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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 55ème jour de séance, 134ème séance

3ème SÉANCE DU MERCREDI 2 FÉVRIER 2005

PRÉSIDENCE de Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER

vice-présidente

Sommaire

      RÉFORME DE L'ORGANISATION
      DU TEMPS DE TRAVAIL DANS L'ENTREPRISE (suite) 2

      AVANT L'ARTICLE PREMIER (suite) 2

      ORDRE DU JOUR DU JEUDI 3 FEVRIER 2005 16

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

RÉFORME DE L'ORGANISATION DU TEMPS DE TRAVAIL
DANS L'ENTREPRISE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise.

AVANT L'ARTICLE PREMIER (suite)

M. Maxime Gremetz - Nous avons déjà longuement évoqué l'hypocrisie qui consiste à conserver la durée légale de 35 heures tout en cherchant à la contourner, notamment grâce au dispositif des heures supplémentaires. Aussi l'amendement 8 rectifié vise à ce que le paiement des heures supplémentaires soit majoré de 25 % pour les quatre premières, et de 50 % pour chacune des suivantes, comme il était de règle précédemment.

Si vous désirez réellement créer de l'emploi et encourager l'embauche des jeunes, il faut dissuader les chefs d'entreprise de recourir aux heures supplémentaires. Bien que cette proposition contredise vos projets, nous aurons l'occasion d'en reparler et le plaisir de partager prochainement quelques scrutins publics ! (Rires sur les bancs du groupe UMP)

Mme Martine Billard - L'amendement 42, 2e rectification, tend à relever le plancher de la majoration pour heures supplémentaires de 10 % à 25 %. Si vous voulez que les salariés gagnent plus, il ne faut pas moins ! Que représentent en effet 10% sur SMIC ? Le SMIC horaire étant aujourd'hui de 7,61 €, cela correspond à la somme de 0,76 centimes, soit même pas de quoi payer votre fameux euro symbolique pour la consultation d'un médecin...

Un député socialiste - C'est le prix d'une baguette !

Mme Martine Billard - Si les salariés travaillent plus, qu'ils y trouvent au moins un avantage ! Ce point est d'autant plus important que le plancher pour « heures choisies », soit les heures que les salariés accepteront d'effectuer en sus des 220 heures supplémentaires, a été également fixé à 10%.

M. Hervé Novelli - Il s'agit d'un plancher, pas d'un plafond !

M. Maxime Gremetz - Les patrons préfèrent toujours les planchers aux plafonds !

M. Pierre Morange, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - La commission a émis un avis défavorable à ces deux amendements. Je salue la constance avec laquelle nos collègues repoussent la philosophie de ce texte. Vous voudriez revenir à la règle d'origine quand nous voulons laisser place à la négociation collective. De surcroît, vos propositions handicaperaient les entreprises en augmentant le coût des heures supplémentaires et freineraient le recours aux heures supplémentaires. Cela ne correspond pas aux attentes des salariés qui souhaitent travailler plus pour gagner plus.

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail - Les auteurs de ces deux amendements voudraient revenir au droit antérieur à la loi de janvier 2003, aux termes duquel les partenaires sociaux ne pouvaient pas négocier librement le taux de majoration des heures supplémentaires et le mode d'organisation du travail. Or, je signale que, si les 31 accords signés depuis janvier 2003 ont pour la plupart retenu le taux de 25 %, le secteur du tourisme a choisi un taux supérieur pour le paiement des quatre premières heures supplémentaires.

M. Jean Le Garrec - Très bien !

M. le Ministre délégué - Nous sommes contre tout ce qui figerait le taux à 25 % puis à 50 %. Il n'est question ni de plancher ni de plafond ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Restant dans l'esprit de la loi de janvier 2003, nous donnons aux partenaires la capacité de négocier, en sus du taux de majoration des heures supplémentaires, le mode d'organisation du temps de travail, c'est-à-dire l'annualisation ou encore la flexibilité. L'accord signé pour le tourisme mérite d'être connu et reconnu.

M. Gaëtan Gorce - La réaction du Gouvernement me surprend. Ces propositions visent pourtant à revaloriser les heures supplémentaires comme le désire la majorité. Les refuser aboutit au résultat inverse puisque le taux de 25 % tombe à 10 %. Le souci de mieux rémunérer les salariés ne serait-il qu'un prétexte pour faciliter le recours aux heures supplémentaires ?

Ne dites pas que vos dispositions permettent aujourd'hui aux partenaires sociaux de négocier un meilleur taux que celui de 25% : la règle auparavant ne faisait pas obstacle à ce que les heures supplémentaires soient mieux rémunérées que la loi ne l'avait fixé. Cet argument ne tient pas !

Par ailleurs, en fixant un plancher de 10 %, vous rendez la négociation difficile pour les partenaires sociaux. Ils doivent en effet obtenir la revalorisation comme contrepartie de concessions. Lorsque le taux de 25 % était acquis, au contraire, l'équilibre de la négociation leur était plus favorable. Votre objectif est d'affaiblir la position des organisations syndicales dans la discussion sur les heures supplémentaires, non pour améliorer la rémunération du salarié, mais pour que les entreprises puissent y recourir plus facilement !

Mme Martine Billard - Je ne vois pas en quoi la situation serait moins « figée » à 10 % qu'à 25 % ! Nous défendons chacun un seuil, la seule différence tenant au niveau auquel nous le fixons. Vous n'avez donc pas répondu à mon amendement. Je propose que les négociations partent d'un plancher de 25 %. Pour le reste, je ne peux que me féliciter de l'accord obtenu dans le tourisme et souhaiter qu'il serve d'exemple à d'autres branches !

M. Maxime Gremetz - Je dois rappeler à l'actuelle opposition que c'est elle qui, pour la première fois, a porté atteinte au régime des heures supplémentaires !

Plusieurs députés UMP - Eh oui !

M. Maxime Gremetz - Il s'agissait des entreprises de moins de 20 salariés. J'avais voté contre, car j'étais sûr que la droite s'engouffrerait un jour dans la brèche pour nous imposer toutes les heures supplémentaires à 10 % ! On n'avait jamais osé toucher auparavant au régime des heures supplémentaires. Ramener la majoration à 10 % tout en disant que, par la négociation, les patrons accepteraient sans doute d'aller beaucoup plus loin, quel bel argument ! On a baissé le taux parce qu'on considérait que les heures supplémentaires coûtaient trop cher aux patrons : on était donc sûr qu'ils n'accepteraient pas d'accorder mieux ! C'est une des raisons pour lesquelles la seconde loi Aubry a provoqué une baisse manifeste du pouvoir d'achat.

