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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 29ème jour de séance, 71ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 24 NOVEMBRE 2004

PRÉSIDENCE de M. Yves BUR

vice-président

Sommaire

      COHÉSION SOCIALE (suite) 2

      MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 10

      ORDRE DU JOUR DU JEUDI 25 NOVEMBRE 2004 22

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

COHÉSION SOCIALE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, de programmation pour la cohésion sociale.

M. Pierre Cardo - Conformément à l'engagement pris par le Président de la République et par le Premier ministre, le Gouvernement nous soumet donc ce projet qui vise à combattre d'un des pires maux de notre société : l'exclusion. Ce texte s'inscrit dans la droite ligne d'autres réformes, longtemps retardées, comme celles des retraites et de l'assurance maladie et il apparaît comme le complément indispensable de la loi en faveur des quartiers en difficulté adoptée l'été dernier.

Cependant, traiter le béton, c'est bien, mais ce n'est pas une finalité ! Ce qui importe, c'est de résoudre les problèmes quotidiens des habitants de nos quartiers et, d'abord, ceux des chômeurs qui, même en cas de reprise économique, seraient voués à rester sur le bas-côté de la route - jeunes sans qualification, chômeurs de longue durée et autres demandeurs d'emploi inaptes à répondre aux besoins d'une société en mutation.

Les réformes que vous nous proposez ne peuvent certes tout régler mais, entre ne rien faire et essayer de faire bouger les choses avec pragmatisme, il y a un fossé que vous comblez heureusement.

Ainsi en matière d'emploi. Vous prédécesseurs avaient créé les emplois-jeunes, venant après les emplois-ville et, si j'étais favorable à l'époque à cette forme de reconnaissance de l'utilité sociale, ce n'était pas sans réserves. Celles-ci tenaient d'abord à l'écrémage favorisé par ce nouveau dispositif : pourquoi une collectivité ou une association aurait-elle recruté un « bac moins 5 » mal inséré si elle pouvait employer au même tarif un « bac plus 5 » bien inséré ? Et comment l'Etat aurait-il pu s'opposer à ce détournement de l'esprit de la loi quand lui-même exigeait de l'Education nationale qu'elle recrute au moins à « bac plus 2 » ? A cela s'ajoutait une discrimination au détriment des jeunes issus des quartiers, si bien que, dans mon département, 80 % des titulaires d'emplois-jeunes étaient au moins bacheliers.

J'ai également toujours regretté que la mesure ne concerne pas l'ensemble des publics éloignés de l'emploi et, en particulier, des adultes dont nous pouvions avoir besoin pour travailler en faveur des jeunes.

Pour autant, je n'ai pas approuvé la suppression de ces emplois-jeunes, jugeant que ni le RMA ni le CIVIS ni le CIE ne suffisaient à les remplacer. Vous comprendrez donc que j'apprécie la création du « contrat d'avenir », dont l'objet et les modalités me semblent répondre aux exigences d'une population éloignée de l'emploi. Je salue l'effort de simplification ainsi fait, et votre volonté de renforcer l'accompagnement des bénéficiaires. J'approuve également ce que vous faites pour redynamiser l'ANPE en autorisant d'autres acteurs à s'associer à son travail. La création d'un dossier unique du demandeur d'emploi devrait elle aussi se révéler fructueuse et celle des Maisons de l'emploi, enfin, est révélatrice de l'esprit dans lequel vous traitez ce problème : il ne s'agit pas en effet d'ajouter une nouvelle structure à toutes celles qui existent déjà, mais bien plutôt de se doter d'un dispositif proche des populations intéressées en vue de mieux coordonner l'intervention de l'ensemble des acteurs. Reste toutefois à savoir comment seront pilotées ces maisons : laissera-t-on le « terrain » en décider ou y aura-t-il un texte ? Pour ma part, j'inclinerais en faveur d'une expérimentation préalable, suivie d'une évaluation.

J'ai toujours considéré que le RMA demanderait beaucoup plus de travail aux acteurs de l'insertion qu'il ne générerait d'emplois pour les chômeurs, mais le nouveau dispositif pourrait peut-être permettre d'en tirer meilleur profit. Si elle est un lieu d'insertion, l'entreprise n'est pas, selon moi, une structure de réinsertion et il n'est pas dans ses compétences de dispenser une pré-formation. Ne voyez pas dans ce propos l'expression de quelque mépris à l'égard des Rmistes ou des employeurs : je ne fais que livrer les conclusions tirées d'une expérience de vingt ou vingt-cinq années dans le privé et dans les entreprises d'insertion. Et par conséquent, il me paraît bon que vous accroissiez notablement les moyens accordés au secteur socio-économique, notamment aux entreprises d'insertion.

Au-delà, ces dispositions nous amèneront sans doute à approfondir la réflexion sur le champ d'intervention et l'objet de ce secteur, laissé encore trop en friche, et on peut espérer qu'il en sortira la volonté de former pour lui de vrais chefs d'entreprise. L'accompagnement suppose en effet un encadrement adapté et celui-ci ne peut être fourni ni par d'anciens travailleurs sociaux désireux de profiter de subventions, ni par des individus venant d'échouer dans un projet de création d'entreprise.

Dans quels créneaux doivent s'inscrire ces activités, sachant que l'objectif ne doit pas être de produire de la richesse pour la richesse, mais pas non plus de concurrencer le secteur privé ? A mon avis, il conviendrait de regarder du côté des secteurs exposés aux délocalisations.

S'agissant du troisième volet, j'ai été heureusement surpris par la place donnée à l'éducatif. Voilà des dispositions qui émanent visiblement d'élus n'ayant pas perdu le contact avec les réalités ! Depuis trente ans, j'ai vécu successivement l'époque des urbanistes-rois, celle des sociologues, celle du partenariat avec les grands frères, mais je ne me rappelle pas avoir vu un projet qui privilégie autant que celui-ci le rôle de l'éducation dans la restauration du lien social ! Ces mesures en faveur de la réussite scolaire sont pleinement cohérentes avec les dispositions relatives aux maisons de l'emploi et, puisque vous avez prévu 750 équipes, j'espère que ma commune sera parmi les premières à vous proposer un projet à la hauteur de ce défi passionnant. Là est en effet le fondement de tout ! Puisse tout le monde se mobiliser dans les ZEP, aux côtés des familles, afin d'organiser cet accompagnement individuel et collectif, seul à même de prévenir les difficultés des enfants !

Il y a cependant un danger auquel il faut prendre garde, c'est que l'Education nationale, qui a tendance à faire siens les moyens des autres, ne s'approprie le dispositif. Pour réussir, mieux vaut donc prendre quelques garanties auprès du ministre de l'Education et mettre en place une cellule pour accompagner et valider le nouveau dispositif.

Je vous remercie, Madame et Messieurs les ministres, ainsi que vos équipes, vous tous qui connaissez la réalité du terrain, d'avoir permis la réforme de la DSU, l'arlésienne de la politique de la Ville. L'an dernier, nous l'avions presque obtenue par amendement. Pour un élu de zone sensible, lutter au quotidien est parfois difficile, faire la manche pour obtenir quelques crédits franchement exaspérant. Vous nous aviez promis cette réforme, vous lui avez brillamment fait passer l'épreuve du Sénat ; il ne reste que quelques améliorations à lui apporter. Les élus y puiseront beaucoup de courage, et les populations de l'espoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. René-Paul Victoria - Ce plan doit nous permettre de sortir des logiques de « raccommodage social » et de pérennisation de la précarité. Outre vaincre l'exclusion, les défis à relever sont de concilier l'économie et le social, l'individuel et le collectif, de privilégier l'observation sociale pour prévenir plutôt que guérir, de donner du sens à notre action en la recentrant sur l'individu.

Ce projet ambitieux a pour premier axe majeur la formation et l'éducation. Trop de jeunes sont peu ou pas qualifiés. Il faut donc développer le soutien scolaire et mieux concilier l'appareil éducatif, les attentes des jeunes et les réalités économiques. D'autre part, la formation doit aussi concourir à la réinsertion professionnelle des personnes qui bénéficient de contrats aidés, en validant leur expérience. Il faut sortir de ce cercle vicieux « pas de formation, pas d'emploi ; pas d'emploi, pas de logement ; pas de logement, pas d'emploi ».

Chacun veut un emploi stable. Mais à La Réunion, plus qu'en métropole, nous avons besoin de nombreux emplois aidés pour préparer la transition. Nous souhaitons donc, unanimement, que les contrats d'avenir viennent en complément des dispositifs d'insertion inscrits dans la loi de programmation pour l'outre-mer et financés par le FEDOM.

Pour s'épanouir, l'activité économique a besoin d'un environnement stable et serein. Il y a là un réservoir d'emplois pour permettre aux collectivités de ne pas gérer seules la crise sociale, en mettant l'Homme au cœur de l'économie. Il n'est de richesse que d'hommes, disait un penseur célèbre. Nous devons aussi favoriser la mobilité, qui ne fait pas vraiment partie de la culture du jeune Français, en le préparant mieux à connaître son environnement régional, national et international.

S'agissant du logement, plus particulièrement du logement social, l'Etat doit maintenir son effort. La situation exceptionnelle de La Réunion appelle des solutions exceptionnelles. Sur les crédits de la LBU, nous n'avons plus de marge de manœuvre. Nous préconisons de les regrouper avec tous ceux prévus pour la résorption de l'habitat insalubre et tous ceux que l'Etat affecte au logement, dans un ensemble fongible pour alimenter un fonds global de l'habitat et, à terme, créer un établissement public local. Je suggère de préférer à la notion de m² de construction celle de m² de vie, pour que l'individu se sente mieux dans l'environnement de son quartier, de sa ville.

M. Jean-Paul Anciaux - Très bien !

M. René-Paul Victoria - Enfin, pour conforter le lien social, développons le tissu associatif et les structures de proximité, les actions culturelles et sportives. Devant l'échec et le désespoir, une analyse en profondeur de la crise de notre modèle social s'impose. A mon sens, elle est avant tout culturelle. En effet, on s'intègre mal dans la société comme dans le monde du travail si l'on n'a pas de références culturelles. N'oublions pas cet aspect, sinon les mêmes échecs se reproduiront. Il faut réveiller les potentialités.

