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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 10ème jour de séance, 23ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 21 OCTOBRE 2004

PRÉSIDENCE de Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER

vice-présidente

Sommaire

      LOI DE FINANCES POUR 2005
      -première partie- (suite) 2

      RAPPEL AU RÈGLEMENT 2

      MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 2

      ART. 2 17

La séance est ouverte à neuf heures trente.

LOI DE FINANCES POUR 2005 -première partie- (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2005.

RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Augustin Bonrepaux - Je voudrais faire un rappel au règlement pour que nous puissions travailler dans de bonnes conditions, car nous ne disposons d'aucun document du Gouvernement sur la réforme des collectivités locales, en particulier. J'ai bien l'impression que nous retrouvons le scénario qui avait prévalu lors de la présentation du projet de loi de finances ! Afin de ne pas retarder les débats lorsque nous en arriverons à ces articles, je réclame dès maintenant ces documents. En effet, je voudrais bien en savoir davantage sur la péréquation et sur les critères de différenciation entre les départements urbains et les départements ruraux. Pourquoi considérez-vous le département de Haute-Savoie comme urbain et celui de Savoie comme rural ?

Mme la Présidente - Vous aurez l'occasion de revenir sur le fond plus tard.

M. Augustin Bonrepaux - Mais je préfère ne pas retarder les débats à ce moment ! De la même manière, le rapport du rapporteur général est muet sur les modalités de calcul de la dotation de fonctionnement minimale des départements !

M. Guy Geoffroy - Mais ce n'est pas un rappel au Règlement !

M. Didier Migaud - Je voulais faire un rappel au Règlement suite à l'absence du rapporteur général de la commission, mais je le retire puisqu'il vient d'arriver.

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 7, du Règlement.

M. Dominique Strauss-Kahn - Pourquoi plaider pour le renvoi en commission ? Depuis plus de deux ans, le Gouvernement mène une politique économique erratique, camouflée derrière le vocable éculé de l'héritage. Certes c'est un argument classique que nous avons tous employé, en particulier M. Juppé en 1995 lorqu'il jugeait calamiteuses les finances publiques laissées par ses prédécesseurs. J'ai oublié le nom du ministre du budget qu'il clouait alors au pilori, mais peut-être me rafraîchirez-vous la mémoire...

Si le Président de la République a dissous l'Assemblée en 1997, c'était, prétendait-il, parce que le budget était impossible à faire sans une majorité renouvelée. C'est dire la lourdeur de notre héritage à cette époque ! Nous nous sommes bien sûr servis de cet argument pour expliquer nos mesures, mais au moins en prenions-nous , et six mois plus tard, la France se qualifiait pour l'euro ! J'annonçais alors que la période de l'héritage était révolue et que j'assumais la suite ! En revanche, le ministre de l'économie et vous, Monsieur le secrétaire d'Etat au budget, vous servez encore l'argument de l'héritage au bout de deux ans et demi.

M . Sarkozy reconnaîtra que six mois d'exercice de ses fonctions sont largement suffisants pour que la situation actuelle lui incombe. Il a voulu le temps, il l'a ; il a voulu la stabilité, le peuple et le Gouvernement le lui ont donnée ; il a voulu être libre : il gouverne sans entraves. L'Elysée ne le gêne pas, l'UDF le ménage et le Medef l'encourage. Bref, c'est son budget.

Grâce à son cheval de bataille, la sécurité, il fut la référence de la première partie du quinquennat, et ce malgré un succès mitigé. Il est le phare de la seconde et son credo sera libéral ; je ne suis pas certain de son succès.

Sans défis ni dessein, ce budget ne prépare pas l'avenir. La France a certes besoin d'habileté, mais elle a surtout besoin d'une détermination au service de la cohésion économique et sociale. Pour cela, il aurait fallu instaurer la confiance, mais à force de faire régner l'injustice, c'est la méfiance que vous avez récoltée.

Ordres, contre-ordres, reculades : ce gouvernement inconstant tente en vain de faire passer une politique libérale dans le pays.

Il a appliqué pendant deux ans et demi la politique du Président de la République, malgré la sanction, à quatre reprises, des urnes. Fallait-il poursuivre ? Après avoir hésité, le Gouvernement s'y est finalement résigné, en se contentant de changer la présentation. On s'est rué sur les annonces du nouveau ministre des finances, en voulant y voir une césure. Depuis, le discours s'est lesté de quelques références historiques rassurantes, d'Antoine Pinay, avec « la gestion de bon père de famille prudent et avisé », à Poincaré, en passant par Edgar Faure et l'image d'une « expansion dans la stabilité ». Cette césure est trop artificielle pour ne pas être virtuelle, et les choix pour 2005 ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Méfiez-vous de l'excès de popularité du ministre des finances : il fait naître trop d'espoir.

M. Michel Bouvard - Vous en savez quelque chose !

M. Dominique Strauss-Kahn - Et pour ne pas déchoir dans l'estime de ses concitoyens, grande est la tentation de manier « l'art de cacher aux hommes ce qui leur déplaît ». La formule est de Necker qui était passé maître en la matière.

Hélas, cette politique ne permet pas de rompre avec un passé difficile, et ce budget s'inscrit dans la continuité de ceux présentés pas Francis Mer, malgré deux nouveautés. L'année dernière, on n'avait pas de marges alors que cette année, on les sacrifie. L'année dernière, on disait grosso modo la vérité, aujourd'hui on la masque.

Ce budget est économiquement inopérant. Monsieur Sarkozy, où est votre légendaire volontarisme ? Aucune stratégie économique ne guide vos choix. L'embellie conjoncturelle vous aide, vous attendez beaucoup de la croissance mondiale, mais ce budget est celui de toutes les absences.

Absence, tout d'abord, du pouvoir d'achat, qui est le grand oublié de votre politique. A peine plus de 0,3 % en 2003, et une progression limitée à 1,5 % en 2004. Sans entrer dans la polémique qui vous oppose à Michel Edouard Leclerc, le pouvoir d'achat fait du surplace.

Comment pourrait-il en être autrement après l'augmentation sans précédent des prélèvements sociaux ? Plus de 6 milliards d'euros supplémentaires en 2005, dont 900 millions au titre de l'élargissement de l'assiette de la CSG sur les salaires, qui pèsera directement sur la consommations des ménages les plus modestes.

La prévision d'une progression du pouvoir d'achat de 2,2 % en 2005 ne pourra être tenue, comme ce sera le cas en 2004, l'inflation, proche de 2,2 % étant supérieure au 1,8 % initialement prévu. On mesure la fragilité des déclarations du ministre, pour qui l'inflation serait de 1,8 % en 2005, compte tenu de la baisse des prix dans la grande distribution !

Deuxième oubli : la politique de l'emploi.

Vous avez supprimé les emplois-jeunes et une grande partie des contrats aidés. Les gouvernements de droite croient toujours que la relance s'obtient par la baisse des impôts et des cotisations. Vous revenez sur ce choix, soit. Mais quelle est la stratégie ?

Pas davantage de politique européenne. Le Gouvernement appelle de ses vœux une coordination des politiques économiques, mais peut-on seulement espérer l'obtenir quand on prépare son budget sans concertation ? Quand y a-t- il eu concertation avec nos partenaires allemands, hollandais, espagnols ou italiens sur les choix fiscaux de ce budget ?

S'il y a un changement par rapport au budget précédent, c'est qu'il n'y a plus de stratégie. Je ne suis pas favorable à la baisse des impôts, mais du moins en est-ce une, aussitôt réduite à néant, toutefois, par l'augmentation des taxes. Quant au détricotage de l'œuvre de la gauche, ce peut être une obsession, mais ce n'est pas une politique, et encore moins une stratégie.

En vingt-quatre mois, vous êtes ainsi passés d'un libéralisme débonnaire à un libéralisme sans repère. Votre politique n'a plus de visibilité. Je crains que vous n'ayez pas pris la mesure du manque de confiance qui affecte l'opinion. Or, pas de confiance, pas de consommation ; sans consommation, pas d'emploi, donc pas de croissance : le cercle vicieux est engagé.

Votre budget sacrifie l'avenir. Vous vouliez lâcher du lest pour reprendre de l'altitude. Ce que vous avez « passé par-dessus bord », c'est l'avenir.

La première déception concerne la recherche et l'enseignement supérieur. La création annoncée de 1000 postes pour la recherche n'est que la reprise des promesses non tenues de 2004. Quant au milliard d'euros pour la recherche, il se réduit à des crédits supplémentaires de 386 millions dans les documents budgétaires.

Le prêt à taux bonifié promis aux étudiants pour l'achat d'un ordinateur ne suffit pas à masquer que les bourses augmentent moins que l'inflation ou que les frais d'inscription progressent de 4 %.

La deuxième déception concerne l'éducation, pourtant annoncée comme une priorité par le Président de la République. Elle n'est malheureusement prioritaire que pour les suppressions de postes !

M. Guy Geoffroy - Ce n'est pas vrai.

M. Dominique Strauss-Kahn - 5 000 suppressions de poste dans les collèges et les lycées, non-remplacement de 6 000 aides- éducateurs. Les 700 postes créés dans le primaire sont dérisoires au regard des 55 000 élèves supplémentaires que les écoles devront accueillir l'année prochaine.

Il y avait pourtant, contrairement aux budgets précédents, des marges de manœuvre ! Je reconnais qu'il y en avait peu auparavant, de surcroît affectées à la baisse des impôts.

Grâce à la conjoncture, l'Etat va encaisser, en 2004, 5 milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires, ce qui vous permettra de respecter votre engagement de limiter le déficit à 3,6%. Le ministre des Finances a annoncé la création d'une commission chargée de débattre du traitement de l'excédent des recettes de TIPP...

