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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 39ème jour de séance, 94ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 8 DÉCEMBRE 2004

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

SITUATION DES PERSONNES HANDICAPÉES 2

SÉCURITÉ ROUTIÈRE 2

POLITIQUE DE L'EMPLOI 3

ACCESSIBILITÉ DES BÂTIMENTS PUBLICS
AUX PERSONNES HANDICAPÉES 4

FORMATION DES IMAMS 5

VITICULTURE FRANÇAISE 5

SOLIDARITÉ ENVERS LES PLUS DÉMUNIS 6

SOUTIEN À L'ENGAGEMENT ASSOCIATIF 7

POLITIQUE DU LOGEMENT 7

HANDICAP 8

TRAVAIL DES ENFANTS DANS LE MONDE 9

VOL DE DOCUMENTS OFFICIELS 10

COMPÉTENCES DES TRIBUNAUX D'INSTANCE, DE PROXIMITÉ
ET DE GRANDE INSTANCE 11

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 14

ARTICLE PREMIER 25

ART. 2 26

ART. 3 26

ART. 4 27

ART. 5 28

ART. 6 28

ART. 7 28

ART. 8 29

ART. 9 29

ART. 10 29

ART. 11 29

EXPLICATIONS DE VOTE 29

ORDRE DU JOUR
DU JEUDI 9 DÉCEMBRE 2004 30

La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

SITUATION DES PERSONNES HANDICAPÉES

M. Daniel Paul - Madame la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, la mobilisation des associations de personnes en situation de handicap est exceptionnelle, une manifestation a lieu depuis ce matin, et je salue la présence dans les tribunes de nombreuses personnes en situation de handicap venues de toute la France (Applaudissements sur tous les bancs).

Trente ans après le vote de la loi de 1975, il est urgent de permettre aux 5 à 6 millions de personnes en situation de handicap de profiter pleinement de tous les aspects de la vie économique, sociale et culturelle. Malheureusement, le manque de moyens budgétaires, conjugué à une conception étriquée du handicap, sont autant d'obstacles à cet objectif. Le chemin à parcourir reste long, surtout lorsque le Sénat revient sur les acquis obtenus en première lecture pour l'accessibilité, les ressources, ou le droit à l'éducation.

Un député socialiste - C'est scandaleux !

M. Daniel Paul - Vous voulez restreindre le droit à la scolarisation en milieu ordinaire, lorsqu'il est susceptible de perturber la communauté des élèves !

Nous poursuivrons notre combat en deuxième lecture ! Madame la secrétaire d'Etat, vous avez déclaré au Sénat vouloir présenter une réforme des ressources lors de l'examen en deuxième lecture du projet de loi devant l'Assemblée nationale. Allez-vous enfin garantir aux personnes en situation de handicap un revenu d'existence et non plus de subsistance, au moins égal au SMIC ? Au-delà, aurez-vous le courage de pallier les lacunes de ce texte qui provoque la colère des personnes concernées, et de répondre enfin à leurs attentes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées - Les associations attirent notre attention sur l'importance du volet accessibilité du projet de loi sur l'égalité des droits, des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Ce volet essentiel nous oblige à être précis, et à réintroduire dans la loi, à l'occasion du prochain examen en deuxième lecture du projet de loi, des délais aux termes desquels l'efficacité du dispositif sera mesurée.

Mais l'accessibilité n'est pas que physique. Nous avons un défi collectif à relever. Vous avez souligné l'accessibilité à l'école, et la loi prévoit l'inscription à l'école la plus proche. C'est un progrès considérable que nous devrons mettre en œuvre. L'accessibilité, c'est encore celle de l'information, de la culture, des loisirs.

S'agissant des ressources des personnes handicapées qui ne peuvent pas travailler, un Gouvernement qui s'engage sur l'égalité des droits et des chances ne peut pas renvoyer ces personnes aux minima sociaux, ni aux revenus de l'exclusion, aussi proposerai-je, à l'occasion de la deuxième lecture, la compensation en termes de ressources. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

SÉCURITÉ ROUTIÈRE

M. Jean-Michel Bertrand - Monsieur le ministre de l'équipement et des transports, vous venez de publier ce matin le bilan de la sécurité routière pour le mois de novembre. Les chiffres sont encourageants ; nous félicitons nos concitoyens pour leurs efforts, et le Gouvernement pour l'efficacité de sa politique de lutte contre la violence routière.

Comme s'y était engagé le Premier ministre en mai dernier, un décret a été publié hier au Journal Officiel, visant à moduler le montant des amendes en fonction de la gravité des infractions pour excès de vitesse. Cette mesure équitable ne doit pas être interprétée comme un feu vert à la démobilisation des automobilistes, mais comme un encouragement.

Dans cet esprit, avez-vous l'intention d'assouplir ou de graduer d'autres mesures de contrôle, afin de responsabiliser les conducteurs - je pense en particulier au positionnement de certains radars ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer - Les résultats de novembre 2004 - moins 9,8 % de morts sur les routes - sont d'autant plus encourageants qu'ils se rapportent à un mois de novembre 2003 déjà en progrès par rapport à 2002. Chaque jour qui passe, ce sont neuf vies épargnées ! Il faut encourager les automobilistes dans cette voie, aussi le Premier ministre a-t-il pris, dans un souci d'équité, un décret visant à réduire les sanctions pour les dépassements de vitesse inférieurs à 20 kilomètres par heure, hors agglomération, et à aggraver celles sanctionnant des dépassements supérieurs à 50 kilomètres par heure : six points pourront être retirés du permis de conduire, les arrangements relatifs au retrait du permis ne seront plus possibles, et le tribunal pourra même décider de confisquer le véhicule.

Grâce à ces mesures plus justes, nous espérons que la politique de sécurité routière, mieux comprise, sera mieux respectée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

POLITIQUE DE L'EMPLOI

M. Eric Besson - La stratégie gouvernementale de l'emploi n'est guère compréhensible : quelle cohérence pour quelles orientations ? Vous avez ainsi systématiquement démantelé les emplois aidés, notamment les emplois-jeunes, et vous voulez aujourd'hui faire croire que vous pourriez partiellement les rétablir. Alors que le Président de la République considère les 35 heures comme un acquis social et que de nombreux experts estiment qu'elles ont permis de créer 350 000 emplois, (Protestations sur les bancs du groupe UMP) vous les chargez de tous les maux et vous les videz peu à peu de leur substance sans jamais l'assumer. Quid de la réforme de la taxe professionnelle ? Un seul député UMP est-il capable d'expliquer ce qu'apportera le plan Borloo à un chômeur à partir du 1er janvier ?

Plusieurs députés socialistes - Rien !

M. Eric Besson - Quelle crédibilité accorder à un gouvernement qui annonce un contrat de travail intermédiaire, non financé, n'ayant fait l'objet d'aucune concertation, le jour même où la majorité accroît la flexibilité du travail ? Les résultats de cette politique brouillonne sont là : plus de 200 000 chômeurs supplémentaires depuis votre arrivée au pouvoir et un taux record de chômage des jeunes.

Depuis deux an et demi, Monsieur le Premier ministre, vous annoncez tous les trois mois que tout ira mieux dans six mois, or, les acteurs économiques ne comprennent plus rien à votre stratégie ce qui nuit aux investissements, les ménages craignent pour leur avenir, ce qui pèse sur la consommation. Face à ce lourd échec, avez-vous une politique de l'emploi...

Plusieurs députés socialistes - Non !

M. Eric Besson - ...et si oui, pourriez-vous nous l'expliquer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Président - La parole est à M. Larcher. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail - Concernant notre politique de l'emploi, une excellente réponse a été donnée hier avec le vote du plan de cohésion sociale (Protestations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP) : modernisation du service de l'emploi, contrats d'avenir qui permettront de former les allocataires du RMI ou de l'ASS, droit au reclassement enfin qui met sur un pied d'égalité les salariés qu'ils travaillent dans des entreprises de plus ou moins de 1 000 salariés.

Les 35 heures furent économiquement et socialement contreproductives (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste) car à l'inverse de tous nos concurrents, nous avons réduit le nombre de jours travaillés - ce qui nuit à notre compétitivité - et nous n'avons pas encore pris la mesure de leurs conséquences sociales, même si la situation des établissements médico-sociaux est d'ores et déjà difficile.

Notre méthode...

M. Augustin Bonrepaux - Vous n'en avez pas !

M. le Ministre délégué - ...est fondée sur le dialogue social : il s'agit de permettre à ceux qui veulent travailler plus de gagner plus, tout comme aux entreprises de relever les défis de la concurrence. Le Premier ministre apportera les réponses nécessaires après le temps de la concertation (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) car lui a rencontré les partenaires sociaux et n'a pas imposé autoritairement un certain nombre de mesures. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

ACCESSIBILITÉ DES BÂTIMENTS PUBLICS AUX PERSONNES HANDICAPÉES

M. Stéphane Demilly - Le Président Chirac a fait de l'amélioration de la situation des personnes handicapées une grande cause nationale et une priorité gouvernementale, or, en ce moment même, aux portes de l'Assemblée, les associations de personnes handicapées expriment leurs légitimes attentes quant au projet de loi que nous examinerons en seconde lecture. L'accessibilité aux bâtiments, notamment aux bâtiments publics, est une de leurs revendications majeures. En ma qualité de maire, j'envisage l'installation d'un ascenseur pour desservir les étages de l'Hôtel de Ville et, face au coût de ce projet, je me suis renseigné sur divers financements publics. Madame la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, je me suis donc tourné vers vos services, persuadé que votre ministère avait réservé des moyens financiers pour aider les collectivités, mais quelle n'a pas été ma surprise de constater qu'il n'en était rien ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) J'ai été renvoyé à la préfecture pour la dotation globale de fonctionnement, mais chacun sait que l'enveloppe 2005 de cette dotation est déjà pré-consommée par les dossiers de 2004, voire de 2003.

Quels moyens financiers le Gouvernement entend-il débloquer pour aider les collectivités locales à rendre enfin les bâtiments publics accessibles aux personnes handicapées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées - Tout établissement recevant du public devra être aménagé de telle sorte que les personnes handicapées puissent y accéder. L'ensemble des propriétaires de ces bâtiments seront concernés, dont les collectivités locales. Je suis bien entendu sensible à la situation des maires contraints par l'architecture des bâtiments à effectuer des travaux complexes. Pour assurer un service de proximité sans pour autant déséquilibrer les finances locales, il faut faire preuve d'imagination. D'où l'importance de la question des délais.

Concernant les propriétaires privés comme, par exemple, les petits commerçants, une dotation supplémentaire du FISAC permettra de les aider à rendre leurs établissements accessibles.

J'étudierai enfin les conditions dans lesquelles la dotation générale d'équipement pourra aider efficacement les collectivités locales. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

FORMATION DES IMAMS

M. Jean-Michel Ferrand - On dénombre en France environ cinq millions de musulmans dont moins de 10 % sont pratiquants. Un recensement du 1er octobre indique qu'il y aurait 1 685 lieux de culte dont une cinquantaine serait liée à une mouvance radicale. Environ 1 200 imams officieraient sur notre territoire, mais 75 % d'entre eux ne sont pas Français et plus d'un tiers ne parle pas notre langue, ce qui est inacceptable.

Certes, l'Etat ne doit pas interférer avec les convictions religieuses des personnes vivant sur notre territoire, mais nous devons avoir en France des imams français parlant français. C'est l'intérêt des musulmans et de l'Islam de France, il y va aussi de l'avenir de la République. Que comptez-vous donc faire, Monsieur le ministre ? Quel type de formation envisagez-vous de proposer aux futurs imams ? Par qui sera-t-elle dispensée ? Est-il prévu d'en organiser une aussi pour les imams exerçant déjà ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Il faut partir d'un constat simple : 1 200 imams exercent en France, dont plus d'un tiers ne parlent pas le français. C'est inacceptable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) C'est pourquoi j'ai décidé d'ouvrir deux chantiers.

Le premier est celui de la formation initiale. Dans sa partie théologique, elle relève de la responsabilité des musulmans eux-mêmes, des fédérations et du Conseil français du culte musulman. Pour ses aspects profanes, c'est-à-dire le droit, la sociologie, la connaissance de nos institutions et de notre langue, elle relève de la responsabilité de l'Etat, qui l'assumera. Dès la rentrée prochaine, François Fillon et moi entendons donc créer un module universitaire et offrir cette formation à tous ceux qu'elle intéresse.

