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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 65ème jour de séance, 161ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 1er MARS 2005

PRÉSIDENCE de M. Maurice LEROY

vice-président

Sommaire

      SAUVEGARDE DES ENTREPRISES (suite) 2

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 2

      QUESTION PRÉALABLE 10

      ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 2 MARS 2005 19

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

SAUVEGARDE DES ENTREPRISES (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi de sauvegarde des entreprises.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Paul Giacobbi - Chacun s'accorde sur l'inefficacité de notre système français de prévention et de règlement des défaillances d'entreprise et l'impérieuse nécessité de le réformer. Il y a cent soixante huit ans, Balzac, praticien éprouvé de la faillite, appelait déjà dans César Birotteau à d'indispensables réformes des procédures de faillite et des juridictions commerciales !

Malgré les réformes successives opérées depuis 1837, auxquelles viendra s'ajouter votre projet de loi, nous pouvons - et nous le pourrons encore demain - admirer l'actualité du génie balzacien quand il dénonce les pratiques des tribunaux de commerce, les risques du crédit interentreprises, la puissance des banques et même les manipulations des assemblées de créanciers.

Ce projet est irrecevable pour quatre raisons au moins.

Premièrement, il écarte toute réforme des tribunaux de commerce et M. Arnaud Montebourg y reviendra en défendant la question préalable. Vous passez outre les conclusions de la commission d'enquête pour vous cramponner à deux exceptions françaises : les tribunaux de commerce, dont les juges sont tous élus, alors que tous les autres Etats ont supprimé ces juridictions, ou, tout au moins, les ont profondément transformées ; la fonction de mandataire de justice qui est, partout sauf en France, simplement assurée par des avocats ou des experts-comptables ou encore des commissaires aux comptes au niveau international.

Vous réformez les règles sans toucher aux outils ! Pourtant, ce sont les outils qui posent problème avant les règles. Ce projet se veut une boîte à outils...

M. Arnaud Montebourg - Rouillée !

M. Paul Giacobbi - ...mais il vous est difficile de remettre en cause des situations acquises, des traditions et des intérêts.

Curieusement, vous êtes conscients de cette difficulté. Selon M. Perben, cette réforme ne passera dans les faits que si une « action pédagogique soutenue » est menée pour permettre aux chefs d'entreprise de la comprendre et, peut-être, de l'utiliser ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste) Le rapporteur de la commission des finances et le président Clément ont également longuement insisté sur l'importance du facteur psychologique. Ce dernier a dépeint un univers judiciaire dépourvu d'attraits pour le chef d'entreprise, la froideur et l'anonymat des tribunaux de commerce des grandes villes ou la crainte de la diffusion trop rapide de rumeurs infondées.

Pour évoquer l'univers glauque des tribunaux de commerce, le rapporteur de la commission des lois a manié l'image du croque-mort plutôt que celle du chirurgien. En effet, de nombreux corps d'entreprises y sont dépecés et les têtes tombent dans la sciure. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Arnaud Montebourg - L'image est juste et fidèle !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - Nous voilà revenus au temps des sans-culottes ! (Rires sur les bancs du groupe UMP)

M. Paul Giacobbi - Pourtant depuis longtemps, beaucoup réclament la professionnalisation des juridictions commerciales. En 1837, le personnage de Balzac, César Birotteau, ancien juge consulaire, s'écriait déjà : « Je voudrais un tribunal de juges inamovibles avec un ministère public jugeant au criminel. » Il lui faudra encore attendre, la réforme des tribunaux de commerce n'étant plus à l'ordre du jour.

Deuxièmement, le rôle particulier que jouent en France le crédit interentreprises et son corollaire, l'assurance-crédit des fournisseurs, ne sont pas pris en compte dans ce projet. Ailleurs, en particulier aux Etats-Unis, le financement de l'entreprise est directement assuré par la banque. M. Perben a relevé ce point lors de la présentation du projet de loi sans en tirer les conséquences.

M. Jérôme Chartier, rapporteur pour avis de la commission des finances - Si !

M. Paul Giacobbi - Les fournisseurs sont payés à « quatre-vingt dix jours, fin de mois », soit quatre mois de délai de paiement, et représentent donc le principal créancier de l'entreprise. Or l'attitude des fournisseurs est fonction de celle de la société d'assurance-crédit qui garantit les créances détenues à l'égard de l'entreprise.

M. Arnaud Montebourg - Très juste !

M. Paul Giacobbi - Même lorsque certains fournisseurs choisissent de ne pas souscrire d'assurance-crédit, ils alignent leur comportement sur celui des fournisseurs garantis.

Pour un chiffre d'affaires de l'ordre d'un milliard d'euros, avec un crédit fournisseur de l'ordre de cent cinquante millions d'euros, et une trésorerie positive de trente millions d'euros, et ce même en l'absence de tout endettement à moyen terme, une entreprise peut se trouver au bord de la faillite si, par malheur, les fournisseurs s'inquiètent parce que l'assurance-crédit commence à se retirer.

Or l'assurance-crédit, qui tient entre ses mains l'arme la plus redoutable pour l'entreprise, n'entretient aucun lien juridique avec elle. La meilleure cotation possible à la Banque de France ne sera d'aucun secours si l'assurance-crédit fait défaut.

Or dans le système de prévention présenté, rien de ce qui touche à la survie financière quotidienne de nombreuses entreprises n'est évoqué. Comment voulez-vous garantir le succès de la prévention dans ces conditions ? En France, la dette fournisseur peut représenter 20 à 30% du bilan moyen dans l'industrie, notamment dans le bâtiment !

Troisièmement, le Gouvernement touche à quatre principes juridiques de niveau constitutionnel. Il s'agit d'abord du droit de propriété.

M. Xavier de Roux, rapporteur de la commission des lois - Voilà qui est étonnant !

M. Paul Giacobbi - Mais pourquoi ? Croiriez-vous que je ne veux pas défendre ce droit fondamental ?

M. Arnaud Montebourg - Un droit constitutionnel !

M. Paul Giacobbi - Simplement, nous ne défendons peut-être pas la même propriété ni les mêmes propriétaires. Selon la déclaration des droits de l'homme de 1789, il s'agit d'un droit naturel et imprescriptible au même titre que la liberté, la sûreté et la résistance à l'oppression. Aux termes de l'article 17, « la propriété, étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. » Le créancier dispose de ce droit. Pour l'en priver, il faut qu'il y ait nécessité publique évidente et légalement constatée, voire indemnisation.

Le privilège que vous allez accorder, parmi les créanciers, à ceux qui remettent de l'argent, respecte-t-il ces principes ? Je ne le crois pas. La nécessité publique conduit à privilégier le salarié, pour lequel percevoir son salaire est une nécessité tout court. Elle pourrait conduire à privilégier le créancier le plus petit, le plus fragile.

Vous faites manifestement le choix inverse. Vous privilégiez les plus gros et les banques. Nous n'avons manifestement pas la même conception du droit de propriété.

M. le Rapporteur - J'en prends acte.

M. Paul Giacobbi - Il faut que la gauche dise ces choses fortes...

M. le Rapporteur - La propriété, ce n'est plus le vol ! (sourires)

M. Paul Giacobbi - Même si je n'aime guère Proudhon, je le connais un peu. Mais je vous en prie, nous en débattrons ailleurs.

Revenons à l'ordre des créances. Vous privilégiez donc celui qui peut tirer profit et, pour faire bonne mesure, vous l'absolvez par avance de toute responsabilité.

En second lieu, à votre grand regret sans doute, notre droit fondamental protège le salarié à plus d'un titre.

M. le Rapporteur - Et c'est normal.

M. Paul Giacobbi - Si je dois m'exprimer dans ce continuum de commentaires, je m'arrêterai.

M. le Rapporteur - Vous-même avez assez ri pendant mon intervention.

M. Paul Giacobbi - Or vous portez atteinte à ce bloc constitutionnel sur deux points.

Le premier est la créance salariale. Dans ce cas, vous le faites de façon habile, et pas tout à fait manifeste. En effet, vous prévoyez l'intervention de l'association pour la gestion du régime d'assurance des créances des salariés lors de la procédure de sauvegarde. Mais depuis deux ans, l'AGS a considérablement limité l'étendue de sa garantie. Le décret du 29 juillet 2003 réduit de moitié l'indemnité maximale qu'elle est susceptible de servir et l'article 57 de la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie a supprimé la prise en charge par l'AGS de la part de l'indemnité de licenciement économique contractuelle excédant le minimum légal.

