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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 65ème jour de séance, 160ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 1er MARS 2005

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

      DÉPÔT DU RAPPORT ANNUEL
      DE LA COUR DES COMPTES 2

      SAUVEGARDE DES ENTREPRISES 7

La séance est ouverte à dix-sept heures quarante-cinq.

DÉPÔT DU RAPPORT ANNUEL DE LA COUR DES COMPTES

L'ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.

M. le Président - Messieurs les huissiers, veuillez faire entrer M. le Premier président de la Cour des comptes.

Monsieur le Premier président, je suis heureux de vous accueillir dans cette assemblée que vous avez eu l'honneur de présider. La longue expérience parlementaire que vous mettez au service de vos fonctions actuelles ne peut qu'inciter notre assemblée à une écoute attentive des conclusions et des propositions que votre haute juridiction émet sur les dépenses et les comptes publics.

Nos concitoyens attendent du Parlement la transparence du budget de l'Etat, et ce ne sont ni M. le président de la commission des finances, ni le rapporteur général qui me démentiront. Ils souhaitent également une affectation plus efficace des ressources que la nation y consacre et un contrôle rigoureux de son exécution.

La coopération que le Parlement et la Cour des comptes entretiennent, et qui est appelée à se renforcer, constitue le socle naturel de cette bonne gestion. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de votre assemblée le rapport public annuel de la Cour des comptes, que j'ai remis ce matin au Président de la République et que je viens de commenter devant le Sénat.

En me présentant ainsi devant la représentation nationale, je me conforme à une tradition qui remonte à 1832, date à partir de laquelle le rapport public fut accessible aux parlementaires, après avoir été réservé à l'Empereur, puis au Roi. Il faudra encore attendre plus d'un siècle et la veille de la deuxième guerre mondiale pour qu'on autorise enfin sa lecture par les citoyens.

Près de sept décennies plus tard, il n'est plus la seule publication de la Cour. Outre ses communications sur l'exécution de la loi de finances et l'application de la loi de financement de la sécurité sociale, la Cour fait connaître certaines de ses observations par la voie de rapports publics particuliers. Ainsi, au cours des trois derniers mois, a-t-elle consacré des rapports thématiques à l'accueil des immigrants et à l'intégration des populations issues de l'immigration, au maintien en condition opérationnelle des matériels des armées, et au démantèlement des installations nucléaires et à la gestion des déchets.

Près d'une dizaine d'autres rapports publics particuliers sont en ce moment même en cours d'élaboration et vous seront transmis, pour la plupart, dès cette année. Ils témoigneront de la diversité des interventions de la Cour, de sa contribution à l'amélioration de l'efficience de la gestion publique et de son appréciation de l'efficacité des politiques conduites.

S'agissant du contrôle des organismes faisant appel à la générosité publique, la Cour a également publié au cours des douze derniers mois des rapports sur le Comité français pour l'Unicef, l'Association française contre les myopathies et, il y a quelques jours à peine, l'Association pour la recherche contre le cancer. Elle s'apprête également à procéder aux vérifications qui déboucheront sur un rapport public de l'utilisation des fonds recueillis à la suite de la catastrophe du sud-est asiatique, qui sera complété par un autre, de portée internationale, qu'elle publiera en sa qualité de commissaire aux comptes de l'ONU.

Pour autant, nous entendons conserver au rapport public annuel toute sa singularité, en nous attachant à le faire évoluer vers un relevé des activités de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes, ainsi qu'un inventaire des observations les plus exemplaires auxquelles elles ont pu procéder. Les deux volumes du rapport qui vous est remis y contribuent chacun à leur manière.

Le rapport d'activité, publié depuis quatre ans dans un fascicule distinct, est le moyen de rendre compte de notre activité et de satisfaire à une obligation de transparence à laquelle les juridictions financières veulent d'autant plus souscrire que c'est pour elles le moyen de faire connaître l'efficacité de leurs interventions.

L'absence de suites aux interventions de la Cour est en effet une légende qui n'a que trop duré. Peut-être la Cour et les chambres régionales sont-elles trop modestes pour revendiquer la paternité de réformes intervenues après leur passage. Peut-être retient-on plus l'anecdote que les réformes de fond auxquelles nous avons contribué. Toujours est-il que nombre de nos contrôles produisent des effets, à telle enseigne que les péripéties multiples qu'est en train de vivre telle fédération sportive doivent beaucoup à la Cour, et que le redressement de telle association de lutte contre le cancer n'aurait pas été possible sans l'intervention de la juridiction.

Vous trouverez bien d'autres illustrations de son travail, qu'il s'agisse de la réforme entreprise par la Protection judiciaire de la jeunesse après le contrôle effectué par la Cour en 2003 ou des modifications significatives que nombre de collectivités territoriales ont dû opérer dans leurs rapports avec leurs délégataires de service public, après les contrôles des chambres régionales des comptes.

Quant au contenu du deuxième volume, s'il n'a peut-être plus le caractère exhaustif de jadis, il ne se limite pas non plus à un propos d'ambiance et permet, à partir de quelques exemples significatifs, de prendre la mesure de ce qu'est la gestion publique, de l'écart qui peut la séparer de ce qu'elle devrait être, d'en retracer les évolutions ou encore d'en évaluer les excès ou les insuffisances.

La Cour ne cesse donc de s'adapter aux évolutions de son environnement, caractérisées depuis plus de dix ans, et sous l'impulsion de Pierre Joxe, par un renforcement progressif et continu de sa contribution à l'information du Parlement - auquel je m'honore d'avoir pris ma part dans une vie antérieure -, confirmé, amplifié et approfondi par la loi organique relative aux lois de finances.

Ainsi la Cour participe-t-elle d'ores et déjà aux travaux de la mission d'évaluation et de contrôle créée par votre commission des finances et à ceux - récents - de la mission d'études et de contrôle sur la sécurité sociale mise en place par votre commission chargée des affaires sociales. Elle s'efforce également de répondre dans les meilleures conditions aux demandes d'enquêtes formulées par la commission des finances. Enfin, ses référés font désormais l'objet de communications systématiques aux commissions des finances des deux Assemblées.

Sans doute faudra-t-il aller plus loin pour disposer des meilleurs moyens d'apprécier la performance réelle des administrations et pour optimiser l'usage qui est fait de ce bien rare qu'est l'argent public. Je demanderai ainsi à la Cour de mieux exprimer encore ses recommandations et préconisations afin de faciliter les suites qui leur seraient réservées par l'exécutif ou, à défaut, de mettre davantage le Parlement en mesure d'en pointer l'absence et d'en évaluer les conséquences.