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat au budget et à la réforme budgétaire - De la TIPP et de la TVA...

M. Dominique Strauss-Kahn - ...sur les produits énergétiques. Pourquoi cette commission ne s'intéresserait-elle pas à l'ensemble des excédents de recettes ?

M. le Secrétaire d'Etat - Ils serviront à réduire la dette.

M. Dominique Strauss-Kahn - C'est un choix. Mais dès lors que vous entrez dans cette logique, que je ne veux pas croire démagogique, pourquoi se limiter aux seuls excédents de recettes de la TIPP et de la TVA sur les produits pétroliers ?

En 2005, vous disposerez de 20 milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires. Vous en consacrerez 10 milliards à réduire le déficit et je vous approuve. C'est du reste le seul accessit que je vous décernerai. Mais qu'allez-vous faire du reste ? Encore une fois, vous n'avez pas de stratégie.

Troisième déception, pas d'inflexion sociale - un terme que j'ai pourtant entendu dans la bouche du Président de la République. Votre politique sociale, c'est le poids des maux malgré le choc Borloo ! Elle se borne à réitérer l'objectif de 500 000 apprentis, déjà affiché par la loi Dutreil. dite d'initiative économique. Sur le logement, le Gouvernement a inventé un traitement rhétorique de la question sociale. Le rituel veut désormais que se succèdent les effets d'annonce avant que l'on retire les projets les uns après les autres. Mais qu'y a-t-il à l'arrivée ? Le plan Borloo, dont la principale caractéristique est de ne pas être financé. Malgré l'annonce de la mobilisation de 13 milliards d'euros, l'année qui vient - 1,1 milliard d'euros - n'est dotée que grâce au redéploiement des crédits de l'emploi. Or rappelons que vous avez gelé 650 millions de crédits du budget de l'emploi en 2004 !

Peut-être comptez-vous financer ce plan par la remise en cause des 35 heures et la réduction des allégements de cotisations. Si c'est le cas, il faut le dire.

Ce plan marque en tout cas le recul de la politique de l'emploi. Les exemples abondent. La charge du RMI et du RMA est transférée aux collectivités locales,avec un financement moins dynamique que la dépense. Les emplois jeunes disparaissent et ne seront pas remplacés par les contrats promis au titre du RMA. Augustin Bonrepaux m'expliquait l'autre jour que l'accueil dans un collège de sa circonscription, aujourd'hui assuré par des emplois-jeunes, serait purement et simplement supprimé à la prochaine rentrée.

M. Guy Geoffroy - Vous n'aviez rien prévu non plus !

M. Didier Migaud - Si, si.

M. Dominique Strauss-Kahn - Si les électeurs l'avaient souhaité, les emplois-jeunes auraient été pérennisés.

Le Gouvernement ampute 125 millions d'euros des crédits d'insertion des publics en difficulté, 53 millions de ceux dévolus au reclassement des travailleurs handicapés. Ligne par ligne, tous les éléments de la politique de l'emploi se retrouvent ainsi amputés, tout cela parce qu'il faut racler les fonds de tiroir.

Le plus grave, c'est l'amputation de l'enveloppe des allégements de cotisations patronales, qui alourdira le coût du travail non qualifié de près de 1,2 milliard d'euros, en particulier sur les salaires de ceux qui sont les plus vulnérables au risque de chômage. Nous revenons en arrière sur une politique qui a été menée par tous les gouvernements ces dernières années.

Le plan de M. Borloo a au moins le mérite de la clarté sur un point : il remet en cause toute l'œuvre de M. Fillon. L'exemple vaut particulièrement pour les contrats jeunes. 21,5 % des moins de 25 ans sont pourtant touchés par le chômage. Le ministre a d'ailleurs fini par reconnaître que les deux tiers des contrats jeunes signés en entreprise relevaient d'un effet d'aubaine.

Finalement, la seule mesure remarquable du budget de l'emploi pour 2005 est l'allégement des cotisations en faveur de l'hôtellerie-restauration, pour compenser la promesse non tenue - et qui ne pouvait l'être - sur la TVA. Son ampleur - 600 millions d'euros - équivaudra à elle seule à la hausse du budget de l'emploi pour 2005.

Cela ne saurait tenir lieu de politique de l'emploi. La réalité est donc simple, le Gouvernement ne croit pas à la politique de l'emploi, qui est depuis 2002 le parent pauvre du budget. C'est dommage : la politique de l'emploi, ça marche. Je lisais dans le rapport de M. Camdessus, qui a été encensé il y a quelques jours, que le nombre d'heures travaillées chaque année en France est insuffisant. Il a raison, aussi ai-je fait procéder à quelques calculs que je publierai. Le nombre total d'heures travaillées par an est de 37 milliards. Entre 1993 et 1997, il a baissé de 0,1 % par an. Depuis 2002, il baisse de 0,25 %. Et de 1997 à 2002 ? Eh bien, le nombre d'heures travaillées a progressé de 0,5 % par an. Or, la conjoncture est presque aussi favorable aujourd'hui qu'entre 1997 et 2002 : vous prévoyez 2,5 % de croissance pour 2005, chiffre qui était en moyenne de 3 % entre 1997 et 2002. Nous devrions donc voir augmenter le nombre d'heures travaillées dès l'année prochaine. Ce ne sera, hélas, pas le cas. Il ne suffit pas en effet d'avoir de la croissance, il faut la transformer en emplois, ce qui suppose une politique de soutien de la demande et une politique de l'emploi. Sous Lionel Jospin et Bill Clinton, il y avait de la croissance et de l'emploi. Aujourd'hui, sous Jean-Pierre Raffarin et George Bush, il y a de la croissance mais pas d'emploi.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances - Le lien est bien ténu !

M. Dominique Strauss-Kahn - J'entendais hier répéter qu'il n' y pas d'emploi sans croissance. Mais ce n'est pas parce qu'il y a de la croissance qu'il y a de l'emploi ! Encore faut-il que le Gouvernement oriente les excédents vers l'emploi, faute de quoi on aura, comme cette année, de la croissance, mais pas d'emploi.

Ce budget est donc inopérant. Il ne répond pas à notre principale préoccupation, l'emploi.

Il est aussi socialement inquiétant et c'est la solidarité qui en fait les frais, car vous procédez à une redistribution à l'envers. Votre politique de baisse des impôts est particulièrement injuste. Vous aviez déjà diminué de 10 % le barème de l'impôt sur le revenu, ce qui a bénéficié à 1 % des foyers fiscaux. Cette année, vous changez de méthode, en préférant les réductions ponctuelles aux mesures générales. Mais vos objectifs restent les mêmes.

Vous avez commencé avec la loi Dutreil qui tendait à réduire sans le dire l'assiette de l'ISF. Vous avez continué avec la mesure relative aux donations, qui n'aura que 55 000 bénéficiaires. Vous proposez maintenant de réduire les droits de succession, au motif qu'on doit pouvoir transmettre le résultat d'une vie de travail. C'est oublier qu'un quart seulement des successions donne actuellement lieu à la perception de droits : 90 % des transmissions entre époux et 80 % de celles qui se font en ligne directe échappent à cette imposition. Cette réforme qui coûtera 600 millions d'euros ne profitera qu'à une petite partie de la population.

On retrouve la même logique dans le relèvement du plafond de la réduction d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile. Nicolas Sarkozy a dit qu'il s'agissait d'une bonne mesure puisqu'elle avait été imaginée par les socialistes : c'est la première fois qu'il raisonne ainsi et je l'en remercie, mais il faut respecter l'esprit de cette mesure. Aujourd'hui, seuls 7 % des foyers atteignent le plafond, dont le relèvement ne profitera qu'à cette minorité.

Vos mesures fiscales ne visent donc que le haut de la hiérarchie des revenus.

Et que dire du débat qui s'est ouvert au sein de la majorité au sujet de l'ISF ? Sans emphase, je dirai qu'il me semble indécent. Vous avez le droit de considérer que l'ISF est un sujet important, voire que cet impôt est cause de délocalisations. Je ne le crois pas, un rapport de la direction des impôts ayant montré qu'il pesait fort peu sur ce type de décisions, mais vous êtes libres de penser le contraire. En revanche, que le débat parlementaire sur le budget se concentre sur ce sujet, ce n'est pas raisonnable ! Le plus libéral d'entre vous ne peut croire qu'il s'agisse de la question centrale. D'autres sujets préoccupent les Français.

Les bonnes nouvelles, en somme, ne concernent que ceux qui disposent des revenus les plus élevés. Quant aux bénéficiaires de la prime pour l'emploi, ils vont gagner 1,5 euro de plus par mois... Honnêtement, ce n'est pas raisonnable.

M. le Secrétaire d'Etat - Et le SMIC ?

M. Dominique Strauss-Kahn - Ce n'est pas vous qui le payez, ce sont les entreprises (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. le Secrétaire d'Etat - Non, c'est l'Etat qui paie !

M. Dominique Strauss-Kahn - Les prélèvements sociaux, Jean-Marie Le Guen l'a montré hier, vont augmenter en 2005, y compris la CSG et la CRDS acquittées par les non imposables. Je n'oublie pas « l'euro Raffarin » exigé à chaque consultation médicale.

La politique sociale de M. Borloo n'est pas financée, la politique fiscale ne bénéficie qu'aux plus favorisés et il ne reste que des miettes pour ceux - et c'est le plus grand nombre - qui ont besoin d'être aidés. Ce budget invertébré, qui aggrave les inégalités, est aussi condamnable parce qu'il repose sur des faux-semblants.