Vous portez également atteinte aux dispositions relatives à la participation du salarié à la gestion de l'entreprise, en consacrant le rôle du chef d'entreprise comme décideur unique et souverain. C'est ce que le rapporteur de la commission des finances appelle le « renforcement du rôle des managers », en termes surprenants sur le plan juridique.

En effet, le chef d'entreprise pourra déclencher, avant que les difficultés n'apparaissent, la procédure prévue par le projet, et en contrepartie, il pourra rester à la tête de l'entreprise. J'en suis confondu : il ne consultera donc ni les représentants du personnel, ni le conseil d'administration, que je vais défendre.

M. le rapporteur- Chez le cordonnier, il n'y en a pas toujours.

M. Paul Giacobbi - Mais je doute que vous vous intéressiez beaucoup aux cordonniers.

Le comité d'entreprise ne sera consulté que si, conformément à la loi de cohésion sociale, il existe déjà un accord de méthode sur les procédures de sa consultation. Sinon, il ne sera même pas informé. Il paraîtrait d'autant plus nécessaire de prévoir sa consultation que, selon le rapporteur, dans 90% des procédures de sauvegarde, il y aura « des actions sur la masse salariale ». Qu'en termes galants ces choses-là sont dites ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste) Cela s'appelle des licenciements massifs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) De plus, ils se feront, suite à un amendement du rapporteur, avec les assouplissements prévus pour le redressement judiciaire par l'article L. 321-9 du code du travail, sans que l'on ait au préalable ne serait-ce qu'informé les représentants du personnel.

Un homme seul pourra donc déclencher une procédure qui mènera certainement à un licenciement « souple et massif » selon les termes du rapporteur,...

M. Arnaud Montebourg - Quelle impudeur !

M. Paul Giacobbi - ...sans informer ces représentants qui sont censés, sur le plan constitutionnel, participer à la gestion. Autrefois, on appelait cela le délit d'entrave. Et l'on prenait bien garde, en cas de restructuration, de consulter le comité d'entreprise. En ces temps lointains - le milieu des années 1990 - on considérait aussi que le conseil d'administration jouait un rôle essentiel dans la vie de l'entreprise, a fortiori quand sa sauvegarde était en jeu. Aujourd'hui, le mandataire social pourra déclencher cette procédure sans lui demander son avis, et pourtant être maintenu dans son poste ! Ainsi, lors de certains événements récents dans de grandes entreprises en difficulté, le chef d'entreprise aurait pu sauver sa tête en enclenchant rapidement une telle procédure ! Je ne suis pas sûr que vous ayez prévu toutes les conséquences éventuelles de telles dispositions.

M. Arnaud Montebourg - Très juste !

M. Paul Giacobbi - C'est une assimilation stupéfiante de l'entreprise à son chef, c'est le Führerprinzip ! Mais l'entreprise ne se réduit pas à un chef. Certes, le cordonnier possède son entreprise. Mais vous n'avez pas fait cette loi pour les cordonniers, vous l'avez faite pour des entreprises plus grandes. D'ailleurs, la procédure de sauvegarde paraît peu adaptée aux échoppes, pour lesquelles vous n'allez pas réunir deux comités Théodule. Il faudra une taille minimale.

Bref, vous ne mesurez pas les conséquences des dispositions que vous proposez. J'y vois une contamination du principe monarchique, qui envahit de plus en plus notre sphère politique. Du « si veut le Roi, si veut la loi », on est passé au « si veut le chef, si veut l'entreprise ». Innovation, certes, mais guère propice à la sauvegarde des entreprises...

Troisième principe remis en cause : le principe d'égalité. Le privilège de l'argent frais que vous mettez en avant - la new money des Américains - permettra à un créancier privé, essentiellement bancaire, consentant un crédit ou une avance, d'être payé avant tous les autres - à l'exception des salariés, réduits à la portion congrue -, en particulier les créanciers publics. Autant dire que le rouleau compresseur de la guerre économique éclair, cette Blitzkrieg massive et souple, passera sur le corps de ceux qui représentent l'intérêt général.

Une telle logique pourrait se comprendre si les banques se comportaient comme des chevaliers blancs de la sauvegarde des entreprises, consentant à de lourdes pertes face à un Etat et des caisses sociales gras d'excédents budgétaires et financiers. Mais nos banques sont riches, et l'Etat pauvre, tant et si bien que votre projet incitera le secteur public à abandonner ses créances, tout en lui retirant un privilège de premier rang, transféré aux banques. Magnifique exemple de la socialisation des pertes et de la privatisation des profits, certes (Applaudissements sur les bancs socialistes), mais aussi conception nouvelle de l'intérêt général !

M. Michel Vaxès - Et du collectivisme !

M. Paul Giacobbi - Demain, la banque qui consent un crédit le fera au nom de l'intérêt général, quant la caisse publique, elle, sera encouragée à abandonner tout ou partie de sa créance !

Quatrième principe remis en cause. Le principe de responsabilité, reconnu par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 novembre 1999. Il est mis à mal par l'article 8 de votre projet, qui en exonère les personnes, éventuellement les banques, qui consentent un concours dans le cadre d'un accord homologué. Des personnes peuvent causer une injustice, mais elle ne peuvent en être tenues pour responsables ! C'est un véritable nœud gordien au cœur de notre droit !

M. le Rapporteur - Tranchez-le !

M. Paul Giacobbi - Une telle disposition viole incontestablement un principe constitutionnel.

M. Arnaud Montebourg - C'est l'évidence !

M. Paul Giacobbi - Elle crée un véritable privilège d'irresponsabilité qui n'existait, à ce jour, que pour de très hautes autorités. « Sauf fraude ou comportement manifestement abusif » ajoutez-vous. Encore heureux que la fraude soit exclue ! (Rires sur les bancs socialistes) Fraus omnia corrumpit... Mais qu'est-ce qu'un « comportement manifestement abusif » ? Nous sommes en pleine confusion ! Le comportement abusif, mais discret, dissimulé, habile, n'entraînerait pas la responsabilité ! Mais quand vous êtes visible, vous n'y coupez pas !

Est-ce vraiment l'entreprise dont la sauvegarde est souhaitée, ou la banque, privilégiée dans sa créance et exonérée dans sa responsabilité ? On me dit d'ailleurs que vous jugez - je n'ose dire les banques - la formulation insuffisante, et qu'il serait préférable de parler de « comportement intentionnel et manifestement abusif », ou autre notion de même farine. Quel magnifique patchwork juridique ! De beaux sujets de thèses en perspective sur le thème de « l'intentionnalité dans la responsabilité civile » !

Votre projet ? Il a bien été résumé par un quotidien, sous le titre « la faillite à l'américaine en France ! » Pour ma part, je ne vois aucun désavantage à s'inspirer d'une législation étrangère, notamment américaine, très ancienne - le premier Bankruptcy act remontant à l'année 1880 -, audacieuse et réputée. Et l'on sait que certaines entreprises se placent souvent sous la protection de la loi sur la faillite, plus spécialement au titre du fameux chapitre 11 de cette législation. Là encore, nous ne cessons de critiquer les Etats-Unis, sans jamais perdre une occasion d'imiter, parfois de singer notre plus vieil allié.

Dans le cas d'espèce, l'imitation est inappropriée : le contexte de la vie des affaires est fondamentalement différent en matière de crédit aux entreprises entre les deux pays ; les structures institutionnelles qui encadrent le droit de la faillite aux Etats-Unis sont diamétralement opposées aux nôtres ; les règles de droit des affaires sont beaucoup plus sévèrement appliquées dans les pays anglo-saxons ; cette législation n'est enfin pas la panacée aux Etats-Unis, comme en témoigne sa tendance à se réformer sans cesse et ses résultats, guère plus fameux que les nôtres, sur les défaillances d'entreprises.

