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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 67ème jour de séance, 164ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 3 MARS 2005

PRÉSIDENCE de M. Yves BUR

vice-président

Sommaire

      SAUVEGARDE DES ENTREPRISES (suite) 2

      ART. 6 2

      ART. 7 6

      ART. 8 14

La séance est ouverte à neuf heures trente.

SAUVEGARDE DES ENTREPRISES (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi de sauvegarde des entreprises.

ART. 6

M. Arnaud Montebourg - Peu à peu se dessine le visage de ce nouveau dispositif qu'est la conciliation, marqué par l'inégalité entre les différents créanciers de l'entreprise. Pour la première fois est offerte aux administrations financières et sociales, ainsi qu'aux collectivités publiques, notamment locales, la possibilité de consentir des remises de dettes, et ce alors que les créances des banques peuvent être renforcées au cours de cette même procédure. Vous portez atteinte au principe d'égalité entre les créanciers et ouvrez la porte à une forme de chantage !

M. Xavier de Roux, rapporteur de la commission des lois - L'amendement 18 est essentiellement de précision et de rédaction.

Tout d'abord, l'accord de conciliation ne pouvant inclure la totalité des créanciers, il est précisé qu'il ne concernera que les principaux, et en particulier les fournisseurs, surtout lorsqu'ils accordent des crédits ou des délais de paiement.

Par ailleurs, afin de clarifier la mission du conciliateur, il est proposé de rapprocher dans le texte les dispositions définissant la partie financière de sa mission et l'alinéa qui lui ouvre la possibilité de faire des propositions relatives à la réorganisation de l'entreprise.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Avis favorable.

M. Michel Vaxès - Le rapporteur vient de le confirmer, vous avez choisi de sauver les plus gros créanciers, les banques. Pour notre part, nous préférons nous préoccuper des salariés de l'entreprise et de l'emploi. Aussi notre sous-amendement 456 tend-il à associer les salariés ou leurs représentants à cette procédure de conciliation sans attendre l'homologation. N'oublions pas que les salariés sont des acteurs fondamentaux de la vie de l'entreprise qui peuvent utilement participer à sa sauvegarde.

M. le Rapporteur - Avis défavorable pour les raisons que j'ai déjà exposées hier. Les salariés seront entendus au moment de l'homologation de la conciliation.

M. le Garde des Sceaux - Avis défavorable.

M. Arnaud Montebourg - Je ne comprends pas l'obstination du rapporteur. Il ouvre la procédure de conciliation aux principaux créanciers. Les salariés en font-ils partie et est-ce pour cette raison qu'il est défavorable au sous-amendement ? Qu'il le dise ! Les salariés doivent être associés à cette procédure de conciliation, parce qu'ils sont intéressés à la survie de leur entreprise, ils défendent leur outil de travail, ils ont le même patriotisme d'entreprise que les dirigeants.

M. Alain Vidalies - Nous devrions aboutir à un consensus sur cette question. Le conciliateur a pour mission de rechercher toutes les solutions possibles : pourquoi ne répondez-vous pas à M. Vaxès que son amendement est déjà satisfait par la rédaction du texte ?

M. le Rapporteur - Vous avez raison : il est évident que le conciliateur, dans le cadre de l'article 6, doit, s'il l'estime nécessaire, entendre les salariés. Il n'est pas pour autant utile de rédiger autrement le texte.

M. Michel Vaxès - Et s'il ne l'estime pas nécessaire ? En vérité, vous voulez exclure de la discussion les créanciers les plus représentatifs de la richesse de l'entreprise, c'est-à-dire ses salariés.

Le sous-amendement 456, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 18, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - L'amendement 294 tombe.

M. Michel Vaxès - L'amendement 457 tend à supprimer le troisième alinéa de cet article.

Afin de détecter le plus rapidement possible les difficultés des entreprises, vous avez renforcé l'obligation du Trésor et des URSSAF de publier les retards de paiement des dettes fiscales et sociales, sous peine de perdre leurs privilèges en cas de procédure collective. Et vous leur proposez de surcroît de renoncer purement et simplement à leurs créances en consentant des remises de dettes ! Ces créances, qui ont pourtant un impact sur nos régimes sociaux, seraient donc, pour vous, un privilège de second ordre en comparaison des créances bancaires !

Nous ne pouvons souscrire à la philosophie libérale de ce texte, et nous souhaitons restaurer les droits des créanciers publics.

M. le Rapporteur - La commission a repoussé cet amendement. C'est une des grandes avancées du texte que de permettre aux créanciers publics de faire des remises comme les créanciers privés. Il est paradoxal que, parfois, des plans de redressement échouent en raison de l'attitude rigide du Trésor ou de l'URSSAF, pour lesquels une entreprise qui se maintient vaut pourtant mieux qu'une liquidation.

M. le Garde des Sceaux - Le Gouvernement est de même très défavorable à cet amendement. La question est d'importance. Il m'a fallu de longues discussions avec le ministère de l'économie, et l'appui de Francis Mer, alors ministre, et homme d'entreprise, pour faite tomber les a priori et obtenir que les créanciers publics fassent un effort concomitant avec celui des créanciers privés afin de maintenir une entreprise en activité. On ne peut que se réjouir de cette avancée et il serait dommage de revenir à ce que j'appellerai « la doctrine Bercy », avec tout le respect que j'ai pour cette grande administration.

Monsieur Montebourg, si une collectivité locale procède à un abandon de créance, il y aura un dégrèvement et donc compensation par l'Etat. Il est inutile de créer des inquiétudes à ce sujet.

M. Michel Vaxès - Non seulement vous créez une inégalité au détriment des créanciers publics, mais vous essayez de les culpabiliser en suggérant qu'ils peuvent être responsables des difficultés des entreprises en maintenant leur créance.

D'autre part, selon votre raisonnement, une régie municipale des eaux devrait effacer une dette, tandis qu'une compagnie des eaux privée n'y serait pas tenue. Si c'est cela aller de l'avant, nous ne comprenons pas le progrès de la même façon !

M. Arnaud Montebourg - La procédure de conciliation privilégie le créancier bancaire, la créance publique servant de variable d'ajustement.

Le Garde des Sceaux vient de nous dire que, dans le cadre de cet article, les collectivités locales bénéficieront de dégrèvements et qu'il ne faut pas les inquiéter. Je crains qu'elles ne soient déjà suffisamment inquiètes. Chat échaudé craint l'eau froide, et il faudrait donc que le Gouvernement lève toute ambiguïté sur la façon dont ces dégrèvements seront mis en œuvre en cas de remise de dette.

M. Jérôme Chartier rapporteur pour avis de la commission des finances - La commission des finances y a regardé de près, et je peux rassurer M. Montebourg. L'article 1600 du code général des impôts dispose que toute collectivité locale qui fait une remise de dette en capital bénéficie d'une compensation à due concurrence.

