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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 3ème jour de séance, 6ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 6 OCTOBRE 2004

PRÉSIDENCE de M. Maurice LEROY

vice-président

Sommaire

      DÉVELOPPEMENT DES TERRITOIRES RURAUX 2

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 15

      DISCUSSION GÉNÉRALE 20

      ORDRE DU JOUR DU JEUDI 7 OCTOBRE 2004 29

La séance est ouverte à vingt-deux heures.

DÉVELOPPEMENT DES TERRITOIRES RURAUX

L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux.

M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales - J'ai l'honneur de soumettre à votre examen le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, dans la forme que lui ont donnée les discussions de première lecture, ici même puis au Sénat. Il me faut rappeler que mes collègues Gilles de Robien, Serge Lepeltier, Jean-François Copé, Xavier Bertrand et Frédéric de Saint-Sernin ont largement contribué à l'élaboration de ce texte à fort caractère interministériel.

Je tiens à saluer à nouveau le travail considérable du président Patrick Ollier sur les questions d'aménagement du territoire et de développement des territoires ruraux, qu'il connaît bien. Je gage que son concours sera aussi précieux en deuxième qu'en première lecture. Je remercie également les trois rapporteurs pour la qualité de leurs travaux. Je veux enfin remercier tous les parlementaires qui ont participé aux travaux de la navette.

Exode rural, vieillissement de la population, progression de la friche, enclavement de certains territoires, autant d'évolutions dans lesquelles Emile Guillaumin, dans La vie d'un simple, voyait dès le XIXe siècle les signes avant-coureurs d'un « lent effacement » du monde rural. Or, il n'est pas aujourd'hui, davantage qu'hier, de fatalité, et une volonté politique forte peut avoir raison de difficultés trop souvent tenues, à tort, pour insurmontables.

Ce texte répond à une triple ambition.

Première ambition : assumer le patrimoine rural qui fait l'identité de notre pays et le valoriser. Nous avons à cet égard une responsabilité à l'égard des générations à venir. L`agriculture et la ruralité ont en effet joué un rôle fondateur dans l'identité de la France et de la pensée française, et elles présentent aujourd'hui une importance majeure pour le développement durable, dont le Président de la République a fait une priorité de l'action du Gouvernement.

Deuxième ambition : réguler les évolutions divergentes des territoires ruraux, en veillant à en préserver la cohésion. Vidal de La Blache écrivait hier que « la France a une richesse de gamme qu'on ne trouve pas ailleurs ». Son constat demeure valable aujourd'hui. En effet, à côté des « campagnes des villes », où une part croissante des terres agricoles sont soumises à la pression urbaine et à la spéculation foncière, créant de nombreux conflits d'intérêts, on trouve des campagnes plus isolées, mal reliées aux réseaux de communication, et qui continuent à perdre des habitants, justifiant que la solidarité nationale s'y exerce de façon plus efficace et plus lisible, mais on trouve aussi de nouvelles campagnes, qui ont gagné près d'un demi million d'habitants entre 1975 et 2000 et où les dynamiques de projet doivent être mieux soutenues.

Troisième ambition : renouveler le contrat social dans les campagnes, en veillant à répondre aux besoins de ruraux qui ne veulent plus « changer la vie », mais qui, pour beaucoup, ont déjà changé de vie.

Pour répondre à cette triple ambition, ce projet de loi, largement enrichi par le Parlement, comporte une série de mesures-clés visant, à la fois, à favoriser l'attractivité économique et l'emploi, à garantir l'accès aux services, à préserver l'environnement et les espaces sensibles.

Ce texte a été considérablement enrichi. Là où le texte initial du Gouvernement comportait 76 articles, on en comptait 180 après la première lecture à l'Assemblée, et plus de 200 après celle au Sénat. Je me félicite, d'ailleurs, que cet enrichissement n'ait pas altéré la structure du texte ni ses grands objectifs. A l'issue des débats au Sénat, 61 articles ont été votés conformes, 30 ont été supprimés, 90 modifiés et 49 introduits. Le Gouvernement s'était engagé à réunir plusieurs groupes de travail pendant la navette, afin de prolonger la réflexion sur des sujets importants. Un titre liminaire a ainsi été introduit qui prévoit l'organisation, à l'initiative du ministre chargé des affaires rurales, d'une conférence annuelle sur la ruralité, réunissant toutes les forces vives du monde rural et ayant pour objet d'évaluer les politiques poursuivies, d'identifier les difficultés et de proposer de nouvelles orientations.

Je me concentrerai sur quelques-uns des apports du Sénat.

Afin de conforter le développement économique des territoires ruraux et de le placer au service de l'emploi, le projet de loi proposait d'actualiser le dispositif des zones de revitalisation rurale et de prendre des mesures incitatives dans ces zones. Sur proposition du Gouvernement, le Sénat a amélioré les critères de définition de ces zones, prorogé jusqu'en 2007 l'amortissement exceptionnel prévu pour l'implantation d'entreprises et la rénovation d'immeubles et porté de deux à cinq ans la durée d'exonération de taxe foncière sur le bâti et de taxes consulaires. Il a également allongé de quatre à cinq ans la durée de l'exonération d'impôt sur les sociétés à taux plein dans les ZRR ainsi que pour les entreprises nouvelles. Il a, en outre, décidé d'étaler la dégressivité de cet impôt sur les neuf années suivantes, soit un total de quatorze années, à l'instar des zones franches urbaines. Il a, d'autre part, adopté les dispositions prévues en matière de création de sociétés d'investissement pour le développement rural, les SIDER. Enfin, pour ce qui est des activités agricoles et touristiques, il a repris les dispositions fiscales et financières, ainsi que les simplifications proposées par le Gouvernement.

Le Président de la République a fait de l'emploi, on le sait, une priorité pour notre pays. Sur les deux thèmes de la pluriactivité et des groupements d'employeurs, essentiels au développement de l'emploi, votre Assemblée avait considérablement enrichi le texte. Le Sénat a voté conformes de nombreuses mesures, notamment pour faciliter les emplois saisonniers et encourager le développement des groupements d'employeurs. Il a également validé différentes dispositions relatives au rattachement des pluriactifs et de leurs conjoints collaborateurs, ainsi qu'à la formation et à l'insertion professionnelle.

En matière de logement, on le sait, l'offre est insuffisante dans les campagnes, tant sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif. Des maisons de village se dégradent sans être habitées, et trop de corps de fermes sont laissés à l'abandon. Pour mieux loger les actifs des territoires ruraux, il faut à la fois favoriser la rénovation du patrimoine bâti et développer l'habitat locatif dans les ZRR. Les dispositions relatives au logement des travailleurs agricoles, au logement locatif dans les ZRR et à la réhabilitation de logements anciens outre-mer ont été votées conformes. Les modalités de reprise par le bailleur d'un corps de ferme présentant un intérêt architectural ont été précisées. Les dispositions visant à faciliter la rénovation de locaux d'hébergement pour les saisonniers ont été améliorées. La durée de l'amortissement exceptionnel applicable à ces dépenses a notamment été allongée.

Il nous faut également garantir à nos concitoyens des territoires ruraux l'égalité d'accès aux services, déterminante pour l'attractivité économique, pour la qualité du cadre de vie et, plus largement, pour l'égalité des chances. S'agissant des services publics de proximité, le projet de loi adapte et simplifie le régime juridique des maisons de service public, qui pourront désormais accueillir en leur sein des services privés, dans le respect des règles de la concurrence. Grâce aux dispositions adoptées par le Sénat à l'article 37 F à la lumière des expérimentations menées sur le terrain depuis un an, les élus locaux seront désormais mieux informés des réorganisations de services publics ou de services proximité. Un nouvel article précise les conditions dans lesquelles l'Etat fixe les objectifs de service des différents organismes et confirme qu'il compensera les charges afférentes. Le texte précise en outre les modalités de concertation locale ainsi que les situations justifiant la saisine des ministres. C'est un gage de transparence pour les élus locaux. Je sais votre Assemblée très attentive à ces questions. Le Gouvernement est ouvert aux améliorations que vous pourrez encore apporter à ce dispositif.

S'agissant des services de santé, il est vital de garantir une présence médicale sur l'ensemble du territoire et, donc, de favoriser la constitution de pôles de soins et de cabinets de groupe. A cette fin, les aides accordées aux professions médicales par les collectivités et les caisses d'assurance maladie seront mieux coordonnées. De plus, les étudiants en médecine pourront bénéficier d'une indemnité d'études s'ils s'engagent à exercer comme médecin généraliste en zone déficitaire. De leur côté, les collectivités pourront accorder des indemnités de logement et de déplacement aux étudiants de troisième cycle de médecine effectuant leur stage dans les zones déficitaires. Le Sénat a également précisé le rôle de coordination du département en matière médicale et sociale. Dans les ZRR, les médecins et les vétérinaires pourront également, à l'initiative des collectivités, bénéficier de deux à cinq années d'exonération de taxe professionnelle pour leur installation ou leur regroupement. Les collectivités pourront aussi soutenir la mise en place de structures, comme les maisons médicales, participant à la permanence des soins.

Afin de préserver les espaces sensibles et de mieux protéger l'environnement, il importait que le projet de loi apporte des réponses aux problèmes spécifiques des espaces péri-urbains, des zones de montagnes, des forêts et des zones humides. Un tiers des exploitations agricoles se trouvant désormais en zone périurbaine, il est essentiel d'y protéger l'agriculture. C'est pourquoi le projet permet aux départements de créer des périmètres de protection et de mise en valeur de ces espaces, dont certains pourront être rendus inconstructibles. Le Gouvernement souhaite assurer une protection durable de ces espaces afin d'enrayer les phénomènes de spéculation foncière.

Le Sénat a confirmé les dispositions, notamment fiscales, destinées à favoriser la gestion durable des forêts privées et à mieux prendre en compte les zones humides.

Le Sénat a décidé, sur la base d'amendements du sénateur Le Grand ou du Gouvernement, d'ajouter un chapitre consacré aux sites Natura 2000, précisant en particulier la définition des zones spéciales de conservation et de protection, et comportant une exonération de la taxe sur le foncier non bâti.

Le Sénat a confirmé plusieurs articles tendant à simplifier le dispositif de remembrement pour en faire un outil efficace de préservation de l'environnement et de décentralisation, mais supprimé les dispositions qui autorisaient les élus des plus petites municipalités à conclure des baux ruraux avec leur commune. Le Sénat a, de plus, proposé que les communes fixent des règles propres d'éloignement par rapport aux bâtiments agricoles.

De nombreuses mesures bénéficieront aux territoires montagnards, en renforçant leur attractivité et en favorisant leur gestion durable. Les modifications des règles d'urbanisme en montagne ont fait l'objet d'une réflexion globale au sein d'un groupe de travail. Le Sénat a proposé de maintenir la définition actuelle des zones de montagne et de permettre de décliner thématiquement le schéma interrégional de massif. L'affectation de la taxe sur les remontées mécaniques pourra être étendue à l'entretien des forêts. Enfin les sénateurs ont introduit des dispositions nouvelles portant sur les constructions sur les rives des lacs de montagne.

L'avant-dernier titre tend à renforcer les capacités d'intervention des établissements publics partenaires des territoires ruraux, chambres d'agriculture ou établissements d'enseignement agricole.

Le Sénat n'avait pas retenu la proposition du Gouvernement de créer une agence d'information et de communication agricole et rurale. Mais un groupe de travail se prépare à déposer un nouvel amendement dans ce sens. Le Sénat a confirmé la constitution de l'établissement public de Chambord et souhaité clarifier le rôle du futur Conseil national du littoral.

Les dispositions du présent texte seront complétées, l'année prochaine, par un projet de modernisation agricole dont l'élaboration est entrée dans une phase active. J'ai en effet récemment installé, avec Nicolas Forissier, la commission nationale d'orientation pour le débat national "agriculture, territoires et société" qui se déroulera au cours du présent trimestre. Ses conclusions serviront de cadre aux débats qui se tiendront ensuite dans chaque région, et dont la synthèse sera présentée à la commission nationale à la fin de l'année pour contribuer aux fondations du projet de modernisation agricole.

Ce projet, qui inclura les travaux et réflexions du Parlement, viendra notamment accompagner la réforme de la PAC décidée à Luxembourg. La gestion du foncier rural, les conditions de vie et de travail dans l'agriculture, la place de l'agriculture au sein de l'espace rural, l'adaptation de la notion d'exploitant et d'exploitation agricole au contexte actuel devraient constituer le lien entre ces deux projets.

Plus largement, l'ambition du projet de modernisation tend à renforcer la compétitivité de notre agriculture et de notre industrie agro-alimentaire, à progresser vers la parité des conditions de vie et de travail avec les autres secteurs de l'économie, enfin à mieux mettre en phase l'agriculture avec les attentes de la société.

Telle est donc l'économie générale du texte que je vous soumets. Désireux de répondre au mieux à la diversité des territoires ruraux, le Gouvernement a réuni pendant la navette des groupes de travail thématiques. Je remercie les parlementaires qui ont accepté de s'y impliquer.

