Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (session ordinaire 2004-2005)

Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 5ème jour de séance, 10ème séance

1ère SÉANCE DU MARDI 12 OCTOBRE 2004

PRÉSIDENCE de M. Yves BUR

vice-président

Sommaire

            DEMANDE DE CONSTITUTION D'UNE COMMISSION SPÉCIALE 2

            OPPOSITION À UNE DEMANDE DE DISCUSSION SELON LA PROCÉDURE D'EXAMEN SIMPLIFIÉE 2

            DÉBAT SUR LES DÉLOCALISATIONS ET
            L'ATTRACTIVITÉ DE LA FRANCE 2

            FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR 35

            CALENDRIER DES TRAVAUX DE L'ASSEMBLÉE 35

            A N N E X E ORDRE DU JOUR 36

La séance est ouverte à neuf heures trente.

DEMANDE DE CONSTITUTION D'UNE COMMISSION SPÉCIALE

M. le Président - M. le président de la commission des finances, de l'économie générale et du plan a demandé la constitution d'une commission spéciale pour l'examen du projet de loi organique modifiant la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances distribué le 8 octobre 2004. Cette demande a été affichée le 8 octobre 2004 à 12 heures et notifiée. Elle sera considérée comme adoptée en vertu de l'article 31 alinéa 3 du Règlement si la Présidence n'a été saisie d'aucune opposition avant la prochaine séance que tiendra l'Assemblée.

OPPOSITION À UNE DEMANDE DE DISCUSSION SELON LA PROCÉDURE D'EXAMEN SIMPLIFIÉE

M. le Président - J'informe l'Assemblée que M. le président du Groupe UMP a fait opposition à la discussion selon la procédure d'examen simplifiée du projet de loi autorisant l'approbation des protocoles d'application de la convention alpine du 7 novembre 1991 inscrit à l'ordre du jour de cet après-midi.

En conséquence, l'examen de ce projet ne donnera pas lieu à l'application de cette procédure. Le Gouvernement m'a fait savoir que ce texte est retiré de l'ordre du jour prioritaire de l'Assemblée nationale.

DÉBAT SUR LES DÉLOCALISATIONS ET L'ATTRACTIVITÉ DE LA FRANCE

L'ordre du jour appelle le débat sur les délocalisations et l'attractivité de la France.

M. le Président - L'organisation de ce débat ayant été demandée par le groupe UMP, la parole est au premier orateur de ce groupe.

M. Jérôme Bignon - Le groupe UMP n'a pas choisi la facilité, et c'est tout à son honneur, en proposant d'aborder un sujet particulièrement complexe, suscitant inquiétude et angoisses tant les discussions des experts, les interrogations ou prises de position des entrepreneurs et des syndicats perturbent nos concitoyens : une dimension psychologique, fantasmatique même, se mêle en effet aux réalités de la mondialisation.

Celle-ci n'est pas sans risque certes, mais elle peut être positive. Il convient donc d'analyser ce phénomène avec modestie et lucidité et essayer d'y répondre sans démagogie alarmiste et sans stigmatiser qui que ce soit. Le groupe UMP veut débattre, expliquer, mettre en perspective nos atouts et nos faiblesses et accompagner ainsi l'ensemble des mesures gouvernementales destinées à renforcer l'attractivité de la France et à donner des armes à nos entreprises pour conquérir de nouveaux marchés.

Les multiples études déjà publiées, et notamment les excellents rapports parlementaires de non collègues Roustan, Blanc et Grignon, mettent en évidence la problématique à laquelle nous sommes confrontés et proposent des réponses très largement reprises par le Gouvernement.

Le changement est consubstantiel au progrès : souvenons-nous des débats, au XIXe siècle, sur la machine à vapeur ou le métier à tisser. Mutatis mutandis, la question des délocalisations est du même ordre. Notre collègue Roustan regrette à ce propos que, dans une confusion terminologique, on mêle indifféremment les notions de désindustrialisation, de délocalisation, de non localisation, de mutations d'activités.

Le phénomène auquel nous assistons est en fait ancien. Il fut même massif mais concentré dans certaines branches industrielles alors qu'il est aujourd'hui à la fois généralisé et plus diffus. Son impact reste modéré sur la part de notre industrie en volume dans notre PIB : 20,1% en 1978 et 19,5% en 2002. Notre tissu industriel reste donc dense mais souffre de la concurrence industrielle d'un petit groupe de pays émergeants : PECO, pays méditerranéens, Inde, Chine. Nos régions sont de plus diversement concernées selon leur taux d'industrialisation.

La recherche de coûts de production réduits constitue la plupart du temps la motivation essentielle d'une délocalisation, en particulier pour les produits à faible valeur ajoutée, mais une délocalisation peut également être motivée par une politique offensive. S'ouvrir de nouveaux marchés peut être le but recherché. Cette politique ne s'accompagne pas de la fermeture des sites de production, elle vise à éviter les droits de douane et à resserrer la relation commerciale. Comme l'a écrit le sénateur Grignon, la délocalisation qui se traduit par la disparition immédiate d'un certain nombre d'emplois constitue souvent le bon moyen de ne pas perdre à terme l'ensemble des emplois. Elle peut même permettre d'en créer ultérieurement de nouveaux. Nous avons, dans nos circonscriptions, de nombreux exemples d'entreprises qui se sont développées après avoir délocalisé.

Au-delà des phénomènes locaux, toujours douloureux, il ne faut pas céder aux affirmations alarmistes. Le mouvement est ancien et la tendance récente avive sa perception. Par ailleurs, la délocalisation n'est pas nécessairement une calamité économique. Elle traduit souvent un certain dynamisme, une recherche de marché ou de productivité qu'il faut encourager.

Je ne veux, sur cette question sérieuse, ni faire preuve de naïveté, ni flatter nos peurs par démagogie. Nous ne fermerons pas nos frontières et je stigmatise tous les mauvais tribuns qui laissent croire que nous pourrions continuer à vendre nos Airbus et nos TGV tout en empêchant les pays émergents de vendre chez nous leurs produits. Une politique volontariste reposant sur un aménagement du territoire équilibré, telle est la réponse que les députés UMP veulent donner aux attentes de nos concitoyens.

Pas plus que nous ne fermerons nos frontières, nous ne parviendrons à rivaliser avec les pays émergents sur le coût du travail.

Contre les délocalisations sauvages, notre groupe attend une réponse sans complaisance de l'Etat de droit. On ne joue pas avec les salariés ni avec l'outil de travail. La justice doit être faite et nous connaissons, Monsieur le ministre d'Etat, votre détermination.

Les délocalisations défensives ou offensives doivent être prévenues en renforçant l'attractivité de la France. Une ambitieuse politique d'aménagement du territoire doit empêcher qu'aucun de nos concitoyens se sente laissé de côté. Haut débit, desserte ferroviaire, accès au savoir : ces éléments sont essentiels pour attirer des entreprises étrangères sur notre territoire. Elles apprécient les atouts de notre pays : son positionnement géographique, sa productivité, sa qualité de vie, ses infrastructures de communication. La France occupe, en 2004, la troisième position en termes d'attractivité perçue et la deuxième position européenne s'agissant de la réalité des implantations étrangères : celles-ci ont été au nombre de 253 en 2002 et de 313 en 2003, soit une hausse de 24%. Nous sommes ainsi loin devant la Hongrie, la Pologne et la République tchèque. S'agissant d'implantations de sites de production et de centres logistiques, la France occupe la première place. Il faut poursuivre dans cette voie et conquérir de nouvelles positions stratégiques dans les secteurs d'avenir, comme les nanotechnologies ou les transports du futur.

Il serait paradoxal que cette terre d'accueil que constitue notre territoire - 47 milliards d'euros en investissements industriels, contre 2,7 milliards en République tchèque - ne puisse conserver sur son sol ses propres entrepreneurs.

Nous attendons avec impatience, Monsieur le ministre d'Etat, vos propositions. Certaines nous sont déjà connues depuis le comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire du 14 septembre et la présentation du projet de loi de finances. Nous attendons une action cohérente et volontariste et savons que telle est votre intention.

La mise en place des pôles de compétitivité est attendue, mais elle n'est pas la panacée. Cette politique pourra-t-elle être complétée, sur des bassins plus réduits ? La durée du travail, la fiscalité, la rigidité du droit du travail sont souvent mises en avant pour justifier certaines délocalisations. Le Gouvernement a-t-il des éléments de réponse ? L'élargissement européen sera-t-il un atout ? Quels moyens le Gouvernement va-t-il consacrer à la recherche et au développement ? Plus de matière grise, plus de valeur ajoutée, plus d'immatériel, tels sont les gages d'une forme nouvelle de production industrielle.

Adolescent, j'ai vécu les premières délocalisations du textile picard. Adulte, j'ai combattu avec mon père, dans les années 1970. Dans le Vimeu, plus de la moitié de la population active travaille à l'usine. Si les craintes souvent exprimées étaient fondées, il n'y aurait plus du tout de textile en France.

L'économie obéit à des règles complexes : la volonté des hommes, leur capacité d'adaptation doivent nous donner espoir. Il y a des politiques à mettre en œuvre. Le groupe UMP et l'Assemblée attendent, Monsieur le ministre d'Etat, que vous nous les exposiez (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe UDF).

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Vous avez pris l'initiative de ce débat sur les délocalisations et vous avez eu raison. Il s'agit d'un sujet cardinal. Les délocalisations constituent une des premières préoccupations des Français. Nous savons qu'avec l'angoisse qu'elles suscitent, elles ne sont ni une vue de l'esprit, ni un épiphénomène.

J'observe que les délocalisations ne sont pas une spécificité nationale. Il s'agit d'un sujet majeur dans les autres pays d'Europe et aux Etats-Unis. Nous ne devons donc pas complexer les Français. Je reviens des Etats-Unis, où j'ai assisté à la réunion du G7 et à l'assemblée générale du FMI. J'ai dîné avec le maire de New York, dont la première question fut de savoir si je pouvais faire quelque chose parce que Sanofi va délocaliser 800 emplois hors de sa ville. Ainsi, quand un député ou un sénateur s'alarme d'une délocalisation, ce n'est pas la manifestation d'un complexe franco-français. Il ne fait que réagir à une réalité qui s'observe partout dans le monde (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Certains représentants d'une élite qui sait tout devraient donc accepter le débat. Les délocalisations ne sont pas le nouvel avatar d'une névrose française. Elles sont sources d'interrogations dans tous les pays développés. L'inquiétude diffuse qui en résulte est le signe d'une double interrogation sur la transformation profonde qui est à l'œuvre dans l'économie mondiale et la capacité de notre pays à tirer les dividendes de la mondialisation.

Ce questionnement rejoint les craintes de désindustrialisation, de compétitivité déclinante et d'attractivité défaillante. Le débat sur les délocalisations témoigne d'une société qui doute d'elle-même et qui se demande si elle pourra conserver son rang. Il s'agit de savoir si nous maîtrisons notre destin et quel avenir nous préparons à nos enfants. Cet avenir sera-t-il subi ou choisi, meilleur ou moins enviable ? Avons-nous les ressources et la volonté nécessaires pour peser sur notre avenir ? Ce sont des questions capitales.

C'est pourquoi, à la suite des travaux conduits par les députés Roustan et Blanc, et par les sénateurs Artuis et Grignon, votre Assemblée est saisie du sujet. Je compte m'exprimer franchement, sans être sûr de détenir la vérité, mais sans omettre aucune question.

Au sens strict, une délocalisation est un transfert pur et simple d'activité à l'étranger : on change le lieu de production, mais pas le client. Les délocalisations ne doivent donc être confondues ni avec les restructurations industrielles, ni avec les investissements internationaux, ni avec la désindustrialisation. Tous les investissements à l'étranger ne sont pas des délocalisations.

La réduction de l'emploi industriel est aussi le résultat des gains de productivité et de la tertiarisation de l'économie. Pourquoi une entreprise décide-t-elle de délocaliser ? Les coûts de production intègrent d'autres éléments que les coûts salariaux : la qualité de la main d'œuvre, l'accès au financement, la fiscalité, les contraintes réglementaires... Il s'agit parfois de se rapprocher du lieu de consommation finale.

Les politiques d'achat et de réorganisation des grands donneurs d'ordres imposent souvent aux sous-traitants de se projeter dans les pays émergents : c'est un phénomène nouveau, massif et inquiétant.

Le débat est d'autant moins simple que l'impact des délocalisations n'est pas aisé à mesurer. Les indicateurs dont nous disposons, en effet, rendent imparfaitement compte du phénomène. On utilise toujours les mêmes : le niveau des investissements directs et indirects, la balance commerciale, l'évolution de la production industrielle et de l'emploi industriel. Une étude de la DREE, souvent citée, conclut que les délocalisations ne représenteraient que 4% des investissements directs. Une mission économique sur les pays d'Europe centrale et orientale recensait en 2002 quatre cents opérations assimilables à des délocalisations, soit 10% des investissements directs dans cette zone. Ce n'est pas massif, mais ce n'est pas négligeable.

Selon les experts, le phénomène est surévalué ou sous-estimé. D'après certaines études, nous serions moins touchés que les Etats-Unis, l'Allemagne et le Japon, mais d'autres études concluent que nous sommes plus vulnérables. Nous ne sommes finalement sûrs de rien.

J'observe en tout cas un décalage croissant entre la mesure du phénomène et les conséquences dévastatrices des délocalisations au plan territorial. Pour les salariés et leur famille, ce n'est pas un fantasme. Je n'oublie pas ceux qui doivent vivre avec une épée de Damoclès suspendue au-dessus d'eux. Il existe des chantages inacceptables. Je le dis avec force, on ne peut demander aux gens, en 2004, de travailler plus pour gagner moins. Telle n'est pas notre politique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Il y a des salariés, des secteurs et des territoires beaucoup plus vulnérables que d'autres. Lorsque vous êtes un employé peu qualifié d'une PMI sous-traitante dans un bassin industriel vieillissant, vous êtes naturellement plus exposé qu'un cadre supérieur d'une grande compagnie d'assurance ou qu'un ingénieur participant à un programme de recherche industrielle dans les nanotechnologies, mais aussi qu'un agent de l'administration. Ce sont en premier lieu les populations et les territoires les plus fragiles qui pâtissent le plus des délocalisations.

Surtout, les délocalisations procèdent d'une tendance lourde qui pourrait s'amplifier dans les années à venir. Il faut donc agir avant qu'il soit trop tard.

Les mutations accélérées qui transforment en profondeur l'économie mondiale marquent de véritables ruptures historiques dont les effets se conjuguent. Des pans entiers de l'humanité, jusque là exclus du développement économique et du progrès technologique, sont en voie - et c'est une bonne chose - de réussir leur insertion dans l'échange international, mais voilà de nouveaux concurrents. L'essor de l'Inde, de la Chine, du Brésil est spectaculaire. Plus près de nous, l'élargissement de l'Union européenne permet à plusieurs dizaines de millions de personnes de rejoindre le grand marché unifié. Ces économies émergentes ou en transition sont autant d'espaces de consommation aux perspectives prometteuses, autant de sites attractifs pour les investisseurs.

Deuxième rupture : les innovations technologiques ont modifié radicalement le rapport à l'espace et au temps, révolutionnant l'organisation de la production. Aujourd'hui, dans certains métiers, les coûts salariaux varient de 1 à 40, mais surtout, ces secteurs sont mis en compétition en temps réel d'un bout à l'autre de la planète.

Troisième rupture, l'éventail des secteurs et des gammes d'activité concernés par les délocalisations s'élargit sans cesse. Si l'industrie a longtemps été en première ligne, les services ne sont plus à l'abri, on le voit avec les délocalisations dans les services financiers, la comptabilité ou l'informatique. Désormais, les grands pays émergents nous concurrencent aussi dans les secteurs de pointe et les activités de recherche-développement.

Nous sommes face à un formidable défi quant à notre capacité d'adaptation. D'autant que la vitesse avec laquelle ces évolutions s'opèrent s'est sensiblement accélérée. Il nous faut changer de braquet pour préparer notre pays à relever le défi et à adapter notre économie.

Depuis le début des années 1980, la croissance moyenne de notre pays est en retrait d'un point par rapport à la croissance mondiale, notamment américaine.

M. Eric Besson - C'est faux pour la période 1997-2002...

M. le Ministre d'Etat - A l'évidence, moins on travaille, plus il y a de chômeurs et moins on crée de richesses (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Il convient, semble-t-il, de rappeler cette évidence économique, ainsi que le poids et la rigidité des dépenses publiques, et des prélèvements obligatoires, l'excès d'administration, l'inflation des normes et leur instabilité. On sait aussi l'insuffisance des moyens consacrés à l'enseignement supérieur et à la recherche, en particulier la recherche industrielle, le manque de visibilité internationale de nos universités et de nos grandes écoles. Il est temps que notre éducation passe du quantitatif au qualitatif ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

Ma conviction, c'est que les solutions se trouvent d'abord chez nous : si nous en avons vraiment la volonté, l'ambition et le courage, nous pouvons tirer le plus grand parti de la mondialisation. Nos atouts sont nombreux : potentiel de recherche, qualité des infrastructures et des services publics, niveau général élevé d'éducation de la population, base industrielle substantielle. Ces points d'appui solides doivent nous aider à reprendre confiance en nous et à prendre un nouvel élan.