Le deuxième est celui de la formation continue. Elle s'adresse à ceux qui se trouvent déjà en France et qui ne maîtrisent pas suffisamment les connaissances requises. J'ai donc demandé aux préfets de prévoir des stages d'apprentissage portant à la fois sur les institutions et sur la langue française. Il en sera organisé dès le premier trimestre 2005, en priorité dans les zones où nous en avons le plus besoin, c'est-à-dire l'Ile-de-France, le Nord, les régions PACA et Rhône-Alpes.

Des imams français parlant français, tel est bien notre objectif. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

VITICULTURE FRANÇAISE

M. Alain Suguenot - J'associe à ma question les parlementaires qui m'accompagnaient lorsque nous avons remis au Premier ministre, il y a quatre mois, le Livre blanc sur le vin dans la société française.

M. Jean-Pierre Soisson - Ecoutez, il a raison !

M. Alain Suguenot - Nous avons procédé à de nombreuses rencontres et auditions pour être en mesure de proposer des solutions concrètes, qui permettent de cesser une fois pour toutes d'opposer la santé publique et les 400 000 professionnels qui portent à bout de bras un patrimoine et une culture que le monde entier nous envie.

Nous proposons notamment de mettre en place un conseil de la modération, réunissant toutes les parties concernées et assurant une communication intelligente et responsable. Ce conseil serait une réponse aux milliers de viticulteurs qui descendent aujourd'hui dans la rue et qui ont le sentiment que la viticulture est sacrifiée, comme une brebis expiatoire, sur l'autel de la pensée unique de l'interdit. Telle Iphigénie sous le couteau de Calchas, la viticulture française appelle au secours. Allons-nous rester sourds à ses appels ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité - Les manifestations qui ont lieu dans plusieurs de nos régions témoignent de la très vive inquiétude des viticulteurs. Le Gouvernement en a conscience, il connaît les difficultés de la filière et il sait ce qu'elle représente sur le plan économique social et culturel.

Le Livre blanc qui a été remis au Premier ministre - et qui a été favorablement accueilli - contient des propositions intéressantes en matière d'éducation, de formation et de communication. Par ailleurs, les professionnels de la filière avaient présenté à mon prédécesseur, Hervé Gaymard, des propositions d'organisation nouvelle de l'offre, tant pour les AOC que pour les vins de pays et les vins de table. Des discussions sont donc en cours.

Le temps de l'action est venu (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Je recevrai l'ensemble des professionnels le 14 décembre pour en arrêter les modalités, en associant naturellement tous les parlementaires qui le souhaitent. Quant au conseil de la modération que vous avez évoqué dans le Livre blanc, je le mettrai en place dès le mois de janvier en concertation avec les professionnels de la filière. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

SOLIDARITÉ ENVERS LES PLUS DÉMUNIS

Mme Hélène Mignon - En juin, Monsieur le Premier ministre, vous nous promettiez un grand juillet social et annonciez la troisième étape du quinquennat, celle du partage de la croissance. Le 16 novembre, en recevant le rapport annuel du Secours catholique, vous évoquiez un devoir de mobilisation collective pour lutter contre la pauvreté et l'exclusion. Vos décisions budgétaires n'en creusent pas moins le fossé entre ceux d'en haut et ceux d'en bas.

Et le travail joue de moins en moins son rôle traditionnel de rempart contre la pauvreté. Emplois précaires, CDD, intérim, temps partiel ou emplois aidés font en effet des travailleurs pauvres, condamnés à vivre en dessous du seuil de pauvreté. La loi de cohésion sociale, qui a été adoptée hier et que la presse unanime juge peu convaincante faute de crédits, n'améliorera pas la situation de l'emploi, mis à part qu'elle fera baisser artificiellement le taux du chômage.

Les Restos du cœur viennent d'ouvrir leurs portes et vont faire face à une demande croissante, comme d'ailleurs d'autres organismes offrant repas, hébergement ou soins aux plus défavorisés. Le Samu social est lui aussi de plus en plus sollicité. Il est inacceptable que ces associations soient obligées de mener de façon répétitive des campagnes appelant aux dons et que leurs bénévoles soient contraints d'aller récupérer des denrées alimentaires.

Cette solidarité-là relève de la responsabilité de l'Etat. La France est riche : elle n'a jamais eu tant de pauvres ! Que comptez-vous faire pour que ces familles puissent vivre dans la dignité, non grâce à la charité - fût-elle collective - mais à la solidarité nationale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et plusieurs bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion - Sur les questions qui touchent à la dignité des plus fragiles nous avons tous un devoir d'humilité. Quand vous dites qu'il n'y a rien dans le plan de cohésion sociale, je rappelle que, sur cinq ans, son volet financier est de 13 milliards d'euros (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Il y a une loi de programmation année par année qui, en face des actions, prévoit les moyens. De plus le Gouvernement s'est engagé à faire une évaluation tous les six mois. S'agissant des plus démunis, nous ne pouvons recevoir de leçons que de ceux qui peuvent en donner : je ne crois pas que le parti socialiste soit le mieux placé pour cela ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Pour les associations, dont je salue le travail courageux, 145 millions de crédits supplémentaires sont mobilisés en 2003 et 186 millions en 2004. Il y a une dotation complémentaire de 10 millions d'euros pour approvisionner les associations d'aide alimentaire pour les produits carnés. Il y a également 500 000 logements qui vont être construits, ce que vous n'avez pas fait, puisqu'en 1999 vous n'avez été capables d'en construire que 39 000. Je crois donc qu'un peu d'humilité et de décence de votre part s'imposeraient ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

SOUTIEN À L'ENGAGEMENT ASSOCIATIF

M. Yannick Favennec - Ma question s'adresse à M. le ministre de la jeunesse, des sports et du monde associatif. Les associations ont une place primordiale dans notre société, et je le constate quotidiennement dans mon département de Mayenne. Elles développent le lien social en répondant aux besoins élémentaires des citoyens ; elles contribuent à l'animation de nos territoires ruraux ; elles jouent un rôle important dans notre économie. De nombreux bénévoles, au dévouement exemplaire, font un travail remarquable. Ils ont parfois, cependant, le sentiment de ne pas être assez reconnus et soutenus.

M. Augustin Bonrepaux - Ils ont raison !

M. Yannick Favennec - En juillet, Monsieur le ministre, vous avez voulu montrer votre volonté d'apporter une reconnaissance officielle au secteur associatif, et présenté les axes de votre politique. Vous avez notamment annoncé un projet de loi relatif au volontariat associatif et fait des propositions, dont la création d'un passeport du bénévole permettant de recenser les compétences acquises dans le travail associatif, ainsi que des mesures facilitant la conciliation entre l'engagement associatif et la vie professionnelle. D'autre part, pour réaliser leurs projets, les associations ont besoin de financements, publics ou privés : vous avez souhaité mettre en place avec le secteur bancaire un système de caution et de garantie mutuelle, comme il en existe dans d'autres secteurs. Six mois plus tard...

M. Augustin Bonrepaux - Il n'y a rien !

M. Yannick Favennec - ...quel est l'état d'avancement de cette politique ? Et quels sont vos objectifs pour soutenir l'engagement associatif ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-François Lamour, ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative - L'année 2004 aura été celle de la reconnaissance institutionnelle du fait associatif et, à la demande du Premier Ministre et du Président de la République, l'intitulé « vie associative » apparaît enfin dans le nom d'un département ministériel. Cela m'a permis, le 8 juillet, de présenter vingt-deux actions concrètes aux représentants du monde associatif. D'autre part le Premier ministre a reçu le 15 novembre la Conférence permanente des coordinations associatives pour travailler avec elle sur le contrat 2005 qu'il entend proposer au pays. Parmi les vingt-deux actions que j'ai mentionnées, j'en soulignerai quelques-unes. C'est tout d'abord le dépôt d'un projet de loi sur le volontariat associatif, afin de permettre au volontaire de s'engager exclusivement pour porter un projet au sein de l'association. Le monde associatif a particulièrement bien reçu cette proposition, destinée notamment à permettre aux jeunes de s'y investir (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

J'ai également créé le Conseil de développement de la vie associative, doté de 8,3 millions d'euros, en particulier pour travailler sur la formation des bénévoles. Mon action a également trait à la protection des bénévoles, notamment auprès des assurances pour ce qui est de la responsabilité civile et à la mise en place de la caution et de la garantie mutuelle auprès du secteur bancaire : je ferai des propositions dans ce domaine au premier trimestre 2005. Loin des déclarations de principe et des incantations qui ont marqué le centenaire de la loi de 1901, nous pouvons aujourd'hui travailler avec les associations, considérées non comme des clients ou des affidés, mais comme des partenaires indépendants. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

POLITIQUE DU LOGEMENT

M. Jean-Pierre Nicolas - Monsieur le ministre délégué chargé du logement, la loi de cohésion sociale votée hier et débattue aujourd'hui en CMP est un texte fondamental : il oppose à la fracture sociale des mesures concrètes et porteuses d'espoir. Pour le logement, notamment, les objectifs sont à la hauteur de l'enjeu : il s'agit, en effet, de produire sur cinq ans 500 000 logements collectifs dans le secteur social, 200 000 logements à loyer maîtrisé dans le privé, sans oublier la remise sur le marché de 100 000 logements vacants. Nous l'avons constaté en examinant la loi de finances pour 2005, les moyens sont bien là.

M. Henri Emmanuelli - Non !

M. Jean-Pierre Nicolas - Ce programme ambitieux soulève toutefois la question du foncier, comme je le constate chaque jour à Évreux et dans la communauté d'agglomération. Je me réjouis donc que le Parlement ait adopté un amendement du Gouvernement permettant de vendre, à un prix inférieur à leur valeur vénale, les terrains de l'Etat. Pouvez-vous nous éclairer sur l'impact attendu de cette mesure, et sur ce que vous comptez faire pour que le foncier puisse être mis à disposition dans des conditions qui permettent de réaliser votre farouche volonté en faveur du logement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Marc-Philippe Daubresse, ministre délégué au logement et à la ville - La grave crise du logement que nous connaissons est avant tout une crise de l'offre. C'est pourquoi M. Borloo a proposé de mobiliser tous les leviers tant sur l'offre locative publique que privée et sur l'accession, notamment grâce au renforcement du prêt à taux zéro. Les moyens financiers sont au rendez-vous dans la loi que vous avez votée hier. Les partenaires sont au rendez-vous : nous avons signé avec le 1 % logement une convention de 210 millions d'euros par an, et nous allons en signer une avec les représentants des bailleurs sociaux. Reste en effet à résoudre le problème du foncier. Sur ce sujet, l'Etat doit être exemplaire. C'est pourquoi le Gouvernement a proposé un amendement qui permet d'aliéner les domaines de l'Etat avec une décote que nous allons sans doute fixer à 25 % environ en dessous du prix des domaines. Ceci constituera de fait une subvention d'équilibre de l'Etat pour pouvoir mobiliser les terrains et construire du logement, notamment des logements sociaux. Ce ne sont pas là des discours : ce sont des actes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Grâce à l'action de Gilles de Robien, nous avons pu recenser, par exemple en Ile-de-France, neuf millions de mètres carrés mobilisables, dont 1,3 million dans les trois années à venir. Nous y construirons des logements sociaux. L'étape suivante sera la loi Habitat pour tous, préparée en étroite liaison avec le ministère de l'équipement. Le volontarisme ne nous fera pas défaut pour aider les maires bâtisseurs. Nous disposons des crédits nécessaires. (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Ce sont les discours de l'opposition qui sont dénués de crédit. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste)

HANDICAP

Mme Marie-Renée Oget - Monsieur le Premier ministre, Madame la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, Mesdames et Messieurs les députés de la majorité, il ne vous a pas échappé qu'en ce moment même les personnes en situation de handicap et leurs associations manifestent devant l'Assemblée nationale leur mécontentement à l'égard du projet de loi les concernant, que nous examinerons bientôt en deuxième lecture. Déjà, lors de la première lecture, la plupart des associations avaient critiqué un texte ne répondant pas à leurs attentes, de surcroît non financé, puisque seule la suppression d'un jour férié, d'ailleurs au détriment des seuls salariés, doit alimenter la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Or, le Sénat a aggravé ce texte. Les sénateurs de l'UMP ont ainsi adopté un amendement permettant d'exclure certains enfants en situation de handicap du milieu scolaire ordinaire, et ce, hélas, avec l'accord du Gouvernement. Les personnes handicapées et leurs associations sont déçues par l'absence de reconnaissance d'un véritable droit à compensation, par la faiblesse des ressources qu'il est prévu de leur allouer, par les trop nombreuses dérogations qui rendent illusoire l'accessibilité des bâtiments, et bien d'autres dispositions encore. D'où la colère qu'ils expriment aujourd'hui.