M. Hervé Novelli - Très bien !

M. Maxime Gremetz - Vous ne pouvez donc pas prétendre que la négociation va améliorer les choses. Je suis convaincu que le souhait intime du Medef est que toutes les heures supplémentaires soient à 10 % !

M. Jean Le Garrec - Je vois que M. Novelli, une fois n'est pas coutume, est en accord avec M. Gremetz ! Ne croyez pas que nous n'ayons pas tiré le bilan de ce que nous avons fait, et que nous ne soyons pas attentifs à la situation actuelle.

Il est incontestable que vous avez fait évoluer la hiérarchie des normes. Il n'existe que 34 accords de branche, sur plus d'une centaine de branches. Dans la plupart des cas, il n'y aura donc qu'une négociation par entreprise, et parfois par établissement, avec tout ce que cela suppose de fragilité pour la position des salariés. Par ailleurs, les abaissements de charges pour les 35 heures, que nous avons regroupés avec les abaissements Juppé - qui coûtent d'ailleurs beaucoup plus cher - représentent 17 milliards. Or, ces 17 milliards n'ont aucune contrepartie ! Nous voulions revoir tout cela en 2002, recréer une dynamique, avec des contreparties en matière de temps de travail et de création d'emplois, mais vous ne l'avez pas fait. Dans de telles conditions, le moins que puisse faire le Gouvernement est de garantir, dans le code du travail, un pourcentage correct pour les heures supplémentaires ! L'amendement de Mme Billard offre cette seule garantie qui reste au salarié, et vous ne pouvez pas ne pas l'accepter.

M. Alain Vidalies - M. Gremetz prétend que l'application de la loi a donné lieu à une baisse du pouvoir d'achat, mais cela ne se peut. La loi n'a peut-être pas entraîné l'augmentation espérée, mais il n'y a jamais eu de baisse du salaire nominal.

A plusieurs reprises dans ce texte, vous modifiez le code du travail pour y mentionner l'accord d'entreprise. On peut se demander comment il est possible d'étendre à un tel point des dérogations qui bouleversent le droit social français : c'est tout simplement la plus extraordinaire histoire de contournement des droits du Parlement qu'on ait jamais connue ! Lorsque le Gouvernement a présenté son projet sur la démocratie sociale, un article disposait que, chaque fois qu'une dérogation est possible au niveau de la branche, elle l'est au niveau de l'entreprise. Cela concernait 120 articles du code du travail ! Même le rapport relevait que cette disposition était manifestement anticonstitutionnelle, et que de telles dérogations ne pouvaient être proposées qu'article par article ! J'avais soulevé ce point dans mon exception d'irrecevabilité : cette disposition touchait en effet à des domaines tels que le temps partiel, les heures supplémentaires, le travail de nuit, le recours à l'intérim... Tous les éléments de souplesse nécessaires, qui étaient depuis toujours, par vous et par nous, encadrés au niveau des accords de branche étaient renvoyés aux entreprises ! Or, c'est au niveau de la branche qu'on peut organiser de la souplesse tout en maintenant une protection collective.

Lorsque le texte est arrivé au Sénat, on n'a jamais débattu de cet article fourre-tout. Le Sénat a voté amendement par amendement, pour éviter l'exception d'anticonstitutionnalité ; tout le monde s'est dit d'accord en commission mixte paritaire et lorsque le texte est revenu ici, les choses étaient faites !

M. Hervé Novelli - Bonne affaire !

M. Alain Vidalies - Vous en êtes fier ! Mais nous sommes en train de discuter du dialogue social. Or, les partenaires sociaux n'ont jamais été mis au courant et l'Assemblée nationale n'a pas pu débattre de ces questions qui ont des conséquences graves dans la vie quotidienne ! La preuve en est qu'aujourd'hui, on doit les décliner cette fois article par article... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

L'amendement 8 rectifié, et l'amendement 42, 2e rectification, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Mme Martine Billard - L'amendement 40 rectifié tend à supprimer l'accord d'entreprise ou d'établissement dans les négociations sur les heures supplémentaires, dans la mesure où ces accords peuvent désormais être moins favorables que les accords de branche. Ces négociations permettaient, auparavant, d'obtenir des accords plus favorables aux salariés. Aujourd'hui, et compte tenu des rapports de force qui existent dans les entreprises, les salariés devront tout simplement faire le choix entre accepter ou se retrouver sans travail. Je propose donc de s'en tenir au niveau de la branche.

Avec les accords d'entreprise ou d'établissement, vous êtes en train de créer des inégalités phénoménales entre les salariés et de fragiliser les petites entreprises. Le rapport Camdessus signale par exemple que l'hôtellerie-restauration et le commerce ont du mal à embaucher, car les conditions de travail et de salaire y sont moins favorables que dans d'autres secteurs. Si vous voulez que ces branches recrutent, elles doivent pouvoir soutenir la concurrence avec les autres. Une solution serait sans doute d'aligner toutes les autres branches sur les conditions de travail les moins favorables, mais vous aurez sans doute du mal à y parvenir ! L'autre est de créer un appel d'air pour de meilleures conditions.

Le bon sens voudrait que l'on adopte cet amendement, afin de ne pas défavoriser les salariés des petites entreprises et d'éviter à celles-ci une concurrence dont elles n'ont vraiment pas besoin !

M. le Rapporteur - La commission a émis un avis défavorable, car la loi confie à la négociation collective le soin de fixer le taux de rémunération des heures supplémentaires et parce qu'il convient de laisser cette compétence aux accords d'entreprise ou d'établissement, c'est-à-dire au niveau le plus proche du terrain. Faut-il rappeler que cette possibilité a été introduite par la loi du 4 mai 2004, qui reprenait une position commune des partenaires sociaux remontant à juillet 2001 ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Ministre délégué - Même avis, car nous n'entendons pas modifier sur ce point la loi du 4 mai 2004, relative au dialogue social. J'aurai l'occasion de revenir sur la position commune, celle qui a été adoptée par l'ensemble des partenaires sociaux, à l'exception de la Confédération générale du travail.

M. Jean-Pierre Brard - Un détail !

M. Jean Le Garrec - Dans le texte que nous avons d'abord eu entre les mains, les mots « accord de branche » étaient toujours suivis de l'adjectif « étendu », ce qui a une signification juridique précise. Un accord de branche étendu suppose en effet un débat devant la Commission nationale de la convention collective et doit être soumis pour approbation au ministre, qui, en tant que gardien de l'ordre public social, peut refuser ce qu'on lui propose et demander que le débat se poursuive. Cela s'est déjà produit. Nous avons donc, avec l'accord de branche étendu, un niveau de protection supérieur.

Mais dans le texte dont nous disposons maintenant, le mot « étendu » a disparu. Comme par hasard ! Je serai très attentif aux explications que donnera le ministre délégué sur cette disparition.