Mais il nous faut réagir sans tarder et accepter - ce qui est sans doute le plus difficile en France - de nous remettre en question pour conduire les réformes dont notre pays a tant besoin.

Il y a trois visions que je récuse car elles sont aussi irresponsables qu'inopérantes. La première est l'alignement par le bas de nos conditions salariales et sociales sur celles des pays émergents. Les Français ne sont pas prêts à brader leurs acquis sociaux parce d'autres sont moins bien protégés qu'eux. Et même si tel était le cas, on trouverait toujours moins onéreux car certains sont prêts à faire travailler enfants et prisonniers.

La deuxième option est celle, irréaliste et dangereuse, de la ligne Maginot. Le protectionnisme n'a jamais résolu les problèmes (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP). N'oublions pas les bénéfices que la planète en général, et la France en particulier, retirent de la mondialisation. C'est une bonne chose que ceux qui n'avaient rien accèdent désormais à l'emploi, au progrès économique et au pouvoir d'achat.

La troisième position est celle du laisser-faire et de l'immobilisme. Fondée sur une vision exclusivement théorique de la mondialisation, elle oublie les souffrances causées à ceux qui ne sont pas suffisamment armés pour être immédiatement du côté des gagnants. Elle explique que les emplois détruits seront remplacés par d'autres. Sans doute. Mais lesquels, où et quand ? Les emplois détruits ne sont pas identiques aux emplois créés. On ne devient pas d'un jour à l'autre ingénieur à Grenoble quand on est ouvrier à Belfort. Cette vision désincarnée néglige l'aspect humain. Elle sous-estime aussi le coût économique, social et politique qui fragilise la cohésion de notre société et met en péril le financement de notre protection sociale. Le seul mérite de cette option ultra-libérale qui est un véritable déni de réalité, c'est qu'elle est reposante pour les responsables politiques : elle implique l'inaction.

M. Eric Besson - Ce n'est pas gentil pour M. Novelli...

M. le Ministre d'Etat - Quand on travaille sur la chaîne du TGV d'Alstom, qu'on a 52 ans, qu'on est dans l'entreprise depuis trente ans, et qu'on on nous dit « on ferme la boîte, mais t'en fais pas, il y a une place du côté des nanotechnologies dans l'Isère », on sait bien qu'elle n'est pas pour soi !

Si un chef d'entreprise s'occupe de ses collaborateurs et de ses consommateurs, un homme politique, lui, ne peut laisser personne au bord de la route, c'est pourquoi aucune de ces trois solutions n'est pertinente ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Alors, que convient-il de faire ? D'abord, de ne pas céder au fatalisme. Il y a trop longtemps qu'on explique aux Français qu'il n'y a rien à faire : sur l'insécurité, sur la mondialisation, sur l'immigration, sur le chômage, sur les délocalisations, il n'y a rien à faire. A force, nos compatriotes ont compris : puisqu'il n'y a rien à faire, ils ne vont pas voter !

M. Eric Besson - C'est de la démagogie pure !

M. le Ministre d'Etat - N'abaissez pas le débat, le sujet est trop sérieux pour nos compatriotes qui souffrent et qui ont peur ! Il y a bien un lien entre la perception des délocalisations, la non-participation aux élections et la montée des extrêmes. Si on ne comprend pas cela, c'est qu'on n'a rien compris à la politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Y compris au parti socialiste, des voix se sont élevées pour dire que ce n'était pas un fantasme. Je vous le prouve : on peut tenir un discours qui sort de la pensée unique sans être un populiste, un démagogue ou un intellectuel au rabais ; on peut dire des choses différentes sans abaisser le débat ! Si être populiste c'est être populaire, si dire la vérité c'est être démagogue, eh bien soyons un peu plus nombreux ! (Mêmes mouvements) Le temps est venu d'aller au fond des choses et de ne plus s'en tenir à des discours mondains dans un club intellectuel formé d'une élite de plus en plus coupée du peuple. (Mêmes mouvements)

Il faut en premier lieu poser les bases d'une politique plus combative. Si nous subissons depuis tant d'années, c'est d'abord parce que nous n'avons pas de marge de manoeuvre. Quelle peut être la marge de manœuvre budgétaire d'un pays qui a 1 000 milliards de dettes et qui consacre 80% du produit de l'IR à rembourser les 40 milliards des intérêts de cette dette ? Cela nous empêche d'investir dans la recherche et l'innovation et nous rend moins compétitifs. Il faut donc impérativement réduire nos déficits et rembourser notre dette (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

En deuxième lieu, la question du gouvernement économique de l'Europe est cardinale. J'ai le plus grand respect pour la BCE et pour son gouverneur, mais il n'est pas en charge de la politique économique de l'Europe, pas plus d'ailleurs que ne l'est le commissaire à la concurrence (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP). Je me suis donc battu pour que le président de l'Eurogroupe soit désormais élu pour deux ans par les ministres des finances. Avec un gouverneur élu pour huit ans, un commissaire nommé pour cinq et un président de l'Eurogroupe qui tournait tous les six mois, comment vouliez-vous construire une politique économique et industrielle ?

Nous avons pris des mesures dont nous débattrons dans le cadre du budget, mais je vous parlerai tout de même des pôles de compétitivité. Alors que dans les années 1960-1970, l'Etat était porteur de grands projets - le nucléaire, Airbus, Ariane - il a aujourd'hui beaucoup moins de pouvoirs en matière économique. Ce sont les pôles de compétitivité qui permettront de rattraper ce déficit de projets en les faisant émerger du terrain. Grâce à l'alliance des pôles industriels, des facultés et des chercheurs, les pôles de compétitivité réconcilieront la recherche fondamentale avec la recherche appliquée et donneront leur chance à des régions frappées par le chômage.

Prenez l'exemple de l'industrie automobile, dont on nous répète depuis trente ans qu'elle est condamnée. Ce n'est pas un groupe automobile que nous avons en France, mais deux, qui créent des emplois à l'étranger et dans notre pays ! Il n'y a pas de fatalité.

S'agissant des prélèvements sur les entreprises, la moyenne de l'impôt sur les sociétés est, en Europe, de 28%, mais oscille entre 0 et 20% au sein des dix nouveaux membres ! Il serait choquant que ce dumping fiscal soit encouragé par l'Union européenne. J'irai bientôt en Tchéquie et en Hongrie défendre cette idée que l'on ne peut tout d'un coup s'estimer suffisamment riche pour baisser ses impôts, mais pauvre au point de demander aux autres de combler son budget (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) .

Naturellement, la solidarité doit jouer en Europe, et avec le nom que je porte, je suis bien placé pour savoir qu'à l'Est, on les a laissés tomber pendant cinquante ans ! Mais on ne peut pour autant leur laisser penser que la chute drastique de leurs impôts leur permettra de bâtir un Etat moderne. Tant mieux s'ils les baissent, mais que ce ne soit pas pour puiser dans des fonds structurels dont nos régions, elles-mêmes ravagées par le chômage, ne pourront plus bénéficier ! Oui à la concurrence, à condition qu'elle soit loyale !

Le ministre des finances slovaque m'expliquait la semaine dernière qu'après être passé de 20 à 15%, l'impôt sur les sociétés allait sans doute descendre à 10, à cause de la Slovénie qui était à zéro ! Le jour où ils en seront tous à ce stade, croyez-vous que nous pourrons rester à 33% ? Qu'adviendra-t-il alors de notre protection sociale, de nos retraites et de nos acquis sociaux ? Poser cette question, ce n'est pas être démagogue, c'est regarder l'Europe comme un projet politique qui ne doit pas permettre à certains de faire n'importe quoi quand les autres subissent !

Le jour où nos concitoyens de l'Est ne seront plus d'accord pour payer, le jour où l'Europe suscitera tant d'aigreur que le non triomphera, les habitants des dix nouveaux membres s'en porteront-ils mieux ? Quel progrès social pour ces pays où l'on ne paiera pas d'impôts ? Vous me répondrez que nous l'avons bien fait avec l'Irlande ! Mais l'Irlande ne comptait que 4 millions d'habitants, contre 80 millions à l'Est, sans parler de la Turquie, quatre fois moins riche de surcroît ! Voulez-vous que l'Europe explose et que nos voisins de l'Est nous reprochent un jour notre manque de lucidité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Notre système fiscal est loin d'être optimal. Nous allons débattre de la réduction pour les emplois familiaux, mais de grâce, et je m'adresse à l'UMP, ne compliquez pas à l'excès ce projet par vos amendements auxquels, par ailleurs, le Gouvernement reste ouvert. Pensez à ceux qui, grâce à ce dispositif, auront la chance d'avoir un travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Il s'agit simplement de trouver des ressources pour créer des emplois ! Et il en va de même de la mesure fiscale sur les transmissions, que j'ai voulue la plus simple possible pour la rendre compréhensible à nos concitoyens. Savez-vous qu'une étude récente de la Banque mondiale a montré que la France ne figurait pas parmi les vingt premiers pays où il était facile de faire des affaires ? Il faut réduire le fardeau règlementaire qui pèse sur nos entreprises, rendre l'administration plus accessible, améliorer l'accès des PME innovantes à la commande publique. L'Amérique réserve bien une partie de sa commande publique à ses PME, et elle n'en est pas moins un grand pays libéral favorable au commerce international, que je sache ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Soyons moins naïfs, et pratiquons la discrimination positive en faveur de nos entreprises les plus innovantes. J'irai même plus loin : affectons prioritairement une partie de notre commande publique aux PME innovantes établies dans les bassins d'emplois en difficulté. On me rétorque que ce serait contraire aux dispositions de l'accord sur les marchés publics de l'OMC, mais les Etats-Unis ont obtenu une dérogation à cet accord ! Ne soyons pas les seuls à montrer l'exemple, surtout au moment où nous ouvrons nos quotas pour le textile à la Chine !

J'irai plus loin. Il ne me semblerait pas scandaleux que les consommateurs, y compris les collectivités publiques, soient informés de l'origine des biens et services qu'ils achètent. Est-il plus choquant d'exiger des centres d'appels qu'ils disent d'où ils opèrent, ou d'obliger des salariés à franciser leurs noms ?(Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Notre politique économique doit être plus résolument tournée vers la croissance. L'activité crée de la richesse, laquelle permet de financer la cohésion sociale. Notre pays n'a pas besoin de plus d'allocations ou de subventions, mais de plus de travail ! Et les 35 heures furent l'une des plus grandes erreurs économiques de ces vingt dernières années (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Comment prétendre construire l'Europe et doter la seule France d'un dispositif aussi rigide ? Et que dire de l'emploi des jeunes ! Entre 16 et 25 ans, seuls 24% travaillent dans notre pays, contre 44% dans l'OCDE ; et nous en sommes à 34% contre 50% pour les 55-64 ans.

Comment la France peut-elle participer à la mondialisation en travaillant moins que les autres ? C'est un véritable gâchis.

J'oserai le dire : notre droit du travail, dans le cadre des délocalisations et de la mondialisation, doit être réformé pour s'adapter à de nouveaux défis, car il est devenu bien trop rigide et pénalise tant les salariés que les entreprises. En effet, au motif d'être plus protecteur, on a réussi ce tour de force de compromettre la compétitivité des entreprises et de rendre plus précaire que jamais la situation des salariés ! Que je sache, ce droit du travail n'a ni empêché les licenciements, ni fait reculer le chômage et l'exclusion. Réveillons-nous donc, et constatons que cette politique n'a pas marché ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Il est temps de réfléchir aux moyens de donner plus de flexibilité - ce n'est pas un gros mot - au droit du travail, en contrepartie du renforcement des garanties offertes aux salariés en termes de formation et de reclassement. Au Danemark par exemple, le taux de chômage est inférieur à 6%, la flexibilité est élevée... mais il y a aussi un niveau élevé d'indemnisation du chômage. Les chômeurs sont activement suivis et les politiques d'insertion ou de retour dans l'emploi sont très énergiques. Ce modèle est celui de l'Europe du nord, où les sociaux-démocrates ont préparé leur population à la mondialisation. Nous n'avons pas eu cette chance. Pour donner plus de sécurité à nos salariés, nous devons de même les mettre en meilleure position d'affronter la mondialisation. Ce qui est insupportable pour eux, c'est avant tout de se retrouver le moment venu démunis, faute d'avoir bénéficié d'un effort préalable de formation, d'avoir pu apprendre un nouveau métier.

Je propose donc qu'on renforce les obligations des entreprises en matière de réindustrialisation des sites touchés par les cessations d'activité. De ce point de vue, je reconnais volontiers que la loi de modernisation sociale, en particulier son article 118, n'étaient pas dénués de toute pertinence - il a d'ailleurs été conservé par notre majorité. On ne peut tolérer qu'une entreprise mette la clé sous la porte en laissant un territoire pollué et des gens abandonnés sans aucun moyen. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Alain Bocquet - C'est ce qui se passe !

M. le Ministre d'Etat- Pourquoi, par ailleurs, ne pas travailler sur l'idée d'une mutualisation des efforts financiers, pour tenir compte des capacités inégales des entreprises à mener des actions de reconversion?

De telles améliorations ne peuvent évidemment se concevoir qu'en contrepartie d'un assouplissement des règles qui entravent la flexibilité de l'appareil de production. Au total donc, des procédures de licenciement moins longues et surtout moins incertaines, mais des indemnités plus généreuses et des obligations de formation et de reclassement plus importantes. C'est à ce prix qu'on passera d'un système perdant-perdant à un système gagnant-gagnant et qu'on fera de la mondialisation une chance pour notre pays.

Si nous devons mieux nous organiser pour réparer les dégâts causés par les délocalisations, nous devons également mieux les prévenir. L'Etat doit anticiper, se montrer plus réactif, pour éviter les drames.

Il faut surtout faire le choix de la recherche et de l'innovation pour nous situer en permanence aux avant-postes. Nous devons donc accroître les moyens que nous allouons à la recherche et à l'enseignement supérieur, rendre plus flexible le budget de l'éducation nationale. Il faut en effet pouvoir donner plus quand il y a plus d'étudiants, et moins quand il y a moins d'enfants. Dire cela, ce n'est pas remettre en cause une priorité, mais se montrer lucide ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Nous devons également améliorer l'organisation et le fonctionnement de la recherche publique et des universités en donnant plus de responsabilités aux établissements, en renforçant leurs capacités de gestion. Il faut enfin mieux hiérarchiser nos priorités et l'allocation de nos ressources.

Dans cet exposé, peut-être un peu long, j'ai voulu démontrer que nous ne saurions sous-estimer le problème que représentent les délocalisations, mais aussi que la mondialisation peut devenir pour nous une chance si nous savons nous adapter, c'est-à-dire travailler davantage, payer mieux et nous montrer flexibles, car la flexibilité n'est pas ennemie de la sécurité pour les salariés.

J'ai également voulu montrer que la France n'était pas condamnée à regarder les trains passer et à subir les analyses des uns et des autres - comme nous l'avons fait pour la sidérurgie, où nous nous sommes laissé convaincre de multiplier les plans de restructuration avant de découvrir aujourd'hui, au moment où le prix de l'acier augmente de 25 %, que nous manquions de capacités de production !

M. Alain Bocquet - Eh oui !

M. le Ministre d'Etat - Défions-nous donc des théoriciens en chambre et de leurs vérités à sens unique ! Un homme politique doit voir plus loin et de plus haut, c'est-à-dire élever le débat. Cependant, ce n'est pas rabaisser celui-ci que de tenir compte des peurs de nos concitoyens. La seule chose qui compte en effet, c'est de les convaincre que l'avenir peut être meilleur, que le progrès social peut passer d'une génération à l'autre. Et je le dis avec passion car je suis persuadé qu'à travers cette question des délocalisations s'en joue une autre : celle du respect que nos concitoyens auront, ou n'auront pas, pour la chose publique ! (Applaudissements soutenus sur les bancs du groupe UMP)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - Oui, la France est une économie ouverte et nous le devons d'abord aux choix politiques effectués depuis vingt ans par les majorités successives. Nous en tirons des avantages incontestables : plus d'un emploi sur cinq, dans ce pays, est lié directement ou indirectement aux activités exportatrices. Par ailleurs, la France demeure attractive pour les investisseurs étrangers : pour les investissements créateurs de capacités de production, elle occupe la deuxième place en Europe, derrière le Royaume-Uni mais loin devant tous les autres. Il faut donc se garder d'une vision frileuse de l'insertion internationale de notre économie et cesser de rêver à un impossible retour en arrière, vers des époques où cette économie était plus fermée.

La délocalisation est-elle donc un mal nécessaire ? Certainement pas ! L'Etat peut-il intervenir ? Oui !

Nul ne peut contester les effets dévastateurs du phénomène, mais il faut essayer de voir juste. Or il est difficile d'évaluer précisément le poids des délocalisations et même de s'entendre sur une définition. L'entreprise qui, lasse de trop de contraintes, va s'installer là où les coûts sont moindres et la liberté totale, délocalise. Il faut lutter contre cette tendance en renforçant l'attractivité de notre territoire. Les capitalistes qui achètent une PME pour en capter le marché, puis déménagent les machines à l'est doivent s'attendre à des réactions fortes, destinées à combattre les effets d'aubaine. En revanche, l'entreprise qui va chercher des marchés en Chine délocalise sa croissance en préservant des emplois en France : ainsi celle qui vient d'ouvrir sa troisième usine à Shanghai en a sauvé trois cents à Bourg-lès-Valence. Pourtant, on parle trop souvent de délocalisation à ce propos aussi...