Tout en espérant que les débats à venir permettront de corriger ces erreurs sur un sujet qui aurait pu être consensuel, je vous demande, Madame la secrétaire d'Etat, ce que vous avez pour l'heure à répondre à ces personnes. Quel cadeau de Noël pouvez-vous leur offrir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées - Madame la députée, vos propos sont, pour le moins, excessifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste) En effet, aussi bien les lois de 1975 que celle de 1987 et celle relative à l'égalité des droits et des chances, à la participation et à la citoyenneté des personnes handicapées, dont l'Assemblée nationale débattra prochainement en deuxième lecture, ont été élaborées et débattues à l'initiative du Président de la République, qui a toujours été pionnier en ce domaine. Depuis trente ans, toutes les avancées permises en ce domaine l'ont été par l'actuelle majorité, et aujourd'hui encore, c'est le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin qui se mobilise. (Mêmes mouvements)

Le droit à compensation, ce seront dans les faits, douze millions d'heures d'aide humaine en plus, quarante mille emplois supplémentaires au profit des personnes handicapées, cent places par semaine en établissement d'accueil et soixante en CAT, ce qui est considérable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Je tiens à saluer la grande rigueur et l'extrême qualité du travail des sénateurs. Je veux remercier ici le rapporteur du texte, Paul Blanc, et le président de la commission des affaires sociales du Sénat, Nicolas About. Pour ce qui est de l'accessibilité, le Gouvernement fera preuve d'une détermination particulière et réintroduira des échéances dans la loi, seul moyen de la rendre effective. Je suis certaine que je trouverai ici, sur l'ensemble des bancs, le soutien nécessaire. Oui, nous aurons fait un pas considérable dans la prise en compte du handicap dans notre pays. (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe UMP)

TRAVAIL DES ENFANTS DANS LE MONDE

M. Jean-Claude Flory - A l'approche des fêtes de Noël, je souhaite aborder ici la grave question du travail des enfants dans le monde. Il y a quinze ans, 159 Etats membres des Nations unies, dont la France, adoptaient à l'unanimité la convention internationale des droits de l'enfant. La Journée internationale des droits de l'enfant a récemment été l'occasion de sensibiliser nos concitoyens à une réalité bien éloignée des nobles objectifs de cette convention. Dans les pays en développement, 20 % des enfants âgés de 5 à 14 ans travaillent dans des conditions bien souvent inhumaines. D'après le BIT, quelque 250 millions d'enfants travailleraient de par le monde, essentiellement en Afrique, en Amérique latine et dans une partie de l'Asie. De cette situation, les causes sont bien connues : pauvreté, lacunes du système éducatif, poids des traditions, et, bien sûr, moindre capacité des enfants à résister à l'exploitation.

Monsieur le Ministre délégué à la coopération et au développement, je sais votre attachement ainsi que celui du ministre des affaires étrangères et du Président de la République à la lutte contre la pauvreté dans le monde. La France, patrie des droits de l'homme, a incontestablement un rôle important à jouer sur la scène internationale pour défendre ces enfants, parmi les plus démunis. Quelles actions a-t-elle engagées en ce sens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie - Il n'est pas de question plus moralement fondée puisqu'en effet, selon les chiffres de l'OIT et de l'UNICEF, quelque 250 millions d'enfants seraient aujourd'hui exploités au travail de par le monde. Cette question n'est pas séparable de celle, plus générale, du développement. Lutter contre la pauvreté, pour le développement d'un pays et l'amélioration de ses conditions socio-économiques, c'est contribuer à réduire l'exploitation des enfants.

La France, qui a été l'un des principaux acteurs de la convention internationale des droits de l'enfant fixant notamment l'âge minimal à partir duquel un enfant peut travailler et déterminant le type de travail qu'il peut exercer, fait tout pour que cette convention soit effective partout dans le monde, notamment dans les pays d'Afrique avec lesquels elle coopère.

Ensuite, elle cherche à promouvoir et élargir la convention des Nations unies exigeant des entreprises qu'elles respectent une déontologie et que 1 500 grandes entreprises ont d'ores et déjà signée.

Il s'agit en troisième lieu d'assurer l'accès à l'éducation pour tous, en particulier les jeunes filles. La France est pionnière dans ce domaine et je me suis rendu récemment à la réunion organisée par l'Unesco à Brasilia sur ce sujet.

Il s'agit ensuite de lutter contre l'esclavage et la prostitution. Le Gouvernement s'y emploie avec détermination, en particulier le Garde des Sceaux, et nous contribuons au fonds des Nations unies contre l'esclavage.

Enfin, nous nous soucions de la question cruciale en Afrique des enfants soldats. Le Conseil de sécurité a voté en avril dernier la résolution 1539 à ce sujet et les ministres des affaires européennes ont décidé récemment d'agir ensemble. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

VOL DE DOCUMENTS OFFICIELS

M. Dominique Tian - Ces dernières années, nous avons assisté à une explosion des vols de documents officiels - en une seule attaque en février 2004 dans les Hauts-de-Seine, 6 000 passeports, plus de 6 000 permis de conduire, et 10 000 cartes grises, pour une valeur de 30 millions. Depuis 2003, on estime que 35 000 documents officiels ont été dérobés et la filière est très rentable, puisqu'un passeport se négocie environ 2 000 €. 20 % seulement des documents ayant été retrouvés, le marché est alimenté pour longtemps.

A quoi servent ces documents ? Selon une étude récente, le préjudice subi par les services sociaux - UNEDIC, sécurité sociale, URSSAF - serait de 215 millions et la SNCF perdrait plus de 6,5 millions en raison de leur utilisation. Surtout, les 10 000 cartes grises dérobées servent le plus souvent à recycler des véhicules volés ; et 90 % des passeports alimentent les réseaux de l'immigration clandestine, et 10 % les réseaux de prostitution, de trafic de drogue et de banditisme. Cette industrie des fausses identités permet aussi aux réseaux terroristes islamistes de financer leurs activités et de faire circuler leurs militants.

Les services de police, en particulier les groupements régionaux d'intervention, remportent de nombreux succès. Mais ils ont affaire à des délinquants particulièrement organisés. Devant l'ampleur du problème, quelles mesures envisagez-vous ? (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - C'est bien à une explosion de ces trafics de documents que nous assistons dans l'ensemble des grands pays industrialisés. Ces trafics nourrissent des réseaux mafieux contre lesquels il faut nous mobiliser.

Il y faut à la fois beaucoup d'humilité et beaucoup d'ambition. C'est pourquoi j'ai suivi les leçons de tous les grands maîtres qui m'ont précédé au ministère de l'Intérieur.

Première leçon, agir avec une main de fer (« Très bien ! » sur de nombreux bancs du groupe UMP) et réprimer sans faiblesse. Nous le faisons et les condamnations sont extrêmement sévères. Deuxième leçon, il faut aussi un gant de velours. Cela nous conduit, préventivement, à sécuriser les transports, confiés à des sociétés de transports de fonds, ainsi que les stockages. Mais dans ce gant, il faut une doublure, qui nous serve d'arme secrète. Elle porte le doux nom d'Ines, l'identité nationale électronique sécurisée. Voilà une jeune fille qui fera parler d'elle, car elle a toutes les vertus (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et apporte toutes les garanties. Elle permet d'incorporer dans une puce des identifiants biométriques, photographies et empreintes digitales. Nous disposons aussi de l'apport de la cryptologie française, la plus fiable et, j'ose le dire, la meilleure du monde ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Bien entendu, nous collaborons aussi avec nos grands partenaires européens, en particulier les Allemands, et tout le dispositif sera en place fin 2006. Forts des leçons de nos maîtres, nous avançons avec le souci d'être les plus efficaces possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

La séance, suspendue à 15 heures 55, est reprise à 16 heures 15, sous la présidence de M. Le Garrec

PRÉSIDENCE de M. Jean LE GARREC

vice-président

COMPÉTENCES DES TRIBUNAUX D'INSTANCE, DE PROXIMITÉ
ET DE GRANDE INSTANCE

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - La loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 a institué la justice de proximité, avec trois objectifs : ouvrir l'institution judiciaire, comme cela se fait déjà depuis longtemps avec les assesseurs des tribunaux pour enfants ou les jurés de Cour d'assises, afin de permettre à des citoyens ayant par ailleurs une expérience professionnelle de participer à l'œuvre de justice, au bénéfice de celle-ci ; apporter une réponse judiciaire simple et rapide pour les litiges de la vie quotidienne, comme l'avait souhaité le Président de la République ; faire en sorte que cette justice soit de qualité.

La valeur professionnelle des juges de proximité permet une extension de leurs compétences : des propositions de loi en ce sens ont été déposées au Sénat et à l'Assemblée nationale, et vous êtes saisis aujourd'hui du texte qui a été examiné au Sénat.

En matière civile, cette proposition de loi a pour premier objectif d'élargir le périmètre d'intervention de la juridiction de proximité sans en modifier la nature. Désormais, le juge de proximité pourra être saisi tant par les personnes physiques, y compris pour les besoins de leur vie professionnelle, que par les personnes morales.

Il s'agit ensuite de relever les taux de compétence de la juridiction de proximité ainsi que du tribunal d'instance, afin que davantage de dossiers soient traités par les juridictions les plus faciles d'accès : le taux de compétence de la juridiction de proximité est porté de 1 500 à 4 000 €, et celui de la juridiction d'instance de 7 600 à 10 000 €. Le tribunal d'instance conserve sa compétence pour certains contentieux techniques comme ceux du crédit à la consommation ou du contrat de bail, la juridiction de proximité restant compétente pour les demandes en restitution de dépôt de garantie, comme l'a souhaité le rapporteur au Sénat.

Enfin, le troisième objectif est de simplifier les champs de compétences respectifs du tribunal de grande instance et du tribunal d'instance.

En matière pénale, ce texte donne tout d'abord à la juridiction de proximité compétence pour les quatre premières classes de contraventions, le tribunal de police conservant la pleine compétence pour les infractions de cinquième classe, c'est-à-dire les plus graves.

Il s'agit, ensuite, de donner au juge de proximité la possibilité de valider les compositions pénales pour les infractions commises sur l'ensemble du ressort du tribunal de grande instance, dans lequel se trouve la juridiction de proximité.

Enfin, ce texte comporte une disposition très novatrice sur la participation des juges de proximité aux formations collégiales des tribunaux correctionnels, à raison d'un seul par formation afin que les magistrats professionnels restent majoritaires.

Il faut aussi améliorer la formation des juges de proximité : une réflexion est engagée à ce sujet par mon ministère avec l'Ecole nationale de la magistrature.

Cette proposition de loi tire donc les premiers enseignements du fonctionnement de la justice de proximité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur de la commission des lois - Lancé pendant la campagne présidentielle et développé pendant la campagne législative, le concept de « justice de proximité » s'est trouvé en phase avec les attentes d'une majorité de Français.

Jamais en effet nos concitoyens n'ont eu autant recours à la justice, mais jamais non plus ils n'ont été aussi critiques envers l'institution judiciaire. Ils ont quelques raisons à cela, les délais de procédure n'ayant cessé de s'allonger depuis de nombreuses années, dans le secteur civil comme dans le secteur pénal.

Il fallait rendre la Justice aux citoyens : c'est tout l'objectif de la justice de proximité. Ce n'est pas seulement une question de moyens car c'est surtout au niveau structurel qu'il faut rechercher l'origine des dysfonctionnements. Bien des réformes du passé, en effet, n'ont fait qu'aggraver le mal, en complexifiant les procédures. Il était plus que temps de tout remettre à plat car le peuple français comprend mal sa justice, pourtant rendue en son nom.

La création de la justice de proximité trouve son inspiration dans les anciennes justices de Paix, disparues avec l'ordonnance du 22 décembre 1958. Il avait cependant fallu trouver par la suite des solutions de proximité, le tribunal d'instance ne pouvant tout faire : d'où la création des conciliateurs et des médiateurs de justice, les maisons de justice et du droit, les antennes de justice, les conseils départementaux de l'accès au droit.

On a également, par le passé, fait appel à des magistrats non professionnels, et en cela la réforme n'est pas complètement une nouveauté : c'est le cas en tout ou partie pour les tribunaux de commerce, les conseils de prud'hommes, les tribunaux des affaires de sécurité sociale, les tribunaux paritaires des baux ruraux, les tribunaux pour enfants, les tribunaux maritimes et commerciaux.