M. Arnaud Montebourg - Dont acte.

L'amendement 457, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Alain Vidalies - Notre amendement 543 exclut les remises de dettes par les organismes de sécurité sociale, autrement dit pour les cotisations dues à l'URSSAF - et dans l'amendement suivant, à l'UNEDIC. Qu'une collectivité locale accorde une remise qui donnera lieu à dégrèvement car l'Etat estime, au nom de l'intérêt général, en l'occurrence pour sauver l'activité économique, devoir assurer une compensation, peut en effet être une avancée. Mais dans le cas d'un organisme social, qui compensera la remise faite à une entreprise ? Personne. Elle se fera au détriment de la collectivité et aussi, je le signale, de l'égalité de concurrence entre entreprises.

M. le Président - Nous considérerons que vous avez également défendu l'amendement 542, qui concerne l'UNEDIC.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - Je vous le demande franchement : quand une entreprise de votre circonscription est en difficulté, tenez-vous le même langage ? Dites-vous aux ASSEDIC, à l'UNEDIC, au Trésor public de ne pas lui faire de cadeau, alors que des emplois sont en jeu ? Bien sûr que non, vous faites comme chacun de nous dans un tel cas. Alors, puisque vous ne pensez pas ce que vous dites, de grâce, cessez de tenir ces propos ridicules et faites-nous gagner du temps !

M. le Rapporteur - La commission a repoussé ces amendements. Effectivement, il y a une distinction à faire. Les organismes de sécurité sociale peuvent accorder des remises de dette pour les cotisations patronales, mais non pour les cotisations salariales, qu'elles détiennent pour le compte d'un tiers.

M. le Garde des Sceaux - Sur le plan juridique, cette possibilité existe déjà en cas de redressement judiciaire. Il n'y a donc guère de nouveauté sur ce point. Sur le plan économique, votre raisonnement ne me paraît pas pertinent. Si tous les créanciers, privés et publics, dont les organismes sociaux, font un effort dans le cadre d'une procédure de conciliation, et que l'entreprise s'en sort, tout le monde en bénéficiera. La laisser disparaître coûte bien plus cher à tous.

M. Alain Vidalies - Nos débats avaient commencé sur un ton raisonnable. Le président de la commission, toujours en forme, leur a donné une autre tournure. Nous pouvons lui emboîter le pas, s'il le souhaite. Mais si son seul apport est de faire la morale, de traiter les autres d'irresponsables et de les accuser de ne pas penser ce qu'ils disent, il rendra service à tout le monde en gardant le silence.

La distinction que vient de faire le rapporteur est issue du débat en commission. Elle n'allait donc pas de soi. Exclure le précompte des remises possibles est déjà un pas. Pour autant, le raisonnement du ministre vaut pour les dettes publiques, car il y aura dégrèvement, mais pour les cotisations sociales, cette procédure portera tort aux bénéficiaires de la sécurité sociale et aussi aux autres entreprises qui, elles, payent leurs cotisations.

M. Arnaud Montebourg - Personne ne refuse l'idée qu'il faut trouver l'accord le plus large possible avec l'ensemble de ce que l'on appelle les créanciers - nous nous sommes même battus pour qu'il y ait les salariés dans ce concert - et que chacun doit consentir sa part de sacrifice. Nous disons simplement que le dispositif de conciliation met en situation d'infériorité certains de ces créanciers, en l'occurrence les salariés et les créanciers publics, tandis que d'autres, à savoir les banques, sont mis en situation de supériorité manifeste. L'intérêt financier passe donc ici avant la sauvegarde de l'emploi. Ce déséquilibre entre les créanciers correspond à un choix politique qui se confirmera dans la suite du texte : privilégier la finance au détriment de l'emploi. Votre texte, Monsieur le ministre, n'est pas un projet relatif à la sauvegarde des entreprises mais un projet de sauvegarde des intérêts des banques !

M. le Rapporteur - M. Montebourg nous explique une fois de plus que les banques sont l'ennemi public de la République... Je veux simplement lui faire remarquer que nous donnons ici satisfaction à une demande de Mme Lebranchu, qui était que les Codefi, créanciers publics, aient plus de moyens d'agir.

L'amendement 543, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l'amendement 542.

M. Arnaud Montebourg - Dès lors que le débiteur peut être en cessation de paiements dans le cadre de la conciliation, on ne voit pas pourquoi l'AGS ne serait pas sollicitée pour assurer le paiement des créances salariales, alors qu'elle est précisément faite pour cela et alors qu'elle est utilisée dans la procédure de sauvegarde, où il n'y a pas de cessation des paiements possible. Tel est l'esprit de notre amendement 399.

M. le Rapporteur - Le déficit de l'AGS est un sujet brûlant... La procédure de conciliation n'est pas une procédure dans laquelle elle peut intervenir. Pour qu'elle le puisse, il faudrait qu'il y ait d'abord vérification des créances, ce qui n'est pas le cas. A ce stade-là, nous écartons donc l'intervention de l'AGS. Avis défavorable.

M. le Garde des Sceaux - Même avis.

M. Arnaud Montebourg - Si vous voulez absolument établir un lien entre vérification des créances et intervention de l'AGS, il suffit de faire un amendement en ce sens. La réponse technico-désinvolte du rapporteur ne nous suffit pas et nous en attendons d'autres de sa part.

M. Jean Le Garrec - Je suis moi aussi un peu déçu par la réponse du rapporteur. Nous sommes bien là dans une situation de cessation de paiements et s'il y a des créances faciles à vérifier, ce sont bien les créances salariales. L'AGS devrait donc être appelée à jouer son rôle. Il en va de la sécurité des salariés.

M. le Rapporteur - Nous sommes dans une procédure de conciliation, pas dans une procédure collective. Pour que cette procédure de conciliation soit efficace, il est prévu que la cessation de paiements soit possible. Mais si j'avais introduit dans ce texte la simple idée de licenciement économique, que n'aurais-je pas entendu !

M. Jean Le Garrec - C'est vrai !

M. le Rapporteur - Dès lors que nous ne parlons pas de licenciement économique, ne parlons pas, je vous prie, de l'AGS !

L'amendement 399, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Arnaud Montebourg - Nous demandons dans ce débat, outre du respect envers l'opposition et envers ses arguments politiques, des précisions suffisantes pour éclairer la philosophie de ce texte, dont il ne sera fait qu'une lecture et qui constitue une véritable bombe à retardement. Je souhaite que le rapporteur et le président de la commission évitent les attaques personnelles et nous fassent des réponses qui aident ensuite nos concitoyens à se retrouver dans le maquis urticant que sera cette loi !