De fait, le système bancaire américain contribue beaucoup plus largement que le nôtre au financement des entreprises, tandis que le crédit fournisseur est nettement plus réduit. La Banque de France note ainsi que la France reste plus proche des pays qui effectuent des règlements tardifs que de ceux dont les pratiques commerciales privilégient les règlements les plus rapides. Fin 2002, la dette fournisseur représente plus de 20% des bilans dans l'industrie française, contre 6% aux Etats-Unis, preuve que nous avons affaire à deux modes de crédit différents.

Mais surtout, les structures qui animent le droit de la faillite sont diamétralement opposées entre nos deux pays. Un avocat d'affaires cité par la commission d'enquête sur les tribunaux de commerce indiquait ainsi que « le système français a choisi de voir dans les affaires de faillite des affaires de proximité ou des affaires de place... alors que la tradition juridique américaine a considéré qu'il était essentiel de soustraire le domaine de la faillite au jeu des influences locales ». Un autre auteur, Margaret Tanger, remarquait que le système français, qui se caractérise par une intervention notable de la puissance publique, a pourtant fait le choix de soumettre les procédures collectives à une justice privée, alors que les Etats-Unis, pourtant libéraux, ont depuis toujours opté, en matière de faillite, pour une justice publique confiée à un magistrat professionnel spécialisé, le juge de faillite, secondé par une autorité administrative fédérale de contrôle. Nous sommes très éloignés de notre semi privatisation de la faillite !

M. Michel Vaxès - Exactement !

M. Paul Giacobbi - La règle de droit est appliquée dans le monde des affaires aux Etats-Unis avec une rigueur qui stupéfie souvent les français, comme du reste la rigueur des sanctions infligées aux hommes politiques indélicats. (Rires sur les bancs du groupe socialiste)

On sait les conséquences tant civiles que pénales que les juges américains ont tirées d'une affaire, dans laquelle une banque française a récemment violé deux règles - l'interdiction d'acquérir une compagnie d'assurance et la pratique du portage - cependant qu'une société française a réalisé à cette occasion des plus-values importantes. Dans le domaine des affaires, le libéralisme américain va de pair avec une lourdeur des sanctions qui nous étonne toujours, aux antipodes de nos habitudes latines !

Imiter et transférer ? Encore faudrait-il être sûr de la qualité des résultats obtenus. Or, de très nombreuses faillites se produisent aux Etats-Unis.

Nous devrions analyser finement ce qui se passe dans ce pays avant de songer à importer sa législation. Las, malgré un contexte de vie des affaires et de structure du crédit aux entreprises radicalement différent, vous avez choisi de l'imiter. Comme le dit la presse : « les faillites à l'américaine arrivent en France » ; oui, mais dans quel état et dans quel contexte ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Etes-vous décidés à réformer le rôle des banques dans le financement de l'économie ? Certainement pas ! Allez-vous professionnaliser nos juridictions commerciales et instituer des contrôleurs d'Etat pour les entreprises en difficulté ? Vous n'en prenez pas le chemin ! Allez-vous appliquer une rigueur toute anglo-saxonne à notre droit des affaires ? J'en doute vraiment ! Etes-vous en mesure de démontrer en toute objectivité le bien fondé de la législation américaine ? Pas davantage. Notre rapporteur s'est plu à me présenter comme « jovial » ; si - pour le contredire - j'étais méchant, je dirais que cette pâle imitation est au transfert de législation ce que le « cargo cult » est au transfert de technologie, et qu'elle est condamnée à demeurer dérisoire, inopérante et quelque peu ridicule.

Laissant de côté toute réforme de nos juridictions commerciales et de ce qu'il faut bien appeler nos « professionnels de la faillite » - sinon nos croque-morts (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) -, méconnaissant la spécificité des structures de financement de nos entreprises, imitant quelques aspects d'un droit étranger sans comprendre que celui-ci ne vaut que dans un contexte tout à fait différent, ce projet est irrecevable.

Derrière un habillage inutilement compliqué, qui ajoute des procédures sans en éliminer aucune alors que ce Gouvernement se faisait naguère l'apôtre de la simplification - et qu'il ose nous parler aujourd'hui de « continuum d'enrichissement des procédures » ! -, vos objectifs se limitent à quelques points précis qui, à travers certaines dispositions du projet et quelques amendements stratégiques, constituent le véritable enjeu du texte.

D'abord, vous voulez mettre fin à la mise en cause de la responsabilité des banques dans le cadre du soutien abusif. Soit, l'intention est plutôt bonne, mais vous tournez autour du pot ! Manifestement, vous êtes taraudés par l'envie de soulever le couvercle mais vous voudriez que cela se fasse ni vu ni connu...

Vous souhaitez ensuite diminuer la garantie des salaires, en transférer plus encore la charge à la solidarité nationale et instituer une procédure de licenciement « massive et souple », qui puisse être mise en œuvre rapidement et en toute sécurité juridique. Il sera bien tentant, dans ces conditions, d'invoquer la difficulté de l'entreprise pour user du licenciement comme d'une simple variable d'ajustement salarial !

Enfin, vous voulez intervertir l'ordre traditionnel des privilèges de créance, les banques devant passer désormais avant les caisses publiques.

La confusion et la complexité du projet ne visent qu'à dresser un rideau de fumée pour masquer vos véritables objectifs. Irrecevable dans ses dispositions, ce texte l'est plus encore dans ses intentions cachées. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Rapporteur - Quelques mots très brefs pour répondre aux très longues explications de M. Giacobbi. Si je vous ai écouté très attentivement au début, mon attention s'est un peu relâchée au fil du temps (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) car vous avez usé de la technique bien éprouvée qui consiste à découvrir dans un texte des centaines de dispositions qui n'y figurent pas, pour les attaquer ensuite avec quelque facilité...

M. Paul Giacobbi - Serais-je victime d'hallucinations juridiques ?

M. Alain Vidalies - C'est une attaque contre la Corse ! (Sourires)

M. le Rapporteur - Bref, vous n'avez pas parlé du texte qui nous est soumis !

M. Arnaud Montebourg - Nous l'avons pourtant bien reconnu !

M. le Rapporteur - Pas nous, et vous comprendrez dès lors qu'il me soit un peu difficile de contrer des objections tirées du chapeau qui ne correspondent en rien à la réalité du projet dont nous avons à débattre. Je salue au passage votre défense acharnée du droit de propriété : c'est un peu inattendu venant de vous mais je la prends comme telle. Ensuite, je concède que j'ai un peu dérapé (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), lorsque je vous ai entendu parler de Fürherprinzip, de Blitzkrieg ou de schizophrénie... (Murmures sur les bancs du groupe UMP) Sans doute êtes-vous un grand érudit, polyglotte de surcroît, mais lorsqu'on veut démontrer sérieusement l'inconstitutionnalité d'un texte, l'on s'y prend un peu autrement. Finalement, c'est votre irrecevabilité qui n'est pas recevable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Vuilque - Laborieux !

M. le Président - Nous en venons aux explications de vote.

Mme Marylise Lebranchu - Contrairement à notre rapporteur, j'ai entendu nombre d'arguments très pertinents dans la démonstration très complète de notre collègue Giacobbi et notre groupe votera sans réserve l'exception d'irrecevabilité. Je regrette au passage que M. de Roux n'ait pas réussi à suivre ! (Murmures)

S'agissant de la créance salariale, les réserves exprimées par notre collègue sont parfaitement fondées et l'on ne peut que redouter que l'AGS soit rapidement mise en difficulté, compte tenu de surcroît des charges nouvelles qui risquent de lui incomber en matière de compte épargne temps du fait de l'« assouplissement » des trente-cinq heures.

La participation des salariés - ou du salarié du cordonnier, si cher à M. de Roux ! - dans la procédure est en outre contraire à notre droit. La consécration du rôle du chef d'entreprise, que nous n'avons jamais contesté, se heurte au principe de la décision solitaire. Nous verrons bien ce qu'en dirait le Conseil constitutionnel, si d'aventure le texte était adopté en l'état !

Le projet amendé franchit en outre un grand pas en consacrant la priorité du créancier privé sur le créancier public. Si les banques trouvent intérêt à ce texte, nombre de PME ne savent pas très bien comment elles pourront l'utiliser.

Pour toutes ces raisons, le vote de l'exception d'irrecevabilité s'impose absolument, car les intentions - désormais révélées - de ce texte sont lourdes d'enjeux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - Sur le vote de l'exception d'irrecevabilité, je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public.