De plus, des réformes ont ouvert le recrutement à des personnes ayant occupé d'autres activités professionnelles, qui enrichissent par leur expérience le corps judiciaire : conseillers en service extraordinaire, détachements judiciaires, et surtout magistrats à titre temporaire, institués par la loi organique du 19 janvier 1995, qui sont les prédécesseurs directs des juges de proximité et dont, malheureusement, le recrutement s'est tari lorsque Mme Guigou a décidé de supprimer le caractère probatoire de leur formation. Ceux qui sont aujourd'hui très critiques sur les juges de proximité doivent se souvenir qu'ils ont participé à des réformes qui avaient la même inspiration, mais qu'ils n'ont pas su mener à terme...

Recrutés parmi des citoyens ayant acquis par leur parcours professionnel une expérience des problèmes économiques et sociaux, les juges de proximité sont chargés des petits litiges qui empoisonnent la vie quotidienne. Répartis sur tout le territoire, faciles d'accès, considérablement moins chargés que les juridictions traditionnelles, ils statuent à bref délai et à moindre coût. Les juges professionnels peuvent ainsi recentrer leur activité sur les dossiers les plus lourds, ce qui permet d'accélérer le cours de la justice.

Mais il apparaît que les juges sont sous-employés. Le contentieux civil ne représente que 5 % de celui des tribunaux d'instance, et les juges de proximité ne rédigent en moyenne que trois à cinq jugements et une dizaine d'injonctions par mois. Certains n'ont tenu que deux audiences civiles dans l'année.

Cette proposition de loi, qui a été déposée dans les mêmes termes sur le Bureau de chaque assemblée, tire les conclusions d'un premier bilan.

La qualité des recrutements a été assurée grâce à l'adoption de la loi organique. Entre juillet 2003 et août 2004, le CSM a été saisi à cinq reprises et a statué sur 690 dossiers. Ce mois-ci, il examine 160 nouveaux dossiers. L'examen de l'origine professionnelle des candidats montre qu'il s'agit, pour 40 %, de professionnels libéraux et officiers ministériels, en activité ou en retraite, avec une très large proportion d'avocats ; pour 10 %, d'anciens magistrats de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif ; pour 40 %, de personnes justifiant d'un diplôme « bac+4 » et de quatre années d'expérience juridique - juristes d'entreprises, anciens fonctionnaires de police, anciens militaires de la gendarmerie, anciens fonctionnaires de catégorie A ; pour 8 %, de personnes justifiant, à défaut d'un diplôme « bac+4 », de 25 ans d'expérience juridique dans des fonctions d'encadrement ou de direction ; pour 1 %, d'anciens greffiers en chef ou greffiers ; pour 1 %, de conciliateurs de justice en exercice justifiant au moins de 5 années d'exercice.

L'âge moyen des candidats retenus est de 58 ans pour les hommes et de 47 ans pour les femmes. Si ces dernières sont pour l'instant moins nombreuses, les prochaines promotions devraient comporter autant d'hommes que de femmes.

Au 15 Octobre, l'ENM avait formé 466 personnes. 31 ont démissionné, non pas comme certains le disent postérieurement à leur nomination mais pendant leur formation ou pendant la période les séparant de leur installation effective en juridiction. Cette période est d'ailleurs trop longue, et je sais que vous vous attachez, Monsieur le Garde des Sceaux, à la raccourcir sans pour autant réduire les garanties et les contrôles.

L'extension des compétence appelle une formation plus approfondie, et le nouveau dispositif prévoit un allongement et une diversification de la formation tant initiale que continue.

Ces propositions sont soumises à l'appréciation du Garde des Sceaux, et si elles génèrent un coût supplémentaire, il me semble important de le financer.

Les principales innovations de la réforme résident dans l'extension des compétences au civil puisque la juridiction de proximité reçoit toutes les actions personnelles ou mobilières rentrant dans son taux de compétence, qui passe de 1 500 à 4 000 €.

Dans cette limite, les personnes physiques et les personnes morales peuvent saisir la justice de proximité, y compris pour leurs besoins professionnels. Corrélativement, le taux de compétence du tribunal d'instance passe de 7 600 à 10 000 €.

Au pénal, le juge de proximité pourra compléter l'audience correctionnelle collégiale.

En tant qu'assesseur du tribunal correctionnel, le juge de proximité accède au tribunal de grande instance dans des conditions fixées par le président de ce tribunal et sous l'autorité du président d'audience.

Cette disposition, très demandée par les chefs de juridiction et les magistrats de terrain, permettra de désengorger les tribunaux, tandis que les juges professionnels pourront se recentrer sur leurs tâches prioritaires - du fait de l'instauration de l'appel en matière criminelle et de la création du juge de la liberté et de la détention, de nombreux juges civilistes ont en effet dû participer aux tâches pénales.

L'assessorat pénal permettra au juge de proximité d'améliorer sa conduite des audiences, d'acquérir les réflexes procéduraux, ce qui profitera à la conduite de ses propres audiences pénales pour les contraventions de la première à la quatrième classe.

Dans un souci de cohérence et de clarté, le juge de proximité ne statuera plus pour certaines contraventions de cinquième classe.

Dans le même esprit de clarification, le tribunal d'instance se voit réserver les affaires relatives au crédit à la consommation, les actions aux fins d'expulsion des occupants sans droit ni titre, les contestations liées l'application de la loi de 1948 sur les rapports entre bailleurs et locataires.

S'agissant du tribunal de grande instance, son président, juge de l'exécution, connaîtra de l'ensemble des procédures civiles d'exécution, tandis que le tribunal sera compétent en matière d'injure ou de diffamation, de litiges liés à l'application de la loi 1965 fixant le statut de la copropriété d'immeubles, et d'actions immobilières.

En première lecture, le Sénat a apporté trois modifications, en maintenant la compétence de la justice de proximité pour le paiement direct des pensions alimentaires, les diffamations et injures et le contentieux de la copropriété.

Il a, par ailleurs, proposé de donner au juge d'instance une compétence exclusive en matière de baux d'habitation, et précisé que, s'agissant des actions aux fins d'expulsion, le tribunal d'instance statuerait toujours à charge d'appel.

Voici les aspects essentiels de ce texte que le petit-fils du juge de paix que je suis souhaite voir adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité.

M. André Vallini - Vous prétendez avoir créé la justice de proximité pour rapprocher la justice du citoyen, et faciliter le règlement des petits délits.

En réalité, vous souhaitiez d'abord satisfaire une promesse électorale de Jacques Chirac, basée sur le concept un peu curieux selon lequel des juges non-professionnels pourraient faciliter l'accès à la justice ! Et surtout, vous vouliez masquer l'insuffisance des moyens dont souffrent les tribunaux dans notre pays.

Vous avez ainsi réduit le champ de compétence des tribunaux d'instance, pourtant unanimement salués pour la qualité de leur travail, et leur accessibilité, sans compter que, pour les juges d'instance, leur « raison d'être » tient justement à ces petits litiges de la vie courante - crédits à la consommation, litiges entre bailleurs et locataires, travaux mal effectués... Petits litiges bien plus complexes qu'il n'y paraît, et pourquoi donc un juge non professionnel serait plus compétent qu'un professionnel pour les régler ? Un juge non professionnel qui aura de surcroît toujours la tentation de trancher avec bon sens, et non en droit !

Je veux à cet égard dénoncer votre étrange conception de la justice, selon laquelle seules les affaires dont le coût financier est important justifieraient le recours à un juge professionnel !

Plutôt que d'accorder la priorité à cette réforme, vous auriez dû doter les tribunaux d'instance des moyens de bien fonctionner, et si vous souhaitiez réellement rapprocher la justice de nos concitoyens, il fallait réfléchir à l'accélération des procédures du tribunal d'instance, à l'amélioration de la compréhension du procès, ou à une meilleure exécution des décisions.

Deux ans après, un premier bilan peut être tiré de votre réforme.

Plutôt que de simplifier la justice, vous l'avez compliquée ! En effet, les tribunaux d'instance sont aujourd'hui totalement désorganisés car les juges d'instance doivent fixer le planning des juges de proximité, organiser leur formation, trouver des locaux pour les accueillir et mettre à leur disposition des greffes.

Plutôt que de réaliser des économies, votre réforme coûte cher ! Un jugement rendu par le juge de proximité pour un litige coûte bien plus qu'un jugement rendu par un magistrat professionnel.

Mais le plus grave reste le recrutement et la formation des juges de proximité.

Vous aviez annoncé pour 2004 un effectif de 600 juges de proximité. Le nombre des juges en fonction aujourd'hui n'excède pas la moitié, et il manque cruellement de candidats pour espérer voir votre objectif de 3 300 juges en cinq ans se réaliser. Et que dire de ceux dont le comportement a été sérieusement dénoncé !

Etre magistrat, c'est un métier. Il faut près de trois ans pour former des auditeurs de justice, qui n'acquerront une parfaite maîtrise de la fonction juridictionnelle qu'après plusieurs années.

Les juges de proximité, eux, sont formés en trois semaines au mieux, alors que les textes sont de plus en plus techniques et de plus en plus nombreux !

Il est dès lors inacceptable de demander à des juges non professionnels et mal formés, de statuer en droit, sans recours possible.

Le Conseil constitutionnel, comme le Conseil supérieur de la magistrature, dans son avis du 19 septembre 2002, avaient pourtant insisté sur les garanties de compétence et de formation qui devaient être réunies.

Par ailleurs, ces juges n'offrent aucune garantie d'impartialité ni d'indépendance et sont dépourvus de toute légitimité, sans parler des conflits d'intérêts auxquels les expose Ie cumul de leurs fonctions juridictionnelles et de leur profession. Je pense notamment aux auxiliaires de justice exerçant dans un ressort voisin de celui dans lequel ils exercent leurs fonctions de juges.

Et vous voulez étendre encore la mission des juges de proximité ! Mais peut-être est-ce le seul moyen de justifier leur existence....

L'extension du domaine d'intervention de ces juges pose en tout cas un problème grave. Dans sa décision du 20 février 2003, relative au statut des juges de proximité, le Conseil constitutionnel avait, en effet, rappelé, que les fonctions judiciaires doivent être occupées par des personnes consacrant leur vie professionnelle à la carrière judiciaire, la Constitution « ne faisant toutefois pas obstacle à ce que, pour une part limitée, ces fonctions soient confiées à des personnes exerçant à titre temporaire ».

Toute la question est de déterminer cette « part limitée » qui peut être progressivement soustraite à la magistrature de carrière. Le développement du champ d'intervention des juges de proximité fera perdre tous les repères en ce domaine : en effet, votre projet étend leur périmètre d'intervention aux actions soit mobilières, soit personnelles. Quant aux justiciables, les personnes morales seront concernées au même titre que les personnes physiques. Les juges de proximité traiteront ainsi un contentieux de masse dans lequel les justiciables personnes physiques sont en défense, et pour lesquels il faut appliquer les règles très techniques du droit de la consommation. A ce propos, le projet réserve aux juges d'instance la compétence en matière de crédit à la consommation, mais celui-ci ne constitue qu'une partie du droit de la consommation car il faut tenir compte de la vente, de la conformité des produits, des clauses abusives dans les différents contrats, de l'information du consommateur. Le code de la consommation compte 1 200 pages. Peut-on les apprendre en cinq jours à l'ENM? Il est donc à craindre que les consommateurs qui se retrouvent face à un créancier assisté d'un avocat soient désavantagés. Cette extension porte ainsi une atteinte supplémentaire au principe de l'égalité devant le juge puisque les procédures sans représentation obligatoire vont devenir plus nombreuses. J'ajoute que les juges de proximité seront encore plus souvent en lien, dans le cadre de leur profession habituelle, avec les créanciers en demande devant le tribunal et que l'on peut à nouveau se poser la question de leur indépendance.

Je rappelle que les juges de proximité jugent seuls, qu'ils ne sont soumis à aucun contrôle, qu'ils ne sont pas notés, qu'ils sont désignés pour sept ans et que leurs décisions ne sont pas susceptibles d'appel. Il est paradoxal d'accorder un tel pouvoir à un juge qui n'est pas professionnel alors que le juge professionnel est soumis à des contrôles sévères. Vous allez sans doute invoquer la participation citoyenne à la justice et citer l'exemple anglais des Magistrate's court, mais vous savez que ces magistrats sont trois à statuer.

Quant à la participation citoyenne aux décisions judiciaires telle qu'elle existe aujourd'hui en France, nous savons qu'elle prend toujours la forme d'une simple participation à la justice, la décision restant prise par des juges professionnels. Si l'échevinage est souhaitable, ce sont les formations mixtes qu'il faut développer pour associer magistrats professionnels et citoyens, à l'exemple de ce qui se passe dans nos cours d'assises. Au lieu de professionnaliser des citoyens en les recrutant pour sept ans, c'est le tirage au sort, avec éventuellement une rémunération à la vacation, qui pourrait être envisagée.