Ainsi le groupe "Agriculture de montagne" présentera un amendement parlementaire sur la mise en place d'interprofessions spécifiques à la montagne. Le groupe "Emploi" s'est accordé sur un projet d'amendement gouvernemental permettant d'ouvrir les groupements d'employeurs aux collectivités territoriales. Le groupe "Aménagement foncier et forêt" est convenu de reporter à l'examen du projet de loi de modernisation agricole les questions relatives à la mise en valeur des terres incultes ; il a néanmoins proposé que des amendements portent sur l'élargissement des réserves foncières aux projets intercommunaux et sur la possibilité pour des collectivités de prélever sur leurs apports fonciers les terrains nécessaires aux modifications de voirie. Le groupe "Urbanisme" a proposé, pour la protection des espaces agricoles et naturels périurbains, de revenir à la modification du périmètre par décret, et de préciser par amendements l'articulation des schémas de mise en valeur de la mer et de cohérence territoriale en zone littorale. Le groupe "Urbanisme en montagne" envisage le dépôt d'amendements sur les règles de constructibilité au bord des lacs de montagne, sur les compétences du préfet coordonnateur de massif en matière de remontées mécaniques, ainsi que sur la création, au sein des commissions des sites, de sections spécialisées qui traiteront des unités touristiques nouvelles. Enfin, le groupe "Communication agricole et rurale » a conclu à la présentation d'un amendement gouvernemental visant à mettre en place un établissement public à caractère industriel et commercial dédié à cette communication.

Je remercie à nouveau les membres de votre commission des affaires économiques pour leurs fructueux efforts. Véritable enjeu national, le développement de nos territoires ruraux est aussi une chance, pour peu que l'on prenne en compte la diversité de nos terroirs, la richesse de notre espace et le rôle du monde rural dans l'équilibre de notre pays. Ce projet doit nous aider à préserver l'unité française, à restaurer l'égalité des chances entre ses enfants et à refonder, avec l'ensemble des Français, un véritable pacte de solidarité et de développement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Nicolas Forissier, secrétaire d'Etat à l'agriculture, à l'alimentation, à la pêche et aux affaires rurales - Ce projet est celui de la confiance du Gouvernement en l'avenir de nos territoires ruraux.

M. Pascal Terrasse - La réciproque n'est pas vraie !

M. Nicolas Forissier, secrétaire d'Etat - Il tend à offrir aux acteurs du monde rural les outils de leur propre développement et s'inscrit dans une réflexion engagée depuis près de trois ans sur un essor plus harmonieux de nos territoires. Le Gouvernement a entamé une politique volontariste et cohérente en faveur du monde rural, comme on n'en avait pas connue depuis longtemps. Cette volonté se mesure aux actions déjà engagées : grandes lois de décentralisation, CIADT de septembre et décembre 2003 et de septembre 2004, action pour réaliser la couverture totale du territoire en téléphonie mobile, accès à l'Internet à haut débit pour tous, projet sur les territoires ruraux que nous examinons ce soir en seconde lecture, future grande loi de modernisation agricole, partenariat national pour le développement de l'industrie agro-alimentaire.

Tous ces outils s'inscrivent dans une réflexion de fond du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin pour faire « bouger les lignes » en faveur du monde rural. Qui sait que depuis dix ans le monde rural a regagné 500 000 habitants ? Pourquoi ne pas nous fixer pour objectif 30% de population rurale en France, contre 20% aujourd'hui ? Pour libérer la capacité d'initiative que recèle la diversité de nos terroirs, il fallait ouvrir une boîte à outils dans laquelle chacun trouverait ce dont il a besoin. L'apport du Parlement à ce texte a été essentiel. Il nous faudra ensuite le faire vivre sur le terrain.

En effet, l'objectif essentiel est d'assurer le développement économique de nos territoires ruraux, en y maintenant et en y attirant les entreprises afin de créer des emplois. A cette fin, le projet redéfinit et renforce les ZRR au moyen d'incitations fiscales. Frédéric de Saint-Sernin y reviendra. Il m'appartient de conforter le secteur agroalimentaire, industrie rurale par excellence, qui maille notre territoire. De plus, pour attirer des entreprises, nous devons offrir à leurs salariés des conditions d'accueil, de services et de logement comparables à celles existant en zone urbaine. Dans ce domaine, les progrès sont substantiels, mais un effort particulier doit porter sur les campagnes les plus fragiles ; ce projet y pourvoit.

Xavier Bertrand défendra les articles relatifs à l'installation des médecins et à la coordination de l'offre médicale. Pour ma part, je veux mettre l'accent sur un autre élément de ce projet, tout aussi déterminant pour le maintien ou l'implantation d'activités économiques : le logement. Ce projet vise à remédier à l'insuffisance de l'offre en la matière, grâce à des dispositions fiscales favorables à l'habitat locatif et à des mesures destinées à encourager la rénovation de locaux pour les travailleurs saisonniers. En ce sens, il répond concrètement aux besoins de nombreux exploitants.

Il permet également la reprise par le bailleur de bâtiments de ferme présentant un intérêt architectural : mettre en valeur notre patrimoine rural, c'est encore contribuer à la qualité de vie dans ces territoires, et donc à leur attractivité.

Enfin, pour assurer la présence de vétérinaires, partenaires indispensables des agriculteurs et garants de la sécurité sanitaire, le projet prévoit des exonérations de taxe professionnelle en cas d'installation ou de regroupement dans une ZRR.

Après l'adoption définitive de ce projet, il nous restera à le mettre en œuvre et à l'expliquer. Ce sera le rôle d'Hervé Gaymard, du ministre du rural que je suis, de Serge Lepeltier, de Frédéric de Saint-Sernin. Pour reprendre une expression de Gilles de Robien, soyez certains que nous assurerons ce « service après vote », en présentant aux acteurs du monde rural,sur le terrain, cette boîte à outils. Nous avons en effet la volonté de faire vivre ce texte, quitte à le faire éventuellement évoluer. La présente loi n'est pas un aboutissement, en effet : c'est un chantier ouvert et elle doit s'adapter à l'évolution de nos territoires afin de lui redonner les perspectives dont il a besoin (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - La parole est à M. le ministre de l'écologie et du développement durable...

M. Michel Bouvard - Démission !

M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable - C'est avec intérêt et confiance que j'aborde avec vous cette deuxième lecture d'un projet qui, sur les sujets touchant à l'écologie et au développement durable, nous propose des progrès significatifs.

Il vise ainsi, tout d'abord, à réhabiliter véritablement les zones humides, trop longtemps regardées comme des territoires insalubres à assécher absolument. Aujourd'hui, parce que leur surface se réduit, nous comprenons enfin leur intérêt : elles concourent à la préservation et à la gestion équilibrée de la ressource en eau, car elles constituent les zones d'expansion naturelles des crues et jouent un rôle essentiel dans l'auto-épuration des eaux, tant superficielles que souterraines. En outre, elles contribuent au maintien de la biodiversité.

En première lecture, les deux assemblées ont notablement enrichi le texte sur ce sujet : les différentes fonctions des zones humides ont été mieux mises en valeur, l'articulation avec les commissions locales de l'eau des schémas d'aménagement et de gestion des eaux a été précisée. Par ailleurs, le Parlement a validé, à ma grande satisfaction, l'article relatif à l'exonération de taxe sur le foncier non bâti, ce qui permettra de revaloriser les efforts de gestion de ces espaces et de mieux prendre en compte les coûts induits. Au total, je crois qu'en cette matière, nous sommes parvenus à un texte équilibré et faisant consensus.

Le Sénat a introduit dans ce texte des dispositions d'une importance capitale : celles qui concernent le réseau Natura 2000. Je suis personnellement attaché à ce dispositif : offrant des outils nouveaux particulièrement adaptés, il permettra aux élus désireux de le faire - et je sais qu'ils sont nombreux - de prendre directement en main la destinée de ces sites.

S'agissant de la chasse, la première lecture a contribué à en moderniser le droit. Le projet reconnaît ainsi aux représentants des chasseurs, spécialement aux présidents des fédérations, des responsabilités éminentes, à travers les schémas départementaux de gestion cynégétique. Il vise également à définir le difficile équilibre de la gestion agro-sylvo-cynégétique mais c'est dans ce dernier que me semblent se trouver les principaux progrès à réaliser.

La relation entre le monde de la chasse et le Gouvernement est aujourd'hui apaisée (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), et en voie de complète normalisation.

M. Michel Bouvard - Ce n'est pas le cas avec les éleveurs !

M. le Ministre de l'écologie - C'est pourquoi je ne souhaite pas aujourd'hui relancer un débat sur l'Office national de la chasse et de la faune sauvage. J'entends maintenant travailler avec le nouveau président de celui-ci, qui est comme vous le savez président d'une fédération départementale de chasseurs, à garantir à cet établissement des perspectives stables, en concertation avec le Parlement et les représentants des chasseurs. Nous ne sommes pas loin, je crois, d'y parvenir, dans l'intérêt de la chasse comme de l'écologie.

Pour le reste, vous me permettrez de partager le souci de nombreuses fois exprimé par votre Président de ne pas voir introduites dans la loi des dispositions à caractère réglementaire. Comme il a déjà été dit, un projet de loi est en préparation en vue de moderniser le droit relatif aux espèces protégées, et le Parlement sera associé à son élaboration. Il m'apparaîtrait donc prématuré d'en traiter dans cette loi-ci, de manière incidente et ponctuelle.

M. Michel Bouvard - Des actes ! Assez de bla-bla !

M. le Ministre de l'écologie - Il est un dernier point auquel, je le sais, beaucoup d'entre vous seront sensibles : je vous proposerai un amendement destiné à garantir aux parcs naturels régionaux une meilleure sécurité juridique, et donc une capacité d'action intacte. Nous avons, avec ces établissements publics, une trame dense de collectivités et d'élus locaux engagés en faveur du développement durable et il est donc essentiel de faire progresser le droit en cette matière aussi.

Avec cette loi, je vous propose de donner à notre pays des instruments plus modernes et mieux adaptés aux préoccupations des collectivités et des citoyens, sur quelques-uns des grands sujets actuels de l'écologie (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Frédéric de Saint-Sernin, secrétaire d'Etat à l'aménagement du territoire - Je suis particulièrement heureux de me retrouver parmi vous, gardant très présent le souvenir de ma participation au débat de première lecture, en tant que député.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - C'est vrai !

M. Frédéric de Saint-Sernin, secrétaire d'Etat - Nombreux sont parmi vous les représentants du monde rural ; j'ai donc bien conscience de l'importance que ce texte revêt pour vous. De fait, les difficultés et les contraintes propres aux « zones rurales » appellent une réponse ambitieuse de la part des pouvoirs publics.

Ce projet, globalement porté par Hervé Gaymard qui vient de vous en rappeler les grands enjeux et les objectifs, se rapporte aussi largement à la mission qui est la mienne, aujourd'hui partagée avec Gilles de Robien. C'est pourquoi j'ai proposé, en réponse à la demande de plusieurs parlementaires, que soient regroupées les dispositions qui se rapportent le plus directement aux préoccupations d'aménagement du territoire.

Le CIADT du 13 décembre 2002 a donné une nouvelle impulsion à la politique d'aménagement du territoire, en soulignant les défis auxquels est confronté l'espace rural et la nécessité d'une action volontariste en sa faveur. Cette ambition a été confirmée lors du CIADT « rural » du 3 septembre 2003 et du CIADT du 18 décembre 2003 consacré aux 50 grands projets, dont nombre concernent les territoires ruraux.

Il me paraît également important de rappeler que le Gouvernement a engagé depuis plusieurs mois une réforme des règles internes de répartition des dotations, afin notamment d'en renforcer l'intensité péréquatrice. Sur ce point, je ne puis que confirmer l'engagement pris par Jean-François Copé au Sénat. La décision a ainsi été prise, conformément au souhait du Comité des finances locales, de créer au sein de la dotation forfaitaire une dotation proportionnelle à la superficie, donc favorable aux territoires ruraux les moins densément peuplés. D'autre part, le projet de loi de finances pour 2005 prévoit une réforme de la dotation de solidarité rurale et, en particulier, un effort financier important pour la fraction de DSR « bourgs centres ».

Je sais l'importance que vous attachez, à juste titre, au développement d'activités économiques et au maintien d'une offre de services publics adaptée. Je veux donc souligner l'importance du volet fiscal relatif aux zones de revitalisation rurale, dont cette loi n'est que l'un des véhicules. En effet, conformément aux décisions du CIADT rural de septembre 2003, certaines dispositions parmi les plus importantes sont déjà entrées en vigueur, au titre de la loi de finances pour 2004 : c'est le cas de l'exonération d'impôt sur les sociétés pour les entreprises qui s'installent en milieu rural, porté de deux à quatre ans. Cette disposition a été renforcée après passage au Sénat.

Si je suis toujours très prudent sur le principe des zonages, qui peuvent créer des frustrations et ignorer les évolutions d'un territoire, je crois que la définition de tels périmètres peut s'avérer bénéfique à deux conditions. Il faut d'abord faire preuve de sélectivité : pour conserver tout son effet bénéfique, le zonage, qui est une forme de rééquilibrage, ne doit toucher que des territoires réellement défavorisés. La simulation réalisée par la DATAR fait apparaître un nombre de communes classées et une population couverte légèrement supérieurs à ce qu'ils sont aujourd'hui : environ 12 000 communes et près de 4 800 000 habitants. Les ajustements éventuels porteraient sur environ 1 300 communes, soit un peu plus de 10%. Seconde condition : une bonne articulation avec les dynamiques de projets, notamment dans le cadre des intercommunalités. La rédaction proposée par le Gouvernement va dans ce sens.

