément à notre Règlement, de nous fournir une étude d'impact comme il l'avait fait pour les retraites. Nous allons travailler dans le brouillard sur le plan juridique et économique. Nous ne pouvons donc nous satisfaire de la réponse du président de la commission. Nous demandons une suspension de séance (Protestations sur les bancs du groupe UMP) pour que cette note soit communiquée à l'ensemble de nos collègues. Nous demandons également au président de la commission de revenir sur sa décision et de faire venir le ministre de l'économie pour nous éclairer sur cette note et aussi sur son engagement politique, puisque vous vous apprêtez à le désigner comme président de l'UMP (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Mme Marie-Hélène des Esgaulx - Ce n'est pas un rappel au Règlement !

M. Jean-Marie Le Guen - Il importe de savoir si le futur président du parti majoritaire soutient la réforme du Gouvernement (Mêmes mouvements). A vos réactions, je comprends que cette remarque est une provocation inutile. Je m'en excuse. Je réitère ma demande de suspension.

La séance, suspendue à 18 heures 5, est reprise à 18 heures 15.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale - Xavier Bertrand et moi-même vous présentons ce projet conformément aux engagements pris par le Président de la République et au calendrier fixé par le Premier ministre. Nous faisons ainsi vivre ce que le Conseil national de la résistance appelait « le plan complet de sécurité sociale », en l'adaptant aux besoins à venir.

Il n'y a pas de plus noble projet que de vouloir sauver un système qui est au c_ur de notre pacte républicain. C'est ce défi que nous vous proposons de relever ensemble.

L'allongement de la durée de la vie remet en cause nos système sociaux. Les mutations du marché du travail nécessitent de redéfinir le lien social. Il faut rendre confiance à nos concitoyens. Notre pays a trop tardé à engager les réformes nécessaires.

L'assurance maladie est aujourd'hui confrontée à une triple crise :

Une crise financière, d'abord, le déficit structurel se creusant chaque année de façon continue . Nous serons cette année à 12,9 milliards de déficit.

M. Pascal Terrasse - A cause de vous ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre - Cela signifie que lorsque l'assurance maladie reçoit 100 euros pour rembourser des soins, elle en dépense près de 110 ! A l'échelle d'un pays, une telle situation est évidemment insoutenable. L'écart persistant entre la progression des recettes et le rythme d'augmentation des dépenses fait peser une menace incontestable sur la pérennité du système.

Une crise de légitimité, ensuite, qui s'incarne principalement dans les relations entre l'assurance maladie et les professionnels de santé, encore trop souvent marquées par la méfiance et même parfois par l'affrontement. Les vingt dernières années de la vie conventionnelle ont souffert de l'absence de dialogue véritable entre les acteurs. Des conventions sont parfois signées sans être appliquées, et l'Etat se voit contraint d'intervenir dans la négociation. Le système s'épuise dans une négociation perpétuelle où la légitimité des acteurs est sans cesse contestée.

Une crise d'organisation, enfin, tant il est difficile aujourd'hui de répondre à une question simple : qui gère réellement l'assurance maladie ? Les partenaires sociaux ont tendance à répondre que c'est l'Etat. Et celui-ci les confronte aux responsabilités éminentes qui leur sont confiées, notamment depuis les ordonnances de 1967. La réalité, c'est que personne ne veut assumer la responsabilité globale de la gestion de l'assurance maladie. Comme le relève le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, « le système manque aujourd'hui, à tous les niveaux de capacité à décider en situation de responsabilité »

L'évolution des dépenses de l'assurance maladie, celle du revenu de remplacement vers la prise en charge des soins qui est à l'_uvre depuis plus de trente ans et, finalement, le caractère universel de la couverture remettent naturellement en cause la gestion traditionnelle fondée sur le strict paritarisme. Parallèlement, nous voyons bien les impasses dans lesquelles nous conduiraient des processus d'étatisation ou de privatisation. Il n'est donc que temps d'inventer un nouveau mode de gestion.

Face à cette triple crise, le Gouvernement a décidé de fonder sa réforme sur une analyse précise de la situation. C'est la première mission qui a été confiée par le précédent gouvernement au Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, présidé par M. Bertrand Fragonard. Le rapport du Haut conseil a permis d'établir un diagnostic partagé. Il y eut ensuite une première phase de concertation, menée par mon prédécesseur, Jean-François Mattei, auquel je souhaite rendre un hommage appuyé. Puis, avec Xavier Bertrand, nous avons construit le présent projet de réforme. J'ai le sentiment que peu de réformes ont donné lieu à autant de concertation, dans un délai commandé par l'urgence. Depuis deux mois, nous sommes restés en contact permanent avec les partenaires sociaux, les représentants des professionnels de santé et des patients et ceux des organismes d'assurance maladie, de base et complémentaire. Nous avons mené plus d'une centaine d'entretiens avec l'ensemble des partenaires de cette réforme.

Tous les acteurs de l'assurance maladie ont participé à cette concertation. Ils nous ont fait remonter leur vision de la situation, leurs propositions, leurs inquiétudes. Je tiens à leur rendre hommage.

Je souhaite aussi souligner le rôle qu'a joué l'Assemblée nationale dans cette phase de dialogue et de réflexion, notamment au travers des travaux de la mission d'information présidée par Jean-Louis Debré. Oui, Monsieur le Président, l'Assemblée nationale a bien, selon vos propres termes, pris toute sa part au débat.

Après le temps du diagnostic vient celui l'action. Face à l'ampleur des déséquilibres, il n'est que temps d'entamer le «redressement par la qualité » qu'appelait de ses v_ux le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie.

Première priorité, mieux organiser notre système de soins.

Nous devons évoluer progressivement vers un modèle d'organisation librement consenti par le patient, permettant de garantir un haut niveau de qualité des soins et d'accroître l'efficacité globale du système de santé.

Premier élément de cohérence du système de soins, le dossier médical personnel.

D'ici la fin 2006, chaque Français doit pouvoir disposer d'un dossier médical, qu'il partagera avec son médecin traitant et, le cas échéant, avec l'ensemble des professionnels de santé qu'il aura choisis. Le dossier médical sera confidentiel et appartiendra au patient. Les « hébergeurs » accueillant les données seront agréés, conformément à un cahier des charges très strict. Ce dossier sera rendu obligatoire et, à terme, l'accès au dossier conditionnera le remboursement des soins. Nous gagnerons tous à la mise en place d'un tel document : le patient verra rassemblée l'information le concernant - aujourd'hui éparse -, gage d'une meilleure offre de soins ; le médecin pourra assurer un meilleur suivi en disposant de l'information sans aucun différé ; enfin, l'assurance maladie sera en mesure de limiter les soins injustifiées et d'éviter les prescriptions dangereuses. Parce qu'il représente un véritable investissement pour la collectivité, nous devons réussir ensemble la mise en place du dossier médical personnel. Nous avons tous en tête les précédentes tentatives qui n'ont pu aboutir, faute de consensus. Les esprits ont beaucoup mûri. Enfin, les progrès des technologies de l'information rendent possibles des échanges rapides et sécurisés, encore inconcevables il y a seulement dix ans.

Une meilleure organisation des soins passe aussi par l'installation de véritables parcours de soins au bénéfice du malade, qui ne doit plus être laissé seul face à une offre dans laquelle il risque de se perdre. Nous avons tous en tête des exemples d'examens répétés, faute d'une coordination suffisante entre les praticiens. Songez que 15% des radios hospitalières ne sont pas lues et systématiquement refaites dans des cabinets extérieurs ! Il faut remettre de la cohérence dans un système qui compte parmi les plus performants du monde pour ce que les experts appellent le « curatif individuel », mais hélas parmi les plus mauvais pour ce qui concerne le préventif communautaire et même l'offre de soins. Et c'est évidemment tout le sens de la mise en place du médecin traitant. « Porte d'entrée » pour le malade, ce médecin, qu'il soit spécialiste ou généraliste, sera librement choisi par le patient car la liberté individuelle est au c_ur de notre politique. Aucun Français ne se verra imposer son médecin, car tel n'est pas notre modèle de référence.

Cependant que le médecin traitant orientera le patient dans le système de santé, nombre de spécialistes resteront évidemment en accès direct, qu'il s'agisse notamment des pédiatres, des ophtalmologues ou des gynécologues médicaux.

Le Gouvernement ne propose pas que la loi ou des décrets fixent un cadre trop rigide pour ce qui concerne le statut ou les modalités d'exercice de ce médecin traitant, car la mise en pratique nous semble relever plutôt de la responsabilité des partenaires conventionnels. Il faut se garder de trop réglementer. Faisons confiance aux professionnels de santé. C'est tout le sens de la délégation renforcée.