J'en viens à l'amendement 400, qui tend à ce que le débiteur ne soit pas complètement dessaisi et puisse être entendu à tout moment par le président du tribunal. C'est souvent une question de survie.

M. le Rapporteur - Je m'efforce de vous donner des réponses claires, mais vous repartez à chaque fois dans de longs discours assez difficiles à suivre et j'avoue que je ne comprends pas toujours vos questions, tant votre raisonnement est embrouillé et vos contradictions nombreuses.

M. Arnaud Montebourg - Rappel au Règlement. Je demande une suspension de séance pour que le rapporteur ait le temps d'éclaircir ses idées.

La séance, suspendue à 10 heures 10, est reprise à 10 heures 15.

L'amendement 400, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Arnaud Montebourg - Par l'amendement 401, nous proposons que le chef d'entreprise puisse demander le remplacement du conciliateur.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Nous avons adopté un autre dispositif permettant aux différentes parties de proposer un conciliateur au président du tribunal.

L'amendement 401, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - Il est souhaitable de garantir que le juge qui ouvre la procédure, en fixe la durée et désigne le conciliateur sera bien le même que celui qui traitera des poursuites individuelles éventuellement engagées par d'autres créanciers et qui pourraient être exercées dans un autre ressort. L'amendement 19 vise à garantir, en quelque sorte, une unité de lieu et de temps.

L'amendement 19, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Arnaud Montebourg - Dans le cadre de la procédure de conciliation, nous souhaitons renforcer le pouvoir du tribunal et donc de l'institution judiciaire. Le rapporteur a commencé à le faire, mais il faut aller plus loin de manière à ce que les équilibres entre les différents intérêts soient assurés. Nous aurons ainsi la garantie que les emplois ne seront pas passés par pertes et profits ni ne seront considérés comme une variable d'ajustement, tout comme les créanciers publics vis-à-vis notamment des créanciers financiers. Une contractualisation excessive de la procédure de conciliation conduirait à une « privatisation » de la procédure où le juge serait réduit à ratifier des choix opérés ailleurs, et notamment aux guichets des banques. Tel est le sens de l'amendement 398.

M. le Rapporteur - Cet amendement est satisfait par l'amendement 18 que nous avons voté.

L'amendement 398, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 6 modifié, mis aux voix, est adopté.

M. Arnaud Montebourg - Je demande une brève suspension de séance afin que les membres du groupe socialiste puissent se concerter avant d'aborder l'article 7, particulièrement important.

La séance, suspendue à 10 heures 20, est reprise à 10 heures 30.

ART. 7

M. Arnaud Montebourg - Permettre la rupture d'égalité entre les créanciers, comme le veut le Gouvernement, ne manquera pas de poser des problèmes à ceux qui en feront les frais. Offrir une sécurité supplémentaire aux banques ou aux actionnaires placera la procédure de conciliation dans une situation absolument nouvelle, obligeant les autres créanciers à s'engager dans une procédure publique, qui pourra donner lieu à des recours. Les privilèges octroyés à certains fragiliseront le dispositif et provoqueront l'inquiétude des chefs d'entreprise. Au total, les difficultés s'aggraveront. Le Garde des Sceaux et le rapporteur doivent nous expliquer leur stratégie.

M. Alain Vidalies - Il serait contradictoire de demander l'intervention de l'AGS dans le cadre de la conciliation, au motif, nous dit-on, que nous n'aurions pas accepté qu'on la fasse jouer par le biais des procédures des licenciement. L'intervention de l'AGS n'est pas une idée folle qui germerait dans les esprits des députés socialistes, puisque le Gouvernement la retient dans le cadre de la sauvegarde. Par contre, le choix d'ouvrir la conciliation aux entreprises in bonis, mais également à celles qui seront en cessation de paiements conduira à placer sous le même régime des entreprises dont les situations sont très différentes, et aboutira surtout à une forte pression des banques sur le chef d'entreprise.

M. le Rapporteur - La conciliation, je le reconnais, est un problème complexe. Les intérêts en présence ne sont pas identiques, et certains créanciers souhaitent disposer d'une sécurité juridique complète, donc d'un jugement du tribunal pour donner force exécutoire à la procédure. Nous avons bien entendu les arguments de ceux qui défendent la confidentialité, certains chefs d'entreprise ne voulant pas aller au tribunal, pour éviter une audience solennelle. Il convient, pour sauvegarder les entreprises, d'exclure tout dogmatisme, tant les situations sont variables. Quel rapport entre une entreprise qui rencontre une difficulté passagère et qui connaît bien ses créanciers, et une autre, confrontée brusquement à de sérieux problèmes ? Par l'amendement 20, nous proposons donc d'enrichir le dispositif du Gouvernement - lequel assure la sécurité juridique -, en proposant parallèlement une conciliation simplifiée, qui sera confidentielle à la condition que les parties le demandent. C'est un large choix qui sera ainsi ouvert au règlement de situations extrêmement différentes.

M. le Président de la commission - La conciliation est une technique fort intéressante, comme le mandat ad hoc ou le règlement amiable, qui fonctionnent bien. Mais nous avons souhaité qu'elle puisse se limiter à l'homologation et exclure la publicité. Une richesse de plus dans la palette, qui évitera de nombreux dépôts de bilan et fera évoluer les mentalités, car les chefs d'entreprises qui auraient hésité à faire le pas seront rassurés, j'en suis sûr, par l'absence de publicité. Cela devrait garantir le bon fonctionnement du système.

M. Philippe Houillon - Je suis très favorable à l'amendement de la commission. Mon sous-amendement 537 a pour objet d'assurer une sécurité juridique supplémentaire dans l'hypothèse de la constatation simplifiée de l'accord. Je propose que le débiteur doive déclarer qu'il ne se trouvait pas en cessation des paiements lors de la signature de l'accord, ou que cette signature y met fin. Il s'agit de sécuriser l'accord en cas de dépôt de bilan ultérieur et d'ouverture d'une procédure collective.

M. Arnaud Montebourg - Le sous-amendement de M. Houillon appelle deux remarques. Le fait que la cessation des paiements disparaît - la conciliation peut en effet intervenir en période de cessation des paiements - a tout d'abord des conséquences sur les sanctions éventuelles : la cessation des paiements et l'absence de déclaration du débiteur peuvent entraîner des sanctions envers les dirigeants de l'entreprise. Mais surtout, la conciliation va blanchir tous les actes antérieurs, ceux qui relèvent par exemple du soutien abusif, en cas d'échec ultérieur de la procédure de conciliation. Nous souhaitons donc obtenir des assurances sur la question de la banqueroute frauduleuse : s'il y a eu des détournements d'actifs antérieurs non repérés, et si ensuite la conciliation intervient, efface-t-elle, selon la commission et le Gouvernement, ces actes de banqueroute ? La question ne se pose qu'au cas où la procédure échoue et où l'on se retrouve en situation de liquidation. Mais elle est importante. On perçoit en effet dans ce débat une tentation de faire en sorte que la date de la cessation des paiements fixée par le tribunal de commerce emporte des conséquences sur la décision du tribunal correctionnel. Ce serait une nouveauté dans notre droit : le commercial tiendrait le correctionnel et l'empêcherait de réapprécier le comportement éventuellement délictueux des acteurs... Il y a là le danger de dispositions amnistiantes, alors que nous avons déjà assez de mal, dans les procédures, à atteindre les maisons mères pour les rendre responsables des agissements délictueux de leurs filiales - et ce n'est pas moi qui ai parlé de « patrons voyous »... Je souhaite donc que le Gouvernement nous donne sur ce point des apaisements, et précise l'interprétation de son texte.

