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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 72ème jour de séance, 177ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 16 MARS 2005

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

CONVENTION MÉDICALE 2

LUTTE CONTRE LA DÉLINQUANCE 3

POLITIQUE ÉCONOMIQUE 3

OPTIONS DANS L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 4

CONFLITS FAMILIAUX TRANSNATIONAUX 4

POUVOIR D'ACHAT 5

PRÉSIDENCE DE TV5 6

COMMERCE DE PROXIMITÉ 6

PARIS 2012 7

LUTTE CONTRE LE PALUDISME 8

ÉVALUATION DE LA LOI
SUR LA GESTION DES DÉCHETS RADIOACTIFS 8

ADOPTION INTERNATIONALE 9

RAPPEL AU RÈGLEMENT 10

ORGANISATION DU TEMPS DE TRAVAIL (deuxième lecture) 10

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 13

QUESTION PRÉALABLE 19

La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

CONVENTION MÉDICALE

Mme Jacqueline Fraysse - Une nouvelle convention médicale organisant les relations entre l'assurance maladie et la médecine libérale a été signée le 12 janvier dernier. Traduction de votre réforme, elle met en place le parcours de soins et le médecin traitant, et les patients sont invités à mettre la main à la poche pour financer la hausse des dépenses de santé. En outre, elle organise le brouillage de la responsabilité politique de cette réforme car elle en fait porter la charge aux médecins dans la solitude de leurs cabinets ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Contrairement à ce que vous aviez annoncé, les tarifs de la médecine de ville progressent, et ce, même dans le respect du parcours de soins.

La mise en œuvre de ce système de santé à plusieurs vitesses rencontre l'opposition de l'ensemble des professionnels de santé : 80 % des médecins généralistes ont refusé de signer cette convention médicale. Un collectif a rédigé un manifeste signé par 25 000 personnes : les assurés sont invités à boycotter votre réforme et à ne pas renvoyer leur déclaration de médecin traitant. Il semblerait que ce collectif ait été entendu, puisque seuls 2 millions d'assurés sur 45 ont renvoyé leur déclaration à ce jour.

Votre politique ultra-libérale (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP) privilégie le marché au détriment de la santé (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Les professionnels réclament une renégociation de cette convention...

M. le Président - Posez votre question !

Mme Jacqueline Fraysse - Etes-vous prêt à accéder à leur demande ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Président - Chacun doit respecter son temps de parole ! (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Daniel Paul - Mme Fraysse l'a respecté.

M. Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat à l'assurance maladie - Je vous remercie de poser cette question, elle nous permettra de faire le point et de rétablir la vérité (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste ; « Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Il est faux de dire que les assurés sociaux devraient mettre la main à la poche.

Plusieurs députés socialistes et communistes - C'est vrai !

M. Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat à l'assurance maladie - Les patients qui choisissent un médecin traitant seront remboursés au même niveau qu'auparavant - voire mieux, car nous donnons accès à une complémentaire santé à ceux qui n'en bénéficiaient pas hier (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

Vous dites que 80% des médecins généralistes refusent de signer la convention : la vérité, c'est que 94 % d'entre eux ont renvoyé le formulaire de médecins traitant (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Ce taux ne résulte pas d'un sondage, mais de données émanant du ministère. De même, ce ne sont pas 2 millions de Français mais 3,5 millions qui ont renvoyé leur déclaration de médecin traitant !

Vous n'avez pas osé entreprendre la réforme de l'assurance maladie. De grâce, ne nous reprochez pas de la réussir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Monsieur Paul, Mme Fraysse a parlé durant 3 minutes et demie. Elle n'a pas respecté son temps de parole !

Plusieurs députés UMP - Hou ! Hou !

LUTTE CONTRE LA DÉLINQUANCE

M. Georges Ginesta - Après l'explosion de l'insécurité suite à des années de pouvoir socialiste (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), le Gouvernement, sous l'impulsion de M. Raffarin, a mis en place une politique de lutte contre la délinquance qui a porté ses fruits. La mobilisation des gendarmes et de la police a permis de faire reculer la délinquance en 2002 et en 2003, et cette tendance s'est confirmée l'an dernier.

Nos concitoyens sont particulièrement attentifs à cette question. Quels sont les derniers chiffres de la délinquance ? Quelle est en particulier l'évolution des violences faites aux personnes ?

M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Vous avez raison de saluer l'action des forces de sécurité. Depuis dix ans, nous n'avions pas enregistré d'aussi bon résultats qu'en 2004 en matière de lutte contre la délinquance. Les résultats sont également au rendez-vous pour les deux premiers mois de cette année. La délinquance générale a baissé de 5,1 % et la délinquance de voie publique de 9,5 %. Mais nous devons bien entendu rester modestes.

Mme Odile Saugues - Vous ne l'êtes pas !

M. le Ministre - La lutte contre les violences faites aux personnes est une priorité. Nos forces de sécurité doivent être plus présentes et plus réactives encore grâce aux nouveaux outils de gestion - je pense en particulier à la « main courante » informatique - afin de protéger nos concitoyens les plus exposés, femmes, enfants, personnes âgées. Les résultats, une fois de plus, sont là : ce type de violence a baissé de 2 % sur les deux premiers mois de l'année, et de 5 % dans votre département du Var, Monsieur le député. Nous devons encourager tous ceux qui se battent pour la sécurité de nos compatriotes, et nous y sommes, croyez-le bien, déterminés. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

POLITIQUE ÉCONOMIQUE

Mme Marylise Lebranchu - Cette majorité est maintenant au pouvoir depuis trois ans : tout homme politique qui croit en l'action publique ne peut plus entendre parler du « poids de l'héritage » non plus que des leçons données en permanence à la gauche. Ni M. Jean-Marc Ayrault, ni M. Pierre Bourguignon, ni donc aucun Français n'ayant obtenu de réponse hier à leurs questions, je vous demande comment, avec plus de 1 000 milliards de déficit, 10 % de la population active au chômage, une révision de la croissance à la baisse, l'engagement de baisser les déficits publics tout en baissant les impôts des plus favorisés, comment donc vous allez faire pour assumer les engagements du Premier ministre : augmentation du pouvoir d'achat, ouverture de négociations salariales dans la fonction publique, engagement de verser 200 € supplémentaires d'intéressement aux salariés d'une minorité d'entreprises contre une baisse de l'impôt sur les sociétés ? En bref, comment allez-vous procéder pour diminuer les recettes, augmenter les dépenses, et vous attaquer enfin au chômage ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Brièvement : en faisant ce que vous n'avez pas fait pendant cinq ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; vives protestations sur les bancs du groupe socialiste) En effet, le pouvoir d'achat des Français est au coeur des préoccupations du Gouvernement. Même si les Français payent l'addition d'une RTT non négociée et non financée (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), le Gouvernement a pris des mesures : une augmentation du SMIC de 5 % et de la prime pour l'emploi de 4 %. En outre, nous disposons désormais des éléments suffisants pour envisager la redistribution des profits des entreprises. Vous le voyez, nous oeuvrons pour le pouvoir d'achat de tous les Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; huées sur les bancs du groupe socialiste)

OPTIONS DANS L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

M. François Rochebloine - Le monde enseignant s'interroge : si l'éducation est bien la priorité de la nation, pourquoi envisager une suppression des options à la rentrée prochaine ? Comment comprendre que le ministère accepte une rupture d'égalité entre lycéens et collégiens en fonction de leur scolarisation dans un établissement d'une grande ville ou d'une bourgade ? Nous craignons que se développe une école à deux vitesses avec des collèges et lycées de centre-ville où les élèves pourront apprendre le latin et le grec, et des établissements où le choix des options sera réduit. Telle n'est pas l'école de la République que nous souhaitons.

Comment comptez-vous répondre à ces inquiétudes et quels moyens allez-vous donner à l'école pour que tous les élèves disposent des mêmes chances de réussite ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement - Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de M. Fillon, qui défend au Sénat la loi d'orientation sur l'école.

L'Education nationale ne peut ignorer l'évolution de la démographie. D'autre part, notre enseignement secondaire est l'un des plus diversifiés au monde. Nous proposons aux élèves de très nombreuses langues vivantes et des spécialités technologiques très variées. Ce choix doit avoir une contrepartie : l'évolution de la carte des options lorsque les élèves ne sont plus demandeurs de l'une d'entre elles ou lorsque les effectifs baissent. Nous devons donc organiser des regroupements de classes, voire d'établissements, les recteurs veillant à maintenir toute la gamme d'enseignements dans chaque bassin de formation. J'ajoute que le taux d'encadrement de nos établissements est le plus élevé du monde, avec un professeur pour onze élèves en moyenne et que, raisonnablement, il n'est pas possible de faire plus.

Nous voulons conforter l'école de la République, c'est-à-dire garantir à chaque élève l'égalité d'accès au savoir ainsi que l'égalité des chances. Tel est précisément l'objet de la loi d'orientation sur l'école que la majorité de l'Assemblée nationale s'honore d'avoir votée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

CONFLITS FAMILIAUX TRANSNATIONAUX

M. Michel Heinrich - La justice est saisie chaque année de plusieurs centaines de cas d'enfants enlevés par l'un de leurs parents, et emmenés à l'étranger pour empêcher l'autre parent d'exercer ses droits. Pour faciliter le règlement de ces contentieux douloureux, vous avez participé, Monsieur le Garde des Sceaux, à l'élaboration du règlement communautaire « Bruxelles II bis » relatif à la responsabilité parentale, qui est entré en vigueur le 1er mars dernier. Vous aviez lancé l'an passé un numéro Azur SOS Enfants disparus, où les familles pouvaient être renseignées et orientées. Cette année, vous créez un site internet traitant notamment des déplacements internationaux d'enfants et de l'exercice du droit de visite à l'étranger. Quels progrès les familles confrontées à ce douloureux problème peuvent-elles attendre de ce site, lancé ce matin même ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Les couples formés par des personnes de nationalité différente sont de plus en plus nombreux. La conséquence, ce sont, hélas, en cas de divorce, des difficultés accrues pour la garde des enfants et l'exercice de l'autorité parentale. Certains parents vont jusqu'à enlever l'enfant de son lieu de domicile habituel pour l'emmener dans leur pays d'origine. Il fallait donc trouver, en commençant par l'Union européenne, une solution propre à éviter les conflits de compétences entre tribunaux. Grâce à une initiative franco-allemande, un règlement européen a été adopté qui donne au tribunal du domicile habituel de l'enfant compétence exclusive. Il est entré en vigueur le 1er mars, et il reste à l'appliquer avec succès. Les besoins sont importants, puisque 645 dossiers étaient ouverts auprès de la Chancellerie au 1er janvier dernier. Après la création d'un numéro Azur, j'ai souhaité celle d'un site internet expliquant aux familles les démarches à accomplir.

Par ailleurs, nous devrons encore travailler pour parvenir avec les pays extérieurs à l'UE à des accords comparables au règlement européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

POUVOIR D'ACHAT

M. Yves Coussain - Monsieur le ministre des finances, trois semaines après avoir pris vos fonctions, vous avez tenu ce matin votre première conférence de presse, et vous avez exposé votre méthode de travail et vos priorités. Votre méthode est simple : donner confiance en l'avenir et garantir la transparence - ce qui exige bien d'évoquer l'héritage. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Vos priorités vont au soutien de la croissance, de l'emploi et du pouvoir d'achat, lequel constitue également une priorité du contrat 2005 du Premier ministre. Nos concitoyens ont l'impression, vraie ou fausse, que le pouvoir d'achat se dégrade, en particulier pour les classes moyennes. Quelles mesures comptez-vous prendre, et selon quel calendrier, pour le relancer, dans le secteur privé comme dans le secteur public ? Vous avez exprimé le souhait que les entreprises associent davantage leurs salariés à leurs résultats. Ce ne serait en effet que justice. Quels sont vos objectifs en ce domaine et comment comptez-vous les atteindre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - La méthode que j'entends développer se fonde sur la transparence et la réactivité. Il faut parler aux Français l'économie qu'ils comprennent (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Brard - Quel mépris !

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Nous devons retrouver des marges de manœuvre - cela n'est pas facile -, et réveiller les énergies qui sommeillent en chacun des Français. Ce sont les progrès de chacun qui feront le succès de tous. J'ai proposé un tableau de bord simplifié qui permettra de rendre compte, tous les trois mois, des progrès de notre économie.

Soutien de l'emploi et relance du pouvoir d'achat, intimement liés, sont en effet au cœur du combat du Gouvernement. (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Au-delà des mesures très importantes mises en œuvre par Jean-Louis Borloo, (Même mouvement) nous avons fait d'autres propositions concernant aussi bien le secteur privé que le secteur public. Les entreprises ont réalisé, il est vrai, d'importants bénéfices en 2004 (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Il faut s'en réjouir, car c'est le signe que la France est compétitive, et cela annonce de bonnes rentrées fiscales ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Nous avons décidé d'assouplir les mécanismes de participation et d'intéressement, de façon que les salariés puissent bénéficier d'une prime d'intéressement exceptionnel de 15 % en 2005, prélevée sur le montant de l'IS 2004, ainsi que d'une prime de 200 € par salarié. Des assouplissements analogues ont été décidés en faveur des dépenses de recherche-développement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste)

PRÉSIDENCE DE TV5

M. Didier Mathus - Ma question s'adresse au Premier Ministre car elle porte sur une décision dépendant de lui seul. Il semble qu'il soit tenté d'imposer M. Aillagon, ex-ministre de la culture et de la communication, à la tête de TV5, télévision à vocation internationale qui regroupe l'ensemble des chaînes francophones suisse, belge, canadienne et française. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) La propulsion à la tête d'une chaîne publique d'un ministre de tutelle évincé du Gouvernement, en guise de consolation, constituerait un précédent unique, traduisant un manque de considération à la fois pour la télévision et pour la francophonie. (Même mouvement)

Les organisations syndicales de TV5 comme nos partenaires étrangers ont fait part de leur émotion et entendent refuser cette nomination. M. Aillagon, qui avait réussi l'exploit de dresser tous les acteurs de la culture contre lui et à faire annuler tous les festivals de l'été 2003, s'était également signalé par une constante action de déstabilisation de la télévision publique. C'est donc une singulière vision de la récompense des talents que vous mettez en œuvre. (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Rappelons que cette tentative fait suite à la nomination de M. Mattéi, ancien ministre de la santé, si brillant dans la gestion de la canicule de l'été 2003, à la tête de la Croix-Rouge. (Exclamations et claquements de pupitres sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Monsieur Nicolin, je vous en prie. On n'est pas au cinéma !

M. Didier Mathus - Allez-vous persévérer dans ces complaisances partisanes ou renouer enfin avec la pratique républicaine ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et protestations sur les bancs du groupe UMP) )

M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères - Oui, la France a proposé au Canada, à la Communauté française de Belgique, au Quebec et à la Suisse, nos partenaires au sein de TV 5, la candidature de M. Jean-Jacques Aillagon pour la présidence de TV 5 Monde (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). C'est une personnalité incontestable et de très haut niveau, dont je salue le professionnalisme.

Mme Martine David - S'il est si bien, pourquoi n'est-il plus ministre ?

M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères - Le nouveau PDG de TV 5 Monde doit être élu par le conseil d'administration, où siègent des représentants de France Télévisions, Arte France, la RTBF, la Télévision suisse romande et Télé Quebec. Nous procédons à une concertation préalable approfondie avec les différents partenaires. La procédure s'achèvera par la réunion du conseil d'administration, dont la date n'est pas encore fixée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

COMMERCE DE PROXIMITÉ

Mme Marie-Hélène des Esgaulx - Jusqu'aux années 60, l'activité commerciale était essentiellement une activité spontanée de nos centres-villes. L'évolution de nos modes de consommation a ensuite été telle que les zones commerciales se sont transportées en périphérie de nos agglomérations, ce qui fait d'ailleurs qu'aujourd'hui toutes les entrées de villes se ressemblent. Pendant ce temps, les commerces de proximité ont décliné.