M. Michel Vaxès - Le groupe des député-e-s communistes et républicains votera l'exception d'irrecevabilité car ce texte est insatisfaisant à bien des égards. D'abord, le projet du Gouvernement contrevient au principe constitutionnel de clarté de la loi, tel qu'il découle de l'article 34 de Constitution, et à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la norme, posé dans plusieurs articles de la Déclaration de 1789 et rappelé en tant que de besoin par le Conseil constitutionnel. Se présentant comme un enchevêtrement de dispositions inutilement compliquées, ce texte sera difficile à manier pour les praticiens eux-mêmes. Du reste, alors que les utilisateurs du code du commerce viennent à peine de se familiariser avec sa nouvelle numérotation, n'eût-il pas été plus judicieux de réécrire l'ensemble du titre VI ?

Avec ce texte, les avocats d'affaire ont encore de beaux jours devant eux !

Par ailleurs, ce projet ne respecte pas le principe constitutionnel du droit au travail, posé par l'alinéa 5 du préambule de la Constitution de 1946. Le Conseil constitutionnel en a tiré l'obligation pour le législateur de poser des règles propres à assurer le droit pour chacun d'obtenir un emploi. Or, l'amendement de la commission relatif aux licenciements économiques durant la période de sauvegarde fait passer la situation des créanciers avant la sauvegarde de l'emploi.

Enfin, ce texte est contraire au préambule de la Constitution de 1946 qui dispose que tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail, ainsi qu'à la gestion des entreprises. Malheureusement, vous ne considérez pas les salariés comme faisant partie intégrante des entreprises, et vous les cantonnez à un rôle de spectateurs.

Votre projet de loi ne fait pas de la sauvegarde des entreprises sa priorité essentielle, aussi voterons-nous cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

A la majorité de 58 voix contre 21, sur 79 votants et 79 suffrages exprimés, l'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.

M. le Président de la commission - J'informe les commissaires aux lois que la commission se réunira demain à 10 heures pour examiner une centaine d'amendements au titre de l'article 88.

M. Arnaud Montebourg - Je demande une courte suspension de séance.

La séance, suspendue à 22 heures 35, est reprise à 22 heures 50.

M. Arnaud Montebourg - Rappel au Règlement. Cette suspension de séance nous a permis de faire le point sur les conditions dans lesquelles nous sommes contraints de travailler. Nous avons tout d'abord appris dans Le Monde paru cet après-midi que l'urgence avait été déclarée sur ce texte qui, s'il a déjà donné lieu à de longues discussions, ne sera privé d'une nécessaire navette parlementaire que par une décision arbitraire et unilatérale dont la commission des lois n'a même pas pris la peine de nous informer.

Robert Badinter a eu l'amabilité de m'appeler pour témoigner de son intérêt à l'endroit de ce projet et me rappeler les conditions dans lesquelles il avait lui-même défendu la loi que nous réformons aujourd'hui : par principe, jamais il n'avait voulu déclarer l'urgence sur des questions aussi délicates, et, après l'examen de chacun des articles, il demandait aux sénateurs, majoritairement à droite, s'ils voulaient encore s'exprimer pour améliorer son texte.

M. le Président de la commission - C'est faux !

M. Arnaud Montebourg - Voilà qui honore un ministre qui savait respecter les droits du Parlement quand M. le président de la commission, lui, préfère multiplier les attaques personnelles sur la qualité des orateurs socialistes et que M. le rapporteur prétend que M. Giacobbi n'a pas lu le texte.

Venons-en à la question qui fâche : la manoeuvre qui consiste à attendre que nous déposions des amendements pour les faire tomber par d'autres amendements qui ne seront connus qu'à la fin de la discussion générale n'échappera à personne. C'est inacceptable, et je demande une nouvelle suspension de séance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président de la commission - Je ne répondrai pas à toutes les provocations de M. Montebourg et me contenterai de deux observations : concernant l'urgence, j'ai déjà eu l'occasion de dire que la commission des lois s'est félicitée, au grand dam du Gouvernement, du retard pris dans l'ordre du jour car nous avons pu ainsi travailler beaucoup plus longuement, en particulier dans le cadre de la mission d'information sur le droit des sociétés ; le rapporteur, ainsi, a pu également auditionner une quarantaine de personnes. En outre, si le Gouvernement et le Garde des Sceaux en particulier ont demandé l'urgence...

M. Alain Néri - Ce n'est plus l'urgence, c'est la panique !

M. le Président de la commission - ...c'est précisément parce qu'ils veulent que le texte soit appliqué le plus rapidement possible afin de sauver un maximum d'emplois (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Nous n'avons aucune arrière-pensée (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Enfin, M. Montebourg prétend que l'examen des amendements prévu demain matin relèverait d'une manœuvre politique, or, quels en sont les auteurs ? MM. Montebourg, Vidalies, Vaxès...

M. Arnaud Montebourg - Je vous confirme qu'il s'agit là d'excellents amendements qui méritent un examen approfondi.

M. le Président de la commission - Dois-je continuer ? Je souhaite, démonstration faite de la mauvaise foi de M. Montebourg, que nous puissions enfin travailler. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Rapporteur - Je précise qu'il n'y a aucun amendement du rapporteur parmi ceux que nous examinerons demain. Nous avons examiné ce matin tous les amendements qui ont été déposés dans le temps imparti et nous examinerons demain matin ceux qui ont été déposés aujourd'hui. Nos collègues avaient tout de même suffisamment de temps pour les déposer avant l'ouverture des débats.

La séance, suspendue à 23 heures 56, est reprise à 23 heures 58.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable.

M. Arnaud Montebourg - « Sauvegarde » : le mot est beau ; « sauvegarde des entreprises » : le programme est très beau. La réforme du droit de la faillite est une œuvre difficile. Celle-ci est le plus souvent considérée comme infamante pour l'entrepreneur, les salariés ou les créanciers. En 2004, 150 000 personnes ont été licenciées dans le cadre simplifié des redressements judiciaires ou des liquidations d'entreprises ; 500 000 créanciers chaque année voient leur activité économique ou commerciale affectée par l'échec d'un redressement ou l'arrivée d'une liquidation. C'est parce qu'un examen méticuleux des conséquences de ce texte est particulièrement nécessaire que je suis très honoré de soutenir cette question préalable. Il y a comme une malfaçon dans ce texte. Votre démarche n'est pas la bonne. Et je voudrais ici poser quelques questions pour vous éviter d'avoir à regretter des décisions mal prises, précisément faute de vous être préalablement posé ces questions, comme il arrive parfois aux majorités trop fortes de leur nombre. Et vous me permettrez de m'adresser ici à l'esprit, que je crois libre, de chacun de nos collègues, dont je suis certain que la force des arguments peut faire évoluer le jugement.

Vouloir modifier la loi de 1984 régissant la faillite n'était pas absurde, tant il est vrai qu'une modernisation s'imposait. Chercher à sauvegarder les entreprises avant qu'elles ne soient acculées à la faillite est louable et appeler au traitement de leurs problèmes le plus précocement possible est le bon sens même. Seulement voilà, autant il est naturel lorsqu'on est malade de prendre rendez-vous chez le médecin ou lorsqu'on éprouve des difficultés personnelles, de rechercher une âme secourable, autant il est improbable qu'un chef d'entreprise se tourne à la première difficulté vers un tribunal, fût-ce celui de commerce. Mais pourquoi ce refus obstiné et systématique, vous l'êtes-vous demandé, Monsieur le Garde des Sceaux, Monsieur le rapporteur, Monsieur le président de la commission ? Les chefs d'entreprise n'ont pas confiance en la justice, mais n'allez pas prétendre que cela ne tient qu'à eux de se comporter ainsi. S'ils n'ont pas confiance en l'institution judicaire, c'est qu'ils sont instruits de vingt ans de scandales à répétition dans les tribunaux de commerce. Ils savent, montant les marches de ces tribunaux, la peur au ventre, qu'ils ont toutes chances de finir ruinés, quand ce n'est pas déshonorés, une vie de labeur partant si facilement en fumée entre les mains d'un administrateur judiciaire puis d'un liquidateur. Pour se rendre au tribunal de commerce, il faut assurément du courage. Votre projet de loi, hélas, ignore tout de cette situation, que ce soit sur le plan intellectuel, politique ou économique. Et c'est bien là que le bât blesse ! Les dirigeants de ces petites entreprises qui constituent 70% à 80% de notre tissu économique, - artisans, commerçants, entrepreneurs unipersonnels... - ne sont pas dupes : ils savent pertinemment que ceux à qui ils vont confier leurs intérêts sont ceux-là même qui disposeront de leur entreprise, en jugeront, les jugeront et peut-être même les condamneront.