M. Hervé Novelli - Je suis contre l'amendement, car s'il était adopté, cela enlèverait beaucoup de souplesse aux entreprises (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et les priverait d'une partie de leur capacité d'adaptation. La réalité économique, c'est d'abord celle de l'entreprise. Il faut donc rester au plus près du terrain et laisser l'entreprise être la cellule de base des accords. Nous n'avons pas besoin de rigidités supplémentaires.

L'amendement 40 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean Le Garrec - J'ai posé une question fondamentale et le ministre délégué ne m'a pas répondu ! Je demande une suspension de séance.

La séance, suspendue à 10 heures 5, est reprise à 10 heures 10.

M. le Ministre délégué - Je renvoie M. Le Garrec au texte de la position commune, en particulier à la page 3. Le passage de l'accord de branche étendu à l'accord d'entreprise n'entraîne pas une diminution des garanties dès lors que l'accord d'entreprise repose sur le principe majoritaire.

M. Jean-Pierre Brard - Vous avez, Monsieur le ministre délégué, une façon de présenter les choses qui vaut le déplacement. Quand vous parlez d'accord majoritaire, cela veut dire majorité des syndicats mais pas majorité du personnel ! Je note d'ailleurs que lorsqu'un syndicat, très influent, très connu, n'a pas la position que vous souhaitez, vous prenez soin de ne pas l'appeler par son nom usuel : vous dites « Confédération générale du travail » plutôt que CGT...

Après la loi Fillon de janvier 2003, vous complétez le dispositif tendant à remettre en cause les 35 heures : vous favorisez la flexibilité et vous bradez la durée hebdomadaire par le biais de l'annualisation-modulation. Nous avions insisté pour que la loi fixe le temps de travail hebdomadaire à 35 heures car cela constituait une réelle avancée sociale. Aujourd'hui, cette proposition de loi orchestre un recul inédit en termes de législation sociale et offre au Medef, sur un plateau en or massif, des salariés taillables et corvéables à merci. Vous remettez en cause l'équilibre si chèrement obtenu par les salariés pour tenter de mieux concilier vies professionnelle, familiale et sociale. Raymond Aron, qui ne passe pas pour un gauchiste mais pour l'un des idéologues de référence de la droite - si tant est qu'elle en ait... - , écrit que « la liberté ne peut s'épanouir que dans le loisir. L'exigence première est de réduire la journée de travail ». Ces propos si justes, qui prennent tout leur sens aujourd'hui où nous avons besoin de plus d'engagement citoyen, se trouvent réduits à néant par votre remise en cause pour tous les salariés du « plus de temps pour soi et pour les autres ». En ouvrant les vannes des heures supplémentaires, c'est l'allongement de la durée du travail que vous préparez, et, partant, l'augmentation du chômage du fait de la concentration du travail sur un nombre réduit de salariés.

Votre jargon fait certes référence à la notion de temps choisi ; mais encore faudrait-il lui donner un contenu et ce ne sont pas les dispositions de l'article 2 du texte qui pourront faire illusion très longtemps, tant il est manifeste que leur véritable objectif est de transposer une directive européenne. Le temps choisi, c'est la possibilité pour le salarié de disposer réellement de son temps de travail : c'est donc lui permettre de refuser d'effectuer des heures supplémentaires. Or, en l'état actuel du droit, cette possibilité n'existe pas, et votre dispositif ne prévoit pas d'y remédier. Pour aller au bout de la logique de temps choisi, nous proposons par conséquent par notre amendement 10 d'introduire dans le code du travail la possibilité pour les salariés de refuser d'effectuer des heures supplémentaires, sans que ce refus constitue un motif valable de licenciement. J'attends avec curiosité votre réponse, car je gage que nous allons vous prendre la main dans le sac !

Mme Martine Billard - Notre amendement 41 rectifié est similaire. Le refus d'exécuter des heures supplémentaires dans le cadre du contingent réglementaire ou conventionnel constitue un motif de licenciement, sauf dans quelques cas visés par l'arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 20 mai 1997, lequel dispose que « le refus d'exécuter des heures supplémentaires ne peut être considéré comme fautif lorsqu'il est exceptionnel et motivé par le fait que le salarié n'a pas été prévenu suffisamment tôt ». Cela nous renvoie au débat que nous avons eu tout à l'heure sur les heures complémentaires, puisque la jurisprudence considère qu'il est normal de prévenir les salariés à l'avance. Les exigences des clients ne doivent pas primer sur toute autre considération et, en tant qu'écologiste, j'estime que la manière dont chacun gère son temps personnel en considérant ses centres d'intérêt prioritaires, sa santé et son épanouissement relève de l'intime et doit échapper à toute pression extérieure. Le client ne doit pas avoir le dernier mot, d'autant qu'il est souvent lui-même un salarié soumis à de multiples contraintes. La jurisprudence refuse aussi la possibilité de licencier pour un refus d'effectuer les heures supplémentaires lorsque le caractère systématique de la contrainte ainsi imposée au salarié peut être assimilé à une modification substantielle du contrat de travail. Des limites sont donc déjà posées.

Mais puisque la présente proposition de loi prétend consacrer la notion de temps choisi et que notre rapporteur nous invite à considérer le choix de travailler plus pour gagner plus comme une liberté fondamentale, il devrait être pareillement loisible au salarié de refuser de se voir imposer des heures supplémentaires sans s'exposer pour autant au risque d'être licencié. Depuis deux ans et demi, on ne nous parle que de souplesse. Eh bien, la souplesse ne doit pas s'appliquer dans un seul sens ! Il est temps d'affirmer dans la loi qu'un salarié peut refuser des heures supplémentaires sans que cela provoque son licenciement.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Le refus d'effectuer des heures supplémentaires est encadré par la jurisprudence, et il est déjà advenu qu'un employeur soit condamné pour licenciement sans cause réelle et sérieuse après avoir mal apprécié le comportement d'un salarié dans ce cadre. De surcroît, la formulation retenue dans ces amendements est par trop lapidaire et ne peut recouvrir la diversité des situations à considérer, laquelle ne peut relever que d'une appréciation jurisprudentielle.

Cela étant, je tiens à rappeler à l'Assemblée qu'en réponse à un amendement de notre ancien collègue Georges Sarre portant sur le même objet, M. Gorce - rapporteur de la loi Aubry II - avait, en octobre 1999, objecté que depuis trente ans, le droit de refuser des heures supplémentaires n'était pas acquis et que cette attitude pouvait justifier le licenciement du salarié. La majorité de l'époque avait repoussé l'amendement que représentent aujourd'hui sous une forme très similaire nos collègues Brard et Billard.