Mais on sent aujourd'hui un redémarrage de ces commerces de centre-ville, qui sont un atout pour notre pays et qui ont un fort potentiel. Dans ma ville de Gujan-Mestras, par exemple, capitale ostréicole du bassin d'Arcachon, les artisans et les petits commerces représentent le maillage essentiel du tissu urbain. Je dirai même que ce sont eux qui structurent nos quartiers. D'une façon générale, du fait peut-être du vieillissement de la population, les consommateurs veulent aujourd'hui plus de conseil, d'écoute, et une meilleure qualité de service. Faire des achats en centre-ville devient même une forme de loisir. Que compte faire le Gouvernement pour accompagner ce mouvement très positif ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Christian Jacob, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat, des professions libérales et de la consommation - Il y a en effet un redémarrage des commerces de centre-ville. On le voit en particulier avec les supérettes. Notre plan de redynamisation comporte tout d'abord une action de restructuration, avec le concours des villes, des unions de commerçants et des organismes consulaires. Nous avons ensuite renforcé les fonds d'intervention en faveur du commerce et de l'artisanat, les portant de 70 à 100 millions d'euros. S'ajoute à cela une campagne de communication sur le thème « Commerçants, l'énergie de tout un pays ».

Le projet de loi sur les PME viendra compléter cet ensemble. Le petit commerce, qui représente 400 000 entreprises et deux millions d'emplois, mérite bien des mesures d'accompagnement et de solidarité. Et au moment où certains éprouvent le besoin de faire des campagnes d'affichage avec des matraques, j'invite les consommateurs à se diriger vers des commerces où ils sont accueillis avec des sourires plutôt qu'avec des matraques ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

PARIS 2012

Mme Françoise de Panafieu - Monsieur le ministre de la jeunesse et des sports, la commission d'évaluation du Comité international olympique a quitté Paris dimanche, après y avoir passé cinq jours pour évaluer sa candidature aux Jeux olympiques et paralympiques de 2012.

A lire la presse, nous avons le sentiment que cette visite s'est bien passée, mais nous savons qu'il faut rester prudents. Quelle est votre analyse de la situation, Monsieur le ministre ? Que comptez-vous faire d'ici le 6 juillet, avec l'équipe de candidature, pour continuer d'entretenir la ferveur de l'esprit olympique français et permettre à notre dossier d'être examiné avec succès ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-François Lamour, ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative - La candidature française vient de vivre une étape particulièrement importante, nécessaire mais pas suffisante. En accueillant la commission d'évaluation et sa présidente, nous avions trois objectifs. Le premier était de vérifier que notre concept des Jeux était le bon, en particulier l'installation du village olympique dans le 17e arrondissement. Le second était d'exprimer un consensus politique autour de la candidature : le Président de la République a reçu la commission, le Premier ministre s'est rendu devant elle, avec un certain nombre de ministres, dont M. Thierry Breton, pour marquer l'engagement total du Gouvernement, avec la ville de Paris et son maire...

M. Jean Glavany - Il s'appelle Delanoë !

M. Jean-François Lamour, ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative - ...la région et le mouvement sportif. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Le troisième objectif était de montrer la mobilisation des Français. Un sondage nous dit que 85 % d'entre eux accompagnent cette candidature. Il fallait des symboles pour exprimer cette adhésion. Je dois dire, Monsieur le Président, que l'Assemblée nationale a fait ce qu'il fallait, d'une part avec Guy Drut qui, membre du CIO, participe activement aux travaux de la commission de candidature (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)...

M. Jean Glavany - Et Delanoë ?

M. Jean-François Lamour, ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative - ...d'autre part grâce à cette tribune en faveur de la mobilisation que vous avez signée avec les présidents de groupe. En outre, le slogan « Paris 2012 » inscrit au fronton de l'Assemblée nationale, a séduit la commission et montré que chaque Français s'appropriait la candidature de Paris (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Arrêtez donc de beugler ! (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Plusieurs députés socialistes - Des excuses !

LUTTE CONTRE LE PALUDISME

Mme Christiane Taubira - Je ne doute pas que le ministre aura à cœur de présenter ses excuses. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Je suis prête à lui céder la parole quelques secondes s'il le souhaite. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Monsieur le ministre de la santé, le paludisme fait l'objet d'une actualité désolante. En janvier, au sommet de Davos, les organismes internationaux ont fait état de deux milliards de personnes exposées et de 600 millions atteintes. Le paludisme est la première cause de mortalité en Afrique, et la maladie la plus répandue dans le monde : la Corse elle-même n'en est pas exempte ! En Guyane, plus de 3 % de la population sont touchés - 5 000 cas chaque année - et tous les cas ne sont pas recensés. A l'occasion du festival Africa Live, qui s'est tenu à Dakar le week-end dernier, le Président de la République a déclaré que ce terrible bilan était une insulte à la conscience humaine et assuré que la France était aux côtés de l'Afrique pour travailler à enrayer le paludisme et le Sida d'ici à 2015.

Mais la parole de la France sera d'autant plus crédible qu'elle aura montré sa détermination. Martine Aubry avait pris ses responsabilités (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) en retirant les médicaments antipaludéens de la liste des médicaments de confort. Depuis, nous attendons le remboursement du traitement. C'est la condition pour désengorger les hôpitaux et éviter de pénaliser les patients qui ont recours à la médecine de ville. L'urgence est donc le remboursement, sur le régime général, ainsi que la simplification et l'harmonisation des schémas thérapeutiques (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Dois-je vous faire savoir que l'on meurt du paludisme ? Elle est aussi dans la lutte contre la résistance des souches et l'approvisionnement des hôpitaux en primaquine.

Plusieurs députés UMP - La question !

Mme Christiane Taubira - L'OMS signale qu'un enfant meurt du paludisme toutes les trente secondes. Depuis le début de cette question, quatre ont déjà été emportés ! Si vous convenez de l'importance de cette question, Monsieur le ministre, merci de nous donner le calendrier d'action du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Président - Dans la tradition parlementaire, lorsque certains mots dépassent la pensée de leurs auteurs, la présidence ne les entend pas. Je n'ai rien entendu tout à l'heure.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille - Vous avez raison, Madame, de souligner l'horreur que représente le paludisme. La Guyane est le seul département français qui connaisse un paludisme endémique. Entre 2000 et 2002, plus de dix mille cas ont été notifiés. Il s'agit essentiellement du plasmodium falciparum (Exclamations ironiques sur les bancs du groupe socialiste), qui est le plus dangereux. Les enfants sont les plus touchés.

Il existe deux traitements du paludisme... (M. Jean-Marie Le Guen proteste). Monsieur Le Guen, vous devriez savoir que le plasmodium n'est pas sensible à la nivaquine ! Le premier, curatif, est remboursé à 100 % par la sécurité sociale. Dire le contraire est mentir, et c'est inadmissible. Quant au traitement prophylactique du paludisme, j'ai le plaisir de vous annoncer que la caisse nationale d'assurance maladie va en expérimenter le remboursement pour les personnes qui se rendent en Guyane à titre professionnel. Ce n'est pas l'ancienne majorité qui l'a fait, c'est nous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

ÉVALUATION DE LA LOI SUR LA GESTION DES DÉCHETS RADIOACTIFS

M. Claude Birraux - A la demande des quatre présidents de groupe de l'Assemblée, le président Debré a saisi l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques d'une étude sur la loi de 1991 relative à la gestion des déchets radioactifs de haute activité. Les rapporteur Christian Bataille et moi avons rendu notre rapport public ce matin.

La loi de 1991 a largement été inspirée par le Parlement, l'Office parlementaire et les travaux de Christian Bataille. Elle prévoyait un rendez-vous parlementaire en 2006 : seul le Parlement dispose en effet de la légitimité démocratique que confère le suffrage universel. Ce rendez-vous est-il confirmé ? Par ailleurs, lors de nos visites de terrain, nous avons constaté un manque d'information des élus et du public sur l'état des recherches. Notre rapport fait un point rigoureux sur l'évolution des connaissances depuis 1991. Un débat peut donc s'organiser à partir d'éléments scientifiques. Comment comptez-vous organiser l'information et le débat, et selon quel calendrier ?

Enfin, si cette question est nationale, elle concerne largement le niveau local. Des engagements de solidarité avaient été pris avec des collectivités locales de Meuse et de Haute-Marne, où le laboratoire de Bure est implanté. Ces engagements, qui semblent s'être estompés dans la mémoire de vos prédécesseurs, sont-ils confirmés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie - Je veux dire d'abord que le Gouvernement apprécie tout particulièrement les travaux de l'Office parlementaire. Celui-ci a le mérite, sous toutes les législatures, d'être conduit de façon paritaire entre majorité et opposition. Et je vois avec sympathie la bonne entente entre ceux qui les conduisent.

Oui, le rendez-vous de la loi Bataille sera tenu. Quand ? Au premier semestre 2006. Selon quelles modalités ? Tout d'abord les rapports des acteurs de la recherche, l'ANDRA, le CEA, seront rendus dès juin 2005. Ensuite la Commission nationale du débat public organisera ce débat à l'automne de cette année et rendra son rapport en janvier 2006. Enfin, le Gouvernement finalisera son projet de loi au premier trimestre 2006 et en saisira le Parlement au deuxième trimestre. Sur les conclusions du rapport déposé ce matin par l'Office parlementaire, je veux exprimer l'accord du Gouvernement ; naturellement il y a lieu d'étendre le débat public à toutes les personnes concernées.

Quant à votre troisième question, ni moi ni mes prédécesseurs n'avons vraiment oublié les engagements pris. Les départements concernés perçoivent chaque année 9,2 millions d'euros au titre de la loi Bataille, ce qui n'est pas négligeable. D'autre part la loi que vous proposera le Gouvernement révisera, pour l'étoffer, le dispositif d'accompagnement économique. Et j'ai demandé à la filière industrielle du nucléaire de faire dès cette année des implantations industrielles dans ces départements. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

ADOPTION INTERNATIONALE

Mme Michèle Tabarot - Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, et j'y associe les membres du groupe d'études parlementaire sur l'adoption. En décembre, la mobilisation du Gouvernement et des parlementaires a permis à plusieurs familles de faire enfin aboutir leurs dossiers d'adoption au Cambodge, après une attente de plus de dix-huit mois. Ce fut une grande satisfaction. Mais on mesure les difficultés de l'adoption internationale. La prochaine proposition de loi relative à l'adoption permettra d'ailleurs de mieux accompagner nos compatriotes à l'étranger. Madagascar a décidé en 2004 d'adhérer à la convention de La Haye et de réformer sa législation sur l'adoption. Mais aujourd'hui les dossiers de plus de cent familles françaises sont bloqués dans l'attente de cette réforme. Ces familles vivent un véritable déchirement, car le lien avec l'enfant a déjà été créé. Vous êtes d'ailleurs bien au fait de ce problème, Monsieur le ministre, puisque vous avez fait des démarches. Quelles actions allez-vous maintenant engager auprès des autorités malgaches ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères - Je veux d'abord saluer votre action à la tête du groupe d'études sur l'adoption, et remercier également pour son travail le conseil supérieur de l'adoption que préside M. Nicolin. Il est exact que, sur les 5 000 enfants adoptés par des familles françaises, près de 4 000 le sont à l'étranger. L'intérêt supérieur de l'enfant doit toujours primer, et tous les pays sont aujourd'hui tenus, pour être reconnus sur le plan international, de respecter la convention de La Haye.

Parmi les pays qui entreprennent de régulariser leur législation, il y a Madagascar, qui est à cet égard dans une période transitoire ; ce qui empêche les familles qui ont déjà trouvé un enfant de le faire venir en France. C'est pourquoi le Premier ministre a écrit à son homologue malgache pour chercher des solutions. C'est aussi pourquoi une mission d'évaluation a été envoyée sur place en février. Pour ma part je m'y rendrai fin mars. Nous souhaitons résoudre le problème de ces familles, qui est dramatique puisque aujourd'hui seul un carcan administratif les empêche de régulariser leur situation. Nous ferons tout pour aboutir, comme ce fut fait pour les petits Cambodgiens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La séance, suspendue à 15 heures 55, est reprise à 16 heures 20 sous la présidence de M. Baroin.

PRÉSIDENCE de M. François BAROIN

vice-président

RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Jean Glavany - Je ne vais certes pas faire une affaire d'Etat de l'incident survenu tout à l'heure. Mais un grand nombre d'entre nous ont été très surpris par la réponse sectaire du ministre des sports sur les Jeux olympiques. Saluant le consensus qui entoure ce dossier, il a cité le Président de la République, le Premier ministre, et M. Drut, mais ni le président de la région Ile-de-France, ni le maire de Paris. Ce faisant, il a oublié que, selon la charte olympique qu'il devrait pourtant connaître, un dossier de candidature ne peut être déposé que par une ville. C'est donc la ville de Paris qui a déposé ce dossier. M. Lamour semble également avoir oublié le nom du maire de Paris : rappelez-lui, Monsieur le Président, qu'il s'appelle Bertrand Delanoë et que citer le nom du maire de Paris n'a jamais écorché les lèvres de quiconque.

Quant aux termes qu'a employés le ministre à l'égard des quelques députés, dont j'étais, qui essayaient de lui rappeler ces réalités, le propos du président de l'Assemblée nationale suffit à les désavouer. Je dirai simplement avec humour qu'ayant été ministre de l'agriculture pendant quatre ans, je suis bien placé pour savoir que les bruits émis par certains animaux n'ont rien à voir avec ce que nous avons entendu dans l'hémicycle. Je regrette que le ministre des sports soit si peu connaisseur des affaires rurales ! (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

ORGANISATION DU TEMPS DE TRAVAIL (deuxième lecture)

L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise.

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail - J'ai dit, lors de la première lecture, toute l'importance que le Gouvernement attache à ce projet qui ouvre aux entreprises des possibilités nouvelles en matière d'organisation du temps de travail. Il me semble cependant nécessaire de remettre en perspective la démarche des promoteurs de ce texte, et du Gouvernement qui leur a apporté son soutien.

J'ai entendu des interrogations sur l'opportunité d'une telle réforme alors que le chômage reste élevé et que nombre d'entreprises ont tant bien que mal surmonté le passage aux 35 heures. Certains estiment même - et je pense aux prises de position récentes de plusieurs organisations syndicales - que le texte serait un retour en arrière : revoir l'organisation du temps de travail dans les entreprises serait freiner les embauches et limiter la progression du pouvoir d'achat des salariés.

Cela ne correspond guère aux réalités. Sur le diagnostic tout d'abord : considérer que le passage aux 35 heures a été favorable à notre économie et a constitué une source d'emplois pérennes et de richesse est un contresens. Toutes les études - et notamment les travaux sur lesquels s'est appuyée la mission présidée par M. Ollier et dont M. Novelli fut le rapporteur - montrent que l'emploi est le fruit de la croissance et de l'initiative collective et individuelle. La réduction autoritaire et uniforme de la capacité de travail est un facteur de rigidité qui pénalise les entreprises et leur interdit de répondre à de nouvelles opportunités.

Si 350 000 emplois ont en effet été créés entre 1998 et 2001, c'est sous l'effet d'une conjoncture internationale favorable, et parce que le passage aux 35 heures s'est accompagné de subventions massives aux entreprises pour en compenser l'impact sur le coût du travail. Ces subventions pèsent aujourd'hui lourdement sur les comptes publics.

Dans le même temps, la réduction autoritaire du temps de travail a eu un coût élevé pour les salariés. D'abord en termes de stress et de charge de travail : 28 % des salariés considèrent que leurs conditions de travail s'en sont trouvées dégradées. Ensuite, en termes de pouvoir d'achat : le passage contraint aux 35 heures s'est traduit dès le retournement de la conjoncture par une décélération des salaires jusqu'au point bas de 2003. En 2004, le salaire moyen a progressé de 2,6 %, ce qui représente une progression nette du pouvoir d'achat moyen de 0,5 % à 0,7 %.

Contrairement à ce que j'entends dire, assouplir l'organisation du temps de travail dans les entreprises, comme le Gouvernement s'y emploie depuis 2003, ne pénalise nullement les salaires et le pouvoir d'achat. Soutenir que la réforme de l'organisation du temps de travail serait un retour en arrière intempestif, c'est faire un contresens sur la nature de cette réforme.

M. Patrick Ollier - Très bien !

M. le Ministre délégué - Il n'est pas question ici, au nom d'un quelconque esprit de revanche, d'abolir les 35 heures et de remettre en cause la durée collective du travail. Qu'on le veuille ou non, les entreprises et les salariés ont dû s'organiser autour de cette nouvelle durée légale, et il ne s'agit pas de les contraindre à remettre une nouvelle fois à plat leur organisation.