Ainsi, pour la première fois, vous allez satisfaire à nos obligations européennes en ramenant les déficits publics à 2,9 % du PIB. Chacun sait que c'est grâce à la soulte d'EDF, mais Nicolas Sarkozy s'est livré mardi à un exercice amusant, en expliquant que celle-ci n'avait pas d'effet sur le déficit de l'Etat. Vous nous prenez pour des enfants ! Si cette soulte ne concerne pas, en effet, le budget de l'Etat, elle a un effet massif sur le total des déficits publics qui, sans elle, représenterait 3,3 % du PIB.

On nous annonce aussi un déficit en réduction de 10 milliards, ce qui n'est vrai qu'en comparant les lois de finances initiales. Comme vous avez bénéficié de 5 milliards de recettes supplémentaires, l'effort réel n'est que de 5 milliards.

Je salue l'arrivée du ministre !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - J'étais à Luxembourg !

M. Dominique Strauss-Kahn - Je connais vos obligations. Monsieur Sarkozy, puisque vous avez affirmé plusieurs fois que cette réduction du déficit était sans précédent, je voudrais revenir sur le budget de 1999, le dernier qu'il m'ait été donné de présenter, comme celui de 2005 sera le dernier que vous nous aurez présenté. En 1999, par rapport à 1998, le déficit public a reculé de 0,9 point de PIB contre 0,3 cette année et le déficit de l'Etat de 0,4 point contre 0,2. Vous me direz que la conjoncture n'était pas la même, mais ces chiffres vous interdisent de prétendre que vos résultats sont sans précédent. Le gouvernement de Lionel Jospin, en 1999, a fait beaucoup mieux. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste)

Deuxième faux-semblant, vous dites maîtriser les dépenses, mais vous ne le faites qu'en façade, en remplaçant certaines dépenses par des crédits d'impôt. Je pense en particulier à la suppression du prêt à taux zéro. En transformant des subventions budgétaires en crédits d'impôt, vous affichez une stabilisation des dépenses qui n'est qu'un trompe-l'œil. Vous tirez ainsi des traites fiscales sur l'avenir : le montant total des allègements prévus pour 2005 s'élève à 2 milliards d'euros et il augmentera encore, compte tenu des engagements pris par le Président de la République sur la taxe professionnelle. L'effet sur les finances publiques ne se fera sentir qu'en 2007... Ce système a en outre des conséquences redistributives. Remplacer une subvention par un avantage fiscal, en effet, n'est pas neutre, il suffit pour s'en rendre compte de voir la réaction des associations familiales à la suppression du prêt à taux zéro.

Il y a un troisième faux-semblant : si vous vous faites fort de réduire le déficit de l'Etat, vous laissez filer les comptes sociaux et ceux des collectivités locales. En présentant la loi de finances initiale de 2004, vous aviez annoncé que, si vous parveniez à faire passer les réformes nécessaires, le déficit de la sécurité sociale ne représenterait que 0,5 point du PIB. Vous avez dû échouer dans vos réformes, puisqu'il s'établit à l'arrivée à 0,8 point. Le déficit du régime général devrait atteindre 11,5 milliards, si bien que la Cour des comptes, peu suspecte de sympathies socialisantes, a dénoncé « la plus forte dégradation financière de l'histoire de la sécurité sociale ». C'est pourquoi le montant des prélèvements obligatoires augmentera en 2005, ce qui ne garantit nullement la résorption des déficits sociaux, car le Gouvernement a échoué dans la maîtrise des dépenses de santé. L'administration n'y croit pas et vous-mêmes, messieurs les ministres, restez très discrets sur cette question.

L'Etat se défausse sur les collectivités locales, comme l'a montré l'exemple du RMA. Le président du Sénat, qui est par nature un homme calme, s'est d'ailleurs fâché tout rouge, au point de créer un Observatoire des collectivités locales. Que dire des contrats de plan ? Nous voyons tous, dans nos régions, qu'ils sont en panne, faute des financements de l'Etat.

L'indicateur qui résume tout, c'est la dette : 60 % du PIB en 2003, 65 % en 2005. Elle a augmenté de six points depuis 2002.

Ce budget n'est pas à la hauteur de la situation. Vous allez d'un sujet à l'autre avec pour seule méthode l'artifice et pour seul viatique le libéralisme. Vous protégez la rente contre la production, vous favorisez les riches au détriment des classes moyennes et vous ignorez les pauvres. C'est le budget d'une France en panne et d'un dessein en berne.

Mais il existe une autre voie. En deux ans et demi, le nombre des chômeurs a augmenté de 200 000 : c'est l'équivalent d'une ville comme Caen. Ce n'est pas le résultat d'une fatalité, contrairement à ce que disent ceux pour qui la croissance française n'est que l'écho d'une croissance lointaine et imprévisible, c'est le résultat de votre politique.

Il faut donc revoir le diagnostic.

Notre pays souffre de la faiblesse des revenus du travail. Notre pays souffre d'une stagnation du pouvoir d'achat des salaires qui, en 2003, ont baissé pour la première fois depuis les années Juppé. Notre pays souffre des destructions d'emplois : à peine plus de 12 000 emplois salariés marchands ont été crées entre septembre 2003 et juin 2004 et vous vous contentez de promettre 115 000 emplois nets en 2004 et 190 000 en 2005, tandis qu'à conjoncture équivalente le gouvernement de Lionel Jospin en créait en moyenne 360 000 par an.

M. le Ministre d'Etat - On se demande pourquoi les Français n'en ont plus voulu...

M. Dominique Strauss-Kahn - Notre pays souffre enfin de la faiblesse de sa croissance et il prend du retard sur ce point. Certains ici ont un tropisme américain. Eh bien, malgré les performances médiocres de George Bush, la France a depuis deux ans des performances plus mauvaises encore que l'Amérique, alors que la France de Lionel Jospin faisait jeu égal avec celle de Bill Clinton.

M. Hervé Mariton - Bush serait-il meilleur que Clinton ?

M. Dominique Strauss-Kahn - De juin 1997 à mars 2002, le PIB de la France a cru de 15% -3 % par an - quand celui des Etats-Unis augmentait de 15,3%. Vous aimez le football, Monsieur le ministre ? Cela faisait France 3 - Etats-Unis 3 et la France était championne du monde. Depuis, elle prend du retard...

M. le Ministre d'Etat - A cause de Jospin...

M. Hervé Mariton - Les Américains devraient voter Bush...

M. Dominique Strauss-Kahn - Depuis 2002, plus de 7 % aux Etats-Unis contre 2,5 % en France : Etats-Unis 3 - France 1, la France a été éliminée au premier tour de la coupe du monde à l'été 2002. Cela vaut aussi pour le Royaume-Uni : la France de Lionel Jospin allait plus vite que l'Angleterre de Tony Blair, celle de Jean-Pierre Raffarin regarde les autres prendre de l'avance... Et le constat est le même vis-à-vis de la zone euro. De juin 1997 à mars 2002, la France a dépassé, au total, la croissance de la zone euro de 3 points. Depuis, en dépit de la faiblesse de nos partenaires, notre croissance est la même que la leur. Je sais que vous espérez qu'en 2004 nous serons devant. Je le souhaite, mais je n'en suis pas sûr car l'embellie du début de l'année risque de n'être qu'un leurre.

Il est vrai que depuis l'été 2003, l'économie mondiale, tirée en particulier par la Chine, connaît une très forte accélération : selon le FMI, la croissance mondiale atteindra presque 5 % cette année, la meilleure depuis trente ans. Cela a eu bien sûr un effet positif sur la France, malgré la baisse du dollar. Mais, depuis, la croissance française ralentit : elle a été moins forte au deuxième trimestre qu'au premier et elle sera moins forte au troisième. Si un grand quotidien s'interrogeait, deux mois après votre entrée en fonction, sur un « effet Sarkozy », cet effet n'aura pas été durable.

M. le Ministre d'Etat - Peut-être, mais la question valait d'être posée...

M. Dominique Strauss-Kahn - Le rythme de croissance de la consommation des ménages aura été divisé par trois entre le premier trimestre et le troisième. La dynamique de la consommation s'est à nouveau grippée. En septembre, les grandes surfaces ont été désertées et les consommateurs sont restés chez eux ; le taux d'épargne des ménages s'est accru.

Là-dessus, vient le pétrole. Bien sur, c'est un aléa, mais la probabilité que son prix reste fixé à 36,5 dollars le baril en 2005 est quasi nulle. S'en tenir à cette hypothèse irréaliste, c'est prendre un risque considérable. Vous avez le droit d'être volontariste : je l'ai moi-même fait pour 1999, quand j'ai prévu une croissance forte, après un trou d'air et ce fut ce qui se passa. Mais puisque le ministre des finances prend ce risque pour le pays, il doit aussi le prendre pour lui et dire dès maintenant qu'il sera le seul responsable si, d'aventure, le pétrole étant cher et la croissance ralentie, le budget se soldait par un gigantesque déficit.

M. Hervé Mariton - C'est le chevalier de l'apocalypse...

M. Dominique Strauss-Kahn - Etre un homme politique, c'est aussi prendre ses responsabilités ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

La France hésite et régresse parce qu'elle n'a pas confiance. Pourtant, malgré les erreurs du gouvernement, elle reste puissamment attractive pour les investissements étrangers. La productivité des travailleurs est une des plus fortes au monde alors que les salaires y sont souvent modestes. Le niveau d'éducation, malgré un budget de l'Education sinistré, y est élevé. Les infrastructures y sont de qualité. Je ne suis pas un adepte de la thèse du déclin Français. Je veux être réaliste, pas pessimiste.

M. Michel Bouvard - Ça, c'est bien...

M. Dominique Strauss-Kahn - Je refuse le dénigrement jubilatoire : la France a des atouts, les Français des qualités, le pays un destin.