Dernier point sur lequel je veux insister pour ce qui concerne la nouvelle organisation de l'offre de soins, la nécessité de renforcer le lien entre la médecine de ville et l'hôpital. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

Il n'y a pas d'un côté une réforme de l'assurance maladie et de l'autre une réforme de l'hôpital, qu'il soit d'ailleurs public ou privé. Il faut au contraire arrêter une véritable stratégie d'harmonisation de l'offre de soins sur un territoire donné, et, pour des raisons de cohérence, il nous est apparu qu'elle devait d'abord être recherchée au niveau régional.

M. Pascal Terrasse - Pourquoi avoir refusé les agences régionales de santé ?

M. le Ministre - Et c'est notamment pour mettre en _uvre cette coordination régionale que le projet de loi prévoit un rapprochement entre les unions régionales des caisses d'assurance maladie et les agences régionales de l'hospitalisation. Ces deux institutions devront travailler de conserve sur la répartition de l'offre de soins, la permanence des soins et le développement des réseaux. Le rapprochement entre la médecine de ville et l'hôpital est une exigence. Il ne pourra devenir une réalité qu'à la condition d'engager tous les professionnels, en ville ou à l'hôpital, dans la voie de l'efficacité et de la qualité.

Ainsi, le dossier médical et le médecin traitant seront des dispositifs communs à l'hôpital et à la ville, au bénéfice du patient qui, lui, est unique.

Deuxième ligne de force de ce projet, la promotion de la qualité des soins.

La nécessité d'une évaluation de l'utilité médicale fondée sur des critères scientifiques était l'un des messages forts délivrés par le haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie. Notre système s'essouffle à vouloir tout financer, sans hiérarchie ni visibilité.

C'est la raison pour laquelle il faut optimiser les choix, pour nous donner les moyens de rembourser les médicaments et les traitements innovants qui constituent la médecine de demain.

Nous ne disposons pas aujourd'hui des outils permettant d'évaluer l'utilité médicale d'un acte, lorsqu'une demande d'admission au remboursement est faite, alors que la démarche existe pour le médicament. La Haute autorité de santé devra émettre des avis sur l'utilité médicale des produits et des actes, préalablement à leur admission au remboursement. Elle pourra également être sollicitée par différents acteurs - assurance maladie, Etat, professionnels de santé, représentants des usagers - pour, le cas échéant, réévaluer l'efficacité de certains traitements.

La Haute autorité aura pour seconde mission de veiller à l'élaboration et à la diffusion des référentiels de bonne pratique. Il faut mettre à la disposition des professionnels de santé des référentiels effectivement applicables au quotidien.

Le renforcement de la qualité des soins suppose aussi que les professionnels, libéraux ou hospitaliers, s'engagent plus fortement dans une démarche de formation continue et d'évaluation. J'ai confiance, dans leur capacité à relever avec nous le défi de la qualité. Le projet de loi comporte plusieurs dispositions en ce sens. Des accords de bon usage des soins pourront être signés au niveau national entre l'Etat, les fédérations hospitalières et l'assurance maladie, puis déclinés au niveau local.

Troisième ligne de force de ce texte : la lutte contre les abus (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Nous allons mettre en place les outils juridiques pour que demain, un salarié qui serait en permanence en arrêt maladie alors que rien ne le justifie sur le plan médical, puisse, après avis d'une commission où siègeront médecins libéraux et médecins conseils, être amené, s'il est solvable, à rembourser les indemnités journalières indûment perçues (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Non, la RTT ne doit pas être confondue avec l'arrêt maladie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Marie Le Guen - Et le rôle des médecins ?

M. le Ministre - Vous tombez bien. Car nous allons également mettre en place des outils juridiques permettant de sanctionner les praticiens qui prescrivent abusivement des arrêts maladie. Le président de la CNAM lui-même nous demande d'agir à l'encontre des trois à quatre médecins qui, dans chaque département, semblent s'être « spécialisés » dans l'arrêt maladie. Il pourra dorénavant leur être interdit de prescrire des arrêts maladie, hors contrôle du médecin conseil (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).C'est aussi cela la justice et l'équité, Monsieur Le Guen (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Quant à la carte Vitale, elle devra être transformée en carte d'identité de santé afin d'être sûr que son porteur soit bien son titulaire (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Figureront dorénavant sur la carte la photo d'identité et les empreintes du titulaire (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Pour accompagner cette nouvelle offre de soins, il nous est apparu indispensable de mieux définir les compétences de l'ensemble des acteurs qui participent au pilotage de l'assurance maladie. C'est tout le sens de la nouvelle gouvernance.

Nous avons trop tendance à n'aborder cette question de la gouvernance qu'en termes d'institutions et de pouvoirs. Ne perdons jamais de vue qu'il s'agit, avant tout, de placer notre système d'assurance maladie au service du malade et d'une offre de soins, plus efficace et mieux organisée.

Le Gouvernement a choisi de donner de nouvelles compétences aux caisses. Les gestionnaires de l'assurance maladie disposeront de nouveaux pouvoirs relatifs au périmètre des soins remboursés.

M. Jean-Marie Le Guen - Directeurs de caisse proconsuls !

M. le Ministre - L'assurance maladie aura un rôle d'initiative important dans la gestion de la nomenclature des actes mais surtout, il lui appartiendra de définir, dans le respect des limites fixées par l'Etat, les taux de remboursement. C'est une évolution considérable. Elle aura également un rôle plus important dans le domaine du médicament. Sa participation au comité économique des produits de santé, dont les compétences seront élargies et renforcées, sera elle aussi renforcée.

Avec l'élargissement du contenu des conventions, avec le renforcement de l'autonomie des partenaires conventionnels dans la négociation des accords, les gestionnaires de l'assurance maladie disposeront désormais de la plupart des leviers pour assumer la gestion des soins de ville.

Pour ce qui est de l'hôpital, la mise en place du comité de l'hospitalisation constitue une solution équilibrée permettant d'associer l'assurance maladie aux décisions prises par l'Etat en ce domaine, qui représente une part importante de ses dépenses.

Toutes ces nouvelles compétences exigent de mieux associer les caisses d'assurance maladie à la préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Xavier Bertrand y reviendra tout à l'heure.

Deuxième volet de la nouvelle gouvernance : la réforme des instances dirigeantes des caisses. La crise qu'a traversée le paritarisme ces dernières années imposait d'imaginer une nouvelle répartition des rôles, équilibrée, entre les différents acteurs. L'assurance maladie a besoin d'instances délibérantes légitimes et d'un exécutif doté des pouvoirs nécessaires à la mise en _uvre des orientations stratégiques. C'est ce que nous avons proposé aux partenaires sociaux. Il appartiendra au futur Conseil de définir les orientations et de valider les principaux choix de gestion. La direction recevra le pouvoir de les mettre en _uvre. Le directeur restera nommé par l'Etat, mais le Conseil pourra préalablement s'opposer à cette nomination. Cette nouvelle répartition des rôles fera gagner en efficacité. Le retour des représentants des employeurs au sein des conseils permettra aux partenaires sociaux d'assumer ensemble leurs responsabilités.

Troisième volet de la nouvelle gouvernance : le dialogue entre l'assurance maladie de base et les organismes de protection complémentaire. Aujourd'hui, ce dialogue n'est pas structuré alors même que les enjeux du partenariat sont majeurs : gestion cohérente des domaines remboursables, relation avec les professionnels de santé, partage des données de santé. Il ne s'agit pas de confondre le champ d'intervention ni les raisons d'être des différents acteurs, mais d'organiser entre eux le dialogue, dans le respect de la prééminence des régimes de base. Ce sera l'un des rôles de l'UNCAM et de l'Union nationale des organismes de protection complémentaire.

Le partage d'informations doit être au c_ur de ce partenariat. L'implication des organismes complémentaires et de l'assurance maladie de base dans un Institut des données de santé y contribuera. Cet institut sera chargé de veiller au transfert des données, préalablement rendues anonymes, entre ses membres.

Dernier volet de cette réforme en profondeur du mode de gestion de l'assurance maladie : la rénovation du dialogue conventionnel.

Les rapports entre les caisses et les professionnels de santé ont parfois été difficiles, nos collègues de l'opposition en ont le souvenir cruel. Mais ce gouvernement croit au dialogue social, dans le domaine de l'assurance maladie comme dans les autres (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Ce projet instaure une nouvelle procédure d'arbitrage pour régler les éventuels différends. Il consolide les accords grâce au droit d'opposition donné aux syndicats majoritaires. Ce sera aux acteurs de faire vivre la négociation conventionnelle dans un esprit de dialogue et d'ouverture.