Notre démarche est à la fois pragmatique et réaliste. Elle vise simplement, dans le prolongement des lois Fillon du 17 janvier 2003 et du 4 mai 2004, à donner aux entreprises et aux branches des outils supplémentaires pour surmonter les rigidités nées du passage autoritaire et brutal aux 35 heures. Les ajustements seront trouvés par la négociation collective, au plus près du terrain. Conformément aux principes fixés par le Président de la République le 14 juillet, et rappelés par le Premier ministre lors de la présentation du Contrat France 2005, ces nouveaux équilibres devront prendre en compte les aspirations légitimes des salariés, notamment en termes de pouvoir d'achat.

M. Maxime Gremetz - Oh !

M. le Ministre délégué - Tout surcroît de travail devra donc se traduire par un surcroît de rémunération, soit sous la forme d'un complément immédiat de salaire, soit sous celle d'une épargne en temps ou en argent.

Le Sénat s'est clairement inscrit dans la perspective ouverte par l'Assemblée nationale, au texte de laquelle il a apporté d'utiles compléments. L'article additionnel avant l'article premier concerne ainsi le statut spécifique des jours fériés en Alsace-Moselle - notamment la Saint-Etienne - reconnu par le droit local.

A l'article premier, relatif au compte épargne-temps, le Sénat a étendu le dispositif d'exonération fiscale et sociale prévu, à l'initiative de votre rapporteur, pour les abondements de l'employeur en cas de transfert des droits vers l'épargne-retraite. Le dispositif couvre les transferts vers les autres plans de retraite d'entreprise, dès lors qu'ils revêtent un caractère collectif et obligatoire.

Le Sénat a également précisé, avec le soutien du Gouvernement, les conditions d'utilisation des congés payés affectés au compte épargne-temps, en évitant la monétisation systématique de la cinquième semaine. Cela évitera que le socle des congés annuels soit fragilisé par le compte épargne-temps et systématiquement transformé en complément de rémunération.

L'article 3, relatif aux petites entreprises, a fait l'objet de quelques modifications limitées. La nouvelle rédaction précise plus clairement que le régime dérogatoire applicable aux entreprises de 20 salariés au plus prendra fin au 31 décembre 2008. A compter de cette date, et comme le Premier ministre l'a indiqué, c'est le droit commun des heures supplémentaires qui leur sera applicable.

M. Maxime Gremetz - Oh là là !

M. le Ministre délégué - Afin de favoriser la conclusion d'accords collectifs sur le compte épargne-temps dans ces entreprises, le Sénat a ouvert à titre transitoire un mécanisme de mandatement simplifié. Plus proche de celui institué par la loi du 4 mai 2004 sur le dialogue social, il n'exige cependant pas la conclusion préalable d'un accord de branche étendu.

M. Maxime Gremetz - Eh oui !

M. le Ministre délégué - La réforme me semble avoir atteint son point d'équilibre. Elle ouvre de nouvelles possibilités au dialogue social pour organiser le temps de travail, dans le respect du code du travail. Il appartiendra aux partenaires sociaux de la faire vivre afin qu'elle puisse produire tous ses effets. Elle s'inscrit donc pleinement dans la continuité de la politique suivie par le Gouvernement, qui vise à ouvrir de nouveaux espaces à la négociation collective, à faire reposer sur le dialogue social le fonctionnement des entreprises et des branches.

Ces réformes étaient indispensables. Les recettes appliquées jusqu'en 2002 se sont révélées insuffisantes lorsque la conjoncture économique s'est retournée. Prétendre assurer la prospérité de la France, confrontée à une concurrence internationale sans cesse plus vive, à coups de contrats aidés et de partage autoritaire du temps de travail est illusoire.

Comme en témoigne la croissance de l'activité et de l'emploi en 2004, ces réformes commencent à porter leurs fruits et elles seront naturellement poursuivies.

L'emploi demeure la première préoccupation des Français et la priorité du Gouvernement. La loi du 18 janvier 2005, de programmation pour la cohésion sociale, est ambitieuse. Elle s'attaque aux dysfonctionnements du marché du travail, renforce le suivi des chômeurs, permet aux entreprises de mieux accompagner les restructurations et favorise la création de nouvelles activités, notamment avec le plan de développement des services à la personne.

Ces quatre dernières années de faible croissance ont pesé sur l'évolution des salaires comme sur les résultats des entreprises. J'ai la conviction que cette tendance commence à s'inverser. Ce processus, encore fragile, ne doit pas être étouffé. J'aurai l'occasion d'en reparler cette semaine devant la sous-commission des salaires de la Commission nationale de la négociation collective. : nous souhaitons instituer un nouveau pacte de croissance entre les entreprises et les salariés, ce qui passe par la relance de la négociation salariale et par la rénovation des dispositifs d'intéressement.

M. Patrick Ollier - Très bien !

M. le Ministre délégué - Je crois aux vertus du dialogue social. Telle est bien d'ailleurs la logique de cette proposition de loi dont l'accord collectif est la clé de voûte. En effet, par ces assouplissements, nous œuvrons au service de l'emploi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Pierre Morange, rapporteur de la commission des affaires culturelles - Prolongeant les assouplissements inscrits dès la loi du 17 janvier 2003, cette proposition de loi permettra aux salariés qui le souhaitent de travailler davantage afin d'accroître leur pouvoir d'achat, et ce, dans le respect de la législation relative à la réduction du temps de travail.

En première lecture, l'Assemblée nationale et le Sénat ont enrichi la portée des différents dispositifs sans en changer l'inspiration.

L'article premier, relatif au compte épargne-temps, a été amélioré par l'Assemblée. Les droits issus des abondements de l'employeur au compte épargne-temps bénéficieront, dans le cas où les sommes sont versées sur un plan d'épargne pour la retraite collectif, d'un régime d'exonération de cotisations sociales et d'impôt. En outre, les modalités de liquidation du compte épargne-temps ont été précisées par l'établissement de mécanismes de garanties, notamment en cas de transfert des droits d'une entreprise à une autre.

Dans la même logique, le Sénat a renforcé ce mécanisme attractif d'exonération en l'étendant aux droits affectés au compte épargne-temps lors d'un abondement par l'employeur pour le financement des régimes de retraite supplémentaire d'entreprise. Par ailleurs, il a souhaité que l'utilisation de la cinquième semaine de congés payés ne puisse pas faire l'objet d'une rémunération immédiate.

L'article 2 consacre l'existence d'un dispositif de « temps choisi ». Il permet aux salariés de travailler au-delà du contingent d'heures supplémentaires, et aux cadres de renoncer à une partie de leurs journées de repos en contrepartie d'une majoration salariale. L'Assemblée, au cours de la première lecture, avait étendu ce régime à l'ensemble des cadres. Au Sénat, la commission des affaires sociales a adopté un amendement pour rappeler la règle de droit commun, qui fixe un maximum journalier de dix heures de travail en application de l'article L. 212-1 du code du travail. Néanmoins, cet amendement a été retiré, M. Larcher ayant réaffirmé que cette loi restait aplicable. En l'absence d'autre modification, l'article 2, adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées, n'est plus en discussion.

L'article 3 comporte des mesures pour les entreprises de vingt salariés au plus. En première lecture, l'Assemblée avait précisé la portée de ces dérogations, et étendu à toutes les catégories de cadres la possibilité transitoire de renoncer à une partie des journées de repos en contrepartie d'une majoration salariale. Au Sénat, la commission des affaires économiques a tenu à affirmer le caractère transitoire de ces régimes en posant expressément le principe de leur disparition au 1er janvier 2009. Par ailleurs, à l'initiative du groupe socialiste, un amendement a été adopté précisant que les femmes enceintes ne pouvaient renoncer à une partie des journées ou demi-journées de repos. En outre, à l'initiative du groupe Union centriste, une disposition consacrant l'existence d'un régime de mandatement syndical en l'absence de convention de branche ou d'accord professionnel étendu, a été votée pour faciliter la conclusion d'accords d'entreprise.

Quant à l'article 4, qui comportait un gage destiné à compenser les éventuelles pertes de recettes résultant de l'application de ce texte, il a été supprimé par la voie d'un amendement gouvernemental devant l'Assemblée et cette suppression a été confirmée par le Sénat

Enfin, au Sénat, un article additionnel relatif au statut des jours fériés dans les départements d'Alsace et de Moselle a été inséré en tête du dispositif.

Ces premières lectures ont permis un enrichissement progressif du texte et nous nous félicitons des apports résultant de la discussion devant le Sénat. En conséquence, la commission des affaires culturelles ne souhaite pas amender plus avant le texte et vous invite à l'adopter conforme.

M. Patrick Ollier - Vous avez raison !

M. le Rapporteur - Ce texte apporte un élément de souplesse supplémentaire, non une remise en cause des 35 heures et, comme tel, il favorisera de nouveaux équilibres dans les entreprises, dans le respect des choix et des espérances de chacun (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Jean Le Garrec - Monsieur Larcher, je rejoins votre analyse sur un seul point : l'importance de cette proposition de loi. En revanche, j'apprécie peu votre caricature des 35 heures. Vous avez qualifié les lois organisant la réduction du temps de travail de « brutales », « autoritaires » et « univoques ». C'est oublier qu'elles ont donné lieu à des dizaines de milliers de négociations. Quant au coût des 35 heures, le rapport établi par la Cour des comptes montre que, sur les 17 milliards d'abattements fiscaux consentis, 8 proviennent de la réforme Juppé de 1995. En cinq ans, nous avons créé deux millions d'emplois.

Un député UMP - Les Espagnols en ont créé un million de plus !

M. Jean Le Garrec - L'année dernière, votre majorité n'en a créé que 40 000 ! Tel est l'effet d'une politiques dont vous ne pouvez faire porter la responsabilité aux gouvernements précédents puisque vous êtes aux commandes depuis trois ans.

J'ai déjà longuement évoqué l'inconstitutionnalité de ce texte lors de la première lecture, je n'y reviens pas.

Les manifestants de ces derniers jours étaient rassemblés autour de mots d'ordre divers et parfois contradictoires mais qui étaient le reflet de cette « société anxiogène » dépeinte par un grand sociologue des relations du travail. Les salariés du privé ont même rejoint le défilé, malgré un taux de chômage de 10 %. Ils ont eu ce courage parce qu'ils constatent un décalage croissant entre les profits des grands groupes et leur situation. Le président du Medef déclare certes que la France s'est globalement enrichie, mais que vaut le propos quand on le confronte à la réalité ? Je ne prendrai qu'un seul exemple : celui de la société de chimie industrielle Arkema, installée dans les Alpes-de-Haute-Provence. Le groupe Total qui la détient n'a pas investi depuis des années dans l'usine, mais prévoit le licenciement de 380 personnes et 202 départs en retraite anticipé - à 52 ans ! Pourtant, il a réalisé dix milliards de bénéfices et a dépensé onze milliards pour racheter ses propres actions, soit 10 millions d'euros par jour. Or, pour que cette entreprise retrouve sa compétitivité, un investissement de 30 millions seulement aurait suffi. Il est vrai que les actionnaires ne pourraient espérer un taux de retour de 10 % ou de 15 % mais, au moins, une catastrophe sociale aurait était évitée dans les Alpes-de-Haute-Provence. Voilà le climat dans lequel nous parlons d'un projet mal ficelé et dangereux.

Vous n'avez pas réalisé d'étude d'impact.

M. Jean-Michel Fourgous - Vous en avez fait dans ce secteur, vous ?

M. Jean Le Garrec - Oui, beaucoup.

Vous n'avez pas organisé de négociations ni diffusé d'informations. En revanche, vous avez rapidement expédié la discussion du projet au Sénat, même si je me félicite par ailleurs que la Haute Assemblée ait sanctuarisé la cinquième semaine de congés payés.

Le contrat d'épargne-temps est un fourre-tout où peuvent par exemple être incluses les heures « effectuées au-delà de la durée collective du travail lorsque les caractéristiques des variations d'activité le justifient », c'est-à-dire, en clair les heures supplémentaires et ce « à l'initiative de l'employeur ». Certes, vous allez arguer du nécessaire accord passé avec les salariés, mais vous savez fort bien que le rapport de force n'est pas en leur faveur. L'AGS est en outre censée garantir le dispositif, mais je vous rappelle que si son équilibre a été rétabli, c'est en divisant par deux les garanties offertes aux salariés. L'augmentation du prélèvement sur les entreprises, de 0,35 % à 0,4 %, n'est quant à lui que provisoirement accepté par le patronat. Certains considèrent qu'il s'agit-là d'une véritable usine à gaz alors que la négociation avec les organisations syndicales, dans ce domaine, s'imposait particulièrement.

Mais derrière cette impréparation se cache une logique : ce gouvernement a enterré le gaullisme social et il ne partage plus la méfiance historique du général de Gaulle à l'endroit des puissances d'argent.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles - Vous ne pouvez pas dire cela.

M. Jean Le Garrec - Je le dis quand même : ce gouvernement succombe à la logique ultra-libérale.

M. Patrick Ollier - Ces propos sont inacceptables.

M. Jean Le Garrec - C'est mon droit de les tenir, d'autant que je suis particulièrement inquiet face à la remise en question de la hiérarchie des normes et du principe de faveur. J'ajoute qu'avec la clause de sauvegarde, vous avez eu la tentation d'autoriser des licenciements anticipés, sans garantie ni protection.

M. le président de la commission des lois a défendu l'amendement de la majorité en prétendant que ces licenciements permettraient de garantir les emplois à venir. M. le Garde des Sceaux a heureusement repoussé cet amendement et j'espère qu'il n'en sera plus question. Il reste que vous vous livrez à un « détricotage » du code du travail, organisant une régression sans précédent de la protection collective.

Avec un contingent de 220 heures supplémentaires et 7 heures de travail non payé, les salariés travailleront 40 heures par semaine et les trois millions qui sont aujourd'hui à 39 heures pourront aller jusqu'à 44 heures.

M. le Président de la commission - Mais non !

M. Jean Le Garrec - Et vous parlez, dans ce contexte, de temps choisi ! Le total d'heures travaillées risque de dépasser les normes du code du travail - à moins que vous ne vouliez ramener le contingent d'heures supplémentaires à 50 ou 60 heures...

M. Patrick Ollier - Les deux parties devront s'entendre, conclure un accord.

M. le Président de la commission - Quelle mauvaise foi, Monsieur Le Garrec !

M. Jean Le Garrec - Je n'en ai jamais fait preuve, vous le savez, et je sais reconnaître mes erreurs. Je maintiens en l'occurrence ma démonstration : vous pensez que l'empilement des heures de travail constitue la réponse aux problèmes d'emploi, mais c'est là une vision malthusienne du développement économique.

M. Hervé Morin - C'est précisément l'inverse ! (Sourires)

M. Jean Le Garrec - Quand et comment s'applique ce dispositif de « temps choisi » ? Au-delà du contingent d'heures supplémentaires que vous avez créé ? Il est indispensable que vous vous en expliquiez !

Vous savez en effet les risques, dans le contexte actuel, d'une aggravation des conditions de travail et de la précarité. L'économiste Philippe Askenazy en estime le coût à 3 % de la richesse nationale.

Ma dernière interrogation concerne votre politique de l'emploi. En avez-vous réellement une ? Je disais récemment à Jean-Louis Borloo souhaiter sincèrement une diminution du chômage, car celle-ci ne nous empêchera pas de vous battre, mais je préfère que cela ait lieu dans un pays apaisé. Je le redis aujourd'hui, tant il n'est pas dans mon habitude d'exploiter l'angoisse et le désarroi de nos concitoyens. Vous avez cassé des outils tels que TRACE, qui pour n'être pas parfaits, avaient néanmoins le mérite d'exister et de s'être rodés. M. Fillon en a créé de nouveaux comme le CIVIS ou le RMA, dont l'échec est patent. M. Borloo poursuit sur la même voie avec un contrat d'accompagnement vers l'emploi qui sera mis en place le 1er mai, un contrat d'avenir qui le sera le 1er avril. La Cour des comptes, dont j'ai lu attentivement le rapport,...

M. Hervé Novelli - Moi aussi.

M. Jean Le Garrec - Je le sais, puisque nous en avons même discuté ensemble. La Cour des comptes, disais-je, explique pourtant dans son rapport que rien n'est pire que les changements constants en matière de politique de l'emploi. Je sais d'expérience qu'il faut au moins un an pour qu'une politique commence de faire sentir ses effets. Voyez où cela mène pour des contrats conclus au printemps 2005 !