En 25 ans, notre pays a perdu 1,5 million d'emplois industriels et certains secteurs, soumis à extériorisation des tâches, ont connu des évolutions particulièrement brutales : le textile a ainsi perdu 15% de ses effectifs, la chaussure 38% et l'habillement 55%. Et, dans les délocalisations, c'est bien du destin des salariés qu'il faut avant tout se soucier. Or nous sommes parfaitement capables de résister : nous l'avons prouvé lors de l'élargissement de l'Union à la Grèce, à l'Espagne et au Portugal.

Cependant, la situation fait peser une contrainte nouvelle, et très forte, sur les politiques publiques. Celles-ci doivent d'abord viser à renforcer la compétitivité de nos entreprises et l'attractivité de notre territoire. Cela n'implique pas d'engager avec les pays moins avancés une course à la réduction du coût du travail, course qui serait perdue d'avance et qui méconnaîtrait que notre économie est tirée avant tout par la demande intérieure. En revanche, nous devons chercher à réduire l'écart, trop important, entre le pouvoir d'achat des salariés et le coût du travail pour l'employeur, en agissant sur le second sans peser sur le premier. Tel est l'objet de la politique de baisse des charges sociales sur les bas salaires et c'est pourquoi la maîtrise des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques est absolument nécessaire.

Il faut privilégier dans ce cadre les actions les plus efficaces et, de ce point de vue, nous approuvons la création de pôles de compétitivité et nous soutenons la volonté, exprimée par le Président de la République, de remplacer la taxe professionnelle par un dispositif qui pénalise moins les entreprises.

Par ailleurs, notre pays ne peut à l'évidence s'offrir le luxe de dépenses aussi contestables que celles qu'induit la législation sur la réduction du temps de travail. Pensons que les 35 heures ont coûté en 2003 dix milliards d'euros, hors fonction publique territoriale et hors entreprises publiques, et coûteront 15 milliards en 2005 (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Nous appelons donc de nos vœux les assouplissements nécessaires ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mais la compétitivité de nos entreprises est également amoindrie par l'« impôt papier », par les contraintes bureaucratiques. Cet élément est puissamment dissuasif pour les investisseurs. Il faut engager très rapidement la simplification. Et de grâce, nous parlementaires, ne compliquons pas la situation en multipliant les lois !

Enfin, la qualité des services publics est un choix pour la localisation des entreprises, et nous devons donc garantir la continuité de leur fonctionnement et rompre avec cette image détestable de la France « pays des grèves » (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Je pense ici au service minimum garanti. Il faut avoir le courage d'agir dans ce domaine dans les meilleurs délais (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Un autre facteur important est le coût de l'énergie. Notre secteur nucléaire nous soustrait à certaines contraintes ; il importe que la création d'un marché européen intégré de l'énergie et le soutien à certaines filières nouvelles ne remettent pas en cause cet avantage déterminant.

Tous les territoires ne sont pas égaux dans la compétition internationale, aussi revient-il à l'Etat de faire jouer la solidarité nationale, par une politique d'aménagement du territoire. Le pouvoir précédent l'avait abandonné, et pendant cinq ans, nous avons vu disparaître tous ses éléments...

M. Eric Besson - Vous y croyez vous-même ?

M. le président de la commission des affaires économiques - ...notamment le schéma national d'aménagement du territoire. Je rends hommage au Gouvernement, qui a le courage de reprendre cette politique pour rétablir l'égalité des territoires et lutter contre les délocalisations dans ce cadre.

Le dernier axe d'une politique publique est d'accompagner les mutations économiques. Il est faux de dire que tous les emplois qualifiés sont condamnés par la concurrence des pays à bas salaire. C'est vrai pour l'essentiel dans l'industrie, mais faux pour les services. Des secteurs comme la construction, la restauration, les services à la personne sont à l'abri de la concurrence internationale. Il faut développer l'emploi dans ces secteurs vers lesquels se dirigera le pouvoir d'achat des salariés qui profitent de l'ouverture internationale de notre économie. C'est pourquoi je soutiens l'excellente mesure fiscale pour l'emploi à domicile telle que vous l'avez proposée, car le gisement d'emplois est colossal. Si l'on parvient à mettre en place un système de formation moins compliqué, on pourra offrir une reconversion aux salariés laissés sur le quai.

M. Eric Besson - L'emploi à domicile comme outil de lutte contre les délocalisations !

M. le président de la commission des affaires économiques - Enfin, l'Union européenne est souvent prisonnière du dogme du moins d'Etat, quand il faut au contraire une action publique résolue pour renforcer notre compétitivité. Aussi est-il nécessaire d'assouplir l'application des règles communautaires de la concurrence et d'élaborer une véritable politique industrielle européenne pour qu'émergent des champions industriels, qui ne peuvent plus être nationaux, mais européens.

Le chantier est immense, vous avez le mérite, Monsieur le ministre d'Etat, d'en affronter les difficultés. Notre détermination à lutter contre les délocalisations sauvages est totale et nous vous faisons confiance pour engager les actions qui rassureront les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances - M. Bignon disait que la confusion engendre la peur. Puisse ce débat nous permettre d'établir un diagnostic plus juste sur les délocalisations...

M. Jean-Paul Charié - Très bien.

M. le Président de la commission des finances - ...et d'adapter au plus vite nos politiques économiques et sociales à un monde plus ouvert. Pour cela, il faut des mesures simples, concluait le ministre d'Etat. Passons donc aux travaux pratiques, avec les articles 10 et 14 de la loi de finances.

Le diagnostic, d'abord. On ne peut dire, comme le sous-entend la Commission européenne, qu'il n'y a aucune preuve d'une processus accéléré de désindustrialisation chez les Quinze. Qu'on voie ce qui se passe aux Etats-Unis, plus atteints. La théorie des avantages comparatifs ne joue plus, compte tenu du niveau technologique atteint par l'Inde et la Chine. On ne peut non plus se satisfaire d'être dans les trois premiers pays pour les investissements étrangers, sans connaître la nature et la durée de ceux-ci. Il s'agit souvent d'achats de PME, dont quelques années plus tard le siège est transféré à l'étranger.

M. Léonce Deprez - Très juste !

M. le Président de la commission des finances - Et l'agence des investissements étrangers ne présentant pas un solde mais seulement le total des entrées, le diagnostic est assez fortement erroné. Toute autosatisfaction est donc déplacée. Ma ville subit trois décentralisations. L'une est importante : Mitsubishi supprime 1000 emplois ; mais ce groupe international a apporté à ses salariés des compensations raisonnables que deux PME du textile et de la maroquinerie qui délocalisent sont loin d'offrir aux leurs. Dès lors, ne peut-on utiliser les 330 millions inscrits à l'article 14 pour manifester une plus grande solidarité envers les salariés de PME victimes d'une délocalisation ?

M. François Rochebloine - Très bien !

M. le Président de la commission des finances - Si les consommateurs et certaines entreprises y gagnent, les délocalisations font des victimes, et ces soldats du front qui ont travaillé trente ans dans leurs usines n'ont pas le sentiment que tous les efforts sont mis en commun face aux délocalisations. Il est vrai que celles-ci ne sont pas ressenties avec la même intensité selon que le taux de chômage est de 5% ou de 10%. Ce qui sépare un pays qui réussit d'un pays qui échoue, disait un ancien ministre des Finances, c'est un demi-point de croissance. Or, si dans les années 1970-1978 nous avions un taux de croissance supérieur de trois-quarts de points à la moyenne de l'OCDE, depuis vingt ans, il est inférieur d'un demi-point. Nous avons pris du retard en Europe.

Nos voisins voient mieux que nous nos atouts nombreux et nos handicaps permanents. Que disent-ils ? Que la France est suradministrée et sous-organisée. Et je n'observe toujours pas un mouvement suffisamment puissant pour s'opposer à la machine à produire de la complexité et des réglementations (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP). Il ne se passe pas de mois sans qu'on crée une nouvelle structure. Plutôt que de légiférer neuf mois sur douze, ne pouvons-nous consacrer deux mois de la session à alléger les procédures, contrôler la dépense publique, remettre en question l'empilement des structures ? (Même mouvement) Ces propositions du Président Debré, je souhaiterais les voir reprises.

Le niveau élevé des dépenses publiques et sociales devient un handicap pour la compétitivité et l'emploi. Ces deux dernières années, les dépenses sociales de l'Etat et des départements ont progressé de plus de 12 %. Pourtant, on a parlé, lors des dernières élections régionales, de casse du service public et de casse sociale. L'idéologie l'a emporté sur les faits.

M. Jean-Paul Charié - N'est-ce pas, Monsieur Besson ?

M. le Président de la commission des finances - Certes, il faut développer la recherche et l'innovation, mais les entreprises ont aussi besoin de plus de flexibilité pour s'adapter, en même temps qu'il faut mieux sécuriser le parcours professionnel des salariés. Il y a quelque temps, Nestlé, qui devait créer deux usines en Europe a choisi de le faire en Suisse, où les coûts de production sont plus élevés de 50%, mais où l'entreprise peut s'adapter rapidement au marché, plutôt qu'en France ou en Allemagne où les systèmes sont trop rigides.

M. Jean-Paul Charié - Très bel exemple.

M. le Président de la commission des finances - Par ailleurs, le Conseil des impôts est probablement le seul organisme sérieux à penser que la fiscalité sur le patrimoine n'a aucun conséquence sur les délocalisations. Que ses membres aillent donc vivre une semaine au milieu des entreprises du Nord-Pas-de-Calais. Pour ma part, je suis contre la suppression de l'ISF, mais pour le rétablissement du plafond Rocard-Bérégovoy pour éviter les effets pervers.

M. Alain Bocquet - Mais les patrons partent en Belgique !

M. le Président de la commission des finances - Il n'est pas besoin d'un énième rapport sur le sujet, mais de lucidité.

Quant au rôle de la grande distribution, je n'y reviens pas.

M. Jean-Paul Charié - Oh si !

M. le Président de la commission des finances - Il faut agir vite. Consacrer un milliard à l'attractivité du territoire est une heureuse initiative, et j'applaudis à l'idée de développer des pôles de compétitivité. Mais le choix sera difficile et les candidats nombreux. Les autres mesures prévues à l'article 14 méritent d'être précisées. Plutôt que d'aider des bassins d'emploi, au risque de produire des effets d'aubaine, pourquoi ne pas aider des entreprises qui participent à la réindustrialisation d'un site ? En second lieu, une partie de ces 330 millions doit être consacrée à mutualiser les risques au bénéfice des victimes, les travailleurs des PME, ces soldats du front, qui se sentent abandonnés au profit de l'arrière.

J'emprunterai ma conclusion au regretté François Furet qui disait, en commentant l'élection législative de 1997 : « Sur l'emploi, la droite n'a pas dit grand-chose de peur de déplaire, et la gauche a dit des choses fausses pour plaire ». Aujourd'hui, Monsieur le ministre d'Etat, ce message reste d'actualité mais nous vous faisons confiance pour conduire la politique de vérité économique et de justice sociale dont le pays a besoin pour ramener le taux de chômage sous la barre des 5% de la population active. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Eric Besson - Je m'étonne de l'absence du ministre du travail ou de l'un de ses secrétaires d'Etat, pourtant concernés au premier chef par ce débat. Au reste, comment justifier l'improvisation qui caractérise les conditions d'organisation de ce débat ? En fait, la parole semble plus libre que jamais. Chacun parle de ce qu'il veut et, fidèle à sa culture, l'UMP semble encline à se persuader que beaucoup communiquer, c'est déjà un peu traiter le problème. (Murmures sur les bancs du groupe UMP) Et qu'importe, finalement, si les déclarations du Président de la République à New York, tendant à créer une nouvelle taxe, sont parfaitement contradictoires avec l'entreprise de démantèlement fiscal à laquelle se livre son ministre d'Etat à Paris, ou si le plan de cohésion sociale de M. Borloo intervient après que le Gouvernement a détruit tous les outils traditionnels des politiques de l'emploi.

Monsieur le ministre d'Etat, personne sur nos bancs ne conteste la légitimité d'un débat sur les délocalisations. Souffrez cependant que nous contestions votre grille de lecture et que nous ne nous laissions pas effaroucher par les épouvantails que vous avez vous-même assemblés, ni gagner par les angoisses que vous entretenez...

M. le Ministre d'Etat - Ils nous refont le coup du « sentiment d'insécurité » ! Circulez, il n'y a rien à voir !

M. Eric Besson - Et permettez-moi de vous dire que la démagogie est dans votre camp, lorsque vous mêlez dans une même phrase insécurité, mondialisation, immigration et délocalisations. Pourquoi ne pas leur faire aussi porter le chapeau pour le SRAS, le Sida ou l'effet de serre ? Considérons plutôt les conclusions des rapports les plus récents sur les délocalisations. Ils sont unanimes à considérer qu'elles ne constituent pour l'instant qu'un phénomène marginal, et que si certains redoutent une accélération du processus ou sa contagion au secteur des services, la France continue de tirer parti de l'échange international, y compris avec les pays du Sud ou de l'Europe orientale, que vous vous plaisez pourtant à prendre comme bouc émissaire de vos propres carences. Les experts s'accordent aussi sur l'idée que la France reste un pays à fort pouvoir d'attraction, où le coût du travail reste compétitif, où la qualité de la main d'œuvre constitue un atout majeur et où la fiscalité ne doit pas être considérée comme un obstacle à l'activité économique.

M. le Ministre d'Etat - Alors, tout va bien !

M. Eric Besson - Le conseil des impôts invite de son côté à ne pas confondre délocalisations et investissements à l'étranger. L'essentiel des investissements français et européens hors des frontières de l'UE sont motivés par la nécessité de se rapprocher des consommateurs des pays émergents et ne tiennent donc pas au coût relatif du travail ou à la pression fiscale.

Le vrai risque, pour notre économie, c'est la faiblesse du couple recherche-innovation, encore aggravée par votre politique. Après deux ans d'inertie, le Gouvernement promet un milliard pour la recherche en 2005. Mais le slogan résistera-t-il à l'examen de la réalité budgétaire ? Nous aurons l'occasion de le vérifier dès la semaine prochaine.

Il faut élaborer des politiques industrielles et d'emploi à l'échelle des bassins de vie. Les délocalisations sont d'autant plus mal ressenties qu'elles touchent souvent des zones de mono-industrie - textile, cuir, chaussure... - où les chances de reconversion réussie sont particulièrement limitées. Las, contrairement à vos annonces publicitaires, votre loi dite de décentralisation prive les régions de leviers d'action essentiels en matière de développement économique.

Enfin, nous devons conduire une politique ambitieuse de prévention et de réparation, afin que les restructurations et autres délocalisations n'entraînent pas mécaniquement sinistres et désespérance. De prévention, vous parliez beaucoup il y a deux ans. Mais dès que l'automne fut venu, vos promesses ne résistèrent pas à un examen attentif des moyens budgétaires ridicules dont se voyait dotée la mission interministérielle d'aide aux reconversions. Et vous n'êtes pas davantage en situation de réparer, après avoir suspendu plusieurs articles essentiels de la loi de modernisation sociale.

Organisé à la sauvette, ce débat ne vise qu'à dresser un écran de fumée pour masquer l'étendue du terrible échec de votre majorité sur le front de l'emploi. Vous vouliez libérer le travail, vous n'êtes parvenu qu'à créer 250 000 chômeurs de plus. Il vous faut donc des boucs émissaires - et puisque les 35 heures n'y suffiront bientôt plus, voilà que les délocalisations sont rendues responsables de toutes nos difficultés. Autant dire que les 10% de chômeurs que nous avons à déplorer, c'est la faute aux Asiatiques, aux Sud-américains et aux Européens de l'est...

M. le Ministre d'Etat - Démagogie !

M. Eric Besson - Précisément : à quel point de scepticisme sur votre capacité à redresser la situation faut-il que vous soyez rendu pour vous laisser aller à un tel degré de démagogie ? Et que dire de vos pseudo-mesures de relocalisation, non financées et auxquelles vous ne semblez pas croire vous-même !

Les délocalisations auraient mérité un débat sérieux. Vous l'avez gâché. Et pardonnez-moi, Monsieur le ministre d'Etat, de vous dire que je vous ai trouvé ce matin particulièrement confus... (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Mais oui, vous nous aviez habitués à vous poser en acteur plutôt qu'en spectateur, et à afficher une stratégie plus claire. Bien malin qui l'aura dévoilée dans la masse de vos messages, souvent contradictoires. Si, comme vous le dîtes, nos concitoyens sont angoissés par les délocalisations, ils risquent de l'être plus encore après vous avoir entendu. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Francis Vercamer - Voilà plusieurs années que les délocalisations ont fait irruption dans le débat national, nourrissant analyses et commentaires entre experts. Le débat a pris une ampleur plus politique au premier semestre de cette année, conséquence sans doute d'une année 2003 où notre pays a frôlé la récession. Croissance économique en berne, plans sociaux et licenciements massifs dans un certain nombre de régions, ont suscité l'émotion grandissante de nos concitoyens, et leur inquiétude quant à l'avenir.