M. le Ministre délégué - Un clin d'œil à M. Brard : ma culture me conduit moins vers Raymond Aron que vers la pétanque et Henri Salvador. Je ne sais pas si le travail, c'est la santé et si ne rien faire c'est la conserver... (M. Jean-Pierre Brard s'exclame)

M. François Hollande - Chacun ses références...

M. le Ministre délégué - La loi de janvier 2003 permet aux partenaires sociaux de négocier le volume d'heures supplémentaires, le niveau de rémunération et la répartition du contingent. Les heures supplémentaires relèvent clairement du pouvoir de direction de l'employeur et, comme l'a rappelé votre rapporteur, la jurisprudence les a clairement encadrées. Avis défavorable aux deux amendements.

M. François Hollande - Ces amendements ont au moins le mérite de souligner la contradiction dans laquelle vous vous êtes placés avec cette proposition de loi. En effet, la logique qui sous-tend le texte qui nous est présenté est celle - au moins proclamée - du temps choisi. Dans les propos publics, les auteurs du texte et le Gouvernement invoquent toujours le rapport contractuel qui s'établirait entre le salarié et l'employeur : l'employeur propose des heures supplémentaires et le salarié est libre de les accepter ou de les refuser. C'est la logique du temps choisi. Il est répété à l'envi que ceux qui voudraient gagner plus pourront travailler davantage et obtenir ainsi satisfaction. Mais si l'on entre dans cette logique, il faut admettre le droit pour celui qui ne veut pas gagner plus de ne pas travailler plus. Si l'on reste dans la logique du temps choisi, liberté doit être donnée au salarié de faire des heures supplémentaires pour gagner en pouvoir d'achat mais aussi, convenez-en, de ne pas travailler plus s'il ne veut pas de rémunération complémentaire. Très différente est la logique de la RTT ayant conduit aux 35 heures, dans le cadre du texte de 1999 que le rapporteur a évoqué. Dans une optique d'abaissement de la durée légale du travail, il est vrai que les heures supplémentaires relèvent du pouvoir de direction de l'employeur et la jurisprudence à cet égard n'a jamais varié. Dans une logique globale de RTT, le droit doit être donné aux employeurs de demander des heures supplémentaires. Il faut que le Gouvernement nous dise clairement où va sa préférence. Il ne peut pas à la fois mettre en avant la liberté de choix des salariés et les soumettre au bon vouloir du patronat pour ce qui concerne le recours aux heures supplémentaires. Monsieur le ministre délégué, si vous vous inscrivez dans une logique de temps choisi, vous devez accepter les amendements qui viennent d'être défendus ; si vous vous placez dans celle de la réduction de la durée légale du travail - ou de son augmentation -, c'est à bon droit que vous pouvez les repousser. En les récusant, vous ferez la démonstration que ce texte prévoit bien le relèvement de la durée légale du travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Le Garrec - Excellent !

M. Jean-Pierre Soisson - Ne faisons pas dire à l'arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation de mai 1997 ce qu'il ne dit pas. Nous avons déjà évoqué ce problème en octobre 1999 lors de l'examen de la loi Aubry II. Prenons l'arrêt pour ce qu'il est : il se borne à encadrer les conditions dans lesquelles le licenciement du salarié peut être prononcé.

On peut certes prétendre, Monsieur Hollande, que le contexte économique et politique a changé depuis octobre 1999. Mais ce débat, nous l'avons bel et bien eu alors, et M. Gorce, rapporteur de la loi Aubry II, avait alors rejeté l'amendement du groupe communiste, dans les termes rapportés tout à l'heure par M. Morange. Les arguments avancés alors par M. Gorce valent encore pour ce texte. (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste)

A partir d'une proposition de loi à objet limité, vous souhaiteriez revoir le régime des heures supplémentaires, les conditions de licenciement et quantité d'autres dispositions du code du travail. (« C'est vous qui le faites ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Nous souhaitons, pour notre part, contenir ce texte dans les limites fixées et apprécierions que vos positions aujourd'hui ne soient pas en contradiction avec celles que vous défendiez en 1999. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme la Présidente - Je suis saisie par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public sur l'amendement 41 rectifié.

Mme Danièle Hoffman-Rispal - Donner davantage de souplesse aux entreprises, notamment pour faire face à la demande, soit. Pour avoir travaillé dans une PME du secteur de la mode, où l'on a souvent recours aux heures supplémentaires, j'en sais tout l'intérêt, comme chacun parmi nous. C'est d'ailleurs pourquoi les lois Aubry prévoyaient un contingent annuel de 130 heures. Alors même que les entreprises n'en utilisent en moyenne que 59 heures, on l'a porté à 180, puis à 220 heures, avant d'autoriser aujourd'hui à aller même au-delà ! S'il est important qu'une entreprise puisse recourir aux heures supplémentaires en cas de besoin, il l'est tout autant qu'un salarié puisse refuser d'en effectuer. Des salariés, des femmes en particulier, qui peut-être aimeraient faire des heures supplémentaires pour gagner plus, ne le peuvent pas toujours en raison de leurs contraintes familiales. Or, chacun sait que dans une PME, certes on ne vous licencie pas parce que vous avez refusé de faire des heures supplémentaires, mais pour faute grave - on en trouve toujours une à vous reprocher après votre refus ! Plus vous augmentez le contingent d'heures supplémentaires, plus vous donnez de liberté à l'employeur de licencier.

M. Jean-Pierre Brard - Monsieur le ministre délégué, avec le quatuor composé de MM. Dubernard, Morange, Novelli et Ollier, nouveaux mousquetaires au service du baron Ernest-Antoine Seillière de la Borde (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), voilà que vous avez inventé une langue où les mots auraient un sens nouveau. Dans cette « novlangue », « assouplissement » veut ainsi dire remise en cause, « liberté de choix du salarié » choix imposé... De même, que faut-il entendre par « primauté du droit conventionnel sur le droit réglementaire » si ce n'est que le règlement passera désormais derrière la convention, laquelle est établie, on le sait, dans un rapport de forces défavorable aux salariés ? Tout cela bien entendu au nom de la « démocratie sociale », voilà le cache-sexe ! et « pour créer des espaces de liberté ». Liberté, assurément, mais pour l'employeur seulement, auquel vous livrez les salariés pieds et poings liés ! Cette proposition de loi « rénove » et « simplifie » notre droit du travail, poursuivez-vous, mais à force de rénovation et de simplification, n'allez-vous pas tout bonnement faire disparaître le code du travail ? Vous instituez de même, dites-vous, « un régime d'heures choisies pour les salariés volontaires » : on voit comment sont remises en cause les 35 heures dans les entreprises après de pseudo-référendums, que vous n'avez pas voulu dénoncer. Voilà votre conception du libre choix ! Le ministre nous l'a dit tout à l'heure, le refus d'effectuer des heures supplémentaires, sauf si celles-ci ont un caractère permanent, peut justifier un licenciement. Quelle sera donc la liberté du salarié de refuser l'oukase patronal ?