Les juges de proximité pourraient aussi être utilisés pour proposer des décisions que prendrait le juge d'instance en distinguant les actes juridictionnels de la participation à la justice.

Votre réforme remet en cause toute l'institution judiciaire: au-delà des tribunaux d'instance dont la survie à moyen terme est désormais compromise, quelles seront les prochaines affaires considérées comme peu importantes et donc les juridictions bientôt amputées ? Celle des mineurs, des affaires familiales ?

Plus grave encore : l'intervention des juges de proximité en correctionnelle. Les formations dans lesquelles le juge de proximité sera appelé à siéger comme assesseur sont les collèges qui connaissent des affaires correctionnelles les plus graves. La moitié des affaires correctionnelles est en effet jugée à juge unique, souvent en comparution immédiate, et ce domaine a été considérablement étendu par la loi Perben I, puisqu'il couvre à présent les infractions punies jusqu'à dix ans d'emprisonnement. Je rappelle que le Conseil supérieur de la magistrature attachait une importance particulière à ce que la répartition du contentieux entre les juges de proximité obéisse à des règles objectives. Or leur intervention en correctionnelle sera laissée à l'entière discrétion des présidents de TGI, ce qui constituera une source d'inégalité des justiciables devant la loi dans un domaine où sont directement en jeu les libertés individuelles. Cette inégalité sera évidemment aggravée par l'impossibilité matérielle de constituer partout et pour toutes les audiences les juridictions correctionnelles collégiales de la même manière. C'est la constitutionnalité même de ce dispositif qui semble sujette à caution, notamment au regard de la décision du Conseil constitutionnel sur la question de la composition à juge unique des juridictions correctionnelles. D'une part les justiciables seront jugés soit par trois magistrats professionnels, soit par deux magistrats professionnels et un juge de proximité - il n'y a pas de plus bel exemple de juridictions composées selon des règles différentes pour juger des mêmes infractions ; d'autre part, en raison de la pénurie de juges de proximité, on ne pourra pas généraliser cette mesure à l'ensemble des tribunaux correctionnels. Donc, ici encore, les justiciables seront jugés par des juridictions composées selon des règles différentes.

Par ailleurs, je vous rappelle la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 29 août 2002 à propos des juges de proximité : considérant que l'article 66 de la Constitution ne s'oppose pas à ce que soient dévolues à la juridiction de proximité des compétences en matière pénale dès lors que ne lui est pas confié le pouvoir de prononcer des mesures privatives de liberté, le juge de proximité assistera à l'audience, participera au délibéré, interviendra au même titre que les autres magistrats sans qu'on puisse le dissocier au sein de la formation. Or, dès lors que le juge de proximité sera partie intégrante de la juridiction correctionnelle, il participera directement et pleinement, comme les magistrats, à l'exercice de ce pouvoir de prononcer des mesures privatives de liberté. Le tribunal correctionnel est en effet un organe collégial et la décision est rendue au nom du tribunal tout entier. Le juge de proximité sera donc amené à prononcer avec les deux autres magistrats des peines privatives de liberté et il y aura même un cas où ce sera lui qui décidera : si les deux magistrats professionnels sont d'un avis opposé sur l'opportunité de prendre une mesure privative de liberté, ce sera le juge non professionnel qui tranchera en faisant pencher la balance dans un sens ou un autre. Il n'y a qu'un pouvoir, le pouvoir juridictionnel qui permet de prononcer des peines privatives de liberté et, dès lors, on ne peut introduire dans une juridiction correctionnelle un juge de proximité sauf à être en contradiction avec la décision du Conseil constitutionnel.

Votre réforme qui était déjà inopportune, inutile, coûteuse et même dangereuse pour la justice, deviendra de surcroît inconstitutionnelle. Elle suscite la méfiance des justiciables et l'opposition du monde judiciaire. Ainsi, les justiciables n'hésitent pas à augmenter le montant de leurs demandes en gonflant les dommages et intérêts réclamés pour échapper à un «faux juge» dont ils craignent la partialité ou l'incompétence. Les juges d'instance sont particulièrement choqués par une réforme qui nie leur action, comme en témoignent les déclarations de Mme Laurence Récant-Rivollier présidente de l'Association nationale des juges d'instance ou de Valérie de Lamorat, juge d'instance à Montpellier qui affirme : « Ce projet m'a profondément heurtée. Si, moi, je ne suis pas juge de proximité, que suis-je ? » J'ai en outre reçu deux motions, l'une de l'assemblée générale des fonctionnaires du tribunal d'instance de Grenoble en date du 22 octobre 2004, et l'autre du TGI. Selon la première, ce projet est inopportun et un bilan de fonctionnement des juridictions de proximité doit être effectué avant d'envisager tout développement de compétence.

Après avoir rappelé l'objectif limité assigné dès le départ à la justice de proximité et les limites posées par le Conseil constitutionnel, ils demandent que le projet d'extension des compétences des juges de proximité soit purement et simplement abandonné en l'état et qu'une éventuelle réforme conduisant à un échevinage soit soumis à une large concertation préalable.

Les conciliateurs de justice sont tout aussi opposés à votre projet. La présidente de leur association pense que la justice de proximité affaiblit leur fonction et va les conduire à disparaître et elle déplore que la réforme prenne le contre-pied des politiques de délestage de la justice. Votre projet ne tient en effet aucun compte, Monsieur le Garde des Sceaux, de l'apport depuis vingt ans des conciliateurs de justice, qui trouvent dans la majorité des cas des solutions amiables et qui permettent de rétablir le dialogue.

Cette réforme, personne n'en voulait. Vous l'avez faite quand même et vous allez encore l'aggraver. Je reste perplexe devant cet entêtement qui vous conduit à prolonger encore une réforme dont l'échec est avéré. Quel autisme ! Quelle surdité à l'égard des professionnels de la justice ! Le groupe socialiste n'est pas opposé à la justice de proximité. Nous l'avons développée en renforçant les tribunaux d'instance qui ont eux aussi profité des 30 % d'augmentation des crédits de la justice, et en développant les modes de résolution amiable des conflits. Sans oublier les maisons de la justice et du droit, que nous avons multipliées.

Mais nous voulons une vraie justice de proximité. Or, celle que vous voulez mettre en place sera davantage une justice approximative qu'une justice de proximité.

M. Jean-Pierre Blazy - Très bien !

M. André Vallini - La justice dans notre pays va mal, elle manque de moyens et de clarté. Au lieu de vous attaquer aux vrais problèmes, au lieu de simplifier les procédures, au lieu de donner les effectifs nécessaires, vous menez une politique de pur affichage qui ne résout rien !

La justice traverse une crise de confiance sans précédent, nous dit Le Figaro magazine, et 70 % de nos concitoyens pensent qu'elle fonctionne mal. De fait, votre politique pénale semble varier au gré des humeurs de l'opinion. Un jour, c'est la psychose sécuritaire qui vous oriente vers le tout répressif ; le lendemain, c'est l'affaire d'Outreau qui vous fait redécouvrir l'importance de la présomption d'innocence. Tantôt vous remplissez les prisons, tantôt vous cherchez les moyens d'en éviter l'explosion. Bref, c'est l'ensemble de votre politique judiciaire que nous condamnons.

En conclusion, j'invite l'Assemblée à voter notre exception d'irrecevabilité. Si tel n'était pas le cas, les motifs sérieux qui nous ont amenés à la défendre nous conduiraient à déférer le texte devant le Conseil constitutionnel (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Garde des Sceaux - Je ne relèverai pas le caractère ridiculement outrancier des conclusions de M. Vallini. Si les choses allaient si bien depuis si longtemps, cela se saurait. Je n'évoquerai pas l'état lamentable dans lequel j'ai reçu les prisons...

M. Jean-Pierre Blazy - Nous parlons de la justice !

M. le Garde des Sceaux - ...C'est vous qui avez parlé des prisons ! Mais je veux souligner que lors de mes premières visites auprès des juridictions, on ne me parlait que des postes vacants. On ne m'en parle plus, car nous avons fait l'effort de recrutement nécessaire.

Puisque M. Vallini a cité l'article du Figaro magazine, je me permets de l'évoquer moi aussi pour dire qu'il souligne que 70 % des Français sont favorables à la justice de proximité.

M. Jean-Pierre Blazy - Ils ne la connaissent pas.

M. le Garde des Sceaux - Ah, bien sûr, les Français n'y connaissent rien ! Si le peuple n'est pas d'accord, prononçons la dissolution du peuple ! Air bien connu, Monsieur Blazy !

Je ne sais pas si M. Vallini avait lu les documents dont il nous a fait profiter à la tribune, mais j'ai noté pour ma part que tandis qu'il nous accusait de vider la justice d'instance de son contenu, les motions qu'il nous lisait faisaient au contraire état d'un alourdissement. Il faut choisir !

M. André Vallini - Vous la désorganisez !

M. le Garde des Sceaux - S'agissant de la nécessaire simplification, je voudrais rappeler, pour ne prendre que ces deux exemples, le décret d'avril 2004 sur la procédure civile et la réforme du divorce, qui va entrer en application dès le 1er janvier prochain. Quant au rapport Magendie, il contient des propositions intéressantes et je ne doute pas que le groupe socialiste me soutiendra dans la suite de mes efforts de simplification et d'accélération des procédures.

Il est ridicule de dire que les juges de proximité doivent tout apprendre en cinq jours à l'Ecole de la magistrature. D'abord, ils doivent avoir une formation juridique et une expérience dans les métiers du droit ; ensuite, ils sont nommés par le Conseil supérieur de la magistrature. M. Vallini a parlé des 1 200 pages du code de la consommation. Sont-elles au programme des juges professionnels ? Dans les écoles de droit, on n'apprend pas les codes par cœur. Quoi qu'il en soit, nous réfléchissons à un certain renforcement de la formation et à des formules de formation continue.

M. Vallini a évoqué l'échevinage, d'abord pour dire qu'il le souhaitait, puis, comme la réforme en introduit un peu dans les tribunaux correctionnels, pour affirmer qu'il était contre. Je dois avouer que je comprends mal sa logique.

M. André Vallini - Ne caricaturez pas !

M. le Garde des Sceaux - Enfin, est-il anticonstitutionnel de compléter un collège correctionnel par un avocat au cas où il manque un juge ? Le Conseil constitutionnel nous répondra, je n'en doute pas, mais pour l'heure personne n'a soulevé l'exception d'irrecevabilité sur cette pratique ancienne.

Je rappelle pour finir que les contentieux exclus sont ceux liés aux crédits à la consommation, car, très techniques, ils demandent une certaine expérience, ainsi que celui de la location. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Emile Blessig - M. Vallini a développé deux thèmes. Le premier consiste à demander plus de moyens tout en ne voulant rien changer. Le deuxième à opposer systématiquement magistrats professionnels et non professionnels.

M. Vallini nous a parlé des 30 % de crédits en plus qui avaient été accordés sous la précédente législature. Ont-ils réellement amélioré les choses ? Non, et en tout cas sûrement pas pour les tribunaux d'instance ! Cela n'a en rien diminué le mécontentement des Français devant le service public de la justice.

Pour moi il faut bien distinguer l'organisation du service public de la justice d'une part, et de l'autre les principes du fonctionnement de la magistrature. En France notre tradition est d'avoir une magistrature ouverte, fondée sur la capacité et non seulement sur la compétence ; or vous mélangez sans cesse les deux. C'est parce que nous nous fondons sur la capacité que nous avons un corps de magistrats ouvert, qui associe des juges professionnels et non professionnels. Je pose la question : l'arrivée d'un magistrat non professionnel dans un tribunal d'instance ne va-t-elle pas améliorer le traitement de tout le contentieux de la vie quotidienne ? La question est celle du rapport entre la démarche individuelle du juge et l'idée d'une démarche collective. Ne crée-t-on pas des binômes de juges d'instruction ? Ne cherche-t-on pas à développer les assistants de justice ? Dès lors, pourquoi ne pourrait-on envisager au sein de la juridiction de proximité une collaboration harmonieuse entre juges professionnels et non professionnels ? C'est le pari que fait la majorité ; aussi ne voterons-nous pas l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Michel Vaxès - Dans cette proposition, je devrais dire ce projet de loi tant son inspiration gouvernementale est évidente, le ministre a été le mauvais esprit et sa majorité la plume docile... Ne caricaturez pas, Monsieur le ministre, les positions de l'opposition. Je ne ferai pas de procès au Gouvernement et à la majorité pour vouloir améliorer la proximité de la justice. Ce que nous disons, c'est que le chemin emprunté n'est pas le bon. Comme M. Vallini, je pense que ces dispositions vont complexifier le système judiciaire et en amoindrir l'efficacité. Il en résultera moins de légitimité professionnelle, mais aussi moins de légitimité sociale. C'est par une autre voie qu'on pourrait créer les conditions d'une vraie justice de proximité. Nul ne nous fera croire qu'échevinage et justice de proximité sont la même chose.