Notre sous-amendement 635 a pour but de permettre au président du tribunal d'imposer une décision à certains créanciers réticents, malgré le droit de veto qu'ils pourraient vouloir exercer. Si la plupart des créanciers s'accordent, le président doit pouvoir imposer l'accord. C'est une logique moins contractuelle et plus judiciaire, donc plus conforme à l'intérêt général.

Quant au sous-amendement 636, il tend à faire homologuer l'accord non par le tribunal, mais par son président.

M. le Rapporteur - La commission s'est ralliée au sous-amendement de M. Houillon. Quant au sous-amendement 635, il tend à introduire une référence aux « principaux créanciers » ; mais cette formulation a déjà été introduite par l'amendement 18 que nous avons adopté. Le sous-amendement 636 n'a pas été examiné par la commission. J'y suis défavorable à titre personnel : permettre l'homologation par le seul président du tribunal serait lui attribuer des pouvoirs exorbitants du droit commun. Si nous voulons assurer la sécurité juridique d'un jugement, il faut que ce soit un jugement du tribunal.

M. le Garde des Sceaux - Le Gouvernement est très favorable à l'amendement 20. Au cours de la période de discussion qui a suivi la présentation de ce projet, en mai 2004, en Conseil des ministres, j'ai participé à nombre de réunions : elles ont fait apparaître l'importance, aux yeux de beaucoup de responsables économiques et de professionnels du droit, de cette question du droit d'option entre sécurité juridique et discrétion. La proposition de la commission apporte une excellente réponse à ces interrogations. Le Gouvernement est également favorable au sous-amendement de M. Houillon, qui améliore la sécurité juridique.

En revanche ? il est défavorable aux sous-amendements du groupe socialiste. Je réponds d'abord à une question de M. Montebourg : nous ne sommes pas en train de modifier le code pénal, et rien dans ce projet ne modifie les possibilités de poursuites pénales. Je pense que M. Montebourg le sait, mais s'il souhaite que je le confirme publiquement, je le fais volontiers.

Le sous-amendement 635 est contradictoire avec l'esprit du texte. Il apparaît au fil des amendements que le groupe socialiste est, au fond, hostile à cette procédure de conciliation, ce qui est son droit. Je suis également hostile au sous-amendement 636, lui aussi contraire à la souplesse qui doit caractériser la démarche de conciliation.

M. Arnaud Montebourg - Sur le sous-amendement de M. Houillon, le Gouvernement ne nous a pas vraiment répondu. Je sais bien que nous ne modifions pas le code pénal. Mais, dans la définition de la banqueroute frauduleuse, la date de la cessation des paiements est un élément de l'infraction. Si donc on fait disparaître la cessation des paiements dans le cadre de la procédure de conciliation, cela aura des conséquences directes sur l'interprétation que devra faire le tribunal correctionnel quant à l'établissement de l'état de cessation des paiements, ou non, de la société au moment de la conciliation. Par conséquent, si nous ne touchons pas directement au droit pénal, nous y touchons indirectement. Nous demandons donc l'assurance que l'appréciation faite dans le cadre de la conciliation n'emporte pas celle du juge correctionnel et que le pénal reste autonome par rapport au commercial. C'est d'ailleurs dans ce sens que s'exprime M. le Garde des Sceaux, mais pas assez clairement.

En réponse à notre sous-amendement 635, M. le rapporteur, qui feint toujours de ne pas nous comprendre, invoque l'amendement 18 qui fait déjà référence aux « principaux créanciers ». Mais il s'agissait alors du conciliateur, et non du juge comme ici. Nous demandons précisément le parallélisme des formes : ce que vous faites pour le conciliateur, faites-le pour le juge. Si vous refusez de lui donner cette possibilité d'être volontariste et d'infléchir la volonté de certains créanciers, cela signifie que vous lui donnez moins de pouvoirs qu'au conciliateur. Contrairement à ce que dit M. le Garde des Sceaux, nous souscrivons à l'esprit de la conciliation ; c'est bien pourquoi nous nous sommes battus pour que les salariés y soient associés. Les attaques contre les socialistes n'ont pas de sens ici : nous travaillons pour donner à cette loi un visage présentable et faire que tous puissent s'y retrouver.

Quant au sous-amendement 636, nous le retirons.

M. Philippe Houillon - Je suis surpris de voir que M. Montebourg comprend systématiquement le contraire de ce qui est écrit. Je veux le rassurer sur mon sous-amendement 537. Il prévoit non pas une décision de justice, mais une déclaration du débiteur...

M. Arnaud Montebourg - Avec homologation !

M. Philippe Houillon - Non : le président statue au vu d'une déclaration. Par celle-ci le débiteur s'engage et se responsabilise, ce qui permettra éventuellement de l'incriminer davantage encore en cas de mauvaise foi par la suite. C'est donc tout le contraire de ce que vous dites.

M. le Rapporteur - M. Houillon a répondu avec une parfaite clarté. Je souhaite clarifier la question soulevée à propos du droit pénal. Notre code pénal est riche. Le détournement d'actifs et l'abus de biens sociaux sont couverts par deux délits dans le code. Les peines les plus sévères s'appliquent à l'abus de biens sociaux. Le fait déclencheur est le détournement d'actifs et non la cessation de paiements.

La banqueroute vise les mêmes faits - détournement d'actifs - et intervient après la cessation de paiements.

M. Arnaud Montebourg - Voilà !

M. le Rapporteur - Mais elle est moins sévèrement réprimée. Avant la cessation de paiements, l'abus de biens sociaux couvre tout. Curieusement, le texte applicable à la banqueroute est moins sévère. Mais qui peut le plus peut le moins : la totalité des faits de détournement d'actifs est couverte par notre code pénal.

M. Alain Vidalies - Ne parvenant pas à concilier l'efficacité de la procédure et la sécurité, la commission a finalement laissé le choix aux intéressés. Soit, mais deux questions se posent alors. Dans le cas où le président ne fait que constater, la décision n'est ni soumise à publicité, ni susceptible de recours. Quid des droits des tiers, auxquels elle peut porter préjudice ?