Peut-être faudra-t-il également veiller à ce que l'ensemble de ces propositions soit connu du Parlement. On pourrait ainsi envisager que lui soit transmise trimestriellement une synthèse des propositions que la Cour formule dans ses référés, pour faciliter leur exploitation rapide.

Cela dit, les principaux enseignements du nouveau contexte restent à tirer. Au moment où la Cour doit assumer la tâche nouvelle de certification des comptes de l'Etat et jouera, avec les chambres régionales des comptes, un rôle majeur dans le processus d'évaluation de la performance des politiques publiques, il reviendra aux juridictions financières d'être les garantes d'une mise en œuvre satisfaisante de la LOLF, dont le législateur a souhaité qu'elles soient l'un des rouages essentiels.

Ne nous y trompons pas : rien n'ira de soi dans le jugement de la performance qui ne pourra reposer sur les seules données chiffrées. Un complément d'appréciation d'ordre qualitatif sera indispensable, comme l'ont bien compris les Anglo-saxons qui ont abandonné l'approche par les indicateurs au profit de celle fondée sur les mesures de performances, leur permettant une évaluation quantitative et qualitative plus conforme à la réalité multiforme et évolutive de l'action publique.

Ce complément d'ordre qualitatif, c'est d'abord à la Cour qu'il reviendra de l'apporter. Mais elle sera également expressément invitée à formuler des propositions de réforme de la LOLF, qui ne saurait être considérée comme un monument intangible.

M. Michel Bouvard - Très bien

M. le Premier président - Je ne suis ni le premier, ni le dernier à souligner que la France est probablement le seul pays à présenter la totalité des dépenses de l'Etat sous la forme de programmes, alors même qu'on peut se demander si toutes les formes de l'action publique peuvent y trouver systématiquement leur traduction.

Il est ainsi probable que nous découvrirons rapidement le danger qu'il y aurait à rester prisonniers de tels programmes qui seraient considérés comme complets et immuables, alors que les actions, par nature, changent en fonction des décisions des pouvoirs publics. Il faudra pour le moins accepter que la gestion par programme soit appliquée avec souplesse et pragmatisme, en attachant davantage d'importance à l'esprit général du programme plutôt qu'à son contenu, et, si cela ne suffit pas, avoir le courage de procéder aux changements nécessaires.

La réussite de la LOLF constitue un enjeu de transparence et de responsabilité essentiel pour la démocratie parlementaire, qui impose que toutes les chances de réussite soient réunies. Les juridictions financières sont donc résolues à y travailler.

Pour qu'elles puissent agir avec une totale impartialité, il est cependant indispensable de reconsidérer la place qui leur est faite, bref, de tirer toutes les conséquences du choix fait par notre pays de ne retenir aucun des modèles habituels de positionnement de l'institution supérieure de contrôle, à savoir son rattachement à l'exécutif ou au législatif. Certes le choix ainsi opéré en 1958 par le pouvoir constituant était implicite. Et sans doute cela peut-il expliquer qu'il ait fallu attendre les années 1990 pour que le Parlement et la Cour en tirent les premières conséquences concrètes et 2001 pour que le Conseil constitutionnel pose clairement le principe de l'équidistance de la Cour par rapport au Gouvernement et au Parlement, que parallèlement la logique de la LOLF a rendu incontournable.

Dans ces conditions, il m'est vite apparu que la présence des juridictions financières dans un programme rattaché à une mission du ministère de l'économie et des finances - comme à tout autre élément de l'exécutif - était difficilement défendable. La Cour, avec le renfort du Conseil d'Etat, a donc formulé plusieurs suggestions pour que son positionnement soit remis en conformité avec les principes que j'ai rappelés. L'affaire est d'importance : ce sont la clarté, la qualité et la pérennité des rapports de la Cour et du Parlement qui sont en question. Nous avons été sensibles à l'écoute de la commission des finances de votre Assemblée. Grâce à elle, l'idée s'est fait jour d'un rattachement des programmes de la Cour et du Conseil d'Etat à une mission spécifique de conseil et d'appui des pouvoirs publics, qui pourrait également inclure le Conseil économique et social.

L'exercice du contrôle financier, l'exonération des crédits et la régulation budgétaire feraient ainsi l'objet d'un traitement adapté. C'est une formule à laquelle nous pouvons souscrire bien volontiers, sous réserve que nul rattachement ne mette en cause notre double référence à l'exécutif et au législatif, et dès lors que les chambres des comptes pourraient nous accompagner. C'est en effet la spécificité des juridictions financières de former un tout indissociable, comme en témoignent les nombreuses missions d'évaluation conjointes des politiques publiques appelées à se développer encore après la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

Les treize insertions du présent rapport public ne tiennent pas de ce qu'on dénomme communément l'épinglage. Elles ne se veulent pas un tableau de chasse, mais une contribution, parmi beaucoup d'autres, à l'effort national de bon usage de la ressource publique. Il s'agit d'appréciation du suivi réservé à des observations antérieures. Ainsi en va-t-il de la « refondation indemnitaire ». Les ministères concernés, ayant pris en compte les recommandations faites par la Cour en 1999, ont procédé à une régularisation juridique des dispositifs concernés. Mais cette réforme paraît essentiellement formelle et l'on peut déplorer que l'objectif de motivation des personnels et de rénovation de la gestion publique, affiché entre-temps par les pouvoirs publics, ne l'ait pas davantage inspirée. L'opération de désamiantage du campus de Jussieu appelle des critiques analogues. Malgré les préconisations faites en 1999 par la Cour, cette opération particulièrement complexe a été menée sans la coordination indispensable qui aurait évité la dérive des délais et des coûts.

Il s'agit encore de démontrer que la Cour n'intervient pas seulement pour blâmer, mais parfois aussi pour souligner les progrès accomplis et l'amélioration de la gestion publique. La construction progressive du service public de la transfusion sanguine ou la rationalisation de l'organisation financière de France Télévisions, dans le cadre d'une « holding » que la Cour avait appelée de ses vœux, en constituent deux bons exemples.

Il s'agit aussi, de manière probablement plus classique, d'alerter sur des gestions défaillantes. Tel est notamment le cas des opérations immobilières du ministère des affaires étrangères, qui révèle une situation critique, caractérisée par des incohérences nombreuses et un défaut de pilotage patent, sources de surcoûts, de retards dans les réalisations et, au final, d'une efficacité largement insuffisante. Il est urgent que ce ministère professionnalise la gestion de son patrimoine. A défaut, ses projets de révision de ses implantations parisiennes, tout comme la modernisation de l'hébergement de son réseau diplomatique et consulaire risqueraient de réserver de bien mauvaises surprises (Sourires sur plusieurs bancs du groupe UMP).

