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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 90ème jour de séance, 219ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 12 MAI 2005

PRÉSIDENCE de M. Jean LE GARREC

vice-président

Sommaire

      COUVERTURE ÉNERGÉTIQUE UNIVERSELLE 2

La séance est ouverte à neuf heures trente.

COUVERTURE ÉNERGÉTIQUE UNIVERSELLE

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean-Pierre Kucheida et plusieurs de ses collègues créant une couverture énergétique universelle pour les personnes défavorisées.

M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur de la commission des affaires économiques - « Si les hommes ne peuvent pas se référer à une valeur commune reconnue par tous, alors l'Homme est incompréhensible à l'Homme » : cette phrase d'Albert Camus pourrait servir d'introduction à ma proposition de loi créant une couverture énergétique universelle pour les personnes défavorisées, car celle-ci concerne une question qui rassemble nombre d'élus de tous bords, celle du droit pour tous à l'énergie, celle du droit à la décence et au respect.

Je précise que cette proposition de loi porte sur la seule fourniture d'énergie et de gaz, mais si ce texte était adopté, nous devrions à l'évidence prévoir un dispositif similaire pour la fourniture d'eau.

En mars, la France comptait près de 6 700 chômeurs de plus que le mois précédent, 57 000 de plus que l'an dernier, et surtout 236 000 chômeurs supplémentaires depuis l'arrivée de la droite au pouvoir. Le nombre de demandeurs d'emploi en catégorie 1 frôle désormais la barre hautement symbolique des 2,5 millions de chômeurs. Quant au taux de chômage, il s'envole pour atteindre les 10,2% !

Conséquence de votre politique sociale : plus de 3,5 millions de personnes, des chômeurs pour la plupart, mais aussi quelques salariés, vivent en dessous du seuil de pauvreté et subissent expulsions, coupures d'eau et d'électricité, dans l'indifférence générale. Parce qu'après avoir nourri et habillé les enfants, payé le strict nécessaire, il n'y a plus d'argent pour les factures. En 2004, 189 000 foyers ont été dans ce cas.

Comment accepter que des familles démunies ne puissent vivre dignement sous prétexte de rentabilité ? Nous ne sommes plus sous Guizot, ni sous le second Empire, où les ouvriers du textile vivaient dans les caves de Lille. Privées de courant, certaines familles recourent à des méthodes dangereuses de remplacement, conduisant parfois à des drames. Je rappellerai le cas de cette jeune enfant, découverte en hypothermie par sa maîtresse, parce qu'il n'y avait plus ni électricité ni gaz chez elle, ou encore celui de cette personne en assistance respiratoire, décédée parce qu'EDF avait coupé l'électricité. Chacun garde en mémoire le drame de Saint-Denis en 2004, où un père et sa fille ont péri dans l'incendie de leur appartement parce qu'ils s'éclairaient à la bougie.

Et pendant ce temps, EDF paie le prix fort pour s'imposer sur le marché italien !

Tous ceux qui ont connu des coupures d'électricité, en particulier lors des tempêtes de décembre 1999, pourraient témoigner des difficultés à vivre sans électricité ou gaz. Je pourrais raconter, pour l'avoir constaté dans ma propre commune, l'extrême misère dans laquelle vivent encore des familles, sans eau ni électricité.

Les comportements portant atteinte à la dignité de la personne humaine ne sont pas acceptables, surtout lorsqu'ils sont le fait d'une entreprise publique telle que EDF-GDF qui, depuis le passage de la majorité de son capital dans le privé, a durci sa politique.

La fourniture d'énergie est pourtant garantie dans les textes, en premier lieu dans le code de l'action sociale et des familles. La loi de juillet 1992, portant adaptation de celle relative au RMI et à la lutte contre la pauvreté, n'a-t-elle pas posé le principe d'un droit au maintien de la fourniture d'eau et d'énergie, et instauré un dispositif national d'aide et de prévention ?

La loi de février 2000, relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité a consolidé ce droit à l'énergie.

Mieux, le préambule de la Constitution de 1946 dispose que « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».

Et pourtant, le droit à l'énergie est régulièrement bafoué. Il a fallu que des élus concernés par ces drames, en particulier dans le Nord et le Pas-de-Calais, exercent une pression sur le Gouvernement pour qu'il décide de réformer, par décret, le dispositif relatif aux coupures. Ce n'est hélas qu'un cautère sur une jambe de bois. En instaurant dorénavant l'information automatique du président du conseil général et du maire en cas d'impayé, sauf opposition du consommateur concerné, l'Etat se débarrasse de la patate chaude. De surcroît, rien n'est prévu pour améliorer la situation de l'usager qui se refuserait à demander de l'aide.

Il est évident que cette question ne peut être réglée que par une loi qui apporterait davantage de garanties quant à la pérennité du dispositif, et serait plus à même de protéger des débiteurs de bonne foi, ou des enfants qui ne doivent pas pâtir des erreurs de leurs parents.

Par ailleurs, cette proposition de loi a le mérite de replacer l'Etat au centre du dispositif de solidarité en réformant le financement de la prise en charge des impayés. La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales, a transféré aux départements la gestion et le financement des fonds de solidarité pour le logement, dégageant ainsi l'Etat de sa responsabilité en matière de solidarité nationale. Depuis le 1er janvier 2005, les conseils généraux sont les seuls gestionnaires de ce système, qui intègre maintenant le fonds de solidarité énergie. Or, la richesse des collectivités et les charges qu'elles supportent varient selon les départements, les plus pauvres étant aussi ceux dont les charges sont les plus lourdes. Ainsi, le PIB par habitant est de 62 374 euros par habitant dans les Hauts-de-Seine qui connaissent un taux de chômage de 9,3%, alors qu'il n'est que de 16 121 euros dans le Pas-de-Calais, où le taux de chômage est de 12,6%.

Quant aux dépenses relatives à la gestion du RMI, indicateur des dépenses susceptibles d'être supportées au titre de la prise en charge des impayés d'eau, d'électricité et de gaz, elles sont en moyenne nationale de 9,58 euros par habitant, mais le Pas-de-Calais dépense quatre fois plus en la matière que la Mayenne, et les Bouches-du-Rhône près de sept fois plus.

Dans cette loi de 2004, la participation de l'Etat devient facultative : il n'est pas étonnant que vous vous déclariez prêt à augmenter les contributions de l'Etat, si vous savez que vous ne les consentirez que si vous le souhaitez !

Il est donc clair que les dépenses liées à la précarité, notamment les impayés d'eau, d'électricité et de gaz, doivent passer par la solidarité nationale. Que la France d'en haut pense, ne serait-ce qu'un tout petit peu, à la France d'en bas ! Les 38 millions de M. Bernard et ceux de notre ancien ministre des finances seraient les bienvenus pour participer à cette œuvre de solidarité ! L'habitude du désespoir est bien pire que le désespoir lui-même. La fracture sociale, que le Président de la République aime à évoquer, ne doit pas être qu'un slogan : il faut agir, et vite, en instaurant une couverture énergétique universelle pour les personnes défavorisées.

La commission n'a pas voulu me suivre dans cette entreprise. Certains députés, parfois proches d'EDF, n'ont pas voulu prendre le pouls de la France qui souffre. Je le regrette, mais je suis sûr que tous ceux qui sont ici voudront aller, au-delà des clivages politiques, dans le sens de l'équité et de la justice et apporter une aide indispensable à nos concitoyens les plus défavorisés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques - Quel bel élan de cœur ! Qui pourrait ne pas soutenir cet élan de générosité ? Mais si la commission ne vous a pas suivi, c'est que la rédaction de cette proposition de loi est plus démagogique qu'efficace, que l'intention est louable, mais la réalisation inacceptable.

