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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 55ème jour de séance, 132ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 2 FÉVRIER 2005

PRÉSIDENCE de M. Éric RAOULT

vice-président

Sommaire

      RÉFORME DE L'ORGANISATION
      DU TEMPS DE TRAVAIL DANS L'ENTREPRISE (suite) 2

La séance est ouverte à neuf heures trente.

RÉFORME DE L'ORGANISATION DU TEMPS DE TRAVAIL
DANS L'ENTREPRISE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise.

M. Maxime Gremetz - Faute de courage politique, et pour satisfaire une majorité aux ordres du Medef, le Gouvernement a inscrit à l'ordre du jour cette proposition dépourvue de tout fondement économique. En effet, cette cabale contre les 35 heures ne répond qu'à des exigences idéologiques, comme le montre le rapport publié en avril 2004 par MM. Ollier et Novelli : je constate d'ailleurs que ce dernier est absent.

M. le Président - M. le président Ollier, lui, est présent.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - M. Novelli siégeait cette nuit, alors que M. Gremetz n'était pas là.

M. le Président - On ne pointe pas à l'entrée de l'hémicycle.

M. Hervé Novelli - Me voici : je ne voulais pas manquer votre discours.

M. Maxime Gremetz - Je vous remercie.

Au nom d'un dogme, vous avez négligé les partenaires sociaux et évité le Conseil d'Etat. En outre, il n'y a jamais eu d'évaluation rigoureuse des 35 heures et encore moins des assouplissements de la loi Fillon. A l'inverse de la réforme des retraites ou de celle de l'assurance maladie, votre texte n'a fait l'objet d'aucune évaluation ou étude prospective.

M. le Président de la commission des affaires économiques - Il y a eu une mission d'information, mais nous n'y avons jamais vu M. Gremetz !

M. Maxime Gremetz - Vous ne touchez pas à la durée légale du travail, vous préférez la contourner par une série de dispositions. Vous n'osez pas le dire, mais c'est la fin des 35 heures, que personne ne s'y trompe ! Certes, on les laisse dans la loi, mais elles deviennent pour le moins virtuelles. Elles ne seront plus une réalité pour les salariés. Vous savez que vous avancez sur un terrain miné. Au lieu d'assumer franchement votre volonté, vous usez d'arguments fallacieux.

Conformément à la promesse faite par Jacques Chirac, vous maintenez la durée hebdomadaire légale du travail à 35 heures. Cela signifie seulement que toute heure au-delà doit être payée en heure supplémentaire. Or, le Gouvernement a tout fait pour rendre moins chères ces heures supplémentaires : depuis la loi Fillon du 17 janvier 2003, ce n'est plus le législateur mais la convention ou l'accord de branche qui fixe le taux de rémunération, lequel ne doit pas être inférieur à 110 % au lieu de 125 % antérieurement. C'est le filon qu'exploitent les entreprises : elles profitent du relèvement du nombre d'heures supplémentaires autorisées puisqu'elles sont moins payées. Relever le contingent à 180 heures au lieu de 130, cela revient à faire travailler les salariés 39 heures par semaine. Le relever à 220, c'est autoriser les 40 heures hebdomadaires de travail. Voilà le sens de cette proposition, Monsieur le ministre délégué. Elle ne remet pas en cause les 35 heures, mais les 39 heures, acquises en 1982. Cette proposition n'est pas seulement conservatrice, elle est anti-sociale, puisqu'elle tend à allonger la durée du travail, ce qui n'avait pas été fait depuis 1936.

Vous prétendez permettre aux salariés de « travailler plus pour gagner plus ». Les trois millions de chômeurs vont trouver cela formidable : on donne plus de travail à ceux qui ont déjà un emploi...

M. Jean Auclair - Ils ne veulent pas travailler, les chômeurs ! Etre payés à ne rien faire, c'est cela qui les intéresse ! (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Maxime Gremetz - Il ne faut pas oublier qui est à l'origine de la baisse du pouvoir d'achat qui suscite chez nos concitoyens ce besoin de gagner plus. Il faudrait certes remonter à la loi de 2000, qui a eu pour effet de multiplier les SMIC et de geler les salaires. C'est un des griefs des salariés à propos des 35 heures. Mais, pour leur permettre de gagner plus, il faudrait aussi des politiques actives de relance des salaires, au lieu de multiplier les allègements de cotisations patronales et les contrats d'intérimaires. En Picardie, nous enregistrons un taux record de précarité. Votre politique n'a pas d'autre effet que de créer des salariés pauvres.

Il faudrait aussi permettre aux salariés à temps partiel et aux chômeurs d'accéder à des emplois à temps plein normalement rémunérés.

N'oublions pas les mesures Fillon qui amputent le pouvoir d'achat des salariés jusqu'au 1er juillet 2005 avec le nouveau calcul du SMIC. Pour la première fois depuis 1957, date de création du salaire minimum, un gouvernement a remis en question le mode de revalorisation du taux horaire, qui est normalement fonction de l'indice des prix et de la moitié de l'augmentation du pouvoir d'achat du salaire horaire mensuel ouvrier de base.

Enfin, les heures supplémentaires ne sont plus payées qu'à partir d'un plancher de majoration de 10 % au lieu de 25 %.

D'où cette exigence que le pouvoir d'achat progresse. Les mobilisations de ces derniers jours le montrent, je vous avais prévenus. Attendez la grande journée d'action du 5 février !

Ce n'est pas cette notion perverse de « temps choisi » qui changera la situation. Les femmes savent bien de quoi il s'agit : ce temps choisi leur est imposé. On voudrait faire croire que le salarié est maître de son temps de travail. Dans un contexte de faible croissance et de chômage élevé, avec les pressions que nous connaissons sur l'emploi et les salaires, comment le salarié pourrait-il obtenir ce nouveau droit, choisir son temps de travail ? Il suffit de lire le code du travail : c'est l'employeur qui décide. Ce « temps choisi » est une supercherie sans nom. 

En réalité, ce dispositif permet aux employeurs de multiplier le recours aux heures supplémentaires payées au rabais et de flirter avec la durée maximale du temps de travail. Vous offrez en outre au patronat la possibilité d'anticiper la révision d'une directive européenne qui pousse encore plus loin les feux de la régression en portant la durée maximale hebdomadaire à 61 heures ou 48 heures sur 12 mois ! Voilà le véritable visage de votre « temps choisi ».

Cette proposition de loi doit clore, nous dit-on, le débat sur les 35 heures. Nous ne le pensons pas, car l'aspiration à la réduction du temps de travail est bien réelle. Du reste, 77 % des salariés souhaitent conserver leur temps de travail actuel. En vérité, cette proposition de loi ne répond qu'à la seule exigence du Medef.

M. Jean Auclair - En Chine, les communistes font travailler les gens combien de temps ?

M. Maxime Gremetz - Notre position n'est pas seulement de défendre l'existant, mais aussi de porter des exigences plus fortes, étant entendu que la deuxième loi sur la réduction du temps de travail ne nous satisfaisait pas, car elle cédait trop aux demandes de Seillière. C'est la preuve qu'une bonne idée peut se retourner contre les salariés.

Nous ne demandons donc pas le rétablissement pur et simple de cette loi, mais nous plaidons pour un projet de réduction du temps de travail renouvelé, prenant en compte les erreurs du passé et s'appuyant sur les fondements de la loi de 1998, qui comportait une obligation d'embauche. Il faut aussi prévoir un suivi démocratique - par les salariés - de l'application des accords.

Pour stopper la dégradation des conditions de travail tout en exerçant un appel d'air favorable à l'emploi, il faut lier la réduction du temps de travail - et les aides publiques qui l'accompagnent - à l'obligation de création d'emplois stables et correctement rémunérés. Il faut aussi s'appuyer sur un comité d'entreprise aux pouvoirs rénovés et garantir un droit de suivi des salariés sur les choix stratégiques qui sont faits.

Autant dire que la réforme à mener en matière de législation sur le temps de travail va à rebours de ce texte, qui satisfait certes une exigence forte du patronat mais qui suscite, et continuera à susciter, une forte mobilisation contre lui, comme l'ont montré les mouvements des semaines passées. Vous ne l'emporterez pas seuls contre tous, Messieurs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Hervé Novelli - Je ne suis pas d'accord avec M. Gremetz, mais je salue le combat courageux qu'il mène en Picardie contre les hausses d'impôts décidées par la majorité socialiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Je remercie M. Larcher d'avoir permis, sous l'autorité du Premier ministre et avec l'assentiment du Bureau de l'Assemblée, l'inscription de cette proposition de loi à l'ordre du jour prioritaire. A un moment où certaines voix s'élèvent pour regretter l'effacement du Parlement, ce débat montre qu'au contraire, le travail parlementaire peut trouver un débouché législatif. Regretter, comme certains l'ont fait hier, qu'une telle loi puisse être d'origine parlementaire, c'est vraiment faire peu de crédit à notre assemblée ! (Nouveaux applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Qu'il me soit permis de remercier les co-signataires de cette proposition de loi : Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, Pierre Morange, rapporteur de notre proposition et Patrick Ollier, qui fut le président de la mission d'information sur les conséquences économiques et sociales de la législation sur le temps de travail, dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur.

Cette proposition de loi, qui parachève un intense travail parlementaire et gouvernemental, engagé depuis le début de cette législature, se fixe une haute ambition : accroître le pouvoir d'achat des salariés, préoccupation majeure du monde du travail ; assurer le libre choix des salariés de travailler plus pour gagner plus ; consacrer le rôle de la négociation collective dans le domaine social.

La réduction massive et uniforme du temps de travail a modifié en profondeur l'ordonnancement économique et social, voire sociétal, de notre pays.

La baisse du nombre des heures travaillées par personne employée a eu une incidence directe sur le niveau de productivité par tête, dont la progression, sur la période 1996-2002 a été moindre que par le passé. Le potentiel de croissance en est ressorti amoindri.

Le coût financier des 35 heures, lié aux allègements de charges sociales censés compenser pour partie l'augmentation du coût de l'heure travaillée, pèse de tout son poids sur le déficit de notre pays et atteindra 15 milliards d'euros en 2005.

Mme Claude Greff - Il faut le dire !

M. Hervé Novelli - Comment ne pas s'inquiéter d'autre part de l'écart entre les grandes entreprises, qui ont bénéficié des 35 heures en annualisant et en flexibilisant la durée du travail tout en engrangeant des allègements de charges, et les petites, qui n'ont pas eu les mêmes capacités à amortir ce choc ? (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) L'écart également entre, d'une part, les salariés du bas de l'échelle empêchés de travailler plus (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains), alors que leur premier souci est bien évidemment d'avoir des rentrées salariales supplémentaires et qu'ils ne peuvent guère profiter des loisirs compte tenu de la faiblesse de leur pouvoir d'achat, d'autre part, les cadres, premiers bénéficiaires des 35 heures mais aussi peut-être les premiers atteints par le stress et l'intensité du travail ?

Comment ne pas voir une injustice sociale majeure dans ce que l'on a appelé pudiquement la « modération salariale »? Modération qui s'est transformée le plus souvent en stagnation. A structure constante, c'est à dire corrigée du passage de 39 à 35 heures, à partir de 2000, le pouvoir d'achat des salariés stagne, voire diminue. Un tiers des salariés ont été soumis à un gel de salaire.

Il faut donc modifier la donne et tel est l'objet de la présente proposition de loi. Je regrette d'ailleurs que Martine Aubry ne soit pas là pour nous écouter...

M. Robert Lamy - Les électeurs ont compris !

M. Hervé Novelli - Mais je suis heureux de saluer la présence du talentueux Sébastien Huyghe. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La proposition de loi comporte plusieurs mesures simples destinées à améliorer le pouvoir d'achat des salariés. Le compte épargne-temps est simplifié, de façon que les salariés puissent facilement transformer leurs jours de repos ou de congés non pris en complément de rémunération. Les seuils rigides qui prévalaient sont assouplis. Le faible succès du compte épargne-temps provenait de son étonnante complexité et de son caractère peu incitatif. Nous avons remédié à ses principaux défauts.