C'est aussi le cas du fonctionnement de la direction générale de la santé. Au lieu de proposer les axes d'une politique de prévention et de protection de la santé et d'en coordonner la mise en œuvre, son efficacité est mise à mal par l'éclatement des responsabilités, le foisonnement des textes juridiques, le poids des tâches de gestion ou la succession des urgences sanitaires. Tout indique que la création d'une Haute Autorité de santé ne facilitera pas le repositionnement souhaitable de ladite direction.

Telles sont, aussi brièvement énoncées que possible, les quelques considérations dont je souhaitais, avec votre permission, assortir le dépôt du présent rapport public. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements prolongés sur tous les bancs)

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances - La remise du rapport annuel de la Cour des comptes constitue un rendez-vous important, et je me réjouis de constater qu'il attire - alors que M. le Premier président Séguin procède à l'exercice pour la première fois - un nombre toujours croissant de nos collègues. Sans doute faut-il y voir, Monsieur le Premier président, une manifestation de votre autorité morale...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - Sans aucun doute !

M. le Président de la commission des finances - ...et aussi la preuve que nous sommes de plus en plus conscients de la nécessité de mieux contrôler la dépense publique. Je ne puis que saluer la bonne coopération entre nos deux institutions et je souhaite qu'elle continue à se renforcer. La convergence de nos préoccupations et de nos analyses s'est manifestée cette année encore de manière éclatante, notamment pour ce qui concerne le ministère des affaires étrangères, le contrôle sur pièces et sur place effectué en Allemagne par notre collègue Jérôme Chartier ayant donné lieu à des développements repris dans le rapport de la Cour... (« Excellent ! » sur les bancs du groupe UMP) Il y a également tout lieu de se féliciter que la MEC ait choisi de s'attaquer à la question des cessions immobilières, où il y a tant à faire.

S'agissant des suites données aux recommandations de la Cour, vous me permettrez, Monsieur le Premier président, de ne pas partager totalement votre optimisme. Faute de volonté politique, et compte tenu du poids de la bureaucratie, certaines préconisations parfaitement fondées peinent à se concrétiser. La mise en garde du Conseil des impôts sur la multiplication souvent injustifiée des niches fiscales date de plus de deux ans. Las, on a vu depuis certains textes importants en créer de nouvelles...

MM. Didier Migaud et René Dosière - Cela dépend de la majorité !

M. le Président de la commission des finances - La loi organique doit installer une culture de la performance, sans céder pour autant à la tentation de raisonner sur la base d'indicateurs bureaucratiques. Une mission a été confiée à nos collègues Jego et Dumont, afin de mieux analyser les suites données aux préconisations de la Cour. Parallèlement, la mission Bouvard-Migaud-Brard-de Courson...

M. René Dosière - Quelle équipe ! (Sourires)

M. le Président de la commission des finances - ...poursuit ses travaux et proposera des indicateurs de performance simples et pertinents pour construire la loi de finances pour 2006.

Monsieur le Premier président, je salue votre engagement personnel pour la réussite de ces différents projets et je suis sensible à la demande d'indépendance budgétaire que vous avez formulée. Il me semble en effet indispensable que la Cour se dégage de manière non équivoque de la sphère d'influence de ministères qu'elle a vocation à contrôler. Je ne doute pas que nous parvenions à dégager, avec nos collègues sénateurs, une solution satisfaisante à ce sujet.

La LOLF nous donne l'occasion de casser le confort des situations acquises, de revenir sur l'empilement des structures ou sur la complexification des procédures et de mettre à jour les incohérences. Nous devons aux Français de faire comprendre à tous que la dépense publique doit pouvoir être justifiée au premier euro.

Puisse 2005 être l'an I de la réforme de l'Etat, le début d'une ère nouvelle où nous parviendrions enfin à moins légiférer et à ne plus complexifier notre droit ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF et sur de nombreux bancs du groupe socialiste)

M. le Président - Monsieur Méhaignerie, puissent vos propos être entendus au-delà de cet hémicycle !

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances - Je remercie Monsieur le Premier président pour le commentaire de son rapport et pour ses considérations très judicieuses sur la mise en œuvre de la loi organique. Nous ne pouvons que partager son analyse selon laquelle les juridictions financières ne peuvent être rattachées à une mission dépendant directement de Bercy, et nous devons nous efforcer de trouver une solution plus satisfaisante, tendant à regrouper les organismes de conseil aux pouvoirs publics cités dans la Constitution - juridictions financières et administratives, CES,... - dans une mission dédiée tenant compte de leur spécificité.

Le point le plus délicat concerne leur traitement budgétaire proprement dit. Vous proposez qu'il relève du titre I et soit analogue à celui des dotations, mais vous soulignez également la nécessité de rester dans la démarche de performance de la loi organique, ce qui veut dire que même si les juridictions financières devaient bénéficier de dotations, elles ne pourraient pas pour autant s'exonérer de la production de projets annuels de performance et de rapports sur la base des résultats. Nous partageons par ailleurs complètement votre analyse selon laquelle le système actuel risquerait de vous soumettre aux affres de la régulation budgétaire. Il faudra donc que l'on trouve une solution, mais je ne suis pas certain que celle-ci passe par les dotations du titre I. Quoi qu'il en soit, la réflexion est ouverte.

La Cour suit une méthode éprouvée, qui donne toute sa place à la vision rétrospective et à l'examen contradictoire. Mais elle a su, dans sa communication à l'égard de l'exécutif, du législatif et de l'opinion publique, aller bien au-delà de la simple pédagogie paradoxale, qui s'appuie sur la litanie des erreurs ou des irrégularités, pour insister sur l'évaluation des politiques et sur le contrôle des performances. Et je sais, Monsieur le Premier président, que vous êtes particulièrement attaché à cette dimension.

La gestion publique est de moins en moins uniforme et nous avons d'ailleurs considéré qu'une plus grande marge d'initiative laissée aux gestionnaires serait gage d'efficacité. C'est le sens de la loi organique et c'est la manière dont vont fonctionner les différents responsables de programmes, qui auront un rôle totalement différent de celui des actuels directeurs d'administration centrale. C'est le sens enfin de la décentralisation.

En contrepartie, il convient de bien distinguer ce qui relève de la responsabilité de chacun. C'est vrai pour les décisions de gestion comme pour celles concernant les prélèvements obligatoires.

L'initiative et la responsabilité sont indissociables. C'est dire qu'il ne s'agit pas de s'en remettre à la seule vision comptable des choses, mais bien de retrouver des marges de choix politiques.