Bien sûr, il faut maintenir la fourniture d'énergie aux plus démunis et consolider le droit à l'électricité : à mi-législature, nous sommes d'ailleurs fiers de notre bilan dans ce domaine. Il est facile de parler comme vous le faites lorsqu'on est dans l'opposition, Monsieur Kucheida, mais quelle situation nous aviez-vous laissée à notre arrivée ? La précédente majorité avait, dans la loi de 2000, proclamé le droit de tous à l'électricité. C'est très bien, mais il eût fallu aussi prévoir un dispositif permettant de rendre ce droit effectif : que ne l'avez-vous fait ! Vous me répondrez sans doute que la loi de 2000 instaure le tarif social de l'électricité, mais il n'existait que sur le papier. C'est Patrick Devedjian et le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin qui ont pris les décrets qui le rendent applicable !

Plusieurs députés socialistes - Cela se passe toujours comme ça !

M. le Président de la commission - C'est tout de même nous qui avons exhumé les textes qui sommeillaient dans les tiroirs ! Il n'est pas suffisant de s'en tenir aux déclarations d'intention quand on légifère.

Grâce à ce décret, 1,6 million de familles aux revenus modestes peuvent désormais bénéficier d'une réduction de 30 à 50% sur les 100 premiers kilowattheures. Voilà une réelle avancée ! C'est également grâce la commission des affaires économiques, et notamment à Jean-Claude Lenoir, que la loi de 2004 a étendu le tarif social aux services liés à la fourniture d'électricité. Je ne me souviens pas que vous ayez voté pour ! Cette disposition permettra, dès la sortie très prochaine du décret, de diminuer très fortement le coût du traitement des situations difficiles - par exemple, le coût de la diminution de la puissance délivrée aux ménages qui ne payent pas leurs factures. Voilà qui démontre la préoccupation constante de notre majorité de préserver le droit à l'électricité pour les plus démunis. Je tiens à remercier M. Devedjian pour sa mobilisation sur ce dossier.

Ceci étant, M. Kucheida pose un problème réel. Deux solutions apparaissent : rendre l'énergie gratuite et interdire toutes les coupures - ce que personne, à ma connaissance, ne propose - ou interdire les coupures pour les ménages qui ont de réelles difficultés économiques et sociales. C'est ce que vous proposez, et ce que nous voulons aussi.

M. le Rapporteur - Alors votez ma proposition !

M. le Président de la commission - Le dispositif que vous proposez n'est pas acceptable ! En revanche, nous sommes en train d'introduire des dispositions concrètes dans notre droit. Ainsi, l'article L. 115-3 du code de l'action sociale et des familles dispose que toute famille ou personne éprouvant des difficultés particulières, au regard notamment de son patrimoine, de l'insuffisance de ses ressources ou de ses conditions d'existence, a droit à une aide de la collectivité pour la fourniture d'énergie dans son logement. Le fonds de solidarité pour le logement est décentralisé, certes, mais il fonctionne très bien. Le dispositif est bon. Le véritable problème est que ceux qui sont chargés de le faire fonctionner ne sont pas informés lorsque des familles rencontrent des difficultés. Pour le régler, vous proposez d'interdire les coupures... pour ceux qui ont des difficultés. Voilà pourquoi je parlais de démagogie : cela ne permet en rien d'identifier ces personnes !

C'est donc l'information qu'il faut améliorer. Votre proposition est une fausse solution. Aujourd'hui, seuls les services sociaux peuvent prendre l'initiative. EDF n'a pas le droit de les prévenir lorsque des difficultés de paiement surviennent. Il faut lui donner cette possibilité, et même en faire une obligation. C'est le but de Patrick Devedjian, et le décret allant en ce sens a été examiné la semaine dernière par le Conseil supérieur de l'électricité. Le problème sera ainsi résolu. Tarif social pour réduire les factures, tarification spéciale des prestations pour briser le cercle vicieux des impayés, garantie effective du maintien de la fourniture aux personnes en difficulté grâce à l'information systématique des services sociaux : voilà trois mesures qui permettront de lutter contre ce mal qui touche les plus défavorisés. Nous avons le devoir de les soutenir, et c'est en ce sens qu'agit le Gouvernement. Je vous demande donc de ne pas accepter de passer à la discussion des articles. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie - Pour la clarté du débat, il me semble d'abord indispensable de rappeler l'économie générale du dispositif de solidarité dans le domaine de l'énergie. En matière d'électricité, la loi du 10 février 2000 est sans équivoque : son article premier affirme que le service public a pour objet de garantir l'approvisionnement en électricité sur l'ensemble du territoire national, dans le respect de l'intérêt général et qu'il concourt à la cohésion sociale en assurant le droit de tous à l'électricité, produit de première nécessité, et à la lutte contre les exclusions. En matière gazière, la loi du 3 janvier 2003 - et l'on voit que malgré les alternances, le souci est le même - met dans les obligations de service public le maintien d'une fourniture de gaz aux personnes en situation de précarité. Ces dispositions sont reprises dans le projet de loi de programme sur l'énergie sous la forme d'un droit à l'énergie pour tous.

Le dispositif de solidarité repose sur les aides au paiement des factures et sur la garantie du maintien de la fourniture. Les aides directes à l'énergie sont instituées par l'article L. 115-3 du code de l'action sociale et des familles, selon lequel toute personne éprouvant des difficultés particulières du fait d'une situation de précarité a droit à une aide de la collectivité pour la fourniture d'eau, d'énergie et de téléphone. Depuis le 1er janvier 2005, ces aides, qui étaient attribuées par le Fonds de solidarité énergie, ont été regroupées au sein du Fonds de solidarité pour le logement. Quant au maintien temporaire de la fourniture d'électricité, il est garanti par le fait qu'aucune coupure ne peut intervenir dès lors qu'un dossier est déposé auprès du FSL et tant que celui-ci n'a pas rendu sa décision. Durant cette période, une puissance réduite, permettant de couvrir les besoins minimaux, est assurée. Par ailleurs, EDF s'est engagée à ne jamais interrompre l'alimentation d'une personne en difficulté sans avoir recherché un contact préalable et l'avoir invitée à se rapprocher des services sociaux dans le but d'obtenir une aide. Ces engagements seront repris dans le contrat de service public 2005-2007, cependant qu'un décret - que j'ai signé ce matin même - vise à renforcer l'aide au paiement des personnes en difficultés et à mieux encadrer les interruptions de fourniture.

La tarification spéciale de l'électricité - qualifiée par la loi de produit de première nécessité - est le deuxième pilier du dispositif de solidarité ; elle a été mise en place par le décret du 8 avril 2004 et elle est entrée en vigueur le 1er janvier 2005. Comme l'a justement rappelé M. Ollier, vous l'aviez décidé, nous l'avons fait ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP) La tarification spéciale est ouverte aux personnes physiques disposant de la couverture maladie universelle, dont les ressources annuelles demeurent inférieures à un plafond calculé en fonction de la composition du foyer. Le choix d'un tel niveau de ressources permet de couvrir environ 1,4 million de ménages. La réduction tarifaire est modulée en fonction de la composition de la famille. Le pourcentage de réduction - de 30% à 50% - porte à la fois sur l'abonnement et sur la fourniture, dans la limite de 100 kWh par mois. A ce jour, toutes les familles remplissant les conditions d'octroi du tarif ont reçu les éléments nécessaires à la constitution d'un dossier de demande et plusieurs centaines de milliers de ménages en bénéficient déjà effectivement.

