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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 52ème jour de séance, 125ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 26 JANVIER 2005

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

AVENIR DE L'AFPA 2

SOUTIEN À LA CRÉATION D'ENTREPRISES 3

RÉGLEMENTATION DES VENTES À LA DÉCOUPE 3

RÉFORME DU SYSTÈME DE SANTÉ 4

SURENDETTEMENT 4

INDUSTRIE TEXTILE 5

REGISTRE INTERNATIONAL FRANÇAIS 6

BIODIVERSITÉ 6

SNCM 7

PROTECTION DES SOURCES JOURNALISTIQUES 8

PLAN GRAND FROID 8

AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE 9

MODIFICATION DU TITRE XV
DE LA CONSTITUTION (suite) 10

La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

AVENIR DE L'AFPA

M. Jean-Pierre Brard - Monsieur le Premier ministre, alors que nous célébrons avec ferveur le soixantième anniversaire de la libération des camps de concentration, vous vous appliquez à démanteler, avec un esprit de système, cet extraordinaire héritage de la Libération, le programme du Conseil National de la Résistance...

Un député UMP - C'est honteux !

M. Jean-Pierre Brard - ...avec la réforme de la sécurité sociale, des retraites. En mars dernier, les Français ont sanctionné votre politique comme ils le feront en juin prochain. (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Pourtant, vous vous obstinez. En 2005, vous baissez l'impôt pour les plus riches de 6 milliards d'euros quand il augmente de 7 milliards pour les plus modestes et les classes moyennes ! Et le chômage augmente.

5 à 7 millions de personnes ont besoin d'une formation continue pour se requalifier. Et vous choisissez ce moment pour démanteler le fleuron de la formation professionnelle, l'association pour la formation professionnelle pour les adultes, l'AFPA, dont le siège national est dans ma bonne ville de Montreuil (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Non content de priver les Français de leur travail, vous supprimez cette deuxième chance que constitue la formation professionnelle. Vous voulez supprimer 1 000 emplois à l'AFPA.

Monsieur le Premier ministre, quelles conclusions tirez-vous de la décision de justice qui vous a désavoué ? Qu'allez-vous faire pour préserver l'AFPA qui forme 250 000 personnes par an dont 80% retrouvent une situation professionnelle stable ? Allez-vous engager un dialogue sérieux avec les organisations syndicales de l'AFPA et les élus locaux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail - Il y a des rapprochements au plan historique qui sont tout à fait inacceptables ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Le service public de l'emploi et l'AFPA ont été inscrits pour la première fois dans la loi du 10 janvier dernier pour la cohésion sociale (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste). La convention tripartite prévoit que l'AFPA sera signataire du socle du service public de l'emploi. Enfin, nous préparons un contrat de progrès et l'Etat financera à hauteur de 225 millions d'euros la modernisation de l'AFPA. Cette dernière deviendra l'unique opérateur national pour les demandeurs d'emploi dont les besoins s'exprimeront au travers des maisons de l'emploi.

Enfin, vous parlez d'un plan de restructuration. Il ne touche nullement les moyens de formation. En réalité, il est suspendu dans l'attente du jugement au fond. Je reçois ce soir les organisations syndicales de l'AFPA et je les encouragerai à reprendre le dialogue avec leur direction (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

SOUTIEN À LA CRÉATION D'ENTREPRISES

M. Philippe Briand - En 2005, la France a battu un record puisque 225 000 entreprises nouvelles ont été créées, soit 13% de plus qu'en 2003. Ces chiffres sont d'autant plus importants que ces entreprises créent, en moyenne, trois emplois dans les trois ans. Nous enregistrons les premiers succès de la loi d'initiative économique qui a rendu possible dès 2003 la création de « SARL à 1 euro ». Cette mesure faisait sourire les Cassandre de l'époque, elle force aujourd'hui le respect de ceux qui, grâce à elle, ont retrouvé le chemin de l'espoir et de la dignité.

Monsieur le Premier ministre, que comptez-vous faire pour amplifier ce dispositif ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - Depuis le début de notre législature, 600 000 entreprises nouvelles ont été créées et nous nous tiendrons à l'objectif fixé par le Président de la République : la création de 1 million d'entreprises pour la période 2002-2007.

En effet, ce signe du dynamisme des Français est dû aux succès remportés par les acteurs de terrain qui accompagnent la création d'entreprises.

Le Gouvernement a sa part dans ce succès. La création d'entreprises est un point fondamental de notre action pour l'emploi tout comme le soutien à l'innovation, avec la création de l'agence des grands projets dans les six mois prochains, le soutien à l'exportation avec le nouveau contrat de travail à l'export, le projet de cohésion sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains), le contrat d'avenir, la politique du logement.

Je suis heureux d'être en mesure de dire aujourd'hui que, si le chômage a été stabilisé en 2004, il diminuera en 2005 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

RÉGLEMENTATION DES VENTES À LA DÉCOUPE

M. Patrick Bloche - Le 19 novembre, lors de la discussion budgétaire, l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité un amendement socialiste visant à encadrer la vente à la découpe, cette technique de spéculation immobilière consistant à acheter un immeuble et à le revendre appartement par appartement avec une forte plus-value. En revanche, les dispositions supplémentaires que nous avions proposées dans la projet de loi dit de cohésion sociale n'ont pas été retenues. La vente à la découpe a des conséquences brutales pour les locataires, pour la plupart de condition modeste ou moyenne, qui ne peuvent racheter leur logement ou faire face à l'augmentation inévitable du loyer. Ce phénomène frappe désormais partout et a pris une telle ampleur, en si peu de temps, que la mixité sociale est menacée dans de nombreuses villes. On nous dit que les plus hautes autorités de l'Etat s'intéressent au problème et que le Premier ministre serait sur le point de prendre des initiatives. Mais il y a urgence ! C'est maintenant qu'il faut agir, car c'est en ce moment que les locataires sont touchés ! Relayant les préoccupations de nombreux élus, le maire de Paris, Bertrand Delanoë... (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) a proposé un moratoire de six mois sur les ventes à la découpe. Allez-vous l'instaurer ?

M. Marc-Philippe Daubresse, ministre délégué au logement et à la ville - Monsieur le député, vous faites partie de ces parlementaires qui ont essayé de traiter le problème de manière objective, comme Mmes de Panafieu et Aurillac, MM. Descamps et Carrez et bien d'autres.

C'est donc une cause qui nous rassemble. Le Gouvernement avait d'ailleurs donné un avis favorable à votre amendement. J'ai annoncé un calendrier en début d'année, et je m'y tiens. La commission nationale de concertation s'est réunie le 17 janvier, et recommencera le 31, pour essayer de traiter le problème par la voie conventionnelle, ce qui serait le plus simple et le plus rapide. Si cela ne suffit pas, le Gouvernement tient prêt un dispositif législatif et réglementaire pour protéger les locataires, leur éviter des prix spéculatifs et leur garantir un délai convenable. Vous serez bien sûr associé à la préparation de ce dispositif, qui sera annoncé dans la première semaine de février. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

RÉFORME DU SYSTÈME DE SANTÉ

M. Jean-Luc Préel - La santé est une des préoccupations majeures des Français. Notre système de soins connaît une crise extrêmement grave. La réforme votée cet été se met en place progressivement. Est-elle juste ? Permettra-t-elle de garantir un égal accès à des soins de qualité ? Nous pensons que non.

M. Maxime Gremetz - Voilà !

M. Jean-Luc Préel - La réforme a en effet laissé de côté des questions majeures telles que la séparation de la ville et de l'hôpital, le manque de personnel ou la permanence des soins. La mise en place du médecin traitant est certes une bonne chose, mais le texte est tellement complexe que ni les patients, ni les médecins ne comprennent ce qui leur est proposé. En outre, passer par le médecin traitant n'est pas indispensable pour toutes les spécialités et la double consultation, si l'on doit voir un dermatologue, un allergologue, un homéopathe ou un cardiologue par exemple, sera coûteuse (Brouhaha sur les bancs du groupe UMP).

Il sera certes toujours possible de consulter directement un spécialiste, mais cela reviendra plus cher. M. Jouanet, ancien directeur de la caisse d'assurance maladie, estime que cohabiteront une soixantaine de situations tarifaires ! Comment s'y retrouver ? Ce qui est clair en tout cas, c'est que cette réforme crée une médecine à deux vitesses. Il y aura ceux qui sont prêts à payer plus pour rester dans des délais raisonnables ou pour bénéficier d'une complémentaire qui rembourse les dépassements d'honoraires - et l'on sait que leurs tarifs vont fortement augmenter - et ceux qui ne pourront se le permettre. Pouvez-vous rassurer professionnels et malades ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille - Ce n'est pas moi qui devrais vous répondre, mais les 420 000 Français qui ont fait connaître, en dix jours, leur médecin traitant, ou les 70% de médecins généralistes qui ont déjà renvoyé le formulaire à la CNAM ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) La convention qui a été signée par les syndicats majoritaires de généralistes et de spécialistes est basée sur le renforcement du poids du médecin généraliste, qui coordonne les soins, car c'est lui qui connaît le mieux son malade, et sur un égal accès aux soins. Tous les Français qui auront choisi un médecin traitant seront remboursés de la même manière qu'avant et seront mieux soignés. Faire croire qu'ils seront moins remboursés est un mensonge (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Ma vision de notre système de santé est que tout Français doit avoir le droit, s'il est malade, d'aller voir un professionnel de la santé, y compris s'il ressort de la CMU.

C'est pourquoi des contrôles seront effectués. Mais tous les professionnels de santé, nous en sommes convaincus, seront derrière nous pour soutenir cette réforme car celle-ci améliore la qualité des soins, et cela vous ne pouvez pas le contester. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

SURENDETTEMENT

M. Michel Roumegoux - Monsieur le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, de nombreux ménages cèdent à l'attrait illusoire des « prêts pas chers et sans engagement » proposés par certains magasins et organismes de crédit. Le cumul de plusieurs crédits, dont elles ne peuvent assumer le remboursement, peut ainsi les conduire à un désastre social et financier. Quelque 700 000 familles connaissent aujourd'hui la spirale infernale du surendettement. Certaines en portent l'entière responsabilité, d'autres une part seulement, et certains se retrouvent dans cette situation à la suite d'un accident de la vie - perte d'emploi, maladie, divorce...

La procédure de rétablissement personnel, mise en place à votre initiative en 2003, Monsieur le ministre, donne une seconde chance aux ménages surendettés de bonne foi, sans les culpabiliser ni les déresponsabiliser. Quel est aujourd'hui votre sentiment sur cette grave question du surendettement des ménages ? Les procédures, de protection notamment, mises en place vous paraissent-elles assez efficaces ? Donnerez-vous une impulsion supplémentaire à la lutte contre le surendettement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale - Entre un million et un million et demi de familles sont aujourd'hui touchées par le surendettement. Face à cette situation, nous nous sommes donné deux objectifs : aider les familles de bonne foi à sortir de cette spirale infernale, et surtout, prévenir, prévenir ! Sur les 160 000 familles ayant eu recours en 2004 à l'une des procédures existantes, 95 000 ont passé un accord et 30 000 ont reçu des recommandations homologuées par un juge, leur situation ayant donc été réglée par les commissions de surendettement, tandis que 17 000 ont bénéficié de la nouvelle procédure de rétablissement personnel. Demeurent cinquante à soixante mille dossiers en instance. A cet égard, je tiens à remercier les membres des commissions de surendettement et les magistrats de la qualité du travail accompli.

Pour ce qui est de la prévention, deux textes récents d'initiative parlementaire ont été adoptés. La proposition de loi de votre collègue Chatel, votée il y a une semaine, concernant notamment les crédits revolving, facilite par exemple leur résiliation. Celle de MM. Morin et Lagarde, adoptée hier même, vise à limiter les achats compulsifs à crédit, en exigeant que le déblocage des fonds ne puisse intervenir avant le délai de rétractation de sept jours. Un autre texte concernant les créances locatives est en cours d'examen.