M. Hervé Mariton - Voilà une heure que vous dites le contraire !

M. Dominique Strauss-Kahn - Ce qui manque à la France, c'est une autre politique économique que celle qui est actuellement menée. En 1997, nous avions choisi de ponctionner la trésorerie des entreprises pour relancer la croissance. Je ne suis pas partisan d'une hausse de la fiscalité sur les entreprises, mais la politique fiscale doit être l'instrument de la politique économique. Aujourd'hui, la priorité est d'augmenter les revenus du travail pour soutenir la consommation.

Vous assistez aussi, les bras ballants, au retour de la machine inégalitaire. Pour la première fois depuis 1945, les écarts de revenus avant impôt se creusent. Notre société se segmente de plus en plus en trois groupes : celui des cadres et des salariés qualifiés, qui bénéficient d'une hausse continue de leurs revenus, celui des salariés peu qualifiés, dont les revenus stagnent autour du SMIC,...

M. Michel Bouvard - A cause du gel des rémunérations lié aux 35 heures !

M. Dominique Strauss-Kahn - ...et celui des exclus, qui ne sortiront plus de la précarité.

Notre société n'arrive plus à juguler les inégalités et c'est notre modèle, construit autour d'une hostilité aux inégalités et de l'Etat-providence qui est menacé. Car si les inégalités ne sont plus combattues efficacement, ce n'est pas seulement l'effet de la conjoncture ni même de votre politique de démantèlement social, c'est parce que le capitalisme a muté. Il fut industriel, matériel et national, il est financier, immatériel et mondialisé. Le nouveau capitalisme sécrète des inégalités beaucoup plus importantes. Les marchés ont pris le pas sur les technostructures, les actionnaires sur les cadres dirigeants et le risque économique retombe désormais sur les salariés sans contrepartie. La force de travail se négocie à nouveau comme n'importe quelle marchandise, comme dirait un philosophe que vous n'aimez pas, Monsieur le ministre.

Nous vivons une phase très active, très dure de la mondialisation, comme celle que nous avons connue au début du XXe siècle, quand Jaurès parlait, dans L'Armée nouvelle, de « la fougue révolutionnaire du profit, sa mobilité ardente et brutale ». L'Etat providence subit un triple choc : idéologique, avec un libéralisme qui nie la légitimité du système, démographique, avec les conséquences du vieillissement, économique, enfin.

La France n'est pas un marché. La République n'est pas une entreprise comme le croit M. Berlusconi. Une société c'est vivre ensemble, avec des règles, des moyens et un espoir. Les règles, le libéralisme les remet en cause. Les moyens, vous les raréfiez au profit de quelques uns. Quant à l'espoir, on ne peut pas dire qu'il hante nos banlieues...

Pour le faire renaître, il faut une autre politique, une politique de croissance, une politique pour l'emploi, une politique des finances publiques. Les trois sont intimement liées . Il faut, d'abord, faire de l'enseignement, de l'enseignement supérieur, de la recherche, une priorité nationale. Sauvons nos universités pendant qu'il est encore temps ; faisons en sorte que dans dix ans, quand il y aura une quinzaine de grandes universités européennes, trois ou quatre soient en France. C'est plutôt mal parti...

S'agissant de l'emploi, nous avons une réserve de croissance avec le sous-emploi massif dont souffrent nos concitoyens. Mais il convient d'abord de cesser de s'en prendre aux politiques qui ont réussi. Si la majorité d'aujourd'hui avait consacré à une politique positive de l'emploi le quart de l'énergie qu'elle a déployée à s'en prendre aux trente-cinq heures, peut-être aurait-elle obtenu quelques résultats... Il faut, ensuite, pérenniser le barème des cotisations sociales. Abaisser comme vous le faites à 1,6 SMIC le seuil des allégements bas salaires, c'est sans doute gagner de quoi boucler votre budget, mais c'est surtout envoyer un mauvais signal aux employeurs. Car ces allégements ne sont efficaces que s'ils sont perçus comme durables. Créés par Edouard Balladur, étendus par Alain Juppé, généralisés par Lionel Jospin, amplifiés par Jean-Pierre Raffarin, ils étaient l'exemple d'une politique préservée des aléas politiques. C'était sans compter avec l'infatigable activisme de M. Sarkozy...

Développer l'emploi suppose aussi de travailler sérieusement sur l'indemnisation, l'accompagnement, et la formation des demandeurs d'emploi. Côté indemnisation, la logique comptable l'emporte. Côté accompagnement, les intentions ne sont pas suivies d'effet. Côté formation, les promesses restent verbales.

Vous avez, Monsieur le ministre, lancé un appel aux bonnes idées. Même si la politique économique n'est pas un concours Lépine, je vous proposerai donc...

M. le Ministre d'Etat - En toute modestie...

M. Dominique Strauss-Kahn - ...de réorienter les recettes fiscales vers le soutien à l'activité économique, pour transformer la croissance en emploi notamment en doublant la prime pour l'emploi ; de sécuriser les parcours professionnels ; de lutter contre la précarité et favoriser le reclassement des salariés victimes de licenciements collectifs ; de donner une véritable deuxième chance ; d'instituer un vrai contrat d'insertion pour les chômeurs de longue durée, très différent du RMA ; d'encourager la création - vous allez hurler - de 100 000 emplois d'utilité sociale dans les régions ; de favoriser la recherche, l'innovation et l'éducation.

Vous me répondrez sans doute : « Et la réforme de l'Etat dans tout cela ? Les socialistes sont incapables de l'accomplir ! »

M. Guy Geoffroy - Bel aveu !

M. Dominique Strauss-Kahn - En effet, il faut réformer l'Etat, mais pour qu'il fonctionne mieux (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Vous m'applaudissez, mais pourtant vos ministres disent le contraire (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Oui, il faut réformer l'Etat, mais en faisant en sorte que les services publics soient davantage présents sur le terrain - et le Parti socialiste a fait campagne sur ce sujet à propos de la Poste, mais c'est un exemple parmi d'autres -, non pour avoir un Etat croupion.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances - Aujourd'hui, c'est plutôt l'Etat Léviathan...

M. Dominique Strauss-Kahn - Notre machine fiscale a une efficacité redistributive très faible. Les prélèvements sur les personnes physiques varient très peu en pourcentage des revenus, à cause d'un empilement de dispositifs qui entraînent régulièrement des dispositions compensatoires. L'impôt sur le revenu en est le meilleur exemple : il est apparemment redistributif - confiscatoire, disent certains - puisque le taux marginal supérieur apparent avoisine 50 %. En réalité, il ne s'applique qu'à une partie limitée du revenu, et le taux marginal supérieur effectif, si l'on calcule le revenu imposable selon les standards internationaux, se situe autour de 25 % : il est donc l'un des plus bas du monde occidental. La preuve en est, d'ailleurs, que le produit de l'impôt sur le revenu ne représente en France que 7 % du PIB, contre 11 % en moyenne dans les pays de l'OCDE.

Il faut donc revoir notre système fiscal. Ne nous dites pas : « Que ne l'avez-vous fait ! ». Ce qui compte, c'est ce qui doit être fait maintenant (Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP) et aujourd'hui, c'est vous qui êtes à la barre.

En matière de redistribution, l'objectif ne doit pas être seulement d'avoir un filet de sécurité pour les plus pauvres. La redistribution doit aussi bénéficier aux classes moyennes, aujourd'hui très inquiètes pour leur avenir, tiraillées qu'elles sont entre les promesses d'ascension sociale et les risques de relégation.

Je ne voudrais pas terminer sans aborder le problème des délocalisations. C'est un sujet grave. Les salariés sont exposés au chômage, et souvent à la déqualification lorsqu'ils retrouvent un travail. Mais il ne faut pas ajouter la confusion aux inquiétudes.

Or il y a tout d'abord une aspiration légitime : celle des pays en développement à prendre leur part dans la croissance mondiale. Il serait absurde de leur en dénier le droit.

M. Guy Geoffroy - C'est exact.

M. Dominique Strauss-Kahn - Première remarque : la plus grande part des délocalisations se font vers des pays de l'OCDE. Il faut donc aller vers une harmonisation de la fiscalité entre pays riches ; mais, pour avoir une influence en la matière, il faut exercer un leadership : c'est difficile quand on est devenu le mauvais élève de l'Europe.

M. le Ministre d'Etat - C'est faux !

M. Dominique Strauss-Kahn - Concernant les délocalisations vers les pays à bas salaires, il serait illusoire de vouloir agir par le biais de la fiscalité. Ce qu'il faut, c'est que notre territoire soit attrayant. J'ai demandé récemment à un Américain qui a investi dans le Sud de Paris pourquoi il s'installait en France ; il m'a répondu : parce que les services publics sont meilleurs et les gens mieux formés. Là est notre atout, et c'est pourquoi la priorité n'est pas de baisser l'impôt, mais de l'utiliser à financer des services au public (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) !

Reste la question des Etats nouvellement entrés dans l'Union. A propos des fonds structurels, vous dites schématiquement : puisque ces pays ont de l'argent pour baisser leurs impôts, pourquoi leur en donner ? En réalité, ce qui compte, c'est la stratégie. Voulons-nous, oui ou non, que ces pays se développent le plus rapidement possible ? Oui, d'abord parce que c'est une condition de l'affermissement de la démocratie, et aussi pour des raisons d'intérêt économique : nous avons gagné au développement de l'Espagne. Quelle catastrophe ne nous avait-on pas pourtant annoncée à l'époque !