Quelques précisions sur l'implication respective de l'Etat, des collectivités locales et des fournisseurs, s'agissant tout d'abord des aides au paiement des factures. Le Fonds de solidarité logement est géré par les collectivités locales, sous la responsabilité du président du conseil général. En 2003, l'Etat a contribué directement à hauteur de 11,2 millions, EDF pour 19,3 millions, Gaz de France à hauteur de 3 millions et les collectivités locales pour 15,5 millions. EDF a progressivement augmenté sa participation au dispositif du FSE, passant de 4,2 millions à sa création en 1995 à 10 millions en 2000, pour atteindre 19,3 millions en 2003. Le contrat de service public 2005-2007 devrait pérenniser un engagement de l'entreprise à hauteur de 20 millions par an.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont - Il ne s'agit que d'engagements conventionnels !

M. le Ministre délégué - De la même façon, le projet de contrat de service public table sur un engagement financier de Gaz de France de 3 millions par an. Quant à l'Etat, il devrait maintenir son niveau de participation à la hauteur de ce qu'il était dans le FSE.

Le coût prévisionnel du tarif social de l'électricité est estimé à environ 100 millions par an, le service étant financé par l'ensemble des consommateurs, via le dispositif de compensation des charges de service public. On le voit, le dispositif de solidarité en matière d'énergie n'est donc pas du seul ressort de l'Etat, puisqu'il implique l'ensemble des acteurs concernés : Etat, collectivités, fournisseurs d'énergie et consommateurs...

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont - Allons donc ! Les fournisseurs n'ont plus d'obligation !

M. le Ministre délégué - Les chiffres que je viens de rappeler prouvent, si besoin était, qu'il n'y a désengagement ni de l'Etat, ni d'EDF, ni de Gaz de France. Toutefois, le dispositif solidaire peut - et doit - être renforcé.

L'accident survenu en Seine-Saint-Denis, au cours du mois d'août 2004 m'a conduit à réagir immédiatement. Ainsi, dès le 10 décembre de la même année, j'ai installé un groupe de travail aussi représentatif que possible des différents acteurs concernés - élus nationaux et locaux, collectivités locales, associations caritatives et de défense des consommateurs, fournisseurs d'électricité, CNIL -, en lui demandant de s'attacher à quatre priorités : améliorer l'échange d'informations entre les fournisseurs d'électricité et les services sociaux sur les familles en situation de précarité ; diminuer le coût de certains services liés à la fourniture d'électricité, tels que l'ouverture du contrat ; prévoir un encadrement réglementaire des conditions d'interruption de l'alimentation ; proposer des actions de sensibilisation à destination des familles en situation de précarité et des travailleurs sociaux.

Vous noterez que l'augmentation des ressources d'aides disponibles ne figure pas dans ces quatre axes. En effet, l'examen de l'utilisation des sommes affectées au Fonds de solidarité énergie ne fait ressortir aucun besoin de moyens complémentaires. Le montant global des sommes abondant le FSE était de 60 millions en 2002 - dont 54,1 millions ont été attribués sous forme d'aides -, de 70 millions l'année suivante - dont 57,9 millions d'aides - et de 75 millions en 2004. On ne constate donc pas de déficit de financement.

M. le Rapporteur - Mais le FSE a été supprimé !

M. le Ministre délégué - Ne faites pas semblant de ne pas comprendre : il a été intégré dans le FSL sans aucune perte de ressources, l'intégralité des moyens ayant été transférés, cependant que la gestion en était confiée aux élus locaux. L'Etat paie et vous donne à gérer plus d'argent que vous n'en avez besoin : de quoi vous plaignez-vous ? (M. le rapporteur proteste vivement)

Le travail accompli débouche sur deux projets de décrets, dont je souhaite vous présenter les grandes lignes et le calendrier d'application. Un premier décret traite de la procédure applicable en cas d'impayés des factures d'électricité. Il instaure, en situation d'impayé, le principe de l'information par le fournisseur d'électricité du président du conseil général et du maire, sauf opposition de la personne concernée. Cela permettra aux services sociaux d'intervenir le plus en amont possible, ce qu'ils ne pouvaient faire dans le système antérieur faute de connaître les familles concernées. Je rappelle que les victimes du dramatique incendie de Saint-Denis n'avaient pas souhaité signaler leurs difficultés aux services compétents, pour des raisons qui les concernent et sur lesquelles je ne reviens pas. De telles situations pourront désormais être évitées.

Dès le signalement, une puissance réduite sera garantie à la personne pour une période de quinze jours, le temps pour elle d'effectuer des démarches auprès des services sociaux. Jusqu'à présent, le maintien d'une puissance réduite n'était encadré qu'à compter du dépôt effectif d'une demande d'aide. Dans la même logique, le fournisseur sera désormais systématiquement informé par le FSL du dépôt d'une demande d'aide. Enfin, le décret prévoit que le fournisseur et le maire seront informés de la décision du FSL, afin qu'ils puissent proposer, le cas échéant, des mesures de souplesse - étalement des versements - ou des aides complémentaires pour le règlement du solde de la dette.

Ce système s'inscrit donc dans la continuité du dispositif réglementaire antérieur, tout en instaurant une protection renforcée des personnes en situation de précarité et une meilleure coordination des services. Comme je vous l'ai déjà annoncé, je viens de signer ce décret, après une ultime consultation du Conseil supérieur de l'électricité et du gaz.

Le second projet modifie le décret du 8 avril 2004 relatif à la tarification spéciale de l'électricité. II concerne les services liés à la fourniture d'électricité pour lesquels la loi du 9 août 2004 a étendu le bénéfice de la tarification spéciale de l'électricité. Il est en effet apparu nécessaire que les personnes qui bénéficient de la tarification spéciale puissent aussi accéder gratuitement à certains services, ou ne pas voir leur dettes aggravées par des pénalités en raison de défauts ou de retards de paiement. A cet effet, le texte prévoit la gratuité de la mise en service et de l'enregistrement du contrat et un abattement de 80% du montant perçu pour un déplacement consécutif à un défaut de règlement destiné à réduire ou à interrompre la puissance. Ce projet de décret a recueilli l'avis de la CNIL le 27 avril ; il sera transmis la semaine prochaine au Conseil supérieur de l'électricité et du gaz, puis au Conseil d'Etat. Je pense qu'il pourra être publié en juillet.

J'en viens à la proposition de loi de M. Kucheida, laquelle a naturellement retenu toute l'attention du Gouvernement. J'observe que ses auteurs ont eu la sagesse de ne proposer aucune mesure d'interdiction générale de toute coupure pendant la période hivernale. Je me dois en effet d'appeler votre attention sur les risques qu'entraînerait l'interdiction de toute coupure d'électricité, soit par le biais d'arrêtés municipaux, soit par celui d'une loi. Avant tout, l'ensemble des acteurs concernés s'accordent à reconnaître la nécessité d'un traitement rapide des situations d'impayés, afin d'empêcher l'accumulation des dettes à de tels niveaux qu'elles ne pourraient plus être assumées ni par l'usager, ni par les dispositifs d'aide. Au surplus, une interdiction généralisée conduirait les moins responsables à ne pas maîtriser leur consommation. Cela serait préjudiciable à la collectivité et risquerait d'entraîner une dérive financière du FSL.

Sur le fond, je ne puis que partager les objectifs de M. Kucheida. Je considère cependant qu'ils sont déjà satisfaits par la réglementation existante ou en cours de finalisation. L'objet de l'article premier de votre proposition est ainsi satisfait par le dispositif de maintien de l'alimentation, tel que nous l'avons renforcé. Le FSL répond aussi à l'article 2, à la réserve près qu'il n'organise pas - et je m'en félicite - un dispositif national uniforme, car l'Etat n'est pas le seul garant de la solidarité. Il est tout à fait légitime que les collectivités locales s'impliquent fortement, aux côtés de l'Etat, dans la démarche solidaire...

