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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 54ème jour de séance, 131ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 1er FÉVRIER 2005

PRÉSIDENCE de Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER

vice-présidente

Sommaire

      RÉFORME DE L'ORGANISATION DU TEMPS
      DE TRAVAIL DANS L'ENTREPRISE (suite) 2

      QUESTION PRÉALABLE 2

      ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 2 FÉVRIER 2005 24

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

RÉFORME DE L'ORGANISATION DU TEMPS DE TRAVAIL
DANS L'ENTREPRISE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise.

QUESTION PRÉALABLE

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Gaëtan Gorce - Les 35 heures, encore les 35 heures, toujours les 35 heures ! Cent fois sur le métier, cette majorité remet son ouvrage - je devrais dire son outrage ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Après la loi Fillon de janvier 2003, la loi sur le dialogue social, les augmentations apportées au contingent d'heures supplémentaires et la piteuse tentative du rapport Ollier-Novelli au début de l'année 2004 - ressentant toujours colère et malaise, l'un de ses auteurs disait tout à l'heure dans cet hémicycle son sentiment d'avoir été abandonné en rase campagne (Protestations sur les bancs du groupe UMP) -, nous sommes aujourd'hui saisis d'une proposition de M. Morange, co-signée par d'éminents responsables de l'UMP, M. Ollier, M. Dubernard, M. Novelli. Pour une tâche si brillante, si utile, on comprend que vous ayez préféré vous mettre à plusieurs!

Pourquoi un tel acharnement ? La majorité d'aujourd'hui, quand elle ausculte le salarié, a envie que le malade lui réponde « 35 ». Cela expliquerait tous les maux de la terre, et d'abord ceux du travail.

Un député UMP - C'est vrai !

M. Gaëtan Gorce - On pourrait, en collectant toutes les critiques émises contre les 35 heures, établir un petit lexique édifiant de la pensée libérale ou réactionnaire comme la qualifieraient mes collègues communistes. A la manière de Cyrano de Bergerac dans la tirade des nez, tous les styles servent à la condamnation. Le convulsif, qui à la simple évocation des 35 heures est pris de tremblements ;...

M. Jean-Marc Roubaud - Le réaliste !

M. Gaëtan Gorce - ...le compulsif, qui s'acharne à démontrer par mille graphiques que la réduction du temps de travail est nocive ; l'impulsif à la Sarkozy, qui, si on ne le retenait pas, réduirait en lambeaux une législation honnie !

C'est là une attitude pathologique, qui illustre l'inaptitude de cette majorité à rester en phase avec l'évolution de notre société. Vous présentez l'aspiration au temps libre comme la revendication d'un droit illégitime à la paresse, la réduction du temps de travail comme un « partage du travail », alors que la morale voudrait selon vous que le temps de travail soit allongé. Mais si, suivant l'exemple de Pénélope, vous défaites la nuit ce qu'une majorité précédente a tissé le jour en attendant le retour d'Ulysse - c'est-à-dire celui de la croissance et de l'emploi - c'est aussi parce que les 35 heures vous servent de bouc émissaire alors que votre échec économique et social a été sanctionné sans état d'âme par les Français lors des derniers scrutins.

Mme Nadine Morano - Vous n'avez pas de mémoire !

M. Gaëtan Gorce - Cet interminable combat d'arrière-garde (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste) vous évite d'apporter de vraies réponses aux questions de la création d'emplois, du développement de l'activité économique et du pouvoir d'achat. Du reste, le lien que vous établissez entre la réforme des 35 heures et la diminution des emplois et de la croissance...

Un député UMP - C'est effectivement lié !

M. Gaëtan Gorce - ...ne résiste pas une seconde à l'analyse.

Un député UMP - Votre analyse !

M. Gaëtan Gorce - Le Premier ministre disait encore ce dimanche qu'il croyait à une baisse durable du chômage, mais plus un Français ne croit à ce qu'il dit ! Outre les droits sociaux, la seule chose qu'il ait réussi à réduire, c'est la crédibilité de la parole publique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

Un député UMP - C'est l'hôpital qui se moque de la charité !

M. Gaëtan Gorce - Ne dites pas de mal de la Charité, je vous prie. (Sourires)

Un député UMP - Supprimons les 35 heures !

M. Gaëtan Gorce - C'est bien à vous qu'incombe la responsabilité de la dégradation de l'emploi. Depuis la fin de l'année 2001, vous avez en effet supprimé un à un tous les outils de la politique de l'emploi, gaspillé les marges de manœuvre budgétaires en réductions d'impôts sans effet sur la consommation et vous vous êtes livrés à une gestion calamiteuse de notre économie ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste) Pourtant, à vous entendre, la seule explication de votre échec serait la réduction du temps de travail !

Les 35 heures sont devenues l'enjeu d'un combat politique qui, d'un combat entre la droite et la gauche, est aussi devenu un combat entre la droite qui voulait abolir la loi et celle qui ne le voulait pas. Comment comprendre autrement que par la violence du combat qui oppose le président de l'UMP, le Président de la République et le Premier ministre cette danse morbide autour d'un cadavre ?

Mesdames et Messieurs les députés de l'UMP, j'ai en effet la douleur de vous apprendre que la réduction du temps de travail n'est plus ! Elle est tombée au champ d'honneur. Depuis la loi du 17 janvier 2003, seule demeure la référence à la durée légale de 35 heures. Le processus de réduction du temps de travail lui-même est bien mort...

M. Jean-Marc Roubaud - Tant mieux !

M. Gaëtan Gorce - Il avait permis la création de plus de 300 000 emplois...

Un député UMP - Des emplois précaires !

M. Gaëtan Gorce - Je me fonde sur les chiffres du rapport Ollier-Novelli...

M. Hervé Novelli - J'en reparlerai plus tard...

M. Gaëtan Gorce - Monsieur Novelli, il serait regrettable que vos discours soient moins équilibrés que ne l'était votre rapport !

A ce processus, la loi Fillon a mis un terme brutal. En déconnectant brusquement les allégements de cotisations de la réduction du temps de travail, elle a privé la négociation de son aliment. En modifiant le mode de calcul des allégements pour favoriser les heures supplémentaires, elle a rendu inutile tout effort pour rejoindre la durée légale de 35 heures. En bloquant le pouvoir d'achat des salariés au SMIC passés aux 35 heures...

M. Patrick Ollier - Quel SMIC ?

M. Gaëtan Gorce - ...elle décourageait les salariés les moins bien payés de réclamer le bénéfice de la RTT. Cessez de nous dire que vous avez relevé le SMIC de 11%, ! Ce n'est vrai que pour ceux qui étaient au SMIC horaire. Quant aux autres, vous n'avez même pas garanti leur pouvoir d'achat ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Vous niez la réalité ! Votre mesure ne concerne que la moitié des salariés au SMIC !

M. Jean-Marc Roubaud - Ce n'est pas si mal. Vous n'avez rien fait !

Mme Nadine Morano - Et les salaires gelés ?

M. Gaëtan Gorce - Les relèvements successifs du volume des heures supplémentaires par décret ont parachevé ce travail mené avec minutie par M. Fillon.

Mme Nadine Morano - Enfin du pragmatisme, de l'efficacité !

M. Gaëtan Gorce - Le seul reproche que vous pouvez adresser à M. Fillon est d'avoir agi en souplesse et discrètement plutôt que de l'avoir revendiqué haut et fort. C'est que la remise en cause de la réduction du temps de travail était, est et restera foncièrement impopulaire. Le Président de la République, lors de la présentation du rapport Ollier-Novelli, l'avait d'ailleurs fait comprendre avec la clarté qui lui est propre, et même avec une crudité qui m'empêche de reprendre ses propos.

Le résultat ne s'est pas fait attendre : la première loi Fillon a porté un coup d'arrêt immédiat à la négociation, alors que le mouvement était encore visible fin 2002, notamment dans les petites entreprises. La durée effective du travail, en baisse rapide depuis 1999, s'est stabilisée autour de 37 heures et demie. Les aiguilles de l'horloge sociale sont, depuis, désespérément immobiles. Le temps de travail ne baisse plus en France. Il n'y a que la majorité de cette assemblée pour penser que le mal court encore.

M. Fillon avait donc fait le choix de la mort douce, d'une sorte d'euthanasie des 35 heures plutôt que du peloton d'exécution réclamé par certains d'entre vous. C'est affaire de caractère, et peut-être d'habileté. Mais alors, pourquoi cet acharnement ? Si la mécanique est cassée, si les créations d'emplois ne sont plus possibles, pourquoi poursuivre l'offensive ? Pourquoi s'obstiner à tuer les 35 heures une deuxième fois ?

Mme Nadine Morano - Pour la liberté de travailler plus !

M. Gaëtan Gorce - C'est un drapeau dont vous vous emparez un peu vite !

Votre démarche ne répond ni aux besoins de l'économie, ni aux demandes des salariés, mais à des préoccupations exclusivement politiques, voire idéologiques. La première est la compétition que se livrent les différentes sensibilités de l'UMP. Il s'agit simplement de priver - et on a vu à quel rythme ! - le président de l'UMP de ses meilleurs arguments, ceux qui, impopulaires dans le pays, sont populaires à droite. Mais c'est la droite qui choisira son candidat en 2007... Il ne fait aucun doute que les salariés sont aujourd'hui les otages de ce conflit interne. Cette compétition explique la curieuse manière dont le dossier apparaît et disparaît sur la scène politique et médiatique, même si l'on sait que la confusion est devenue votre méthode de gouvernement. Un jour, il faut en urgence révéler l'ampleur du mal et convoquer à la hâte une commission d'enquête, présidée par d'éminents parlementaires. Le lendemain, après des élections il est vrai calamiteuses, la commission est priée de remettre promptement son rapport... au tiroir, même si cela provoque la colère de son président.

M. Patrick Ollier - C'est faux !

M. Gaëtan Gorce - Il est touchant de voir comme vous réagissez encore aujourd'hui au destin de ce rapport mort-né, dont le Président de la République a fait savoir lui-même ce qu'il pensait et qui a provoqué un communiqué lapidaire de Matignon...

M. Patrick Ollier - Je vous ai lu la lettre du Premier ministre !

M. Gaëtan Gorce - Et j'ai aussi le souvenir de la colère dans laquelle vous êtes entré lorsque l'opposition s'est permis de porter un jugement sur votre document !

Un jour suivant arrive un nouveau président à l'UMP qui, dans son discours d'investiture, met l'accent sur l'inertie, la faiblesse, le manque de courage de la majorité face aux 35 heures. La question redevient alors d'actualité ! Bref, la réforme des 35 heures est un furet et vos responsables entonnent le refrain chacun à leur tour : « il est passé par ici, il repassera par là »... On entend aujourd'hui de nouveau sonner la charge contre une réduction du temps de travail que le Président de la République a renoncé à traiter en acquis social, malgré ses déclarations du 14 juillet. Mais qui se sent engagé par ses déclarations ?