Vous invoquez la souplesse, Monsieur le ministre délégué. Oui, vous avez la souplesse des invertébrés face au Medef car vous n'avez pas d'échine...(Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP) J'entends les réactions des laquais au service des maîtres. Mais l'adage ne dit-il pas que ceux-là sont toujours pires que ceux-ci ? Vous en êtes, Messieurs, la parfaite illustration. (Mêmes mouvements) Vous entendant, il me semble voir cette caricature d'avant la Révolution où le Tiers Etat portait sur ses épaules le clergé et la noblesse. Ce sont aujourd'hui les salariés qui portent sur leurs épaules à la fois le Medef, les entreprises, comme se plaît à dire M. Novelli, les actionnaires et l'UMP par-dessus le tout ! (Mêmes mouvements)

M. Gaëtan Gorce - Il est vrai qu'en octobre 1999, la majorité et le rapporteur n'avaient pas souhaité que les heures supplémentaires puissent faire l'objet d'une discussion avec le salarié. Mais la situation est fondamentalement différente aujourd'hui. A l'époque, le contingent conventionnel avait été fixé par décret à 130 heures, alors qu'il est aujourd'hui porté à 220 heures, sans obligation de respect des repos compensateurs. Un salarié ne pourra pas refuser d'effectuer une heure supplémentaire alors que celle-ci ne sera ni majorée, si elle est versée sur un compte épargne-temps, ni peut-être même payée, si elle est versée sur un compte d'épargne collectif. Plus rien n'est garanti puisque vous avez renvoyé à la négociation d'entreprise la possibilité de déroger au contingent d'heures supplémentaires. La situation est donc totalement déséquilibrée au détriment des salariés. Cela serait à soi seul un motif de repousser votre texte.

Mais il en est un autre qui tient à vos contradictions, ou plutôt votre hypocrisie, lorsque vous invoquez, comme le rapporteur, « la liberté du salarié de maîtriser et d'organiser son temps de travail, et partant, son temps de vie ». Le ministre peut-il nous expliquer comment concilier la possibilité donnée à l'employeur d'imposer au salarié de faire des heures supplémentaires non souhaitées et l'hymne à la liberté qu'il entonne depuis le début de ce débat, mais qui sonne faux ?

M. le Ministre délégué - Monsieur Hollande, la faille logique que vous dénoncez n'existe pas. Il y a d'un côté la durée légale du travail, 35 heures, d'un autre côté, le contingent d'heures supplémentaires conventionnel, sachant qu'à défaut de convention, le plafond a été porté à 220 heures par décret de décembre dernier. Ce n'est qu'au-delà que s'exerce « le temps choisi », pour les seuls salariés volontaires et après accord collectif, dans la limite d'un total de 48 heures par semaine ou de 44 heures sur douze semaines. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Mme la Présidente - Je mets aux voix l'amendement 10...

M. Alain Vidalies - Je souhaite répondre au Gouvernement.

M. Jean-Marc Ayrault - Rappel au Règlement.

Mme la Présidente - Je vous donne la parole aussitôt après le vote.

M. Jean-Marc Ayrault - Cela n'a plus de sens. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

L'amendement 10, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Marc Ayrault - Nous étions sur un point très important - qui a d'ailleurs donné lieu à un débat de qualité - et il s'imposait, Madame la Présidente, que M. Vidalies puisse avant le vote répondre au Gouvernement. Il est en effet nécessaire de clarifier ce point avant d'aller plus loin. Cela n'a pas été possible. Je demande donc une suspension pour que nous puissions réfléchir à la suite de nos travaux. Si l'on ne va pas jusqu'au bout de l'argumentation des uns et des autres, nous ferons un mauvais travail.

La séance, suspendue à 22 heures 45, est reprise à 22 heures 55.

A la majorité de 62 voix contre 20 sur 82 votants et 82 suffrages exprimés, l'amendement 41 rectifié n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Brard - Ce débat est fort intéressant car, dès qu'on met le doigt là où cela fait mal, Monsieur le ministre délégué, vous vous perdez en circonvolutions, parfois aériennes, mais qui s'éloignent du sujet et du fond...

Notre amendement 9 poursuit deux objectifs. Le premier est de donner des droits nouveaux aux salariés, car pour l'instant vous n'en avez donné qu'au Medef. Le second est de mieux définir les heures supplémentaires et le cadre dans lequel il est possible d'y recourir. Nous proposons donc de renvoyer la décision d'effectuer des heures supplémentaires après une discussion entre l'employeur et les délégués du personnel, afin de couper court à tout recours abusif à ce procédé contre-productif du point de vue de la création d'emplois. Vous vous dites, Monsieur le ministre délégué, favorable au dialogue et à la concertation : je ne vois pas comment vous pourriez refuser cette discussion préalable. D'autre part nous proposons que les heures supplémentaires ne puissent être accomplies que si l'entreprise ne peut recruter le personnel nécessaire pour faire face au surcroît d'activité. Votre politique a fait apparaître un grand nombre de chômeurs, et vous dites que vous voulez réduire le chômage : nous vous proposons, en faisant obstacle à un recours abusif aux heures supplémentaires, le moyen de faire en sorte que le nombre des chômeurs diminue à proportion du développement de l'activité économique. En votant cet amendement, nous ferions donc une réelle avancée en faveur de l'emploi et des droits des salariés. J'attends avec curiosité ce que M. Morange et M. le ministre vont me répondre...

M. le Rapporteur - La commission est défavorable. Je ne reprends pas les arguments que j'ai développés à propos d'autres amendements relevant de la même logique. La partie concernant les heures supplémentaires évolue en fonction du contexte jurisprudentiel ; quant à celle des heures choisies, elle est suspendue à la notion du volontariat, ce qui répond à la première préoccupation de votre amendement.

M. le Ministre délégué - Avis défavorable. Nous avons déjà beaucoup discuté de ce sujet. Les heures supplémentaires relèvent du pouvoir de direction de l'employeur, et nous avons rappelé l'encadrement apporté par la Cour de cassation. Je rappelle que, quand a lieu le débat sur la fixation des heures conventionnelles, et à défaut d'accord de branche ou d'entreprise à ce sujet, il y a un échange entre l'entrepreneur et les représentants du personnel.

M. Alain Vidalies - Pour la première fois, Monsieur le ministre délégué, vous dévoilez l'objectif recherché ! A notre critique du « temps choisi », vous nous répondez que votre idée est qu'au temps contraint actuel, qui obéit à des règles précises, vient s'ajouter un temps choisi. La faille, c'est qu'il ne fallait pas, en décembre, porter de 180 à 220 le contingent d'heures supplémentaires.