Le phénomène des délocalisations n'est pas récent. Voilà vingt ans que les pouvoirs publics, toutes tendances politiques confondues, y sont confrontés. Deux facteurs ont accentué la tendance ces dernières années. D'abord, la substitution au capitalisme industriel, soucieux de l'outil de production et porteur de véritables stratégies d'entreprise, d'un capitalisme purement financier, en quête de profits maximaux et de rentabilité à court terme.

M. Alain Bocquet - Nous n'avons cessé de le dénoncer !

M. Francis Vercamer - Nous avions de vrais chefs d'entreprise, attentifs à l'outil qu'ils avaient créé comme à la communauté humaine qui s'activait pour le faire prospérer. Au-delà du lien économique, il y avait un lien humain, qui inscrivait l'action de l'entrepreneur sur son territoire.

M. François Rochebloine - Très bien !

M. Francis Vercamer - La figure existe encore, mais elle cède de plus en plus souvent la place à celle du financier, à la recherche de rendements faciles et de plus-values à court terme. Souvent les licenciements suivent, en forme de fâcheux préalable à une délocalisation.

Dans la logique du capitalisme financier, l'entreprise se décharge sur la solidarité nationale des conséquences de ses choix. Peu à peu, la responsabilité de l'entreprise sur son territoire tend à s'arrêter à l'acquittement de ses cotisations sociales.

M. Alain Bocquet - Très juste !

M. Francis Vercamer - Autant dire que là où n'existe plus qu'un lien financier, il n'y a plus de responsabilité sociale. Autre facteur, la diminution des prix de vente à la consommation. Les années de crise ont ramené la concurrence sur le prix des produits, celui-ci devenant le facteur déterminant de la décision d'achat. Du coup, les firmes de la grande distribution ont engagé une course à la baisse des prix, dont les fournisseurs ont fait les frais. Ceux-ci n'ont plus d'autre choix que de produire au moindre coût, ce qui n'est possible que pour ceux installés dans les pays où la main d'œuvre est à bon marché.

M. Alain Bocquet - C'est une analyse marxiste !

M. Francis Vercamer - De même, quand l'Etat entend soutenir la croissance grâce à la consommation, en encourageant une baisse des prix dans la distribution, il encourage cette dernière à exercer une nouvelle pression sur ses fournisseurs. Je rappelle, à cet égard, la demande du groupe UDF de création d'une commission d'enquête parlementaire pour évaluer les dispositions légales destinées à équilibrer les relations commerciales entre les centrales d'achat et les producteurs.

En 1993, dans un rapport remarqué - que d'aucuns avaient qualifié d'alarmiste -, le sénateur Arthuis avait décrit les dangers que faisaient peser sur la cohésion sociale les délocalisations d'activités hors du territoire national. Il n'hésitait pas à écrire que « le feu était dans la maison ». Dix ans plus tard, sa propagation nous commande de réagir avant qu'il ne commence à gagner les étages.

Face à une réalité complexe, toute simplification serait néanmoins dangereuse. Si pour certaines entreprises, seule importe l'optique financière d'un profit maximal, pour d'autres, il s'agit de conquérir de nouveaux marchés, ce qui constitue un atout pour notre pays. Il serait de plus paradoxal de prôner l'aide au développement des pays émergents et de condamner le développement de leurs activités économiques.

Le financement des droits sociaux par le travail, particularité nationale, favorise les délocalisations. D'autre part, l'accroissement de la qualification de la main-d'œuvre dans les pays émergents ne peut être ignoré : les délocalisations touchent désormais des secteurs d'activité qui semblaient hors d'atteinte - équipements électroniques, services, informatique - à côté des secteurs plus traditionnels touchés depuis longtemps. Dans l'agglomération de Roubaix-Tourcoing dont je suis l'élu et qui compte près de 500 000 habitants, l'industrie textile a connu l'année dernière 3 000 suppressions d'emplois et, pour le premier trimestre de cette année, 1 000 suppressions - qui sont d'ailleurs le fait d'entreprises ayant choisi de ne pas délocaliser.

Même si les syndicats estiment que les délocalisations sont responsables de seulement 4% du nombre total d'emplois supprimés, il n'en reste pas moins que les territoires sont inégaux devant le phénomène : dans un bassin d'emploi comme celui de Roubaix, nous assistons à un véritable séisme social et territorial.

M. le Ministre d'Etat - C'est vrai.

M. Francis Vercamer - L'économiste Daniel Cohen a lui-même souligné cette disparité en observant que c'est moins la France qui souffre des délocalisations que le Nord-Pas-de-Calais et la Normandie. Il importe donc de concentrer les moyens de l'Etat sur les territoires fragilisés par les mutations industrielles afin de faciliter l'implantation d'activités innovantes. Il est également indispensable d'y consacrer les moyens d'accompagnement social. Développer l'employabilité par la formation professionnelle et aider à une plus grande mobilité géographique sont deux priorités d'une politique de gestion des ressources humaines conséquente.

Lorsque l'avenir professionnel est synonyme de crainte, il n'est pas possible de demander plus de flexibilité sans avoir d'abord répondu à l'exigence de sécurité. C'est donc à une nouvelle sécurité salariale que nous devons travailler. Le PLF pour 2005 apporte des solutions en consacrant un milliard d'euros à la lutte contre les délocalisations, mais le groupe UDF est réservé sur l'opportunité d'incitations fiscales au retour pour des entreprises délocalisées. Plus largement, les mesures préconisées par le PLF ne peuvent se concevoir que dans le cadre d'une politique globale visant à valoriser la compétitivité de nos territoires.

L'UDF propose trois axes pour l'action. D'abord, favoriser l'activité productive en cessant de taxer les facteurs de production et en instaurant une TVA de compétitivité modulable. Cela permettrait de déplacer le financement des droits sociaux du travail vers la consommation et allègerait d'autant les taxes sociales acquittées par les entreprises.

Deuxième axe : encourager l'entreprise et l'innovation. Notre collègue Christian Blanc a proposé l'émergence de dynamiques territoriales d'innovation mêlant entreprise, formation et recherche. La région et les agglomérations y joueraient un rôle majeur. De ce point de vue, les pôles de compétitivité sont des outils essentiels pour le développement des territoires en difficulté, mais leur réussite est selon nous tributaire de trois conditions : réaffirmation du rôle d'impulsion des conseils régionaux dans les domaines économiques et scientifiques ; refonte d'universités puissantes et pluridisciplinaires ; redéfinition de l'action de l'Etat dans la recherche et renforcement des coopérations en réseaux.

Troisième axe enfin : la France doit s'affirmer comme fer de lance d'une politique commerciale et industrielle européenne qui place la défense des intérêts industriels de l'UE au cœur de ses prérogatives. Nous demandons aux entreprises de respecter des règles sociales et environnementales de plus en plus contraignantes, mais l'UE a-t-elle les mêmes exigences pour les biens produits en Asie ? C'est l'Union qui aura demain l'autorité suffisante pour rééquilibrer les relations commerciales entre nos pays et les pays émergents. Notre pays pourra se faire entendre au sein de l'UE s'il commence par mettre de l'ordre chez lui : c'est tout l'enjeu de la politique de réformes dont nous avons besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Alain Bocquet - Je vous ai écouté avec beaucoup d'attention, Monsieur le ministre d'Etat, et j'ai entendu dans ces propos enflammés dont vous avez le secret une véritable autocritique. « La vérité est révolutionnaire », comme disait quelqu'un : j'espère que vous saurez en tirer les conséquences. (Sourires)

Dans une France qui condamne sept millions de citoyens au chômage et à la précarité, comment ne pas entendre l'inquiétude soulevée par les délocalisations ? Un quart des salariés considèrent que leur emploi est menacé, et 42% de nos compatriotes estiment que la lutte contre les délocalisations doit être prioritaire. Après le textile, l'habillement, la chaussure, ce sont les services, certains secteurs agricoles ou la recherche qui sont touchés. La CGT de la métallurgie a récemment recensé 37 projets de délocalisation.

Vous êtes au pouvoir, vous avez les moyens de faire respecter un certain nombre de règles essentielles. A Isbergues, dans le Pas-de-Calais, le groupe Arcelor s'apprête à liquider la seule aciérie française qui produit de l'acier inox de haute qualité pour la transférer en Wallonie, et cela avec l'aide de fonds publics européens.

M. Jacques Myard - Il faut annexer la Wallonie ! (Sourires)

M. Alain Bocquet - Que fera le Gouvernement pour empêcher ce scandale ? La sidérurgie du Nord et de la Lorraine a déjà été sacrifiée en 1979, au nom, disait-on, de la rentabilité. Selon le gouvernement d'alors et le grand patronat de la sidérurgie, selon le fameux vicomte Davignon, il y avait trop d'acier et celui que nous produisions coûtait trop cher. Aujourd'hui, alors que la demande d'acier explose, le patronat de la métallurgie redoute que des PME s'arrêtent faute de matière première et pourtant, la casse et les délocalisations continuent de plus belle. Quant au Gouvernement, il cède au chantage à l'emploi du MEDEF qui agite l'épouvantail du manque d'attractivité supposé de la France pour réclamer toujours plus d'allègements de cotisations et de flexibilité : 20 milliards d'euros d'exonérations mais le chômage ne cesse d'augmenter.

Force est pourtant de constater que la France ne rebute pas les investisseurs étrangers : en 2002, la Banque de France recensait deux millions de salariés travaillant en France pour des entreprises sous contrat à l'étranger, soit 15,2% des effectifs de l'ensemble des entreprises résidentes. Ce taux est double de ceux de l'Italie et de l'Allemagne. Concernant les investissements étrangers, la France est passée du septième rang en 2000 au second rang en 2002 parmi les pays de l'OCDE. Je suis d'ailleurs député du Valenciennois, où Toyota s'est installée... malgré les 35 heures (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Le coût du travail n'est pas ce handicap terrifiant qui pénaliserait notre économie : le coût annuel moyen d'un salarié en 2000 était de 37 941 € en France contre 45 664 en Allemagne. La part des salaires dans le PIB français s'établissait entre 1971 et 1980 à 75,5%. Elle plafonne aujourd'hui à 69,2%, chiffre proche de la moyenne européenne et inférieur à celui du Royaume-Uni. Quant à la productivité horaire du travail, elle a progressé de 2,32% par an en moyenne entre 1996 et 2002. Cette performance des entreprises a été atteinte essentiellement grâce aux salariés, les investissements affichant une relative stagnation. Le salaire moyen d'un ouvrier est chez nous de 871 € et celui d'un employé de 789 € : peut-on décemment vouloir tirer encore les rémunérations vers le bas ? Oui, répondent le baron Seillière et le Gouvernement en promettant de nouvelles baisses d'impôt ou de cotisations pour les entreprises, choisissant ainsi la fuite en avant dans le dumping social. Cette politique prive l'Etat et les systèmes sociaux de ressources utiles et déprime la consommation des ménages.

Le rapport annuel du Conseil des impôts met à bas l'argumentaire patronal et gouvernemental : ni l'ISF ni l'imposition des hauts revenus ne sont à l'origine des délocalisations. Voyez l'exemple de Vivendi, à laquelle vous avez fait un cadeau de 3,8 milliards d'euros, soit 500 millions par an pendant six ans. En contrepartie, cette société s'est engagée à créer, jusqu'en 2009, 420 emplois par an. Pour une multinationale de 55 000 salariés, c'est de l'écume au milieu de l'océan. Le dispositif aboutit à l'emploi aidé le plus cher du monde : 1,8 million d'euros par embauche. Ces 500 millions auraient permis de créer chaque année 15 000 postes stables sur la base d'un salaire moyen. Mais Vivendi, qui se moque de telles considérations, a contraint son sous-traitant Timing à délocaliser son activité au Maroc, supprimant 210 emplois en France. Tout heureuse de l'aubaine accordée par Bercy, elle va même reprendre le versement de dividendes à ses actionnaires après les déboires de l'après-Meissier.

M. Jacques Desallangre - Voilà du positif !

M. le Président de la commission des affaires économiques - M. Meissier dont votre collègue Besson était le collaborateur !

M. Alain Bocquet - Les fonds spéculatifs raflent la mise tandis que rien ne va plus pour les salariés de Timing. Un rapport du Plan souligne que les aides directes de l'Etat aux entreprises représentent 15 milliards d'euros par an, sans compter les réductions de charges sociales. Votre gouvernement, par la voix de M. Devedjian, dénonce les « chasseurs de primes », mais il a fait abroger dès 2002 la loi créant des commissions de contrôle des aides publiques aux entreprises. Pourquoi ne pas la rétablir et confier à ces commissions l'instruction des projets de délocalisation, dont il faut geler l'exécution ? C'est vous qui avez renoncé à exiger une étude d'impact en cas de restructuration. L'obligation de réparations constituait un garde-fou. Qu'attendez-vous pour la rétablir, afin de donner un point d'appui aux représentants des salariés dans les négociations et de permettre aux élus locaux de faire valoir leurs droits ? Sans normes contraignantes, la responsabilité sociale des entreprises reste un argument marketing.

Les députés communistes et républicains avancent des solutions innovantes. Ils proposent de suspendre toute délocalisation intra-européenne, d'annuler toute suppression d'emploi décidée dans un tel cadre, de taxer tout investissement à l'étranger qui viserait à affaiblir l'emploi en France et de taxer les importations de fabrications délocalisées. (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Nous demandons aussi l'établissement d'un lien juridique entre le donneur d'ordres et son fournisseur, car l'entreprise dominante devrait assumer la co-responsabilité des restructurations. Cette réforme aurait un effet dissuasif sur les directions des groupes, obnubilées par l'intérêt de leurs actionnaires, et renforcerait la capacité d'intervention des salariés : Vivendi ne pourrait plus piloter la délocalisation de Timing.

La politique fiscale, quand elle n'est pas au service des puissances financières, a des vertus incitatives. Si le Gouvernement peut accorder un crédit d'impôt aux entreprises qui développent leurs ventes hors de l'espace européen, alors il doit pouvoir taxer les investissements directs à l'étranger. Leur montant a été estimé à 305 millions d'euros entre 1998 et 2002. Il faudrait aussi pénaliser les banques qui financent plus facilement les délocalisations que le crédit à l'emploi. Les banques françaises ont réalisé 18 milliards d'euros de profits en 2003. Le premier semestre 2004 a confirmé cette embellie. Il faut réorienter le crédit bancaire en le mettant au service de l'emploi par des bonifications d'intérêts.

En mars, notre groupe a défendu une proposition tendant à créer de tels mécanismes de régulation. Vous avez refusé que l'Assemblée l'examine. Vous êtes plus libéraux que les champions du libéralisme, puisqu'aux Etats-Unis, où le problème des délocalisations nourrit le débat politique, on parle de supprimer les baisses d'impôts accordées aux compagnies qui délocalisent. La presse recense quatre-vingts textes législatifs à l'étude dans trente Etats américains.

Mais le Gouvernement se soumet au projet de constitution européenne, qui proclame la liberté absolue du marché. Qu'attendez-vous pour exiger à Bruxelles, à Francfort, le contrôle de la Banque centrale européenne et le réajustement de ses taux ? Qu'attendez-vous pour réclamer une réglementation et une fiscalité permettant de corriger la faiblesse des prix pratiqués en Europe par les grandes sociétés de transport routier et maritime des marchandises ? Mettre à leur charge les coûts sociaux et environnementaux ramènerait les tarifs à un niveau plus juste, ce qui rendrait les délocalisations moins attractives tout en combattant efficacement la pollution.

M. Jean-Paul Charié - C'est vrai !

M. Alain Bocquet - Il est urgent de réorienter la construction européenne, ce qui implique un vote négatif au référendum annoncé. (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Paul Charié - Là, c'est de l'amalgame.

M. Alain Bocquet - Mais le fond du problème, c'est l'absence de politique industrielle ambitieuse. La création de pôles de compétitivité se résume à l'institution de zones franches où les entreprises bénéficieront d'aubaines fiscales pendant trois ans. L'Etat promet d'injecter 250 millions d'euros dans une vingtaine de sites. Ce saupoudrage paraît bien dérisoire quand le total des placements financiers s'élève en France à 1 966 milliards d'euros et quand Dexia ou le groupe Suez affichent des résultats semestriels nets de l'ordre du milliard d'euro.

Il existe aujourd'hui une autre forme de délocalisation : celle des dividendes. En 2004, 3,9 milliards d'euros de revenus boursiers seront versés par les sociétés du CAC 40 aux fonds anglo-saxons présents dans leur capital. La richesse existe : qu'attendez-vous pour l'orienter vers les investissements utiles à la société ?

L'innovation et la recherche sont indissociables des systèmes productifs, dont elles garantissent la performance. Une unité de production privée de recherche-développement ne peut devenir qu'une « usine-tournevis ». Mais la France, en ne consacrant que 2,2% de son PIB à la recherche, est distancée par l'Allemagne, les Etats-Unis et le Japon, qui enregistrent respectivement des taux de 2,45, 2,69 et 3,29%.