Dans sa décision du 29 août 2002, le Conseil constitutionnel affirme que la Constitution ne s'oppose pas à ce que soient dévolues à une juridiction de proximité des compétences en matière pénale, pourvu que ne lui soit pas confié le pouvoir de prononcer des peines privatives de liberté. Or ce pouvoir lui est donné avec ce texte. Pire, il fera du juge de proximité l'arbitre en cas de désaccord entre deux magistrats professionnels, lui donnant ainsi un pouvoir supérieur à celui de chacun d'eux... D'une juridiction correctionnelle à l'autre, les justiciables connaîtront des situations inégales : insidieusement une justice à plusieurs vitesses se mettra en place, ce que nous ne saurions cautionner. Nous sommes donc opposés à ce texte, et dans l'immédiat nous voterons l'exception d'irrecevabilité.

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Emile Blessig - La loi de programmation et d'orientation pour la justice du 9 septembre 2002 a défini des objectifs prioritaires pour cinq ans, dont l'amélioration de l'efficacité de la justice au service des citoyens et de l'accès des citoyens au droit et à la justice. Les moyens nécessaires à l'accomplissement de ces objectifs ont augmenté de manière significative ; on assiste à une sanctuarisation des dépenses de justice qui correspond à une des priorités du Gouvernement. La part du budget de la justice dans le budget de l'Etat est en constante augmentation : elle est passée de 1,62 % en 2000 à 1,89 % dans le projet de budget pour 2005. Il en est de même pour la création de postes de magistrats des services judiciaires : l'objectif de la loi de programmation et d'orientation est de 950 postes d'ici 2007 ; 330 ont déjà été créés et 100 nouveaux postes sont prévus dans le budget 2005.

Le problème est que, malgré tous ces efforts, l'opinion des Français sur le fonctionnement de la justice est plutôt mauvaise. Nous avons tous lu le sondage d'octobre 2004 : 70 % des personnes interrogées estiment que la justice fonctionne mal, 27 % seulement qu'elle fonctionne bien. Les deux seuls points sur lesquels les Français estiment que les choses s'améliorent sont la lutte contre la grande criminalité et la justice de proximité. Nous sommes donc sur la bonne voie.

Il apparaît d'autre part que l'augmentation des moyens budgétaires et humains n'est pas une fin en soi. Elle doit s'accompagner de réformes du mode de fonctionnement. Nous devons faire preuve d'inventivité pour rendre le service public de la justice plus efficace, et à cet égard l'instauration d'une juridiction de proximité constitue un réel outil d'amélioration de notre système judiciaire.

La présente proposition a pour objet de poursuivre la réforme engagée en 2002, en améliorant les modalités d'organisation et de fonctionnement des trois juridictions de base qui sont le tribunal de grande instance, le tribunal d'instance et la juridiction de proximité. S'il faut aujourd'hui clarifier les compétences de chacun, c'est qu'une organisation judiciaire accessible exige que ces compétences soient lisibles.

Je ne reviendrai pas sur toutes les dispositions du texte, mais je soulignerai deux points. Au civil, le texte prévoit une extension du taux de compétence du juge de proximité jusqu'à 4 000 €, ce qui permettra d'accroître la part des litiges examinés par cette juridiction, aujourd'hui limitée à 5 % du contentieux relevant du tribunal d'instance. Ce dernier est confirmé dans ses fonctions de juge de l'habitation et du crédit ; il est par ailleurs compétent, à charge d'appel, pour toutes actions personnelles ou mobilières jusqu'à la valeur de 10 000 €. Quant au tribunal de grande instance, il est juge de la propriété, dans un souci de clarification.

Au pénal, le juge de proximité décharge le tribunal de police des contraventions des quatre premières classes : l'expérience a montré son efficacité dans ce rôle. Par souci de rationalisation et de lisibilité, les contraventions de la cinquième classe sont enlevées de sa compétence.

Par ailleurs, la possibilité est offerte aux juges de proximité de siéger en qualité d'assesseur au sein de la formation collégiale du tribunal correctionnel. J'y vois pour ma part un premier pas vers l'échevinage, sans cesse réclamé, mais condamné chaque fois qu'on fait un pas dans sa direction... Ceux qui s'opposaient à la loi organique relative aux juges de proximité invoquaient les risques liés au manque de compétence de ces juges non professionnels. C'était un faux débat : pourquoi des litiges importants en matière de commerce, de baux ruraux ou de droit social sont-ils de la compétence de juges non professionnels, alors que les litiges de la vie quotidienne exigeraient un juge professionnel ? Je pense que ce n'est pas seulement une question de compétence, mais de capacité et d'organisation du travail au sein de la juridiction de proximité. Les critères exigés par le Conseil supérieur de la magistrature pour le recrutement de ces juges nous rassurent d'ailleurs sur leur compétence. Pour ce qui est de leur indépendance, la loi a fixé des règles. Et je fais confiance au CSM pour juger de la capacité de nos futurs juges de proximité de traiter des affaires qui leur seront soumises.

Aujourd'hui, on met plutôt en avant le risque d'une absence d'impartialité de ces juges non professionnels. L'impartialité est une condition nécessaire à tout magistrat, mais il n'y a aucune garantie spécifique qui assure de son existence chez le magistrat professionnel. Toute la difficulté de concilier indépendance et impartialité doit trouver sa solution dans une organisation globale de la justice qui donne des garanties. Concernant les juges de proximité, des règles d'incompatibilité entre leur fonction de juge et l'exercice d'une activité professionnelle ont été clairement fixées.

L'institution de la justice s'honore de mettre en place des systèmes de régulation et de contrôle qui permettent d'éviter les dérives individuelles. Mais celles-ci existent, qu'il s'agisse de magistrats professionnels ou non professionnels. C'est un procès d'intention que d'insister si lourdement sur ce risque quand il s'agit des seconds.

Pour conclure, la vraie question aujourd'hui est de savoir comment améliorer le fonctionnement de la justice et rendre efficace l'augmentation des moyens, afin que le service public de la justice regagne la confiance des citoyens. Les réformes sont indispensables et elles continueront, notamment avec la mise en œuvre de la nouvelle architecture budgétaire définie par la LOLF qui va renforcer l'exigence d'efficacité et de lisibilité de l'utilisation des fonds publics.

L'œuvre de justice ne s'arrête pas à la décision prise par un magistrat dans la solitude de son cabinet. L'analyse juridique du jugement n'a de sens que si la décision se traduit par une action au service du justiciable et de la société. C'est vers ce passage d'un acte individuel à une action collective au service des citoyens que doit s'orienter le service public de la justice. L'amélioration de la justice de proximité qu'apporte ce texte va dans ce sens. Le chemin reste long, mais nous l'empruntons avec détermination. L'UMP soutient l'institution de la justice de proximité, et votera les améliorations qu'apporte cette proposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Pierre Blazy - Etendre aujourd'hui le champ d'intervention des juges de proximité est pour le moins étrange compte tenu des difficultés rencontrées par la nouvelle juridiction comme de l'absence de tout bilan officiel de leur action jusqu'à présent. La loi d'orientation et de programmation pour la justice votée en 2002 en prévoyait pourtant un en 2004... Nous l'attendons toujours.

L'échec de la justice de proximité est patent. Alors que 3 300 juges de proximité devaient être recrutés, seuls 175 l'ont été depuis deux ans. Ils devraient être normalement 300 d'ici à la fin de l'année, mais de toute évidence, ce chiffre ne sera pas atteint. Vu la faiblesse de ces recrutements, quelle efficacité escompter ? Il est difficile dans ces conditions, seules 29 cours d'appel sur 35 disposant de juges de proximité, de dresser un bilan. L'activité de ces juges est de surcroît très faible, le contentieux civil porté devant les juridictions de proximité représentant moins de 5 % de celui relevant des tribunaux d'instance. On est loin de l'objectif affiché de désengorger les tribunaux.

La formation des juges de proximité est sujette à caution. Il suffit d'écouter ce que disent à ce sujet les associations et syndicats de magistrats, ou bien encore les formateurs. Le rapporteur lui-même en relève les imperfections et pointe les difficultés en résultant dans la tenue des audiences et la rédaction des jugements. De nombreux juges de proximité ont d'ailleurs déjà démissionné, estimant qu'ils n'avaient pas la qualification nécessaire et que leur formation était insuffisante. Cinq jours de stage à l'Ecole nationale de la magistrature ne sauraient suffire ! Dans le Val-d'Oise, six ont déjà donné leur démission et seulement cinq sont toujours en fonction alors qu'on en annonçait douze.

Comme il était prévisible, les juges de proximité sont plutôt âgés, 58 ans en moyenne pour les hommes et 47 ans pour les femmes, et poursuivent souvent leur activité professionnelle, surtout quand ils exercent une profession libérale, ce qui fait courir le risque de conflits d'intérêt. Leur longue expérience pourrait être un atout dans l'exercice de leur fonction de juge, comme c'est le cas dans l'échevinage. Votre réforme est hélas hybride, ne faisant des juges de proximité ni vraiment des échevins ni vraiment des juges professionnels,

Malgré un échec patent, vous choisissez la fuite en avant en étendant leurs compétences. Ainsi la valeur des litiges relevant d'eux, qui jugent pourtant sans appel possible, est-elle relevée de 1 500 à 4 000 €. Pis, les juges de proximité pourront désormais participer au prononcé de mesures privatives de liberté puisqu'ils pourront siéger comme assesseurs dans les audiences correctionnelles, aux côtés de deux magistrats professionnels. A la discrétion des présidents de TGI, les justiciables pourront être jugés soit par trois juges professionnels, soit par deux, assistés d'un juge de proximité. Cette inégalité de traitement n'est pas acceptable.

Alors que les juges de proximité ont été mis en place de manière très approximative, il existe pourtant une justice de proximité plus efficace, bien rendue par les juges d'instance, malgré les difficultés qu'ils rencontrent. Il eût été plus judicieux de renforcer leurs effectifs, ainsi que ceux de greffiers et autres personnels des tribunaux d'instance. Que ne l'avons-nous fait, m'objecterez-vous. Nous nous y sommes attelés, mais la situation de la justice était si désastreuse en 1997... (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Les crédits de la justice augmentent en 2005, me direz-vous. Certes, mais ils devraient augmenter encore davantage. La justice de proximité, ce sont aussi les maisons de la justice et du droit, les conciliateurs, les médiateurs... que vous semblez aimer moins encore que la justice d'instance ! C'est pourtant dans cette voie qu'il faudrait aller pour désengorger les tribunaux mais aussi rapprocher la justice des citoyens.

Votre justice de proximité n'est qu'une justice au rabais visant à faire l'économie de juges professionnels. Vous pourriez me rappeler que Lionel Jospin avait proposé dans sa campagne de mettre en place des juges de proximité, sans d'ailleurs préciser leurs attributions. (Murmures sur les bancs du groupe UMP) Mais à la réflexion et à la lumière de votre expérience, je pense que c'était une erreur. La justice est certes toujours imparfaite mais l'incompréhension grandissante dont elle fait l'objet chez nos concitoyens tient à ce qu'ils la perçoivent comme trop lente et trop éloignée d'eux. D'où l'intérêt de réfléchir à la question de l'échevinage qui autoriserait la présence de citoyens non professionnels de la justice dans les audiences. Un dispositif associant un professionnel et deux assesseurs élus, au premier comme au second degré de juridiction, mériterait d'être examiné. Un tel système fonctionne plutôt bien, dans les chambres commerciales des TGI en Alsace-Lorraine et partout en France, dans les juridictions prud'homales et les tribunaux pour enfants. Nous ne l'avons certes pas fait de 1997 à 2002, mais vos erreurs d'aujourd'hui éclairent notre réflexion pour demain.

M. Guy Geoffroy - Pirouette !

M. Jean-Pierre Blazy - Absolument pas.

Le Gouvernement et la majorité persistent hélas dans l'erreur en proposant d'étendre les compétences d'une justice artisanale, au rabais, non dénuée de dangers pour les justiciables comme pour l'institution judiciaire elle-même. Cela ne pourra que susciter une désaffection encore plus grande des Français pour leur justice.