De même, le régime d'heures choisies permettra à ceux qui le souhaitent de travailler plus pour gagner plus, car des heures de travail, qui pourront s'ajouter aux heures supplémentaires, donneront droit à des majorations de salaire. Nous concilions ainsi pouvoir d'achat et liberté. (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Les salariés désirent moduler leur temps de travail en fonction de leurs besoins et de leurs obligations familiales. Un jeune couple actif sans enfant n'est pas dans la même situation qu'un couple avec deux enfants en bas âge ou qu'un couple dont les enfants sont majeurs et salariés. Le législateur n'a pas à fixer une norme unique applicable à tous, sans prendre en compte les situations des uns et des autres.

Les cadres pourront eux aussi renoncer à une partie de leurs jours de repos en contrepartie d'une majoration de salaires.

Mais ce texte s'attache aussi à élargir la liberté de choix du salarié, en lui offrant la possibilité de travailler plus, y compris au-delà du contingent annuel d'heures supplémentaires, dans la limite des maxima fixés par l'Union européenne.

On commente depuis deux jours l'un des rares sondages à indiquer qu'une très forte majorité de salariés souhaiterait rester à son horaire actuel. Passons sur le libellé de la question, qui parle d'augmentation de la durée du travail sans la lier à une augmentation du salaire : dans ces conditions, il est même étonnant que 18 %, soit près d'un salarié sur cinq, disent souhaiter travailler plus ! Mais au nom de quoi les empêcherions-nous de le faire, dans le cadre d'un accord collectif, comme nous le proposons par l'article 2 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Maxime Gremetz - Et pourquoi l'imposer aux 77 % de salariés qui ne le souhaitent pas !

M. Hervé Novelli - L'article 3 proroge pour trois ans le dispositif applicable aux entreprises de moins de 20 salariés en matière de taux de rémunération des heures supplémentaires et d'imputation sur le contingent. Il permet aussi aux salariés d'échanger leurs jours de RTT contre une rémunération, dans la limite de 10 jours.

Mais le cœur de cette proposition, c'est notre foi dans de nouvelles relations contractuelles. Toutes les mesures qu'elle contient sont en effet ouvertes à la négociation entre partenaires sociaux (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

Pour le régime des heures choisies, un accord collectif de travail définira le taux de la majoration, qui ne peut être inférieur à celui applicable aux heures supplémentaires, ainsi que, le cas échéant, les contreparties, notamment en termes de repos. Les limites maximales hebdomadaires de la durée du travail seront naturellement applicables.

M. Maxime Gremetz - Combien ?

M. Hervé Novelli - 48 heures.

Chez la plupart de nos partenaires, la durée du travail n'est pas fixée par la loi, mais par les partenaires sociaux. Or nul ne pourrait dire que les Allemands ou les Hollandais sont exploités !

Il faut laisser toute sa place à la convention, au contrat et faire reculer la loi dans un certain nombre de domaines, afin de ne plus déresponsabiliser les partenaires sociaux ni infantiliser les parlementaires, ces derniers n'ayant d'autre choix que l'approbation tacite d'accords négociés ailleurs, ou leur remise en cause au risque de casser tel ou tel. En imposant par la loi des dispositions qui relèvent à l'évidence de la négociation collective, les 35 heures ont, sur ce point, servi de révélateur (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Notre code du travail comporte plus de 2 500 pages ; la durée du travail occupe une page et demie dans le code suédois, plusieurs dizaines chez nous ! Notre tradition centralisatrice et la sacralisation de la loi comme expression de la volonté générale empêchent le développement d'un espace social autonome.

Reconnaissons, du reste, que la place de la fonction publique, qui occupe près d'un salarié sur cinq, a réduit le champ du contrat et de la négociation. Soit dit en passant, l'application des 35 heures dans la fonction publique devra à terme être revue ; l'équité le commande, ainsi que l'efficacité, notamment à l'hôpital - mais à chaque jour suffit sa peine.

Cette déresponsabilisation des partenaires sociaux me paraît être la cause principale du faible taux de syndicalisation - autour de 5 %, contre 80 % au Danemark... (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Pourquoi les partenaires sociaux négocieraient-ils s'ils savent qu'à un moment ou à un autre, l'Etat interviendra ?

M. Maxime Gremetz - Il dit n'importe quoi !

M. le Président - Monsieur Gremetz, cessez d'interrompre l'orateur.

M. Hervé Novelli - La loi Aubry II n'a-t-elle pas remis en cause le principe de la négociation ouvert par la loi Aubry I, adoptée quelque mois auparavant ? Et Mme Aubry n'a-t-elle pas indiqué récemment qu'elle remettrait en cause cette législation ?

La tradition interventionniste de l'Etat, les coups de force, les allers et retours permanents de la législation ont atrophié la sphère de la négociation et fragilisé notre édifice juridique. Le délai de cinq à huit ans qu'il faut en moyenne pour définir une jurisprudence est inatteignable en droit français...

Il nous faut inventer de nouveaux modes de régulation sociale et oser sortir des sentiers battus. Ce n'est pas par les discours ou par des lois que nous le ferons (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains), et je suis convaincu que le rôle des acteurs sociaux sera au cœur des débats pour les échéances électorales de 2007.

La « position commune » signée par les partenaires sociaux le 16 juillet 2001 sur le développement de la négociation collective, selon laquelle la loi ne doit fixer que les principes fondamentaux du droit du travail, constitue une voie de réflexion et a donné lieu à des appréciations positives de la part des spécialistes. La Constitution de 1958 a fixé le champ des domaines législatif et réglementaire par ses articles 34 et 37 ; ne devrait-elle pas reconnaître un domaine réservé à la négociation sociale et en fixer le champ ? De même qu'on a révisé la Constitution afin d'accroître, par les lois de décentralisation, les pouvoirs et les responsabilités des collectivités locales, pourquoi n'accorderait-on pas une protection constitutionnelle au domaine social, qui concerne quinze millions de salariés et près de vingt millions d'actifs ? En vertu du principe de subsidiarité, les pouvoirs et les responsabilités des partenaires sociaux doivent être garantis, et les accords doivent être conclus au niveau où ils sont les plus efficaces - si possible au niveau de l'entreprise, sinon à celui de la branche, ou encore au niveau interprofessionnel. Le législateur n'a pas vocation à tout régir. Le Parlement n'a pas vocation à être une chambre d'enregistrement des accords signés par les partenaires sociaux ; reconnaître un espace à la négociation, c'est contribuer à revaloriser le Parlement en lui laissant le soin de définir les grandes orientations de la politique sociale.

Il reviendrait au législateur de fixer les principes généraux destinés à garantir le respect des engagements internationaux de la France, les règles relevant de l'intérêt général comme la durée maximale du travail, le droit aux congés payés, l'exercice de la liberté syndicale, et aux juges à veiller à la légalité des accords et conventions. Le domaine social pourrait comporter deux sous-ensembles : un premier de compétence partagée, dans lequel les partenaires seraient prioritaires pour la fixation de normes, mais où, en cas d'absence d'accords et après un certain délai, l'Etat interviendrait par la loi ; le deuxième serait celui des compétences exclusives des partenaires sociaux.

L'échec des 35 heures prouve qu'il ne faut pas tout attendre d'un Etat qui éprouve les pires difficultés à se réformer. Les salariés et les chefs d'entreprise sont des acteurs majeurs et responsables : tel est l'enjeu central de cette proposition de loi. Pour 2007, j'appelle de mes vœux un nouveau contrat social fondé sur la primauté de la négociation et du contrat sur la loi, revalorisant ainsi le rôle des acteurs sociaux et faisant de notre pays une démocratie adulte et apaisée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Michel Liebgott - Notre slogan à nous, ce n'est pas « travailler plus », mais « travailler tous et travailler mieux ».

Le temps de travail poursuit un mouvement de baisse séculaire : depuis la révolution industrielle, il a diminué de moitié, ce qui n'a pas empêché la production par habitant d'être multipliée par cinq. Il y a 200 ans, on passait 70 % de sa vie à travailler, il y a un siècle, 50 % et, aujourd'hui, 20 %. La base de notre philosophie politique, c'est l'homme, et non le seul intérêt de l'entreprise.

Comment faire pour donner du travail à tous ? Par une politique volontariste, différente de celles qui ont été menées depuis des décennies - les lois Aubry sont d'ailleurs intervenues parce que toutes les autres politiques étaient inopérantes ; elles ont permis de créer une partie des 2 millions d'emplois qui l'ont été entre 1997 et 2002 (Protestations sur les bancs du groupe UMP). 330 000 entreprises ont passé des accords, et 68 % des salariés, soit 10 millions, en bénéficient.

Mais précisément, seuls 68 % des salariés sont aujourd'hui soumis au temps de travail légal, soit 35 heures. C'est dire qu'il y a encore de la marge et que beaucoup veulent travailler moins et travailler mieux !

Depuis la révolution industrielle, on produit plus et mieux grâce aux gains de productivité et non en raison d'une augmentation de la quantité de travail ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Vous en êtes restés au fameux « enrichissez-vous ! » de Guizot ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP) Enrichissez-vous si vous en avez les moyens sinon vivez dans la misère !

En réalité, vous êtes sur une voie de garage ! Depuis plus de deux ans, le nombre des chômeurs de première catégorie a augmenté de 185 000, celui des demandeurs d'emploi de moins de 25 ans de 45 000, celui des érémistes de 250 000 et on dénombre à près de 100 000 les chômeurs de longue durée ! Voilà votre bilan ! Aujourd'hui, vous êtes dans l'embarras. Davantage de gens partent à la retraite qu'il n'en n'arrive sur le marché de l'emploi, donc mécaniquement le chômage aurait dû baisser. Or il ne baisse pas...

M. le Président de la commission des affaires économiques - A cause des 35 heures !

M. Michel Liebgott - Vous essayez de trouver des parades, vous réinventez les emplois aidés que vous aviez supprimés ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) La loi de cohésion sociale fait figure de session de rattrapage. Comme elle ne va pas sauver votre majorité, il vous a fallu trouver autre chose qui touche à la noblesse de la fonction politique : agir sur l'économie. A défaut d'être des spécialistes du social, vous êtes des spécialistes de l'économie et de l'entreprise.

De ce point de vue, faire du temps de travail un bouc émissaire n'était pas très habile. En effet, l'augmentation de 4 % à 5 % du coût du salaire a été compensée par une augmentation de la productivité de plus de 2 % et par un allègement des charges que vous n'évoquez pas...

M. Xavier de Roux - Qui l'a fait ?

M. Michel Liebgott - Vous avez allégé les charges mais sans compensation et sans obligation de créer des emplois, c'est toute la différence entre nos modèles économiques !

Un député UMP - Qui paye ?

M. Michel Liebgott - Messieurs, nous ne voulons pas, comme Brassens, mettre notre signature au bas de ce parchemin honteux ! Nous ne voulons pas revenir sur plus de cent ans de progrès social et de réduction du temps de travail ! Au printemps dernier, les Français ont montré qu'ils ne voulaient pas se saouler au cru Raffarin 2005...

Un député UMP - Et le cru Aubry, le cru Jospin ! Vous avez la mémoire courte !

M. Michel Liebgott - ...car il est labellisé Président de la République et président de l'UMP ! Une disposition réglementaire aurait suffi pour porter le contingent d'heures supplémentaires de 180 à 220. Alors, pourquoi une proposition de loi ? Tout simplement parce que le Premier ministre ne pouvait faire autrement !

Si j'ai bien compris M. Novelli, le législateur pourrait presque disparaître et laisser faire les partenaires sociaux et les entreprises. Telle n'est pas notre philosophie. Nous voulons être les garants permanents de la liberté et de l'égalité.

Alors, bien sûr, vous subissez des pressions incontestables ! M. Sarkozy n'a pas hésité à dire que les fonctionnaires, aussi, devaient travailler plus pour le même salaire. Au moment où vous supprimez des services publics, c'est contradictoire !

Votre proposition de loi n'est qu'un habillage du projet de l'UMP de régression sociale pour 2007 ! Beaucoup l'ont compris, les syndicats, ceux que vous n'avez pas auditionnés pour leur échapper habilement...