En matière d'attractivité, la qualité de la formation supérieure constitue un atout. Or l'action de l'Etat est déficiente dans ce domaine encore : la France ne consacre que 1,1% de son PIB à l'enseignement supérieur, contre 1,4% en moyenne dans les pays développés. La France dépense 8 800 dollars par étudiant et les Etats-Unis, 10 000. En France, 59% des étudiants achèvent leurs études, soit onze points de moins que la moyenne de l'OCDE.

Pour lutter contre les délocalisations, il faut agir sur l'ensemble de ces terrains en recherchant l'épanouissement des potentialités humaines. Quand le Gouvernement cède au diktat des actionnaires, les députés communistes et républicains sont disponibles pour résister avec le monde du travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. François-Michel Gonnot - Je veux soumettre à notre réflexion une pratique qui se développe dans certains grands groupes, tout particulièrement dans le secteur de la chimie : je veux parler des délocalisations fiscales. On ne délocalise dans ce cas ni l'emploi ni la production, mais une masse fiscale.

La Colgate-Palmolive Company est une multinationale dont le chiffre d'affaires s'élève à 10 milliards de dollars. Elle a une marge bénéficiaire de 14,4% et emploie 36 600 salariés dans le monde. Un quart de son activité est localisé en Europe, où elle compte 6 275 collaborateurs dans quarante-neuf usines, établissements et sièges sociaux. En France, Colgate-Palmolive possède deux usines, dont une à Compiègne, et un siège social : cette société employait 1 475 collaborateurs en 2003. Son chiffre d'affaires en France s'élève à 820 millions d'euros.

Or, Colgate-Palmolive envisage de mettre en œuvre un plan dit « Optima », qui vise à délocaliser tous les sièges sociaux européens du groupe pour les installer dans le canton de Genève. Il s'agit tout simplement d'échapper à l'impôt sur les sociétés, qui est en moyenne de 28% dans l'Union européenne et de 33% en France. Colgate-Palmolive a négocié en Suisse un taux d'imposition de 6,4% garanti pendant dix ans. Ses sites de production vont changer de statut pour devenir de simples sous-traitants.

Du coup, l'impôt sur les sociétés acquitté en France par ce groupe passera de 41 millions d'euros en 2003 à 8 millions, tandis que la taxe professionnelle versée aux collectivités passera de 16 à 8 millions d'euros. Il en ira de même dans vingt-deux pays européens.

Le groupe Procter & Gamble a déjà suivi ce schéma et d'autres sociétés, coMme Unilever ou Henkel, s'apprêtent à faire de même. Il faut que la France trouve une réponse et donne à la direction générale des impôts les moyens de mettre fin à cette hémorragie fiscale.

La Suisse, au cœur de l'Europe, ne peut rester ce paradis fiscal qui récupère l'intégralité de la richesse. Il nous faut trouver des réponses nationales et européennes à ce problème.

Mme Arlette Grosskost - Dans la lutte contre le chômage et pour l'attractivité du « site France », il n'y a pas de réponse unique, et c'est la diversité des actions engagées et des intervenants qui fera la réussite. Nous avons de nombreux atouts et nos handicaps tiennent surtout à notre fiscalité, trop faiblement incitative. Le poids cumulé de l'impôt sur le sociétés et de la taxe professionnelle empêche le développement de nos entreprises et freine leur investissement. Or l'amélioration de notre système de production passe par le développement de nouvelles capacités techniques.

L'ISF pèse aussi sur le développement et la transmission de nos entreprises...

M. Jacques Myard - Vous oubliez les droits de succession...

Mme Arlette Grosskost - Ne pourrait-on réfléchir à la possibilité de mettre cet impôt au service de l'emploi ? Oublions donc le débat idéologique : seul le résultat compte !

M. le Président de la commission des finances - Exactement.

Mme Arlette Grosskost - Face aux délocalisations, la création de pôles de compétitivité est une initiative judicieuse. Elle permettra de renforcer les synergies autour de véritables projets territoriaux. Il paraît essentiel d'affermir le rôle des collectivités territoriales, en particulier de la région, en matière de développement économique, mais aussi de promouvoir une véritable politique industrielle européenne en prenant des initiatives sectorielles, notamment dans l'automobile.

C'est dans ce contexte que j'ai récemment emmené à Bercy une délégation d'élus du Haut-Rhin pour exposer les difficultés que nous rencontrons depuis plusieurs années et qu'ont illustrées les plans sociaux qui ont touché Wartsila, Manurhin Production et Sony. De tels exemples se multiplient, hélas, tandis que nos travailleurs frontaliers subissent les difficultés des économies allemande et suisse. L'Alsace a cessé d'être cet îlot de croissance préservé : le taux de chômage y progresse désormais deux fois plus vite que la moyenne nationale et la zone de Mulhouse, où ce taux atteint 14 %, a perdu 20 % de ses emplois industriels en quinze ans.

C'est ce qui fonde notre volonté, en Sud-Alsace et en Nord-Franche-Comté, de répondre à l'appel à projet que lancera bientôt le Gouvernement pour bâtir un pôle de compétitivité interrégional articulé autour de notre filière automobile. Cette dernière rassemble plus de 400 entreprises et près de 90 000 emplois, ce qui la rend tout à fait apte à répondre aux critères d'éligibilité : mobilisation des entreprises sans laquelle il n'y aura ni développement économique endogène ni création d'emplois ; détermination des acteurs publics locaux, qui ont ici lancé la réflexion sur la thématique automobile et qui investissent dans l'environnement des entreprises et la qualification ; implication des organismes de recherche, publics et privés, en particulier de nos universités.

Innovation, réseaux, recherche et développement, baisse des prélèvements obligatoires, fiscalité plus incitative, code du travail mieux adapté : donnons-nous les moyens d'une croissance forte et durable et du renforcement de l'attractivité de notre pays afin d'y maintenir et d'y créer des emplois et de la richesse au profit de tous les citoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Didier Migaud - Au cours des campagnes électorales de 2002, l'UMP avait fait du déclin de la France et de la perte d'attractivité de notre pays un de ses principaux thèmes de campagne contre le gouvernement de Lionel Jospin. Depuis, de nombreux rapports ont démenti ce discours caricatural et mensonger et il est amusant que l'épouse d'un membre du Gouvernement ait aujourd'hui pour fonction de corriger les dégâts que cette campagne a entraînés pour l'image de la France. L'attractivité de notre pays est à la fois forte et fragile. Dans la décision d'implanter une entreprise, la proximité du marché, la qualité de la main-d'œuvre, le niveau des équipements et des services publics sont plus déterminants que la fiscalité ou le coût du travail.

Les délocalisations sont un vrai sujet et je partage assez largement le constat que vous avez fait à leur propos, Monsieur le ministre d'Etat (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe UMP). Encore faudrait-il définir et évaluer le phénomène. Quand la Logan est fabriquée en Roumanie et vendue ensuite en France, s'agit-il d'une délocalisation ?

M. Jean-Paul Charié - Non !

M. Didier Migaud - Cela peut se discuter !

M. Francis Delattre - Et si nous parlions de Vilvoorde ?

M. Didier Migaud - Quoi qu'il en soit, ce phénomène est appelé à prendre de l'ampleur, y compris dans le secteur des services, et son impact négatif sur l'emploi est évident. En réponse, la droite n'offre que le moins-disant fiscal et social, même si le ministre a fait tout à l'heure entendre une musique différente - qui tranche d'ailleurs avec le concert que joue le Gouvernement depuis deux ans. Lui-même ne prend-il pas le risque, par sa politique fiscale, d'affaiblir l'Etat, mais aussi les collectivités locales, et de les priver de toute possibilité d'agir ? Maintenir un haut niveau d'équipement et de services suppose des moyens. A défaut, le risque de perte d'attractivité est réel. Cela nous fragilise d'autant plus que d'autres pays jouent à fond le moins-disant fiscal et social, avec tous les dangers que cela comporte pour leur population.

M. le Président - Veuillez conclure.

M. Didier Migaud - Je m'y apprête, mais permettez-moi de vous rappeler que le groupe socialiste ne dispose que de 30 minutes sur les 3 heures 30 prévues pour ce débat.

M. le Président - Cela relève de la Conférence des Présidents.

M. Didier Migaud - A l'encontre de ce que fait votre gouvernement, il faut en France une action forte en faveur de l'investissement, de la recherche, de la formation supérieure. Si je prône une plus grande efficacité de l'action et de la dépense publiques, je refuse votre politique de réduction systématique de cette dépense : pour remédier à ses faiblesses, la France à besoin d'efforts supplémentaires. Il faut aussi une action forte en Europe, ce qui suppose une augmentation du budget européen à laquelle votre gouvernement s'oppose, empêchant là aussi d'agir contre les délocalisations. Or, je crains que l'Europe soit en retard dans l'appréciation de ce phénomène. On semble croire que les prix et la concurrence règleront tout alors qu'il faut mener une politique bien plus déterminée.

M. Jacques Myard - Adressez-vous à M. Lamy...

M. Didier Migaud - Si nous partageons, Monsieur le ministre, votre volonté d'agir, nous constatons que, depuis deux ans, la politique du Gouvernement va à contresens et fragilise notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Hervé Novelli - Ce débat est indispensable, non en raison des effets - qui restent largement à démontrer - des délocalisations, mais parce qu'elles sont un exemple de ce qui est aujourd'hui à l'œuvre dans le monde et que vous avez qualifié hier dans Les Echos, Monsieur le ministre, de « rupture dans l'histoire économique mondiale ». Vous avez raison et la mondialisation de l'économie est désormais une donnée incontournable. Cela signifie que l'activité économique ira dans l'avenir là où les conditions sont les meilleures. On le constate dans les différences entre les taux de croissance de l'Asie - plus de 10 % -, des Etats-Unis - plus de 4 % - et de l'Europe - 2 %.

M. Jacques Myard - Cela tient à sa politique monétaire.

M. Hervé Novelli - La croissance est la combinaison harmonieuse de trois facteurs : l'emploi, le capital et l'innovation. Rigidifiez l'emploi, par exemple en réduisant le temps de travail à 35 heures, et vous déprimez la croissance. Taxez excessivement le capital, et vous le ferez disparaître. Défavorisez la recherche et l'innovation, et vous réduirez les ressorts de la future croissance.

C'est vrai, à court terme, des mesures défensives peuvent être prises, coMme celles contenues dans votre projet de loi de finances pour 2005, mais, et vous le savez, il faut surtout des mesures offensives à moyen terme, car les délocalisations sont d'autant plus insupportables qu'elles ne sont pas compensées par d'autres activités. Les délocalisations affectent aussi les Etats-Unis, mais entre 1993 et 2002, ils ont su créer près de 18 millions d'emplois !

M. Jacques Myard - Grâce à une politique monétaire intelligente !

M. Hervé Novelli - Et la durée moyenne du chômage est d'un an en France quand elle n'est que de trois semaines là-bas !

Nous devons favoriser la création d'entreprises et d'emplois, tout d'abord par une baisse durable de notre fiscalité, qui ne pourra s'appuyer que sur la réduction des dépenses publiques, et donc la réforme de l'Etat. Notre droit du travail doit être plus souple, nous devons encourager la formation, et investir dans l'avenir. Il faut en effet développer les services aux personnes et à l'industrie. La France n'a pas subi une désindustrialisation plus forte, mais elle a créé moins d'emplois dans les services. Si notre pays avait le même taux d'emploi dans le commerce, la restauration, ou l'hôtellerie que les USA, elle compterait 3,5 millions d'emplois supplémentaires.

Mais il faut aussi investir massivement dans l'innovation et la recherche, coMme ont su le faire les Etats-Unis il y a quelques années. Selon l'OCDE, leur croissance est due pour moitié à leurs efforts dans ce secteur. L'Europe d'aujourd'hui a fixé ses priorités dans le cadre des programmes cadres de recherche et de développement et nous devons élever nos ambitions en ce domaine. Donnons aux entreprises privées une fiscalité adaptée à leurs efforts de recherche. Définissons clairement pour le secteur public les choix de la France en matière de recherche. Nous attendons beaucoup de la future loi d'orientation et de programmation.

Ce débat aura été utile s'il permet d'éviter les crispations et s'il permet d `envisager l'avenir sans peur (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Paul Charié - Monsieur le ministre d'Etat, vous qui savez susciter l'enthousiasme sans lequel aucune dynamique n'est possible, chers collègues de la majorité, vous qui voulez dépasser les peurs pour répondre aux attentes des Français, et vous, chers collègues de l'opposition avec qui j'ai eu souvent plaisir à construire, je voudrais vous poser une question : le débat sur la délocalisation serait-il le même si la France créait plus d'emplois qu'elle n'en perd ? Après 23 ans de travail parlementaire sur la concurrence et les entreprises, je suis convaincu qu'il faut développer de nouvelles activités.

Les drames sont réels, mais les délocalisations ne signifient pas le déclin de l'Europe. Nous avons, ces dernières années, accueilli de nombreuses entreprises étrangères. Mon département du Loiret compte à lui seul 12 sociétés japonaises qui emploient près de 2000 personnes, et 33 sociétés américaines qui en font travailler plus de 9 700 ! Je suis certain, chers collègues, que vous pourrez trouver des exemples analogues dans tous vous départements.

M. le Président de la commission des finances - Pas dans les mêmes proportions !

M. Jean-Paul Charié - Je suis député depuis 23 ans ! (Sourires) L'attractivité mondiale de la France est une réalité. Les implantations industrielles sont ainsi passées de 243 en 2003, à 312 en 2004 ! Et notre collègue communiste l'a rappelé, la France occupe le deuxième rang pour l'attractivité industrielle en Europe, juste après la Grande-Bretagne.

Deuxième certitude : les gisements d'emplois se trouvent dans les services aux entreprises et aux particuliers. Aux Etat-Unis, 61% des salariés travaillent dans ce secteur contre seulement 47% en France. Soit nos 36 000 garages indépendants s'approprieront le numérique pour développer de nouveaux services, soit ils disparaîtront. De même, les imprimeries et tous les artisans. Et même les salons et les foires. Le dernier salon automobile fut un succès, mais si nous vivons sur nos acquis, Berlin, Barcelone et Pékin nous dépasseront !

J'ai remis un rapport sur la compétitivité numérique des PME. Depuis, et sans attendre les budgets promis, j'ai monté plus de sept opérations pilotes, sur plus de vingt départements. La mobilisation de tous les partenaires est exemplaire, car c'est la première fois que nous réunissons au sein d'une même équipe tous les acteurs, du fournisseur au bénéficiaire, du privé au public. Ensemble, nous pouvons combattre la morosité de notre pays et créer des emplois (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. David Habib - Quel but poursuivez-vous avec ce débat ? Nous faire oublier l'échec de votre politique économique ? Il faudrait davantage qu'une matinée. Organiser notre riposte à la désindustrialisation ? il faudrait des moyens et pas un simple constat, que nous partageons, du reste. C'est vrai, la désindustrialisation est un sujet cardinal et la première préoccupation des Français. C'est vrai, nos outils statistiques sont insuffisants. C'est vrai encore, la réponse ne se trouve pas dans la remise en cause des acquis sociaux. Nous partageons par ailleurs votre analyse de l'intégration européenne, mais n'en tirons pas les mêmes conséquences.

M. le Président - C'est déjà mieux que Besson !

M. David Habib - Ce diagnostic est en revanche en décalage par rapport à votre politique. Qu'avez-vous fait pour contrer le démantèlement de notre filière bois ou la disparition de notre industrie de l'aluminium ? Combien d'Alstom pour un Péchiney, un Giat ou un Metaleurop ? Et que faites-vous face à Total qui se sépare de la chimie ? En 1999, Thierry Desmarest déclarait que le projet de Total reposerait sur le refus de séparer les activités chimiques des activités pétrolières, en raison d'une part des synergies qui existent entre ces activités, et d'autre part, de la crainte que le nouveau groupe chimique qui émergerait alors ne dispose pas de moyens suffisants vis-à-vis de ses principaux compétiteurs. Qu'a fait le Gouvernement lorsque, cette année, la stratégie de M. Desmaret est venue contredire son propos de 1999 ? Nous n'avons obtenu aucune réponse sur ce point. De même, faire de la lutte contre les délocalisations une priorité sans dégager les moyens financiers nécessaires n'est guère crédible.

Comment améliorer l'attractivité de notre pays ? Il faut d'abord éviter de mener une politique fondée sur une double baisse : celle de la fiscalité et celle des coûts salariaux. Il faut ensuite, comme nous l'avons fait naguère, donner la priorité à la croissance et à la consommation intérieure : nos résultats en termes d'investissement, d'exportations et d'emploi en ont été notablement améliorés. Nous devons aussi soutenir l'innovation et la recherche, définir des stratégies industrielles et redécouvrir les vertus des stratégies de filières, reprendre l'initiative pour imposer des normes internationales et assainir ainsi la concurrence. Or, depuis trente mois, vous faites tout le contraire et, sur le dernier point par exemple, vous vous abstenez d'appuyer les initiatives des syndicats européens. Et le gel de la loi sur la régulation sociale vous empêche par ailleurs de vous inspirer des suggestions de M. Kerry en faveur d'un « Jobs for America Bill » qui obligerait les employeurs à prévenir leurs salariés trois mois à l'avance de tout plan de délocalisation...