Il faut aller plus loin, en veillant à la fois à responsabiliser les organismes de crédit et les emprunteurs et à ne pas empêcher les plus modestes d'accéder au crédit. Une large concertation, placée sous la responsabilité d'un parlementaire, va d'ailleurs s'ouvrir à ce sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

INDUSTRIE TEXTILE

M. Gérard Cherpion - L'industrie textile, malgré le recul qu'elle a connu ces dix dernières années, demeure une industrie majeure pour notre pays. Ses entreprises revêtent en effet une importance cruciale pour la vitalité du tissu économique et l'emploi de nombreuses régions françaises, notamment les Vosges. Or, après la fin des accords multifibres, cette industrie est aujourd'hui touchée de plein fouet par la suppression totale des quotas de l'OMC intervenue le 1er janvier 2005, permettant à de nombreux pays, dont la Chine, de pénétrer sans barrière aucune les marchés occidentaux. Monsieur le ministre de l'économie, que pouvez-vous répondre aux entrepreneurs et aux salariés de cette industrie, légitimement inquiets ? Comment le Gouvernement compte-t-il faire face à cette menace et faire en sorte que le textile français ne soit pas condamné au déclin et à la disparition ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Hervé Gaymard, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Le 1er janvier 2005 a marqué en effet la fin des quotas, laquelle fait suite à dix ans de pertes d'emplois ininterrompues dans l'industrie textile française. Je tiens tout d'abord à féliciter les industriels qui n'ont pas attendu cette date fatidique pour réagir et, depuis dix ans, mènent avec courage la bataille de la valeur ajoutée, de la création et de l'innovation. J'étais moi-même hier à Troyes avec François Baroin, Patrick Devedjian est aujourd'hui à Lille pour traiter des problèmes du textile industriel, et François Loos était la semaine dernière à Rome pour la signature d'une convention entre les fédérations française et italienne. C'est dire l'entière mobilisation du Gouvernement sur le sujet. Nous aidons les organismes professionnels qui soutiennent l'innovation et la création - je pense notamment à l'Institut français du textile-habillement. Trente millions d'euros environ sont consacrés chaque année à ces actions, auxquels nous venons d'ajouter 2,7 millions pour 2005. Nous avons par ailleurs doublé le crédit d'impôt-collections pour 2005. Enfin, dans le cadre des futurs pôles de compétitivité, le textile ne serait pas oublié. Voilà ce que fait le Gouvernement, qui ne serait rien sans la formidable envie de créer, d'innover et de se battre de nos industriels du textile, dont nous pouvons être fiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

REGISTRE INTERNATIONAL FRANÇAIS

Mme Marylise Lebranchu - Monsieur le Premier ministre, je vous avais demandé ici même, avant les élections régionales, de retirer un texte qui permettait de ne garder à bord d'un navire battant pavillon français que deux marins français, disposition proprement scandaleuse. Ce texte entérinait ailleurs, pour la première fois dans le droit du travail français, le recours à des entreprises de travail maritime qui recrutent, notamment en Indonésie ou aux Philippines, dans les conditions que l'on sait, des personnels marins, dont on connaît également les conditions de travail. Or, ce texte nous revient inchangé du Sénat. Fort heureusement, des amendements ont été déposés ici, y compris par la majorité, faisant passer le nombre de marins français à 35% de l'effectif réel, ce qui constitue une avancée essentielle. Mais dans le texte de la commission des affaires économiques, cette proportion tombe à 25% s'il n'y a pas d'aide de l'Etat.

Les armateurs nous disent qu'il s'agit de répondre à l'objectif de compétitivité. Autrement dit, pour être compétitifs, il faut tirer les salaires vers le bas... Serait-ce cela que l'on va proposer aux salariés français ? On ne peut l'accepter, Monsieur le Premier ministre ; il faut au moins que soient adoptés les amendements votés à l'unanimité par la commission des affaires sociales (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer - C'est un sujet sérieux, qui n'autorise pas la caricature (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

La marine marchande française, comme les autres marines marchandes européennes, a subi avant la lettre un phénomène de « délocalisation » qui a, en cinquante ans, divisé par quatre le nombre de ses navires. Que faire pour la relancer ? Telle est la question.

Pour l'aider, nous avons déjà instauré la taxe au tonnage, qui est un substitut à l'impôt sur les sociétés, un régime de remboursement des charges sociales, un système d'aide à l'investissement. Enfin, comme tous les pays européens qui ont voulu faire renaître leur marine marchande - le Danemark, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Italie -, nous instaurons un « pavillon bis », mais qui a des particularités. D'abord, nous sommes les mieux-disants en matière de sécurité maritime : les navires seront soumis à l'ensemble des règles de sécurité maritime française et seront donc parfaitement sûrs, contrairement aux navires sous pavillon de complaisance. Ensuite, nous sommes les mieux-disants sur le plan social car nous sommes les premiers à instaurer un statut social pour les marins non européens, et nous donnons compétence à l'Inspection du travail maritime sur la totalité de l'équipage de ces navires (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Enfin, nous avons une préoccupation d'emploi : si votre Assemblée suit les propositions de ses rapporteurs, il y aura dans la plupart des cas au moins 35% de marins français sur ces bateaux (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Maxime Gremetz - Il a noyé le poisson !

M. le Président - Monsieur Gremetz, ne vous noyez pas vous-même ! (Sourires)

BIODIVERSITÉ

M. Jean-Pierre Giran - A l'initiative du Président de la République, la France organise cette semaine une conférence internationale sur la biodiversité. Un constat alarmant a été dressé à cette occasion : l'Union internationale pour la conservation de la nature a rééavalué à 15 000 le nombre d'espèces menacées à l'échelle planétaire.

C'est le mérite de la France de souligner l'urgente nécessité de mieux organiser les rapports entre la connaissance, la recherche et la décision politique. Une nature bien gérée est en effet la meilleure protection contre les aléas climatiques et les catastrophes naturelles.

Mais après le temps des colloques et des conférences vient celui des décisions. Au moment où la mise en œuvre de Natura 2000 revient à l'ordre du jour et où un projet sur les parcs nationaux est en préparation, pouvez-vous, Monsieur le ministre de l'écologie, nous indiquer les initiatives nationales et internationales que vous allez être amené à prendre à la suite de cette conférence sur la biodiversité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable - A l'invitation du Président de la République, des centaines de chercheurs et d'experts sont venus à Paris afin de sensibiliser les responsables politiques et les populations sur ce sujet. Défendre la biodiversité, c'est reconnaître que la nature a besoin de variété et que l'espèce humaine est indissociable des autres espèces.

Qu'attendons-nous de cette conférence ? Au niveau international, il s'agit d'abord de promouvoir la connaissance et la recherche. La France présentera un projet de préservation des forêts du bassin du Congo les 4 et 5 février à Brazzaville, par la voix du Président de la République.

Au niveau national, nous avons d'ores et déjà engagé de nombreuses actions : réforme, à la suite de votre rapport, des parcs nationaux, qui permettra la création en 2006 des parcs nationaux de la Guyane et de la Réunion ; renforcement des plans de sauvetage des espèces menacées ; création d'aires marines protégées, telle la mer d'Iroise ; relance de l'initiative française pour la conservation des récifs coralliens ; relance du dialogue au niveau local pour la préservation de la nature et le développement des activités humaines dans le cadre de Natura 2000. Je souhaite impliquer les acteurs locaux à la fois dans la discussion et dans la gestion, là où le gouvernement précédent cultivait la confrontation et l'invective. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

SNCM

M. Jean Roatta - La Société nationale maritime Corse Méditerranée connaît des temps difficiles. Elle a subi de nombreuses grèves en 2004, dont la dernière, en septembre, a entraîné l'immobilisation pendant plus de deux semaines de tous les navires desservant la Corse. Dans un marché déprimé, cela ne pouvait aboutir qu'à une diminution sans précédent du trafic de la compagnie vers la Corse et à une baisse de ses parts de marché.

La situation financière de la société est très dégradée : son déficit 2004 serait compris entre 30 et 50 millions d'euros. Elle a pourtant été recapitalisée en 2003, la Commission européenne ayant autorisé le versement de 66 millions d'aides publiques sous forme de recapitalisation par l'Etat.

Je m'interroge donc sur la situation financière réelle et sur les perspectives d'avenir de l'entreprise. Présente sur de nombreux marchés, elle assure l'exécution d'un contrat de service public avec la collectivité territoriale de Corse, dans le cadre de la continuité territoriale. Ses 2 400 salariés sont inquiets. La société est très présente en Corse et sur la place de Marseille, avec des retombées économiques importantes pour ces deux zones d'activité. Son démantèlement serait lourd de conséquences non seulement pour ses salariés, mais aussi pour ses fournisseurs et pour ses sous-traitants.

Je vous demande donc de nous confirmer que le Gouvernement n'abandonnera pas la SNCM et de nous présenter les orientations qu'il envisage pour redresser cette société, qui opère en Méditerranée depuis plus de trente ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer - La situation de la SNCM est en effet extrêmement préoccupante : l'entreprise est au bord de la cessation de paiement. Le déficit pour 2004 sera supérieur à 25 millions d'euros et le déficit de trésorerie à la fin 2005 devrait être de l'ordre de 60 millions.

Ces difficultés sont certes conjoncturelles - la grève du mois de septembre a fait baisser la fréquentation commerciale de la compagnie de 26% - mais elles sont aussi structurelles : l'entreprise ne cesse de perdre des parts de marché. Malgré le plan de redressement étudié par le précédent gouvernement et mis en œuvre en 2003, avec un apport en capital de 76 millions, l'entreprise n'a atteint aucun des objectifs qui lui avaient été assignés.

Le Gouvernement va prendre des mesures de consolidation immédiate pour éviter la cessation d'activité. Je précise qu'une grève comparable à celle du mois de septembre condamnerait irrémédiablement l'entreprise au dépôt de bilan. Nous entendons également préserver son unité. Enfin, nous allons rechercher un opérateur industriel susceptible d'apporter les capitaux nécessaires tout en améliorant la gestion et les performances commerciales de l'entreprise, les règles de la concurrence interdisant désormais à l'Etat d'intervenir au capital.

Cette entreprise a un avenir. Elle doit être en ordre de marche avant l'appel d'offres, en 2006, de la collectivité territoriale de Corse, et redevenir une très belle entreprise. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

PROTECTION DES SOURCES JOURNALISTIQUES

M. Michel Françaix - Ma question s'adresse à M. le Premier ministre. Elle concerne la perquisition de l'hebdomadaire Le Point, du quotidien L'Equipe et des domiciles de journalistes par des fonctionnaires de police et de justice agissant en nombre, saisissant des disques durs d'ordinateurs et des dossiers pendant toute une matinée... Irruption choquante, déviance regrettable au regard du droit de la presse ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Je n'ai pas été convaincu par la réponse un peu gênée de M. le Garde des Sceaux à l'excellente question de notre collègue Martin-Lalande, renvoyant dos à dos le principe du secret de l'instruction et celui de la protection des sources. Quant au silence du ministre de la communication, il fut assourdissant !

Le journaliste et le juge sont tous deux à la recherche de la vérité. Chacun sait qu'ils n'exercent pas le même métier, mais sur la question des sources journalistiques aucun compromis n'est possible : l'article 109 du code de procédure pénale dispose que tout journaliste entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l'exercice de son activité est libre de ne pas en révéler l'origine, et deux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme rappellent que la protection des sources est l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse et condamnent de telles perquisitions.

N'y a-t-il pas un paradoxe à voir certains juges pourfendre les journalistes « fauteurs de fuites » quand d'autres écrivent des ouvrages à succès qui violent allègrement le secret de l'instruction ? Comment rappellerez-vous les magistrats au respect de la légalité républicaine ? Cette perquisition va au-delà des escarmouches qui opposent régulièrement la presse et la justice. Si elle faisait école, elle finirait par entraver la liberté d'informer en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Vous avez rappelé la réponse que j'ai faite hier à M. Martin-Lalande. Le sujet mérite mieux qu'une démarche polémique. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Nous assistons dans cette affaire à la confrontation de deux grands principes. Elle suscite bien sûr une émotion et je n'ai moi-même pu me défendre d'une réaction personnelle. Conformément à ma règle de conduite, je ne commenterai pas davantage cette affaire, qui est en cours d'instruction. Sur le fond, je rappelle que les journalistes ont en effet un droit à la protection de leurs sources : c'est un droit inaliénable et une condition de la presse libre. Mais une autre règle, celle du secret de l'instruction, permet de protéger la présomption d'innocence. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Il est important de la protéger aussi. J'ai donc engagé des discussions avec la Fédération de la presse française, pour examiner comment ces deux principes, en apparence contradictoires, pourraient être combinés de manière plus satisfaisante. J'aurai certainement l'occasion de vous en reparler. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

PLAN GRAND FROID

M. Franck Gilard - Le froid s'est installé depuis quelques jours sur la majeure partie du territoire, accompagné d'importantes chutes de neige.

Un député socialiste - C'est scandaleux ! (Sourires)

M. Franck Gilard - Les inquiétudes les plus vives ressurgissent ainsi pour tous ceux qui sont à la rue. Depuis 2002, le Gouvernement s'est attaché, avant chaque hiver, à renforcer les moyens pour venir en aide aux sans-abri. Il a mis en place un dispositif spécifique prêt à fonctionner dès les premières baisses de température en permettant la mobilisation immédiate d'hébergements supplémentaires. Ainsi le Gouvernement a-t-il réactivé les niveaux d'alerte du plan grand froid dans près de 70 départements.