M. le Président de la commission des affaires économiques - C'est scandaleux ! Nous avons reçu tout le monde !

M. Michel Liebgott - On crée toutes les conditions pour que les lois ne soient pas la règle normale. Le contrat, M. Novelli vient de le dire, peut s'étendre à l'ensemble du code du travail ! Pour vous, la négociation contractuelle doit se faire au détriment de la loi en matière sociale !

Pour notre part, nous voulons que le Parlement continue de jouer son rôle de protecteur des citoyens et des salariés. Trois ans de recul des droits sociaux et d'augmentation du chômage, ce n'est pas notre perspective !

Au juste, que proposez-vous ? Des réformes ultra-libérales qui, discrètes au début du mandat législatif, apparaissent au grand jour à l'approche de l'échéance présidentielle ! Vous avez même réussi à modifier la jurisprudence Samaritaine tout en affirmant que la réforme du licenciement économique était inamendable. Bravo, Monsieur Novelli ! Vous progressez au détriment de la France qui travaille. Quand cela cessera-t-il ? Pas avant deux ans ! Vous avez monétarisé les congés payés avec les repos compensateurs ! Vous payez les heures supplémentaires le moins cher possible ! La loi Fillon n'a pas eu les résultats escomptés. Contrairement aux lois Aubry, peu d'accords ont été signés.

Aujourd'hui, vous imposez aux entreprises de plus en plus d'heures supplémentaires et de moins en moins d'embauches. La preuve en est donnée par Arcelor ! Alors que l'acier manque et qu'il faudrait en produire plus, il n'y a pas eu de créations d'emplois. Les syndicats ont pris acte de la reconduction de l'accord précédent car ils craignent que ce ne soit pire demain. Pire, c'est la négociation directe entre l'employeur et le salarié que vous préconisez !

Vous êtes pour la liberté d'entreprendre d'une minorité, les riches ! Nous sommes pour une société de progrès où ceux qui le désirent pourront travailler plus, travailler mieux et où tout le monde travaillera. Nous ne voulons pas d'une société où seule une minorité que vous aurez choisie aura accès à l'emploi, où tout sera régenté par un rapport de forces inégal entre le salarié et son employeur ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - J'attire votre attention sur le fait que, si vous dépassez tous votre temps de parole, vous risquez de remettre en cause des intervenants de votre groupe ou la dernière motion de procédure.

M. Maxime Gremetz - Je suis le seul à avoir respecté mon temps de parole.

M. le Président - Je serai indulgent avec les orateurs mais il ne faudra pas me reprocher de ne pas avoir tenu le programme.

M. Maxime Gremetz - Je veux faire un rappel au règlement ! J'ai respecté mon temps à la seconde près...

M. le Président - C'est faux !

M. Maxime Gremetz - Monsieur le président, vous ne m'avez même pas accordé quelques minutes supplémentaires pour compenser les interruptions intempestives de la majorité ! Et vous dites que vous allez être indulgent alors que la plupart des orateurs encore inscrits sont de la majorité. M. le Président Debré ne l'accepterait pas ! Dans ces conditions, je demande une suspension de séance.

M. le Président - Non.

M. Maxime Gremetz - Le règlement ne vous permet pas de me la refuser ! Elle est de droit !

M. le Président - Vous êtes intervenu pour faire un rappel au règlement qui n'en était pas un. J'ai indiqué que je donnerai la parole aux orateurs principaux avec une mansuétude toute particulière mais que les autres devraient être attentifs au respect de leur temps de parole. La dernière motion de procédure est déposée par le groupe communiste, que je sache ! Ne venez pas me reprocher de protéger le temps de parole de ma collègue de la Courneuve, Mme Muguette Jacquaint !

La séance, suspendue à 10 h 25, est reprise à 10 h 30.

M. Hervé Morin - Sujet difficile que celui des 35 heures, et qui est abordé de façon beaucoup plus idéologique que pragmatique. Mais c'est pourtant des constats qu'il faut partir, trois ans après la mise en œuvre de la réduction du temps de travail. L'UDF n'a cessé de dire que les 35 heures étaient une erreur lourde, que la France paiera pendant longtemps. Depuis 2002, elle appelle le Gouvernement au courage sur cette question.

C'est d'abord une erreur économique. Dans une économie mondialisée et concurrentielle, la durée du travail est un facteur de compétitivité. Ce n'est bien entendu pas le seul, ni même le premier : nous ne pourrons jamais rivaliser avec les pays émergents, et ce n'est d'ailleurs pas souhaitable. Notre compétitivité passe avant tout par la qualité de nos produits, l'intelligence, l'innovation. Mais nous devons nous situer, au moins, à un niveau comparable à celui des pays développés qui sont sur les mêmes créneaux que nous et qui investissent plus que nous dans la recherche, l'innovation et la formation ! Selon l'OCDE, la France est, avec l'Allemagne, le pays dont la durée annuelle de travail est la plus courte et le rapport Camdessus montre que notre durée de travail par an et par personne en âge de travailler est la plus faible de l'OCDE, à l'exception de l'Italie - dont les chiffres officiels ne sont pas cependant représentatifs du travail réel : nous en sommes à 900 heures, contre 1 200 au Canada ! C'est bien entendu lié à notre niveau de chômage et à la faiblesse de l'activité des moins de 25 ans ou plus de 50 ans, mais la réduction autoritaire du temps de travail a aggravé sérieusement la situation.

Les 35 heures sont également une erreur financière. Elles coûtent environ 20 milliards par an, si l'on ajoute aux réductions de charges accordées aux entreprises leur coût pour l'ensemble des administrations publiques. Tous les maires, tous les présidents de conseils généraux, tous les présidents d'établissement public de coopération intercommunale savent l'impact que la réduction du temps de travail a eu sur leur budget de fonctionnement. A l'heure où les finances publiques sont dans le rouge, où l'on a le plus grand mal à dégager un peu d'argent pour le handicap ou la recherche, fallait-il consacrer autant d'argent à financer le non-travail ? Ces sommes auraient pu servir aux universités, plutôt qu'au loisir !

Plus grave encore : il s'agit d'une erreur sociale. Les 35 heures, que personne ne demandait, ont certes permis à une partie de nos compatriotes de vivre mieux, ou en tout cas différemment. Elles sont apparues comme une aubaine pour des parents qui voulaient s'occuper davantage de leurs enfants, pour des salariés au niveau de rémunération élevé ou pour ceux dont les conditions de travail sont difficiles. Mais pour les autres, et notamment ceux qui se situent en bas de l'échelle des salaires... Personne ne saurait contester qu'ils ont souffert du blocage des salaires et de la perte de pouvoir d'achat qui en a résulté - car on sait que les indices des prix ne reflètent pas la réalité. Personne ne saurait contester que les négociations sur les 35 heures ont introduit modulation et annualisation du temps de travail, ce qui a considérablement réduit les heures supplémentaires, qui permettaient d'améliorer les fins de mois, et créé des horaires décalés non sans inconvénients pour nombre de familles. Personne ne saurait contester non plus que les 35 heures ont globalement dégradé les conditions de travail, en augmentant notamment l'intensité et le stress : nos compatriotes se plaignent de « faire en 35 heures ce qu'ils faisaient en 39 »... Je suis profondément convaincu que les 35 heures sont pour les riches, ou du moins pour ceux dont le pouvoir d'achat n'est pas la première des préoccupations. La réduction du temps de travail est formidable pour les cadres, pour les couples percevant deux bons salaires qui partent davantage en week-end, mais a des effets négatifs pour ceux de nos compatriotes dont les revenus avoisinent le SMIC.

La dernière erreur est la plus grave : c'est une erreur culturelle. Les 35 heures ont accrédité l'idée que l'épanouissement des individus passait avant tout par le loisir, comme si le travail était par définition facteur d'asservissement. Il n'est pas à coup sûr facteur d'épanouissement, surtout lorsqu'on répète à longueur de journée sur une chaîne de production, comme Charlot, une tâche mécanique, mais il n'est ni corvée, ni servitude. Il est dans tous les cas un facteur d'accomplissement, et un moyen de trouver sa place dans la société. Enfin, il est pour beaucoup aussi facteur de joie et de plaisirs. Pour les directeurs de ressources humaines, les avocats en droit social, qui sont au chevet quotidien des entreprises, les patrons et les salariés que j'ai consultés, les 35 heures ont provoqué une rupture culturelle manifeste. Très nombreux sont nos compatriotes qui ne font plus du travail une priorité, particulièrement chez les jeunes cadres.

Les 35 heures n'en sont pas la seule cause : avoir vu ses aînés se faire jeter comme des malpropres par leur entreprise la cinquantaine passée a dû aussi jouer un rôle ! Mais de toutes les auditions que j'ai effectuées, je retiens que nos compatriotes éprouvent un sentiment de démotivation croissant, comme si on ne croyait plus que les efforts faits dans l'entreprise seraient récompensés. Il y a quelque chose de déglingué, comme si demain devait à coup sûr être moins bon qu'aujourd'hui. D'ailleurs, les mesures des plans de sauvegarde de l'emploi, puisque tel est le nom désormais des plans sociaux, ne sont pas prisées des salariés. Proposition de reclassement ou de mutation, plan de formation... Tout cela est délaissé au profit du versement d'une indemnité de licenciement. Il serait intéressant de connaître les chiffres du ministère du travail, mais il semble que les plans de formation et de reclassement ne sont choisis que par 10 à 15 % des salariés touchés par un plan social... Cela prouve bien, en tout cas, qu'on a du mal à croire aujourd'hui à l'avenir de son entreprise ou de son emploi, et que certains préfèrent encore le non-travail.

Il faudra bien pourtant un jour mettre nos compatriotes face à leurs responsabilités : on ne peut pas travailler moins et avoir une fiche de paie supérieure aux autres pays occidentaux ! Un débat national est nécessaire. Il ne pourra être tenu à l'occasion de cette proposition de loi, mais, comme la question des retraites a été une évidence en 2002 parce qu'elle était au cœur des débats politiques, celle de la place du travail dans notre société devra être au cœur de la prochaine campagne présidentielle. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF) Il faudra bien dire à nos compatriotes qu'il ne peut y avoir de progrès social ni de mécanisme de solidarité s'il n'y a pas d'abord production de richesses et de valeur ajoutée ; qu'il ne peut y avoir d'augmentation sensible de pouvoir d'achat, comme dans les Trente glorieuses, si les salariés français ne font pas les mêmes efforts que leurs voisins. Il faudra bien relever la contradiction entre augmentation des salaires et jours de congés supplémentaires, également réclamés par tous...

Dans ce cadre, la proposition de loi de nos collègues ne bouleversera pas les choses. Elle ne mérite ni les anathèmes de la gauche, ni les excès de gloire à droite. Elle crée de la souplesse, un moyen supplémentaire pour les salariés qui le souhaitent de travailler plus, donc de gagner plus, mais seule, de toute évidence, une prise de conscience collective permettra d'améliorer réellement les choses. Les propositions de l'UDF n'ont pas changé depuis 2002 : maintenir la durée légale du travail à 35 heures, rémunérer à 125 % l'heure supplémentaire entre 35 et 39 heures et exonérer les charges sociales à due proportion pour les entreprises. On récompenserait ainsi sans mécanisme compliqué, conditionné par d'hypothétiques accords, ceux qui veulent travailler plus sans que cela coûte plus cher à l'entreprise.

L'assouplissement du compte épargne-temps, aujourd'hui peu utilisé, est le bienvenu, comme la création du régime des heures choisies. Faut-il pour autant se reporter à nouveau aux négociations entre les partenaires sociaux ? Ces assouplissements ne peuvent-ils voir le jour que si syndicats et entreprises sont prêts à en discuter ? Sachant les difficultés qu'ont connues les syndicats qui se sont engagés dans l'accord sur les retraites par exemple, on imagine mal les grandes centrales syndicales se dire prêtes à négocier... Je ne suis pas convaincu non plus que les entreprises seront prêtes à remettre leurs accords de 35 heures sur la table, avec tous les risques que cela peut entraîner sur leur équilibre global.

Par ailleurs, peu de PME, où cette souplesse serait la plus utile, ont mis en place un compte épargne-temps. Enfin, pour les entreprises qui ont passé des accords d'annualisation ou de modulation du temps de travail - soit une sur quatre - le compte épargne-temps ou les heures choisies sont presque inutiles.

