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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 57ème jour de séance, 138ème séance

1ère SÉANCE DU LUNDI 7 FÉVRIER 2005

PRÉSIDENCE de M. Maurice LEROY

vice-président

Sommaire

      SAISINE POUR AVIS D'UNE COMMISSION 2

      RÉFORME DE L'ORGANISATION DU TEMPS
      DE TRAVAIL DANS L'ENTREPRISE (suite) 2

      RAPPELS AU RÈGLEMENT 2

      ART. 3 8

La séance est ouverte à seize heures.

SAISINE POUR AVIS D'UNE COMMISSION

M. le Président - J'informe l'Assemblée que la commission des finances, de l'économie générale et du plan a décidé de se saisir pour avis des articles 12,13,72,185 et 188 du projet de loi de sauvegarde des entreprises.

RÉFORME DE L'ORGANISATION DU TEMPS DE TRAVAIL
DANS L'ENTREPRISE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi de M. Patrick Ollier et plusieurs de ses collègues portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise.

RAPPELS AU RÈGLEMENT

M. Gaëtan Gorce - Nous envisagions de reprendre ce débat sereinement, mais les déclarations du Premier ministre, qui fait mine d'ignorer la manifestation de 500 000 personnes de samedi dernier, ainsi que le souhait de l'ensemble des partenaires sociaux de voir ce texte retiré et les négociations réouvertes sur les dispositions les plus contestables, sont la preuve d'une obstination déraisonnable.

Les Français veulent que la durée du temps de travail soit l'aboutissement d'une concertation, et non d'un véritable passage en force. En poursuivant dans cette direction, vous allez dans une impasse ! Puisse le Gouvernement être enfin doté d'un sixième sens qui serait celui de la concertation et du dialogue ! Puisse-t-il encore cesser de mépriser le Parlement et lui accorder enfin le temps de débattre, sans obliger l'opposition à user de tous les moyens que lui offre le Règlement pour simplement faire entendre la voix de la raison !

Enfin, nous profiterons de ce débat pour dénoncer les contrevérités proférées par le Premier ministre, qu'il s'agisse de la concertation qui aurait prétendument eu lieu, quand aucun syndicat ne veut de cette réforme, ou du contenu même du texte, qui ne donnera nullement au salarié la liberté de refuser des heures supplémentaires, dont la sur-rémunération, déjà minorée par la loi Fillon, pourra être supprimée par le biais du compte épargne-temps.

M. Jean Le Garrec - C'est vrai, ce matin, le Premier ministre n'a fait qu'aggraver la confusion en s'obstinant dans cette voie, malgré la manifestation qui a réuni samedi 500 000 salariés.

Le Premier ministre affirme que le Parlement doit être respecté, mais encore aurait-il fallu, préalablement à l'examen de ce texte, solliciter l'avis du Conseil d'Etat et engager une véritable négociation avec les organisations syndicales.

Le Premier ministre, une fois de plus, est revenu sur le double accord, qui ne concernera malheureusement que le temps choisi, à savoir les heures supplémentaires au-delà du contingent de 220 heures et des 7 heures de travail non rémunérées.

Par ce qu'il a dit de la date à laquelle serait réglé le problème des salaires dans les entreprises de moins de 20 salariés, il a confirmé l'inconstitutionnalité de ce texte.

Enfin, comment pouvez-vous mentir en permanence aux salariés ? Comment M. Ollier peut-il tenter de leur faire croire qu'au-delà de 35 heures, ils pourront choisir de faire ou non des heures supplémentaires, quand des décisions de justice ont montré que de tels refus pouvaient motiver un licenciement ? Avec 4 millions de chômeurs, et tant de travailleurs précaires, le rapport de force ne penche pas du côté des salariés !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - La manifestation de samedi, qui a réuni près de 500 000 salariés, témoigne, à elle seule, de l'absence de concertation autour de ce texte. Et le Premier ministre, tout comme le porte-parole du Gouvernement, de déclarer aujourd'hui qu'ils écoutent les revendications des salariés, qu'ils sont favorables au dialogue social, mais que ce texte sera tout de même voté par la majorité !

Au passage, merci pour le mépris dans lequel est tenu le Parlement ! On a vu, dans la nuit de jeudi à vendredi, à quel sort étaient voués les amendements qui tendaient à limiter la casse !

Il y a maldonne, et même arnaque - je l'ai dit jeudi, je le réitère - quand un décret porte le contingent des heures supplémentaires à 220 heures, dix jours après que le chef du Gouvernement ait affirmé une volonté de dialogue. Il n'y a pas de débat : les Français devaient le savoir, désormais ils le sauront !

Avec 56 heures supplémentaires par an en moyenne...

M. Hervé Novelli - En moyenne !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - ...on est loin des 220 heures que vous avez autorisées sans le moindre fondement. Vous auriez pu venir avec des statistiques : mais rien, rien, rien !

Le Premier ministre a dit qu'il ne fallait pas mépriser le Parlement. Le ministre n'a cessé, tout au long du débat, de se réclamer du dialogue social. Les forces syndicales nous ont cependant démontré que ce dialogue n'avait pas eu lieu. Et on l'invoque maintenant pour boucler l'examen du texte !

Autre arnaque du Gouvernement : le choix de la proposition de loi pour éviter tout le processus d'examen par le Conseil d'Etat et les études d'impact. Double arnaque donc, ce qui ne saurait faire une politique sociale !

Nous demandons donc que M. le Premier ministre vienne refaire ici, au Parlement, les déclarations auxquelles il s'est complaisamment livré toute la matinée sur les antennes de radio et nous redire qu'il entend maintenir la proposition de loi alors que la France est descendue dans la rue (Protestations sur les bancs du groupe UMP) pour dire qu'elle n'acceptait pas que la question soit posée de cette manière. (« Le mépris ! » sur les bancs du groupe socialiste) A défaut de réponse, nous demandons une suspension de séance d'une heure afin de permettre à notre groupe d'examiner les conditions dans lesquelles doit se poursuivre le débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Patrick Ollier - Rappel au Règlement. Je suis surpris de ce que j'entends. Nous pressentions certes vendredi matin, lorsque nous avons, tout naturellement (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), accepté de reporter l'examen d'une partie du texte à aujourd'hui, que nous nous heurterions à ce type d'arguments.

J'aimerais que l'on en reste aux faits, et que l'on ne serve pas de l'Assemblée nationale comme d'une tribune politique. Nous avons entendu des mots qui blessent : (« Nous aussi ! » sur les bancs du groupe socialiste) « arnaque »...

M. Jean-Marie Le Guen - Une des arnaques !

M. Patrick Ollier - M. le Premier ministre a dit ce matin qu'il avait entendu les manifestants. Leurs revendications tenaient d'ailleurs du bric-à-brac : on a vu fort peu de salariés du secteur privé manifester contre les assouplissements des 35 heures. (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

Mais je ne suis pas là pour faire les comptes de la rue. Je m'en tiendrai donc à la position de la majorité. J'ai entendu parler de « mensonge ». Mais M. Le Bouillonnec et M. Gorce osent affirmer qu'il n'y a pas eu de négociation alors même que M. Mailly, le patron de Force ouvrière, déclarait hier sur LCI : « Ils nous ont consultés, il ne faut pas que les syndicats jouent les surpris. A Force ouvrière, nous avons expliqué les points de désaccord que nous avions avec ce texte. » Il y a donc eu une consultation, un dialogue.

M. Jean-Marie Le Guen - Le Conseil d'Etat aussi est consulté !

M. Patrick Ollier - Consultation ne veut pas nécessairement dire accord sur tout, Monsieur Le Guen ! Nous ne pouvons laisser dire que la majorité et les signataires de cette proposition de loi aient agi sans consultations préalables. Nous ne pouvons accepter que vous nous accusiez de faire le contraire de ce que nous faisons : un accord collectif est un accord collectif ; quand nous prévoyons un accord collectif pour le compte épargne-temps et pour le temps choisi, nous encourageons la négociation ! Le dialogue, nous le revendiquons et nous l'exigeons dans le texte !

Sur le temps choisi, le salarié doit en outre être volontaire. Arrêtez de travestir la réalité !