Pouvez-vous, Madame la ministre déléguée à la lutte contre l'exclusion, faire le point sur la mise en œuvre de ce plan, et notamment sur ses évolutions par rapport au dispositif de l'hiver dernier ? Les moyens mobilisés seront-ils à la hauteur de l'urgence ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion - Le plan hiver a été largement anticipé grâce aux moyens supplémentaires mobilisés par le Premier ministre et M. Borloo qui se chiffrent à 186 millions. Dès le mois de juillet les préfets ont été sensibilisés et dès septembre, ce sont 9 200 places supplémentaires qui ont été affectées au plan hiver sur les 90 000 places pérennes. A ce jour, 61 départements, dont ceux de l'Ile-de-France, sont classés en niveau 2 avec des températures comprises entre moins 5 et moins 10 degrés la nuit ; 15 départements sont classés en niveau 3 avec des températures nocturnes de moins 10 degrés. Les équipes du 115 et des SAMU sociaux ont été renforcées : 12 postes supplémentaires ont été ainsi créés à Paris et des lieux d'accueil sont ouverts dans tous les départements vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

J'ajoute que la partenariat avec Météo France permet d'anticiper les besoins et d'adapter nos interventions. En lien avec le SAMU, nous bénéficions de plus, à Paris, d'un partenariat avec Europe Assistance. Radio France, TF1 et France Télévisions ont sensibilisé nos concitoyens à travers des spots et des messages d'alerte afin qu'ils se manifestent s'ils sont témoins de détresses particulières. Un protocole entre le ministère de l'intérieur et le ministère de la santé permet de prendre en compte la situation des personnes qui refusent des aides, cas de figure qui se présente parfois comme j'ai pu le constater en passant une nuit avec le SAMU social (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste). Je serai ce soir avec les compagnons d'Emmaüs et vendredi matin en Isère.

J'ajoute enfin que dès le 22 janvier, nous avons adressé aux préfets un nouvel appel à la vigilance. Je les salue pour la mobilisation dont ils font preuve, ainsi que toutes les associations qui sont sur le terrain. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

M. Robert Lecou - Le désenclavement du Massif Central sera bientôt effectif. Après le viaduc de Millau et la livraison, le 25 mars prochain, du tronçon de l'A75 à hauteur de Lodève, le flux des véhicules utilisant cette autoroute à vocation internationale augmentera sensiblement : depuis Paris par Clermont-Ferrand, depuis l'Espagne par Béziers et depuis l'Italie par Montpellier, cet axe sera essentiel. Il est indispensable de terminer cette autoroute en réalisant dans les meilleurs délais ses connexions avec l'A9, vers Béziers et vers Montpellier. M. le secrétaire d'Etat aux transports a fait part récemment du calendrier de cette connexion vers Béziers. Je souhaiterais donc savoir ce qu'il en est de l'A750, liaison entre l'A75 et l'A9 : pouvez-vous confirmer le calendrier de la déviation de Saint-André-de-Sangonis ainsi que celui de la transformation aux normes autoroutières de l'A750 entre Saint-André-de-Sangonis et Montpellier avec la construction du pont sur l'Hérault à Gignac? Pouvez-vous, enfin, préciser le calendrier de la connexion entre l'A750 et l'A9 sur le territoire de l'agglomération de Montpellier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer - A questions précises, réponses précises. L'inauguration du Viaduc de Millau à la fin de 2004 par le Président de la République a permis de souligner l'urgence de l'achèvement de l'A75, grand axe nord-sud de l'aménagement du territoire, ainsi que de sa prolongation vers Montpellier, l'A750.

M. de Robien inaugurera la déviation de Lodève le 25 mars prochain. Cette nouvelle étape consacrera l'achèvement de l'A75 dans sa traversée du Massif Central.

La déviation de Saint-André-de-Sangonis sera quant à elle utilisable cet été et son achèvement est prévu pour le printemps de 2006.

La transformation en autoroute de la dizaine de kilomètres séparant Saint-André-de-Sangonis de la partie autoroutière comprenant notamment le pont de Gignac sera lancée en 2006.

Enfin, sur la rocade ouest de Montpellier, le tracé qui assurera la continuité entre l'A750 et l'A9 sera arrêté au printemps 2005. Une enquête publique sera lancée dès la fin de l'année. Cette opération n'est pas inscrite à l'actuel contrat de plan mais elle le sera prioritairement au prochain.

Nous sommes comme vous conscients de l'enjeu que représente l'achèvement de cet axe majeur pour l'aménagement du territoire. Le Gouvernement témoigne ainsi de l'effort considérable accompli en faveur de l'équipement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 20.

MODIFICATION DU TITRE XV DE LA CONSTITUTION (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution.

M. Jean-Marc Ayrault - La ratification de la Constitution européenne est un moment de vérité pour la nation. Croyons-nous encore en l'Europe ? Avons-nous encore envie d'assumer ses solidarités et ses disciplines, ses succès et ses échecs ? De poursuivre le projet collectif ou de renoncer ? Comme pour Maastricht, la France a d'abord rendez-vous avec elle-même. Par son vote, elle engage son influence, son prestige, mais aussi son propre équilibre.

Depuis trop d'années notre nation étouffe dans un climat de défiance et de culpabilisation. Des populistes aux souverainistes, des conservateurs aux libéraux, lui revient sans cesse l'image du déclin. Les uns veulent la cloîtrer dans la nostalgie, les autres lui imposer les dogmes du profit sans frontière. Le référendum est l'occasion de rompre avec ce pessimisme ambiant, de démontrer que notre peuple a le ressort de conduire une ambition, d'en finir avec les peurs et les renoncements de l'extrémisme.

Les difficultés de notre pays ont d'abord leur cause en lui-même. Aucun bureau anonyme de Bruxelles n'a exigé le démantèlement de la politique de l'emploi et des services publics, aucune main invisible n'a dicté la suppression des 35 heures ou la privatisation d'EDF, aucune autorité supranationale n'a imposé de baisser les impôts au détriment de la formation, de l'innovation et de l'industrie. Faire l'Europe, ce n'est pas abdiquer toute volonté politique, et ces choix sont ceux du Gouvernement.

M. Julien Dray - Très bien.

M. Jean-Marc Ayrault - Faut-il rappeler que l'ambition initiale n'était pas gestionnaire, mais qu'il s'agissait de réconcilier un continent éclaté et de lui donner la force de peser sur le monde ? Que de chemin parcouru ! Alors que nous commémorons la libération des camps de la mort, l'Europe porte d'abord ce message : plus jamais Auschwitz ! Cet espace de paix et de coopération n'a aucun équivalent. Ses contempteurs soulignent sa faiblesse politique. Mais quelle entité attire autant les peuples ? La tutelle américaine indispose. La Chine et l'Inde fascinent mais inquiètent. L'Union européenne est un modèle d'intégration et de développement que bien des dirigeants d'Afrique, d'Asie et d'Amérique citent comme référence.

Oui, l'Europe a réussi, et la France a réussi dans l'Europe ! Nous avons été à l'origine de sa construction, nous avons porté chacune de ses réalisations. Nous avons sans doute commis des erreurs : certaines adhésions étaient mal préparées, le traité de Nice fonctionne mal à 25, l'application du droit de la concurrence est dogmatique. Nous l'avons surtout parée de vertus au-delà de sa vocation. L'Europe n'est pas la France en grand, c'est une ambition que nourrit la France, pour le continent et pour elle-même. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Sans l'Union, aurions-nous rénové notre économie pour rester la quatrième puissance industrielle, la douzième pour les investissements étrangers ? Souvenons-nous du déclin britannique, des retards de l'Espagne, du Portugal et de la Grèce - avant leur entrée en Europe. La France a tenu son rang parce que l'Europe lui a donné des défis à relever, des idées, des partenaires, qu'elle y a trouvé le débouché de ses innovations comme Airbus, Ariane, Galiléo. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Nous, socialistes, récusons le discours du déclin. Nous refusons la tentation de l'abandon, nous assumons tous les engagements européens auxquels nous avons souverainement consenti.

M. Jacques Brunhes - Combien de chômeurs ?

M. Jean-Marc Ayrault - France et Europe sont les deux faces d'un même patriotisme. La Constitution est un couronnement, car pour la première fois l'Europe se définit comme une communauté de destin fondée sur des valeurs. Démocratie, égalité, solidarité, neutralité confessionnelle, protection sociale, compétitivité économique, développement durable : toutes ces valeurs sont les nôtres. L'Europe est, comme la République, une construction politique et laïque.

A l'image de l'Europe, ce traité est imparfait mais indispensable. Il nous unit au-delà de l'économie, il est un compromis entre des visions différentes. Sa lourdeur, sa frilosité en matière fiscale ou sociale sont la rançon de la pluralité, mais celle-ci est vertu : pour la première fois un texte a été élaboré démocratiquement au sein d'une convention regroupant toutes les sensibilités. L'Acte unique a fondé un espace commercial, Maastricht une union monétaire et une citoyenneté. Le traité constitutionnel marque la naissance d'une Europe politique.

On a souvent critiqué le caractère peu démocratique, technocratique de l'Union. Comment dès lors contester le renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement européen et des parlements nationaux, la reconnaissance du rôle des ONG, le droit de pétition pour les citoyens ?

Que n'a-t-on entendu sur l'Europe sans visage, sans autorité internationale. Pourquoi refuser la présidence fixe du Conseil européen et la désignation d'un ministre commun des affaires étrangères ? De même, il est incohérent de dénoncer l'archaïsme des règles de décision et de contester la nouvelle pondération des voix au Conseil.

La clarification et la démocratisation des pouvoirs sont de réelles avancées. Plus important encore, l'inscription d'un modèle social européen dans la Constitution se traduit par l'élargissement des compétences de l'Union aux politiques de l'emploi, de protection contre les licenciements et d'aides à la reconversion.

Pour donner réalité à ces principes constitutionnels, les socialistes voulaient que soit signé un traité social et fiscal, projet rendu impossible par l'absence d'implication du Président de la République dans la négociation. Un progrès, fût-il insuffisant, vaudra toujours mieux que le vide existant ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP)

La dilution du projet politique de l'Union hante l'Europe. Nous n'avons jamais réussi à trancher entre les conceptions d'une Europe puissance, d'une confédération d'Etats, ou d'un simple marché unique. L'intégration chemine par compromis successifs...

Un député UMP - Exactement !

M. Jean-Marc Ayrault - ...et l'euro a ouvert la brèche de la différenciation.

Pour répondre à cette menace, la Constitution permettra à des groupes de pays de mener des projets d'intégration plus poussés, sur le modèle EADS. Une petite Europe dans la grande Europe s'unira sur des programmes spécifiques. Qu'attend le Président de la République pour mener des projets avec l'Allemagne ?

Le décrochage économique et social menace également l'Europe. La croissance européenne est en berne, le chômage de masse s'incruste. Le rapport Kok a montré qu'aucun des objectifs du processus de Lisbonne n'a été atteint. Un nouveau mur, social, partage le continent. L'urgence est de réorienter la logique du pacte de stabilité vers la croissance et l'emploi, d'augmenter les moyens budgétaires de l'Union et d'établir des règles fiscales communes.

Or, si l'Europe veut changer, elle a besoin d'une réelle alternance politique. Notre « oui » s'inscrit dans la perspective de travailler, avec nos partenaires sociaux-démocrates, à la construction d'un programme de gauche pour l'Europe.

M. Jacques Brunhes - Avec Blair ?

M. Jean-Marc Ayrault - La Constitution n'est qu'un cadre, un corps de valeurs, une organisation. Comme la Constitution française, elle ne se substitue pas aux choix politiques. Nous combattons la directive Bolkenstein sur les services, dont nous demandons le retrait (« Bravo ! » sur les bancs du groupe socialiste). Nous combattons la résignation du Gouvernement, son absence de vision et d'initiative européennes. Voter pour cette réforme constitutionnelle, ce n'est pas faire l'union sacrée. C'est un « oui » de combat pour construire une Europe progressiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Le parti socialiste a pris ses responsabilités. Je rends hommage à tous ceux qui ont animé le grand débat démocratique sur l'Europe au sein du parti. Tous les socialistes partagent la conviction que la France et l'Europe sont indissociables et veulent réorienter le cours de l'Europe. Notre « oui » a été validé par un vote démocratique et nous avons fait œuvre de pédagogie pour toute la nation.

Nous voterons la révision constitutionnelle, passage obligé pour l'adoption du traité, parce qu'elle inscrit dans notre loi suprême l'extension du vote à la majorité qualifiée, le respect du principe de subsidiarité avec la possibilité pour les parlements nationaux de s'opposer aux empiétements. Nous aurions aimé aller plus loin que cette réforme a minima mais nous nous sommes heurtés à la conception traditionnelle d'une politique européenne appartenant au domaine réservé du Président de la République.

Quant à l'obligation de tenir un référendum sur les futurs élargissements, elle ne se justifie que par la volonté de calmer la dissidence de la majorité opposée à l'intégration de la Turquie. Après la « dissolution de convenance personnelle », le Président de la République invente le « référendum de commodité UMP » (« Très juste ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Mêler dans le débat le traité constitutionnel et la candidature de la Turquie compromet l'issue de la consultation référendaire.