M. Hervé Mariton - Nous attendons toujours votre premier argument !

M. Gaëtan Gorce - J'ai tout mon temps !

Personne n'entend se laisser distancer dans cette course. C'est ce qui explique la résurrection du texte de M. Morange, rejoint par la fine fleur de la majorité. Mais le pas de danse semble quelque peu brusqué. Sans que le talent des danseurs soit en cause, on pense moins à un menuet qu'au quadrille des lanciers... La manœuvre est grossière et, surtout, elle se fait sur le dos des salariés.

Là est la seconde explication à ces irruptions d'acné majoritaire contre les 35 heures : l'enjeu est moins de remettre en cause la réduction du temps de travail, bien compromise depuis déjà 2003, que de lancer l'offensive contre les fondements de notre droit social, comme le souhaitent depuis le début de cette législature les plus libéraux d'entre vous. L'opération est menée de manière subtile, mais vigoureusement et avec persévérance. Il s'agit tout d'abord, sous prétexte de s'attaquer aux 35 heures, de remettre en cause le principe même d'une durée légale du travail. Le rapport Ollier-Novelli suggérait d'ailleurs de supprimer toute référence légale pour laisser le soin à chaque entreprise de fixer la durée du travail de ses salariés ! C'est un des points qui ont provoqué la colère de Matignon et les réactions de la presse. Le rapport préconisait qu'en l'absence d'accords collectifs contraires, le seuil de déclenchement des heures supplémentaires soit fixé à 35 heures. Le principe, c'est-à-dire la durée légale, devenait ainsi l'exception ! Mais que les salariés se rassurent : les audacieux réformateurs suggéraient, dans un élan de générosité - et l'on mesure le poids de leur concession ! - que l'augmentation de la durée du travail qui pourrait être négociée dans chaque entreprise resterait contenue dans des durées maximales ! 46 ou 48 heures...

C'est sans aucun doute cet objectif qui est poursuivi : le relèvement systématique des contingents, la banalisation des heures supplémentaires, la monétarisation des jours de repos vous servent à gommer le seuil même des 35 heures. Ensuite, il s'agira de réduire les garanties collectives apportées aux salariés. Ce ne sont pas de vaines menaces : je m'appuie sur votre texte même ! Sous couvert de liberté, vous voulez faire reculer le rôle de l'accord collectif au profit d'une négociation directe entre le salarié et l'employeur. En faisant des heures supplémentaires le mode normal d'augmentation du pouvoir d'achat des salariés...

M. Jean-Marc Ayrault - C'est pour cela que M. Larcher n'a pas le courage d'assumer ce texte ! C'est inacceptable !

M. Gaëtan Gorce - En faisant cela donc, la proposition de loi contourne la négociation salariale confiée aux organisations syndicales. En détournant la formule du « temps choisi », elle introduit la possibilité, pour l'employeur, d'exiger plus d'heures supplémentaires du salarié que le contingent négocié par les partenaires sociaux.

M. Patrick Ollier - Si le salarié est volontaire ! Précisez-le !

M. Gaëtan Gorce - Vous affirmez certes que le contingent d'heures supplémentaires doit être fixé par la négociation, mais vous proposez aussi d'autoriser l'employeur et le salarié à se mettre d'accord pour faire encore plus d'heures !

M. Patrick Ollier - Si le salarié le souhaite !

M. Gaëtan Gorce - N'est-ce pas contourner la négociation collective ? Est-ce respecter les partenaires sociaux ? Est-ce placer le salarié dans une situation équilibrée vis-à-vis de son employeur ? Notre droit du travail repose depuis un siècle sur l'idée qu'on ne peut les laisser face à face, parce que leur relation est trop déséquilibrée. Le droit ou la convention doivent protéger le salarié dans ce rapport inégal ! Et pour porter la durée du travail à plus de 40 heures par semaine, vous nous parlez de la liberté du salarié ? C'est l'employeur qui imposera sa loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Sans doute la liberté que vous invoquez est-elle celle-là même au nom de laquelle on considérait en 1841 que la loi ne devait pas réglementer le travail des enfants,...

M. Patrick Ollier - La comparaison est choquante !

M. Gaëtan Gorce - ...cette liberté qui devait laisser l'employeur et le salarié convenir des règles essentielles du contrat de travail ! C'est le contraire de la liberté, puisqu'elle donne le pouvoir à l'un et empêche les autres d'exercer leurs droits !

M. Patrick Ollier - Ce n'est pas vrai !

M. Gaëtan Gorce - J'attends que vous le démontriez ! Mais je vois que le sujet vous fait perdre votre sang-froid...

En introduisant une formule de rachat des jours de repos dans les PMI-PME, en dehors de tout accord collectif, la proposition consacre enfin la dérive à l'anglo-saxonne de notre droit du travail. S'amorce ainsi un processus d'individualisation des relations de travail qui ne peut que renforcer la précarité du statut salarial. La base de notre droit, que consacre notre Constitution, est de rétablir l'équilibre entre le salarié et l'employeur par la négociation collective, et éventuellement par la loi. C'est ce principe qui est aujourd'hui remis en question. Comment dès lors ne pas faire le lien avec la deuxième loi Fillon, dite sur le dialogue social, qui a déplacé le cœur de la négociation collective de la branche à l'entreprise ? La négociation de branche, qui correspond à la tradition française, garantit que les mêmes règles s'appliquent à tous les salariés du même secteur. En faisant de l'accord d'entreprise le principe et de l'accord de branche l'exception, la seconde loi Fillon avait préparé le terrain à la délocalisation du droit du travail de la loi à la convention, de la convention de branche à l'accord d'entreprise et désormais de l'accord d'entreprise au contrat de travail c'est-à-dire au rapport direct, bilatéral entre l'employeur et le salarié. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Hervé Novelli - Vous êtes archaïque !

M. Gaëtan Gorce - Il faut que les salariés et tous les Français soient bien conscients de ce processus qui, au mieux, prend acte de la faiblesse syndicale, notamment dans les petites entreprises, mais au pire, porte en germe un nouveau modèle de relations sociales accroissant la précarité du salariat. Comment d'ailleurs ne pas faire le rapprochement avec le projet de directive européenne sur le temps de travail, auquel pourtant M. Larcher dit s'opposer avec la plus extrême énergie ? On y retrouve la référence à la durée maximale plutôt qu'à la durée légale du travail et la possibilité de dérogation par simple accord entre l'employeur et le salarié.

Est-ce timidité, est-ce prudence ? Vous ne revendiquez pas ouvertement cette révolution juridique qui devrait ravir les plus libéraux d'entre vous. A moins que, aveuglés par votre hostilité aux 35 heures, vous vous laissiez entraîner dans une voie qui tourne le dos à nos traditions sociales et à ce que certains de vous appellent encore le gaullisme social.

M. Patrick Ollier - Nous y croyons !

M. Gaëtan Gorce - Alors, il faut le pratiquer.

Ce qui ne fait pas de doute en revanche, c'est que ceux qui plaidaient il y a quelques années pour le recul de la loi, mais aussi de l'encadrement conventionnel, pour la flexibilité d'un droit du travail de plus en plus individualisé, sont en passe de gagner la partie. On comprend la chaleur retrouvée des relations avec le patronat, tous ces textes étant « Medef compatibles ». (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Le terme vaut bien la « positive attitude » ! Le paradoxe est que vous votiez un texte sur la cohésion sociale pour, quelques semaines plus tard, en saper les bases. En effet, c'est par le travail que se fait l'intégration dans la société.

M. Jean-Pierre Gorges - Et par la création de richesses !

M. Gaëtan Gorce - Mais on sait que ce gouvernement ne brille pas par la cohérence.

M. Jean-Jacques Descamps - Et la cohérence socialiste ?

M. Gaëtan Gorce - Pourtant, quelle légitimité vous reste-t-il pour vous attaquer avec une telle impudence aux fondements de notre droit social ? Les 35 heures restent plébiscitées par 77% des salariés interrogés. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) N'entendez-vous pas le désenchantement, la colère ? Votre gouvernement n'a plus la confiance des Français qui vous l'ont signifié par trois fois aux élections de manière si nette que quiconque, à l'exception de M. Chirac et de M. Raffarin, en aurait tiré les leçons. Les plus avisés, ou les plus ambitieux, ont d'ailleurs quitté le navire gouvernemental pour se réfugier à l'UMP et tenter d'incarner une alternative.

Au-delà de l'acharnement pathétique du Premier ministre à durer, c'est la crédibilité de l'action publique qui est en cause.

Faute de soutien populaire, votre gouvernement devrait s'en tenir à une gestion réduite aux acquêts en attendant que le Président de la République se décide enfin à prendre ses responsabilités. En vous entêtant à agir contre la volonté des Français, vous vous préparez à un effet boomerang dans deux ans, mais surtout vous compromettez le grand projet européen...

M. Jean-Marc Roubaud - Et Fabius ?

M. Gaëtan Gorce - ...car cette colère pourrait se traduire au référendum. Le plus sage serait en fait de retirer ce texte. Rien ne justifie son maintien : ni sa préparation au mépris de toute concertation sociale...

M. Hervé Mariton - Sur combien de textes allez-vous utiliser cet argument ?

M. Gaëtan Gorce - Tous ceux que vous présentez étant mauvais...

Quant au contenu, il porte atteinte à de grands principes du droit du travail. Enfin, sur le plan économique, vos arguments fondent comme neige au soleil.

Ces réalités, vous les occultez. Nous allons vous démasquer. Le discours de M. Larcher sur la concertation relevait de l'Illusion comique. Vous trompez les Français avec les 35 leurres (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) et au cours de ce débat, vous ferez sans doute des leurres supplémentaires.

Le plus flagrant concerne le dialogue social.

M. Hervé Mariton - Vous allez décliner les 35 ?

M. Gaëtan Gorce - Ne me tentez pas ! (Sourires)

Que n'avez-vous dit sur ce que vous appelez encore « la réduction autoritaire du temps de travail » ! Ce faisant, vous niez une réalité, la dynamique de négociation sans précédent enclenchée par la réduction du temps de travail. En Tartuffe, vous sommez la gauche de « cacher ce dialogue social que vous ne sauriez voir ». Mais le rapport de MM. Ollier et Novelli rappelle que les lois Aubry sont intervenues dans un contexte figé par le refus obstiné du CNPF de négocier sur la réduction du temps de travail.

M. Hervé Novelli - Il est difficile de négocier avec le pistolet sur la tempe !

M. Gaëtan Gorce - Selon tous les partenaires sociaux, la négociation était bloquée depuis le milieu des années 80. Au lieu d'une réduction collective et négociée, on assistait à une réduction individuelle et imposée. De 1985 à 1999, sur un million d'emplois créés, 900 000 étaient à temps partiel. Avec les lois sur les 35 heures, nous revenions à la réduction collective et négociée, avec la garantie d'un accord. La loi de Robien de 1996 n'avait débouché que sur 2 300 accords en deux ans.