La proposition prolonge de trois ans le régime des heures supplémentaires dans les entreprises de moins de 20 salariés. Est-ce juste ? Je ne le crois pas. Nous comprenons bien la logique économique de cette décision. Mais ces salariés ont déjà peu d'avantages sociaux - comité d'entreprise, prévoyance - et le paiement de leurs heures supplémentaires n'est majoré que de 10 % au lieu de 25 %. Je demande donc au Gouvernement de réfléchir, au cours de la navette, à un dispositif assurant la même bonification des heures supplémentaires quelle que soit la taille de l'entreprise. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF) Nous en proposerons un par amendement. Ce qui est souhaitable, c'est de prévoir un dispositif d'exonération des charges sociales supplémentaires pour les entreprises de moins de 20 salariés.

Le groupe UDF votera cette proposition à l'exception de son article 3, pour saluer les quelques assouplissements qu'elle introduit, sans se faire d'illusions sur sa portée économique et sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et de nombreux bancs du groupe UMP)

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail - J'apporte quelques éléments de réponse après les interventions des orateurs de chaque groupe.

S'agissant d'abord du pouvoir d'achat, que vient d'évoquer M. Morin, selon un sondage très utilisé, trois millions des salariés interrogés, et un ouvrier sur quatre, disent vouloir travailler plus. Pour beaucoup, les 35 heures ont représenté un carcan salarial. Parmi les courriers reçus après l'annonce de notre initiative, laissez-moi vous citer celui d'un ouvrier du bâtiment, qui se réjouit de retrouver les 160 € par mois dont son salaire a été amputé avec les 35 heures, dans l'espoir d'acheter enfin son pavillon.

En second lieu, comme l'ont souligné M. Novelli et M. Liebgott, il y a une grande diversité des entreprises. Selon les rapports de la commission nationale de la négociation collective, en 2003, 29 % des ouvriers de très petites entreprises ont fait plus de 130 heures supplémentaires, en fonction des commandes. Les entreprises de plus de 1 000 salariés ont plus facilement trouvé d'autres modes d'organisation grâce à l'annualisation. Mais les 5 millions de travailleurs de ces très petites entreprises représentent quand même un tiers des salariés. il faut donc trouver des réponses adaptées à la réalité des branches et des entreprises.

M. Novelli a également évoqué le partage entre la loi et l'accord, réflexion de fond qui nous renvoie aux origines de la Ve République. Le général de Gaulle souhaitait que le Parlement soit au fondement de l'ordre public et que les partenaires sociaux négocient l'essentiel du contenu de la part conventionnelle. La déclaration commune des partenaires sociaux de 2001 nous y renvoie, et on peut s'en réjouir. Le droit individuel à la formation, les négociations interprofessionnelles sur l'emploi des salariés âgés, la pénibilité du travail ou le télétravail sont autant de pistes qui peuvent ensuite être traitées dans un cadre conventionnel ou par la loi si cela s'avère nécessaire.

Enfin, M. Gremetz a demandé où en était la négociation salariale. J'observe d'abord qu'elle n'a jamais eu lieu dans un cadre interprofessionnel. Les 35 000 accords issus des lois Aubry furent conclus dans un cadre contraignant. Pour autant, la négociation salariale n'est pas en panne, que ce soit au niveau de la branche ou de l'entreprise. Pour ce qui est des branches, il y a eu, en 2003, 384 avenants salariaux aux accords en vigueur, et de ce fait, les salaires ont progressé dans 186 branches contre 154 branches en 2002. Dans les entreprises, les salariés ont bénéficié de la revalorisation du SMIC et la loi Fillon a permis de donner une nouvelle place à la négociation salariale, ce qui s'est traduit en 2003 par 5 000 accords environ. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Alain Vidalies - Et sur la fonction publique, quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Louis Giscard d'Estaing - En premier lieu, je tiens à rendre hommage au travail réalisé par la mission présidée dans un esprit ouvert par M. Ollier, et en particulier au travail considérable du rapporteur, Hervé Novelli. Je suis heureux d'y avoir contribué, comme d'autres ici, que je salue, M. Morange, M. Giro, M. Decocq, M. Robert Lamy, M. Trassy-Paillogues, Mme Brunel, M. Perruchot, qui n'ont pas compté leur temps, à la différence de certains, absents aujourd'hui d'un débat dont ils prétendent pourtant qu'il est essentiel. Les salariés apprécieront.

La mission a répondu à la question que chacun est en droit de se poser, en dehors de toute idéologie : le principal objectif assigné à la réforme emblématique de Mme Aubry, à savoir la diminution durable du chômage, a-t-il été atteint ?

Force est de reconnaître que non. Déjà, le diagnostic initial, selon lequel on résoudrait le chômage en « rationnant » le travail était très discutable. Lorsqu'elle a été auditionnée, Mme Aubry a elle-même dit que la RTT ne créait d'emploi qu'au moment du passage aux 35 heures et non chaque année. Son effet est donc purement immédiat et la remontée du chômage à partir de septembre 2001 le confirme. Ce point mérite d'être souligné, car l'opposition cherche à l'éluder.

En second lieu, aucun pays voisin, même gouverné par une majorité politique analogue à celle qui soutenait le gouvernement Jospin, n'a jugé bon d'imposer une durée hebdomadaire uniforme du travail. S'il y avait là une solution durable, pourquoi aucun d'entre eux ne nous a-t-il suivis, en particulier M. Zapatero, présenté comme le plus proche du parti socialiste français ? Sans doute ont-ils constaté que les résultats étaient insuffisants en terme de coût public, de service aux salariés et d'emplois créés.

La mission d'information a donc mis en évidence que les 35 heures n'ont pas résolu le problème du chômage et n'ont pas été imitées par nos voisins. Dès lors, il faut s'interroger sur les moyens de remédier aux conséquences de cette législation regrettable. Je voudrais évoquer deux pistes à ce sujet.

La première concerne le pouvoir d'achat résultant des majorations pour heures supplémentaires. Actuellement, la majoration entre 35 et 39 heures est de 10 % dans les entreprises de moins de 20 salariés, de 25 % au-delà. Il me semble légitime d'asseoir les cotisations sociales sur une base unique correspondant à 35 heures de travail, et d'explorer les conditions d'une éventuelle exonération de cotisations salariales des heures supplémentaires. Le salaire net des salariés travaillant 39 heures serait alors augmenté à due concurrence de cette exonération.

En second lieu, les itinérants non-cadres, qui organisent librement leur journée de travail, ont été soumis par les lois Aubry à un décompte horaire et à un contrôle constant impossible à exercer y compris par leurs employeurs. Il faudrait réintroduire pour ces salariés des conventions de forfait permettant de décompter leur temps de travail en jours, dans la limite fixée par la loi.

Voilà deux exemples de l'échec des lois Aubry. Cette proposition de loi permettra de remédier aux conséquences les plus néfastes, et j'en remercie les auteurs. C'est ainsi que l'on revalorise le travail du Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Dominique Tian - Près de sept ans après l'adoption de la loi Aubry et son très large échec en termes de création d'emplois, le débat d'aujourd'hui oppose encore les idéologues et les pragmatiques. Pourtant comment défendre une loi qui s'est révélée ruineuse pour les finances publiques - 10 milliards en 2003, selon le rapport de la DARES -, complexe et inégalitaire ?

Nous voulons aujourd'hui rompre avec cette politique technocratique et jacobine, imposée sans négociation, contre l'avis des partenaires sociaux, et qui a conduit à enfermer les entreprises dans un carcan et à réduire le pouvoir d'achat des salariés les moins payés.

Pis, cette loi inégalitaire a laissé de côté près de 40 % des salariés !

Heureusement, François Fillon avait déjà assoupli le système en permettant un plus large recours aux heures supplémentaires. Mais il fallait aller plus loin, et je salue le travail remarquable effectué par les auteurs de cette proposition de loi, en particulier M. Novelli.

Selon un sondage Louis-Harris paru récemment, près de 20 % des Français sont prêts à travailler plus pour gagner plus. Ils le pourront si cette proposition de loi est adoptée, mais seulement si les accords collectifs le prévoient. Il n'est pas question de revenir sur les 35 heures payées 39, avantage acquis auquel les Français sont très attachés...

M. Gérard Bapt - Ce n'est pas idéologique donc !

M. Dominique Tian - ...mais d'introduire plus de souplesse et de liberté dans ce dispositif.

Une des mesures phares de cette réforme est la modification de la gestion du compte épargne-temps, afin de mieux adapter le volume des heures travaillées aux souhaits des salariés et aux besoins des entreprises. La proposition tend à amplifier la monétarisation du compte épargne-temps qui conduisait précédemment à des congés obligatoires. Il faut développer cette mesure qui ne concerne aujourd'hui que 96 branches sur 240.

Par ailleurs, le texte prolonge jusqu'en 2008 le régime dérogatoire consenti aux entreprises de moins de 20 salariés.

Enfin, le travail de la commission a permis d'enrichir le texte, en prévoyant d'encourager les employeurs à abonder les heures stockées sur un CET lorsqu'elles seront transférées sur un plan d'épargne retraite, grâce à des exonérations de cotisations sociales et d'impôt sur l'abondement.

Ce texte court et compréhensible renvoie largement à la négociation collective, et je le voterai avec enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Lionnel Luca - La loi sur les 35 heures est la dernière loi sur la réglementation du temps de travail du XXe siècle, ou plutôt du XIXe, tant elle illustre une vision archaïque du temps de travail, issue d'une révolution industrielle, qui se caractérisait par la pénibilité et par l'exploitation d'une main-d'œuvre abondante, notamment celle des femmes et des enfants.

La réduction du temps de travail fut le grand combat syndical, mais aujourd'hui, les conditions de travail ne sont plus du tout comparables, ce qui n'a pas empêché la gauche la plus rétrograde d'Europe, élevée au biberon du marxisme (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), de faire des 35 heures sa ligne Maginot dans un combat d'arrière-garde désespéré. Faute d'imaginer une politique dynamique de croissance et d'emploi qui remettrait en cause ses dogmes, elle voit dans le travail un immense gâteau dont il suffirait d'amoindrir les parts pour nourrir tout le monde.

En imposant les 35 heures sans aucun dialogue avec le monde du travail, la gauche a cassé la reprise. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Alors que la croissance économique mondiale se généralisait de 1998 à 2001, celle de la France s'essoufflait dès la fin de 2000 pour devenir anorexique en 2001 et 2002, réduisant en poussière les efforts de compétitivité du gouvernement Juppé.

Avec les 35 heures, vous êtes responsables de la stagnation économique qu'a trouvée à son arrivée le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. Grâce à une politique volontariste et à l'assouplissement, dès 2003, de la réglementation du temps de travail, la France a retrouvé le chemin de la croissance en 2004.

Avec les 35 heures, la gauche a favorisé le grand patronat et les grandes entreprises, qui ont pu moduler la semaine de travail et réintroduire le travail le dimanche, ce dans la mesure où elle a allégé les charges sociales induites, ce qui coûtera aux contribuables 15 milliards cette année !

Enfin, les 35 heures ont trop souvent encouragé le travail au noir, et incité aux délocalisations.

Les 35 heures n'ont pas répondu à vos espérances ! Selon l'OCDE, c'est en France et en Allemagne que l'on travaille le moins, mais où l'on a le plus fort taux de chômage, ce qui prouve bien que le concept de partage du temps de travail est absurde, à la limite de l'indigence intellectuelle ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) C'est si vrai qu'aucun pays ne nous a suivis dans cette voie, pas même ceux dirigés par vos amis de l'Internationale socialiste !

Au-delà, c'est le concept même de réglementation du temps de travail qui est obsolète, et la Grande-Bretagne de votre ami Tony Blair l'a bien compris. Les Britanniques ne se plaignent pas de travailler plus et de gagner plus, eux qui viennent racheter en France le patrimoine de nos concitoyens !

Dans quelques années, ce débat apparaîtra aussi surréaliste et dépassé qu'un débat sur le contrôle des prix. Avec ce texte, nous allons faire savoir au monde que la France qui travaille, se bat et gagne, est de retour ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Alain Vidalies - Au moment où la France compte de plus en plus de demandeurs d'emplois et de salariés à temps partiel subi, vous augmentez le volume d'heures supplémentaires et en réduisez la rémunération. Les travailleurs comprendront vite que vous les avez abandonnés à leur triste sort et que vos promesses sont mensongères.