Deux cas de figure sont désormais envisageables à l'article L. 611-8 : la constatation et l'homologation. Dans le deuxième cas, on renvoie à un certain nombre de conditions, dont la première est commune avec le premier cas. Faut-il en déduire que les deux autres - « les termes de l'accord sont de nature à assurer la pérennité de l'entreprise » et « l'accord ne porte pas atteinte aux intérêts des créanciers non signataires » - ne s'imposent plus dans le premier cas ? Il serait souhaitable que le rapporteur puisse répondre sur ces deux points.

M. Arnaud Montebourg - Je suis surpris de la désinvolture avec laquelle M. le rapporteur répond à nos demandes d'apaisement. Nous ne demandons pas le Pérou, mais la clarté !

M. de Roux s'étonne que je défende la banqueroute, délit moins sévèrement réprimé que l'abus de biens sociaux. Mais si le délit de banqueroute contient comme élément matériel l'état de cessation de paiements, il est normal que l'on se demande si vous n'êtes pas en train de le supprimer quand vous touchez à la cessation de paiements !

En cas de banqueroute, les organisations syndicales et les organisations représentatives du personnel peuvent se constituer partie civile. Ce n'est pas le cas s'agissant des abus de biens sociaux.

M. de Roux daignera-t-il enfin répondre clairement et sans ironie à nos inquiétudes ?

M. le Rapporteur - Je veux bien répondre à des questions claires, et je vais rassurer M. Vidalies. Mais de vous à moi, Monsieur Montebourg, je ne comprends goutte à vos questions ! Vous avez une logique étrange, qui n'est pas la mienne : je ne peux pas répondre à un patchwork d'idées sans cohérence. Un minimum de méthode s'impose.

Le I de mon amendement, Monsieur Vidalies, prévoit clairement qu'il n'y a pas d'effets vis-à-vis des tiers, ce qui est logique eu égard au choix de la confidentialité.

Dès lors qu'il s'agit d'un jugement du tribunal, il est soumis à la tierce opposition et emporte un effet juridictionnel.

Le sous-amendement 537, mis aux voix, est adopté.

Le sous-amendement 635, mis aux voix, n'est pas adopté.

Le sous-amendement 636 est retiré.

L'amendement 20 sous-amendé, mis aux voix, est adopté.

M. Arnaud Montebourg - Rappel au Règlement. Le rapporteur a décidé d'agréer certains orateurs de l'opposition et de refuser de répondre aux autres. Est-il le rapporteur de la commission ou de ses seuls caprices ? S'il ne comprend pas nos questions, nous les réitérerons jusqu'à ce que nous obtenions satisfaction. Nous souhaitons qu'il réponde, ainsi que le Garde des Sceaux, à la question que pose Mme Eva Joly dans son ouvrage L'abus de biens sociaux à l'épreuve de la pratique. Dans la conciliation, nous décidons d'intervenir sur la date de cessation des paiements...

M. le Président - Nous quittons le champ du rappel au Règlement.

M. Arnaud Montebourg - Le rappel au Règlement est relatif à l'organisation des débats, et j'ai fait l'objet d'une rebuffade de la part du rapporteur...

M. le Rapporteur - Je voulais vous répondre !

M. le Président - Laissons M. Montebourg terminer.

M. Arnaud Montebourg - Convenez que je ne suis pas encombrant ! Nous avons simplement besoin de clarifications. Lorsqu'on touche à la cessation des paiements, quelle est la valeur de ce choix et quelles en sont les conséquences sur le plan pénal ?

M. le Garde des Sceaux - Je confirme en tous points la réponse que vous a donnée M. Houillon et que vous connaissez, Monsieur Montebourg : vous savez très bien que la déclaration du débiteur n'engage que lui-même.

M. Arnaud Montebourg - Merci !

M. le Rapporteur - Je réponds aux questions quand je les comprends, Monsieur Montebourg. Encore une fois, il semble que vous n'ayez pas lu le texte : la conciliation ne fixe pas de date de cessation de paiements, elle permet simplement de se prolonger après son intervention.

Les amendements 402 et 403 2e rectification tombent.

Mme Jacqueline Fraysse - M. le Garde des Sceaux a affirmé lors de son audition par la commission, et nous avons lu dans le dossier de presse du ministère, que votre principale préoccupation était celle du maintien de l'emploi dans les entreprises en difficulté. Je crois que nous la partageons tous.

Nous regrettons donc que le texte traite surtout de la garantie des intérêts des créanciers, oubliant la garantie de l'emploi, qui devrait être privilégiée dans le contexte actuel. Le taux de chômage avoisine les 10% ; plus de 6% de la population est pauvre, proportion qui tend à augmenter ; le nombre d'allocataires du RMI a augmenté de 10,5% entre juin 2002 et juin 2004, et celui des dossiers de surendettement de 22% entre le premier trimestre 2003 et le premier trimestre 2004. Alors que nous sommes en phase de reprise, seuls 40 000 emplois ont été créés : les entreprises préfèrent augmenter leurs profits et conforter leurs marges plutôt que de consentir des investissements productifs et favorables à l'emploi.

Le maintien de l'emploi devrait guider le traitement des entreprises en difficulté.

Pour toutes ces raisons, l'amendement 458 tend à ce que le maintien de l'emploi soit également un critère d'homologation de l'accord de conciliation.

Ce gouvernement multiplie les actions visant à précariser l'emploi, à faciliter les licenciements économiques, à démanteler le code du travail. Il est temps de recentrer ce texte autour de la sauvegarde de l'entreprise, et partant, de l'emploi. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. le Rapporteur - Puisque ce texte a pour objet la sauvegarde des entreprises, il tend bien évidemment à préserver l'emploi ! Plus on permettra aux entreprises de se développer et d'être efficaces, plus il y aura d'activité, plus il y aura d'emplois. On ne peut séparer l'emploi de l'entreprise.

M. le Garde des Sceaux - Je partage le souci de Mme Fraysse, mais je rappelle que l'article 6 dispose déjà que le conciliateur peut présenter toute proposition se rapportant à la sauvegarde de l'entreprise, à la poursuite de l'activité économique, et au maintien de l'emploi. L'article 7, en ce qu'il met en œuvre les objectifs fixés à l'article 6, ne retient que l'expression juridique de « pérennité de l'activité de l'entreprise ». Il me semble que cela suffit, et peut-être pourriez-vous retirer votre amendement.

M. Gérard Bapt - En tant qu'élu local, je peux vous dire que lorsque l'on s'entretient avec les dirigeants d'entreprises en difficulté, il apparaît que le maintien de l'emploi n'est pas la principale préoccupation des tribunaux de commerce.