Loin de tarir la négociation sur la réduction du temps de travail, les deux lois Aubry ont permis de la relancer. Au 1er janvier 2002, plus de 35 000 accords par an avaient été signés, intéressant 157 000 entreprises et près de 9 millions de salariés. En outre, ces lois ont fait évoluer qualitativement la négociation collective.

M. Jean Le Garrec - C'est exact.

M. Gaëtan Gorce - Outre que le nombre d'accords est passé de 7 000 en moyenne à 35 000 par an, la négociation a été particulièrement stimulée dans les PMI-PME. La part des accords signés dans des entreprises de moins de 50 salariés est passée de 5% à 45%. Le mandatement a été un succès, puisqu'il a été utilisé dans six accords sur dix dans ce secteur. Dans les petites entreprises, on ne peut pas avancer sans la négociation et la présence syndicale.

Plusieurs députés UMP - C'est ce qu'on propose !

M. Gaëtan Gorce - La grande difficulté, c'est que la présence syndicale n'est pas assurée, et vous proposez de passer outre à la négociation.

M. Patrick Ollier - C'est faux !

M. Gaëtan Gorce - Bien sûr que non, puisqu'on peut revenir sur les jours de repos sans accord négocié et qu'il peut y avoir dérogation par accord entre le salarié et l'employeur. (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Plutôt que de protester quand on dénonce les défauts de votre texte, assumez-les ou corrigez-les.

M. Patrick Ollier - Vous travestissez notre position.

M. Gaëtan Gorce - Démontrez-le au cours du débat.

M. Hervé Novelli - C'est ce que nous allons faire.

M. Gaëtan Gorce - La négociation a aussi favorisé l'innovation en matière d'organisation du travail.

Au vu d'un tel bilan, on comprend votre malaise. La loi Fillon a cassé cette dynamique et le plus cruel c'est que vous avez agi ainsi au nom de la négociation, ou plutôt de la liberté de négocier, qui a permis de multiplier les dérogations. En réalité, la négociation n'a jamais été au rendez-vous. A peine 28 branches sur 274 de plus de 20 000 salariés ont négocié dans le cadre de la loi de juin 2003.

Vous parlez de liberté, vous ne la pratiquez pas et vous nous accusez d'autoritarisme ! Vous parlez de dialogue social et vous êtes incapables de le faire vivre. Il n'est pour vous qu'un leurre de plus : vous le brandissez lorsqu'il vous arrange et vous l'ignorez quand il vous gêne.

Concernant cette proposition qui touche à un sujet sensible puisqu'il s'agit des salaires et de la durée du travail, nous nous attendions à un effort particulier de concertation. Or, je n'en ai pas trouvé trace, ni dans vos propos, ni dans vos travaux préparatoires. J'ai même l'impression que les syndicats en ont été un peu fâchés. C'est peut-être la raison pour laquelle ils manifesteront le 5 février (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) : je n'ai pas en effet le sentiment qu'ils manifestent pour approuver bruyamment votre proposition de loi. Je ne peux au demeurant imaginer que vous ayez choisi une proposition de loi plutôt qu'un projet afin de contourner l'avis du Conseil économique et social, non plus que pour éviter la procédure que vous vous étiez vous-mêmes engagés à suivre dans l'exposé des motifs de la seconde loi Fillon sur le dialogue social : une concertation préalable était en effet prévue avant toute nouvelle loi sociale. Cet « engagement solennel » n'a pas résisté à la pression du moment. Est-ce un oubli, un manque d'attention, la regrettable conséquence de l'inflation législative condamnée par le président de notre Assemblée et celui du Conseil constitutionnel ? Est-ce la manifestation d'un embarras à consulter les partenaires sociaux sur un sujet complexe ? Eux, en effet, ne voyaient aucune raison pour modifier la loi sur la réduction du temps de travail. N'est-ce pas plutôt symptomatique de la façon de gouverner d'une majorité qui ne consent à partager son pouvoir avec personne, et certainement pas avec les partenaires sociaux ? C'est l'arrogance qui vous fait parler au nom des salariés alors que vous devriez plutôt écouter leurs représentants légitimes. En agissant ainsi, vous portez un coup de plus à une crédibilité déjà bien entamée. Plus grave : vous sapez durablement la confiance nécessaire entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux, vous préparez les blocages futurs qui vous permettront de gloser sur la « réforme impossible ».

Que dire du décret du 21 décembre 2004 relevant le contingent d'heures supplémentaires à 220 heures ? Vous aviez inscrit dans le précédent décret d'octobre 2002 que le réexamen des dispositions concernant le contingent d'heures supplémentaires devrait être précédé d'un bilan sur les négociations qui suivraient et soumis à la Commission nationale de la négociation collective puis à l'avis du Conseil économique et social. Où sont les évaluations et les consultations ? Vous êtes totalement disqualifiés pour parler du dialogue social. Beaumarchais écrivait : « Si l'on devait juger du mérite du maître à celui que l'on exige du valet, il en est peu qui pourrait l'être. » Si l'on jugeait votre pratique du dialogue social à la sévérité des exigences que vous nous avez opposées, vous devriez vous-même prononcer votre propre condamnation.

Après 2007, nous devrons corriger les formidables inégalités créées entre salariés selon la taille de leur entreprise et selon le passage effectif ou non aux 35 heures. 329 000 entreprises sont passées aux 35 heures et un peu plus de 9,9 millions de salariés, soit 20% des entreprises et 60% des salariés : quatre salariés sur dix n'en bénéficient donc pas aujourd'hui. Plus grave : si sept salariés sur dix travaillent 35 heures par semaine dans les entreprises de plus de vingt salariés, ils ne sont que deux ou trois sur dix dans les entreprises de moins de vingt salariés. Vous avez donc accru les inégalités (Protestations sur les bancs du groupe UMP) .

M. Hervé Mariton - Et les inégalités par rapport aux SMIC ?

M. Gaëtan Gorce - Nous devrons également revenir sur le relèvement unilatéral des contingents d'heures supplémentaires, la monétarisation indue des jours de repos, la remise en cause de la référence à la durée légale et collective du travail. Nous le ferons par une négociation globale réaffirmant le principe d'une durée égale du travail pour tous, fixée à 35 heures, prenant en compte les besoins de notre économie notamment dans la détermination des contingents d'heures supplémentaires, ainsi qu'en respectant la volonté des partenaires sociaux. Ce que vous aurez modifié unilatéralement par la loi, nous le modifierons par la loi en concertation avec les partenaires sociaux et nous renverrons à la négociation ce qui aura été modifié par accord.

M. Jean Le Garrec - Excellent programme !

M. Gaëtan Gorce - Nous nous efforcerons de faire revivre cette belle notion de dialogue social en laquelle, mauvais paroissiens, vous affirmez croire sans jamais la pratiquer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Plus grave encore, vous portez atteinte à la santé et à la protection des salariés, aux principes de la négociation collective et de la rémunération des heures supplémentaires.

Alors que vous prétendez ne pas remettre en cause les 35 heures, vous organisez en fait le dépassement systématique de la durée légale du temps de travail. Depuis le 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de vingt salariés et depuis le 1er janvier 2002 pour les entreprises de moins de vingt, la durée légale du temps de travail est fixée à 35 heures hebdomadaires ou à 16 000 heures annuelles. Ce seuil, il est vrai, n'est pas théoriquement modifié mais, pratiquement, la situation est toute autre : votre offensive contre les 35 heures va bien au-delà de la réduction du temps de travail et vise à remettre en cause le principe même d'une durée légale et collective du travail s'appliquant à tous, dans toutes les entreprises. C'est ainsi que vous appliquez sournoisement les préconisations du rapport Ollier-Novelli. Les possibilités de dépassement du seuil légal qui se cumulent, au fur et à mesure de vos différents coups de fièvre législatifs ou règlementaires, rendront de facto caduque la référence à la durée légale de 35 heures.

Ainsi, vous avez d'abord procédé, en deux temps, au relèvement du contingent d'heures supplémentaires fixé par les partenaires sociaux à 130 heures dans les années 80 en le portant à 180 heures en 2002 puis à 220 heures par le décret du 21 décembre 2004. 180 heures, c'était la possibilité offerte aux entreprises continuant à travailler à 39 heures de ne pas diminuer la durée effective du travail quitte à majorer modestement le paiement des quatre dernières heures travaillées. 220 heures, c'est le retour aux 40 heures de travail hebdomadaire.

Avec la réforme du compte épargne-temps, vous reprenez d'un côté les réductions du temps de travail accordées de l'autre. La nouvelle rédaction de l'article L. 227-1 du code du travail prévoit que la réduction du temps de travail acquise sous forme de journées ou de demi-journées de repos, y compris pour les cadres bénéficiant de forfaits jours ou de forfaits horaires, pourrait être non plus acquise, mais rachetée par l'entreprise. Il en est de même pour les heures effectuées au-delà des forfaits individuels en heures pour les autres catégories de cadres, et même pour les repos compensateurs de remplacement, repos pris par le salarié lorsqu'il renonce à bénéficier de la majoration d'heures supplémentaires. Le salarié qui aura renoncé à la majoration d'heures supplémentaires pourra ainsi récupérer cette majoration à travers le CET, ce qui est absurde. A quoi cela sert-il ?

M. Hervé Mariton - Un salarié peut changer d'avis.

M. Gaëtan Gorce - C'est dommage que cela ne vous arrive pas plus souvent !

Ces jours de repos renvoyés au CET ne seront pas pour autant imputés sur le contingent d'heures supplémentaires, qui pourront être effectuées en plus des heures qui figurent sur le contingent. C'est pourquoi Jean Le Garrec parlait d'un temps de travail de 46 heures hebdomadaires.

Autre exemple (« Ce n'est pas la peine ! »sur les bancs du groupe UMP) : la limitation à 217 jours de la durée de travail annuel des cadres, qui ne voulaient pas être exclus de la réduction du temps de travail, n'a été décidée qu'en contrepartie de leur renoncement aux garanties sur les maxima journaliers ou hebdomadaires. Or, vous remettez en cause ce forfait sans rétablir les dispositions protectrices, et vous pourrez donc faire travailler les cadres sans aucune limite. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) On ne peut que dénoncer la perversité d'un tel système ! Mais le comble reste que vous ne garantissez pas la rémunération majorée des heures supplémentaires que le salarié pourra inscrire à son compte épargne-temps. Et vous appelez ceci « travailler plus pour gagner plus » !