Monsieur le Garde des Sceaux, vous avez inversé l'ordre des facteurs de la réforme. Avant que de réformer le droit de la faillite, avant de « tambouiller » le contenu de la marmite où vous mitonnez de nouvelles recettes... (Interruptions sur les bancs du groupe UMP), il eût fallu regarder l'état de celle-ci, abîmée, rouillée après ces décennies d'inaction face aux juridictions consulaires - devant lesquelles vous vous êtes inclinés, comme s'il s'agissait d'institutions sacrées intangibles. Oui, il aurait fallu commencer par réformer l'institution, comme Elisabeth Guigou et Marylise Lebranchu en avaient d'ailleurs conçu le projet. Comme à l'époque de César Birotteau, trois cents ans après la création des premiers tribunaux de commerce, l'absence de l'Etat en leur sein se fait toujours cruellement sentir. Triste exception française, à laquelle il eût été bon de mettre un terme.

Fût-elle de bonne foi, votre réforme ne pourrait avoir le moindre effet bénéfique. Les tribunaux de commerce sont en effet peuplés de juges de voisinage, sinon de cousinage, en conflit d'intérêts. Chacun sait que la cooptation y a remplacé l'élection tant le corps électoral est étroit. Ainsi les artisans n'y sont-ils pas représentés, et c'est l'une des raisons pour lesquelles ils soutiennent la réforme que nous appelons de nos vœux. Outre l'impartialité de ces juridictions dont on peut douter quand on sait que les grandes banques et les grandes entreprises d'affacturage y délèguent méthodiquement des représentants, se pose la question même de la disponibilité des juges, puisque ceux-ci continuent d'exercer leur activité professionnelle. Ce sont donc les mandataires de justice, ces professionnels de la faillite, qui dirigent souvent de fait les tribunaux de commerce.

Mme Marylise Lebranchu - Tout à fait.

M. Arnaud Montebourg - M. Vallens, magistrat professionnel d'une chambre commerciale d'Alsace-Moselle, avait expliqué devant la commission d'enquête alors présidée par notre collègue François Colcombet que si, d'après les textes, les mandataires dépendent des tribunaux, c'est l'inverse qui se passe dans les faits du fait de l'indisponibilité des juges, accaparés par leur activité professionnelle et trop heureux que les premiers les assistent, voire leur préparent les ordonnances qu'ils doivent rendre ! Pierre Lyon-Caen, ancien procureur de Nanterre, faisait le même constat, soulignant que les mandataires étaient en réalité les mandants. Voilà pourquoi derrière chaque président de tribunal de commerce se cache dans l'esprit de nos concitoyens, et tout particulièrement des chefs d'entreprise, un mandataire vorace, dont la cupidité n'a d'égale que l'habitude que leur ont donnée les pouvoirs publics de gagner leur vie en liquidant les entreprises ! Comment changer cela par la pédagogie ? Lorsque vous nous avez dit tout à l'heure, Monsieur le rapporteur, l'urgence qu'il y avait à sauver des emplois, nous n'avons pu nous empêcher de sourire car l'urgence, selon nous, est d'abord d'assainir le fonctionnement des tribunaux de commerce. Où est la justice si les hommes qui la rendent ont un intérêt à bâtir une fortune personnelle sur la destruction des actifs et des emplois des entreprises qu'ils liquident ? Où est l'intérêt général si celui auquel le chef d'entreprise se confie n'est que le faux-nez d'un mandataire prêt à le dépouiller ? Monsieur le Garde des sceaux, si vous aviez pris le temps de vous rendre dans les tribunaux de commerce et d'écouter les justiciables, vous auriez compris que votre réforme, parce qu'elle n'a pas commencé par moraliser ces juridictions, peut être criminelle. Les tribunaux de commerce prennent pour le moins des libertés avec les prescriptions du droit processuel, comme le respect d'une procédure contradictoire ou l'obligation de motiver les décisions. Avocats, magistrats de cours d'appel ou de la Cour de cassation, tous nous ont dit les dénis de justice, les violations des règles fondamentales du droit qui sont le lot quotidien dans ces tribunaux, où se tiennent parfois des audiences sauvages, sans convocation ni information des parties au dossier. Et c'est là que vous voudriez que les chefs d'entreprise s'adressent en cas de difficultés ! Je me souviens moi-même m'être rendu, avec d'autres collègues députés, dans un tribunal de commerce où une décision n'avait été rendue que trois ans après l'examen du dossier en audience publique, le président refusant de s'expliquer sur ce retard !

Ce sont là des faits, dont tous les jours nous avons vent dans nos permanences. Un magistrat professionnel nous a ainsi décrit les tribunaux de commerce, « juridictions où le juge est lié au justiciable par des relations professionnelles, sociales ou amicales : on chasse, on mange au même endroit, on appartient aux mêmes loges ou aux mêmes clubs, on s'arrange entre soi. » (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Justice de connivence ! Où sont l'impartialité et l'indépendance ? (« Pas chez vous ! » sur les bancs du groupe UMP) Le fonctionnement de ces juridictions est d'ailleurs contraire à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme selon laquelle tout justiciable a droit à ce que sa cause soit entendue publiquement, équitablement, dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial. Michel de l'Hospital, en 1563, statue devant laquelle certains se prosternent encore, ne pouvait avoir conscience de ce que nous sommes en droit d'attendre légitimement des acquis de la République.

Je viens de dépeindre sans excès, croyez-le bien, les juges des tribunaux de commerce. (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Ne m'obligez pas à souligner le scandale d'avoir laissé en vie les mandataires de justice, les administrateurs judiciaires, les greffiers des tribunaux de commerce, les représentants des créanciers et autres liquidateurs ! Chacun comprendra ici comment des fortunes, comme celles de Bernard Tapie ou de François Pinault (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) ont pu s'échafauder grâce aux tribunaux de commerce. Fortunes faciles, fondées sur le rachat à vil prix d'actifs bradés, parfois au terme d'enchères inexistantes, grâce à quelques coups de téléphone opportunément passés à quelques bons amis mandataires ; problèmes déontologiques en cascade s'ensuivant ; taux de poursuite extravagants de ces professionnels dont on a calculé qu'environ 40%, excusez du peu, avaient été inquiétés ou mis en cause par la justice, maintien en fonction de la plupart des mandataires poursuivis, constitution de fortunes personnelles considérables : faisons comme si tout cela n'existait pas, continuons d'enfouir la tête dans le sable, réformons autre chose que les tribunaux de commerce ! Nous avions publié des déclarations de revenus imposables des principales études, montrant que parmi les plus gros contribuables de nos départements les plus modestes étaient toujours le liquidateur local.

Beaucoup de ces études dépassent encore en bénéfices, et non en chiffre d'affaires, le million d'euros. Quelle est donc cette société qui rémunère le liquidateur spécialiste des pompes funèbres de l'entreprise et de l'emploi ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste) Combien de témoignages avons-nous accumulé sur ces professions dont le lucre contraste avec l'infortune et la misère de ceux qui sont entre leurs mains ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Avant de réformer les règles de la faillite, il eut été bon d'imposer le goût de la déontologie à ces professionnels !

La réforme adoptée en février 2002 en première lecture à l'Assemblée nationale n'attendait qu'un geste de votre part, Monsieur Perben, pour voir enfin le jour. Mme Lebranchu avait prévu l'ouverture d'une centaine de postes en loi de finances pour 2002.

Le Sénat a ouvert le tir de barrage. L'un de vos collègues y a vilipendé la mise sous tutelle de la justice consulaire et prononcé un éloge de cette institution : son utilité a été démontrée, elle mérite d'être conservée ! Conserver, conservateur, conservatisme : voilà les maîtres mots de votre politique ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Partout en France, vous avez poussé le monde consulaire à la grève (Rires sur les bancs du groupe UMP) portant atteinte à la continuité du service public de la justice, pour bloquer ce projet de réforme au détriment de vos amis consulaires. Monsieur Perben, pourquoi depuis deux ans et demi n'avoir pas osé toucher à un cheveu de cette justice contestée ?