La gestion de l'emploi pourrait être une variable d'ajustement de la sauvegarde des entreprises. L'objet de l'entreprise est de faire travailler les gens, car ce sont eux qui créent la valeur, et je pense qu'il ne serait pas inutile d'introduire un peu de social dans ce dispositif juridique, conformément, du reste, au « contrat » du Premier ministre pour 2005.

M. Alain Vidalies - L'amendement 544 tend au même objectif. Vous l'avez dit, le conciliateur présente toute proposition se rapportant à la sauvegarde de l'entreprise, à la poursuite de l'activité économique, et au maintien de l'emploi. Mais que se passera-t-il en cas de tierce opposition à l'accord d'homologation, et d'absence d'institution représentative du personnel ? Le tribunal examinera le recours au regard du critère que vous fixez à l'article 7, à savoir la pérennité de l'activité de l'entreprise. Le maintien de l'emploi sera-t-il alors pris en compte ? Accepter cet amendement dissiperait nos inquiétudes.

M. Michel Vaxès - Vous prétendez que notre amendement serait satisfait par votre texte, mais pourriez-vous confirmer qu'en cas de conciliation, il y a forcément maintien de l'emploi ?

M. le Rapporteur - Quand une entreprise est en difficulté, il est évident que les emplois sont en danger, mais l'entreprise est d'abord un lieu où l'on créé des produits, des services, où l'on répond aux besoins des consommateurs. L'emploi ne saurait être séparé de l'entreprise.

Si vous maintenez l'entreprise, vous maintenez l'emploi. Reportez-vous à l'amendement 18 qui rappelle que l'une des missions du conciliateur est de formuler des propositions de nature à sauvegarder l'emploi.

Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à ces amendements.

M. le Garde des Sceaux - Même avis. Si le salarié est parfaitement en droit d'introduire une tierce opposition, celle-ci ne peut systématiquement conduire au maintien de tous les emplois dans l'entreprise ! Vous savez bien, pour l'avoir vécu sur le terrain, que lorsqu'une entreprise est en difficulté, tout est fait pour sauver le maximum d'emplois, mais il y en a forcément qui sont sacrifiés !

Si la proposition de M. Vaxès signifie que le nombre d'emplois doit rester fixe, je ne peux qu'y être défavorable.

M. le Président de la commission - C'est un rêve !

Les amendements 458 et 544, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Arnaud Montebourg - Je souhaite rectifier notre amendement 404 en remplaçant, à la seconde ligne, « l'alinéa précèdent » par « l'article 611-11 ».

Dans la procédure de conciliation, on va accorder aux créanciers bancaires un « superprivilège ». Dans la discussion générale, nous avons déploré qu'on le fasse sans disposer de la moindre étude d'impact sur le rôle des banques dans les difficultés de financement des petites entreprises. Si une banque à 50% publique y consacre sept milliards, c'est bien parce que le système bancaire privé, malgré des profits record - quatre milliards pour BNP-Paribas - se refuse à prendre ce risque. Dès lors, si on fait un tel cadeau aux banques, quel cadeau feront-elles à l'économie française, aux PME ? Certains collègues de la majorité se le sont demandé également en commission des finances. Sans prendre une position radicale, comme le prétend le rapporteur, nous proposons un équilibre. Comme la loi sur les nouvelles régulations économiques a fait progresser la responsabilité des entreprises sur le plan social et de l'environnement, nous proposons que n'accèdent à ce privilège dans la procédure de conciliation que les banques qui auront fourni un rapport annuel sur leur politique de financement des PME et des très petites entreprises. Trop souvent, elle les mettent au tapis. Fournir ces informations serait très instructif. Les lobbies bancaires ont montré leur puissance lors des travaux préalables avec la chancellerie et lors des travaux de la commission des lois. Au moins, demandons un peu de transparence sur leur comportement économique.

M. le Rapporteur - Si M. Montebourg a lu mon rapport, il y aura trouvé un certain nombre de considérations sur ce que j'appelle l'industrialisation des banques. En effet, la nationalisation a conduit à la suppression des banques régionales et à la constitution de très grands groupes qui appliquent des ratios prudentiels assez mécaniques pour décider de leurs engagements, ce qui a pu avoir des effets sur les très petites entreprises. Il y a là un problème sur lequel je suis persuadé que la commission des finances mènera la nécessaire réflexion.

Pour autant, nous sommes déjà encombrés de rapports...

M. Arnaud Montebourg - Nous ne sommes pas encombrés ! Il n'y en a pas assez !

M. le Rapporteur - Nous sommes encombrés par des rapports que personne ne lit, nous en recevons même des kilos de la part des banques. Personnellement, j'y jette un coup d'œil pas forcément attentif. Un rapport de plus, c'est un cautère sur une jambe de bois. Défavorable.

M. le Garde des Sceaux - Avis défavorable.

M. Arnaud Montebourg - Le diagnostic du rapporteur est exact et, dans son rapport, il déplore lui-même qu'il n'y ait pas eu de loi relative au financement de l'économie. S'il y a un sujet dont la puissance publique doit se préoccuper, c'est bien celui-là. Où va l'épargne ? Comment les profits insolents des banques peuvent-ils être réinvestis au service de l'intérêt général ? Elle doit aussi se pencher sur les refus de financement en raison de dispositions prudentielles. La banque de développement des PME et la Sofaris ne font que se substituer, avec l'argent des contribuables, à un système bancaire frileux. Nous avons toujours négligé cet aspect. Un rapport permet au moins de juger. C'est un premier pas nécessaire, mais si vous souhaitez des mesures plus radicales, nous serons au rendez-vous.

L'amendement 404 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur pour avis - Par mon amendement 288, je propose que lorsqu'il n'y a pas restructuration d'entreprise et donc pas de conséquences sur l'emploi, le tribunal n'ait pas obligation d'entendre les représentants du comité d'entreprise pour homologuer l'accord de conciliation. Il le fera s'il le juge nécessaire.

M. le Rapporteur - La commission ne l'a pas accepté.

M. le Garde des Sceaux - Exclure l'audition du comité d'entreprise lorsqu'il n'y a pas d'incidence sur l'emploi - comment la mesurer ? - serait source de contentieux. D'autre part, le code du travail prévoit clairement que le comité d'entreprise soit entendu dans ce type de circonstances. Je préfèrerais le retrait de l'amendement.

M. le Rapporteur pour avis - Je soutiens totalement la procédure de conciliation qui, sans être opposable, constituera un cadre fiable. Ce que je craignais, c'est qu'en l'engageant, on soit obligé de convoquer le ban et l'arrière-ban alors même qu'il n'y aurait pas d'incidence directe sur l'emploi. Mais dans la mesure où le rapporteur a prévu qu'il y ait une possibilité d'engager cette procédure sans homologation formelle par le tribunal, mon amendement est partiellement satisfait et je le retire.