De ce point de vue, l'appréciation des juridictions financières, à équidistance de l'exécutif et du législatif, pour reprendre une de vos expressions favorites, Monsieur le Premier président, contribue au bon exercice du contrôle politique, qui relève de notre responsabilité. C'est dans cet esprit que la commission des finances a demandé à deux de ses membres, MM. Yves Jego et Jean-Louis Dumont, de dresser le bilan du suivi des préconisations de la Cour des comptes. J'insiste aussi sur l'importance du travail qui est conduit en liaison étroite avec la Cour au titre de la Mission d'évaluation et de contrôle.

Je suis persuadé que les relations de travail entre l'Assemblée et la Cour des comptes seront particulièrement constructives au moment où va totalement entrer en application la loi organique relative aux lois de finances, la fameuse LOLF (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Monsieur le Premier président, l'Assemblée nationale vous donne acte du dépôt du rapport de la Cour des comptes, vous remercie de votre présence et vous dit, par ma voix, la joie qui a été la nôtre de vous retrouver dans cet hémicycle.

La séance, suspendue à 18 heures 20, est reprise à 18 heures 30, sous la présidence de M. Le Garrec.

PRÉSIDENCE de M. Jean LE GARREC

vice-président

SAUVEGARDE DES ENTREPRISES

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi de sauvegarde des entreprises

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Les Français souhaitent travailler dans des entreprises stables, qui ne soient pas, chaque jour, menacées de faillite. C'est parfaitement légitime.

Nombre de nos compatriotes sont prêts à créer leur entreprise. Inventifs et talentueux, ils ont de l'énergie à revendre et, ensemble, nous pouvons aller de l'avant.

Mais les acteurs économiques souffrent du manque de sécurité du traitement des difficultés des entreprises, en premier lieu sur le plan économique. Toutes les dix minutes, une entreprise fait faillite dans notre pays, et les salariés, tout comme les entrepreneurs, comprennent mal le déroulement des procédures, complexes et peu efficaces.

Ils souffrent aussi du manque de sécurité de l'emploi, car dans 90% des cas, la procédure se solde par une liquidation, et ce sont 150 000 emplois salariés qui sont détruits chaque année.

Ils souffrent enfin du manque de sécurité juridique, car les procédures judiciaires actuelles, complexes, loin d'aider les salariés et les chefs d'entreprise, leur inspirent de la crainte.

Pour rompre avec ce sentiment d'insécurité, ma ligne de conduite sera simple : anticiper pour éviter la casse.

Ce texte est le fruit d'un travail concerté, engagé voici près de trois ans, et destiné à répondre aux attentes de nos concitoyens - davantage de sécurité, la simplification de leur vie quotidienne, une France plus prospère.

Nous avons commencé les travaux du quinquennat par des textes importants pour la sécurité des Français, qu'il s'agisse de la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, ou de la loi sur la criminalité organisée du 9 mars 2004.

Mais la sécurité, c'est aussi la confiance dans l'économie. La loi sur la sécurité financière favorise l'investissement, la croissance et l'emploi, et des ordonnances sur les valeurs mobilières, ou les SARL, ont simplifié les règles de financement et de développement des entreprises.

Cette loi de sauvegarde des entreprises tend au même objectif. C'est une loi pour la sécurité, pour la confiance, pour la croissance.

Je le disais, les entrepreneurs redoutent les procédures actuelles parce qu'ils savent que, neuf fois sur dix, elles se soldent par une liquidation. Il faut redonner aux chefs d'entreprise l'envie de prendre leurs difficultés à bras-le-corps quand il en est encore temps.

Ce texte doit aussi rendre confiance aux professionnels libéraux exposés, comme les autres acteurs de notre société, aux aléas économiques, sans bénéficier pour autant ni des régimes d'indemnisation du chômage, ni de mécanismes de traitement des difficultés économiques. Ces professionnels forment un tissu économique formidable, aussi convient-il de leur accorder le bénéfice des procédures de conciliation et de sauvegarde, qui renforceront leur capacité de réaction.

Cette loi est aussi une loi pour la confiance des salariés, des entrepreneurs, de tous les partenaires de la vie des entreprises - leurs fournisseurs, leurs banquiers, leurs clients. Mais la confiance ne se décrète pas, elle se construit. Telle est l'ambition de ce texte.

Parce que ce sont les salariés qui font vivre les entreprises, ils doivent avoir confiance dans le traitement des difficultés de leur entreprise. Je souhaite que les équilibres atteints dans la loi de cohésion sociale promulguée le 19 janvier dernier, soient préservés dans le cadre des nouveaux mécanismes. En particulier, les salariés doivent être informés de l'évolution de la situation et ils doivent pouvoir s'exprimer par l'intermédiaire de leurs représentants, à chaque décision importante.

M. Arnaud Montebourg - C'est un désaveu du rapporteur !

M. le Garde des Sceaux - Mais il faut aussi restaurer la confiance des chefs d'entreprise, aujourd'hui dépossédés, par la procédure collective, de la gestion de l'entreprise qu'ils ont souvent créée. Il faut leur garantir qu'ils resteront maîtres de leur activité : tel est l'objet de la nouvelle procédure de sauvegarde.

Plutôt que de structures et d'organisations, c'est bien d'hommes et de femmes que ce texte traite.

Et je parle de choses bien concrètes, que je voudrais illustrer par deux exemples.

Lorsque vous créez une entreprise, il faut souvent solliciter vos proches pour qu'ils cautionnent vos débuts. Dés lors, leurs biens sont en jeu, et vous essayez naturellement de leur cacher les difficultés que vous pouvez rencontrer. Tout cela finit mal, en général, les chiffres en témoignent ; aussi la nouvelle procédure de sauvegarde des entreprises tend-elle à protéger les proches du chef d'entreprise qui lui apportent leur caution personnelle. Chacun aura intérêt à anticiper.

Second exemple : la cession des actifs des entreprises en difficulté. On connaît tous des gens dont les biens professionnels ont été cédés sommairement au terme de procédures complexes et opaques. Je vous propose de réformer les procédures de cession, afin qu'elles soient plus transparentes, et protègent mieux les intérêts des entrepreneurs, ainsi que de leurs créanciers.

Enfin, ce texte restaure la confiance dans l'équilibre des relations entre les forts et les faibles. Parce que les salariés sont les plus fragiles, la nouvelle procédure de sauvegarde doit pouvoir être éligible au mécanisme de garantie des salaires.

De même, on a trop souvent l'impression que l'Etat est le seul à pouvoir espérer retrouver l'argent qui lui est dû, aussi ce texte permet-il aux créanciers publics de mieux contribuer à la sauvegarde des entreprises. Le Trésor public pourra ainsi participer plus facilement à des efforts d'abandon et de restructuration de dette.