La Réunion est déjà engagée dans le processus que vous lancez au niveau national. Il y a deux ans, le Conseil général a mis en place un contrat social, renforcé par un plan de cohésion sociale départemental. Lors de votre visite, Monsieur le ministre, -ce devrait être avant la fin de l'année- vous pourrez apporter votre contribution à sa mise en œuvre. En tant que député-maire de Saint-Denis, la première ville française d'outre-mer, je m'engage à contribuer à la réussite de ce plan de cohésion sociale. Une première étape consisterait à créer, dès le 1er janvier 2005, un comité local pour la formation et l'emploi à Saint-Denis. Je soutiens l'ensemble des dispositifs proposés, car il importe de mettre l'homme au service de l'homme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Christian Vanneste - C'est la prospérité exceptionnelle de l'après-guerre qui a rendu possible l'Etat providence, a observé Daniel Cohen. Effectivement, il n'y a pas à choisir entre économique et social, car c'est la croissance économique qui rend possible le progrès social. A l`inverse, le décrochage français tient au poids des privilèges de la France improductive par rapport à celle qui risque, et gagne. Cohésion sociale et croissance sont donc inséparables.

Ce texte va dans la bonne direction, puisqu'il nous emmène vers une nouvelle croissance, fondement essentiel de la création d'emplois. La cohésion sociale c'est au fond, pour parodier Molière, « l'emploi, l'emploi vous dis-je ! ». Le logement, c'est aussi de l'emploi possible ; l'égalité des chances, c'est de permettre à tous les talents de s'exprimer.

Mais l'emploi, c'est avant tout l'entreprise, et celle-ci a besoin de la confiance. Dans un pays qui compte 6,5 millions d'agent publics, soit 10 % des habitants contre 6,5 % en moyenne européenne, un actif sur quatre contre un sur sept, c'est avant tout l'entreprise privée qui doit créer de l'emploi. Si la France avait connu le même taux que les Etats-Unis, elle aurait créé 8 millions d'emplois depuis 25 ans soit près de trois fois le nombre des chômeurs secourus.

Il importe donc beaucoup que le plan de cohésion sociale favorise l'emploi en entreprise, en particulier pour les jeunes, dont le taux d'inactivité est alarmant. Un quart seulement des moins de 25 ans est au travail dans notre pays : tout un potentiel nous fait cruellement défaut. Le développement de l'apprentissage et la revalorisation des métiers de la construction et de la restauration faciliteront les réussites, alors que les emplois-jeunes avaient renforcé de façon absurde en période de croissance l'attrait pour la sécurité d'emplois publics au rabais.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Nous ne sommes pas d'accord.

M. Christian Vanneste - De même, beaucoup de jeunes issus de l'immigration devraient pouvoir bénéficier d'un accompagnement personnalisé. C'est ce que leur fournit le réseau d'entreprises Alliance dans le Nord-Pas-de-Calais. Là encore, la solution passe par le contact le plus direct entre le demandeur d'emploi et l'entreprise. Telle est la philosophie de l'une des mesures phares de ce projet , la création des maisons d'emploi qui ont déjà fait leurs preuves en Grande-Bretagne : un seul guichet, un seul dossier, et un parcours qui associe le demandeur d'emploi et les entreprises. J'ai déjà eu l'occasion d'attirer votre attention sur le projet expérimental de Linselles dans la Vallée de la Lys, qui va dans ce sens. Il est évident par ailleurs que pour réaliser ses objectifs, la maison de l'emploi doit intégrer la mission locale déjà existante.

Mais les entreprises ne peuvent prospérer sans la confiance, et force est de constater que de nombreuses mesures imaginées par la droite comme par la gauche ont produit des effets contraires à ceux escomptés. Je pense en particulier à la contribution Delalande qui, censée protéger les salariés de plus de cinquante ans, s'est finalement révélée être un obstacle à leur recrutement.

Il faut cesser de décourager nos chefs d'entreprises, aussi ai-je déposé plusieurs amendements qui tendent à défendre la place de la sauvegarde de la compétitivité dans les motifs de licenciement économique. Les entreprises ont besoin de souplesse pour s'adapter et préserver leur rentabilité, clé de l'investissement et de l'emploi.

Je souhaite par ailleurs que l'on encadre les procédures de licenciement dans des délais préfixés, afin d'écarter toutes les incertitudes nées de recours juridiques dilatoires.

Il n'est que temps pour la France de s'inspirer du modèle danois, évoqué par MM. Joyandet et Novelli, puisqu'il a su trouver l'équilibre entre la souplesse et la sécurité, dans un pays où les dépenses publiques ont baissé de cinq points, et où le niveau social est financé par une TVA sociale, dispositif que j'approuve, comme M. Vercamer. La France doit cesser de s'abriter derrière ses exceptions.

Votre projet de loi va dans ce sens et a l'ambition de mettre fin à l'une de nos malheureuses exceptions, héritées de vingt ans de socialisme : notre taux de chômage. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) .

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Très subtil !

M. Jacques Houssin - La société française traverse une grave crise : en quinze ans, le nombre d'allocataires du RMI a explosé, 1 500 000 familles sont surendettées, et le nombre de logements indécents a doublé.

Cette crise n'est pas récente, mais il a fallu attendre le gouvernement Raffarin pour que l'on s'y attaque vraiment, en mobilisant d'un milliard supplémentaire en 2005 et jusqu'à trois milliards en 2007, dans un contexte budgétaire pourtant difficile.

Le secteur du logement est particulièrement frappé par cette crise : l'offre est inadaptée, les logements sociaux sont insuffisants et les prix montent, au détriment des jeunes, des ménages à faibles revenus et des classes moyennes. C'est particulièrement vrai dans les grandes villes, comme en témoigne l'exemple de Lille, où l'offre dans le parc HLM a baissé de 10% entre 1998 et 2002 alors que la demande explosait, augmentant de 60%.

Vous avez répondu à cette situation inacceptable en faisant du volet logement de votre plan de cohésion sociale un véritable « plan Orsec » pour l'habitat.

Depuis dix ans, seuls 50 000 logements locatifs sociaux ont été construits chaque année, alors qu'il en aurait fallu 100 000. Grâce au plan de cohésion sociale, nous allons passer de 80 000 en 2004 à 120 000 en 2009. Ce sont au total plus d'un demi million de logements qui seront créés.

Parallèlement, il faut mettre à niveau les logements existants. Vous comptez ainsi réhabiliter 400 000 logements locatifs sociaux en zones urbaines sensibles d'ici à 2011, et autant hors ZUS d'ici à 2009.

Dans cet immense chantier, les collectivités locales seront davantage parties prenantes. A partir du 1er janvier, l'attribution des aides de l'Etat au logement locatif social pourra être déléguée aux établissements publics de coopération intercommunale et aux départements qui le demanderont. Les collectivités locales pourront encore intervenir en cas de carence des opérateurs, pour la réhabilitation ou l'acquisition de logements existants.

Enfin, vous nous avez assuré que vous accorderiez davantage de financements aux communes qui veulent plus de logements sociaux, par le biais de PLS et de PLUS.

Vous avez encore choisi de mobiliser davantage le parc locatif privé, en revalorisant les capacités d'intervention de l'ANAH de 70 millions en 2005 et de 140 millions pour les quatre prochaines années.

Il y a aujourd'hui plus de 20 000 logements vacants dans la seule ville de Paris. Ce ne sont pas moins de 100 000 logements vacants qui doivent être reconquis et 200 000 logements à loyers maîtrisés qui doivent être aidés par l'ANAH. Afin de favoriser les remises sur le marché de logements vacants, les bailleurs bénéficieront de trois ans d'exonération de la contribution sur les revenus locatifs. La prime de l'ANAH sera de 5000 euros dans les secteurs les plus tendus et de 2000 euros ailleurs.

Pour encourager les propriétaires de logements vacants à les louer, vous avez décidé de conforter le statut de créance privilégiée des loyers impayés.

Le volet logement du plan de cohésion sociale est représentatif de l'ensemble du projet de loi : refondre structurellement le marché du logement locatif en France. Je suis fier de soutenir une telle ambition. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) .

Mme Irène Tharin - Urgent et utile : c'est ainsi que vous avez présenté hier votre plan de cohésion sociale, Monsieur le ministre,et je partage votre constat.

Elus locaux, nous devons être à l'écoute des détresses de nos concitoyens confrontés aux problèmes du chômage, du logement, du surendettement.

Votre plan est porteur d'espoirs. C'est en effet la première fois qu'un gouvernement a le courage de s'attaquer simultanément aux trois fléaux que sont le chômage, la crise du logement et l'endettement et vous avez raison, Monsieur le ministre, de combattre d'abord les causes principales de l'exclusion sociale. C'est ainsi que vous restaurerez la confiance des familles et relancerez la consommation, la croissance et la création d'emplois.

Vous avez l'ambition de créer, en cinq ans, 800 000 emplois pour les jeunes en difficulté, de passer de 350 000 à 500 000 apprentis par an, de construire 500 000 logements locatifs sociaux et de remettre sur le marché 120 000 logements privés vacants. Votre effort financier s'élève, pour cela, à près de 13 milliards sur cinq ans.

Vous avez répété hier la nécessité d'une certaine souplesse dans l'application de ces mesures, et je suis d'accord avec vous, même si je crains que la complexité des textes administratifs ou des circulaires et décrets ne soient autant d'obstacles sur le terrain. A cet égard, la mobilisation du Président de la République à vos côtés, pour signifier aux préfets et aux directeurs d'administration centrale l'urgence à appliquer ce plan, est une bonne chose.

Je vous suggérerai cependant de mettre en place un dispositif analogue à celui auquel M. Dutreuil a reconnu pour assurer le suivi de la loi sur l'initiative économique. Il faudrait ainsi confier à certains députés le soin de constituer à l'échelle d'une circonscription un « comité local pour l'application du plan de cohésion sociale », qui pourrait, chaque mois, dresser le bilan et faire remonter les difficultés.

Maire d'une petite commune, Seloncourt, je sais combien il est nécessaire d'être présent pour assurer le suivi des politiques votées par le conseil municipal. Il en va de même des lois.

J'espère que vous répondrez favorablement à cette demande.

Quant à votre plan, je le voterai avec enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La discussion générale est close.