J'en viens à vos manœuvres d'obstruction. Vous avez fait vingt rappels au Règlement jeudi ; vous avez demandé dix-sept suspensions de séance pour réunir votre groupe alors que vous étiez quatre seulement dans l'hémicycle ; vous avez demandé le quorum à minuit pour interrompre le débat ; et vous avez déposé 1 300 amendements pour modifier la date de mise en œuvre des dispositions de l'article 3. Les Français doivent être instruits de la vérité : nous acceptons avec sérénité cette volonté d'obstruction, et nous sommes prêts à débattre quand vous le souhaiterez ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Michel Liebgott - Rappel au Règlement. Vous nous annonciez une simple proposition de loi signée par quatre parlementaires qui auraient décidé un beau jour, sans jamais avoir rencontré les organisations syndicales, de modifier à la marge la législation sur le temps de travail... Mais les masques sont tombés : ce matin, le Premier ministre a repris le texte à son compte. Le doute n'est donc plus permis : c'est bien le Gouvernement qui entend remettre en cause les 35 heures.

A vous entendre, il ne se serait rien passé ce week-end. Nous dénoncions l'absence totale de concertation et de négociation avec les organisations syndicales. Elles vous disent à l'unanimité qu'elles n'acceptent pas d'être traitées ainsi, et vous continuez d'affirmer que vous avez négocié avec elles ! Qui ment ? Les 500 000 personnes qui ont défilé dans la rue ou une poignée de politiciens ? Le bon sens est du côté du peuple, et cette manifestation a d'abord été celle de la défense des 35 heures.

Parce que nous utilisons des artifices de procédure, (« C'est un aveu ! Bravo ! » sur les bancs du groupe UMP) le problème serait à vos yeux inexistant. Mais nous nous battons avec les moyens qui sont les nôtres, parce que vous avez décidé de priver le Parlement de ses pouvoirs - la proposition de loi devant être votée au prétexte que vous avez la majorité ! La démocratie dans notre pays ne se résume pourtant pas au Parlement : c'est la conjugaison de la démocratie parlementaire avec la démocratie sociale. Nous nous insurgeons donc contre les déclarations du Premier ministre. A l'article 3, on nous annonce que dans trois ans, le supplément de rémunération des heures supplémentaires pourrait passer à 25%. Le Gouvernement doit nous informer : la radio et la télévision ne sauraient suppléer le Parlement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Hervé Novelli - Ce que nous entendons est révélateur. Nos collègues se plaignent de l'absence de dialogue, et nous assistons depuis des jours à des manœuvres d'obstruction. M. Liebgott a reconnu que son groupe avait recouru à quelques artifices de procédure...

M. Jean-Marie Le Guen - C'est un feu d'artifice, et ça va continuer !

M. Hervé Novelli - Les manifestations ont rassemblé 300 000 personnes, c'est vrai. Mais comment aurait-il pu en être autrement avec des mots d'ordre aussi divers ?

M. Manuel Valls - Quel aveu !

M. Hervé Novelli - Quand on sait qui était en tête des cortèges, on peut s'interroger... Une autre manifestation a rassemblé 300 000 personnes : l'enduro du Touquet. On peut rassembler des centaines de milliers de personnes sans en tirer des conclusions aussi péremptoires que vous !

Vous n'avez que le dialogue social à la bouche : il vous a bien manqué, lorsque vous avez voté la deuxième loi Aubry ! En ce qui nous concerne au contraire, M. Mailly dit qu'il a bien été consulté sur les intentions du Gouvernement et M. Chérèque fait de même.

M. Jean-Marie Le Guen - Il vous demande de retirer ce texte !

M. Hervé Novelli - Mais l'honnête homme qu'il est n'a pas pu dire qu'il n'y avait pas eu de consultation ! Vous avez donc menti.

Enfin, comment se plaindre que le Parlement discute d'un texte d'origine parlementaire ?

M. Jean-Marie Le Guen - Écrit par le Medef !

M. Hervé Novelli - Vous êtes toujours à vous plaindre que le Parlement ne soit pas consulté ! Pour ma part, je préférerai toujours l'expression du Parlement à celle d'une manifestation, et je souhaite que la démocratie se fasse ici plutôt que dans la rue (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Je rappelle qu'il n'y a pas de réponse aux rappels au Règlement.

Mme Martine Billard - Je suis choquée par cette comparaison avec l'enduro du Touquet, et pas seulement à cause des problèmes écologiques qu'il pose. Tout au plus puis-je me réjouir que les spectateurs du Touquet aient pu consacrer leur week-end au loisir. Lorsque votre texte sera passé, ce ne sera plus aussi facile pour eux. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Mais oser les comparer à des salariés qui en sont réduits à descendre dans la rue pour défendre leur niveau de vie, c'est insupportable ! On ne passe pas son samedi à manifester par plaisir ! C'est à cause de la politique du Gouvernement que les salaires sont en baisse, et vous voulez leur proposer de travailler plus !

Il est tout à l'honneur du Parlement d'avoir été à l'origine de textes comme celui sur la fin de vie, mais quand le but est d'éviter le passage en Conseil d'Etat et les négociations avec les représentants des acteurs sociaux, il n'y a pas de quoi se vanter !

Enfin, ce matin, le Premier ministre a annoncé que la majoration des heures supplémentaires passerait à 25%. C'est le fait du roi ! Quand ça l'arrange, on fixe le taux à 10%, et quand l'envie lui en prend, il promet une augmentation dans quelques années ! Mais que deviennent les négociations ? La vérité, c'est que vous n'avez pas le courage de nous proposer une loi sur le travail ! Vous procédez par cavaliers législatifs et recourez aujourd'hui à cette proposition de loi, mais vous vous refusez à présenter une réforme construite et argumentée. Vous nous annoncez un toilettage du code du travail. Vu les atteintes que vous portez à ce code avec une simple proposition de loi, on peut être inquiet !

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail - L'Assemblée nationale a déjà adopté deux articles de cette proposition de loi, après des débats nourris et argumentés.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - C'est bien de le dire : il ne s'agit pas d'obstruction !

M. le Ministre délégué - En engageant la réforme de l'organisation du temps de travail, en janvier 2003, le Gouvernement a privilégié une démarche d'ouverture et de dialogue. Pour conduire sa réflexion, il s'est appuyé sur la représentation nationale. En ce qui me concerne, j'ai rencontré les partenaires sociaux fin août et en octobre - je vous renvoie aux communiqués de presse, qui donnent les points de vue de toutes les organisations représentées, et le Premier ministre l'a fait en novembre. Il est ressorti de ce travail que, malgré les mesures prises par la loi du 17 janvier 2003, des effets négatifs de la réduction autoritaire et uniforme du temps de travail subsistaient, pénalisant des entreprises, et notamment les plus petites d'entre elles...

M. Jean-Marie Le Guen - Elles n'y sont pas soumises !

M. le Ministre délégué - ...et pénalisant par voie de conséquence l'emploi. Le Gouvernement et le Parlement ont donc cherché le moyen d'assouplir le cadre rigide imposé aux entreprises et de trouver un meilleur équilibre en matière d'organisation du temps de travail. Cette proposition de loi est le fruit de cette réflexion. Elle ne remet pas en cause la durée légale du temps de travail. Elle met en place de nouveaux outils pour répartir de façon optimale le temps de travail, sur une période annuelle ou pluriannuelle, et trouver le meilleur équilibre entre les contraintes de la production et les aspirations des salariés. Elle n'impose ni ne supprime rien, mais ouvre des possibilités nouvelles dans une logique gagnant-gagnant. Enfin, le salarié n'est pas seul face à son employeur, car ces nouveaux instruments ne pourront pas s'appliquer sans accord collectif. En effet, Monsieur Le Garrec, cette réforme, à l'exception - mais à titre transitoire - des très petites entreprises, repose sur la règle du double accord : collectif et individuel.

Au total, l'objectif de ce texte est de nous permettre de sortir des turbulences créées par les lois Aubry et de tourner la page sur une polémique franco-française. Cette réforme importante concerne 15 millions de salariés et 1,5 million d'entreprises. Il est normal qu'elle suscite des débats, dans l'hémicycle et ailleurs. Le Gouvernement est attentif aux prises de positions et aux demandes qui s'expriment, mais il doit respecter la vie démocratique : la représentation nationale est saisie, la commission des affaires sociales a réalisé un travail important et l'Assemblée examine la proposition depuis mardi dernier. Le Gouvernement n'a pas voulu avoir recours à la procédure d'urgence pour que le débat ait lieu de façon approfondie. Celui-ci doit se poursuivre sereinement, pour clarifier les points qui doivent encore l'être et lever d'éventuels malentendus. Le Gouvernement demande donc au Parlement de poursuivre la discussion (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Marie Le Guen - Je voudrais attirer l'attention du Gouvernement sur le climat social. En effet, dans une majorité qui a beaucoup travaillé, malheureusement pas toujours dans le bon sens, et qui a connu quelques désagréments, une certaine lassitude se fait jour qui peut la mener à un comportement obsessionnel et l'empêcher de ressentir ce qui se passe dans le pays. Non seulement cette loi est mauvaise et dangereuse, mais elle intervient dans un climat social qui se dégrade. Plutôt que de vous réjouir, vous devriez vous inquiéter de voir des gens manifester dans la rue non pas sur un point précis, qui fait certes l'unanimité des organisations syndicales, mais poussés à le faire par de nombreux sujets d'inquiétudes !