M. Hervé Novelli - Mais c'est faux !

M. Gaëtan Gorce - Par ailleurs, alors que vous prétendez répondre aux attentes des salariés, vous remettez en cause les règles visant à protéger leur santé. Parce qu'il a toujours été avéré qu'un temps de travail excessif nuisait à la santé, la loi, bien avant la réduction du temps de travail, a prévu des mécanismes de récupération en cas d'heures supplémentaires. Or, en relevant de 130 à 180, puis à 220 heures aujourd'hui, le volume des heures supplémentaires, vous reportez d'autant le seuil de déclenchement du repos compensateur de 100% qui bénéficie à chaque salarié appelé à travailler au-delà du contingent légal. Je serais ravi que M. Larcher nous explique les conséquences de cette réforme sur la condition des salariés, lorsqu'il nous présentera son plan « Santé au travail ».

Pis, vous permettez au salarié de renoncer au repos compensateur pour le transférer sur un compte épargne-temps qui pourra être transformé ensuite en rémunération. Partant, vous encouragez le salarié à monnayer sa santé.

Mme Nadine Morano - Mais c'est lui qui décide !

M. Jacques Briat - Si le travail rend malade, il faut l'interdire !

M. Gaëtan Gorce - Je parle du travail au-delà du contingent imposé ! Si vous estimez que l'on peut travailler sans relâche, alors décidez votre gouvernement à renoncer à son plan « Santé au travail », ce serait une tartufferie de moins !

Enfin, que penser de votre disposition, à l'article 2, par laquelle, suite à un accord entre le salarié et l'employeur, le travail au-delà du contingent maximal de 220 heures pourrait ne pas donner lieu à repos compensateur !

Mme Claude Greff - Si le salarié le veut !

M. Gaëtan Gorce - Malheureusement, ce ne sont pas les seuls coups portés au droit du travail. Impatients de mettre en œuvre ces dispositifs, vous êtes prêts à vous passer de la négociation collective, et à réintroduire la négociation directe entre le salarié et l'employeur sur son salaire et ses conditions de travail.

Quelle est la réalité de ce « temps choisi » visé au nouvel article L. 212-6-1 du code du travail dans la rédaction de votre proposition de loi ? Le contingent d'heures supplémentaires correspond en droit au volume maximal d'heures supplémentaires qu'un salarié peut effectuer sans l'accord de l'inspecteur du travail et qui entraîne l'application d'un repos compensateur de 100%. Or, vous proposez justement de vous affranchir de ces deux garanties qui protègent le salarié ! C'est aussi le moyen d'échapper à l'avis du comité d'entreprise ou du délégué du personnel qui doit toujours intervenir en cas d'heure supplémentaire.

Ce « temps choisi » ne sera en réalité qu'un temps imposé par l'employeur, du fait de la réalité du monde de l'entreprise et des pressions qui pèsent sur le salarié.

Quant à l'article 3, il prévoit que « dans l'attente d'un accord, le salarié peut de sa propre initiative racheter les jours de repos auxquels il a droit ». Que recouvre cette attente ? Limitée aux entreprises de moins de vingt salariés, où la présence syndicale est la plus fragile, on comprend qu'elle sera permanente, et qu'il ne s'agit que d'entériner, sans accord syndical, le non-respect des 35 heures. Chaque salarié sera invité à brader ses droits aux 35 heures, en échange de rémunérations hypothétiques, dont il devra négocier lui-même le montant. C'est scandaleux !

Enfin, loin de soutenir le pouvoir d'achat des salariés, vous les privez d'une juste rémunération de leurs heures supplémentaires.

Vous avez tout d'abord ramené à 10% le taux de majoration pour la rémunération des heures supplémentaires dans les entreprises de moins de vingt salariés.

Un député UMP - Vous l'aviez déjà fait !

M. Gaëtan Gorce - Pour deux ans !

Mme Nadine Morano - Mais dites-le donc !

M. Gaëtan Gorce - Un salarié qui avait droit à une rémunération à 125% dès la trente-sixième heure n'aura plus droit qu'a 110% : c'est donc travailler plus pour gagner moins ! Encore cette rémunération risque-t-elle fort de n'être que monnaie de singe. L'article premier dispose en effet que les heures supplémentaires pourront, à l'initiative de l'employeur, être transférées sur un compte épargne-temps : elles feront l'objet d'un paiement différé.

M. Hervé Novelli - Elles peuvent le faire !

M. Gaëtan Gorce - Aucune majoration - et c'est un scandale - n'est prévue pour ces heures supplémentaires. II en va de même pour les heures effectuées au-delà du forfait individuel ou du forfait jour, comme pour les jours de repos finalement travaillés. Les salariés se voient ainsi privés de ces heures, sans garantie de les récupérer ou de percevoir une rémunération majorée. Autrement dit, ils devront renoncer à des repos qui leur étaient acquis - et qui étaient donc rémunérés - pour faire des heures supplémentaires qui ne seront pas rémunérées comme telles. Les petites entreprises auront en effet immanquablement des difficultés à garantir au salarié le versement des heures supplémentaires qui auront été stockées sur un compte.

M. Jean-Pierre Gorges - Il ne sait pas comment marche une entreprise !

M. Gaëtan Gorce - Votre texte ne résiste pas à l'examen. Les atteintes qu'il porte au droit du travail ne sont en effet pas compensées par les avantages que les salariés, l'économie ou l'emploi pourraient y trouver.

La possibilité offerte aux salariés de racheter leurs droits à RTT ne se traduit par aucune augmentation réelle de leur pouvoir d'achat. Les heures auxquelles ils ont renoncé ne seront pas nécessairement majorées ni immédiatement payées. Surtout, cette faculté leur était déjà offerte dans le respect de la durée légale : le contingent de 130 heures a toujours existé, mais n'a pas plus été utilisé que les dépassements que vous avez introduits.

Comment peut-on faire des heures supplémentaires le mode normal d'augmentation du pouvoir d'achat ? Gagner plus ne serait donc possible qu'à la condition de travailler plus ?

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Eh oui !

M. Gaëtan Gorce - Ce serait condamner le principe même de la durée légale du travail et de la négociation collective dans le domaine des salaires, en récusant l'idée d'un partage normal des gains de productivité entre l'emploi, le salaire et l'entreprise.

C'est aussi pour le Gouvernement une tentative de se dédouaner de la panne (Protestations sur les bancs du groupe UMP) dans laquelle se trouve le pouvoir d'achat des Français. Vous agitez ce leurre parce que vous n'êtes pas en mesure de garantir l'évolution de ce pouvoir d'achat ! A cet égard, la comparaison des périodes 1999-2001 et 2002-2004 n'est pas à votre avantage, y compris en ce qui concerne les smicards. Le mécanisme que vous proposez pour permettre aux salariés de gagner plus devrait vous conduire à « booster » les heures supplémentaires. Vous m'expliquerez comment vous conciliez cela avec la création d'emplois ! L'augmentation des heures supplémentaires se fera au détriment de l'emploi. M. Chirac nous avait affirmé en 1995 que la feuille de paie n'était pas l'ennemie de l'emploi : avec votre texte, elle le devient ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Cette réforme ne favorise ni l'emploi, ni la croissance. Lorsque nous étions au pouvoir, le nombre des chômeurs avait diminué de près de 900 000. Il a augmenté de plus de 200 000 depuis 2002 ! La situation de l'emploi n'a cessé de se dégrader, et ce ne sont pas vos dispositions sur les heures supplémentaires qui apporteront des solutions.

M. Jean Le Garrec - Allez, retirez le texte !

M. Gaëtan Gorce - Votre texte revient au discours traditionnel entendu lors de l'adoption de la semaine de 40 heures : la réduction du temps de travail serait une cause de déclin et un encouragement à la paresse. Or, la compétitivité de notre économie n'a pas été affaiblie par la réduction du temps de travail. Selon une enquête de l'OCDE citée dans le rapport Ollier-Novelli, le coût relatif de la main-d'œuvre dans l'industrie en France a diminué de 17% entre 1995 et 2002, soit davantage que dans l'ensemble de l'Union européenne, où la diminution n'a été que de 12%.

Plus intéressante encore, la seconde assertion se rapporte au passionnant débat que vous avez engagé sur la valeur travail : réduire le temps de travail serait réduire la motivation des salariés et encourager le désintérêt pour le travail. L'analyse économique démontre pourtant le contraire : plus on diminue le temps de travail et plus la productivité augmente. Moins le salarié travaille et plus il est efficace ! (« Passez aux 32 heures ! Supprimez le travail ! » sur les bancs du groupe UMP)

Mme la Présidente - M. Gorce n'a plus que dix minutes. Ecoutez-le donc !

M. Gaëtan Gorce - Par symétrie, les auteurs du texte présument que c'est en augmentant la durée du travail qu'on améliore la performance globale de l'économie. Je n'aurai pas la cruauté de rappeler qu'on travaillait plus dans la France de M. Jospin, le chantre de la démotivation, que dans celle de M. Raffarin, le chantre du travail enfin récompensé.

Il s'agit là d'une vision « ringarde » (« Alors là ! » sur les bancs du groupe UMP) de notre économie et de notre société. Ce qui fait aujourd'hui l'efficacité du travail, c'est la proportion de savoir-faire et d'innovation qu'il inclut. Plus on investit dans la formation, plus on soutient l'innovation, et plus efficace sera le travail de chacun ! Las, les chercheurs nous l'ont rappelé, ce sont justement ces politiques que vous sacrifiez ! Cette réforme témoigne que la droite ne vit pas avec son temps.

Le plus grave dans votre projet, c'est ce décalage par rapport à l'évolution de notre économie. Votre texte, écrit avec une plume du dix-neuvième siècle (Rires sur les bancs du groupe UMP), ne prend en compte aucun de ses grands problèmes. Le partage des gains de productivité ne vous intéresse pas. La concertation est mise de côté : la solution sera trouvée par l'augmentation des heures supplémentaires, alors que les 35 heures visaient justement à un partage des fruits de la croissance plus favorable à l'emploi et aux salaires.

Vous ignorez tout autant la question de l'articulation des temps de vie, qui va continuer de se modifier. Le cloisonnement entre périodes étanches - formation, activité, retraite - est remis en question. La formation est de plus en plus présente dans la vie professionnelle. Le statut salarial n'apporte pas de réponse satisfaisante à ces questions qui exigent la mise en place de droits transversaux. L'augmentation de la durée du travail, qui est votre seul horizon, est en décalage complet avec cette articulation qui appelle au contraire une plus grande souplesse du temps. (« C'est ce qu'on veut ! » sur les bancs du groupe UMP) Vous aboutissez à l'inverse !

Troisième question, celle de la définition du temps de travail et de ses rapports avec les autres temps de la vie quotidienne. Paradoxalement, le temps de travail prend plus d'influence sur la vie quotidienne à mesure qu'il diminue : cela appelle une négociation sur l'évolution du droit du temps de travail. Or, votre seule logique est celle de la remise en cause des 35 heures.

