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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 69ème jour de séance, 170ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 9 MARS 2005

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

FINANCEMENT DE L'HÔPITAL PUBLIC 2

AVENIR DU PAQUEBOT FRANCE 3

CONTRAINTES EUROPÉNNES SUR LES MUTUALITÉS 3

LOI PERBEN II 4

RÉFORME DU PACTE DE STABILITÉ 4

TOURISME 5

RÉFORME DE L'ÉCOLE 6

CONSTRUCTION DE LOGEMENTS 7

SERVICES AUX PERSONNES ÂGÉES 7

DÉLINQUANCE 8

AGENCE NATIONALE DE LA RECHERCHE 9

EXONÉRATION DE CHARGES DES MAÎTRES D'APPRENTISSAGE 9

MARCHÉ DU PÉTROLE 10

SAUVEGARDE DES ENTREPRISES
(suite) 11

EXPLICATIONS DE VOTE 11

AÉROPORTS 14

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 20

QUESTION PRÉALABLE 27

DÉCRET RELATIF AU RÉFÉRENDUM
SUR LA CONSTITUTION EUROPÉENNE 37

La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

FINANCEMENT DE L'HÔPITAL PUBLIC

M. Alain Claeys - Monsieur le ministre de la santé, vous avez engagé une réforme du financement de l'hôpital qui porte atteinte à ses missions de service public. Celle-ci s'effectue en outre dans une confusion regrettable, qui déstabilise totalement la communauté hospitalière. La tarification à l'activité, qui se met en place laborieusement, prévoit une convergence des tarifs entre public et privé alors que les contraintes des deux secteurs ne sont pas du tout les mêmes. Les crédits de l'assurance maladie risquent bel et bien de glisser de l'hôpital public vers l'hospitalisation privée.

Par ailleurs, le cadrage budgétaire n'a été connu que le 4 mars, soit avec deux mois de retard, ce qui rend difficile l'élaboration des budgets hospitaliers 2005, qui doivent pourtant être soumis aux ARH avant le 15 mars. Votre circulaire à ce sujet annonce également une diminution de 1,4% des moyens des établissements, laquelle, inévitablement, entraînera reports de charges et suppressions d'activités.

Pour ce qui est des missions d'intérêt général, qui font pourtant la spécificité de l'activité hospitalière publique, le manque de pilotage clair et l'absence de financement laissent la communauté hospitalière perplexe.

Aussi, Monsieur le ministre, vous poserai-je quatre questions simples. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Comment comptez-vous financer le simple maintien des moyens des établissements hospitaliers, qui suppose mécaniquement d'accroître leur budget de 5% ? L'Etat tiendra-t-il en 2005 les engagements qu'il a pris dans les contrats d'objectifs et de moyens, et si oui, sur quel budget ? A combien s'élève en 2005 les moyens transférés du public vers le privé du fait de la convergence des tarifs ? Enfin, quand sera publié l'arrêté définissant les missions d'intérêt général et les activités contractuelles de l'hôpital, qui aurait du l'être en octobre 2004 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - A tant de questions, il serait plus simple pour le ministre de répondre par écrit...

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille - Le 3 mars dernier, nous avons adressé un cadrage budgétaire à toutes les ARH. Nous avons décidé qu'en 2005, la tarification à l'activité passerait de 10% à 25%. Monsieur Claeys, vous aurait-il échappé que les missions d'intérêt général ne seront pas mises sur le compte des tarifs hospitaliers ? Les 4 milliards d'euros y afférant ne s'y retrouvent d'ailleurs pas. Sur ce point, vous pouvez donc être rassuré.

Pour le reste, vous ne ferez croire à personne que l'hôpital public serait sous-financé en 2005 alors que la représentation nationale a voté à son profit deux milliards supplémentaires par rapport à 2004, dont 370 millions pour le plan de santé publique, le plan santé mentale, le plan cancer, le plan maladies rares, le plan périnatalité et le plan urgences.

Pour conclure, je prendrai le cas des prothèses orthopédiques. Depuis vingt ans, celles-ci figurent dans le budget global des établissements, si bien que systématiquement, ou bien ceux-ci doivent arrêter d'en poser dès novembre ou bien ne peuvent fournir que les appareillages les moins chers. Eh bien, j'ai décidé d'ôter les prothèses du budget global, ce qui aidera grandement les services de chirurgie des hôpitaux publics. Monsieur Claeys, honnêtement, ceux qui ont fait le plus de mal à l'hôpital public sont ceux qui n'y ont pas financé les 35 heures ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste)

AVENIR DU PAQUEBOT FRANCE

M. Claude Leteurtre - La France peut-elle de nouveau abandonner le France ? Alors que le navire se trouve en Allemagne depuis 2003, la chambre de commerce et d'industrie du Calvados se bat, aux côtés d'un investisseur privé, pour le faire revenir en France, à Honfleur, face au port du Havre où il a tant d'amis. Le Gouvernement a accepté le principe d'un classement partiel du navire en monument historique et le port autonome du Havre a confirmé sa participation éventuelle au projet honfleurais. Or, les dernières nouvelles sont inquiétantes. En effet, le France pourrait être vendu par son propriétaire pour devenir un hôtel flottant à Singapour, autant dire que le navire irait directement se faire dépecer sur une plage du Sud-est asiatique. Cette vente n'est qu'un prétexte pour permettre aux ferrailleurs de contourner la réglementation européenne en matière de désamiantage. Comment pourrions-nous l'accepter ?

Le projet honfleurais, qui représente un coût de 45 millions d'euros, dont les deux tiers sont d'ores et déjà trouvés, donnerait du travail pendant deux ans au port de Cherbourg, où le France serait aménagé, et créerait ensuite six cents emplois directs dans le Calvados.

Le France, qui fait partie de notre patrimoine national, présente également un intérêt économique certain. Que compte faire le Gouvernement pour qu'il revienne dans le pays dont il a porté le pavillon sur toutes les mers ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et plusieurs bancs du groupe UMP)

M. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer - Dès que nous avons appris, l'été dernier, l'existence d'un projet de retour du France dans notre pays, nous avons immédiatement proposé aux promoteurs du projet un soutien technique, et le port autonome de Rouen, avec le soutien de l'Etat, des collectivités et des chambres consulaires, a prévu les infrastructures d'accueil nécessaires pour un montant de 16 millions d'euros. Mais nous avons également pris la mesure du coût d'un tel projet. La remise en état du navire se chiffre en effet en centaines de millions d'euros et sa maintenance annuelle en dizaines de millions. C'est pourquoi, avec l'accord du ministre de la culture, nous avons pensé le faire classer partiellement en monument historique, ce qui rendrait possibles des aides fiscales pouvant aller jusqu'à 50 millions. Ce projet, à forte portée symbolique, peut être créateur d'emplois, vous l'avez dit. Encore faut-il qu'il soit viable sur le plan économique.

Pour le reste, le navire ne pourra pas être vendu à des ferrailleurs de je ne sais quel pays, aux termes mêmes de la convention de Bâle, dont la France est signataire, qui interdit l'exportation de matériels comportant des matériaux polluants. Or, le France contient 900 tonnes d'amiante. Il faut donc être particulièrement vigilant, nous le serons. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

CONTRAINTES EUROPÉNNES SUR LES MUTUALITÉS

M. Jacques Desallangre - « Mettez fin aux exonérations fiscales en faveur des mutualités pour les autres risques que la maladie ». Telle est la dernière injonction de la Commission européenne, qui poursuit son travail de sape pour supprimer les prétendus avantages dénoncés par les assureurs privés. Allons-nous pleurer sur les 25% de bénéfices supplémentaires faits par Axa en 2005 ?

La Commission européenne avait déjà demandé à la France en novembre 2001 de mettre fin à une exonération fiscale sur les conventions d'assurance maladie, et le Gouvernement avait répondu favorablement. Déjà vous aviez transféré une part croissante des dépenses de santé sur les ménages. Allez-vous empêcher les mutuelles, qui assurent 20% de la couverture santé, de poursuivre leur oeuvre sociale en faveur des plus démunis ? Allez-vous céder encore au dogme libéral de la concurrence sans règle ni entrave, qui inspire cette directive Bolkenstein que vous faites mine de rejeter car elle vient à un mauvais moment, en ce qu'elle révèle ce que contient de menaces la Constitution européenne ? Si oui, une fois encore les citoyens paieront, les assureurs privés empocheront les bénéfices. Après le dumping fiscal et social, les délocalisations, la suppression des services publics, l'Europe libérale veut asphyxier les mutuelles. Et rien ne peut nous rassurer, au contraire, dans le traité constitutionnel. Monsieur le Premier ministre, allez-vous céder à cette nouvelle injonction de la Commission européenne ?

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille - Nous n'avons aucune leçon à recevoir sur les mutuelles et les organismes complémentaires. (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Vous avez fait croire la semaine dernière que ces derniers augmentaient leurs cotisations à cause de la réforme de l'assurance maladie. (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Ces organismes n'ont aucune raison d'augmenter les cotisations suite à la réforme. Ce n'est pas moi seul qui l'affirme, c'est le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, auquel participent des parlementaires, dont certains de l'opposition. Les principaux représentants des organismes complémentaires, dont la Mutualité française, se sont accordés sur une augmentation de 5%. Mais la réforme n'organise aucun transfert de l'assurance maladie obligatoire vers le régime complémentaire. Il ne faudrait donc pas que certains organismes complémentaires procèdent comme certains présidents de région socialistes (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), qui imputent l'augmentation les impôts à des transferts qui n'existent pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

LOI PERBEN II

M. Maurice Giro - Il y a un an, nous avons adopté la loi d'adaptation de la justice aux évolutions de la délinquance et de la criminalité, dite loi Perben II. Depuis 2002, le Gouvernement a engagé une politique résolue pour restaurer l'autorité de l'Etat et donner les moyens aux responsables de la sécurité, dont les statistiques démontrent le succès. Elle nécessitait une évolution législative des procédures utilisées par les policiers et les magistrats. Pourtant, ce texte a été décrit comme inapplicable, voire comme une menace pour les libertés individuelles, par certains qui lui promettaient de tomber rapidement dans l'oubli. Monsieur le Garde des Sceaux, qu'en est-il aujourd'hui de ces prédictions et de l'application de la loi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Le Gouvernement et sa majorité veulent en effet lutter contre toutes les formes de criminalité, restaurer l'autorité de l'Etat et la sécurité de nos concitoyens. Malgré les critiques, la loi que vous avez votée l'an dernier s'applique efficacement.

Huit juridictions nouvelles ont été mises en place pour lutter contre la criminalité organisée, souvent internationale. 77 magistrats, assistés de 150 fonctionnaires, y traitent déjà de 150 dossiers. Nous avons fournis les nouveaux moyens prévus aux policiers et aux gendarmes. Ainsi les techniques d'infiltration ont déjà été utilisées deux fois dans le ressort du tribunal de grande instance de Paris pour lutter contre de grands trafics de drogue, et la « sonorisation » l'a été une fois dans un trafic d'armes.

Face à la délinquance quotidienne, le plaider coupable, c'est-à-dire la comparution après reconnaissance préalable de culpabilité, a déjà été utilisée dans 130 juridictions sur 180 et près de 5 000 dossiers ont été traités de cette façon : même ceux qui critiquaient cette procédure l'utilisent aujourd'hui.

Enfin, la loi relative à la pollution maritime que vous avez votée après la scandaleuse affaire du Prestige, nous a permis d'arraisonner 17 bateaux et des peines d'amendes très dissuasives ont été prononcées. Là encore, la sécurité de nos concitoyens a été renforcée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

RÉFORME DU PACTE DE STABILITÉ

M. Daniel Garrigue - L'appartenance à la zone euro apporte la sécurité à ses membres, mais les soumet à certaines exigences, définies par l'article 104 du traité de Maastricht et précisées dans le pacte de stabilité et de croissance de 1997. La mise en œuvre de celui-ci a soulevé de sérieux problèmes, car on avait privilégié le critère du déficit sur celui de l'endettement et son application avait été rigoriste, trop automatique - un responsable de la Commission européenne a même dit « sans intelligence ».

C'est pourquoi une démarche de révision, associant la Commission et le Conseil, a été engagée. Le Président de la République et le Premier ministre ont fait des propositions pour mieux tenir compte de certaines réalités et de certaines catégories de dépenses plus « vertueuses » que d'autres. Monsieur le ministre de l'économie, vous venez de participer au Conseil Ecofin qui doit préparer la révision des modalités d'application du pacte.

Pouvez-vous nous dire où en sont les discussions avec les autres ministres des finances et quelles sont les chances d'aboutir à un accord ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Vous avez raison de souligner l'importance de la refonte du pacte à la veille de grandes échéances européennes. Au cours des dernières années, vous avez pu constater qu'il avait été beaucoup trop rigide et n'avait pas su tenir compte des différences entre les Etats membres.

La réforme est en bonne voie. Il faut rendre plus vertueux les pays en haut de cycle et voir comment considérer ceux qui sont en bas de cycle. Il convient en tout cas de tenir compte des disparités. Sur ce point, il y a accord des douze ministres des finances de la zone euro. Il est d'autre part important de voir que certaines dépenses sont liées à des réformes structurelles telles que celle de la santé ou des retraites et d'en tenir compte par rapport au taux de référence de 3%. Là encore, je pense que nous avons un accord.

En ce qui concerne les dépenses spécifiques, nous devons nous interroger sur l'Europe que nous voulons. Voulons-nous une Europe tournée vers l'avenir et vers les autres ? Le Président de la République a répondu oui à ces deux questions. Une Europe tournée vers l'avenir, c'est une Europe qui intègre la stratégie de Lisbonne, c'est-à-dire qui favorise les dépenses d'investissement - recherche et innovation, en particulier. Une Europe tournée vers les autres, c'est une Europe qui sait tendre la main aux pays les plus défavorisés mais aussi qui sait se projeter sur le théâtre des opérations extérieures quand on l'appelle.

C'est ce que j'ai plaidé au cours de la réunion de l'Eurogroupe. Un certain nombre de pays nous soutiennent et j'ai bon espoir que nous arrivions à un consensus. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

TOURISME

Mme Claude Greff - Le tourisme, secteur économique capital pour notre pays, est très sensible au contexte international et à la concurrence. Les événements géopolitiques, sanitaires et économiques de ces dernières années ont ainsi eu de fortes répercussions sur cette activité, je pense par exemple à l'attentat de Bali en 2003, deux ans après le drame du World Trade Center. Toutes les destinations sont concernées par ce ralentissement de l'activité touristique.

Face à cette situation, le Gouvernement a réagi en s'efforçant de dégager des solutions pérennes. Le Premier ministre a présidé à cet effet deux comités interministériels (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste). Il y a eu aussi pour la première fois des assises nationales sur le sujet. L'Organisation mondiale du tourisme estime que l'année 2004 a été plus positive et que 2005 devrait être une année de consolidation.

Pouvez-vous, Monsieur le ministre du tourisme, nous faire le bilan de l'année écoulée pour la France et nous dire quelle stratégie vous comptez suivre pour la suite ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Léon Bertrand, ministre délégué au tourisme - En 2004, les flux touristiques ont progressé de 10% dans le monde mais seulement de 4% en Europe. Dans un contexte de plus en plus concurrentiel et malgré les aléas politiques, sanitaires et économiques, nous avons stoppé la chute apparue depuis deux ans et nous avons réagi grâce aux comités interministériels présidés par Jean-Pierre Raffarin. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Beaucoup de mesures ont été prises : plan marketing pour promouvoir la destination France, le plan qualité France pour rehausser le standard de nos prestations, la création d'Audit France...

Les premiers effets observés ont été l'arrêt de la baisse de la fréquentation touristique, le retour des clients long courrier à haute contribution financière - je pense en particulier aux Américains et aux Japonais -, l'arrivée des Chinois. On note aussi une reprise dans les DOM : hausse de 5% de la fréquentation touristique, grâce au plan élaboré avec Mme Girardin. Les résultats des entreprises sont également encourageants, qu'il s'agisse de la hausse de 3,9% du chiffre d'affaires des agences de voyage ou de la forte progression de l'hôtellerie-restauration en termes de création d'emplois.

Je vous remercie de cette question...

Plusieurs députés socialistes - Allô !

M. le Ministre délégué - ...qui me permet de dire que nous sommes sur la bonne voie. L'année 2005 est aussi celle de la candidature de Paris aux Jeux Olympiques, et donc une chance supplémentaire pour une activité qui est, ne l'oublions pas, la première industrie de France et qui rapporte 60 000 euros à la minute tout en créant 30 000 emplois par an. Le tourisme : un petit budget, mais qui rapporte gros ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

RÉFORME DE L'ÉCOLE

Mme Hélène Mignon - Hier, les lycéens ont à nouveau manifesté pour demander une autre loi sur l'école (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Vous n'avez su, Monsieur le ministre de l'éducation, que leur fermer la porte une nouvelle fois. Ils seront sans doute dans la rue demain encore.