Déjà, vous avez augmenté à trois reprises le contingent d'heures supplémentaires, pour arriver à 220 heures aujourd'hui, alors que la moyenne utilisée par les entreprises est de 59 heures.

Vous avez élargi le nombre de salariés dont le temps de travail peut être comptabilisé en forfait jours, vous avez réduit le droit au repos compensateur, vous avez supprimé un jour férié, et vous avez augmenté le temps de travail effectif en en modifiant la définition.

Pour quels résultats ? Deux cent mille chômeurs de plus en deux ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Vous avez démantelé le code du travail en facilitant les licenciements et en remettant en question la hiérarchie des normes. Votre bilan est donc déjà lourd, mais le pire peut toujours arriver puisque, dans cette proposition, vous transgressez un des principes fondamentaux du droit du travail en autorisant un accord direct entre le salarié et l'employeur, pour contourner la loi et la convention collective. Comme si le salarié d'une petite entreprise à qui son employeur demande de renoncer à dix jours de repos avait la possibilité de refuser ! Vous ouvrez ainsi une brèche dans le droit du travail qui, reconnaissant un lien de subordination entre le salarié et l'employeur, garantissait la protection du salarié par la loi et la convention collective. Comme vous parlez aussi de « simplifier le code du travail », vous comprendrez nos inquiétudes : il risque de ressembler de plus en plus au code civil.

Dans cette besogne, vous avez le sens de la formule. Après : « Travailler plus pour gagner plus », voici « le temps choisi »... Il faut, je le reconnais, une grande imagination pour voir dans le recours croissant aux heures supplémentaires un cheminement harmonieux vers le temps choisi.

Alors que vous n'avez cessé de critiquer la généralisation des 35 heures par les lois Aubry, vous n'hésitez pas à inscrire cette proposition à notre ordre du jour sans avoir consulté les partenaires sociaux. La démonstration de M. Novelli était à cet égard singulière : vous nous donnez des leçons sur la négociation sociale quand, justement, vous ignorez les partenaires sociaux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Depuis le temps que vous attribuez aux 35 heures la responsabilité de tous les maux, et surtout de tous vos échecs, on se demande pourquoi vous ne les supprimez pas. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste) Il suffirait de revenir aux 39 heures. Or, vous ne pouvez vous engager sur cette voie, car vous savez que le chômage augmenterait encore. La maîtrise du temps de travail, en effet, est un passage obligé pour toute véritable politique de lutte contre le chômage.

La France n'est pas un pays qui s'appauvrit, mais qui s'enrichit. Depuis vingt ans, exception faite de l'année 1993, la croissance est au rendez-vous. Pourtant, jusqu'à la mise en œuvre des 35 heures, le chômage de masse n'a cessé de croître. Seule la réduction du temps de travail permet une juste répartition des gains de productivité (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste). Vous répondrez en citant des pays aux taux de chômage exemplaires, qui n'ont pas réduit le temps de travail. Mais ces taux sont des leurres. Il est facile d'afficher 3 à 5 % de chômage quand 26 % des salariés travaillent à temps partiel au Japon, 23,3 % au Royaume uni et 30 % aux Pays-Bas. Si vous alignez la France sur eux, vous disposerez de statistiques du chômage flatteuses, mais vous n'aurez fait que créer des millions de travailleurs pauvres. Les loyers, les factures, en effet, ne sont jamais partiels. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Tout cela est donc d'une formidable hypocrisie.

C'est pour éviter une telle évolution que nous avons choisi la réduction du temps de travail, qui reste un excellent moyen de créer des emplois et de ranimer le dialogue social. Entre 1995 et 1998, sur un million d'emplois créés, 900 000 étaient à temps partiel. Nous avons préféré une réduction du temps de travail collective et négociée à une évolution individuelle et imposée. Vous avez été obligés de reconnaître qu'elle avait créé 350 000 emplois.

M. Patrick Ollier - Et non 700 000 !

M. Alain Vidalies - Votre bilan est désastreux et les Français l'ont sanctionné à toutes les consultations électorales de 2004. Vous n'en avez tenu aucun compte et vous poursuivez, avec cette proposition, votre fuite en avant. L'emploi n'est plus pour vous une priorité. Si, demain, la croissance est au rendez-vous, les entreprises pourront recourir aux heures supplémentaires au lieu d'embaucher. C'est un non-sens économique en même temps qu'une régression sociale.

Le cumul des heures travaillées, en effet, est mauvais pour la santé des travailleurs. Il est extraordinaire qu'en 2005, on propose que l'employeur puisse alimenter le compte épargne-temps de sa seule initiative, au lieu de rémunérer les heures supplémentaires. Ce n'est pas « travailler plus pour gagner plus », mais « faire des heures pour du beurre ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Ce texte révèle une vision très singulière du rôle du Parlement. Il n'est pas acceptable que le président du Medef revendique la paternité de votre proposition. C'est pourtant ce qu'il fait dans un entretien au journal Les Echos du 18 janvier : « Les Français n'ont pas de doute. Selon un sondage que nous avons fait réaliser, 8 % d'entre eux estiment que l'UMP est l'origine du texte, 30 % que c'est le Gouvernement et 38 %, le Medef. » M. Seillière a raison, les Français sont lucides, mais ce sont l'UMP et le Gouvernement qui devront rendre compte de leur bilan.

Cette proposition ne répond à aucune attente réelle des PME, dont vous vous autoproclamez pourtant les porte-parole. Dans l'enquête de conjoncture publiée en janvier 2005 par la Banque de développement des PME, on lit que « le manque de fermeté de la demande est perçu comme le principal frein à l'investissement, selon 69 % des dirigeants interrogés en novembre 2004. » Or, c'est bien votre politique qui a restreint la demande, en encourageant l'épargne plus que la consommation. J'ai entendu l'un d'entre vous parler de hausse des salaires. En janvier 2005, compte tenu de vos décisions sur la CSG et la CRDS, les Français ont vu que leur salaire net avait diminué. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Enfin, il ne me paraît pas pensable que ni le Gouvernement, ni le groupe UMP ne s'expriment sur l'objectif affiché de M. Sarkozy, la remise en question des 35 heures dans la fonction publique. Vous avez porté le débat sur la place publique, il serait étrange que vous ne vous exprimiez pas à l'Assemblée nationale. Monsieur le ministre délégué, nous attendons votre réponse.

Pour notre part, nous sommes attachés aux 35 heures, que nous défendrons samedi avec les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Maurice Giro - Je comprends mal que l'opposition parle de « régression sociale » à propos d'un texte qui donne aux salariés la possibilité d'effectuer des heures choisies. (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Cette proposition assouplit les conditions d'utilisation du compte épargne-temps. Elle tend par ailleurs à proroger de trois ans le régime dérogatoire des petites entreprises.

Vous pensez qu'on peut gagner plus en travaillant moins. Nous pensons au contraire que, dans un environnement européen et mondial marqué par les délocalisations, il faudra travailler plus pour gagner plus. Nous n'avons pas peur de dire que la prospérité d'une société de services dépend de notre volonté de travailler davantage et en plus grand nombre. Cela deviendra même un impératif, compte tenu de l'évolution démographique.

Il n'est pas inutile de rappeler que certains, au lendemain d'une défaite électorale, ont reconnu que les 35 heures étaient « un ratage » et « une erreur ». Tout le monde n'a pas profité de la réduction du temps de travail. Les lois Aubry n'ont pas permis d'améliorer l'emploi. Elles ont porté durablement atteinte aux ressorts de notre développement. Elles ont tiré vers le bas les revenus du travail.

Ces lois, en outre, ne laissaient aucune liberté de choix. Or un salarié sur cinq et un ouvrier sur quatre souhaitent travailler plus pour améliorer leur pouvoir d'achat. A quel titre pourrait-on le leur interdire ?

Notre réforme permet par ailleurs à ceux qui le souhaitent de conserver leur temps de travail. M. Le Garrec est parti, ce qui est dommage. J'ai cru hier qu'il allait nous faire le coup du « monopole du cœur » appliqué à l'entreprise, mais à l'UMP, il y a aussi des élus qui connaissent l'entreprise et qui s'y impliquent, avec le souci de préserver des emplois et l'ambition d'en créer ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP) Tous les entrepreneurs que j'ai interrogés, si divers que soit leur établissement, ont insisté sur la nécessité de libérer le travail et d'assouplir les contraintes qui pèsent actuellement sur les heures supplémentaires.

La présente proposition de loi est donc très attendue. Vous êtes gênés, Mesdames et Messieurs de l'opposition, car tout en apportant des solutions aux salariés comme aux entrepreneurs, nous n'abrogeons pas la loi sur les 35 heures. Aussi cachez-vous que seuls les salariés désireux de travailler plus pour gagner plus sont ici visés et que les salariés qui estiment travailler assez pourront rester au régime actuel. Vous cachez aussi que ce texte apportera des solutions aux employeurs, qui pourront, grâce au quota d'heures supplémentaires, faire appel à des volontaires pour travailler plus afin par exemple de répondre à une commande urgente et ainsi ne pas perdre un client.

Nous sommes quant à nous fiers de voter cette proposition de loi qui apporte des réponses à la France qui travaille ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Roland Chassain - J'ai lu avec beaucoup d'attention le rapport présenté par M. Novelli au nom de la mission d'information sur l'évaluation des conséquences économiques et sociales de la législation sur le temps de travail. Le constat est amer : 50 % des entreprises ayant appliqué les 35 heures déclarent que celles-ci on eu un impact économique et financier négatif ; 20 % des entreprises ont gelé les embauches, 25 % ont bloqué les salaires et seulement 30 % ont recruté, en faible proportion. Enfin, 70 % des entreprises souhaitent une réforme plus ambitieuse que celle de la loi Fillon et 80 % des entreprises qui ne sont pas encore passées aux 35 heures souhaitent ne pas y être obligées.

Comme le disait Laurent Fabius lui-même le 19 mai 1999 à propos de la loi sur les 35 heures : « il serait mauvais d'imposer des dispositions couperets. Veillons à éviter de surcharger les entreprises, ce qui serait contreproductif ». De fait, depuis la réforme des 35 heures, chaque jour qui passe voit notre pays perdre des parts de marché, notre économie se dégrader et les Français s'appauvrir.

Heureusement, avec la première correction apportée par les lois Fillon et récemment encore avec l'extension du contingent d'heures supplémentaires, nous sommes parvenus à réduire partiellement l'impact négatif des lois Aubry. Mais ces mesures restent insuffisantes et les délocalisations se poursuivent. Dans ma circonscription, c'est l'usine Lustucru-Riz qui disparaît au profit de centres de production extérieurs, où le coût de la main-d'œuvre est moins élevé et le temps de travail plus long. Chaque jour, nous apprenons un nouveau chantage à la délocalisation, conséquence directe des 35 heures.

Et vous connaissez comme moi les résultats dramatiques de cette réforme sur la qualité du service public, notamment en milieu hospitalier. Oui, nous devons aussi nous préoccuper du temps de travail dans la fonction publique !

Nous avons le devoir d'informer les Français sur le coût des 35 heures dans le secteur public. Comment laisser les présidents socialistes de régions et de départements justifier leurs hausses d'impôts par la décentralisation, alors qu'en réalité ils font payer à leurs administrés le coût de leurs promesses et celui des 35 heures, qui représente dans les collectivités près de 20 % de la masse salariale ?

Dans le secteur touristique comme dans de nombreux secteurs économiques, la réforme est totalement inapplicable. Il existe des métiers, comme l'hôtellerie traditionnelle ou de plein air, la restauration, la conserverie ou la confiserie, pour lesquels seul l'aménagement du temps de travail permet d'honorer les commandes. Dans les secteurs où le service du client est le gage de la réussite, il n'est pas possible d'organiser son activité en fonction d'horaires figés. D'autant que toutes les études - ainsi que le témoignage du président Daguin - montrent qu'en définitive la RTT n'a pas apporté de surcroît de l'activité touristique. Pour accroître ses loisirs, il ne suffit pas en effet d'avoir du temps, il faut aussi de l'argent ! Or, les 35 heures ont figé durablement les revenus des Français.