Mme la Présidente - Vous n'avez plus que cinq minutes, Monsieur Gorce.

M. Gaëtan Gorce - Vous remettez en cause les éléments les plus novateurs de la réduction du temps de travail : forfait jour, consécration d'un droit au repos et de droits nouveaux pour les salariés ayant des charges de famille, encadrement de la modulation dans les entreprises et des temps partiels... Il faudra revenir sur tous ces droits. C'est dans cette direction qu'il faudra aller pour bâtir une vraie société du temps choisi, que vous ne pouvez envisager puisque c'est la loi de l'employeur que vous défendez.

Vous voilà engagés sur une fausse piste. Cette remise en cause de la réduction du temps de travail, les Français n'en veulent pas et ils le diront encore samedi. Ils souhaitent continuer à bénéficier de ce qu'ils considèrent comme un acquis social. Cette remise en cause des 35 heures, notre économie n'en a pas besoin. Vous augmentez les contingents d'heures supplémentaires alors que le contingent de 130 heures est à peine utilisé et que les salariés font en moyenne 59 heures supplémentaires par an - on est très loin des 180 à 220 heures. Cette remise en cause de la réduction du temps de travail, l'emploi n'en a pas besoin. Au contraire, les dispositions que vous prenez sont de nature à l'affaiblir et à favoriser le chômage, en encourageant ceux qui ont un emploi à travailler plus sans pouvoir en donner à ceux qui souhaitent obtenir du travail.

Cette remise en cause de la réduction du temps de travail, notre société n'en a pas besoin. La valeur du travail n'est pas mise en cause par la durée du travail, mais par l'absence d'un encadrement collectif, d'une considération portée au travail qui passe par l'amélioration des conditions de travail, des statuts et des rémunérations, toutes exigences auxquelles vous avez renoncé. C'est d'ailleurs parce que vous êtes conscients de cette situation, que vous avez hésité à attaquer de front une réforme aussi emblématique.

Vous voilà bien embarrassés, partagés entre l'esprit de revanche et l'esprit de prudence, entre la tentation de céder à vos penchants idéologiques et le bon sens qui vous rappelle à la réalité. La seule solution qui s'offre à vous, c'est de retirer ce texte (Murmures sur les bancs du groupe UMP), et c'est pourquoi je vous invite à voter la question préalable. Il n'y a pas lieu de délibérer sur un texte qui n'est porteur que d'une régression sociale et qui sape les fondements mêmes des relations collectives dans ce pays. Vos analyses sont fausses, et dangereuses en ce qu'elles tendent à culpabiliser les salariés. Vous entêter à les défendre, c'est enliser votre majorité dans la voie de l'échec où elle s'est engagée depuis bientôt trois ans. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail - J'ai écouté avec beaucoup d'attention le propos de M. Gorce, même lorsque sa démonstration tendait à se transformer en un bric-à-brac d'arguments mis bout à bout sans véritable cohérence. Quelques chiffres pour éclairer le débat : un emploi Aubry créé, c'était 22 000 euros...

M. Jean Le Garrec - Et le CIE ? (Brouhaha sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre délégué - ...et la participation du budget de l'Etat au titre des compensations s'élevait déjà à 15,6 milliards en 2002. Quant à la proportion de salariés à temps partiel - je pense en particulier aux situations de temps partiel subi, notamment dans la grande distribution -, nous l'avons réduite de 17% à 16,5% entre 2002 et 2003.

J'en viens aux heures supplémentaires. En 2002, 41% des salariés de TPE ont effectué plus de 130 heures supplémentaires par an et 23% d'entre eux plus de 180 heures. Il y a donc là un véritable enjeu, qui commande de s'adapter à la réalité des entreprises, dans le contexte de concurrence mondiale qu'elles affrontent aujourd'hui.

Quelques chiffres à présent sur la durée moyenne du travail constatée en 2003 dans plusieurs pays d'Europe : si elle est inférieure aux Pays-Bas et en Norvège du fait de la proportion élevée de la population active occupée à temps partiel, elle est partout ailleurs supérieure à la durée moyenne observée en France, soit 1 459 heures. Les Belges travaillent 100 heures de plus, les Suédois 122 heures, les Italiens 160 heures, les Irlandais 209 heures, les Finlandais - et leur pays ne passe pourtant pas pour un enfer ! - 227 heures ...

M. Gérard Bapt - Et les Chinois ?

M. le Ministre délégué - Et les Britanniques de M. Blair, 248 heures de plus que nous ! Voici quelques réalités que je vous invite à méditer.

Monsieur Gorce, vous avez évoqué le sujet très sérieux de la santé au travail. En réponse au président Le Garrec, j'ai cité tout à l'heure une enquête de la DARES qui démontre que depuis le passage aux 35 heures, 41% des ouvrières se sentent plus stressées qu'avant... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. François Hollande - Chacun sait que l'oisiveté est mère de tous les vices : remettons-les au travail et elles seront plus épanouies !

M. le Ministre délégué - Le stress touche 28% des salariés européens... (Brouhaha sur les bancs du groupe socialiste) En matière de santé au travail, ce n'est du reste sans doute pas tant la durée du travail qui prime qu'une meilleure détection des risques professionnels, et nous nous attachons, avec Jean-Louis Borloo, à améliorer la prévention.

S'agissant du régime applicable aux TPE, j'indique que le CET n'a aucune incidence sur le déclenchement des heures supplémentaires : toute heure effectuée à la demande de l'employeur au-delà de la durée légale de 35 heures hebdomadaires sera rémunérée comme une heure supplémentaire. Quant au régime transitoire prévu à l'article 3, il ne bénéficie qu'aux TPE. Or, 73% des salariés de ces entreprises sont déjà couverts par un accord collectif qui les place au-delà des 10% de majoration réglementaires - 25% en moyenne. La négociation collective à laquelle nous incitons ne concerne donc que les 1,4 million de salariés qui ne sont pas encore couverts par un accord collectif, le régime transitoire donnant trois ans pour négocier de tels accords dans les secteurs concernés.

Le temps choisi ne tend pas à mettre salariés et employeurs en face à face...

Plusieurs députés socialistes - Mais si !

M. le Ministre délégué - ...puisque c'est l'accord collectif - de branche ou d'entreprise - qui en fixera les règles.

M. François Hollande - Et s'il n'y en a pas ?

M. le Ministre délégué - S'il n'y a pas d'accord collectif, il n'y aura pas de temps choisi. (« Bien sûr ! » sur les bancs du groupe UMP)

Quant à l'absence de plafond évoquée par M. Gorce, c'est tout bonnement une contrevérité. Bien entendu, les règles de plafond définies par le code du travail s'appliqueront.

Dans sa démonstration, l'orateur du groupe socialistes oppose liberté et contraintes : dois-je lui rappeler la décision du Conseil constitutionnel de 2000, lorsque le gouvernement précédent avait mis à bas les accords de modulation de 1998 ? Le juge constitutionnel ne vous a-t-il pas alors rappelé l'importance de la liberté contractuelle ?

Il faut envisager le présent texte à la lumière de la loi du 4 mai 2004 sur le dialogue social. C'est bien par la négociation collective et en fonction de la réalité des entreprises que la durée du travail pourra être assouplie. N'oublions pas, alors que nous échangeons parfois des propos un peu approximatifs (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), que ce sont les intérêts des salariés et la compétitivité de la France qui sont en jeu. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme la Présidente - Sur le vote de la question préalable, je suis saisie par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public. Dans les explications de vote, la parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul - Est-il sain que les entreprises distribuent plus de dividendes à leurs actionnaires que de salaires à leurs employés ? Qu'avec une inflation à 2%, les actionnaires exigent une rentabilité de 15% sur les capitaux investis, de 20% sur les nouveaux investissements et au moins égale à 50% des profits distribués ? Est-il sain que certaines entreprises - à l'image de Total - rachètent leurs propres actions pour les détruire ensuite ?

M. Jean Le Garrec - Scandaleux !

M. Daniel Paul - Est-il sain que la part des revenus du travail ne cesse de diminuer par rapport au profit dans le partage de la valeur ajoutée des entreprises ? Notre économie est dominée par les grands groupes, qui imposent leurs règles au détriment des salariés, de leurs sous-traitants et des collectivités locales et qui sont eux-mêmes soumis aux impératifs financiers que leur dictent leurs actionnaires. Las, la majorité veut encore amplifier cette dérive, en abaissant le coût du travail, en augmentant le contingent d'heures supplémentaires payées moins cher et en mettant en situation précaire le maximum de salariés. Vous n'êtes que les intendants du Medef ! Mais la tâche est rude. Vous vous plaisez à galvauder les termes de « temps choisi », de « pouvoir d'achat » ou de « dialogue social » mais l'opinion n'est pas dupe. La presse s'interroge. La Tribune se demandait ce matin « Qui veut la peau des 35 heures ? », cependant que Le Monde dénonçait cet après-midi les dangers d'un « capitalisme de rentiers ». Votre fuite en avant est contraire aux évidences économiques et vous proposez aux salariés un marché de dupes : temps de travail en hausse, salaires en berne, heures supplémentaires moins payées... C'est un recul historique que vous orchestrez, car ce n'est pas en obligeant les salariés à travailler plus et en leur imposant la flexibilité que l'on fera reculer le chômage ou que l'on augmentera le pouvoir d'achat, dont la stagnation bride la consommation et freine la croissance. En réalité, votre seul objectif est d'achever le travail de sape que vous avez entrepris en 2002. Bien entendu, nous voterons la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Pierre Soisson - Je souhaite rappeler à M. Gorce les débats de novembre et décembre 1999, lors du vote de la deuxième loi Aubry dont il était le rapporteur. Que disais-je alors ? Que ce texte ne serait pas applicable...

Plusieurs députés socialistes - Il a pourtant été appliqué !

M. Jean-Pierre Soisson - ...en raison de ses dispositions trop nombreuses et trop complexes. Les faits m'ont donné raison. Je vous avais également reproché d'avoir choisi d'intervenir directement par la loi, sans vous fonder sur la négociation collective. Vous pouvez aujourd'hui prétendre le contraire, mais cela ne convainc personne ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Nous allons corriger la loi Aubry et remettre le dialogue social à l'honneur ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP ; interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Michel Vergnier - Je vous promets que nous allons veiller jusqu'à trois heures du matin !

M. Jean-Pierre Soisson - Nous allons rétablir la primauté du droit conventionnel ! Toutes les études menées depuis 2000, dont le rapport du commissaire au plan Jean-Michel Charpin (Huées sur les bancs du groupe socialiste) et les conclusions de la mission d'information menée par M. Novelli, soulignent les insuffisances et les incohérences du système mis en place par la loi sur les 35 heures et recommandent d'introduire dans le dispositif des espaces de liberté. Ce n'est pas un retour en arrière mais une adaptation nécessaire !