M. le Président de la commission - Ce n'est pas faux.

M. Dominique Strauss-Kahn - Si nous voulons que ces pays se développent, il faut utiliser tous les moyens pour cela. En baissant leurs impôts pour attirer les investissements, ils font une partie du chemin : c'est autant de moins que nous aurons à leur donner.

Chez nous, les pouvoirs publics doivent intervenir pour favoriser de nouveaux investissements sur les sites touchés par des délocalisations et pour aider les salariés qui en sont victimes. Les mutations industrielles constituent pour eux un nouveau risque ; ce risque doit être mutualisé, réparti sur l'ensemble de la société, à travers une branche nouvelle de la protection collective, une sorte de sécurité sociale professionnelle.

Vous l'aurez compris, ce budget n'est pas celui dont notre nation a besoin. Au mieux, il est celui de l'habileté. Je n'y trouve ni diagnostic satisfaisant, ni politique cohérente. Vous avez bâti ce que Pierre Mendès-France appelait un « budget Potemkine », en référence à ces villages modèles qui n'étaient qu'une vitrine factice

Mais la politique que vous menez aujourd'hui, vous la regretterez demain. Après avoir raclé tous les fonds de tiroir, usé de tous les expédients, vous vous retrouverez sans marge de manœuvre face à des revendications que vous aurez vous-mêmes inspirées. Ce jour-là, certains se retourneront contre l'actuel ministre des finances. Ne dites pas non, chers collègues, vous l'avez déjà fait en 1995 : après avoir applaudi M. Sarkozy lorsqu'il était en charge du budget, vous avez soudainement approuvé M. Juppé annonçant que la politique financière de M. Balladur avait été plus que désinvolte.

M. le Ministre d'Etat - Je croyais qu'il ne fallait pas parler d'héritage !

M. Dominique Strauss-Kahn - C'est de l'histoire ! Ce budget est le même que celui de 1994 : même optimisme sur la prévision des recettes, même dissimulation des prévisions de dépenses, même satisfaction sur les principes affichés. Le résultat s'est traduit, pour 1994, par 6% de déficit public et par l'explosion de la dette . A ce petit jeu, vous n'êtes pas les premiers. C'est le prix de la complaisance et de la facilité.

Aussi ce texte, dont les seuls choix sont ceux qu'ils dissimulent, et qui ne fait pas face aux grands défis, qui fait sienne cette maxime de la IVe République « il n'est pas de problème qu'une absence de décision ne finisse par résoudre », est-il injuste, inefficace et irresponsable. Il faut donc le renvoyer en commission.

Je lis dans les gazettes qu'un remaniement ministériel pourrait bientôt se produire, que vous pourriez occuper d'autres fonctions à la tête du parti majoritaire. Nous disposons donc de trois semaines pour élaborer en commission un nouveau budget qui prenne en compte les difficultés du pays. Nous aurons ainsi, au bout de trois semaines un nouveau budget et un nouveau ministre, un projet et un auteur, une promesse et un ministre qui sera censé être là pour la tenir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Ministre d'Etat - Je vous prie, Monsieur Strauss-Kahn, d'excuser mon absence au début de votre discours, tout comme je n'ai pas pu hier soir répondre personnellement aux orateurs. Les conseils Ecofin et Eurogroupe m'ont obligé à rentrer extrêmement tard. Ce n'est de ma part ni mépris ni arrogance.

Je ne veux pas polémiquer mais, si je ne vous répondais pas, je sais que vous seriez déçu. Vous vous êtes donné beaucoup de mal pour préparer ce petit discours (Murmures sur les bancs du groupe socialiste), et les maigres applaudissements de vos amis ne vous suffiraient pas. Il faut que j'y ajoute mon petit compliment.

Nous sommes d'accord sur certains points. Non, il ne faut pas trop parler d'héritage. Les Français nous ont élus pour travailler pour l'avenir. Convenez simplement que, quand vous étiez ministre des Finances, vous avez, comme les autres, présenté un budget en grave déficit. Je ne le vous reproche pas, mais ne venez pas trop faire le vertueux aujourd'hui. Vous avez dû constater que la France dépensait environ 20% de plus qu'elle n'avait de recettes. Vous ne l'avez pas rappelé, et je ne le vous sers pas méchamment. Cela signifie seulement que depuis vingt-trois ans gauche et droite ont une responsabilité commune dans l'inflation des dépenses de la France.

Je m'étonne qu'un homme si compétent ait pu énoncer quelques erreurs techniques à mes yeux préoccupantes. « Nous sommes les mauvaises élèves de la classe européenne », avez-vous dit. Or je me trouvais hier avec M. Almunia, commissaire européen au Budget, ancien secrétaire général du Parti socialiste espagnol, prédécesseur de M. Zapatero. Il a dit : « Je reconnais volontiers que, malgré les doutes que l'on pouvait avoir, la France est au rendez-vous des promesses qu'elle avait faites sur le déficit ».

M. Jean-Louis Dumont - Au prix de quelles manipulations !

M. le Ministre d'Etat - Ce sont des faits ! Ne protestez pas dès que ça fait mal ! 3,6 % de déficit en 2004, moins de 3% en 2005. Ce sont les chiffres cités par M. Almunia. Ensuite, le vice-président grec...

M. Jean-Christophe Cambadélis - Un expert !

M. le Ministre d'Etat - ...de la Banque centrale européenne a déclaré que la France serait au rendez-vous. Pour l'Allemagne, que gouvernent vos amis, la Commission et la BCE ont indiqué que le rendez-vous ne serait pas tenu. Même chose pour l'Italie et les Pays-Bas. Pourquoi, Monsieur Strauss-Kahn, quand on est brillant comme vous, affaiblir son discours par des erreurs techniques ? (Protestations de M. Strauss-Kahn)

Vous dites ensuite, ce qui ne manque pas de sel : « En Europe, il faut discuter, passer des compromis ». Quand on voit l'état du Parti socialiste, dont une moitié veut dire non à l'Europe, entendre un grand responsable socialiste donner des conseils sur la façon de se faire comprendre en Europe prêterait à sourire si ce n'était pas dramatique ! Au moment où le Parti socialiste est profondément divisé, où M. Fabius prend la responsabilité invraisemblable d'isoler la France...

M. Didier Migaud - Mais non !

M. le Ministre d'Etat - Nous avons parlé hier à Bruxelles de la fiscalité pétrolière. La discussion a pris un tour difficile lorsque les socialistes allemands et espagnols m'ont reproché de faire ce dont M. Fabius avait pris la responsabilité, celle de casser l'Europe en parlant de la fiscalité pétrolière. Il ne faut pas y toucher, m'ont-il dit.

M. Jean-Marie Le Guen - Ce n'est pas ça du tout !

M. le Ministre d'Etat - Vous n'y étiez pas ! Cela au moment où les socialistes français viennent dire aux Français qu'ils baisseraient la fiscalité sur le pétrole ! Vos amis socialistes européens sont en totale opposition avec ce que vous proposez. Et M. Strauss-Kahn vient m'expliquer qu'en Europe il faut coordonner les politiques et passer des compromis ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

A aucun moment vous n'avez posé la question de la dépense publique, dont chacun sait qu'elle fait peser sur notre pays un poids considérable. Cela ne m'étonne pas de vous. Vous aviez, avec raison, supprimé la vignette, mais conservé en l'état le service chargé de la gérer, avec des centaines de fonctionnaires qui n'avaient plus d'utilité.

M. Jean-Marie Le Guen - Que faites-vous avec la redevance audiovisuelle ?

M. le Ministre d'Etat - Nous faisons le contraire ! Avec M . Bussereau, nous avons reçu l'ensemble des syndicats, et tous les fonctionnaires du service de la redevance seront affectés à d'autres tâches (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) . Voilà la véritable réforme de l'Etat !

S'agissant du pouvoir d'achat, vous avez commis une autre erreur technique en affirmant que les salariés modestes sont les plus maltraités. Or, depuis 2002, une personne au SMIC a perçu chaque année 1 300 euros supplémentaires. Comparons avec ce que vous avez fait : vous n'avez pas de leçons à donner !

De même, en 2000 vous avez réduit le déficit de 3,5 milliards, avec 27 milliards de recettes supplémentaires. Je propose, pour 2005, 10 milliards de déficit en moins pour 17 milliards de recettes en plus. 10, c'est plus que 3,5 !

Quant à la soulte, je me disais : «M. Strauss-Kahn va faire attention, il ne va pas parler d'EDF ». En effet, quand j'ai présenté la réforme, vous avez dit le contraire de ce que vous aviez écrit dans vos livres. Vous vous êtes renié de façon invraisemblable ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) M. Fabius n'a pas fait mieux. Quand vous étiez aux responsabilités, vous aviez dit courageusement à vos camarades qu'il était impossible de conserver à l'entreprise EDF la même structure avec l'ouverture à la concurrence. Et quand j'ai eu à faire la réforme, votre courage avait disparu, car il ne s'agissait plus de convaincre vos amis, mais les Français. A ce moment-là, les syndicalistes stupéfaits vous ont entendu dire le contraire de ce que vous aviez écrit. Alors, sur la soulte, soyez discret ! Au reste, quel est le drame ? EDF finançait les retraites de ses agents. Comme elle est devenue une société anonyme, c'est à la CNAV qu'est passée cette charge. Quoi de plus normal que d'affecter la soulte d'EDF au financement des retraites ? Où est le scandale ? La Commission elle-même a bien voulu considérer que la soulte venait en réduction des déficits.

Vos réflexions sur les délocalisations m'ont intéressé. Les propos que vous avez tenus en Pologne m'ont paru courageux et utiles, et M. Migaud a dit lui aussi là-dessus des choses justes. Je me sens plus proche de leurs analyses que de la vôtre , Monsieur Besson (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) . On peut avoir ses préférés. Vous avez, Monsieur Strauss-Kahn, reconnu que les délocalisations posaient une question difficile. En effet, qu'est-ce exactement qu'une concurrence loyale ? On pourrait en débattre.