Nous devons maintenant favoriser la négociation par entreprise et par branche, car le temps de travail ne doit pas être fixé de façon arbitraire par la loi mais adapté à la taille de l'entreprise et à chaque type d'activité. Dans ma commune, aux Saintes-Maries-de-la-Mer, capitale de la Camargue, où le tourisme représente 95 % de l'activité, il faudrait pouvoir moduler librement les horaires avec une activité forte en été et réduite en hiver. Une telle souplesse doit pouvoir s'appliquer à d'autres branches afin de réduire le nombre d'emplois saisonniers ou les CDD au profit de CDI modulables.

Je souhaite aussi que le Gouvernement réfléchisse à une « RTTH » - réduction du temps de travail humanitaire - c'est-à-dire à l'affectation d'une partie des RTT à l'action humanitaire ou à l'économie solidaire, par une contribution croisée de l'employeur, de l'Etat et du salarié.

En juin 2002, nous avons été élus sur des engagements, dont la réforme de la loi sur les 35 heures faisait partie. Notre devoir est de les tenir sans nous laisser impressionner par quelques leaders syndicaux qui représentent en France moins de 10 % des salariés. Travailler plus pour gagner plus, ce n'est pas un slogan mais bien une nécessité pour beaucoup de nos concitoyens. C'est la raison pour laquelle je vous invite tous à adopter ce texte, qui est juste et équilibré, même si, comme certains de mes collègues, j'eusse aimé qu'il aille encore plus loin. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Chantal Brunel - Les 35 heures sont un acquis social, en particulier pour les femmes, qui peuvent ainsi mieux concilier vie privée et vie professionnelle. Cet acquis social a été également apprécié par un certain nombre de cadres.

Mais si les 35 heures ont permis à certains de trouver une meilleure harmonie entre travail et vie privée, les inconvénients de cette réforme ont été majeurs au niveau national.

L'attractivité de notre pays a été détériorée. Aujourd'hui, nous avons souvent à l'étranger l'image d'un pays paresseux. Nous sommes de fait l'un de ceux où le nombre d'heures travaillées au cours d'une vie professionnelle est le plus faible. La conséquence est évidente : les entreprises et les salariés paient plus de charges, puisqu'il faut financer ceux qui ne travaillent pas.

Les 35 heures ont un coût financier très lourd pour notre pays. Le budget qui leur est consacré est supérieur à celui de la recherche. Nous dépensons donc plus pour travailler moins que pour construire l'avenir de notre pays.

Le prix de nos produits a augmenté et notre compétitivité à l'exportation s'est détériorée.

Les 35 heures ont d'autre part renforcé les inégalités entre les entreprises, en particulier entre celles de moins de 20 salariés, qui sont restées aux 39 heures, et les grandes, qui ont négocié des contreparties - modulation, durée plus longue d'utilisation des machines, travail le samedi, voire le dimanche. Les entreprises qui ont le plus souffert des 35 heures sont les entreprises de taille moyenne, qui ont perdu de la souplesse et de la réactivité, qualités qui étaient auparavant leur principal atout face à la concurrence.

Autre inconvénient majeur : les 35 heures ont accéléré les délocalisations. L'impact de celles-ci est d'ailleurs mal estimé car si le transfert d'une usine se voit et se mesure, on ne peut en dire autant des innombrables contrats de sous-traitance partielle ou totale, des « joint-ventures », des achats de prestations à l'étranger...

Dernier inconvénient mais non des moindres : la baisse du pouvoir d'achat de certains salariés.

Cette proposition de loi, qui donne la possibilité aux branches ou à l'entreprise de négocier des heures supplémentaires au-delà des 220 heures annuelles, dans la limite de 48 heures par semaine, ouvre des voies d'assouplissement du temps de travail. Mais tout cela demandera du temps, car la proposition de loi renvoie à la négociation.

Par ailleurs, je ne suis pas sûre que les entreprises petites et moyennes, qui ont souvent vécu les premières négociations de la loi Aubry comme un traumatisme, soient prêtes à affronter de nouvelles négociations. Je suis convaincue également que les plus grandes vont rechigner à remettre en cause des accords qui ont demandé beaucoup de temps et qui ont souvent suscité des tensions. Des habitudes ont été prises. En cas de surcharge de travail, le recours à l'intérim, la sous-traitance en France et à l'étranger sont devenus la règle.

Quant au compte épargne-temps, les mesures proposées sont bonnes mais attention de ne pas créer de nouvelles complexités à un moment où l'on s'attache, à juste titre, à simplifier les démarches des entreprises. Et que deviendra ce compte en cas de défaillance de l'entreprise ?

Je voterai bien sûr cette proposition de loi, mais avec le sentiment qu'elle vient peut-être trop tard, déjà presque sept ans après la loi Aubry I. Libérer le temps de travail autorisé répond à une attente, mais les énergies seront-elles au rendez-vous pour recommencer les négociations ? Un an après le début de l'application de cette loi, il me paraîtrait donc nécessaire d'en dresser un bilan : j'ai déposé un amendement en ce sens car la représentation nationale et les Français doivent connaître l'impact des nouvelles mesures (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Elisabeth Guigou - Idéologie : « pensée détachée du réel, qui se développe abstraitement sur ses propres données », nous dit le dictionnaire.

M. Philippe Auberger - C'est pour Mme Aubry !

Mme Elisabeth Guigou - Vous agissez par idéologie, sans répondre à des besoins économiques ou sociaux réels. En effet ce texte n'améliorera ni la situation économique de notre pays ni celle de nos entreprises ; il n'augmentera ni le pouvoir d'achat ni la liberté de choix des travailleurs ; enfin il va aggraver les désordres du monde du travail en le rendant encore plus dur et inégalitaire.

D'un point de vue macroéconomique, ce qui compte, c'est le nombre d'heures travaillées, leur productivité et le nombre de créations d'emplois. Or jamais les Français n'ont autant travaillé qu'en 2000, avec 27 milliards d'heures travaillées, grâce notamment aux 350 000 emplois créés par les 35 heures. Depuis 2002, le nombre des heures travaillées a diminué d'un milliard, en raison de l'augmentation du chômage - 200 000 chômeurs de plus - et de la destruction nette d'emplois - 40 000 emplois de moins. Honorer la valeur « travail », pour nous, c'est avant tout donner du travail au maximum de personnes ; or aujourd'hui, les Français travaillent moins. Depuis bientôt trois ans, vous vous êtes en effet trompés de politique économique, au détriment de la croissance et de l'emploi. Quand il y a 2,5 millions de chômeurs, est-il responsable d'inciter les chefs d'entreprise à recourir aux heures supplémentaires plutôt que d'embaucher ?

La productivité de l'heure travaillée - et donc notre compétitivité internationale - n'a jamais autant progressé que sous le gouvernement Jospin, où elle a augmenté de 3 % par an, contre 0,7 % depuis 2002 ; nous étions à l'époque aux tout premiers rangs dans le monde, et au premier rang européen, car travailler moins, c'est aussi travailler mieux.

D'un point de vue microéconomique, les entreprises françaises ont-elles besoin d'heures supplémentaires ? Certaines oui, dans certains secteurs et à certaines périodes ; et c'est pourquoi les lois Aubry offraient de la souplesse, à travers un contingent d'heures supplémentaires à la rémunération majorée, une définition annuelle du temps de travail et un relèvement du contingent d'heures supplémentaires pour les PME.

Il est vrai que des goulots d'étranglement demeurent dans certains secteurs et qu'il reste des problèmes à résoudre. Nous ne l'avons jamais nié. Comment une réforme aussi innovante pourrait-elle ne pas nécessiter quelques adaptations ? Le problème, c'est que vous n'adaptez pas les 35 heures ; de fait, vous les abrogez ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Les problèmes sectoriels sont bien souvent liés à la faible attractivité des emplois, du fait de mauvaises conditions de rémunération et de travail. Au lieu de revaloriser ces emplois, vous aggravez les difficultés de recrutement en stoppant le passage aux 35 heures et en instituant durablement une France du travail à deux vitesses : celle des moyennes et grandes entreprises, passée aux 35 heures, et la France des PME, toujours aux 39 heures, avec des heures supplémentaires très faiblement majorées.

Cette situation, très injuste au regard du principe « à travail égal, salaire égal », avait été tolérée par le Conseil constitutionnel à titre transitoire, mais vous la pérennisez jusqu'en 2008, et vous relevez le contingent légal des heures supplémentaires jusqu'à 220 heures par an ! Ce faisant, vous battez en brèche un principe constitutionnel, ce qui a conduit Jean Le Garrec à défendre avec talent une exception d'irrecevabilité. De surcroît, cette mesure trop systématique, trop idéologique, n'est pas adaptée aux besoins des entreprises (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Qu'observe-t-on en effet ? En 2003, les entreprises n'ont utilisé le supplément qu'à hauteur de 59 heures supplémentaires en moyenne. Seules 31 branches, sur 274, ont négocié des accords en ce sens, et bien souvent, les partenaires ont signé des accords de passage aux 35 heures « gagnants-gagnants » qu'ils n'ont pas du tout envie de défaire.

M. Hervé Mariton - Alors ils ne les déferont pas ! Que craignez-vous donc ?

Mme Elisabeth Guigou - Deuxième point de mon propos : mettre fin aux 35 heures ne va augmenter ni le pouvoir d'achat des salariés ni leur liberté de choix.

« Permettre aux salariés de gagner plus s'ils le veulent », dites-vous : laissez-moi vous dire, comme François Chérèque, que c'est un mensonge ! Les salariés vont désormais être contraints de travailler plus, pour une majoration de salaire moindre.

M. Hervé Novelli - C'est faux !

Mme Elisabeth Guigou - Vous offrez en effet aux employeurs la possibilité de stocker d'autorité les heures supplémentaires effectuées par leurs salariés dans leur compte épargne-temps. Les salariés ne pourront plus refuser d'effectuer des heures supplémentaires sans s'exposer à un licenciement pour faute grave. Comment oser parler, dès lors, de « temps choisi »?

M. Patrick Ollier - Vous mélangez tout !

Mme Elisabeth Guigou - Ces heures supplémentaires stockées dans le compte épargne-temps pourront être transformées en rémunération immédiate, sans garantie de majoration. Les salariés des très petites entreprises sont encore moins bien lotis.

Bref, tout est fait pour que les heures supplémentaires soient des heures normales, imposées et payées comme les autres. Leur dénaturation rend caduque la durée légale du travail, dont la fonction première est de fixer dans la loi le seuil de déclenchement des heures supplémentaires et des majorations de rémunération qui leur sont associées. Vous supprimez, sans le dire, la durée légale du travail et vous faites travailler plus pour gagner moins.

M. Hervé Novelli - Vous avez commencé avec les entreprises de moins de 20 salariés !

Mme Elisabeth Guigou - Enfin, cette déréglementation va aggraver encore les désordres du travail.

L'abrogation de fait des 35 heures est dangereuse pour les salariés, qui tous expriment un besoin de régulation et de sécurisation de leurs parcours professionnels. La loi n'offre plus aucune garantie : elle renvoie aux négociations de branche, et même d'entreprise, niveau où le rapport de force est très favorable aux employeurs. Vous ouvrez même la porte, dans les entreprises de moins de 20 salariés, à la négociation individuelle du temps de travail, chaque salarié se retrouvant seul face à son patron : c'est une régression sociale sans équivalent. Quand il y a 2,5 millions de chômeurs, qui nous fera croire que les travailleurs pourront négocier ? Les chantages aux délocalisations sont déjà très efficaces, comme le démontrent les accords qui viennent d'être signés chez Bosch, avec 36 heures payées 35, et chez Arcelor, avec 37,5 heures payées 35.

Le développement d'un chômage de masse a détérioré les conditions de travail des salariés, les contre-pouvoirs dans l'entreprise se sont affaiblis, la précarité a progressé. Cette insécurité sociale nourrit l'individualisme et mine la cohésion sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), elle est inefficace économiquement et explosive d'un point de vue politique et social. L'éclatement de la durée du travail que vous nous proposez ici ne peut qu'aggraver la situation.