Les jeunes ont peur de l'avenir, non par manque d'ambition ou perte d'esprit d'initiative, mais parce que leur horizon est bouché. De fait, la suppression de certaines matières et de certaines filières, les effectifs pléthoriques de nombreuses classes peuvent les inquiéter. Et ils ont de quoi être encore plus inquiets en voyant les chiffres du chômage - un Français sur dix est au chômage - ou le nombre élevé de travailleurs pauvres et précaires. La France a la plus mauvaise politique de l'emploi des pays développés et c'est à votre Gouvernement qu'on le doit ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

L'insuffisance des crédits de la recherche, le droit du travail mis à mal, la diminution du nombre de postes mis aux concours dans les administrations, les difficultés à se loger... Tout cela leur fait peur. Quel projet de vie leur offrez-vous après trois ans de pouvoir ? Allez-vous enfin tenir compte de leurs revendications ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche - Ce n'est pas l'immobilisme qui répondra aux inquiétudes de la jeunesse de notre pays, mais la réforme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) La France a besoin de réformes : elle le sait, mais en même temps elle les craint. Pourquoi ? Parce qu'on lui a trop longtemps expliqué qu'elle pouvait les éviter et s'adapter sans effort à l'évolution du monde. Ce discours anesthésiant a été tenu trop longtemps.

C'est l'honneur du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin que de définir la ligne de l'intérêt général, en écoutant toutes les revendications mais sans privilégier systématiquement les plus bruyants ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

C'est l'honneur de ce gouvernement d'avoir voulu réformer l'école, en définissant enfin des priorités éducatives, justement pour lutter contre l'échec scolaire, qui est la raison principale du taux de chômage particulièrement élevé des jeunes dans notre pays (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

Cette réforme a été votée par l'Assemblée nationale la semaine dernière, elle sera examinée la semaine prochaine par le Sénat. Il reviendra ensuite au ministre de l'éducation nationale, en concertation avec tous les partenaires, y compris les organisations de lycéens, de rédiger les textes réglementaires qui permettront de l'appliquer dès la rentrée prochaine. La détermination du Gouvernement est totale, tout simplement parce qu'en réformant, il fait son devoir. (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe UMP et sur de nombreux bancs du groupe UDF)

CONSTRUCTION DE LOGEMENTS

M. Jacques Le Nay - Monsieur le ministre de l'équipement, vous avez annoncé il y a quelques jours une augmentation de 20% du nombre de logements construits entre 2002 et 2004. Tout le pays ne peut que s'en féliciter. Il faut poursuivre l'effort, en lien étroit avec les maires, qui ont la charge de délivrer les permis de construire.

Nous avons besoin de vous, Monsieur le ministre, car nos concitoyens se heurtent pour la construction de leur maison, qui est souvent le projet de toute une vie, à un droit de l'urbanisme très complexe. Ils doivent choisir entre douze types d'autorisation différents, puis constituer leur dossier et le déposer en mairie, et attendre alors patiemment une réponse du service instructeur. Certains se verront notifier un délai de trois mois et recevront au bout de deux mois et trois semaines un avis de dossier incomplet... Une fois cette étape passée, si leur projet n'est pas parfaitement conforme au plan local d'urbanisme ou à la carte communale, ou encore au règlement national d'urbanisme, ils recevront souvent une simple lettre pour les informer que leur projet a reçu un avis défavorable.

Ma question est donc simple : que comptez-vous faire pour les aider à participer à l'effort de construction ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer - Vous avez deux fois raison.

Oui, nous sommes passés de 300 000 mises en chantier par an du temps de la gauche à 362 887 en 2004. Ce sont 40 000 de plus que les objectifs de l'INSEE, 40 000 emplois créés, 900 000 personnes mieux logées.

Oui, les services instructeurs sont engorgés. Nous avions déjà apporté des simplifications avec la loi « urbanisme et habitat », et nous voulons aller plus loin en passant d'une culture du contrôle à une culture du conseil. Par exemple, nous préparons une ordonnance pour passer de douze à trois imprimés : nous supprimons neuf imprimés pour l'acte de construire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

D'autre part, il y a des DDE où cela marche bien, d'autres où cela marche moins bien ; j'organise donc des rencontres pour que les secondes puissent profiter de l'expérience des premières.

De plus, nous allons réduire à un mois le délai pendant lequel les services instructeurs pourront réclamer des pièces supplémentaires au maître d'ouvrage. Enfin, nous allons profiter des nouvelles technologies de l'information et de la communication pour assurer une parfaite traçabilité des dossiers, permettant au maire et au maître d'ouvrage de savoir à tout moment où en est le dossier. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

SERVICES AUX PERSONNES ÂGÉES

Mme Marcelle Ramonet - Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'Etat aux personnes âgées.

En 2020, la France comptera 27% de personnes de plus de 60 ans. Cette évolution de la pyramide des âges entraîne un besoin croissant de professionnels pour s'occuper des personnes âgées à leur domicile ou en établissement.

Pour y répondre, Madame la ministre, vous avez lancé lundi la campagne des métiers du grand âge. Ceux-ci sont divers et intéressants, les formations sont nombreuses et il y a des perspectives d'évolution. Ils exigent à la fois des aptitudes professionnelles et des qualités humaines d'écoute et de dialogue. Pouvez-vous nous indiquer les principales mesures que vous avez décidé de prendre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Catherine Vautrin, secrétaire d'Etat aux personnes âgées - Vous avez raison, Madame le député (« La ! »sur plusieurs bancs du groupe socialiste). Une famille sur trois est aujourd'hui concernée par le problème de la perte d'autonomie. Il convient donc de les aider à y faire face.

Pour que des jeunes ou des personnes qui envisagent une reconversion professionnelle puissent s'engager dans ces métiers, il faut d'abord qu'ils les connaissent. C'est l'objet de cette campagne. Dans les trois ans, plus de 70 000 emplois seront créés ; ils seront financés grâce à la journée de solidarité (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Il faut à la fois assurer des formations initiales et valoriser les acquis de l'expérience. Un numéro de téléphone - le 0845 042 042 - permettra d'obtenir des informations. Une semaine sur les métiers du grand âge aura lieu du 9 au 15 mai, et une journée « portes ouvertes » le 11 mai dans les établissements et dans les services de soins. C'est ainsi qu'ensemble, nous allons répondre au défi de la longévité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

DÉLINQUANCE

M. Christophe Caresche - L'Observatoire national de la délinquance vient de rendre public son premier rapport annuel. Celui-ci ouvre de nombreuses pistes de recherche, notamment dans la connaissance des violences faites aux femmes.

S'agissant de la mesure de la délinquance, je retiens deux enseignements.

Premièrement, la nécessité de compléter les statistiques de police et de gendarmerie par d'autres outils statistiques car, l'Observatoire le dit très clairement, celles-ci ne peuvent à elles seules rendre compte de la réalité de la délinquance.

Il confirme en second lieu les carences de l'outil statistique de la police et de la gendarmerie, notamment du chiffre communiqué chaque mois par le ministre de l'Intérieur : selon le rapport, « il est très difficile d'interpréter le chiffre total donné par l'état 4001 comme une indication sur l'évolution générale de la délinquance, tant en raison de ses lacunes que par sa construction elle-même ». Ce chiffre et son évolution, que le ministère présente comme une mesure de la délinquance, sont donc très contestables. (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

L'Observatoire national de la délinquance s'impose aujourd'hui comme une autorité incontournable pour collecter et analyser les statistiques de la délinquance : il faut s'en féliciter. La question est désormais de savoir si peuvent coexister durablement deux sources divergentes d'information, le ministère et l'Observatoire. Une nouvelle étape doit être franchie en confiant à l'Observatoire national de la délinquance la pleine et entière responsabilité de la communication sur les chiffres de la délinquance. Y êtes-vous prêt, Monsieur le ministre de l'intérieur ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Richard Cazenave - Dommage que vous ne l'ayez pas fait !

M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Je me demande parfois si nous ne sommes pas en pleine schizophrénie. L'Observatoire de la délinquance a été créé par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin et dans le cadre des services du ministère de l'intérieur, par Nicolas Sarkozy. (« Oh là là ! » sur les bancs du groupe socialiste) Nous avons d'ailleurs sollicité votre expertise, Monsieur Caresche. Je n'accepte pas de polémique sur les statistiques alors que, je l'ai dit, nous nous engageons à la vérité des faits et des chiffres. Ne cachons pas la vérité aux Français : que l'expert que vous êtes ne se cache pas derrière l'homme politique ! La vérité, c'est que la délinquance n'a cessé de baisser depuis trois ans (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF), pour connaître sa plus forte baisse en 2004. (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

Elle reste un enjeu national, car nous entendons bien combattre les violences contre les personnes. Je remercie l'Observatoire qui, à ma demande, a fait des propositions que j'ai acceptées, en comptabilisant les actes et les menaces. En 2004, les violences contre les personnes ont été stabilisées à 0,7%. Sur les deux premiers mois de 2005, elles baissent de plus de 2% : voilà la réalité ! J'ai demandé à l'Observatoire, avec le concours du ministère, dont vous connaissez la contribution à votre rapport, de me faire de nouvelles propositions. En acceptant cette exigence de clarté, je vais dans votre sens. Travaillons au service des Français pour répondre à une grande exigence nationale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

AGENCE NATIONALE DE LA RECHERCHE

M. Jean-Pierre Door - Le Premier ministre s'est engagé à faire de la recherche une priorité. Cet engagement est déjà tenu pour 2005, par l'augmentation sans précédent d'un milliard d'euros des moyens publics de la recherche. La nouvelle Agence nationale de la recherche est chargée de financer en toute transparence les meilleurs projets de recherche sur les thématiques prioritaires. Vous avez souhaité, Monsieur le ministre délégué à la recherche, que cette agence soit rapidement opérationnelle, afin que les premiers laboratoires retenus bénéficient dès la fin du premier semestre 2005 des financements des premiers appels à projets. Cette agence suscite un immense espoir chez les chercheurs, mais aussi quelques inquiétudes, comme celle de voir ses financements détournés au profit d'une recherche finalisée et au détriment de la recherche fondamentale, ou celle de voir s'amenuiser les crédits récurrents des laboratoires. Afin de rassurer la communauté scientifique, pouvez-vous nous donner des détails complémentaires sur cette agence ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François d'Aubert, ministre délégué à la recherche - L'Agence nationale de la recherche sera opérationnelle rapidement : son conseil d'administration s'est réuni hier et a décidé d'un programme pluriannuel de 700 millions d'euros, soit trois fois ce qui était accordé aux laboratoires publics en crédits incitatifs.

Comme vous l'avez souhaité, l'Agence concernera l'ensemble de la communauté scientifique : 30% des crédits programmés seront consacrés à des « projets blancs », c'est-à-dire émanant des laboratoires et des chercheurs, ce qui leur permettra de s'engager sur de nouvelles pistes.

La recherche publique aura sa part, puisqu'elle représentera 75% des crédits de l'Agence, les réseaux technologiques étant également financés. Cette agence est un atout pour la recherche française : c'est une agence de moyens, à l'image de celles qui existent en Allemagne ou en Grande-Bretagne. Des moyens supplémentaires s'ajouteront ainsi aux « crédits de base » des laboratoires. L'agence consacrera enfin 50% de sa programmation à la recherche fondamentale, dont nous connaissons le rôle dans le fonctionnement et la qualité de l'outil de recherche. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

EXONÉRATION DE CHARGES DES MAÎTRES D'APPRENTISSAGE

M. Jean-Jacques Gaultier - L'article 130 de la loi de finances pour 2005 a prévu la suppression de l'exonération de cotisations sociales patronales dès l'obtention du diplôme par l'apprenti, avant même la fin du contrat d'apprentissage. Cette mesure constitue un frein à l'encouragement de cette filière : elle pénalise les maîtres d'apprentissage et neutralise les crédits d'impôt dont ils bénéficiaient jusqu'alors. Il faut pourtant nous garder d'alourdir les charges qui pèsent sur les entreprises qui s'investissent dans la formation des apprentis dans des secteurs aussi variés que l'hôtellerie-restauration, la coiffure ou le bâtiment, et de compromettre la formation en alternance.

Comment entendez-vous adapter cette mesure pour concilier les intérêts de chaque partie dans un souci d'équité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDF)

M. Laurent Hénart, secrétaire d'Etat à l'insertion professionnelle des jeunes - Après MM. Christ, Fourgous, Dassault et Thomas, vous attirez à votre tour l'attention du Gouvernement sur les difficultés de mise en œuvre de l'article 130 de la loi de finances pour 2005. Cet article prévoit que l'exonération de charges financée par l'Etat pour les apprentis s'arrête au diplôme, ce qui est logique puisque cette exonération de charges compense, pour l'entreprise, les frais de l'accueil en formation du jeune.

Néanmoins, de nombreux chefs d'entreprise ont souligné les difficultés pratiques du dispositif et le Premier ministre nous a demandé, à Christian Jacob et à moi, de consulter les organismes consulaires et les organisations patronales. Nous allons demander à l'agence centrale des organismes de sécurité sociale de ne pas appliquer cet article, en attendant de pouvoir régulariser la situation. En juin, un amendement du Gouvernement à la loi sur les entreprises proposera de prolonger l'exonération de charges jusqu'au terme du contrat de travail. Il nous semble que c'est le meilleur moyen de donner toute sa portée au plan de cohésion sociale. Il n'est pas question de laisser des problèmes administratifs freiner notre ambitieuse politique en la matière. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

MARCHÉ DU PÉTROLE

M. Yves Cochet - Le prix moyen du baril du pétrole est passé de 26 dollars en 2002 à 44 dollars en 2004, et 55 aujourd'hui, et il y a de bonnes raisons de croire que cette hausse va se poursuivre. D'abord en effet, sur le plan économique, la demande est devenue structurellement supérieure à l'offre. Le manque relatif de pétrole face à la demande des consommateurs ne peut qu'augmenter. Cette raison n'est apparue que l'année dernière : les chocs de 1973 et de 1979 étaient politiques. Or, nous allons être vite confrontés à un choc géologique : le dépassement du pic de Hubert, c'est-à-dire le déclin de la production intrinsèque de pétrole. On aura beau ouvrir le robinet plus grand, il en coulera moins !

Plusieurs députés UMP - D'où le nucléaire !

M. Yves Cochet - Enfin, depuis le 11 septembre 2001, nous sommes entrés dans un monde extrêmement trouble où se multiplient les attentats, les sabotages et les guerres. La guerre d'Irak n'a pas été déclenchée parce que Saddam Hussein était un dictateur ou possédait des armes de destruction massive, mais parce qu'il avait du pétrole !

Monsieur le ministre, partagez-vous mon analyse de cette crise mondiale ? A partir de quand, selon vous, le déclin de production se fera-t-il sentir ? Et que propose le Gouvernement face à cette situation dramatique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Thierry Breton, ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - La France importe à peu près la moitié de son énergie, soit 141 millions de tonnes équivalent pétrole. Au cours des douze derniers mois, la hausse de 32% du baril et la baisse du dollar ont fait passer sa facture énergétique à 28 milliards. Le Gouvernement n'a pas attendu pour réagir. Je rappelle le livre blanc sur l'énergie de 2003. Trois grandes voies sont tracées : un mixte énergétique d'abord, entre le nucléaire, (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP) l'hydraulique et les énergies renouvelables - qui doivent représenter 21% de notre électricité à l'horizon 2010 : les investissements nécessaires sont faits ; ensuite, une politique vigoureuse d'information, par le biais de l'ADEME, qui commence a donner ses résultats ; et enfin une action dans le domaine des transports, qui consomment 50 millions de tonnes équivalent pétrole - et en 2004, pour la première fois, la consommation de carburant a baissé pour les automobiles. Le Gouvernement prend donc les bonnes décisions. Au lieu de réduire les investissements, il fait les bons choix. On commence à en voir les résultats. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La séance, suspendue à 15 heures 55, est reprise à 16 heures 15 sous la présidence de Mme Guinchard-Kunstler.

PRÉSIDENCE de Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER

vice-présidente

SAUVEGARDE DES ENTREPRISES (suite)

L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public sur l'ensemble du projet de loi de sauvegarde des entreprises.

Mme la Présidente - La Conférence des présidents a décidé que le vote aurait lieu par scrutin public en application de l'article 65, alinéa 1, du Règlement.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Nos travaux ont été de grande qualité et ont permis de bâtir un droit moderne et efficace des procédures collectives. Je vous en remercie, et au premier chef MM. Clément, président de la commission des lois, de Roux, rapporteur, et Chartier, rapporteur pour avis. D'importants travaux avaient été déjà menés au sein de la mission d'information sur le droit des sociétés. Rarement pareille action préparatoire aura été conduite.

Le droit actuel inspire de la crainte aux salariés et aux chefs d'entreprises et il était donc nécessaire d'anticiper afin d'éviter la casse : tel est l'objectif des nouvelles procédures de conciliation et de sauvegarde. Je me réjouis en particulier de quatre avancées significatives. D'accord avec le Gouvernement, vous avez estimé qu'il fallait bénéficier, avec la conciliation homologuée par le juge, d'un dispositif sécurisé de règlement amiable des difficultés. Vous avez souhaité préciser que cette option s'ajoute à celle dont doit toujours disposer l'entrepreneur et qui consiste à mettre au point confidentiellement un accord qui n'est pas homologué et donc non opposable au tiers, option qui permet de disposer, en fonction de la variété des situations, d'une gamme diversifiée de traitements très en amont des difficultés de l'entreprise. Vous avez également accepté l'institution d'une procédure de sauvegarde entraînant avant la cessation des paiements la suspension des poursuites, ce dont je me réjouis beaucoup. Le chef d'entreprise disposera désormais d'une procédure efficace avec des comités dont vous avez étendu le champ d'action et précisé la composition. En outre, grâce en particulier au président Clément, nous avons eu d'intéressants échanges sur la cession totale de l'entreprise qui pourra avoir lieu tant en redressement qu'en liquidation judiciaires. Des mécanismes de cession efficaces et vertueux seront ainsi mis en place et je tiens à remercier en particulier M. Houillon dont j'ai partagé les points de vue à ce sujet. Enfin, le texte accroît le rôle des pouvoirs publics : le projet innovait déjà beaucoup en permettant la remise du principal des dettes fiscales, mais j'ai été également amené à accepter plusieurs amendements du rapporteur, notamment sur la déductibilité fiscale des abandons de créances réalisée en procédure collective, l'Etat prenant ainsi toute sa part dans la résolution des difficultés.