Vous ne pouvez pas arguer de l'atonie de la croissance, car si la France fait aujourd'hui moins bien que la moyenne de ses partenaires européens, votre politique économique en est largement responsable. Vous avez agi à contretemps et à mauvais escient. Même avec une croissance de 2,5 %, vous n'avez réussi qu'à créer 40 000 emplois, ce qui est dérisoire. Cela aussi est de votre responsabilité.

Chacun sait que les emplois se créent aujourd'hui dans les PME. Or, vous augmentez le contingent d'heures supplémentaires jusqu'à 220 heures, auquel pourra s'ajouter « le temps choisi », et prorogez jusqu'en 2008 la moindre majoration des heures supplémentaires dans ces entreprises.

M. Patrick Ollier - Tout cela n'a pas de caractère obligatoire.

M. Jean Le Garrec - Je vous reconnais bien là, Monsieur Ollier. Lorsqu'une PME est inquiète pour l'avenir, contrainte par son donneur d'ordre ou par la grande distribution, lorsqu'elle a peur de prendre des risques, même si tout cela n'est pas obligatoire, elle prend ses précautions et, en l'espèce, elle préférera toujours recourir aux heures supplémentaires qu'embaucher. Le nier, c'est méconnaître profondément la réalité. Le signal que vous adressez à ces entreprises va rendre votre politique très difficile à appliquer, si ce n'est totalement inapplicable, et les conditions d'emploi des salariés seront les premières à en pâtir.

Le président de la commission des affaires sociales le sait mieux que quiconque, j'ai assez travaillé sur le sujet, j'en ai assez débattu avec M. Novelli, pour mesurer les insuffisances de tel ou tel des dispositifs que nous avions mis en place, mais force est de prendre en compte leurs résultats. Pour votre part, en remettant en question des protections essentielles pour les salariés et en faisant voter ce texte qui n'apporte aucune garantie minimale, s'agissant par exemple du compte épargne-temps, vous allez à rebours d'une politique efficace de l'emploi.

A défaut de vous convaincre, ce dont je n'aurai pas la prétention, je vous invite à écouter les philosophes et les économistes spécialistes de ces questions. Hannah Arendt, déjà, soulignait l'importance de la question de la maîtrise du temps dans nos sociétés. Cornelius Castoriadis, quant à lui, retenait comme évolution majeure au siècle dernier le passage de 70 à 40 heures de la durée hebdomadaire du travail. Et Patrick Artus, éminent économiste de la Caisse des dépôts, estime dans l'une de ses dernières interventions que « le capitalisme avec ses méthodes est en train de s'auto-détruire ». C'est bien là que nous sommes en désaccord sur le fond avec vous. La valeur travail n'est pas en cause. Les Français sont courageux, travailleurs, attachés au travail dont ils savent qu'il est, aujourd'hui plus que jamais, le moyen de l'insertion sociale. Mais vous allez à rebours de la tendance historique à la diminution du temps de travail. Au nom d'une prétendue chasse aux rigidités, vous vous apprêtez à sacrifier des pans entiers de la protection des salariés et remettez à plus tard toute véritable politique de l'emploi.

Il n'est en définitive qu'un point sur lequel je suis d'accord avec vous : ce texte est extrêmement important et nous aurons à en reparler. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Ministre délégué - S'agissant des caractéristiques des variations d'activité, Monsieur Le Garrec, nous ne faisons que reprendre le texte de la loi du 19 janvier 2000...

M. Jean Le Garrec - Et alors ?

M. le Ministre délégué - Pour ce qui est de l'AGS, le décret du 24 juillet 2003 n'a pas divisé par deux ses garanties, il a simplement réduit le plafond le plus élevé, lequel ne concernait d'ailleurs que 5 % des salariés.

M. Jean Le Garrec - Accordons-nous au moins sur la fragilité de l'AGS !

M. le Ministre délégué - Pour ce qui est des heures choisies, au-delà du contingent conventionnel ou réglementaire d'heures supplémentaires, il appartient aux accords collectifs d'en définir le régime.

M. Jean Le Garrec - Elles se situent donc bien au-delà du plafond de 220 heures ?

M. le Ministre délégué - Eventuellement, s'il n'y a pas d'accord collectif.

Pour ce qui est des changements de politique auxquels vous avez fait allusion, vous référant au rapport de la Cour des comptes, je rappelle que le plan de cohésion sociale comporte quatre nouveaux types de contrats, deux pour le secteur marchand et deux pour le secteur non marchand. J'ai signé, il y a deux jours, avec la Fédération du bâtiment, une première convention prévoyant la mise en place de 1 500 CI-RMA. Huit départements sont d'ores et déjà prêts à s'engager dans la démarche. Et d'autres conventions-cadres sont en préparation avec la Fédération des travaux publics ou bien encore celle de la plasturgie. Il n'y a aucune raison que nous ne puissions pas parvenir aux mêmes résultats que les Danois en matière de parcours de retour à l'emploi, à savoir 60 % de réussite, notamment en nous appuyant sur le RMA, qui garantit à ses bénéficiaires l'intégralité des droits sociaux.

Les nouveaux contrats d'avenir, dont les décrets sont en cours de signature, seront en place à la fin mars. Le délai est convenable pour une loi qui a été promulguée le 18 janvier qui mettait en jeu de très nombreux partenaires et qui exigeait la consultation de la CNIL... Aux collectivités de se saisir de cet outil destiné, je le rappelle, aux allocataires depuis plus de six mois du RMI ou de l'ASS.

Les contrats d'accompagnement vers l'emploi - CAE - remplaceront, eux, à compter du 1er mai, les CES. Plus exactement, ceux-ci se transformeront à cette date en CAE ou en contrat d'avenir, étant entendu que certains d'entre eux pourront être prolongés jusqu'à la fin de 2005. Nous avons renforcé en outre la politique des chantiers d'insertion en ajoutant à l'ancien dispositif la possibilité d'une dotation de 15 000 € par chantier d'insertion, voire trois fois 15 000 € s'il y a plusieurs chantiers d'insertion. Je rappelle que les chantiers d'insertion représentent près du tiers des contrats emploi solidarité..

Tels sont les moyens mis en œuvre pour accompagner le retour à l'emploi. Je vous invite à les utiliser.

Nous travaillons aussi à la modernisation du service public de l'emploi, en rapprochant l'ANPE et l'UNEDIC et en faisant vivre les maisons de l'emploi. C'est un travail qui réclame volonté et humilité et que nous conduisons avec détermination.

M. Maxime Gremetz - Ça ne va pas loin !

M. le Ministre délégué - Pour développer l'emploi marchand, il faut de la croissance. La France a eu en 2004 l'un des meilleurs taux d'Europe. Je reprends pour conclure l'une des conclusions du G 8 de l'emploi : il serait illusoire de croire que travailler moins peut produire un modèle social avancé. Ce serait au contraire le mettre en péril ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Hervé Novelli - Comme M. Le Garrec n'a guère utilisé d'arguments juridiques pour étayer son exception d'irrecevabilité, je ne m'étendrai pas non plus sur ces sujets, bien qu'une exception d'irrecevabilité soit tout de même faite pour démontrer qu'un texte est contraire à la Constitution...

M. Jean Le Garrec - J'avais fait cette démonstration en première lecture.

M. Hervé Novelli - La proposition de loi dont nous parlons témoigne de la confiance que nous avons dans la négociation contractuelle et dans les partenaires sociaux, confiance que nos collègues socialistes semblent ne pas partager...

M. Alain Vidalies - Il fallait les laisser négocier, alors !

M. Hervé Novelli - Je vous remercie, Monsieur Le Garrec, du satisfecit que vous donnez à la mission d'information présidée par M. Ollier et à laquelle vous apparteniez. Ce satisfecit vient un peu tard, mais je suis tout de même heureux que vous vous soyez appuyé sur les chiffres du rapport (Rires sur les bancs du groupe socialiste) après les avoir contestés. Mais à tout pécheur miséricorde.

Vous vous faites le chantre des négociations qui ont eu lieu durant la période Aubry. C'est vrai qu'il y en a eu un certain nombre...

M. Jean Le Garrec - Des dizaines de milliers !

M. Hervé Novelli - Vingt-mille accords d'entreprise en 2001 et en 2002. Mais n'oublions pas que ces négociations étaient obligées, puisqu'il y avait une date-butoir (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). La plupart d'entre eux contenaient une clause dite de modération salariale sur trois ans.

M. Jean Le Garrec - C'était du donnant-donnant.

M. Hervé Novelli - C'est ce qui amène quelqu'un comme M. Le Duigou à dire que l'application des 35 heures a été pendant plusieurs années responsable de la modération salariale.

M. Alain Vidalies - C'est pourquoi il faut maintenant augmenter les salaires !

M. Hervé Novelli - Les lois Aubry ont organisé la stagnation des salaires, problème qui est aujourd'hui le problème essentiel de la société française et que nous avons donc à traiter.

M. Alain Vidalies - Vous ne voulez pas augmenter les salaires, mais simplement faire travailler les gens davantage !

M. Hervé Novelli - Notre proposition de loi a pour objet de répondre à ce lancinant problème du pouvoir d'achat. Elle assouplit le compte épargne-temps et permettra à ceux qui le souhaitent - j'y insiste, car nous parlons bien de temps choisi - de travailler au-delà du contingent, dans le respect des directives européennes.

Vous lui reprochez d'être « mal ficelée » et de ne pas comporter d'étude d'impact. Dois-je vous rappeler que celle prévue dans la loi sur les 35 heures n'a jamais été livrée ? Texte dangereux, dites-vous aussi. Comme s'il fallait se méfier de la liberté ! Nous pensons quant à nous que la liberté n'est jamais dangereuse quand elle est associée à la responsabilité. A votre partage malthusien de la pénurie, nous préférons l'expansion et la confiance en l'homme.

Pour toutes ces raisons, j'invite l'Assemblée à rejeter cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Michel Liebgott - Nous avions dit dès le départ que cette petite loi - en nombre d'articles - allait produire de grands méfaits et nous savions d'avance, compte tenu de son caractère idéologique, qu'elle ne pourrait pas être modifiée. Conçue pour ressouder la majorité et pour satisfaire le Medef, elle n'a été que toilettée au Sénat, qui n'a pas voulu franchir le Rubicon. Nous avons ainsi reçu l'assurance que les femmes enceintes n'auraient pas à renoncer à leurs journées de repos, ce dont nous nous félicitons, et que la cinquième semaine de congés payés n'était pas remise en cause, ce qui est la moindre des choses. Il aurait tout de même été surprenant que l'on ose toucher à un acquis social aussi important !

Ce gouvernement a un problème avec l'économie, comme en témoigne la succession de ministres à ce poste : quatre en trois ans. Nous en avons connu deux issus de la société civile. Le premier avait dirigé une entreprise sidérurgique que je connais bien. Pour le second, nous attendons de voir, sans être autrement convaincus. Quant aux deux autres, il s'agissait d'hommes politiques éminents... Résultat : augmentation du chômage et stagnation du pouvoir d'achat ! Certains ont parlé de modération salariale lors de la dernière législature : oui, mais il y avait en même temps une augmentation de l'emploi ! Vous, ce que vous avez fait augmenter de 10 %, c'est le chômage et le nombre de érémistes...

Dans les solutions techniques que vous proposez figure le temps choisi, mais tout le monde sait que ce sera un temps imposé ! Il ne sera jamais négocié ! Ce qui s'imposera dans l'intérêt de l'entreprise tel que le verra son patron sera tout simplement directement appliqué par les salariés. Rien d'autre n'est imaginable en l'absence de règles posées par le code du travail. Cette loi va donc tout simplement inscrire dans le marbre les inégalités entre entreprises : selon qu'elles comptent moins de 20 salariés, entre 20 et 50 ou plus, le nombre de salariés aux 35 heures varie de un à trois sur quatre ! Nous ne pouvons accepter de poursuivre l'examen de ce texte dans ces conditions. Nous le rejetons globalement. Au moment où 38 % des salariés français gagnent, au mieux, 1,33 fois le SMIC, il est des plus mal venus (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Muguette Jacquaint - Je ne m'attarderai pas sur les arguments juridiques, même s'ils sont nécessaires dans cette enceinte, mais sur notre situation économique et sociale. Si certains avaient été tentés d'oublier celle-ci entre les deux lectures, quelques millions de manifestants se sont chargés de les en empêcher. Et ne parlez plus d'héritage : l'argument n'a plus cours et les gens veulent des réponses concrètes à leurs difficultés.

Le but de votre texte n'a pas varié pour cette deuxième lecture : la mise à mort des 35 heures. Votre leitmotiv est toujours : travailler plus pour gagner plus. Il est vrai que les gens veulent gagner plus, parce qu'ils ont perdu du pouvoir d'achat, mais ils n'y arriveront pas ainsi car ce que vous leur proposez, c'est de travailler plus, mais avec un contingent d'heures supplémentaires moins payées ! Le baron Seillière a encore prétendu, hier, après les grands mouvements que nous venons de connaître, que les salariés français étaient extraordinairement bien payés, les mieux payés d'Europe ! C'est scandaleux ! Il y a des gens qui travaillent, mais qui sont pauvres ! Ils sont payés en dessous du SMIC, ils n'arrivent pas à vivre et vous voulez encore aggraver leur situation ?

Vous proposez un dispositif de temps choisi : que peuvent choisir des salariés quand il y a 10 % de chômeurs ? Dans les faits, on leur demande de travailler plus pour honorer une commande urgente, sans même avoir besoin de préciser que dans le cas contraire, ils seront mis à la porte : ils comprennent tout seuls ! Les employés de la grande distribution, par exemple, ne demandent qu'à travailler davantage, si c'est pour gagner plus, mais ce dont ils ont avant tout besoin, c'est que leurs salaires soient revus à la hausse. Mais vous n'avez que faire de leurs demandes ! Dans un coin de la France, une entreprise met ses salariés à la retraite à 52 ans, alors qu'ils souhaitent continuer ! Que répondez-vous ? Rien ! au contraire, vous persistez à aggraver la situation ! Vous ne serez donc pas étonnés que nous votions cette exception d'irrecevabilité.

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Michel Liebgott - Le 5 février, le 11 mars, la France était dans la rue. Les manifestations de colère se succèdent et les slogans témoignent de l'état de l'opinion. Un exemple : « augmentez les salaires, pas les horaires ! »

Perdez-vous les pédales ? Essayez-vous de vous rattraper aux branches ? Quoi qu'il en soit, vous affirmez que vous ne voulez pas toucher aux 35 heures, qui sont un droit acquis, et que ce texte ne les concerne pas. Les Français ne vous comprennent plus et, en tout cas, n'acceptent plus ce double langage. Car ils savent, par exemple, que vous avez fait disparaître les emplois aidés. Certaines collectivités les ont supprimés, puis rétablis, avec des crédits tombés du ciel, mais c'est loin d'être le cas pour l'ensemble de ces emplois. Et vous nous promettez de nouveaux emplois aidés, aux multiples noms, mais sans nous dire rien des conditions financières... Ce que nous savons, c'est que nous avons un petit sursis pour les CES, ce qui nous permet de gérer l'urgence, mais nous n'avons aucune assurance pour l'avenir.

En première lecture, vous avez tenté, sans succès, de démontrer l'impact négatif qu'auraient eu les 35 heures sur l'économie. Vous lez accusez de tous les maux pour masquer les échecs patents de vos quatre ministres de l'économie, si célèbres et médiatiques soient-ils. Mes collègues socialistes et moi avons point par point démontré vos incohérences. Nous savons que vous subissez des influences : il faudrait de temps à autre pouvoir y résister ! Le général de Gaulle, que l'on vient d'évoquer, a su le faire, mais ce gouvernement n'a manifestement plus rien de gaulliste : il poursuit une politique libérale pure et dure.

