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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 56ème jour de séance, 136ème séance

2ème SÉANCE DU JEUDI 3 FÉVRIER 2005

PRÉSIDENCE de M. Jean LE GARREC

vice-président

Sommaire

      RÉFORME DE L'ORGANISATION DU TEMPS
      DE TRAVAIL DANS L'ENTREPRISE (suite) 2

      AVANT L'ARTICLE PREMIER (suite) 2

      ARTICLE PREMIER 8

La séance est ouverte à quinze heures.

RÉFORME DE L'ORGANISATION DU TEMPS DE TRAVAIL
DANS L'ENTREPRISE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise.

AVANT L'ARTICLE PREMIER (suite)

Mme Muguette Jacquaint - L'amendement 3 propose que la validité des accords sur la réduction du temps de travail soit subordonnée au principe de l'accord majoritaire. Les relations sociales doivent intégrer une double exigence : le développement de l'expression citoyenne dans l'entreprise et la reconnaissance de cette expression à tous les niveaux de négociation. Notre amendement vise donc à inscrire dans le droit social le principe de l'accord majoritaire pour les accords sur la réduction du temps de travail au niveau interprofessionnel, des branches et donc de l'entreprise, et à donner ainsi un nouvel élan à la démocratie sociale. Encourager l'expression syndicale des salariés lors des élections professionnelles passe par la reconnaissance du principe majoritaire. A quoi bon voter, exprimer ses préférences, si le code du travail autorise une organisation syndicale à passer outre les choix de la majorité des salariés ? Il n'est pas acceptable qu'un accord signé par des partenaires sociaux ultra-minoritaires puisse engager l'ensemble du monde du travail, comme pour les retraites, ou d'une profession, comme pour les intermittents du spectacle.

Ce principe majoritaire est ignoré par la loi du 4 mai 2004. Un droit d'opposition existe certes, mais nous en voyons déjà les limites : ce n'est rien de plus qu'un droit de blocage, qui ne permet que de prendre position contre, une fois un accord signé. Loin d'inciter au dialogue social, il implique plutôt une logique de confrontation et n'intervient que faute d'une négociation sérieuse en amont. L'exemple du bras de fer qui a opposé la CGT à Perrier sur le site de Vergèze en septembre 2004 est parlant. Un accord prévoyant 1 047 départs anticipés d'ici à 2007 pour l'ensemble de Nestlé Waters France, dont 356 à Vergèze, avait été bloqué par la CGT, qui avait usé du droit d'opposition accordé par la loi Fillon à une organisation syndicale majoritaire. Ce veto avait finalement été levé devant la menace de Nestlé de cesser l'activité de Perrier ainsi que de filialiser tous ses sites français, et les discussions avaient repris sur la poursuite d'activité de Perrier. En l'occurrence, la CGT avait été obligée d'utiliser le droit d'opposition, mais la situation de vide juridique a empêché toute négociation. Il est donc urgent de dépoussiérer les choses. Les organisations syndicales sont les garantes des droits des salariés et sont habilitées à négocier avec le patronat. Il convient donc de se pencher régulièrement sur leur représentativité réelle. La négociation collective ne peut s'organiser autour d'une décision administrative vieille de 35 ans désignant les cinq organisations syndicales les plus représentatives ! Cet amendement promeut donc une nouvelle ambition pour le dialogue social.

M. Pierre Morange, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Avis défavorable. Cet amendement vise à établir, en matière de réduction du temps de travail, une règle dérogatoire au système de la négociation collective, qui repose depuis la loi Fillon sur l'appréciation de la condition de majorité. Pourquoi déroger au droit commun en matière de réduction du temps de travail ? Et pourquoi contourner la loi du 4 mai 2004, qui repose sur le meilleur équilibre qui a pu être trouvé entre les syndicats en présence ? Agissons avec pragmatisme et voyons ses résultats avant d'envisager des évolutions.

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail - L'article L. 132-2-2 du code du travail permet déjà de mettre comme condition à la validité d'un accord d'entreprise sa signature par les syndicats qui ont obtenu la majorité des voix lors des dernières élections professionnelles. Deux branches ont déjà, à la fin de l'année dernière, conclu un accord dans ce cadre, et trois autres sont en cours. Avis défavorable.

M. Alain Vidalies - Depuis le début de cette législature, vous avez entrepris de passer de l'accord de branche à l'accord d'entreprise, soit pour la validation des accords, soit pour permettre des dérogations au code du travail ou aux accords de branche. La dérégulation est donc généralisée. Cette réforme considérable va avec la remise en cause de la hiérarchie des normes : peu importe désormais qu'une convention d'entreprise contienne des dispositions moins protectrices que l'accord de branche ! Mais, pour faire passer la pilule, vous expliquez que la loi du 4 mai 2004 sur la démocratie sociale est la traduction de l'accord passé entre les organisations syndicales et le Medef. Vous oubliez que les organisations syndicales n'ont, à l'époque, pas trouvé de mots assez durs pour le condamner ! Il est vrai que vous avez un talent enviable pour trouver des slogans qui ne correspondent en rien à la réalité. Aujourd'hui, c'est le « temps choisi » ou « travailler plus pour gagner plus ». A l'époque, c'était la « démocratie sociale », mais il ne s'agissait que d'organiser les exceptions et la dérégulation !

Il suffit d'aller voir dans votre texte ce qu'est un accord majoritaire : l'accord de branche doit prévoir dans quelles conditions l'accord majoritaire pourrait résulter d'une signature par des organisations syndicales représentant l'ensemble des salariés, ou, éventuellement, d'un nombre d'organisations syndicales majoritaires, c'est-à-dire trois sur cinq, au choix des signataires de l'accord de branche... La lisibilité de la règle démocratique ne s'en trouve guère améliorée ! Et lorsque ça marche, ce n'est pas mieux ! Mme Jacquaint a cité un exemple où l'expression majoritaire n'a pu avoir lieu que par l'intermédiaire d'une opposition : les organisations syndicales n'ont que cette solution à leur disposition. Ce n'est pas comme cela qu'on fera avancer la démocratie sociale.

La solution est d'organiser des élections pour que le vote des salariés permette de mesurer la représentativité de chaque organisation au niveau de l'entreprise, de la branche et au niveau interprofessionnel, de poser le principe de la validité à tous les niveaux de l'accord majoritaire et de maintenir la hiérarchie des normes. Ce n'est que dans un tel système, cohérent, que le débat sur les domaines respectifs de la loi et du contrat pourra avoir lieu. Tant qu'on en restera à l'exercice d'un simple droit d'opposition, personne n'aura intérêt à cette clarification, puisque ce n'est pas l'engagement qui vaut établissement de la norme, mais l'opposition qui l'empêche. C'est un non-sens pour la démocratie, et ce que vous appelez démocratie sociale n'est qu'une apparence.

Mme Muguette Jacquaint - Après certaines interventions au début de ce débat, j'ai craint que chacun ne se voie décerner des bons points selon qu'il avait ou non été assidu aux travaux de la commission. C'est pourquoi je suis d'autant plus étonnée que la convocation de la commission à 14 heures 30 pour examiner, au titre de l'article 91 du Règlement, divers amendements du Gouvernement, n'ait été distribuée dans les casiers de la poste qu'à 14 heures 45 ! Je pense, Messieurs de la majorité, que vous avez pu examiner ces amendements entre vous, sans beaucoup d'opposition. La méthode est pour le moins antidémocratique, et nous ne pouvons pas ne pas la dénoncer, surtout après les remarques, assez discourtoises, adressées à certains sur le fait qu'ils n'avaient pas assisté aux travaux de la commission.

M. le Président - Dont acte. J'ai été informé de ce retard dans la transmission des convocations. Il est regrettable que la réunion de la commission n'ait pas été annoncée à la fin de la séance de ce matin, comme cela se fait souvent.

M. Gaëtan Gorce - On vient en effet seulement de me remettre la convocation pour une réunion de la commission à 14 heures 30 ! On n'aurait pas souhaité que nous y assistions que l'on n'aurait pas procédé différemment. Et pourtant le président Dubernard ne se prive pas lorsqu'il en a l'occasion, car il n'est pas là cet après-midi et ne l'était pas non plus ce matin, de nous reprocher nos absences. Je demande une suspension de séance pour que la commission puisse se réunir conformément au Règlement.

M. le Président - Précaution aurait dû être prise d'annoncer cette réunion de la commission en fin de séance dernière, je l'ai dit. Je suspends la séance dix minutes, pour que vous ayez le temps de prendre connaissance des amendements du Gouvernement.

M. Gaëtan Gorce - C'est un minimum !

M. le Rapporteur - La commission s'est en effet réunie à 14 heures 30. Nous regrettons de n'avoir pas pu vous y accueillir. (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

La séance, suspendue à 15 heures 20, est reprise à 15 heures 35.

M. le Président - La séance est reprise et l'incident est clos.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Merci de rasséréner l'atmosphère. Sur les six amendements déposés pendant la séance d'hier, quatre étaient du Gouvernement, deux du groupe socialiste. Ils ont été mis en distribution ce matin et je trouvais normal de réunir la commission avant la séance de cet après-midi. Elle s'est donc réunie. Il n'y avait pas de députés de l'opposition, mais nous commençons à en avoir l'habitude, puisque c'était déjà le cas hier et avant-hier. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - J'ai dit que l'incident était clos.

M. Alain Vidalies - Non !

L'amendement 3, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Muguette Jacquaint - Je n'aurais pas fait de rappel au Règlement s'il n'y avait pas eu dès le début de l'examen du texte ces remarques peu courtoises sur la participation des uns ou des autres en commission, comme si l'on distribuait les bons points. En tout état de cause, il serait normal que l'on prévienne lorsque la commission se réunit.

M. le Président - Passons à la défense de l'amendement, je vous prie.

Mme Muguette Jacquaint - Notre amendement 1 a pour objet de ramener à 32 heures la durée légale du travail pour les salariés affectés à des travaux pénibles, pour les travailleurs postés et pour les travailleurs de nuit. Il y a en effet des travaux pénibles qui exigent que l'on descende en deçà des 35 heures.

M. le Rapporteur - Cet amendement traite d'un thème très important : la pénibilité. L'article 12 de la loi portant réforme des retraites invite les organisations syndicales, dans les trois ans suivant la promulgation de cette loi, à mener une négociation interprofessionnelle sur ce sujet. Il faut que cette négociation ait lieu. Avis défavorable, en attendant et en sachant que des seuils ont été définis au niveau communautaire pour protéger la santé des salariés.

M. le Ministre délégué - Le 30 juin dernier, M. Borloo et moi avons rappelé aux organisations syndicales cette exigence de négociation interprofessionnelle. Celle-ci va démarrer le 11 février prochain sur le thème de la pénibilité. Je rappelle que la loi du 9 mai 2001 a modifié l'article L. 213-3 sur le travail de nuit, dont la durée maximale est de huit heures et qui doit être compensé soit sous forme de repos ; soit sous forme salariale. Il y a donc déjà un encadrement de cette forme de travail.