Organiser notre système de soins, donner à l'assurance maladie les outils et les compétences lui permettant d'assumer ses responsabilités, valoriser la qualité des soins au service du malade, tels sont les objectifs que s'est fixés le Gouvernement pour sauvegarder notre assurance maladie (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Cela s'accompagne, sur le plan financier, par un effort de redressement de 15 milliards d'euros qui permettra un retour progressif à l'équilibre sur la période 2005-2007.

M. Alain Néri - Ce n'est pas ce que dit la note de Bercy !

M. le Ministre - Xavier Bertrand détaillera tout à l'heure les principales mesures de ce plan de redressement (« On espère qu'il sera meilleur que vous ! » sur les bancs du groupe socialiste). Je souhaite cependant en préciser les principes.

Ce plan est ambitieux : il le fallait pour remédier aux déséquilibres actuels de l'assurance maladie. Cette ambition, c'est celle d'une réforme structurelle qui modernise en profondeur notre système de soins et ne se réduit pas à une addition de mesures comptables. La maîtrise médicalisée des dépenses en est la clé de voûte. Parmi toutes les mesures financières imaginables, certaines, qui consistent à diminuer les droits des assurés, à abaisser les remboursements et à restreindre l'accès aux soins.

M. Jean-Marc Ayrault - C'est pourtant ce que vous faites !

M. le Ministre - Non, pas du tout. Notre ambition est de conduire une réforme médicalisée, fondée sur l'efficacité et la qualité des soins, non pas contre, mais avec les professionnels de santé qui en sont les acteurs quotidiens.

M. Jean-Marc Ayrault - Personne n'y croit !

M. le Ministre - Rien n'aurait été pire que de prendre des mesures conjoncturelles. Cela aurait cassé la confiance et dans cinq ans, les mêmes causes auraient produit les mêmes effets.

M. Jean-Marc Ayrault - Vous vous contentez de reporter la dette sur les générations futures.

M. le Ministre - Nous avons essayé, comme nous y invitait le Haut conseil pour l'assurance maladie, de trouver le chemin du développement durable pour notre assurance maladie. Ainsi, dans le domaine du médicament, devons-nous apprendre à consommer mieux. C'est en réduisant les volumes consommés et en développant les génériques que nous dégagerons les moyens de financer l'innovation thérapeutique (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

Si, depuis deux mois, le parti socialiste avait fait des propositions alternatives crédibles, cela se saurait ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Quand on a été incapable pendant cinq ans de pouvoir de faire la moindre réforme de structure, alors même que la croissance était au rendez-vous, on n'a pas de leçons à donner ! Faites attention à ce que vous dites, car cela pourrait être dangereux pour vous ! (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Alain Néri - Ces menaces sont scandaleuses.

M. le Ministre Il existe dans notre système d'assurance maladie des abus et des « zones de non-qualité». Chaque acte réalise par un professionnel de santé, chaque demande de soins formulée par un assuré doit être raisonné. L'assurance maladie n'est pas un guichet ouvert.

Nous avons devant nous un débat que je souhaite riche et ouvert. Nous pouvons ensemble améliorer le texte (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Au-delà des clivages partisans, nous devrions pouvoir nous accorder sur l'objectif de soigner mieux en dépensant mieux. Nous allons réformer en profondeur notre système de santé au travers d'une politique de prévention, d'une modernisation sans précédent de l'hôpital et d'une réforme ambitieuse de l'assurance maladie.

Ambition, qualité des soins et équité, tels sont les principes qui inspirent notre projet de réforme de l'assurance maladie (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Marc Ayrault - Rappel au Règlement. Je demande au ministre de retirer des propos regrettables (Protestations sur les bancs du groupe UMP). N'auriez-vous d'énergie que pour vous en prendre aux socialistes ? Je rappelle que nous vous avons laissé l'assurance maladie en équilibre. Non seulement vous avez rompu l'équilibre, mais encore vous faites peser la dette sur les générations futures (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Nos propositions sont connues. Nous allons les transformer en amendements. Et nous verrons !

M. Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat à l'assurance maladie - Après le temps du dialogue avec les partenaires sociaux et les acteurs du système de santé, voici venu le temps du débat parlementaire. En dehors de l'hémicycle, d'ailleurs, cela fait plusieurs semaines que les parlementaires travaillent sur la modernisation de notre système de santé.

Je veux d'abord remercier le Président Debré et tous les membres de la mission d'information. Leurs travaux remarquables nous ont permis d'analyser les dysfonctionnements de notre système de santé. Si tous n'ont pas été d'accord sur les solutions, il existe au moins un accord sur les principes qui doivent rester au fondement de l'assurance maladie : solidarité, universalité, égalité d'accès et qualité des prestations. Par ailleurs, tous ont reconnu la gravité de la situation actuelle.

Je souhaite aussi remercier M. Edouard Landrain pour la qualité du rapport qu'il a établi au nom de la délégation pour l'Union européenne. Il retrouvera dans notre texte plusieurs des propositions qu'il a formulées en s'inspirant des mesures adoptées par nos partenaires européens. Tous les pays occidentaux, en effet, ont dû réformer leur système de santé, en raison du vieillissement de la population et du progrès technique.

Il est urgent de moderniser notre assurance maladie. Sa situation financière n'est pas soutenable. Le déficit s'aggrave de 23 000 € par minute. Il sera de 12,9 milliards en 2004 et la dette s'élèvera à 33 milliards à la fin de l'année. Ce déficit est dû au ralentissement économique, mais aussi à la forte croissance des dépenses de santé.

Le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie a analysé les effets à moyen terme de cette croissance des dépenses. Si rien n'est fait avant 2020, il ne restera que deux solutions. Ou bien le taux de remboursement devra descendre de 76 à 51 %, ce qui reviendrait à une privatisation rampante du système (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Nous ne le voulons pas. Ou bien il faudrait accroître fortement les prélèvements sur les revenus des Français.

M. Jean-Marie Le Guen - C'est déjà ce que vous faites !

M. le Secrétaire d'Etat - Nous refusons ces deux scénarios et c'est pourquoi nous voulons réformer l'assurance maladie. Certes, quand la croissance était forte, rien n'a été fait (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Aujourd'hui, le contexte est moins favorable, mais nous prenons nos responsabilités. Ce projet s'inscrit en droite ligne dans les recommandations du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie. Ceux d'entre vous qui en étaient membres auront, je l'espère, l'honnêteté de le reconnaître.

On a reproché à notre plan de reposer sur des changements de comportement. C'est pour cela qu'il est crédible : s'attaquant aux problèmes structurels de l'assurance maladie, il diffère profondément des seize plans qui se sont succédé depuis 1977. C'est parce que nous voulons changer les comportements que nous réussirons (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Selon le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, le déficit est dû pour deux tiers à des facteurs structurels et pour un tiers à des motifs conjoncturels. En réduisant les dépenses de 10 milliards et en augmentant les recettes de 5 milliards, le Gouvernement apporte des réponses structurelles à des problèmes structurels.

Nous avons pris le temps de la concertation. Nous avons refusé ce qui se fait traditionnellement : je veux parler des déremboursements massifs. Baisser de cinq points le taux de remboursement aurait permis de dégager 1,7 milliard d'économies. Il s'agit d'économies certaines, immédiates. Mais elles se traduisent par un transfert de l'assurance maladie vers les organismes complémentaires, l'assuré étant prié de payer des cotisations toujours plus importantes. Notre plan ne modifie en rien la frontière entre régime obligatoire et régime complémentaire. Les efforts que nous demandons aux Français ne visent qu'à consolider un système qu'ils apprécient.

Nous avons aussi refusé toute atteinte à la liberté, le patient restant libre de consulter le médecin de son choix, le médecin prescrivant ce qu'il juge être bon pour son patient. Mais je considère que la liberté a pour contrepartie la responsabilité.

Nous avons enfin refusé les prélèvements massifs. N'en déplaise à certains, il n'y a pas de ressources qu'on pourrait ponctionner sans conséquence sur la croissance.

M. Maxime Gremetz - Si !

M. le Secrétaire d'Etat - Comme l'a souligné le Haut conseil, traiter la question du financement par la seule voie du prélèvement créerait des tensions insoutenables.

Les dépenses de santé continueront de croître et c'est légitime. Il n'y a pas, il n'y aura pas de rationnement des soins.