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont - Evidemment ! Là n'est pas la question.

M. le Ministre délégué - Et croyez bien que l'Etat n'a pas oublié ses devoirs. Outre ses propres financements, il veille, dans les contrats de service public conclus avec EDF et Gaz de France, à ce que les enveloppes d'aides soient bien identifiées.

Tout en soulignant que j'en partage les objectifs, je ne puis qu'être défavorable à une proposition de loi dont l'objet est déjà satisfait, et dont certaines dispositions m'apparaissent comme de mauvaises solutions. Comme d'autres l'ont fait en des circonstances plus solennelles, je rappelle à ses auteurs qu'ils n'ont pas le monopole du cœur (Sourires), et que, comme le disait Jaurès, certains parlent du cœur comme d'autres parlent du nez... (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont - Alors que la précarité s'exacerbe, que le nombre d'allocataires du RMI a augmenté de 10% en 2004, que 3 400 000 personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, que les demandes de secours d'urgence affluent dans les collectivités locales, le droit de chacun à bénéficier des conditions nécessaires à son développement, inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946, est loin de se traduire dans les faits. Et force est de constater que le cadre législatif actuel ne permet pas d'assurer un des droits fondamentaux majeurs : l'accès à l'énergie.

Certes, le panel de textes visant à mieux garantir cet accès s'est enrichi ces vingt dernières années, avec la loi du 1er décembre 1988 sur le RMI, celle du 29 juillet 1998 dite de lutte contre les exclusions et celle du 10 février 2000, relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.

Le décret du 20 juin 2001, qui prévoit que toute personne menacée d'une suspension de fourniture pour impayé et qui aura déposé une demande financière bénéficiera d'un maintien à la puissance minimale de 3 KW, et celui du 8 avril 2004, relatif à la tarification spéciale de l'électricité comme produit de première nécessité, s'inscrivent dans la logique de ces textes et ont permis à l'évidence de diminuer le nombre des coupures d'électricité.

Pour autant, la question reste posée et prend même une acuité nouvelle avec la loi du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales, qui a transféré la gestion du Fonds de solidarité pour le logement aux départements. En effet, le nouveau FSL regroupe désormais non seulement les aides au logement stricto sensu, mais aussi les aides au paiement des factures d'eau, d'énergie et de services téléphoniques, ainsi que les dettes dans ces différents domaines si leur apurement conditionne l'accès à un nouveau logement.

Mais, alors qu'antérieurement EDF et l'Etat intervenaient à parité sur la partie curative des impayés d'énergie, le nouveau cadre législatif n'impose plus au fournisseur d'obligation réglementaire, son implication relevant désormais de conventions avec les conseils généraux, le texte stipulant par ailleurs que l'octroi d'une aide ne peut être subordonné à l'abondement du fonds par le distributeur d'énergie. Le financement du FSL est assuré, dit la loi, par le département. Les autres collectivités territoriales, les établissements publics de coopération intercommunale, l'Etat et les distributeurs d'eau et d'énergie « peuvent » également y participer. Ils n'y sont pas obligés, donc.

Quelle épée de Damoclès sur les finances départementales, qui ont déjà pris de plein fouet le transfert du RMI,...

M. le Ministre délégué - Ce ne sont pas les pauvres que vous défendez, mais les départements !

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont - ...transfert dont le moins que l'on puisse dire est qu'il ne s'est pas fait « à l'euro près » ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre délégué - On est loin du sujet de la précarité

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont - Le RMI, c'est bien la précarité !

Le département de la Haute-Vienne, par exemple, est obligé depuis le 1er janvier 2004, date du transfert, d'être le banquier de l'Etat, auquel il consent à ce jour un impayé de 3,6 millions d'euros sur le montant de la TIPP destiné à l'allocation RMI ! Le Premier ministre s'est certes engagé à ce que les sommes dues pour 2004 soient intégralement versées, ce qui est le minimum, mais n'a donné aucune assurance pour l'avenir.

Je pourrais aussi citer les contrats d'avenir, qui se traduiront pour les finances départementales par un surcoût de 1 000 euros par an et par allocataire.

A l'évidence, Monsieur le ministre, ce nouveau contexte milite en faveur de l'adoption de la présente proposition de loi, qui replace naturellement l'Etat au cœur du dispositif d'aide et de prévention.

Tourner un robinet et obtenir de l'eau chaude, appuyer sur un bouton pour que la lumière jaillisse, cuire le repas familial, autant de gestes élémentaires de la vie quotidienne, tellement évidents qu'il m'a personnellement fallu subir la tempête de 1999 et les longues coupures d'énergie qu'elle a engendrées pour prendre réellement conscience de notre dépendance, désormais totale, à la fourniture régulière d'énergie...

Bien sûr, d'aucuns prétendront que ce texte pourrait bénéficier à certains profiteurs. Certes, il y a toujours eu des mauvais payeurs par choix, mais le risque limité d'abus - qu'il faut s'attacher à contenir - ne doit pas être un prétexte pour ne pas défendre ce droit élémentaire qu'est l'accès à l'énergie et faire en sorte que les drames intolérables survenus il y a quelques mois dans notre pays, suite à des coupures d'énergie, ne se reproduisent plus.

Tel est le but de la proposition de loi présentée par Jean-Pierre Kucheida. J'espérais donc que nous pourrions tous nous retrouver sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Jean Dionis du Séjour - Les partisans de cette proposition de loi tirent prétexte de la lutte contre la précarité pour rouvrir le débat sur la décentralisation. C'est pourtant la gauche qui a souhaité et organisé la décentralisation.

M. le Rapporteur - La droite était contre !

M. Jean Dionis du Séjour - Mais aujourd'hui, vous demandez un retour à une vision centralisatrice et selon nous un peu archaïque de la société. La position de l'UDF est claire : il faut poursuivre la décentralisation. Vous êtes vous-même élu local, Monsieur Kucheida, et vous savez que c'est en étant au plus près des gens qu'on règle le mieux leurs difficultés.

C'est donc une bonne chose que la loi du 13 août 2004 ait transféré la responsabilité du Fonds de solidarité pour le logement au département, c'est-à-dire à la collectivité chef de file en matière d'action sanitaire et sociale.

La décentralisation ne vise pas à démanteler l'Etat. Elle est un moyen pour être plus proche des gens et notamment des plus démunis. La remettre en cause, c'est remettre en cause l'impératif d'efficacité et de démocratie locale. Vous demandez aujourd'hui que l'Etat se préoccupe des aides pour les factures d'électricité. Et demain ? Jusqu'où souhaitez-vous aller dans la recentralisation de l'action publique ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Vous soulevez néanmoins un véritable problème de fond : celui des personnes démunies en France. La précarité augmente dans notre pays. Le nombre de bénéficiaires du RMI a ainsi augmenté de 9% en un an. Dans nos sociétés modernes, l'électricité est indispensable à la vie de tous les jours. Sans électricité, on ne peut plus cuisiner, se raser, se laver. C'est un des derniers remparts avant de sombrer dans la marginalité. Xavier Emmanuelli, le fondateur du SAMU social, le dit assez souvent : il faut agir le plus en amont possible afin de limiter les situations catastrophiques.

La couverture énergétique universelle que vous proposez répond au noble objectif d'aider les plus démunis. Mais il faut déjà considérer l'existant et en faire le bilan.

Lorsque vous et vos amis étiez au pouvoir, Monsieur Kucheida, vous avez fait voter la loi relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, qui prévoyait une tarification de première nécessité. Notons au passage que vous aviez oublié de prendre les décrets d'application et que cette mesure n'a donc pu être mise en place que sous le Gouvernement actuel. Aujourd'hui ce sont 1,6 million de foyers qui bénéficient de ce tarif social.