Outre la pénibilité, le dialogue social qui s'engage portera sur les seniors, la convention de reclassement personnalisé et le télétravail. Vous voyez donc que le dialogue social est bien vivant. Avis défavorable.

L'amendement 1, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Michel Liebgott - Puisque vous insistez sur le dialogue, Monsieur le ministre, permettez-moi de rappeler que nous aurions eu un meilleur dialogue si vous nous aviez présenté un projet de loi : il y aurait eu en effet alors un avis du Conseil d'Etat, une étude d'impact, une consultation des organisations syndicales. Avec cette proposition de loi, rien de tout cela.

J'en viens à notre amendement 72. Lors de la discussion générale, plusieurs orateurs ont fait référence à d'autres pays dont le modèle social leur permettrait d'avoir un taux de chômage inférieur à celui de la France. En réalité, dans ces pays, il s'agit pour beaucoup de travail à temps partiel, avec des salaires souvent misérables et une protection sociale quasi inexistante...

M. Hervé Novelli - Les Suédois apprécieront !

M. Michel Liebgott - ...ce qui réduit d'autant les salaires, qui doivent être affectés pour partie à des dépenses encore prises en charge, en France, par la collectivité. Si nous défendons cet amendement, c'est que nous avons le sentiment qu'il y a deux poids et deux mesures. Beaucoup, sur les bancs de la majorité, disent que la situation des entreprises n'est pas bonne et qu'il faut les aider. Ce que vous ne manquez pas de faire ; pourtant, malgré cette aide, elles ne créent pas plus d'emplois, alors que c'est une nécessité sociétale impérieuse : les entreprises doivent créer des emplois, et non seulement des richesses - pour les placer, voire racheter leurs propres actions... Nous sommes confrontés aujourd'hui à une augmentation du nombre des demandeurs d'emploi : environ 250 000 depuis que vous avez pris en mains les affaires du pays - si l'on peut dire, d'ailleurs, car vous avez plutôt décousu un certain nombre de dispositifs ; et en aidant les entreprises sans contreparties, vous avez fait plaisir à quelques amis, mais n'avez pas créé d'activité supplémentaire. Aujourd'hui, en effet, notre pays est caractérisé à la fois par un taux de chômage élevé, l'existence de 600 000 travailleurs à temps partiel, souvent subi, et environ un million de contrats à durée déterminée qui n'assurent pas aux salariés beaucoup de sécurité et de sérénité, et ne leur permettent pas d'engager des dépenses qui contribueraient à la croissance.

Le malaise est aujourd'hui profond. Nous pensons qu'il doit être levé, et faire l'objet de mesures exceptionnelles. Ceci requiert une grande concertation, une grande conférence avec toutes les organisations syndicales et patronales. Les syndicats d'ailleurs le demandent, sur différents sujets, y compris celui de cette proposition de loi. Les néolibéraux de votre majorité ont réussi, face à un certain vide, à faire passer quelques idées, et c'est pourquoi nous sommes réunis aujourd'hui. Mais vous n'avez pas écouté les organisations syndicales, sur cette proposition - à laquelle elles sont hostiles - non plus que sur un grand nombre d'autres sujets importants. Sans vouloir donner de leçons, il faut constater qu'au fil du temps les progrès sociaux ont plutôt été imputables à ce côté-ci de l'hémicycle (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Je n'en veux pour preuve que les congés payés, que d'une certaine manière vous remettez en cause à travers le compte épargne-temps : nous les devons à la fois à des gouvernements qui ont pris leurs responsabilités, parfois contre certains économistes de l'époque et contre le patronat, et aux luttes syndicales. Je ne ferai qu'évoquer 1936, puis le Conseil national de la Résistance, le Front républicain en 1956, 1968 et les accords de Grenelle, 1981... (Mêmes mouvements) Ce sont autant de piqûres de rappel qui font mal, mais ces dates sont entrées dans l'histoire, pour la gloire de notre pays.

Tel est l'objet de cette vaste conférence que nous souhaitons, et que vous devriez accepter, si vous êtes si sûrs de votre fait.

M. le Rapporteur - La commission a émis un avis défavorable. Outre que l'amendement présente le caractère d'une injonction au Gouvernement, je rappelle que celui-ci fournit un bilan annuel de la négociation collective, mais aussi des informations beaucoup plus ciblées alors que l'amendement donne à la conférence proposée un objet très général : une définition plus circonscrite du champ de la négociation collective a l'avantage de permettre une réalisation plus concrète.

M. le Ministre délégué - Je l'ai déjà rappelé, c'est au niveau des branches et des entreprises que la négociation annuelle est obligatoire. Elle a été particulièrement active : je renvoie au bilan annuel de la négociation collective pour 2003. On note en effet une forte activité de négociation salariale, qui est passée de 4 000 à 5 000 entreprises. Ceci est d'ailleurs lié à la revalorisation du pouvoir d'achat des salaires les plus modestes, c'est-à-dire du SMIC, en conséquence de la décision de convergence prise par le Gouvernement. Les renégociations salariales qui en ont résulté ont assuré en 2003 au pouvoir d'achat du salaire ouvrier le plus modeste une progression de 0,3% par rapport au pouvoir d'achat moyen des autres salaires.

Mme Martine Billard - C'est énorme...

M. le Ministre délégué - Je rappelle que le PIB a crû de 0,5%. Au niveau des branches, on note aussi une croissance du nombre des négociations : 384 en 2003. Les trois principaux thèmes de négociation sont le relèvement salarial, puis la formation professionnelle et l'apprentissage, enfin les relèvements de primes - ce qui nous ramène au thème des revenus. Nous ne pouvons donc être favorables à l'amendement, d'autant qu'il faut laisser à la branche et à l'entreprise cette capacité d'une vraie négociation au plus près du terrain.

Mme Danièle Hoffman-Rispal - Je regrette cette position, Monsieur le ministre. Le travail est quelque chose de très important dans la vie et occupe une grande part de notre temps. Il détermine largement notre vie quotidienne, et il est important de savoir ce qui va se passer dans ce cadre, et par exemple ce qui se passera quant au compte épargne-temps. Nombre des mesures du contrat France 2005, présenté le 9 décembre par le Premier ministre, engagent profondément la vie quotidienne des salariés. D'autant que vous prévoyez d'autres grandes réformes : vous avez annoncé une loi sur l'égalité professionnelle entre hommes et femmes ; nous avons aussi parlé de la pénibilité. Tous ces sujets méritent une vraie négociation collective où tout le monde soit autour de la même table. Les gens se portent mieux quand ils savent ce qui les attend. Or, la présente proposition va changer réellement les conditions de travail. Vous renvoyez aux accords de branche : je maintiens que l'emploi, les conditions de travail, le temps de travail méritent une grande conférence.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Nous avons déjà évoqué ces sujets fin novembre, début décembre, Monsieur le ministre. Mais vous ne nous avez pas tout dit alors. De même, quand M. Raffarin a évoqué le double accord de l'employeur et du salarié, il a omis de dire que, dix jours plus tard, un décret porterait à 220 le nombre d'heures supplémentaires au-delà duquel l'accord du salarié est nécessaire... Cela s'appelle fausser la donne avant de distribuer les cartes.

De quoi le Gouvernement a-t-il peur avec l'amendement 72 ? Que dit cet amendement ? « Le Gouvernement organise avant la fin du deuxième trimestre de l'année en cours une conférence sur les salaires, l'emploi, les conditions de travail, l'organisation du temps de travail avec l'ensemble des représentants des organisations syndicales et patronales représentatives ». Quelle horreur ! Incroyable ! Comment peut-on envisager qu'une fois l'an il soit possible au Gouvernement d'ouvrir une conférence ?

M. Bruno Le Roux - Et ce sont les chantres du dialogue social !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Je crois que le Gouvernement et la majorité ont peur du dialogue social (Protestations sur les bancs du groupe UMP), tout en affichant le contraire - sans quoi il leur faudrait admettre qu'ils orchestrent un recul social de quarante ou cinquante ans... Mais en réalité vous rendez ce dialogue impossible, en le divisant, en le coupant de ce qui faisait sa force. Demain, le rapport social s'établira entre l'employeur et l'individu : la pire des situations pour les salariés. C'est parce qu'on est allé au-delà de cette individuation que les progrès ont été accomplis, y compris parfois par ceux qui partagent vos inspirations politiques. Votre refus de cet amendement traduit un refus du dialogue social, une volonté de le priver des donnes sincères sur lesquelles il peut s'établir. La conférence que nous proposons fait peur à ce gouvernement et à cette majorité : samedi, on en entendra parler !

M. Hervé Novelli - Le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Conseil constitutionnel se sont récemment élevés contre les scories parlementaires, cette forme de dévoiement qui consiste par exemple à introduire par voie d'amendement - et je m'en étonne, compte tenu de la qualité des signataires - des choses qui existent déjà, M. le ministre l'a montré, et surtout une injonction au Gouvernement : celui-ci n'a pas à se voir intimer d'organiser une conférence avant la fin du deuxième trimestre. Ce n'est pas de bonne pratique législative. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

L'amendement 72, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Alain Vidalies - Depuis le début du débat, la majorité et le Gouvernement repoussent systématiquement nos amendements. En voici un qui devrait faire l'objet d'un consensus : son texte est en effet issu du rapport n° 231 du 1er octobre 2002 de M. Morange sur le projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi. « La majorité actuelle, lit-on dans ce rapport, considère que son rôle essentiel est d'instaurer de nouvelles conditions pour que s'épanouisse une vraie culture du dialogue social. Le Premier ministre a pris l'engagement de ne proposer aucun projet social important sans avoir réuni et écouté l'ensemble des acteurs concernés. »

M. Raoult remplace M. Le Garrec au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Éric RAOULT

vice-président

M. Alain Vidalies - « Lors de son audition devant la commission le 17 septembre 2002, M. François Fillon a d'ailleurs indiqué que certaines dispositions contenues dans l'avant-projet avaient été retirées à la demande des représentants des organisations syndicales. » « Le ministre, ajoute le rapporteur, a annoncé que le futur décret destiné à relever le contingent annuel des heures supplémentaires à 180 heures serait valable pour dix-huit mois. Le Gouvernement se donne donc la possibilité, à l'issue de cette période d'observation, de maintenir ou non le contingent au même niveau. C'est le résultat des négociations intervenues dans les branches au terme de la période qui pourra inciter le ministre à confirmer ou non ce volume. L'humilité qui caractérise cette démarche doit être saluée. » Le ministre lui-même avait indiqué que le Gouvernement arrêterait sa position, conformément au souhait du Premier ministre, après avis de la Commission nationale de la négociation collective et du Conseil économique et social. L'amendement 69 ne fait donc que reprendre vos engagements.