M. Jean-Marie Le Guen - C'est l'assurance maladie que vous rationnez !

M. le Secrétaire d'Etat - Nous faisons en sorte que chaque euro investi dans notre système de soins le soit à bon escient. Cela passe d'abord par la maîtrise médicalisée des dépenses. Dans son point de conjoncture de mai 2004, la Caisse nationale d'assurance maladie évalue entre 5 et 6 milliards le coût des dépenses injustifiées pour les seuls soins de ville. Promouvoir le bon usage du médicament, grâce à des logiciels d'aide à la prescription et à des campagnes d'information, nous permettra d'économiser 800 millions d'euros. Nous consommons en France une boîte de médicament par personne et par semaine, soit 1,5 fois plus que les Allemands et les Espagnols, et deux fois plus que les Néerlandais. Le projet prévoit aussi la mise au point d'une charte de la visite médicale entre les industriels et le comité économique des produits de santé.

Le développement des référentiels de bonne pratique aura un effet réel grâce à la liquidation médicalisée mise en place par les caisses d'assurance maladie. La coordination des soins, à travers le dossier médical personnel, nous fera économiser 1 milliard d'ici à 2007. Enfin, de multiples études montrent que nous prenons en charge à 100 % des soins qui n'ont rien à voir avec l'affection qui justifie le classement en ALD.

La politique du médicament constitue le deuxième volet de ce plan. Nous travaillons en partenariat avec l'industrie du médicament.

M. Jean-Marie Le Guen - C'est rassurant !

M. le Secrétaire d'Etat - Il ne faut pas compromettre par des prélèvements l'attractivité de la France. Les Français doivent continuer à bénéficier de médicaments innovants (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Nous voulons soigner mieux en dépensant mieux.

Un économiste réputé, Claude Le Pen, estime à 1 milliard d'euros par an les économies réalisables grâce au développement des génériques. En Allemagne, 30 % des médicaments vendus sont des génériques. En France, nous n'en sommes qu'à 13 %. La marge est considérable et les économies seront au rendez-vous.

Le succès du générique montre que les Cassandre de l'époque se trompaient.

Le plan médicament prévoit aussi une meilleure adaptation des conditionnements aux prescriptions, en permettant par exemple la délivrance de boîtes de trois mois aux malades chroniques - 180 millions d'euros d'économies ; une plus grande maîtrise du processus de rétrocession des médicaments de l'hôpital vers la ville - 150 millions d'euros d'économies ; un relèvement des taxes applicables aux industries du médicament - 200 millions d'euros d'économies ; et diverses mesures de gestion des prix des molécules anciennes - 550 millions d'euros d'économies.

L'hôpital, qui représente près de la moitié des dépenses d'assurance maladie, participera lui aussi à la réforme de l'assurance maladie, principalement grâce à une nationalisation de sa politique d'achat. Il n'est pas normal en effet que les coûts d'achat varient, selon les hôpitaux, de 1 à 5 pour certains produits - par exemple l'oxygène médical. On peut harmoniser sans nuire en rien à la qualité des soins.

L'amélioration du contrôle des indemnités journalières devrait quant à elle rapporter 800 millions d'euros. Nous voulons, dans le respect des patients comme des professionnels, recentrer cette dépense sur sa véritable finalité : indemniser la personne temporairement dans l'incapacité de travailler pour raison médicale. Une réduction de la part des indemnités injustifiées et une diminution de moitié du tendanciel de progression de la dépense permettront une économie de l'ordre de 800 millions d'euros en 2007. Ce résultat n'est pas hors de portée comme le montrent les résultats déjà obtenus grâce aux contrôles accrus que la CNAM opère depuis l'automne 2003.

Il ne s'agit pas de culpabiliser les uns ou les autres, mais simplement de s'assurer de la réalité de la justification médicale de l'arrêt du travail et de décourager les abus (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Le transfert de la dette à la CADES nous permettra d'économiser un peu plus d'un milliard d'euros en frais financiers. Je sais que ce transfert fait débat mais ce dispositif nous a semblé préférable à l'augmentation très importante des prélèvements obligatoires qui auraient été nécessaires.

Avant-dernier volet de l'action sur les dépenses : la modernisation de la gestion du réseau des caisses. La sécurité sociale doit, tout comme l'Etat, se moderniser. L'augmentation de la productivité liée notamment au déploiement de la télétransmission et le non-remplacement d'une partie des départs à la retraite devraient permettre de dégager 200 millions d'euros d'économies d'ici à 2007.

Enfin, le ministère de la santé et la CNAM ont engagé un plan d'optimisation du rendement des recours contre les tiers. Cela vise les cas dans lesquels l'assurance maladie récupère auprès d'une assurance le coût des dépenses qu'elle a engagées du fait d'un accident dont un tiers est responsable. Les négociations entre la CNAM et les assureurs sur ce sujet devraient aboutir dans les prochaines semaines. Nous espérons de l'amélioration de ce rendement 300 millions d'euros supplémentaires à l'horizon 2007.

M. Jean-Marie Le Guen - Vous mettez l'administration sous la tutelle des assurances.

M. le Secrétaire d'Etat - J'en viens aux cinq milliards de nouvelles recettes que nous prévoyons.

Un milliard viendra de la participation des usagers via leur contribution de un euro par consultation et via l'augmentation du forfait journalier. Il nous a semblé en effet indispensable de susciter chez nos concitoyens une prise de conscience du coût de leur consommation de soins, le développement du tiers payant ayant incontestablement suscité un sentiment de gratuité. Nous ne voulons culpabiliser personne mais simplement responsabiliser chacun dans un souci d'équité, étant entendu que l'accès aux soins des plus démunis ne sera pas entravé et que les familles ne seront pas pénalisées, compte tenu des exonérations prévues. Tout acte de soins a un coût. A l'oublier, nous entraînerions collectivement l'assurance maladie vers la faillite (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

L'Etat apportera quant à lui une contribution d'un milliard au travers d'une fraction plus importante des droits tabacs affecté à l'assurance maladie. Il était de toute façon nécessaire de clarifier les liens financiers entre l'Etat et la sécurité sociale. Nous avions déjà entamé cette clarification en supprimant le FOREC. Nous faisons ici un pas de plus. Il s'agit d'un geste fort (Rires sur les bancs du groupe socialiste), dans un contexte financier difficile pour les finances publiques. C'est une réponse très concrète au débat sur les charges indues. Je crois de plus qu'une telle affectation repose sur une vraie logique de santé publique.

M. Jean-Marie Le Guen - C'est 10 % de ce que l'Etat doit.

M. le Secrétaire d'Etat - Ce transfert s'accompagne du nécessaire renforcement de l'autonomie des comptes de la sécurité sociale. Le texte prévoit que tout transfert de charges entre l'Etat et l'assurance maladie devra être compensé. Nous contribuons ainsi à identifier plus clairement les périmètres financiers respectifs de l'Etat et de la sécurité sociale, ce qui est une demande forte et légitime des gestionnaires. L'assurance maladie n'a en effet pas vocation à être la variable d'ajustement de calculs financiers , ce qui, au final, ne règle rien au problème du déficit.

J'insiste sur le fait que c'est un effort partagé...

M. Jean-Pierre Blazy - Mal partagé !

M. le Secrétaire d'Etat - ...que nous demandons à tous les acteurs - entreprises, actifs, retraités - et ce dans des limites qui nous semblent acceptables.

L'augmentation de la CSG sur les retraités ne s'applique qu'aux retraités imposables. Elle est limitée puisqu'elle se monte à 0,4 point, ce qui laisse un écart important - 0,9 point - avec le taux de CSG payée par les actifs. Alors qu'une politique très ambitieuse de prise en charge de la dépendance se met en place, il nous a semblé possible que les retraités contribuent à l'effort de redressement de l'assurance maladie. Cela se fera à hauteur de 600 millions d'euros. L'augmentation de l'assiette de la CSG sur les revenus de l'activité nous a, par ailleurs, semblé justifiée après la réforme des frais professionnels intervenue fin 2002. Elle générera un milliard d'euros de recettes supplémentaires.

Le taux de CSG sur les revenus du patrimoine et de placement sera relevé, quant à lui, de 0,7 point, soit 630 millions d'euros de recettes nouvelles. Et la CSG sur le produit des jeux sera, elle, relevée de deux points, passant ainsi à 9,5 % et assurant 100 millions d'euros de recettes.

S'agissant des entreprises, le projet prévoit une augmentation de 0,03 point..