M. Patrick Ollier - N'exagérez pas !

M. Michel Liebgott - D'un point de vue macro-économique, les 35 heures ont permis la création de 340 ou 350 000 emplois et en ont sauvé 60 000 autres. Beaucoup plus que la loi de Robien, que vous vous êtes empressés d'oublier ! Contrairement à vos allégations, ces créations n'étaient pas l'effet de la seule croissance, mais celui de la politique volontariste du gouvernement Jospin dans tout le domaine socio-économique - parce que l'économie n'est pas compartimentée et qu'une cohérence dans le développement des mesures est indispensable. Au contraire, votre politique de l'emploi, depuis 2002, a abouti à 200 000 chômeurs et 250 000 érémistes de plus, soit l'équivalent de Lille pour les premiers et de Strasbourg pour les seconds ! Il est temps d'ouvrir les yeux : votre action contre le chômage est un échec complet.

Vous prétendez également que la réforme des 35 heures a été dispendieuse pour le budget de l'Etat. Là encore, ce sont des idées fausses : le coût des allégements de charges a été compensé par des recettes fiscales et sociales dopées. En effet, contrairement à vous, lorsque nous accordons des exonérations de charges, c'est sous réserve de contreparties... Pour nous, distribuer le travail, c'est distribuer le pouvoir d'achat. C'est donc un bon moyen pour Etat d'accroître ses recettes.

La mission parlementaire d'information sur les conséquences de la législation relative au temps de travail est née de cette polémique sur les coûts. Là encore bien des caricatures ont été diffusées. Tant sur les coûts bruts que sur les recettes directes et indirectes, les chiffres fournis par les gouvernements successifs de M. Raffarin sont fantaisistes. Les chiffres réels sont clairs : la réduction du temps de travail s'est inscrite dans une dynamique de création d'emplois dans le secteur marchand, dynamique qui a produit des recettes nouvelles, tant fiscales que sociales. En conséquence la différence entre les coûts bruts résultant des exonérations de charges, soit 10,5 milliards d'euros selon les propres services du ministère du travail, et les recettes générées par ailleurs, soit 6 milliards, ne serait que de 4,5 milliards d'euros pour 350 000 emplois créés. On le voit, nous sommes loin du coût de 40 000 € par emploi parfois invoqué : nous sommes plutôt au voisinage de 13 000 €. Les 35 heures apparaissent ainsi, parmi les aides à l'emploi, comme le dispositif le moins coûteux et le plus efficace : 13 000 à 14 000 € par emploi, contre 30 500 pour la ristourne Juppé et 45 000 pour un CIE... Votre loi était donc loin d'être la plus coûteuse. Et il s'agissait d'emplois réels et utiles.

On accuse aussi les 35 heures d'avoir diminué la compétitivité et l'attractivité de la France. Mais l'analyse des données de la comptabilité publique contredit cette thèse. Selon Eurostat, la production par heure travaillée et celle par personne employée étaient supérieures en 2001 à la moyenne européenne. Il n'y a d'ailleurs jamais eu autant d'heures travaillées que durant ces années que vous critiquez tant, mais des heures de travail partagé, et non réservé à un nombre restreint de personnes. En base 100, selon Eurostat, la France se situait en 2001 à 109,5, l'Allemagne à 106,3 et le Royaume-Uni à 90,4. Globalement, les Français ont réussi à produire autant en moins de temps et les 35 heures ont permis en outre de réorganiser et de rationaliser le travail pour dégager plus de temps libre, lui-même producteur de croissance pour certains secteurs dont le tourisme et les fonctions récréatives. Il est donc possible de joindre l'utile et l'agréable.

Les 35 heures sont par ailleurs accusées de nuire au pouvoir d'achat en interdisant les heures supplémentaires. En réalité, la loi Aubry II en autorisait 130 par an et par salarié, ce qui est amplement suffisant puisque les salariés en font en moyenne cinquante ou soixante. L'esprit de l'amendement que nous avions proposé en première lecture et que vous avez, bien entendu, rejeté allait dans ce sens. Il était non seulement réaliste mais porteur d'avenir ; car si la croissance devait repartir, il conviendrait qu'elle profite avant tout à des chômeurs, plutôt qu'à des gens déjà salariés à qui l'on imposerait de travailler plus... Avec votre proposition de loi, les salariés feront donc des heures supplémentaires qui seront payées comme des heures normales, directement ou à travers le compte épargne-temps. Voilà qui est loin d'être un progrès social.

Car la vraie question, comme nous l'ont rappelé les manifestants de février et mars, c'est bien celle du pouvoir d'achat et donc des salaires. L'esprit des 35 heures était de favoriser le partage du temps de travail pour donner au plus grand nombre du pouvoir d'achat, et relancer ainsi la consommation, porteuse de croissance et d'emplois : c'est une logique keynésienne bien connue. Car redonner du travail, c'est aussi redonner du pouvoir d'achat et permettre la relance économique. On sait en effet que les plus modestes consommeront de manière directe, l'épargne étant plus difficile pour eux. Vous avez fait le choix opposé dans un certain nombre de domaines, notamment celui de la santé.

Je le rappelle, c'est bien au quatrième trimestre de 2001 que le record historique d'heures travaillées en France a été atteint avec 27 milliards d'heures. Les heures travaillées ont ainsi augmenté de 7,9 % entre 1997 et 2002, mais baissé de 1,3 % depuis 2002 : résultat peu brillant pour des chantres du libéralisme et de la réussite économique... Ces heures travaillées procurent autant de revenus aux foyers, contribuant à la relance dans un cercle vertueux.

Plus inquiétant encore : aujourd'hui, alors que le PIB croît, le chômage suit la même tendance. M. Raffarin théorisait pourtant l'inverse, et table toujours sur une décroissance du chômage de 10 % d'ici à la fin de l'année. C'est le signe d'une société qui évolue à deux vitesses et d'une classe moyenne qui se resserre - si l'on peut encore l'appeler moyenne : peut-être faut-il déjà parler d'une classe en perdition. Il y aura d'un côté les plus riches, les gros actionnaires - les salaires des patrons du CAC 40 ont crû en 2004 de 27 % - et de l'autre les chômeurs, les exclus, et, pire encore, les « travailleurs pauvres », terme aujourd'hui entré dans les mœurs. Car, même en travaillant, beaucoup de salariés ne peuvent plus aujourd'hui s'en sortir, quand bien même ils travailleraient plus comme les y invitent votre discours et votre proposition de loi. Le salariat est en voie de « smicardisation », comme le montre Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire confédéral de la CGT : le pouvoir d'achat du salaire moyen par tête a perdu de 5 à 6 % en trois ans. Je l'ai dit, 38 % des salariés français sont à moins de 1,33 SMIC. Votre politique actuelle crée réellement le risque d'une rupture de notre pacte social, et donc un danger pour l'ensemble de la société, ainsi que pour l'économie elle-même.

Il faut désormais, nonobstant la pression du Medef, enclencher une dynamique positive sur les salaires. C'est ce que nous suggérons ; Dominique Strauss-Kahn évoque ainsi la nécessité d'un « Grenelle des revenus ». Il est impératif, par des négociations nationales et interprofessionnelles avec les partenaires sociaux - ce que vous n'avez pas fait malgré vos promesses -, de revaloriser notablement les salaires pour faire repartir la croissance. Il ne s'agit pas de s'en remettre à la croissance mondiale, mais de susciter la croissance par une politique volontariste : une croissance partagée et non bénéficiant quelques privilégiés qui ne consomment pas plus mais placent leur argent, souvent hélas dans des fonds de pension, d'où de nouvelles difficultés pour les entreprises.

La hausse des salaires dépend de l'emploi, non des 35 heures. Aux salariés, du public comme du privé, qui réclament du pouvoir d'achat, vous répondez sur le ton de la provocation, laissant croire que les Français sont des fainéants alors que les chiffres de la productivité montrent le contraire : « travaillez plus pour gagner plus »... La fin programmée des RTT n'y changera rien. Votre proposition de loi veut appâter les salariés en leur faisant espérer une augmentation du pouvoir d'achat : cela ressemble à de l'escroquerie.

La vraie question est celle des salaires, qui n'ont été en rien affectés par les 35 heures. En effet, à rebours des idées reçues, l'INSEE estime que la réduction du temps de travail n'a eu qu'un impact limité et programmé sur les salaires, estimé à 0,3 point par an. En 2001, le pouvoir d'achat du salaire moyen dans le privé s'est accru de 1,5 % ; en 2003 il a baissé de 0,4 %, et pour 2004 les incertitudes demeurent. On le voit, vos démonstrations ne tiennent pas. Comme le note Patrick Artus, responsable des études économiques d'IXIS CIB, il faut que l'Etat intervienne dans le partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits des actionnaires. De fait, les profits récemment annoncés par les ténors du CAC 40 laissent pantois : augmentation de 800 % pour Arcelor, de 104 % pour L'Oréal , de 37 % pour Total... N'y a-t-il pas là de quoi créer chez les Français un sentiment d'injustice. ?

Il faut impérativement que les accumulations se traduisent par des redistributions significatives, pour tous et pas seulement pour les patrons du CAC 40. En effet, pour ces derniers, il n'y a pas de baisse du pouvoir d'achat, bien au contraire. A s'en tenir au haut du panier, l'augmentation par rapport à 2004 est encore de 10,3%. Les chiffres donnent le vertige : 406 fois le SMIC ! Sans compter les stock-options, on parle de 6,57 millions d'euros pour le patron de l'Oréal, de 4,26 millions chez Michelin, de 3,02 millions chez Vinci, de 2,96 chez Carrefour, de 2,59 à TF1... Image frappante : le 1er janvier à 10h30, le patron de l'Oréal a déjà gagné plus d'argent qu'un smicard en un an !

Cet abîme, ce gouffre, entre la situation des Français et l'explosion des profits des entreprises et les salaires de leurs dirigeants, est plus qu'incompréhensible : il devient obscène. Tant d'accumulation et si peu de redistribution ! Tant de richesses et si peu de partage ! La fracture sociale se creuse inéluctablement...

Manifestement, votre texte n'a pas l'aval de la rue. Vous me répondrez que ce n'est pas la rue qui gouverne, mais la représentation démocratique issue des urnes. Certes, mais dans une société vivante, la démocratie électorale ne va pas sans la démocratie sociale.

M. Alain Vidalies - Très bien !

M. Michel Liebgott - La coupe est pleine. Votre autisme est dangereux, quand bien même M. Raffarin affirme vouloir agir sur les salaires, dans le seul but d'apaiser la grogne sociale. Mon collègue Jean Le Garrec avait déposé deux amendements visant à insérer après l'article premier A deux mesures importantes qui allaient dans le sens de la concertation : vous les avez repoussés en commission, témoignant ainsi - s'il en était encore besoin - de votre libéralisme aveugle et de votre servilité à l'égard du Medef. Il s'agissait d'une part que le Gouvernement saisisse les partenaires sociaux du texte dans le cadre de la commission nationale de la négociation collective, en vue d'engager un processus de négociation collective avant la fin de sa discussion au Parlement, et d'autre part qu'il organise avant la fin du deuxième trimestre une conférence sur les salaires, l'emploi, les conditions de travail et l'organisation du temps de travail avec l'ensemble des organisations syndicales et patronales représentatives. Cette proposition est particulièrement d'actualité, et je tiens à la saluer.

Le Medef s'est exprimé sur la question salariale, et vous n'avez pu que l'entendre. La réponse de M. Seillière, avant M. Sarkozy - Guillaume - n'a surpris personne : sa volonté de mener sa barque indépendamment des revendications exprimées reste entière.

Votre proposition de loi vise à permettre de travailler plus. J'exprime les plus vives inquiétudes en matière de santé et de risques pour les salariés. Les mesures visant à allonger le temps de travail, qu'il s'agisse du CET - dont le champ, de l'aveu même du Figaro, est considérablement étendu -, du temps choisi ou des heures supplémentaires, seront nécessairement préjudiciables aux salariés. Plus le nombre d'heures hebdomadaires augmente, plus le risque d'accidents et d'impact sur la santé est accru.

Un mot sur l'article 2, dont nous n'aurons pas la chance de débattre. Vous souhaitez d'ailleurs un vote conforme sur l'ensemble du texte, puisque vous avez atteint vos objectifs et que vous n'écoutez plus la rue. Les heures choisies sont en réalité des heures supplémentaires qui ne sont pas payées comme telles.

M. Alain Vidalies - Très bien !

M. Michel Liebgott - Vous avez donc réussi votre manipulation. Il est vrai qu'entre 1849 et 1912, on travaillait dix heures par jour : nous voici revenus au début du siècle ! Ce n'est pas un progrès. Il sera en effet facile à l'employeur d'imposer ces heures choisies aux salariés, et le problème de la précarité restera entier, sans compter que le temps partiel subi pourrait se transformer en temps complet.

La commission des affaires sociales du Sénat avait adopté un amendement destiné à rappeler expressément la règle de droit commun, à savoir que le travail journalier ne peut excéder dix heures, en application de l'article L. 212-1 du code du travail. Son rapporteur M. Souvet, l'a malheureusement retiré au motif que le ministre avait réaffirmé en séance publique la règle du droit commun. Il n'aurait pas été inutile de la rappeler dans la loi, compte tenu du rapport de forces toujours défavorable au salarié.

J'ai parcouru, comme vous sans doute, le livre de Philippe Askenazy sur les désordres du travail. Primé par le Sénat, il apporte une nouvelle lecture des conditions de travail en France : la fatigue psychologique et les troubles musculo-squelettiques se développent, tout comme le nombre d'accidents du travail ne cesse d'augmenter. C'est une véritable bombe à retardement pour nos économies, surtout dans les petites entreprises et chez les sous-traitants.

Le coût des seuls accidents du travail atteindrait 3 % du PIB, c'est-à-dire l'équivalent de l'ajout d'une dizaine de jours fériés sur le calendrier. Il y a décidément quelque chose d'anachronique entre votre texte et les analyses de cet expert.

Pourquoi ne pas expérimenter le système de congé sabbatique rémunéré des Suédois, les postes libérés étant occupés par des chômeurs ? Ce système original qui vise à réduire le stress et les arrêts maladie connaît un remarquable succès, avec 27 000 dossiers déposés pour 12 000 postes.

Les amendements adoptés par le Sénat sont un minimum par rapport aux ambitions idéologiques et dangereuses de votre texte. C'est tout de même la moindre des choses que les femmes enceintes ne puissent renoncer à une partie des journées ou demi-journées de repos. Cela ne relève même plus du droit du travail, mais de la plus élémentaire courtoisie.

Les sénateurs de droite sont sans doute plus réalistes que vous, à moins qu'ils n'aient tout simplement mauvaise conscience. A l'article premier, relatif aux modalités d'abondement du compte épargne-temps, le Sénat a en effet prévu que la cinquième semaine de congés payés ne puisse faire l'objet d'une rémunération immédiate ou différée. Je ne comprends pas que nous n'ayons pas adopté cette disposition : honte à l'Assemblée nationale !

A la demande de l'Institut du droit local d'Alsace-Moselle, qui m'a sollicité en tant que parlementaire mosellan, un article additionnel a été inséré, suite à l'amendement du sénateur Todeschini, pour stabiliser la situation juridique et éviter les revirements de jurisprudence dont l'arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 26 janvier 2005 fournit un exemple. Il dispose que « dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de Moselle, les jours figurant dans l'ordonnance du 16 août 1892, intégrant le Vendredi Saint et le lendemain de Noël, spécifiques à l'Alsace-Moselle, ainsi que le 11 novembre, le 1er mai, le 8 mai et le 14 juillet sont des jours chômés.»

Il est illusoire de penser que les salariés pourront exercer un quelconque choix. Sans concertation ni consultation des forces vives de notre pays, se met progressivement en place un droit du travail d'inspiration libérale, si j'ose dire, à la « tête du client ». Cette réforme ne favorisera pas le pouvoir d'achat, notamment pour les salariés des petites entreprises, dont les heures supplémentaires ne seront pas rémunérées à leur juste valeur. Elle ne contribuera nullement à la réduction du chômage, ni à l'augmentation du pouvoir d'achat synonyme de croissance économique.

La France n'a pas besoin de votre réforme. Vous augmentez des contingents horaires alors que ceux en vigueur ne sont pas pleinement utilisés. Vous favorisez Ies démarches individuelles et vous excluez du travail des milliers de Français qui cherchent leur place dans la société active. Les salariés veulent plus de sécurité dans leur travail, s'inquiètent pour leur santé, et vous leur proposez de travailler plus alors que d'autres alternatives sont possibles.