Au terme de la première lecture, les zones de revitalisation rurale se trouvent à la fois redéfinies et confortées, et vont bénéficier de mesures propres à y attirer des activités : exonération jusqu'à cinq ans de taxe professionnelle pour la création, l'extension ou la reprise d'entreprises ; exonération d'impôt sur les sociétés, passée de deux à cinq ans à taux plein, puis dégressif sur neuf ans au lieu d'un ; prorogation de l'amortissement exceptionnel sur l'immobilier d'entreprise et extension de cette mesure aux travaux de rénovation ; enfin, exonération de cotisations sociales à la charge de l'employeur pour les organismes intervenant en matière sanitaire et sociale.

S'agissant des services au public, notre défi est de maintenir des services de qualité pour tous, ce qui implique un changement de modèle d'organisation. Les services publics doivent tenir compte des contraintes et des besoins propres à chaque territoire. Une véritable concertation impliquant les élus locaux s'impose donc avant toute décision. Les dispositions votées au Sénat vont dans ce sens. Nous nous sommes associés à votre réflexion sur ce point, pour aboutir à un article qui réécrit l'article 29 de la « loi Pasqua », organisé autour de trois points : fixation d'objectifs nationaux d'aménagement du territoire, concertation locale avec les élus, recours suspensif auprès des ministres de tutelle et de l'aménagement du territoire.

Les politiques de la montagne ne sont pas absentes des préoccupations gouvernementales, comme Hervé Gaymard l'a déjà montré. Les institutions qui interviennent dans la « gouvernance montagnarde » se voient confortées. Ainsi, les comités de massif établiront désormais des schémas de massifs, base de la contractualisation entre l'Etat et les collectivités locales.

L'assemblée générale de l'Association nationale des élus de la montagne, à laquelle je participerai à l'invitation de son président et de son secrétaire général vendredi prochain, nous permettra, je l'espère, de tirer un bilan objectif et valorisant de ce projet

Enfin, en matière d'urbanisme en montagne, les échanges avec les parlementaires devraient nous permettre de disposer d'un texte équilibré sur trois sujets : les nouvelles règles de constructibilité le long des rives des plans d'eau de montagne, qui tiennent compte de la topographie des lieux ; les dispositions adaptées en matière de procédure d'unités touristiques nouvelles ;les règles d'inconstructibilité le long des grands axes de circulation en montagne.

Un sujet reste toutefois en suspens : la superposition des lois « littoral » et « montagne » pour des lacs de montagne de plus de 1 000 hectares.

Nous devons sur ce point être attentifs à toute disposition qui modifierait les équilibres de la loi « littoral ». Néanmoins l'amendement gouvernemental donnant aux schéma de cohérence territoriale la faculté de valoir schéma de mise en valeur de la mer montre, s'il était nécessaire, que le Gouvernement reste ouvert à des évolutions équilibrées.

Enfin, je confirme que le Gouvernement a pris des engagements pour que les dispositions réglementaires soient prises rapidement. Plusieurs décrets d'application sont déjà bien avancés et devraient pouvoir être publiés ou transmis au Conseil d'Etat très vite après le vote de la loi. De même, les instructions en matière de concertation sur les services publics seront établies dans les prochaines semaines, notamment à partir des enseignements tirés des expériences pilotes, par ailleurs en voie d'être étendues à une dizaine de nouveaux départements.

Vous pouvez compter sur l'engagement du Gouvernement car le combat pour la ruralité, richesse économique, patrimoniale, culturelle et environnementale, est plus nécessaire que jamais (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Yves Coussain, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - Ce texte très attendu par tous les acteurs du monde rural nous avait, en première lecture, mobilisés pendant vingt heures en commission et trois semaines en séance publique, et il avait fait l'objet de 1 500 amendements. Cinq ministres avaient participé au débat - et la mobilisation gouvernementale se poursuit aujourd'hui.

Au départ, le projet comptait 76 articles, à la fin des débats à l'Assemblée près de 200, résultat de discussions animées et constructives. Au Sénat, 61 articles ont été adoptés conformes, 30 ont été supprimés et 49 ont été ajoutés.

En abordant cette deuxième lecture, nous devons nous reposer des questions simples et essentielles. Comment redonner espoir au monde rural ? Quelles réponses législatives apporter aux attentes de nos concitoyens, fortement attachés à des territoires où ils ont leurs racines, mais sur l'avenir desquels ils s'interrogent dans un environnement de compétition économique acharnée ?

Dans ses articles premier et suivants, le projet traite des zones rurales les plus menacées. La redéfinition des zones de revitalisation rurale autour des EPCI à fiscalité propre a permis, en première lecture, de les élargir dans des proportions raisonnables, sans remettre en cause le concept lui- même. Nous pouvons nous féliciter des progrès accomplis grâce aux amendements conjugués du Gouvernement, de l'Assemblée et du Sénat. Nous avons aujourd'hui un dispositif très proche de celui des zones franches urbaines.

D'abord, en matière d'exonération de TP, initialement prévue pour la création et l'extension d'activités industrielles, et désormais étendues aux professions libérales. Votre commission souhaite que cette extension soit confirmée pour les artisans et commerçants, tant en cas de reprise que de création.

En matière d'impôt sur les revenus et d'impôt sur les sociétés pour les entreprises nouvelles, l'exonération pleine a été portée à cinq ans, avec application dégressive les neuf années suivantes.

En matière d'immobilier industriel, l'amortissement exceptionnel est prorogé jusqu'en 2007 et étendu aux travaux de rénovation. L'exonération sur le foncier bâti est portée à cinq ans.

Nous avions voulu en première lecture introduire le remboursement des sommes perçues au titre de ces exonérations pour les entreprises se délocalisant hors des ZRR avant le terme de cinq ans ; à la demande du Gouvernement, le Sénat a supprimé cette obligation pour des raisons techniques, mais votre commission souhaite la rétablir. De même, elle demande que soit rétablie la possibilité pour une commune de pratiquer un loyer inférieur au montant de l'amortissement quand les conditions du marché l'exigent. En effet les contraintes techniques ou communautaires ne doivent pas l'emporter sur la volonté politique et la morale économique.

Les progrès accomplis en faveur des zones les plus en difficulté sont très significatifs. Cette stratégie de discrimination positive chère au président Ollier, qui l'avait inscrite dans la loi de février 1995, ne peut être que gagnante.

Pour compléter ce volet économique, des dispositions très intéressantes sont prises en faveur du logement : déduction de 40 % des revenus tirés des logements acquis et rénovés en ZRR, exonération du foncier bâti pendant quinze ans.

Le soutien aux activités agricoles a été amélioré successivement par l'Assemblée nationale et le Sénat. L'amendement de notre collègue sénateur César visant à assouplir certaines règles de publicité pour les boissons alcoolisées a provoqué beaucoup d'émoi ; s'appuyant sur le livre blanc sur le vin de nos collègues Cugnenc, Martin, Poignant et Suguenot, notre commission a adopté un amendement supprimant toute référence aux caractéristiques sensorielles et organoleptiques.

Le Gouvernement a par ailleurs voulu prendre des dispositions adaptées aux nouvelles formes d'emploi qui se développent dans les territoires ruraux. L'Assemblée les a enrichies en première lecture, essentiellement en matière de groupements d'employeurs et de travail saisonnier. Les obstacles doivent être levés pour permettre les groupements public-privé, dans l'intérêt des salariés et des territoires.

En ce qui concerne les espaces périurbains et la gestion foncière, l'Assemblée a souhaité en première lecture que les départements soient chefs de file. Le Sénat a apporté des améliorations techniques mais sur certains points, notre commission vous proposera de revenir à une rédaction plus proche de celle issue de nos débats : recours à un décret simple pour retirer des terrains du périmètre de protection des espaces naturels périurbains, protection des noms des appellations d'origine contrôlée vis-à-vis d'établissements installés sur leurs territoires.

Les services au public représentent en milieu rural un enjeu essentiel, et il est indispensable de les adapter aux nouvelles exigences, sans les soumettre à des impératifs de rentabilité financière. Le Sénat a remplacé les procédures actuelles d'étude des projets de réorganisation par des processus de concertation plus souples. Nous proposons pour notre part qu'aux côtés du représentant de l'Etat, le président du conseil général puisse faire activer ces procédures, et qu'un document reprenant le résultat de ces concertations soit publié.

Mais c'est de la volonté politique des gouvernements et des établissements publics concernés que dépendront le maintien et la qualité des services au public ; j'aimerais donc, Monsieur le ministre, que vous preniez des engagements sur ce sujet capital.

Notre commission a souhaité réaffirmer le grand principe du prix unique du service postal réservé sur l'ensemble du territoire. Il serait inadmissible de reculer sur ce principe, au moment où nous parlons de l'égalité devant le service public. Nous demander de l'abandonner serait une provocation, quelles que soient les motivations invoquées.

Je le dis sans état d'âme, ce texte est riche d'avancées multiples, souvent techniques, mais parfois aussi politiques car certains tabous tenaces en matière d'emploi et de service au public sont brisés pour adapter les solutions aux réalités du monde rural. De nombreuses associations ou syndicats représentatifs se félicitent des solutions apportées pour leurs professions. Bien sûr ce texte est touffu, mais c'est qu'il veut répondre à de nombreuses difficultés et à la diversité des territoires ruraux. Et pouvons-nous lui reprocher son manque de lisibilité, alors que notre Assemblée a plus que doublé le nombre des articles ?

Je souligne également que la commission a rejeté de nombreux amendements, sans en nier le bien-fondé, mais pour éviter le double piège des dispositions d'ordre réglementaire et des déclarations incantatoires. A cet égard je me réjouis que notre commission ait entendu la demande du Président de notre Assemblée sur la nécessaire amélioration du travail législatif (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jean-Claude Lemoine, rapporteur de la commission des affaires économiques pour la chasse - En première lecture, nous avons beaucoup enrichi la partie du projet relative à la chasse, qui est passée de huit à vingt-trois articles. Nous étions parvenus à un texte équilibré, cherchant à concilier le plus possible les intérêts en présence et à donner consistance au principe d'équilibre agro-sylvo-cynégétique. Nous souhaitions et souhaitons toujours construire une chasse durable, et qui pour cela doit être acceptée de tous, à commencer par les autres utilisateurs de la campagne.

Nos amis sénateurs ont retenu nombre des enrichissements que nous avions introduits. C'est vrai des missions de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, la composition de son conseil d'administration - où les chasseurs sont désormais majoritaires -, ses ressources financières, les missions des fédérations régionales des chasseurs et leur contribution au développement des territoires ruraux. C'est vrai de nombreuses mesures que nous avions introduites pour éviter des contentieux, faciliter la vie des chasseurs, associer et responsabiliser leurs fédérations et garantir la sécurité. Je pense notamment à l'avis demandé aux fédérations sur la nécessité des battues administratives, au droit des propriétaires dans l'établissement des plans de chasse, à la divagation des chiens de chasse, à l'indemnisation des dégâts de gibier en Alsace-Moselle. Avec ces mesures, l'Assemblée n'avait pas modifié l'équilibre général du texte, cherchant - je le répète - à concilier les intérêts de tous.

Nous avions également voulu rendre compatibles les schémas départementaux de gestion cynégétique et les orientations régionales de gestion et de conservation de la faune sauvage, estimant que ces documents étaient de portée juridique différente. Et nous avions cherché à préciser la définition juridique de l'équilibre agro-sylvo-cynégétique.

Nous avions en outre adopté une disposition importante prévoyant qu'un propriétaire forestier peut demander réparation des dommages qu'il a subis au bénéficiaire du plan de chasse qui ne prélève pas le nombre minimum d'animaux qui lui est attribué. Et nous avions refusé que la fédération départementale des chasseurs doive rembourser aux propriétaires forestiers les sommes engagées pour protéger leurs plantations, considérant qu'elle n'était en rien responsable.

Pour l'essentiel, le Sénat a exprimé une convergence de vues avec notre assemblée, mis à part quelques points. Tout d'abord, il a supprimé la mesure autorisant la chasse de nuit en Vendée, considérant que la fédération départementale s'était prononcée en ce sens. Notre commission n'a pas jugé utile de revenir sur ce point, même s'il est possible de mettre en doute la représentativité de ce vote. Par ailleurs, le Sénat a supprimé l'interdiction d'utiliser des moyens d'assistance électronique à la chasse, sauf exceptions prévues par décret, estimant qu'en démocratie la liberté devait être la règle et l'interdiction l'exception. Il a également autorisé l'utilisation de la voiture pendant l'acte de chasse, à condition que l'arme soit démontée et placée sous étui, dans les conditions prévues par le schéma départemental de gestion cynégétique.

M. Jean Dionis du Séjour - Très bien !

M. Jean-Claude Lemoine, rapporteur - Le Sénat a d'autre part supprimé la disposition selon laquelle l'agrainage et l'affouragement du grand gibier ne sont autorisés qu'en raison de situations climatiques spécifiques ou pour protéger des cultures en période sensible, préférant laisser au schéma départemental la responsabilité d'en définir les conditions. Les sénateurs ont eu le souci de promouvoir une conception responsable de la chasse, et votre rapporteur comprend leurs arguments, tout en restant attentif à l'image de la chasse que nous voulons promouvoir.