Mme Jacqueline Fraysse - Notre amendement 459 vise, de nouveau, à faire entendre la voix des salariés dans toutes les procédures de soutien aux entreprises en difficulté. Cela suppose d'admettre qu'ils sont des acteurs de la vie de l'entreprise, non ses ennemis.

Le chef d'entreprise a évidemment intérêt à ce que son entreprise fonctionne. Mais les salariés aussi. En douteriez-vous ? Il faut donc qu'ils puissent être entendus à chaque étape de la procédure. Or, le projet prévoit certes que le tribunal entende les représentants du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, mais dans les petites entreprises, il n'y a ni comité d'entreprise, ni délégués du personnel. L'expression des salariés n'est donc pas assurée. Je sais aussi qu'il est écrit que le tribunal peut entendre toute autre personne dont l'audition lui paraît utile, mais mieux vaut préciser qui doit être obligatoirement entendu, à savoir, selon nous, les délégués du personnel s'ils existent ou, à défaut, les salariés.

M. Alain Vidalies - Je pense que si l'on écrit que le tribunal entend « les représentants du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel », on ne vise que les entreprises de plus de 50 salariés. Plusieurs décisions de la Cour de cassation vont, en tout cas, en ce sens. C'est précisément la raison pour laquelle nous proposons, dans notre amendement 545, de supprimer les mots « à défaut ». Les entreprises de plus de onze salariés pourraient ainsi être elles aussi visées.

M. le Rapporteur - L'article L. 611.9 vise expressément les représentants du comité d'entreprise et les délégués du personnel et dit que le tribunal peut entendre toute autre personne dont l'audition lui paraît utile, éventuellement donc un ou deux salariés. Dans le cas d'une entreprise de plus de 50 salariés, il y a aura obligatoirement consultation du comité d'entreprise. S'il n'y en a pas, les délégués du personnel seront obligatoirement consultés. Reste, c'est vrai, le cas des petites entreprises de moins de 11 salariés.

M. Alain Vidalies - Nous ne sommes pas d'accord sur l'état actuel du droit positif. Si le texte parle des représentants du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, cela ne signifie pas que seules les entreprises de moins de 11 salariés sont hors du champ d'application de l'article, mais simplement que lorsqu'une entreprise de plus de cinquante salariés n'a pas de comité d'entreprise, ce seront ses délégués du personnel que le tribunal entendra. Le but de notre amendement est que le texte prenne aussi en compte les entreprises qui ont entre 11 et 50 salariés.

M. le Rapporteur - Je crois que nous sommes d'accord sur le fond et que le texte couvre les cas que vous visez.

M. le Garde des Sceaux - Il me semblait aussi que le « à défaut » couvrait le cas des entreprises de 11 à 50 salariés, mais je vais demander aux services du ministère du travail d'expertiser la question.

M. Alain Vidalies - Très bien.

M. Michel Vaxès - Nous attendons nous aussi des éclaircissements.

M. le Garde des Sceaux - Peut-on réserver la discussion de ces amendements en attendant l'éclaircissement souhaité ?

M. le Président - Oui.

M. Alain Vidalies - Je prends acte du fait que le Gouvernement souhaite que son texte couvre les entreprises de plus de 11 salariés. Si mon raisonnement était faux, nous pourrons en rester au texte actuel tel qu'il a été interprété par le ministre. Si mon interprétation était juste, il faudra modifier le texte dans le sens que nous souhaitons apparemment tous.

M. le Rapporteur - L'amendement 21 est de coordination.

L'amendement 21, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 634 de la commission propose une nouvelle rédaction de l'article L. 611-10. La modification la plus importante consiste à dire que le tribunal doit prononcer automatiquement la résolution de l'accord homologué s'il a été saisi par l'une des parties et a constaté l'inexécution des engagements pris.

Une autre consiste à ramener à dix jours la durée du recours en tierce opposition contre l'accord homologué. Faute de la précision que nous proposons, la durée de recours serait celle de droit commun, à savoir trente ans, ce qui fragiliserait excessivement - et paradoxalement - l'accord en question.

Par cohérence avec le dispositif prévu en ce qui concerne le plan de sauvegarde par l'article L. 628-8, il est d'autre part proposé d'inscrire dans la loi le principe selon lequel les cautions personnes physiques peuvent se prévaloir des délais accordés par l'accord de conciliation. La caution, qui est en quelque sorte « accessoire » au contrat, doit bénéficier des mêmes avantages que le principal. Ce principe vient d'être consacré par la jurisprudence mais il est préférable, pour éviter tout revirement de celle-ci, de le consacrer aussi dans la loi.

M. le Garde des Sceaux - Avis favorable, même si cet amendement relève essentiellement du domaine règlementaire. J'espère que le Conseil constitutionnel ne sanctionnera pas pareil empiètement législatif (Sourires).

M. Arnaud Montebourg - Je retire les sous-amendements 647 et 648. Quant au 649, il vise, une fois l'accord obtenu, à lever les interdictions d'émission de chèques.

M. le Rapporteur - Ce sous-amendement crée inutilement une automaticité. Avis défavorable.

M. le Garde des Sceaux - Je ne veux pas mettre en porte-à-faux M. le rapporteur...

M. le Rapporteur - Je n'y vois pas malice ! (Sourires)

M. le Garde des Sceaux - ...mais, cette automaticité me paraissant plutôt bienvenue, je suis favorable au sous-amendement.

M. Arnaud Montebourg - Je rappelle qu'initialement cette proposition avait été formulée dans un amendement mais, le rapporteur ayant réécrit de nombreux passages à l'article 88, nous sommes contraints de déposer des sous-amendements afin de reconstituer notre pouvoir d'amendement, ce qui complique bien entendu le bon déroulement de nos débats. Je prie donc nos collègues de bien vouloir nous en excuser.

Avec ce sous-amendement, je tenais également à montrer que M. le rapporteur n'avait pas la science infuse.

Le sous-amendement 649, mis aux voix, est adopté.

L'amendement 634 ainsi sous-amendé, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - Le vote sur l'article est réservé.

M. le Garde des Sceaux - Je propose en effet à la représentation nationale de remettre le vote à la séance de cet après-midi, car je serai alors en mesure de vous faire une proposition dissipant toutes vos interrogations sur le sens de cet article.

ART. 8

M. Paul Giacobbi - Je vous prie de m'excuser de prendre la parole puisque selon M. le rapporteur, je n'ai pas lu le texte, je ne connais pas le droit et je suis même victime d'hallucinations juridiques. Ne m'a-t-on pas reproché mon absence lors du débat sur la loi Le Chapelier, ce que je concède volontiers, mes ascendants directs ne siégeant que depuis le fin du XIXe siècle (Sourires). A propos de ce genre d'incompréhension, La Rochefoucauld a parlé de plaisir de gourmet et comme vous me l'avez procuré de façon répétitive depuis deux jours, je vous invite à continuer (Sourires).