Il conviendrait également de combattre les rigidités de notre système bancaire et d'améliorer réellement nos réseaux de communication, afin que la fracture numérique entre territoires cesse d'inciter certains industriels de premier plan à s'installer là où les opérateurs leur consentiront les moyens informatiques dont ils ont besoin.

Nous vous demandons aussi de favoriser l'émergence de grands groupes industriels : pour les deux tiers, le commerce international est constitué d'échanges entre filiales d'une même entreprise.

Il faut enfin revaloriser l'image de l'industrie en luttant contre le phénomène « Nimby » et développer des stratégies régionales et locales. Or, de ce dernier point de vue, vous vous bornez à mettre en avant les pôles de compétitivité sans rien dire de la baisse dramatique des crédits Feder, comme si certains de nos territoires pouvaient se sauver sans l'aide du budget européen. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Mais, en définitive, ce qui est en cause avec les délocalisations, c'est avant tout la financiarisation de notre économie. Face à ce phénomène objectif, nous devons rappeler les valeurs qui fondent le pacte républicain et affirmer en particulier que, si créer des emplois est une vertu, en détruire est une faute. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Paul Charié - Mais non : comment créer des emplois s'il n'y a pas flexibilité ?

M. Marc Le Fur - Pendant longtemps, on a refusé d'ouvrir le débat sur les délocalisations, ou on l'a limité à quelques secteurs particulièrement exposés. Mais, aujourd'hui, c'est toute notre économie qui est concernée : aucun secteur n'est plus épargné, pas même ceux des services ou ceux de la haute technologie. Les Français en sont donc venus à s'interroger : que leur restera-t-il demain ?

Le secteur agro-alimentaire, naguère à l'abri grâce à la protection que lui valaient nos traditions alimentaires, l'exigence générale de consommer des produits frais et la préférence communautaire -notion hélas maintenant bien oubliée -, se trouve à présent frappé de plein fouet. La délocalisation menace notre production de fruits et légumes et même de vins de qualité. Elle menace aussi notre aviculture, soumise à la concurrence déloyale de celle du Brésil, souvent créée de toutes pièces... par des investisseurs français. En effet, la traçabilité qu'on exige de nos éleveurs n'est pas requise des produits importés et les multinationales sont en train d'habituer les consommateurs à des produits élaborés qui ont pour effet de masquer l'origine des produits de base. On a ainsi assisté à l'arrivée massive de volailles découpées et saumurées. L'Europe y a partiellement mis le holà mais on voit maintenant apparaître dans nos magasins des filets de dinde précuits... On ne pourra faire obstacle à de telles pratiques qu'en informant le consommateur de l'origine des produits : autrement dit, en appliquant dans l'agro-alimentaire la mesure que le ministre d'Etat préconise s'agissant des centres d'appel. Malheureusement, cette idée simple se heurte au veto de l'Europe...

Demain, en vertu de la nouvelle PAC, le découplage entre production et aides, partiellement appliqué à la France, sera en revanche total pour des pays comme l'Allemagne. Un céréalier allemand pourra alors remplacer la production de céréales par la production de légumes tout en continuant de percevoir les aides, ce qui lui permettra de concurrencer déloyalement nos propres producteurs, les Bretons en particulier !

Autre exemple dramatique de délocalisation : on construit actuellement à Murcie un abattoir qui pourra traiter 18 000 porcs par jour, soit deux fois et demie la capacité de notre plus gros abattoir, qui se trouve dans le Morbihan. Or les 95 millions d'euros nécessaires sont couverts à 50 % par des crédits européens, parce que le sud de l'Espagne demeure situé en zone d'objectif 1. Voilà comment l'Union en vient à fausser la concurrence à notre détriment ! Il ne serait que temps de travailler à un pôle de compétitivité agro-alimentaire.

On ne peut pas ne pas s'interroger sur la politique européenne. Dans le cadre des négociations avec le Mercosur lancées par M. Lamy, ne se propose-t-on pas de garantir à l'Amérique latine des quotas d'importation - 100 000 tonnes de viande bovine, 75 000 de volaille et un million de tonnes de biocarburants - ? De plus en plus, notre agriculture devient une sorte de monnaie d'échange...

M. Jacques Myard - Une variable d'ajustement !

M. Marc Le Fur - ...une monnaie qu'on abandonne aux pays tiers en contrepartie de la vente de nos produits de haute technologie.

Pour conclure, un fait anecdotique mais révélateur : certains exploitants bretons se voient proposer par fax des ouvriers polonais à 5 €de l'heure !

M. Jean-Paul Charié - Impossible !

M. Marc Le Fur - Mais non : le salaire est théoriquement au SMIC mais on offre aux agriculteurs de louer à ces saisonniers un appartement au prix fort. Cette astuce est déjà monnaie courante en Allemagne, paraît-il.

Voilà un exemple de ce dont nous ne voulons plus. Le ministre d'Etat a affirmé son volontarisme : l'UMP adhérera à cette politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Christian Vanneste - Je commencerai par remercier le président de notre groupe, M. Accoyer, pour avoir pris l'initiative de ce débat.

« Lorsque le sage montre l'horizon, l'imbécile regarde le doigt ». Il est trop facile de dénoncer les délocalisations sans en analyser les causes ni chercher des remèdes. Notre collègue Huyghe n'a pas cédé à ce travers, dans son rapport sur l'attractivité du territoire, et il nous fournit des éléments précieux. Nous voyons ainsi que, dans tous les secteurs, des entreprises font fabriquer dans des pays où le coût de la main-d'œuvre est faible. C'est ainsi que cinq millions d'emplois sont menacés en Europe, particulièrement dans les secteurs à forte intensité de main-d'œuvre. Les secteurs manufacturiers traditionnels ont perdu, entre 1989 et 2001, 500 000 emplois. Le secteur textile-habillement français qui employait près d'un million de personnes dans les années soixante n'en emploie plus que 200 000 - et pour le seul textile, l'effectif est tombé de 130 000 à 107 000 entre 1996 et 2002 ; entre mars 2003 et mars 2004, il s'est encore réduit de 10 000 emplois !

Ce secteur a été le premier à affronter les délocalisations, dès le début des années soixante, en raison de la concurrence des pays à bas salaire. Le mouvement s'est d'abord effectué vers le Maroc et la Tunisie et au détriment de régions de production traditionnelle et de salariés peu qualifiés atteignant souvent la cinquantaine. Le Nord-Pas-de-Calais et la région Rhône-Alpes, qui emploient 43 % des effectifs du textile, sont ainsi cruellement touchés par les défaillances d'entreprises, du fait de cette concurrence du Maghreb, mais aussi, maintenant, de la Corée, du Vietnam, de l'Inde, de la Thaïlande et, bien sûr, de plus en plus, de la Chine.

Les délocalisations revêtent trois formes. Il peut d'abord s'agir de rechercher une meilleure compétitivité, ce qui n'est pas toujours négatif pour l'emploi en France. Il peut ensuite s'agir de conquérir des marchés. Mais cela peut aussi consister à se fournir à l'étranger dans les pays à bas salaires. Cette forme-là doit être combattue.

Les causes du phénomène résident avant tout dans le poids de nos charges sociales et fiscales, frein à la création d'emplois dans les secteurs à forte main-d'œuvre. S'y ajoutent une durée du travail inférieure et des lourdeurs administratives accablantes. Tel tissage d'Halluin, en difficulté, qui a réalisé quand même sa station d'épuration, a été récompensé par une hausse de 30% de la taxe foncière. Il y a de quoi décourager d'être un bon élève.

Les délocalisations ne sont pas pour autant une fatalité économique. Certaines causes dépendent de nous, et c'est sur celles-là qu'il faut agir en soutenant l'investissement dans la technologie et la qualité. Dans ma circonscription, une entreprise de Neuville-en-Ferrain a racheté son concurrent allemand et l'a relocalisé chez nous ; c'est donc possible. Parmi les moyens, il y a d'abord la baisse des coûts. L'industrie textile gagnerait beaucoup à la suppression de la taxe professionnelle. Mais cette baisse des coûts à des limites dans un pays structurellement socialiste où la dépense publique représente 54% du PIB. En second lieu, on pourrait penser à imposer une TVA pénalisant les importations. Mais cette solution, proposée par Georges Chavannes en 1993, n'est plus à l'ordre du jour alors même que certains pays, comme l'Inde, imposent des droits de douanes exorbitants. En troisième lieu, on peut soutenir l'innovation comme vous le faites en proposant de créer des pôles de compétitivité. C'est considérer l'économie non comme un stock à conserver, mais comme un flux à recréer sans cesse. J'y vois l'avenir du textile et je souhaiterais que Roubaix-Tourcoing constitue un pôle de compétitivité pour les textiles innovants. Mais cet exercice a aussi ses limites puisque Bruxelles impose un maximum d'allégement de taxe professionnelle de 100 000 euros sur trois ans. En 2005, les quotas textiles seront supprimés. La Chine est déjà passée en trois ans de 5% à 16% du marché européen. C'est dire l'importance du défi que nous avons à relever. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Gaëtan Gorce - Dans quel désarroi doivent se trouver cette majorité et ce gouvernement, pour mettre désormais les délocalisations au centre de leurs préoccupations...

Plusieurs députés UMP - Pas comme vous !

M. Gaëtan Gorce - ...c'est-à-dire en fait, désigner un bouc émissaire pour leur échec économique et social cinglant, car pour la première fois depuis dix ans nous allons supprimer des emplois, 100 000 emplois dans l'industrie mais aussi dans d'autres secteurs, avec pour corollaire le chômage et l'exclusion. Et les délocalisations en seraient seules responsables ?

Elles existent certes, et il faut s'en occuper. Mais vous ne nous ferez pas croire non plus qu'elle s'expliqueraient par les excès de notre droit du travail.

M. Gérard Hamel - Cela y contribue !

M. Gaëtan Gorce - Vous en profitez pour le remettre en cause, et par flexibilité il faut comprendre déréglementation. Ce n'est que la poursuite de votre combat idéologique de toujours, avec comme cible principale les 35 heures.

Les délocalisations ne s'expliquent pas non plus par l'ampleur des déficits, qui, selon le ministre, empêcheraient d'investir. En réalité, n'est-ce pas plutôt l'insuffisance de la croissance, donc de l'investissement, qui est responsable des déficits ?

D'autre part, s'il ne faut pas sous-estimer l'importance réelle des délocalisations, il ne faut pas non plus transformer en boucs émissaires de nos difficultés les pays qui viennent d'entrer dans l'Europe, ou d'autres plus lointains, qui auraient tort de vouloir se développer.

Ce qu'il faut, c'est plutôt de mener une politique globale active, et d'abord remédier à l'atonie de la croissance, qui explique pour une grande part que les entreprises aillent chercher ailleurs des marchés et d'autres modes d'organisation. Qu'on ne mette pas en avant la désindustrialisation. Beaucoup d'emplois de service sont en fait liés à l'activité industrielle, mais externalisés. Comment soutenir la croissance ? Grâce au pouvoir d'achat et non par une politique fiscale comme celle que vous menez. Surtout, en investissant massivement dans la recherche et l'innovation. Notre retard de productivité sur les Etats-Unis est dû pour l'essentiel à notre faiblesse en ce domaine. Or depuis deux ans et demi, vous avez réduit les moyens de la recherche.

En second lieu, il faut améliorer la concertation sociale, imposer une clause de responsabilité sociale aux employeurs dans les territoires où ils investissent, associer les syndicats aux décisions de restructuration. On aimerait que le gouvernement fasse des propositions sur les licenciements collectifs et les restructurations. Mais le projet de loi est en attente depuis des mois, et la négociation sociale a échoué.

Enfin, il faut plus de cohésion. Nous ne développerons pas notre économie sans une coopération franco-allemande et, plus largement, européenne. Contrairement à ce que disait M. Myard, il faudrait investir plus pour assurer la cohésion territoriale avec les nouveaux entrants. Ils vont toucher un peu plus de cent euros par habitant, alors que leur PIB est souvent inférieur de moitié au nôtre, et que l'Espagne, le Portugal, la Grèce continent de toucher plus. Il ne faudrait pas qu'à l'issue de ce débat nous gardions le sentiment que nous sommes menacés par de plus pauvres et moins qualifiés que nous. C'est en nous-mêmes qu'il faut trouver les ressources nécessaires. Quand on a le pouvoir on l'exerce. Donc, Monsieur le ministre, il ne faut pas nous dire ce qu'il faut faire, il faut le faire. Il est vrai que délocaliser prochainement le ministère de la parole de Bercy au siège de l'UMP n'est peut-être pas le meilleur moyen de concrétiser les propos que vous venez de tenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Gérard Hamel - Il était temps que ce débat ait lieu, pour répondre à toutes les déclarations simplistes, aux « y a qu'à » interdire les délocalisations ou les licenciements, qui sont le fruit de la démagogie et de l'impuissance. Car si des solutions miracles existent, qu'on nous dise dans quel pays industrialisé et libre elles sont mises en œuvre.

Mieux vaut donc réfléchir sérieusement à un problème qui touche non seulement l'industrie mais aussi le tertiaire, les centres d'appel, l'informatique, la comptabilité, et aux moyens de renforcer l'attractivité de notre pays. A l'évidence, l'image de la France a l'étranger s'est considérablement dégradée, et les 35 heures, les complexités administratives et les contraintes sociales et fiscales y ont contribué. Pourquoi ne pas mettre en valeur plutôt des réussites comme l'installation de Toyota à Valenciennes, d'Alliance à Grenoble, d'Airbus à Toulouse ? N'attendons pas d'éventuel investisseurs, prenons l'initiative d'une démarche commerciale offensive, proposons des projets dans les nouvelles technologies. Il conviendrait aussi d'harmoniser la fiscalité européenne, car bien des délocalisations en Europe de l'est ne seraient pas rentables sans une fiscalité très avantageuse.

Il faut aussi favoriser la réduction du coût du travail par une réduction des charges sociales, une meilleure réponse aux fluctuations du marché et une meilleure perception de la valeur qu'est le travail. Ne pourrait-on également instituer une taxe sociale sur les produits en provenance de pays où l'on exploite la main d'œuvre, quitte à en reverser le montant à ces pays pour qu'ils mettent en place un système social ?

Il faut également lutter contre les délocalisations sauvages, peu nombreuses, mais qui ont un effet désastreux sur l'opinion. Prenons des mesures contre les liquidations judiciaires ou les faillites abusives de certains groupes industriels pourtant rentables. D'autre part, essayons, face aux délocalisation structurelles, de développer l'innovation et les nouvelles technologies. Il conviendrait aussi de mieux maîtriser les plans sociaux dont la lourdeur conduit certaines entreprises à préférer un dépôt de bilan, dont les conséquences sont bien plus dramatiques pour les salariés. De même, s'agissant des friches industrielles que peut laisser une d'entreprise, la dépollution devrait avoir lieu avant son départ, car ensuite elle se révèle souvent trop coûteuse pour une nouvelle implantation. Il faudrait aussi fixer dès le début du plan social le prix de cession de l'immobilier entrant dans le bilan de l'entreprise. En l'absence de reprise pendant le plan social, ce patrimoine reviendrait à la collectivité et tomberait dans le domaine public pour l'euro symbolique. Cela faciliterait une réindustrialisation ultérieure.

Ce sont là des mesures, parmi bien d'autres, qu'il conviendrait d'étudier, et peut-être de mettre en application rapidement au profit de bassins de vie particulièrement touchés comme l'est le mien. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Marc Nudant - Je souscris sans réserve au constat qu'ont dressé M. le ministre d'Etat et le président de notre commission des affaires économiques : les délocalisations entraînent de véritables drames humains et constituent une catastrophe économique pour notre pays. Notre deuxième circonscription de Côte-d'Or, durement touchée, en sait quelque chose : 53 emplois menacés par une délocalisation vers l'Espagne chez Nobel Explosifs, 50 à la CITA, 400 chez Schneider, 190 chez Thomson Passive Components - au titre d'un projet de délocalisation en Asie -, 25 chez Francaner, 74 aux Aciéries du Val de Saône... Merci les 35 heures !

Dans ces conditions, vos propositions lucides et courageuses sont particulièrement bienvenues. Nous attendons beaucoup des contrats territoriaux pour le développement économique et de l'emploi et les pôles de compétitivité. Merci, Monsieur le ministre d'Etat, pour votre approche constructive de ces problèmes. Notre confiance vous est acquise. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Michel Liebgott - L'intitulé même de ce débat fait redouter une dérive, elle-même rendue possible par la prégnance du discours libéral. Serions-nous devenus moins compétitifs ? D'aucuns se plaisent à diaboliser les 35 heures. Vont-ils demander aux Français de travailler plus pour gagner moins ? Ou de travailler autant qu'aujourd'hui pour un salaire de misère ? A l'évidence, ils font fausse route, et les indicateurs les plus récents confirment l'excellente deuxième place de la France en matière d'investissements étrangers. Dans ma proche région, pourtant exposée à la concurrence frontalière, Mercedes-Smart, PSA et Thyssen Krupp sont dans une situation florissante et il en va de même pour Toyota à Valenciennes. L'histoire de la Lorraine sidérurgique au cours des trente dernières années démontre s'il en était besoin que le chômage procède de causes multiples et ne peut être imputé aux seules délocalisations ou à la réglementation sur la durée du travail.