Enfin et surtout, le Sénat a supprimé notre disposition prévoyant qu'un propriétaire forestier peut demander réparation des dommages qu'il a subis au bénéficiaire du plan de chasse qui ne prélève pas le nombre minimum d'animaux qui lui est attribué. Cette suppression, en ôtant au propriétaire tout moyen d'obtenir réparation des dégâts de grand gibier, risque d'altérer l'équilibre sylvo-cynégétique et le climat qui doit régner entre chasseurs et agriculteurs. Votre rapporteur a donc proposé à la commission, qui l'a adopté, un amendement visant à mieux prendre en compte les intérêts des propriétaires forestiers (« Très bien ! » sur de nombreux bancs du groupe UMP et du groupe socialiste).

Hormis ces quelques points, un large consensus semble se dessiner entre les deux Assemblées sur les dispositions relatives à la chasse. J'espère qu'il en sera de même des quelques modifications supplémentaires qui vous seront proposées, notamment sur la nécessité de mieux reconnaître le rôle des chasseurs et de leurs organisations dans la gestion de la faune sauvage, sur le rôle de certains acteurs, sur l'équilibre cynégétique et sur des mesures de sécurité. Votre rapporteur les croit utiles pour que cette pratique culturelle et sportive puisse s'exercer dans des conditions sereines et durables. Ce projet est le dernier texte que nous aurons à examiner de longtemps concernant cette belle passion : à nous de le peaufiner au mieux (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Francis Saint-Leger, rapporteur de la commission des affaires économiques pour la montagne - Je veux avant tout remercier notre président Patrick Ollier pour son précieux appui - d'autant plus précieux que le titre V sur la montagne prend de l'ampleur à mesure que le débat avance : c'est toute la politique de la montagne désormais qui se trouve réexaminée. Ce débat a connu deux jalons : le rapport des sénateurs Blanc et Amoudry, puis celui de nos collègues Brottes et Coussain. Sa maturation reflète le développement des discussions entre élus de tous bords, majorité et opposition, entre élus et fonctionnaires, entre élus et acteurs de la montagne.

En première lecture, l'Assemblée avait renforcé le projet du Gouvernement. Le Sénat a modéré certains excès de notre texte et lui a apporté des enrichissements. Il a procédé à quelques suppressions pertinentes, portant sur des dispositions qui dès la première lecture m'avaient paru discutables. C'est le cas de la redéfinition des zones de montagne, jugée inutile, voire dangereuse ; de la distinction entre zones rurales et urbaines au sein des communes fusionnées ; du système d'attribution aux associations communales des droits de chasse sur les parcs nationaux ; de l'inventaire par les chambres d'agriculture des terres agricoles, pastorales ou forestières à préserver, qui apparaît techniquement difficile ; ou de la modulation des barèmes de l'ANAH.

Le Sénat a aussi procédé à des clarifications judicieuses. Certains de nos dispositifs risquaient en effet d'être annulés par le Conseil constitutionnel pour des raisons de forme : je pense aux subventions aux agriculteurs qui s'efforcent de réduire la pollution des eaux, ou au paragraphe qui impose au Gouvernement de faire valoir à Bruxelles et ailleurs les intérêts des zones de montagne. D'autres risquaient d'être écartés par la jurisprudence. Quant à la réforme du régime d'autorisation des centrales hydroélectriques, elle risquait de rester lettre morte pour des raisons de fond. Ces retouches donnent plus de cohérence à la volonté du législateur ; c'est dans cette optique qu'a été amélioré notre dispositif relatif au logement des travailleurs saisonniers, ainsi que le régime des unités touristiques nouvelles - que notre Assemblée va toutefois encore devoir compléter.

Le Sénat n'a pas seulement modéré certains excès de notre rédaction : il l'a en outre enrichie. Parmi ses apports les plus intéressants, je note la réglementation des tapis roulants neige, la responsabilisation des moniteurs de ski exerçant en syndicat ou en association, la séparation des labels AOC et « Montagne » à la demande de l'interprofession, la réglementation de la randonnée et la responsabilisation des randonneurs, la liberté laissée à nos communes et départements de financer l'entretien de leurs forêts avec le produit de la taxe sur les remontées mécaniques.

Tous ces apports ouvrent des pistes de réflexion et de débat. C'est par exemple le cas de la mise en valeur des rives de nos lacs de montagne : entre une urbanisation massacreuse et une surprotection stérile, il faut trouver l'équilibre - enjeu qui s'inscrit dans la continuité de la loi Habitat et urbanisme de 2003, dont on mesure déjà les effets bénéfiques dans nos campagnes.

Cette politique de la montagne déborde largement notre titre V. La montagne est au cœur de la ruralité française. A cet égard c'est ce projet tout entier qui la concerne, des questions d'urbanisme aux ZRR, des médecins de campagne aux services publics. Ainsi le projet s'attaque à la sous-médicalisation de la montagne : aides à l'installation, exonération de taxe professionnelle, etc. Autant d'efforts que votre rapporteur salue.

Ce texte a aussi le mérite de traiter de la question vitale des services publics. Qu'une école ou un bureau de poste ferme, et c'est un village qui se meurt. Le prix unique du timbre, l'amélioration de la concertation et de l'information des élus locaux pour la réorganisation des services publics, le renforcement du rôle de la commission départementale d'orientation et de modernisation des services publics sont autant de mesures importantes pour le monde rural.

Ce texte reste néanmoins perfectible, et nous allons nous y attacher au cours de cette seconde lecture. Perfectionnement et enrichissement, tels sont les principes qui ont présidé aux travaux de la commission des affaires économiques, soucieuse de tenir compte des conclusions du rapport Brottes-Coussain. Voilà surtout l'esprit dans lequel la navette doit œuvrer : la politique de la montagne a tout à y gagner (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques - Je me félicite de l'engouement suscité par ce texte auprès des parlementaires de la France rurale, car c'était loin d'être gagné ! Je remercie particulièrement M. Gaymard pour le dialogue qu'il a su instaurer, et son esprit d'ouverture. 1 500 amendements ont été déposés en première lecture, 500 en seconde. Ce texte est passé de 76 articles à 200 et malgré notre vigilance et celle du Président de notre Assemblée, certains sont encore davantage de nature règlementaire que législative... (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste)

Ce texte représente une avancée importante pour le monde rural, surtout grâce à l'apport du Sénat. Le Parlement a accompli un travail essentiel en matière de zones de revitalisation rurale, sujet que je connais bien pour avoir rapporté le texte qui les créait en 1994. Certains se plaignent des zonages et des mesures de fiscalité dérogatoires, mais c'est grâce à elles que certaines zones de montagnes ne se sont pas vidées de leurs habitants !

M. Michel Bouvard - Absolument !

M. le Président de la commission - En première lecture, de nombreux députés se sont étonnés de ne pas retrouver dans ce texte les engagements pris par le Gouvernement, en matière de ZRR, lors du CIAT du 3 septembre 2003. Vous avez accepté que des amendements y remédient en grande partie et je salue à cet égard le travail remarquable accompli par M. Delevoye en première lecture. Nous souhaitons aller encore plus loin et rapprocher les ZRR du dispositif des zones franches urbaines.

L'égalité des chances passe par l'égalité de traitement, et le principe de discrimination positive est essentiel, Monsieur de Saint-Sernin, dans la politique d'aménagement du territoire. Je sais quelle part vous y avez prise en première lecture.

Les mesures fiscales de ce texte sont de nature à relancer l'activité, et nos nouvelles propositions ne pourront que recevoir l'agrément du Gouvernement .

S'agissant du soutien aux activités agricoles, le projet de loi initial a été enrichi par le Sénat qui a fait un excellent travail.

Je salue le travail du rapporteur Yves Coussain pour trouver une solution consensuelle à la question de la publicité des boissons alcoolisées. La commission a adopté un amendement, et je sais pouvoir compter sur le soutien de la majorité. Si les professionnels doivent pouvoir mieux communiquer sur certains produits, ce ne doit jamais être au détriment de la santé publique (Murmures dubitatifs sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

Le Sénat a proposé de créer une nouvelle appellation des vins de pays, ce qui est apparu prématuré à la commission, qui vous invitera donc à la prudence.

S'agissant de l'emploi, de nombreuses mesures restent à prendre pour développer le recours à de nouvelles formes de travail, telle que la pluriactivité, Monsieur le ministre. Je n'oublie pas le rapport que vous avez écrit il y a quelques années sur ce thème, ni le combat que j'ai mené pendant plus de vingt ans auprès de mes amis montagnards, et encore moins le débat que j'ai eu ici avec Mme Voynet, il y a six ans, sur les groupements d'employeurs, et la possibilité de rassembler les collectivités locales avec les employeurs privés. Même M. Brottes m'avait soutenu à cette époque ! (Sourires) Nous avons aujourd'hui trouvé une solution acceptée par le ministre qui a su, et je l'en remercie, lever les réticences de Bercy.

Ce projet de loi a encore le mérite, concernant les pluriactifs, de simplifier leur régime de protection sociale, les règles régissant la scolarisation de leurs enfants, et la procédure de recrutement par un centre de gestion pour mettre un salarié à la disposition du public ou du privé. C'est un grand progrès, n'est-ce pas, Monsieur Bouvard ?

Concernant les espaces périurbains et la gestion foncière, le texte du Sénat est en retrait par rapport à celui adopté en première lecture ici même. Le Sénat a notamment supprimé l'obligation de recourir à un décret pour retirer un ou plusieurs terrains du périmètre de protection des espaces naturels et agricoles périurbains, ce qui pourrait conduire à une spéculation foncière sans précédent. J'espère que vous nous soutiendrez pour rétablir les anciennes dispositions.

Je me joins en revanche au rapporteur Yves Coussain pour vous appeler à ne plus modifier les solutions techniques, équilibrées et consensuelles du Sénat pour régler le problème des distances d'implantation des bâtiments agricoles par rapport aux autres constructions.

Monsieur Lepeltier, j'ai apprécié votre discours, et j'approuve les dispositions prises sur les zones humides. Certaines questions restent en suspens concernant la chasse. L'Assemblée a clairement exprimé sa position en première lecture, je ne pense pas qu'elle change d'avis, mais j'espère que nous pourrons adopter les propositions de M. Lemoine.

J'en viens, enfin, aux zones de montagne. M. Saint-Léger en a longuement parlé et cette question préoccupe nombre de parlementaires, mais le texte initial proposé par le Gouvernement avait le mérite de s'inscrire dans un débat national. Nous sommes déterminés à régler l'affaire des lacs de montagne, étant entendu qu'il n'est plus acceptable que le cumul des inconvénients de la loi littoral et de la loi montagne puisse perdurer. Nous avons donc fait une proposition, à laquelle le Gouvernement a réagi par un amendement, que nous approuvons mais que nous allons sous-amender. Et je pense que ce sous-amendement permettra de trouver un bon équilibre.

Autre sujet qui nous trouvera déterminés : la limite de constructibilité le long des routes à grande circulation. Je crois en effet avoir trouvé une rédaction satisfaisante et j'indique d'emblée que les membres de la commission économique et moi-même n'avons pas l'intention de reculer sur ce point, dans la mesure où il s'agit simplement de faire prévaloir le bon sens et d'éviter que des mesures de suradministration et de surprotection empêchent tout un chacun de lever le petit doigt !

Nous allons achever ensemble le travail. Je jouerai pour ma part mon rôle de président en soutenant nos trois rapporteurs et en relayant l'engagement résolu de l'ensemble des membres de la commission économique. Nous allons défendre nos convictions, puis la démocratie fonctionnera et je suis sûr qu'en fin de compte nous voterons tous ensemble avec enthousiasme ce texte, qui sera à l'honneur du Gouvernement et à celui d'une majorité bien décidée à faire avancer la cause des territoires ruraux dans la République (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. André Chassaigne - Il y a maintenant dix mois, notre Assemblée a débattu pendant trois semaines de l'avenir des territoires ruraux en France. Ces débats de haute tenue nous ont au moins permis, malgré les différences d'approche, de prendre tous conscience de la gravité de la situation. Au nom des députés communistes et républicains, j'espère avoir personnellement contribué à quelques unes des rares avancées faites en première lecture.

Ce projet de loi nous revient donc aujourd'hui, pour une seconde lecture. Au vu des dispositions introduites au Sénat, se dégage l'impression que le document a bien mal supporté l'été. Comme si la chaleur et le soleil avaient exacerbé sa dilatation (Sourires sur les bancs du groupe socialiste).

Le texte s'est en effet considérablement allongé depuis sa présentation par le Gouvernement. Un grand nombre de parlementaires ont fait preuve d'une grande créativité : sans aucun doute, l'imagination est enfin revenue au pouvoir !