M. le Rapporteur - Je vous remercie d'avoir salué la qualité de l'auteur. (Sourires) La commission a donné un avis défavorable à cet amendement. Le rapport faisait référence au décret de 2002, or nous nous trouvons aujourd'hui dans le cadre de celui de décembre 2004.

M. Gaëtan Gorce - Dialectique laborieuse !

M. le Ministre délégué - J'ai déjà répondu à M. Gorce sur le sujet. J'ai rappelé la teneur de la lettre du 30 juin 2004 adressée aux partenaires sociaux et du programme qui l'accompagnait, relatif à l'évolution de la législation sur la durée du travail. J'ai dit également que cette négociation interprofessionnelle n'avait pas pu s'engager, que le Gouvernement avait par conséquent engagé deux négociations bilatérales avec les représentants respectifs des partenaires sociaux, et qu'il n'avait pas consulté le Conseil économique et social. Je veux vous bien répéter ce que j'ai dit hier : après tout, la pédagogie est l'art de la répétition !

M. Gaëtan Gorce - Je conçois que le Gouvernement puisse être mal à l'aise dans ce débat : qu'il s'agisse de la loi ou du décret, il prend des engagements solennels qu'il méprise à la première occasion ! Nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes, Monsieur le ministre. Avouer devant la représentation nationale que vous ne faites aucun cas des engagements que vous prenez en droit, c'est tout de même problématique pour la crédibilité de votre action ! Vous comprendrez donc que les syndicats, les salariés et les élus expriment leur réprobation.

M. Novelli nous parle de scories. Le dialogue social serait donc un déchet à recycler ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Vous me direz que c'est exactement comme tel que le traite le Gouvernement ... Vous êtes en train de nous jouer Love scorie ! (Même mouvement) Plus grave, vous cassez tout le mécanisme de dialogue avec les partenaires sociaux sans lesquels il n'est pas de réforme possible dans notre pays : ils savent désormais que leur consultation et vos propres engagements ne pèsent rien ! Sans doute sommes-nous quelque peu véhéments, mais nous avons des raisons de l'être : nous avons entendu tant de leçons sur le dialogue social que nous aurions méprisé...

M. Hervé Novelli - C'est vrai !

M. Gaëtan Gorce - Vous nous permettrez donc de rappeler le Gouvernement au respect de ses propres principes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

L'amendement 69, mis aux voix, n'est pas adopté.

ARTICLE PREMIER

Mme Huguette Bello - « Travailler plus pour gagner plus », tel est le slogan efficace brandi pour vendre la réforme du temps de travail. Derrière cet apparent bon sens se cache cependant la remise en cause d'un des principaux acquis sociaux, ces 35 heures que ce texte vide de toute portée. Le compte épargne-temps de l'article premier ne prévoit ainsi aucune majoration des jours de RTT transformés en salaire, ce qui équivaut à une diminution du salaire horaire.

Pire, on devine derrière ce slogan une autre remise en cause à plus long terme, celle de la notion même de durée légale du travail. La principale et légitime aspiration des salariés est en effet l'amélioration de leur pouvoir d'achat. Or, en l'absence de revalorisation des salaires, le seul moyen qui leur reste pour atteindre cet objectif est de travailler plus d'heures.

Dans un, deux ou trois ans, on viendra nous dire que « pour gagner plus, il faut travailler encore plus ». Ainsi fera-t-on périodiquement jusqu'à ce que la durée légale du travail devienne à son tour le bouc émissaire à sacrifier, les actionnaires et les dirigeants d'entreprise prenant naturellement soin de se mettre eux-mêmes à l'abri des conséquences de ce prétendu déclin sur lequel ils gémissent.

Un autre risque se cache derrière cette illusion du temps choisi. Il faut n'avoir jamais mis les pieds dans une entreprise pour imaginer que l'accord sur le temps choisi se fera d'une manière aussi idyllique ! Tout indique que cet accord sera dans la plupart des cas le résultat d'un échange inégal entre le salarié et l'employeur. Le stress et la souffrance des salariés seront ainsi aggravés, et la médecine du travail adressera une nouvelle mise en garde dont on ne se souciera pas plus que des précédentes.

Le temps choisi deviendra une nouvelle occasion de mettre les salariés en concurrence et d'en arriver à cette atomisation du monde de l'entreprise décrite par Pierre Mari dans son roman Résolution : au sein des entreprises, les personnes « se voient emportées dans une dynamique chaotique où elles perdent à peu près tous leurs repères. » Quoi d'étonnant quand la vie y est organisée par la logique de ce qu'on a osé appeler le chaos management ?

Rien d'étonnant non plus quand des officines de consultants draguent les grandes entreprises pour y vendre, à des prix exorbitants, leurs remèdes miracles ? Quand elles prétendent transformer, comme elles le disent, chaque salarié en une petite entreprise performante, une P.E.P, travaillant pour son bénéfice individuel net.

Les 35 heures ont permis aux mères d'enfants en bas âge de mieux concilier vie familiale et activité professionnelle. Ce progrès risque d'être menacé par la mise en place de ces nouvelles dispositions. On peut craindre que les femmes ne se retrouvent devant les insolubles arbitrages habituels et que recule la perspective de leur égalité professionnelle avec les hommes.

Mme Martine Billard - Le compte épargne-temps sert au salarié à travailler plus pour avoir plus de temps, plus tard, afin de mener un projet personnel - congé parental, formation, retraite anticipée... Il répond à une conception du temps choisi par et pour le salarié, tout en protégeant sa santé puisque le repos compensatoire obligatoire ne peut être affecté au compte épargne-temps et qu'il y a des limites au nombre de jours épargnés et à la durée de cette épargne. Tout cela, vous le remettez en cause en supprimant ces limites et en transformant le temps en argent. Quant à la santé du salarié, elle sera assurée par la limite maximum du nombre d'heures de travail et l'obligation de repos minimum. Heureusement qu'il y a la directive européenne qui fixe le maximum hebdomadaire à 48 heures !

M. Daniel Mach - Démagogie !

Mme Martine Billard - Sinon, on pourrait s'inquiéter pour la santé du salarié français...

M. Hervé Novelli - Alors, vive l'Europe ?

Mme Martine Billard - ...car avec le gouvernement actuel, on irait jusqu'à 50, 60 heures.

M. Daniel Mach - Caricature !

Mme Martine Billard - On en revient à la lutte séculaire entre salariés et patrons pour diminuer la durée du travail afin d'avoir du temps pour la famille, les loisirs, la culture, et aussi le bénévolat, dont les associations ont bien besoin puisque vous supprimez les emplois-jeunes et que vous réduisez les subventions.

Quant à ce que le rapporteur appelle la principale innovation du dispositif, c'est-à-dire la possibilité de rémunération immédiate ou différée, elle met vraiment fin à l'idée de temps choisi. D'autre part, la mention selon laquelle l'indemnisation pendant le congé doit se faire sur la base de la rémunération perçue au moment du congé disparaît... « dans un souci de simplification ». Il est sûr que c'était compliqué. Mais, poursuit le rapporteur « il va sans dire qu'elle sera utilement reprise dans le texte de la convention collective ». Si elle ne l'est pas, tant pis pour le salarié !

M. Hervé Novelli - Vous n'avez pas confiance dans les syndicats ?

Mme Martine Billard - Et dans les entreprises où il n'y a pas de syndicat, à qui faut-il faire confiance ? Vous avez l'air de croire qu'il y a des syndicats partout, ce n'est pas le cas. Il y en aurait certainement plus s'il n'y avait pas une telle répression, si le ministre du travail n'acceptait pas le licenciement de délégués syndicaux, contre l'avis de l'inspection du travail.

M. Patrick Ollier - Vous pourriez dire cela s'il y avait 30% de syndiqués, mais il y en a 8%.

Mme Martine Billard - S'il y en a 8%, c'est que quand on ose, dans une petite entreprise, être candidat à un poste de délégué ou à un mandat, on vous montre vite la sortie.

M. Gaëtan Gorce - Majorité et Gouvernement semblent avoir du mal à assumer le contenu de ce texte. Nos questions n'obtiennent pas de réponse et, sur le dialogue social en particulier, faute de pouvoir soutenir leur position, ils ont abandonné le débat en rase campagne. Sûrs d'être majoritaires, ils semblent attendre simplement que ce texte soit voté. Sur un texte aussi symbolique, pour supprimer une mesure aussi honnie que les 35 heures, on pouvait espérer une véritable discussion. Nous attendons désespérément que la majorité accepte de s'y engager.

Vous dites par exemple que le compte épargne-temps sera utilisé pour améliorer le pouvoir d'achat. Débattons-en ! Vous ne le faites pas car la réalité vous met mal à l'aise, elle démasque vos faux-semblants. Sur les salaires, votre majorité est mal placée pour donner des leçons. Sur les huit dernières années, le pouvoir d'achat du salaire net par tête dans le secteur concurrentiel a progressé d'à peine 1% - mais cela cache une diminution de 4,1% de 1993 à 1997 quand vous étiez au pouvoir et une augmentation de 5,1% entre 1998 et 2002.

M. Patrick Ollier - Parlons du SMIC, pour les plus humbles.

M. Gaëtan Gorce - Et il est faux de prétendre que la RTT s'est faite au détriment du salaire. Vous parlez du SMIC. La loi de 2000 prévoyait expressément le maintien de la rémunération malgré la baisse de la durée du travail. Vous l'aviez combattu. Et dans 98% des cas, les accords de RTT ont prévu un maintien du salaire sous forme de prime ou de l'augmentation du taux horaire. Il y a eu des engagements de modération salariale, mais ils sont minoritaires et n'ont pas dépassé deux ans en moyenne, c'est-à-dire qu'on est sorti de cette situation. Surtout, selon la DARES, la hausse du pouvoir d'achat a été équivalente pour les salariés, qu'ils soient passés à 35 heures ou restés à 39. La conclusion est la même pour les salariés qui font des heures supplémentaires.

C'est donc une mystification que de demander aux salariés de renoncer à des droits au repos qui sont acquis et rémunérés contre une augmentation de pouvoir d'achat tout à fait illusoire puisqu'ils peuvent faire des heures supplémentaires et que les majorations indiquées pourront être fixées, par la négociation, à un seuil inférieur à ce qui est prévu dans la loi.