Ce texte moderne est fondamental pour notre économie et nos emplois. Grâce au traitement en amont des problèmes rencontrés par les entreprises, le chômage reculera : c'est tout le sens de notre ambition économique et sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

EXPLICATIONS DE VOTE

Mme Anne-Marie Comparini - La faible efficacité du droit de la faillite des entreprises impliquait une réforme et l'UDF ne peut que souscrire à l'amélioration des procédures pour détecter en amont les difficultés des entreprises, pour simplifier le recours aux procédures collectives, pour mobiliser tout un chacun en faveur de l'emploi. Mais quitte à entreprendre un si vaste chantier, la loi doit être adaptée à la réalité des pratiques : j'ai ainsi réclamé que la confidentialité soit respectée, que le plan de cession soit réintégré dans le redressement judicaire et que les sanctions de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer prévues à l'encontre du chef d'entreprise soient allégées. Des amendements ont été votés qui répondent à ces préoccupations.

Je me félicite de ce que le dispositif distingue mieux les quatre procédures et clarifie les rôles des professionnels qui en seront les maîtres d'œuvre.

Selon nous, toute modernisation juridique doit être envisagée en tenant compte des développements récents du droit pour les entreprises européennes : c'est évidemment l'intérêt de la France de ménager les filiales françaises de groupes européens et d'exporter ses « bonnes procédures ». Je note avec satisfaction, Monsieur le Garde des Sceaux, que vous vous êtes engagé à entreprendre leur inscription dans le règlement européen.

L'amendement de Roux négligeant la situation des salariés au regard du régime des licenciements dans la procédure de sauvegarde aurait pu remettre en question notre soutien, mais nos collègues ont eu la sagesse de le retirer. En effet, il n'était pas question pour l'UDF d'utiliser ce texte pour déréguler le droit du travail et léser les salariés. Nous devons au contraire rechercher un équilibre qui respecte les droits de chacun, ce à quoi tend finalement ce projet, que nous le voterons donc. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Michel Vaxès - Il est certes louable de vouloir améliorer les procédures de traitement des entreprises en difficulté afin de mieux garantir leur sauvegarde, mais que vaut l'intention quand elle ne se traduit pas dans les actes ? 90% de liquidations judiciaires sur 45 000 défaillances annuelles méritaient autre chose qu'une attention excessive portée aux banques, auxquelles vous accordez malgré leur superprofit de nouveaux superprivilèges. Derrière ces chiffres, combien de vies détruites, combien de bassins d'emplois mutilés, combien de gâchis ? Ce sont les salariés qui souffrent le plus de cette situation et qui ont le plus intérêt à sauvegarder leur entreprise. Nous aurions ainsi voulu qu'ils soient plus activement associés à toutes les étapes des différentes procédures alors que dans le meilleur des cas, ils ne seront qu'entendus, sans bénéficier d'un réel pouvoir d'intervention : dans le meilleur des cas, disais-je, puisque dans les établissements où il n'y a ni comité d'entreprise ni délégués du personnel - soit 90% des 45 000 entreprises qui emploient moins de onze salariés - ils ne le seront même pas : vous les voulez sujets quand nous les voudrions acteurs ; pire encore, vous les préférez victimes en faisant d'eux des variables d'ajustement. Nous aurons dépensé beaucoup d'énergie pour imposer le retrait de l'amendement du rapporteur qui proposait le recours à la procédure simplifiée des licenciements économiques dès la procédure de sauvegarde, c'est-à-dire une accélération des délais et une moindre information des salariés afin de faciliter les licenciements. Vous avez reculé, mais rien n'est encore définitivement gagné puisque les sénateurs pourraient réintroduire ces dangereuses dispositions en adoptant des amendements du même genre.

Le choix de la procédure d'urgence annoncée contre toute attente au cours de l'examen de ce texte renforce notre inquiétude.

M. Arnaud Montebourg - Très bien !

M. Michel Vaxès - Des salariés victimes, de grands donneurs d'ordre épargnés, telle est votre orientation. J'en veux pour preuve votre silence lorsque j'ai évoqué l'exemple de Métaleurop. Silence lorsque j'ai rappelé I'invitation du Président de la République à légiférer pour empêcher ces comportements de patrons voyous, et rien dans votre texte, n'y fait écho. Une fois de plus, après avoir dit très fort et à grand renfort médiatique, combien vous désapprouviez de tels agissements, rien, dans vos actes, ne suit. Personne ne sera dupe, et le groupe des députés communistes et républicains moins que quiconque, qui votera contre ce projet de loi.

M. Philippe Houillon - Cette réforme courageuse et particulièrement ambitieuse est le fruit d'une très large concertation, engagée avec les professionnels et l'ensemble des acteurs depuis près de trois ans, ce qui était nécessaire, vu les enjeux. Notre traitement des difficultés des entreprises, dont les règles dataient de quelque vingt ans, était devenu inadapté dans un monde économique aux évolutions extrêmement rapides. A preuve de cette inadaptation : le taux d'échec accablant des procédures collectives, 90% des entreprises en redressement judiciaire finissant par être liquidées et 150 000 emplois se trouvant ainsi détruits chaque année. Les procédures, lourdes et complexes, n'étaient en effet engagées que lorsque la situation de l'entreprise était déjà largement compromise.

Votre texte, Monsieur le Garde des Sceaux, rompt radicalement avec cette curieuse logique qui impose d'être moribond avant que d'être soigné, en créant un droit à la sauvegarde pour l'entreprise, mais aussi en cherchant, de façon volontariste, à faire évoluer les mentalités et les habitudes. L'anticipation des difficultés sera désormais la clé de voûte du redressement de l'entreprise. La nouvelle procédure de sauvegarde permettra ainsi au chef d'entreprise de se placer sous la protection du tribunal avant toute cessation des paiements, et les solutions non judiciaires seront privilégiées, avec la création d'une procédure de conciliation et l'affirmation du mandat ad hoc qui devient une procédure autonome. C'est vraiment la continuation de l'activité qui sera recherchée.

Au-delà, ce texte simplifie et rationalise les procédures collectives en les débarrassant de leurs dispositions superflues. Il contient également des dispositions destinées à rassurer les cautions, mais aussi les chefs d'entreprises, pour lesquels les sanctions seront plus justes, ne visant plus que ceux d'entre eux ayant commis des indélicatesses.

Je tiens à rendre hommage au travail considérable réalisé par la commission des lois, son président et son rapporteur, ainsi que par le rapporteur pour avis de la commission des finances, qui se sont efforcés de dissiper les craintes, voire les peurs, qui constituaient autant de freins psychologiques à la réforme, par exemple en privilégiant la confidentialité ou en replaçant les cessions dans le redressement judiciaire.

Ce texte intelligent dote notre pays d'outils précieux, sur le plan économique comme sur le plan social. Je regrette que certains, dans cet hémicycle, aient préféré politiser le débat à outrance plutôt que de chercher à enrichir une réforme tournée uniquement vers la sauvegarde des entreprises et de l'emploi. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Malgré leur compétence technique, aucun des orateurs de l'opposition n'a d'ailleurs, faute d'arguments sérieux, développé de véritable critique de fond. Leurs interventions ont tourné à la caricature ou à la propagande, quand elles n'étaient pas tout simplement hors sujet. (Mêmes mouvements) C'est indirectement le signe que ce texte procède d'une véritable ambition économique et sociale pour notre pays, et cette attitude ne fait que traduire un manque de considération à l'égard de nos entreprises et des salariés qui les font vivre.

L'opportunité de cette réforme n'est pas contestable. Moderniser notre droit, protéger nos entreprises, restaurer la confiance et rendre un visage humain à notre droit des procédures collectives, qui pourrait être contre ? Le groupe UMP votera donc cette réforme avec détermination. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Arnaud Montebourg - Permettez-moi de revenir un instant sur les conditions pour le moins curieuses d'examen de ce texte, que rien ne justifie. On ne réforme pas le droit des faillites tous les ans : il eût donc été avisé de prendre tout le temps nécessaire pour parvenir à une loi sérieuse. Or, déposé en mai 2004, le présent texte a été soudainement inscrit à l'ordre du jour de notre Assemblée neuf mois plus tard. La commission des lois a statué à son sujet avant que la commission des finances, saisie pour avis, n'ait rendu ses conclusions. Le rapporteur en a réécrit seul des pans entiers. Beaucoup d'amendements ont été examinés de manière très rapide au titre de l'article 88. Le ministre a déclaré l'urgence par voie de presse. Enfin, tout au long des débats, le rapporteur et le président de la commission des lois ont obstinément refusé de répondre aux questions sérieuses que nous avons posées et qui se poseront pourtant à tous les acteurs.

Ces anomalies vont de pair avec les problèmes politiques soulevés par ce texte, lesquels ne sont pas minces. Il fait en effet primer l'intérêt des banques sur tous les autres. Dans la procédure de conciliation, elles obtiennent le superprivilège de l'argent frais, elles se voient reconnaître un statut supérieur à l'Etat et aux organismes sociaux. Dans la procédure de sauvegarde, elles disposent désormais du pouvoir de vie et de mort sur l'entreprise : la justice ne se rendra plus désormais dans les tribunaux, mais aux guichets des banques ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Dans les procédures de redressement et de conciliation, elles voient leurs privilèges renforcés. Je ne parle même pas de l'aggravation du régime des cautions. Nous aurons l'occasion de revenir, en CMP et devant le Conseil constitutionnel, sur ce scandale que constitue l'abandon du délit de soutien abusif, pourtant contraire au principe républicain de responsabilité de chacun devant ses actes, fût-ce une banque.

Ce texte, loin de sauvegarder les entreprises, sert les banques au détriment de l'emploi. Les intérêts financiers des créanciers l'emportent résolument sur les intérêts économiques de l'entreprise et les considérations d'emploi. Aucune analyse n'a été menée sur les défaillances du système bancaire privé dans notre économie, trop réticent à la prise de risques. Aucune contrepartie de ces privilèges nouveaux des banques n'a été examinée, en dépit de nombreuses propositions.

Mais ce texte présente encore un défaut plus grave, faisant des salariés les laissés pour compte des procédures de faillite. La nouvelle procédure de sauvegarde se résume à une procédure de réduction des effectifs que pourront imposer les banques, les salariés devenant une simple variable d'ajustement. Elle risque de surcroît de faire exploser les comptes de l'AGS par le droit de tirage illimité qu'elle autorise. Mais qui alors paiera les salariés en cas de faillite ? Qui paiera les heures supplémentaires qu'on les aura obligés à effectuer et à placer sur leur compte épargne-temps ? Ce n'est rien moins qu'une spoliation légale qui se profile.

Grâce à la détermination de l'opposition (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP) et des organisations syndicales, le Gouvernement a enfin obtenu, au bout de dix jours, que le rapporteur, obstiné, retire ses amendements qui auraient totalement dérégulé le droit du licenciement. Nous serons particulièrement vigilants si vous prenait l'idée de les faire adopter en catimini dans le cadre d'un DDOS, ce qui ne peut être exclu.

Enfin, comme pour couronner le tout, votre réforme a oublié l'essentiel, la réforme des tribunaux de commerce. Elle modifie le droit des faillites, mais non le fonctionnement des institutions consulaire et judiciaire chargées de le mettre en œuvre. C'est en vain que nous avons cherché dans le texte quelque mesure tendant à la moralisation, pourtant si attendue, des tribunaux de commerce et des pratiques des professionnels de la faillite.

Alignement sur le droit anglo-saxon qui financiarise le droit des faillites, accroissement inconsidéré du pouvoir et des privilèges des banques, écrasement des salariés au cours des procédures, risque d'explosion des comptes de l'AGS, absence de moralisation des tribunaux de commerce : pour toutes ces raisons, vous souffrirez, Monsieur le Garde des Sceaux, que nous n'apportions pas nos voix à ce texte dont nous reparlerons. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

A la majorité de 372 voix contre 117, sur 490 votants et 489 suffrages exprimés, l'ensemble du projet de loi est adopté.

La séance, suspendue à 16 heures 40, est reprise à 16 heures 50.

AÉROPORTS

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif aux aéroports.

M. François-Michel Gonnot, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - « Dans le passé, les grands ports ont amené la richesse, demain elle viendra des grands aéroports », écrivait en novembre 1944 Alain Bozel dans le rapport au général de Gaulle qui inspira la création d'Aéroports de Paris.

La France a su acquérir une place de premier plan dans le secteur aérien en construisant de grands aéroports et en se dotant d'une industrie aéronautique puissante et d'une compagnie aérienne qui, ayant surmonté ses difficultés, est désormais au premier rang mondial. L'ensemble du secteur joue un rôle considérable dans notre économie. Le transport aérien emploie plus de 115 000 personnes, et à chaque emploi direct correspondent un emploi indirect, notamment dans la construction aéronautique, et deux emplois induits.

Mais depuis une quinzaine d'années, le contexte a beaucoup évolué. Les aéroports ne sont plus des équipements simples, pouvant se développer de façon extensive et bénéficiant de monopoles locaux. Ce sont de plus en plus des plateformes très sophistiquées, en concurrence entre elles et devant réaliser des investissements croissants, notamment pour prendre en compte le développement durable. Il est donc temps de modifier le cadre juridique de leur activité. C'est l'objet de ce projet, adopté par le Sénat le 9 novembre dernier. Il constitue la première réforme législative globale du secteur aéroportuaire et s'inscrit dans un ensemble d'initiatives gouvernementales ou parlementaires dans ce domaine.

Ainsi, la mission d'information de Mme Saugues sur la sécurité du transport aérien de voyageurs a rendu ses conclusions en juillet 2004. La loi du 9 avril 2003 relative aux entreprises de transport aérien et notamment à Air France, modifiée par la loi du 26 juillet 2004, a permis à la compagnie nationale de poursuivre son développement. La mission d'information de l'Assemblée sur l'avenir du transport aéroportuaire et la politique aéroportuaire a publié son rapport en juillet 2003. La loi du 23 février 2004 a créé les communautés aéroportuaires. Surtout, la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a transféré aux collectivités locales la propriété et la gestion des aérodromes civils appartenant à l'Etat et ne présentant pas d'intérêt national ou international.

Mme Odile Saugues - Par un délestage sauvage !

M. le Rapporteur - Cette décentralisation ne concernait pas les aéroports exploités par Aéroports de Paris ni les grands aéroports régionaux et d'outre-mer. Le projet achève la réforme en modifiant le régime de gestion pour ces deux catégories.

Je n'évoquerai que rapidement le dispositif qui nous a été transmis par le Sénat pour rendre compte plus précisément des travaux de notre commission.

Le titre 1er transforme l'établissement public qu'est Aéroports de Paris en une société anonyme détenue majoritairement par l'Etat. ADP pourra ainsi diversifier ses activités, ce qu'interdit aujourd'hui le principe de spécialité, et procéder à l'augmentation de capital que rendent nécessaire un endettement cinq fois supérieur à celui de ses concurrents pour le rapport dette sur fonds propres et la perspective de lourds investissements.

Cette réforme lui donne donc les moyens juridiques et financiers de son développement, mais ne remet nullement en cause ni la propriété publique, l'Etat restant majoritaire ; ni les missions de service public, intégralement préservées dans le cahier des charges ; ni le statut des personnels. Sur ce titre 1er, la commission proposera des amendements rédactionnels.

Le titre II offre aux exploitants des aérodromes d'intérêt national ou international la possibilité de transférer leur concession à des sociétés qui pourront bénéficier d'une prolongation de ces concessions. La liste des aéroports concernés, que le ministre a précisée devant le Sénat, sera fixée par un décret en Conseil d'Etat dont la publication est imminente.

Aujourd'hui, ce sont les chambres de commerce et d'industrie qui gèrent ces aéroports. Les concessions arrivent à échéance en 2005 ou 2006 pour Nantes, Nice ou Bordeaux, tandis que pour Marseille ou Strasbourg, elles courent jusqu'en 2017. Globalement, ces aéroports sont bien gérés. Mais la durée des concessions, l'absence de fonds propres et de droit aux excédents d'exploitation, la difficulté d'organiser des alliances du fait de leur absence de personnalité morale entravent leur développement.

M. Bernard Deflesselles - Tout à fait.

M. le Rapporteur - Diverses pistes de réforme ont été envisagées. Le projet privilégie la continuité avec le système en vigueur, tout en lui apportant la souplesse nécessaire. Notre commission a estimé que ce dispositif pertinent devait être précisé, d'abord en ce qui concerne les conditions de mise en place des nouvelles sociétés. Elle vous propose donc des amendements disant que le transfert de la concession des CCI aux nouvelles sociétés se fait à la demande des CCI concernées, qu'il s'agit d'un apport et non d'une cession, enfin que le capital initial de la nouvelle société est entièrement public.