Cela étant, son rôle en matière de signalement des difficultés des entreprises est confirmé, en contrepartie de ses privilèges. Le fisc et les URSSAF devront ainsi signaler leurs échéances impayées dans un délai fixé. C'est aussi un gage de confiance.

De la confiance des entrepreneurs et des salariés naît la croissance économique. Evidemment, quand l'activité se développe, les difficultés sont moins nombreuses. Inversement, pour inciter les entrepreneurs à développer de nouvelles activités, il faut leur redonner confiance.

Or, la moitié des entreprises connaissent une défaillance dans les cinq années qui suivent leur création : un bon traitement des difficultés est donc un moteur important de la création d'entreprises, tout comme une issue plus juste à la liquidation des entreprises. Christian Jacob viendra du reste vous présenter nos mesures destinées à accorder une seconde chance aux chefs d'entreprise.

Nous avons tous en tête des exemples d'entrepreneurs qui, après l'échec de leur projet, se sont vus interdire, pour quinze ou vingt ans, la gestion de toute structure commerciale, après une procédure de liquidation de quatre à cinq ans, et la saisie de leurs biens. Pour lever cette menace qui pèse sur eux, nous proposons de réformer le régime des sanctions, afin qu'elles ne soient prononcées que contre des chefs d'entreprise malhonnêtes, et selon une procédure plus respectueuse des droits de la défense.

Nous voulons croire que notre pays saura, demain plus que par le passé, valoriser les premiers échecs et ne plus clouer au pilori ceux qui ont voulu participer au développement de notre économie.

Pour certains, cette loi resterait compliquée, et trop favorable aux professionnels des procédures collectives. C'est faux.

Le projet simplifie les procédures, et le chef d'entreprise reste en charge de l'entreprise, dans le respect des droits de chacun. Je suis ouvert à toute proposition de simplification au cours du débat.

Quant aux professionnels des procédures, en particulier les administrateurs et mandataires judiciaires, votre assemblée a, dans la loi du 3 janvier 2003, tiré les conséquences des dysfonctionnements relevés chez certains d'entre eux. Alors que les critiques incantatoires n'avaient conduit le gouvernement précédent à aucune mesure concrète (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), j'ai mis fin à divers abus, notamment de sous-traitance illicite de leur tâche par certains professionnels. De plus, le décret du 10 juin 2004 a institué des règles de rémunération plus strictes. La politique d'inspection et de contrôle que j'ai mise en place a abouti, chaque fois que c'était nécessaire, à des poursuites disciplinaires ; trois radiations ont déjà été prononcées.

On dit aussi que ce texte mettrait les PME dans les mains des banques : c'est totalement inexact.

La France est dans une situation très particulière en matière de crédits car le crédit fournisseur y tient une place considérable : nos entreprises donnent plus qu'ailleurs des délais de paiement à leurs clients. Le crédit bancaire n'a qu'une place comparativement réduite, notamment en raison des incertitudes juridiques concernant le traitement des créances bancaires dans les procédures collectives.

Le projet part d'un constat simple : ce sont les banquiers qui peuvent apporter le plus rapidement leur concours à l'entreprise en difficulté. Rapprochons les banques des PME, les fournisseurs y gagneront !

Par exemple, le projet tend à préciser les effets de la conciliation. Il ne s'agit pas d'accorder des avantages aux banquiers en général mais, quand une entreprise a des difficultés, de donner une sécurité juridique aux banquiers qui décident de l'aider. Cela passe notamment par la limitation des éventuelles accusations de soutien abusif.

Enfin, j'entends dire que ce projet ne prendrait pas en compte les intérêts des salariés. Encore une fois, c'est totalement inexact.

Chaque année, 150 000 salariés sont licenciés du fait de la défaillance de leur entreprise. Toute la réforme vise à sauver au moins un tiers de ces emplois. En anticipant, on évite de recourir à des procédures de licenciement dérogatoires, et on peut remettre en route l'entreprise dans la concertation et dans la plus grande sérénité possible. J'ai tenu compte des souhaits formulés par les organisations de salariés, en leur permettant de prendre part à la procédure d'alerte.

Enfin, l'organisation des relations paritaires telle que confirmée par la loi de cohésion sociale n'est pas modifiée.

Mesdames et Messieurs les députés, c'est vraiment dans le cadre d'une grande ambition économique et sociale pour notre pays que je vous présente ce texte aujourd'hui. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Faisons en sorte que les difficultés des entreprises soient, à l'avenir, moins synonymes de chômage et d'échec, donnons à nos concitoyens les moyens d'anticiper pour éviter la casse. Les hommes et les femmes qui traversent ces difficultés souvent dramatiques, qu'ils soient entrepreneurs, salariés ou professionnels libéraux, n'ont pas d'autre ambition que de contribuer au développement de notre pays : aidons-les ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Xavier de Roux, rapporteur de la commission des lois - Ce projet est effectivement ambitieux puisqu'il vise à sauvegarder les entreprises en difficulté, c'est-à-dire à trouver une solution pour éviter leur dépôt de bilan et préserver l'emploi. Il ne faut pas se faire trop d'illusions : une entreprises naît, se développe, et souvent disparaît. Elle disparaît parce que les produits qu'elle fabrique sont techniquement dépassés ou que leurs prix ne résistent pas à la concurrence ; parce qu'elle a perdu un marché ou que l'un de ses clients a eu des difficultés financières ; parce qu'elle n'a pas accès au crédit bancaire, parfois par l'effet purement mécanique de ratios, du fait d'une certaine industrialisation des pratiques bancaires ; parce qu'elle est mal gérée, parfois même parce que ses dirigeants sont malhonnêtes. Il faut donc faire le tri entre ce qui est la vie quotidienne des affaires et ce qui relève de comportements fautifs.

C'est d'ailleurs toute l'évolution du droit de la faillite, depuis le temps où on asseyait aux portes des villes, sur les pierres de la honte, les débiteurs coiffés d'un bonnet vert. A l'époque, l'imprudence et la fraude vous expédiaient aux galères. Il a fallu attendre 1807 pour que le code de commerce organise la liquidation des biens du débiteur, incarcéré pour dettes, et leur répartition entre les créanciers. Ce n'est qu'en 1838, aux beaux temps de l'orléanisme, qu'on réserva aux commerçants malheureux et de bonne foi un meilleur traitement. Mais il fallu attendre un siècle encore pour que l'intérêt économique de l'entreprise, c'est-à-dire l'intérêt général, soit pris en compte : en 1935, marqué par la crise de 1929, le législateur distinguait enfin le sort du débiteur de celui de l'entreprise. La loi du 13 juillet 1967 confirma ce principe, et la loi du 25 janvier 1985, après la nationalisation de notre économie, fit primer l'intérêt économique général, c'est-à-dire la survie de l'entreprise, sur l'intérêt des créanciers ; les banques étaient devenues alors la propriété de l'Etat. En 1994, on estima que l'on avait probablement été trop loin dans l'effacement des droits des créanciers et qu'il fallait rétablir l'équilibre, simplement pour assurer le crédit de l'entreprise puisqu'on était revenu à une économie de marché.