M. le Président - Je vous demande de respecter votre temps de parole, ou je devrai limiter le nombre d'intervenants.

M. Gaëtan Gorce - Nous devons répéter nos questions, puisque nous n'obtenons pas de réponse.

M. Jean Le Garrec - Le compte épargne-temps, institué par la loi Aubry, était une bonne idée. Vous la pervertissez en le transformant en un fourre-tout. On pourrait bien creuser quelques hypothèses, par exemple s'en servir pour le financement de prestations de retraite. M. Larcher, en homme de bon sens, a évoquée cette hypothèse, car il sait aussi bien que nous que la loi Fillon sur les retraites est inapplicable. Mais le compte épargne-temps ne résoudra pas le problème pour les travailleurs les plus fatigués dans les métiers les plus durs. On peut évoquer également le rachat par les cadres des années d'études supérieures. Mais avant cela, il fallait analyser la situation actuelle des CET, et notamment avoir des contacts avec les syndicats, car si l'idée était bonne, il fallait aussi en cerner les difficultés d'application.

Le compte épargne-temps doit être provisionné dans les comptes de l'entreprise, ce qui ne peut se faire qu'en numéraire. Comment procédera-t-on ? Comment fera-t-on évoluer ce provisionnement pour tenir compte de l'évolution du coût de la vie et des salaires ? C'est une première question importante, sur laquelle une négociation avec les organisations syndicales était indispensable.

Deuxième question : comment ce provisionnement sera-t-il garanti ? L'AGS connaît de grosses difficultés financières et le risque est grand pour les salariés qu'on tombe dans un jeu de bonneteau, en cas de disparition ou de rachat d'entreprises. Vous n'avez pas davantage engagé une réflexion sur ce sujet !

Tout cela amène les responsables financiers des grandes entreprises et les banques à s'inquiéter du risque de bulle financière : vous fabriquez une bombe à retardement.

M. Hervé Novelli - Nous abordons enfin l'article premier... Un mot d'abord pour corriger les propos de M. Gorce : en 2000, compte tenu du passage de 39 à 35 heures, le pouvoir d'achat a reculé de 0,3 % - selon les chiffres de l'INSEE.

Le compte épargne-temps, je le rappelle, est une disposition Aubry.

Mme Danièle Hoffman-Rispal - Il a été créé en 1994 !

M. Hervé Novelli - Raison de plus pour lui donner enfin des chances de se développer, sachant qu'aujourd'hui moins de deux entreprises sur dix ont adopté le dispositif. C'est l'objet de cet article, qui simplifie ce compte épargne, le rénove et l'assouplit. On ne peut pas dire qu'il ne faut pas le faire, alors que le dispositif ne fonctionne pas, au motif que ce serait prendre le risque qu'il fonctionne trop bien !

M. Gérard Bapt - Il est scandaleux que M. Novelli parle de « rénovation » du compte épargne-temps ! Je voudrais prolonger les propos de mes collègues Gorce et Le Garrec en évoquant le problème de la garantie des droits acquis, qui doit être assurée par l'association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés - visant à garantir, en cas de redressement ou de liquidation judiciaire des entreprises, le paiement des créances dues en exécution du contrat de travail.

Ce régime de garantie est financé par des cotisations patronales assises sur les rémunérations servant de base au calcul des contributions d'assurance chômage. En 2004, devant les difficultés financières persistantes de l'AGS - déficit cumulé 2002-2003 de près d'un milliard -, le taux de cotisation a été porté à 0,45%. Le montant maximum de la garantie est fixé à six fois le plafond mensuel retenu pour le calcul des contributions au régime d'assurance chômage ; devant les contestations du Medef, M. Fillon a décidé de le diviser par deux.

Vous voulez aujourd'hui ajouter à la garantie concernant les salaires une garantie portant sur le compte épargne-temps . Mais les salariés qui auront un compte épargne-temps fortement doté risquent fort d'atteindre rapidement le plafond de garantie de l'AGS, autrement dit d'avoir travaillé pour du vent...Il est donc indispensable d'exclure du calcul les sommes équivalant à la conversion monétaire des jours épargnés, afin d'assurer le paiement intégral des droits acquis.

La menace pour les salariés est encore aggravée par le projet de loi dit de sauvegarde des entreprises, qui prévoit lui aussi une intervention de l'AGS pour financer les licenciements décidés dans ce cadre. Nous demandons donc au Gouvernement de nous donner des explications claires quant aux garanties données aux salariés.

M. Alain Vidalies - Le projet réformant les procédures de liquidation des entreprises, dont nous discuterons début mars, ajoute en effet aux difficultés et nous aimerions que le Gouvernement nous éclaire sur la cohérence de ces différents textes...

Un sondage publié hier révèle que 69% des Français sont favorables aux manifestations qui vont avoir lieu samedi. Parmi eux, 44% se disent sympathisants de la droite... C'est dire que ce texte fait des dégâts dans votre camp.

Ces réactions ne sont pas étonnantes, quand on voit par exemple - c'est une dépêche de l'AFP d'hier soir - que le PDG de France Télécom, M. Thierry Breton, en se félicitant de la discussion de ce texte, déclare : « La souplesse qui manquait arrive. Cela ne veut pas dire que tout le monde va passer aux quarante heures ». Pas tout le monde, mais presque... Extraordinaire ! Au moins, les Français vont comprendre de quoi il s'agit.

Bien plus, le Gouvernement affirme avoir un slogan : « Travailler plus pour gagner plus ». Mais en réalité, ce slogan n'est pas de lui : il a été utilisé pour la première fois en 2002, à Lyon, au congrès du Medef, ainsi que M. Seillière l'a confirmé dans son discours du 18 janvier 2005.

M. Hervé Novelli - Vous êtes obsédé !

M. Alain Vidalies - Le Gouvernement n'a donc rien trouvé de mieux que de reprendre mot pour mot un slogan du Medef ! En 2003, vous vous étiez engagés à tenir une négociation et à demander l'avis du Conseil économique et social. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ? Ne pas respecter ses engagements, lorsqu'ils concernent une institution de la République, ce n'est pas rien ! La réponse est unique dans l'histoire de la République, et l'Union des industries et métiers de la métallurgie l'explique bien : le Gouvernement avait, dans un premier temps, souhaité que les modifications nécessaires fassent l'objet de négociations entre les partenaires sociaux, mais cela n'aurait à l'évidence abouti qu'à un échec. Elle a donc écrit au Gouvernement qu'elle n'a pas, par la négociation, à donner des compensations et des contreparties à la modification de règles de travail qui lui paraissent limiter l'embauche, freiner le développement des entreprises et être à l'origine des difficultés économiques du pays.

M. le Président - Veuillez conclure, Monsieur Vidalies.

M. Alain Vidalies - Le Gouvernement a donc ignoré la loi pour exécuter les ordres du Medef ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Danièle Hoffman-Rispal - Le texte dont nous débattons est court, ce qui nous change agréablement, mais qui a aussi pour conséquence que tous ses défauts sont visibles dès le premier article. Les dispositions sur le compte épargne-temps, d'apparence anodines, se retourneront inévitablement contre les salariés. Elles dénaturent le concept, en reléguant la notion de temps derrière l'épargne tout court. Cet article aurait pu s'appeler « travailler plus pour gagner moins » ! Le pouvoir d'achat, la consommation, la croissance économique n'ont en effet visiblement pas présidé à sa rédaction. C'est la volonté de créer un nouveau prélèvement pour financer le nouveau système de retraite par capitalisation qui en est le véritable moteur !

Ce compte épargne-temps permettait jusqu'à présent aux salariés de mieux maîtriser leur temps et d'adapter la réduction du temps de travail à leur cas personnel. C'est un droit social auquel les lois Aubry ont donné une nouvelle ampleur, mais qui avait été créé en 1994. Aujourd'hui, vous le travestissez, vous en donnez la maîtrise à l'employeur, vous en faites un outil de financement de la retraite par capitalisation, vous le retournez comme une arme contre le salarié. Probablement d'ailleurs pensez-vous que le patron sait mieux que celui-ci ce qui est bon pour lui !

Au moins, les masques tombent. Vous êtes la courroie de transmission du Medef, l'incarnation d'un libéralisme débridé. Vous ne croyez ni à la négociation collective, ni à la démocratie sociale. Vous leur préférez l'accord direct entre employeur et salarié - et, lorsqu'on connaît le monde du travail, on peut en conclure que vous avez choisi votre camp ! Vous cherchez systématiquement à réduire le coût du travail, en baissant les charges sociales certes, mais aussi en instaurant le travail gratuit - la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie en est le premier aperçu. Et maintenant, l'employeur pourrait inscrire unilatéralement, sur le compte épargne-temps, des primes et même des augmentations de salaire ? Heureusement, le Gouvernement semble plus prudent que sa majorité sur ce point... En effet, que deviendrait le salarié le jour où l'entreprise arrête son activité ? Cet article pose donc un vrai problème. Les orateurs de la majorité souhaitent, à terme, étendre ces nouvelles mesures à l'ensemble de la fonction publique. Nous n'aurons de cesse de les dénoncer.

M. Michel Liebgott - Si nous avons le souci de protéger les salariés des petites entreprises, c'est parce qu'ils ne disposent souvent pas d'une représentation syndicale, et aussi parce que ce sont ceux qui bénéficient le moins de la réduction du temps de travail. Pour autant, tout ne va pas pour le mieux dans les grandes entreprises et même là où les choses fonctionnaient bien, là où on avait atteint un équilibre qui donnait satisfaction à la fois à l'employeur et aux salariés, votre réforme va déstabiliser la situation. Arcelor, par exemple, deuxième entreprise sidérurgique mondiale, avait passé un accord sur la réduction du temps de travail. Sa direction a très bien vu venir la présente proposition de loi. Elle sait qu'il faut produire plus car on manque d'acier, mais ne veut bien sûr pas prendre le risque d'embaucher : tout le monde fait toujours tout pour l'éviter ! Externaliser, sous-traiter, avec tous les accidents et les difficultés que ça entraîne... Et vous lui rendez service ! Elle va pouvoir demander à ses salariés de faire plus d'heures !

Cela mène à une discussion complètement bloquée : 75% des salariés représentés refusent le nouvel accord ! La CGT, représentant 45% des salariés, a fait valoir son droit d'opposition. La CFDT a longuement hésité, puis ne l'a pas fait. L'angoisse qui règne, même dans ces grandes entreprises, est telle, les craintes de voir les acquis d'Aubry I menacés si fortes qu'elle a considéré qu'il valait mieux garder l'accord actuel plutôt que de se lancer dans une négociation d'un tout autre ordre, de gré à gré entre les salariés et la direction, sans les protections de la loi Aubry I !

Alors, on va tout simplement augmenter les temps de travail dans certains sites, avec toutes les conséquences qui en découlent avec : pas de créations d'emplois, mais surtout de sérieuses inquiétudes sur le plan de la santé ! Il est encore des métiers difficiles, et l'on peut s'inquiéter de voir des gens exécuter 48 heures par semaine des travaux qui demandent beaucoup d'attention ! D'autant que ces métiers ont déjà été largement touchés, par l'amiante par exemple : n'en rajoutons pas ! Même la direction de l'entreprise reconnaît une hausse des accidents - trois graves à Florange, dont deux mortels, ces six derniers mois ! - et parle d'échec. Mais elle n'en inversera pas pour autant sa politique ! Ce qui compte en effet, c'est la rémunération des fonds de pensions. Il est vrai que les bénéfices de l'entreprise sont en effet spécialement importants !