A la commission des lois, il y a quinze jours, vous nous avez répondu que vous aviez trouvé des professionnels crispés. Allons donc, M. Perben tremblerait devant 6 000 personnes alors que M. Raffarin met des millions de gens dans la rue tous les quinze jours et que M. Fillon écrase un millier de manifestants par sa loi sur l'école ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

Pis encore, par la voie du décret du 10 juin 2004, alors passé inaperçu, M. Perben a augmenté la rémunération des mandataires de justice.

M. le Ministre - C'est faux !

M. Arnaud Montebourg - Nous avons comparé la rémunération des administrateurs judicaires avant et après ce décret clandestin : elle augmente de 30% à, pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 4,5 millions d'euros, 350%. Pour le droit fixe perçu par les représentants des créanciers pour la vérification des créances salariales, il augmente de 158% pour les entreprises de 1 à 9 salariés, de 197% pour les entreprises de 10 à 19 salariés, de 261% pour les entreprises de 20 à 49 salariés, de 316% pour les entreprises de 50 à 99 salariés, de 400% pour les entreprises de 100 à 199 salariés, de 522% pour les entreprises de 200 à 500 salariés et enfin de 800% pour les entreprises de plus de 500 salariés. Les augmentations des émoluments des liquidateurs pour tout recouvrement d'actifs s'échelonnent entre 200% et au-delà de la tranche de 7,5 millions d'euros de 1 000%.

Monsieur Perben, vous avez parfaitement servi vos amis, ils sauront vous le rendre. Votre connivence politique et personnelle avec les réseaux condamnables de l'institution consulaire explique...

Plusieurs députés UMP - C'est injurieux !

M. Arnaud Montebourg - ...l'absurdité de ce texte incompréhensible qui modernise avant de moraliser, qui transforme le droit de la faillite avant de changer les tribunaux de commerce. Monsieur Perben, le public doit connaître vos liaisons dangereuses. Le président du tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône n'est autre que votre suppléant et le mandataire de justice, M. Jean-Yves Aubert, n'était autre que votre conseiller général et trésorier ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

M. le Rapporteur - C'est scandaleux !

M. Arnaud Montebourg - Ce dernier a été suspendu de ses fonctions et mis en examen en août 2003 pour abus de confiance, soupçonné d'avoir détourné plusieurs centaines de milliers d'euros (Mêmes mouvements).

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - C'est moi qui l'ai suspendu de ses fonctions !

M. Arnaud Montebourg - Vous n'aviez plus le choix ! Quelques mois auparavant, vous lui remettiez la Légion d'honneur dans les salons de la chancellerie. Telle est la triste vérité d'un pouvoir qui fonctionne main dans la main avec les tribunaux de commerce (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Un journal local, à l'occasion de la remise de cette décoration, notait la longue amitié qui liait M. Perben au mandataire judiciaire. Maître Aubert était le liquidateur richissime de Saône-et-Loire, l'un des plus grands contribuables du département, celui qui organisa la résistance à la réforme d'Elisabeth Guigou et de Marylise Lebranchu. A la tête du conseil national des administrateurs judiciaires, il finança un lobbying intensif auquel M. Montesquiou, l'un de vos anciens collaborateurs, collabora. Monsieur Perben, vous avez donc été au cœur du dispositif qui empêcha la réforme des tribunaux de commerce.

Lorsque le président du tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône fut questionné sur les dysfonctionnements de la justice consulaire, il répondit que le mandataire de justice peut faire ce qu'il veut en Saône-et-Loire.

Dans ces conditions, comment ne pas douter du succès de cette réforme ? Nous doutons publiquement de votre crédibilité ou de votre capacité à défendre les entreprises. Vous avez protégé un système consulaire que vous saviez mal portant.

Le public vous jugera en outre sur les extraordinaires dangers que recèle ce texte, sur lesquels nous nous sommes interrogés, y compris les membres de la majorité, lors de l'examen en commission des lois. Dans ce débat, le groupe socialiste a une position constructive (Rires sur les bancs du groupe UMP), nous avons déposé 190 amendements.

Le droit de la faillite a pour mission de fixer les procédures de répartition de la charge et les possibilités offertes aux créanciers, actionnaires, salariés et dirigeants en hiérarchisant les priorités. Chaque système d'administration de la faillite révèle des choix politiques : vous avez préféré protéger les intérêts des banques à la sauvegarde de l'emploi et des entreprises.

M. le Rapporteur - Absurde !

M. Arnaud Montebourg - En effet, votre texte crée au profit des créanciers bancaires un super-privilège au titre de l'apport de « l'argent frais » apporté à une entreprise dans le cadre des nouvelles procédures de redressement anticipé. Dans ce bas, le tribunal disparaît...

M. le Rapporteur - Les banques ne sont pas les seules à obtenir ce privilège !

M. Arnaud Montebourg - Le tribunal n'est plus qu'un agent passif chargé de ratifier le contrat passé entre l'entreprise et les créanciers. C'est la privatisation de la faillite ou du redressement. La justice se rendra désormais au guichet des banques et non au tribunal. Selon ce texte, les banques disposent du droit de vie et de mort sur l'entreprise, sur la négociation et sur la poursuite éventuelle de la procédure. Par l'octroi de ce privilège, elles obtiennent la maîtrise complète de la procédure.

M. le Rapporteur - Monsieur Montebourg, vous êtes un fumiste ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. Arnaud Montebourg - Sans demander un fait personnel, je me contenterai de rappeler que nous avons discuté des heures durant de ce super-privilège...

M. le Rapporteur - ...qui n'existe pas !

M. Arnaud Montebourg - Il s'agit d'un privilège de paiement dont le Conseil constitutionnel aura à discuter, et qui, en outre, atténue la responsabilité pour soutien abusif. Or l'article 1382 du code civil dispose, dans la prose limpide de Portalis, que « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer », et cela vaut pour les banques. Le Conseil constitutionnel rappelle constamment que nulle responsabilité ne pourra être exonérée, et malgré votre activisme, vous ne parviendrez pas à organiser par avance l'irresponsabilité du système bancaire. Vous cherchez d'ailleurs à le protéger contre un danger presque inexistant : les condamnations à ce titre se sont élevées à 14 millions d'euros l'an dernier, alors que les banques ont fait des milliards de profits. Une autre offrande que vous leur faites est d'aggraver de façon scandaleuse le régime des cautions, imposées essentiellement aux dirigeants de PME, qui ne disparaîtront plus avec l'extinction de la créance principale.

Privilège de paiement, responsabilité restreinte, aggravation des cautions, tout dans ce texte vise la sauvegarde du système bancaire. Mais le mérite-t-il ? Nous n'en avons guère débattu en commission. Or l'explosion de ses profits va de pair avec sa réticence à prendre des risques. On le sait, le crédit est d'autant plus rationné que l'entreprise est petite, et selon les enquêtes, le refus de prêt est la cause de 10% des défaillances d'entreprises. En outre, le taux bancaire est de 4% supérieur pour les découverts de moins de 15 000 euros à ce qu'il est pour les découverts de plus de 1,5 million. Enfin, ces vingt dernières années, devant la frilosité du système bancaire, on a renforcé le soutien public au financement des petites entreprises. Ainsi, la Banque de développement des PME finance pour 7,7 milliards 56 000 entreprises et la SOFARIS assure pour 3,3 milliards de cautionnement en 2003. Préférer la rente au risque, comme le fait le système bancaire, ce n'est pas contribuer à une économie innovante et créatrice d'emplois.

Et où sont les contreparties des privilèges que vous offrez à ces banques qui tremblent devant le risque de l'entrepreneur ? Elles dicteront désormais leur loi aux autres créanciers sans que le tribunal puisse s'interposer. Que deviendront les autres partenaires ? Les créanciers publics et sociaux ne pourront pas résister à l'abandon de la créance principale et non plus seulement des intérêts et majorations de retard. Est-ce pourtant à elles de prendre en charge ce fardeau pour financer la rente bancaire ? Les actionnaires, dont certains sont dans les tribunes, vous en remercient. Mais l'intérêt général se confond-il avec l'intérêt financier des créanciers ? Non, bien sûr.