Car cette loi vient ajouter à un climat social délétère. Vous n'avez cessé, ces dernières années, de remettre en cause les 35 heures, pour des raisons idéologiques et pour défendre les intérêts du Medef. Vous nous faisiez le procès d'être passés en force et disiez que les partenaires sociaux refusaient de soutenir les 35 heures. Il est vrai qu'il est toujours utile de rechercher la négociation avec les partenaires sociaux. Aujourd'hui, vous extrayez de la déclaration d'un syndicaliste le terme de « consultation » et vous tentez de faire croire ainsi qu'il y a eu négociation. Ce n'est pas la même chose ! Vous ne pouvez pas cacher ainsi le fait que cette loi fait l'unanimité des organisations syndicales contre elle, et qu'elle provoque des manifestations nationales... Vous ne vous rendez pas compte que vous êtes en train de créer de nouveaux sujets de tension, qui fragilisent tant le tissu social que le retour à la croissance et concourent à la sinistrose ambiante.

Pourquoi donc n'êtes-vous pas attentifs à ce qui se passe dans ce pays ? Parce que ce gouvernement est à bout de souffle et que cette majorité a des problèmes. Il y a une course entre MM. Raffarin et Sarkozy pour gagner l'appui de votre aile la plus libérale. C'est cette surenchère qui vous rend incapables d'entendre le pays et qui vous porte à détruire la cohésion sociale. Prisonniers de votre vision idéologique, vous tournez le dos aux Français et vous créez ce climat de tension sociale qui va peser sur notre vie politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Gaëtan Gorce - Rappel au Règlement. On prétend qu'il y a eu concertation : Jean-Marie Le Guen vient de faire justice de ces affirmations.

Nous avons demandé si la loi Fillon, qui prévoyait des négociations, avait été respectée. Le Gouvernement a répondu piteusement que non. Nous avons demandé si le décret de 2002 sur les heures supplémentaires avait été respecté. Le Gouvernement a répondu piteusement que non. Il n'y a pas eu de concertation. Quand tous les syndicats manifestent pour réclamer le retrait du texte, le Gouvernement ignore leur demande.

Samedi, il y a eu 500 000 personnes dans la rue. (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) La majorité nous explique que cela n'a rien d'étonnant, puisqu'il s'agit de l'addition de tous les mécontents. C'est vrai, vos réformes considérées dans leur ensemble peuvent provoquer une telle mobilisation.

Or, ce matin, le Premier ministre oppose une fin de non-recevoir aux Français : « Circulez, il n'y a rien à voir ! »

Monsieur Ollier, nous vous avons arraché la prolongation du débat. C'est en allant jusqu'au petit matin que nous vous avons contraints à renoncer à faire voter ce texte dont personne ne veut dans le silence de la nuit. Si nous ne voulons pas que le mépris du Parlement soit de règle, il faut que le Premier ministre vienne ici s'expliquer des propos qu'il a tenus à la radio. En attendant, pour réunir mon groupe, je demande une suspension de séance.

M. Jean-Pierre Soisson - Je trouve curieux que vous évoquiez « le mépris du Parlement ». Dans la nuit de jeudi à vendredi, nous avons écouté pendant des heures des arguments qui n'en étaient pas. C'est un texte qui émane du Parlement. Nous avons déjà voté ses deux articles essentiels. Il nous reste à examiner l'article 3 relatif aux PME. Nous souhaitons entrer dans ce débat.

Sur l'article 2, il vous a été dit que cette proposition visait à prolonger la circulaire Aubry de mars 2000, prise en raison des difficultés d'application du dispositif. Mme Aubry voulait limiter le chômage partiel. Nous voulons quant à nous augmenter le pouvoir d'achat des salariés.

Nous aussi, nous avons écouté, ce week-end, des chefs d'entreprise et des salariés. (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Ils étaient surpris de la modestie de notre proposition, compte tenu de la virulence de vos critiques.

De grâce, abordons cet article 3 qui ne porte que sur les PME, puisque nous avons voté les deux premiers articles qui sont le corps du texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Avant de suspendre, j'informe l'Assemblée que, depuis le début de la séance, 526 nouveaux amendements ont été déposés.

Plusieurs députés UMP - Obstruction !

La séance, suspendue à 16 heures 50, est reprise à 17 heures 15.

M. Gaëtan Gorce - Rappel au Règlement.

Beaucoup d'amendements ont été déposés avant et sur l'article 3, et la commission n'a pas pu les examiner. Nous avions demandé qu'elle se réunisse - à un horaire dont l'opposition soit informée, contrairement à la dernière fois, où elle s'est réunie sans nous puisque nous avions reçu les convocations à 14 heures 45 pour une réunion à 14 heures 30... Il semble que la majorité ait quelques difficultés avec le temps et les horaires de travail ; mais si l'on veut que l'Assemblée travaille dans de bonnes conditions, il faut que la commission se réunisse pour examiner les très nombreux amendements qui ont été déposés sur un article très important de la présente proposition, puisqu'il vise à maintenir l'inégalité qui existe depuis la loi Fillon (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) entre les entreprises de moins de vingt salariés et les autres.

M. Hervé Novelli - Depuis la loi Aubry !

M. Gaëtan Gorce - J'aimerais donc connaître la position de la commission, en particulier sur les conséquences de la loi Fillon, puisque M. Novelli réclame une explication de texte. Après quoi je souhaiterais que nous suspendions la séance.

M. le Président - La parole est à Mme Billard, qui est inscrite sur l'article 3.

Mme Martine Billard - Je suis gênée de prendre la parole sur l'article 3 dans ces conditions...

M. le Président - Je préside.

ART. 3

Mme Martine Billard - Cet article illustre bien la façon dont le Gouvernement et sa majorité profèrent des contrevérités. On nous parle de souplesse, de liberté de choix et de dialogue social, mais en réalité de quoi s'agit-il ? D'une part, de prolonger une inégalité entre les salariés des petites entreprises et ceux des grandes, d'autre part de pouvoir imposer à des salariés des dispositions non validées par un accord collectif. De qui se moque-t-on ? On nous dit que l'objet du texte est que les salariés puissent gagner plus en travaillant plus, mais en réalité on veut les faire travailler plus pour rien !

Les salariés des petites entreprises vont être les plus pénalisés par ce texte, alors que ce sont déjà eux qui ont les salaires les plus bas et qui sont les moins protégés, puisque la plupart des petites entreprises n'ont pas de section syndicale ni de délégués du personnel. Le rapport de force leur est déjà tellement défavorable que bien souvent les heures supplémentaires ne sont ni déclarées, ni payées comme telles, ni récupérées.

Le Conseil constitutionnel avait d'ailleurs bien précisé que cette entorse au principe d'égalité n'était acceptable qu'à titre très transitoire. Or, vous voulez prolonger ce transitoire jusqu'en 2008, ce qui le ferait durer huit ans. Huit années pendant lesquelles, du fait des dispositions de la loi Fillon et de celles que vous voulez faire passer aujourd'hui, les salariés des petites entreprises seraient vraiment les mal-aimés du salariat, empêchés à la fois de profiter des 35 heures et de gagner plus !

En voulant que les salariés puissent renoncer à 10 jours de RTT par an, vous proposez en fait carrément de supprimer la RTT, puisque dans beaucoup d'accords, elle se limite à ce nombre de jours.

Cet article est le pire de la présente proposition de loi, car ce sont les salariés les plus défavorisés qui vont en faire les frais, en particulier les femmes qui, depuis deux ans et demi, loi après loi, sont systématiquement sacrifiées !

M. Louis Giscard d'Estaing - L'article 3 prévoit des mesures spécifiques pour les petites entreprises de 20 salariés au plus. Il proroge de trois ans, jusqu'au 31 décembre 2008 donc, le régime de taxation minorée des heures supplémentaires, c'est-à-dire 10% au lieu de 25% pour les quatre premières heures supplémentaires. Par cohérence, il prolonge également de trois ans l'application du régime dérogatoire pour l'imputation des heures supplémentaires.

Dans l'attente de la négociation d'accords sur le CET, l'article 3 ouvre aux salariés la possibilité de renoncer à une partie de leurs jours de repos issu de la RTT - dans la limite de 10 jours - en échange d'une majoration salariale qui doit être au moins égale à 10%.