Un certain nombre de parlementaires s'interrogent sur la composition du capital des nouvelles sociétés et soulignent la nécessité de préserver le rôle des gestionnaires historiques qu'ont été les chambres de commerce. Nous comprenons cette préoccupation et nous serons attentifs à ce que nous dira le ministre sur ce point. Le meilleur instrument pour apporter aux CCI les garanties auxquelles elles aspirent légitimement nous semble être une sorte de pacte d'actionnaires spécifique à chaque aéroport et associant tous les partenaires publics, notamment les collectivités territoriales.

D'autres interrogations appellent des réponses législatives. Il s'agit des questions relatives à l'avenir des personnels des aéroports, ceux concernés par l'article 7 mais aussi ceux des aéroports de plus petite taille. Le projet de loi prévoit que les agents publics affectés à la nouvelle concession seront mis à disposition de la société pour une période dix ans, à l'issue desquels ils devront définitivement opter entre la conclusion d'un contrat de travail avec le nouvel exploitant ou le retour dans les cadres de la CCI.

Tous les personnels concernés ne sont toutefois pas des agents publics. Une clarification de la situation est sans doute souhaitable, mais la question dépasse très largement le cadre du projet puisqu'elle concerne tous les personnels des CCI. Elle relève donc plutôt de la réforme d'ensemble des CCI annoncée par le Gouvernement. Il convient toutefois de garantir dans le présent projet le devenir de l'ensemble des personnels affectés aux plateformes aéroportuaires. Or, la rédaction actuelle ne précise pas les garanties applicables aux agents de droit privé. La commission, à mon initiative, vous propose donc de préciser qu'ils se verront appliquer le droit commun, à savoir l'article L. 122-12 du code du travail, qui prévoit que les contrats en cours lors de la modification dans la situation juridique de l'employeur subsistent avec le nouvel employeur.

La commission estime également nécessaire d'apporter des garanties supplémentaires à l'ensemble des personnels ne relevant pas du statut d'ADP en organisant la négociation d'une convention collective nationale des salariés des aéroports. Je précise : de l'ensemble des aéroports, à l'exception de ceux gérés par ADP. Une telle convention doit fournir aux personnels concernés un cadre juridique protecteur, permettant notamment aux agents statutaires des CCI de renoncer sans inquiétudes à leur statut actuel.

Enfin, le titre III du projet de loi comprend diverses dispositions de modernisation du droit aéroportuaire. Le Sénat a créé en son sein un article additionnel prévoyant la mise en place d'une commission de conciliation aéroportuaire. Le dispositif proposé n'emporte toutefois pas notre conviction. Le Sénat n'a pas tranché en effet entre la création d'une véritable autorité administrative indépendante et la mise en place d'une simple instance de concertation. Il en résulte une structure aux missions confuses, appelée commission de conciliation mais en réalité dépourvue de tout rôle de conciliation. La commission des affaires économiques, à mon initiative, vous propose de clarifier le dispositif en spécifiant un rôle simplement consultatif à cette instance, qui deviendrait ainsi une structure nationale de concertation entre usagers et exploitants des aéroports.

Le titre III traite aussi du régime des redevances aéroportuaires. La base de calcul des redevances est modifiée pour mieux prendre en compte la réalité économique. Des possibilités de modulation sont ouvertes pour des motifs d'intérêt général. En outre, des contrats pluriannuels, d'une durée maximale de cinq ans, conclus entre l'Etat et l'exploitant de l'aéroport permettent de donner une prévisibilité dans la durée à l'évolution des redevances.

A mon initiative, la commission vous proposera de modifier ce dispositif pour favoriser la desserte des aéroports par des moyens de transport collectif en site propre. Il y a là un instrument puissant de développement durable. J'ajoute que des temps de trajets de plus en plus longs et de plus en plus aléatoires limitent le développement des aéroports les plus importants. L'amélioration de la desserte des aéroports est donc de nature à accroître leur attractivité.

En conclusion, la commission des affaires économiques vous propose d'adopter, en continuant à l'enrichir, ce projet de loi, qui modernise enfin notre droit aéroportuaire et qui créé ainsi les conditions de la poursuite d'un développement durable d'un secteur stratégique pour l'ensemble de notre économie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Charles de Courson, rapporteur pour avis de la commission des finances - La commission des finances s'est saisie pour avis du projet dans sa totalité, car l'ensemble de ses dispositions concernent les finances publiques. Lors des deux examens de la réforme du statut d'Air France, c'était d'ailleurs la commission des finances qui était saisie au fond.

Ce projet traite principalement de trois sujets : le changement de statut d'ADP, l'évolution des grands aéroports régionaux, le mode de fixation des redevances aéroportuaires.

Concernant le changement de statut d'ADP, le texte va dans le bon sens, mais pas assez loin. La commission des finances vous proposera donc quelques améliorations. Le statut d'établissement public n'est plus adapté au développement d'ADP dans un contexte concurrentiel. Il ne permet pas de faire face au besoin de financement de l'opérateur, qui est extrêmement endetté et manque de fonds propres, alors que les investissements programmés pour les années 2005 à 2007 représentent 1,9 milliard d'euros, soit 650 millions par an. Or, la capacité d'autofinancement d'ADP représentait 393 millions d'euros en 2003, et une fois déduite la variation du besoin en fonds de roulement, il ne reste que 220 millions d'euros pour financer les investissements. Compte tenu de la situation des finances publiques, le besoin de financement d'ADP ne peut être comblé par l'Etat, et celui-ci a donc besoin de l'apport de capitaux privés grâce à une augmentation de capital. Cela implique un changement préalable de statut et une transformation en société.

Ce changement de statut se fera dans la continuité : il n'y aura pas de changement de statut pour le personnel. Il aurait pourtant été de l'intérêt d'ADP comme des employés eux-mêmes d'élaborer une convention collective à l'avantage de tous, après extinction du statut, à l'instar de ce qui s'est passé pour Air France. (Quelques exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

La transformation d'ADP en société anonyme s'accompagne du déclassement du domaine public aéroportuaire, puisqu'en en vertu du principe d'inaliénabilité, les biens du domaine public ne peuvent pas appartenir à une personne privée. L'Etat aurait pu tout récupérer pour le mettre à la disposition d'ADP, mais cela comportait des inconvénients. Le Gouvernement a donc choisi une autre solution : ADP devient propriétaire de l'ensemble du domaine aéroportuaire, celui-ci étant déclassé du domaine public. C'est à mon sens la meilleure solution, sauf que ce déclassement est encadré d'une façon qui complique la situation. En n'assumant pas toutes les conséquences de la domanialité privée, le texte aboutit à une complexité extrême, qui risque de nuire à la valorisation d'ADP.

M. François Brottes - C'est vous qui le dites !

M. le Rapporteur pour avis - Il serait souhaitable que le régime juridique des biens d'ADP affectés au service public soit clarifié, et la commission des finances vous proposera un amendement en ce sens.

Le titre II concerne les douze plus grands aéroports régionaux, aujourd'hui gérés en concession par les CCI. La plupart des concessions vont arriver à leur terme à brève échéance, ce qui offre l'occasion de moderniser le mode de gestion de ces aéroports. Les CCI sont des établissements publics administratifs d'Etat. Comme dans le cas d'ADP, ce statut constitue un frein au développement économique des aéroports. Puisqu'elles ne peuvent pas affecter l'IATP aux exploitations aéroportuaires, les CCI n'ont d'autre moyen que l'autofinancement, ainsi que d'éventuelles subventions des collectivités locales.

Le Gouvernement a choisi une solution d'ouverture au secteur privé, en s'appuyant sur les opérateurs historiques, les CCI, qui ont fait la preuve de leur capacité à bien gérer les aéroports. A la demande d'une CCI, l'Etat créera une société avec elle et les collectivités locales qui le souhaiteront. La concession sera apportée par la CCI, avec l'accord de l'Etat, à cette société aéroportuaire. Ensuite, la concession pourra être rallongée, au maximum de quarante ans, en contrepartie d'un programme d'investissement et d'une ouverture de capital par la suite. J'insiste sur le fait que cette prolongation de la concession doit avoir des contreparties de la part du concessionnaire. Ce sont ces contreparties qui justifient que la prolongation des concessions soit exemptée des obligations de mise en concurrence prévues dans la loi Sapin. A défaut, cette disposition risquerait d'être contraire au droit communautaire. La Commission européenne n'a d'ailleurs pas donné un accord écrit sur ce dispositif juridique, mais elle examinera les dossiers au cas par cas pour vérifier que les contreparties à la prolongation de la concession sont bien conformes à la jurisprudence en matière de concurrence. La commission des finances vous proposera un amendement à ce sujet.

M. François Brottes - Quelle improvisation !

Mme Odile Saugues - C'est mal ficelé !

M. le Rapporteur pour avis - En tout cas, je me réjouis de l'apport de capitaux extérieurs dans ces exploitations.

Enfin, le projet précise utilement les principes de fixation des redevances aéroportuaires, afin de leur donner un cadre juridique, conformément à une demande du Conseil d'Etat. Le montant des redevances prendra en compte la rémunération des capitaux investis. Les redevances pourront être modulées sur certains critères. Face aux craintes que suscite cette disposition, je tiens à rappeler que les modulations sont évidemment soumises au principe de non-discrimination.

La commission des finances a adopté un amendement qui rend possible l'immobilisation des aéronefs en cas de non-paiement des amendes infligées par l'autorité de contrôles des nuisances sonores aériennes. Je souhaiterais aussi que le produit de ces amendes puisse être affecté, pour l'aérodrome où se situe son fait générateur, au financement des aides aux riverains, mais l'article 40 de la Constitution ne permet pas à un parlementaire de déposer un amendement en ce sens.

Ce projet de loi va donc dans le bon sens, mais il présente quelques incertitudes qu'il conviendrait de lever. La commission des finances vous propose d'adopter ce texte moyennant quelques améliorations. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer - Ce projet constitue pour les grands aéroports français la première réforme d'importance depuis la seconde guerre mondiale. Il vise à asseoir durablement un service public de qualité, en dotant les entreprises aéroportuaires de structures modernes et en leur donnant les moyens de leur développement.

Au cours des dernières décennies, l'exploitation des grands aéroports a progressivement changé de nature. Elle est aujourd'hui une activité économique à part entière, qui voit se développer, aux côtés du service public, de nombreux métiers comme les activités commerciales et immobilières ou l'ingénierie. Les aéroports sont devenus des pôles d'emploi considérables dans les régions où ils sont implantés.

La réforme est importante pour les aéroports, mais aussi pour le secteur du transport aérien dans son ensemble, et donc pour l'attractivité de la France et l'aménagement de notre territoire. Aujourd'hui, les compagnies aériennes, dont beaucoup sont devenues privées, évoluent dans un environnement fortement concurrentiel et expriment de nouveaux besoins vis-à-vis des grandes plateformes aéroportuaires, en termes d'efficacité, de réactivité et de qualité de service aux clients.

Dans ce contexte, les grands aéroports ont vu, un peu partout en Europe et dans le monde, leur mode de gestion évoluer et s'ouvrir vers le secteur privé. Ainsi, BAA, gestionnaire des aéroports londoniens et premier opérateur aéroportuaire en Europe, est depuis de nombreuses années une société entièrement privée.

M. Maxime Gremetz - C'est le seul en Europe !

M. le Ministre - FRAPORT, qui gère l'aéroport de Francfort, a ouvert son capital au privé en 2001. Il devrait en être de même prochainement pour la société gestionnaire d'Amsterdam-Schiphol. Athènes, Bruxelles, Rome s'appuient également sur des acteurs privés pour leur exploitation. Il n'est que temps de faire évoluer le statut des aéroports français.

Notre projet concerne tout d'abord Aéroports de Paris, établissement public qui gère les aéroports d'Ile-de-France, notamment ceux de Roissy et d'Orly. Avec un trafic annuel de plus de 70 millions de passagers et de près d'1,8 million de tonnes de fret, il emploie directement plus de 8 000 personnes ; il a permis de créer plus de 100 000 emplois et investit 500 millions d'euros par an. Il figure ainsi parmi les grands opérateurs mondiaux.

Le statut actuel a montré ses limites. Alors qu'ADP doit améliorer ses capacités d'accueil, il lui interdit certaines voies de financement des investissements. Le principe de spécialité des établissements publics entrave les possibilités de développement de l'entreprise, notamment à l'international, et limite les possibilités de valoriser l'expérience acquise par les équipes dans différents secteurs. Le Gouvernement propose donc de passer à un statut de société, qui permettra à ADP de mieux exercer ses missions, en prenant ses responsabilités vis-à-vis des transporteurs aériens, des passagers, des riverains et des pouvoirs publics.

Outre la continuité de la personne morale Aéroports de Paris et le maintien de son autorisation légale d'exploiter les aéroports franciliens, nous prévoyons la continuité du régime applicable au personnel, assujetti à un statut réglementaire.

Par ailleurs, nous proposons un régime de domanialité privée, où l'ensemble des biens aéroportuaires serait la propriété de la société Aéroports de Paris. Cette solution est cohérente avec les réalités économiques actuelles, la plus grande partie des emprises et la totalité des installations aéroportuaires étant aujourd'hui la propriété de l'établissement public, qui en a financé l'achat et la réalisation. Elle permettra à ADP de mieux maîtriser le développement de ses activités.

Ces évolutions sont assorties de dispositifs permettant de garantir la bonne exécution des missions de service public et la protection des intérêts patrimoniaux de l'Etat. Ainsi, feront retour dans le domaine public de l'Etat, les biens nécessaires à l'accomplissement par celui-ci de ses missions, principalement les installations de navigation aérienne. Le remboursement à ADP des sommes liées aux investissements ainsi repris ne constituera pas une charge nouvelle, ni pour l'Etat, qui effectuait déjà des versements annuels à l'établissement public au même titre, ni pour les compagnies aériennes, qui supportaient ces coûts au travers des redevances de navigation aérienne versées à l'Etat.

Par ailleurs, l'affectation au service public des biens nécessaires à l'exploitation aéroportuaire est garantie par un contrôle de l'Etat sur tout projet d'aliénation. Un cahier des charges détaillé, approuvé par décret, définira précisément les obligations de la société et les conditions d'exercice par l'Etat de ses propres missions sur les aéroports, notamment la police. L'entreprise sera également soumise à toutes les obligations générales applicables aux exploitants d'aéroports, notamment en matière de sécurité, de sûreté et de préservation de l'environnement.

Il est clairement inscrit dans le projet que l'Etat conservera la majorité du capital d'ADP, élément stratégique de la politique de transport et d'aménagement du territoire. Pour faciliter le développement de l'entreprise et le financement de l'important programme d'investissement engagé, le Gouvernement envisage une ouverture du capital, mais l'Etat restera majoritaire.

Ce texte concerne en second lieu le régime de gestion des aéroports régionaux structurants, qui resteront de la compétence de l'Etat à l'issue du processus de décentralisation prévu par l'article 28 de la loi sur les libertés et les responsabilités locales. Sont concernés une douzaine d'aéroports, qui génèrent un chiffre d'affaires total de plus de 500 millions et dont le trafic était en 2004 de 40 millions de passagers. Les départements d'outre-mer feront l'objet d'un traitement particulier, au cas par cas, pour tenir compte de leurs spécificités.

Cette réforme est le fruit d'une longue réflexion et d'une concertation intense avec les chambres de commerce et d'industrie, actuels gestionnaires. Elle est indispensable pour mettre fin à la situation de précarité qui caractérise aujourd'hui l'exploitation de nos aéroports d'intérêt national et permettre leur développement. Soucieux de continuité, le Gouvernement souhaite s'appuyer sur les compétences des CCI, il attend d'elles qu'elles continuent à améliorer la performance des plateformes. Il souhaite également associer à cette modernisation les collectivités territoriales, afin d'assurer une meilleure insertion des aéroports dans l'environnement local et leur participation au développement régional. C'est pourquoi il a l'intention de donner aux unes comme aux autres une place significative dans le capital des sociétés concessionnaires qui seront créées pour exploiter ces aéroports ; il compte proposer au moins 25% du capital initial aux CCI et au moins 15% aux collectivités territoriales.

Le Gouvernement a l'intention d'ouvrir le capital de ces sociétés au secteur privé, mais de manière progressive, en tenant compte de la situation spécifique de chaque aéroport et notamment de ses besoins de financement. Il va de soi que l'Etat engagera préalablement à cette ouverture une concertation avec ses partenaires publics actionnaires, CCI et collectivités territoriales, sur les modalités de l'opération.

Par ailleurs, le Gouvernement sera attentif à la situation des agents actuellement employés sur ces aéroports. Ils seront maintenus en fonction, par l'effet de l'article L. 122-12 du code du travail pour les agents de droit privé, et dans le cadre d'une mise à disposition pour les agents de droit public. Les partenaires sociaux envisagent la négociation d'une convention collective nationale ; le Gouvernement y est très favorable (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Le volet relatif à la modernisation du régime des redevances aéroportuaires est indissociable du reste de la réforme. Les dispositions législatives proposées, dans ce domaine normalement régi par la voie réglementaire, visent à établir un cadre clair et juridiquement sûr pour la détermination des redevances et à offrir la souplesse indispensable, tout en préservant les intérêts des utilisateurs.