M. le Président - La parole est à M. le ministre de l'emploi et de la cohésion sociale pour répondre aux très nombreuses interventions.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale - Très nombreuses, Monsieur le président, mais aussi très riches et nombre d'entre elles ont préparé les discussions qui auront lieu au cours des longues journées et des très longues nuits à venir ! Tous ces échanges pourront être approfondis avec chacun des ministres présents ce soir pour vous écouter. J'estime qu'il est important que tous les ministres qui ont contribué à l'élaboration du plan soient présents pour vous écouter, même si cela conduit parfois à ce qu'ils soient aussi nombreux que les parlementaires ! (Sourires)

M. Vercamer a exprimé les besoins légitimes de clarification de son groupe sur divers points du projet. Bien entendu, nous lui répondrons dans le cours de la discussion en vue de le convaincre de l'opérationnalité de toutes les mesures envisagées, mais je veux d'ores et déjà le remercier d'avoir insisté sur la nécessité de combattre avec détermination toutes les formes de discrimination. La France avait en la matière accumulé un retard considérable, que nous nous employons sans relâche à combler. En témoigne l'adoption toute récente du texte instituant la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité des chances.

M. Jacquat a souligné la nécessité d'un effort massif en faveur du logement social et je me remémorais, en l'écoutant, notre visite commune dans sa circonscription. En homme très au fait des réalités de terrain, il a insisté sur un point qui lui tient particulièrement à cœur et qui concerne les travaux de remise en état d'un local avant sa dévolution à de nouveaux occupants. Marc-Philippe Daubresse suit avec la plus grande attention ce point qui n'a rien de mineur.

Nous aurons l'occasion de préciser les sources de financement et les modalités d'application des différentes dispositions du plan, pour répondre notamment aux interpellations de MM. Le Garrec et Le Bouillonnec. Je remercie Jean le Garrec de souhaiter la réussite de ce programme, et je voudrais qu'il comprenne que nous n'avons pas voulu figer le dispositif en prédéterminant de manière trop rigide certains points essentiels, tels que le fonctionnement des équipes de réussite éducative ou des maisons de l'emploi. Merci aussi d'avoir trouvé dans le bilan de mon action quelques éléments à mettre à mon crédit. Quant à M. Le Bouillonnec, ce n'est pas sans un certain plaisir que je renoue avec nos échanges enflammés d'il y a dix-huit mois, et j'aurai d'ici peu le bonheur de citer ses propos de l'époque, lorsqu'il me traitait de magicien ou de nouvel Harry Potter, capable avec 7 milliards de crédits de réaliser pour 25 milliards de programmes ! Je ne puis manquer de reconnaître dans ces morceaux de bravoure une part de son talent professionnel.

Non sans sagesse, Rodolphe Thomas nous a exhortés à éviter les faux débats. J'ai bien entendu ses suggestions au sujet des chantiers d'insertion. J'admets volontiers que les jeunes réinsérés sous ce mode ne bénéficient pas d'un statut stable, mais ce type d'initiative est indispensable pour les aider à se remettre dans le mouvement.

Mme Jambu est - comme M. Jacquat - très profondément attachée à la résolution des problèmes de logement de nos concitoyens. Il est vrai que les pédopsychiatres relèvent que tous les jeunes enfants, lorsqu'ils commencent à dessiner, représentent une maison. Quel que soit l'environnement familial, le logement est l'un des éléments les plus structurants de la personnalité. Las, en ce domaine aussi, nous avons accumulé un retard conséquent. Janine Jambu plaide pour la reconnaissance d'un droit au logement opposable, et je suis heureux de lui confirmer que telle est la voie que nous entendons suivre. Encore faut-il dépasser le stade de l'incantation en répondant à la question, opposable à qui ?

Mme Janine Jambu - Tout à fait d'accord.

M. le Ministre - Nous allons nous rapprocher des associations, très actives en ce domaine, pour réfléchir à un programme d'opposabilité. Quoi qu'il en soit, la meilleure réponse à apporter aux Français, c'est de se doter d'une offre de logement abondante et accessible à tous. S'agissant de l'APL, c'est l'honneur de ce Gouvernement de l'avoir rétablie pour tous les foyers éligibles, y compris après trois mois de défaillance, pour éviter l'expulsion de locataires de bonne foi.

M. Perrut veut légitimement réconcilier l'économique et le social et nous met lui aussi en garde contre les débats idéologiques surannés. Nous considérons avec lui que le bassin d'emploi doit être le lieu du dialogue social des forces vives. Je le remercie également d'avoir rappelé que les emplois de services à la personne et de proximité constituent un extraordinaire gisement d'emplois. Mais il faut être bien conscient que leur développement commande une véritable révolution de nos modes d'organisation du travail, car ces activités fonctionnent en règle générale sur un régime de temps partagé.

Je remercie M. Anciaux de la passion avec laquelle il a évoqué les maisons de l'emploi. Prenons garde de tomber dans le piège d'un succès trop rapide et, partant, non maîtrisé de ces structures. A ce titre, la voie d'une labellisation en référence à une charte de qualité, qu'il préconise, me semble devoir être explorée.

Alain Ferry a eu l'extrême amabilité de considérer que ce plan était issu de l'expérience de terrain des uns et des autres, et que, finalement, n'importe qui aurait pu le mettre au point ! (Sourires) Eh bien, c'est le plus beau compliment que l'on puisse nous faire : nous nous y sommes mis à six , c'est dire la lenteur de conception de ce Gouvernement, mais croyez bien qu'elle n'aura d'équivalente que sa rapidité d'exécution !

M. Novelli s'est livré à une passionnante analyse du modèle danois, qu'il a approfondie avec le président Méhaignerie. L'on tire toujours profit à regarder ce qui se fait ailleurs, même si tout n'est pas immédiatement transposable. Nous ne sommes pas en position de diaboliser certaines expériences étrangères et, de toute façon, les Français sont trop intelligents pour se laisser abuser par quelques slogans. Nous pouvons avoir des désaccords mais le Gouvernement s'efforce de présenter des propositions équilibrées. S'agissant de ce qu'il est convenu d'appeler la « lettre rectificative », nous pourrons dire que nous avons agi de manière bien plus concertée que Mme Guigou - dont aucun des partenaires sociaux n'a regretté la loi - et je remercie Hervé Novelli de ses déclarations à ce sujet.

Merci, Monsieur Wauquiez, d'avoir insisté sur la gestion prévisionnelle des ressources humaines. Ce pays, je l'affirme, a su former ses élites ; mais il n'a pas su gérer l'ensemble de ses ressources humaines, ce qui est pourtant indispensable dans un pays ouvert, en compétition permanente. Merci également d'avoir souligné l'importance des accords de branche, plus nécessaires encore qu'il n'était initialement prévu dans le texte ; et merci pour votre appréciation globale sur celui-ci.

Je ne reviens pas, Monsieur Beaudouin, sur l'apprentissage, dont nous aurons mainte occasion de reparler. Je confirme à M. Piron que nous continuerons à travailler avec sérieux et détermination sur les maisons de l'emploi et leur territorialisation. Je ne suis pas étonné des souhaits de Jean-Louis Dumont en matière de participation citoyenne, lui qui a un grand passé dans ce qu'on peut appeler le logement citoyen ; nous ne sommes pas d'accord sur tout, mais certainement sur l'objectif.

M. Denis Jacquat - C'est un homme de bonne volonté !

M. le Ministre - Mme Grosskost a appelé l'attention du Gouvernement sur la prolongation de l'exonération de cotisation au-delà de neuf mois : nous promettons d'expertiser rapidement cette possibilité. Elle semble avoir nos faveurs davantage que celles de nos amis de Bercy, mais nous avons tout de même des relations privilégiées avec cette noble institution...

Je remercie Pierre Cardo d'avoir confirmé la nécessité d'une réorientation de la politique de la ville. Pendant vingt ou trente ans chacun, je le dis sincèrement, a essayé de bien faire, sur un sujet qui a échappé à tous. Il y avait de petites compensations par voie budgétaire - en réalité un petit peu d'argent dans un petit ministère, qui d'ailleurs disparaissait deux ans tous les six ans, pour réapparaître ensuite... Il y avait quelques lignes budgétaires qui traînaient, 300 ou 400 millions, et on débattait durant des heures sur leur hausse ou leur baisse de 3 % - alors que la moitié de ces crédits étaient des autorisations de programme et que les crédits de paiement n'étaient jamais confirmés... Les autorisations de programme étaient alors annulées, puis réinscrites, et nous avions des discussions extraordinaires sur un budget virtuel. Pour les GPV, on a théoriquement inscrit un milliard : il est arrivé 68 millions en crédits de paiement ! C'est qu'en réalité il s'agit de sujets complexes, où il faudrait faire converger toutes les forces, alors que chacun doutait que l'autre apporte sa contribution. Alors l'Etat mettait quelques euros dans le tuyau, avec les collectivités ; les subventions arrivaient au mieux fin octobre, début novembre. Et tous les ministres successifs ont tenté de mettre au point le dossier unique - comme s'il était possible de faire un dossier unique opposable à chaque collectivité qui vote dans sa liberté territoriale ! On a aussi imaginé des avances sur le dossier unique, avec la Caisse des dépôts... Bref ! Aujourd'hui notre stratégie est assez claire. Il y a d'abord l'habitat, avec l'Agence de rénovation urbaine : elle a son programme, il y a 40 milliards d'euros, la machine est lancée. Deuxième élément stratégique : donner aux villes les moyens de faire les choses elles-mêmes, et c'est la réforme de la DSU. Enfin, le troisième pilier, ce sont, pour les cas particuliers, ceux qui n'entrent pas dans l'une des deux premières orientations stratégiques, les grandes campagnes nationales, les centres de réflexion, l'Observatoire des ZUS, et des financements complémentaires. Je crois donc que le dispositif est aujourd'hui assez clair.

J'ai eu l'occasion, Monsieur Victoria, de vous rencontrer à Saint Denis, cette plus grande ville française hors métropole. J'ai perçu ce que recouvre le nom merveilleux de votre île : la « Réunion » - symbole de l'union des races et des religions, c'est le plus beau nom de la République. Malgré des difficultés sociales extraordinaires, liées notamment au coût des transports et à la faiblesse du bassin économique sur lequel vous êtes assis - car les territoires les plus proches sont fort éloignés - on est frappé par le peu de discrimination, l'intégration qui existent dans ce département et qui en font un exemple pour tous. J'estime que le cas de la Réunion mériterait un colloque mondial - comme ceux de Porto Alegre d'un côté, de Davos de l'autre - où seraient analysés les éléments qui ont permis à cette île, peuplée de gens venus de continents différents, avec des religions différentes, de vivre dans un tel respect mutuel. Mon ministère serait heureux d'aider à organiser un tel colloque, je le dis à l'heure où nous débattons - hier au Sénat, ici dans quelques jours - de la lutte contre les discriminations.