Enfin, avec toute votre autorité, vous vous interrogez sur un possible « effet Sarkozy ». Poser la question, c'est pour moi l'amorce d'une réponse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président de la commission - La motion de renvoi en commission ne répond pas aux deux questions fondamentales posées par M. Strauss-Kahn : la France prend du retard ; vous ne transformez pas la croissance en emplois. Ces questions se posent à tous les partis. En effet, depuis vingt ans nous avons pris du retard en pouvoir d'achat, en emplois et pour ce qui est de la richesse de nos régions par rapport aux autres régions européennes. Tous les partis ont leurs responsabilités et chacun devrait y réfléchir, d'autant plus que la croissance française est cette année plus importante que la croissance moyenne des pays européens.

Vous nous reprochez aussi de n'avoir pas su transformer la croissance en emploi, mais c'est oublier un peu vite les 17 milliards consacrés à l'allégement des cotisations sociales, qui constituent à l'évidence l'un des soutiens les plus efficaces à la reprise de l'emploi.

Permettez-moi enfin de relever deux petites erreurs. S'agissant des personnes handicapées, vous contestez la progression des moyens dévolus à la politique d'intégration...

M. Dominique Strauss-Kahn - Vous m'avez mal écouté. J'ai parlé de l'insertion des travailleurs handicapés, pas de la politique globale du handicap.

M. le Président de la commission - ...alors que 250 millions supplémentaires ont été mobilisés. De même, vous n'êtes pas fondé à nous reprocher d'avoir consacré trop de temps à l'ISF en commission, puisque les débats à ce sujet n'ont pas excédé 10 % du temps de travail global...

M. Jean-Marie Le Guen - 20 % des amendements de l'UMP y sont pourtant consacrés !

M. le Président de la commission - Au reste, il faut démythifier ce débat. En 1989, mon prédécesseur Alain Richard n'estimait-il pas qu'il était vital - le mot est fort - de ramener le plafonnement global à 70 % ? Alors, de grâce, ne faisons pas de la petite controverse actuelle l'alpha et l'oméga du présent débat budgétaire !

A tous égards, le renvoi en commission ne me semble pas opportun. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Michel Bouvard - Il est habituel que les motions de procédure soient détournées de leur objet par les groupes de l'opposition et M. Strauss-Kahn n'a pas failli à la tradition. Quoi qu'il en soit, nous l'avons écouté avec d'autant plus d'intérêt qu'il n'était pas monté à cette tribune depuis longtemps. Notre collègue a relevé que le risque principal qui s'attache à la trop grande popularité d'un ministre des finances, c'est qu'on attend de lui des miracles. Sans doute parle-t-il d'expérience et tous ceux qui l'ont soutenu sous la législature précédente lui prêtaient-ils le pouvoir miraculeux de financer les 35 heures sans perte de pouvoir d'achat pour les bas salaires ou de maîtriser la dépense tout en cédant à l'inflation des créations d'emplois publics !

Attentif à la situation de ceux qui ont payé le plus lourd tribut aux 35 heures, ce projet de budget s'honore de revaloriser la PPE de 4 % et de prévoir une hausse de 5 % du SMIC pour un million de nos concitoyens.

M. Strauss-Kahn a dénoncé l'absence de défi ou de grand dessein dans ce budget. Pour nous, le défi, c'est la réduction du déficit et la sortie de la spirale de l'endettement. On ne peut supporter plus longtemps une situation où la charge de la dette est supérieure aux crédits dévolus à la politique de l'emploi...

M. Didier Migaud - Vous aggravez pourtant la situation !

M. Michel Bouvard - Et le dessein, c'est réussir la réforme de l'Etat sans renoncer aux priorités du Gouvernement. Un seul exemple, l'enseignement supérieur et la recherche. Vous nous reprochez de supprimer des emplois dans le second cycle, mais nous ne le faisons que pour redéployer la ressource vers l'enseignement supérieur et la recherche, où notre effort est inférieur à celui de nos voisins. Il faut oser les réformes qui s'imposent et savoir mobiliser les moyens sur les priorités. Au reste, je relève que vous n'avez pas dit un mot de la réforme de l'Etat dans votre intervention. Croyez-vous vraiment que notre pays puisse en faire l'économie ?

Il n'est que temps de passer à l'examen de ce PLF et le groupe UMP rejettera la motion de renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Claude Sandrier - Nous avons toutes les raisons d'adopter cette motion de renvoi, ne serait-ce que parce que ce budget n'est pas conforme aux objectifs affichés. La croissance, nous dit-on à l'envi, mais pour qui et pourquoi ? La vérité, c'est que comme aux Etats-Unis, la croissance profite moins à l'emploi qu'aux actionnaires. Quant au déficit, le Gouvernement et la majorité se livrent à une véritable mystification en ne disant rien des recettes supplémentaires qui viendront corriger la situation. Pis encore, ce budget ne répond pas aux attentes des Français. Ainsi, vous vous obstinez à enrichir les riches pour les inciter à créer des emplois, mais chacun sait que cela n'a jamais marché ! Quant au pouvoir d'achat, il est encore rogné par la hausse des prélèvements, cependant que votre désir prétendu d'introduire davantage de justice sociale est contredit par les nouvelles injustices fiscales que vous introduisez. Depuis deux ans et demi, ce n'est pas le pouvoir d'achat qui a augmenté, mais le chômage et la part des dividendes servies aux actionnaires dans la valeur ajoutée.

Le groupe des députés communistes et républicains votera cette motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste)

M. Didier Migaud - L'intervention de Dominique Strauss-Kahn n'était pas simplement « intéressante ». Je note qu'elle a fait mouche puisque - une fois de plus - le ministre d'Etat a préféré la polémique à la réponse aux questions de fond qui lui avaient été posées.

M. Jean-Pierre Brard - Comme d'habitude !

M. Didier Migaud - Plus le temps passe, plus le bilan du gouvernement de Lionel Jospin se trouve rehaussé, ne serait-ce qu'au regard de vos propres résultats.

M. Hervé Mariton - C'est la méthode Coué !

M. Didier Migaud - Mais non. Il suffit de comparer 1999 et 2004. Alors que la croissance se situait à peu près au même niveau qu'aujourd'hui, l'action de M. Strauss-Kahn a donné de bien meilleurs résultats que ceux dont se targue aujourd'hui M. Sarkozy. C'est la réalité économique, tous les indicateurs étaient mieux orientés qu'ils ne le sont aujourd'hui. Alors, Monsieur le ministre d'Etat, je vous retourne le compliment que vous avez adressé à M. Strauss-Kahn : comment quelqu'un d'aussi compétent et d'aussi brillant que vous peut-il asséner autant de contre-vérités ? Comment justifier que la croissance retrouvée soit si pauvre en emplois ? Comment expliquer que le déficit reste au niveau de 3,6 % du PIB alors que l'audit commandé à votre arrivée atteste que nous l'avions laissé à 2,6 % - et que, par parenthèse, vous l'avez porté à 4,1 % au cours de la présente législature ? Vous affichez un taux de déficit de 2,9 % pour 2005, conforme à la norme européenne, mais sans préciser qu'il ne sera obtenu que grâce à une recette exceptionnelle représentant 0,4 % du PIB. En affichage, nous tenons l'engagement des 3 %, mais en tendance, il faut plutôt tabler sur 3,3 %. Et j'y insiste : comment êtes-vous passés de 2,6 % à 4,1% ? Nous vous avons questionné sans relâche à ce sujet, sans jamais obtenir de réponse.

D'ailleurs, chacun mesure la fragilité de la croissance et les mauvais chiffres de la consommation du mois de septembre ne peuvent que conforter cette analyse. Malheureusement, vos résultats en matière d'emploi et de soutien du pouvoir d'achat ne sont pas du tout conformes à la présentation avantageuse que vous en faites, d'autant que l'inflation n'est pas du tout maîtrisée.

Dangereux, ce budget l'est aussi en ce qu'il tend à renforcer - et même à organiser - les inégalités. M. Méhaignerie ne veut pas parler de l'ISF. Soit. Mais alors, pourquoi présenter autant d'amendements à ce sujet ? Le président de notre commission aurait peut-être préféré que l'on légiférât en catimini sur cette délicate question, loin des feux du débat budgétaire. Mais le courage politique n'y aurait pas trouvé son compte et il n'a guère été suivi par ses propres troupes.

M. Marc Laffineur - Ce n'est plus une explication de vote ! Respectez votre temps de parole.

Mme la Présidente - En effet, il faut conclure.

M. Didier Migaud - Je conclus.

Vous parlez enfin beaucoup de la réforme de l'Etat, mais dans votre esprit, réformer l'Etat, c'est l'affaiblir en remettant en cause toutes les politiques publiques. Nous sommes, nous, favorables à la réforme de l'Etat, à condition qu'elle soit efficace ! J'ai beaucoup apprécié le travail de M. Lambert au niveau du Sénat, mais c'est nous qui avons pris l'initiative de doter l'Etat d'un outil performant.

M. Michel Bouvard - Il faut aussi réduire la dépense pour payer la dette !

M. Didier Migaud - Ce sont toutes ces questions que M. Strauss-Kahn a posées, mais vous n'y avez pas répondu, aussi voterons-nous le renvoi en commission.