Depuis trois ans, vous rendez les 35 heures responsables de tout ce qui ne va pas dans notre pays. Sans oser les supprimer ouvertement, vous organisez leur contournement systématique par une supercherie. En allant contre la baisse séculaire du temps de travail, vous commettez un grave contresens historique, et vous ignorez le besoin d'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Vous alimentez, ce faisant, une crise de confiance sans précédent (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Hervé Mariton - En siégeant un mercredi matin, ce qui est rare, notre assemblée témoigne de son engagement en faveur d'une réforme de l'organisation du temps de travail... Ce faisant, elle donne l'exemple.

Les orateurs de l'opposition prétendent que nous sommes en train de commettre une erreur manifeste mais, pour leur part, ils ont énoncé un certain nombre de contre-vérités.

« Recul de 70 ans dans la législation du travail », nous a dit notre collègue Bocquet. A ce point d'excès, qui le croira ?

M. Gorce a expliqué que ce texte suscitait la critique de tous les acteurs syndicaux. Pourtant, je ne crois pas que la CGC participe au mouvement du 5 février (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste). Chers collègues, nous dirons à la CGC que ses prises de position déclenchent votre hilarité (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Martine Aubry nous a expliqué que grâce aux 35 heures, le chômage avait cessé d'augmenter, et même commencé de décroître. Le problème, c'est que dès 2001, il a recommencé à augmenter...

Notre collègue Gorce nous a aussi expliqué que nous allions engendrer des inégalités. Mais qui a engendré des inégalités en matière de SMIC, qu'il nous revient de corriger depuis deux ans ?

François Hollande nous a dit qu'il n'y avait plus d'heures supplémentaires à faire dans les entreprises françaises. Si c'est le cas, elles ne se feront pas, mais nous sommes moins pessimistes que lui sur l'avenir de notre économie.

Au total donc, les critiques de Dominique Strauss-Kahn et de Laurent Fabius dirigées contre un système trop rigide semblent maintenant bien oubliées ! Et si l'on veut trouver une appréciation plus juste des choses, c'est en fait du côté d'Arlette Laguiller qu'on la trouvera ! Le 31 janvier dernier, ne déclarait-elle pas : « le Gouvernement octroie la liberté de travailler plus pour gagner plus » ? Enfin, quelqu'un à gauche prend acte de notre objectif essentiel ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste)

Plusieurs députés socialistes - L'UMP citant Lutte ouvrière, le fait est rare !

M. Hervé Mariton - Nous avons la conviction qu'il faut redonner sa place à la valeur travail et notre approche est pragmatique. Si 77 % des salariés déclarent vouloir conserver leur temps de travail, il faut également répondre aux souhaits de ceux qui veulent travailler plus. Prenons garde de ne pas décevoir...

Plusieurs députés socialistes - Il faut aller encore plus loin ! Pourquoi pas la semaine de 48 heures ?

M. Hervé Mariton - La mise en œuvre de cette réforme doit être simple et efficace. Les entreprises ne veulent pas remettre sur le métier l'organisation du temps de travail, qui leur a déjà tant coûté à mettre en place. Nous ne pouvons pas décevoir les 23 % de ceux qui veulent travailler plus car, enfin, à mesure que la vie progresse, ceux qui veulent travailler moins aujourd'hui voudront peut-être travailler plus demain ! Ces 23 % nous pouvons donc les multiplier !

Un député UMP - Il a raison !

M. Hervé Mariton - L'assouplissement de l'utilisation du compte épargne-temps, les heures supplémentaires choisies au-delà du contingent légal, le maintien du régime dérogatoire pour les petites entreprises permettront effectivement à ceux qui veulent travailler plus de gagner plus. Cette réforme sera utile, c'est tout ce que je lui souhaite ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Christian Estrosi - Lorsque M. Jospin, Mme Guigou et Mme Aubry ont décidé d'instaurer la semaine des 35 heures de façon dogmatique et autocratique, les Français ont assisté, impuissants, à la naissance d'un véritable mirage. Ce mirage a d'abord été économique : les partisans de la réduction du temps de travail annonçaient un million et demi de nouveaux emplois..

M. Jean Le Garrec - C'est faux !

M. Christian Estrosi - 350 000 emplois au mieux ont été créés ou préservés. L'Etat a dépensé 15 milliards d'euros tous les ans pour financer les 35 heures, soit autant que le déficit de la sécurité sociale en 2004,...

Mme Elisabeth Guigou - C'est encore faux !

M. Christian Estrosi - ...pour empêcher les Français de travailler et nuire à la compétitivité de nos entreprises ! Quel comble pour une réforme dont l'objet était de créer des emplois ! Avec ce dispositif, notre économie est devenue la risée de nos partenaires européens. Ce sont les pays qui travaillent le plus qui connaissent les taux de chômage les plus bas, et non l'inverse !

Que Mme Guigou arrête de tenir un double langage ! Dimanche dernier, lors de son « grand retour »...

Un député UMP - Ah, elle était donc partie !

M. Christian Estrosi - ...elle a affirmé devant les Français qu'il ne faut pas se crisper sur les acquis sociaux et qu'on doit tenir compte de l'évolution du travail. Elle ne tient pas le même discours à l'Assemblée. Quelle duplicité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; vives protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Yves Durand - C'est d'une élégance !

M. Christian Estrosi - Conservons la durée légale de 35 heures tout en permettant, par la négociation collective, de fixer une durée conventionnelle du travail et réaffirmons la valeur du travail pour gommer les méfaits des lois Aubry et le mirage d'une réforme sociale juste !

Je rends hommage à MM. Ollier, Morange, Novelli, Dubernard et au Gouvernement d'avoir porté cette réforme dont les avancées doivent être étendues à l'ensemble des fonctionnaires. Par souci d'équité, il faut leur proposer de bénéficier, comme dans le privé, des assouplissements du compte épargne-temps, de la possibilité d'effectuer des heures choisies au-delà du contingent annuel d'heures supplémentaires...

Plusieurs députés socialistes - Ce que Sarkozy veut...

M. Christian Estrosi - Les agents du conseil général des Alpes-Maritimes m'ont alerté : un grand nombre d'entre eux sont exclus du dispositif des heures supplémentaires. Les exemples sont légion : les rédacteurs au-delà du septième échelon, les techniciens supérieurs au-delà du cinquième échelon ainsi que tous les techniciens supérieurs principaux et enfin les assistants socio-éducatifs au-delà du troisième échelon. Seuls les agents de catégorie C ou de catégorie B ayant un indice brut inférieur à 380 peuvent en profiter. Ces fonctionnaires territoriaux, au service de l'intérêt public, défendent leur territoire avec ténacité aux côtés des élus locaux. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Je propose donc d'augmenter le quota d'heures supplémentaires au delà des 25 heures mensuelles et de l'annualiser pour tenir compte des activités saisonnières ou liées à des tâches administratives exceptionnelles et limitées dans le temps, de revaloriser le plafond, voire de le supprimer.

Par ailleurs, dans la fonction publique d'Etat, la durée du compte épargne-temps, le CET, est de dix ans, contre cinq ans seulement dans la fonction publique territoriale. Un salarié peut verser au maximum vingt-cinq jours par an sur le compte épargne-temps dans la fonction publique comme dans le secteur privé. Sur ce terrain, il faut aller plus loin que la proposition de loi et supprimer toute limite de durée du compte épargne-temps ainsi qu'augmenter le nombre de jours pouvant être versés chaque année sur le CET. Dans les collectivités locales, ce nombre pourrait être fixé par délibération de l'assemblée. Ces jours CET pourraient être réglés sous forme de supplément de traitement lors du départ à la retraite de l'agent, à l'issue d'une période intermédiaire à définir, ou encore pour conforter financièrement un projet personnel.

Il était important que je défende le statut des fonctionnaires territoriaux qui veulent travailler plus et gagner plus. On leur donne trop rarement la parole et ils espèrent aujourd'hui que le Gouvernement saura les écouter : ils méritent d'être mieux rétribués, grâce à une rémunération au mérite. Messieurs les ministres, ne les décevez pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Daniel Poulou - Tant de choses ont déjà été dites, avec tant de talent, que je m'en tiendrai à rappeler l'incidence des 35 heures sur les petites et moyennes entreprises, primordiales dans notre économie. La gauche socialiste a voulu faire de la réduction du temps de travail un vecteur de progrès social et un moyen de créer des emplois.

M. Michel Vergnier - Elle a réussi !

M. Daniel Poulou - En réalité, les 35 heures ont multiplié rigidités et complexités, grevé les budgets et mis en danger la compétitivité de nos entreprises. Elles ont coûté 11 milliards à l'Etat en 2004. Bref, c'est une charge insupportable, et en voulant les imposer comme règle universelle, la gauche socialiste a institué une nouvelle exception française, lourde de conséquences pour notre économie et pour le pouvoir d'achat des salariés.

M. Michel Vergnier - Parlez-nous du tourisme !

M. Daniel Poulou - Sans demander à renoncer à ce qui est considéré aujourd'hui comme acquis, nos entrepreneurs souhaitent plus de liberté et de flexibilité dans l'organisation du travail, pour redevenir concurrentiels. Ils demandent plus de confiance dans les entreprises, qui se battent pour leurs parts de marché, mais aussi pour maintenir l'emploi de leurs salariés, les former et améliorer leur rémunération.

L'article 3 de la proposition de loi reconduit jusqu'au 31 décembre 2008 le régime transitoire applicable aux entreprises de moins de 20 salariés, assujetties à la durée légale des 35 heures depuis le 1er janvier 2002. Je regrette que ce dispositif ne soit pas définitivement adopté pour ces entreprises, voire étendu à l'ensemble des autres. Nous ne sommes pas encore allés assez loin dans la réforme. En attendant, je remercie MM. Ollier, Novelli et Morange d'avoir eu le courage de proposer ce texte, ainsi que le Gouvernement qui a accepté de l'examiner. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Claude Guibal - Martine Aubry, ministre du travail, s'est crue vers la fin des années 1990 revenue au temps du Front populaire.

Mme Elisabeth Guigou - Quel sens de la nuance !

M. Jean-Claude Guibal - Mais depuis cette époque, le monde a changé. L'économie est globalisée, soumise aux lois du marché. Les entreprises, mais aussi les nations sont condamnées à être compétitives. Le travail est de ce point de vue un facteur essentiel. Le contingenter, c'est poser le postulat que la France met davantage de capital que les autres pays développés à la disposition de ses salariés et que ceux-ci sont plus intelligents, mieux formés et plus productifs. Bel hommage, mais aussi aveuglement, ou prétention ? Notre capacité à créer des richesses, et donc à les partager, en est atteinte.

Contingenter le travail pour lutter contre le chômage, c'est aussi considérer que le travail est une quantité fixe, un stock dont chacun doit avoir une part. Mais l'observation des mécanismes économiques suffit à démontrer que c'est le travail qui crée le travail !

Dans le monde d'aujourd'hui, beaucoup aspirent à plus de temps libre, mais les mêmes souhaitent aussi une augmentation de leur pouvoir d'achat pour financer leurs loisirs ! Or, si les lois Aubry ont accru le temps libre, elles ont réduit ce pouvoir d'achat, et en particulier celui des plus modestes. Au total, les 35 heures ont coupé la croissance, pénalisé l'emploi et aggravé les inégalités. Il faut en corriger les conséquences les plus négatives, assouplir ce dispositif rigide et uniforme et l'adapter aux exigences de l'économie de marché en même temps qu'à celles de l'équité sociale. Pour cela, il faut d'abord permettre aux entreprises et aux salariés qui le souhaitent de travailler plus, et laisser un plus large choix entre le temps épargné et le temps rémunéré, ainsi qu'entre les différentes modalités d'organisation du temps de travail. Il faut également mieux rémunérer le temps travaillé au-delà de la durée légale, accroître le pouvoir d'achat et réduire l'écart de rémunération entre le capital et le travail. Il faut enfin prendre en compte les différences qui existent entre les grands groupes, qui ont servi de référence aux lois Aubry, et les PME ou les TPE qui ne survivraient pas à l'application stricte de ces lois.