M. Jean-Pierre Blazy - C'est énorme !

M. le Secrétaire d'Etat - ...de la Contribution spécifique de solidarité sur les sociétés, dite C3S. Il est important que les entreprises participent à l'effort de redressement des comptes. Elles le font dans des proportions raisonnables.

Vous le voyez, notre plan est un plan de maîtrise médicalisée et non un plan de maîtrise comptable car nous savons que cette dernière ne fonctionne pas et nous la jugeons contraire à l'esprit de notre système de santé.

Je voudrais revenir maintenant sur un point qui concerne plus particulièrement le Parlement : le respect des objectifs de dépenses d'assurance maladie.

Afin d'éviter que se creusent de nouveaux déficits, il est essentiel de moderniser en profondeur le pilotage financier de l'assurance maladie, notamment dans sa dimension parlementaire. La réforme de 1996 avait constitué indéniablement un premier progrès. En donnant au Parlement la faculté de fixer chaque année les ressources et de déterminer l'ONDAM, les lois de financement de la sécurité sociale ont constitué une avancée démocratique très importante mais aussi un cadre de référence. Elles n'ont cependant qu'une emprise insuffisante sur la réalité des dépenses et sur ses leviers. Chaque année, vous votez un objectif de dépenses qui est quasi systématiquement dépassé.

Nous devons améliorer les outils nous permettant d'anticiper les évolutions et de réagir en cas de dégradation brutale.

Le premier de ces outils sera une loi de financement modifiée par une réforme de la loi organique relative aux LFSS. Le Gouvernement présentera un texte en ce sens à l'automne et vous proposera, d'une part, d'inscrire les dépenses dans un cadre pluriannuel, afin de donner une vraie visibilité aux gestionnaires sur un cycle qui pourrait être de trois ans, d'autre part, de renforcer la lisibilité de l'équilibre des différentes branches.

Les deux autres outils figurent dans le présent projet. Les caisses d'assurance maladie seront associées à la préparation des objectifs de dépenses. Elles feront chaque année des propositions d'orientation. C'est, je crois, un élément central dans la responsabilité des gestionnaires et dans la possibilité de prévoir un ONDAM plus réaliste.

Le projet prévoit aussi un comité d'alerte qui devra prévenir les gestionnaires lorsqu'un risque sérieux de dépassement apparaîtra avant le milieu de l'année. Nous avons souhaité qu'il intervienne exclusivement sur plan technique, en déterminant les risques de dérives. Il sera indépendant de l'assurance maladie comme du Gouvernement.

Il ne s'agit aucunement d'enfermer les dépenses de santé dans une enveloppe comptable, ce qui n'aurait aucun sens. Aucun gouvernement n'ordonnera la fermeture des cabinets médicaux ou des hôpitaux le 15 décembre sous prétexte que l'enveloppe attribuée aurait été dépassée !

M. Jean-Marie Le Guen - Mais la fin des remboursement, oui !

M. le Secrétaire d'Etat - On peut être responsable des dépenses sans être prisonnier d'une enveloppe.

M. le Secrétaire d'Etat - Toutes ces mesures réussiront grâce à l'engagement de tous. Leur mise en _uvre devra donc être progressive. Elles devraient permettre à l'assurance maladie de revenir vers l'équilibre financier en 2007. Mais nous saurons plus tôt si la situation évolue dans le bon sens. En 2005, si les comportements commencent à se modifier, la dérive des comptes devrait s'arrêter et le déficit se réduire. Dès la fin 2005, nous saurons si nous sommes en train de relever ce défi.

Nous devrons rester mobilisés, après le vote de la loi, pour assurer résolument sa mise en _uvre : ce que j'appelle le «service après vote» de ce plan de modernisation. Car une grande partie du travail restera à faire.

A la demande du Premier Ministre, nous nous sommes engagés, avec Philippe Douste-Blazy, à ce que les décrets d'application soient pris rapidement : beaucoup sont déjà en préparation, et seront adaptés au vote des parlementaires. Ainsi certains décrets pourront être publiés dès le début du mois de septembre.

Par ailleurs, nous mettons en place un vrai suivi des engagements pris et une évaluation de leurs effets, car nous voulons tout faire pour que cette réforme atteigne ses objectifs. C'est pourquoi l'impact de ces mesures sera évalué périodiquement, avec un tableau de bord qui sera publié et bien sûr communiqué au Parlement. Le Gouvernement propose d'ailleurs d'associer à ce suivi les rapporteurs du projet de loi, comme le proposait la résolution de M. Warsmann. Dès la rentrée, nous expliquerons davantage encore aux patients et aux acteurs de la santé les modalités et la réalité de cette modernisation.

La modernisation de l'assurance maladie repose sur trois temps : le temps de la démocratie sociale que nous avons fait vivre ; le temps de la démocratie parlementaire qui s'ouvre solennellement cet après-midi ; le temps de la démocratie citoyenne qui va nous mobiliser. Cette modernisation repose aussi sur trois principes : la détermination au service d'une ambition, le dialogue au service de la concertation, la pédagogie au service du devoir de vérité. Si chacun y met du sien, nous sauverons ce système de santé qui fait notre fierté, dans lequel chacun contribue selon ses moyens et est soigné suivant ses besoins. Relevons ensemble le défi d'une modernisation qui conforte la solidarité, d'une solidarité que renforce la responsabilité.

L'enjeu est de taille : garantir l'avenir de notre sécurité sociale à la française. A nous d'être au rendez-vous de nos responsabilités (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et plusieurs bancs du groupe UDF).

M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur de la commission spéciale - Aujourd'hui, notre responsabilité est historique. Ce qu'il nous faut faire n'est rien de moins que sauvegarder l'assurance maladie, cette branche que les Français assimilent volontiers à la sécurité sociale tout entière - la « Sécu », comme ils disent, ce système « unique au monde » qu'ils qualifiaient de « bonne fée » dans l'étude que nous avions commandée il y a dix-huit mois avec le président Méhaignerie. Ils ont pour elle un attachement quasi _dipien !

Rappelons en effet les principes fondateurs de cet édifice, qui ont gagné en force avec le temps. C'est l'universalité de la couverture, qui exprime la solidarité nationale ; c'est une prise en charge indépendante de l'état de santé, de l'âge et des comportements, et aussi du niveau de revenus ; c'est le caractère obligatoire de l'affiliation, qui garantit la cohérence du système ; c'est enfin un taux de prise en charge élevé, assurant la presque gratuité des soins coûteux.

Les problématiques de l'assurance maladie et du système de soins doivent faire l'objet d'une analyse globale. Leur articulation n'a qu'un but : un accès égal à des soins de qualité égale pour tous. Qu'en est-il aujourd'hui ? L'accès est-il égal ? Et la qualité ? Je crains de ne pouvoir donner à ces questions des réponses satisfaisantes. Depuis quelques années, lentement, à bas bruit, nous nous éloignons de cet idéal. Au-delà de mon expérience de médecin, de nombreux courriers attirent notre attention sur les disparités de qualité, sur les phénomènes de file d'attente, sur les inégalités géographiques, ces trois handicaps pouvant se cumuler...

Ces impressions sont confirmées par le diagnostic du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie et par le rapport de la mission d'information initiée par le président Debré. Toutes deux ont mis en relief le caractère indissociable du système d'assurance et du système de soins. Elles ont aussi montré la nécessité de les moderniser et de mieux les articuler. C'est ma conviction, et la volonté du Président de la République et du Premier ministre, qui ont souhaité dès le début de la législature que nous procédions à cette modernisation trop longtemps retardée.

Ce projet de loi prend place dans une politique d'ensemble, notamment dessinée par les textes suivants : le projet relatif à la politique de santé publique, qui sera définitivement adopté avant la fin de la session extraordinaire ; le projet relatif à l'autonomie des personnes âgées et handicapées, définitivement adopté le 17 juin ; le projet relatif à l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées, qui sera adopté avant la fin de l'année ; le plan hôpital 2007, résultant de l'article 50 du projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit ; le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux ; sans oublier la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dont je souhaite rappeler que je l'ai votée. L'ensemble présente une belle cohérence, incluant la dimension médico-sociale que nous souhaitions tous - loin du texte « unijambiste » dénoncé par certains.