Par souci d'égalité, la commission a étendu le bénéfice du dispositif de rachat de jours de repos aux salariés quel que soit le régime de récupération applicable, c'est-à-dire aux salariés bénéficiant de jours ou de demi-journées de repos sur une période de 4 semaines ainsi qu'aux cadres bénéficiant de conventions de forfait en heures sur une base hebdomadaire ou mensuelle.

Il s'agit donc là d'un article tout à fait intéressant.

M. Gaëtan Gorce - Rappel au Règlement : je n'ai pas eu de réponse de la commission. Je crois que le président de notre groupe a écrit au président de la commission pour lui demander de convoquer celle-ci et je viens moi-même de demander qu'elle se réunisse. Si la majorité veut un vrai débat, et non pas passer en force, elle doit accepter que la commission se réunisse pour examiner les amendements !

Nous ne sommes pas en train de faire de l'obstruction (« Si ! » sur les bancs du groupe UMP), nous avons simplement exercé notre droit d'amendement après que le Gouvernement en eût lui-même déposé de nouveaux à l'article 3 et rouvert ainsi le délai de dépôt. (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Ne nous reprochez pas de nous appuyer sur le Règlement !

Si la commission refuse de s'exprimer, je serai obligé de demander une nouvelle suspension de séance.

M. le Président - Vous avez la parole sur l'article 3.

M. Jean-Pierre Soisson - Pour une fois qu'on vous la donne sans que vous la preniez !

M. Gaëtan Gorce - Je comprends que M. Soisson soit irrité d'entendre un député bourguignon qui ne l'a pas soutenu dans sa candidature à la présidence de la région...

M. le Président - Nous ne sommes pas au conseil régional !

M. Gaëtan Gorce - Alors que l'on nous explique que ce texte est bâti sur le principe de liberté, cet article pose qu'en dehors de tout accord, et donc de toutes les garanties dont vous avez prétendu entourer les exceptions qu'organise le texte, un salarié pourra renoncer à ses jours de repos et de congé. Et ce « dans l'attente » d'un accord collectif ! Vous n'avez pas osé écrire « en l'absence d'accord », car c'eût été reconnaître que l'on pouvait se passer de la négociation collective, mais la formulation que vous avez retenue n'en est pas moins étonnante - quel sens juridique a-t-elle ? - et j'aurais aimé connaître l'avis du Conseil d'Etat à son sujet. Malheureusement, nous ne l'aurons pas puisque nous avons affaire à une proposition de loi - même si son origine gouvernementale ne fait guère de doute.

En l'attente d'un accord, donc, on pourra remettre en cause, par simple « bon procédé » entre le salarié et l'employeur, les avantages acquis par la loi et par l'accord collectif. Nouvelle démonstration que cette loi se fonde non sur la liberté mais bien sur la contrainte !

Ce qui est tout aussi grave, c'est que ce texte pérennise la distinction entre les entreprises de moins de vingt salariés et celles de plus de vingt. La loi Aubry du 19 janvier 2000, dont j'étais le rapporteur, prévoyait bien une dérogation, mais seulement pour une courte période de transition - deux ans - afin que ces entreprises aient le temps de s'adapter à la nouvelle législation. Vous avez tiré prétexte de cette exception pour en faire la règle : d'abord en la prolongeant jusqu'au 1er janvier 2006, puis jusqu'en 2008 et peut-être même au-delà si sont adoptés certains amendements. Les partenaires sociaux le dénoncent avec nous : la loi ne fixera plus désormais de façon précise le temps de travail. Il est inacceptable de traiter différemment les salariés en fonction de la taille de leur entreprise, distinguo que la loi Fillon a institutionnalisé.

M. Hervé Novelli - C'est vous qui l'avez établi !

M. Gaëtan Gorce - Gardez votre sang froid, Monsieur Novelli ! Ne vous énervez pas dès que l'on vous contredit !

Nous savons que la situation des salariés diffère déjà sensiblement en fonction de la taille de leur entreprise, qu'il s'agisse des salaires ou de la présence syndicale. Il est dangereux, économiquement et socialement, d'ajouter une nouvelle distinction : le président de l'UPA l'a lui-même affirmé, les petites entreprises auront de plus en plus de mal à recruter compte tenu du droit différent qui s'y appliquera.

Je renouvelle ma demande de suspension de séance (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) afin d'avoir une réponse de la part de la commission, qui semble réduite au silence. Le Premier ministre étant lui-même sourd et aveugle, j'ai les plus grandes inquiétudes quant à la situation du Gouvernement et de la majorité.

M. Jean Le Garrec - Je monte à la tribune pour intervenir sur cet article 3, car c'est l'un des plus importants.

Je vous rappelle que la majorité sénatoriale avait introduit un recours devant le Conseil constitutionnel après la loi dite Aubry II. C'est parce qu'il avait considéré que la distinction établie entre les entreprises de plus de vingt salariés et celles de moins de vingt était temporaire - elle devait s'appliquer jusqu'au 1er janvier 2002 -, que le Conseil avait déclaré que la loi n'était pas anticonstitutionnelle. Il n'en va évidemment plus de même dès lors que le « temporaire » s'éternise.

M. Hervé Novelli - Cette disposition s'appliquera jusqu'en 2008 !

M. Jean Le Garrec - 2002, 2006, 2008, vous prolongez cette situation à votre convenance.

M. Jean-Marie Le Guen - Vous instaurez le droit de la précarité !

M. Jean Le Garrec - Ce texte est donc inconstitutionnel.

M. Jean-Marie Le Guen - Absolument.

M. Jean Le Garrec - Vous aggravez, en outre, les conditions de travail des salariés. Dans une entreprise de moins de vingt employés, le salarié pourra travailler 44 heures pendant 12 semaines et 41 heures pendant 35 semaines. Aux 220 heures, il convient bien entendu d'ajouter les 7 heures de travail obligatoire gratuit : ce texte nous ramène à avant Léon Blum ! A ces conditions de travail inacceptables, il faut ajouter le temps de transport des salariés, en particulier en Ile-de-France.

M. Patrick Ollier - Caricature !

M. Jean Le Garrec - C'est la réalité !

Le président de la CAPEB lui-même a lancé un avertissement : il risque d'y avoir pénurie de main-d'œuvre en raison des conditions de travail que vous instaurez dans les petites entreprises.

M. Hervé Novelli - Il n'a pas dit que cela.

M. Jean Le Garrec - Le discours du Premier ministre sur la positive attitude ainsi que sa formule « travaillez plus pour gagner plus » ne résistent pas à cette analyse. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Michel Liebgott - La majorité est-elle sûre de rendre service aux salariés des PME ? En fait, elle institue plusieurs catégories de salariés et songe même à remettre en cause les 35 heures dans la fonction publique. Les salariés des petites entreprises, eux, cumuleront tous les handicaps et l'on peut penser, à terme, qu'ils voudront trouver de l'emploi dans des entreprises plus importantes où leurs droits seront mieux affirmés.

La situation n'est pas aussi caricaturalement différente que vous le dites entre les grandes entreprises où s'appliquent les 35 heures et les petites entreprises où elles ne pourraient s'appliquer : 45% des entreprises de moins de 50 salariés sont passées aux 35 heures de même que 18,3% des entreprises de moins de 20 salariés. Il est donc inacceptable d'introduire une disposition législative qui distingue définitivement deux catégories d'entreprises et de salariés.

Vous ne voulez pas que les petites entreprises puissent passer aux 35 heures, mais vous vous hâtez en revanche de mettre en place le CET en suggérant aux salariés de racheter dix jours de congés afin d'augmenter leur rémunération. Lorsque vous leur dites : « Travaillez plus pour gagner plus », ils doivent entendre : « Rachetez votre cinquième semaine de congés payés et vous gagnerez plus », ce qui est choquant.

En vérité, les entreprises ne se portent pas si mal que cela, mais, conformément à une logique que vous partagez, elle préfèrent augmenter leurs dividendes plutôt que les salaires. Vous proposez aux salariés de racheter leurs congés, mais à aucun moment vous n'envisagez d'augmenter leurs salaires.

Cet article 3 est le plus mauvais coup porté au droit du travail.

M. Alain Vidalies - Cet article 3, très novateur, risque de porter atteinte à la Constitution, en intégrant pour la première fois dans notre droit du travail des concepts anglo-saxons.

En prorogeant le délai de dérogation pour les entreprises de moins de dix salariés jusqu'au 1er janvier 2008, vous encourez la censure du Conseil constitutionnel, qui n'a accepté cette inégalité entre les salariés qu'à condition qu'elle ne se pérennise pas. Or, c'est ce à quoi vous tendez, en ne cessant de reporter l'harmonisation de la législation.