Je veux également dénoncer la petite cuisine des jumeaux de la peur, M. Bayrou et M. Sarkozy. Leur campagne obsessionnelle ne s'adresse nullement à « l'intelligence des Français », elle n'est qu'un avatar de leurs ambitions présidentielles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Si le Président veut gagner ce référendum, qu'il commence par mettre de l'ordre dans la majorité !

M. François Hollande - Il aura bien du travail !

Un député UMP - C'est un expert qui parle !

M. Jean-Marc Ayrault - L'enjeu de cette consultation, c'est de doter l'Europe d'une Constitution. La perspective, c'est de transformer un espace de paix et d'échanges commerciaux en une Europe de projets. L'effet, ce sera de redonner à notre pays la chance d'un dessein collectif.

L'Europe a toujours été au cœur de l'identité des socialistes. Nous en avons été les inspirateurs avec Léon Blum, les architectes avec François Mitterrand et Jacques Delors, les continuateurs avec Lionel Jospin. Faudrait-il y renoncer au prétexte que M. Chirac et les très lointains héritiers du général de Gaulle ont fini par s'y rallier après l'avoir brocardée ? (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Notre démocratie, adulte, sait dépasser l'alternative simpliste entre le manichéisme et l'union sacrée. L'Europe a besoin de cette validation populaire. L'Europe vaut bien un oui ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Anne-Marie Comparini - Le 12 janvier, le Parlement européen a prononcé, à une large majorité, un « oui sans réserve » à la Constitution européenne. Cette bonne nouvelle répond à ce que l'UDF réclamait depuis 1999 : la mise en place d'un cadre institutionnel pour une Europe cohérente et forte.

Il n'est plus nécessaire de démontrer le besoin croissant d'Europe. De réussites technologiques en succès économiques, nous voyons quotidiennement ce que nous devons à l'Europe. Nous le constatons aussi dans cet hémicycle puisqu'une partie importante de notre législation provient de directives européennes.

Consciemment ou non, nos concitoyens attendent beaucoup de l'Europe. Face aux géants américains et asiatiques, ils perçoivent que l'équilibre du monde ne serait pas le même, avec ou sans l'Europe. Dès lors, il devenait urgent de doter celle-ci d'institutions efficaces, démocratiques, capables de la faire passer d'une simple alliance d'Etats à une construction unique de peuples unis. Progresser étape après étape est d'ailleurs au cœur du modèle européen. C'est par une association librement consentie qu'elle est née après la deuxième guerre mondiale, puis par l'invention d'institutions originales, inédites, que le projet a pris corps. C'est grâce à la réussite de la Communauté économique que la maison européenne s'est agrandie. C'est en défendant ce modèle européen que nous pourrons faire face à la globalisation du monde.

La révision constitutionnelle fait partie de ces grandes étapes. Elle rend possible la ratification du traité constitutionnel européen, cette chance que nous devons absolument saisir sous peine d'entrer dans un cycle infernal d'occasions perdues. Voter pour la Constitution européenne, c'est gagner des institutions européennes plus efficaces, un véritable pouvoir politique qui fera entendre sa voix, un système de vote au sein du Conseil des ministres plus clair, plus juste et plus efficace et un Conseil européen plus stable grâce à une présidence plus longue et donc plus constructive. Qui voudrait s'en priver ? Voter pour, c'est aussi renforcer le rôle du Parlement européen, où la codécision est étendue à des domaines essentiels, ou mettre en place le mécanisme d'alerte précoce qui renforce les pouvoirs des parlements nationaux.

Depuis quatre mois que je travaille à un rapport d'information pour la délégation aux affaires européennes, je le vois bien : les parlementaires sont plus proches de nos concitoyens, dans leur vie quotidienne comme dans l'exercice de leur profession, que la Commission, capable de décider, de manière brutale, d'orientations théoriques aussi éloignées de l'esprit européen que des réalités de chaque Etat membre ! Qui voudrait empêcher la plus grande implication des parlements nationaux, et donc l'association de nos concitoyens aux décisions qui les concernent ? Voter pour ce projet de constitution, c'est encore permettre au modèle socioéconomique européen, bien spécifique, de prendre une nouvelle dimension, grâce à la mise en place d'une gouvernance économique qui autorisera des vues stratégiques plus claires. L'euro ne suffit pas à faire une politique économique ! Il faut aller plus loin, vers des politiques communes, car les Etats ne peuvent plus agir seuls.

Ainsi, de tous les points de vue - institutionnel, démocratique, social ou économique -, ne pas voter la Constitution européenne, c'est retourner en arrière, continuer avec le mauvais Traité de Nice, handicaper la marche de l'Europe et aggraver le désintérêt de nos concitoyens à son égard. Il est donc plus que jamais nécessaire de voter la Constitution, ce formidable outil de développement, cette belle œuvre destinée à 450 millions d'habitants, dans 25 pays différents.

Nous aurions certes souhaité que ce traité aille plus loin, mais nous ne boudons pas notre plaisir, puisque l'UDF a été la première à le réclamer. C'est donc avec énergie et conviction que nous défendrons le oui dans les mois prochains. Mais avant le référendum, il y a l'étape obligatoire qui nous réunit aujourd'hui. Le Conseil constitutionnel a en effet jugé que la ratification du traité devait être précédée d'une révision de notre Constitution, puisque certaines de ses dispositions affectent les conditions essentielles de la souveraineté nationale et qu'il fallait organiser les nouveaux pouvoirs conférés aux parlements nationaux.

Je voudrais d'abord m'arrêter sur l'article 2 du projet de modification. Il n'est pas besoin d'être grand clerc pour comprendre qu'il s'agit d'un article d'opportunité : si François Bayrou n'avait pas alerté l'opinion sur l'adhésion de la Turquie, il n'aurait pas figuré dans le texte ! Cet article n'a pas de raison d'être aujourd'hui, puisqu'il sera remplacé à l'entrée en vigueur du traité ! Or, en partisan convaincu du référendum, j'attache autant d'importance au moment qu'au sujet pour lequel le peuple est consulté. Et dans dix ou quinze ans, il sera trop tard pour organiser un référendum sur l'adhésion de la Turquie !

Le groupe UDF approuve pleinement les nouvelles prérogatives conférées au Parlement, même s'il regrette que son fonctionnement ne soit pas adapté de façon plus audacieuse aux questions européennes, auxquelles il consacrera une part croissante de son activité. Nous proposerons donc plusieurs amendements visant à faciliter ce travail. C'était déjà le but de Jean-Louis Debré lorsqu'il a réservé une partie des questions au Gouvernement aux affaires européennes. Pourquoi, ainsi, ne pas donner à la délégation le statut de commission ? Allons-nous rester longtemps le seul parlement de l'Union à ne pas avoir de commission des affaires européennes et à tolérer la disparité actuelle entre le travail en amont réalisé par la délégation et celui des commissions permanentes, disparité qui explique d'ailleurs la rareté des débats en séance publique sur les questions européennes ? Une telle évolution rendrait par ailleurs l'Europe plus compréhensible aux Français. Pourquoi la remettre à demain ?

D'autre part, si le Gouvernement a l'obligation de transmettre au Parlement certaines propositions ou projets d'actes européens, pour les autres, il ne s'agit que d'une faculté. Il me parait donc important, et même logique, puisque les affaires européennes ne sont plus des affaires étrangères, mais internes, d'adopter l'amendement qui rend la transmission obligatoire, sur demande des présidents des Assemblées, des commissions permanentes ou de soixante députés ou de soixante sénateurs (M. François Bayrou applaudit). Il n'y a rien de scandaleux à vouloir que les membres de la représentation nationale s'expriment sur les sujets, tous les sujets, européens ! Vous objecterez que c'est contraire à l'équilibre des pouvoirs issu de la Constitution française, mais l'Union européenne est une union en mouvement, et ce mouvement ne peut que s'amplifier, qu'on le veuille ou non. Je regrette que la France ne sache pas s'y inscrire à l'avant-garde, et transformer ses méthodes en sorte que sa fonction parlementaire s'exprime avec autant de vigueur que la fonction parlementaire européenne.

M. François Bayrou - Très bien !

Mme Anne-Marie Comparini - Dans cette optique, je défendrai aussi un amendement demandant à ce que tout Conseil européen soit précédé d'une déclaration du Gouvernement devant l'Assemblée nationale et le Sénat. Que les défenseurs du fameux équilibre institutionnel se rassurent : il ne s'agit que du pouvoir de contrôle du Parlement, pas de son pouvoir normatif ! Par ailleurs, l'on peut supposer qu'avec le quinquennat, le chef de l'Etat disposera d'une majorité pour soutenir sa politique européenne.

A l'évidence, dans notre pays, il est sans cesse besoin de cultiver la démocratie. Sinon, pourquoi serions-nous obligés de proposer des dispositions simplement logiques à l'heure où il faut rapprocher l'Europe des citoyens ? Ne gâchons pas cette formidable chance d'impliquer nos concitoyens dans ce débat d'avenir. A refuser la discussion la plus large et la plus transparente possible, nous favorisons les peurs, la démagogie et, en définitive, le rejet du projet européen et la méfiance envers nos institutions. J'espère donc que la discussion des amendements nous permettra de vous convaincre de la nécessité d'impliquer davantage le Parlement, et les Français avec lui, dans les affaires européennes (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Baroin remplace M. Debré au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. François BAROIN

vice-président

M. Alain Bocquet - Votre décision d'inscrire à l'ordre du jour de notre Assemblée ce projet de loi constitutionnelle confirme votre détermination à adapter la Constitution française au projet de Constitution européenne libérale avant même que nos concitoyens aient pu s'exprimer par la voie du référendum. Rien n'obligeait en effet le Gouvernement à privilégier la voie parlementaire : les dispositions de révision constitutionnelle auraient parfaitement pu être incluses dans le référendum à venir. On voudrait forcer la main de notre peuple que l'on ne s'y prendrait pas autrement !

M. Jacques Brunhes - Très bien !

M. Alain Bocquet - Voilà moins d'un an, le Président de la République estimait « prématuré » d'organiser un référendum mais aujourd'hui, un Jacques Chirac sur la défensive précipite le cours des choses, tentant par cette révision constitutionnelle de faire l'économie d'un débat approfondi avec les Français. Quant au Premier ministre, il se garde bien de relever combien, dans ses termes mêmes, notre Constitution diffère du traité constitutionnel européen. Il est éclairant que des mots absents de notre loi fondamentale occupent une place prépondérante dans le texte européen. Ainsi des mots « banques », retrouvé 176 fois, « marché » 88 fois, « concurrence » 29 fois, « capitaux » 23 fois, « libéral » ou « libéralisation » 9 fois, sans oublier ni les références à l'OTAN ni la reconnaissance expresse du « lock-out », cette arme de chantage patronal contre la grève. En revanche, les mots « fraternité » ou « laïc » ne figurent aucunement dans le projet de Constitution européenne.

Votre projet de révision élude, hélas, ces questions et se satisfait du déficit démocratique de la construction européenne. Ce ne sont pas les mesurettes proposées à l'occasion de cette révision qui renforceront le contrôle du Parlement et des citoyens sur la politique européenne. Celles-ci ne peuvent avoir qu'un effet cosmétique quand le problème tient à la concentration du pouvoir entre les mains de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du Conseil européen, autant d'institutions peu perméables aux attentes populaires. Au mieux, la représentation nationale devra se contenter d'une voix consultative dérisoire. En vérité, vous cherchez à tenir les Français le plus loin possible d'enjeux les concernant pourtant directement, eux, leurs enfants et leurs petits-enfants. Vous souhaiteriez obtenir une validation anticipée de la Constitution européenne, afin de réduire le référendum à une simple formalité.

Ce ne sera pas si simple cependant, quelles que soient les précautions prises par le Président de la République, le Gouvernement et tous ceux qui souhaiteraient que la France et son peuple sautent le pas sans y prendre garde. Chaque jour qui passe voit en effet se disperser le brouillard dont, depuis plus d'un an, vous tentez d'entourer le projet de Constitution européenne, et le voici qui se révèle pour ce qu'il est : un carcan libéral, une machine de guerre au service des marchés financiers, un bréviaire destiné à tuer dans l'œuf toute contestation de la loi du profit-roi, une combinaison dangereuse de principes, de réglementations et de non-dits - je pense notamment aux textes d'interprétation de la Charte des droits fondamentaux qui la videront de sa substance, pourtant déjà bien légère. Ce texte instaure le primat de la libre concurrence absolue et de la compétitivité, érigées en principes suprêmes dont l'application est détaillée par le menu. Ce projet de Constitution a au moins le mérite d'être cohérent avec les politiques de casse que vous conduisez dans notre pays depuis trois ans. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Il regorge de prescriptions pour empêcher tous autres choix économiques, politiques et sociaux que ceux répondant aux intérêts du grand patronat, des fonds spéculatifs, des catégories sociales les plus insolemment fortunées, bref des possédants. Prévenant toute remise en question du libéralisme, il place le capitalisme financier à l'abri des exigences des peuples, des millions de chômeurs, de salariés et de retraités qui réclament davantage de justice sociale. Le « droit de travailler », évoqué à l'article II-75, ne saurait remplacer un véritable droit à l'emploi.