M. Coussain, rapporteur - Merci.

M. André Chassaigne - Si la qualité d'une loi se mesurait à sa longueur ou à son élasticité, nous aurions toutes les raisons d'être optimistes pour le développement de nos territoires. Nous pourrions enfin annoncer des lendemains qui chantent ! Ce n'est malheureusement pas le cas. L'avenir des territoires ruraux réclame en effet plus qu'une simple juxtaposition de dispositions de circonstance, de nouveautés techniques parcellaires ou d'articles de convenance. Et alors qu'un nouveau débat en semi-marathon s'engage aujourd'hui, je crains que nous ne traitions pas les problèmes de fond et que nous nous contentions, grâce à une bonne maîtrise technique du droit, de surfer sur les difficultés de nos concitoyens.

Un projet porteur d'une réelle ambition pour le monde rural devrait tout d'abord s'attaquer à la question de l'accès au service public, car sans établissement scolaire, sans bureau de poste, sans cabinet de médecin, sans connexion aux réseaux de communication, sans accès à la culture, nos territoires n'ont aucune chance de sortir de la spirale du sous-développement. L'absence dans ce projet de dispositions fortes sur le sujet est donc extrêmement préoccupante.

Comment pouvez-vous espérer renforcer l'attractivité des territoires ruraux sans essayer d'améliorer leur couverture en services publics de proximité, pire, en laissant ces services publics disparaître les uns après les autres ? Aucune famille, si désireuse soit-elle de vivre à la campagne, ne s'installera dans une zone dépourvue d'école de collège, de médecin, d'hôpital, de services de postes et télécommunications...

Si aujourd'hui, par exemple, il est impossible pour le maire d'une petite commune isolée de trouver un remplaçant au médecin généraliste qui part à la retraite, ce n'est pas parce que le chiffre d'affaires du cabinet médical est insuffisant, mais parce que le village est incapable d'offrir à ce médecin et à sa famille une qualité de vie décente (murmures sur les bancs du groupe UMP). C'est aussi parce qu'il sera obligé de faire des dizaines de kilomètres pour rendre visite à ses patients, assurer sans cesse des services de garde. C'est parce que sa femme ne pourra trouver un emploi dans une zone aussi déserte. C'est parce que ses enfants, pour aller au lycée, devront quitter leurs parents et aller à l'internat. C'est parce que l'hiver, du fait de la baisse des moyens des DDE, les routes départementales ne sont plus déneigées, comme elles pouvaient l'être il y a une dizaine d'années. C'est parce que les rares week-ends où ce médecin ne sera pas de garde, il devra faire des dizaines de kilomètres pour aller au cinéma ou au théâtre en famille !

M. Michel Piron - Alphonse Allais disait qu'il fallait mettre les villes à la campagne !

M. André Chassaigne - L'avenir des services publics est d'autant plus menacé, aujourd'hui, que vous cherchez à imposer, au gré d'alliances politiques particulièrement éclairantes, un traité constitutionnel européen devant entériner la disparition des services publics, au nom d'une sacralisation de la concurrence aussi dogmatique que dangereuse.

Le monde rural traverse une crise grave. Comment en est-on arrivé à une telle situation ? Comment a-t-on pu laisser ces territoires tomber dans de telles déshérences ?

M. Michel Piron - Bonne question.

M. André Chassaigne - Nous pourrions dire bien sûr que si ces territoires se sont dépeuplés, c'est avant tout du fait de l'exode rural et des fantastiques gains de productivité réalisés dans l'agriculture depuis 1945. Mais cette réalité en occulte une autre, celle de l'exploitation et de la domination du monde rural par les banques, les industries agroalimentaires et la grande distribution.

Les industries présentes en zone rurale sont essentiellement des industries de main d'œuvre à faible valeur ajoutée. Non que le travail réalisé soit peu rentable, mais parce que son produit est acheté à faible prix par les maisons mères de ces entreprises ou par leurs donneurs d'ordres : la valeur créée en zone rurale est aussitôt accaparée et centralisée. Et les travailleurs ruraux sont contraints de survivre avec des salaires de misère. Ces stratégies industrielles sont évidemment à l'origine de l'appauvrissement des territoires ruraux et de la réduction du nombre de leurs actifs qualifiés.

La problématique est malheureusement la même dans le domaine agricole. Le produit du travail des agriculteurs, en l'absence de prix rémunérateurs, est souvent acheté à des prix très bas, soit directement par les centrales d'achats, soit par des coopératives locales, souvent impuissantes devant les prétentions des grands groupes de l'agroalimentaire et de la grande distribution.

M. Jean Dionis du Séjour - C'est vrai.

M. André Chassaigne - Là encore, la valeur créée à la campagne ne profite qu'à de grands groupes capitalistes et à leurs actionnaires.

Ce sont ces logiques qui ont, avant toute chose, transformé le monde rural et qui expliquent que les progrès et les mutations de l'agriculture ont conduit à son appauvrissement. Et ce d'autant plus que, même faible, la valeur ajoutée à la campagne n'y est jamais réinvestie !

Cette lame de fond libérale a de même encouragé le repli de l'Etat sur quelques missions régaliennes, avec l'abandon de cette idée pourtant consubstantielle à l'idéal républicain : la solidarité nationale.

M. Jean Lassalle - C'est vrai.

M. André Chassaigne - La Poste, EDF, l'hôpital et la SNCF étaient, il y a quelques années encore, des modes d'intervention directe de la part de l'Etat, justifiés notamment par sa politique d'aménagement du territoire. Mais les autorités publiques ont peu à peu, sans le dire, organisé leur abandon. La trajectoire de la Poste illustre bien ce grand renoncement. D'administration, au service des citoyens, dont personne ne cherchait alors à évaluer la rentabilité, elle est devenue établissement public industriel et commercial, puis société anonyme de droit commun. Au fil de ces métamorphoses qui l'ont éloigné toujours davantage de l'Etat, les considérations comptables et une conception mercantile du service rendu l'ont emporté sur l'importance de ses missions. Et au terme de ces démembrements, le patron de la Poste peut engager aujourd'hui le sabordage pur et simple de ce qu'il ne veut plus appeler « service public ». Six mille bureaux de poste vont ainsi fermer à brève échéance, remplacés par des agences postales financées par les communes, voire par des « points-contacts » confiés à des opérateurs privés, dans l'objectif de maintenir, provisoirement, quelques missions résiduelles.

M. Michel Piron - Pour rendre un meilleur service.

M. Joël Giraud - Un commerce, lui, est ouvert cinquante heures par semaine !

M. André Chassaigne - Des emplois et des activités vont encore disparaître, signant l'abandon définitif de toute une partie de notre territoire.

Tant que l'Etat laissera nos territoires se vider de leurs services publics, tant que les pouvoirs publics soutiendront des logiques économiques qui conduisent à déposséder les acteurs ruraux des richesses qu'ils produisent, aucun projet de développement du monde rural ne sera viable. Dans ce contexte général, ce n'est pas être volontariste mais bel et bien résigné que de confier aux collectivités la responsabilité du développement rural, comme ce projet de loi y invite de fait. Cela revient à faire le deuil de nos services publics et à enterrer le principe de solidarité nationale. Les communes rurales ne pourront plus qu'accompagner la désertification, d'autant que ce projet ne prévoit, à l'exception de quelques exonérations fiscales marginales, aucun effort financier supplémentaire de l'Etat en faveur de celles les plus en difficulté. Au contraire, il offre de nouveaux cadeaux fiscaux aux investisseurs immobiliers ou aux entreprises. Comme si le développement économique pouvait résulter des seules initiatives individuelles de quelques investisseurs ! Cette logique économique, qui ne fonctionne pas, ne permettra pas de répondre aux problèmes du monde rural.

Aucun moyen supplémentaire n'étant prévu, toute collectivité souhaitant maintenir un service public ou attirer un jeune médecin devra mettre la main à la poche. On connaissait le précepte biblique « Aide toi, le Ciel t'aidera », qui accompagnait jusqu'à il y a peu le développement local, mais voici qu'avec ce projet, dans le droit fil des récentes lois de décentralisation, vous en inventez un autre, plus en accord avec vos orientations politiques : « Aide-toi, le Ciel t'abandonnera » (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

La loi relative aux responsabilités locales, imposée au forceps à la représentation nationale cet été, et dont l'esprit général est très proche du présent texte, signe elle aussi l'abandon par l'Etat de toutes ses missions historiques en matière d'aménagement du territoire. Alors que le Sénat avait adopté en seconde lecture un amendement reconnaissant que le domaine routier national participe du développement équilibré des territoires, le Gouvernement, en recourant au 49-3 à l'Assemblée, a pu amender le texte pour y ôter toute référence à ce développement équilibré. Les communes et les départements savent donc parfaitement à quelle sauce ils seront mangés. Pour pouvoir assumer ces charges financières nouvelles, les conseils généraux seront contraints à réduire leurs dépenses dans d'autres domaines, notamment le soutien aux petites communes rurales.

Toutes ces mesures ne feront d'aggraver les inégalités régionales. Sans projet volontariste d'envergure pour nos campagnes, sans autre idée que celle d'encourager d'improbables investisseurs à s'installer dans des zones désertées par les pouvoirs publics, vous allez créer de nouvelles fractures territoriales. Ce projet de loi ne fait qu'effleurer les problèmes du monde rural. En réalité, il vise seulement à mieux le soumettre aux dogmes du libéralisme financier. A trop chasser le loup, on en oublie parfois qui sont les vrais prédateurs !

Quelle ironie que ce texte nous revienne, aujourd'hui, en seconde lecture, après l'avalanche de coups portés, ces derniers mois, aux territoires ruraux ! Les prix des fruits et des légumes, mais aussi du vin, ont continué de baisser cet été de manière insupportable.

M. Jean Dionis du Séjour - C'est vrai.

M. André Chassaigne - Les agriculteurs et les viticulteurs ont pu, à l'occasion de ces crises, constater les marges anormales de la grande distribution qui grèvent encore davantage le pouvoir d'achat, déjà faible, des ménages. Alors qu'il serait nécessaire de fixer des prix-plancher pour les producteurs, le Gouvernement a éludé toutes ces questions essentielles, préférant les campagnes de communication et les effets d'annonce à des réformes structurelles et des solutions durables.

Parallèlement a été engagée la nouvelle politique agricole commune. Le découplage des aides, avec désormais un « paiement unique par exploitation », permettra aux propriétaires fonciers de toucher des subventions sans aucun lien avec une production agricole. La baisse des prix agricoles, objectif principal de Bruxelles dans cette réforme, constitue un encouragement, pis, un véritable soutien public à l'abandon des terres et à l'extinction progressive de l'activité agricole en France. Les exploitations intensives qui touchent déjà beaucoup d'aides aujourd'hui continueront à en percevoir autant, tandis que les exploitations extensives de montagne, ou des franges du Massif Central, n'auront toujours que des miettes... Les déclarations démagogiques à tonalité écologique autour de cette réforme charment peut-être quelques urbains bucoliques peu au fait de ces questions. Elles ne trompent pas les paysans.

M. Jean Lassalle - C'est vrai.

M. André Chassaigne - Nous avons toutes raisons de nous inquiéter pour l'avenir de notre agriculture quand le ministère confie la présidence de la commission chargée de préparer la loi d'orientation agricole à un journaliste aussi médiatique que réactionnaire, porte-parole des intérêts du grand patronat ultralibéral (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), qui déclarait encore récemment : « Le libéralisme n'est pas une maladie honteuse. Je ne crois pas qu'il y ait d'autres modèles possibles. Pour défendre nos intérêts, je crois plus aux individus qu'à la collectivité. Je reproche à la droite de ne pas toujours assumer le fait d'être de droite ».

Quant au projet de budget pour 2005, lui aussi porte un nouveau coup aux territoires ruraux. Le budget de l'agriculture diminue de 1,8%...

M. Jean-Paul Garraud - C'est faux !

M. André Chassaigne - ...alors même que l'inflation est de 2% environ. Cette baisse, qui affectera le financement des contrats territoriaux d'exploitation mais aussi la valorisation des productions, est tout bonnement scandaleuse au vu des augmentations de prix si durement ressenties par nos concitoyens.

Autre signal négatif pour les territoires ruraux : la suppression de plus de 5 500 postes d'enseignants dans le budget de l'éducation nationale, dont on a toutes raisons de penser qu'elle touchera d'abord les établissements. D'après les prévisions budgétaires pour 2005, les écoles à classe unique passeraient de 14 840 à 13 046. Et comment ne pas s'inquiéter quand, parmi les dispositions sur l'école figurant dans le présent texte, un article renforce les attributions de l'enseignement agricole privé ?

Nos concitoyens ruraux risquent bien d'être de plus en plus isolés. La Poste, qui marquait autrefois la volonté de la République de donner les moyens à tous de communiquer et de sortir de l'isolement, a abandonné cette mission. Six mille bureaux vont fermer et soixante mille salariés s'interrogent sur leur avenir professionnel. Tout est dit : on ne court pas les marchés financiers sans conséquences sociales ! On ne se courbe pas devant les actionnaires sans que nos territoires en pâtissent !

Le téléphone ou Internet auraient pu constituer des alternatives techniques crédibles au jeu de massacre soutenu par la direction de la Poste. Mais, loin des belles promesses du Gouvernement, les territoires ruraux ne sont toujours pas desservis par le haut débit et le développement de la téléphonie mobile est bloqué depuis deux ans (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), malgré les rodomontades de la majorité. J'en veux pour preuve l'excellent rapport de Nicolas Forissier sur le sujet...