Mais surtout, pour la première fois, vous permettez qu'un accord entre le salarié et le chef d'entreprise déroge à des droits issus de la négociation collective. Cette disposition, d'origine anglo-saxonne et actuellement discutée au niveau européen, est contraire au préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui dispose que tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et que tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail.

Face à une telle audace, l'on ne peut que féliciter MM. Novelli et Ollier, qui se renvoient la paternité de cette horreur !

M. Jean Le Garrec - Mais oui, c'est M. Novelli !

M. Alain Vidalies - C'est vrai qu'il la revendique !

Mme Danièle Hoffman-Rispal - En prorogeant le délai accordé aux petites entreprises pour mettre en place les 35 heures, cet article, après les lois Fillon de 2003, porte une nouvelle atteinte à la réduction du temps de travail, qui s'inscrit pourtant dans le mouvement historique d'émancipation des hommes et des femmes amorcé il y a un siècle. Et c'est ainsi que l'ont compris les salariés, massivement descendus dans la rue samedi !

Plusieurs députés UMP - Ils n'étaient pas nombreux !

Mme Danièle Hoffman-Rispal - Ils étaient 500 000 !

Plusieurs députés UMP - 50 000 !

Mme Danièle Hoffman-Rispal - En vérité, vous avez peur de la réduction du temps de travail que vous assimilez à de l'oisiveté, alors qu'il ne s'agit que de permettre à nos concitoyens de se réaliser, de se cultiver, de faire du sport, de s'engager....

M. Hervé Novelli - Et la liberté de choix ?

Mme Danièle Hoffman-Rispal - C'est du temps pour s'occuper de ses amis, de sa famille. Depuis que je suis députée, je n'ai manqué aucun débat relatif aux personnes âgées, et je déplore la suppression des 35 heures...

M. Patrick Ollier - Mais nous ne les supprimons pas !

Mme Danièle Hoffman-Rispal - ....qui permettaient aux salariés de s'occuper de leurs parents ! La solidarité passe aussi par le temps libre !

Dans les entreprises de plus de 20 salariés, les 35 heures ont beau être maintenues sur le papier, elles ont disparu dans les faits. Quant aux autres, les 35 heures ne sont plus qu'un mirage. Il eût été plus honnête et plus clair de fixer la durée du temps de travail à 39 heures !

M. Patrick Ollier - Caricature !

Mme Danièle Hoffman-Rispal - Mais vous préférez faire mine de respecter tous les engagements contradictoires de M. Jacques Chirac.

M. Eric Raoult - Vous avez voté pour lui !

Mme Danièle Hoffman-Rispal - En créant deux droits du travail, vous risquez de détourner les salariés des petites entreprises, déjà moins attractives en matière d'avantages et de sécurité que les grandes.

Pour toutes ces raisons, nous vous demandons de renoncer aux dispositions de cet article.

M. Jean-Pierre Soisson - Permettez-moi deux observations. Tout d'abord, vous parlez de la demande des syndicats de voir ce texte retiré, alors que je n'ai entendu que celle de M. Hollande ! Pour quelle raison devrions-nous obéir à l'injonction du premier secrétaire du parti socialiste ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Par ailleurs, pourquoi un texte de loi ne pourrait-il pas contribuer à l'évolution du droit du travail ? De plus en plus, les salariés souhaiteront déterminer eux-mêmes, par la négociation, leurs conditions de travail et leur rémunération.

M. Hervé Novelli - C'est la modernité !

M. Jean-Pierre Soisson - C'est ainsi que cela se passe aujourd'hui dans les pays anglo-saxons et nous devons anticiper le mouvement qui se généralisera demain en Europe. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Le Garrec - Au moins les choses sont claires !

M. Jean-Pierre Soisson - Vous avez beau en appeler au Préambule de la Constitution de 1946, la loi se doit de répondre aux attentes des travailleurs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Manuel Valls - Nous poursuivons cet après-midi l'examen de ce projet de loi, et je dis bien projet, car l'intervention du Premier ministre, ce matin, ne laisse guère de doute quant à l'origine de ce texte.

Monsieur Soisson, vous n'avez pas entendu, semble-t-il, les déclarations de M. Mailly, secrétaire général de Force ouvrière, et de M. Chérèque de la CFDT. Ils demandent tous deux le retrait du texte.

Outre qu'il est sans doute inconstitutionnel, cet article 3 est comme les précédents un article de régression. Il ruine le seul espoir qui pouvait encore subsister chez certains de nos compatriotes : les Français ne gagneront pas plus en travaillant plus, sauf à voir disparaître leurs congés payés.

M. Hervé Novelli - Caricature !

M. Manuel Valls - Le Gouvernement n'ose pas assumer l'échec de sa politique économique et sociale devant l'opinion : 200 000 chômeurs de plus en deux ans et demi de gouvernement Raffarin, 350 000 chômeurs de moins sous le gouvernement précédent - grâce aux 35 heures, aux emplois-jeunes, à une politique économique soutenant la croissance. (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Les Français, dites-vous, veulent gagner plus. Avec cet article, vous leur proposez de travailler plus sans gagner plus, et dans des conditions de travail dégradées. Si d'aventure la croissance repartait à la hausse, les entreprises proposeraient à leurs salariés de faire plus d'heures au lieu d'embaucher du personnel supplémentaire. En réduisant la majoration des heures supplémentaires, cet article aggravera le phénomène. Vous qui vous targuez de bien connaître le monde de l'entreprise, que croyez-vous que feront les entrepreneurs ? Prendront-ils le risque d'être utiles à notre économie et à la croissance ? Feront-ils le choix de partager les fruits de la croissance au profit des salariés ? Non, et le principal objectif de ce texte est bien d'empêcher toute répartition équitable des fruits de la croissance. Les entreprises concernées par l'article 3 représentent pourtant le premier gisement de création d'emplois dans notre pays.

Votre texte n'est pas seulement injuste pour les salariés, il présente aussi un danger pour notre économie. Les salariés vont subir une régression sociale sans précédent, ils feront à n'en pas douter des semaines de plus de 40 heures. Toute reprise de la croissance est d'avance compromise. A l'égard des Français, cette situation n'est plus une erreur majeure : c'est une grave faute.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - L'article 3 a le mérite de révéler sans ambiguïté les intentions des instigateurs du texte. Je suis convaincu qu'une partie de la majorité a décidé de détruire le droit du travail : les rapports entre le salarié et l'employeur ne devraient plus s'inscrire à ses yeux que dans un cadre individuel. Depuis le début de la législature, elle n'a d'ailleurs eu de cesse d'œuvrer en ce sens et de réduire la portée du code du travail.

La majorité s'arc-boute ainsi sur l'opting-out anglo-saxon, qui veut que seul l'accord entre l'employeur et le salarié fonde la relation de travail. L'article 3 illustre clairement cette intention. Le Conseil constitutionnel devra en tout cas se prononcer sur la constitutionnalité de la prorogation du dispositif dérogatoire.

Le texte consacre une nouvelle forme d'accord, qui ne relève ni du contrat de travail, ni des accord collectifs et permet au salarié, en l'absence d'accord de branche étendu ou d'accord d'entreprise, de passer un accord individuel avec l'employeur pour déroger à la loi et aux accords collectifs de réduction du temps de travail en renonçant à des journées ou à des demi-journées de repos. Ces heures ne seront pas imputées sur le contingent annuel d'heures supplémentaires et leur rémunération sera majorée de 10% seulement. C'est un nouveau coup de boutoir porté au droit du travail et au principe de l'accord collectif.

Il fut un temps où les accord collectifs ne pouvaient déroger au code du travail que dans l'intérêt du salarié. Voilà qu'on nous joue l'accord individuel contre le droit du travail !

Permettez moi de citer un excellent livre qui vient de sortir, Les pauvres et leur histoire : « La notion de précarité, qu'on croyait attachée à la pauvreté classique, recouvre aujourd'hui des situations diverses allant de l'emploi non déclaré à l'emploi à durée déterminée, avec ses caractères - revenu au-dessous de la norme du SMIC, instabilité constante de l'emploi, perte d'une partie des droits sociaux reconnus au citoyen et au salarié. » La perte des droits sociaux est devenue un instrument de précarité. La promotion du rapport individuel est donc de nature à accentuer la précarité. Je ne comprends pas comment M. Soisson peut imaginer un rapport égalitaire...