M. Vanneste, avec son pragmatisme habituel, nous a rappelé qu'il fallait faire simple, éviter les doublons, être lisibles : nous le suivrons volontiers dans cette voie. Mme Saugues a évoqué le surendettement, sujet qui me tient à cœur. Ce gouvernement a eu l'honneur de présenter la « loi de la seconde chance », qui permet à des familles de repartir vraiment à zéro, sans risquer un quelconque retour de créances oubliées. A ce jour, 22 000 familles en ont bénéficié, et nous avons conduit à se manifester des familles qui étaient en détresse, mais n'accédaient pas aux commissions de surendettement. Je ne peux laisser dire par ailleurs que les moyens des associations ont diminué ; ou si c'est le cas, ce n'est pas du fait de l'Etat (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Nous aurons l'occasion de réexaminer les chiffres avec M. Le Bouillonnec. Ce qu'il faut voir, c'est qu'en créant la rénovation urbaine, nous avons dégagé nombre de lignes qui ont été affectées aux associations ; par ailleurs je ne conteste pas que nous n'avons pas accéléré les dates de paiement, alors que c'était un de nos objectifs.

Oui, Madame Boutin, c'est un moment de rupture. Nelly Olin a constitué un groupe de travail pour chercher, avec nombre d'associations, comment rémunérer l'heure de travail - cette heure qu'on peut faire même si l'on est hors de tout cadre de travail, en veillant bien sûr à ce que cela ne devienne pas la norme. Nous progressons, comme sur le droit au logement, et Marc-Philippe Daubresse vous en reparlera, d'autant qu'il prépare une loi « habitat pour tous ».

Vous êtes attentive comme toujours, Madame Jacquaint, à la dimension éducative et à l'enfance. Vous avez dit avec raison que la cohésion sociale impliquait un discours commun reposant sur des valeurs partagées, avec pour objectif la réduction des inégalités : c'est une position que je ne peux que partager. Vous avez parlé des équipes de réussite éducative, pour vous en féliciter, mais aussi vous interroger sur leur cohérence avec les réseaux et systèmes existants. Je comprends cette interrogation. Les réseaux existants doivent être soutenus, et c'est pour la plupart d'entre eux l'affaire de l'éducation nationale. Quant à nous, ce que nous voulons, c'est d'apporter des moyens nouveaux qui pourraient être le cas échéant à la disposition de ces réseaux, des moyens gérés par des enseignants, par des directeurs d'établissements, par des collectivités locales, voire par les CAF, sous quelque forme que ce soit - association, EPLE, caisse des écoles, peu importe - pour soutenir des actions propres à aider les enfants qui ont un problème de comportement à l'école, ou globalement, dans le rapport avec autrui, la seule règle étant que ces crédits servent à améliorer leur comportement. Chaque enfant étant unique et les réalités locales étant tout aussi diverses, voilà la mise à disposition de moyens par l'Etat que nous proposons. Je reconnais qu'une telle liberté de fonctionnement est audacieuse...

On ne peut que vous suivre sur l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous avons beaucoup hésité avant d'ouvrir les contrats d'avenir, à l'instigation du Sénat, aux bénéficiaires de l'allocation de parent isolé, qui sont à 85% des femmes. Cela exigera un encadrement et un important soutien méthodologique des CAF.

Mme Tharin s'est exprimée avec toute la gentillesse et l'expérience de maire qui sont les siennes. Elle aura apporté la plus belle des conclusions à ce qui a été pour nous un très riche moment d'écoute.(Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 7, du Règlement.

M. Gaëtan Gorce - Ce gouvernement a un curieux rapport au social. Croyez-le bien, je ne feins pas de m'en étonner ! Ce mélange d'insuffisance et d'arrogance, d'indifférence et d'implication, suscite la perplexité. Voilà deux ans et demi que vous êtes aux responsabilités, et rien ne s'améliore.

Sur la méthode, vous n'arrivez manifestement pas à choisir entre le recours au dialogue social et la loi. Les dossiers ne se comptent plus sur lesquels vous avez décidé sans consulter les partenaires sociaux, voire contre leur avis. (Protestations sur les bancs du groupe UMP) M. Novelli, qui s'émeut déjà, est le premier à préconiser une réforme du licenciement économique refusée par l'ensemble des partenaires sociaux !

Ainsi en a-t-il été à propos de la suppression d'un jour férié ou de la création de la caisse d'autonomie. Votre projet en fournit une nouvelle illustration : les syndicats, qui n'ont été que vaguement consultés, n'ont jamais approuvé les dispositions sur les licenciements économiques que vous y avez intégrées. Aucun relevé de conclusions ne vient corroborer l'idée d'un accord. Ce dernier dossier est symptomatique de votre attitude. Votre prédécesseur, M. Fillon, n'avait cessé de nous dire qu'il fallait faire confiance au dialogue social, que nous allions voir ce que nous allions voir. Que n'avons-nous entendu lors du débat sur la suspension de la loi de modernisation sociale : celle-ci ne serait que l'affaire de quelques semaines, puisque tous allaient s'entendre sur les solutions qui seraient ensuite soumises au Parlement ! Mais rien n'est venu - pas même l'esquisse d'un accord - si ce n'est le retour à la loi antérieure après un premier report décidé dans la précipitation au début de l'été. Faut-il s'en étonner ? Aviez-vous seulement l'ambition de réussir? En suspendant les principales dispositions de la loi de modernisation sociale, vous aviez déjà donné satisfaction au Medef, qui n'avait donc plus rien à obtenir.

Nous avions dénoncé voici dix-huit mois à cette tribune le déséquilibre de la négociation que vous aviez ainsi provoqué. Vous n'auriez pu aboutir qu'en affaiblissant considérablement les organisations syndicales pour leur faire accepter l'inacceptable, ce qui n'a pas été possible.

Vous voici donc orphelin d'un accord, inventant un ersatz de loi dont on a peine à croire qu'il cherche à répondre à la crainte des licenciements provoqués par les restructurations et les délocalisations. La solution que vous proposez illustre mieux que n'importe quelle déclaration l'idée que vous vous faites de la négociation sociale : celle-ci n'a pas pour objet d'enclencher un processus de modernisation auquel les partenaires sociaux seraient associés; elle n'a pas pour objet d'initier la réforme pour l'initiative économique et la justice sociale dont notre pays a besoin ! Non, c'est une sorte d'exutoire, de chemin de traverse que vous empruntez lorsque vous ne savez plus où aller. La vérité, c'est qu'à chaque difficulté, vous vous défaussez sur la négociation sociale.

Les dénégations que vous m'opposez par signes, Madame et Messieurs les ministres, montrent bien que ce débat mérite d'être engagé. A l'exception de l'accord sur la formation tout au long de la vie, on cherche en vain les sujets sur lesquels vous êtes parvenus à un accord avec la majorité des syndicats. Vous avez abordé celui des licenciements, le ministre des finances suscitant même une attente en parlant de garanties nouvelles. A l'arrivée, nous nous retrouvons avec quelques articles dont certains constituent une véritable provocation et qui se contentent de renvoyer à la négociation d'entreprise. Que se passera-t-il si aucun accord n'est négocié ?

Vous renvoyez ainsi à la négociation d'entreprise ou de branche le règlement d'un problème que vous n'avez pas su résoudre à l'échelon interprofessionnel.

Votre Premier ministre, M. Raffarin, a de plus en plus tendance à traiter les problèmes comme le « petit père Queuille », dont il a adopté la maxime préférée : « iI n'est pas de problème qu'une absence prolongée de solution ne permette de résoudre. » Voilà ce que vous répondez à l'inquiétude des salariés menacés dans leur emploi. C'est la même méthode qui est à l'œuvre pour le reste de votre plan, dont vous vous déchargez sur les collectivités locales.

Ce curieux rapport au social est également intéressant a observer sur le fond des sujets traités, où votre embarras n'est que la conséquence d'une perpétuelle hésitation entre l'audace - parfois affichée - et la prudence - souvent pratiquée. Sur la plupart des sujets sociaux, on voit bien où vous portent vos préoccupations, pour ne pas dire votre idéologie. Vous ne rêvez que de réduire les « charges sociales » - le financement de notre protection sociale est réduit à des charges - et de transférer au privé une part croissante du financement de notre système - voyez la réforme des retraites et de l'assurance maladie. Vous ne rêvez que d'alléger le code du travail et de pulvériser les 35 heures. Vous rêvez de flexibilité, de suppression des freins à la création d'emplois, de sanction à l'égard des chômeurs ou des rmistes, de mise au pas de tous les autres ! Ce rêve que vous partagez avec le Medef, vous avez du mal à le réaliser, et on comprend la frustration d'une partie de votre majorité. Sur le terrain, vous vous cantonnez, au risque d'alimenter la colère des plus déterminés d'entre vous. Vous restez au milieu du gué, prenant soin de ne pas aller aussi loin que votre passion pourrait vous pousser. Vous suspendez la loi de modernisation sociale plutôt que de l'abroger - nuance -, vous amendez la RTT plutôt que de la supprimer -nuance -, vous entaillez la retraite par répartition plutôt que de lui substituer ouvertement la capitalisation, mais l'abaissement des montants de reversement contraindra les retraités à recourir à une assurance privée.

Même sur le licenciement, vous renoncez, devant le tollé syndical, à modifier le code du travail et la définition du licenciement économique comme vous le proposait le Medef! Ce qui fait de vous non les chantres de l'ultra-libéralisme, mais plutôt de vrais conservateurs. Vous aimez l'ordre établi, et quand vous y touchez, c'est toujours pour mettre en cause les garanties sociales des plus faibles. L'UMP est bien ce parti conservateur qui préfère soutenir la rente et les corporatismes plutôt que l'initiative et l'innovation, et redoute davantage l'opinion que ses propres députés. On évoque parfois une « réforme impossible ». Vous donnez de votre politique une image brouillée - votre discours ne suffira pas à compenser tout ce qui a été fait ces dernières années - et condamnée à droite pour sa pusillanimité et son absence d'originalité. Votre position est bien difficile à tenir. Nul ne sait ce que vous cherchez à faire et que le seul objectif dont on puisse vous créditer semble être de rester en place et de garder le pouvoir. Pour quoi faire ? Si c'est pour soutenir l'économie et relancer la croissance, on cherche en vain les mesures qui permettraient d'y parvenir !