Peut-on intervenir très en amont, avant la cessation de paiement, pour sauvegarder l'entreprise ? Trop souvent en effet, la cessation de paiement signifie la perte de confiance des partenaires des entreprises. Déjà en 1994, le législateur avait créé le règlement amiable ; cela avait provoqué un long débat car, à l'époque, la conciliation n'était pas à la mode. Mais cette possibilité offerte au débiteur de se mettre d'accord avec ses créanciers, sous la houlette du tribunal de commerce, pour trouver une solution aux difficultés prévisibles de l'entreprise a fonctionné. Comme a fonctionné le mandat ad hoc, c'est-à-dire le mandat donné par le président du tribunal de commerce à une personnalité indépendante pour négocier avec toutes les parties.

Règlement amiable et mandat ad hoc découlent l'un et l'autre de la pratique du tribunal de commerce de Paris, au plus fort de la crise immobilière des années 1990. On attaque souvent ici même les tribunaux de commerce, mais on devrait parfois leur être reconnaissant ! L'effet systémique de cette crise financière, qui manqua d'emporter le Crédit Lyonnais et avec lui la place financière de Paris, fut endigué grâce aux créations prétoriennes originales du tribunal de commerce de Paris, qui sont maintenant entrées dans notre droit positif !

C'est probablement le succès du mandat ad hoc et du règlement amiable qui vous a poussé, Monsieur le Garde des Sceaux, à nous proposer une procédure plus ambitieuse encore, la sauvegarde de l'entreprise.

Il s'agit d'un redressement judiciaire anticipé qui peut être demandé par le débiteur lorsque son entreprise doit faire face à une grave difficulté, sans être en situation de cessation de paiement. C'est une procédure tout à fait innovante, permettant au chef d'entreprise de prendre sans délai les mesures qui s'imposent pour retrouver la confiance de ses banquiers et de ses fournisseurs. Ceux-ci seront réunis dans des comités pour décider ensemble de l'accord susceptible d'être passé avec le débiteur afin d'assurer la pérennité de l'entreprise. Est ainsi inscrite dans le droit français du redressement judiciaire - et c'est une petite révolution - une part importante de contrat dans une procédure qui était jusqu'ici essentiellement institutionnelle. Certains y voient déjà malice et pensent que cette procédure pourrait être détournée...

M. Arnaud Montebourg - Les avocats le disent, et ils savent ce qu'est un détournement de procédure !

M. le Rapporteur - En effet ! Ils leur arrive aussi malheureusement, parfois, de s'y prêter.

Cette procédure permettrait donc, selon certains, de favoriser des réorganisations d'entreprises sans tenir compte du code du travail. Il faut, dans ce cas, ne pas avoir lu le texte ou ignorer ce que sont réellement les difficultés des entreprises et la manière de les surmonter. Notre tissu économique est fragile : 90% des entreprises françaises sont en effet petites, voire très petites, ou moyennes et c'est précisément pour elles que le texte est conçu. Même si, j'en suis conscient, la relation entre entrepreneurs et salariés repose encore trop souvent sur l'idée d'un antagonisme entre capital et travail, notre pays doit plus que jamais favoriser le développement des entreprises afin de promouvoir la recherche et l'innovation : il n'y a pas d'emploi sans entrepreneurs et il n'y a pas d'entrepreneurs sans une législation leur permettant de développer leurs activités. Il convient à ce propos de saluer une importante avancée puisque la suspension des poursuites et le traitement collectif des créanciers s'appliqueront désormais, non seulement aux entreprises inscrites au registre du commerce ou au registre des métiers, mais également aux professions libérales qui jusqu'ici étaient les seules à ne pouvoir en bénéficier.

Cette loi permettra de moderniser notre droit, de rénover nos institutions, et protégera l'imagination et la créativité, garantes de notre avenir économique.

M. Arnaud Montebourg - Ce n'est guère convaincant !

M. le Rapporteur - M. le Garde des Sceaux a su trouver un équilibre dans un domaine complexe où les corporatismes sont très répandus. Un ancien président du tribunal de commerce de Paris disait à l'occasion d'une audition : « En matière de faillite, on a souvent confié au croque-mort le soin de faire de la chirurgie » (Sourires). Ce Gouvernement agit : la défaillance d'entreprise est désormais considérée comme un phénomène qui n'a rien d'anormal ; la distinction est acquise entre le débiteur malheureux et le débiteur malhonnête, indélicat ou récidiviste ; la liquidation est simplifiée. En outre, le rapporteur que je suis ne peut que saluer votre sens du dialogue, Monsieur le Garde des Sceaux, sur un texte essentiel que nos travaux, j'en suis certain, enrichiront encore. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jérôme Chartier, rapporteur pour avis de la commission des finances - Je souhaite insister sur les trois intérêts majeurs de ce projet, et tout d'abord sur son esprit : le texte est en effet animé par une volonté ambitieuse d'évolution et de changement. Le dirigeant ne sera désormais plus coupable d'infamie lorsque son entreprise aura des difficultés pour faire face à ses échéances : face à ses salariés et à ses créanciers, il ne lui restait plus parfois, en effet, qu'à prendre la porte ; certains considéraient en outre l'arrivée de l'administrateur judiciaire comme la preuve de son incapacité. L'image ne sera sans doute pas aisément éliminée mais la volonté du Gouvernement de briser ce préjugé dévastateur parviendra, je l'espère, jusqu'aux tribunaux.

Second intérêt : l'Etat républicain devient le partenaire de l'entreprise en difficulté. En offrant aux administrations financières la faculté de remettre leurs créances en capital et en intérêt, le Gouvernement montre qu'il se situe aux côtés des entrepreneurs. Il est vrai que, jusqu'à présent, lorsque l'Etat souhaitait aider l'entreprise, soit il remettait les intérêts, ce qui faisait sourire les autres créanciers, soit il allait plus loin, hors procédure, mais les effets politiques étaient parfois dévastateurs. A cet égard, l'issue de la procédure engagée dans le cadre de « l'affaire AOM-Air Lib » méritera d'être examinée.