Rien n'est joué pourtant. Et soyez assurés que les députés communistes et républicains engageront toutes leurs forces pour informer et mobiliser nos concitoyens. Nous revendiquons l'organisation d'urgence d'un grand débat national et démocratique, notamment dans les médias, et estimons qu'il appartient à l'Etat de prendre en charge le coût de l'information des électeurs.

Chacun doit en effet pouvoir juger sur pièces, s'agissant par exemple de l'indépendance absolue de la BCE, libre de conduire une politique monétariste sans aucun contrôle... (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) C'est la plus stricte vérité : aucune instance européenne, a fortiori nationale, ne peut contrôler la BCE ! De l'indépendance de la BCE, disais-je, à la prédominance des lois du marché sur l'intérêt général, en passant par la consécration du pacte de stabilité et donc des politiques publiques restrictives, c'est bien sur la voie de l'Acte unique et de Maastricht que l'on veut nous enfermer.

Les Français, qui n'ont rien oublié du référendum de 1992, comprennent parfaitement que vous souhaitez donner un prolongement durable à cette étape, si contestée. Si elle est adoptée, la Constitution européenne le sera « pour une durée illimitée ». une révision sera hautement improbable puisqu'en pratique, elle ne pourrait intervenir qu'au terme d'une procédure très lourde. Le verrouillage est assuré !

Treize ans après l'adoption du traité de Maastricht, dont les pires dispositions sont renforcées par l'article 188 du projet de Constitution, quel bilan peut-on dresser ? La prospérité, l'égalité et la solidarité promises n'ont pas été au rendez-vous. L'espace de liberté, d'initiative et de citoyenneté prédit n'est qu'une chimère pour tous les exclus du modèle européen version Chirac, Blair, Schröder, Berlusconi et Zapatero. Comment passer par profits et pertes les 65 millions de personnes, dont 17 millions d'enfants, vivant sous le seuil de pauvreté en Europe, les 20 millions de chômeurs, les millions de salariés précaires et sous-payés, dont les aspirations se heurtent aux lois impitoyables « d'un marché intérieur où la concurrence est libre, et non faussée », pour reprendre les termes mêmes du projet de Constitution ?

D'aucuns prédisent qu'intégrant la Charte des droits fondamentaux, ce projet hâtera l'avènement, tant attendu, de l'Europe sociale. La portée de cette Charte a pourtant été singulièrement limitée par les commentaires dont elle s'accompagne, renvoyés en annexe au traité, comme pour mieux les dissimuler. La Charte énonce des droits, mais ne prévoit pas les moyens de les faire respecter. Ainsi l'article II-81 interdit-il toute discrimination fondée sur le sexe, la couleur de peau, l'origine ethnique ou la religion, mais l'article III-24 requiert l'unanimité pour qu'une mesure visant à combattre ces discriminations soit adoptée. Enfin, certaines dispositions, très en retrait par rapport aux législations nationales, risquent de tirer les droits sociaux en Europe d'abord vers le bas.

L'intégration de la Charte ne permettra pas d'enrayer l'offensive libérale actuelle, non plus que de combattre la précarité croissante, la casse des services publics, le recul du pouvoir d'achat, la mise en concurrence des peuples et les délocalisations. Le traité constitutionnel excluant toute harmonisation en matière sociale, le dumping social a encore de beaux jours devant lui, surtout si la future directive Bolkestein, qui s'inscrit dans son droit fil, est adoptée. En effet, celle-ci impose le principe dit du pays d'origine dans le secteur des services, c'est-à-dire qu'une entreprise pourra appliquer, dans le pays où elle exerce son activité, le droit social du pays où elle a son siège. Ainsi ces salariés travaillant pourtant en France pourraient-ils ne plus toucher au moins le SMIC ou bénéficier des protections contre les licenciements prévues par notre législation.

Bref, vous nous demandez d'adapter la Constitution française à un texte visant avant tout à organiser une zone de libre circulation des capitaux, objectif si central qu'il figure dans le préambule même de la Charte. Toute taxe Tobin aussi bien que toute mesure fiscale visant à lutter contre les délocalisations sont repoussées d'avance. C'est dire si le projet de l'ancien ministre des finances, M. Sarkozy, de s'attaquer au dumping fiscal, est renvoyé aux calendes grecques ! Dans ces conditions, quel crédit accorder à l'objectif affiché d'une « économie sociale de marché hautement compétitive qui tend au plein emploi et au progrès social » ?

Le projet de Constitution sacralise la libre concurrence, son article 148 incitant même les Etats membres à « procéder à la libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire ». Autant dire que les services publics sont dans le collimateur ! Devenus « services d'intérêt économique général », les voilà relégués au rang de dérogations tout juste tolérables, réduits à peau de chagrin ! Ils connaissent, de même que nos entreprises publiques, l'ensemble des salariés, des usagers et des élus locaux, les effets de ces prescriptions libérales. A la lumière des politiques conduites ces dernières années, surtout depuis 2002, chacun sait ce qu'il en a coûté : destructions d'emplois, remise en question de droits acquis, abandon d'outils au service de l'égalité et de la solidarité, renoncement à un aménagement équilibré du territoire.

Vous voudriez faire croire que politique intérieure et choix européens ne sont aucunement liés, mais les Français ne sont pas dupes. Les enquêtes d'opinion montrent que leur sympathie est largement acquise aux mouvements sociaux qui sont en cours pour combattre vos décisions (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). La hausse des rémunérations et la défense des 35 heures seront au cœur de la journée d'action unitaire du 5 février, qui aura un prolongement européen le 19 mars à Bruxelles. Nous serons aux côtés des salariés pour soutenir leurs revendications.

Quant aux prétendues avancées citoyennes du traité, parlons-en. Le Parlement européen ne pourra toujours pas déposer de propositions ni légiférer, la Commission conservant le monopole de l'initiative législative ; et le « droit de pétition » des peuples consiste à donner à un million de signatures valeur d'invitation adressée à la Commission, qui conserve seule le pouvoir d'élaborer ou non une « proposition appropriée ».

Marchandisation de la culture, création d'une citoyenneté de seconde zone pour les résidents non ressortissants d'un Etat membre, soumission de l'Union à l'esprit atlantiste et incitation des Etats à augmenter leurs dépenses militaires, l'OTAN devenant une partie constitutive de l'identité européenne : toutes ces dérives sont ouvertes par le projet de Constitution. On voudrait pourtant nous faire croire que cette Europe-là n'est ni de droite ni de gauche et qu'elle peut rassembler les Français « au-delà de tous les clivages politiques ou traditionnels », comme nous dit le Président de la République ; mais le même réclame pour cette Europe ainsi divinisée les moyens d'agir « d'égal à égal avec les autres puissances », en la plaçant donc en position d'affrontement avec les Etats-Unis, l'Asie et les pays émergents. On sait pourtant à quoi conduisent ces conceptions guerrières de l'économie et des rapports sociaux !

A votre choix archéo-libéral d'une Europe du marché, sans curseur social et visant uniquement à préserver les profits, nous opposons le projet d'une autre Europe, portée par de grandes ambitions : mise en place d'un système de sécurité emploi-formation - ce qui suppose de transformer le rôle de la Banque centrale européenne -, relance de la dépense publique (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) pour faire du progrès social un moteur du développement, égalité d'accès aux biens et services publics, démocratie participative, égalité des droits, action pour un monde moins violent et plus humain, pour la paix et pour des coopérations mutuellement avantageuses avec les pays du Sud.

Faire triompher le « non » au projet de Constitution européenne, c'est refuser la résignation et le diktat des multinationales, du MEDEF et de son grand frère européen, l'UNICE ; c'est respecter les droits et la dignité de chacun et de chaque peuple, c'est redonner du souffle à l'Europe. Des millions de personnes dans notre pays savent que la victoire du « non », loin d'entraîner le chaos, ouvrirait un chemin nouveau et donnerait le temps de préparer une suite au traité de Nice - qui continuera à s'appliquer jusqu'en 2006 et, pour certaines de ses dispositions, jusqu'en 2009.

L'inquiétude gagne ce gouvernement car ses circonvolutions ne peuvent masquer que c'est l'Europe du baron Seillière et consorts qu'il prépare... Qu'il ne compte pas sur les députés communistes et républicains pour s'associer au projet d'une Constitution européenne qui contient 78 fois le mot « marché », une fois les mots « plein emploi » et trois fois le mot « social » !

Lors des Semaines sociales européennes, en septembre dernier à Lille, le président, Jean-François Stevens, a dénoncé « une période de capitalisme sauvage » et dit la nécessité que l'Europe devienne « l'espace privilégié de l'espérance humaine ». Ces mots faisaient écho à ceux de Mgr Defois, évêque de Lille, qui avait lancé ceci : « Sur quoi va-t-on fonder les valeurs de l'Europe ? Est-ce sur le plus petit dénominateur commun, au mépris des plus pauvres ? Ou bien allons-nous donner une âme à cette Europe, pour créer de vraies solidarités et de solides alliances dans la diversité des 25 pays de l'Union ? »

Le bonheur reste une idée neuve en Europe, une idée très éloignée des projets de révision constitutionnelle et de Constitution européenne, auxquels nous opposons un double non porteur d'espérance (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jean Leonetti - La révision constitutionnelle qui nous réunit est un préalable au référendum sur le traité constitutionnel européen, étape historique dans la construction européenne puisqu'il s'agit, bien plus que d'une simple compilation des textes précédents, d'une refonte des institutions européennes. La Convention pour l'avenir de l'Europe présidée par Valéry Giscard d'Estaing a travaillé dans le souci de rendre nos institutions plus démocratiques et plus efficaces et de répondre à l'objectif assigné par le Conseil européen d' « ouvrir la voie vers une Constitution pour les citoyens européens ».

Que de fois en effet avons-nous entendu dire que l'Europe était trop éloignée des préoccupations de nos concitoyens, déploré son impuissance sur la scène internationale, dénoncé une Europe technocratique ! Nous avons constaté que les élargissements successifs se faisaient sans consulter les peuples souverains et que le projet politique d'une Europe puissance s'éloignait avec la mise en place d'une Europe des finances et des échanges, dont certains semblaient se contenter. Nous étions nombreux à réclamer d'approfondir avant d'élargir sans fin.

C'est Jacques Chirac en 2000 qui, devant le Bundestag, a montré le premier la nécessité d'une refondation politique de l'Europe et de l'adoption d'une Constitution.

M. Pierre Lequiller - En effet !

M. Jean Leonetti - Ce texte s'inscrit dans une démarche de paix et de prospérité pour les peuples européens. L'histoire de l'Europe est émaillée de conflits sur son sol, jusqu'au plus terrible d'entre eux, qui a failli détruire toute trace de démocratie et d'humanisme, et la construction européenne est née, ne l'oublions pas, de la volonté de quelques hommes - Robert Schuman, Adenauer, De Gasperi, Spaak, le Général de Gaulle -, qui ont fait au lendemain de la seconde guerre mondiale le pari de la réconciliation. Au moment où nous commémorons la libération des camps nazis, nous savons que poursuivre la construction européenne, c'est conforter la paix. Quinze ans après la chute du Mur de Berlin et la libération des peuples de l'Est du joug soviétique, et moins de dix ans après la guerre qui a ensanglanté les Balkans, la paix, la liberté et la démocratie sont des valeurs essentielles pour l'Europe qui se construit.

C'est sans doute en grande partie grâce à l'Europe que la Grèce, l'Espagne et le Portugal ont définitivement rompu avec des régimes totalitaires, et c'est la perspective de l'adhésion à l'Europe qui a conduit à des progrès considérables, dans le respect des droits de l'homme, au sein de l'ancien bloc de l'Est. La proximité de l'Europe a aussi certainement joué un rôle positif dans la résolution de la crise ukrainienne et dans les efforts démocratiques de la Turquie.

Demain, à l'intérieur de l'Union, de nouveaux droits sociaux seront reconnus - droit à l'éducation, droits des travailleurs au sein des entreprises, droit d'initiative populaire en matière législative. Une certaine idée de la personne humaine et de ses droits trouve son expression dans la Charte des droits fondamentaux, qui figure dans le traité constitutionnel. L'exception culturelle est protégée par le maintien de la règle de l'unanimité dans les négociations commerciales ; le développement durable est pris en compte ; la lutte contre les discriminations de toute nature est inscrite dans le projet.

Hormis pour la Bulgarie, la Roumanie et la Croatie, il appartiendra désormais au peuple souverain, sur proposition du Président de la République, de décider des futurs élargissements. La Turquie, pour laquelle notre groupe souhaite dans sa majorité un partenariat privilégié, ne pourra donc être acceptée dans l'Union que si les Français le décident par référendum. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP) M. Ayrault souhaite une campagne de vérité et de clarté. La clarté veut que l'on dise que le peuple a désormais entre ses mains la destinée européenne. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP) Cela nous permettra d'éviter les amalgames et de nous engager résolument en faveur du oui à la Constitution européenne après la réforme constitutionnelle.