Votre propos le démontre : vous avez une conception archaïque du partage du travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) C'est pourquoi vous avez été incapables de soutenir la progression du pouvoir d'achat. Nous, nous allons organiser cette progression ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Olivier Jardé - Nous avons écouté avec tristesse M. Gorce et nous ne voterons pas cette motion...

M. Michel Vergnier - A genoux !

M. Olivier Jardé - Il n'est pas question d'adopter la manière autoritaire qui avait été la vôtre lors du vote des lois sur la réduction du temps de travail ! Il s'agit d'accorder aux entreprises plus de souplesse et d'écouter les aspirations des salariés. Votre discours était truffé de contrevérités et d'omissions, Monsieur Gorce, et nous ne saurions donc vous suivre. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

Un député socialiste - Mais où est Bayrou ?

M. Alain Vidalies - Le Gouvernement et la majorité ne cessent de nous rappeler les vertus du dialogue social. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP) Ne vous enthousiasmez pas trop vite, vous pourriez le regretter un jour ! Mais je vous rappelle que vous avez déjà pris des engagements à cet égard. La loi sur les 35 heures étant la seule explication que vous avancez pour justifier vos échecs économiques, c'est au moins votre huitième tentative pour revenir sur la réduction du temps de travail et, par le décret d'octobre 2002 qui augmentait le nombre d'heures supplémentaires, vous vous étiez engagés par exemple à ne modifier les dispositions relatives au contingent d'heures supplémentaires qu'une fois pris l'avis de la Commission nationale de la convention collective et du Conseil économique et social. En mai 2003, dans la loi sur le dialogue social qui a si scandaleusement remis en cause la hiérarchie des normes, mettant dans l'embarras les salariés mais également les petites entreprises comme en témoigne la prise de position récente de l'Union des professions artisanales, vous avez introduit un amendement indiquant que toute réforme législative serait précédée d'une négociation nationale interprofessionnelle. Aujourd'hui, vous faites exactement le contraire ! Vous présentez une proposition de loi, inscrite à l'ordre du jour prioritaire de l'Assemblée, pour contourner toutes les obligations de consultation...

Un député UMP - Vous nous avez appris comment faire !

Un député UMP - Vous devriez être contents, le rôle du Parlement est revalorisé ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Un député UMP - Vous méprisez donc le Parlement ?

Mme Martine Billard - Et vous, vous méprisez les partenaires sociaux !

M. Alain Vidalies - Quelle explication donner à votre conduite ? Je pense l'avoir trouvée dans le journal de l'Union des industries et métiers de la métallurgie : il y est expliqué que le traitement du dossier emblématique des 35 heures ne pouvant être différé plus longtemps, le Gouvernement avait dans un premier temps songé à s'en remettre à la négociation des partenaires sociaux. Cependant, cette voie ne pouvant de toute évidence mener qu'à l'échec, le président du Medef avait écrit au Premier ministre le 6 juillet pour lui signifier qu'il excluait toute compensation ou contrepartie pour des modifications qui s'imposaient dans l'intérêt de l'économie et des entreprises...

Un député socialiste - La démonstration est lumineuse !

M. Alain Vidalies - Voilà la vérité, vous avez utilisé cette procédure particulière parce que le Medef vous a donné instruction de refuser la négociation sociale. Vous ne respectez pas des textes que vous avez votés ! La moindre des choses serait dès lors d'accepter de repousser l'examen de cette proposition de loi afin de donner aux partenaires sociaux le temps de négocier ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

A la majorité de 129 voix contre 57, sur 186 votants et 186 suffrages exprimés, la question préalable n'est pas adoptée.

M. Jean-Marc Ayrault - MM. Vidalies et Le Garrec ont soulevé un problème de fond, un problème constitutionnel : la majorité ne respecte pas les lois qu'elle a votées ! Au vu de ce constat, notre groupe a besoin de faire le point et je demande donc une suspension de séance d'une heure.

Mme la Présidente - Nous pouvons certainement faire à moins !

La séance, suspendue à 23 heures 25, est reprise à 23 heures 55.

M. Patrick Ollier - A entendre le groupe socialiste, on se croirait revenu sept années en arrière, lorsque la gauche promettait le grand soir de la réduction du temps de travail. Mais aujourd'hui, on vous sent quelque peu gênés, comme cela peut se voir à la fréquentation de vos bancs. Selon vous, la droite prendrait ce soir sa revanche idéologique ? Mais lorsqu'on entend votre premier secrétaire dire qu'il faut défendre la grande idée du temps libéré, revendication du XXIe siècle, pour libérer l'homme et la femme des contraintes du travail, on se demande où est l'idéologie ! Le travail n'est pas une punition dont il faudrait à tout prix s'affranchir ! Je suis parfaitement favorable à un débat sur la place du travail dans notre société, mais vos positions manichéennes ne le permettent pas. Elles ne laissent place qu'à la caricature. Imposer la réduction du temps de travail autoritairement, sans tenir compte ni des aspirations particulières des salariés, ni de la diversité des entreprises est de l'idéologie ! Faire de la France le seul pays où la loi interdit de travailler plus si on le veut, c'est encore de l'idéologie !

Les lois Aubry sont le parfait exemple d'une idéologie imposée sans discernement. C'était si beau de promettre qu'on s'occupait du chômage, qu'on allait partager le travail comme le pain ! Et la démagogie a fait le reste... Vous avez dit que l'on travaillerait moins en gagnant la même chose. Aujourd'hui, on sait que le pouvoir d'achat des salariés a stagné, quand il n'a pas baissé, mais une fois encore, la gauche veut réduire la question à un débat purement idéologique. Pour cela, elle a opté pour le choc frontal : il y aurait les gentils, qui veulent permettre aux gens de moins travailler, et les méchants qui veulent les obliger à travailler plus... Cette façon de faire est inacceptable. Nous souhaitons un véritable débat ! Nous savons en effet que la vérité se trouve entre les extrêmes et notre devoir est de faire fi de ceux qui, dans les deux camps, affichent des positions excessives. La paix sociale, le principe même de la négociation salariale impliquent que la loi laisse la place à des espaces de liberté. Elle ne peut décider d'une contrainte identique pour tout le monde. Notre ambition n'est donc pas d'abroger les 35 heures : nous l'aurions fait si nous l'avions voulu. Elle est d'ouvrir ces espaces de liberté.

Les conséquences du temps de travail sur la vie des salariés comme sur l'économie sont trop importantes pour que la question soit réduite à des effets de tribune.

M. Gaëtan Gorce - Vous parlez d'or !

M. Patrick Ollier - Est-ce pour cela que, lorsque la commission a abordé le sujet au fond, vous avez préféré partir ? Comme vous l'aviez fait lors de la mission d'évaluation ? Il est certes plus facile de pratiquer la politique de la chaise vide que de confronter des arguments ! Belle leçon de démocratie ! Nous accepterons de recevoir des leçons de tous ceux qui auront des arguments à faire valoir, mais pas de ceux qui ont pour seule arme d'attiser les peurs !

Le fond du problème n'est pas la réduction du temps de travail en elle-même. Comment n'accepterions-nous pas cette idée ? Nous n'avons aucune objection, d'autant que l'évolution du temps de travail s'est faite au fil des siècles de façon naturelle (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Mais elle doit se faire d'une façon à la fois acceptée et acceptable pour le corps économique, pour les entreprises qui créent l'emploi ! La véritable question est donc de savoir si les 35 heures, telles qu'elles ont été mises en œuvre, ont des conséquences négatives pour les salariés et les entreprises et, si c'est le cas, que faire. Or à cette question, la réponse est sans aucun doute oui.

Puisque l'on partage le travail comme le pain, les 35 heures devaient créer 700 000 emplois. Les chiffres de la DARES ne dépassent pas les 350 000.

M. Gaëtan Gorce - Faites-en autant !

M. Patrick Ollier - Vous n'avez donc atteint que la moitié de l'objectif annoncé. En revanche, en 2004, grâce à la loi Dutreil, il y a eu 200 000 créations d'entreprises.

M. Gaëtan Gorce - Et 40 000 emplois en moins.

M. Patrick Ollier - On voit que ce gouvernement est plus efficace que vous ne l'avez été.

Les 35 heures devaient permettre de travailler moins en gagnant autant. Là aussi, c'est un échec. Il y a eu gel ou stagnation des salaires pour plus de la moitié des salariés concernés par un accord de réduction, sans compter la diminution des heures supplémentaires. Comment dire que les 35 heures ont été sans effet pour le pouvoir d'achat des salariés...

M. Hervé Novelli - Absolument.

M. Patrick Ollier - ...surtout les plus modestes ? Allez le leur expliquer, Monsieur Gorce. Pour cela, il faut aller dans les entreprises, comme nous l'avons fait au cours de notre mission. Mais vous ne nous avez pas accompagnés. Vous auriez entendu les salariés nous demander d'ouvrir les espaces de liberté que nous proposons aujourd'hui. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

Sur le plan financier, les 35 heures ont coûté 11 milliards en 2004 et coûteront 15 milliards en 2005. Comment ne pas reconnaître que c'est un coût insupportable pour l'Etat ? Un emploi aidé coûte en moyenne 8 000 euros, mais vos emplois à 35 heures en coûtent 23 000. Les grandes entreprises, qui ont bénéficié des subventions, ont pu facilement absorber un surcoût de 1%. Mais les PME n'ont pas les moyens de résister à un surcoût de 15%. Enfin, avec 1 459 heures travaillées par an contre 1 800 heures en Espagne, 1 600 en Italie et 1 700 au Royaume-Uni...

M. Gaëtan Gorce - Avec quelle productivité ?

M. Patrick Ollier - ...la France est à la traîne en Europe. Et travailler moins, c'est aussi être à la traîne pour la production et l'investissement, c'est affaiblir le potentiel du pays.

Aujourd'hui vous prétendez que le Gouvernement a peur de déposer un projet de loi, par crainte du Conseil d'Etat. Mais la mission d'information, dont M. Novelli a été un rapporteur de qualité, a marqué le début d'une collaboration intelligente entre le Gouvernement et sa majorité. A partir de son rapport, seul élément disponible sur les conséquences des 35 heures, le Premier ministre a indiqué, par lettre du 18 mai, que nous allions poursuivre. M. Borloo a été chargé de faire avancer les choses...

M. Gaëtan Gorce - Cessez donc de vous justifier.

M. Patrick Ollier - ...M. Larcher a engagé les négociations, et je lui rends hommage. Au cours de réunions, les parlementaires ont été associés au travail fait et, reconnaissant leur rôle, le Premier ministre a accepté que ce soient les députés qui prennent l'initiative de la loi. C'est aussi leur fonction (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) et je rends hommage à la majorité qui nous a soutenus dans cette initiative. Cette collaboration a été exemplaire.