Cette loi est un aveu d'échec pour un gouvernement qui perd pied, qui se cantonne à des positions idéologiques. Il fait preuve de lâcheté : vous avez choisi d'échapper à l'avis du Conseil d'Etat et à la présentation en conseil des ministres.

Je citerai pour conclure l'historien Denis Lefebvre : « Le travail n'est pas un privilège, c'est un droit essentiel de la survie de l'humanité, un partage fondamental de nos richesses ». Cela rejoint notre philosophie : travailler tous, et surtout travailler mieux. Comme le rappelle Xavier Timbeau, expert à l'OFCE, « Les 35 heures sont un choix de société : soit ceux qui ont un travail gagnent plus et travaillent plus, soit on partage le travail et on embauche ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Ministre délégué - M. Liebgott a parlé de la croissance. En 2004, la croissance française a été de 2,5 %, contre 1,8 % pour la zone euro, 2,6 % pour l'Espagne, 1,2 % pour l'Allemagne, 1,3 % pour l'Italie et 3,2 % pour le Royaume-Uni. Voilà les chiffres !

S'agissant du temps partiel non choisi, j'ai engagé, notamment dans le secteur de la grande distribution, une réflexion sur ce sujet.

C'est écrit dans le texte, Monsieur Liebgott, le taux de rémunération des heures choisies ne peut être inférieur à celui des heures supplémentaires. Quant à l'amendement du Sénat sur la cinquième semaine de congés payés, qui ne peut faire l'objet d'une monétisation immédiate, il pourra être utilisé par exemple pour rémunérer un congé de formation.

M. Jérôme Rivière - Pour le groupe socialiste, il n'y aurait donc pas matière à délibérer. Les travaux de la mission d'information ont pourtant montré que les conséquences de la réduction autoritaire et uniforme du temps de travail nécessitaient une loi si l'on voulait éviter la faillite à notre pays.

La RTT a coûté très cher et pénalisé notre développement économique, avec 3 à 5 % de PIB de perte de croissance. Notre texte supprime les rigidités et encourage l'ouverture de négociations dans l'entreprise pour permettre à ceux qui le souhaitent de travailler plus pour gagner plus. Les 35 heures ont conduit au gel des salaires. Il ne s'agit pas de remettre en cause la durée du travail, mais de tenir compte des aspirations des salariés et des exigences de chaque entreprise et de chaque secteur d'activité. Nous le réaliserons par la négociation collective. Nous faisons confiance aux partenaires sociaux pour mettre en place les conventions. Nous laisserons aussi l'initiative aux salariés : à la garantie collective s'ajoute la volonté individuelle. La liberté de chacun sera ainsi respectée.

Ce texte poursuit la politique de revalorisation du travail engagée par le Gouvernement. Plus que jamais, notre assemblée doit légiférer. Le groupe UMP vous invite donc à rejeter cette question préalable.

M. Alain Vidalies - Cette question préalable est parfaitement fondée. Le Gouvernement n'a toujours pas répondu à un certain nombre de questions posées par MM. Le Garrec et Liebgott et évoquées dès la première lecture.

Ces dernières années, le produit intérieur brut n'a cessé d'augmenter, excepté en 1993, et sa croissance s'accompagne d'une hausse du chômage. Nous produisons plus de richesses avec moins de travail. Si l'on travaillait autant qu'il y a cent ans pour produire les richesses d'aujourd'hui, il y aurait 10 millions de chômeurs ! La seule réponse socialement acceptable à ce phénomène est la diminution du temps de travail. Pour l'heure, vous menez une politique fondée sur l'accélération de la productivité captée par les actionnaires et les entreprises, mais, tôt ou tard, confrontés à la contradiction d'un chômage progressant à mesure de la croissance, vous reviendrez à la diminution du temps de travail.

Sur la question de la négociation sociale, le représentant de l'UMP a beau jeu de nous présenter comme des législateurs obsédés et autoritaires.

M. Jérôme Rivière - C'est tout à fait ça !

M. Alain Vidalies - Pour faire passer ce texte, vous avez utilisé la forme de la proposition de loi afin d'éviter les consultations sociales et l'examen du Conseil d'Etat !

Plusieurs députés UMP - Tout de même, il a été débattu au Parlement !

M. Alain Vidalies - Les salariés vous ont répondu : ils se sont mobilisés contre. Vous utilisez la négociation sociale pour revenir sur des lois progressistes, mais quand il s'agit d'adopter des textes de régression sociale, vous passez outre. Ne travestissez pas la vérité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Le Garrec - Même M. Novelli est gêné !

Mme Muguette Jacquaint - Je voterai en faveur de la question préalable.

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La séance, suspendue à 18 heures 20, est reprise à 18 heures 30.

M. le Président - Nous en venons à la discussion générale.

M. Maxime Gremetz - J'aurai l'occasion de distiller, au cours de mon intervention, des morceaux choisis de nos débats : les paroles s'envolent, les écrits demeurent, le Journal Officiel, heureusement, en fait foi.

Nous discutons donc, en seconde lecture, de la proposition de loi qui démantèle les 35 heures. Le débat au Sénat a confirmé la duplicité du Gouvernement et de la majorité car celui-ci s'est approprié une proposition de loi et a donc fait peu de cas du travail parlementaire. Mais les masques, une fois de plus, sont tombés : ce sont quatre prête-noms de la majorité qui ont déposé une proposition mensongère et perverse en fait rédigée par le Gouvernement.

Le slogan selon lequel il faudrait travailler plus pour gagner plus...

M. Hervé Novelli - C'est une vérité.

M. Maxime Gremetz - ...et la formule dite du « temps choisi » constituent en effet deux mensonges. Les salariés, en fait, pourront travailler plus pour gagner moins car les heures supplémentaires, de même que les astreintes, seront moins payées. Le Gouvernement reste de plus inactif face à une négociation collective sur les salaires qui est au point mort alors qu'elle est obligatoire chaque année. Les entreprises, en revanche, ne connaissent pas la crise car les profits explosent et les dividendes pleuvent : les Français, eux, n'aiment pas que l'on prétende, dans ces conditions, qu'il est impossible d'augmenter les salaires. Les manifestations des lycéens témoignent elles-mêmes, confusément, de ce ras-le-bol. Ce ne sont d'ailleurs pas les PME qui sont en cause, car elles créent des emplois et ne sont pas particulièrement aidées...

M. Hervé Novelli - C'est exact.

M. Maxime Gremetz - ...ce sont bien plutôt les grandes entreprises qui spéculent, délocalisent et préfèrent rétribuer leurs actionnaires plutôt que leurs salariés. Je pourrai citer, par exemple, le cas du groupe Flodor dans ma seule région.

Quant à la notion de temps choisi, c'est un marché de dupes. Lorsque l'on connaît la nature des relations sociales dans les entreprises et comment se pratique tous les jours le chantage à l'emploi, on ne peut croire à cette notion qui vise en fait à enfermer les salariés dans une relation individuelle avec l'employeur. Qui peut croire que le salarié est le seul maître de l'organisation de son temps de travail quand le refus des heures supplémentaires peut constituer un motif de licenciement ? Le comble, c'est que le contingent d'heures supplémentaires peut être variable, au gré des désirs de l'employeur. Vous autorisez en définitive la multiplication des heures supplémentaires payées au rabais, tout comme vous permettez à l'employeur de flirter avec la durée maximale du temps de travail.

En outre, vous inversez le rôle du compte épargne-temps qui, loin d'être un outil pour le salarié, le pénalisera. Vous pervertissez en effet le CET en permettant à l'employeur d'en déterminer unilatéralement son utilisation et en créant, avec sa monétarisation, un salaire différé et même virtuel en cas de choix spéculatifs incertains. Finalement, vous le transformez en fonds de pension alors qu'il devrait selon nous demeurer un mode d'indemnisation des congés et non un moyen de constituer une épargne ou un complément aléatoire de salaire.

J'ai entendu M. Breton.

M. Hervé Novelli - Il est très bien.

M. Maxime Gremetz - Si vous le dites, c'est qu'il doit être très mauvais pour les salariés. M. Novelli, vous êtes un ultra-libéral, pas moi.

M. Hervé Novelli - Je suis un libéral très modéré.

M. Maxime Gremetz - M. Breton devait donc apporter de remarquables idées modernes. Lesquelles ? En premier lieu, la prime d'intéressement, mais elle date de 45 ans. J'ai été actionnaire de mon entreprise...

M. le Président de la commission - Capitaliste ! (Sourires)

M. Maxime Gremetz - ...car j'avais droit à une action, mais cela n'a pas empêché le ministre du travail de l'époque de me licencier alors que j'étais délégué du personnel. Vous vous rendez compte, j'ai été licencié d'une maison qui en principe m'appartenait ! Aujourd'hui, les profits sont considérables et les salariés assurent qu'ils ne sont en rien intéressés aux bénéfices. Mais il est vrai, que connaîtraient-ils des comptes réels de leurs entreprises ? Et tout ceci parce que le Gouvernement ne veut pas augmenter les salaires alors qu'ils sont particulièrement bas et que le pouvoir d'achat a encore diminué de 0,3 % dans le secteur privé.

La deuxième grande idée de ce brillant et moderne ministre des finances est d'aider les entreprises à investir dans la recherche. Eh bien, avouez que cela n'est pas très nouveau ! Depuis combien de temps accorde-t-on des exonérations de charges et d'impôts aux entreprises pour favoriser l'investissement ? Jusqu'à 23 milliards d'euros ! Et depuis combien de temps la Cour des comptes dénonce-t-elle ce gaspillage d'argent public ? Bref, M. Breton ne fait que reprendre les recettes qui, quel que soit le Gouvernement qui les a appliquées, ont échoué à soutenir la croissance, à créer des emplois et à assurer des revenus décents aux salariés du pays riche qu'est pourtant le nôtre.

Quant à M. Dutreil, qui assurait hier qu'il n'y avait aucune marge de manœuvre pour augmenter de plus de 1 % les salaires dans le public, voilà qu'après le succès de grandes manifestations, il fait machine arrière sur injonction du Premier ministre qui explique qu'il est possible d'aller plus loin. Quelle leçon en tirer si ce n'est qu'avec ce gouvernement, jamais on n'obtiendra rien sans détermination ni sans lutte ? Les lycéens, et au-delà l'ensemble de la société, l'ont bien compris qui continuent de se mobiliser...

M. le Président - Il faut conclure, Monsieur Gremetz. Vous parlez depuis seize minutes.

M. Maxime Gremetz - Je me résume. Face à une offensive idéologique sans fondement, aucune étude sérieuse et impartiale n'étant jamais venue étayer votre réforme du temps de travail, nous proposons un contre-projet prenant en compte les attentes qui s'expriment et tirant les leçons des insuffisances comme des erreurs du passé. En effet, ce que l'on peut reprocher à la loi Aubry II - et nous l'avons toujours fait -, est d'avoir déconnecté l'octroi des aides publiques de la création d'emplois et d'avoir créé les conditions d'une plus grande flexibilité et d'un gel des salaires, comme le souhaitait le patronat.

Plutôt que de freiner le processus historique de la réduction du temps de travail, il faut au contraire le relancer et songer - tel est le sens de nos amendements - à une nouvelle loi de réduction du temps de travail. Pour commencer, il faut impérativement revenir sur la définition du temps de travail effectif et du temps de déplacement, ainsi que sur la réglementation du travail de nuit, l'objectif étant d'obtenir son interdiction pour les femmes dans l'industrie et le passage aux 32 heures pour les autres. Il convient ensuite de rendre toute sa légitimité à la négociation sociale en subordonnant la validité de tout accord de réduction du temps de travail à son adoption par une majorité des syndicats représentant une majorité des salariés. Le dialogue social souffre aujourd'hui dans notre pays du jeu de posture permis par la loi Fillon du 4 mai 2004, aux termes de laquelle des syndicats minoritaires peuvent valider des accords. Chacun ayant perçu les limites du droit d'opposition qui contraint les représentants des salariés à une position défensive, il faut inverser la logique et faire du dialogue social un échange constructif dans un esprit de conquête sociale, conduit à armes égales. Cela doit aller de pair avec l'octroi aux salariés de nouveaux droits d'intervention et de temps de formation à l'activité syndicale, mesures indissociables, car si le droit du travail est complexe pour les employeurs, il l'est tout autant pour les salariés. Nous avons déposé un amendement à ce sujet.

M. le Président - Il faut conclure maintenant.

M. Maxime Gremetz - Nous nous opposerons résolument à cette proposition de loi en vous rappelant, Messieurs, que ceux qui, par le passé, on cherché à faire tourner en sens inverse la roue de l'Histoire ont toujours été déchus. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Bur remplace M. Baroin au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Yves BUR

vice-président

M. Hervé Novelli - Je ne reviendrai pas sur la philosophie qui a inspiré cette proposition de loi ni sur les arguments échangés à satiété durant de longues journées et de longues nuits en première lecture. Souhaitant, pour ma part, rester dans le temps qui m'est imparti, je me limiterai à reprendre quelques mots-clés : liberté tout d'abord, liberté de choisir son temps de travail,...(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Le Garrec - Liberté du renard dans le poulailler !

M. Hervé Novelli - ...négociation collective, laquelle était en panne - par la faute de qui ? - ; pouvoir d'achat également, car sur ce point, je suis d'accord avec vous, Monsieur Gremetz, celui-ci a reculé de 0,3 % en 2004 pour les salariés du privé, du fait notamment de la loi Aubry II (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) qui a, le plus souvent, conduit à une stagnation salariale dont il est difficile de sortir -mais nous en sortirons.

Notre commission des affaires sociales a adopté conforme le texte voté par le Sénat qui n'en a modifié que l'article premier et l'article 3. A l'article premier, qui simplifie et assouplit les conditions d'alimentation et d'utilisation du compte épargne-temps, la Haute Assemblée a exclu la possibilité de convertir en complément de rémunération les droits versés sur le compte au titre de la cinquième semaine de congés payés. Ces jours pourront en revanche continuer d'y être stockés pour indemniser un congé ultérieur. Par ailleurs, les incitations fiscales et sociales prévues pour que les droits accumulés sur un compte épargne-temps servent à alimenter un plan d'épargne retraite collectif ont été étendues, par cohérence, aux régimes supplémentaires de retraite d'entreprise.

A l'article 3, le principal amendement adopté par le Sénat rend possible, en l'absence de délégué syndical, de conclure un accord d'entreprise pour la mise en place d'un compte épargne-temps par le biais du mandatement. Cette possibilité figure d'ores et déjà dans la loi du 4 mai 2004 relative au dialogue social. Celle-ci dispose en effet que, dans les entreprises dépourvues de délégué syndical et d'élus du personnel, la direction peut négocier et signer un accord avec un salarié mandaté à cet effet par une organisation syndicale représentative sur le plan national, l'accord ainsi conclu devant ensuite recueillir la majorité des suffrages exprimés par les salariés. Mais elle dispose également que la possibilité de mandatement doit être prévue par un accord de branche, ce qui n'est pas le cas dans l'amendement du Sénat, qui permet aux petites entreprises de déroger au droit commun. Je considère, pour ma part, que cet amendement eût pu être évité. Tout d'abord parce qu'il reprend les dispositions de la loi Aubry sur le mandatement, loi dont nous nous efforçons de gommer les aspects le plus néfastes. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Ayant bien compris que le Gouvernement souhaitait un vote conforme, je n'ai donc pas déposé d'amendement de suppression de cette disposition. Mais je souhaite qu'à l'avenir, nous débattions de propositions novatrices sur l'accord collectif d'entreprise tel que visé à l'article L. 227-1 du code du travail.

Je pense qu'il faudra légiférer pour modifier cet article et donner toute sa force à l'accord d'entreprise. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Je plaide pour un nouveau contrat social, à présenter à l'opinion en 2007. Nouveau contrat social fondé sur la primauté de la négociation et du contrat sur la loi. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Au législateur de fixer les principes généraux destinés à garantir le respect des engagements internationaux de la France, les règles relevant de l'intérêt général comme la durée maximale du travail, le droit aux congés payés, l'exercice de la liberté syndicale... Aux juges de veiller à la légalité des accords et des conventions.

Le domaine social pourrait comporter deux sous-ensembles : un sous-ensemble de la compétence partagée, dans lequel les partenaires sociaux seraient prioritaires pour l'édiction de normes. Mais en l'absence d'accord, après un certain délai, l'Etat pourrait légiférer. Le deuxième sous-ensemble serait celui des compétences exclusives des partenaires sociaux.