La proposition de loi ne remet pas en cause la durée légale du travail, désormais fixée à 35 heures, mais introduit une souplesse indispensable aux entreprises et une plus grande liberté de choix pour les salariés. C'est un texte équilibré et mesuré, qui fait sortir le débat sur le temps de travail de son âge métaphysique, qui lui fait quitter les rivages de l'économie administrée pour ceux de l'économie réelle. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP) C'est juste un problème de paradigme ! Ce texte préserve la compétitivité des entreprises et protège l'emploi. Il renforce la liberté des salariés et améliore la rémunération du travail. Il nous donne, en d'autres termes, toutes les raisons de le voter ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Alfred Trassy-Paillogues - Ce sujet ne mérite ni sectarisme, ni invectives, ni agressivité : l'enjeu est celui de la compétitivité des entreprises et de leur capacité à réagir vite à une conjoncture difficile ; c'est aussi celui du développement économique de la France et son aptitude à lutter contre le chômage. Dans ce débat d'une grande complexité, il ne faut pas oublier que les PME et PMI constituent la trame de l'emploi, grâce à la grande stabilité de leurs effectifs, face à des groupes sujets aux délocalisations soudaines, aux fusions subreptices et aux compressions brutales de personnel.

La mise en place des 35 heures est partie d'une double méprise : on a pensé que le travail était un gâteau dont les parts seraient d'autant plus nombreuses qu'elles seraient petites, et que le marché pouvait être contrôlé et réglementé jusqu'à l'uniformisation. Dans les grosses entités où la gestion du personnel est plus informatique qu'humaine, elles ont peut-être permis de créer des emplois, à court terme, mais surtout engendré une pression et un stress mis en évidence par la médecine du travail.

M. Yves Durand - Grande nouveauté !

M. Alfred Trassy-Paillogues - Dans les petites et moyennes structures, elles auront été un électrochoc : effectif variant sans cesse, services en manque de personnel, déstabilisés plusieurs jours par semaine sans pouvoir embaucher - comment imaginer recruter un cadre spécialisé à tiers ou quart temps ? - force commerciale affaiblie. C'est comme cela qu'on perd des marchés, et qu'une entreprise perd de sa substance. Elle doit pourtant, face aux aléas de la conjoncture et à la concurrence, savoir être excessivement flexible. Feindre de ne pas comprendre que, dans une PME, la relation entre le patron et le salarié peut être de confiance, que le concept du contrat sous-tend négociation et concertation, qu'on peut avoir envie de convertir ses jours de RTT en salaire, qu'on peut souhaiter arrondir ses fins de mois sans recourir à des expédients illégaux, c'est une erreur, voire une faute, et qui est lourde de conséquences.

Ce texte ouvre pour les salariés et les entreprises un nouvel espace social de liberté et de responsabilité dont nous avions bien besoin. Je le soutiendrai. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Michel Diefenbacher - Je suis un peu surpris du tour qu'a pris la discussion : la gauche nous accuse à la fois de profaner un sanctuaire et de violer la volonté des Français. Mais nous respectons la durée légale du travail, qui restera à 35 heures...

M. Yves Durand - Personne n'est dupe !

M. Michel Diefenbacher - ...et nous rendons la parole aux Français ! Alors que les lois Aubry étaient fondées sur la volonté autoritaire de l'Etat et sur un système uniforme, nous proposons un dispositif fondé sur le volontariat et la négociation.

Plusieurs députés socialistes - Ah oui !

M. Michel Diefenbacher - Pourquoi modifier le système actuel ? A en croire les socialistes, employeurs et salariés n'y trouveraient que des avantages. Mais si les choses étaient si simples, les critiques contre les 35 heures ne seraient pas aussi violentes, l'effet politique n'aurait pas été tel en 2002, et nous ne nous serions pas engagés dans une réforme dont nous mesurons la difficulté.

Mme Elisabeth Guigou - Vous vous engagez dans une drôle d'affaire.

M. Michel Diefenbacher - La vérité est plus nuancée. Les employeurs ne demandent pas cette réforme, car il veulent avant tout la stabilité de l'organisation, non des remises en cause tous les cinq ans. Chez les salariés, beaucoup sont satisfaits des 35 heures. Mais combien d'autres sont plus préoccupés par leur pouvoir d'achat ? On nous dit que 23 % la demandent. C'est déjà beaucoup. Mais même s'ils n'étaient que 15 % ou 5 %, faudrait-il les ignorer ?

M. Hervé Novelli - Respectez les minorités.

M. Michel Diefenbacher - Parce qu'ils sont politiquement minoritaires, ont-ils juridiquement et économiquement tort ?

La réalité, c'est que certaines entreprises ont encore du mal à s'adapter aux 35 heures, et pas seulement des PME. C'est vrai aussi d'entreprises publiques comme la Poste, face à la concurrence étrangère, c'est vrai de l'hôpital public, qui n'est toujours pas remis de cette réforme. D'autre part, on nous fait valoir que la France est première au monde pour la compétitivité. C'est vrai si l'on rapporte la production au nombre de salariés employés. Mais si on la rapporte à l'ensemble des personnes en âge de travailler, nous sommes au 21e rang.

Alors, que voulons-nous ? D'abord, qu'on ne nous entraîne pas sur le terrain de l'idéologie, dont nous savons combien elle fait mauvais ménage avec l'économie. L'instabilité juridique ne convient pas à nos entreprises qui, je le répète, ont besoin d'un minimum de continuité pour s'organiser. Nous voulons faire progresser la liberté dans la vie des entreprises, créer de nouveaux espaces de négociation...

M. Alain Vidalies - Ça commence mal.

M. Michel Diefenbacher - ....Et améliorer le pouvoir d'achat. Les 35 heures pèsent sur les salaires, et c'est de cette logique que nous voulons sortir. Sans doute la gauche a-t-elle peur que, ce faisant, nous démontrions l'absurdité de la théorie de la lutte des classes. Il y a des intérêts convergents entre les entreprises qui ont besoin de plus de souplesse, les salariés qui veulent plus de pouvoir d'achat et la collectivité qui a besoin de plus de productivité et de soutien à la consommation.

Enfin, la France a besoin qu'on augmente le volume total d'heures travaillées, sans alourdir les prélèvements fiscaux et sociaux. Louis Giscard d'Estaing a évoqué un allègement des charges salariales sur les heures effectuées au-delà des 35 heures. Certes l'enjeu financier est important. Mais depuis deux ans et demi, nous cherchons tous les moyens de réhabiliter le travail. Réfléchissons-y. S'il est important d'alléger la fiscalité sur l'ensemble des revenus, il l'est aussi de porter une attention particulière à ceux qui veulent travailler plus. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La discussion générale est close.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale - Je salue d'abord, au nom du Gouvernement, la qualité du travail accompli par la mission d'information, ainsi que celle de la concertation qui a ensuite conduit au dépôt de cette proposition simple et de bon sens. Je me bornerai à des remarques d'ordre général.

Les 35 heures, qui sont aujourd'hui une originalité française, ont abouti à des résultats pour le moins nuancés. Le débat sur l'adaptation du temps de travail et l'organisation du travail existait auparavant. Qui pouvait nier la nécessité d'une plus grande flexibilité et, dans certains cas, de réductions du temps de travail ? C'était l'objet de la loi de Robien, déjà issue d'initiative parlementaire. Il est probable que les adaptations permises par cette loi, et sans doute par la loi Aubry I, ont facilité la mutation de cette partie de notre industrie pour laquelle l'investissement en capital pesait beaucoup plus que le coût du travail, grâce à une gestion plus flexible. Il est probable aussi - disons même certain - que, pour d'autres secteurs où la main-d'œuvre a un poids décisif, notamment dans les services, donc dans des entreprises plus modestes, elles ont, à l'inverse, freiné en partie le développement économique. Probablement ces adaptations ont-elles aussi permis à certains salariés de prendre plus de vacances, notamment à des cadres qui le méritaient. Mais pour beaucoup d'ouvriers et surtout d'ouvrières non qualifiées, l'application des 35 heures a finalement été surtout source d'inquiétude. Comment ne pas voir en effet que la flexibilité introduite par les lois de Robien et Aubry I s'est faite au prix d'une « modération salariale » ?

M. Maxime Gremetz - Modération !

M. le Ministre - Surtout pour les moins qualifiés. En 2000, le salaire net en France a diminué de 0,2 %. Pour les non qualifiés, cette diminution a été de 0,8 %.

M. Maxime Gremetz - Evidemment !

M. le Ministre - J'essaye de voir les choses en toute objectivité.

La vraie question, cependant, est celle de la création d'emplois dans cette période. Sur ce point, sachons raison garder : les effets économiques de telles mesures sont toujours différés. On a parlé de 350 000 emplois nouveaux grâce à l'ensemble du dispositif Aubry. Un tel chiffre est difficile à apprécier dans un pays où l'on crée et l'on détruit 30 000 emplois chaque jour ouvrable. Je peux néanmoins faire quelques constats. D'abord, je constate qu'en 1998, on annonçait officiellement la création de 700 000 emplois grâce à la RTT. Je constate aussi qu'à partir du moment où la mesure est devenue obligatoire, en 2000, ce fut la fin d'une période faste pour la croissance économique.

M. Hervé Mariton - Très juste.

M. le Ministre - Je n'établis pas de causalité, mais je constate...

M. Hervé Novelli - Il y a quand même un fort soupçon.

M. le Ministre - ...Que c'est alors que le chômage a commencé sa montée, jusqu'en 2004. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Quant aux 350 000 emplois créés, il recouvrent aussi les emplois « sauvegardés », c'est-à-dire qu'on peut y inclure tous les salariés d'une entreprise qui a signé une convention de modération salariale. En réalité, je ne crois pas que la création d'emplois ait été globalement positive à partir du moment où la réforme a été généralisée. Ce qui a permis la croissance, c'est plutôt la politique menée en 1996 et 1997.

Aujourd'hui, les 35 heures payées 39 heures sont considérées comme un acquis social. Dont acte. La question reste de moderniser ce régime des 35 heures, qui n'est pas tenable.

M. Maxime Gremetz - Et on revient aux 39 heures !

M. le Ministre - Ce qui compte, c'est d'abord la capacité de réagir de nos entreprises. A une époque où brandir l'argument de la délocalisation donne parfois la même sensation de chantage qu'auparavant le sentiment d'insécurité, la meilleure arme pour lutter contre ces délocalisations, c'est de mettre nos entreprises en état de réagir à la concurrence. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) En second lieu, moderniser c'est tirer vers le haut les rémunérations et le niveau de vie, et ce n'est pas un hasard si, parmi les salariés interrogés, les ouvriers sont deux fois plus sensibles que les cadres à cette question de pouvoir d'achat. Enfin, la modernisation doit porter sur le dialogue social, et les mesures que nous proposons ne seront applicables que dans le cadre d'accords collectifs.

Mais vous savez, ce qui me surprend le plus est que personne, sur les bancs de cette assemblée, ne se réjouisse quand une entreprise, étrangère ou française, s'installe dans l'une de nos régions. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean Le Garrec - Rappel au règlement ! Quel dommage que le ministre des affaires sociales ne se soit pas exprimé à l'ouverture des débats, car son intervention tranche singulièrement avec tout ce que nous avons pu entendre, et nous aurions pu engager la discussion dans d'autres conditions.

Permettez-moi quelques remarques. Tout d'abord, vous ne pouvez pas contester les chiffres de création d'emplois, qui proviennent de vos propres administrations !

Ensuite, nous n'avons pas voulu utiliser les chiffres d'emplois créés indirectement par le développement d'autres activités de service, car nous manquions d'éléments de comparaison.

Vous avez parlé de modernisation sociale, mais n'oubliez pas que 120 000 accords ont été négociés, et que lorsque l'on augmente le contingent d'heures supplémentaires sans consulter les syndicats, on est bien mal placé pour donner des leçons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Maxime Gremetz - Rappel au règlement, pour dénoncer, de la même manière, l'intervention si tardive du ministre des affaires sociales, même si ce n'était finalement que du vent. Mais prenez garde, car nous vous jugerons bientôt sur vos propositions concrètes !

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu, cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 50.

              Le Directeur du service
              des comptes rendus analytiques,

              François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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