Vous n'avez pas le droit de dire que nous voulons abroger les 35 heures. Ce n'est pas vrai. Nous voulons seulement, là où vous avez imposé la contrainte, ouvrir des espaces de liberté et de choix. Dès lors qu'il y aura un accord d'entreprise ou de branche, les salariés pourront, s'ils le souhaitent, travailler plus pour gagner plus. Nous n'imposons rien. Pourquoi cette initiative susciterait-elle la vindicte de l'opposition ou des syndicats ? Votre faible nombre ce soir montre d'ailleurs assez que vous ne croyez pas au combat que vous menez.

Nous défendons le pouvoir d'achat des salariés et la négociation. Nous ne voulons rien de plus que donner plus de liberté à ceux qui la demandent. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Eric Besson - A quoi sert cette proposition de loi ? Je ne doute pas de la sincérité de M. Novelli, vrai libéral qui veut moins d'Etat, plus de flexibilité, moins d'impôt et moins de protection sociale. Mais pourquoi le gouvernement l'a-t-il reprise à son compte ? Les salariés le demandaient-ils ? Non. Selon toutes les enquêtes, ils sont attachés à cet « acquis social », pour reprendre les termes mêmes du Président de la République. Les entreprises le demandaient-elles ? Peut-être M. Seillière et une partie du Medef, mais pas la majorité des entreprises, qui n'ont pas utilisé les possibilités ouvertes par la loi Fillon. Actuellement elles ont recours à 90 heures supplémentaires par an, bien loi des 220 heures que vous voulez leur accorder, des 180 heures de la loi Fillon et même des 130 heures de la loi Aubry. Cette proposition va-t-elle favoriser la création d'emplois ? Au contraire, elle affaiblit les chances, déjà très minces, qu'a le Premier ministre de tenir son engagement de faire baisser le chômage de 10% en 2005.

Pourquoi alors ? Comme j'écarte l'hypothèse d'une surenchère interne à l'UMP, j'en conclus que c'est pour tenter de masquer votre échec en matière d'emploi et de pouvoir d'achat. Depuis septembre 2002, malgré tous les discours, l'emploi n'est pas la priorité du Gouvernement. En renonçant à cette combinaison de soutien à la croissance par la consommation et l'investissement et de politiques volontaristes de l'emploi, utilisée depuis 1997, vous faisiez prendre à notre pays un risque majeur. La politique économique de MM. Chirac, Raffarin, Sarkozy était dictée par la volonté de baisser les impôts. En pratique, vous avez baissé l'impôt sur le revenu et l'impôt sur la fortune, mais augmenté les impôts et taxes que payent les plus modestes, qu'il s'agisse de la CSG, du forfait hospitalier ou de la TVA sur les produits pétroliers. De ce fait, les prélèvements obligatoires augmentent actuellement. Votre politique de l'emploi a d'abord consisté à casser de façon systématique ce qui existait, 35 heures, emplois-jeunes, programme TRACE, comme si faire l'inverse du gouvernement précédent pouvait tenir lieu de stratégie.

Puisque vous avez la culture du résultat, jugeons sur pièces. Après 30 mois de gouvernement Raffarin, 40 000 emplois ont été détruits. Après 30 mois de gouvernement Jospin, il y avait 500 000 chômeurs de moins ; après 30 mois de gouvernement Raffarin, il y a 200 000 chômeurs de plus. Sous la gauche, le chômage des jeunes baissait deux fois plus vite que la moyenne, sous la droite il augmente deux fois plus vite. Le Gouvernement en porte l'entière responsabilité puisqu'il a démantelé les emplois-jeunes et que le contrat jeune en entreprise et le Civis ont été deux échecs. Quant au nombre d'heures travaillées, il n'a jamais été aussi élevé qu'en 2000. En effet, la durée du travail avait baissé pour chacun, mais les 35 heures ayant permis de créer 350 000 emplois, le volume total de travail avait augmenté.

Qui défend donc le mieux la valeur travail ? Ceux qui ont permis au plus grand nombre de travailler quitte à abaisser la durée individuelle du temps de travail ou ceux qui brandissent l'étendard de la valeur travail mais dont la politique accroît le nombre de chômeurs?

Nos bons résultats étaient-ils dus à la croissance mondiale ? Mais celle-ci est aussi forte sous le gouvernement Raffarin qu'elle l'était sous le gouvernement Jospin ; elle a même été particulièrement élevée en 2004 mais, alors même que la croissance française se situait au même niveau que la croissance mondiale - et même au-delà en 1998 -, l'écart s'est creusé au détriment de notre pays à partir de 2002. Tenons-nous en à la seule croissance des pays industrialisés, direz-vous. Soit, mais de 1997 à 2001, la France faisait quasiment jeu égal avec les Etats-Unis et, depuis votre arrivée au pouvoir, l'écart s'est là encore creusé. Ce n'est donc pas la croissance qui explique votre fiasco en matière d'emploi, mais votre politique économique, sociale et budgétaire. Le pouvoir d'achat, lui, a augmenté deux fois plus vite sous le gouvernement Jospin que sous l'actuel gouvernement. Vous fabulez en prétendant que la remise en cause des 35 heures contribuera à augmenter le pouvoir d'achat et que ceux qui travailleront plus gagneront plus. Dans une économie libérale, le salarié ne maîtrise pas le temps de travail...

M. Patrick Ollier - Cela relève de la négociation, des accords collectifs.

M. Eric Besson - Ceux qui n'auront pas le choix de travailler plus gagneront moins car tout est en effet conçu pour que les heures supplémentaires ajoutées soient moins payées ou, plus exactement, payées au tarif des heures normales.

Il est indécent de prétendre réhabiliter le travail lorsque 10% de la population active est au chômage ; ce gouvernement est comptable de 200 000 chômeurs supplémentaires. Il est de plus en train de réussir une série d'exploits inédits : des profits records sans investissement, une croissance d'environ 2,3% sans créations d'emplois. Vous n'avez pas de stratégie claire, vous ne favorisez pas la consommation des classes populaires et il vous manque surtout une confiance que cette proposition ne contribuera pas à créer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Martine Billard - Une fois de plus, vous modifiez des dispositions du code du travail sans demander leur avis aux partenaires sociaux. Vous avez d'abord fait voter la loi dite de « dialogue social » qui a ouvert la porte aux accords d'entreprise et d'établissement, moins favorables aux salariés que les accords de branche. Afin de casser le code du travail, vous avez inventé la formule du « temps choisi » comme si la grande question était de choisir la durée du travail. Vous oubliez que la majorité des salariés est favorable aux 35 heures, qu'elle demande les augmentations de salaires que justifient les gains de productivité sans pour autant souhaiter travailler plus.

M. Hervé Novelli - Le beurre et l'argent du beurre !

Mme Martine Billard - Or, selon vous, le pouvoir d'achat doit être obtenu en travaillant plus, au mépris des conditions de travail et de la santé des salariés ; réduction et partage du temps de travail ne font pas partie de votre projet de société : la seule possibilité d'augmenter son salaire serait de travailler sans fin. Vous cherchez à faire accroire que cette loi favorisera la liberté de chaque salarié : mais quid des négociations dans les PME où la présence des syndicats est très faible ? Quid de la possibilité de refuser de travailler plus pour un salarié subissant les pressions de son employeur, celui-ci rétorquant qu'avec près de 10% de chômeurs, il n'est pas le seul à vouloir travailler ?

Cette augmentation de temps de travail entraînerait une augmentation de salaire. Mais cette affirmation est elle aussi en partie trompeuse. En augmentant le contingent autorisé des heures supplémentaires au-delà de 220 heures, vous repoussez par là même le déclenchement de la majoration de 100%.

De plus, le Medef réclame le pouvoir de contourner l'obligation de majorer les heures supplémentaires et de dépasser le contingent annuel sans demander l'autorisation de l'inspection du travail. Aucun problème : vous modifiez le compte épargne temps et vous inventez les « heures choisies ». Comble du cynisme, le CET est entièrement monétisé et donc réduit à un compte épargne. A l'initiative de l'employeur, la totalité du versement des augmentations de salaire sera reportée et il n'y aura aucune garantie sur le taux de liquidation des droits acquis. Ainsi, au nom du « temps choisi », des salariés risquent de céder au mirage d'une augmentation de revenus qu'ils ne verront jamais !

Autre mirage encore plus diabolique : tout ce qui sera affecté sur un CET pour la retraite ne sera pas soumis à cotisations sociales. Les salariés découvriront qu'en cas de chômage les allocations seront moindres puisque tout ce qui aura été affecté ne sera plus considéré comme salaire pour le calcul de ces indemnités. De même, au moment de prendre leur retraite, les salariés auront peut-être économisé pour un plan d'épargne retraite mais leur retraite de base, elle, sera diminuée car les sommes versées ne seront pas prises en compte pour le calcul du salaire de base.

Quel salarié peut vraiment être intéressé ? Pas ceux qui espéraient suivre des formations professionnelles : votre dernière loi a privilégié la formation hors du temps de travail sous le prétexte que les salariés pouvaient utiliser leur RTT. Ce ne sera plus le cas ! Pas les salariés âgés : comment feront-ils lorsqu'ils devront choisir entre augmentation du temps de travail et licenciement ? Pas les ouvriers : ce sont eux qui ont déjà le moins accès aux formations et qui supportent les travaux les plus durs. Pas les femmes, qui ont déjà du mal à jongler entre temps de transports, heures de travail et famille. Les incantations du Président de la République feignant de découvrir le problème de l'égalité sont vaines car pour celles qui demandent réellement du temps choisi, vous ne proposez rien. En outre, la suppression des limites de dépôt en nombre de jours sur le CET aboutit à la suppression de la cinquième semaine de congés payés. Avec les 220 heures supplémentaires, vous réintroduisez la semaine de 40 heures : c'est la première fois qu'un gouvernement ose une telle régression. Votre incantation sur la liberté recouvre surtout la possibilité, dans les entreprises où les salariés sont déjà soumis à un rapport de force défavorable, d'aggraver la dégradation des conditions de travail et de rémunération. Les députés Verts ne peuvent que s'opposer à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jacques Briat - Le discours de M. Gorce fut un morceau d'anthologie, et je me demande si nous vivons dans le même pays, si nous parlons des mêmes entreprises et des mêmes salariés : cette proposition de loi est en fait pleine de bon sens et de sagesse. Elle ne mérite en tout cas pas autant d'agressivité, à moins d'avoir des arrière-pensées électorales.

Nous sommes tous d'accord quant au processus historique de baisse du temps de travail. Le progrès des sciences, des techniques, l'organisation de la société n'ont de sens que si la finalité est bien l'amélioration des conditions de vie des individus. Mais il y a diminution du temps de travail et diminution du temps de travail : en 1981, François Mitterrand a abaissé le temps de travail d'une petite heure.