C'est pourquoi les socialistes défendront essentiellement des amendements de suppression et voteront contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Guinchard-Kunstler remplace M. Le Garrec au fauteuil présidentiel

PRÉSIDENCE de Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER

vice-présidente

M. François Rochebloine - La loi d'orientation et de programmation pour la justice d'août 2002 a institué des juges de proximité, idée défendue depuis longtemps par l'UDF. Nous avions insisté pour qu'il ne s'agisse pas de juges au rabais, sous tutelle. Le seuil des litiges auxquels était limitée leur compétence nous paraissait faible, au regard des besoins. Nous ne pouvons donc que nous féliciter du relèvement de ce seuil de 1 500 à 4 000 € contenu dans cette proposition de loi, laquelle prévoit également de ne plus exclure les litiges d'intérêt professionnel ainsi que ceux concernant des personnes morales. Il est logique de relever en conséquence à 10 000 € le seuil d'intérêt des litiges relevant du tribunal d'instance.

Le texte propose également de faire appel aux juges de proximité pour compléter les formations collégiales des tribunaux correctionnels, ce qui constitue un premier pas vers l'échevinage. Il prévoit aussi de regrouper les compétences d'attribution en réunissant notamment les litiges relatifs aux baux. Réserver une compétence exclusive au tribunal de grande instance pour les litiges relatifs à la copropriété et au tribunal d'instance pour ceux concernant les crédits à la consommation marque un souci louable de cohérence et de lisibilité.

Au total, cette réforme recueille toute notre approbation. Je me permets toutefois d'insister sur le statut et les conditions d'exercice des juges de proximité. Comme le soulignait notre collègue sénateur Pierre Fauchon, ces juges doivent être vraiment de proximité « au sens non seulement physique du terme, mais également moral et procédural ». Faut-il les regrouper au sein de la justice d'instance ou conserver la formule d'une juridiction autonome ? Il faudra y réfléchir. Si d'aventure des dysfonctionnements statutaires apparaissent, il ne faudra pas hésiter à revoir l'organisation en profondeur.

Gardons toujours présent à l'esprit l'intérêt général que nous poursuivons tous, surtout quand nos concitoyens font de moins en moins confiance à la justice.

Le développement de la justice de proximité doit s'accompagner des moyens budgétaires nécessaires. Il faut accélérer le recrutement des juges de proximité. Que le nombre d'affaires relevant de leur compétence ne représente que 5 % du contentieux civil des tribunaux d'instance montre la faiblesse de leur implication. Vouloir augmenter ce pourcentage est bien entendu gage de crédibilité, mais il faudra s'en donner les moyens.

Il convient d'accélérer l'examen des candidatures, tout en conservant la qualité du recrutement.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - Absolument.

M. François Rochebloine - Le groupe UDF votera tout naturellement ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

M. Michel Vaxès - Les juges de proximité devraient être 300 dès la fin de cette année, pour 3 300 prévus en 2007. La première promotion, composée de 27 juges, a été installée il y a un an. C'est un délai bien court pour évaluer sérieusement leur contribution. Pourtant, vous décidez déjà d'élargir leurs compétences. Ils pourront juger des litiges jusqu'à 4 000 €, des litiges professionnels et intéressant les personnes morales, et siéger comme assesseurs dans les formations collégiales des tribunaux correctionnels et donc participer au prononcé de peines d'emprisonnement. Peut-on encore parler de « petits litiges de la vie quotidienne » ? Raisonnablement, non.

La nature de cette juridiction en est transformée. En matière civile, elle jugera plus d'affaires relevant du droit de la consommation - vente par correspondance, à domicile, locations de longue durée, abonnements de téléphone portable, contrats d'assurance. Ce droit est de plus en plus complexe. Aussi, dès septembre, les grandes associations de consommateurs, demandaient-elles au Gouvernement de revoir sa position. Dans ce genre d'affaires, le particulier se présente souvent sans avocat contre une entreprise qui sait très bien se défendre. De plus, la complexité de l'affaire n'a rien à voir avec la somme en jeu.

Aussi la formation de ces juges est-elle essentielle. Or sa qualité et sa durée sont largement contestées. Une vingtaine d'entre eux sur 170 ont même démissionné, conscients de leurs carences. Cinq jours de formation et un stage ne suffisent pas, pas plus que connaître le droit ne suffit à faire un magistrat.

Selon la présidente de l'Association nationale des juges d'instance, certains juges de proximité se dispensent d'appliquer les règles de droit et de procédure pour juger en équité. Une présidente de tribunal de grande instance dénonce des jugements truffés de bourdes, et un juge de proximité parle d'escroquerie à propos de la formation qu'il a reçue.

Or vous avez refusé d'instaurer une procédure d'appel, au motif que le tribunal d'instance statue en dernier ressort jusqu'à 3 800 €. Mais il est composé de magistrats professionnels. L'appel limiterait les risques d'erreur de magistrats qui ne le sont pas, et renforcerait la confiance du public.

Que ces juges de proximité aient à décider de litiges professionnels et intéressant les personnes morales contredit également la philosophie d'origine de la fonction.

Mais venons-en à leur participation à des décisions correctionnelles. Jamais, nous aviez-vous dit, ils ne participeraient à des jugements pouvant donner lieu à des peines privatives de liberté. C'est donc un revirement. Pourtant, dans sa décision du 29 août 2002, le Conseil constitutionnel ne s'opposait pas à leur voir confier des compétences en matière pénale à cette condition qu'ils n'auraient pas le pouvoir de prononcer des peines d'emprisonnement. Au Sénat, on a débattu pour savoir si le Conseil visait le juge ou la juridiction de proximité. Mais le terme de juge est générique pour toute juridiction. Suivre cette voie, c'est donc s'exposer à la censure du Conseil constitutionnel.

Certes, vous deviez faire face à une vraie difficulté, qui est que ces juges de proximité, malgré leur faible nombre, sont sous-employés. Selon un président de tribunal, leur déléguer tout ce qui relève d'eux, soit 3 % de l'activité de son tribunal, occuperait 0,66 % d'un poste de juge de proximité. Comme on lui en destine douze, il hésite entre en utiliser un seul pendant huit mois ou faire venir chacun une fois tous les dix-huit mois !

Pour régler cette situation ubuesque, vous avez décidé de leur confier plus d'affaires. Mais pourquoi persévérer dans une voie qui n'est pas la bonne ? Mieux vaudrait attendre de faire un vrai bilan pour corriger les défauts de cette juridiction, ou admettre que sa création était une erreur. Le recrutement de 3 300 juges de proximité équivaut à celui de 330 magistrats à plein temps, qu'on aurait pu affecter dans les tribunaux d'instance, car ils assurent la vraie justice de proximité. On pourrait également multiplier le nombre de médiateurs et de conciliateurs et réformer la carte judiciaire.

Vous avez préféré le spectaculaire à l'efficace. Nous préférons une justice proche des justiciables, compréhensible et accessible à tous. Vous ne prenez pas le chemin de cette vraie justice de proximité. Nous voterons donc contre ce texte, et soutiendrons tous les amendements de suppression. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Guy Geoffroy - Nous avons à statuer sur une question qui n'est pas seulement technique, mais aussi politique. Il nous faut en effet faire un premier bilan de l'activité des juges de proximité. Nous avions déposé à l'Assemblée une proposition identique à celle qu'a examinée le Sénat et nous voulions cette extension de compétences pour enraciner cette nouvelle forme de justice au quotidien puisque, dans ce domaine, elle connaît des dysfonctionnements, ce qui laisse parfois penser à nos concitoyens que l'institution judiciaire lui porte un moindre intérêt.

D'ailleurs, il y avait une similitude étonnante, mais rassurante, entre le programme présidentiel du candidat Jospin - dû sur ce chapitre à André Vallini - et celui du Président Chirac sur deux points qui me tiennent à cœur : les centres éducatifs fermés et la justice de proximité. En comparant les deux documents, on se mettait à penser que le pragmatisme l'emportait partout, et que l'idéologie faisait place au service de nos concitoyens. Vous avez tout à l'heure, cher collègue, exprimé un remords qui ne trompera personne, en déclarant que désormais vous regrettiez d'avoir eu cette idée ; mais comment se fait-il qu'avant toute expérience, vous nous ayez dit que de toute façon, cela ne marcherait pas ? C'est parce que vous aviez décidé que cela ne marcherait pas que vous êtes allé chercher des déclarations partisanes auprès de ceux qui considèrent que le dispositif n'est pas encore abouti !

Pour notre part, nous n'avons pas, en accompagnant notre ministre au tribunal de police de Paris, défini par avance ce que nous voulions entendre ; mais la présidente du tribunal était tout à fait confiante, et les juges de proximité que nous avons rencontrés étaient conscients de leurs responsabilités. Nous avons eu le sentiment que la justice de proximité était en route, et qu'il fallait lui donner toute sa chance.

Aussi cette proposition de loi procède-t-elle aux élargissements nécessaires, compte tenu de la sous-utilisation actuelle de ces juges.

M. Jean-Pierre Blazy - C'est un aveu de faiblesse !

M. Guy Geoffroy - Pour tous ceux qui pensent avant tout à l'intérêt de nos concitoyens, les développements proposés de la justice de proximité sont nécessaires. Aussi les membres du groupe UMP soutiendront-ils ce texte sans défaillance (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La discussion générale est close.

M. le Garde des Sceaux - Quelques chiffres sur l'activité des juges de proximité. Actuellement, elle représente 5 % de l'activité du tribunal d'instance au civil, et 85 % de l'activité au pénal ; après la réforme, ce devrait être 20 % au civil, et 100 % pour les quatre premières classes de contraventions.

Il n'y a rien d'anormal au fait de recaler le niveau de compétence de cette nouvelle juridiction, afin de lui assurer une activité normale : ce n'est en rien le signe d'un échec. Par ailleurs, je tiens à corriger une erreur : aucun juge de proximité en fonction n'a démissionné. En revanche, des personnes qui étaient en cours de formation ou de stage n'ont pas voulu aller au bout.

M. Jean-Pierre Blazy - Ils ont donc bien démissionné !

M. le Garde des Sceaux - Vous avez expliqué qu'ils n'étaient pas satisfaits de l'exercice de leurs fonctions : c'est faux ! 305 juges de proximité seront en fonction au début du mois de janvier.

Il est par ailleurs grotesque d'opposer la mise en place de la justice de proximité et le renforcement des moyens de la justice traditionnelle. Le Parlement a voté dans la loi de programmation la création de 950 postes de juges professionnels - il en existe aujourd'hui 7 200. Aller au-delà aboutirait à transformer profondément la nature des fonctions exercées par ces juges, qui doivent rester à un niveau de responsabilité élevé. Nous en sommes déjà à 430 postes de magistrats créés, et à 1 300 postes de greffiers supplémentaires par rapport à fin 2002. C'est la preuve qu'on peut à la fois renforcer les moyens de la justice professionnelle et utiliser de nouveaux moyens.

Le choix est politique : la question est de savoir si nous voulons ouvrir l'institution judiciaire sur la société civile. Notre réponse est oui, et je pense qu'ainsi, nous apportons une première réponse à l'insatisfaction qu'expriment parfois nos concitoyens au sujet de l'institution judiciaire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

ARTICLE PREMIER

M. André Vallini - Notre amendement 10 tend à supprimer cet article car il revient à reporter sur les tribunaux d'instance l'engorgement dont souffrent les tribunaux de grande instance.

Monsieur Geoffroy, mon collègue Blazy n'a pas dit que nous regrettions d'avoir proposé lors de la campagne présidentielle l'instauration de juges de proximité ; ce qu'il a voulu dire, c'est que nous n'avions pas assez précisé ce que seraient nos juges de proximité, qui n'auraient rien eu à voir avec les vôtres (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Ce que nous voudrions, c'est une justice citoyenne, sur la base de l'échevinage, mais non la possibilité pour des non professionnels d'exercer des fonctions juridictionnelles importantes.

M. Guy Geoffroy - Paroles, paroles ! Vous êtes englués dans vos contradictions !

M. André Vallini - Depuis deux ans, les faits nous ont donné raison : le système fonctionne très mal.

M. Guy Geoffroy - Non !

M. le Rapporteur - Supprimer cet article, c'est tuer la réforme. Ce n'est pas une attitude très constructive...Tout ce que dit l'opposition est caricatural et révèle un certain mépris pour les juges, alors que l'instauration de la justice de proximité est très populaire, comme en témoigne le nombre de candidatures.

Pour vous, la seule chose à faire est d'augmenter les moyens de la Justice. Cela ne suffit pas ! Il faut aussi faire preuve de courage politique à travers des réformes.

Quant au bilan, nous en avons un.

M. Jean-Pierre Blazy - Très maigre !

M. le Rapporteur - C'est pour en tenir compte que nous nous apprêtons à voter ce texte. Avis défavorable donc.

L'amendement 10, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article premier, mis aux voix, est adopté.