La nouvelle procédure de sauvegarde met également en jeu la responsabilité de l'acteur de l'administration financière déconcentrée qui prendra la décision de remettre le capital et les intérêts. Il convient d'en examiner toutes les implications, voire d'en limiter les effets. Un trésorier-payeur général n'acceptera de remettre une créance que si, et seulement si l'ordonnateur l'autorise ; or quel ordonnateur donnera l'autorisation ? Comment engagera-t-il sa responsabilité s'il permet une remise de créance contestée ensuite par le juge des comptes ? Même si l'article additionnel après l'article 42 proposé par la commission des lois répond à ces interrogations, il conviendra d'approfondir cet aspect de la responsabilité qu'un décret en conseil d'Etat devra préciser.

Troisième intérêt de ce projet enfin : la prévention, mais aussi et surtout l'information qui seront données sur ces procédures nouvelles. Le Garde des Sceaux l'a rappelé : cette loi n'est pas destinée aux seuls tribunaux de commerce ayant le plus gros volume de procédures ouvertes, mais à tous les tribunaux. Des questions se posent donc : le chef d'entreprise acceptera-t-il de mettre sur la place publique ses difficultés ? Dans le monde de l'entreprise, il convient de taire les bons contrats avant qu'ils ne soient signés et de taire les difficultés de peur que la concurrence n'en profite. J'encouragerai donc tout ce qui favorisera la discrétion de cette démarche.

De plus, qui conseillera le chef d'entreprise sur la bonne procédure à suivre ? L'avocat ? Il n'est pas toujours écouté. L'expert-comptable ? Il faudra qu'il trouve les mots pour dire au dirigeant qu'il doit se rendre au tribunal, et ce sera délicat. Les créanciers ? Le dirigeant devenu débiteur serait entre leurs mains et se laisserait guider par des intérêts qui ne sont pas forcément les siens. Le dirigeant devra donc bien connaître la loi que, certes, nul n'est censé l'ignorer mais avouons qu'en l'occurrence, elle risque d'être indigeste pour qui n'est juriste. Je propose donc au Garde des sceaux qu'une fois ce texte approuvé, le Gouvernement se tourne vers les regroupements locaux de chefs d'entreprise et lance un travail d'explication pédagogique en responsabilisant l'Etat déconcentré sur les résultats obtenus. Je suis convaincu que la Chancellerie saura faire converger les résultats les plus éloquents et montrer aux Français le nombre d'emplois ainsi sauvés : ce chiffre sera suffisamment éloquent pour manifester de la réussite du projet.

La commission des finances était saisie de cinq articles sur lesquels elle a émis un avis favorable ; elle a examiné des amendements qui visaient à mieux faire apparaître la responsabilité prise par les ordonnateurs afin que l'Etat soit plus efficace auprès des entreprises en difficultés. Si ce dispositif fonctionne bien, les administrations financières, en raison du volume de leurs créances, joueront un rôle moteur parmi les créanciers qui seront nombreux à observer le comportement de l'Etat. Mieux que par les aides à l'implantation et à l'entreprise qui doivent être conformes aux dispositions européennes, l'Etat peut et doit exercer à travers ce soutien - qui n'aura rien d'abusif - un appui considérable quand tout va mal. Mais il engage également sa responsabilité en condamnant d'emblée l'avenir d'une entreprise si tous les créanciers sont prêts à l'aider et qu'il est le seul à ne pas vouloir le faire. Sans surestimer le rôle de l'Etat, la commission des finances, en s'interrogeant notamment sur les créances admises en non-valeur, a donc souhaité appeler l'attention sur un aspect du projet qu'elle juge essentiel et qui, si cette réforme est bien appliquée, sera, comme l'ensemble du texte, particulièrement utile aux entreprises, aux emplois et à la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - La réforme du droit régissant les entreprises en difficulté constitue, pour notre commission des lois, un moment important à de nombreux points de vue. La question est bien entendu essentielle pour le bon fonctionnement de l'économie de notre pays. Il en va en effet du maintien des emplois, de la préservation de la valeur ajoutée que représentent ces entreprises elles-mêmes, avec tout leur savoir-faire. Mais au-delà de l'entreprise qui connaît une passe difficile, le législateur doit veiller également à préserver ses partenaires économiques, qu'il s'agisse de ses fournisseurs, de ses clients ou de ses banques, car il en va aussi de leurs propres emplois.

Quadrature du cercle, me dira-t-on, puisqu'il s'agit de concilier des droits par nature antagonistes ! Le droit des entreprises en difficulté dépend ainsi directement des finalités des procédures retenues pour traiter ces difficultés, ainsi que de leur hiérarchisation. C'est bien pourquoi les lois réformant ce droit ont été aussi rares que marquantes. La dernière réforme, issue d'une proposition de loi, date de 1994, quand la précédente remontait aux lois de 1984 et 1985, lesquelles avaient profondément modifié le régime institué en 1967. C'est aussi pourquoi l`examen de ces lois doit faire l'objet d'une attention particulière. Dans cet esprit, la commission des lois a procédé à une vingtaine d'auditions dans le cadre du deuxième volet des travaux de la mission d'information sur le droit des sociétés. Le compte rendu de ces auditions a d'ailleurs été publié en même temps que le rapport, de façon à mieux éclairer le débat. De son côté, le rapporteur a entendu plus de quarante personnalités sur les dispositions précises du texte. La commission a ainsi mis utilement à profit le délai - que le ministre juge sans doute trop long, mais en définitive, à quelque chose malheur est bon... - entre le dépôt du projet de loi et son examen. Sur un texte qui comporte 197 articles réécrivant en tout ou partie les 260 articles du livre VI du code du commerce, on ne peut que se féliciter que la commission ait disposé du temps nécessaire.

M. Arnaud Montebourg - Pourquoi alors avoir déclaré l'urgence ?

M. le Président de la commission - Parce que beaucoup de temps a déjà été perdu. (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

Les principes de ce projet de loi dépassent ceux qui régissent le droit des faillites depuis vingt ans, et dont l'application n'a jamais été à la hauteur des ambitions. Il ne revient naturellement pas sur l'idée de permettre à l'entreprise, qui a passé un mauvais cap, de repartir d'un pied nouveau pour autant qu'elle soit économiquement viable une fois traité son endettement excessif. Ce qui diffère, ce sont les moyens nouveaux prévus à cet effet. Tout l'esprit du projet de loi se résume dans trois principes : anticiper au maximum les difficultés avant qu'elles ne deviennent irréversibles, simplifier les procédures quand la crise ne peut être évitée, ne pas empêcher le dirigeant honnête mais malheureux de « rebondir » en le décourageant d'entreprendre à nouveau.