Le pivot de la régulation économique est la consultation des usagers ; les compagnies aériennes doivent exprimer des positions claires quant aux investissements à effectuer et au niveau de redevance acceptable pour le développement de leurs activités. Le rôle des commissions consultatives économiques des aéroports doit donc être affirmé et conforté. Il vous est proposé d'aller au-delà de la jurisprudence actuelle en précisant, dans un objectif de lissage, que les redevances doivent pouvoir rémunérer les capitaux engagés par l'exploitant et permettre un préfinancement de certains investissements. Dans la mesure où le produit des redevances reste globalement plafonné par le coût des services rendus, nous vous proposons également d'ouvrir la possibilité de modulations pour motifs d'intérêt général.

Par ailleurs, le régime de régulation proposé pour les exploitants des grands aéroports comporte une forte incitation à la contractualisation pluriannuelle avec l'Etat.

Pour la mise en œuvre détaillée de ces dispositions, nous prévoyons de maintenir le principe de la « caisse unique », selon lequel les recettes issues d'activités aéroportuaires hors service public mais liées au transport aérien, telles que commerces ou parkings, contribuent à maintenir les redevances aéroportuaires à un niveau raisonnable. Ce principe internationalement reconnu doit être pérennisé dans la gestion des aéroports nationaux.

En terminant, je tiens à remercier les deux rapporteurs pour la qualité de leur travail, et à confirmer que le Gouvernement examinera avec un esprit d'ouverture les amendements qui seront présentés. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jean-Pierre Blazy - Ouverture du capital surtout.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe communiste et républicain une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Maxime Gremetz - La privatisation de nos aéroports et la libéralisation du secteur aérien sont à l'ordre du jour de notre assemblée. Ce projet ne s'en cache même pas, puisqu'il poursuit deux principaux objectifs : la transformation d'Aéroports de Paris en société anonyme, avec en filigrane sa privatisation ; le changement de statut des établissements publics qui gèrent les grands aéroports régionaux d'intérêt national ou international en sociétés aéroportuaires, dont le capital resterait - dans un premier temps - majoritairement public. Après le premier temps vient toujours le deuxième : sous couvert de modernisation, ce projet est source de régression pour les usagers et les salariés du transport aérien, mais aussi pour les habitants et les élus locaux riverains des plateformes aéroportuaires.

Derrière le changement de statut de ces aéroports s'affirme en effet le glissement d'une logique de service public, d'emploi et de cohésion territoriale à une logique de libre concurrence. L'abandon du statut d'établissement public d'ADP au profit de celui de société anonyme ne répond pas à des impératifs d'intérêt général. Il intervient à un moment où les résultats financiers sont plutôt bons, comme en témoigne la hausse du chiffre d'affaires et du résultat net d'exploitation. Ce sont toujours les profits qu'on privatise !

Nous ne sommes pas convaincus par les arguments avancés pour justifier la privatisation déguisée d'ADP. Le projet obéit en effet à un processus maintes fois répété qui consiste, dans un premier temps, à ouvrir le capital, puis dans un second à remettre en cause le statut de l'entreprise pour finalement aboutir à la privatisation pure et simple. Voyez France Télécom, les autoroutes...

M. le Ministre - C'est un gouvernement que vous souteniez qui a privatisé ASF !

M. Maxime Gremetz - Pas de chance : nous avons voté contre !

M. le Rapporteur - Qui était ministre des transports ?

M. Maxime Gremetz - Jean-Claude Gayssot, avec qui nous n'étions pas d'accord.

M. le Rapporteur pour avis - On en apprend de belles !

M. Maxime Gremetz - J'assume, et vous ne pouvez pas en dire autant, vous qui dites une chose quand vous êtes dans l'opposition et son contraire quand vous êtes dans la majorité !

Puisque c'est le sujet, élevons donc le débat jusqu'à dix mille mètres ! (Exclamations et rires sur divers bancs)

Mme la Présidente - Ne montez pas trop haut, Monsieur Gremetz !

M. Maxime Gremetz - Je le dis parce qu'il n'y a que des Picards dans l'hémicycle !

C'est ce projet que présente M. de Robien pour justifier l'abandon de la création d'un troisième aéroport international, dont la nécessité a pourtant été reconnue par tous les gouvernements successifs, de gauche comme de droite. M. de Robien est arrivé : il a mis un coup d'arrêt au projet, malgré le tout le débat public qui avait été engagé.

M. le Rapporteur - Il a eu raison !

M. Maxime Gremetz - Et cela après s'être prononcé pour au conseil régional, au conseil général et à Amiens Métropole ! En réalité, il a eu peur des Verts avant les élections municipales !

Mme la Présidente - Revenons au débat, Monsieur Gremetz.

M. Maxime Gremetz - Ce n'est pas de ma faute si le choix qui avait été fait a été remis en cause, contre l'avis des riverains de Roissy, qui réclamaient un troisième aéroport.

M. Jean-Pierre Blazy - Absolument !

M. Maxime Gremetz - Vous avez affirmé à l'époque, Monsieur le ministre, qu'après le 11 septembre le trafic aérien international allait baisser durablement. Manque de chance, après trois ans de baisse, il progresse à nouveau, et le troisième aéroport est plus que jamais nécessaire.

On prétend régler la question par le développement des aéroports régionaux. Mais ne prenons pas les gens pour des « gogos », comme on dit en Picardie. Vous savez bien qu'aucun aéroport régional ne remplacera un troisième aéroport international.

M. le Rapporteur - Ce n'est pas le débat !

M. Maxime Gremetz - Ce troisième aéroport, où ira-t-il ? En France ou à Amsterdam ? C'est cela la question ! Peut-être y a-t-il des ministres qui sont plus malins que les experts. Moi, je ne me reconnais expert en rien : je lis les études et les travaux des spécialistes. Deux gouvernements successifs ont conclu, à partir d'études différentes, qu'il fallait un troisième aéroport international : on n'y coupera donc pas. Demain, on le mettra sans doute à l'étranger.

M. le sénateur-maire de Saint-Quentin, qui appartient à l'UMP, m'a écrit pour me demander de remettre le troisième aéroport à l'ordre du jour. L'association pour le troisième aéroport, dont les membres viennent de tous les horizons, mais aussi les chambres de commerce et d'industrie, les chambres consulaires, et même le Medef (Exclamations sur les bancs des commissions) sont tous pour le troisième aéroport international. (« Et les riverains ? » sur les bancs du groupe UMP) Il n'y a que M. Gonnot et M. de Robien pour le refuser, mais l'évidence finira bien par s'imposer.

Le choix fait par le ministre va priver la France d'une infrastructure indispensable qui ferait de la Picardie la tête de pont d'un ensemble intermodal - composé du canal Seine Nord, de la nouvelle autoroute Paris-Bruxelles et de la gare TGV « dans les betteraves » - unique en Europe, et peut-être dans le monde. Il desservirait Amiens, qui n'a toujours pas le TGV à l'heure actuelle, et Eurotunnel. Vous semblez faire le choix d'Amsterdam pour construire cette infrastructure. Est-ce là l'Europe que vous nous proposez ?

La transformation d'ADP en société anonyme n'obéit pas à de réelles contraintes économiques et financières. Dans le souci de l'intérêt général, le Gouvernement aurait pu envisager une recapitalisation ou la création d'un pôle bancaire et financier public pour répondre aux besoins futurs. Cela aurait l'avantage de ne pas fragiliser l'établissement, tout en préservant son statut. En choisissant l'option libérale, il prend des risques que son projet ne semble pas soupçonner : la fuite en avant pour assouvir les appétits des marchés financiers, via une diminution des coûts, un accroissement de la productivité, le développement de la sous-traitance et la précarisation du personnel. La perte de la garantie d'emprunt d'Etat se traduira par une hausse des taux d'intérêt et un alourdissement de la charge de la dette. On peut craindre aussi la filialisation des activités d'ADP, que la présence d'actionnaires privés risque de précipiter. Cela exigera la poursuite de la réduction des emplois et de la masse salariale, y compris dans un contexte de reprise.

La recherche d'une productivité accrue dans un contexte hautement concurrentiel ne pourra s'effectuer qu'au prix de la qualité du service public et de la sécurité des usagers. Or, en matière de transport aérien, les enjeux de sécurité et de sûreté sont immenses. Il serait dangereux de laisser la seule loi du marché dicter les règles du fonctionnement aéroportuaire. La sécurité est un élément incontournable sur lequel l'Etat ne peut transiger.

Tel que, ce projet ne peut nous rassurer. Il faut réaffirmer que la sécurité relève intégralement de l'Etat, au travers de la seule direction générale de l'aviation civile. Or, le poids donné à Aéroports de Paris, qui devient propriétaire des installations de sécurité et d'entretien, rend la question plus difficile. En outre, la Commission européenne assure que la communication, la navigation, la surveillance, l'information aéronautique et le traitement des données de vol pourraient être fournis sur une base concurrentielle. Concurrentielle ! Il s'agit de la sécurité des personnes ! Et la Commission ajoute que cela améliorerait les relations avec les fournisseurs, en facilitant les compromis sur la qualité des services et des coûts...

M. le Ministre - Cet avis a au moins dix ans !

M. Maxime Gremetz - Je vous ferai parvenir les références ! Mais vous aurez du mal à trouver plus ultralibéral... Il faut impérativement que la sécurité et le contrôle aériens soient exclus du champ concurrentiel et assurés en toute indépendance. Malheureusement, le texte ne le garantit pas.

J'en viens aux fondements de la motion d'irrecevabilité : l'article 2 du projet prévoit le déclassement et la cession en pleine propriété, à la société anonyme, des biens du domaine public appartenant à l'établissement public ADP et à l'Etat. Ce passage à la domanialité privée soulève de sérieuses questions juridiques, et je suis étonné qu'un juriste aussi brillant que M. de Courson ne les ait pas repérées. C'est tellement gros qu'il n'a rien vu ! Mais quand je lui aurai ouvert les yeux, je suis sûr qu'il se rappellera son cours sur la domanialité publique. Les personnes morales de droit public sont propriétaires de biens, immobiliers et mobiliers, qui sont protégés par les dispositions de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Celle que vous n'aimez pas !

M. le Rapporteur pour avis - Mais si !

M. Maxime Gremetz - La révolution française n'est pas votre fort, Monsieur de Courson, pas plus que celui de M. de Robien.

Le Conseil constitutionnel rappelle ce point dans ses décisions du 18 septembre 1986 sur la loi relative à la liberté de communication - prenez note ! - et du 21 juillet 1994 sur la loi complétant le code du domaine de l'Etat. Dans son arrêt SIPPEREC du 21 mars 2003, le Conseil d'Etat, lui, déclare qu'en vertu de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la protection du domaine public est un impératif d'ordre constitutionnel.

Le Gouvernement n'a tenu aucun compte de cet argument juridique. Il n'a même pas fait l'effort de chercher un dispositif plus concevable. Pourquoi ne pas envisager d'attribuer à ADP, devenu société anonyme, une licence d'exploitation, et permettre ainsi à l'Etat de rester propriétaire des terrains ? Comment l'Etat, responsable de l'aménagement du territoire, garant des missions de service public et du statut du personnel, pourrait-il renoncer à la propriété du foncier ? Le déclassement des biens du domaine public met en danger la mission même de service public ! Comment comprendre que les aéroports régionaux demeurent la propriété de l'Etat, pour les plus importants, et des collectivités territoriales pour les autres, mais que l'on transfère à une société les deux principaux aéroports français, qui accueillent plus de 70 millions de passagers ? Comment assurer l'égalité de traitement ? Comment, entre spéculation immobilière et commerciale, assurer l'intérêt général ? Cette conception purement commerciale est incompatible avec les principes de la domanialité publique et avec le service public.

Dans son arrêt Société Le Béton du 19 octobre 1956, le Conseil d'Etat introduit la notion de service public dans la définition de la domanialité publique et fixe ainsi une évolution amorcée en 1932 par l'arrêt Société des autobus antibois, et confirmée en 1944 par l'arrêt Compagnie maritime de l'Afrique orientale. Le commissaire du gouvernement Bernard Chenot affirmait alors que le domaine public « est un bien dont l'administration doit assurer dans l'intérêt collectif la meilleure exploitation ». C'est donc la notion de propriété, et plus précisément le principe de l'inaliénabilité du domaine public, qui constituent la base de cette motion d'irrecevabilité.

L'inviolabilité de la propriété est consacrée précisément dans le préambule de la Constitution et dans l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ».

M. le Rapporteur pour avis - Il s'agit là de la propriété privée !

M. Maxime Gremetz - La décision du Conseil constitutionnel du 21 juillet 1994 précise cette notion et l'étend à la propriété publique.

On remarque, dans le projet de loi, l'absence flagrante de dispositions permettant à l'Etat de reprendre la propriété d'infrastructures indispensables pour assurer la bonne marche du service public. Cela peut pourtant se révéler nécessaire, dans l'hypothèse par exemple d'un manquement flagrant de l'exploitant à ses obligations ou de difficultés économiques que les actionnaires privés refuseraient de supporter. Pour aller plus loin, la modification du statut d'ADP pourrait également jouer sur les principes de fonctionnement du service public.

Dernier argument d'irrecevabilité : les principes d'égalité et de continuité du service public, ou lois de Roland. Le principe d'égalité, déjà mis à mal par la loi relative aux libertés et aux responsabilités locales, le sera encore par le présent projet. Ainsi, l'augmentation substantielle des redevances et taxes aéronautiques aura de graves conséquences, et de manière inégalitaire sur le territoire, pour les usagers directs des aéroports, notamment les compagnies aériennes, et pour les usagers indirects que sont les clients du transport aérien.

Le principe général d'égalité devant la loi, a valeur constitutionnelle, et il induit celui de l'égalité des usagers en matière de tarification. Cette notion a été circonscrite par une décision du Conseil constitutionnel du 12 juillet 1979, et dans plusieurs arrêts du Conseil d'Etat, dont le célèbre arrêt Denoyez et Chorques du 10 mai 1974, bien connu des étudiants en droit. Ce dernier prévoit justement la possibilité d'un ajustement des tarifs dans certaines conditions, telles que l'existence de différences de situations entre les usagers ou de considérations relatives à l'intérêt général. Or, nul intérêt général ne justifie une augmentation des taxes qui ne repose que sur des considérations financières. La mise en cause d'un service public essentiel à l'aménagement de notre territoire mettra à mal ce principe constitutionnel.

En ce qui concerne l'évolution du statut des grands aéroports régionaux, les sociétés nouvellement créées pourraient récupérer la concession dont bénéficient actuellement les CCI. Les aéroports concernés sont, par ordre d'importance, Nice, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Strasbourg, Nantes, Montpellier, Pointe-à-Pitre, Fort-de-France, Saint-Denis et Cayenne. Or, leur importance justifie la pérennité de l'intervention publique quand le Gouvernement invite plutôt les collectivités territoriales à « passer à la caisse » alors même que la gestion de nombre d'équipements leur a déjà été transférée. Dans le cadre de l'article 7, ces sociétés, initialement détenues majoritairement par des personnes morales publiques, pourront être rapidement privatisées, ce qui ne manque pas de susciter l'inquiétude des personnels des CCI : ce projet pourrait être en effet la première étape d'un processus de regroupement des gestionnaires d'aéroports qui, à terme, remettrait en cause les missions de service public ainsi que le statut des personnels.

Des préoccupations s'expriment ainsi en Nord-Pas-de-Calais concernant l'aéroport de Lille-Lesquin qui pourrait ne pas figurer dans la liste des installations d'intérêt national, ce qui pénaliserait l'ensemble de l'économie régionale. Ce serait en outre une mesure injuste car 900 000 personnes fréquentent chaque année cet aéroport quand un trafic d'un million de passagers ouvre droit au statut d'aéroport d'intérêt national. Au-delà, comment envisager que Lille-Lesquin ne soit pas le troisième aéroport d'intérêt national qui manque au nord de Paris ? Les enjeux économiques, le devoir de créer des emplois dans une région en crise, l'appel d'air constitué par « Lille 2004 » et l'évidente nécessité d'en prolonger les effets, sont autant d'éléments qui plaident en faveur de cet aéroport.

Des inquiétudes se font également jour parmi les personnels de l'aéroport Marseille-Provence. Contrairement aux affirmations de M. le rapporteur, tous les syndicats n'ont pas été sollicités.

M. le Rapporteur - Ils l'ont été.

M. Maxime Gremetz - Tous n'ont pas donné leur accord.

M. le Rapporteur - La CGT s'est montrée sourde à nos appels.

M. Maxime Gremetz - Vous affirmez donc avoir consulté tous les syndicats, ce dont attestera le Journal officiel et demain, des syndicats vous rappelleront que vous les avez oubliés.