Cette proposition de loi a, me semble-t-il, le mérite d'ouvrir la voie à ce nouveau contrat social. C'est pourquoi le groupe UMP la votera. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Danièle Hoffman-Rispal - Ce gouvernement a enfin, après trois ans, réussi à atteindre son objectif : mettre à mal les 35 heures, c'est-à-dire l'une des principales réformes du précédent gouvernement et l'une de celles qui aura marqué l'histoire sociale du pays. En matière sociale, le retour en arrière est chose rare. Vous auriez pu vous satisfaire des assouplissements apportés par la loi Fillon de janvier 2003 et par le décret du 21 décembre dernier, qui offraient déjà aux entreprises nombre de possibilités de contourner la durée légale des 35 heures et qui nous ramenaient finalement à la situation d'avant 1982. Mais, emporté par sa logique, soumis à la pression de l'aile la plus ultra-libérale de sa majorité et sensible comme toujours aux revendications de plus en plus poussées du Medef, le Gouvernement a décidé d'aller plus loin, quitte pour cela à saper certain fondements du droit du travail.

Premier choix hypocrite : revenir sur la réforme des 35 heures, tout en maintenant la durée légale du travail. Vous pouvez ainsi prétendre les avoir assouplies, quand vous les avez en fait supprimées. Jusqu'à ce que le Medef vous réclame de changer très officiellement la durée du travail, injonction à laquelle vous ne résisterez probablement pas longtemps.

Deuxième hypocrisie : pour ce nouveau recul social, vous avez fait le choix de vous abriter derrière une proposition de loi, alors que le texte en discussion était voulu par le Premier ministre lui-même, qui en avait fait l'annonce à la fin de l'année dernière. Vous l'avez fait pour court-circuiter l'ensemble des procédures préalables à un projet de loi.

M. Hervé Novelli - Pour une fois que les parlementaires ont la parole !

Mme Danièle Hoffman-Rispal - Le passage par une proposition de loi aura eu pour effet de mettre les partenaires sociaux hors jeu. Le Président de la République avait pourtant fait de la concertation avec les partenaires sociaux un préalable. Mais vous saviez que les organisations syndicales étaient très hostiles à ce texte. Vous avez donc décidé de vous passer purement et simplement de leur avis. Les lois du gouvernement Jospin sur la réduction de travail avaient, elles, été l'occasion d'une formidable relance du dialogue social.

Ce texte, si court qu'il soit bouleverse notre droit du travail.

Il établit une injustice durable au détriment de ceux qui travaillent dans les entreprises de moins de 20 salariés. En repoussant une nouvelle fois l'échéance, le Gouvernement pérennise une procédure qui devait rester transitoire et qui était destinée à aider les petites entreprises à passer aux 35 heures. La date butoir du 1er janvier 2009 ne trompe personne, il s'agit bel et bien d'un renvoi aux calendes grecques. Cette disposition aura d'ailleurs des effets pervers pour les petites entreprises elles-mêmes, qui risquent de rencontrer de grandes difficultés de recrutement.

La métamorphose du compte épargne-temps et la mise en œuvre du fameux « temps choisi » sont tout aussi contestables. Tout cela met le salarié dans un rapport de force toujours plus défavorable face à son employeur. C'est l'entreprise qui bénéficie de possibilités nouvelles, le salarié sera quant à lui contraint de s'y soumettre. « Ceux qui veulent gagner plus pourront travailler plus » : ce conte de fées gouvernemental est pure propagande, car celui qui décide dans votre texte, c'est l'employeur, et non pas le salarié.

Le compte épargne-temps permettait au salarié de maîtriser son temps de travail. Il était un élément de souplesse. En en transférant le contrôle quasi-exclusif à l'employeur, vous en faites un outil de gestion de l'entreprise.

Le recours intensif aux heures supplémentaires n'est pas une bonne chose pour la santé des salariés. Alors que la question de la pénibilité au travail est un enjeu dont chacun mesure désormais l'importance, vous n'en tenez pas compte. L'acceptation d'un amendement de nos collègues socialistes du Sénat relatif aux femmes enceintes le montre a contrario : s'il faut protéger les femmes salariées pendant leur grossesse, c'est bien qu'il existe un risque pour la santé à laisser dériver le temps de travail de manière aussi généralisée au-delà de la durée légale.

Quant à la notion de salaire différé, elle ne va pas dans le sens de la hausse du pouvoir d'achat. L'employeur pourra en effet décider unilatéralement de ne pas payer un certain nombre d'heures de travail et de les inscrire au compte épargne-temps.

L'augmentation des revenus que vous prétendez favoriser avec cette loi est ainsi un leurre complet. Il y aura en fait une pression à la baisse sur le coût du travail, par le biais d'une augmentation du temps de travail. Les salariés seront une nouvelle fois floués. Le refus de M. Seillière d'envisager une négociation aboutissant à une hausse des salaires en est la preuve aujourd'hui.

Le développement d'une relation de travail individualisée entre l'employeur et le salarié marque le caractère libéral de ce texte. Alors que le rôle de la loi est de compenser l'inégalité de la relation entre le faible et le fort, vous ne cessez d'encourager le plus fort à imposer ses vues. Alors que votre objectif est de permettre aux employeurs de s'affranchir du droit du travail, vous entretenez la fiction qu'il existe un choix commun et libre de l'entreprise et du salarié. En période de chômage de masse, cela relève tout simplement du cynisme.

Vous fragilisez les relations collectives de travail, qui sont pourtant la seule garantie pour les travailleurs de voir leurs droits reconnus et auxquelles les Français sont très attachés. Pour ce faire, vous procédez par petites touches. Ce texte s'inscrit ainsi dans la droite ligne de la loi de mai 2004 sur le dialogue social, qui systématise l'accord d'entreprise, celui-ci pouvant dorénavant être moins favorable au salarié que l'accord de branche lui-même. Il nous revient d'éclairer l'opinion sur ce point, qui dépasse le seul sujet du temps de travail.

Depuis la première lecture, nous avons assisté à la mobilisation exceptionnelle des salariés du public et du privé. Partie de la contestation de ce texte, elle s'est étendue aux questions d'emploi et de pouvoir d'achat, qui lui sont liées. Les chiffres sortis très récemment sont en outre venus sanctionner votre politique.

Le cap des 10 % de chômeurs a été franchi, ce qui n'a rien d'étonnant, car l'emploi est devenu une variable d'ajustement, comme le confirme la présente proposition de loi. Le message que vous adressez aux entreprises est clair : en cas d'augmentation de l'activité, n'embauchez pas, faites plutôt faire des heures supplémentaires à vos salariés ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Rien d'étonnant, donc, à ce que la pauvreté augmente. Le nombre d'allocataires du RMI a augmenté de 9 % en un an. Vous avez détruit un à un les dispositifs d'insertion, les contrats aidés, sans les remplacer par des outils efficaces. En ouvrant la porte à un recours abusif aux heures supplémentaires, vous verrouillez encore un peu plus l'accès à l'emploi.

Quant au pouvoir d'achat, il a baissé de 0,3 % en 2003.

M. Hervé Novelli - A qui la faute ?

Mme Danièle Hoffman-Rispal - Vous ne pouvez pas toujours rejeter la faute de tout sur les 35 heures !

M. Hervé Novelli - Ce n'est pas moi qui le dit, c'est la CGT !

Mme Danièle Hoffman-Rispal - Vous êtes en place depuis trois ans ! Une demi-mandature ! Vous ne pouvez pas toujours faire porter le chapeau aux 35 heures !

M. Hervé Novelli - Il y a bien autre chose !

Mme Danièle Hoffman-Rispal - En fait, vous êtes confrontés à la réalité de votre action, et les Français l'ont compris. Votre politique, c'est l'emploi sacrifié et l'absence de justice sociale, la plupart de prélèvements portant sur les salariés. La possibilité d'utiliser le compte épargne-temps pour développer les PERCO, c'est-à-dire la retraite par capitalisation, c'est la transformation d'une rémunération du travail en une chose qui s'éternise sur des années, à l'image du jour férié d'ailleurs, qui doit dégager 2 milliards de recettes nouvelles - mais vous venez de déclarer dans la presse que cela ne suffirait pas... La majorité avait déjà amendé le texte en première lecture pour orienter le compte épargne-temps vers l'épargne retraite. Elle a détourné en catimini le dispositif de son objet initial. Surtout, elle en a profité pour accorder de nouveaux avantages aux entreprises : les dispositions concernant les cotisations sociales et la réduction de l'impôt sur les sociétés vont sans aucun doute alimenter les déficits...

Vous ne croyez pas à la réduction du temps de travail, malgré les 350 000 emplois qu'elle a créés, vous l'avez vous-mêmes reconnu - et qui ne sont pas dus à la seule croissance - et malgré le formidable mouvement de négociation sociale et de réorganisation du travail qu'elle a suscité. Vos conceptions idéologiques vous conduisent à voir dans la baisse de la durée du travail une source d'oisiveté dangereuse. Je reste pour ma part convaincue qu'il s'agit d'un mouvement historique correspondant aux aspirations de chacun et à son besoin d'émancipation personnelle : nous continuons à la mettre au cœur de notre engagement politique. Ce mouvement est également celui de toute l'histoire économique et sociale depuis la révolution industrielle. En faisant aujourd'hui repartir le temps de travail à la hausse, vous commettez une erreur historique (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Patrick Ollier - Je voudrais dire combien je suis satisfait du travail qui a permis d'aboutir à ce texte, que je souhaite voir adopter sans qu'il soit amendé. Nous avons commencé, en 2003, par une mission d'évaluation. Puis est venue la réflexion. M. Larcher nous a tendu la main et M. Morange a déposé une proposition de loi, que le professeur Dubernard, M. Novelli et moi avons aussi signée. Pensez-vous vraiment que, durant les dix-huit mois de travail qui ont précédé le dépôt de ce texte, nous nous soyons montrés complètement autistes ? Nous avons, nous aussi, rencontré beaucoup de monde. Pensez-vous que nous n'ayons rien entendu ?

Les arguments que vous nous opposez sont à l'évidence politiciens. Le texte que nous vous soumettons est aujourd'hui très équilibré. Il ne fait que proposer des choix : aucune trace du caractère contraignant des lois Aubry ! Je ne comprends pas qu'on puisse refuser une telle opportunité, surtout dans un contexte social difficile, quand la population demande plus de pouvoir d'achat. Car nous ne faisons que proposer ! Après la négociation, un choix sera scellé dans un accord, qui permettra, à ceux qui l'auront voulu seulement, d'aller plus loin et de travailler plus pour gagner plus.

Le Sénat a bien travaillé. Les modifications qu'il a apportées sont peu nombreuses, mais importantes, telles que l'interdiction de monétiser dans le cadre du CET la cinquième semaine de congés payés ou la possibilité, dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux, de conclure des accords de mandatement pour la mise en place du compte épargne-temps. Ces modifications sont positives et confirment nos intentions de première lecture. La majorité est donc d'accord pour les accepter sans modifications. Ce projet de loi permettra de répondre aux attentes exprimées par les salariés de retrouver enfin la plus fondamentale des libertés, celle du choix. Nous ne faisons que proposer des outils. Nous ouvrons des espaces de liberté : qui dit accord dit négociation, et le temps choisi notamment ne se comprend que sur la base du volontariat.

Mme Hoffman-Rispal vient de tenir des propos qui frisent la caricature. Tandis que M. Le Garrec a présenté des arguments de poids que nous ne partageons pas, mais que nous respectons, d'autres attisent les peurs et annoncent une catastrophe.

Mme Muguette Jacquaint - La situation est déjà assez catastrophique comme ça !

M. Patrick Ollier - Serions-nous des benêts, qui n'auraient rien compris ?

Mme Muguette Jacquaint - Des libéraux, c'est tout !

M. Patrick Ollier - M. Novelli a une pensée libérale, et moi une pensée gaulliste. Nous nous respectons et sommes heureux d'appartenir au même mouvement ! Vous nous accusez de prendre le risque de revenir sur les protections des salariés. En quoi ? Moi aussi, je me plais à rêver d'une société apaisée, de confiance, d'une entreprise où les rapports ne seraient pas systématiquement voulus, par certains, conflictuels. Certains veulent entretenir l'ancienne lutte des classes, les bons contre les méchants... Nous serions les méchants et vous seriez les bons ? C'est un peu ringard !

M. le Président - Monsieur Ollier, il faut conclure.

M. Patrick Ollier - On peut rêver d'une entreprise où les hommes sont des partenaires, pas des adversaires. En attendant, je vous encourage à voter le texte tel qu'il est, pour qu'il entre en application le plus rapidement possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Hervé Morin - Ce débat a souvent frisé la caricature et le manichéisme. On y retrouve toujours les mêmes schémas : les uns disent que modifier à la marge le code du travail provoquerait des ruptures graves dans les conditions sociales et les autres que cette proposition de loi permettra de remettre en cause l'erreur historique de la réduction du temps de travail telle qu'elle a été appliquée ! Mais la durée du travail n'est pas réellement modifiée, et dire que la modification du CET, la possibilité d'accroître les heures supplémentaires et le dispositif des heures choisies, cela remettrait gravement en cause les acquis sociaux, c'est une caricature.

Cependant, nous déplorons une grande injustice, encore plus importante aujourd'hui que la question du pouvoir d'achat est centrale : le traitement différent des salariés des entreprises de moins de 20 personnes, introduit par l'actuelle opposition. Rien ne justifie le maintien de cette disparité de traitement. Les marges des entreprises se sont reconstituées, dans les grands groupes bien sûr, mais aussi dans l'artisanat et les PME. Dans les entreprises où les salariés n'ont accès ni au comité d'entreprise, ni au régime de prévoyance, ni aux avantages sociaux des grands groupes, et qui sont d'ailleurs celles où le potentiel d'heures supplémentaires est le plus élevé, il faudrait au minimum s'assurer que les heures supplémentaires soient rémunérées à 25 %

La France peut-elle être le pays qui travaille le moins de tous les pays occidentaux ? N'y a-t-il pas une contradiction à le soutenir tout en demandant un meilleur pouvoir d'achat ?

La réalité c'est qu'aujourd'hui, et le rapport Camdessus l'a montré, les Français travaillent 900 heures par an - si l'on considère l'ensemble de la population active en âge de travailler, y compris notamment les chômeurs - alors que la moyenne mondiale est de 1 200 heures. Quand on est face à la compétition mondiale et européenne que nous connaissons, et quand on voit des pays comme l'Allemagne - dirigée par un gouvernement socialiste - allonger la durée du travail, on se dit que la France ne peut rester à l'écart. Il est d'autre part aberrant de considérer que l'augmentation du temps de travail équivaut à une remise en cause des acquis sociaux et des conditions de travail. Tout d'abord le travail n'est pas forcément une aliénation ; même si certains connaissent des conditions de travail difficiles, il peut être un épanouissement. Ensuite on ne peut pas demander à la fois une augmentation du pouvoir d'achat et le maintien des conditions de production qui sont aujourd'hui les nôtres. On ne voit pas d'autre part ce qu'a d'antisociale l'idée que, par un allongement de la durée du travail, on va permettre une amélioration du pouvoir d'achat, donc de la consommation et de la qualité de vie.

Il y a certes une tendance historique à la diminution du temps de travail avec les progrès de la productivité. Mais la réduction automatique de la durée du travail comportait plusieurs illogismes. Le premier a consisté à réduire la durée hebdomadaire ou mensuelle du travail alors qu'on savait que le financement des retraites serait de plus en plus difficile. Un autre choix était possible : accroître la durée du travail hebdomadaire et non la durée du travail au long de la vie, au lieu de travailler jusqu'à 62, 63, voire 65 ans comme nous y serons conduits. Si l'on avait donné le choix aux Français de travailler plus dans leur semaine et moins dans leur vie, je suis convaincu qu'ils auraient préféré cette solution. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

D'autre part, Monsieur le ministre, j'ai lu avec attention les déclarations du ministre de l'Economie sur le pouvoir d'achat. Une première réponse à ce problème est d'ouvrir la possibilité de faire des heures supplémentaires et de remettre en cause la logique infernale des 35 heures. Mais une autre réponse consisterait à créer un système simple d'intéressement. Je crains que nous ne mettions en place une nouvelle usine à gaz, un système qui ne permettra pas aux salariés de recevoir rapidement les fruits de leur travail. A nos yeux la bonne réponse est, si dans une petite entreprise l'année a été bonne, de rendre possible un intéressement aux résultats entrant dans le salaire direct, et non différé dans le temps. Et cette prime doit être exonérée de charges fiscales et sociales : si le salarié reçoit 75 €, il ne faut pas qu'il en coûte 150 à l'employeur (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

Un troisième élément sur lequel il faudra revenir : si nous créons des régimes d'intéressement compliqués, les PME ne les adopteront pas. Il vaudrait donc mieux permettre aux Français de bénéficier de régimes de prévoyance financés par les entreprises, là encore sans impôt ni cotisations sociales. Compte tenu du poids croissant des complémentaires dans les régimes d'assurance maladie, il faut faciliter l'octroi de régimes de prévoyance aux salariés des petites entreprises.