En inventant le concept de « temps choisi », vous avez rompu avec la logique du code du travail selon laquelle la reconnaissance d'un lien de subordination entre le salarié et l'employeur justifiait qu'on protège le premier par la loi et la convention collective. Nous abandonnons ce patrimoine collectif pour entrer dans un autre monde, qui obéit aux règles du droit civil.

Le choix des 220 heures ne vise qu'à limiter le coût des heures supplémentaires. Tout le reste est bon pour les chansonniers. Monsieur le ministre délégué, vous qui jouez à la pétanque, vous avez « fait un trou » dans ce débat. (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard - Le rapporteur prétend avoir déjà développé son argumentation : il a dû le faire in petto car je ne l'ai pas entendue. Quant au ministre, il considère que le débat a déjà eu lieu, ce qui n'est pas vrai. Monsieur Larcher, vous fonctionnez comme les 78 tours rayés de votre jeunesse, mais ce n'est pas parce que vous répétez sans cesse des inexactitudes qu'elles deviennent des vérités.

Vous dites que tout peut se régler entre le chef d'entreprise et le représentant du personnel. Mais que va-t-il se passer dans les entreprises de moins de dix salariés, où il n'y a pas de représentant du personnel ? Ce sera le pot de fer contre le pot de terre, vous le savez bien.

Puisqu'on a parlé de chansonniers, vos arguments sont du niveau du Caveau de la République ! Ce n'est pas digne. Vous vous obstinez à faire prendre des vessies pour des lanternes, comme si nos compatriotes pouvaient être dupes à ce point.

Les Français, il y a un an, ont clairement répondu. Vous ne voulez pas les entendre. Mais ne pensez pas qu'ils soient aujourd'hui passifs.

Il y a, dans le salon Delacroix, un petit renfoncement : c'est là que trônait le roi constitutionnel Louis-Philippe. Autrefois les députés, élus dans les conditions qu'on sait, venaient rendre hommage au roi constitutionnel. Monsieur le ministre délégué, Monsieur Morange, en vous entendant j'ai pensé à cette scène. M. Seillière va bientôt quitter ses fonctions. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) Dans votre dévouement sans bornes, vous faites devant lui une dernière génuflexion en lui offrant comme cadeau de départ cette loi qui brise le droit des salariés au profit de ceux qui les exploitent.

M. Jean Le Garrec - Ce débat est passionnant. A force de persévérance, nous parvenons à entrevoir vos intentions. L'amendement du groupe communiste a un intérêt en ce qu'il met en parallèle le contingent d'heures supplémentaires et la lutte contre le chômage. Je le répète, vous adressez aux entreprises un signal défavorable à l'emploi. Dans un contexte économique fragile, pourquoi des entreprises frileuses embaucheraient-elles, puisque vous leur permettez de recourir massivement aux heures supplémentaires ? Ce raisonnement, vous ne pouvez le récuser.

M. Vidalies l'a rappelé, le contingent conventionnel de 220 heures s'applique aux salariés. Si on l'ajoute aux 35 heures, cela porte la durée hebdomadaire de travail à 39,45 heures. Autant dire que nous revenons aux 40 heures. Il y a certes une limite, fixée à 48 heures, mais si le chef d'entreprise décide que les heures supplémentaires alimentent le compte épargne-temps, celles-ci ne s'imputent pas sur le contingent conventionnel.

Vous ajoutez à cela des heures « choisies » : quand il aura travaillé 41 ou 42 heures, le salarié pourra refuser d'en faire 43. Vous me direz que M. Raffarin n'est pas au courant. Adepte de la « positive attitude », il est au-delà de tout cela. (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Pierre Soisson - Une simple remarque de vocabulaire : en exigeant un « accord express » du salarié, les auteurs de l'amendement veulent sans doute dire un « accord explicite », notion connue des juristes.

M. Jean-Pierre Brard - Vous avez raison. C'est un puriste que je découvre en vous.

M. le Ministre délégué - Je veux d'abord dire à M. Brard, né dans la même ville que moi et âgé de dix-huit mois de plus, que nous avons dû entendre les mêmes 78 tours sur les mêmes phonographes. (Rires.)

Monsieur Vidalies, Monsieur Le Garrec, j'avais cru être clair. Je vais reprendre les propos du Premier ministre : « Je propose un nouvel accord sur le temps de travail, l'accord pour le temps choisi. Par accord de branche ou d'entreprise, conclu et négocié selon les règles habituelles, il sera possible de déterminer, au-delà du contingent conventionnel, le nombre, la rémunération, les conditions des heures supplémentaires choisies, qui seront réalisées selon la règle du double accord : accord de l'entreprise et accord du salarié. Elles ne pourront être payées moins que les précédentes. Le plafond des heures supplémentaires choisies, fixé dans l'accord, devra être inférieur ou égal à celui de la directive européenne. » (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Les auteurs de la proposition n'ont fait que reprendre ces éléments et les expliciter.

Mme la Présidente - Je donne la parole à M. Hollande.

M. Patrick Ollier - Appliquez le Règlement !

Mme la Présidente - Vous le connaissez aussi bien que moi, le président est libre de laisser le débat se poursuivre.

M. François Hollande - Merci, Madame la présidente, pour votre objectivité. (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Je veux revenir sur la déclaration du chef du Gouvernement qui vient d'être lue. Même si nous examinons une proposition de loi, la référence doit être encore, pour quelques semaines, le Premier ministre.

Que dit le Premier ministre dans la déclaration lue par M. Larcher ? Il affirme qu'il ne peut y avoir d'heures supplémentaires sans le double accord du salarié et de l'employeur. Puisque la déclaration du Premier ministre fait référence dans ce débat, soyons cohérents, insérons le terme « double accord » dans l'amendement. Je demande du Raffarin dans le texte !

M. Maxime Gremetz - C'était mon amendement !

L'amendement 9, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Martine Billard - Avant de présenter l'amendement 39, 2e rectification, je voudrais revenir sur l'intervention de M. Soisson. Il a raison, ce texte est limité ! Le Gouvernement n'a pas eu le courage de réformer le code du travail en tant que tel. Il a donc procédé par cavaliers législatifs successifs pour finalement choisir la solution d'une proposition de loi de sorte que, depuis deux ans et demi, nous ne parvenons pas à avoir un débat général sur le code du travail.

Avec cet amendement, nous proposons de revenir au contingent de 130 heures. Vous avez justifié l'augmentation des heures supplémentaires par la conjoncture économique. Or, un responsable de l'INSEE explique qu'aujourd'hui le seul secteur où les capacités de production soient tendues, et où se fait sentir le besoin d'heures supplémentaires, c'est le bâtiment. Cela limite considérablement l'intérêt de ce texte.