M. Maxime Gremetz - Cet article modifie les règles relatives au compte épargne-temps. De manière surprenante, il prend le contre-pied de ce qu'avaient voulu ses créateurs, qui étaient pourtant de votre bord. Lorsque le gouvernement Balladur a institué le compte épargne-temps, l'objectif était d'inciter les salariés à préférer une rémunération en temps plutôt qu'en salaire ou en prime, à l'instar de la réforme des modalités de compensation des heures supplémentaires opérée par la loi quinquennale sur l'emploi du 20 décembre 1993. Celle-ci, tout en pénalisant le recours aux heures supplémentaires, incitait à leur rémunération en repos compensateur de façon à favoriser l'embauche. Ces principes, très progressistes bien avant les lois Aubry, sont ceux-là mêmes que nous défendons aujourd'hui par nos amendements. Nous devrions donc pouvoir nous retrouver. Or, on en est loin car votre seul objectif est de monétariser le compte épargne-temps et ainsi, d'autoriser que les salariés fassent crédit à leur employeur de certaines des sommes qui leur sont dues. Il ne s'était jamais vu que des salariés doivent avancer de l'argent à leur patron ! Cette monétarisation a débuté avec la loi Fillon de janvier 2003 qui a permis la constitution d'une épargne et l'on doit vous reconnaître le mérite de la cohérence.

Nous étions, pour notre part, réservés sur le principe même du compte épargne-temps, qui n'est qu'une RTT à crédit, synonyme donc de créations d'emplois à crédit. Il s'agissait néanmoins d'une forme de compensation des heures supplémentaires. Mais voilà qu'aujourd'hui vous autorisez le rachat du temps épargné, c'est-à-dire qu'il n'y aura plus de RTT du tout. En réalité, les salariés feront des heures supplémentaires qui ne leur seront payées que plus tard, sans qu'ils sachent d'ailleurs ni comment ni combien. Quelles garanties auront-ils de récupérer leur dû en cas de faillite de l'entreprise ? Certes, les droits acquis sur les comptes épargne-temps sont garantis par l'AGS...

M. le Président - Veuillez conclure, Monsieur Gremetz.

M. Maxime Gremetz - ...mais cette garantie est limitée à un plafond fixé par décret. Compte tenu du nouveau régime, plus souple, d'accumulation de droits sur le compte épargne-temps, la question se pose de la garantie des droits supérieurs à ce plafond. Comment le Gouvernement compte-t-il l'assurer ?

M. le Président - Votre temps de parole est écoulé, Monsieur Gremetz.

M. Maxime Gremetz - Je souhaite maintenant faire un rappel au Règlement. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Patrick Ollier - Vous venez d'arriver en séance, et vous cherchez immédiatement à créer des incidents.

M. Maxime Gremetz - Monsieur Ollier, laissez le président de séance présider ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Ce n'est pas vous qui menez les débats, Monsieur Gremetz. Concluez, je vous prie.

M. Maxime Gremetz - Dans ces conditions, je demande une suspension de séance.

M. le Président - Je vais donner la parole aux deux derniers orateurs inscrits sur l'article, avant de suspendre la séance pour cinq minutes.

M. Maxime Gremetz - Non, la suspension est de droit immédiatement.

M. le Président - Elle est de droit au moment où je le décide. Monsieur Gremetz, je sais tout le rôle que vous jouez dans cet hémicycle pour que le Règlement soit scrupuleusement respecté. Il reste deux orateurs à entendre...

M. Maxime Gremetz - Non, je souhaite une suspension immédiatement.

M. le Président - Ce n'est pas vous qui présidez les débats. Votre demande sera honorée après les interventions de M. Le Roux et de M. Le Bouillonnec.

M. Maxime Gremetz - Non. Si c'est ainsi, nous ne sommes pas sortis de l'auberge... (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP) La suspension est de droit.

M. le Président - Elle est de droit lorsque le député qui la demande est dûment mandaté pour ce faire par le président de son groupe.

M. Maxime Gremetz - Je le suis. Monsieur le président, vous ne respectez pas le Règlement. (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Gaëtan Gorce - Monsieur le président, on gagnerait du temps à respecter le Règlement et à accéder à la demande de M. Gremetz. Je crois préférable de suspendre la séance. Nos collègues Le Roux et Le Bouillonnec sont tout à fait d'accord pour s'exprimer à la reprise.

La séance, suspendue à 17 heures 10, est reprise à 17 heures 20.

M. Bruno Le Roux - L'article premier est particulièrement dangereux car il détourne le compte épargne-temps de son objet premier. La suppression des limites maximales de jours de congé pouvant être affectés au CET et de jours pouvant être cumulés, ainsi que du délai dans lequel les jours cumulés doivent être pris, est contraire à la nécessité de protéger la sécurité et la santé des salariés. Les organisations syndicales l'ont d'ailleurs bien compris et elles sont massivement contre cette proposition de loi - qui a certes été déposée par des parlementaires, mais qui semble avoir été élaborée lors d'un congrès du Medef !

En fait, le nouveau CET devient un outil qui permet de différer et d'annuler les repos liés à la réduction du temps de travail à 35 heures et les repos compensateurs liés aux heures supplémentaires, sans garantir la rémunération majorée de celles-ci. Pire, le texte introduit une novation contraire à la liberté de choix du salarié, dans la mesure où désormais le CET pourra aussi être alimenté à l'initiative de l'employeur. En cas de variation de l'activité, l'employeur pourra ainsi décider d'affecter au CET du salarié des heures effectuées par ce dernier au lieu de les lui rémunérer selon les règles applicables aux heures supplémentaires. En somme, le salarié sera obligé de travailler selon les variations de l'activité mais il ne sera que virtuellement payé ! L'objectif réel de ce texte est bien de faire travailler plus pour gagner moins !

L'employeur pourra aussi affecter au CET des augmentations ou des compléments du salaire de base. Il est à noter que les conditions d'utilisation des droits affectés au CET à l'initiative de l'employeur seront à la discrétion de ce dernier. Enfin, le CET pourra être utilisé pour alimenter un plan d'épargne entreprise ou un plan d'épargne pour la retraite collectif - PERCO. Dans ce cas, l'employeur pourra déduire de l'assiette de l'impôt sur les sociétés les sommes versées, qui bénéficieront aussi d'exonérations sociales. Cette disposition constitue un véritable détournement du CET, tel qu'il avait été créé par la loi de juillet 1994 et modifié par les lois Aubry...

M. Hervé Novelli - Ça ne marchait pas !

M. Bruno Le Roux - Avec ce nouveau compte épargne-temps, l'employeur sera dispensé d'avoir une politique d'embauche et des salaires, il pourra réduire son imposition sur les bénéfices et échappera au paiement des cotisations sociales tout en confortant le dispositif des fonds de pensions. Nous sommes vraiment dans un copié-collé des propositions du Medef ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Le nouvel article L. 227-1 constitue un détournement du CET dans la mesure où il en fait l'outil d'une rémunération ultérieure, en contrepartie de congés ou de repos non pris. Déjà, la loi Fillon du 17 janvier 2003 lui avait assigné un nouvel objet, celui de se « constituer une épargne », les droits à congés payés pouvant être « valorisés en argent ». La présente proposition affirme clairement que les droits affectés au CET seront prioritairement utilisés pour compléter la rémunération du salarié.

Les salariés n'auront pas le choix. Ils ne pourront pas utiliser au moment où ils en auront besoin les contreparties légitimes du travail qu'ils auront effectué. Traduction paradoxale du slogan « travailler plus pour gagner plus » ! Leurs droits pourront servir à alimenter des fonds de pensions - aléatoires pour ce qui est du financement de leur future retraite - sans qu'ils aient leur mot à dire. Sans parler du manque à gagner pour la sécurité sociale ! C'est une véritable escroquerie.

De plus, cette proposition de loi n'apporte aucune garantie aux salariés en cas de départ de l'entreprise et supprime les dispositions minimales qui étaient applicables au transfert de droits en cas de mutation. Il est donc à craindre que le salarié soit grugé.

Ce texte est libéral à sens unique : sous couvert de liberté de choix des salariés, il ne sert que le patronat. C'est une arnaque sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Gaëtan Gorce - Tout à l'heure, le président de la commission a laissé entendre que c'était le dépôt tardif de deux amendements socialistes qui avait provoqué la convocation surprise de la commission. Pour protester contre cette déformation des faits, je demande une suspension de séance.

La séance, suspendue à 17 heures 30, est reprise à 17 heures 45.

M. Jean Le Garrec - Beaucoup de choses ont été dites sur cet article premier et des questions précises ont été posées au Gouvernement, notamment sur le provisionnement du compte épargne-temps, sa gestion, les garanties et l'AGS, etc. Ce sont des questions importantes sur lesquelles une réponse du ministre est indispensable. Pour les entreprises moyennes, en particulier, qui peuvent connaître des coups durs, des regroupements, des disparitions, le problème de la garantie et du mode de gestion du compte épargne-temps est capital. Une réponse précise du ministre est nécessaire pour que nous puissions engager le débat sur les amendements dans les meilleures conditions.

M. le Rapporteur - Je vais naturellement laisser M. le ministre répondre sur l'AGS, tout en précisant que la trésorerie de celle-ci connaît désormais, après une phase problématique, une évolution tout à fait positive.

Le compte épargne-temps est né en 1994, présenté par M. Giraud, puis il a été favorisé par les lois Aubry, dans la mesure où des jours de RTT pouvaient l'alimenter. La loi Fillon de janvier 2003 en a permis une meilleure utilisation. Quant à la présente proposition, elle poursuit un triple objectif de simplicité, de souplesse et de diversité. Simplicité, car le dispositif était complexe et d'une lecture malaisée. Certains critères responsables de sa faible utilisation - puisqu'il concerne seulement 15% des salariés, essentiellement dans les grandes entreprises - sont désormais supprimés : critères d'ancienneté, limites apportées à son alimentation, nécessité de le liquider sous cinq ans. A quoi s'ajoute la possibilité de l'abonder de façon bien supérieure, puisque, en sus de cette suppression de la limite des cinq ans, nous levons aussi les barrières limitatives à vingt-deux jours. Et la disparition du maximum de dix jours pour le report des congés payés, ainsi que la double limite de cinq jours par an et quinze jours au total, sont également supprimées. Nous aurons donc un potentiel de stockage sur ce compte épargne-temps qui lui permettra d'être un outil opérationnel capable d'accompagner le salarié tout au long de sa carrière, et de répondre à ses besoins tout en suivant l'évolution de sa vie familiale et de sa situation patrimoniale. Et cela toujours sous la double condition de l'accord collectif et du volontariat, ce qui assure au salarié toutes garanties de sécurité.