M. Bocquet demande un grand débat démocratique : il l'a ! Rien n'empêche de débattre, dans la campagne référendaire, de l'Europe que nous voulons.

M. Daniel Vaillant - Nous, nous allons le faire !

M. Jean Leonetti - Vous n'avez pas le monopole du débat démocratique.

Mme Comparini a évoqué les peurs et les replis. Nous les refusons, et c'est pourquoi j'exhorte l'UDF à ne pas entretenir d'amalgame dangereux pour la construction européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Le traité permet à l'Europe de devenir plus efficace, avec une présidence stable du Conseil européen - deux ans et demi renouvelables - et la création d'un ministère des affaires étrangères de l'Union. Le Parlement européen voit son pouvoir législatif renforcé ; la règle de la majorité qualifiée remplace celle de l'unanimité dans les domaines de la coopération judiciaire, de la politique d'asile et d'immigration, de la sécurité ou de la défense, réforme indispensable dans une Europe à 25. Qui peut nier le rôle de ces politiques dans la lutte contre le terrorisme? Comment lutter contre l'immigration clandestine sans adopter les mêmes mesures en matière d'immigration et de droit d'asile ? Si nous croyons à la nécessité d'un monde multipolaire, comment se passer d'une coopération permanente en matière de défense pour gérer les crises qui menacent ici ou là nos intérêts ou nos ressortissants ? Est-il logique que la France assume seule - ou presque - l'effort de défense du continent ?

M. Jean-Louis Bernard - Bonne question !

M. Jean Leonetti - Le traité rend l'Europe plus lisible : d'une quinzaine d'actes, on passe à six, avec une répartition plus claire des compétences entre l'Union et les Etats, qui distingue les compétences exclusives, les compétences partagées et les compétences d'appui, qui peuvent être complétées par une clause de flexibilité. Nous saurons désormais qui fait quoi, ce qui favorisera l'adhésion de nos concitoyens.

Contrairement à ce que certains prétendent en arguant du terme de Constitution, ce nouveau traité n'érige pas l'Union en super-Etat. Pascal Clément a brillamment expliqué comment le terme de traité constitutionnel faisait coïncider deux concepts a priori contradictoires, mais synthétisés par la construction européenne...

M. le Rapporteur - Un oxymore !

M. Jean Leonetti - Les Etats restent le fondement juridique de l'Union. Ils peuvent désormais s'en retirer volontairement, tandis que les parlements se trouvent dotés d'un pouvoir de contrôle et d'information renforcé. S'agissant du contrôle du principe de subsidiarité, le parlement national pourra adresser aux autorités compétentes un avis motivé, qui peut déboucher sur une obligation de réexaminer la proposition. Le Parlement peut opposer un carton jaune, voire un carton rouge, à un acte contraire aux intérêts de notre pays. Le contrôle juridictionnel permettra ultérieurement de remettre en cause l'acte législatif. Les parlements se voient reconnaître un droit d'opposition à la mise en œuvre de la procédure de révision simplifiée - clause passerelle.

Ces nouveaux droits des parlements ont fait l'objet en commission d'un débat animé et de qualité, à l'initiative de M. Balladur. L'adoption à l'unanimité d'un amendement Floch-Lequiller a permis de trouver un équilibre entre les pouvoirs des Etats et ceux de l'Union. Les parlements nationaux sont également associés aux décisions dans les domaines de la sécurité et de la justice.

Renforcer l'Union, c'est renforcer la France. De Victor Hugo à Léon Bourgeois et Aristide Briand, de Schuman à De Gaulle, de Pompidou à Delors et Mitterrand, la France a contribué de manière décisive à la construction européenne, jusqu'à ce que la Convention présidée par Valéry Giscard d'Estaing élabore ce traité demandé par le Président de la République. Il répond à notre projet d'une Europe puissance. Nous voulons une Europe intégrée et homogène, mais aussi respectueuse de l'identité et de la diversité des Etats-membres. Unis dans la diversité : tel est le projet de l'Union européenne.

L'Europe doit être une puissance politique. Fortes d'une civilisation qui concilie le génie individuel et le destin collectif, la France et l'Europe portent un message qui leur est propre, différent et complémentaire de celui des Etats-Unis.

Nous voulons faire l'Europe sans défaire la France. Ce texte marque clairement notre refus d'un super-Etat européen. Nous voulons plus de France : c'est pourquoi nous voulons plus d'Europe. C'est l'apport historique de ses membres qui fonde la force politique de l'Union européenne, et non l'inverse. Le moment est venu pour l'Europe de peser sur la scène internationale et de parler d'une seule voix. Le moment est venu de sortir de l'impuissance et de l'hésitation qui donnent l'image d'une Europe tatillonne plus que d'une Europe politique. Le moment est venu de construire une Europe autour d'un projet porteur d'une culture de la démocratie, du droit des citoyens et de celui des peuples.

Le groupe UMP votera majoritairement, avec enthousiasme, cette première étape de la réforme constitutionnelle, et s'engagera avec détermination pour que les Français, fidèles à leur tradition d'ouverture, votent oui au référendum. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Yves Bur - Voici la future constitution en débat dans toute l'Europe, un débat qui porte le plus fort témoignage de l'acquis de paix et de progrès permis par soixante ans d'Europe. Elu d'une province qui a souffert des haines du passé, je mesure peut-être encore mieux ce que cette paix nous a apporté. Lorsqu'ils se prononceront par référendum, nos concitoyens regarderont le chemin parcouru depuis un demi-siècle. Forte de la méthode définie par Robert Schuman dès le 9 mai 1950, l'Europe est parvenue à s'unir autour de valeurs communes.

De la «déclaration sur le futur de l'Union», à Nice, en l'an 2000, à la signature du traité constitutionnel le 29 octobre 2004 à Rome, ces valeurs démocratiques ont été le fil directeur pour les 105 membres de la Convention pour l'avenir de l'Europe. Elles sont aujourd'hui gravées dans le marbre. La Charte des droits fondamentaux adoptée à Nice est intégrée dans le traité. Le rôle du Parlement européen est notablement renforcé : il adoptera désormais, avec le Conseil, la quasi-totalité des textes. Enfin, les parlements nationaux exerceront un contrôle accru sur la répartition des compétences entre l'Union et les Etats.

Le traité comporte en effet des avancées sans précédent. Le protocole sur le rôle des parlements nationaux prévoit pour la première fois la transmission directe, sans passer donc par le filtre gouvernemental, de l'ensemble des projets d'actes législatifs ainsi que de très nombreux documents et du programme législatif annuel de la Commission. Les parlements nationaux se voient également reconnaître des prérogatives nouvelles s'agissant du contrôle du respect du principe de subsidiarité. Il nous appartiendra désormais d'alerter les institutions de l'Union dès qu'un projet d'acte législatif européen empiètera sur nos compétences. Si un tiers des parlements nationaux font de même, la Commission sera tenue de revoir sa copie, et si elle maintient sa position, nous aurons toujours la possibilité de demander au Gouvernement de saisir la Cour de justice. Le projet de loi constitutionnelle inscrit ces nouvelles prérogatives dans notre Constitution, par l'ajout d'un article 88-5.

Un autre droit reconnu par le traité aux parlements nationaux consiste en la faculté de s'opposer à la mise en œuvre de la «clause passerelle», qui permet au Conseil européen de décider à l'unanimité de soumettre un domaine à la règle de la majorité qualifiée plutôt qu'à celle de l'unanimité, ou à la procédure législative ordinaire plutôt qu'à une procédure législative spéciale. C'est ainsi que le nouvel article 88-6 prévoit qu'en votant une motion adoptée en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat, le Parlement peut s'opposer à une modification des règles d'adoption d'actes de l'Union européenne selon la procédure simplifiée du traité.

En renforçant les droits des parlements nationaux, celui-ci renforce la démocratie européenne car l'Europe a plus que jamais besoin de l'adhésion des peuples et de l'implication de chacun, à commencer par les élus de la nation.

La clarification de la répartition des compétences et le renforcement des institutions permettra à l'Union d'éviter la paralysie. La présidence stable et à plein temps du Conseil européen, le resserrement des effectifs de la Commission et l'extension du domaine de la majorité qualifiée au sein du Conseil des ministres garantissent un processus de décision plus efficace. La répartition des compétences est plus claire puisque sont distinguées les compétences exclusives de l'Union, celles des seuls Etats membres et, enfin, les compétences partagées. Le rôle de l'Union est également renforcé en matière de défense et de justice avec la création, notamment, d'un parquet européen.

En soumettant directement aux Français le traité constitutionnel, nous nous inscrivons dans cet esprit démocratique nouveau - le Président de la République s'y était engagé : le référendum est prévu avant l'été. Il en est de même lorsque la Constitution prévoit que les projets de loi autorisant la ratification de traités d'adhésion à l'Union et aux communautés européennes seront obligatoirement soumis au référendum. Ces dispositions trouvent un écho particulier au moment où l'adhésion de la Turquie est débattue. Je suis quant à moi opposé à cette adhésion et, dès le mois de février 2004, j'ai pris position en faveur d'un partenariat particulier qui pourrait d'ailleurs être proposé à d'autres pays. Face à leurs inquiétudes, nous ne pouvions aborder le référendum sur la future Constitution en donnant aux Français l'impression que l'adhésion de la Turquie à l'Europe leur serait imposée. En adoptant la modification constitutionnelle, nous redonnons à nos concitoyens la clé de leur avenir. Cette révision constitutionnelle leur permettra en outre de voter, en temps utile, à chacune des grandes échéances.

En approuvant la Constitution européenne, la France pourra mieux défendre son modèle économique et social et mieux faire entendre sa voix. C'est donc avec enthousiasme et détermination qu'il faut s'engager en faveur de la ratification de ce traité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jérôme Lambert - Avec mon collègue Didier Quentin, j'ai remis à la délégation aux affaires européennes un rapport intitulé « Vers une Europe plus démocratique et plus efficace : les parlements nationaux, nouveaux garants du principe de subsidiarité ». Nous y étudiions les moyens grâce auxquels notre Assemblée pourrait prendre une part plus active à la discussion des projets européens, et mieux contrôler le bon usage du principe de subsidiarité par la Commission européenne. Ce principe était déjà inclus dans le traité de Maastricht, mais l'exercice était réservé aux gouvernements. D'aucuns présentent cette évolution comme un grand pas en avant de la démocratie européenne. Permettez-moi d'apporter quelques précisions.

Le principe de subsidiarité dispose que l'Union européenne ne doit intervenir que si les objectifs de l'action envisagée peuvent mieux être atteints grâce à une législation européenne plutôt que par des règles propres à chaque Etat membre. Or, nous aurons bien des difficultés à faire admettre que la somme de vingt-cinq législations puisse être plus efficace qu'une seule règle commune. D'ailleurs, la Commission européenne ne manque pas de faire remarquer que, depuis l'application du traité de Maastricht, elle doit déjà justifier ces propositions, qu'elle ne manque jamais de le faire et qu'aucune d'entre elles n'a été remise en cause par la Cour européenne, il est vrai peu saisie de cette question. De fait, compte tenu des précautions prises par la Commission, y a t-il vraiment matière à la saisir ? Nos parlements seront-ils plus vigilants et plus efficaces que les dispositions actuellement en vigueur ?

M. Pierre Lequiller - Mais oui, puisque c'est toi qui en seras chargé ! (Sourires)

M. Jérôme Lambert - Ce droit nouveau n'est-il pas inconsistant ? Néanmoins, nous devrons tout mettre en œuvre pour veiller à ce qu'un projet ne déroge pas au principe de subsidiarité et nous devrons, pour ce faire, réorganiser notre travail parlementaire. Nous n'aurons désormais que six semaines pour prendre des avis motivés, transmis à la Commission européenne avant que sa proposition n'entre dans le circuit de décision, six semaines également pour coordonner notre action avec les autres parlements nationaux et pour atteindre le nombre suffisant d'avis motivés - au moins huit - afin d'obtenir éventuellement une nouvelle discussion du projet. Et il faut encore espérer que la Commission prenne en compte nos avis, alors qu'elle n'en a pas l'obligation constitutionnelle !

Nous aurons dorénavant la faculté de saisir directement la Cour européenne pour contester éventuellement la non-subsidiarité d'un texte européen déjà voté, faculté qui était jusqu'à présent l'apanage des Etats. Les actions des parlements auront-elles plus de succès auprès de la Cour que celles introduites au cours de ces dernières années ? Aucune n'a abouti tant les précautions prises par les instances européennes ont été efficaces. Je regrette en outre que la justice européenne reste le dernier recours, car les questions de subsidiarité relèvent de l'action politique et devraient donc faire l'objet d'un contrôle par une instance représentative.

En tout état de cause, ces nouvelles conditions d'examen et de recours impliquent un effort d'organisation de notre Assemblée, qui a déjà bien du mal à examiner, comme ce fut le cas l'année dernière, cinq projets de résolutions traitant de questions européennes.