Le seul débat qui ait récemment agité cette majorité a porté sur l'impôt sur la grande fortune. C'est tout dire ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Non, j'oubliais un autre débat : la majorité a aussi voulu, dans un moment surréaliste, supprimer les crédits de fonctionnement de la Haute autorité sur les discriminations, et il a fallu une deuxième lecture pour obtenir leur rétablissement !

Un jour, le Premier ministre endosse le costume de Tartarin pour nous annoncer qu'il va se servir contre les 35 heures de son fusil à tirer dans les coins. Patatras, le lendemain, il rejette aux oubliettes le rapport commandé pour les réformer. Un jour, il est question de dialogue social, et le lendemain, on dépose un projet de loi ; un jour, on réduit les droits des chômeurs, le lendemain, sous la pression, on les rétablit ! Un jour, on s'en prend aux pensions de réversion, le lendemain, on renie la mesure ! Et tout est à l'avenant. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Monsieur le ministre, avant de mettre en œuvre un plan de cohésion sociale, vous devriez conseiller au Premier ministre un plan de cohésion gouvernementale (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste). Mettez de la cohérence dans votre politique, donnez un peu de sens à ce que vous faites et peut-être retrouverez-vous un peu de crédit !

M. le Ministre - Et le PS sur l'Europe ?

M. Gaëtan Gorce - Je suis prêt à en débattre, mais je ne crois pas que ce soit le sujet. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Et si je vous irrite, tant pis !

Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion - C'est lamentable !

M. Gaëtan Gorce - Je suis seul face à six membres du Gouvernement. Quel pôle social ! Mais je serais ravi de vous répondre successivement.

Décidément, le Gouvernement a un curieux rapport avec le social. Et le social, disons le, vous le rend bien. Les Français, sur ce terrain comme sur beaucoup d'autres, ne vous font plus confiance. Et ils ont raison. Aux nombreux déficits que vous avez accumulés, il faut désormais ajouter le déficit que votre plan a justement pour seul objectif de combler, je veux parler du déficit d'image - car pour le reste, les déficits des comptes sociaux continueront à se creuser. Ce plan n'a pas été conçu en effet pour répondre aux difficultés sociales des Français mais aux difficultés que votre gouvernement entretient sur le plan social avec les Français. Un plan média plus qu'un plan d'action, un plan de communication plus qu'un plan de cohésion.

Force est de constater qu'au regard de ce seul objectif, tout commence plutôt mal. Votre plan est un formidable aveu d'échec, le constat le plus accablant jamais dressé de l'incapacité de la majorité et du gouvernement à résoudre les problèmes des Français. A cet égard, vous exercez à mi-mandat, à l'encontre du Président de la République, un terrible droit d'inventaire ! Le bilan social du pays que vous dressez en introduction de votre plan pourrait à lui seul fournir l'exposé des motifs d'une motion de censure sur la politique sociale du gouvernement.

Le chômage atteint aujourd'hui 9,9 % de la population active, et il a augmenté de 2,2 % en un an. Dans les ZUS, le taux de chômage atteint même 20 %. Les jeunes sont particulièrement touchés, spécialement ceux issus de l'immigration. Quelqu'un a qualifié les emplois-jeunes de « mirage ». J'aimerais que vous sachiez provoquer des mirages qui créent autant d'emplois pour les jeunes !

Les entrées à l'ANPE suite à un licenciement économique augmentent de près de 5 %. Celles consécutives à une fin de CDD ou de mission d'intérim augmentent respectivement de 9,6 % et de 9,4 %. Il y a donc une augmentation forte de la précarité, alors qu'il n'y a rien dans votre plan sur cette question, comme si ce n'était pas même un sujet de débat, alors qu'il s'agit là des sources mêmes de la précarité.

Je ne parle même pas des comptes de l'UNEDIC, mais, là aussi, il faudrait une réponse, car qu'est-ce qui contribue à grossir la précarité sinon le recul de l'indemnisation des chômeurs ?

Quelles que soient les causes externes et internes de cette situation, on ne peut que constater la faiblesse de l'emploi dans le secteur marchand. C'était la première fois l'an passé depuis dix ans que l'on perdait des emplois dans le secteur marchand : belle performance !

La politique suivie par le premier gouvernement Raffarin en matière fiscale et sociale n'a fait qu'aggraver le ralentissement de la croissance. Elle s'est révélée tout à fait à contre-temps en termes d'emploi. Face à M. Fillon, j'avais coutume de dire que cette politique était à « contre-emploi » et que c'était la première fois que l'on utilisait un budget de l'emploi pour détruire de l'emploi. Les dispositifs les plus performants - tels que les emplois jeunes - ont été supprimés, le nombre de contrats aidés a baissé et la volonté affichée de réduire les prélèvements obligatoires - qui n'a été en réalité qu'un délestage sur les collectivités territoriales - a conduit à une réduction des emplois publics.

Vous avez dit, Monsieur le ministre, qu'il fallait aborder les sujets en prenant de la hauteur. C'est vrai qu'il est parfois plus simple de prendre une vaste perspective sur les dix ou quinze dernières années plutôt que d'assumer un bilan plus récent. Il n'en demeure pas moins qu'il est des périodes où le chômage de masse apparu au milieu des années 1970 a reculé, tandis qu'il augmentait à d'autres, je pense notamment à la période 2002-2004. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Cette dégradation de la situation a atteint de plein fouet les plus faibles.

Il faut ajouter à cela l'opération malsaine de stigmatisation des chômeurs, qui s'est notamment traduite par des annonces répétées de renforcement du contrôle, lesquelles sous-entendaient évidemment que ces contrôles étaient nécessaires, soit du fait de la fraude, soit du fait de la mauvaise volonté des chômeurs à retrouver un emploi. Rappelons que l'intérêt à retrouver un emploi est d'abord matériel, puisque pour une personne seule, l'écart total de ressources entre les allocataires du RMI et les salariés au SMIC est de 53 %. Il n'en demeure pas moins que l'opinion considère aujourd'hui majoritairement que les personnes pauvres et exclues « ne veulent pas travailler ». Les campagnes politiques sur les pénuries d'emploi ont largement contribué à diffuser l'idée de paresse et de mauvaise volonté des personnes en difficulté.

On aurait pu d'ailleurs espérer que la » politique de l'emploi » du Gouvernement prendrait en compte les questions liées à la démographie professionnelle. Mais non !

Le phénomène des « travailleurs pauvres » a pris une ampleur inquiétante et concerne plus d'un million de personnes. Les titulaires d'un emploi stable ne sont donc pas épargnés par la dégradation de la situation sociale. Cela résulte de la combinaison de plusieurs facteurs...

M. Laurent Hénart, secrétaire d'Etat à l'insertion professionnelle des jeunes - Ce n'est plus le fusil à tirer dans les coins mais le fil à couper le beurre...

M. Gaëtan Gorce - Etant dans l'opposition, je suis là pour critiquer votre action et j'avoue que votre bilan me facilite grandement la tâche. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Expliquez-nous pourquoi le chômage a augmenté de cette manière depuis deux ans et demi ! Expliquez-nous pourquoi nous avons perdu pour la première fois depuis dix ans des emplois industriels ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Expliquez-nous pourquoi les Français condamnent votre politique !

M. le Secrétaire d'Etat - Ils n'ont guère approuvé la vôtre en 2002 !

M. Gaëtan Gorce - Vous vous irritez, vous vous énervez, mais l'Observatoire national de la pauvreté confirme que celle-ci « marque une inflexion à la hausse depuis 2002 », notant que le nombre d'allocataires du RMI a crû de 1,4 % en 2002 et de 5,3 % en 2003. Ce n'est pas le discours polémique d'un député de l'opposition, c'est la réalité vécue par nos concitoyens, y compris les enfants comme l'a montré le rapport Delors ! D'ailleurs, quand ce nombre a-t-il repassé la barre du million ? Est-ce sous les gouvernements socialistes ? Assumez donc vos responsabilités et ne défendez pas l'indéfendable !

A la fin de 2003, on comptait plus de 1,1 million d'allocataires et le nombre d'ouvertures de droits a augmenté de 13 % par rapport à 2002. Mais je vois que cela fait rire Mme Olin ! Voilà qui ne nous rassure pas quant à son action à venir !

Mme Nelly Olin, ministre déléguée - Je ne riais pas à cause de ce que vous disiez !

M. Gaëtan Gorce - Depuis deux ans et demi, je me suis opposé depuis cette tribune à la suppression des emplois-jeunes, j'ai combattu les contrats-jeunes et résisté à la mise en pièces de la loi sur la réduction du temps de travail et de la loi de modernisation sociale : les interruptions venues du banc du gouvernement ont rarement atteint cette proportion ! Seriez-vous à ce point irrités contre votre politique que, plutôt que de chercher à la corriger, vous préfériez vous en prendre à l'opposition ? Quant à nous, nous n'avons aucune raison de changer de discours !

M. Christian Vanneste - Vous n'en seriez pas capables !

M. Gaëtan Gorce - Mettez-vous au service de l'intérêt général plutôt que de polémiquer et nous aurons peut-être de meilleurs résultats ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Non seulement vous ne supportez pas vos résultats, mais vous ne souffrez pas qu'on les critique !

Mme Marie-Hélène des Esgaulx - Et vous, que n'avez-vous participé au débat cet après-midi ?

M. Gaëtan Gorce - J'étais à l'enterrement d'un proche !

L'augmentation du nombre des Rmistes tient aux difficultés économiques, mais s'explique aussi par la nouvelle convention UNEDIC, qui restreint l'accès à l'assurance chômage et réduit la durée de perception des droits, provoquant ainsi un basculement vers l'ASS et le RMI. Pour les ménages aux revenus les plus faibles, les prestations sociales représentent plus de 50 % des revenus. Mais c'est là une réalité que vous avez du mal à considérer et votre plan ne tend d'ailleurs qu'à la faire oublier. En cela, c'est plus un plan médias qu'un plan d'action. Ce qui vous préoccupe, ce ne sont pas les difficultés des Français, mais le rapport difficile que vous entretenez avec eux...