Nous avons aussi visé la diversité. Initialement, le compte épargne-temps avait vocation à stocker des journées qui pouvaient être restituées sous forme de jours de congé, qu'il s'agisse d'un congé sabbatique ou en vue d'une formation. La loi Fillon de janvier 2003 a introduit l'idée de monétarisation. Il peut s'agir d'une monétarisation immédiate ou différée. Immédiate, pour répondre aux besoins des salariés, mais avec le souci de la sécurité qu'évoquait M. Le Garrec, puisque la liquidation est limitée aux droits acquis dans l'année. Notons d'autre part que le potentiel qu'implique ce compte épargne-temps s'adosse sur l'AGS. Celle-ci possède un plafond d'environ 60 000 euros par salarié ; au-delà de ce montant, elle doit recourir à un mécanisme de sécurisation auprès d'organismes financiers. Ce qui répond à un problème important : il est essentiel que chaque salarié soit assuré, quelles que soient les modalités et la durée d'utilisation du compte épargne-temps, ainsi que sa capacité à être liquidé - que ce soit dans le cadre de cessations anticipées d'activité, de transfert vers une autre entreprise, ou éventuellement de création d'une entreprise - de tous les mécanismes de cautionnement.

Quant à la monétarisation différée, elle peut abonder des plans d'épargne, et notamment des plans d'épargne retraite collectifs ou PERCO, qui font bénéficier le salarié de mécanismes d'exonération des cotisations sociales et fiscales plafonnés à 4 600 euros. Au moment de la liquidation des droits liés au PERCO, le versement sera possible sous forme soit de capital, soit de rente.

M. le Ministre délégué - Le Gouvernement est favorable à cet article premier, qui rénove profondément le compte épargne-temps. Celui-ci fut institué par la loi Giraud, à la suite du rapport de M. Godfrain, puis repris dans la loi Aubry. Nous avons expérimenté les limites d'un système trop complexe, qui n'a été utilisé que par de très grandes entreprises, devenant ainsi un nouvel élément d'inégalité.

C'est grâce à Pierre Morange, et à la proposition de loi qu'il a déposée en juillet, qu'il est apparu que le compte épargne-temps - dont j'avais pu mesurer la complexité, mais aussi la nécessité, notamment à l'hôpital public - pouvait devenir un instrument essentiel de gestion du temps de travail à long terme, dans l'intérêt des salariés comme des entreprises. Les salariés pourront y recourir pour troquer des jours de repos contre un complément de rémunération ou se constituer un complément de retraite, pour racheter des années d'études, ou encore pour financer une période de formation, voire un congé sabbatique. De cette liberté nouvelle je souhaite que chaque salarié soit clairement informé, afin qu'il puisse la faire valoir lors de négociations de branche ou d'entreprise : j'ai donc demandé à ce que chaque salarié soit informé clairement.

Mme Billard, Mme Bello ont exprimé leur désaccord de fond avec l'article premier. MM. Le Garrec, Bapt, Vidalies, Gremetz ont soulevé des questions concernant notamment les garanties, sujet essentiel en effet : sans garanties, il pourrait y avoir leurre sur le compte épargne-temps. Ils ont évoqué aussi la situation de l'AGS : permet-elle de faire face ? Je rappelle que les heures supplémentaires, en imaginant qu'elles soient toutes versées au compte épargne-temps, représentent 1% de la masse salariale dans notre pays pour 2003.

Pour ce qui est du provisionnement, Monsieur le Garrec, les règles de provisionnement comptable pour les droits affectés sur un compte épargne-temps sont les règles comptables générales : les droits acquis, quelle que soit leur utilisation future, sont comptabilisés en charges dans les comptes de l'entreprise, et peuvent être provisionnés comme tels. La proposition apporte en outre des garanties complémentaires : au-delà d'un montant fixé par décret, et qui tiendra compte de la taille et de la surface financière de l'entreprise, il sera désormais obligatoire de recourir à un mécanisme d'assurance. Par conséquent, Monsieur Novelli, ce droit nouveau que vous avez souhaité est effectivement sécurisé dans votre texte.

La situation financière de l'AGS s'est inversée : après une longue période de comptes négatifs, elle a retrouvé fin novembre une situation positive de 76 millions, grâce à des efforts de mutualisation et de gestion. Les garanties AGS, revues au 1er janvier 2005, s'élèvent à 2 516 euros par mois pour le plafond de la sécurité sociale, et respectivement à 40 426 euros, 50 320 euros et 60 384 euros par an pour les plafonds IV, V et VI.

Le projet de loi de sauvegarde des entreprises prévoit d'étendre l'intervention de l'AGS à la phase de sauvegarde. Cela devrait être neutre pour ses comptes, son intervention en amont du redressement ou de la liquidation permettant d'éviter une intervention en aval.

Je ne partage pas votre crainte de voir se développer le travail gratuit, Madame Hoffman-Rispal : toute heure travaillée devra être rémunérée - et majorée le cas échéant - selon les conditions applicables dans l'entreprise. Quant à l'accord Arcelor, Monsieur Liebgott, il va bien au-delà du CET puisqu'il porte, de manière générale, sur l'organisation du temps de travail dans l'entreprise. Les négociations ont été entreprises sur le fondement des lois Aubry : elles ne relèvent donc pas du présent texte.

Le compte épargne-temps offre de nouveaux droits aux salariés, avec un vaste éventail de possibilités - PERP, PERCO, congé sabbatique, monétarisation annuelle, rachat d'années d'études - dans le cadre d'un accord collectif, bien entendu, puisque c'est le principe de l'accord collectif qui prévaut tout au long du texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean Le Garrec - Nous sommes là dans un débat fondamental, et il nous faudra encore beaucoup de temps pour explorer les arcanes du seul compte épargne-temps. Des sommes très importantes sont en jeu et le dispositif va concerner de nombreux salariés, en dehors des grandes entreprises qui ont souvent des modes de gestion leur permettant de faire face au risque dans de bonnes conditions - mais nous ne travaillons pas que pour les grandes entreprises et il importe donc de préciser certains points, et d'abord celui du provisionnement.

Lorsqu'on provisionnera, Monsieur le ministre, on ne provisionnera pas des heures ou des jours, mais des moyens monétaires, ce qui suppose une conversion qui n'est pas aisée. Y incluez-vous les majorations lorsqu'il s'agit d'heures supplémentaires ? L'évolution des montants ainsi provisionnés sera-t-elle liée à celle des salaires, et si oui, sur quelles bases ? Ce sont des questions précises, et les réponses que vous y apporterez sont importantes pour la suite du débat.

M. Patrick Ollier - Les propos de nos collègues témoignent d'une grande suspicion envers ce dispositif du compte épargne-temps. Dans leur esprit, le salarié serait la victime et seul l'employeur tirerait bénéfice du système.

Lisez cet article dans le détail : il laisse clairement le choix entre les droits à congé rémunéré et la rémunération. Avec mes collègues Novelli et Morange et le président Dubernard, nous avons voulu que l'accord collectif soit la pierre angulaire du compte épargne-temps. Cet article premier conforte donc le dialogue social, puisqu'il ne peut y avoir de compte épargne-temps sans accord collectif.

Le deuxième alinéa est tout aussi clair s'agissant de l'abondement du compte à l'initiative de l'employeur : il vise essentiellement les caractéristiques des variations de l'activité. Puisqu'il incombe à l'employeur de prendre les initiatives qui permettent de répondre à la demande du marché, il est naturel qu'il puisse prendre aussi l'initiative de l'abondement. Toutes les garanties ont été prises puisque le texte dispose que l'accord collectif « précise les conditions d'utilisation des droits qui ont été affectés sur le compte épargne-temps à l'initiative de l'employeur. »

Nous inaugurons là, Monsieur Gorce, de nouvelles relations partenariales entre les salariés et les chefs d'entreprise. Cela implique que l'on s'affranchisse de la culture traditionnelle des relations conflictuelles. J'espère vous avoir rassurés, car nous sommes de bonne foi.

M. Alain Vidalies - Je souhaite d'autres précisions au sujet de l'AGS.

Le compte épargne-temps va donc changer de statut. Dans la mesure où son volume augmente, le risque pour le salarié va augmenter aussi. Je vous rappelle qu'on enregistre 150 000 licenciements chaque année à la suite de défaillances d'entreprises. Vous nous dites que l'AGS interviendra, dans la limite des plafonds existants. Or, ceux-ci ont été considérablement abaissés dernièrement, tandis que des délais d'intervention étaient fixés.

Au-delà de ce plafond, le risque sera pris en charge par une assurance que l'entreprise devra souscrire. Mesure-t-on réellement ce que cela signifie pour l'entreprise ? La souscription de cette assurance est-elle dans l'esprit du Gouvernement une condition de validité des décisions qui seront prises pour l'alimentation du compte épargne-temps ? Si votre réponse est positive, il faut l'inscrire dans la loi.

M. le Ministre délégué - C'est l'accord qui est au cœur de la décision. Il doit notamment prévoir, Monsieur Le Garrec, les conditions du provisionnement : c'est donc lui qui fixe la règle applicable pour transformer du temps en argent, règle sur la base de laquelle sont passées les provisions, et ce indépendamment de la date à laquelle le salarié consommera ses droits.

Pour les heures supplémentaires faites à la demande de l'employeur et placées sur le compte épargne-temps, il y aura une majoration.

Le Gouvernement a effectivement remis un peu d'ordre dans les pratiques de l'AGS, dont la mission est de garantir les créances des salariés dans le cas de liquidation ou de redressement judiciaire, rien d'autre. Le rapport Chérioux avait été clair à ce sujet. D'ailleurs, le redressement a suivi. L'AGS couvre les droits stockés dans la limite des plafonds applicables, l'assurance est obligatoire, et la validité de l'accord en dépendra. Des droits nouveaux doivent être garantis, c'est le sens de l'AGS et de l'assurance obligatoire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Alain Vidalies - Mieux vaut mettre la garantie dans la loi.

M. Maxime Gremetz - L'amendement 17 est de suppression. Nous ne pouvons accepter cette réforme du compte épargne-temps qui le monétarise, menace la santé des salariés en supprimant les limites de stockage des heures, et fragilise la rémunération en fonction des heures supplémentaires effectuées. D'autre part, le compte épargne-temps est dénaturé. Il devrait profiter d'abord au salarié, qui doit rester seul maître de son utilisation. Enfin nous ne pouvons accepter que l'on renonce à un instrument possible de la réduction du temps de travail.