Quant aux salariés, ce sont les grands sacrifiés de ce texte, aggravé par les amendements du rapporteur, soutenu par le président de la commission, pour accentuer la dérégulation du droit du travail en ce qui concerne les licenciements. On pourra se débarrasser à bon compte des salariés sans consulter les institutions représentatives du personnel, négocier le plan social...

M. le Rapporteur - C'est maintenu !

M. Arnaud Montebourg - ...reclasser obligatoirement les salariés. Et l'amendement du rapporteur, désavoué par le Gouvernement, n'a pas fait l'objet d'un nouveau débat en commission des lois. Le Medef n'avait pas obtenu en 2003 de justifier les licenciements économiques par la sauvegarde de la compétitivité. On y parvient sous couvert de moderniser le droit des faillites. Pour les banques, les créanciers, et mêmes les actionnaires, c'est la sécurité totale ; pour les créanciers publics, et surtout pour les salariés, l'insécurité maximale. Avec la conciliation, le juge est privé de tout pouvoir coercitif envers les créanciers. Et ce sont eux qui décideront de la « sauvegarde » des entreprises.

En outre, il faudra faire connaître aux autres créanciers le « superprivilège » consenti aux banques. Et cet abandon de confidentialité fragilisera encore l'entreprise face à ses fournisseurs.

De même, au cours de la procédure de sauvegarde, l'entrepreneur ne pourra qu'accepter de se placer entre les griffes du comité des créanciers bancaires et du comité des créanciers fournisseurs, qui décideront de l'évolution de l'entreprise. Le juge est tenu de se conformer à leur décision sur le plan de sauvegarde, qui peut prévoir des licenciements. Dans ce cadre, l'AGS, l'assurance pour la garantie de salaires, peut être mise à contribution pour les salaires impayés et même les indemnités de licenciement lorsqu'il n'y a pas de cessation de paiement. Cette procédure a été inventée pour procéder à des restructurations en satisfaisant en priorité les actionnaires et les créanciers qui, suprême provocation, pourront continuer à recevoir des dividendes. C'est un alignement sur les pratiques anglo-saxonnes qui donne le pouvoir de vie ou de mort sur l'entreprise au créancier bancaire, contraint la puissance publique à des abandons de créance et sacrifie les salariés, alignement qui se fait d'ailleurs moins sur le « chapter 11 » du droit des faillites américain que sur le droit anglais. Mais comment allez-vous faire admettre qu'une entreprise qui n'est pas en cessation de paiement puisse licencier de façon « massive et souple » sans limite, sans consultation, sans contrepartie ni consultation des salariés...

M. le Rapporteur - Mais où avez-vous vu cela ?

M. le Président de la commission - Citez le texte !

M. Arnaud Montebourg - ...pendant que les banques se constituent un super-privilège et que l'on distribue toujours des dividendes ?

M. le Président de la commission - Monsieur Montebourg, nous sommes bien décidés à vous écouter pendant une heure et demie. Mais au minimum, parlez du texte et arrêtez de délirer ! Le Garde des Sceaux vous a déjà dit que vous étiez en plein roman !

Arrêtez aussi vos attaques personnelles ! Faute de quoi nous serions obligés de vous laissez parler tout seul ! (Vives protestations sur les bancs socialistes)

M. Arnaud Montebourg - J'ai accepté de me laisser interrompre, tenant à un échange vivant. Mais, sur le fond, je ne me fais que le porte-parole du débat qui s'est déroulé en commission, avec les députés de la majorité. Nulle invention de ma part, ne vous en déplaise ! Il est inacceptable que vous considériez que nous ne sommes pas dans le sujet. Nous n'avons traité que du sujet, rien que du sujet. Les tribunaux de commerce ? Ce sont eux qui appliqueront la loi. Le licenciement ? La question n'a jamais été clarifiée en commission, malgré de longues discussions.

M. le Président de la commission - Puis-je vous interrompre une nouvelle fois ? (Vives protestations sur les bancs socialistes)

M. Arnaud Montebourg - Non !

M. le Président de la commission - Vous n'avez pas le sens de la démocratie ! Je veux parler sur le droit de licenciement ! A moins que vous ayez peur de la vérité ! (Vives protestations sur les bancs socialistes)

M. le Président - Seul M. Montebourg a la parole. Monsieur Clément, il vous a autorisé à l'interrompre une fois, il ne l'accepte pas une seconde fois. C'est ainsi.

M. Arnaud Montebourg - J'ai du mal à comprendre l'irritation du président de la commission. La notion de super-privilège qui m'a valu d'être traité de fumiste par le rapporteur, elle a été employée par M. Chartier, qui a même déposé un amendement à cet égard. J'ai toute ma raison, quelles que soient vos attaques personnelles. Nous avons eu un débat sur le sujet, et le président Clément a insisté sur la nécessité de favoriser ceux qui acceptent de prendre un nouveau risque, dans un souci de pragmatisme. Relisez le procès verbal de la commission des lois et vous vous apercevrez que ce débat est en effet inspiré par le délire collectif de ses membres !

Quant à la discussion sur la question du licenciement, c'est votre amendement, Monsieur Clément, qui l'a déclenchée. M. Warsmann a même jugé indispensable de l'encadrer par des garde-fous, dont il faudra bien discuter. Et d'ailleurs, j'étais en train d'expliquer, avant qu'on m'interrompe, que la tentation de l'utilisation de la procédure de sauvegarde provoquera le sentiment qu'une entreprise in bonis se débarrasse à bon compte des salariés, quand les banques ou les actionnaires se constituent des super-privilèges. Surtout, il n'y aura plus de juge qui pourra s'opposer à ce que les créanciers décideront unilatéralement en contrepartie de la sécurisation de leurs propres investissements. Votre loi, monsieur le Garde des Sceaux, défend l'intérêt financier des banques et des actionnaires, et ne vise qu'à s'aligner sur les standards de la mondialisation libérale. La modernisation du droit des affaires, et plus spécialement du droit des procédures collectives est un des objectifs de ce gouvernement. Mais rechercher le standard minimal sur lequel la France devrait s'aligner risque de conduire au désastre.

J'ai là les observations de gens qui doivent délirer : je veux parler de la note commune que nous ont adressée, ainsi qu'à vous, monsieur le Garde des Sceaux, les avocats de la Conférence nationale des bâtonniers et du Conseil national des barreaux. Voici ce qu'on y lit : « On voit bien que c'est ici également que ne manqueront pas de se cristalliser tous les risques de détournement de la procédure à des fins plus ou moins avouées, dépôts de bilan techniques, carambouilles légales. » Nous avons la crainte, nous, que la procédure de sauvegarde soit utilisée par des sociétés parfaitement in bonis, qui pourraient se présenter comme le malade imaginaire, et utiliseraient, en la détournant, la procédure pour obtenir ce qui ne pourrait l'être par d'autres moyens.

L'attractivité de la France passe-t-elle par les rentes de situation offertes aux actionnaires des multinationales, aux fonds de pension américains, aux retraités de Floride attendant les royalties de leurs investissements anonymes ? Passe-t-elle par l'insécurité juridique des salariés, la destruction du droit du travail ou le pillage autorisé des caisses publiques ? Nous, nous, pensons que l'attractivité de la France passe au contraire par des tribunaux de commerce sécurisés, des magistrats compétents, des professionnels de la faillite insoupçonnables, des contrôles déontologiques stricts et des émoluments restreints. Elle passe par un pouvoir judiciaire restauré. Et l'intérêt des entreprises, ce n'est pas l'intérêt financier de ses actionnaires et de ses créanciers bancaires. La sauvegarde de l'emploi ne passe pas par celle des intérêts des banques. Telles sont les raisons pour lesquelles je vous demande d'adopter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président de la commission des lois - Je remercie M. Montebourg d'avoir retrouvé dans la deuxième partie de son propos le ton qu'il n'aurait jamais dû quitter. Le sujet mérite mieux que la polémique politicienne. S'agissant de textes que l'on ne modifie que tous les trente ans alors qu'ils concernent des milliers de gens chaque année, l'enflure du style et les attaques personnelles n'apportent rien...