L'Assemblée nationale a largement contribué à la préparation de la réforme. La création de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé a favorisé la réflexion sur l'évaluation de l'efficacité médico-économique de notre système. La mission d'information sur l'organisation interne de l'hôpital, présidée par René Couanau, et deux tables rondes ont permis de mieux comprendre les enjeux de la réforme hospitalière. Sur le plan des comparaisons internationales, une délégation de la commission des affaires sociales s'est rendue à Québec et à Londres en septembre 2003 ; nos relations sont étroites avec la commission de la santé du Bundestag. Et le rapport de notre collègue Edouard Landrain sur la réforme de l'assurance maladie en Europe a été éclairant. Des députés, de la majorité comme de l'opposition, ont participé dans un esprit coopératif aux travaux du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, et je salue notre collègue Jean-Marie Le Guen, qui comme moi en a partagé le diagnostic. La mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'assurance maladie a effectué un travail considérable dans des délais serrés. Enfin la commission spéciale a réalisé trente auditions entre son installation et le début de ses travaux.

Notre commission a étudié à ce jour 1 453 amendements. Je ferai deux remarques à ce sujet. Tout d'abord je regrette le raz-de-marée des amendements du groupe communiste et républicain. Il est impossible de dégager de ces milliers d'amendements la moindre orientation politique. Où est la ligne ? Quel est le message ? L'obstruction parlementaire ne profite jamais au débat de fond. C'est regrettable sur un sujet d'une telle importance. J'aimerais d'autre part saluer les fonctionnaires de l'Assemblée, administrateurs et secrétaires qui ont travaillé sans relâche, mais aussi les agents qui ont réalisé dans la bonne humeur des dizaines de milliers de photocopies.

Lancée par Jean-François Mattei, que je veux saluer à mon tour, la réforme de l'assurance maladie que vous nous proposez, Messieurs les Ministres, représente le meilleur équilibre possible entre deux tensions : ne pas se laisser entraîner par la ligne de pente de la dérive financière, ce qui serait irresponsable ; tout faire pour remonter la pente en assurant aux Français qu'ils conserveront le bénéfice d'un des meilleurs systèmes de santé du monde, et ce sera notre fierté d'élus du peuple.

Le socle du projet reste la solidarité. Qui songerait à démanteler l'un des plus puissants facteurs de notre cohésion sociale ? La sécurité sociale est un élément consubstantiel de notre patrimoine national, un héritage commun qui plonge ses racines dans notre histoire. Je ne saurais aborder ce texte sans rendre hommage aux pères fondateurs de l'assurance maladie : le général de Gaulle, un visionnaire qui sut s'adjoindre l'expérience d'un connaisseur hors pair des mécanismes assurantiels d'avant-guerre, Pierre Laroque, et d'un autre membre du Conseil national de la Résistance, Ambroise Croizat, qui souhaitait "en terminer avec l'indignité des vies dans l'angoisse de l'accident de la maladie ou des souffrances de l'enfant". "Les vrais hommes de progrès, disait Ernest Renan, sont ceux qui ont pour point de départ un profond respect du passé." Puisse cette réflexion nous inspirer pendant nos débats !

Ce texte prend le parti de faire confiance aux assurés et aux professionnels de santé pour être les acteurs d'une réforme qu'ils doivent s'approprier. C'est un plan d'ensemble qui ne se contente pas de prendre des mesures financières nécessaires, mais entend aussi promouvoir la qualité des soins, changer les comportements et réformer le pilotage de l'assurance maladie, en respectant son caractère solidaire.

Vous avez souvent résumé l'esprit de ce projet, Monsieur le ministre, par l'expression : « soigner mieux en dépensant mieux ». Cet objectif se traduit par quatre orientations : augmentation de la qualité des soins, responsabilisation du patient, organisation rénovée, financement à la hauteur des besoins.

L'augmentation de la qualité des soins passe par une coordination et une continuité renforcées. C'est une _uvre de longue haleine, dont les résultats ne seront perceptibles que dans quelques années. Ils s'appuient en effet sur un changement de comportement des usagers comme des professionnels. Il ne s'agit donc pas du "grand soir" du système de santé.

Le dossier médical personnel permettra le décloisonnement entre la médecine de ville et l'hospitalisation et facilitera le travail en réseau. II pose des questions éthiques et déontologiques, prises en compte par notre commission notamment grâce à un amendement de notre collègue Claude Evin. La commission a adopté, à mon initiative, un amendement interdisant notamment que l'accès au dossier médical personnel soit une condition de la conclusion d'un contrat de protection complémentaire santé.

Pour réussir, le dispositif devra être simple, généralisé d'emblée et évolutif. Il constituera un formidable outil de modernisation si son objectif unique reste le service médical rendu au patient. La confiance du patient envers ce nouvel outil doit être totale : dès lors ni l'assurance maladie ni les organes de santé publique ne doivent y avoir accès. Un dispositif est prévu pour encourager le patient à utiliser le dossier médical personnel. Les débats en commission, Messieurs les ministres, ont été passionnés : vous nous préciserez les conditions d'application du système, notamment pour la médecine du travail, la nature des informations regroupées sur ce dossier et les économies qu'on peut en espérer à terme.

Le projet reconnaît la place essentielle du médecin traitant choisi par le patient. Ce sera le plus souvent un médecin généraliste, mais un spécialiste pourra être désigné comme médecin traitant dans certaines pathologies. Ce médecin, proche du traditionnel médecin de famille, a une vue d'ensemble du patient, dont il connaît l'histoire personnelle, le contexte familial et culturel, l'environnement social et économique. Son approche, loin d'être limitée à un organe en particulier, s'étend à l'état de santé global de son patient. L'assuré pourra changer de médecin traitant en prévenant la caisse primaire dont il relève : le projet respecte bien sa liberté de choix.

Le texte comporte un dispositif encourageant l'assuré à respecter les filières de soins intégrant médecins généralistes et médecins spécialistes. Le patient conservera un accès direct sans pénalité à certaines spécialités. Vous nous préciserez, Monsieur le ministre, les conditions dans lesquelles cet accès direct sans pénalité sera conservé et les exceptions au principe de majoration de participation, comme y invite un amendement adopté par la commission.

La continuité des soins, favorisée par le dossier médical personnel, est renforcée par le travail en réseau et le respect de protocoles de soins, notamment pour les malades atteints d'affections de longue durée. La prise en charge de ces affections fera l'objet d'un encadrement médicalisé et renforcé. Plus généralement, à mes yeux, la prise en charge des affections de longue durée n'est pas satisfaisante. Elles représentent 50 % des dépenses d'assurance maladie et sont toutes traitées sur le même plan alors qu'elles n'ont rien de commun. Au sein de chacune, des distinctions sont nécessaires : en fonction du type de maladie et des malades, certains devraient être plus aidés.

La réforme ne réussira pas sans l'engagement des professionnels de santé et je salue l'attitude très constructive de leurs organisations professionnelles. De fait, le projet leur demande d'approfondir leurs démarches d'évaluation et de formation continue et de s'engager plus avant dans le respect des bonnes pratiques. L'article 8 va accélérer le rythme de l'évaluation des pratiques professionnelles. Il était temps qu'on sorte, en la matière, des déclarations de principe. Les assurés, de leur côté, seront mieux informés de la participation des médecins à cette évaluation. Par quelle voie les caisses pourront-elles renseigner les assurés ? Un site Internet a été évoqué.

En France, nos professionnels de santé sont isolés. Le projet, qui favorise le développement des réseaux et de l'exercice en groupe contribuera à rompre cette solitude parfois durement vécue par les plus jeunes.

Les patients seront eux aussi conduits à changer leurs comportements. Le système français associe un haut degré de liberté à un niveau élevé de socialisation des dépenses. Nous souhaitons préserver cette exception tout en luttant contre ses effets pervers.

C'est pourquoi le patient sera invité à devenir acteur de sa santé. Les exemples récents de la réduction de la consommation d'antibiotiques ou de développement de la prescription des médicaments génériques sont encourageants. Il est nécessaire de multiplier les campagnes d'explications.

Parce que les ressources de l'assurance maladie ne sont pas illimitées, chaque euro dépensé par la collectivité doit être utilisé au mieux dans l'intérêt du patient. Le texte renforce les sanctions en cas de comportement abusif ou frauduleux. La carte Vitale devra désormais comporter la photographie du porteur. Ce sera la carte d'identité « santé » que vous aimez citer. Des sanctions graduées seront appliquées en cas d'abus et les prestations indues seront récupérées.

Les dépenses en indemnités journalières se sont accélérées au cours des dernières années de manière médicalement inexplicable. La consommation d'arrêts de travail est en moyenne de six jours par actif à Paris contre dix-huit dans le Gard ! Une action ciblée sur les plus gros prescripteurs et un contrôle plus efficace des assurés devraient permettre des économies sur ce poste, qui a représenté près de 6 milliards de dépenses pour l'assurance maladie en 2003. Un amendement a été adopté par la commission afin de mieux encadrer les prolongations d'arrêts de travail.