Parallèlement, tout un dispositif législatif a, depuis longtemps, mis en place un système d'aide. Le FSL aide ainsi 200 000 personnes chaque année.

Par ailleurs, une coupure d'électricité n'est jamais décidée à la légère. EDF propose à l'usager en situation d'impayé de mettre en place sur son compteur un interrupteur limitant la puissance maximale de sa consommation pendant 3 mois et l'invite à prendre contact avec les services sociaux. C'est seulement au terme de tout un processus et en l'absence de réaction de l'usager qu'EDF interrompt la fourniture d'énergie. Ce dispositif a permis de diviser par 3 en dix ans et par 2 ces deux dernières années le nombre de coupures de courant pour impayés. Il n'est pourtant pas vraiment satisfaisant. Pourquoi ? Ce n'est pas une question de moyens financiers. Tous les ans, EDF augmente sa contribution aux différents fonds de solidarité.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont - Il y était obligé auparavant.

M. Jean Dionis du Séjour - Contraint ou non, il le fait, c'est cela qui compte.

Si la grande majorité des usagers qui rencontrent des difficultés pour payer leur factures d'électricité s'adressent aux services sociaux, il en est toujours un petit nombre qui ne le fait pas. Et des drames, comme celui d'août dernier à Saint-Denis, se produisent du fait de coupures qui n'auraient pas dû intervenir, EDF le reconnaît lui-même. Certaines personnes démunies n'osent en effet pas réclamer d'aide. Mais, à l'heure actuelle, EDF ne peut pas communiquer aux services sociaux le nom et les coordonnées des personnes en situation d'impayé, et ce pour des raisons de protection des données personnelles. Le projet de décret du Gouvernement qui permettra aux fournisseurs d'énergie d'informer directement les services sociaux constitue donc un véritable progrès, unanimement salué. Il permettra d'aider les personnes en difficulté tout en ne les déresponsabilisant pas totalement. Une loi supplémentaire sur ce point ne nous paraît donc pas utile, d'autant que l'interdiction de toute coupure d'électricité aurait des effets pervers. Notre monde n'étant pas idéal, des fraudeurs y verraient immanquablement le moyen de disposer gratuitement d'électricité. Evitons donc cet écueil.

Malgré toute la sympathie que j'ai pour vous, Monsieur Kucheida, et malgré l'importance du problème que vous soulevez, je ne poserai pas avec vous la première pierre d'une société d'assistanat. Privilégions au contraire la solidarité et la prévention. Les personnes qui ne répondent pas aux sollicitations ou qui refusent l'aide des services sociaux constituent le noyau dur de la marginalité, et ce n'est pas l'interdiction ou non des coupures d'électricité qui changera quelque chose à leur situation. Bien que nous partagions la préoccupation des auteurs de cette proposition de loi, en désaccord avec le contenu de ses articles, nous ne pourrons que voter contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

M. Jean-Claude Sandrier - Il y a deux mois, j'ai eu l'honneur de rapporter, au nom des députés communistes et républicains, une proposition de loi relative au droit à vivre dans la dignité qui visait à interdire les expulsions locatives ainsi que les coupures de fourniture d'énergie et d'eau, et prévoyait les moyens humains et financiers nécessaires à cette fin. Ce texte se justifiait par le constat accablant que, dans la France d'aujourd'hui, des personnes meurent de froid ou des suites d'accidents intervenus après des coupures d'électricité comme à Castres l'hiver dernier ou à Saint-Denis l'été dernier. En 2002, EDF a ainsi coupé l'électricité à une personne dont la fille était sous assistance respiratoire. Celle-ci en est morte.

Malgré la reconnaissance progressive d'un droit à l'électricité et au gaz pour tous, malgré les dispositions de l'article L. 115-3 du code de l'action sociale et des familles, 189 000 foyers se sont tout de même vu couper l'électricité en 2004. Il convient donc de prendre de nouvelles mesures que je qualifierais de salut public.

Nous saluons donc l'initiative des auteurs de la présente proposition de loi qui vise à interdire purement et simplement les coupures d'énergie, renversant la logique actuelle qui fait courir aux débiteurs des risques disproportionnés par rapport à ceux qu'encourent les fournisseurs. Il ne s'agit pas de consacrer l'irresponsabilité mais bien de reconnaître un droit de valeur constitutionnelle, celui de disposer de moyens décents d'existence. Nous ne pouvons dès lors nous satisfaire de déclarations d'intention, ni même de mesures réglementaires comme celles, très insuffisantes, qu'envisage le Gouvernement. Le législateur doit prendre ses responsabilités pour que soit effectivement reconnu un droit à l'énergie.

La proposition de loi ne va pas jusque là, laissant de côté la question de l'accès à l'énergie, qui participe pourtant de la défense du principe d'une couverture énergétique universelle. Nombre de personnes n'ont de fait pas accès au réseau et ne disposent pour toute énergie que des bouteilles de gaz qu'elles achètent. En outre, le dispositif proposé ne s'adresse qu'aux personnes en difficulté. Cela paraît naturel, mais c'est oublier que les conséquences d'une coupure peuvent être dommageables pour d'autres catégories de débiteurs aussi. Il conviendrait donc d'élargir les mesures proposées à l'ensemble de nos concitoyens. Nous avions, pour notre part, souhaité que le fournisseur d'énergie puisse saisir une commission départementale chargée de proposer, pour les personnes n'ayant pas droit à l'aide prévue à l'article L. 115-3 du code de l'action sociale, un plan d'apurement des dettes. Malgré ces quelques réserves, nous approuvons le texte proposé, dont l'article 2 nous semble particulièrement judicieux.

En fusionnant à compter du 1er janvier 2005 les fonds de solidarité eau et énergie dans le FSL et en transférant la gestion de celui-ci aux départements, l'article 65 de la loi de décentralisation d'août dernier a abrogé l'article L. 261-4 du code de l'action sociale qui prévoyait un dispositif national d'aide et de prévention pour les familles ne pouvant faire face à leurs dépenses d'eau, d'électricité et de gaz, et révisé l'article L. 115-3 du même code, renvoyant désormais au seul FSL. Pour justifier cette réforme, le Gouvernement a avancé l'idée qu'un fonds unique simplifierait les démarches des usagers. Hélas, il s'agissait surtout de consacrer, une fois encore, un désengagement de l'Etat. Il est à craindre que, dans un contexte de fortes contraintes budgétaires, les gestionnaires du FSL dans chaque département ne privilégient les demandes d'aides liées au logement au détriment de celles concernant l'énergie ou l'eau. Chacun sait en outre que d'une manière générale, les crédits alloués aux FSL sont insuffisants.

Les récentes mesures gouvernementales ayant vidé de leur sens les dispositions du code de l'action sociale, il est de bon sens, comme il est proposé dans ce texte, de replacer l'Etat au cœur d'un dispositif national de solidarité pour rendre effectif le droit à l'énergie pour tous. Car ce n'est pas le décret en préparation qui le permettra.

Il n'en reste pas moins que nous aurions souhaité que cette proposition de loi aille plus loin encore, notamment en étendant le bénéfice de la tarification sociale de l'électricité à l'ensemble des usagers non imposables à l'impôt sur le revenu. Ce serait une mesure de justice sociale et de prévention à la fois. Elle serait d'autant plus nécessaire que l'ouverture à la concurrence des marchés électrique et gazier, voulue par l'Union européenne, risque de conduire à une hausse des tarifs, exposant encore davantage à des difficultés les usagers les plus fragiles.