Le surendettement passif est maintenant à l'origine des deux tiers des dossiers, contre 52 % il y a une dizaine d'années. Dans 72 % des cas, les revenus du ménage sont inférieurs à 1500 euros, et dans 42 %, inférieurs au SMIC. Un million et demi de ménages sont surendettés. La Banque de France l'explique d'abord par les difficultés d'emploi et les difficultés familiales qui en résultent. L'endettement est majoritairement constitué d'arriérés de charges courantes et les dettes bancaires en représentent 75 % dans six dossiers sur dix. Dans 80 % des cas, des crédits « revolving » sont en cause, ce qui démontre la nécessité d'un meilleur accompagnement et d'une surveillance accrue des organismes de crédit - il resterait d'ailleurs à évaluer l'impact de la loi du 1er août 2003 instaurant la procédure de rétablissement personnel.

Les interdits bancaires au sens strict ne sont que 1 % de la population, mais on peut noter que non seulement les ménages modestes ont en général un compte chez un « banquier de dernier ressort », mais qu'ils n'ont qu'un accès limité aux services bancaires. Ainsi 40 % d'entre eux ont une carte bancaire mais, dans 80 % des cas, ce n'est qu'une carte de retrait ; 54 % ont un chéquier, contre 96 % de l'ensemble de la population. Cette exclusion bancaire se traduit souvent par des refus d'ouvrir un compte mais aussi, indirectement, par l'absence de guichets dans les quartiers sensibles. De plus, le développement des services payants est particulièrement pénalisant pour les plus pauvres.

L'exclusion bancaire conduit les intéressés à sacrifier les dépenses de santé : malgré la CMU, 22 % des personnes interrogées par l'Observatoire déclarent avoir renoncé à des soins pour raisons financières. Or, dans leur majorité, elles souffrent de plusieurs problèmes et leur état de santé ne peut que s'aggraver encore, du fait du manque de soins. Il en résulte aussi que plus de la moitié des allocataires du RMI et de l'ASS renoncent à chercher un emploi.

Le rapport du CERC sur «l'état de santé des enfants pauvres en France » en 2003, présenté par Jacques Delors, montre notamment une surreprésentation de plusieurs affections dès le plus jeune âge. Les taux de prématurité et d'hypotrophie sont deux fois plus élevés que dans le reste de la population et l'imprécision des chiffres relatifs au saturnisme - les estimations varient de 48 000 à 66 000 enfants atteints - est révélatrice d'une triste réalité.

Chez les adultes, on observe une prévalence importante des accidents du travail et des maladies professionnelles chez les ouvriers et les salariés sous contrat précaire. Par exemple, selon les secteurs, 13 à 29 % des décès dus à un cancer du poumon résultent de l'exposition à des facteurs cancérogènes. Le risque de mortalité d'un chômeur est trois fois supérieur à celui d'un actif occupé du même âge.

M. Christian Vanneste - Et tout cela depuis 2002 ?

M. Gaëtan Gorce - Je ne fais que décrire une situation, que vous avez laissée se dégrader !

Au 31 décembre 2003, 1,6 million de personnes étaient affiliées à la CMU de base et 4,3 millions à la CMU complémentaire. Cette dernière a permis de réduire la proportion de celles qui renoncent à se faire soigner, proportion qui atteignait auparavant 40 %. Il reste pourtant bien des progrès à faire : en 2002, 20 % des chômeurs n'avaient ni complémentaire ni exonération du ticket modérateur, de même que 12 % des personnes vivant dans des ménages à revenus faibles.

Ce constat est à tous égards accablant et, plutôt que les réactions de tout à l'heure, je préférerais qu'il suscite chez vous la volonté d'une réelle rupture avec la politique menée jusqu'ici ! La France va mal et c'est vous qui en portez la responsabilité !

Vous m'opposerez que le présent projet vise à répondre à ces difficultés. Ce serait une manière de venir à résipiscence, mais rien ne change en fait, sinon le discours. On est passé de la confrontation sociale à la compassion, sans doute, mais si l'on n'a des paroles en plus, on n'a pas de crédit en sus ! C'est la même politique qui se poursuit, simplement travestie. Ainsi ce plan ne facilitera en rien le retour à l'emploi de nos concitoyens les plus en difficulté, d'autant qu'il n'est pas financé.

Ce plan n'est pas un plan de cohésion, mais un plan de confusion sociale. A la différence de la grande loi sur l'exclusion votée en 1999, il ne vise pas à mobiliser de façon cohérente l'ensemble des partenaires. Il ne reflète qu'impréparation et improvisation.

Tout d'abord, son volet emploi ne repose sur aucune politique concrète. Vous voulez réussir cette gageure de ramener à l'emploi les personnes privées de travail alors qu'il ne se crée pas d'emplois et que vous ne faites rien pour en créer. Comment votre plan serait-il crédible ? Ne vise-t-il pas surtout à améliorer les statistiques ?

Comment ne pas penser que les fameux contrats aidés dans le secteur marchand, en particulier les CR-RMA, s'apparentent à des subventions déguisées aux emplois précaires ? Qu'ils visent à compenser la faible productivité des intéressés, productivité qui ne peut d'ailleurs s'améliorer puisque rien n'est prévu pour la formation, sauf à mettre celle-ci à la charge des collectivités ?

Comment, aussi, ne pas relever l'absence de cohérence dans la mise en oeuvre de ces contrats ! En toute logique, l'accès à l'emploi marchand devrait intervenir à l'issue d'un processus visant à remobiliser, requalifier puis réinsérer, d'abord dans des activités non marchandes. Or, dans votre projet, à aucun moment il n'est question de parcours de réinsertion et l'accompagnement annoncé apparaît plus comme un moyen de contrôle que de soutien réel. Comment imaginer faire passer sans transition le chômeur privé d'emploi depuis plus d'un an à une activité salariée, sauf à considérer qu'il ne s'agira que d'une main-d'oeuvre d'appoint à bon marché, précaire et facile à remplacer. Que penser d'ailleurs de la formule qui consiste à distinguer, pour certains dispositifs, entre les titulaires de minima sociaux et les autres ? On voit bien qu'il s'agit pour les premiers de transformer le revenu qui leur est attribué en aide à l'entreprise, mais cela veut dire qu'on transforme une ressource indispensable pour vivre en subvention et un droit en contrepartie de l'activité ! Cela va contre le principe même du RMI.

Enfin, c'est le pilotage même du dispositif qui est critiquable et confus. Quel va être l'objet précis de la convention passée entre l'ANPE et l'UNEDIC, auxquelles sera associée l'AFPA ? S'agit-il de définir les objectifs de la politique de l'emploi, auquel cas le ministère du travail devrait être parte prenante ? Ne devrait-on pas d'ailleurs en faire l'outil opérationnel d'un accord plus large entre l'Etat et les partenaires sociaux ?

Mais, plus grave, quel va être le rôle de la maison de l'emploi ? On évoque le modèle des "job-centers plus", mais ces maisons ne seront pas assez nombreuses pour jouer le rôle de guichets de proximité. On nous dit qu'elles favoriseront d'abord la mise en réseau, mais alors, pourquoi ne pas s'en tenir à une simple formalisation par voie de conventions ? On annonce qu'elles seront constituées en GIP ou en associations dotées d'une personnalité juridique : quelle place y fera-t-on alors au service public de l'emploi ? La mise à disposition du personnel de celui-ci ne préfigure-t-elle pas son démantèlement ? On déclare enfin que ces maisons vont coordonner la politique de l'emploi sur un secteur donné. Auront-elles un rôle à jouer dans la fongibilité des crédits ? Toutes ces questions sont sans réponse, et pour cause : vous n'avez fait qu'improviser et généraliser des expériences. N'eût-il pas mieux valu se contenter d'encourager des initiatives, en parallèle à une véritable politique territoriale de l'emploi ? Ce sera plutôt une maison des miracles, ou peut-être une auberge espagnole dont les occupants, ici se mobiliseront, ailleurs seront totalement inefficaces.

C'est une grande politique territoriale de l'emploi qu'il faudrait mettre en œuvre, s'appuyant dans les régions sur des conventions territoriales associant tous les partenaires et ayant pour opérateur principal dans les bassins d'emploi l'agence locale pour l'emploi. Mais ce serait trop rationnel, et vous préférez le « désordre créatif », au risque de la confusion et de la déperdition d'énergie.

On peut critiquer de même les dispositifs visant à renforcer l'accompagnement des chômeurs. Il s'agit surtout de renforcer contrôles et sanctions, confiés à d'autres agents que ceux du service public, ce qui est inacceptable ! Quelle occasion manquée de lier les obligations du chômeur à celles du service public qui assurerait un service personnalisé. Ce serait le point d'appui d'un new deal à la française, orientant à partir d'un bilan personnel chaque demandeur d'emploi vers la solution la plus adaptée, avec un suivi régulier, et un effort particulier pour les plus en difficulté. Plutôt que de ne retenir de l'exemple scandinave que certains aspects, il faudrait en tirer la leçon générale d'un fort niveau d'indemnisation et d'un accompagnement généralisé. Or, rien ne vise les publics les plus en difficulté ou les plus précaires.

Ce plan de confusion sociale est aussi un plan médias plutôt qu'un plan d'action. D'ailleurs, les moyens dont vous le prétendez doté sont inventés. Au budget 2005, 1,12 milliard sont inscrits au titre des dispositifs d'insertion, dont 438 millions d'enveloppe régionale, mais il s'agit pour l'essentiel du redéploiement de crédits inscrits en 2004. Quand vous annoncez plus d'un milliard de dépenses nouvelles, on n'en retrouve que 113 millions inscrits au budget. Pour la suite, les crédits sont pour l'essentiel reportés à 2006-2007. Ce sera à une majorité nouvelle de trouver ces financements. D'autre part, les collectivités territoriales contribueront à la création des maisons de l'emploi, compenseront la baisse de participation de l'Etat pour les emplois aidés et les formations des personnes les plus en difficulté. Vous faites payer vos décisions par d'autres. Joli tour de passe-passe !