La réussite de cette réforme exige que les chefs d'entreprise mais aussi l'ensemble des acteurs économiques, et au-delà, l'opinion publique, se l'approprient. Les chefs d'entreprise n'ont pas aujourd'hui, dans notre pays, le réflexe de se tourner spontanément vers le tribunal, fût-ce celui du commerce, en cas de difficultés. La procédure de sauvegarde devra donc leur être expliquée avec beaucoup de pédagogie pour qu'ils en perçoivent tous les avantages. De même, les établissements de crédit et les créanciers publics devront accepter la logique de la négociation et de la remise partielle de dettes pour préserver le principal, alors qu'aujourd'hui ils sécurisent d'abord leurs créances par des sûretés et des privilèges qui, à l'expérience, ne constituent pourtant que des garanties limitées pour eux, mais dramatiques pour les salariés, ainsi que pour le chef d'entreprise et ses proches lorsqu'ils se sont portés caution.

La réussite de la réforme exige également que l'opinion publique admette que l'entrepreneur, par nature, prend des risques et que l'échec économique qui peut résulter de la perte d'un marché important ou des aléas intrinsèques à l'économie ne doit pas le stigmatiser à tout jamais. Dans d'autres pays développés où la prise de risque économique est mieux acceptée, l'échec de l'entrepreneur malheureux est considéré comme faisant partie de l'apprentissage de la gestion des entreprises, et lui permettre de repartir d'un pied nouveau est tenu pour une évidence.

Le présent projet de loi va en ce sens. Il restera à faire évoluer les esprits pour sortir enfin du syndrome du César Birotteau de Balzac, ce commerçant, honnête mais malheureux, victime de la faillite, et qui ne retrouve son honneur perdu que pour mourir en paix après avoir remboursé plus qu'il ne devait, au prix de privations supportées par toute sa famille.

J'en viens aux mesures du texte que la commission a souhaité adapter. Ainsi, le texte prévoit l'information systématique du Parquet sur l'ouverture de tout mandat ad hoc, au risque de modifier sensiblement l'état d'esprit des chefs d'entreprise. Si l'information du ministère public est parfaitement légitime dans le cas d'une procédure de conciliation, plus formalisée et qui peut avoir des effets de droit pour les tiers, elle paraît inopportune dans le cas du mandat ad hoc qui n'a aucun effet juridique, le Parquet ne pouvant, de toute façon, faire grand usage de l'information qui lui aura été transmise. Sur ce point, il nous a paru essentiel de ne pas céder à la tentation bien française de tout encadrer juridiquement, le succès du mandat ad hoc tenant précisément à sa souplesse et à sa totale confidentialité.

De même, le texte remplace, comme le souhaitaient les créanciers, le règlement amiable par une nouvelle procédure de conciliation. Mais alors qu'il impose dans tous les cas un jugement par le tribunal, une large publicité et la possibilité de recours en tierce opposition, il paraît préférable d'autoriser un choix adapté aux circonstances de l'espèce. Suivant le cas, les parties devraient pouvoir choisir soit la nouvelle procédure, juridiquement sécurisée mais potentiellement plus risquée pour le crédit de l'entreprise, soit une conclusion de la conciliation très proche des dispositions aujourd'hui en vigueur, c'est-à-dire confidentielle mais sans effets juridiques à l'égard des tiers.

S'agissant de la sauvegarde, la possibilité de suspendre complètement les poursuites avant la cessation de paiement est de bon sens. C'est d'ailleurs ce qui se pratique à l'étranger, aux Etats-Unis au titre du fameux chapitre 11, mais aussi en Allemagne depuis 1999. Mais pour être efficace, la sauvegarde doit être rapide. Les procédures ne doivent donc pas s'éterniser, en particulier celles de déclaration et de vérification des créances, qui sont lourdes et coûteuses, alors que l'entreprise est encore en bonne santé et qu'il s'agit seulement de trouver un accord avec les créanciers. Sur proposition du rapporteur, la commission a adopté le principe d'une vérification simplifiée des créances. Pour les entreprises les plus petites mais dont les comptes sont fiables, elle a souhaité, à mon initiative, qu'il soit possible de vérifier ces créances directement sur leur comptabilité, ce qui permet une économie de temps et d'argent substantielle, à un moment crucial.

En ce qui concerne le redressement judiciaire, chacun sait que lorsque l'entreprise en cessation de paiement ne peut continuer avec la même direction, c'est sa cession globale qui permet de préserver le maximum d'emplois. On comprend certes la nécessité de supprimer la coexistence des deux régimes actuels de la cession en redressement judiciaire et de la cession d'unités de production en liquidation, afin d'éviter que les repreneurs ne jouent de l'une et de l'autre pour finalement choisir celle qui leur est la plus favorable, c'est-à-dire au prix le plus bas avec le moins d'emplois sauvegardés. Pour autant, il ne faut pas laisser passer la chance d'une reprise pendant la phase de redressement. La plupart des professionnels craignent que le nouveau dispositif proposé empêche des cessions dans de bonnes conditions pour le dirigeant, l'entreprise, ses salariés et ses créanciers. C'est pourquoi, dans un large consensus, la commission a infléchi le projet en autorisant des cessions pendant le redressement judiciaire, sans naturellement modifier l'économie générale du texte dont la force est d'offrir un corps de règles unique pour la publicité des offres ou pour la reprise des contrats de travail, applicable en cas de redressement comme de liquidation.

Enfin, en ce qui concerne les sanctions patrimoniales et professionnelles, la publicité systématique des audiences présente certes le double avantage de faire toute la lumière sur les agissements répréhensibles des dirigeants malhonnêtes et d'inciter les tribunaux à une rigueur absolue dans leurs décisions, mais beaucoup de dirigeants qui ne seront pas condamnés feront les frais de cette publicité, dont pâtira également le crédit de leur entreprise. C'est pourquoi la commission a adopté un amendement permettant que les audiences préalables au prononcé des sanctions ne soient publiques que si le Parquet, le tribunal ou l'un des organes de la procédure en formule le souhait.

Ces cinq éléments éléments contribueront, je l'espère, à améliorer le texte, sans en modifier l'économie générale. De son côté, le rapporteur présentera nombre d'amendements qui eux aussi l'enrichiront ou le préciseront. Ainsi notre commission des lois aura-t-elle fait œuvre utile dans l'élaboration de ce qui sera bientôt, et pour de nombreuses années, une grande loi de sauvegarde des entreprises.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu, ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 30.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

Le Compte rendu analytique
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Préalablement,
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actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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