M. Jean Dionis du Séjour - Mais non !

M. Jean-Claude Sandrier - Nous verrons. Outre que certains nouveaux opérateurs n'ont pas a priori une culture de service public très prononcée, l'article 148 du traité demande aux Etats membres de « procéder aux libéralisations des services publics au-delà des mesures obligatoires. » Il importe donc de renforcer notre législation nationale, dont il n'est d'ailleurs pas sûr qu'elle soit compatible avec la future constitution européenne.

Bien que l'objet de cette proposition de loi soit, à nos yeux, trop restreint, elle permet d'avancer dans la reconnaissance du droit de chacun à vivre dignement, sans pouvoir être victime de sanctions aux conséquences sans proportion avec ses manquements. Lorsqu'il est question de vie ou de mort, comme dans les drames que nous avons déjà évoqués, lorsqu'il s'agit de droits aussi fondamentaux que le droit au logement et à l'énergie, nous nous grandirions à trouver un point d'accord minimal pour mettre fin à des pratiques d'un autre âge comme les expulsions locatives ou les coupures d'énergie. Le Gouvernement et la majorité ne le veulent pas. Nous le regrettons. Pour sa part, notre groupe prendra ses responsabilités vis-à-vis de nos concitoyens dans la détresse en votant résolument cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Claude Lenoir - Le groupe UMP a examiné ce texte avec la plus grande attention. Les situations évoquées ne laissent évidemment personne indifférent. Nous sommes tous, en tant que parlementaires, mais aussi comme responsables locaux, confrontés au cas de ces ménages qui ne peuvent plus acquitter leurs factures d'électricité, de gaz, d'eau ou de téléphone, et nous souhaitons tous que des solutions puissent être trouvées pour éviter la répétition des drames que nous avons connus, par exemple, l'été dernier.

Mais il faut distinguer les objectifs et les moyens. Des dispositions importantes, qui produisent leurs effets, existent déjà depuis une dizaine d'années. L'opérateur historique, EDF, a mis en place dès 1994 un système de maintien de l'énergie. Le rapporteur nous a rappelé qu'il y avait encore 189 000 coupures d'électricité en France, mais il a omis de nous dire qu'en 1993, ce chiffre était de 670 000. Le service du maintien de l'énergie a donc permis de diminuer fortement le nombre de coupures d'électricité.

Ce dispositif a un coût, mais la collectivité nationale était prête à le financer. Deux lois fondamentales, celle du 29 juillet 1992 portant adaptation de la loi relative au RMI et celle du 29 juillet 1998, ont institué un fonds d'aide au règlement des factures alimenté par les opérateurs historiques, l'Etat et les collectivités territoriales. Cependant, comme l'a rappelé le ministre, au 31 décembre 2004 - date laquelle le FSE a été intégré au FSL - tous les crédits de ce fonds n'étaient pas utilisés.

Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a d'autre part comblé un vide créé par l'inaction du gouvernement précédent. En effet, si la loi du 10 février 2000 prévoyait bien un dispositif en faveur des impayés, celui-ci n'avait jamais été appliqué faute de décret d'application ! Il a fallu attendre le 8 avril 2004 pour que ce décret soit pris. L'excellent rapport qui nous a été distribué ce matin comporte d'ailleurs la relation exhaustive de tous les textes pris depuis une dizaine d'années, sauf, précisément, ce décret du 8 avril 2004. Il est question de la loi du 10 février 2000, mais du décret, pas un mot, et pour cause...

M. le Rapporteur - Un décret, ce n'est pas une loi !

M. Jean-Claude Lenoir - La loi du 13 août 2004 a ensuite renforcé la décentralisation et amélioré le dispositif de responsabilisation. Aujourd'hui, nous rapprochons encore le traitement des sujets à caractère social des opérateurs locaux. Dans un souci de simplification, le FSL intègre désormais l'ensemble des dispositifs en faveur des plus démunis, qu'il s'agisse du logement ou des factures d'électricité, de gaz, d'eau ou de téléphone, auxquels il consacre 15 millions d'euros.

Le Gouvernement a pris la mesure des difficultés restant à résoudre. Un premier décret, relatif à la prévention des difficultés et à l'information des personnes les plus démunies, a été proposé avant-hier, après une large concertation, au Conseil supérieur de l'électricité et du gaz, que je préside. Son examen avait été reporté à la suite des observations formulées par la CNIL, dont le Conseil supérieur a voulu tenir compte. Le jour même, le ministre a signé le décret, qui marque un vrai progrès. En effet, l'interdiction faite aux distributeurs d'énergie électrique de communiquer les informations relatives aux personnes en difficulté rendait très difficile la conduite des actions locales de prévention. Le dispositif retenu vise à se donner le temps de régler les problèmes : bonne information, prévention, délai avant la coupure éventuelle de courant.

Un autre texte permettra de réduire le coût d'intervention des opérateurs lors de la réouverture de l'abonnement et des compteurs. Une fois ces dispositions arrêtées, l'essentiel des problèmes sera réglé.

M. Jean-Pierre Dufau - Eh non !

M. le Rapporteur - Ce n'est pas vrai !

M. Jean-Claude Lenoir - Le problème de financement n'est pas avéré, puisque tous les crédits du FSE n'avaient pas été consommés. Quant aux problèmes annexes, ils seront réglés dès la publication au Journal officiel des derniers textes réglementaires.

Pourquoi donc cette proposition de loi, et pourquoi maintenant ? C'est que les initiatives du Gouvernement suscitent l'embarras de l'opposition.

M. le Rapporteur - N'importe quoi ! Minable !

M. Jean-Claude Lenoir - Les objectifs de ce texte sont ceux que nous sommes en passe d'atteindre. Il n'est donc qu'un moyen pour l'opposition d'apporter sa modeste contribution à l'action du Gouvernement et de faire oublier que la majorité de gauche n'a pas su mettre en œuvre, lorsqu'elle était au pouvoir, les dispositions qu'elle avait votées dans cet hémicycle.

M. le Président de la commission - Eh oui !

M. Jean-Claude Lenoir - Permettez-moi, pour finir, de formuler un souhait. Nous débattons actuellement de l'avenir de l'Europe. La constitution proposée comporte des dispositions importantes touchant à la politique sociale, qui doivent beaucoup à la France. Je me suis intéressé à la situation de nos voisins de l'Union européenne : aucun n'offre de dispositif comparable à celui que nous avons mis en œuvre.

M. le Rapporteur - N'importe quoi ! Et le Danemark, la Suède, la Finlande ?

M. Jean-Claude Lenoir - Puisse l'ambition que nous nous sommes donnée s'étendre demain à d'autres pays européens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Michel Charzat - La pauvreté s'est étendue et transformée. La nouvelle question sociale resurgit périodiquement sur la scène médiatique. Son cheminement chaotique, entre silences et dénonciations, montre qu'elle est loin d'être surmontée. Un enfant mortellement blessé dans l'incendie d'un immeuble dégradé du vingtième arrondissement de Paris accueillant des personnes en attente de relogement, 22 morts et 31 blessés victimes du même type de catastrophe dans un hôtel du neuvième arrondissement : ces drames témoignent des conditions déplorables d'existence subies par nombre de nos concitoyens. Ces familles souvent monoparentales, surendettées, rencontrent de multiples difficultés - chômage, logement précaire ou insalubre, carences alimentaires - qui finissent par porter atteinte à leur sécurité, voire à leur vie. Car la précarité est un tout, une spirale dans laquelle des milliers de personnes s'enfoncent chaque année.

Les enfants en sont les premières victimes. Selon le rapport sur la pauvreté des familles de Martin Hirsch, président de l'association Emmaüs, plus d'un million de moins de dix-huit ans vivent en-dessous du seuil de pauvreté, c'est-à-dire dans des familles où l'on ne dépense pas plus de 3,70 euros par jour et par personne pour se nourrir et où le revenu mensuel n'excède pas 600 euros. Ces jeunes, particulièrement exposés au saturnisme, à l'obésité et à l'échec scolaire, seront les premiers touchés par le chômage et l'alcoolisme lorsqu'ils seront adultes.