M. Hervé Novelli - C'est vrai.

M. Jacques Briat - Martine Aubry, elle, a abaissé cette durée d'un seul coup et de façon autoritaire de quatre heures ! Certes, des emplois ont été créés, mais que d'effets pervers ! La compétitivité de nos entreprises a diminué ; la baisse des charges pour compenser une partie seulement des 35 heures pèse lourd dans le budget de la nation ; enfin, les conséquences des 35 heures ont été désastreuses pour la philosophie même du travail : la culture de la RTT a remplacé le sens de l'effort et de la réussite.

Mais il est inacceptable que certains accréditent l'idée que nous remettrions en cause les 35 heures...

Mme Danièle Hoffman-Rispal - C'est pourtant le cas.

M. Jacques Briat - Jamais au grand jamais cette proposition de loi ne touche à la durée légale des 35 heures. Si les 35 heures étaient remises en cause, nous repasserions à 36, 37, 38, 39 heures payées 35 ; or, ce n'est pas le cas. En revanche, nous pensons qu'il faut rompre avec l'idéologie des 35 heures, qui est celle du partage de la pénurie. Comme il était facile, lors des élections législatives de 1997, de vendre aux électeurs un package électoral prévoyant de travailler moins, de gagner plus et de partager les heures disponibles de travail ! Ce saucissonnage du temps de travail effectif disponible correspond à une vision néo-marxiste de l'organisation collective de la société !

M. Hervé Novelli - Très bien.

M. Jacques Briat - Elle peut s'appliquer, à la rigueur, dans une société collectiviste caractérisée par la nationalisation des moyens de production, la planification autoritaire et le rôle éminent de l'Etat centralisateur, mais ces sociétés n'existent plus, sauf peut-être à Cuba et en Corée du nord, et encore ! D'ailleurs, si cette logique valait, le nombre de chômeurs aurait baissé. Faudrait-il aujourd'hui aller encore plus loin et passer aux 32, 30, voire 25 heures de travail hebdomadaire ? Moins nous travaillons, plus le pays s'appauvrit et plus il faudrait partager le temps de travail ? C'est une logique de l'échec.

Il est temps de moderniser les 35 heures pour davantage les adapter à la situation de chaque entreprise et de chaque salarié. Le grand mérite de ce texte est de ne pas imposer une autre réglementation, mais de fixer un cadre à la discussion dans l'entreprise, et de renforcer la convention collective pour permettre à chacun de choisir son temps de travail.

Merci donc à MM. Ollier, Novelli, Morange et Dubernard pour cette proposition de loi équilibrée que nous voterons avec enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Christian Decocq - J'ai eu l'honneur de participer aux travaux de la mission d'information et d'évaluation sur les conséquences de la réduction du temps de travail, et d'assister, notamment, à l'audition de Martine Aubry. J'ai beaucoup appris de ses propos et j'ai notamment compris que le gouvernement Jospin a eu une conception malthusienne du travail, selon laquelle il existerait une quantité d'emploi déterminée : pour réduire le taux de chômage, il conviendrait alors de partager cette quantité de travail entre le plus grand nombre. Or, toutes les études prouvent que, plus le temps de travail est élevé, plus le taux de chômage est faible et que le travail des uns crée le travail des autres. Les socialistes n'ont donc pas opté pour la stratégie gagnante, celle qui consiste à développer les emplois les plus qualifiés et les emplois de services, difficiles à délocaliser.

Les 35 heures ont eu de graves conséquences économiques et financières. La direction du budget estime leur coût à 8,6 milliards pour 2002, 10,1 pour 2003, 11,6 pour 2004 et 15 pour 2005. Et je ne parle pas de leur impact sur la compétitivité de notre pays, dont se sont détournés les investisseurs étrangers.

Mme Aubry prétend que jamais des lois n'avaient donné lieu à autant de concertation, mais c'est la loi qui a obligé les partenaires sociaux à négocier ce douloureux passage aux 35 heures.

La mission l'atteste, les 35 heures ont été un véritable séisme qui a bouleversé des équilibres économiques fragiles.

Enfin, il faut noter que la réduction du temps de travail est une cause croissante de conflits au sein des entreprises.

Il est temps de mettre fin à l'autoritarisme qui a prévalu lors de la mise en œuvre de ces lois, et de prendre en compte la diversité des situations.

Ce texte reprend l'essentiel des propositions de la mission d'évaluation - laisser plus de champ à la négociation collective, créer un régime attractif d'exonération de cotisations sociales, prendre en compte la spécificité économique des très petites entreprises.

Je regrette simplement que notre proposition d'inviter les partenaires sociaux à réfléchir à une redéfinition du partage des compétences entre la loi et la négociation collective n'ait pas été retenue.

Lire dans un grand quotidien national que Martine Aubry s'engage, si la gauche revient au pouvoir, à reprendre le chemin historique de la baisse du travail, ne peut que nous conforter dans notre volonté.

M. Hervé Novelli - C'est lamentable !

M. Patrick Ollier - Mais où est donc le parti socialiste ce soir ?

M. Christian Decocq - Grâce à nous, les salariés retrouveront la liberté de choix ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Danièle Hoffman-Rispal - Cette proposition de loi tend officiellement à assouplir les 35 heures tant honnies par votre majorité, mais à y regarder de plus près, il s'agit en réalité d'abolir les 35 heures, de créer deux droits du temps de travail selon la taille de l'entreprise, et d'écarter le droit du travail au profit d'un accord direct entre le salarié et son employeur. Le Medef l'a proposé, Raffarin l'a fait !

Pour expliquer votre échec en matière d'emploi, vous n'avez de cesse d'invoquer les 35 heures ! Mais la réduction du temps de travail a été favorable à l'emploi et aux conditions de vie des salariés concernés, et elle a permis d'améliorer la productivité des entreprises grâce à la négociation qu'exigeait sa mise en œuvre.

Le sondage paru ce week-end a au moins le mérite de faire apparaître clairement que 77% des salariés ne souhaitent pas que leur temps de travail augmente.

Pour avoir travaillé trente ans au sein d'une petite entreprise, je sais que vos discours dogmatiques sont à mille lieues de la réalité. A cause de vous, des millions de salariés voient s'envoler leurs espoirs d'une vie meilleure et moins stressée !

M. Patrick Ollier - Toutes les enquêtes prouvent que les 35 heures sont une source de stress !

Mme Danièle Hoffman-Rispal - Par ailleurs, vous créez une inégalité entre les salariés des entreprises de plus de 20 salariés et ceux des entreprises de moins de 20 salariés. La loi Aubry, tenant compte de la spécificité de ces dernières, leur avait accordé un délai, mais en le prorogeant au-delà du raisonnable, vous allez pénaliser injustement des millions de salariés. Les jeunes préfèreront alors travailler au sein d'une grande entreprise, et c'est l'attractivité des PME qui sera remise en cause, alors qu'elles sont essentielles au développement économique de notre pays et à la création d'emplois.

La question du temps de travail est intimement liée à celle du chômage, et votre dispositif ne peut que nuire à l'emploi.

L'inégalité sera accrue entre les salariés à temps partiel et ceux à temps plein, d'autant plus que le temps partiel est souvent subi.

La suppression des 35 heures aura des conséquences négatives sur le pouvoir d'achat des plus pauvres, qu'ils soient privés d'emploi ou privés d'un emploi à plein temps. Ce sont les femmes qui sont les plus menacées par cette évolution du droit du travail. Plus touchées que les hommes par le chômage, elles subissent l'inégalité salariale et le temps partiel contraint.

Une vendeuse le disait fort justement dans un quotidien hier matin : « Moi, je veux au moins arriver aux 35 heures. Mon problème est de trouver autre chose que du temps partiel. » Las, comme celles des retraites et de l'assurance-maladie, cette réforme sacrifie les plus fragiles.

Je ne voudrais pas terminer sans évoquer les bouleversements qu'induira ce texte dans les rapports de travail. L'une des grande avancées des lois Aubry a été de re-légitimer la négociation dans l'entreprise. Vous préférez heurter les syndicats plutôt que de les considérer pour ce qu'ils sont, les justes représentants des salariés : vous ne respectez même pas vos engagements sur la démocratie sociale ! Un entrepreneur me confiait récemment que, grâce aux 35 heures, il avait pu négocier avec les salariés un meilleur aménagement du temps de travail et ainsi consolider l'activité de l'entreprise. C'est un coup d'arrêt à cette dynamique que vous portez aujourd'hui.

Le compte épargne-temps permettait d'accompagner la réduction du temps de travail et donnait de la souplesse au dispositif, en offrant des droits aux salariés en contrepartie des contraintes. Mais vous le dévoyez dans son principe et dans son contenu.

Le temps choisi revient, dans votre acception, à donner des droits exorbitants à l'employeur. Comme pour la journée de solidarité, cette notion est le fruit d'un certain cynisme. Comment un salarié pourrait-il refuser les heures supplémentaires qu'on lui demandera d'effectuer ?

Contrairement à ce que vous croyez, les salariés ne rejettent pas la RTT. Certains aimeraient peut-être travailler plus pour gagner plus, mais vous leur proposez de travailler plus pour gagner moins, puisque vous ne majorez plus les heures supplémentaires, voire ne les payez plus du tout quand vous permettez au patron de les inscrire unilatéralement au compte épargne-temps ! Au-delà de son aspect scandaleux, nous verrons bientôt sur la consommation et la croissance les effets de cette politique.

Dans les petites entreprises, le rejet des rapports collectifs et du droit du travail au profit d'une négociation de gré à gré entre patron et salarié marque un recul sans précédent. C'est le retour en force du paternalisme que vous organisez. Compte tenu du rapport de forces, cette disposition pourrait conduire des salariés à être spoliés de leur travail. C'est la même logique que pour le lundi de Pentecôte, comme si l'objectif était d'aboutir au travail gratuit, en tout cas le moins rémunéré possible. Vous n'instaurez pas le droit à la négociation, vous muselez une des parties, le salarié.

Vous nous proposez un texte qui fait bien plus que revenir sur les 35 heures : il nous ramène un demi-siècle en arrière. Les salariés sont en train d'en prendre la mesure. Nous serons à leurs côtés pour essayer de préserver l'essentiel. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Patrick Ollier - C'est excessif.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce matin, mercredi 2 février, à 9 heures 30.

La séance est levée à 0 heure 50.

                Le Directeur du service
                des comptes rendus analytiques,

                François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU MERCREDI 2 FÉVRIER 2005

NEUF HEURES TRENTE : 1re SÉANCE PUBLIQUE

Suite de la discussion de la proposition de loi (n° 2030) de M. Patrick OLLIER et plusieurs de ses collègues portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise.

Rapport (n° 2040) de M. Pierre MORANGE, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

QUINZE HEURES : 2e SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.(1)

2. Suite de l'ordre du jour de la première séance.

VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 3e SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.


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