M. le Président - L'amendement 50 de Mme Billard, également de suppression, n'est pas défendu.

M. Gaëtan Gorce - Je le reprends.

M. le Président - Et vous défendez par là même l'amendement 73 de votre groupe ?

M. Gaëtan Gorce - Je laisserai ses auteurs intervenir.

Ayant écouté attentivement le ministre et M. Ollier, nous ne sommes pas rassurés. Nous contestons l'idée introduite par la loi Fillon de janvier 2003 selon laquelle ce temps épargné, qui devait servir à des congés, à la formation, à la vie familiale, ne sera pas forcément du repos mais pourra se transformer en rémunération, dans des conditions qui d'ailleurs, nous venons de le voir, ne sont pas absolument garanties. C'est une façon de détourner la durée légale du travail. D'autre part, on leurre le salarié en lui laissant croire qu'il pourrait obtenir une rémunération supplémentaire.

M. Ollier fait valoir que la garantie, c'est l'accord. Mais il n'est nullement prévu que cet accord mentionne une majoration des heures placées sur le compte épargne-temps. Pour qu'elle y figure, il faudra d'abord négocier. La logique voudrait que la négociation porte sur les garanties, pas sur l'élément de base qu'est la majoration elle-même. De toute façon, une fois l'accord obtenu, il ne protège pas contre la possibilité pour l'employeur d'inscrire une heure supplémentaire sur le compte épargne-temps sans l'accord du salarié qui voudrait bénéficier soit d'un repos soit d'une rémunération immédiate. Ainsi, l'employeur pourra décider de différer la rémunération. Il pourra même ne jamais la payer car il peut décider seul de la reporter sur un plan d'épargne collectif sans que le salarié ait son mot à dire. Le dispositif n'a donc que les apparences de la concertation. Il comporte aussi d'autres lacunes, sur lesquelles nous reviendrons.

Je prends un dernier exemple. Désormais, il sera possible de reporter sur le compte épargne-temps, qui est plutôt un compte de rémunération différé, le temps de repos dû au salarié pour des heures travaillées au-delà de ce qui est considéré comme tolérable pour sa santé. Si l'on doit un repos compensateur de 100% au salarié pour les heures au-delà du contingent de 180, et désormais 220 heures, c'est bien parce qu'on estime qu'il met sa santé en danger. Ce repos, qui devrait être d'ordre public, pourra être monnayé. Pour le salarié qui a besoin d'argent, la solution ne résidera pas dans la négociation collective sur les salaires, mais consistera à renoncer aux repos auxquels il a droit, y compris ce repos compensateur. C'est la première fois qu'on lui propose de faire argent de sa santé. C'est dangereux.

M. le Président - Pouvez-vous conclure ? Vous aviez cinq minutes, vous avez parlé huit minutes.

M. Gaëtan Gorce - Mais sur des questions qui concernent la vie quotidienne des salariés.

M. le Président - En l'occurrence, vous n'avez droit qu'à cinq minutes.

M. Gaëtan Gorce - Je pose des questions précises sur lesquelles j'espère des réponses, mais si vous considérez que le débat doit être aussi contraint, je demanderai une suspension de séance au nom de mon groupe.

M. le Président - On peut débattre sérieusement dans le cadre imposé par le Règlement. Essayez de le respecter, d'autant que vous reprenez l'amendement 50 et qu'un collègue de votre groupe pourra intervenir sur l'amendement 73. Et ne menacez pas.

M. Gaëtan Gorce - Je demande une suspension de séance.

M. le Président - Je donne la parole à M. Le Garrec pour défendre l'amendement 73. Désormais, j'interromprai tout orateur au terme de ses cinq minutes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Alain Vidalies - Nous demandons aussi l'application stricte du Règlement. La suspension est de droit !

M. le Président - L'amendement 73 est-il défendu ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Il ne l'est pas.

M. Alain Vidalies - C'est scandaleux.

M. le Président - Je vais faire voter sur les amendements 17 et 50, et par là même sur l'amendement 73.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

M. le Ministre délégué - De même.

M. Alain Vidalies - Nous allons répondre sur chacun des amendements, Monsieur le président, et chacun des intervenants parlera cinq minutes !

M. le Président - L'intimidation ne sert à rien, Monsieur Vidalies.

M. Alain Vidalies - Cet article soulève une question de fond. Peut-on négocier sur des dispositions relevant de l'ordre public social ? Le repos compensateur figure dans le droit du travail depuis longtemps ; jusqu'à présent, personne n'avait imaginé qu'on puisse négocier sur ce sujet, qui touche à la santé des gens ! Outre cette objection de fond, il y a l'argument économique, avancé par M. Godfrain lui-même en 1994 : la rémunération des heures supplémentaires sous forme de repos compensateur est un moyen de favoriser l'embauche.

Le problème est le même pour l'assurance. Permettre, comme vous le dites, qu'elle fasse partie de la négociation, c'est envisager qu'on puisse s'en passer. Ce serait très dangereux pour les salariés, qui pourraient ainsi être privés du paiement de leurs droits ! Si l'assurance n'est pas obligatoire, croyez bien que les chefs d'entreprise vont voir se multiplier les actions en responsabilité...

Enfin, il nous faut tenir compte du décret portant le contingent de 180 à 220 heures. Cela signifie que, jusqu'à 40 heures par semaine, les salariés n'auront rien à dire ; s'il peut y avoir discussion, ce sera sur la partie comprise entre 40 et 48 heures.

M. Gaëtan Gorce - Nous parlons en effet d'un sujet très grave, qui relève bien de l'ordre public social. Jamais on n'a traité un problème de santé publique de cette manière !

Le dispositif que vous avez imaginé confine d'ailleurs à l'absurde : un salarié qui fait des heures supplémentaires en deçà du seuil de déclenchement du repos compensateur obligatoire peut échanger sa rémunération contre du temps, appelé repos compensateur de remplacement ; mais vous prévoyez la possibilité pour lui, alors qu'il a fait ce choix, de retransformer cela en argent ! Quelle est la logique de ce système ?

M. Jean Le Garrec - Le compte épargne-temps se transforme en compte épargne monétaire, et cela dans un contexte totalement changé, tant par l'augmentation du contingent d'heures supplémentaires - porté de 120 à 180, puis 220 heures - que par le dispositif des « heures choisies ».

Je vois apparaître le risque d'une externalisation de ces comptes, en particulier pour les entreprises moyennes - avec création, en conséquence, d'un nouveau marché. En outre, votre système est en contradiction totale avec les déclarations que vous faites par ailleurs : l'augmentation inconsidérée des heures supplémentaires est contraire à une véritable politique de l'emploi ; le chargement inconsidéré de la barque du compte épargne-temps est contraire à une politique de relance par le soutien de la consommation.

C'est pourquoi nous défendons ces amendements de suppression.

M. Alain Vidalies - Si j'ai bien compris les propos du ministre, si les heures affectées au compte épargne-temps entrent dans le champ d'application des majorations, c'est en tenant compte de celles-ci qu'elles seront comptabilisées. J'aimerais en avoir confirmation.

Par ailleurs, je voudrais savoir si les sommes portées sur le compte épargne-temps donneront lieu à un versement de cotisations sociales au moment où le compte sera alimenté, ou au moment où le salarié demandera le paiement. Va-t-on opérer une distinction selon les formes d'utilisation - habituellement assujetties ou habituellement exonérées ? S'il y a une exonération de cotisations à la clé, l'employeur aura intérêt à faire transiter les rémunérations par le compte... Cela ne va pas sans conséquences pour les finances de la sécurité sociale et pour les droits à retraite des salariés.

Ni le rapport, ni les interventions du Gouvernement ne nous ont apporté de réponses à ces interrogations majeures.

Les amendements 17, 50 et 73, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président - M. Vidalies avait demandé une suspension de séance.

M. le Ministre délégué - Elle nous donnera l'occasion de faire le point sur nos travaux.

La séance, suspendue à 18 h 45, est reprise à 19 h 20.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Aux termes de cet article, une convention ou un accord collectif de branche - ou un accord d'entreprise ou d'établissement - pourront prévoir la création d'un compte épargne-temps au profit des salariés. La rédaction actuelle du code du travail mentionne, elle, une convention ou un accord collectif étendus. La différence est importante : la convention ou l'accord collectif étendus garantissent aux salariés de la branche l'application de règles conventionnelles conformes au droit du travail et permettent d'éviter des distorsions entre les entreprises dans une même branche. La procédure d'extension implique que les accords de branche sont conclus par des organisations syndicales représentatives, que leurs dispositions peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ de l'accord et que le ministre du travail peut supprimer les clauses contradictoires avec les textes législatifs et réglementaires en vigueur. Cette procédure est une garantie et l'amendement 76 propose donc d'en revenir à la rédaction initiale de cet article.

M. le Rapporteur - Le recours à la notion d'accord de branche étendu n'est plus judicieux depuis la loi du 4 mai 2004, qui transcrit une position commune intersyndicale et qui engage la décentralisation et la responsabilisation du dialogue social en permettant de traiter, au niveau des entreprises, de la plupart des questions réservées auparavant aux branches. A quoi sert l'extension ? D'abord à garantir un traitement identique pour tous à l'intérieur d'une branche, mais cela ne présente plus d'intérêt une fois que l'on a choisi les négociations d'entreprise, qui garantissent justement des solutions spécifiques. Ensuite, à déclencher une sorte de contrôle de l'administration, mais le principe des accords majoritaires nous paraît rendre un tel contrôle moins nécessaire à partir du moment où un accord signé par une organisation minoritaire peut être rejeté par la majorité des autres syndicats. C'est faire bien peu de cas des syndicats que d'imaginer qu'ils accepteront, au niveau des branches, des accords défavorables aux salariés !

Je voudrais maintenant répondre à la question de M. Vidalies sur les cotisations sociales liées aux journées stockées sur les comptes épargne-temps. Ces journées sont assimilables à des droits immatériels. Les cotisations sont donc versées lorsque ces journées sont liquidées, ainsi que le prévoit le code de la sécurité sociale. Le code de commerce, lui, impose pour la comptabilité des entreprises des éléments de sécurisation du provisionnement relatif à ces journées. Enfin, le dispositif du compte épargne-temps comporte en lui-même des éléments de sécurité, tels que la définition d'un plafond ou un adossement auprès d'organismes financiers.

M. le Ministre délégué - J'ajoute que la véritable garantie n'est pas dans l'extension, mais dans l'accord majoritaire tel que défini par la loi du 4 mai 2004 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Alain Vidalies - Dans le texte initial, il était question d'accord de branche étendu, ce qui a ensuite été supprimé. Nous aimerions savoir ce qui a justifié ce changement. Aucune organisation syndicale, que je sache, ne l'avait demandé. Il faut impérativement conserver la référence à l'accord de branche étendu. C'est le seul moyen pour que le Gouvernement puisse exiger que ces dispositions d'ordre public, touchant aux repos compensateurs, donc à la santé des salariés, comme à la garantie des risques pris par les salariés avec les comptes épargne-temps, fassent bien l'objet d'une négociation, à défaut d'être expressément prévues dans la loi, ce que nous aurions bien sûr préféré. Vous devriez revenir à la première idée des auteurs de la proposition de loi, qui était la bonne.