De nombreuses familles disposent d'un niveau élevé de confort ; d'autres n'ont pas accès au minimum qui leur assurerait une vie décente : c'est inacceptable ! En 2004, ce sont près de 190 000 foyers qui ont vu leur alimentation en électricité interrompue par les fournisseurs d'énergie pour non paiement de factures. Comment s'étonner alors de ces accidents dramatiques dont la presse se fait régulièrement l'écho ? Il s'agit d'une atteinte intolérable à la dignité de la personne humaine !

Notre proposition s'impose. L'instauration d'un droit au maintien de l'alimentation en énergie, de même que la prévention des coupures de courant pour les ménages défavorisés, s'inscrit dans cette nouvelle génération des droits de l'homme qu'il nous appartient de concrétiser, dans la suite du code de l'action sociale et des familles et de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.

Le dispositif de prévention en vigueur n'est pas satisfaisant dans la mesure où il ne recouvre pas la totalité des situations d'exclusion et où il n'a pas permis d'éviter les accidents que je viens d'évoquer. Son principal défaut est de reposer sur l'initiative de l'usager en situation précaire, auquel il incombe de saisir les services sociaux, sur invitation de l'agence du fournisseur auprès duquel il s'est endetté. S'il n'effectue pas cette démarche, son accès à l'énergie sera interrompu. L'immobilisme potentiel de l'usager en difficulté vient alors s'ajouter au durcissement de l'attitude des fournisseurs d'énergie, constaté depuis l'ouverture des marchés nationaux à la concurrence et l'évolution du statut des opérateurs historiques, et cela, au mépris des principes du préambule de la Constitution de 1946. Tout laisse enfin penser que la privatisation subreptice d'EDF accompagnera cette remise en cause de l'Etat social.

Ce constat a incité le Gouvernement, à la suite du décès de deux personnes dans l'incendie d'un appartement de Saint-Denis, à envisager une réforme du système existant par décret. En cas d'impayés, le fournisseur d'énergie devra non seulement prévenir l'usager de la réduction de sa fourniture, mais également le président du conseil général et le maire de la commune de l'intéressé. En l'absence du règlement de l'impayé, le fournisseur devra transmettre les éléments du dossier aux services sociaux. De telles avancées sont réelles, sans toutefois apporter des solutions de fond. Notre proposition, elle, a le mérite d'interdire clairement les coupures d'électricité et de gaz, dès lors qu'elles sanctionnent des personnes n'ayant pu régler leurs quittances en raison de difficultés économiques ou sociales.

M. le Ministre - Soudaines !

M. Michel Charzat - Du reste, votre décret ne résout pas la question du financement de l'aide aux familles menacées par les coupures d'électricité, alors que nous proposons, nous, d'établir un dispositif national d'aides, grâce aux conventions passées entre l'Etat et les fournisseurs d'énergie. De cette manière, nous revenons sur l'inacceptable remise en cause de la solidarité nationale imposée par la loi relative aux libertés et aux responsabilités locales du 13 août 2004, laquelle fait porter aux départements la charge de cette aide, en transférant aux départements le financement des fonds de solidarité pour le logement, alors qu'aux termes de l'article 3-5 de la directive électricité, les Etats se doivent de garantir une protection adéquate aux consommateurs vulnérables, y compris par des mesures destinées à les aider à éviter une interruption de la fourniture d'énergie.

L'instauration d'une couverture énergétique universelle par l'Etat constitue une réponse aux attentes des nos concitoyens, dont on sait l'attachement au maintien du service public. L'Etat ne doit laisser ni à l'entreprise, ni aux collectivités locales le soin de définir une politique de lutte contre l'exclusion ; la question de l'accès de l'ensemble des citoyens à l'énergie doit être traitée par la représentation nationale et non par décret. L'inscription d'un droit à la couverture énergétique universelle dans la loi garantirait sa pérennité et aurait une valeur symbolique d'autant plus forte. N'oublions pas que la loi vise à protéger les citoyens face aux inégalités et aux distorsions du marché.

Notre proposition ne constitue pas une fin en soi, mais un jalon à poser dans la perspective d'une société solidaire, qu'il s'agisse de l'accès à l'électricité ou à l'eau. L'Etat doit reprendre pleinement ses responsabilités envers les plus démunis, car une société qui tolère les exclus sur son sol se défait. Contre les orientations régressives mises en œuvre depuis trois ans, il est urgent de replacer l'Etat au centre du dispositif de solidarité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Pierre Dufau - Lors de leur conférence de presse commune de mercredi dernier, le collectif landais pour le droit à l'énergie et l'association nationale « droit à l' énergie » ont estimé à 30 000 le nombre de coupures de courant effectuées chaque jour en France, particulièrement chez les plus démunis, mettant ainsi en lumière l'impérieuse nécessité de garantir la fourniture d'énergie et de rendre effectifs les principes affirmés dans le préambule de la Constitution de 1946.

L'introduction de la mise en concurrence des fournisseurs d'énergie doit être analysée avec toute la vigilance nécessaire, à l'heure où l'on observe un net raidissement d'EDF vis-à-vis des personnes en difficulté, suite à la loi du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz. Au nom du principe de la concurrence libre et non faussée, la France n'est-elle pas en train de sacrifier les plus fragiles, en leur refusant le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ? Solidarité et économie de marché peuvent pourtant se conjuguer, avec du bon sens, de la justice et un peu d'humanité.

Il est donc temps d'agir. Le projet de décret, si positif soit-il, est loin de tout régler. L'intervention des services sociaux en amont de la coupure et l'information de l'usager restent dépendantes de la diligence des services sociaux, sans compter que les usagers en grande difficulté ne réagissent souvent pas aux sollicitations dont ils font l'objet. Je connais une famille de ma circonscription qui a sollicité trop tardivement d'EDF un sursis : la direction a été inflexible et a estimé que les 100 euros réunis par cette famille étaient insuffisants pour suspendre la procédure menant à l'interruption de la fourniture d'électricité. Cette famille, comme beaucoup d'autres, n'avait pas répondu aux courriers qu'elle avait pu recevoir et a pris conscience du caractère irréversible de sa situation lorsqu'il était trop tard. Notre proposition mettra fin à de tels enchaînements.

Quant à la décentralisation mise en œuvre par le Gouvernement, elle ne manquera pas de créer de nouvelles inégalités. Le Gouvernement transfère de nouvelles compétences aux départements, mais il se défausse ainsi sur eux de ses responsabilités alors même que le potentiel fiscal varie fortement d'un département à un autre. Il est donc urgent de rétablir un dispositif national, car la solidarité relève de la nation.

Bref, il faut donner à la couverture énergétique universelle force de loi, et le rapporteur a raison de vouloir étendre son initiative à la fourniture en eau. Ce droit nouveau est conforme à la société de progrès que nous appelons de nos vœux. En la matière, la représentation nationale doit faire preuve de volontarisme et d'une solidarité sans faille : le sort des plus démunis en dépend. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Rapporteur - Monsieur le ministre, je reconnais bien volontiers que vous êtes un homme de bonne foi. Vous essayez de faire avancer les choses, mais vous n'allez pas assez loin.

Puisque l'ensemble des parlementaires, de tous bords, ont pris conscience de la gravité de la situation, il convient maintenant d'aller jusqu'au bout de la logique, et de régler ce problème par la loi, afin de permettre aux plus démunis de nos concitoyens de vivre dignement.