M. Patrick Ollier - Nous ne défendons pas l'accord individuel !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - ...entre celui qui fournit le travail et celui qui a besoin de travailler. Faire fi de la dimension alimentaire du travail, c'est cela qui produit la pauvreté !

Le droit du travail vise justement à assurer au salarié une protection minimale, qu'il ne saurait trouver dans le cadre de rapports individuels. Dire cela, ce n'est pas porter atteinte à la dignité de l'employeur, mais reconnaître qu'il y a un rapport de forces à l'avantage de l'employeur.

M. Manuel Valls - Très bien.

M. Jean-Marie Le Guen - Nous avons eu un mot assez dur, pour ne pas dire polémique, en parlant d'arnaque. Mais nous nous faisons l'écho d'un sentiment général : la presse elle-même évoque aujourd'hui une arnaque en parlant de votre politique fiscale.

M. Patrick Ollier - Voilà qui élève le débat !

M. Jean-Marie Le Guen - Toutes vos politiques semblent marquées par le même décalage entre le discours et la réalité. La promesse que vous faites dans ce texte - les Français vont pouvoir gagner plus en travaillant plus...

M. Patrick Ollier - Ceux qui veulent !

M. Jean-Marie Le Guen - C'est une arnaque ! N'importe quel Français accepterait une telle proposition, et pourtant votre texte ne lui donnera pas satisfaction ! Les gens n'en sont évidemment pas au point de croire ce que vous tenez pour le summum de la communication politique...

Une chose a marqué les Français cette année, le fameux « jour férié » : vous avez décidé un prélèvement de 2 milliards d'euros supplémentaires : 1,2 milliard devait financer l'APA et 800 millions les politiques de lutte contre la dépendance. Or, qu'apprend-on dans la presse ? Qu'à peine 300 millions iront effectivement à la lutte contre la dépendance : le reste n'est qu'un prélèvement fiscal supplémentaire sur les salariés, destiné à financer de prétendues baisses d'impôts !

Vous finissez par croire à vos propres slogans, mais il n'y a pas un seul salarié pour croire, lui, qu'il va gagner plus ! Toutefois, ce débat n'est pas inutile : lorsque les communicants s'en vont, vos intentions se dévoilent. Répondant à nos collègues Le Bouillonnec et Vidalies, M. Soisson appelle le Conseil constitutionnel à tourner le dos aux vieilles lunes de 1946 pour rejoindre la modernité anglo-saxonne ! M. Soisson appelle cela l'individualisation du droit du travail, mais ce qu'il propose, c'est plutôt de sortir le droit du travail de sa spécificité constitutionnelle ! La République considère depuis très longtemps que le travail n'est pas une marchandise comme une autre, librement négociable entre un patron et un salarié.

C'est une véritable mercantilisation du travail que vous proposez ! Vous prétendez défendre le travail, mais vous en faites une marchandise secondaire ! Vous voulez que le lien entre le salarié et son entreprise ressorte de la libre discussion, sans intervention collective. Vous abaissez le travail ! Vous nous ramenez 150 ans en arrière ! Vous défendez la conception du travail de vos arrière-arrière-grands-parents, quand un patron tout-puissant négociait avec celui qui devait vendre la seule chose qu'il possédait, sa capacité de travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Bruno Le Roux - La majorité cherche à banaliser les articles de cette proposition de loi. Elle a d'ailleurs fait en sorte qu'ils ne puissent être discutés nulle part ailleurs que devant la représentation nationale et qu'il n'y ait ni avis du Conseil d'Etat ni discussion avec les organisations syndicales - car il n'y a guère eu qu'une consultation, laquelle vous a appris que ce texte était inacceptable et revenait sur cinquante ans d'acquis sociaux. A chaque article, nous montrons que ce texte met en danger les acquis sociaux, démantèle les 35 heures et remet en cause les congés payés.

M. Patrick Ollier - N'importe quoi !

M. Bruno Le Roux - Vous pensiez peut-être que le débat ne permettrait pas de faire apparaître tout cela, mais vous sauriez que les syndicats s'en sont rendu compte, si vous aviez essayé de leur expliquer votre texte ! Nous, nous avons écouté les salariés qui étaient dans la rue. Ils comprennent bien les conséquences qu'aura le texte que vous voulez faire passer en force à l'Assemblée nationale.

M. Patrick Ollier - En force ? Par la majorité de la représentation nationale ?

M. Bruno Le Roux - Les syndicats dénoncent le mépris du Premier ministre, et il répond qu'il les écoute, mais qu'il continue comme avant !

De quoi ont peur les salariés ? D'une remise en cause, sous des aspects bonhommes, de leur relation avec les chefs d'entreprise. Le développement de la relation individuelle, au nom d'une prétendue liberté du salarié, se traduira par un droit libéral du patron, à l'anglo-saxonne, qui permet de s'affranchir des garanties conventionnelles et du droit du travail. Vous ne parlez que par slogans, pour défendre la proposition de loi écrite par le Gouvernement, mais nous sommes ici pour aller au fond de vos intentions. Votre texte va aussi aggraver les inégalités entre les salariés des grandes entreprises, qui ont négocié les 35 heures, et ceux des petites entreprises qui sont moins protégés. Ce texte est le résultat de la course-poursuite qui se livre au sein même de la majorité pour donner des gages à l'aile libérale et récupérer son électorat.

Pour cela, vous n'avez pas peur de punir ceux qui vous ont sanctionnés en 2004. Mais que peuvent-ils faire ? Descendre dans la rue ? Vous ne les écoutez pas ! Passer par leurs organisations syndicales ? Le dialogue social n'est qu'un slogan pour vous ! Après avoir voulu punir les enseignants, qui ont eu le tort de manifester contre vous, vous allez punir les salariés en démantelant le droit du travail, à la demande du Medef. Article par article, nous montrerons la réalité de vos intentions. Ce texte fonde un nouveau droit du travail. Nous préférons les acquis sociaux qui ont permis une relation équilibrée au sein de l'entreprise (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Marie-Françoise Clergeau - La prolongation du régime dérogatoire jusqu'au 31 décembre 2008 est source d'une inégalité de traitement des salariés devant la loi. Elle est particulièrement défavorable aux femmes, et s'additionne aux autres mesures que vous avez déjà prises. Le relèvement du contingent d'heures supplémentaires, la journée de solidarité, le temps prétendument choisi, les régimes dérogatoires pour les petites entreprises ou pour l'hôtellerie-restauration vont permettre aux employeurs de faire travailler les salariés 2 054 heures par an, alors que 2 000 heures étaient la revendication emblématique du patronat avant 1936 !

Cette loi va donc lourdement peser sur l'emploi, et particulièrement celui des femmes. Nous avons déjà appelé l'attention du Gouvernement sur leur situation particulière : elles arrivent à la retraite avec des revenus bien inférieurs à ceux des hommes, car elles ont été plus longtemps au chômage et elles ont souvent un travail à temps partiel non choisi et des contrats à durée déterminée. Vous auriez pu améliorer leur situation, notamment en matière de temps partiel, mais connaissez-vous le terrain ? Voyez-vous la situation des familles monoparentales, des couples avec deux enfants et un seul SMIC, parce que la femme ne trouve pas d'emploi ? Le travail n'est déjà pas bien réparti, et vous ne trouvez rien de mieux qu'imposer une durée plus importante à ceux qui en ont un !

Vous ne pouvez pas rester indifférents devant les centaines de milliers de personnes qui étaient dans la rue samedi. Le malaise est profond. Il faut que vous entendiez ceux qui souffrent. Vous ne pouvez continuer à accentuer les inégalités loi après loi. C'est une souffrance pour nous que de ne pas pouvoir agir. Vous êtes une majorité écrasante, vous ne vous occupez que des vôtres, vous n'écoutez que le Medef. Vous vous moquez éperdument de ceux qui restent sur le bord du chemin. De grâce, retirez cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Le Garrec - Je voudrais faire un rappel au Règlement. La déclaration que vient de faire M. Soisson est un moment de vérité. M. Vidalies ayant rappelé le Préambule de la Constitution de 1946, M. Soisson lui répond que ce texte a bien vieilli. S'agissant d'un texte qui a construit notre République, c'est quelque chose ! Et il faut se souvenir que le patronat, à l'époque, n'avait guère la parole, après ce qui s'était passé durant les cinq années précédentes...