M. le Secrétaire d'Etat - Rédigé il y a deux ans !

M. André Chassaigne - Les pylônes devaient être installés début 2003, M. Delevoye l'avait promis. Nous les attendons toujours !

Quant au téléphone fixe, sa situation se détériore d'année en année, et la privatisation de France Télécom va encore l'empirer.

Au total, ce texte suscite surtout des interrogations. Que reste-il des belles promesses faites par le Gouvernement, à son arrivée en 2002, pour dissiper le malaise persistant du monde rural ? La « grande loi » rurale promise n'est plus qu'un inventaire à la Prévert -la poésie en moins-, d'articles inconsistants, qui briseront autant les derniers espoirs qu'y mettaient certains de nos concitoyens que les dernières formes de solidarité existant encore à la campagne. Bien qu'interminable, elle élude tous les problèmes fondamentaux que nous rencontrons dans nos circonscriptions. Le plus inquiétant dans ce texte, ce qui le rend inexcusable, n'est pas ce qu'il dit, mais ce qu'il tait, délibérément ou non.

Beaucoup d'importantes dispositions législatives concernant le monde rural ont été votées dans d'autres projets de loi que celui-ci. Ainsi, la loi Douste-Blazy de démantèlement de la sécurité sociale (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) comporte des mesures, d'ailleurs inefficaces, pour favoriser l'installation de médecins en zone rurale. Mais dans le même temps, elle saborde de facto la Mutualité sociale agricole, qui sera bientôt absorbée dans la mégastructure bureaucratique appelée à chapeauter toutes les caisses d'assurance maladie.

M. Hervé Gaymard, ministre - Pas du tout !

M. André Chassaigne - De la même façon, un projet de loi, que nous allons bientôt examiner, va enterrer définitivement le service public de la Poste.

Parce que ce texte dénué de toute ambition contraint nos territoires à s'adapter aux préceptes libéraux des adeptes de la marchandisation du monde, parce qu'il contrevient manifestement au principe constitutionnel d'égalité, il paraît impossible que notre assemblée ne vote pas l'exception d'irrecevabilité. A défaut de citer l'Ambertois Vialatte, permettez au député de Thiers-Ambert que je suis de résumer ce texte dans un aphorisme bien thiernois : « Un couteau sans lame auquel il manque le manche. » (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Michel Piron - Quelle chute, en effet !

M. le Ministre - Nous avons bien reconnu votre sens de la nuance et votre talent ! Pour le reste, je ne vois pas en quoi le projet serait irrecevable. Il est naturellement possible de diverger sur la politique que nous menons. Sur deux points au moins que vous avez soulevés, l'internet haut débit et la téléphonie mobile, chacun a pu constater que le Gouvernement, sous l'impulsion de Jean-Paul Delevoye, a fait tout ce qui ne l'avait pas été précédemment. Souvenons-nous des annonces clinquantes à l'issue d'un certain CIAT de Limoges, qui sont demeurées sans suite ! A votre proverbe auvergnat, je réponds par un mot d'Alexandre Vialatte qui relativisera chacune de nos pauvres vies : « L'hoMme n'est que poussière ; c'est dire l'importance du plumeau » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Nous en venons aux explications de vote.

M. Daniel Garrigue - Nous avons suivi attentivement André Chassaigne dans la présentation de son exception d'irrecevabilité, qui n'en était pas une puisqu'il n'a avancé aucun argument d'inconstitutionnalité. Vous vous êtes lancé, cher collègue, dans une description pessimiste de la situation des services publics en milieu rural. Tous les députés de notre groupe qui ont participé à la discussion du projet partagent nombre de vos inquiétudes. C'est pourquoi nous avons déposé de nombreux amendements. Mais la façon dont nous abordons la question diffère profondément de la vôtre. Pour nous, rien n'est inéluctable, et il est toujours possible de corriger une évolution. Nous croyons que l'Etat peut retrouver un rôle déterminant dans la présence des services publics en milieu rural. Plusieurs amendements, adoptés en particulier au Sénat, tendent à renforcer les moyens du préfet territorial pour organiser la concertation et obliger s'il le faut les grands services publics à s'expliquer sur leurs décisions. Voilà des dispositions qui devraient vous convenir.

Les services publics en milieu rural peuvent beaucoup gagner à un partenariat plus actif entre les grands services de l'Etat et les collectivités territoriales. Le texte met des outils au service de cette démarche. Reste que les services publics doivent évoluer dans certains cas. L'internet haut débit et la téléphonie mobile, sur lesquels aucun gouvernement ne s'était engagé aussi fortement, offre des possibilités considérables. Les mesures déjà prises ont permis des avancées que nous pouvons tous vérifier chaque jour. Ne vous cantonnez pas dans une image passéiste. Des formules innovantes et efficaces comme les points Poste, adossés par exemple à des commerces, offrent une amplitude d'ouverture supérieure aux services postaux traditionnels, à la grande satisfaction des usagers.

Enfin, vous paraissez oublier que le projet a pour objectif de favoriser le développement des territoires ruraux, et de protéger les espaces naturels de façon concertée. Voilà aussi des raisons pour nous de rejeter l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean Launay - La longue plainte d'André Chassaigne n'avait rien de misérabiliste. Avec dignité, il a dressé un constat sans concession des réalités de nos territoires ruraux, que nous connaissons comme lui. Tant que notre pays laissera se poursuivre la déshérence du monde rural de façon inexorable, tant que nous laisserons nos gouvernements tailler dans les branches rurales du service public plutôt qu'à sa tête, les démembrements continueront malgré l'adoption de votre texte et son cortège de mesures d'affichage. Notre collègue a dénoncé avec raison l'adoption forcée de la deuxième vague de décentralisation. La contrainte financière obligera les conseils généraux à cesser leur soutien aux communes rurales, mettant ainsi à mal les politiques locales qui avaient maintenu le tissu rural. Dans sa forte conclusion, André Chassaigne a souligné que ce projet contrevient au principe constitutionnel d'égalité. Notre groupe votera donc l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Philippe Folliot - Nul ne peut contester certains de vos propos, Monsieur Chassaigne. Nous sommes tous sensibles à l'expression de votre attachement au monde rural. Cependant, ce projet ne nous paraît pas mériter un tel excès d'indignité. Il contient en effet des avancées appréciables pour le monde rural, même s'il ne va pas toujours aussi loin que nous pourrions le souhaiter. C'est pourquoi, au cours de la discussion, notre groupe défendra des amendements destinés à améliorer le sort de nos concitoyens qui vivent dans des territoires ruraux et qui réclament non pas de l'assistance, mais davantage d'équilibre et d'égalité des chances. Quelle France voulons-nous dans les décennies à venir ? Voilà tout l'enjeu de notre débat. Le projet apporte un début de réponse à certaines de nos préoccupations, et les orientations retenues vont dans le bon sens. Aussi le groupe UDF apportera-t-il à la discussion une contribution constructive. Il ne peut donc pas adopter l'exception d'irrecevabilité, d'autant que votre démonstration, pertinente à certains égards, n'a rien prouvé en matière d'inconstitutionnalité. La majorité du groupe UDF émettra un vote négatif (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Jean Lassalle - Je m'abstiens !

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

DISCUSSION GÉNÉRALE

M. le Président - Je prierai chacun des orateurs inscrits dans la discussion générale de respecter son temps de parole.

M. François Brottes - Lors de la première lecture, nous étions tous emplis d'un espoir égal à l'inquiétude que nous sentions dans ce monde rural cher à nos cœurs et où se trouvent nos racines. Pour les élus de la montagne - qui restent optimistes, mais vigilants ! -, cet espoir était renforcé par l'annonce d'une modernisation de la loi montagne - et, au passage, je tiens à remercier le ministre d'avoir accepté de venir à leur congrès la semaine prochaine.

Cependant, si longs qu'aient été nos débats, nous n'avons pas réussi à vous convaincre de donner plus de consistance à votre projet, hormis en ce qui concerne la gestion du foncier. Les élections cantonales et régionales, ont ensuite démontré que le souffle de la loi rurale s'était transformé en tornade, dévastatrice pour certains exécutifs. J'admets toutefois que cet espoir déçu n'est pas seul cause de cet ouragan électoral : la réforme de la PAC désespère les agriculteurs et il faut aussi compter avec l'obligation faite aux départements ruraux de financer la politique de la Ville, via la contribution obligatoire des OPAC à l'Agence nationale de la rénovation urbaine, avec la spéculation foncière qui empêche l'installation des jeunes, avec le démantèlement « scrupuleux » de tous les services publics, avec le « droit » que vous avez accordé aux communes les plus pauvres de payer pour le maintien de ces services moyennant une information préalable sur les projets de suppression...

Comme un malheur n'arrive jamais seul, le Sénat, qui se proclame pourtant le défenseur du milieu rural et des petites communes, a ratiboisé le texte issu de nos travaux, sans faire le détail. Toutes les améliorations que nous avions apportées à ce projet, avec ou sans l'accord du gouvernement, sont passées à la trappe et, depuis, j'avoue me retenir difficilement de saluer mes collègues de la Haute assemblée, champions des amendements viticoles, d'un : « Bonjour, Monsieur le Sécateur ! » (Sourires) Mais leur travail relève plus de la sylviculture à la tronçonneuse que de la taille pratiquée par les viticulteurs. Jugez-en : ils ont supprimé la définition précise et l'élargissement des ZRR, l'obligation faite aux entreprises qui se délocalisent de rembourser les aides publiques, la compensation par l'Etat de plusieurs dispositifs nouveaux, la facilité donnée aux communes rurales de pratiquer des loyers industriels attractifs, les dispositions favorables au maintien des écoles, la faculté de devenir des « stations classées » accordée aux petites communes qui n'ont que le tourisme pour se développer, la possibilité pour les interprofessions de prélever une cotisation volontaire obligatoire, la reconnaissance des activités d'agro-tourisme dans les GAEC et celle de l'agriculture biologique dans les interprofessions. Ils sont de même revenus sur le renforcement des droits des saisonniers en matière de formation professionnelle et de « déprécarisation » de leur contrat. Ils ont refusé la prise en compte des dégâts du sous-sol argileux pour les habitations, le droit pour le maire d'imposer l'enlèvement des déchets encombrants, la garantie d'un prix unique du timbre, l'autorisation exceptionnelle de reconquérir la friche pour établir des aménagements nécessaires en montagne et l'obligation de solliciter un avis du conseil général sur la réorganisation des services publics. Des obligations de l'Etat en matière de financement de la santé publique, ils ont fait une simple faculté. Et ils ont encore renoncé à simplifier la création des associations foncières pastorales, ils ont supprimé le rapport annuel sur l'effort de l'Etat en faveur de la montagne, la facilité donnée aux communes de montagne de porter à plusieurs une délégation de service public, l'obligation de prendre en compte le logement des saisonniers dans les nouveaux projets immobiliers en montagne, l'incitation à élaborer des chartes forestières de territoire...

J'arrêterai là l'énumération, uniquement parce que le temps m'est compté ! Si incomplète soit-elle cependant, elle démontre la nécessité où nous nous trouvons, nous, de retrouver le bon sens, pour servir une ruralité moderne.

Pour être totalement juste avec le Sénat, je dois tout de même reconnaître que, sur quelques points, il est à l'origine d'avancées utiles : implication plus forte des collectivités dans les SAFER, réhabilitation de l'immobilier de loisir, élargissement des compétences des SIDER... et organisation d'une grande conférence annuelle de la ruralité qui va certainement tout changer ! D'ailleurs, peut-être la première se tient-elle ce soir : il y a presque parité entre les ministres et les députés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Dionis du Séjour - Le groupe UDF s'était préparé à cette deuxième lecture en fonction du texte issu de la première, que nous avions jugé utile mais impressionniste, voire pointilliste. Seulement voilà : entre-temps, une crise majeure a secoué nos campagnes, plus particulièrement l'ensemble de la filière des fruits et légumes, et légiférer en en faisant abstraction serait proprement surréaliste. Dans le Sud-Ouest, dans la vallée du Rhône et en Bretagne, où les producteurs ne sont payés que pour la moitié de leurs prix de revient, cette crise atteint une ampleur qui nous oblige à saisir dès maintenant la représentation nationale et le gouvernement.

Devant cette crise d'un caractère nouveau, qui a ses racines dans la compétition intra-européenne et dans un rapport de forces particulièrement déséquilibré entre production et distribution, ne répondez pas, Monsieur le ministre : ce n'est pas le moment, on en reparlera quand on discutera de la loi d'orientation et de modernisation de l'agriculture ! Cette loi arrivera en débat, au mieux, au premier trimestre de 2005 et compte tenu de la difficulté des sujets traités, ne sera pas applicable avant la fin de 2006. Or, dès aujourd'hui, les agriculteurs sont confrontés à une question angoissante : est-ce que j'arrête ou est-ce que je replante ?

Fils d'arboriculteur, je suis bien placé pour savoir qu'il y a à prendre et à laisser dans les plaintes de cette profession. Mais cette crise ne ressemble à aucune autre. Et elle appelle des réponses urgentes, touchant à la fois au coût du travail agricole et aux relations entre la production agricole et la grande distribution.