M. le Rapporteur - Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

M. Maxime Gremetz - Les personnels manquent donc d'informations en ce qui concerne leur statut : sont-ils des agents publics ou privés ? A question précise, réponse précise et ne venez pas nous dire, Monsieur de Courson : « Cher collègue, vous simplifiez les choses outrancièrement... ». Si le projet est voté en l'état, il est essentiel que les agents dits privés puissent recourir au même dispositif que les agents publics. Or, les personnels ne disposeront d'aucune garantie. Certes, le texte prévoit que les agents publics affectés à la concession transférée aux nouvelles sociétés aéroportuaires seront mis à leur disposition pour une durée de dix ans, mais qu'en sera-t-il effectivement ? Nous savons que le statut juridique des personnels des aéroports régionaux employés par les CCI n'est pas homogène : deux tiers de ces agents sont sous statut, 25% bénéficient de CDI ou de CDD et 10% sont couverts par la convention collective des ports autonomes maritimes, ce qui est le cas de l'aéroport Marseille-Provence.

M. le Rapporteur pour avis - C'est le seul !

M. Maxime Gremetz - Le troisième alinéa de l'article 7 fait pourtant référence aux seuls agents publics. Les organisations syndicales craignent des privatisations qui, pour d'évidentes raisons de rentabilité, entraîneraient de nombreuses fermetures de lignes. Dans le cadre de la mondialisation et de la régionalisation européenne, certaines lignes européennes et internationales pourraient être concentrées sur quelques aéroports bien desservis par des liaisons ferroviaires nationales et des aéroports régionaux seraient sacrifiés avec les conséquences que l'on imagine. C'est donc une véritable concurrence entre les différents aéroports régionaux qui se dessine : l'aéroport de Lyon-Saint-Exupéry ne tentera-t-il pas de s'imposer face à celui de Marseille-Provence ou de Nice-Côte-d'Azur, lequel n'est pas encore relié à la ligne à grande vitesse ? Combien de grands aéroports régionaux résisteront sur la douzaine qui existe actuellement ?

En outre, ces nouvelles sociétés aéroportuaires qui devront affronter la concurrence du TGV risquent de faire pression sur la masse salariale et d'accroître le recours à la sous-traitance. On ne peut en définitive que s'interroger sur un cadeau foncier fait à des sociétés privées qui bénéficieront gratuitement des infrastructures financées par l'argent public.

Vous donnez également un chèque en blanc aux sociétés en matière de fixation et de modulation des redevances. Mise en place d'une double caisse, diminution des tarifs pour attirer les compagnies à bas coûts, augmentation des tarifs aux heures de pointe, autant de risques réels.

Ce projet participe en fait à une entreprise plus vaste de démembrement du service public. Comment croire que la modernisation des grands aéroports régionaux n'entraînera pas un désengagement de l'Etat, alors que le texte prévoit l'ouverture du capital des nouvelles sociétés gestionnaires ? La recherche de la rentabilité conduira inéluctablement celles-ci à sacrifier des aéroports et à ne maintenir, à terme, que cinq ou six grandes unités aéroportuaires régionales. Ce sera, pour nos régions, un désastre économique et social dont pâtira l'aménagement du territoire.

En vérité, le Gouvernement souhaite que l'organisation du transport aérien réponde à la logique de libre concurrence prônée par la Constitution européenne et aux exigences libérales formulées dans l'AGCS. Le groupe communiste et républicain refuse d'entériner un tel choix, qui remet en cause nos services publics. A cet égard, je tiens à saluer les grandes manifestations qui, faisant suite à celle de samedi dernier à Guéret contre la disparition des services publics, ont eu lieu ou vont avoir lieu dans toute la France, organisées hier par les lycéens, aujourd'hui par les chercheurs, et demain par l'ensemble des organisations syndicales et des salariés. Sans le souhaiter pour notre pays, je crains que ceux qui aujourd'hui refusent d'entendre ces grands mouvements populaires ne se réveillent bientôt douloureusement... L'expérience nous l'a appris, quand la jeunesse lycéenne et étudiante descend dans la rue, elle exprime là, souvent avant les autres, un très profond malaise.

Je vous appelle maintenant à voter cette exception d'irrecevabilité, pour le moins justifiée. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. le Ministre - Monsieur Gremetz, je vous répondrai brièvement, sans vous tenir rigueur de votre tendance que je connais bien, ici comme en Picardie, à sortir de l'objet du débat... Notre projet s'inscrit dans la continuité. Tout en garantissant une participation publique majoritaire dans le capital d'ADP, il permet de mobiliser des capitaux privés pour en financer le développement. Cette alliance entre public et privé autorisera des investissements dont le public seul n'aurait pas les moyens, en même temps qu'elle valorisera l'expérience des équipes d'ADP en mettant fin au principe de spécialité. Je compte sur vous, Monsieur Gremetz, pour voter ce texte car c'est lui qui précisément garantit contre tout spectre de privatisation.

S'agissant du fameux troisième aéroport, vous avez parfaitement le droit d'en défendre le projet, même si chacun sait qu'il n'est pas réalisable, du moins dans les vingt prochaines années. Ce projet n'avait été annoncé, à la veille des élections, par M. Gayssot que pour faire croire aux riverains que le problème des nuisances sonores de Roissy serait ainsi, magiquement, résolu. Je m'étonne que vous ayez pu être assez naïf pour le croire ! Nous, nous avons essayé de trouver des solutions concrètes pour diminuer le bruit autour de Roissy : nous avons réduit de 15% le trafic nocturne entre minuit et cinq heures, et éliminé presque tous les appareils les plus bruyants...

M. Jean-Pierre Blazy - C'est faux. Venez autour de Roissy !

M. le Ministre - Malgré le redémarrage du trafic aérien, chacun - à condition d'être de bonne foi - reconnaît la nette diminution de ces nuisances sonores.

En matière de sécurité, autre sujet que vous avez abordé, Monsieur Gremetz, notre texte conforte le rôle de régulateur de l'Etat. Par ailleurs, il ne vous a pas échappé qu'au terme de la réforme de la DGAC, la navigation aérienne relève désormais d'elle. Votant ce texte, vous renforcerez même l'Etat dans son statut de propriétaire des installations de contrôle aérien.

J'invite donc l'Assemblée à repousser cette exception d'irrecevabilité... et M. Gremetz à voter un texte qui lui apporte les garanties qu'il souhaite.

M. le Rapporteur pour avis - Je répondrai à M. Gremetz uniquement sur les trois problèmes de constitutionnalité qu'il a soulevés.

Le transfert à une personne privée de biens faisant partie du domaine public est-il conforme à la Constitution ? Oui, à la condition qu'ait eu lieu un déclassement préalable, ce que prévoit expressément le premier alinéa de l'article 2 du texte.

L'exercice d'un service public suppose-t-il que le propriétaire des moyens nécessaires à cet exercice soit nécessairement une personne publique ? Non, la transformation de EDF et GDF en sociétés anonymes, dont le Conseil constitutionnel a été saisi, n'a pas été jugée contraire à la Constitution, bien que ces entreprises assurent un service public. L'important est de préserver un contrôle public sur l'exercice des missions de service public. Tel est bien le cas, puisqu'à l'article 6 est bien prévu un cahier des charges.

Enfin, vous vous êtes demandé, comme je l'avais fait moi-même dans mon intervention tout à l'heure, ce qu'était exactement un ouvrage public. J'espère donc que vous voterez l'amendement que j'ai proposé tendant à clarifier cette notion, qui n'est aujourd'hui définie que par la jurisprudence. Bien qu'ancien magistrat, je suis de ceux qui pensent qu'il appartient aux représentants du peuple, et non aux magistrats qui s'y trouvent réduits à défaut d'intervention du Parlement, de définir les concepts et les règles qui régissent la vie publique.

Si un bien est affecté à un service public, il est considéré comme un ouvrage public. Voilà qui est clair. Seulement, la jurisprudence a eu tendance à élargir cette notion aux biens « utilisés par le public ». Les parkings de Roissy sont-ils donc un ouvrage public ? Je trouve, pour ma part, cette extension tout à fait abusive. D'où mon amendement, que la commission des finances a adopté, restreignant la définition de l'ouvrage public au seul premier cas.

J'invite l'Assemblée à repousser cette exception d'irrecevabilité, manifestement infondée.

Mme la Présidente - Monsieur de Courson, le Règlement dispose que seul le rapporteur de la commission saisie au fond et le ministre peuvent intervenir en réponse à l'auteur d'une exception d'irrecevabilité. Nous considérerons donc que votre intervention valait explication de vote pour le groupe UDF.

M. Serge Poignant - Notre collègue de Courson, en excellent juriste, a déjà répondu aux arguments d'une intervention consacrée pour l'essentiel, comme d'ordinaire, à des développements idéologiques et fermés à toute évolution. Oui, il est tout à fait possible de modifier la domanialité, l'article 2 contient les dispositions nécessaires pour cela. Le ministre vous l'a dit, il ne s'agit pas ici de privatisation, mais d'ouverture du capital, et les aéroports régionaux ne sont en rien sacrifiés - ils le seraient par l'immobilisme que vous prônez. Ceux d'Athènes, Bruxelles, Rome s'appuient déjà sur les capitaux privés, les nôtres en ont besoin de même pour se développer.

Enfin, c'est M. Gayssot qui a diminué la participation de l'Etat dans le capital d'Air France et qui a ouvert le capital de la société des Autoroutes du Sud de la France, c'est la gauche qui a privatisé EADS Airbus. Est-ce un échec ?

M. Maxime Gremetz - J'ai voté contre !

M. Serge Poignant - C'est un peu facile de nous dire cela aujourd'hui. Bien entendu, le groupe UMP votera contre cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Odile Saugues - Le glissement de la logique de service public à celle de la libre concurrence, tel est bien le sens de ce projet, comme l'a défini M. Gremetz, et pour cela seul nous voterions l'exception d'irrecevabilité. Ce projet s'inscrit dans le mouvement de privatisation larvée, et fait suite à celle d'Air France dont l'Etat ne conserve que 18,7% du capital : ce que vous nous proposez est un jeu de dupes.

Monsieur Gremetz, vous avez insisté sur le transfert de domanialité. Il nous paraît aussi entaché d'inconstitutionnalité, et le texte assez bâclé. Nous partageons votre inquiétude sur ce que deviendra le principe d'égalité dans la tarification. Quant aux grands aéroports provinciaux, la logique financière et la concurrence entre eux remettront en cause leur rôle dans un aménagement équilibré du territoire. Nous entendons comme vous l'inquiétude des personnels, auxquels ce texte n'offre aucune garantie sérieuse.

Nous ne suivrons pas le Gouvernement dans son entreprise de démantèlement du service public. Le groupe socialiste votera l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Leroy remplace Mme Guinchard-Kunstler au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Maurice LEROY

vice-président

M. Jean-Pierre Blazy - Cette motion vise à montrer que le projet va bien au-delà d'un changement de statut juridique des aéroports. Il acte le désengagement de l'Etat du secteur stratégique du transport aérien. Il est lourd de conséquences pour les salariés, les riverains, les compagnies et les usagers, mais aussi pour la nation entière en raison de la privatisation rampante des grand aéroports, fondamentaux de l'aménagement du territoire. Au contraire, il est indispensable d'élaborer une politique de développement durable du transport aérien en France et en Europe qui concilie l'exigence économique, le respect de l'environnement et la sécurité.

Il s'inscrit dans un contexte général de désengagement de l'Etat et de démantèlement des entreprises et du service public engagé depuis trois ans dans la logique libérale. Ils étaient 500 000 dans la rue le 5 février pour protester contre la casse sociale, ils seront nombreux demain, et les salariés d'ADP participeront à la grève nationale pour la défense de l'emploi, des salaires et des 35 heures.

Après France Télécom, EDF, Air France, avant peut-être la SNCF ou La Poste, l'Etat, s'abritant derrière le droit communautaire, procède à des privatisations que seule son idéologie impose. Dans ce texte, c'est le tour des aéroports, et le maintien d'une majorité publique dans le capital - au départ - ne trompera personne. L'ancien ministre des finances nous a exposé son programme en février dernier, et son successeur n'y changera à coup sûr rien : la société des autoroutes du sud et de l'est de la France va faire son entrée en Bourse...

M. le Ministre - C'est vous qui l'avez privatisée !

M. Jean-Pierre Blazy - ...Areva, EDF, GDF seront privatisés d'ici la fin de l'année.

Dans l'exposé des motifs, vous évoquez les nécessités de développement, en particulier pour le hub de Roissy, face à une concurrence de plus en plus vive. Mais arrêtons-nous sur le bilan de la politique que vous menez depuis trois ans.

Votre politique aéroportuaire, c'est le choix de l'hypertrophie parisienne au détriment des riverains, de l'environnement des Franciliens, et aussi des aéroports régionaux. Votre absence d'une vision à long terme de l'aménagement du territoire est parfaitement illustrée par votre refus obstiné du troisième aéroport parisien.

Le gouvernement Jospin avait choisi d'implanter une nouvelle infrastructure à Chaulnes, dans votre région. 48 heures après votre prise de fonctions, vous vous êtes empressé, depuis la Picardie, sans examen du dossier, de remettre ce choix en cause et vous avez gelé les procédures engagées. La décision du gouvernement Jospin était électorale, avez-vous dit au Sénat. Nullement. Elle était mûrement préparée. Lionel Jospin avait annoncé ce choix en novembre 2001 après un an de débat public. La loi de février 2002 relative à la démocratie de proximité prévoyait dans son article 155 un décret en Conseil d'Etat définissant un périmètre large autour de Chaulnes et donnant aux propriétaires la possibilité de demander l'acquisition de leur bien par l'Etat.

Le 25 juillet 2002, vous vous prononciez pour un développement durable des aéroports parisiens et vous annonciez un traitement volontariste des nuisance sonores engendrées par les vols de nuit. Trois ans plus tard, les résultats ne sont pas significatifs, pour ne pas dire insignifiants.

A Roissy, entre 0 heure et 5 heures du matin, on est passé de 26 000 à 22500 mouvements annuels, soit une diminution de 13% et non de 15% comme vous l'avez annoncé au Sénat. Mais les riverains en ressentent d'autant moins les effets que des vols ont été reportés avant minuit et après 5 heures. De toute façon, 5 heures de sommeil, c'est peu ! Avec 160 vols entre minuit et 5 heures, Roissy a un trafic dix fois supérieur à celui de Londres-Heathrow. A Francfort, on vient de décider l'arrêt des vols de nuit - ils seront transférés à Hähn, à 150 km - en échange de la construction d'une nouvelle piste.

Les règles que vous avez instituées ne sont pas toujours respectées. En 2004, l'ACNUSA a pris 248 décisions, et au 30 novembre, elle avait infligé 215 amendes pour un montant de deux millions. Au 31 décembre 2004, 792 dossiers lui avaient été transmis, et ce chiffre élevé reflète celui des décollages de nuit non programmés. En 2004, 800 avions ont décollé entre 0 heure et 5 heures en toute illégalité ! Les amendes ne sont pas suffisamment dissuasives.

Comment prétendre dès lors agir significativement contre les nuisances aéroportuaires et comment imaginer que des actionnaires privés, uniquement intéressés par la recherche de profits à court terme, accepteront de limiter les mouvements pour prendre en compte la gêne des riverains, alors que c'est déjà si difficile dans la situation actuelle ?

Le Parlement réuni en Congrès le 28 février a pourtant consacré la valeur constitutionnelle de la Charte de l'environnement, qui énonce en son article premier que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » et qui dit à l'article 6 que les politiques publiques doivent concilier la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social. Ces principes n'étant pas respectés, je pense que les associations de riverains engageront des actions contentieuses sur la base de la charte. Ils n'auront pas d'autre issue pour faire reconnaître leurs légitimes revendications.

Dans son rapport de juillet 2003, intitulé « Quelle politique aéroportuaire à l'horizon 2020 ? », M. Gonnot, également rapporteur du présent projet, faisait 21 propositions. Elles ont en fait été la caution du Gouvernement pour dire non au troisième aéroport. Les adjectifs qui y étaient utilisés pour qualifier la situation actuelle de l'Ile-de-France étaient pourtant appropriés : « situation explosive », « état des lieux dramatique », Franciliens « sacrifiés ».. Et vous aviez pris l'engagement, Monsieur le ministre, de tenir le plus grand compte des trois priorités auxquelles étaient censées répondre les 21 propositions. Force est de constater que tel n'est pas le cas.

La première priorité était la réduction des nuisances de Roissy CDG et Orly. La mission Gonnot proposait à cet effet l'instauration d'un vrai contrat avec les Franciliens, animé par un délégué interministériel et financé par une autorité aéroportuaire responsable. Cette proposition n'a jamais été suivie d'effet et nous attendons toujours la nomination du délégué interministériel.

Le rapport de notre collègue Gonnot insistait aussi sur la nécessaire internalisation des coûts environnementaux, en accord avec l'application du principe pollueur-payeur. Malheureusement, les progrès dans ce domaine sont marginaux et ce n'est pas la nouvelle TNSA qui peut faire office de taxe environnementale.

M. Gonnot demandait que l'on détermine « un plafond absolu de développement de l'aéroport ». Qu'en est-il aujourd'hui où il faut réviser le plan d'exposition au bruit et formuler les hypothèses d'évolution du trafic pour les années à venir ? Selon la Cour des Comptes, la capacité annuelle des pistes de Roissy-Charles De Gaulle est estimée entre 750 000 et 900 000 mouvements. Oserez-vous aller jusque là, Monsieur le ministre ? En 2004, on a dénombré 526 707 mouvements, ce qui est déjà énorme.