Pour mériter le beau titre de « cohésion sociale », il aurait fallu plus que des déclarations d'intention. Il fallait d'abord s'attaquer à la source des inégalités, le chômage. Vous vous êtes gaussés des 35 heures, mais elles ont permis de créer 350 000 emplois, de faire reculer le temps partiel subi et les emplois précaires. Et que proposez-vous à la place ? Rien. Depuis deux ans et demi, vous supprimez sans remplacer. Quant à la croissance, c'est un peu comme la météo. On ne sait jamais le temps qu'il fera demain !

M. Patrick Roy - Belle comparaison !

M. Gaëtan Gorce - Malgré vos acrobaties, l'emploi n'est pas votre priorité, et sans recul du chômage, toutes les autres mesures, utiles parfois, ne pourront être que des correctifs.

Et vous ne vous attaquez pas plus à l'autre source de la pauvreté, cette segmentation du marché du travail qui confine toujours les mêmes dans les petits boulots, les CDD, l'intérim, et en particulier les femmes. L'urgence serait de pousser les partenaires sociaux à la négociation dans les branches qui recourent trop largement à ce type de contrat et de leur appliquer un système de bonus-malus en cas d'échec. L'urgence, c'est aussi d'agir sur les licenciements. Mais dans ce domaine, vous vous contentez d'affaiblir les garanties des salariés en modifiant la définition de la modification substantielle du contrat de travail. Pour le reste, vous renvoyez à la négociation d'entreprise, faute d'avoir su trouver un accord global. Et réintroduire les congés de reclassement n'aura rien de révolutionnaire, car ce dispositif avait été créé puis abandonné par les partenaires sociaux.

Vous ne traitez pas de la grande question des garanties sociales qu'il faudrait assurer aux salariés, quels que soient les aléas de leur carrière professionnelle, par l'obligation d'adaptation, en faisant du reclassement une obligation de résultat, en mobilisant le service public et les partenaires locaux pour garantir un vrai retour à l'emploi dans un délai minimal.

Une autre exigence est d'articuler entre eux tous les leviers de l'insertion : l'emploi et le logement, que vous abordez un peu, l'école, évoquée de manière légère, la santé, grande oubliée de votre projet. Et vous ne savez pas mobiliser les acteurs locaux sur des objectifs clairs. Monsieur le ministre, je ne doute pas de votre engagement, de votre énergie, de votre enthousiasme, mais tant de promesses avec si peu de moyens, tant de confusion malgré de beaux discours, cela s'appelle vibrionner. Vous êtes une sorte de Zébulon, mais ce gouvernement est plus près de la jungle en folie que du manège enchanté !

Une autre exigence encore était de créer la confiance pour obtenir l'adhésion des citoyens. Ce qui fait la cohésion d'un pays, c'est de croire que les écarts sont justifiés et que l'intérêt général est la seule motivation de l'action du gouvernement. Il vous reste beaucoup à faire, car la seule préoccupation de votre majorité pendant le débat budgétaire a été la réforme de l'ISF ! Et quelle confiance peut susciter un gouvernement trois fois désavoué par le suffrage universel et qui n'en a cure, qui vit au rythme des luttes d'ambition, et dont les dirigeants attachent plus d'importance à la présidence d'un parti qu'à la direction du ministère de l'économie ?

Ce plan satisfait peut-être votre goût du spectaculaire : il vous a fallu jongler avec vos partenaires du gouvernement et de la majorité, il vous faudra jongler pour obtenir les moyens nécessaires. J'ai lu que vous acceptiez mal la critique, qu'il fallait se fier à vos louables intentions. Nous pourrions le faire si vous n'aviez pas été de tous les gouvernements depuis mai 2002. Or, avez-vous à un moment quelconque dénoncé les décisions d'un Président de la République et d'un Premier ministre qui n'ont fait qu'accroître la précarité et développer les inégalités ? Je n'en ai pas gardé le souvenir. Nous ne jugeons pas sur la faconde, Monsieur le ministre, mais sur les moyens et les actes. A cet égard, le jugement est sans appel.

C'est pourquoi je souhaite le renvoi en commission pour reprendre le chantier. Comme l'a dit Jean Le Garrec, nous ne pouvons que souhaiter que ce plan réussisse, étant donné l'état dans lequel est notre pays. Sinon, nous aurions ensuite la responsabilité de trouver des solutions aux problèmes que vous aurez aggravés. Malheureusement, rien ne laisse penser que ce plan de cohésion sociale sera autre chose qu'un discours de politique générale, rien ne marque une détermination nouvelle nous permettant, sans être d'accord sur les moyens, de mener une discussion constructive. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Mais devant un montage médiatique conçu pour faire oublier aux Français qui est responsable de leurs difficultés, ne comptez pas sur notre complaisance (Rires sur les bancs du groupe UMP). Les Français savent ce que vous avez fait. Notre responsabilité est de préparer l'alternative pour leur rendre confiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail - Pschitt - n'est-ce pas, Monsieur Roy ? Voilà à quoi pourrait se résumer la défense de cette motion ! Plan médias, dites-vous ? Deux fois plus de logements en cinq ans, 120 millions de DSU supplémentaires, 80 millions de dotations de solidarité rurale, 115 000 contrats d'accompagnement vers l'emploi, 230 000 contrats d'avenir, 115 000 CIE : est-ce simplement un plan médias ? En réalité, ce plan c'est du concret, il est attendu par les élus de gauche comme de droite, ainsi qu'en témoignent les centaines de demandes de maisons de l'emploi.

Par ailleurs, vous avez prétendu que ce Gouvernement n'avait aucune politique de l'emploi, alors que nous travaillons à la maîtrise du coût du travail, notamment sur les bas salaires, pour éviter des révisions déchirantes à l'allemande, à la manière des plans Hartz, qui ont certes créé autant d'emplois que ceux dont vous vous targuez avec les 35 heures, mais sans conduire à la modération salariale, ni à la création de sept SMIC différents, que nous avons dû rattraper.

Et que dire de notre plan de rénovation de la formation professionnelle ! Voilà les éléments d'une véritable politique de l'emploi, auxquels s'ajoutent des actions pour la recherche et le développement, des stratégies industrielles. Nous avons tenu bon face à la Commission qui voulait nous imposer certaines décisions au nom de la concurrence.

Enfin, vous évoquiez le dialogue social, mais je voudrais vous renvoyer à la position commune de juillet 2001 qui a décidé d'en finir avec une vieille pratique par laquelle on ne consultait les partenaires sociaux que le lendemain - je pense à la loi sur la réduction du temps de travail, ou à la loi de modernisation sociale.

En 18 mois, nous nous sommes donnés le temps du dialogue, mais il faut bien, finalement, que la démocratie politique tranche. Notre proposition est équilibrée (« Non » ! sur les bancs du groupe socialiste). Elle modifie notre droit du travail, en assurant une plus grande sécurité au salarié, en insistant sur la prévention, et en restaurant l'égalité entre les salariés des entreprises de plus de 1000 salariés, et celles de moins de 1000.

Je crois au contraire, Monsieur Gorce, que ce projet de loi mérite d'être débattu. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) .

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Je voudrais faire un rappel au règlement en raison des conditions dans lesquelles M. Gorce a défendu sa motion de renvoi en commission. C'est la première fois que je vois le Gouvernement empêcher délibérément un député de s'exprimer.

M. Marc-Philippe Daubresse, ministre délégué au logement et à la ville - Vous ne venez pas souvent !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Je le signale d'autant plus que ce débat va se poursuivre sur plusieurs semaines...

M. le Président - Ce n'est pas un rappel au règlement !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - C'est un incident de séance, visé à l'article 58 de notre règlement. Pour ces raisons, je demande une suspension de séance.

M. le Président - Il n'est déjà pas coutumier d'accorder la parole pour un rappel au règlement en pleine explication de vote, aussi ne suspendrai-je pas la séance. La parole est à M. Dubernard.

M. Augustin Bonrepaux - Mais les explications de vote n'ont pas encore commencé ! La suspension est de droit !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Je souhaite saluer le discours de M. Gorce...

M. Augustin Bonrepaux - Vous ne respectez pas le règlement !

M. le Président de la commission des affaires culturelles - Mais calmez vous ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) ...

M. Augustin Bonrepaux - On ne peut pas travailler dans ces conditions !

M. le Président de la commission des affaires culturelles - Je voudrais donc tout d'abord saluer le discours de M. Gorce, qui a fait preuve d'une rare élégance verbale, et d'un débit impressionnant... (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - Calmez vous, Monsieur Bonrepaux, je vous accorderai la parole tout à l'heure !

M. le Président de la commission des affaires culturelles - Laissez-moi parler, sinon je peux crier, moi aussi ! M. Gorce manie parfaitement l'art de la provocation, ce qui a pu provoquer quelques mouvements sur nos bancs.

Je voudrais rendre hommage aux deux rapporteurs, M. Dord et Mme de Panafieu, pour la qualité de leur travail, et leur investissement. Pas moins d'une cinquantaine d'auditions ont eu lieu, et la commission a été réunie à six reprises pour une durée de près de 15 heures ! 772 amendements ont été examinés, et 265 adoptés, parmi lesquels 166 ont été proposés par les rapporteurs de la commission des affaires culturelles, trois par la commission des finances, quatre par la commission des affaires économiques, 46 par le groupe UMP, 12 par le groupe UDF, huit par le groupe socialiste, trois par le groupe des députés communistes et républicains, cinq par les députés n'appartenant à aucun groupe, et 18 par le Gouvernement !

Je remercie encore le rapporteur de la commission des finances, M. Joyandet, et le rapporteur de la commission des affaires économiques, M. Mothron, pour leur travail. La commission des finances a examiné et adopté huit amendements, tandis que la commission des affaires économiques en a examiné 35 et adopté 10.

Je salue la richesse des propositions du groupe de travail sur l'apprentissage, à l'initiative du ministre délégué aux petites et moyennes entreprises, qui ont profité, grâce à MM. Anciaux et Beaudouin, à l'ensemble de la commission.

Enfin, la présence active de l'opposition en commission a, elle aussi, contribué au dynamisme de nos travaux. C'est qu'il n'y a pas la télévision, ni le JO en commission ! Mais l'image que vous donnez de notre Assemblée n'est pas flatteuse et il ne faut pas s'étonner que le Parlement soit parfois moqué !