M. Alain Néri - Répondez sur le fond !

M. le Président de la commission des lois - Permettez, cher collègue ! Pour vous connaître depuis vingt-cinq ans, je sais que l'invective vous tient lieu de raisonnement. Souffrez cependant que j'aille au bout de mon propos.

Le projet du Gouvernement, enrichi de nos amendements, permet de réaliser un énorme progrès en organisant une procédure de conciliation préalable qui permettra de sauver bon nombre d'entreprises. Chacun sait qu'il faut se préoccuper de la sauvegarde de l'emploi en amont des difficultés et vous ne pouvez déduire d'une citation partielle d'un courrier du Conseil des Barreaux que la procédure proposée va conduire à des abus généralisés. Compte tenu des garanties dont nous nous entourons, il est hautement improbable que l'abus et le détournement de procédure deviennent la règle. La vérité, c'est que l'évolution que nous proposons permettra de sauver chaque année des dizaines d'entreprises.

S'agissant des licenciements, j'ai eu l'occasion de vous dire en tête-à-tête que vous preniez une très lourde responsabilité en sacrifiant l'intérêt général à vos préoccupations médiatiques et politiciennes de court terme. L'amendement défendu par notre rapporteur ne visait qu'à préserver un maximum d'emplois en prévoyant une procédure de licenciement adaptée lorsque l'entreprise rencontre des difficultés particulières. Le Gouvernement a fait part de son intention de le repousser et je le déplore sincèrement. Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas le droit de le retirer à ce stade de nos travaux et nous aurons donc l'occasion d'en débattre. Le fond du problème, c'est qu'en respectant les délais de licenciement de droit commun, l'on s'expose au risque de sacrifier plus d'emplois qu'on n'en préserve.

Quant à la notion de super-privilège accordé aux banques, c'est un mot de journaliste qui ne correspond à aucune réalité et je vous mets au défi d'en trouver la traduction dans le présent texte.

Vos arguments au sujet du « soutien abusif » ne sont pas plus convaincants et ignorent manifestement la réalité du terrain. Au cours des dernières années, tous les praticiens ont eu connaissance de détournements de procédure parfois ahurissants. En nous bornant à préciser que le soutien abusif doit être « manifeste », nous soutenons une proposition de bon sens à laquelle chacun devrait normalement se rallier.

Votre tentative de dénonciation des privilèges et de l'argent frais ne tient pas davantage. Expliquez-nous comment faire pour aider des entreprises sans leur permettre de se renflouer ?

Au final, le plus aberrant dans votre posture, c'est que vous avez choisi de politiser les enjeux à outrance alors que le projet qui nous est soumis est fondé sur l'expérience du terrain. Depuis plus d'un an, toutes les parties intéressées ont été consultées, des juges consulaires aux professeurs de droit en passant par les avocats et par les syndicalistes : tous sont favorables à une évolution profonde de notre droit. Las, vous tendez à renouveler l'erreur qui a bloqué la réforme des tribunaux de commerce en adoptant des positions excessives. Vous ne rendez pas service au pays !

Monsieur le président Ayrault, ne laissez pas l'un des vôtres caricaturer le travail parlementaire (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Opposons-nous tous ensemble à des modes d'intervention aussi néfastes pour le pays ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Michel Vaxès - Ce texte se trouve privé d'un pilier essentiel : celui de la réforme des tribunaux de commerce, attendue depuis 1985. Compte tenu des pouvoirs qui leur sont dévolus, il est en effet inopportun de laisser se dérouler la procédure devant une juridiction consulaire composée exclusivement de commerçants élus par leurs pairs. Il est urgent de mettre fin à la suspicion qui continue de peser sur les magistrats consulaires, souvent suspectés de connivence avec les débiteurs en difficulté ou leurs créanciers, qui sont aussi leurs électeurs, leurs concurrents et leurs partenaires. La mise en place d'un échevinage qui associerait la compétence technique des magistrats professionnels à la connaissance de terrain serait un gage de plus grande efficacité. Et nous voulons aller plus loin en associant aux magistrats élus des représentants des salariés. Autrement dit, il faudrait qu'un magistrat professionnel soit assisté de deux assesseurs, l'un élu parmi les commerçants, l'autre parmi les salariés.

En outre, nous ne pouvons souscrire à l'argument de notre rapporteur, selon lequel il serait inopportun d'engager une telle réforme du fait de l'émotion provoquée chez les magistrats commerçants par le rapport de la commission d'enquête sur les tribunaux de commerce de 1998. Qu'il s'agisse de la réforme des retraites ou de celle de l'école, le Gouvernement n'a-t-il pas prouvé qu'il savait passer outre les résistances de l'opinion lorsqu'il voulait vraiment faire passer un texte ?

Notre groupe votera la question préalable, parce que nous sommes convaincus que sans une réforme des tribunaux de commerce, toute amélioration de la législation relative au traitement des entreprises serait vaine. De plus, alors que le Garde des Sceaux dit avoir placé la sauvegarde de l'emploi au cœur de sa démarche, nous n'en trouvons nulle trace dans son projet et il n'est point besoin d'entrer dans le détail des 200 articles qu'il comporte pour s'en convaincre. Ce que ce texte s'attache en priorité à sauvegarder, c'est l'intérêt de certains créanciers, pourtant déjà bien protégés par les établissements de crédits.

Parce qu'il passe délibérément à côté de l'objectif qu'il prétend poursuivre, il convient d'adopter la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. Alain Vidalies - Compte tenu de la qualité des arguments de M. Montebourg nous étions en droit d'espérer mieux que le dérapage du président Clément (Murmures sur les bancs du groupe UMP). Assurément, ses propos ne font pas honneur à nos travaux. Ne l'a-t-on pas entendu déclarer le plus sérieusement du monde qu'il fallait arrêter de dire le contraire de ce que pense la majorité ? (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Devons-nous admettre que le roi Clément Ier ne souffre pas la contradiction ? (Mêmes mouvements) Quant à sa « démonstration » sur les licenciements, elle restera dans les annales parlementaires comme un bel exercice d'humilité ! Faut-il vraiment croire que, contre l'opinion de tous - organisations syndicales patronales et de salariés, experts, voire gouvernement lui-même -, seul le grand président Clément aurait raison ? Et puis il y a l'argument extraordinaire selon lequel lui seul ferait du droit alors que nous autres ne serions préoccupés que de basse politique. Ce qui est vrai, c'est qu'il fait du droit... de droite.

Et il se trompe quand par exemple il nie l'existence des super-privilèges, dont on retrouve la référence pas plus loin que dans le rapport 2099 de la commission des finances, page 13 ! Cette notion n'est pas née de l'imagination de M. Montebourg !

Lorsque l'on instaure une nouvelle hiérarchie entre les créances, encore faut-il engager une véritable concertation avec les personnes concernées. On découvrira demain comment vous avez organisé la sauvegarde des créances des banques !

Quant aux tribunaux de commerce, vous ne pouvez passer outre l'insatisfaction de tous, à droite comme à gauche. La question de la présence de magistrats professionnels au sein de ces institutions est sérieusement posée.

Le parti socialiste votera donc cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Nicolas Perruchot - Je retiendrai de la talentueuse et provocante intervention de M. Montebourg ses multiples attaques, contre le Garde des Sceaux, contre un ancien ministre socialiste - M. Tapie -, contre les hommes et les femmes qui composent les tribunaux de commerce.

Cela étant, ne serait-ce qu'en raison des nombreux amendements que vous avez déposés, vous avez démontré la nécessité de délibérer de ce texte, aussi l'UDF votera-t-elle contre cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Marc Ayrault - Je demande la vérification du quorum.

M. le Président - Je constate que le quorum n'est pas atteint. Le vote sur la question préalable est reporté à la prochaine séance.

Prochaine séance, cet après-midi, mercredi 2 mars 2005, à 15 heures.

La séance est levée à 0 heure 15.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU MERCREDI 2 MARS 2005

QUINZE HEURES : 1re SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.(1)

2. Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école.

3. Suite de la discussion du projet de loi (n° 1596) de sauvegarde des entreprises.

Rapport (n° 2095) de M. Xavier de ROUX, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Avis (n° 2099) de M. Jérôme CHARTIER, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 2e SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


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