Enfin je reste convaincu que la solution préconisée depuis 2002 par l'UDF pour ce qui est de la réforme des 35 heures était la bonne, bien que le Gouvernement n'en ait pas voulu. Il fallait maintenir la durée légale à 35 heures, permettre de mieux rémunérer les salariés de la trente-cinquième à la trente-neuvième heure avec un taux à 25 %, et réduire à due proportion les cotisations sociales. Ainsi ceux qui voudraient rester à 35 heures le pourraient, et ceux qui voudraient travailler plus le pourraient également. Il fallait le courage politique de le faire, et de le faire par la loi, au lieu de renvoyer à d'hypothétiques accords ou conventions. On a manqué cette solution en 2002, et depuis nous « ramons ». Je crains, hélas, que cette loi ne change pas grand-chose ; je ne vois pas bien, dans l'état actuel du dialogue social, des syndicats majoritaires signer des conventions collectives qui donneraient plus de souplesse au système. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Alain Vidalies - Cette deuxième lecture intervient dans un contexte particulier, marqué par les hésitations et les incohérences du Gouvernement. Il est vrai que les statistiques publiées depuis la première lecture éclairent singulièrement les résultats de votre politique. L'INSEE a ainsi révélé qu'en 2003 le pouvoir d'achat des salaires du privé avait diminué de 0,3 %. Il faut remonter à 1996 - époque où d'ailleurs vous étiez déjà aux affaires - pour trouver un résultat aussi négatif. Le nombre des chômeurs ne cesse d'augmenter : 200 000 de plus depuis 2002. Encore cette statistique minore-t-elle les effets de votre action, car en modifiant les règles de l'allocation spécifique de solidarité vous avez sorti des chiffres du chômage des dizaines de milliers de salariés qui se retrouvent plus vite au RMI. Le nombre des allocataires du RMI a pour sa part augmenté de 9 % pour la seule année 2004, soit 88 000 de plus ; son augmentation depuis juin 2002 est de 150 000... Ce sont donc au total 350 000 personnes, et leurs familles, que votre politique a plongées dans les difficultés.

Parallèlement les résultats affichés par les grands groupes battent tous les records, avec des augmentations de 40, 100, voire 800 %, et ce dans tous les secteurs : banques, industrie, commerce... Votre politique de réduction des impôts pour les catégories les plus aisées et de démantèlement du droit du travail a abouti à fragiliser la situation des salariés et à permettre une captation de la richesse produite au détriment du travail et au profit des actionnaires.

Pendant des mois nous vous avons interpellé sur les conséquences de cette politique. Je n'aurai pas la cruauté de rappeler vos réponses, souvent marquées par l'annonce d'une amélioration... qui n'est jamais venue. Il y a quelques jours encore, aucune négociation salariale n'était possible ; il n'y avait pas d'argent caché sous la moquette, déclarait avec subtilité le ministre du budget écartant les demandes des fonctionnaires. Aujourd'hui vous êtes obligés de prendre en compte la forte mobilisation des salariés contraints, face à votre inertie, de descendre dans la rue. Contrairement à vos affirmations réitérées, les négociations salariales vont enfin s'engager.

Or les revendications qu'exprime ce mouvement portent à la fois sur les salaires et sur la défense des 35 heures ! Le 10 mars, jour de la grande manifestation, Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, affirmait « l'urgence de réponses concrètes aux revendications concernant le temps de travail et le pouvoir d'achat ». Le même jour, pour la CFDT, François Chérèque déclarait : « Aujourd'hui nous lançons un appel fort au Gouvernement : pas question de toucher aux 35 heures »... En inscrivant ce texte à l'ordre du jour, vous ignorez l'ampleur du mécontentement.

Cette réforme est purement dogmatique et sans réalité. Comment pouvez-vous continuer à invoquer la perte de compétitivité due aux 35 heures alors que les grandes entreprises, premières concernées, affichent des bénéfices records ? Comment pouvez-vous répéter le slogan « travailler plus pour gagner plus », qui sonne comme une provocation pour tous ceux que votre politique a privés d'emploi ? On le sait, ce slogan a été inventé par une fédération patronale, l'UIM, et repris par le Gouvernement...

Je ne peux d'ailleurs passer sous silence les étonnantes déclarations de M. Seillière, président du Medef, qui déclarait hier : « Les 35 heures ont donné plus de temps de loisir, et comme finalement le pouvoir d'achat est ce dont on dispose par heure non travaillée, tout ceci s'ajoutant donne un ressenti qu'on a moins d'argent pour satisfaire ses besoins »... Vous avez bien compris : le président du Medef nous dit que si les salariés ont l'impression d'être plus pauvres, c'est parce qu'ils ont plus de temps libre ! Pour trouver pareille énormité, il faut remonter au temps où les maîtres de forges s'opposaient aux congés payés pour empêcher les ouvriers d'aller au bistrot... Comment faire avancer le dialogue social quand le représentant du patronat, en 2005, soutient que les salariés ont le sentiment d'être pauvres parce qu'ils ont trop de temps libre ?

Le Gouvernement et l'UMP affirment, sans aucun élément statistique, que si les grandes entreprises font des bénéfices records, les entreprises petites et moyennes connaissent des difficultés. A supposer que ce soit vrai, ce n'est pas votre réforme qui améliorera les choses. Vous devriez plutôt vous intéresser au financement mutualisé du chômage : le travail précaire, intérim et CDD, conduit l'UNEDIC à percevoir un milliard d'euros de cotisations, alors que ces mêmes contrats de travail génèrent 7 milliards d'indemnités chômage. Compte tenu de l'usage massif de l'emploi précaire dans les grandes entreprises, c'est donc un véritable transfert de charges qui s'opère au détriment des petites. Mais vous ignorez ces pistes de réforme, et allez répétant que tout est de la faute des 35 heures...

Le texte qui nous revient du Sénat est modifié à la marge, et mérite toujours les critiques de fond formulées en première lecture. Je souligne à nouveau le danger des dispositions de l'article 3, qui introduit pour la première fois une possibilité de dérogation au droit commun par accord individuel entre l'employeur et le salarié.

Vous ne pouvez à la fois prétendre vous opposer à la généralisation de l'opting out dans le droit européen et le laisser introduire insidieusement dans le code du travail. C'est bien parce que la renonciation du salarié à dix jours de repos constitue une régression sociale que vous avez accepté au Sénat un amendement qui en exclut les femmes enceintes ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste) Vous êtes donc parfaitement conscients de la nature de la réforme.

Votre discours trouve vite ses limites : la loi de mai 2004 prévoyait le mandatement à la condition qu'il y ait un accord d'entreprise, et à la première occasion, vous dérogez à cette condition !

M. Arnaud Montebourg - Il faudra répondre, Monsieur Larcher !

M. Alain Vidalies - Ce texte n'est que la manifestation de la fuite en avant d'une majorité en perdition, dont le raidissement sur des principes idéologiques d'un autre siècle pénalise l'emploi et les salaires.

Vous avez la rancune sociale tenace : le jour même où le Gouvernement est contraint de relancer la négociation salariale dans la fonction publique, un responsable de l'UMP demande que la réforme des 35 heures actuellement en discussion soit étendue à la fonction publique ! Si ce n'est pas une provocation, cela y ressemble ! Alors que notre pays compte plus de 3 millions de demandeurs d'emploi et de plus en plus de salariés à temps partiel subi et d'allocataires du RMI, le Gouvernement ne trouve rien de mieux à faire que d'augmenter le volume des heures supplémentaires !

Il serait temps que vous preniez conscience que la majorité des Français rejette cette réforme injuste et absurde. Il est encore temps de faire amende honorable en retirant ce texte désastreux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Martine Billard - Selon M. Ollier et M. Morin, les salariés qui demandent une répartition des richesses plus favorable au travail se fonderaient sur des schémas anciens. Mais c'est vous qui vous fondez sur des schémas archéologiques ! Le libre choix tel que vous le proposez et le droit de travailler plus existaient au début du siècle, et c'est bien pour cela que les travailleurs se sont battus pour obtenir des conventions collectives imposant des conditions de travail un peu meilleures.

M. Jean Le Garrec - Le Front Populaire !

Mme Martine Billard - Visiblement, vous voulez revenir à la philosophie de vos ancêtres.

M. Hervé Novelli - Caricature !

Mme Martine Billard - Non : lisez l'histoire sociale !

Vous n'avez pas mesuré, loin s'en faut, l'ampleur de la contestation sociale. Longtemps vous avez répété qu'elle ne concernait que le secteur public. Mais voilà, le 10 mars, les salariés du secteur privé ont pris le Gouvernement au mot : oui, ils veulent gagner plus, mais sans travailler plus, ils veulent maintenir les 35 heures...

M. Jean-Michel Fourgous - Pas un pays au monde ne nous a suivis !

Mme Martine Billard - Les plus riches continuent à s'enrichir tandis que les plus pauvres s'appauvrissent : c'est cela que les salariés refusent ! Ils persistent à penser que les richesses de notre pays doivent être équitablement réparties.

M. Jean-Michel Fourgous - Qui crée la richesse ?

Mme Martine Billard - Les travailleurs !

Début mars, nous avons appris que les 35 groupes du CAC 40 avaient enregistré des bénéfices record en 2004 : un bénéfice global de plus de 55 milliards d'euros, un bénéfice historique de 9 milliards pour Total, des groupes financiers florissants...

M. Jean-Michel Fourgous - Et vous continuez à attaquer les entreprises ! C'est du harcèlement !

Mme Martine Billard - Quelle horreur, vraiment ! Toutes ces entreprises réduisent leurs coûts de production, ce qui passe par les licenciements et l'externalisation. Vous claironnez pourtant que le droit du travail les mettrait en danger ! Las, les chiffres démontrent le caractère idéologique de votre discours.

M. Jean-Michel Fourgous - Et les 35 heures, ce n'est pas idéologique ?

Mme Martine Billard - Plus d'un million de personnes vivent du RMI, le taux de chômage atteint 10 % de la population active, et celui des plus de 55 ans augmente. Mais pour vous, c'est de la faute des salariés ! 80 % des embauches se font sous statut précaire. Prenons l'exemple du temps partiel imposé : voilà des salariés qui veulent travailler plus, mais ils ne sont pas concernés par la loi !

Le 8 mars étant passé, on n'entend plus parler de la loi sur l'égalité hommes-femmes dans le travail.

M. le Ministre délégué - Elle sera examinée demain au Conseil d'Etat.

Mme Martine Billard - Quelles seront les avancées pour les femmes qui travaillent à temps partiel et n'ont pas de quoi vivre ?

M. Jean-Michel Fourgous - C'est du Zola !

Mme Martine Billard - Allez donc voir les gens concernés ! Le président du Medef parle de « ressenti », il n'est évidemment guère concerné par les baisses de revenus... Il vaudrait mieux se préoccuper des 25 % de salariés qui gagnent le SMIC et des milliers de salariés à temps partiel qui n'arrivent pas à vivre avec leur salaire. Vous auriez pu proposer une loi qui leur permette de vivre dignement. Votre loi empêchera ceux qui en ont besoin de travailler plus. Elle détruira la santé de ceux qui sont déjà au travail. L'exclusion des femmes enceintes du temps choisi démontre d'ailleurs bien qu'il y a un danger pour la santé. Le travail peut représenter une émancipation et un épanouissement, mais à condition de pouvoir répartir son temps. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Sébastien Huyghe - La mise en œuvre des 35 heures a été la pire décision pour l'économie de notre pays depuis la dévaluation du franc sous le gouvernement Mauroy. Les 35 heures ont conduit à la destruction, mais également à l'absence de création d'un nombre considérable d'emplois : elles ont limité le pouvoir d'achat des salariés et elles ont eu un effet désastreux sur les mentalités, en creusant un fossé entre les entreprises et leurs salariés. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Les 35 heures ont accéléré et amplifié le processus de délocalisation d'entreprises qui ont dû faire face à un renchérissement des coûts salariaux de 11,5 %. Deuxième effet de la mesure, la destruction d'emplois par la disparition des entreprises qui n'ont pas pu résister à la concurrence.

J'évoquerai également toutes ces entreprises rachetées par leurs concurrentes étrangères qui, après s'être approprié qui la trésorerie, qui les clients ou le savoir-faire, ont tout simplement délocalisé la production, voire fermé les établissements français dans des conditions souvent discutables.

Parlons également des emplois nouveaux qui avaient vocation à être créés en France et dont la mise en œuvre a été purement et simplement abandonnée du fait des 35 heures. Le Premier ministre m'avait confié en 2003 une mission parlementaire sur l'attractivité du territoire pour les sièges sociaux des grands groupes internationaux. Bon nombre de dirigeants des filiales françaises de grandes entreprises internationales m'ont avoué que leur groupe avaient renoncé à des projets d'investissements en France à cause des 35 heures. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP) D'autres pays européens ont bénéficié de ces investissements et donc de nouveaux emplois. La France apparaît dans le monde entier comme un pays où il fait bon vivre, mais sûrement pas travailler. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Les 35 heures ont limité le pouvoir d'achat des salariés et participent à la paupérisation de nos concitoyens. Elles sont le premier ennemi de la feuille de paie ! La baisse de 0,3 % du pouvoir d'achat en 2003 découle directement des 35 heures. Ce qu'on a appelé pudiquement « la modération salariale » - en clair, le blocage des salaires - était l'une des seules contreparties possibles au passage aux 35 heures. Nos concitoyens découvrent aujourd'hui le marché de dupes qui a été passé avec le gouvernement Jospin, et ils expriment leur mécontentement (Rires sur les bancs du groupe socialiste), alors que les vrais coupables ne sont pas là pour assumer leurs responsabilités.

Il est paradoxal de revendiquer à la fois le maintien du dispositif des 35 heures et l'augmentation des salaires. L'escroquerie intellectuelle qui consistait à faire croire que gagner plus en travaillant moins est possible a fait long feu. Les manifestants de la semaine dernière ont exprimé, non leur attachement aux 35 heures, mais un désir profond d'augmentation de leur pouvoir d'achat (Rires sur les bancs du groupe socialiste). Nous assistons aujourd'hui à l'explosion de la bombe à retardement laissée par le gouvernement Jospin (Mêmes mouvements).

Enfin, les 35 heures ont creusé un fossé entre les salariés et les entreprises. Ces dernières avaient mis des années à créer une culture d'entreprise, à faire en sorte que l'ensemble des salariés se battent pour le développement de l'entreprise et la conquête de nouveaux marchés, permettant ainsi l'embauche de nouveaux collaborateurs et la redistribution des revenus supplémentaires sous forme de primes d'intéressement. Nous étions alors dans une véritable logique de « gagnant- gagnant »...

M. Hervé Novelli - Très bien !

M. Sébastien Huyghe - ...à laquelle les 35 heures ont porté un coup en affirmant que le temps passé dans l'entreprise est perdu et que seul compte le temps de loisir ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Ce message négatif est le résultat d'un discours démagogique fondé sur une idéologie périmée datant du XIXe siècle, la lutte des classes.

Aujourd'hui, il est de notre devoir de tout mettre en œuvre pour réconcilier les salariés avec leur entreprise. En effet, pour partager des richesses, encore faut-il être en capacité de les créer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

La discussion générale est close.

M. le Rapporteur - Le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, en application de l'article 88 du Règlement de l'Assemblée, a convoqué la réunion de la commission à l'issue de cette séance pour discuter des derniers amendements déposés.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 20 heures 5.

              Le Directeur du service
              des comptes rendus analytiques,

              François GEORGE


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