Toutefois, les délocalisations constituent un véritable sujet de préoccupation et nous proposons plusieurs mesures pour les combattre. D'abord, il faut être au top en matière de qualité de nos produits et renforcer à cet effet notre effort de recherche, aujourd'hui notoirement insuffisant.

Il faut ensuite donner aux collectivités territoriales les moyens d'agir efficacement, comme nous avons su le faire en aidant Thyssen Krupp à reprendre les locaux du tristement célèbre Daewoo. Tous les groupes parlementaires s'accordent sur la nécessité d'inscrire dans la loi le principe de sanctions pour les entreprises qui cessent leur activité moins de cinq ans après avoir perçu des aides à l'installation, dans les seules zones rurales. Il faut aller plus loin, afin de mettre un terme au flottement des capitaux spéculatifs avides de rentabilité immédiate, au détriment des hommes et des femmes qui font la richesse des entreprises.

Pour que nos entreprises conservent leur pouvoir d'attraction, il convient aussi de renforcer la formation - initiale et continue - des personnels, de manière à faciliter leur éventuelle reconversion. A cet égard, le sort fait à l'Education nationale par ce Gouvernement n'est pas de nature à nous rassurer alors que nous battons des records de chômage chez les moins de 25 ans.

Enfin, est indispensable que l'Etat porte une véritable politique industrielle. Las, le Gouvernement laisse faire et ne décline à travers ce débat qu'une nouvelle composante à vocation sociale de son plan de communication. Mais qu'a-t-il fait pour les hauts fourneaux de Lorraine dont je dénonce la fermeture anticipée voulue par les actionnaires ? M. le ministre d'Etat dénonce les discours fatalistes, mais l'action de la France est bien moins volontariste que celle du Luxembourg - pourtant plus connu pour ses banques que pour son socialisme ! En témoigne l'accord « Esch-Belval », visant à assurer la reconversion d'une région hier encore intégralement vouée aux mines et à la sidérurgie.

Encore classée en Objectif 2 sur le plan économique, notre région redoute d'autant plus les effets de la sortie du dispositif que les orientations libérales du gouvernement actuel tendent à creuser l'écart entre les régions les plus favorisées et celles qui n'ont pas achevé leur reconversion. Les Français sont heureux de trouver du travail au Luxembourg mais ils seraient plus satisfaits encore d'en trouver chez eux.

Alors, mobilisons-nous et faisons pression sur le Gouvernement pour qu'il définisse une véritable politique industrielle. Il est paradoxal d'entendre le Président de la République inciter de Chine nos entreprises à investir en Asie. Puisse-t-il les exhorter à le faire aussi sur notre sol ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Yves Nicolin - Elu de Roanne et président du groupe textile-cuir-chaussure de notre Assemblée, je me préoccupe depuis longtemps du phénomène des délocalisations. La première prise de conscience gouvernementale à ce sujet date du plan Borotra de 1996, hélas annulé par le gouvernement Jospin. Et il aura fallu attendre, Monsieur le ministre d'Etat, votre installation à Bercy pour que le sujet de la désindustrialisation de l'économie française soit remis sur le devant de la scène, avec la proposition de créer des pôles de compétitivité. Pour ma part, je m'en félicite, car s'il existe de bonnes délocalisations - notamment celles visant à attaquer les marchés émergents-, force est d'admettre que beaucoup d'autres fragilisent la situation de l'emploi dans notre pays.

Reconnaissons cependant que les délocalisations ne touchent pas que la France et que si nous voulons prévenir une désindustrialisation massive de l'ensemble de l'Europe, c'est à l'échelle du continent entier qu'il faut agir de manière cohérente et pragmatique. Il convient d'abord de faire respecter le marché communautaire, en appliquant strictement les règles de réciprocité douanière. Nous devons aussi aider les Dix nouveaux entrants à se mettre au diapason dans le champ économique et social. Le salaire horaire moyen des Dix s'établit à deux euros seulement, contre 16 pour l'ensemble des pays de l'UE ; quant à la durée du travail, n'oublions pas que le salarié hongrois travaille chaque année 451 heures de plus que le salarié français !

Enfin, les fonds européens doivent être réorientés en priorité vers les territoires en déprise industrielle. Il n'est pas envisageable de limiter le mouvement des délocalisations à l'intérieur de l'UE si l'on ne procède pas au préalable à une certaine harmonisation salariale, surtout dans la perspective d'intégration à terme d'Etats tels que la Turquie.

Monsieur le ministre d'Etat, la réponse que vous apportez correspond à une vision offensive de la lutte contre les délocalisations. Elle vise à donner un avantage aux secteurs qui ont besoin de retrouver ou de développer leur compétitivité. La région du Roannais que j'ai l'honneur de représenter, au sein de laquelle une filière entière est en proie au doute sur son avenir, envisage avec confiance le dispositif que vous vous proposez d'instituer. C'est toute une profession qui s'en trouve remotivée.

La lutte contre les délocalisations passe aussi par la mise en œuvre de plans de formation et de réorientation professionnelle, pour permettre à eux qui doivent quitter le secteur dans lequel ils travaillent depuis toujours de se reconvertir. Comment donner une nouvelle chance à une piqueuse en bonneterie ayant commencé son activité professionnelle à seize ans et menacée de se retrouver au chômage à la cinquantaine ?

Je termine par un plaidoyer en faveur de la différenciation des charges fiscales et sociales en faveur pour les entreprises de main-d'œuvre. Il n'est pas normal de traiter de la même façon les entreprises où le coût de la main-d'œuvre représente 70 à 80% des charges, et celles où ce poste ne dépasse pas 10 à 20% ! Il faut favoriser les entreprises à forte intensité de main d'oeuvre, même si cela contraint Bruxelles à revoir sa position en matière d'aides sectorielles.

Monsieur le ministre d'Etat, vous apportez une réponse au phénomène nocif des délocalisations. Puisse l'Union européenne prendre conscience à son tour de l'ampleur du problème pour le traiter de manière efficace. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Cécile Gallez - Depuis six mois, en ma qualité de première vice-présidente de la communauté d'agglomération de Valenciennes Métropole en charge du développement économique, je m'acharne à éviter des fermetures d'entreprises et des délocalisations. Dans notre secteur, qui a subi 20 000 suppressions d'emplois en 25 ans, le taux de chômage reste en effet de 14,5%, en dépit d'implantations importantes dans la période récente. C'est beaucoup trop, et il est hors de question d'accepter de nouvelles fermetures d'entreprises. Nous y consacrons toute notre énergie, en essayant de trouver des solutions sans faire appel à des aides directes de l'Etat.

Les entreprises « monoproduit » - telles celles qui fournissent des pièces au secteur ferroviaire -, sont d'autant plus pénalisées dans leurs investissements que les grosses entreprises exigent d'elles une baisse des prix de l'ordre de 30%. A l'heure où l'on veut développer le fret, pourquoi les commandes ne suivent-elles pas ?

Deuxième exemple, celui d'un fabricant d'aéro-réfrigérants qui produit actuellement à 100 000 heures par an et qui, pour survivre, doit passer à 150 000 heures. Il a regroupé ses activités et envisage de recruter 25 personnes en trois ans. Il apporte des fonds propres grâce à un tour de table initial où FINORPA et la Région lui avancent une aide remboursable ; l'agglomération octroie alors une exonération de TP sur process et les Banques suivent. Or, après réunion du CA du FINORPA, celui-ci décide de ne pas donner suite, la Région abandonne à son tour et le plan tombe à l'eau. Ne pourrait-on pas, quand un site ferme, transférer les quatre mois de SMIC au capital d'une société de conversion, ce qui donnerait confiance aux Banques ?

M. le Président de la commission des finances - Bonne idée !

Mme Cécile Gallez - Lorsque des bâtiments se vident en raison d'une délocalisation, ne pourrait-on également avoir une Société d'investissement régional, ce qui éviterait les problèmes de reprise des sites et permettrait de reprendre 30 à 50 % des effectifs tout de suite ? Il conviendrait alors de mettre en place un contrat global intégrant le volet immobilier, la formation du personnel, la reconstruction.

La PAT n'est pas facilement donnée aux petits équipementiers créant 30 à 40 emplois, et les collectivités locales doivent les aider par des baisses conséquentes des prix des terrains et des avances sur exonérations de TP.

II faudrait également accorder des crédits d'impôts et des exonérations de TP, tout particulièrement s'il s'agit de créations ou de reprises d'activité par un jeune, car les banques sont très frileuses. Je suis obligée de me déplacer spécialement aux Impôts pour obtenir cet avantage, sinon il faut attendre l'avis du CORRI qui ne se réunit que deux fois par an.

Suivant le nombre d'employés d'une entreprise, il est possible de se référer au CODEFI, au CORRI, à différents organismes regroupant le représentant du Gouvernement, de la Banque de France, de l'URSSAF, de la DDTE. Il devrait être possible de pouvoir leur transmettre une demande écrite et, comme pour les permis de construire, l'absence de réponse dans les deux mois aurait valeur d'accord.

Il convient enfin de poser le problème des exigences environnementales. Soit une aciérie qui emploie 450 personnes avec, à côté d'elle une tuberie de 950 employés et un laminoir de 450 personnes. Ces entreprises ont reçu une note de taxation supplémentaire pour rejet de CO2. De plus le prix de la ferraille a triplé, l'énergie électrique a augmenté de 30% et elles doivent investir pour résister à la concurrence étrangère. L'une a triplé son installation de captage, l'autre veut faire passer la coulée continue de 600 000 à 750 000 tonnes. Une augmentation de taxe pour rejet de CO2 plomberait tout investissement et les obligerait à disparaître. Dans ce cas, j'estime qu'il faudrait assouplir certaines règles pour ne pas mettre en question la survie de l'entreprise.

Enfin, nous devons bien entendu continuer la réforme de la simplification administrative, faciliter la transmission d'entreprises et diminuer les charges sociales (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Heinrich - Je suis persuadé que nous devons faire prévaloir nos spécificités et nos compétences. La puissance publique, qu'elle soit européenne, nationale ou régionale, doit tenir sa place. Une lutte efficace contre les effets néfastes des délocalisations nécessite la mise en œuvre de politiques structurelles cohérentes. Il s'agit aussi d'améliorer notre compétitivité par l'innovation et de développer le niveau des qualifications.

Il est urgent de mieux organiser la recherche publique, de lui donner des moyens supplémentaires et d'accompagner les secteurs R&D des entreprises. Les politiques structurelles visant au développement à grande échelle des technologies avancées doivent devenir une priorité nationale et européenne, même si, à court terme, les coûts en seront considérables. La recherche privée, elle, doit être soutenue par des allègements fiscaux. Ainsi, la relance de grands programmes technologiques combinés au développement des pôles de compétitivité permettrait à la France de créer des emplois durables et qualifiés. Il faudra veiller particulièrement à renforcer la coordination des aides publiques et privées.

Les pôles de compétitivité illustrent cette volonté de dynamiser le tissu industriel. Ils réuniront sur un même emplacement géographique des entreprises, des centres de recherche, d'enseignement et de formation d'un même secteur et concerneront le domaine des hautes technologies. Ils devraient enfin permettre le développement et la coopération dans les activités de pointe à forte valeur ajoutée, mais aussi dans les secteurs traditionnels comme le textile ou le bois.

J'ai participé à la création d'une école d'ingénieurs et j'ai été frappé de constater que des PME ne percevaient pas la nécessité d'une telle structure. Or, une fois que ces outils étaient installés, elles ont su parfaitement en tirer profit.

Il importe également de développer le capital humain. En effet, ce sont les travailleurs les moins qualifiés qui ont été en première ligne lors des restructurations industrielles. Ils se trouvent dans une double impasse car la concurrence internationale porte essentiellement sur le travail non qualifié, et en France, la demande de travail concerne en priorité l'emploi qualifié. Le taux de chômage de ces travailleurs est aujourd'hui trois fois plus élevé que celui des personnes qualifiées. Les politiques d'allègement de charges sur les emplois non qualifiés se sont multipliées, mais elles doivent être accompagnées par des politiques structurelles visant à l'amélioration générale des niveaux de formation. Des politiques volontaristes doivent être menées pour la formation initiale, mais aussi pour la formation tout au long de la vie. Il faut ainsi mettre fin aux peurs provoquées par la mondialisation en promouvant la sécurisation des parcours professionnels.

L'Europe a un rôle central à jouer dans une politique commune visant à améliorer notre compétitivité et à construire un modèle de croissance durable.

Les délocalisations ne doivent pas être perçues comme une fatalité et elles ne sonnent pas le glas de la puissance industrielle française. Au contraire, elles doivent nous stimuler pour faire preuve d'audace et de créativité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Marcel Bonnot - Il ne se passe pas une semaine sans qu'une entreprise n'annonce son intention de délocaliser. Certaines exercent parfois un chantage dangereux en laissant à leurs salariés le choix entre une baisse de salaire et la délocalisation de l'outil de production, ce qui n'incite pas à la confiance en l'avenir et fragilise notre cohésion sociale.

La puissance publique ne doit pas baisser les bras et s'en remettre au seul marché : les délocalisations ne sont pas inéluctables. Le Gouvernement s'est ainsi attaché à créer des pôles de compétitivité qui correspondent aux attentes des acteurs de notre économie, en particulier en Franche-Comté, à Montbéliard, en Alsace du sud. Cet espace géographique souffre depuis longtemps : PSA, à Sochaux, comptait 75 000 emplois en 1978 et n'en compte plus que 15 000 aujourd'hui. Il y a deux ans, j'interpellais ici même le ministre pour appeler son attention sur la suppression de 3000 emplois sur ce site. On m'avait répondu qu'il s'agissait d'une rumeur. J'invite ce ministre, qui n'est plus en activité, à venir voir la tête de la rumeur. Ce même centre de PSA a créé une usine en Tchéquie.

Cet espace géographique compte 14% de chômeurs. Hier soir, lors d'un conseil de communauté d'agglomération à Montbéliard, un groupe d'ouvriers est venu clamer son désarroi face à la délocalisation qui les frappe.

La Franche-Comté a une tradition industrielle historique. Le pôle industriel du Nord Franche-Comté est constitué de PSA, de différents sous-traitants automobiles, de laboratoires de recherches et de développement, d'une université qui forme des spécialistes des hautes technologies. Plusieurs réseaux d'entreprises, de centres de recherche et d'universités se croisent dans ce secteur géographique, qui constitue le premier pôle français d'ingénierie automobile hors de la région parisienne. La recherche publique y est particulièrement active dans les domaines du multimédia embarqué et de l'ergonomie des postes de travail. Ce sont autant de raisons d'espérer un éventuel pôle de compétitivité.

Loin des idéologies et des théories anesthésiantes, c'est avec pragmatisme que nous voulons aborder avec vous le problème des délocalisations : vous le traiterez avec la même efficacité que celui de l'insécurité qui, hier, menaçait notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Luc-Marie Chatel - Les délocalisations sont devenues une des préoccupations majeures de nos concitoyens. Un sondage récent, paru dans L'Humanité mais émanant d'un institut sérieux (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) ... montre qu'un ouvrier sur trois a personnellement des craintes pour son emploi.

Deux écueils doivent être évités. Il faut d'abord se garder de minimiser le phénomène, même si nous commençons à entendre que les délocalisations ne concerneraient que 4% des investissements et qu'elles s'inscrivent dans le cours de l'histoire. Nous savons tous le lourd tribut payé par certains territoires aux délocalisations.

Mais il faut aussi éviter de hurler avec les loups. Nous entendons certains crier au désastre, comme si notre industrie était appelée à disparaître. Comment expliquer, dans ce cas, que nous enregistrions le même niveau d'industrialisation que les Etats-Unis et que de nombreux industriels étrangers continuent de s'implanter en France, où ils ont contribué à créer 30 000 emplois. Comment expliquer que le Japon reste le pays le plus industrialisé de l'OCDE, alors que c'est celui où la main d'œuvre est la plus chère ?

Il faut agir sans démagogie, avec lucidité et avec volonté, ce que le Gouvernement a commencé à faire. Nous devons d'abord conforter nos points de force, soutenir nos grandes réalisations industrielles comme Alstom, Airbus et demain Galileo ou ITER. Les contrats gagnés à l'international sont liés à ces grands programmes. Nous attendons beaucoup de la mission Beffa, sur ces nouveaux programmes qui nous aideront à exporter notre savoir-faire.

Nous devons aussi avoir l'esprit de conquête. Les pôles de compétitivité, le renforcement du lien entre l'emploi, la recherche et la formation rendront notre pays plus attractif. Il importe de se positionner sur les bons créneaux. Sur le prix de vente d'un téléviseur fabriqué en Chine, seuls 10% portent sur la partie chinoise. A nous de rechercher la valeur ajoutée hors de la production initiale. En outre, les emplois de service doivent devenir des relais de croissance.

Enfin, il faut compter sur l'aménagement du territoire. S'il disparaît chaque jour 10 000 emplois en France, il s'en crée autant, mais pas dans les mêmes zones géographiques. Il est donc important que l'Etat joue son rôle d'aménageur et anticipe les mutations, en partenariat avec les régions.