Après le travail accompli, le retour en commission est inutile. Poursuivons plutôt l'examen de ce projet, si possible avec la même fougue ! Sur le fond, je n'ai rien à ajouter à la réponse très argumentée de M. Larcher (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Il était tout à fait normal que je donne la parole au président de la commission...

Plusieurs députés socialistes - Non ! Pas du tout !

M. le Président - Mais je souhaite que le débat se poursuive dans de bonnes conditions et j'accède à votre demande de suspension pour que nous abordions sereinement les explications de vote.

La séance, suspendue à minuit est reprise à 0 heure 10 le jeudi 25 novembre.

M. Augustin Bonrepaux - Rappel au règlement fondé sur l'article 58, alinéa 3. Les demandes de suspension présentées par les présidents de groupe ou par leurs représentants sont de droit. Nous aurions donc pu éviter cet incident. Nos protestations légitimes nous ont empêché d'entendre les propos du président de la commission, mais j'en prendrai connaissance avec intérêt dans le compte rendu. Cela dit, mes interpellations s'adressant à la présidence, M. Dubernard aurait pu se dispenser de me mettre en cause personnellement.

M. le Président - Sur le vote de la motion de renvoi en commission, je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public. Nous en arrivons aux explications de vote

M. Bernard Perrut - Nous avons écouté avec beaucoup d'attention M. Gorce, qui s'est appliqué à nous donner une leçon de morale. Las, chacun sait que les donneurs de leçons ne sont pas forcément les plus vertueux. A ce titre, M. Gorce aurait sans doute été mieux inspiré de ne pas faire de la promotion du dialogue social l'un des thèmes majeurs de son intervention. Personne n'a oublié que la majorité précédente a imposé les 35 heures sans aucune concertation ou que les dispositions de la loi Guigou relatives au licenciement économique ont été adoptées à la sauvette, en deuxième délibération, ce qui n'avait pas manqué de provoquer un psychodrame dans la majorité plurielle d'alors. Je n'aurai pas non plus la cruauté de rappeler que l'ensemble des organisations syndicales étaient farouchement hostiles à ce dispositif. Tel est votre bilan en matière de dialogue social. Alors, pas de leçons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Le Premier ministre a, lui, fait le choix du dialogue social et vos critiques sont d'autant plus illégitimes qu'elles passent sous silence les avancées indiscutables du plan de cohésion sociale, telles que l'anticipation des mutations d'emploi au travers d'une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences renouvelées ou la promotion des accords de méthode négociés avec les organisations syndicales pour formuler des propositions concrètes. Cette loi renforce enfin les garanties de reclassement des salariés, en particulier ceux des entreprises de moins de mille salariés, à ce jour exclus de ce type de mesures. Voilà la vérité, Monsieur Gorce !

Puisque vous avez choisi la caricature et la polémique, permettez-moi de vous le dire : ce gouvernement et sa majorité n'ont pas à rougie de leur bilan en matière sociale. Au contraire, avec ce projet nous poursuivons et amplifions la politique menée depuis deux ans. Cette politique est marquée par la hausse de 18 % en trois ans du SMIC horaire, équivalant à un treizième mois pour des milliers de salariés ; par la création de 160 000 CDI pour des jeunes pas ou peu qualifiés avec le contrat jeune en entreprise ; par la possibilité pour les salariés qui ont eu une longue carrière de partir en retraite avant soixante ans, ce que vous aviez toujours refusé ; par l'établissement du droit individuel à la formation pour tous les salariés... Autant de mesures à mettre au crédit du Gouvernement. Le présent projet va dans le même sens : plus de DSU, plus de logements, plus de contrats, plus de cohésion sociale ! Nous rejetterons donc la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Francis Vercamer - En écoutant M. Gorce, je me suis interrogé sur les motifs de sa motion de renvoi en commission. Il a dit à plusieurs reprises qu'il n'était pas là pour faire des propositions, mais pour critiquer le Gouvernement. Or, à ma connaissance, le travail en commission a plutôt pour but de proposer et d'améliorer les textes... Si l'on part du principe qu'il y a lieu de critiquer et non de proposer, on ne voit pas l'intérêt d'un retour en commission ! A moins que la raison en soit l'absence des commissaires socialistes lors de la dernière réunion...

M. Gorce, selon l'habitude des socialistes, a recouru à l'excès et à la caricature. Ce n'est pas ainsi qu'on avance et qu'on améliore un texte. Il a critiqué le Gouvernement pour ses reculades sur un certain nombre de points. Nous, à l'UDF, nous sommes heureux que le Gouvernement ait reculé sur l'ASS, car nous l'avions demandé. Même chose quand il a rétabli le financement de la HALD : tant mieux ! Tant mieux aussi quand il revient sur la première proposition de prêt à taux zéro. Quand le Gouvernement s'aperçoit que l'UDF a raison et revient sur ses positions, je dis bravo. J'espère qu'il fera de même sur nos amendements au présent texte.

Ceci est un texte de cohésion sociale. La fracture sociale n'est pas vieille de deux ans, comme le dit l'opposition, mais de vingt ans. Quand on a été au pouvoir pendant les trois quarts de cette période, on devrait éviter de donner des leçons à ceux qui tentent aujourd'hui de remédier à cette fracture. Sans doute le projet demande-t-il à être amélioré, et c'est bien pourquoi nous allons siéger durant les jours qui viennent. Mais le renvoyer en commission et perdre encore du temps, est-ce vraiment faire un cadeau aux exclus de ce pays ? L'UDF rejettera donc cette motion, et fait confiance au Gouvernement pour accepter ses amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Augustin Bonrepaux - Mes chers collègues, vous me semblez n'avoir pas bien écouté M. Gorce, et le renvoi en commission est tout à fait justifié. Il l'a bien dit : nous souhaitons que ce plan réussisse, mais nous nous interrogeons sur les moyens qui lui sont consacrés. L'interrogation porte d'abord sur le chiffre de 12,8 milliards, et ici, Monsieur le ministre, vous apparaissez un peu comme un illusionniste : nous avons beau chercher, nous ne trouvons pas d'où peuvent venir 12,8 milliards supplémentaires. Prenons quelques exemples. Sur le budget de l'emploi, nous trouvons 100 millions de plus ; les autres crédits sont recyclés. Quant au contrat d'avenir, on nous dit qu'il sera financé à 75 % du solde à la charge de l'entreprise la première année, 50 % la deuxième et 25 % la troisième. Or, son coût, nous dit-on, est estimé à 588 euros par mois la première année, et 368 la troisième. Pardonnez-moi, mais 368 n'est pas le tiers de 588 ! Tout cela est donc un peu confus, et permet de gonfler de 20 % les montants consacrés à ce contrat. Troisième exemple : les fonds d'insertion. Jusqu'à présent il y avait bien une participation à ces fonds : on la recycle, mais vous présentez cela comme un montant supplémentaire. De la sorte on crée des illusions et on maquille la réalité.

D'autre part, avant de prendre des mesures nouvelles, mieux vaudrait que l'Etat assume ses responsabilités dans les mesures qu'il va transférer. Quelques exemples là encore. A l'ANPE, le service va devenir payant. Depuis un an, Monsieur le Ministre, je pose la question : les personnels de l'ANPE qui travaillaient à l'insertion sont-ils maintenant payants pour le département, ou non ? Selon votre réponse, nous saurons si vraiment, comme l'affirme M. Copé, les transferts se font ou non à l'euro près. Pour l'instant la réponse est non... Mieux vaudrait que l'Etat honore ses engagements au lieu de décider qu'on va faire payer ces services ailleurs ? Est-ce ou non un transfert sur les collectivités ? cette question justifie déjà le renvoi en commission.

Deuxième exemple : le fonds social du logement a été réduit de 25 % en 2003. Certes il a été remonté en 2004, mais pas au niveau de 2002. Or, depuis 2002, la pauvreté s'est aggravée, ainsi que la précarité, et vous en êtes responsables. Honorez donc d'abord vos responsabilités dans le cadre de ce fonds, avant d'envisager de faire autre chose. Je pourrais faire la même démonstration pour le fonds d'appui aux jeunes.

Concernant les demandeurs d'asile, il y a des mesures : très bien. Mais les départements - qu'ils soient de gauche ou de droite - sont obligés de faire régulièrement des recours devant les tribunaux, parce que l'Etat se décharge de ses responsabilités. Commencez donc par honorer les responsabilités de l'Etat vis-à-vis des demandeurs d'asile !

Quant aux maisons de l'emploi, je me demande ce qu'elles apporteront de nouveau, car c'est en grande partie aussi le rassemblement de moyens existants. Je sais de quoi je parle, car il y en a une dans mon département. Je ne vois pas ce que l'Etat va apporter, mais je sais bien comment nos collectivités l'ont financée : pour l'essentiel la région et le département.

Enfin, sur le logement, Jean-Louis Dumont a posé en commission une question importante. Vous voulez construire. Mais il faut des terrains. Que répond le Gouvernement ? Que les régions ou les EPCI pourront créer des établissements publics fonciers dans un délai de deux ans et demi. Quand allons-nous alors construire les logements ? En outre, pour construire des logements, il faut aussi une participation très importante des collectivités locales. Dans mon département, elles apportent le terrain ; le département apporte 26 000 francs par logement, et l'OPAC 4 000. Il vaudrait mieux que vous amélioriez un peu le financement, pour pouvoir dire que c'est vraiment l'Etat qui fait un effort, plutôt que de transférer toutes ces charges sur les collectivités locales. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

A la majorité de 45 voix contre 16 sur 61 votants et 61 suffrages exprimés, la motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à cet après-midi.

Prochaine séance ce matin, jeudi 25 novembre, à 9 heures 30.

La séance est levée à 0 heure 25.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU JEUDI 25 NOVEMBRE 2004

A NEUF HEURES TRENTE : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

Discussion de la proposition de résolution (n° 1871) de M. Henri EMMANUELLI et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête visant à analyser le niveau et le mode de formation des marges et des prix dans le secteur de la grande distribution, et les conséquences de l'évolution des prix sur le pouvoir d'achat des ménages.

Rapport (n° 1874) de M. Jean GAUBERT au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

A QUINZE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence (n° 1911), de programmation pour la cohésion sociale.

Rapport (n° 1930) de Mme Françoise de PANAFIEU et M. Dominique DORD, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Avis (n° 1920) de M. Alain JOYANDET, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

Avis (n° 1928) de M. Georges MOTHRON, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 3ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.


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