L'amendement 76, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Maxime Gremetz - Rappel au Règlement fondé sur l'article 58-1. Pour le bon déroulement de nos travaux, je souhaiterais savoir quelle stratégie ont choisie le Gouvernement et le groupe socialiste concernant la suite de ce débat. En effet, nous ne souhaiterions pas être les dindons de cette farce. A-t-il été ou non convenu de siéger lundi ? Ce jour-là, j'ai des obligations, notamment parce que je dois m'occuper de collaborateurs qui ont été licenciés... (« Pourquoi ? » sur les bancs du groupe socialiste) Pourquoi en effet ? Je me le demande. Ne plaisantez pas avec cela.

Si nous siégeons lundi, je vous assure qu'alors nous ne terminerons ce débat ni lundi, ni mardi.

M. le Président - Monsieur Gremetz, veuillez conclure. D'autant que ce n'est pas un rappel au Règlement.

M. Maxime Gremetz - Si, tout à fait. Le programme de travail, tel qu'établi après la Conférence des présidents de mardi dernier, prévoyait une séance supplémentaire consacrée à l'examen de ce texte mercredi matin, mais en aucun cas de séances lundi prochain. Une prochaine Conférence des présidents ne pourra se tenir que lundi pour éventuellement décider de siéger ce jour-là. Comment serons-nous alors prévenus ? De telles méthodes ne sont pas acceptables. Je veux, pour l'heure, savoir ce qui a été convenu entre le Gouvernement et le groupe socialiste.

M. Jean Leonetti - Cette intervention est profondément consternante. Faire un rappel au Règlement, c'est-à-dire interrompre le cours du débat, et interpeller le Gouvernement comme vient de le faire M. Gremetz, au motif qu'il a lundi prochain des obligations personnelles, aussi importantes soient-elles, n'est pas à l'honneur de notre Assemblée.

M. Pierre-Christophe Baguet - L'UDF aussi est indignée. Quelle image donne-t-on du Parlement en agissant de la sorte ? Alors que nous débattons d'un texte fondamental, intéressant des millions de nos concitoyens, nous n'avons pas à faire les frais des querelles intestines de la gauche. Ces chamailleries de cour de récréation sont inacceptables dans notre hémicycle. Avançons dans ce débat. Nous verrons bien jusqu'où nous irons.

M. Alain Vidalies - Le débat ouvert par M. Gremetz est en effet inutile et désagréable. Le groupe socialiste n'a passé aucun accord avec le Gouvernement. Nous sommes à la disposition de l'Assemblée aussi longtemps qu'il le faudra pour examiner ce texte, toute la nuit si nécessaire. Et, pour notre part, nous serons là aussi lundi s'il le faut. Je ne doute d'ailleurs pas qu'un collègue communiste pourra remplacer M. Gremetz ce jour-là s'il ne peut être présent. Nous terminerons lorsque le débat sera épuisé, je ne peux rien dire d'autre. (Exclamations de M. Gremetz)

M. le Président - Chers collègues, les interpellations de député à député ne sont pas admises.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - L'amendement 77 tend à ajouter dans le premier alinéa, après le mot « établissement », les mots « signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés, respectivement dans la branche, dans le groupe, dans l'entreprise ou dans l'établissement concerné, aux élections de représentativité organisées dans la branche dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. »

La création d'un compte épargne-temps doit faire l'objet d'un accord majoritaire signé par une ou des organisations représentatives des salariés dans la branche, dans le groupe, dans l'entreprise ou dans l'établissement, ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés lors d'élections de représentativité. Il y va de l'intérêt des salariés comme des employeurs.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Il n'y a pas lieu de déroger aux règles actuelles, qui correspondent à un équilibre trouvé au moment du vote de la loi du 4 mai 2004.

M. le Ministre délégué - Le Gouvernement ne peut pas être favorable à cet amendement. Il souhaite en effet que ce soit la loi du 4 mai qui s'applique en l'espèce.

M. Jean-Pierre Soisson - Cet amendement ne fait que reprendre un amendement déposé avant l'article premier, que nous avons déjà repoussé. Il n'y a pas lieu de rouvrir le débat.

M. Maxime Gremetz - C'est un amendement très important que j'avais moi-même déposé lors du débat sur les 35 heures. Preuve d'ailleurs que nos idées progressent...

Les accords de réduction du temps de travail devaient être des accords majoritaires. Mais ne pourrait-on dire la même chose de tous les accords ? Ce serait une exigence élémentaire de démocratie. Simplement, ce que nous entendons par accord majoritaire n'a pas grand-chose à voir avec l'accord majoritaire version Fillon, pour lequel il suffit que trois organisations syndicales contre deux aient signé, même si elles ne représentent à elles trois que 10% des salariés, contre 90% pour les deux autres !

Comme c'est un amendement important, je demande un scrutin public.

M. Alain Vidalies - Plus on donne de contenu aux accords, plus la question de leur légitimité se pose avec force. Peu importent les raisons pour lesquelles on a toléré jusqu'ici des accords minoritaires, il convient maintenant de se demander comment passer d'un système à l'autre, c'est-à-dire à de vrais accords majoritaires. La difficulté tient au fait que l'on n'est pas capable actuellement d'agglomérer au niveau de la branche des résultats significatifs en termes de représentativité, sauf peut-être à utiliser pour ce faire les résultats des dernières élections prud'homales.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Votre refus de réintroduire dans le texte, comme nous le demandions, la notion d'accord étendu rend encore plus nécessaire de garantir que les accords concernant les CET soient de vrais accords majoritaires. J'ajoute que ni la loi de janvier 2003 ni celle de mai 2004 n'avaient ôté la notion d'accord étendu, qui apporte un certain nombre de garanties supplémentaires, de l'échelon le plus proche du terrain jusqu'au niveau ministériel. Il y a donc une logique dans le déroulement de nos amendements, Monsieur Soisson.

A la majorité de 32 voix contre 8, sur 40 votants et 40 suffrages exprimés, l'amendement 77 n'est pas adopté.

Mme Danièle Hoffman-Rispal - Puisqu'il est beaucoup question de liberté depuis le début de cette discussion, nous demandons dans l'amendement 78 que l'on revienne, en ajoutant les mots « qui le désire », à l'idée selon laquelle le CET ne saurait être imposé au salarié.

M. le Rapporteur - L'amendement est conforme à l'esprit de liberté qui inspire le présent texte, mais j'y suis défavorable, car il ne recouvre pas l'intégralité du champ d'application du CET, une modalité d'alimentation de ce dernier étant réservée à l'initiative de l'employeur.

M. le Ministre délégué - Avis défavorable. Notons au passage que la seule exception au principe de liberté a été introduite par la loi Aubry.

M. Maxime Gremetz - Cet amendement est important, bien qu'il ne comporte que quelques mots. Mais des mots qui se réfèrent à l'idée de liberté ! Je demande donc un scrutin public.

M. Gaëtan Gorce - Cet amendement aurait le mérite sympathique d'introduire le beau mot de désir dans le code du travail, où il est peu fréquent. (Sourires)

M. Jean-Pierre Soisson - Il y avait en effet un petit parfum de poésie dans cet amendement, mais je me range à l'avis du rapporteur, car l'amendement n'englobe pas toutes les modalités du compte épargne-temps, qui n'est pas limité à la seule décision du salarié.

M. Maxime Gremetz - Voilà qui a le mérite de la clarté.

M. Jean-Pierre Soisson - Ah, Monsieur Gremetz, j'en profite pour saluer votre lecture de Philippe Soupault hier soir !

M. Alain Vidalies - Le ministre nous dit que c'est la loi Aubry qui a introduit une exception au principe de liberté. Pur effet de style, car dans cette loi, tout le dispositif du CET restait subordonné au désir exprimé à l'origine par le salarié. Le présent texte opère donc bien un grand changement par rapport au dispositif créé en 1994 par Philippe Séguin...

M. Hervé Novelli - On le sait.

M. Alain Vidalies - Personne n'imaginait alors qu'on puisse s'en remettre à la seule initiative de l'employeur ! Et quand nous-mêmes avons trouvé ce bébé et que nous l'avons nourri, tout le monde a pensé qu'il fallait une double parentalité. Mais voici que vous voulez donner priorité au père employeur et exclure l'autre parent. Je ne suis d'ailleurs pas très sûr que ce soit vraiment un cadeau pour les employeurs !

A la majorité de 38 voix contre 8, sur 46 votants et 46 suffrages exprimés, l'amendement 78 n'est pas adopté.

M. le Président - Nous allons aborder le dernier amendement de cette séance.

M. Maxime Gremetz - Il est 20 heures, nous devons suspendre.

M. le Président - M. Baguet a des obligations.

M. Pierre-Christophe Baguet - Je serai bref, car en commission M. Morin a déjà présenté une partie de notre amendement 85 et reçu certaines réponses de M. Morange. Cet amendement est en effet une demande d'assurances, et nous souhaitons avoir l'avis du Gouvernement sur deux questions. Nous nous félicitons que le compte épargne-temps puisse faire l'objet d'une rémunération immédiate ou différée en contrepartie de congés non pris, mais nous aimerions savoir si les droits versés sur un compte épargne-temps seront soumis au versement in fine de cotisations sociales. D'autre part, quelles seront les modalités de provisionnement comptable d'une rémunération liée, par exemple, à l'affectation par un salarié sur le compte épargne-temps, en 2005, de droits à congé d'une durée de quinze jours ?

M. le Président - Sur cet amendement, le groupe communiste demande un scrutin public.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. J'ai répondu à M. Vidalies, à l'occasion d'une question semblable, tant sur les cotisations sociales que sur le provisionnement. L'amendement est satisfait par la précision qu'apporte le septième alinéa, relativement à la liquidation dans la limite des droits acquis dans l'année.

M. le Ministre délégué - J'ai rappelé que les droits stockés sur le compte épargne-temps étaient comptabilisés en charges, et qu'au-delà du plafond intervenait l'assurance, le tiers garantissant. Je pense donc que nous avons répondu à la préoccupation de M. Morin et de M. Baguet, et que ce dernier pourrait retirer l'amendement.

M. Pierre-Christophe Baguet - Je le retire.

M. Maxime Gremetz - Je le reprends !

A l'unanimité des 32 suffrages exprimés sur 34 votants, l'amendement 85 n'est pas adopté.

M. Maxime Gremetz - Le délai entre l'annonce du scrutin et le vote n'était pas respecté.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 20 heures 5.

              Le Directeur du service
              des comptes rendus analytiques,

              François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


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