Placer l'Europe au cœur de nos débats, c'est aussi permettre à l'Assemblée d'avoir une influence plus forte sur les positions que défend le Gouvernement lors des sommets ou des réunions ministérielles, où se décident les politiques que l'on nous demande d'appliquer faute de quoi notre pays serait sanctionné ! C'est précisément la raison pour laquelle nous voyons régulièrement des directives approuvées par ordonnances, comme si le Parlement ne pouvait pas prendre le temps de la réflexion et que tout était imposé : cela, nous ne le voulons plus.

Me semble également critiquable le rôle de notre Parlement tel qu'il est défini à l'article 88-6. En effet, le Sénat, seul, pourrait à l'avenir s'opposer à toute évolution de la Constitution européenne. L'importance que le Gouvernement entend conserver à la seconde Assemblée me semble disproportionnée et là encore nous devrons envisager selon moi une modification future de la règle constitutionnelle.

Enfin, je m'interroge sur certaines dispositions qui figurent dans le texte même du projet de Constitution. Le Conseil Constitutionnel a rappelé que l'application de la Charte des Droits fondamentaux devait être entendue en fonction de notre propre droit. Fort bien, mais dans ces conditions, peut-on faire valoir de nouveaux droits si notre législation s'y oppose ? Il me semble qu'il y a là des risques de complications juridiques sur des questions qui peuvent avoir des conséquences importantes.

Je regrette également que des principes relatifs aux politiques figurent expressément dans une Constitution.

M. Arnaud Montebourg - Très bonne objection !

M. Jérôme Lambert - La mise en œuvre de politiques relève des majorités que nos concitoyens se donnent. Or ces politiques devront se fonder sur des principes économiques qui relèveront, non plus de la règle de la majorité, mais de la règle de l'unanimité qui n'est pas selon moi démocratique.

M. Arnaud Montebourg - Très bien !

M. Jérôme Lambert - Le texte de la Constitution tout comme le texte de la révision constitutionnelle que nous examinons contiennent de bonnes dispositions, mais ils comportent également de graves manques. Beaucoup de réflexions et de travail nous attendent donc pour poursuivre la construction d'une Europe qui prenne encore mieux en compte les aspirations des peuples et pour rechercher de véritables harmonies là où ne s'impose aujourd'hui que la loi du marché, agrémentée de quelques intentions humanistes. Restons donc vigilants ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Arnaud Montebourg - Bravo !

M. Léonce Deprez - En ce début d'année, les Français seraient moroses. A nous, leurs élus, de leur dire que 2005 sera une année décisive pour leur avenir, un rendez-vous essentiel de notre histoire et de celle de l'Europe face au monde. Cette nuit, à l'heure où notre débat se terminait, une chaîne de télévision projetait un film saisissant. On y voyait Treblinka, en Pologne. Soixante ans après la déportation et les chambres à gaz, après l'horreur des crimes nazis, la Constitution européenne garantit la fin des guerres provoquées au siècle passé par l'affrontement des nationalismes. Le général de Gaulle avait déjà eu l'ambition d'élargir la Communauté des Six au continent tout entier. Aujourd'hui, nous devons aussi faire de l'Union une grande démocratie. A nous, élus, d'expliquer qu'une fédération d'Etats-nations fait de chacun un citoyen européen et un citoyen français en même temps. Au-delà du développement économique, il s'agit désormais de faire de notre Union une communauté politique, l'expression d'une volonté commune de progrès social et de progrès humain.

De ce fait, les affaires européennes ne sont plus des affaires étrangères. Mais s'agissant d'une fédération d'Etats-nations, nous devons accroître le rôle de notre parlement national. Sa première mission est de contrôler les engagements financiers de l'Etat et la proposition de M. Balladur mérite réflexion comme celle de M. Lamassoure serait à reprendre sous forme d'amendement à l'article 88-4 de notre Constitution. Permettre à la représentation nationale d'émettre son avis par un vote chaque fois qu'une décision européenne a des conséquences budgétaires significatives est dans la logique d'une fédération d'Etats-nations. Déjà consultés sur les budgets européens dans un cadre pluriannuel, il serait légitime que nous le soyons par exemple sur l'augmentation des fonds européens pour financer l'élargissement d'ici dix à quinze ans. Nous demandons donc d'ouvrir plus l'Assemblée nationale sur les évolutions de l'Union, comme le Président Debré a commencé à le faire. Nous voulons à la fois renforcer le pouvoir politique de l'Europe et le contrôle du Parlement français sur la politique européenne de la France.

En décembre 1998, un jeune sénateur d'esprit très européen disait que Gouvernement et Parlement devraient pouvoir parvenir à un vrai dialogue sur les questions européennes. C'était Michel Barnier, devenu depuis ministre des affaires étrangères. A la veille d'un engagement plus profond de notre République dans une Union européenne qui doit devenir une grande puissance économique autant qu'une grande démocratie, souhaitons que notre Parlement s'ouvre davantage aux débats que mérite l'Europe. Elle donne la grande espérance d'un monde en paix, plus juste, plus prospère, que nous voulons offrir aux générations à venir. Nous avons un grand rendez-vous avec notre histoire. Il est donc important que les voix qui s'élèvent en ce jour soient celles d'élus qui, quelle que soit leur origine, regardent dans la même direction, celle de l'Union européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jacques Remiller - De l'Europe, on a beaucoup parlé. Mais connaît-on son histoire ? Déjà, selon l'ancien testament, c'est l'Europe que Noé aurait attribuée à l'un de ses fils, Japhet. Mais c'est surtout à partir du 7e siècle avant Jésus-Christ que le terme commence à être utilisé pour désigner un territoire dont les frontières ne cesseront d'évoluer en fonction des invasions, des guerres et des traités. Dans l'Hymne homérique à Apollon, le dieu déclare vouloir construire un temple à Delphes « pour ceux qui habitent le gras Péloponnèse, comme ceux d'Europe et des îles ceintes de flots ». Au 5e siècle, des limites se dessinent mieux : le Phase ou le Tanaïs - le Don actuel - sépare l'Europe de l'Asie - le monde « barbare » des Perses. Elle s'étend ainsi de l'Adriatique à la mer Noire. Mais ses frontières resteront toujours floues, ce qui est à l'origine d'une partie des difficultés d'aujourd'hui. Trop grande pour être unie, elle est trop petite pour être divisée, disait le géographe Daniel Faucher.

Quant à son nom, Hérodote se demandait déjà pourquoi on l'avait nommée d'après une jeune princesse asiatique. Je ne résiste pas au plaisir de vous rappeler sa légende. Agénor, fils de Poséidon et roi de Phénicie, eut de Téléphassa quatre fils et une fille, Europe. Zeus aperçut un jour la jeune fille au bord de la mer avec ses amies. Amoureux de sa beauté, il se métamorphosa en un superbe taureau blanc aux cornes dorées. Les jeunes femmes l'approchèrent et Europe osa s'asseoir sur son dos. S'élançant dans les flots, il l'emmena alors jusqu'au rivage de Crète, et fit halte en un lieu calme où, près d'une source fraîche, poussent depuis des platanes toujours verts. Reprenant forme humaine, il se présenta à la princesse qui s'éprit de lui. Ils eurent trois fils, Minos, Rhadamante et Surpédon.

De la mythologie, l'époque hellénistique fit une géographie. Dans un poème alexandrin du 2e siècle, la belle Europe est tiraillée entre deux femmes, qui sont les deux continents de l'Orient et de l'Occident, l'Asie et notre Europe actuelle.

Depuis lors, le centre de gravité de celle-ci s'est déplacé progressivement vers l'ouest. Mais si les frontières géographiques ont pu évoluer, d'autres restent immuables, ce sont les valeurs communes de la démocratie, l'humanisme et la liberté. Sur ces valeurs, nous ne devons pas transiger si nous voulons réellement bâtir une Europe unifiée.

Venons-en maintenant à notre sujet. Depuis le 1er mai 2004, nous sommes 554 millions de citoyens en provenance de pays différents à partager une histoire commune. Bien que divisée au sortir de la deuxième guerre mondiale, l'Europe a toujours existé dans les cœurs des deux côtés du rideau de fer. Le dialogue du Général de Gaulle et de ses successeurs avec l'Est forge un héritage commun où la France partage avec l'Europe ses valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité.

En ce début de siècle, nous devrons relever le défi économique de l'entrée des pays à faible revenu, facteur de déstabilisation pour les économies de la zone euro ; le défi politique de la construction d'une paix durable et démocratique, en partie déjà atteint ; le défi culturel de la diversité pour que soit valorisée une Europe des hommes plutôt que des marchés ; et enfin, le défi institutionnel de l'adoption de la Constitution européenne.

Le projet de constitution, signé le 29 octobre 2004 à Rome, doit être maintenant ratifié par les Etats membres. Les nouvelles prérogatives accordées aux parlements nationaux par le traité constitutionnel devront être garanties. Introduit par le traité de Maastricht, le principe de subsidiarité doit être le point d'équilibre entre le droit communautaire et les droits nationaux. Or, les compétences dévolues à l'Union ne sont plus clairement délimitées. Bruxelles n'a jamais été beaucoup gênée par la notion de subsidiarité, contournée grâce à l'article 308 du traité instituant la Communauté européenne, et elle a fait avaliser les extensions de ses compétences par la Cour de justice. La sécurité dans les téléphériques, la taille des cages de rats de laboratoire ou encore les dates de la chasse sont maintenant décidées au niveau européen !

Fondamentalement, ce projet de constitution n'inverse pas la tendance. Le mécanisme de « l'avertissement précoce » prévoit seulement que les institutions européennes prennent note des avis des parlements nationaux ; en cas d'avis négatif d'un tiers des pays membres, elles ne sont tenues qu'à un réexamen du texte. Certes, l'article I-5 prévoit que l'Union respecte les « fonctions essentielles des Etats » mais non la souveraineté nationale de ses Etats membres.

Les parlements nationaux devraient pourtant rester juges du bon respect du principe de subsidiarité. Malgré cette réserve, je voterai la modification du titre XV de la Constitution (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Christophe Caresche - Nous examinons aujourd'hui un texte important qui touche à la Constitution et ouvre la possibilité de soumettre à l'approbation des Français la Constitution européenne. Le groupe socialiste votera cette révision.

Aujourd'hui, la question essentielle porte sur la façon dont le Parlement français se saisira des nouvelles compétences qui lui sont dévolues par le traité. Certains auraient préféré éviter ce débat car l'importance des pouvoirs accordées aux parlements nationaux plaide pour l'adoption du traité.

Le contrôle de subsidiarité et le contrôle d'éventuelles révisions simplifiées du traité confèrent au Parlement un véritable rôle, comme l'ont voulu les parlementaires nationaux présents à la convention dont je salue le travail.

Pour l'heure, notre responsabilité, en tant que députés, est de nous saisir pleinement de ces compétences en veillant à ce qu'elles soient traduites dans la Constitution - c'est l'objet de la révision - et de nous donner les moyens réglementaires de les assumer.

La transposition a minima, dans le cadre de la Constitution, des mécanismes de contrôle du Parlement français, ne satisfait pas de nombreux parlementaires. Aussi, le groupe socialiste a-t-il déposé un amendement à l'article 88, pour élargir le champ de contrôle du Parlement en retenant la définition européenne des textes législatifs plutôt que la définition restrictive prévalant en droit français. Cette modification ne représenterait pas un surcroît de travail majeur, tout au plus une quarantaine de textes par an sur des sujets aussi importants que les OGM ou la création d'Europass.

Du reste, cet amendement corrige une incohérence, soulignée par les rapports de M. Lequiller et de MM. Lambert et Quentin. Comment comprendre que le Parlement puisse être saisi au titre du contrôle de la subsidiarité sur tous les actes législatifs européens, au sens européen du terme, et ne puisse être saisi sur le fond qu'au sens français du terme ? Si le Parlement français décidait d'exercer le contrôle de subsidiarité au titre de l'article 88-5 et que la Commission poursuive l'élaboration du texte malgré cet avis, il pourrait se faire qu'in fine nous ne puissions nous prononcer au fond si le texte n'entrait pas dans la définition française des textes législatifs.

Les deux rapports concluent à la nécessité d'harmoniser les choses. M. Lequiller et moi-même avons déposé un amendement à ce sujet, que la commission des lois a adopté. Je souhaite que le Gouvernement la suive - et je suis surpris que certains s'étonnent de voir des parlementaires s'unir pour défendre les droits du Parlement !