Ne faut-il pas se donner les moyens de préparer l'avenir, c'est-à-dire d'accueillir de façon raisonnée un transport aérien qui va doubler à long terme ? Le politique ne peut plus différer sa décision, il en va de son autorité. Or, c'est le choix de la fuite en avant vers le gigantisme aéroportuaire parisien qui a été fait. Mais vous avez du mal à l'assumer, ce qui explique que la procédure de révision du plan d'exposition au bruit de Roissy tarde à être engagée par le Préfet de région, alors qu'il reste un an maximum pour le faire, comme la loi l'impose. Vous savez bien, Monsieur le ministre, qu'annoncer aux élus et aux riverains une hypothèse de 750 000 à 850 000 mouvements va déclencher des réactions de rejet très fortes.

La deuxième priorité dégagée par le rapport Gonnot était le redéploiement des trafics, afin de développer les synergies entre les plateformes parisiennes et les plateformes de province. Rien n'a été fait en ce sens. Au lieu de conforter le rôle de Vatry au sein du système aéroportuaire français pour ce qui est du fret, le gouvernement Juppé a autorisé l'implantation du hub de Fed Ex à Roissy et les vols cargo ou postaux - cause essentielle de la gêne des riverains la nuit - s'y sont beaucoup développés, de sorte que Roissy a pratiquement rattrapé Francfort, premier aéroport européen pour le fret.

Faut-il rappeler que la compagnie Fed Ex a bénéficié de conditions d'implantation à Roissy particulièrement avantageuses et que Fed Ex vient de faire jouer son droit d'option sur une réserve foncière de plus de 14 hectares ? Est-ce de cette façon, Monsieur le ministre, que vous comptez réaliser le troisième réseau aéroportuaire et conforter le rôle de Vatry ?

Le dernier objectif mis en avant par la mission Gonnot était de miser sur les lignes à grande vitesse. Pourtant, Le TGV n'est pas en mesure de constituer une réelle alternative à la création du troisième aéroport, car le marché n'est favorable à la grande vitesse qu'en deçà d'une distance de 800 kilomètres ou de trois heures de voyage. Optimiser le fonctionnement du réseau existant, développer les LGV transversales pour interconnecter les aéroports, développer l'intermodalité, favoriser la substitution modale dans une perspective d'aménagement du territoire... toutes ces propositions allaient dans le bon sens, mais elles ont un coût important, sûrement plus important que la seule réalisation du troisième aéroport. Aucun début de mise en œuvre n'a d'ailleurs été constaté, à l'exception de la réalisation du TGV Est, décidée par la gauche.

De rapport en rapport, nous en arrivons à celui du sénateur Legrand, qui proposait la création des communautés aéroportuaires, conçues par notre collègue sénateur comme « l'outil d'une meilleure gouvernance du territoire d'influence des grands aéroports ». Mais la proposition de loi que l'Assemblée a adoptée en décembre 2003 et dont vous étiez aussi le rapporteur, Monsieur Gonnot, n'est qu'une coquille vide et nous attendons toujours le décret d'application sur la composition du conseil d'administration de la communauté aéroportuaire. Il tarde à être publié, ce qui tranche avec la rapidité avec laquelle la loi avait été adoptée au Parlement, dans un contexte préélectoral.

Alors que le rapport Legrand préconisait la création d'un Fonds d'investissement et de services de la communauté aéroportuaire, la proposition de loi n'a retenu que les contributions volontaires des entreprises bénéficiant de l'activité aéroportuaire, des gestionnaires d'aéroports, des collectivités locales. Dans ces conditions, les présidents de régions ne seront pas réellement incités à développer ces dispositifs, que je crois utiles.

Finalement, Monsieur le ministre et Monsieur le rapporteur, vous avez fait le choix unilatéral du tout Roissy. Et la transformation d'ADP en société anonyme va dans le même sens. Elle ne pourra que renforcer le gigantisme aéroportuaire, au détriment de l'environnement et de la sécurité dans une logique essentiellement libérale. L'histoire se répète, car déjà la privatisation d'Air France en 2003 montrait que vous aviez opté pour le tout libéral contre l'intérêt général, au détriment des salariés, des passagers, des riverains et des aéroports. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) M. Gayssot n'avait fait qu'ouvrir le capital d'Air France.

M. Jérôme Rivière - Vous reconnaissez donc qu'il y a une différence entre ouverture du capital et privatisation.

M. Jean-Pierre Blazy - Mais ensuite vous avez privatisé ! Vous planifiez le même schéma pour ADP. Bien que votre texte prévoie une majorité publique du capital, vous imaginez déjà que la part de l'Etat devienne minoritaire. La pression des 49% de parts privées initiales sera trop forte pour que vous résistiez à la spirale de la privatisation et la logique du profit primera alors sur la réalisation des missions de service public.

Avec ce nouveau projet, vous privez à nouveau l'Etat d'un levier d'aménagement du territoire pourtant fondamental, et ce sans aucune réflexion sur la nécessaire complémentarité des modes de transport et des infrastructures dans un souci de développement durable.

S'agissant des aéroports de province, vous vous abritez derrière la décentralisation pour dissimuler la réalité de vos desseins. Mais la décentralisation du gouvernement Raffarin, ce n'est que la défausse de l'Etat sur les collectivités territoriales. Vous avez dévoyé ce grand principe.

Vous ne pouvez pas traiter les aéroports comme les compagnies aériennes : celles-ci, en particulier les compagnies à bas coût, obéissent à une logique de court terme correspondant à l'exigence de leurs actionnaires, alors que la planification des infrastructures aéroportuaires ne peut s'envisager qu'à moyen ou long terme. La place croissante des compagnies à bas coût rend de plus en plus en plus vulnérables les aéroports régionaux, dont elles assurent aujourd'hui près de 25% du trafic international, contre 10% en 2000. C'est encore plus vrai s'agissant des aéroports départementaux de taille moyenne : à Beauvais, 93% des vols commerciaux du premier semestre 2004 étaient de Ryan Air ; qu'adviendra-t-il de cet aéroport et de ses emplois si cette compagnie change de stratégie et décide de partir ?

Par ailleurs, le contexte mondial et européen dans lequel s'inscrit l'industrie du transport aérien devrait inciter à plus de prudence. Les événements du 11 septembre 2001, les incertitudes géopolitiques, le renchérissement des coûts de sûreté lié à la crainte du terrorisme, l'augmentation du prix de l'énergie, la récession économique, sans oublier l'épidémie de pneumopathie venue d'Asie du Sud Est ont entraîné de nombreuses faillites en Europe : Swiss Air, Sabena, AOM, Air Liberté puis Air Lib, enfin Air Littoral et Aeris. De nombreuses compagnies se portent mal, trois des six principales compagnies américaines sont menacées de faillite. Delta Airlines, partenaire d'Air France dans l'alliance Skyteam, vient d'engager une nouvelle guerre des prix en décidant de baisser de 50% ses tarifs, ce qui va inévitablement tirer les comptes vers le bas. En Europe, la déréglementation de la concurrence, en particulier avec l'ouverture du marché de l'assistance en escale, s'opère sans que ne soit définie une compétence de l'Union européenne dans ses relations avec les tiers, notamment avec les Etats-Unis.

Vous voulez, Monsieur le ministre, imposer votre choix du tout libéral au moment où les effets négatifs de la déréglementation du transport aérien imposent d'éviter la fuite en avant. Qui ne voit que le hub d'Air France impose son modèle centralisateur et monopolistique pour le trafic domestique ? Les disparitions récentes de compagnies ont accru la dépendance des aéroports de province vis-à-vis de Paris et d'Air France ; Strasbourg, Montpellier, Lille, Ajaccio et Clermont-Ferrand sont durement pénalisés. L'offre régionale est quasi-inexistante en matière de liaisons internationales extra-européennes régulières ; les aéroports régionaux ne peuvent compter qu'avec les liaisons intra-européennes, ce qui suppose une dépendance accrue vis-à-vis des compagnies à bas coût. L'exemple de Bâle-Mulhouse avec Easy Jet est à cet égard très significatif. Ce schéma à haut risque, vous le confortez avec votre projet.

J'en viens à ADP, créé le 24 octobre 1945, sous le Gouvernement provisoire de la République française, par une ordonnance signée par le général de Gaulle, par Charles Tillon, ministre de l'air, par Alexandre Parodi, ministre du travail et de la sécurité sociale, par René Pleven, ministre de l'économie nationale et des finances, par Raoul Dautry, ministre de la reconstruction et de l'urbanisme, et par Eugène Thomas, ministre des PTT.

En tant qu'établissement public, ADP est actuellement régi par un principe de spécialité. Il a été créé pour aménager, exploiter et développer l'ensemble des installations du transport civil aérien dans la région Ile-de-France, soit les aéroports du Bourget, de Roissy et d'Orly ainsi que neuf aérodromes et l'héliport d'Issy-les-Moulineaux. Vous justifiez la transformation d'ADP en SA, Monsieur le ministre, par le fait que le principe de spécialisation entrave sa diversification, notamment son développement international, mais rien n'impose ce changement : la loi aurait pu élargir les missions d'ADP tout en maintenant son statut et en créant un nouveau type d'établissement public à vocation économique internationale ; la transformation en SA ne relève d'aucune exigence communautaire.

Vous mettez en avant, Monsieur le rapporteur, les critiques formulées par la Cour des comptes dans son rapport 2002 sur le non-respect par ADP du principe de spécialité, mais elles ne rendent pas inéluctable la transformation en SA. Dans sa réponse, le ministre de l'équipement avait lui-même déclaré que les analyses juridiques effectuées n'avaient pas montré l'incompatibilité des activités exercées avec le statut.

Ce sont aussi les missions d'ADP qui sont en question. Il n'est pas illégitime qu'ADP puisse exporter son savoir-faire, son ingénierie. Dans sa réponse aux critiques de la Cour des comptes, le président d'ADP estimait que les actions dans le domaine international étaient « le complément de sa mission » et présentaient un « intérêt direct pour l'amélioration des conditions d'exercice de celle-ci ». Le statut d'établissement public ne semblait pas le gêner...

Interviewé dans l'hebdomadaire L'Hémicycle, le président d'ADP définit son travail en vue du changement de statut dans des propos sans ambiguïté : « Ma stratégie est claire : transformer ADP en véritable entreprise de services ». C'est donc pour permettre à ADP de faire du « business » qu'on nous propose ce changement.

M. le Rapporteur - « Services » et « business », ce n'est pas la même chose !

M. Jean-Pierre Blazy - Avant même le vote de la loi, ADP envisage la construction d'un centre commercial à Roissy, sans d'ailleurs se soucier des conséquences sur les entreprises commerciales situées sur le territoire de la Plaine de France. Les élus de toutes tendances, dans leur grande majorité, s'opposent à ce projet.

M. François Asensi - Pas tous !

M. Jean-Pierre Blazy - Ce type d'activité constitue-t-il vraiment un motif légitime pour refuser le principe de spécialité lié au statut d'établissement public ?

Selon notre rapporteur, créer un nouveau statut d'établissement public pour ADP serait un choix purement idéologique ; mais c'est plutôt de transformer ADP en SA qui en est un ! C'est une décision fondée sur le credo libéral. Vous mettez en avant le fort endettement d'ADP, alors qu'une opération de recapitalisation initiée par l'Etat était tout à fait possible en cas de nécessité : les règles européennes exigent uniquement que l'Etat se comporte en actionnaire de droit commun, sans vouloir fausser le jeu de la concurrence.

Il est hasardeux d'ouvrir le capital d'ADP dans le contexte actuel, huit mois après l'effondrement du terminal 2E de l'aéroport de Roissy, qui a fait quatre morts et trois blessés. Le rapport rendu par la commission d'enquête administrative présidée par M. Berthier est à bien des égards accablant pour les architectes et ADP : des fissurations existaient dès la construction, des déformations ont fatigué la structure et la coque s'est fragilisée. On peut s'attendre à une série de mises en examen, la responsabilité d'ADP est mise en cause, et les défauts de construction pourraient même impliquer la destruction de la jetée, qui avait coûté quelque 150 millions. La future SA est donc fragilisée avant même sa constitution...

M. Graff avait déclaré que l'ouverture du capital devrait se faire fin 2005. Au sujet des conclusions du rapport, M. Goulard avait affirmé en février dernier que la date de la privatisation ne serait pas reculée, mais il a ensuite été contredit par M. Devedjian. Vous-même, Monsieur le ministre, vous avez envisagé l'ouverture du capital d'ADP fin 2005-début 2006. Ce qu'il faut retenir de ces différentes déclarations, c'est que la privatisation est programmée, que ce soit à court ou à moyen terme.

Nous sommes dans la même logique libérale qui inspire le rapport de M. Mariton sur la clarification des relations financières entre le système ferroviaire et ses partenaires publics. Après avoir ouvert le processus de privatisation des aéroports, la majorité envisage déjà celle des gares !

Le choix de privatiser ADP est une option idéologique, qui n'avait pourtant rien d'inéluctable. Sa validité est biaisée par la consanguinité qui prévaut dans le microcosme du transport aérien : comme le montre une affaire récente révélée par Les Echos et Le canard enchaîné, ce sont les mêmes personnes qui passent d'un poste à l'autre, en circuit fermé, entre les cabinets des ministres, la DGAC et ADP. Comment, dès lors, parler de choix objectifs faits au nom de l'intérêt général ? Les politiques eux-mêmes se laissent déposséder. Le directeur de cabinet du secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, M. Gauthey, a ainsi été rémunéré 7 000 euros bruts par mois par ADP de 1995 à 2002.

M. Michel Hunault - C'est une attaque personnelle ! C'est indécent !

M. Jean-Pierre Blazy - Cela vous gêne peut-être, mais c'est dans la presse.

M. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer - C'est faux !

M. le Ministre - C'est nul !

M. Jean-Pierre Blazy - Il percevait encore ce salaire de chef du service clients d'ADP alors qu'il était conseiller aux transports du Premier ministre de juillet 2002 à mars 2004.

M. le Rapporteur - Et les emplois Air France sous Mitterrand ?

M. Jean-Pierre Blazy - Le salaire de M. Gauthey n'a toujours pas été remboursé à ADP. Comment accepter un tel mélange des genres ? Et on tente après cela de nous faire croire que la transformation d'ADP en société anonyme va dans le sens de l'intérêt général ! Nous attendons vos explications.

Parallèlement à la transformation en société anonyme, le texte prévoit la mise en place d'un régime de domanialité privée, exception faite des biens nécessaires à l'exercice par l'Etat de ses missions de service public. Le transfert des biens d'ADP est inacceptable pour les infrastructures directement liées à l'activité aérienne, qui permettent l'accomplissement de missions de service public. Or, le texte reste flou sur les biens non transférables, dont il renvoie la définition à un décret. Les tours de contrôle, les radars, les pistes, les voies de circulation, les aires de stationnement des aéronefs, les installations de stockage de carburant, les réseaux, ne sont pas explicitement préservés : ce n'est pas acceptable.

S'agissant de la mise en œuvre de ces missions essentielles de service public, le texte renvoie à un cahier des charges qui doit être défini par décret. Ces missions sont trop importantes pour ne pas être définies par la représentation nationale. Or, le cadre législatif fourni par le Sénat n'est pas assez contraignant. Le pouvoir réglementaire aura donc le loisir de mettre ce qu'il veut dans ce cahier des charges.

M. le Rapporteur - C'est la Constitution !

M. Jean-Pierre Blazy - C'est un véritable chèque en blanc qu'on nous demande. Plus grave, on ne retrouve pas la déclinaison des principes du service public : continuité, adaptabilité, universalité, neutralité, prix raisonnables.

Ce texte est lourd de menaces. Les missions de service public d'ADP - aménagement, exploitation et développement des aéroports parisiens - sont banalisées parmi les nouvelles activités que la future société anonyme se voit autorisée à exercer, nouvelles activités qui seront encadrées par un statut fixé par décret. Vous nous demandez donc un blanc seing pour faire d'ADP une entreprise aux activités multiples, au détriment des missions de service public.

L'Etat aura-t-il les moyens de faire respecter ce cahier des charges minimaliste ? Saura-t-il résister à la pression des actionnaires privés? Les impératifs de sécurité ne risquent-ils pas d'être revus à la baisse?

Vous maintenez le statut des employés d'ADP, mais pour combien de temps ? La régression sociale, si elle n'est pas immédiate, est programmée. L'intersyndicale ADP s'inquiète avec raison. Transformer ADP en société anonyme, c'est aussi faire de ses salariés des employés comme les autres. Votre texte annonce la privatisation d'ADP...

M. Michel Hunault - Caricature !

M. Jean-Pierre Blazy - ...que M. Bussereau, alors secrétaire d'Etat, avait publiquement souhaitée. Comment des actionnaires privés pourraient-ils accepter le statut des agents ADP, dont l'existence repose sur l'article R 252-12-2 du code de l'aviation civile ? Cet article n'est pas abrogé, mais le Gouvernement, ou un autre...

M. le Rapporteur - De gauche !

M. Jean-Pierre Blazy - ...pourra y mettre fin par une nouvelle loi, voire un simple décret. Comme le montre l'exemple d'Air France, la préservation du statut des personnels en cas de transformation en société anonyme n'est que provisoire. Un vote du nouveau conseil d'administration de la société, ratifié par le ministre, suffira donc à mettre fin au statut des personnels d'ADP. Vous ne leur donnez aucune garantie.