Les causes de ces crises sont bien connues. La France souffre d'un problème structurel dramatique : le manque de compétitivité des filières « produits frais », notamment au sein de la Communauté. Le coût excessif du travail pénalise ces activités à forte intensité de main-d'œuvre, notamment saisonnière. Songez que l'heure de travail d'un saisonnier revient à 6,15 € en Allemagne, contre 8,52 chez nous, et celle d'un salarié en CDI à 5,43 € en Espagne, contre 10,52 en France ! Ces pays ont su adapter leur législation aux enjeux agricoles modernes et faire appel à la main-d'œuvre saisonnière étrangère, en provenance des nouveaux Etats membres de l'Est - elle représente dans certaines filières 90% des travailleurs saisonniers, soit 243 000 personnes en Allemagne contre 10 000 en France.

Sur ce sujet, nous vous ferons des propositions, élaborées en concertation avec les organisations professionnelles concernées. Nous proposerons notamment la création d'« emplois francs agricoles » pour lesquels les charges patronales seraient réduites à 10% pour cinq ans. Les allégements Fillon ne suffisent pas, en effet, à compenser les fortes revalorisations du SMIC, en particulier pour les entreprises qui recourent régulièrement aux heures supplémentaires.

S'agissant des saisonniers, nous proposerons d'étendre le contrat vendanges, créé à l'initiative de notre collègue de Courson, aux activités de récolte et d'en faire bénéficier à titre exceptionnel les travailleurs étrangers.

A toutes ces propositions, votre administration est programmée pour nous répondre qu'elle n'a pas de marges de manœuvre budgétaires. Mais, au nom de l'ensemble des parlementaires du Lot-et-Garonne et du groupe UDF, c'est une réponse politique que je demande : la France veut-elle jouer à armes égales avec les autres pays européens pour les produits frais qui se situent en dehors de la PAC ? Vous savez que la réponse ne viendra pas, ou marginalement, de l'Europe. Il faut donc une réponse dès la loi de finances 2005, et de l'audace pour ce qui est des recettes. Notre idée consiste à financer ces réductions de charges, dont nous évaluons le coût à 600 millions d'euros, par un relèvement du taux de la TACA, que nous proposons de rebaptiser « taxe d'aide aux commerçants, artisans et agriculteurs ».

Reste à aborder sans tabou la question des relations entre producteurs et distributeurs. Beaucoup a été dit sur le sujet depuis l'accord Sarkozy mais je me contenterai, pour moi, de deux chiffres : des producteurs du Lot-et-Garonne ont vu leurs pommes payées 0,4 € le kilo et revendues à quelques kilomètres de là 2,4 €, cela quelle que soit l'enseigne. Un tel écart n'est plus tolérable ! Mais ce fait démontre aussi clairement l'existence d'une entente au sein d'un oligopole, entente qui représente une menace permanente pour les agriculteurs. Nous vous proposons donc une solution qui commence à faire l'unanimité dans le monde agricole, à savoir l'instauration, en période de crises, d'un coefficient multiplicateur liant le prix de vente au client final au prix d'achat au producteur.

Ne laissez pas passer l'occasion qu'offre ce texte pour donner une réponse politique à la hauteur de la crise. Sinon cette loi ne serait qu'une « boîte à outils », utile peut-être mais bien insuffisante pour maintenir ou recréer une activité économique durable sur ces territoires. N'attendez pas la future loi de modernisation et d'orientation, qui viendra trop tard pour de nombreux exploitants.

Pour ce qui est des autres volets du texte, on y trouve des dispositions utiles et pragmatiques, adoptées à l'initiative du Parlement. Il en est une qui montre que la sagesse de la Haute Assemblée n'est pas légendaire : c'est l'assouplissement de la loi Evin qui va enfin permettre aux AOC viticoles de promouvoir leurs terroirs. L'UDF sera totalement solidaire de cette disposition qui n'est pas un appel immodéré à « la fête, au sexe ou au dépassement de soi » comme l'a déclaré de manière un peu imprudente M. Evin. Notre commission a d'ailleurs adopté un amendement qui rappelle les publicitaires à la nécessité de prêcher la modération.

Il restera aussi à clarifier les nouveaux critères intercommunaux des ZRR et à consolider le volet chasse, déjà amélioré par le Sénat. A titre personnel, je me battrai d'ailleurs pour le maintien d'un de ces amendements, autorisant à se déplacer d'un poste de chasse à l'autre à l'aide d'un véhicule. Ce serait une véritable provocation vis-à-vis des chasseurs de tout le Sud de la France si on décidait de revenir sur cette mesure.

Bref, les enjeux ruraux sont tels qu'on ne saurait se contenter d'un texte « portant diverses dispositions d'ordre rural ». Il doit être structuré autour des ZRR, qui vont enfin bénéficier quasiment du même niveau d'effort que les zones franches urbaines ; mais il lui faut aussi un volet agricole ambitieux, qui sera complété le moment venu par la loi de modernisation agricole, afin de faire face aux crises des filières de produits frais situées en dehors de la PAC.

Le groupe UDF, qui s'était abstenu en première lecture malgré l'intérêt des dispositions proposées, attend votre réponse face aux événements dramatiques de cet été. Notre vote dépendra de la teneur de la réponse politique que vous nous ferez (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. André Chassaigne - Ce projet est éminemment décevant au regard du diagnostic partagé que nous avions fait du malaise de la France rurale. Nous partagions aussi l'idée que les problèmes du monde rural devaient être appréhendés de façon globale, idée traduite par la notion de « ruralité ». Mais en dépit des intentions proclamées, tout se passe comme si l'intervention publique se limitait au soutien à l'initiative privée, non sous la forme d'aides directes, mais par le biais de défiscalisations qui ne profitent qu'à quelques investisseurs fonciers ou immobiliers, parfois même émigrés dans les vertes campagnes d'Auteuil, de Neuilly ou de Passy plutôt qu'au cœur de nos départements ruraux. Ce projet repose sur le culte de l'initiative privée, comme si elle pouvait pallier la crise des services publics et contrer la déprise démographique...

La construction volontariste de solidarités nouvelles à la campagne est indispensable. Elle est le seul moyen d'initier des dynamiques économiques et sociales conduisant à un développement durable. Le renforcement de la présence des pouvoirs publics est vital. Prenons la question de l'habitat, enjeu décisif : on nous propose de favoriser l'investissement immobilier des particuliers, mais on ne répond pas à la double exigence d'une relance de la construction sociale en milieu rural et d'une requalification sociale du bâti existant, préalable indispensable à l'installation de jeunes couples dans les villages.

De même, s'agissant du financement du développement, on crée certes des sociétés d'investissement et de développement rural, mais on n'aborde pas la question des réseaux bancaires mutualistes agricoles ou des réseaux d'épargne. Or, sans outil de financement spécifique et public, toutes les ambitions affichées par cette loi ne seront que des chimères. Le Crédit agricole, par exemple, à force de campagnes boursières, a aujourd'hui disparu comme pôle public de financement de l'économie rurale. Le « bon sens près de chez nous » n'est plus qu'un lointain souvenir... Cette banque devrait redevenir une coopérative, à l'ancrage territorial bien affirmé, avec des conseils d'administration régionaux composés de représentants des pouvoirs publics, des collectivités territoriales, des agriculteurs et des salariés du secteur agroalimentaire.

Aux habitants des territoires ruraux, il faut donner les moyens de construire un avenir commun.. Nous l'avons constaté en particulier dans les parcs naturels régionaux, des actions innovantes peuvent enclencher une dynamique de développement. Il faut donc développer toutes les formes de participation individuelle et collective des citoyens à la vie politique et institutionnelle.

Voilà pourquoi nous proposons en particulier que les conseils municipaux des communes rurales soient élus au scrutin proportionnel. Des espaces de démocratie directe devraient en outre voir le jour pour permettre aux citoyens de s'approprier toutes les questions les concernant.

Il convient aussi de renforcer les lieux de débat dans les structures économiques. Les délégués des chambres d'agriculture ou des administrateurs de la MSA devraient être élus au scrutin proportionnel, et la place des salariés agricoles y être revalorisée. Il faudrait aussi assurer davantage de transparence dans les SAFER ou les CDOA.

Il faut également renforcer les modes de gestion collectifs et démocratiques des biens économiques. Comment accepter que le droit des sections de communes soit profondément bouleversé, en plein été, sans que la représentation nationale soit consultée ? La loi de décentralisation porte le coup de grâce à ces sections.

Enfin, ce projet de loi ne comporte aucune disposition apte à relancer l'économie rurale. On nous dit, pour l'agriculture, d'attendre la loi d'orientation agricole, mais pour les agriculteurs, la crise est là... La baisse des prix, couplée à l'application de la prétendue réforme de la PAC, menace des dizaines de milliers d'exploitations.

De même, il eût fallu se préoccuper de l'avenir de l'artisanat et du commerce rural, mais vous ne proposez rien. Le renforcement des coopératives d'activité et d'emploi et des sociétés coopératives d'intérêt collectif devrait être soutenu : les premières constituent des structures d'accompagnement permettant de mutualiser les interventions dans une même zone géographique ; les secondes permettent d'associer tous les partenaires qui veulent agir ensemble.

Décidément, votre politique est sans issue pour le monde rural. Pourtant l'espoir demeure. Pour reprendre les mots du vieux révolutionnaire de Quatre-vingt treize, de Victor Hugo, « le moulin n'y est plus, mais le vent souffle encore ». Mais pour combien de temps ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Antoine Herth - Souffrez que je dise enfin un peu de bien de ce texte...

J'ai visité cet été plusieurs départements de la « France profonde ». Partout, j'ai vu des hommes et des femmes relever le défi du développement, j'ai vu des entrepreneurs imaginatifs, j'ai constaté l'engagement des élus locaux. Ce qu'il y a de profond dans cette France, c'est l'enracinement des valeurs.

La ruralité est pleine de ressources, qui doivent être valorisées : tel est l'esprit de ce texte. L'originalité de la démarche gouvernementale réside dans une approche globale. Ce projet a demandé un important travail de coordination entre les différents ministères concernés, coordination assurée par le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, qui mérite nos félicitations et qui démontre la pertinence de son vaste champ de compétences. Mais attention : ce n'est pas une loi agricole, mais bel et bien une loi rurale.

Il nous appartient à présent de parfaire l'ouvrage. Je tiens à souligner le travail remarquable réalisé par la commission des affaires économiques, qui constitue un modèle du travail parlementaire, chaque élu ayant pu apporter sa contribution à l'édifice. Il en résulte un texte qui comporte, certes, un grand nombre d'articles, mais qui répond à la diversité des situations et des problèmes. Députés et sénateurs ont contribué à compléter la boîte à outils que nous réclament les acteurs locaux, et dont je rappelle quelques exemples.

Dans le domaine de l'activité économique, ce texte répond à une logique de cohésion sociale et d'équité territoriale, en renforçant la solidarité nationale au profit des territoires les plus fragiles, les zones de revitalisation rurale. Grâce à un volet fiscal ambitieux, ces territoires fragiles se voient offrir de nouvelles perspectives de développement.

Dans le domaine de l'emploi, les spécificités du monde rural seront mieux prises en compte. Le texte s'attache ainsi à promouvoir les groupements d'employeurs, à développer les temps partagés entre le public et le privé, à renforcer l'accès des saisonniers à la formation professionnelle. Je reconnais que ce n'est pas suffisant : un assouplissement des règles relatives au temps de travail sera nécessaire, et plus efficace que ces mesures.

L'adaptation et la modernisation, c'est aussi la simplification : certaines mesures fiscales et financières soutiendront les activités agricoles et touristiques, en allégeant les procédures administratives. Je pourrais citer l'aménagement foncier, la politique en faveur de l'habitat ou le soutien à l'installation des professions libérales en milieu rural.

La protection des espaces naturels est abordée sous plusieurs angles. La préservation des espaces sensibles, c'est d'abord la modernisation de notre politique forestière ; des incitations fiscales sont ainsi destinées à favoriser la restructuration et la gestion durable des forêts privées, qui continuent de subir les conséquences terribles de la tempête. Il faut trouver les moyens de maîtriser le risque en sylviculture.

Les zones humides font l'objet d'une réflexion particulière en raison de leur intérêt environnemental. Le Sénat a enrichi le texte en y intégrant un chapitre consacré aux sites Natura 2000. Les sept nouveaux articles apportent une clarification de la procédure de consultation des collectivités territoriales, ainsi que du rôle des acteurs de terrain dans la gestion et la conservation des sites Natura 2000, ce dont je me réjouis : il est plus que temps d'introduire de la transparence dans ce dossier opaque.

Enfin, le projet prend en compte les problèmes spécifiques des zones de montagne. La loi de 1985 est actualisée pour tenir compte de la décentralisation et de la diversité des territoires. Il faut ici saluer la mobilisation de tous les élus de ces régions.

Le texte comporte d'autre part des dispositions relatives à certains établissements publics. Il renforce le rôle des établissements d'enseignement agricole en tant que véritable acteurs des territoires ruraux, reformule les missions du CNASEA et étend les possibilités d'intervention de l'Office national des Forêts.