La Constitution de 1946 est le fondement de notre République. M. Soisson explique que l'évolution privilégie de plus en plus les relations individuelles. C'est bien ce que nous voulons éviter ! Comme l'a dit M. Borloo, qui, malheureusement, ne s'exprime qu'à la fin des débats, il faut faire attention à la pression capitalistique croissante sur les entreprises. Cette pression se traduit par la recherche, au détriment des conditions de travail et des salariés, de profits qui ne bénéficient qu'aux actionnaires et aux fonds de pension, des bénéfices « exorbitants », selon Alain Madelin lui-même ! C'est une tendance de fond, que nous combattons. Je suis convaincu qu'elle est contraire à l'intérêt de l'entreprise, qui a besoin que les conditions de travail puissent être négociées par l'intermédiaire des représentants du personnel.

J'ai entendu le mot « liberté ». Je vous en prie, ne l'invoquez pas dans un débat comme le nôtre. Au XIXe siècle, il y eut une discussion sur le temps de travail des enfants : c'est une bataille que Henri Guillemin a fort bien relatée. Un certain Thémistocle Lestiboudois invoqua alors la liberté de l'honnête entrepreneur... Evitez de l'imiter, car la liberté a deux faces : l'intérêt de l'entreprise et la protection des salariés.

Je remercie M. Soisson, car il a été le seul à avoir le courage de dire que nous allions vers l'individualisation des rapports sociaux, c'est-à-dire la négociation de chaque salarié avec le chef d'entreprise. C'est ce que nous n'acceptons pas. Mais on voit mieux à présent le fil rouge de votre réforme.

Vous comprendrez, Monsieur le président, qu'afin d'analyser ces propos, nous demandions une suspension de séance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - La suspension est de droit. Avant de l'accorder, toutefois, je souhaite préciser que, parmi les amendements restant en discussion, plusieurs centaines, en grande partie répétitifs, ont été déposés lors de la troisième séance du jeudi 3 février ou au début de la présente séance.

Dans le souci d'une bonne organisation de nos travaux, la discussion de ces amendements portant un numéro supérieur à 155 sera réservée jusqu'à la fin de la discussion de l'article 3 ; en conséquence, parce qu'ils sont identiques à certains amendements réservés, les amendements 139, 143 rectifié et 67 seront également réservés.

La séance, suspendue à 18 heures 35, est reprise à 19 heures 5.

M. Jean-Marie Le Guen - Rappel au Règlement. Je souhaiterais que le ministre nous dise les raisons pour lesquelles il souhaite cette réorganisation de nos travaux. Nous sommes un peu surpris de cette décision unilatérale, alors que les choses se passaient très bien jusqu'à présent, ce qui nous a permis d'avancer de façon raisonnable (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), plus vite en tout cas que sur l'assurance maladie en juillet dernier.

M. le Président - Cette décision a été prise par la présidence, et pas du tout à la demande du Gouvernement. Je n'ai fait que commenter le « jaune ».

M. Jean-Marie Le Guen - Mais pourquoi avez-vous jugé utile de modifier ainsi le déroulement de nos travaux ?

Mme Françoise de Panafieu - Pour que vous puissiez plus vite partir vous mettre en pyjama !

M. le Président - Nous suivons le « jaune », et je donne la parole à M. Braouezec pour défendre l'amendement 20.

M. Gaëtan Gorce - Je voudrais faire un rappel au Règlement !

M. le Président - J'ai donné la parole à M. Braouezec (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Voulez-vous nous empêcher de débattre, Monsieur le président ? Ne cédez pas aux pressions !

M. le Président - Défendez-vous votre amendement, Monsieur Braouezec ?

M. Patrick Braouezec - Monsieur le président, j'aurais préféré que vous laissiez d'abord M. Gorce faire son rappel au Règlement.

Je voudrais moi aussi m'élever contre le mépris avec lequel on traite ceux qui se font ici l'écho de ce qui se passe dans le pays.

M. Jean-Paul Charié - Vous ne pouvez pas dire cela !

M. Patrick Braouezec - Si, car comme d'autres ici, j'étais samedi aux côtés des manifestants, et j'ai entendu les salariés dire « non » à la remise en cause des 35 heures ! Ce matin, le président Bocquet a envoyé un courrier à M. Raffarin pour lui dire que, compte tenu de ce qui se passe dans le pays, on ne pouvait plus légiférer comme vous l'aviez envisagé.

M. Hervé Novelli - Ah bon !

M. Patrick Braouezec - Avant de défendre mon amendement, j'aimerais que M. Larcher nous confirme qu'une fin de non-recevoir a été opposée à M. Bocquet : au moins, ce serait clair, on saurait que le Gouvernement ne veut pas entendre la rue. Mais la rue, sachez-le, ce sont des gens qui travaillent et qui pensent...

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Excellent rappel au Règlement !

M. le Président - Ce n'était pas un rappel au Règlement, M. Braouezec avait la parole pour défendre l'amendement 20. Je donne maintenant la parole, pour un rappel au Règlement, à M. Gorce.

M. Gaëtan Gorce - Monsieur le président, l'article 58, alinéa 1er, du Règlement dispose que les rappels au Règlement suspendent la discussion, mais je ne veux pas entamer une polémique.

Nous avons été forcés de nous battre pied à pied pour défendre les droits de l'opposition : on a tenté, dans la nuit de jeudi à vendredi, de la bâillonner, afin que ce texte soit voté avant les manifestations de samedi. Je ne voudrais pas qu'on continue à essayer de l'empêcher de s'exprimer sur des dispositions qu'elle juge dangereuses, alors même que les représentants des salariés ont demandé samedi l'ouverture de discussions sur le texte puisque celles-ci n'ont pas eu lieu avant.

Le ministre doit nous dire s'il est prêt à accepter la concertation que réclament les partenaires sociaux. Le Gouvernement est-il enfin prêt à assurer un service minimum en matière de dialogue social ? Et laissera-t-il l'opposition s'exprimer ?

M. Jean-Marie Le Guen - Depuis le début de l'après-midi, nous demandons que M. Raffarin vienne s'expliquer...

M. Yves Fromion - Nous attendons toujours Jospin !

M. Jean-Marie Le Guen - Si vous voulez vous exprimer, cher collègue, faites le, je vous en prie ! Cela nous changerait du silence auquel la majorité limite son travail sur ce texte ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Mais peut-être le Premier ministre préfère-t-il s'expliquer sur les ondes plutôt que devant le Parlement ? Peut-être méprise-t-il le Parlement ? Il serait en tout cas utile qu'il profite du temps qui nous sépare du vote sur ce texte pour prendre la mesure du rejet que suscite sa politique. Viendra-t-il nous dire quelles conclusions il tire des manifestations de cette fin de semaine ?

M. le Président - La parole est à Mme Billard, sur son amendement 35.

M. Jean-Marie Le Guen - Le Gouvernement n'a pas répondu !

Mme Martine Billard - L'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical, le Conseil constitutionnel ayant plusieurs fois souligné que cette détermination doit se faire dans le respect du huitième alinéa du Préambule. Je suis donc très surprise d'entendre un ancien ministre du travail nous expliquer que la Constitution, le Préambule et le code du travail sont des vieilleries qu'il convient de remplacer par des contrats individuels entre le salarié et le chef d'entreprise !

Le Préambule de la Constitution de 1946 est pourtant issu du programme du Conseil national de la Résistance, qui comprenait aussi des gaullistes...

M. Yves Fromion - D'abord des gaullistes !

M. Patrick Braouezec - Il n'en reste plus grand-chose !

Mme Martine Billard - Ces valeurs pour lesquelles des hommes et des femmes se sont battus et sont morts seraient donc aujourd'hui obsolètes ? Sidérant !

Cette majorité qui avance à petits pas...

M. Yves Fromion - Au moins, on avance !

Mme Martine Billard - ...a déjà supprimé la primauté de la convention collective sur l'accord d'entreprise, mais cela ne lui suffit pas : voilà qu'elle veut faire primer l'accord individuel sur tout le reste !

M. Jean-Pierre Gorges - Super.

Mme Martine Billard - Il faudrait peut-être aussi que l'indemnité des députés soit le résultat d'une négociation individuelle, qui tiendrait compte par exemple de l'assiduité... (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Vous faites à l'évidence un autre choix de société que nous. Il consiste à tout faire pour accroître les dividendes versés aux actionnaires et à vouloir que les chefs d'entreprise puissent s'affranchir des normes. Votre discours n'est pas nouveau, il date de plus d'un siècle : on l'entendait déjà à propos du travail des enfants ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Selon votre conception de la liberté, le salarié pourrait décider, après un entretien les yeux dans les yeux avec son employeur, qu'il serait meilleur pour sa santé de travailler au maximum treize ou quinze heures par jour - puisque c'est ce que permet le forfait jour, contre lequel je me suis d'ailleurs battue en tant que salariée -, et six jours par semaine.