Nous faisons confiance au Gouvernement, qui a déjà pris des dispositions utiles dans le projet de loi de finances. Le groupe UMP restera à la pointe du combat contre les délocalisations.

M. le ministre d'Etat - Compte tenu de l'heure, je ne répondrai qu'aux orateurs encore présents, pour récompenser le mérite. (Sourires)

Monsieur le président Méhaignerie, vous avez souhaité un allègement des règles. Pourquoi ne pas constituer une commission de réflexion sur la réglementation économique ? Les Néerlandais l'ont fait. Les Danois vont le faire et ils en attendent un point de croissance. Nous en reparlerons quand paraîtra le rapport Camdessus, qui aura la même force qu'autrefois le rapport Rueff-Armand.

Monsieur Besson, je ne comprends pas que vous ayez polémiqué sur un sujet aussi important que les délocalisations. Je n'ai pas la vérité, vous ne l'avez pas davantage. Vous étiez naguère de ceux qui suivaient la mode de la « nouvelle économie ».

M. Eric Besson - Je vous défie de trouver un écrit de moi là-dessus.

M. le ministre d'Etat - Mais je sais qui vous inspirait. Vous étiez de ceux qui distinguaient deux secteurs : l'ancienne économie, dont on savait ce qu'elle fabriquait, qui faisait des bénéfices mais qui n'était pas intéressante, et la nouvelle, l'économie de l'intelligence, dont on ne savait ce qu'elle fabriquait mais qui levait des fonds... Elle en a levé, des fonds, creusant ainsi des fossés considérables ! Certaines personnes que je ne nommerai pas nous annonçaient qu'on achèterait bientôt sa voiture sur Internet, sans voir qu'au Salon de l'Auto les Français vont par milliers faire leur choix en famille.

Sous-estimer la gravité des délocalisations serait une erreur. J'ajoute que je n'ai jamais fait d'amalgame avec la question de l'immigration. Je sais d'où je viens. Ne voyez pas un petit Le Pen derrière chacun d'entre nous. C'est en outre faire de la publicité à Le Pen. Mais comme les socialistes et une partie de la droite avaient eu du mal à reconnaître que l'insécurité existait, les mêmes peinent à reconnaître le problème des délocalisations. Or que veulent les Français ? Ils ne nous demandent pas de réussir à tous les coups, mais de répondre à leurs problèmes. Nous n'avons pas une obligation de résultat, mais une obligation de moyens. Rien n'exaspère plus nos concitoyens que ces gens pour qui leurs problèmes sont de purs fantasmes. J'ai donc été heureux d'entendre des élus de terrain constater que les délocalisations existait. J'ai le regret de ne pouvoir vous compter parmi eux.

M. Eric Besson - Nul ne conteste l'existence des délocalisations. Nous attendions des réponses, non un diagnostic.

M. le ministre d'Etat - M. Vercamer n'est plus ici. Il ne m'en voudra donc pas de ne pas lui répondre. Mais que personne n'y voie un désaccord avec l'UDF.

Monsieur Bocquet, vous voulez une commission de contrôle des aides publiques. Pourquoi pas ? Mais je vous rappelle que, sur les 15 milliards visés, il y a 10 milliards de subventions aux 35 heures.

Je veux dire un mot sur Vivendi, encore qu'il s'agisse d'une société que certains connaissent mieux que moi. Le bénéfice mondial consolidé a été imaginé en 1965 par le général de Gaulle et son gouvernement. C'est une idée géniale, selon laquelle une entreprise qui s'endette pour investir à l'étranger peut déduire ses dettes et ses déficits des profits réalisés en France. Je n'observe pas que, depuis 1981, vous soyez revenus sur cette mesure. S'il s'agit d'une injustice, vous avez eu le temps d'y mettre fin.

Ce n'est pas le ministre qui décide, mais la commission d'agrément fiscal : le ministre ne fait que confirmer ou infirmer sa décision. Devais-je refuser parce qu'il y a eu M. Messier ? Nous ne serions plus, à ce compte-là, dans une économie de droit. Je tiens à votre disposition les éléments qui ont motivé la décision de la commission, laquelle comprend des personnalités aussi souples que le directeur général des impôts ou la directrice de la législation fiscale. C'est le procès de ces fonctionnaires que vous intentez. Ou bien me reprochez-vous d'avoir imposé des créations d'emplois ? Il est vrai que je n'étais pas obligé de le faire, mais fallait-il renoncer ? La transparence de ma décision est totale, et elle fait abstraction de la situation de tel ou tel chef d'entreprise. Je n'accable personne à terre, ils étaient si nombreux à le glorifier quand il était au sommet...

Quand je vois l'accueil que l'on réserve aux call center à Arles et à Belfort, je demande si j'ai eu tort de créer 300 emplois là où il n'y avait rien... Si vous pouvez faire mieux, Monsieur Bocquet, j'attends vos propositions... J'ajoute que je ne comprends pas pourquoi, quand Vivendi gagnait de l'argent, vous ne lui avez pas demandé ce que je lui demande maintenant qu'il subit des pertes.

S'agissant de la BCE, je ne vois pas pourquoi ses délibérations et ses votes sur les taux d'intérêt sont secrets. L'indépendance suppose la démocratie, qui elle-même repose sur la transparence.

M. Alain Bocquet - Je suis d'accord là-dessus.

M. le Ministre d'Etat - Monsieur Gonnot, vous avez fait une remarquable démonstration avec l'exemple de Colgate Palmolive. Vous verrez dans la loi de finances que nous renforçons notre dispositif de lutte contre les délocalisations fiscales artificielles. A la suite du rapport de Bruno Gibert, je ferai des propositions pour améliorer la réputation de notre régime fiscal. Car si nous sommes formidables contre ceux qui n'ont jamais fraudé, nous sommes incapables d'éviter ces délocalisations artificielles.

Je rends hommage, Monsieur Migaud, à votre état d'esprit : à partir d'un constat partagé, il est légitime que nous soyons en désaccord. Peut-être avez-vous raison... Et je ne suis pas opposé à ce que nous cherchions des passerelles. Vous pensez que nous ne faisons pas assez, c'est classique quand on est dans l'opposition... Mais votre lucidité vous amènera à vous reconnaître dans cet adage : quand je m'ausculte, je m'inquiète, quand je me compare, je me rassure...

M. Eric Besson - Je me désole et je me console !

M. le Ministre d'Etat- J'ai beaucoup apprécié votre intervention, Monsieur Novelli, car bien que libéral engagé, vous avez compris que l'on ne peut avoir une politique économique libérale que si elle est perçue comme juste. Si le libéralisme, pour un ministre des finances, consiste à rester assis et à laisser faire, ce n'est pas ma position. Je suis intervenu pour Alstom et quand je vois la moisson de contrats que le Président de la République rapporte de Chine, je me dis que je n'ai pas eu tort... Je suis aussi intervenu pour Aventis et Sanofi, mais cela ne remet nullement en cause les convictions libérales que nous partageons.

Vous avez raison, il faut des mesures offensives. L'argent que les gouvernements précédents ont consacré à faire partir à la retraite des gens qui, à 52 ans, avaient tant à faire, et à financer des plans sociaux, aurait été mieux employé à financer l'innovation, la recherche et la création d'entreprises. De même, je suis persuadé que réserver la politique sociale aux exclus - auxquels il faut bien sûr tendre la main - est une erreur : on peut avoir un logement, un emploi, une famille et être en souffrance sociale.

Vous avez plaidé, Monsieur Charié, pour qu'on mobilise toute notre énergie atour des bassins d'emploi et du commerce. Le rapport Camdessus comportera des propositions précises, innovantes et fortes. Vous avez mille fois raison : les services sont un gisement d'emplois. Les services, c'est le commerce, mais aussi les familles. Pourquoi ces dernières seraient-elles moins bien traitées que les entreprises - qui peuvent déduire la masse salariale de l'IS - et paieraient-elles l'IR sur les salaires et les charges des emplois à domicile ? Nous devons approfondir le débat sur la justice fiscale. C'est une question qui nous agite avec Pierre Méhaignerie depuis onze ans. Il y a trois millions de chômeurs dans notre pays et les gisements d'emploi sont aussi dans les familles, pour des gens sans qualification qui trouvent ainsi un travail stable et acquièrent des compétences. Sans doute faudra-t-il créer une véritable filière professionnelle, avec des conventions collectives et des perspectives salariales, comme d'ailleurs pour les agents de médiation et tous les nouveaux emplois dans les quartiers.

Merci, Monsieur Habib, pour votre analyse honnête. Ma démarche d'aujourd'hui trouve son origine au moment où M. Jospin a parlé de Vilvoorde : ce fut pour moi un signal, et c'est alors que j'ai décidé de refuser le fatalisme, tout simplement parce que les gens attendent autre chose de nous. Vous avez eu cette belle formule : « créer des emplois est une vertu, en détruire est une faute ». Mais chaque jour, 10 000 emplois sont créés et 10 000 sont détruits : toute destruction d'emploi n'est donc pas un mal absolu, même en Union soviétique on l'avait compris...

Monsieur Vanneste, la règle de minimis ne s'applique pas aux allègements de charges et aux subventions. C'est pourquoi nous avons fait les pôles de compétitivité.

A propos de ces pôles, je crois en l'avenir du textile.

M. Yves Nicolin - Nous aussi !

M. le Ministre d'Etat - Aujourd'hui, dans les usines, le personnel ne sert plus à produire, mais à surveiller les machines. L'aide de l'Etat doit donc être destinée à acquérir de nouvelles machines. On peut donc faire pour ce secteur ce qu'on a fait pour l'automobile. Nous avons des régions de tradition textile et nous ne devons pas baisser les bras. Car le jour où il n'y aura plus de textile, de métallurgie, de sidérurgie, d'automobile, de construction navale, que restera-t-il ? Des banques, des compagnies d'assurance et des parcs de loisir. On met des décennies à bâtir un savoir industriel, si en quelques mois on le laisse tomber, il ne faut pas croire qu'on le retrouvera... Dans nos industries, textile comme navale, comme on n'embauche plus, les jeunes n'apprennent plus des anciens et on perd la mémoire industrielle d'un pays.

Monsieur Gorce, il n'est pire sourd que celui qui ne veut entendre. Ne pouvez-vous admettre une petite part de responsabilité dans la situation de notre recherche ? Comment pouvez-vous prétendre qu'elle aurait commencé à se dégrader il y a deux ans et demi ?

J'ai bien noté, Monsieur Hamel, vos propositions sur les friches industrielles qu'il faut creuser dans le cadre des obligations de réindustrialisation. Je n'accepte pas qu'une grande entreprise soit restée 30 ans à un endroit et qu'elle décide un jour de s'en aller en laissant le préfet se débrouiller avec la dépollution et le gouvernement avec les problèmes sociaux... Le problème est que la notion de PME est plus politique qu'économique.

Monsieur Nudant, un Gouvernement aime sentir que des parlementaires partagent son analyse et le disent. Merci.

M. Nicolin a parlé de l'OMC. Je ne crois pas au protectionnisme, mais à la réciprocité, et il se trouve que nous sommes toujours les premiers à appliquer les règles de l'OMC ! Nous avons déjà eu le problème en 1993 quand nous avons appliqué le taux de TVA moyen aux fleurs coupées alors que la Hollande s'en abstenait. Je suis revenu au taux réduit, et depuis 11 ans, tous les pays ne se sont toujours pas mis au niveau ! Quand on a le GIAT, l'industrie de la défense, et le textile, c'est facile de dire dans Les Echos que les délocalisations sont un faux problème ! C'est différent pour celui qui est à Roanne !

Madame Gallez, merci pour les exemples que vous avez cités, car c'est exactement ce que souhaitent les gens qui s'y reconnaissent. Avoir cette vision du réel n'empêche pas de tenir un raisonnement, mais il permet de mieux le faire comprendre. Quand les gens ne comprennent pas, ce n'est pas parce qu'ils sont bêtes, c'est que nous n'avons pas su expliquer. Et je retiens de votre intervention que la seule réponse à la complexité du monde est la flexibilité. J'emprunte cette formule à la sagesse d'Allan Greenspan qui a tenu un discours remarquable samedi à New York. La flexibilité est une preuve d'humilité : ne connaissant pas tous les ressorts de l'économie, on doit pouvoir s'adapter le plus rapidement possible.

Monsieur Heinrich, je salue d'autant plus votre clairvoyance que vous savez de quoi vous parlez. C'est vrai, les industries traditionnelles ont aussi un avenir, et ce serait une erreur de n'investir que dans la haute technologie.

Monsieur Bonnot, en relayant auprès du Gouvernement les craintes de vos concitoyens, vous faites votre travail.

Monsieur Chatel, c'est vrai, il ne faut ni dramatiser, ni minimiser. Je suis fatigué que nous ne puissions débattre de l'immigration, de l'insécurité de l'Europe, à cause de la pensée unique qui domine dans notre pays. On peut parler de l'immigration sans être raciste, comme on peut parler des délocalisations sans faire honte à personne. Et c'est ce que nous avons fait ce matin, car nous avions tous la volonté de comprendre pour répondre aux peurs de notre société. Cette matinée fut une matinée utile (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) .

FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le Président - L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au vendredi 29 octobre inclus a été fixé ce matin en Conférence des Présidents.

Par ailleurs, le Gouvernement a communiqué, en application de l'article 48, alinéa 5, de la Constitution, le programme de travail pour les prochains mois. Ces documents seront annexés au compte rendu.

La Conférence des Présidents a également décidé que les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2005 auraient lieu mardi 2 novembre, après les questions au Gouvernement.

CALENDRIER DES TRAVAUX DE L'ASSEMBLÉE

M. le Président - La Conférence des présidents propose à l'Assemblée de suspendre ses travaux, en application de l'article 28, alinéa 2, de la Constitution :

- la dernière semaine de décembre 2004 et les deux premières semaines de janvier 2005 ;

- la dernière semaine de février 2005 ;

- les deux dernières semaines d'avril 2005.

Il en est ainsi décidé.

Prochaine séance cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 13 heures 55.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      François GEORGE

A N N E X E
ORDRE DU JOUR

L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au vendredi 29 octobre inclus a été ainsi fixé ce matin en Conférence des Présidents :

CET APRÈS-MIDI, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures 30 :

_ Projet autorisant l'approbation de la convention européenne du paysage ;

_ Projet autorisant l'approbation du protocole sur l'eau et la santé à la convention de 1992 sur la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontières et des lacs internationaux ;

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord maritime entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République socialiste du Vietnam ;

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Afrique du Sud concernant la navigation de commerce et autres matières maritimes connexes ;

_ Projet autorisant la ratification de la convention sur le transfèrement des personnes condamnées à une peine privative de liberté entre la République française et la Fédération de Russie ;

_ Projet autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Madagascar sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements ;

_ Projet autorisant l'adhésion au protocole de 1997 modifiant la convention internationale de 1973 pour la prévention de la pollution par les navires, telle que modifiée par le protocole de 1978 y relatif (ensemble une annexe et cinq appendices) ;

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l'Ouganda sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements ;

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Zambie sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements ;

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Mozambique sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (ensemble un protocole) ;

_ Projet autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Djibouti relative à la situation financière et fiscale des forces françaises présentes sur le territoire de la République de Djibouti ;

(Ces onze derniers textes faisant l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en application de l'article 107 du Règlement)

_ Suite de la deuxième lecture du projet relatif au développement des territoires ruraux.

MERCREDI 13 OCTOBRE, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures 30 :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

JEUDI 14 OCTOBRE, à 9 heures 30 :

_ Proposition de MM. LANDRAIN et GEVEAUX portant diverses dispositions relatives au sport professionnel.

(Séance d'initiative parlementaire).

à 15 heures :

_ Déclaration du Gouvernement sur la candidature de la Turquie à l'Union européenne et débat sur cette déclaration.

à 21 heures 30 :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

ÉVENTUELLEMENT, VENDREDI 15 OCTOBRE, à 9 heures 30 et à 15 heures :

_ Suite de la deuxième lecture du projet relatif au développement des territoires ruraux.

MARDI 19 OCTOBRE, à 9 heures 30 :

_ Questions orales sans débat.

à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures 30 :

_ Discussion générale et discussion des articles de la première partie du projet de loi de finances pour 2005.

MERCREDI 20 OCTOBRE, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures 30 :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

JEUDI 21 OCTOBRE, à 9 heures 30 , à 15 heures et à 21 heures 30 :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

VENDREDI 22 OCTOBRE , à 9 heures 30, à 15 heures et à 21 heures 30 :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

LUNDI 25 OCTOBRE , à 15 heures et à 21 heures 30 :

_ Suite de la discussion des articles de la première partie du projet de loi de finances pour 2005.

MARDI 26 OCTOBRE , à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures 30 :

_ Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l'ensemble de la première partie du projet de loi de finances pour 2005 ;

_ Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2005.

MERCREDI 27 OCTOBRE , à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures 30 :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

JEUDI 28 OCTOBRE , à 9 heures 30, à 15 heures et à 21 heures 30 :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

VENDREDI 29 OCTOBRE , à 9 heures 30, à 15 heures et à 21 heures 30 :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

        www.assemblee-nationale.fr


© Assemblée nationale