Porter le contingent à 220 heures conduit à rémunérer moins les heures entre 130 et 220 heures, autrefois majorées de 100 %. Messieurs les chantres de l'augmentation des salaires, vous faites exactement le contraire de ce que vous dites ! Revenons à 130 heures pour que les travailleurs qui feront des heures supplémentaires bénéficient réellement d'un meilleur salaire !

M. Alain Vidalies - L'objet de l'amendement 70 est également de revenir à un contingent de 130 heures, tel qu'il existait dans le code avant le changement de majorité. Les mécanismes du contingent, tels qu'ils sont décrits dans l'article L. 212-7 sont déjà d'une grande souplesse puisque l'augmentation du nombre d'heures supplémentaires peut être autorisée par l'inspection du travail après consultation du personnel, à moins que cela ne remette en cause la création d'emplois.

Aujourd'hui, tous les mécanismes possibles sont déjà prévus. Du reste, ils sont peu utilisés car les heures supplémentaires consommées sont en moyenne de 59. Nous sommes bien loin des 130 heures ! A la lumière de ces données, les 220 heures paraissent bien extraordinaires.

A-t-on vraiment besoin d'heures supplémentaires ? Mme Billard a cité un article paru dans Les Echos au titre édifiant : « la réforme privilégie les gains de productivité plutôt que les créations d'emploi ». Ce constat est lourd à porter ! Le Gouvernement a vendu cette nouvelle réforme avec le slogan « travailler plus pour gagner plus » et les experts économiques doutent aujourd'hui que cet enchaînement puisse bénéficier à la croissance. Selon eux, les entreprises continueront à privilégier la productivité au détriment de l'emploi. Ils ajoutent que l'impact de cette réforme sera neutre, voire négatif en présence d'un taux de chômage supérieur à 5 % ou 6 %.

Nous discutons donc une proposition de loi invraisemblable qui n'a été soumise ni au Conseil d'Etat, ni au Conseil économique et social, ni aux partenaires sociaux...

M. Richard Mallié - Vous niez le travail du Parlement !

M. Alain Vidalies - Cette proposition de loi répond à la seule injonction du Medef. Nous avons été stupéfaits de découvrir dans le bulletin de l'Union des industries métallurgiques une note datant de juillet où l'on retrouve mot pour mot la proposition que nous fait aujourd'hui l'UMP.

M. Richard Mallié - C'est une proposition de loi, point final !

M. Alain Vidalies - J'ai lu ce document hier soir en séance. Tout cela explique que les experts économiques qualifient ce texte d'incohérent, au mieux d'inoffensif, au pire de négatif pour l'emploi. (« Très bien ! » et vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Rapporteur - La commission a émis un avis défavorable. Pour éclairer notre débat, je vous rappelle qu'une certaine ordonnance de 1982...

M. Maxime Gremetz - Vous faites de l'archéologie !

M. le Rapporteur - ...prévoit que le contingent sera fixé par voie réglementaire. (« Bravo ! » sur les bancs du groupe UMP) Un gouvernement socialiste a donc considéré que la fixation du contingent relevait du décret. Aujourd'hui, on voudrait nous faire croire que ce contingent doit figurer dans la loi. Cela ne va pas dans le sens du renforcement de la loi et de l'application de l'article 41 de la Constitution décidée par notre président.

M. le Ministre délégué - Avis défavorable. Dans Bilan et rapport de la négociation collective en 2003, il est écrit que les accords, dans plus de la moitié des cas, ont porté le niveau des heures supplémentaires à 180 pour le bâtiment, les commerces à prédominance alimentaire et la métallurgie. Ces chiffres sont de nature à éclairer notre débat ! Deux branches, la poissonnerie et les sports et loisirs ont même été jusqu'à 230 et 240.

M. Maxime Gremetz - Vous coulez !

M. Jean Le Garrec - Je désire rectifier l'amendement 70 au nom du groupe socialiste, afin d'insérer les termes mêmes qu'a employés M. Raffarin : « double accord de l'entreprise et du ou des salariés concernés». Est-ce bien cela, Monsieur le ministre ? Vous avez lu sa déclaration si vite !

M. Jean-Pierre Soisson - En l'état actuel du droit, ces amendements ne sont pas recevables. M. Vidalies a lu l'article L. 212-7 du code du travail qui fait référence à un « au-delà du contingent autorisé ». Pourquoi ? Parce que depuis l'ordonnance de 1982, la fixation du contingent annuel d'heures supplémentaires ne relève plus du domaine de la loi ! Du point de vue du droit, l'amendement de M. Le Garrec, dans sa nouvelle formulation, est seul acceptable. Le reste ressort au domaine réglementaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Gaëtan Gorce - C'est vrai, mais nous sommes aussi dans le domaine conventionnel ! Cet amendement n'a lieu d'être qu'à cause du mépris que montre le Gouvernement à l'égard des partenaires sociaux. Aucune des organisations syndicales de salariés n'a jamais souhaité un contingent de 220 heures ! Elles n'ont d'ailleurs pas été consultées, alors que le Gouvernement avait prévu par décret, en 2002, une consultation des partenaires sociaux et un avis du Conseil économique et social, qu'on serait bien en peine de nous montrer aujourd'hui !

M. Jean-Pierre Soisson - Le Gouvernement fait ce qu'il veut par décret ! Si vous devez attaquer quelque chose, c'est le décret !

M. Gaëtan Gorce - A l'évidence, le Gouvernement fait aussi ce qu'il veut avec les partenaires sociaux, mais en tout cas pas ce à quoi il s'était engagé ! Nous voulons plafonner le contingent car nous sommes aujourd'hui en pleine dérive : pourquoi pas 300 heures, demain, sans aucune garantie pour les salariés ?

En nous présentant ce texte, on nous a dit qu'il n'avait certes pas l'accord des partenaires sociaux, mais qu'il s'agissait d'un bel exemple d'initiative parlementaire. Mais il est exclusivement défendu par le Gouvernement, qui a l'air de mieux le connaître que ceux qui l'ont signé ! Nous ne sommes pas très loin des nègres parlementaires dont nous parlions tout à l'heure ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Richard Mallié - C'est insultant !

M. Gaëtan Gorce - C'est donc le Gouvernement qui doit assumer la responsabilité de ce texte, comme c'est d'ailleurs lui qui est derrière toute la machinerie de l'augmentation du contingent. Ce contingent a été fixé à 130 heures en 1982 par un décret qui était la conséquence d'un accord passé entre les partenaires sociaux pour le passage aux 39 heures. Si vous aviez voulu procéder de la même manière, nous n'en serions pas aujourd'hui à 180 ou à 220 heures !