Oui, car il reste encore une limite : on ne peut pas travailler sept jours sur sept. Au nom de la liberté de travailler plus, vous devriez donc demander que l'on supprime le repos du dimanche. Mais vous auriez peut-être des problèmes avec votre électorat catholique...

M. le Rapporteur - Dois-je rappeler que l'article 3 proroge le dispositif dérogatoire mis en place par la loi Aubry, que la loi de mai 2004 a apporté des réponses aux difficultés que pouvaient avoir les petites entreprises à mener une négociation collective et que le dispositif est encadré par des garanties renforcées ?

Je voudrais aussi répondre aux différentes interrogations qui ont surgi sur les bancs de l'opposition, car elles sont légitimes dans le cadre d'un débat démocratique...

M. Jean-Marie Le Guen - Ah !

M. le Rapporteur - Pour répondre à l'argument de non-constitutionnalité, je veux souligner qu'il ne s'agit pas de pérenniser un régime transitoire mais seulement de le proroger. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Je fais d'autre part observer à M. Vidalies, qui a parlé d'une individualisation du code du travail, que l'article L.212-15-3 du code du travail fait déjà référence à la « convention individuelle de forfait » et que cette notion existe aussi dans un décret de 1974, en référence au forfait horaire. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Quant aux 1 500 ou 2 000 amendements qui ont été déposés, je doute à titre personnel de leur pertinence dès lors qu'il s'agit, par exemple, de substituer à la date du 31 décembre 2008, successivement, le 1er, le 2, le 3, le 4, le 25 mars 2005 et ainsi de suite (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Restons-en aux amendements en discussion.

M. le Rapporteur - Avis défavorable aux amendements 20 et 35 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Ministre délégué - Même avis. On ne peut se satisfaire éternellement de la différenciation des règles applicables en droit du travail selon la taille des entreprises. Les lois Aubry ont d'abord profité aux grandes entreprises...

M. Jean-Marie Le Guen - Notez l'aveu !

M. le Ministre délégué - ...Or, le Gouvernement a contribué, lui, par la convention de reclassement personnalisé incluse dans la loi de cohésion sociale, à réduire la fracture existante entre les différents catégories d'entreprises et de salariés. Il est évident que les contraintes d'organisation diffèrent entre les petites et les grandes entreprises, en particulier concernant l'organisation du temps de travail en cas de fluctuation de l'activité ou en cas d'absence d'un salarié. C'est une des raisons pour lesquelles les petites entreprises ont du mal à « encaisser » le passage autoritaire et brutal aux 35 heures. Les lois Aubry en ont d'ailleurs tenu compte en instaurant un distinguo entre les entreprises selon qu'elles comptent plus ou moins de vingt salariés. Et le juge constitutionnel a admis ce délai d'adaptation supplémentaire.

C'est parce que nous nous soucions également des petites entreprises et de leurs salariés que la loi Fillon a prolongé ce régime transitoire de trois ans, tout en ouvrant de nouvelles possibilités de négociations sur le temps et l'organisation du travail, en particulier au niveau de la branche. La loi du 4 mai dernier a accru ces possibilités puisqu'elles ont été étendues aux entreprises et aux groupes.

Les PME ayant le plus de mal à se saisir de ces nouveaux outils alors qu'elles en ont le plus besoin, le Gouvernement ne peut que souscrire à l'article 3 : il s'agit d'accorder aux entreprises une nouvelle période complémentaire de trois ans afin de mettre en place un régime négocié d'heures supplémentaires et de continuer à leur ouvrir dans l'intervalle un régime adapté pour le décompte des heures supplémentaires ainsi que pour la majoration des quatre premières heures ; il s'agit en outre de permettre aux salariés, à titre transitoire, de racheter des jours de repos accordés au titre de la RTT, dans la limite de dix par an.

Ces deux mesures ont vocation à disparaître dès qu'un accord sur le régime des heures supplémentaires ou sur le CET aura été conclu, et cela au plus tard, le 31 décembre 2008. Le développement progressif des nouvelles procédures de négociation prévues par la loi du 4 mai devrait permettre d'atteindre cet objectif. Je rappelle que le Premier ministre a lui-même précisé que le moratoire de trois ans devait permettre aux petites entreprises de rejoindre le niveau de paiement des heures supplémentaires des grandes. Il a de plus ajouté : « les manifestations font partie du droit social, de la démocratie sociale, et nous écoutons les messages qui ont été formulés ». (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Bruno Le Roux - Quelles conséquences pour les manifestants ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Je remercie M. le rapporteur, premier intervenant de la majorité qui accepte un vrai dialogue sur l'article 3, mais il n'a pas néanmoins répondu à nos interrogations. L'article L. 212-15-3 du code du travail instaure certes des conventions individuelles de forfait mais la conclusion de ces conventions doit être prévue par une convention ou un accord collectif. S'il n'y en a pas, la convention individuelle ne peut être établie que sur des bases hebdomadaires ou mensuelles, et non annuelles. Supprimer l'article 3 interdira de porter atteinte à cette règle fondamentale qu'est la durée du temps de travail. Non seulement l'individualisation est en l'espèce contraire au droit, mais elle ouvrirait la porte à des contentieux sans fin. Il y va de l'intérêt public. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Bruno Le Roux - Très bien.

M. Alain Vidalies - M. le rapporteur a fait un contresens sur l'article L. 212-15-3 : les accords individuels sont possibles, certes, mais dans le cadre d'un accord collectif. Or, le Gouvernement propose que les accords individuels puissent déroger à l'accord collectif. Le problème est d'importance, puisqu'il s'agit de déterminer la place de la volonté individuelle par rapport aux conventions collectives.

Permettez-moi de citer l'attendu de l'arrêt de l'assemblée plénière de la Cour de cassation, en date du 4 mars 1983, qui dispose que la seule volonté des parties est impuissante à soustraire un salarié au statut social qui découle nécessairement des conditions d'accomplissement de son travail. Rien ne vous interdit de vous attaquer à ce principe, à condition d'ouvrir clairement le débat devant les partenaires sociaux et l'opinion publique, d'autant plus que les conséquences de votre dispositif sont difficiles à mesurer. Comment allez-vous envisager l'application de l'article L. 135-4 du code du travail qui permet aux organisations syndicales d'engager, au nom des salariés, une action devant les prud'hommes pour défendre des droits collectifs issus de la loi ou de la convention collective ? Et je pourrais en citer bien d'autres !

Quant à votre engagement de ne pas reporter l'application des 35 heures dans les petites entreprises au-delà de 2008, je note que la date est choisie en fonction des rendez-vous électoraux. Mais le Conseil constitutionnel s'en satisfera-t-il ?

Cet article mériterait un débat de fond devant les Français, car je ne suis pas certain qu'ils aient parfaitement saisi la portée de votre loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Claude Leteurtre - Depuis longtemps, je dénonce les 35 heures, que j'ai vécues en tant qu'hospitalier, puis, surtout, en qualité de président d'une commission des affaires sociales, ce qui m'a permis de réaliser tout le désordre qui en résultait dans le secteur médico-social. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Je me souviens d'éducateurs spécialisés qui se plaignaient de ne plus pouvoir organiser de camps de vacances du fait de cette loi.

D'autre part, maire d'une ville de 10 000 habitants qui a vécu la disparition d'une usine de 700 emplois, je me souviens encore de travailleurs pleins de bonne volonté, mais qui ne pouvaient s'en sortir face aux 35 heures.

M. Alain Vidalies - C'est vrai, on a vu beaucoup de manifestations contre les 35 heures !

M. Claude Leteurtre - Je n'ai pas l'habitude de verser dans l'idéologie... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Alain Vidalies - Ben voyons ! Assumez-vous !

M. Claude Leteurtre - Je connais deux entreprises de sous-traitance de moins de 20 salariés, et leur souci est moins les heures supplémentaires que le maintien de l'activité. Lorsque vous travaillez dans la métallurgie, et que vous recevez une commande, vous devez l'honorer parfois dans les jours qui suivent, quitte à faire des heures supplémentaires. C'est à ce prix que l'on peut concurrencer les entreprises portugaises ou espagnoles.

Cela dit, les inégalités entre les grandes et les petites entreprises ne sont pas justifiables, et cet article 3 pourrait être l'occasion de les résorber. Aussi le groupe UDF demandera-t-il une suspension de séance après le vote sur les amendements de suppression.

M. le Président - Je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public sur le vote des amendements 20 et 35.

A la majorité de 44 voix contre 13, sur 61 votants et 57 suffrages exprimés, les amendements 20 et 35 ne sont pas adoptés.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu, ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 20 heures.

              Le Directeur du service
              des comptes rendus analytiques,

              François GEORGE


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