Enfin je note avec satisfaction que l'agriculture fera une nouvelle fois l'objet de notre attention lors de l'examen de la loi de modernisation agricole, que M. Gaymard vient de mettre en chantier. Mais ne confondons pas les outils : une loi de modernisation ou d'orientation doit s'attacher aux problèmes structurels. Elle n'est pas un outil de gestion de crise ; je le sais pour avoir connu de près trois crises bovines.

La plupart de nos voisins européens envient l'espace dont dispose la France. Sachons regarder nos campagnes comme une chance ! En avril 2002, à Ussel, le Président de la République annonçait une politique de développement des territoires ruraux «fondée sur la solidarité, sur la modernité, sur le respect et l'initiative ». Voilà le souffle qui doit animer nos travaux, car l'engagement du chef de l'Etat constitue pour la majorité un impératif de résultat que le groupe UMP veillera à honorer (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont - Le 15 janvier dernier, lors de la première lecture de ce texte, j'avais regretté que l'a priori positif suscité par l'annonce de ce projet ait vite cédé le pas à un grand désenchantement... Au vu du contenu qui nous revient pour cette deuxième lecture, la déception se mue en colère. Je ne rappellerai pas les nombreuses amputations opérées par le Sénat, mais j'en mentionnerai deux particulièrement inopportunes. C'est d'abord celle de l'article premier ter, qui imposait le remboursement des aides publiques liées aux ZRR pour les entreprises qui mettraient fin à leur activité ou se délocaliseraient durant la période d'exonération. C'est ensuite celle de l'article 11B qui accentuait les contraintes de l'extension des surfaces commerciales.

Parallèlement à cet appauvrissement d'un texte dont nous avions déjà déploré le manque de substance et qui nous revient du Sénat totalement exsangue, les mauvaises nouvelles s'amoncellent pour les zones rurales : c'est la suppression de bureaux de poste, généreusement remplacés par des agences postales pour lesquelles les mairies doivent mettre la main au porte-monnaie, ou mieux encore par les points poste, dernier des pis-aller imaginés avant le départ définitif du service postal. C'est la restructuration du réseau des trésoreries avec fermetures à la clé, les suppressions de filières et d'options dans les collèges ou les lycées, la disparition programmée des subdivisions de l'équipement dont le rôle d'appui aux plus petites communes était essentiel, réduisant ces dernières à s'adresser à des cabinets privés - moyennant finance - ou aux Conseils généraux... L'inventaire du grand délitement des services publics n'est à l'évidence pas clos avec la perspective annoncée du remplacement d'un fonctionnaire sur deux, au mieux. En même temps, la hausse du prix du pétrole pénalise fortement nombre d'activités rurales, singulièrement l'agriculture, alors que le gouvernement s'obstine à ne pas revenir à une TIPP flottante.

L'insatisfaction, déjà patente lors du premier débat, ne peut donc que s'exacerber dans le nouveau contexte lié à l'adoption à la hussarde, en pleine torpeur de l'été, de la loi sur les responsabilités locales... Les collectivités territoriales, qui ont un rôle important d'amortissement et de lissage des inégalités sur leur territoire, et singulièrement les Conseils généraux, prennent de plein fouet les transferts de compétences imposés sans aucune assurance quant à l'honnêteté des transferts financiers correspondants. J'en donnerai pour exemple le R.M.I. transféré depuis le 1er janvier 2004, et pour lequel les Conseils généraux sont déjà conduits à être les banquiers de l'Etat : celui-ci doit à mon département de la Haute-Vienne la bagatelle de 600 000 €...

Comment, dès lors, régions et départements vont-ils pouvoir continuer à soutenir le tissu rural, au moment où les communes doivent elles-mêmes faire face à la baisse des aides de l'Etat ?

Votre texte, Monsieur le ministre, n'apporte pas les réponses attendues. En outre les exonérations que vous multipliez à loisir pour inciter à l'installation en zone rurale seront elles aussi, pour l'essentiel, à la charge des collectivités locales. Vous proposez sans état d'âme de demander aux territoires les moins favorisés de payer eux-mêmes ce que d'autres ont gratuitement, au mépris de l'égalité républicaine entre les territoires, et sans proposer le moindre dispositif de péréquation. Savez-vous qu'un point de fiscalité dans les Hauts-de-Seine représente huit points en Haute-Vienne ? Faire payer plus ceux qui ont le moins, est-ce là votre ambition pour les territoires ruraux ?

Légiférer n'a de sens que si les moyens de l'ambition affichée sont au rendez-vous. Ce n'est malheureusement pas le cas de ce projet. Dans un contexte en pleine évolution, avec de nombreuses interrogations sur le devenir de la PAC ou des fonds structurels européens, les acteurs de la ruralité étaient en droit d'attendre de l'Etat une prise en compte de leurs inquiétudes et des moyens au service d'une ambition ; nous étions prêts à y travailler avec vous. Force est de constater que l'ambition affichée du Gouvernement n'aura pas dépassé le contexte préélectoral du printemps dernier ... Dès lors je ne vois pas comment nous pourrions voter ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Lassalle - Monsieur le Président, je me réjouis à mon tour de vous voir à cette place.

Messieurs les Ministres, Monsieur le Président de la commission, Messieurs les Rapporteurs, vous avez bien du mérite à continuer d'évoquer les territoires ruraux et leur avenir, et bien du courage de continuer à parler de ces campagnes oubliées depuis si longtemps - non pas depuis deux ou trois ans, cher André Chassaigne : c'est depuis trente ou quarante ans que l'histoire ne rime plus avec espérance sur nos terres oubliées par une civilisation qui pourtant leur doit tant. Même le Sénat a lui aussi laissé tomber... J'avais remarqué, avant que M. Brottes n'en fasse la liste - mais je ne la croyais pas si longue - tous les coups de ciseaux infligés au texte, et je ne comprends pas.

Vous avez donc, Monsieur le Ministre, beaucoup de mérite. Pendant que vous regardez au loin, votre maison brûle, disait un jour le Président de la République. Et moi je lui dirai : pendant que vous regardez ces campagnes qui vous ont tant aimé et soutenu, elles agonisent dans l'indifférence générale. Certes, elles ne sont pas seules : les banlieues ont connu un sort comparable, les mêmes causes produisant les mêmes effets, depuis trente ou quarante ans.

Je ne crois pas que ce soit une fatalité. Je crois que vous avez raison de continuer le combat. Mais que c'est difficile quand plus personne n'y croit ! Car enfin, qui croit encore en France à l'avenir des campagnes, à part peut-être Jean-Pierre Pernaut ? Je viens d'achever une tournée dans une centaine de communes basques et béarnaises : partout les maires ne m'ont parlé que des exploitations qui fermaient, des fils qui ne reprenaient pas les terres de leurs pères, et de nos amis anglais, belges ou hollandais qui achètent tout ce qui reste, à des prix défiant toute concurrence - ne nous laissant que nos cimetières...

J'en ai vu, des maires, me parler de leurs derniers commerçants ou de la fermeture de leurs bureaux de poste, de leurs écoles, de leurs perceptions. Vous êtes courageux, Monsieur Gaymard, de mener ce combat, car même l'Europe nous a laissés tomber. Si seulement vous pouviez persuader le Président de la République d'abroger les deux directives qui achèvent de nous clouer au pilori ! S'agissant de la directive sur la chasse, M. Lemoine s'est donné beaucoup de mal pour rien, car la Cour européenne fera ce qu'elle voudra. Quant à la directive habitat, les communes ont beau s'y opposer fermement, le préfet s'acharne ! Ce sont les territoires les plus déshérités, ceux qui n'enregistrent plus aucune naissance, qui ont le mieux préservé la nature pour la simple et bonne raison qu'il ne s'y passe rien, ce sont ceux-là que l'on a précisément choisi de sauvegarder à tout prix ! Nos pères et nos grands-pères se sont battus pour garder libres ces terres ! A quoi cela rime-t-il ? Et l'entreprise Total - jadis « pétroles d'Aquitaine » - que les plus grands chefs d'Etats ont visité, de Kennedy à Khrouchtchev, accompagnés de notre légendaire Président de la République, abandonne purement et simplement ce gisement, mais pour mimer un semblant de requalification, va arracher à cinquante kilomètres de là une entreprise japonaise !

Je ne suis pas d'un tempérament pessimiste, mais lucide, et je ne fais que vous rapporter les propos des maires de tous bords que j'ai rencontrés cet été. J'aimerais que ce texte serve de déclic, mais je crois que le problème est ailleurs, et il faut qu'il y ait une prise de conscience au plus haut niveau de notre pays et de l'Europe, sinon, nous connaîtrons des lendemains qui ne chanteront plus (Applaudissements sur tous les bancs).

M. le Président - Je comprends pourquoi M. Lassalle a été élu président mondial des peuples de montagne.

M. Jean-Pierre Decool - Ce texte présente l'originalité de développer plusieurs thèmes autour de trois objectifs : conforter l'attractivité des territoires ruraux, garantir une meilleure offre de service aux populations et protéger les espaces spécifiques ou sensibles. Il n'a pas vocation à réguler l'agriculture et la vie agricole.

Je concentrerai mon propos sur les espaces naturels. Je m'étais réjoui, en première lecture, de la prise en compte des zones humides qui représentent plus d'un million 700 000 hectares. J'insiste à nouveau sur l'importance de ces territoires qui, souvent proches des villes, s'inscrivent dans une démarche de complémentarité et de solidarité entre le monde rural et urbain. La préservation de ces espaces impose l'intervention de tous les utilisateurs, mais ne doit pas reposer sur les seuls agriculteurs. Dans le Nord, et en particulier dans le secteur du marais flamand, les producteurs de lait demandent une contrepartie à leur effort environnemental, par exemple sous la forme de quotas laitiers supplémentaires. Pour ces raisons, je ne peux qu'approuver la définition des zones humides et les dispositions de ce texte.

Par ailleurs, j'appelle votre attention sur le développement inquiétant de la jussie, qui prolifère dans les canaux de la Flandre maritime et nuit au fonctionnement de l'écosystème, en posant des problèmes tant écologiques - parasites, disparitions d'espèces - que de santé publique ou d'ordre économique - entretien coûteux des canaux, activités ludiques mises en péril. Le public, les gestionnaires et les entreprises concernées manquent d'informations, et il faudrait des mesures fermes telles que l'interdiction de la vente de la jussie sur l'ensemble du territoire.

Enfin, s'agissant de la chasse, le Sénat a apporté de nombreuses avancées qui seront, je l'espère, entérinées ici. J'espère que le ministre de l'écologie et du développement durable montrera sa volonté d'avancer sur ce terrain, et à cet égard je souhaiterais obtenir des précisions sur les nouvelles modalités d'usage des appeaux et appelants pour la chasse au gibier d'eau, encore trop obscures pour les chasseurs.

Je vous remercie pour vos réponses et vous assure de mon soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Germinal Peiro - Le monde rural a subi des mutations profondes au cours des dernières décennies. L'avènement de l'ère industrielle et le déclin de l'activité agricole sont à l'origine de l'exode rural, de la désertification de pans entiers de notre territoire. Cependant, malgré les menaces qui pèsent sur l'activité agricole ou le maintien des services publics, la démographie tend à se stabiliser, voire à augmenter légèrement.

De nombreux départements ruraux ont choisi de promouvoir le tourisme vert, et de mettre en avant le milieu naturel. En quelques années, les randonnées pédestres, équestres, cyclistes, mais aussi des activités nouvelles comme le rafting ou le parapente, se sont considérablement développées. Dans ce contexte, la loi sur le sport de juillet 2000 a prévu l'extension des compétences des conseils généraux pour la mise en œuvre de plans départementaux des activités de pleine nature. Elle a également prévu la mise en place de commissions départementales des espaces, sites et itinéraires, véritables lieux de démocratie locale, qui ont déjà permis dans les Côtes d'Armor, l'Ardèche ou la Drôme, de développer des activités de pleine nature dans le respect de l'environnement.

Je souhaite que l'examen du texte sur le développement des territoires ruraux nous permette de rappeler l'importance pour les communes d'entretenir leur domaine public. Je pense notamment aux chemins ruraux ou aux accès aux cours d'eau.

Sur le plan législatif, l'examen de ce texte en deuxième lecture, doit nous permettre de faciliter la mise en place de ces commissions départementales, et d'étendre l'accès aux cours d'eau jusqu'alors réservés aux pêcheurs.

En agissant ainsi, nous favoriserons le maintien de la vie en milieu rural (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) .

M. Hervé Gaymard, ministre - Je veux simplement vous prévenir que je ne serai pas avec vous demain matin. Ce n'est pas désinvolture de ma part, mais parce que je me rends à Nantes au congrès des producteurs de fruits et légumes. Compte tenu de la crise évoquée par M. Dionis du Séjour, je pense que vous le comprendrez. M. Forissier et M. de Saint-Sernin me suppléeront sans difficulté.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu ce matin, jeudi 7 octobre, à 9 heures 30.

La séance est levée à 1 heure 15.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU JEUDI 7 OCTOBRE 2004

A NEUF HEURES TRENTE - 1ère SÉANCE PUBLIQUE

Suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi (n° 1614) relatif au développement des territoires ruraux.

Rapport (n° 1828) de MM. Yves COUSSAIN, Jean-Claude LEMOINE et Francis SAINT-LÉGER au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

A QUINZE HEURES - 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE - 3ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


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