ART. 2

M. André Vallini - L'amendement 11 est défendu.

L'amendement 11, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 1 apporte une précision rédactionnelle.

L'amendement 1, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 2 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 3

M. André Vallini - L'amendement 12 tend à supprimer cet article, car l'extension du champ de compétences des juges de proximité ne ferait que renforcer l'échec de cette réforme.

Monsieur Garraud, c'est vous qui méprisez les juges d'instance, en ne tenant pas compte de leur opposition. Croyez-vous donc que j'aie sollicité ces motions des assemblées du tribunal d'instance de Grenoble ? Je n'ai eu aucun contact avec les magistrats, qui ont spontanément décidé de voter ces motions et d'en informer les parlementaires. Tous ces gens se tromperaient-ils, du président au greffier ? Tous les syndicats, de droite comme de gauche, auraient-ils tort ?

M. le Rapporteur - Je ne souhaite pas polémiquer sur ces excès de langage...

M. André Vallini - Lesquels ? C'est vous qui parliez de mépris !

M. le Rapporteur - Nous sommes allés à la rencontre des juges de proximité, et nous avons vu la réforme en marche sur le terrain.

M. Jean-Pierre Blazy - Vous l'avez bien choisi, le terrain !

M. André Vallini - J'ai parlé des juges professionnels !

M. le Rapporteur - Vous voulez supprimer la nouvelle compétence générale des juges de proximité, alors que la juridiction de proximité n'est pas une juridiction d'appoint, mais un nouvel ordre de juridiction, au sens du Conseil constitutionnel. Avis défavorable.

L'amendement 12, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Vallini - Au cas où cette réforme serait malheureusement adoptée, l'amendement 19 tend à prévoir un appel pour les décisions des juges de proximité, ce qui est d'autant plus indispensable que, du fait d'une formation lacunaire, ils rendent parfois des jugements fantaisistes.

M. Michel Vaxès - L'amendement 23 est identique. Vous avancez deux raisons pour vous opposer à cet appel. D'une part, le tribunal d'instance statue en dernier ressort jusqu'à 3 800 €. C'est vrai, mais ce sont des juges professionnels ! Et ne venez pas nous parler de mépris à l'encontre des juges de proximité, Monsieur Garraud ! Je dis simplement que leur formation est insuffisante, ce dont ils ne sont pas responsables.

Par ailleurs, vous prétendez que le pourvoi en cassation est toujours possible, mais ne parlons plus alors de justice de proximité, surtout quand on connaît le coût d'une telle procédure !

M. le Rapporteur - Je rappelle qu'en raison de l'extension de leurs compétences, les juges de proximité recevront une formation plus approfondie à l'ENM, mais aussi sur le terrain sous forme de stages, puis en formation continue.

S'agissant de cet amendement, les juges d'instance jugent en premier et dernier ressort jusqu'à 3800 € : pourquoi n'en irait-il pas de même pour les juges de proximité ? Il est essentiel de ne pas paralyser l'action de la justice civile, en multipliant les recours, et de permettre ainsi à nos concitoyens d'obtenir le règlement rapide des petits litiges de leur vie quotidienne.

Enfin, en cas de difficulté, le juge de proximité peut toujours en référer au juge d'instance. Avis défavorable.

M. le Garde des Sceaux - Même avis, et j'en profite pour donner quelques informations sur le profil des juges de proximité en exercice. La moyenne d'âge est de 58 ans pour les hommes, et de 47 pour les femmes ; 55 % sont des hommes, le benjamin a 37 ans et le doyen 73....

M. Jean-Pierre Blazy - Quel dynamisme !

M. le Garde des Sceaux - 48 % ont un niveau bac + 4 et quatre ans d'expérience juridique, et 38 % exerçaient en libéral, ou occupaient un emploi de juriste en entreprise.

En vérité, c'est la diversité du recrutement que vous contestez, car les juges de proximité, nommés par le Conseil supérieur de la magistrature, deviennent des juges à part entière, indépendants. Est-il illégitime de vouloir recruter des personnes qui n'ont plus 25 ans, et en dehors d'un concours très sélectif ? Il faut se réjouir de la diversité de recrutement des juges de proximité, issus de milieux variés. De plus en plus, les gens souhaiteront varier leur parcours professionnel, changer de métier, et c'est une chance que la carrière de juge réponde à ce besoin d'ouverture.

Les amendements 19 et 23, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. André Vallini - L'amendement 22 tend à cantonner l'intervention des juges de proximité, comme le prévoyait la loi d'orientation et de programmation de la justice de 2002, aux seules actions personnelles et mobilières, et d'en exclure les affaires mettant en cause des personnes morales.

J'en profite pour répondre à M. Garraud que je me doute bien de l'enthousiasme des juges de proximité pour cette réforme, mais c'est des juges professionnels que je parlais ! Nemo auditur propriam turpitudinem allegans ! Vous vous servez de votre propre turpitude pour justifier cette réforme !

Quant à la diversité de recrutement, reconnaissez que les juges de proximité sont essentiellement issus de ce que Balzac appelait la bonne société.

M. le Président de la commission - Nous y voilà !

M. André Vallini - Si vous vouliez de la diversité, vous devriez décider de tirer au sort les auxiliaires de justice !

M. le Garde des Sceaux - Tirer au sort ?

M. le Président de la commission - C'est un débat qui date ! Vous avez cinquante ans de retard !

M. André Vallini - C'est cela la justice citoyenne !

M. le Rapporteur - Comment pouvez-vous contester la compétence des juges de proximité et prôner le tirage au sort ! Par ailleurs, je rappelle que la définition des actions personnelles et mobilières ayant donné lieu à quelques complications, nous avons décidé de clarifier le dispositif. Avis défavorable.

L'amendement 22, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Vallini - L'amendement 21 vise à ce que les personnes morales ne puissent saisir la juridiction de proximité.

M. le Rapporteur - Avis défavorable car il s'agit précisément d'une innovation majeure du texte.

L'amendement 21, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 3, mis aux voix, est adopté.

ART. 4

M. André Vallini - L'amendement 13 vise à supprimer cet article.

L'amendement 13, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 2 vise à maintenir la compétence de la juridiction de proximité pour les litiges d'une valeur inférieure à 4000 € portant sur les dépôts de garantie des contrats de location.

L'amendement 2, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 4 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 5

M. Michel Vaxès - Cet article est dangereux car il prévoit que le juge de proximité pourra prononcer des peines privatives de liberté. Est-il acceptable qu'un juge non professionnel puisse participer aux prononcés de peine pouvant aller jusqu'à vingt ans d'emprisonnement ? Non. A la différence des jurys de cours d'assises, les juges de proximité n'ont aucune légitimité citoyenne. Les jurés, eux, siègent dans les cours d'assises en tant que citoyens, quelle que soit leur situation sociale. La comparaison n'est pas possible.

M. André Vallini - M. Vaxès vient de défendre mon amendement 14.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. L'opposition prétend qu'il suffirait d'accroître le nombre de magistrats pour régler les problèmes. Mais tous les postes ne sont pas pourvus aux concours de recrutement de la magistrature faute d'un niveau toujours satisfaisant des candidats. Il faut donc envisager d'autres solutions, et c'est tout le sens de la juridiction de proximité.

Cet article est important car il permet aux juges de proximité de compléter une formation correctionnelle collégiale. Outre qu'il s'agit-là d'une disposition particulièrement attendue pour désengorger les tribunaux correctionnels, une telle formation contribuera évidemment à améliorer les compétences des juges de proximité.

L'amendement 14, repoussé par le Gouvernement et mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 5, mis aux voix, est adopté.

ART. 6

M. Emile Blessig - En Alsace-Moselle, les tribunaux d'instance sont compétents à connaître des actions immobilières possessoires et pétitoires, y compris en matière commerciale, quand l'importance pécuniaire ne dépasse pas leur taux de compétence.

Par l'amendement 3 rectifié, je souhaite préciser que les nouvelles dispositions ne s'appliquent pas à l'Alsace-Moselle de manière à ce que le code de procédure civile locale ne soit pas tacitement réformé. Si cela va peut-être sans dire, puisque le spécial l'emporte sur le général, il me semble néanmoins préférable de l'écrire (Sourires).

M. le Rapporteur - Avis bien évidemment favorable à cet amendement que j'ai cosigné.

M. le Garde des Sceaux - Cet amendement est superfétatoire. Le dispositif que nous proposons ne remet pas en cause la compétence des tribunaux d'instance en matière possessoire en Alsace-Moselle. Je souhaite, Monsieur Blessig, que vous retiriez un amendement qui pourrait susciter un doute sur les cas non spécifiés.

M. Emile Blessig - Il était important que vous puissiez apporter cette précision, Monsieur le ministre.

L'amendement 3 rectifié est retiré.

L'article 6, mis aux voix, est adopté.

ART. 7

M. le Rapporteur - L'amendement 4 vise à maintenir la compétence du tribunal de police dans les cas de poursuite concernant des contraventions connexes.

L'amendement 4, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 7 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 8

M. André Vallini - Mon amendement 15 vise à supprimer cet article.

L' amendement 15, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 8, mis aux voix, est adopté.

ART. 9

M. André Vallini - Mon amendement 16 vise à supprimer cet article.

L'amendement 16, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - Les amendements 24, 25, 5, 6, 7, 8 sont de coordination.

Les amendements 24, 25, 5, 6, 7 et 8, acceptés par le Gouvernement, et successivement mis aux voix, sont adoptés.

L'article 9 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 10

M. André Vallini - L'amendement 17 vise à supprimer cet article.

L'amendement 17, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 10, mis aux voix, est adopté.

ART. 11

M. André Vallini - L'amendement 18 vise à supprimer cet article.

L'amendement 18, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 9 vise à prévoir des délais pour l'application de la loi. Nous avons ainsi prévu un délai de trois mois en ce qui concerne les citations en matière pénale de manière à ce que la citation d'un procureur ne puisse devenir caduque.

L'amendement 9, mis aux voix, est adopté.

L'article 11, modifié, mis aux voix, est adopté.

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Jean-Pierre Blazy - Le groupe socialiste votera contre cette proposition de loi, qui constitue une fuite en avant en même temps qu'un aveu d'échec, car si l'on élargit les compétences des juges de proximité, c'est bien parce que le Gouvernement sait qu'il n'atteindra pas l'objectif qu'il s'est fixé dans la loi de programmation d'en recruter 3 300. D'ailleurs, on constate que nombre de ceux qui étaient candidats à ces fonctions démissionnent en cours de formation, avant même d'exercer. Nous verrons si ce mouvement se poursuit.

La justice n'en restera pas moins lente et lointaine aux yeux de nos concitoyens. Pour y remédier, il faudrait des moyens comme ceux que nous avons su dégager entre 1997 et 2002, après avoir trouvé une situation très dégradée.

Si l'on veut une justice moins lointaine, il faut réfléchir à l'échevinage, étant entendu que celui-ci ne se confond pas avec les juges de proximité voulus par le Gouvernement. Il faut une justice citoyenne, avec des citoyens aux côtés des juges. Nous y réfléchissons. En attendant, nous voterons contre ce texte, qui recèle maints dangers pour les justiciables comme pour l'institution elle-même.

M. Emile Blessig - Vous parlez d'échec, mais au nom de qui ? Pas en celui des Français, qui considèrent dans leur grande majorité que la justice de proximité est un facteur de progrès, comme le montre le sondage cité par le Garde des Sceaux. Quand vous parlez d'échec, vous vous faites le porte-voix des magistrats professionnels. Personne ne conteste leur légitimité, mais nous légiférons pour l'ensemble du pays et nous considérons, comme les Français, que la justice de proximité peut faire progresser les choses. Dans le domaine juridique, il faut agir prudemment. Nous procédons donc aujourd'hui à une deuxième étape de sa mise en place. Nous voterons avec confiance cette proposition de loi, dont nous sommes convaincus qu'elle contribuera à améliorer le fonctionnement de la justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

L'ensemble de la proposition de loi, mis aux voix, est adopté.

Prochaine séance demain, jeudi 9 décembre, à 9 heures 30.

La séance est levée à 18 heures 50.

                Le Directeur du service
                des comptes rendus analytiques,

                François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU JEUDI 9 DÉCEMBRE 2004

A NEUF HEURES TRENTE : 1re SÉANCE PUBLIQUE

Déclaration du Gouvernement sur le spectacle vivant et débat sur cette déclaration.

A QUINZE HEURES : 2e SÉANCE PUBLIQUE

Discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2004 (n° 1921).

Rapport (n° 1976) de M. Gilles CARREZ, rapporteur général au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

Avis (n° 1970) de M. Philippe VITEL, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées.

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 3e SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.


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