Le bon usage des médicaments est vigoureusement encouragé. J'attends beaucoup de la charte que devront conclure les entreprises du médicament et le Comité économique des produits de santé pour éviter certaines dérives.

A l'horizon 2007, les économies réalisées sur les dépenses liées aux produits de santé pourraient ainsi s'élever à 2,3 milliards. Le comité économique des produits de santé voit son rôle conforté. J'attends encore plus de l'amélioration de la formation continue des professionnels de santé.

La mise en _uvre de ces mesures devrait d'abord réduire puis faire disparaître les dépenses inutiles... en particulier à l'hôpital, qui restera la pierre angulaire de notre système de soins. Un hôpital dont la gestion financière sera révolutionnée par la tarification à l'activité et dont le mode de pilotage devra être réformé. Nous pouvons à la fois rendre un meilleur service aux malades et réaliser des économies dont l'importance me semble largement sous-estimée.

Le chantier de la gouvernance est l'un des plus difficiles. Les travaux de la mission Debré ont mis en relief les effets délétères de l'absence de pilotage du système et des impulsions, parfois contradictoires, données par des acteurs mal coordonnés et repliés sur leurs champs de compétence limités.

Le schéma proposé clarifie les responsabilités entre l'Etat et les caisses tout en réaffirmant les compétences de l'Etat, garant de la réalisation des objectifs de santé publique.

La réforme de l'assurance maladie repose sur le maintien d'un pilotage par les partenaires sociaux et une organisation institutionnelle leur permettant d'exercer réellement cette compétence. Les partenaires sociaux retrouveront leur fonction d'orientation au sein du conseil de la caisse où ils auront une place prépondérante. La commission a adopté plusieurs amendements précisant l'équilibre nécessaire entre conseils et directeurs.

La création d'une Union nationale des caisses d'assurance maladie accentuera la collaboration entre les trois régimes, sans préjudice pour leurs identités respectives.

Le pilotage financier est rendu plus crédible par la mise en place du comité d'alerte. Le vote de l'ONDAM, l'un des grands progrès des ordonnances de 1996, a été malheureusement vidé de son sens par des dépassements systématiques. Pouvez-vous nous préciser le calendrier de réforme de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, s'agissant notamment de la notion de pluriannualité ?

La Haute autorité de santé apportera une expertise indispensable. La commission a souhaité qu'elle dépose un rapport annuel au Parlement. Sa mission d'évaluation, son rôle dans la promotion des bonnes pratiques et l'amélioration de l'information s'appuieront sur les travaux de l'ANAES et de l'AFSSAPS, et elle reprendra les missions actuellement confiées au FOPIM. Dans tous ces domaines, il nous faut passer à la vitesse supérieure.

L'Institut des données de santé sera un établissement collecteur et diffuseur de données, évidemment anonymes, accessibles aux caisses, aux mutuelles, aux professionnels et établissements de santé.

Ce renouvellement des institutions permettra d'étendre les pouvoirs de l'assurance maladie en matière de remboursement des dépenses, dont l'UNCAM déterminera le taux. Cette compétence représente une grande avancée pour les gestionnaires.

C'est à l'UNCAM que reviendra la responsabilité de l'inscription à la nomenclature des actes et prestations remboursables. Les ministres compétents conserveront néanmoins un droit d'opposition pour raison de santé publique. De même, pour la fixation des prix des médicaments, l'assurance maladie bénéficiera de prérogatives accrues.

Le projet met fin à l'absurde système de vases communicants dans lequel les assurances complémentaires se précipitaient pour rembourser les dépenses que l'assurance maladie avait choisi de ne plus prendre en charge. A quoi sert un ticket modérateur, une franchise ou un forfait hospitalier lorsqu'il est intégralement pris en charge par les complémentaires ?

Le choix a donc été fait, non pas d'interdire une prise en charge par les complémentaires mais de la rendre financièrement peu attractive pour celles-ci. La commission a adopté trois amendements précisant l'articulation entre UNCAM et complémentaires, et un autre créant une Union nationale des professions de santé.

Cette extension des pouvoirs de l'assurance maladie placera les gestionnaires des régimes de base devant leur responsabilité. Cette compétence est également confortée dans le champ conventionnel. Les accords interprofessionnels seront favorisés. L'Etat ne sera plus dans la position de décideur d'ultime recours comme il l'est aujourd'hui. La création d'un droit d'opposition et la mise en place d'un règlement arbitral éviteront bien des dysfonctionnements.

La volonté de mieux coordonner la médecine de ville et l'hôpital et d'associer davantage au pilotage de l'hôpital l'assurance maladie est consacrée par la création du conseil d'hospitalisation, dont nous proposerons de renforcer les compétences.

La conférence nationale de santé permettra aux usagers et aux professionnels de santé de donner des avis sur la prévention et le soin.

Mais c'est au niveau régional que la coordination doit prendre toute sa dimension grâce au rapprochement entre agences régionales de l'hospitalisation et unions régionales des caisses d'assurance maladie. Nombre de députés espéraient que vous vous avanceriez plus en direction des agences régionales de santé... Il est vrai que la situation est complexe tant sont nombreux les acteurs et enchevêtrées leurs attributions respectives.

La commission vous proposera de créer des missions régionales de santé qui renforceront la coordination ville-hôpital, et qui s'articuleront avec les groupements régionaux de santé publique et les conférences régionales de santé. Le président de la commission spéciale a proposé un amendement permettant d'expérimenter les agences régionales de santé dans des régions volontaires. C'est un grand pas, vers les agences régionales de santé, et je demande à Jean-Luc Préel et Claude Evin, fervents militants des ARS, d'en tenir compte.

Le financement prévu est à la hauteur des besoins. Il faut être réaliste et tenir compte des déficits, des impératifs européens, du fait que nos prédécesseurs ont dépensé sans compter, sans penser au lendemain (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP). Ce passif, nous devons l'éponger aujourd'hui.

M. Jean-Marie Le Guen - Ce sont les assurés que vous épongez !

M. le Rapporteur - Ce texte privilégie les économies sur le fonctionnement et l'organisation, grâce notamment à la maîtrise médicalisée, la tarification à l'activité, les taxes sur les dépenses de promotion. L'effort pour redresser les comptes sera équitablement partagé.

D'abord, il faut apurer les 35 milliards de dette accumulée. La commission a souhaité limiter à 2020 la prolongation de la durée de vie de la CADES et augmenter de 0,15% le taux de la CRDS. Vous envisagez d'autres mécanismes pour rembourser la dette en fonction des excédents. Nous en débattrons.

L'usager paiera une contribution forfaitaire par consultation ou acte médical. Que n'a-t-on dit sur cet euro symbolique qui ne concernera pourtant ni les enfants, ni les femmes enceintes, ni les bénéficiaires de la CMU ! Cette contribution est bien inférieure à ce qu'elle est dans d'autres pays européens, notamment ceux qui ont un gouvernement socialiste. L'augmentation du forfait hospitalier va dans le même sens.

Assurés, patients, professionnels de santé et entreprises pharmaceutiques, employeurs et Etat contribueront donc de façon équitable et raisonnable au succès de la réforme. Ainsi, pour ce qui est de la CSG, l'assiette est élargie pour les revenus d'activité, le taux relevé de 0,4% pour les retraités imposables, de 0,7% sur les revenus du patrimoine et de 2% sur les jeux.

Le projet corrige également un certain nombre de dérives. Ainsi, en clarifiant les relations entre régimes de base et régimes complémentaires, il permet d'étendre la couverture complémentaire alors que 8% des Français n'en bénéficient pas. La commission a adopté un amendement qui renforce ce dispositif.

La direction de la prévision du ministère de l'Économie est sans doute dans son rôle en tenant des propos pessimistes. Mais elle dit elle-même qu'il y a des choses que l'on ne peut quantifier et Dominique Bussereau a replacé la note dans son contexte. Ceux qui connaissent le système de l'intérieur savent à coup sûr des choses que les technocrates ignorent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Ce projet donne un nouveau départ à l'assurance maladie. Les contre-projets, quand ils existent, sont bien légers (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Je rêvais d'un consensus à l'allemande, et je reste convaincu qu'il aurait été possible si je m'en tiens aux conversations que j'ai eues avec les représentants du principal parti de l'opposition. Question de culture, sans doute...