Sur un plan formel, je note que l'article comporte des lourdeurs. Sur le fond, il conviendrait d'être un peu plus explicite sur la procédure à laquelle s'applique la disposition créant le privilège de paiement. En effet, selon l'article 8, ce privilège ne vaut que pour les créances nées avant l'ouverture de la conciliation, alors que l'article 34 semble l'étendre à la procédure de sauvegarde.

En outre, le Conseil constitutionnel admet que l'ordre des créances puisse être modifié, mais à condition que cela soit motivé par l'intérêt général. Or, quel intérêt général « supérieur » peut-il faire passer le créancier privé qui remet de l'argent avant le créancier public ? Le projet place systématiquement ce dernier dans une situation d'infériorité, y compris dans le cas où il accorde des délais de paiement ou même s'il consent à abandonner une partie de ses créances. J'ajoute à ce propos que le créancier public n'est même pas représenté au titre de la sauvegarde dans le comité de créanciers, pas plus d'ailleurs que les salariés. Aux Etats-Unis, c'est le contrôleur fédéral qui décide de la composition du comité des créanciers et qui veille souvent à réunir dans un comité particulier les créanciers privilégiés et les salariés. Que diriez-vous si nous demandions qu'en France la procédure soit encadrée par un fonctionnaire d'Etat ?

Enfin, vous êtes très maladroits en matière de soutien abusif, et plus vous amenderez le texte, plus la situation empirera, mais nous aurons l'occasion d'y revenir.

M. Arnaud Montebourg - Nous arrivons au cœur de notre désaccord politique. L'article 8 privilégie doublement les banques en accordant un superprivilège aux apporteurs d'« argent frais » et en les sécurisant au point de mettre fin à la notion de soutien abusif. L'article est en outre confus : qui, de la banque ou de l'actionnaire, bénéficiera de ce superprivilège ? De plus, l'article implique une rupture d'égalité entre les créanciers : qu'en sera-t-il constitutionnellement ? La rupture d'égalité est en effet compatible avec la Constitution à condition toutefois qu'elle soit justifiée par l'intérêt général mais le Conseil constitutionnel n'a jamais affirmé que la rupture d'égalité des créanciers entre eux, elle, était constitutionnelle.

Enfin, quelles contreparties les banques proposeront-elles à ce magnifique cadeau ? Feront-elles par exemple des efforts sur le niveau des taux ? La CGPME, qui n'est pas une officine bolchevique, a souligné que lorsque le banquier accordait un crédit, il se payait déjà lui-même. Lorsque le City Group réalise 17 milliards de dollars de bénéfice sur l'exercice 2004, que 1 000 personnes sont licenciées, que dans le même temps les marges de profit augmentent de 20%, ou que la BNP affiche la même année 4,6 milliards de bénéfice, on est en droit de penser que les banques pourraient faire un petit effort.

Vous n'auriez pas le choix, dites-vous, car les banques sont les plus fortes. Nous trouvons désastreux de briser ainsi l'égalité entre créanciers !

Quant au soutien abusif, comment pourrait-on créer des clauses d'irresponsabilité à raison de son propre comportement ? Et ce n'est pas une loi dirigiste, que je sache, qui a établi la règle en la matière, mais la jurisprudence, qui a appliqué l'article 1382 du code civil obligeant celui qui commet une faute à réparer les conséquences de ses actes. Au demeurant, il est impossible de réglementer le soutien abusif - le Conseil constitutionnel l'a maintes fois rappelé - parce que l'exonération de responsabilité est inconcevable. Seul le Président de la République échappe à toute responsabilité, en vertu de la Constitution.

M. le Rapporteur - Ca manquait !

M. Arnaud Montebourg - Pour créer les conditions de l'irresponsabilité, il faut avoir un curieux sens de l'intérêt général. La Constitution le justifie pour le Président de la République. Mais pour les établissements bancaires qui affichent des profits insolents et ne prennent aucun risque pour financer l'économie, vous allez un peu loin ! C'est un point sur lequel nous vous contestons toute légitimité politique.

M. le Rapporteur - Rien que ça !

M. Arnaud Montebourg - Les condamnations rendues pour soutien abusif ? Elles se comptent sur les doigts d'une main, sans compter que l'encours maximal n'a jamais dépassé en une année 14 millions d'euros, une goutte d'eau dans l'océan de richesse des banques.

M. le Rapporteur pour avis - Pourquoi ai-je utilisé la notion de « superprivilège », qui n'existe du reste dans aucun code ? Parce que je ne voyais pas pourquoi les banques, au moment où l'entreprise connaît des difficultés, devaient bénéficier d'un avantage supplémentaire par rapport aux autres partenaires de l'entreprise.

M. Arnaud Montebourg - Très juste !

M. le Rapporteur pour avis - Selon moi, un principe d'équité s'impose : tous ceux qui prennent le risque d'apporter de l'argent, des services et des biens à une entreprise doivent pouvoir bénéficier du même privilège. De ce point de vue, l'amendement 574 du rapporteur me convient parfaitement, qui s'applique aussi bien aux établissements de crédits, aux entreprises d'affacturage qu'à toutes les entreprises qui veulent contribuer à la pérennité du débiteur, en lui apportant un bien ou un service. Voilà une vision très large de la conciliation ! Bref, il s'agit d'apporter un superprivilège à tous ceux qui permettront à une entreprise de redémarrer.

M. le Rapporteur - Se souvient-on, lorsque nous étions dans l'opposition, de nos protestations contre ce fameux article 40 de la loi de 1985, qui avait pour objet de donner aux banques un superprivilège et de permettre aux banquiers d'être payés en priorité ? C'est parce que cet article nous semblait porter atteinte à l'égalité des créanciers que nous avions saisi le Conseil constitutionnel, lequel a rejeté notre demande en mettant en avant l'intérêt général, celui de la pérennité de l'entreprise. Depuis, le droit a coulé sous les ponts, et la notion d'intérêt général fait l'unanimité. Pourquoi alors toutes ces querelles sémantiques ?

M. Arnaud Montebourg - Nous en reparlerons !

M. le Rapporteur - Pourquoi jeter l'anathème sur les banques et en faire l'ennemi public numéro 1 ? Pourquoi cette propagande ? On se croirait revenu au temps de Balzac, pire, de Lénine, lorsque certains pensaient être dévorés par l'hydre de Zurich. En 1985, M. Badinter n'a-t-il pas privilégié l'intervention des banques après le dépôt de bilan ? Bref, arrêtons les fantasmes !

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu, cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 25.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE


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