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Jean-Pierre Brard - Rappel au Règlement sur le déroulement de nos débats, et je respecterai scrupuleusement l'alinéa 2 de l'article 58. Avant-hier soir, le ministre d'Etat m'a accusé de mettre en cause les fonctionnaires parce que j'avais cité à la tribune les propos d'une haute fonctionnaire, interviewée dans les Echos. C'est en fait le Gouvernement qui attaque les fonctionnaires, en réduisant leurs effectifs ! Ils sont, quoi qu'il en soit, tenus au devoir de réserve et ne doivent pas faire de la propagande. S'ils doivent soutenir leur ministre dans leur travail, ils ne doivent pas prendre parti publiquement.

Par ailleurs, Monsieur le ministre, je vous ai demandé de nous éclairer sur des propos qui vous ont été prêtés, et j'espère que vous allez tenir votre engagement de me répondre.

M. Augustin Bonrepaux - Rappel au Règlement. Le renvoi en commission n'a pas été voté, et nous ne disposons toujours pas des documents que j'ai demandés ce matin, aussi vais-je demander une suspension de séance pour réunir le groupe socialiste.

La séance, suspendue à 11heures20 est reprise à 11heures30.

M. Jean-Pierre Brard - Rappel au Règlement. Le ministre d'Etat m'a promis une réponse. Je ne l'ai pas. Je demande donc une suspension de séance : elle est de droit.

Mme la Présidente - Le Gouvernement n'est pas obligé de répondre aux questions, Monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard - Certes, mais je ne suis pas obligé de l'accepter.

Mme la Présidente - Je vous accorde cinq minutes.

La séance, suspendue à 11 heures 35, est reprise à 11 heures 40

Mme la Présidente - J'appelle maintenant dans le texte du Gouvernement les articles de la première partie.

L'article premier, mis aux voix, est adopté.

ART. 2

M. Didier Migaud - L'article 2 concerne le barème de l'impôt sur le revenu. Le rapport observe que le présent article marque une pause dans la politique de baisse des taux de l'impôt sur le revenu engagée depuis trois ans, illustrant par là même la navigation à vue du Gouvernement sur la politique fiscale.

Alors que la croissance était modérée les années précédentes, il a considéré que des marges de manœuvre existaient pour baisser l'impôt sur le revenu. Aujourd'hui que la croissance est meilleure, il estime qu'il n'a pas les marges de manœuvre qui lui permettraient de poursuivre la baisse. Nous ne nous en plaindrons pas, puisque nous y sommes opposés, mais nous notons la contradiction.

Est-ce vraiment une pause ? La baisse des impôts reste-t-elle, compte tenu des engagements pris par le Président de la République, un objectif ?

Selon un récent rapport du Conseil des impôts, la France est le pays où l'impôt sur le revenu acquitté est le moins élevé. Partagez-vous ce point de vue, Messieurs les ministres ? Quelle est votre doctrine en matière fiscale ? Si pause il y a, pourquoi poursuivez-vous la baisse de l'impôt sur le revenu, en la ciblant encore davantage sur quelques milliers de familles ? Seules 30 000 contribuables bénéficieront en effet cette année d'une véritable réduction de leur impôt sur le revenu. Pour eux, ce n'est pas une pause, mais une formidable opportunité qu'il faut bien appeler un cadeau fiscal !

M. Philippe Auberger - C'est faux ! Il n'a rien compris !

M. Didier Migaud - Nous aimerions entendre le ministre - que nous n'avons toujours pas entendu - sur le constat du conseil des impôts. Lorsque l'on s'intéresse à l'impôt réellement payé, et pas seulement aux taux qui sont affichés, la France est l'un des pays - voire le pays - où l'impôt sur le revenu acquitté est le moins élevé.

M. Augustin Bonrepaux - Le Gouvernement prétend réduire la pression fiscale, mais c'est une augmentation que nous constatons, et celle-ci se traduit par un accroissement des inégalités. La Tribune publie aujourd'hui une analyse comparée des pays de l'OCDE qui montre que contrairement aux autres pays, la France a vu augmenter ses impôts depuis 2002. Le rapport fait bien apparaître, d'ailleurs, une augmentation. Comme les baisses seront encore pour les mêmes - ISF, emplois à domicile - l'augmentation sera pour les autres !

Vous aggravez les inégalités par la baisse de l'impôt sur le revenu, celui qui est le plus juste, et l'augmentation des impôts indirects. L'impôt sur le revenu rapporté au PIB est aujourd'hui moins élevé en France qu'en Suisse ou au Danemark. C'est tout de même un paradoxe.

En revanche, tous les autres impôts augmentent et en particulier les impôts locaux. Certes, vous prétendez compenser les transferts à l'euro près, mais vous n'accordez aux collectivités locales que des compensations statiques alors que vous leur transférez des charges de personnel qui vont s'accroître de 3,5 % par an.

L'impôt sur le revenu diminue, mais la pression fiscale augmente. C'est donc qu'il y a bel et bien un transfert de la fiscalité sur les impôts indirects, qui sont les plus injustes, et sur les impôts locaux.

La politique fiscale que vous nous présentez est inacceptable dans la période de difficultés que nous traversons. Vous n'avez pas les moyens d'investir, mais vous faites, au nom de l'emploi, des cadeaux fiscaux qui resteront sans effet sur l'emploi.

M. Jean-Pierre Brard - L'article 2, comme il est de tradition, fixe le barème de l'impôt sur le revenu. Cette année, les taux d'imposition sont maintenus, au grand dam de la frange la plus libérale de la majorité. Mais ils ont baissé de 10 % en trois ans, ce qui montre la volonté du Gouvernement de contenter les privilégiés.

L'impôt sur le revenu en France avait la particularité d'être progressif. Il avait été conçu comme un levier pour réduire les inégalités.

Les députés de mon groupe préconisent d'augmenter l'imposition directe, qui est la plus transparente et la plus juste, et de réduire l'imposition indirecte, proportionnellement plus lourde pour les plus pauvres de nos concitoyens. C'est une question de justice fiscale et sociale.

En réduisant la part relative de l'impôt sur le revenu dans les ressources, vous creusez les inégalités, d'autant que la perte de recettes vous conduit à réduire des dépenses publiques utiles au plus grand nombre. En outre, ceux qui ne bénéficient pas de la réduction de l'impôt sur le revenu subissent la hausse des autres impôts.

L'article 2 témoigne de votre philosophie, qui consiste à faire le bonheur de quelques-uns au détriment de la majorité de nos concitoyens. J'entends déjà notre bon M. Mariton m'accuser d'opposer les uns aux autres, comme il l'a déjà fait.

M. Hervé Mariton - Je suis heureux de vous avoir convaincu.

M. Jean-Pierre Brard - Je vous ai écouté, mais vous ne m'avez pas convaincu. Vos positions sont contraires aux valeurs universalistes de la Révolution française. (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Je sais, monsieur Warsmann, que cette évocation vous donne un grand frisson...

M. Jean-Luc Warsmann - Je vous en prie !

M. Jean-Pierre Brard - Mais je vous comprends. Si nous revenions aux principes posés par nos grands ancêtres, vous ne pourriez présenter de telles mesures, qui leur sont totalement contraires.

Le bon M. Mariton m'accusera d'évoquer « des mesures de classe ». Comme j'ai une conception scientifique du vocabulaire, je pense qu'il faudrait s'entendre sur le sens du mot « classe » aujourd'hui, mais cette formule présente l'avantage de la clarté. Vous beurrez la tartine des privilégiés pour mettre les plus pauvres au régime sec. Notre bon M. Mariton réécrit la parabole du bon Samaritain : il veut prendre au pauvre pour couvrir celui qui est déjà vêtu de sa chaude pelisse... (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

Vous abandonnez la progressivité de l'impôt sur le revenu et c'est pourquoi nous ne pouvons vous suivre.

Le ministre d'Etat n'a toujours pas répondu à mes questions et je rappelle que la suspension de séance est de droit si je dispose d'une délégation du président de mon groupe.

Mme la Présidente - Nous en venons aux amendements.

M. Jean-Pierre Brard - Notre amendement 366 vise à relever le taux des deux plus hautes tranches de l'impôt sur le revenu. Pour les besoins de sa propagande, le Gouvernement met en avant le seul taux marginal. Or notre collègue Strauss-Kahn a montré qu'en réalité, si on compare notre situation avec celle des autres pays, l'impôt sur le revenu n'est pas si lourd qu'on le dit. Un rapport du Conseil des impôts établit que cette imposition ne constitue pas un repoussoir. Dans notre pays, les plus riches vont même de niche fiscale en niche fiscale. C'est un véritable sport national, pour les classes aisées voire pour la classe moyenne supérieure. Le Syndicat national unifié des impôts a calculé que les 10 % de contribuables les plus aisés bénéficient de 86 % des baisses d'impôt. L'optimisation fiscale se traduit par un véritable détournement des recettes. C'est pourquoi notre amendement vise à rétablir la justice fiscale et sociale. Son adoption apporterait entre 2 et 2,5 milliards de recettes supplémentaires, qui permettraient de financer des investissements publics d'infrastructures.

La baisse de l'impôt sur le revenu, c'est la solidarité à l'envers. Notre amendement de justice sociale ouvrirait la voie à une politique redistributive autrement plus ambitieuse que la vôtre.

M. le Rapporteur général - La commission a repoussé cet amendement. La baisse des taux a commencé en 2000, sous la précédente majorité. M. Brard devrait s'en souvenir.

M. Jean-Pierre Brard - J'avais voté contre !

M. le Rapporteur général - A l'origine, le taux marginal était supérieur à 50 %, ce qui donnait à l'impôt sur le revenu un caractère confiscatoire. Cette situation avait fait partir de nombreux talents, dans le monde du sport, de l'entreprise, de la recherche ou de la culture. Il y a eu consensus pour baisser les taux.