On s'extasie toujours sur la capacité du transport aérien à créer des emplois - un million de passagers créeraient 1 000 emplois directs et autant d'emplois indirects - mais on oublie le développement de l'emploi précaire sur les plateformes aéroportuaires. ADP a beaucoup sous-traité : la logique de l'emploi précaire risque de s'étendre aux nouveaux emplois qui seront créés.

Le titre II concerne les grands aéroports de province. Mais peut-on vraiment parler d'une deuxième partie? Si les dispositions concernant ADP sont assez précises, celles relatives aux aéroports de province semblent en effet résiduelles. Le texte ne donne même pas la liste des aéroports concernés. Est-ce là toute l'importance que vous accordez à ces outils fondamentaux d'aménagement du territoire? Cette disproportion choquante le montre une fois de plus, vous faites le choix de l'hypertrophie parisienne. Le rapporteur, sans doute bien informé, se hasarde à citer 12 aéroports, dont 8 sont métropolitains et 4 ultramarins. Les 11 premiers de la liste sont des aéroports dont le trafic a largement dépassé le million de passagers. Si ce seuil est le principal critère à retenir, il faut y ajouter Beauvais, qui vient de le dépasser et dont le trafic est supérieur à celui de l'aéroport de Lille, qui est incontestablement un aéroport régional, bien que non retenu par M. Gonnot. L'Etat s'intéresse-t-il à Beauvais ? Il faudrait au moins que M. le ministre nous donne la liste des aéroports concernés par le titre II.

La gestion des aéroports de province reste une question non résolue. L'Etat s'est souvent rendu propriétaire de vastes domaines dès la fin de la Première Guerre mondiale. Devenu propriétaire et créateur, il concède en 1933 aux chambres de commerce et d'industrie la gestion et le développement de l'aéroport, dans le cadre de concessions de longue durée. Sur la plupart des aérodromes, ces concessions ont été menées à leur terme jusque dans les années 80.

Si les gestionnaires ont généralement bien conduit le développement des aéroports et si les concessionnaires ont sollicité les collectivités territoriales pour financer les investissements des équipements aéroportuaires, comme à Bordeaux par exemple, ils ont assuré ce développement sans mener nécessairement une concertation suffisante avec les collectivités locales.

Je ne conteste pas la nécessité d'une évolution du statut des grands aéroports régionaux. Mais la transformation en SA n'est pas pour autant inéluctable. Votre position libérale dogmatique (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) vous a empêchés d'envisager d'autres solutions, telles que la création de sociétés inspirées des sociétés d'économie mixte ou d'un établissement public industriel et commercial regroupant les grands aéroports de province.

Chez nos voisins européens, certains aéroports sont gérés par des sociétés aéroportuaires à capitaux publics à 100% : c'est le cas en Irlande ou au Portugal.

Vous prévoyez de transférer l'exploitation de ces aéroports, actuellement assurée par les chambres de commerce et d'industrie, à des sociétés de droit privé spécialement créées, à capital détenu par l'Etat, la CCI et le cas échéant des collectivités locales. A leur création, ces sociétés seront majoritairement détenues par des personnes publiques, voire entièrement si l'amendement de la commission est voté. Initialement, car le capital de ces sociétés devrait progressivement être ouvert au secteur privé. C'est en tout cas ce que souhaite le Gouvernement. Chambres de commerce et collectivités territoriales redoutent donc que le Gouvernement organise, sans le dire, le premier étage de la fusée de la privatisation des aéroports de province, puisqu'il prévoit que le capital de ces sociétés serait réparti à hauteur de 60% pour l'Etat, 25 % pour les CCI et 15% pour les collectivités locales.

Que fera l'Etat ensuite ? Les chambres de commerce, qui souhaitent pourtant une réforme du statut des aéroports, sont très critiques sur ce point. Elles voudraient rester au centre des nouvelles sociétés et obtenir une minorité de blocage, mais vous ne donnez aucune indication sur la composition du futur capital des nouvelles sociétés. Vous ne répondez pas sur la fin des systèmes de concession ou sur la propriété domaniale.

Rien n'est précisé sur l'entrée des partenaires privés dans le capital. Dans leur livre blanc, les CCI plaident pour un droit de préemption sur les parts de l'Etat, à leur profit et à celui des collectivités locales, pour éviter que les aéroports nationaux ne passent dans les mains de sociétés étrangères. Le projet de loi n'en fait pas mention, mais le risque existe pourtant, et il est grand ! On pourra aussi, un jour, voir ADP chercher à contrôler en partie certains aéroports régionaux - les plus rentables, évidemment ! Comment imaginer que les grands aéroports de province soient dans les mains de groupes privés étrangers, comment concilier une telle situation avec les exigences du service public et l'aménagement du territoire ? L'exploitation privée des grands aéroports régionaux ne doit pas aboutir à remettre en question le développement équilibré des territoires et des régions, mission fondamentale de l'Etat. Vous ne prévoyez pourtant aucun garde fou contre ce libéralisme excessif, cette décentralisation débridée, qui auront pour résultat une concurrence effrénée et destructrice entre les territoires.

Certaines collectivités territoriales se déclarent intéressées à participer au capital des futures sociétés aéroportuaires. D'autres s'interrogent, ou n'ont de toute façon pas les moyens de s'engager, ayant à faire face à d'autres nécessités imposées par la loi de décentralisation. Certaines, enfin, auront déjà à gérer les aéroports de proximité décentralisés. Nous souhaitons en tout cas garantir un droit de préemption en faveur des chambres de commerce dans le cas où les sociétés aéroportuaires seraient finalement créées.

Une autre question se pose : l'Etat doit renouveler la concession à la chambre de commerce aussitôt après son entrée au capital, ce qui se fera sans nouvel appel d'offres, dans la mesure où il y a une forme de continuité de la délégation. Ce dispositif est-il compatible avec le code des marchés publics et la loi Sapin ?

De sérieuses menaces planent également sur le personnel. Le texte dispose que les agents des chambres de commerce sont mis à la disposition de la nouvelle société concessionnaire pour une durée de dix ans. Pendant cette période, chaque agent pourra demander qu'on lui propose un contrat de travail, et à l'issue de cette période, la société exploitant l'aéroport devra le lui proposer. Le salarié, s'il refuse, sera alors réintégré dans la CCI. Mais les chambres de commerce soulignent leur incapacité à réembaucher ces agents après dix ans. Qu'adviendra-t-il ? Les inquiétudes du personnel sont légitimes, et il faut des réponses.

Monsieur le ministre, votre texte est inacceptable. Il participe à une privatisation à grande échelle de nos infrastructures aéroportuaires. Il marque le désengagement de l'Etat d'un secteur stratégique et fondamental. C'est la marque d'un libéralisme à tout crin qui prévaut sur l'intérêt général. Sur le plan économique, seules compteront désormais la satisfaction des actionnaires des aéroports et la logique du profit à court terme, dans le contexte d'une concurrence renforcée. Sur le plan social, vous compromettez le statut du personnel d'ADP, vous fragilisez la situation des employés des aéroports régionaux et vous ouvrez la porte à une précarisation encore plus grande de l'emploi sur les plateformes aéroportuaires. Quant à l'aménagement du territoire, vous renforcez l'hypertrophie parisienne et affaiblissez les aéroports régionaux.

Ce texte, c'est le triomphe de la logique de marché au détriment des objectifs de développement durable, proclamés pourtant tout récemment dans la Charte de l'environnement. Je demande donc à mes collègues d'adopter cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Ministre - Cette intervention d'une heure est quelque peu décousue, mais surtout de qualité très inégale. Vous avez notamment évoqué des ragots et cité des extraits de presse concernant des mises en examen, dans l'affaire du terminal 2E, qui ont été démenties par le juge lui-même ! Il n'y a d'ailleurs aucun lien entre le statut d'ADP et les événements qui ont eu lieu. Cette confusion n'est pas digne du débat parlementaire, encore moins lorsqu'elle s'appuie sur un autre ragot, personnel celui-là, dont je ne parlerai même pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

En ce qui concerne le décret d'application sur les communautés aéroportuaires, il est au Conseil d'Etat depuis quelques semaines et sortira très prochainement. Le décret d'application sur la liste des aéroports est également en cours d'examen au Conseil et la liste reste inchangée depuis le vote de la loi. Quant à savoir pourquoi la loi Sapin ne s'applique pas, l'article 7 du projet prévoit tout simplement que l'article 38 et les deuxième à quatrième alinéas de l'article 40 de cette loi ne sont pas applicables aux opérations réalisées selon les dispositions de ce paragraphe. Quel dommage que vous n'ayez pas pris un peu de temps pour lire le texte !

Vous avez attaqué les compagnies à bas coûts, tout en saluant les performances des aéroports régionaux. Ces compagnies contribuent à la démocratisation du voyage aérien, sans aucun doute, et au développement économique de certaines plateformes. Elles créent des emplois sans empêcher les compagnies traditionnelles de se développer aussi, et sont évidemment aussi contrôlées que les autres. Vous avez également longuement parlé du troisième aéroport. Ce projet de loi vise à développer, avec de nouveaux moyens, des aéroports structurants pour le pays. Il veut constituer un réseau équilibré, qui irrigue l'ensemble du territoire. Je suis aussi ministre de l'aménagement du territoire. Je suis à ce titre opposé à un nouvel aéroport, situé une nouvelle fois en Ile-de-France, et qui a d'ailleurs toujours été un leurre.

En ce qui concerne Vatry, je suis heureux de vous informer que le fret y augmente rapidement. La France a ainsi pu présenter la meilleure candidature, sur le plan technique, à DHL, qui est certes restée en Allemagne, mais qui a salué la qualité du dossier. Quant au CIADT du 18 décembre 2003, vous êtes très mal placés pour nous critiquer, puisque le gouvernement Jospin avait supprimé le seul outil de financement des infrastructures, le FITTVN ! Nous avons, nous, mis en place l'Agence de financement des infrastructures terrestres, qui dispose des ressources dont elle a besoin.

Mme Odile Saugues - Les autoroutes !

M. le Ministre - Elle ne dispose hélas pas des ressources des autoroutes que vous avez privatisées, comme ASF. Sachant que le cours d'ASF a presque doublé depuis la privatisation, vous pouvez imaginer le manque qui en résulte ! Heureusement que nous avons conservé la SAPRR et la SANEF, dont nous allons ouvrir un peu le capital pour rembourser les dettes plus rapidement : les dividendes iront ensuite alimenter l'AFITT, à hauteur de 3,5 milliards d'ici 2012, au grand bénéfice des trains à grande vitesse, du ferroviaire et des canaux fluviaux, et aussi de quelques autoroutes. Cela nous permet de faire financer le transport propre par la route. C'est un énorme progrès : vous aviez beau affirmer la nécessité du développement durable des transports, vous avez réussi à faire perdre au transport ferroviaire 1% par an pendant vingt ans !

Je constate d'ailleurs que sur tous les points sur lesquels vous aviez pris position, vous vous êtes trompé ! Ainsi, pour les nuisances aériennes, lors du débat sur Air France, vous aviez dit que vous étiez favorable à la réduction du bruit à la source, mais que nous avions déjà atteint certaines limites. Vous venez d'admettre que les nuisances aériennes avaient baissé : c'est vrai, le trafic nocturne est réduit à Roissy, les mouvements ont été plafonnés et ceux qui ne respectent pas la réglementation sont sanctionnés. L'Etat fait enfin son travail pour protéger les riverains ! Mais lorsque vous dites que la baisse n'a pas atteint 15%... elle est de 17% ! La tendance est enfin inversée, et la baisse se confirme. Vous avez aussi fait un parallèle entre la privatisation d'Air France et ce projet de loi. Nous ne privatisons pas ADP : nous ouvrons le capital. Lorsque nous avons privatisé Air France, vous avez déclaré que, dans la période incertaine où nous étions, cela constituait un risque majeur pour l'avenir du transport aérien français... Depuis, Air France a réussi à construire avec KLM la première compagnie mondiale. Je veux bien prendre des risques comme ça tous les jours ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jérôme Rivière - L'opposition met en cause le bien fondé à débattre de ce texte parce qu'il signifierait l'abandon, par l'Etat, de toute politique aéroportuaire. Pourtant, on ne peut nier les évolutions considérables qui sont intervenues dans le domaine et qui affectent les aéroports.

Comment ne pas reconnaître la nécessité d'un cadre juridique nouveau pour donner à tous nos aéroports les moyens de lutter à armes égales alors que la concurrence est particulièrement rude ? Le Président du Conseil constitutionnel a trouvé que la loi était parfois bavarde, mais tel n'est pas le cas pour ce projet : il n'existe jusqu'à présent aucun texte concernant les aéroports régionaux et celui-ci est particulièrement attendu par les CCI gestionnaires des plus grands plateformes régionales.

Le titre premier tend à transformer ADP en société anonyme, non pour des raisons idéologiques mais afin de favoriser son développement. Ne pas débattre, c'est condamner cette société, c'est refuser aux personnels la possibilité de mettre en valeur leurs compétences.

Le titre II ouvre aux CCI le droit d'apporter leur concession afin de créer des sociétés aéroportuaires, comme le précisera je l'espère un amendement. Le Gouvernement a choisi de maintenir un système non libéral, alors que la norme européenne repose sur la licence : l'Etat restera donc omniprésent. Ne pas débattre, c'est nous priver d'un dispositif qui nous permettra de choisir l'avenir de notre plateforme d'intérêt national ou international, c'est nous soumettre à des décisions communautaires qui ne correspondraient pas nécessairement à nos choix.

Le titre III définit le mode de fixation des redevances et autorise leur modulation ainsi que l'encadrement de leur progression sur un rythme pluriannuel. Ne pas légiférer, c'est conserver un système archaïque sans base législative, notamment pour la perception des redevances domaniales.

Enfin, M. Blazy, faute d'arguments probants, a fait état de considérations nauséeuses en attaquant des personnes, ce qui achève de discréditer sa démonstration. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Ce texte étant indispensable, le groupe UMP ne votera pas la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François Asensi - Sixième aéroport mondial, 115 000 salariés, un chiffre d'affaires qui a augmenté de 15% entre 2002 et 2003, votre vision catastrophiste d'ADP ne correspond décidément pas à la réalité. Vous auriez par ailleurs pu envisager une recapitalisation par l'Etat, comme vous l'avez fait pour Alstom, d'autant plus que le risque est quasiment nul en raison du monopole public.

50 à 51 millions de passagers transitent aujourd'hui par Roissy. Vous envisagez un trafic de 80 millions de voyageurs et les techniciens d'ADP affirment qu'un accroissement jusqu'à 100 millions de passagers est possible. J'appelle votre attention sur les risques encourus sur le plan écologique et en matière de santé publique : la question du troisième aéroport ne constitue donc en rien une digression. Des investissements lourds seront nécessaires à Roissy alors que d'autres solutions auraient été possibles.

Vous pouviez de plus maintenir la domanialité dans le domaine public mais vous avez préféré faire un cadeau extraordinaire à la future SA : M. Blazy a bien montré comment, à force d'évolutions, on finit par ouvrir entièrement le capital d'une entreprise et par la privatiser.

M. le Ministre - La loi ne le permet pas.

M. François Asensi - Elle le permettra.

M. Richard Mallié - Vous, vous augmentez le capital, et nous, nous privatisons !

M. François Asensi - Pour toutes ces raisons, le groupe communiste et républicain votera cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Odile Saugues - M. Blazy a exposé les incohérences de la politique gouvernementale : non prise en compte des problèmes environnementaux aux abords des aéroports puisque vous refusez l'idée d'un troisième aéroport dans le bassin parisien, choix de la fuite en avant vers le gigantisme aéroportuaire, absence de concertation. Ce texte est inutile car il ne contribuera pas à renforcer un service public de qualité et il organisera notre dépendance à l'endroit de grands groupes qui maîtriseront la politique aéroportuaire. Le vote de cette question préalable s'impose. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Michel Hunault - Il y a, au contraire, urgence à légiférer. Nous soutenons la politique de M. le ministre qui vise, dans la concertation, à adapter les outils juridiques et financiers de gestion des aéroports. Des concessions arrivent à échéance, les besoins d'investissements sont énormes, et M. Blazy feint de ne pas le savoir. C'est caricatural de parler de privatisation : l'Etat garde ses prérogatives en matière de service public...

M. François Brottes - Très peu.

M. Michel Hunault - ...d'environnement, de développement durable. M. Blazy sait bien que, pour toutes les collectivités territoriales concernées, le futur aéroport de l'ouest constitue le seul dossier consensuel, et il s'est permis de venir dans ma circonscription pour dire qu'une nouvelle zone aéroportuaire était inutile !

M. le Rapporteur - Scandaleux !

M. Jean-Pierre Blazy - Ragot !

M. Michel Hunault - Il ose en outre citer l'ordonnance de 1945 et le général de Gaulle, ce qui est particulièrement malvenu de sa part. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Depuis trois ans, M. le ministre a accordé les financements nécessaires au développement des routes et du rail. C'est précisément parce que nous devons aujourd'hui aborder la troisième étape que le groupe UDF ne votera pas cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

DÉCRET RELATIF AU RÉFÉRENDUM SUR LA CONSTITUTION EUROPÉENNE

M. le Président - M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le Président de la République une lettre l'informant qu'il avait décidé de soumettre au référendum un projet de loi autorisant la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe.

Prochaine séance, ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 55.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


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