M. Maxime Gremetz - Il ne s'agit ni plus ni moins que du contournement de la durée légale du travail. On est parti d'un contingent de 130 heures supplémentaires. Une étude a montré que la plupart des entreprises ne l'utilisaient pas, mais vous l'avez tout de même porté à 180 heures, puis à 220 ! Quelle en est la raison ? Vous voulez en réalité abroger les 35 heures - c'est déjà le cas de fait - et surtout développer le recours aux heures supplémentaires, que le Medef veut toutes ramener à une majoration de 10 % ! Vous vous vantez de permettre aux salariés de travailler autant qu'ils le veulent pour qu'ils gagnent plus. La seule chose qui est sûre, c'est qu'ils travailleront plus. Pour le reste...

Un contingent de 130 heures est raisonnable. On pourrait discuter d'une augmentation si les entreprises demandaient plus, mais 10 % d'entre elles seulement les utilisent ! Ne nous racontez pas d'histoire ! Votre refus est tout simplement une incitation à ne pas embaucher !

L'amendement 39, 2e rectification, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - Avis défavorable sur l'amendement 70 rectifié.

M. le Ministre délégué - Même avis.

Plusieurs députés socialistes - Le Gouvernement ne répond pas !

M. Jean Le Garrec - Le ministre nous a lu une déclaration du Premier ministre, qui est d'une importance considérable, concernant le double accord de l'employeur et des salariés concernés. Ce n'est pas rien ! Relisez-nous le texte !

Mme la Présidente - Je vais mettre cet amendement aux voix. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Je crois que le débat a largement eu lieu.

M. Jean-Marc Ayrault - Nous savons que vous présidez avec le souci d'éclairer au mieux l'Assemblée. Or, le ministre a cité tout à l'heure une déclaration très importante. Nous demandons, avant le vote, qu'il la relise, afin d'éviter tout malentendu. C'est une affaire très importante, et qui témoigne aussi du respect porté à la représentation nationale.

M. Patrick Ollier - Je voudrais faire un rappel au Règlement, pour m'étonner de ce que nous vivons. C'est un débat très intéressant qui vient de se tenir, et nous y avons pris notre part, mais nous discutons depuis quarante minutes de dispositions réglementaires ! Je veux bien qu'on interpelle le Gouvernement à ce propos, mais en débattre pendant quarante minutes devient une dérive ! Madame la présidente, vous êtes la garante de la sérénité de nos travaux. Au titre de l'article 41 de la Constitution, l'amendement qui traite du contingent d'heures supplémentaires n'est pas recevable et nous n'avons pas à en discuter. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme la Présidente - Il n'est pas de ma responsabilité d'appliquer cet article de la Constitution. Par ailleurs, je ne peux pas demander au ministre de s'exprimer s'il ne le souhaite pas.

M. Jean-Pierre Brard - Je voudrais faire un rappel au Règlement, au titre de l'article 58-1. Je comprends que le ministre ne veuille pas répondre : il est dans les cordes ! Il ne sait plus comment s'en sortir !

M. Philippe Vuilque - Il est KO !

M. Jean-Pierre Brard - Vous comprendrez cependant qu'il est très important pour la suite de nos débats que nous y voyions clair. En fin de compte, le Gouvernement est en train de lever les protections dont bénéficient les salariés. La déclaration du Premier ministre vise à anesthésier l'opinion, en faisant croire que le Gouvernement est prêt à accorder certaines garanties. Le silence du ministre prouve toute sa duplicité ! M. Ollier a parlé d'un débat, mais il n'y en a pas eu !

M. Patrick Ollier - Il ne doit pas y en avoir !

M. Jean-Pierre Brard - Des arguments de qualité sont développés par l'opposition, mais en face, on ne trouve que la vacuité d'un esprit de revanche sur les conquêtes sociales de la dernière législature ! Il suffirait de recopier la déclaration du Premier ministre dans le texte pour protéger les salariés, mais vous refusez ! Cela exprime tout le cynisme du chef du Gouvernement et conduit au discrédit politique.

M. Jean-Marc Ayrault - Le ministre ne souhaite pas relire cette déclaration. Il est libre de sa décision, mais il faut éclairer l'Assemblée nationale. Il faut donc soit nous apporter le compte rendu analytique, soit faire venir ici un poste de télévision pour nous montrer la vidéo !

M. Richard Mallié - Vous ne savez plus quoi inventer !

M. Jean-Marc Ayrault - C'est très important ! Ou bien faut-il demander une suspension de séance pour laisser au Premier ministre le temps de venir ici ?

M. le Président de la commission - Revenons sur terre ! Vous aurez à l'article 2 toutes les explications correspondant aux amendements déposés. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Je ne vais pas vous relire ce qu'a dit le Premier ministre...

Plusieurs députés socialistes - Si !

M. le Président de la commission - Si vous insistez, soit. Le Premier ministre a déclaré...

Plusieurs députés socialistes - Quand ?

M. le Président de la commission - ...le 9 décembre 2004 : « Je propose un nouvel accord de temps de travail : l'accord pour le temps choisi. Par accord de branche ou d'entreprise, conclu et négocié selon les règles habituelles, il sera désormais possible de déterminer, au-delà du contingent conventionnel, le nombre, la rémunération, les conditions des heures supplémentaires choisies qui seront réalisées, selon la règle du double accord - accord de l'entreprise et accord du salarié. »

Mais encore une fois, je vous demande d'attendre l'article 2 pour avoir ce débat.

M. Jean-Marc Ayrault - Madame la Présidente, je vous demande de bien vouloir vérifier le quorum avant de mettre aux voix l'amendement 70 rectifié. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Mme la Présidente - Je suis saisie par le groupe socialiste d'une demande, faite en application de l'article 61 du Règlement, tendant à vérifier le quorum avant de procéder au vote sur l'amendement 70 rectifié.

Je constate que le quorum n'est pas atteint. Conformément à l'alinéa 3 de l'article 61 du Règlement, le vote est reporté à la prochaine séance, qui aura lieu demain à 9 heures 30.

Prochaine séance, demain, jeudi 3 février à 9 heures 30.

La séance est levée à 23 heures 50.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU JEUDI 3 FEVRIER 2005

NEUF HEURES TRENTE : 1ERE SÉANCE PUBLIQUE

1. Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Rapport (n° 2038) de M. Jean-François CHOSSY.

2. Suite de la discussion de la proposition de loi (n° 2030) de M. Patrick OLLIER et plusieurs de ses collègues portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise.

Rapport (n° 2040) de M. Pierre MORANGE, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

QUINZE HEURES : 2EME SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 3EME SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.


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