Cela me donne l'occasion de répondre à Didier Migaud, qui a délibérément oublié un aspect de la question. S'il est vrai qu'en France l'imposition sur le revenu est relativement faible, nous battons tous les records de concentration puisque la moitié seulement des ménages est imposable.

M. le Secrétaire d'Etat - Le Gouvernement partage l'avis du rapporteur général. Dans ce projet de budget, nous n'avons pas poursuivi la baisse de l'impôt sur le revenu ; nos objectifs ont été le désendettement et l'emploi. Nous avons souhaité que le barème soit indexé sur l'inflation, mais tout amendement visant à relever les taux irait à l'encontre de notre volonté.

M. Didier Migaud - Merci, Monsieur le ministre, de ce formidable réquisitoire contre la politique menée par le Gouvernement ces deux dernières années ! Vous venez en effet de reconnaître implicitement que les budgets précédents n'avaient pas pour objectifs le désendettement et l'emploi.

M. le Secrétaire d'Etat - N'importe quoi !

M. Didier Migaud - Vous faites donc votre autocritique.

Quant à vous, Monsieur Carrez, je comprends que vous ne puissiez assumer vos décisions et que vous éprouviez le besoin de vous référer à des ministres socialistes, mais comparaison n'est pas raison : la baisse d'impôt sur le revenu de 2000 concernait tous les Français et s'accompagnait de la suppression de niches fiscales profitant aux tranches supérieures, tandis que vos réductions privilégient une toute petite partie de la population.

Par ailleurs, dire que la moitié des Français ne paient pas d'impôt sur le revenu ne signifie pas qu'ils ne paient pas du tout d'impôt : le poids de la fiscalité directe est inférieur à celui de la fiscalité indirecte, que vous augmentez sans cesse. Tous les Français paient la CSG...

M. le Secrétaire d'Etat - Qui l'a inventée ?

M. Didier Migaud - C'est un impôt juste et nous sommes prêts à remettre à plat toute la fiscalité pour aller vers plus de justice.

M. Hervé Mariton - Et la suppression de la vignette, c'était une mesure de justice ?

M. Didier Migaud - Vous, vous accentuez les inégalités.

M. Jean-Pierre Brard - Le rapporteur est un homme compétent, avec des idées de droite,...

M. Hervé Mariton - Ce n'est pas incompatible...

M. Jean-Pierre Brard - ...mais il a des trous de mémoire : je n'ai jamais voté le barème auquel il a fait référence.

Par ailleurs, je conseille à tous ceux qui parlent de caractère « confiscatoire » de se faire offrir un Petit Robert à Noël... Quand vous étiez petits et que vos parents vous offraient une voiture de pompiers, ils pouvaient vous la confisquer parce que vous leur cassiez les pieds. Mais ils ne prenaient pas seulement l'échelle, ils prenaient tout.

M. Michel Piron - Quel argumentaire...

M. Jean-Pierre Brard - Confisquer, c'est tout prendre ! Prétendre que l'impôt est confiscatoire n'est rien d'autre que de la propagande destinée à masquer la faiblesse de vos arguments.

Hélas, il y a toujours eu dans notre pays des gens prêts à trahir l'intérêt national et à se réfugier, hier à Coblence, aujourd'hui à Bruxelles, à Zurich ou à Londres. Or, au lieu de les stigmatiser parce qu'ils se soustraient à leur devoir de solidarité avec les plus pauvres, vous leur donnez l'absolution. Votre front devrait être envahi par la rougeur qui accompagne les mauvaises actions...

Vous justifiez la baisse de progressivité de l'impôt sur le revenu par le fait que la moitié des Français ne l'acquittent pas. Mais c'est parce qu'il y a trop de pauvres !

Aujourd'hui, en ayant des revenus très corrects, il est possible d'échapper à l'impôt. Pour illustrer cette anomalie, je prends un exemple que je connais bien : le mien (M. Brard montre son avis d'imposition à ses collègues et aux membres du Gouvernement). Mon épouse et moi-même déclarons en salaires et assimilés 61 275 euros. Déduction faite des 10 et des 20 %, notre revenu imposable est de 44 907 € pour 2,5 parts, ce qui entraîne une cotisation théorique de 5 791 €. Mais les réductions d'impôt - 133 € de dons aux personnes en difficulté, 3 218 € pour l'emploi d'un salarié à domicile...

M. Edouard Landrain - Tiens, tiens, tiens !

M. Jean-Pierre Brard - ...76 € de cotisations syndicales, 2 364 € de dons aux œuvres - ramènent l'impôt à zéro. Est-il juste de ne pas payer d'impôt dans mon cas ? On voit les effets pervers des réductions d'impôt pour emploi à domicile dont vous voulez relever le plafond, ce qui permettra encore plus d'évasion fiscale pour les gros contribuables. Pour ma part, je n'envisage d'engager ni un jardinier, ni un valet de chambre qui, avec votre système, seraient payés pour partie par les plus modestes, qui sont assujettis à la TVA...

M. Eric Besson - Je veux moi aussi revenir sur l'usage que MM. Carrez et Méhaignerie font de l'adjectif confiscatoire et les amener, comme les ministres, à préciser le rôle qu'ils attribuent à l'impôt. En effet, l'idée vieille de deux siècles que celui-ci devait financer les charges communes et contribuer à la réduction des inégalités par la redistribution, on passe à la conception d'un capitalisme financier qui crée mécaniquement plus de richesses et accroît les inégalités. Nous devons savoir quelles réponses le Gouvernement entend apporter à ce phénomène, à partir de quand, pour lui, un impôt devient confiscatoire et, tout simplement, s'il croit encore à l'impôt républicain.

L'amendement 366, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Brard - Rappel au Règlement ! Aux termes de l'article 58, les demandes de suspension sont soumises à l'Assemblée sauf, notamment, quand elles sont formulées par le président d'un groupe ou son délégué. Je demande donc une suspension de séance.

Mme la Présidente - Même dans ces conditions, la suspension n'est de droit que si elle est destinée à réunir le groupe.

M. Jean-Pierre Brard - Vous avez tout à fait raison. Le ministre n'ayant pas répondu à mes questions, il faut réunir notre groupe pour évaluer la situation (Sourires)

M. le Secrétaire d'Etat - A deux, ça va aller vite.

Mme la Présidente - Je vous accorde trois minutes de suspension.

La séance, suspendue à 12 heures 12, est reprise à12 heures 15.

M. le Rapporteur général - Au vu de l'heure après ces interruptions successives, la commission des finances souhaiterait que la séance soit levée maintenant, afin de pouvoir se réunir car elle a beaucoup d'amendements à examiner.

Mme la Présidente - Il serait peut-être plus simple d'en terminer avec les amendements à l'article 2, en examinant l'amendement 149.

M. Denis Merville - Cosigné par de nombreux collègues, cet amendement vise à mieux soutenir les familles qui ont des enfants étudiants hors de leur domicile.

Les familles ont le choix entre le rattachement de l'étudiant au foyer fiscal des parents, qui donne une demi-part supplémentaire, et un abattement forfaitaire actuellement fixé à 4410 euros. Les ménages qui ont des revenus élevés choisissent la première solution, qui leur apporte un avantage fiscal nettement supérieur à 4410 euros ; les catégories moyennes doivent se contenter de cet abattement, qui est loin de couvrir les charges - logement, transport, restauration -engendrées par les études. Nous proposons de le porter à 5000 euros, soit sensiblement au niveau retenu dans les années 1995-97.

M. le Rapporteur général - Trois cas de figure sont possibles. L'étudiant, rattaché au foyer fiscal de ses parents, donne droit à une demi-part supplémentaire ; l'étudiant est marié et a éventuellement des enfants, et bénéficie d'un abattement proportionnel au nombre de personnes ; les parents bénéficient d'un abattement forfaitaire au titre de l'aide qu'ils apportent à leur enfant étudiant.

Les trois doivent être traités de façon cohérente : n'intervenir que sur le troisième cas créerait des distorsions. C'est pourquoi la commission a émis un avis défavorable à cet amendement.

M. le Secrétaire d'Etat - Même avis : il ne faut pas déséquilibrer l'ensemble du système.

M. Denis Merville - Nous ne proposons que de revenir aux dispositions en vigueur il y a quelques années. Pour beaucoup de familles de province, les études d'un enfant coûtent plus que 4410 euros ! Dans le système actuel, ce sont les personnes qui ont de très gros revenus qui sont gagnantes. Refuser cet amendement, c'est la même chose que nier à un salarié le droit de déduire ses frais réels.

M. Augustin Bonrepaux - Je suis contre cet amendement car il faut cesser de chercher par tous les moyens à réduire l'impôt sur le revenu. Parlons plutôt des familles qui ne le paient pas et qui ont néanmoins à supporter la charge d'enfants étudiants !

L'amendement 149,mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Brard - Rappel au Règlement. Je constate que le ministre d'Etat est parti sans répondre à mes deux questions.

Il en est une particulièrement importante. On lui a prêté les propos suivants : « La France admire les USA. Je me sens étranger dans mon propre pays. Il nous manque un Powell. » S'ils ont été effectivement tenus, c'est extrêmement grave de la part d'un ministre de la République française.

Par ailleurs, le ministre d'Etat doit nous dire s'il entend rappeler à leur obligation de réserve les hauts fonctionnaires qui s'expriment dans les médias.

M. le Secrétaire d'Etat - Il existe une règle dans notre République : un haut fonctionnaire s'exprime après avoir demandé l'autorisation à son ministre. Mme Lepetit a parlé après autorisation.

M. Jean-Pierre Brard - C'est clair : elle a fait de la propagande !

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à midi 25.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


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