L'assemblée améliorera ce projet. Mais son vote ne sera qu'une étape. Sa réussite dépendra de l'adhésion de tous ceux qui auront à le mettre en _uvre et du calendrier que vous proposerez. Il faut l'appliquer rapidement et avec détermination. Tous ensemble, nous devons sauver la Sécu (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Yves Bur, président de la commission spéciale - Ce qui nous réunit pour moderniser notre système de santé, après la réforme des retraites, c'est la volonté de sauver cet élément essentiel du lien social qu'est la solidarité face à la maladie. En proie aux déficits, à la concurrence internationale, la France, comme la plupart des pas développés, doit relever le défi majeur de la cohésion sociale. Comment assurer à chacun de soins de qualité ? Les réponses divergent, mais je souhaite que le débat soit à la hauteur des enjeux et ne s'enlise pas dans des man_uvres de procédure.

Il a fallu neuf ans après la réforme engagée par Alain Juppé pour qu'un gouvernement ose s'attaquer à ce dossier explosif. Politiques, acteurs sociaux, professionnels de santé, tous portent la responsabilité d'une fuite en avant qui nous a conduit au bord de l'abîme. Aujourd'hui, plus de 10% de nos dépenses de santé ne sont pas financées, soit l'équivalent de l'ensemble des remboursements de médicaments ! Ce déficit sera de 12,9 milliards en 2004 et pourrait atteindre 29 milliards en 2010, 66 milliards en 2020, hors charge de la dette, si la croissance des dépenses reste supérieure de 1,5% celle du PIB. Face à cette situation, le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie a conclu que, pour sauver notre système solidaire, il fallait en améliorer le fonctionnement, ajuster les conditions de prise en charge par les différents financeurs de l'assurance maladie et engager des réflexions sur les recettes, sur la base de la parité des efforts contributifs et des droits. Il insiste également sur la transparence nécessaire dans les rapports financiers entre l'Etat et l'assurance maladie.

La réforme s'inspire de ces conclusions. Tournant le dos à la maîtrise comptable, ce projet veut modifier durablement et en profondeur les comportements de tous les acteurs de la santé et des assurés. Chacun doit comprendre que la solidarité avec un accès libre au réseau ne peut perdurer que si les ressources solidaires sont utilisées de façon optimale, que les abus sont éliminés et que cessent les man_uvres d'arrière-garde pour justifier l'injustifiable. L'enjeu n'est pas de trouver les 10 à 15 milliards nécessaire pour assurer un équilibre temporaire ; il est de faire adopter durablement de nouveaux comportements pour assurer la pérennité de notre système.

La tâche est difficile. Les patients doivent comprendre que la surconsommation, conséquence d'un système sans régulation, doit cesser. Les professionnels doivent accélérer la mise en place du dossier médical partagé, mieux coordonner les soins autour du médecin traitant, réduire des prescriptions trop souvent injustifiées, mieux promouvoir les génériques. L'hôpital ne peut, au nom du service public, s'exonérer de ces changements alors qu'il représente la moitié des dépenses de santé. La tarification à l'activité et le plan Hôpital 2007 lui permettront d'évoluer. Certes, mieux aurait valu le faire quand la croissance le permettait !

Il faut s'assurer que la réforme apportera les résultats escomptés dans un délai compatible avec la gestion des dettes. Il faut comprendre que la solidarité ne signifie pas liberté totale de consommation, ni refus de toute régulation au nom d'un droit des malades dévoyé. Il faut optimiser les dépenses d'assurance maladie. Dans ce but, la CNAM a déjà engagé six plans nationaux portant sur l'usage du médicament, les arrêts de travail, les prescriptions d'analyses de biologie médicale, les transports sanitaires et l'utilisation des dispositifs médicaux. Il y a là 27,6 milliards de dépenses, sur lesquelles on peut espérer économiser de 10 à 15%.

Les 18 milliards de dépenses pour les affections de longue durée représentent 40% des dépenses de ville. On peut faire là de sérieuses économies sans porter atteinte à la qualité des soins. Il faut donc s'assurer que la qualité de la prise en charge médicale est optimale, et que seules les dépenses liées à l'affection de longue durée sont prises en charges à 100%, ce qui pourrait diminuer les charges de 2 milliards. A ce titre, il convient de renforcer la portée des protocoles de soins mis en place par la LFSS pour 2004. De même, une étude sur les comportements de prescription des médecins généralistes montre que des économies conséquentes pourraient être réalisées, si les plus gros prescripteurs étaient incités à modifier leurs comportements. L'économie générée par un exercice médicalement plus vertueux de ces seuls prescripteurs pourrait atteindre entre 2 et 2,5 milliards.

Les conclusions des diverses études permettent d'avancer l'idée qu'une économie de 5 à 6 milliards serait possible sans remettre en cause la qualité de la prise en charge médicales. L'analyse de ces données confirme une fois de plus le diagnostic partagé du Haut conseil, lorsque celui-ci plaide pour une réorganisation du système de soins autour d'un meilleur rapport qualité/prix. Ces indicateurs mettent tout aussi clairement les prescripteurs en première ligne. S'ils ont stigmatisé à juste titre les tentatives ratées de maîtrise comptable, ils se disent prêts aujourd'hui à miser sur le potentiel d'optimisation des dépenses, en évoquant 1994, année mythique de la maîtrise médicalisée. Dès lors, nous attendons d'eux qu'ils s'engagent au plus vite à réaliser une nouvelle année 1994 en 2005, en 2006 et en 2007, et que cessent les combats d'arrière-garde. Il ne faut pas prendre le risque de connaître en 2007 un nouveau 1995 !

Les professionnels médicaux, dans le secteur libéral comme à l'hôpital doivent s'engager résolument dans une pratique du «juste soin », ayant vocation à être contractualisée avec la future instance de pilotage et de décision. J'en appelle à la responsabilité des médecins pour assumer les responsabilités que leur confère le savoir médical. Il ne s'agit pas de privilégier la responsabilité financière par rapport à la responsabilité médicale, mais de parvenir à réconcilier les deux. La commission spéciale estime aussi qu'une telle évolution des comportements ne peut être dictée uniquement par le haut, et que le système de santé serait mieux piloté dans une plus grande proximité, à l'échelle de la région. Voie médiane entre une déconcentration des pouvoirs visant à masquer une étatisation pure et simple et une décentralisation au profit des régions - qui ne sont pas prêtes -, nous proposons de créer une mission régionale de santé, ayant vocation à articuler au mieux la médecine de ville et l'hôpital. Je souhaite que le Gouvernement privilégie cette et option et l'expérimente dans deux ou trois régions pilotes.

S'agissant de la dette, nombre d'entre nous considèrent comme moralement inacceptable de charger la barque des générations futures en leur faisant payer les conséquences de notre incurie.

M. Jean-Marie Le Guen - Très bien !

M. le Président de la commission spéciale - C'est la raison pour laquelle, tout en comprenant la volonté du Gouvernement de ne recourir qu'à une augmentation limitée des prélèvements obligatoires, nous souhaitons cantonner le remboursement de la Cades à l'horizon 2020 et ajuster légèrement la CRDS. C'est un signe à nos jeunes et le refus d'une position égoïste et de court terme.

Enfin, nous avons bien entendu, Messieurs les ministres, votre souhait de couronner cette nouvelle gouvernance de l'assurance maladie par une refonte de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale. Nous partageons pleinement cet objectif, afin de donner plus de substance à cet outil encore neuf, créé par Alain Juppé il y a huit ans. Il s'agit d'un enjeu majeur pour le Parlement, et je souhaite que cette réforme s'engage sur une initiative parlementaire, à l'image de ce qui est advenu pour l'émergence de notre nouvelle Constitution financière, la LOLF. Un consensus est possible sur ce sujet, et nous vous ferrons des propositions à ce sujet. Messieurs les ministres, le débat qui s'engage aujourd'hui nous permettra d'aborder les diverses facettes de votre projet de réforme qui illustrent la complexité de l'entreprise.

Votre challenge, messieurs les Ministres sera de donner corps à la nouvelle gouvernance que tout le monde attend et de concrétiser le v_u de juguler le déficit à partir des mutations comportementales auxquelles vous appelez l'ensemble des professionnels de santé et tous les Français.

Croire que ces changements se feront sans douleur est utopique : la réforme sera exigeante pour tous, et les efforts devront s'inscrire dans la durée. Nous serons à vos côtés pour sauver notre Sécurité sociale, tout en la modernisant en vue de permettre à chacun de bénéficier d'une solidarité active face à la maladie. Ensemble, nous devons construire le cadre d'une nouvelle solidarité, au nom de laquelle chacun sera aussi amené à être plus responsable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir à 21 heures 30.

La séance est levée à 20 heures 5.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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