Mais au-delà des textes, c'est dans la pratique que l'Assemblée nationale devra montrer sa capacité à exercer effectivement ses nouvelles prérogatives. Plutôt que d'annoncer des velléités, il faut sans tarder réfléchir à des mesures concrètes. Des propositions intéressantes ont été faites par la délégation européenne, qu'il est d'ailleurs question de transformer en commission permanente. Tout cela doit être discuté. La délégation et la commission des lois pourraient d'ailleurs travailler en commun, de manière à trouver des solutions au plus vite: si le traité est adopté, il faudra procéder rapidement aux réformes internes nécessaires, et notamment à celle de notre Règlement. Ce sont plusieurs milliers de textes que nous aurons en effet à examiner au titre du contrôle de subsidiarité, et le Parlement doit se montrer à la hauteur (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Didier Quentin - Ce n'est pas la première fois que l'on modifie la Constitution de 1958 pour transférer aux institutions européennes des matières dépendant jusqu'alors de notre souveraineté. Le président Mitterrand l'avait fait en 1992, pour l'instauration de la monnaie unique, et le président Chirac en 1999 à propos des contrôles aux frontières. Cette fois encore, le Conseil constitutionnel a estimé la révision indispensable. Devant le nombre d'articles de la Constitution concernés, le Gouvernement a décidé, à juste titre, de concentrer sa réforme sur le titre XV, qui évoque les rapports entre la France et l'Union européenne. Il y précise que la France peut participer à l'Union européenne dans les conditions prévues par le traité établissant une Constitution pour l'Europe. Certains ont cru pouvoir en conclure que la France allait être privée de toute initiative, et le Parlement dépossédé d'une grande partie de ses pouvoirs. Ne jouons pas à nous faire peur ! L'un des grands mérites du traité constitutionnel est justement de replacer les parlements nationaux au cœur de la construction européenne.

Possibilité est ainsi donnée aux parlements de contrôler l'application du principe de subsidiarité dans les projets d'actes législatifs européens. C'est une innovation majeure, un progrès incontestable vers une Europe plus démocratique et plus efficace. Le principe de subsidiarité implique que les compétences sont exercées au niveau le plus adapté. Ce n'est que si l'échelon local ou national ne permet pas de traiter une question de façon satisfaisante qu'il y a lieu de la porter au niveau européen. La subsidiarité est donc le principe qui définit la frontière entre les compétences des Etats membres et celles de l'Union européenne. Le contrôle du principe de subsidiarité figurait explicitement dans le mandat de la convention présidée par M. Giscard d'Estaing, et la déclaration sur l'avenir de l'Europe annexée au traité de Nice et la déclaration de Laeken en ont fait une question centrale, à la charnière de la clarification des compétences de l'Union et des Etats et de l'indispensable renforcement de la légitimité démocratique de l'Union.

Le traité constitutionnel prévoit donc, et c'est une innovation majeure, une transmission directe et systématique aux parlements de l'ensemble des projets d'actes législatifs européens. Chaque chambre aura la possibilité d'adresser à la Commission un avis motivé si elle estime qu'un texte n'est pas conforme au principe de subsidiarité. Les parlements auront ainsi la faculté de sortir un carton jaune si l'Union outrepasse ses compétences, et même un carton rouge - un recours juridictionnel - s'il n'est pas tenu compte de son avis motivé. Mais le nombre de textes qu'il faudra examiner et les délais à respecter - six semaines pour l'alerte précoce et deux mois pour le recours - impliquent une bonne organisation. Jérôme Lambert et moi, dans notre rapport au nom de la délégation européenne, avons fait un certain nombre de propositions concrètes. Je ne mentionnerai ici que la désignation, au sein de la délégation, de deux rapporteurs permanents qui seront les gardiens vigilants du principe de subsidiarité.

Certains souhaitent cependant aller plus loin. Des amendements proposent d'obliger le Gouvernement à transmettre l'ensemble des documents européens. Même s'ils ne touchent pas à l'article 52 de la Constitution, ils présentent un risque de dérive institutionnelle, comme l'a bien montré le président Clément. Le Parlement a en effet pour vocation de contrôler, et si nécessaire de censurer, mais pas d'agir a priori. En outre, ces amendements pourraient mettre les négociateurs français dans une position difficile, en leur donnant une sorte de mandat impératif. Il parait préférable de s'en tenir à la modification de la circulaire d'application de l'article 88-4, d'autant que la plupart des pays de l'Union appliquent des modalités de contrôle à peu près semblables aux nôtres. Par ailleurs, l'Assemblée nationale détient déjà un réel pouvoir de contrôle, par le biais de la délégation, même s'il convient d'améliorer encore la communication sur ses travaux : ont été réalisés pour la seule session 2004 une trentaine de rapports, sur des sujets aussi divers que la sécurité maritime, la charte de l'environnement ou l'assurance maladie, sans compter les auditions communes avec les commissions permanentes. L'Assemblée s'est aussi ouverte davantage aux questions européennes, en leur réservant notamment une séance de questions chaque mois. A l'initiative du président Debré, elle dispose également d'un bureau de représentation permanente auprès de l'Union, confié à un administrateur de grande qualité, qui aura un rôle important à jouer dans la mise en œuvre de l'alerte précoce.

Je terminerai en formant le vœu que la dénomination de la délégation soit modifiée. J'ai même cosigné l'amendement de M. Garrigue qui souhaite aller plus loin. Ce n'est pas un souci purement sémantique : l'appellation de commission, même si l'on ne revient pas sur le nombre constitutionnel de commissions permanentes, lui donnerait plus de poids à l'égard de ses partenaires et une plus grande lisibilité dans l'opinion. Dans le même esprit, un amendement de MM. Lequiller et Floch proposera d'étendre ses compétences à tous les actes européens, qu'ils soient de nature législative ou réglementaire.

Le texte qui nous est soumis permet de rééquilibrer les relations entre les parlements nationaux et l'Union européenne. Le Parlement devra se saisir réellement de ses capacités nouvelles, car le pouvoir de contrôle parlementaire ne s'use que si l'on ne s'en sert pas. Ce bon texte doit être voté pour adresser un message clair aux Français : l'Assemblée nationale n'a aucune suspicion à l'égard du traité, qui va lui permettre d'intervenir directement, pour la première fois, dans le processus de décision européen (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La discussion générale est close.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Je voudrais remercier l'ensemble des orateurs, et notamment M. Ayrault, qui s'est inscrit dans une démarche favorable au traité comme à la révision. J'ai été heureux de l'entendre exprimer sa conviction européenne. Peut-être n'était-il pas indispensable de suggérer que le Président de la République ne s'était pas engagé dans la discussion du traité : chacun aura pu observer son engagement dans la préparation du texte, mais un traité est l'aboutissement d'une négociation ! A ce propos, il ne faut pas oublier que nous ne parlons que du traité constitutionnel, pas de chacune des politiques qui seront conduites dans le cadre de ce traité ! C'est à nous qu'il appartiendra de définir ces politiques.

M. Ayrault, comme d'ailleurs M. Bocquet après lui, s'est inquiété du projet de directive en cours d'élaboration sur les services. Bien que cela ne soit pas l'objet de notre débat aujourd'hui, je veux lui dire que la France a, dès le départ, fait part de ses réserves sur ce projet. L'ambition générale en matière de croissance en est certes intéressante mais le Gouvernement, qui a d'ailleurs engagé des discussions avec l'ensemble des pays de l'Union, est déterminé à obtenir que la directive, si elle doit être adoptée, respecte notre conception des services d'intérêt général ainsi que nos normes économiques et sociales.

M. Bocquet a tort de confondre le traité constitutionnel et le contenu des politiques européennes, qu'il appartiendra aux représentants des peuples et des Etats, et à eux seuls, de construire, dans un cadre d'ailleurs beaucoup plus démocratique qu'aujourd'hui.

Mme Comparini a souligné les améliorations apportées par le traité, notamment en matière d'efficacité et de stabilité des institutions européennes. Je l'en remercie. En revanche, je ne la suis pas tout à fait, s'agissant de certains amendements. Nous aurons l'occasion d'y revenir lors de la discussion des articles. Il faut certes œuvrer à la démocratisation de l'Union européenne, mais nous ne saurions le faire autrement que dans le respect des équilibres prévus par notre propre Constitution.

M. Leonetti a lui aussi mis en lumière les avancées permises par le traité, insistant plus particulièrement sur le renforcement des pouvoirs des parlements nationaux.

M. Bur, comme M. Lambert, ont également mis l'accent sur ce point. Je les en remercie. Nous réclamons depuis si longtemps ce renforcement des pouvoirs des parlements nationaux qu'à l'heure où il devient réalité, il ne faut pas bouder notre plaisir, comme l'a dit Mme Comparini. M. Lambert a ensuite exprimé des réserves sur la transposition des directives par voie d'ordonnance. Bien que, là encore, ce ne soit pas le sujet de notre débat aujourd'hui et que cette question soit finalement assez franco-française, je vais lui répondre. Pour quantité de directives mineures, nul ne conteste qu'on peut se satisfaire d'un projet de loi d'habilitation et d'une transposition par voie d'ordonnance. Notre pays n'a pas toujours été bon élève de la classe européenne en matière de transposition, loin de là. Il rattrape aujourd'hui son retard - je puis en témoigner pour les projets concernant la Chancellerie -, et cela passe inévitablement par le recours à l'article 38 de notre Constitution.

M. Deprez, puis M. Remiller, ont évoqué avec talent l'histoire de l'Europe, le premier rappelant les heures les plus noires de cette histoire, le second évoquant de façon souriante et poétique la mythologie grecque. En vérité, tous deux nous ont dit que la construction européenne se fonde sur des valeurs partagées, une civilisation commune.

M. Caresche a souligné la nécessité d'une cohérence entre l'article 88-4 et le futur article 88-5 de notre Constitution. Nous aurons l'occasion d'y revenir lors de l'examen des articles. Le Gouvernement a été très attentif aux discussions qui ont eu lieu devant les deux commissions. S'agissant du contrôle parlementaire national sur les actes européens, souci légitime exprimé notamment par M. Balladur, il y aura certes les textes, mais aussi la pratique. Sachant que quelque 1 500 documents européens pourraient être transmis chaque année au Parlement, on mesure l'ampleur du travail nécessaire. Sans nullement dessaisir les commissions concernées au fond, il faudra sans doute inventer une autre organisation du travail, de nouvelles méthodes d'examen des textes. Le Gouvernement est prêt à apporter sa contribution sur ce point. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes - Au terme de cette discussion générale, je souhaiterais vous livrer quelques convictions.

Ce traité constitutionnel est une bonne chose à la fois pour la France, à qui il redonne toute sa place dans l'Europe, et pour l'Union européenne, car il permet de la faire avancer dans le sens voulu dès le départ par les pères fondateurs.

On parle trop à mon avis de ce qu'il n'est pas et pas assez de ce qu'il change. Ainsi ne définit-il pas les politiques de l'Union, dont seuls les Etats décideront. M. Brunhes nous a longuement parlé hier soir de dérive ultralibérale, mais n'est-ce pas cette Europe, prétendument si libérale, qui aide les agriculteurs, soutient avec succès de grands projets industriels ou protège les salariés des discriminations ? A cela, la future Constitution ne changera rien. Au contraire, elle permettra à l'Union d'être encore plus active en matière sociale et d'emploi.

M. Myard s'est, pour sa part, demandé si l'Azerbaïdjan entrerait dans l'Union. Le traité constitutionnel ne dessine pas les frontières futures de l'Union et ne préjuge pas de ses élargissement ultérieurs. Il dit simplement que les valeurs de l'Union s'imposeront à tous les nouveaux pays candidats, ce qui constitue une garantie. M. Myard a de même évoqué une dérive fédérale. Or, le traité constitutionnel ne change en rien la nature de l'Union. Au contraire, pour la première fois, vont être nettement délimités les pouvoirs respectifs de l'Union et des Etats membres, sous le contrôle des parlements nationaux.

Cette Constitution européenne, on le voit, est à la fois beaucoup moins et beaucoup plus que ce que l'on dit. Elle est le texte dont l'Union a besoin pour asseoir sa construction politique. Elle identifie clairement les responsables en la personne du président du Conseil européen, du président de la Commission, désormais élu par le Parlement, et du ministre européen des affaires étrangères. Elle encadre les responsabilités respectives de l'Union et des Etats membres et pose des frontières dont les parlements nationaux seront les gardiens. Elle énonce, dans la Charte des droits fondamentaux, des droits et des valeurs opposables à tous. Enfin, elle renforce les contre-pouvoirs.

J'ai déjà parlé du rôle des Parlements nationaux ; celui du Parlement européen est considérablement renforcé, la société civile est beaucoup mieux associée, les citoyens acquièrent un droit d'initiative. Il ne suffit pas de déplorer le déficit démocratique de l'Union, il faut se donner les moyens de le combler, et le premier d'entre eux est la ratification de ce traité.

Nous savons, bien sûr, que le « oui » sera nécessairement pluriel et qu'il ne vaudra pas adhésion à la politique gouvernementale ni même à tous les aspects de la politique européenne de la France ; il doit être en revanche fondé sur l'intime conviction que ce traité est un pas en avant pour l'Europe. Chacun, j'en suis sûre, a conscience de sa responsabilité. Il s'agit de ne pas se tromper sur l'essentiel (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures.

              Le Directeur du service
              des comptes rendus analytiques,

              François GEORGE


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