Par ailleurs, le Fonds de solidarité logement que vous nous proposez depuis le 1er janvier 2005 n'est qu'un miroir aux alouettes ! C'est vrai que sur les comptes 2004, tout n'a pas été consommé, mais la procédure est aujourd'hui différente, puisque tout se joue au niveau des départements. Quelle sera l'aide de l'Etat, celle D'EDF-GDF ? Sera-t-elle proportionnée aux ressources des départements ? Si ma proposition de loi était adoptée, vous pourriez parfaitement prendre un décret en ce sens.

M. Dionis du Séjour s'est à juste titre interrogé sur la situation des personnes marginalisées, mais l'article 2 de ce texte tend justement à y répondre.

Comment pouvez-vous croire qu'en maintenant la fourniture de 100 kilowatts, les problèmes pourront être réglés ?

Monsieur Lenoir, le dernier argument que vous avez développé est indigne de vous, car nous tâchons de proposer des solutions dès que les problème se posent, en l'occurrence, ils se sont posés au lendemain de la loi d'août 2004 qui a conduit EDF et GDF à durcir à un tel point leur action que dans le Nord-Pas-de-Calais, par exemple, des maires ont pris des arrêtés anti-coupure !

Mais si vous ne voulez pas agir aujourd'hui, tant pis, nous serons de retour aux affaires en 2007, et nous nous occuperons alors de ce problème ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; vives protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président de la commission - M. le rapporteur s'est tellement emporté contre la majorité qu'il en a oublié l'essentiel de son rôle : vous préciser que la commission avait voté contre le passage aux articles. Il est de mon devoir de président de la commission de vous le rappeler.

M. le Rapporteur - M. Ollier ne m'a pas écouté, car je l'avais dit à la tribune lors de ma première intervention.

M. le Ministre délégué - Malgré votre ardeur sympathique, Monsieur le rapporteur, et les quelques propos aimables que vous avez tenus à l'égard du Gouvernement en reconnaissant qu'il était de bonne foi, permettez-moi de formuler certaines critiques.

Votre proposition contient un faux-semblant et un passager clandestin.

En effet, l'article premier de votre disposition tend à interdire les coupures d'électricité et de gaz dès lors qu'elles sanctionnent des familles ou des personnes en prise à des difficultés économiques ou sociales... soudaines ! Les députés de l'opposition, hormis M. Sandrier, ont pris soin de passer sous silence cette précision qui, en apportant une limite raisonnable à votre texte, le rend redondant par rapport au dispositif légal actuel et réglementaire qui est ou va très prochainement entrer en vigueur. Toute votre proposition se résume donc à une déclaration d'ordre général.

Par ailleurs, votre texte contient un passager clandestin : il s'agit de revenir sur la décentralisation. Madame Pérol-Dumont, vous avez prétendu qu'EDF n'était plus obligé d'apporter sa contribution, alors que celle-ci est basée sur l'actuel contrat de service public et que la même contribution sera prévue dans le prochain contrat. Le système ne change pas, et l'obligation est toujours contractuelle.

Vous prétendez que l'Etat se désengage.

M. le Rapporteur - Que dites-vous de la Haute-Vienne qui doit supporter 3,2 millions d'euros ?

M. le Ministre délégué - Le rôle de l'Etat est maintenu : c'est lui qui assure l'encadrement juridique, et fixe les obligations.

Plusieurs députés socialistes - Et ce sont les autres qui paient !

M. le Ministre délégué - Mais pas du tout ! La loi de décentralisation a attribué aux départements, au titre de la solidarité énergie, le produit de la taxe sur les contrats d'assurance, qui s'est élevé, au 1er janvier, à 87 millions, soit une somme largement supérieure à celles qui prévalaient avant la loi de décentralisation - 63 millions en 2002, 70 millions en 2003, 75 millions en 2004. Je ne vois pas comment on peut appeler cette progression un désengagement de l'Etat ! Ce passager clandestin, cette façon de dénoncer la décentralisation qui vous confie la mise en œuvre en vous donnant à cette fin l'argent de l'Etat n'est tout bonnement pas acceptable !

M. le Rapporteur - Les départements n'ont pas les moyens d'agir !

M. le Ministre délégué - De quoi vous plaignez-vous ? C'est maintenant vous qui gérez, et on vous donne plus d'argent qu'avant ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - La commission n'ayant pas présenté de conclusions, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 3 ? du Règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi. Si l'Assemblée vote contre le passage à la discussion, la proposition ne sera pas adoptée.

Sur ce vote, je suis saisi, à la demande du groupe socialiste, d'une demande de scrutin public.

M. Jean-Claude Sandrier - En commission, notre rapporteur a noté le soutien apporté à sa proposition par de nombreux députés de la majorité. Sont-ils là aujourd'hui, ou ont-ils été provisoirement éloignés ? Par ailleurs, un député de l'UMP a cru bon, pour combattre cette proposition, de dire que la solidarité ne s'édictait pas par la loi. Je suis curieux de savoir ce qu'il a dit sur la journée de solidarité du lundi de Pentecôte !

Sur le fond, que vous le vouliez ou non, il faudra légiférer pour qu'un droit reconnu par notre Constitution - mais pas par la constitution européenne - et par la Déclaration universelle des droits de l'homme soit réellement appliqué. Ce n'est pas une incongruité que de légiférer pour cela. Sous prétexte de responsabilisation, on laisse aujourd'hui dégénérer les situations et, au final, une autre punition s'ajoute à la pauvreté. Il faut changer cela. Pour rendre effectif le droit à l'énergie, il n'y a pas d'autre solution que d'interdire les coupures. C'est le seul moyen d'éviter les catastrophes. Le dispositif d'alerte que vous avez vous-même prévu ne peut fonctionner qu'avec cette interdiction. Il déclenchera soit un plan d'apurement de la dette, laquelle sera faible puisque le délai aura été très court, soit une aide. Ainsi que l'a rappelé le Conseil constitutionnel, c'est la collectivité nationale qui doit exercer la responsabilité en ce domaine.

Cela suppose aussi de modifier dans un sens plus réaliste le calcul du reste à vivre, en y incluant les dépenses de loyer, d'énergie et d'eau. Cela réglerait définitivement le problème. Il ne s'agit pas d'assistanat, mais d'assistance à personne en danger. Il ne s'agit pas d'ouvrir un droit à ne pas payer, mais de vérifier si quelqu'un peut payer ou non. Votre décret, Monsieur le ministre, manifeste certes votre volonté, mais sera une véritable passoire ! Enfin, il est important de savoir si l'ouverture à la concurrence d'EDF et de GDF et le début de leur privatisation, ajoutés à l'article 148 de la constitution européenne, ne vont pas rendre ces entreprises moins coopératives et moins sociales à cause de la pression des marchés financiers. Le groupe communiste et républicain votera donc pour le passage à la discussion des articles. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean-Claude Lenoir - Le groupe de l'UMP ne retient pas les arguments qui ont été avancés pour défendre cette proposition de loi parfaitement redondante avec les textes législatifs et réglementaires en vigueur ou en préparation. Il votera contre le passage aux articles.

M. François Brottes - Affirmons d'abord que le groupe socialiste est attaché sans faux-semblants au respect de la dignité de tous, y compris des passagers clandestins, et qu'il apprécie assez peu le mépris avec lequel vous les avez évoqués.

Dans ce débat, il est tout simplement question de sauver des vies, dans ce qui touche au chauffage par exemple. Le sujet doit donc susciter émotion et sens de la responsabilité sur l'ensemble de nos bancs. La proposition de loi de M. Kucheida n'est nullement redondante, elle améliore le système actuel.

D'abord, la création d'un fonds unique fragilise les garanties. La dilution des soutiens au logement, à l'énergie et à l'eau dans un même fonds, financé de plus en plus, quoi que vous en disiez, par les collectivités territoriales, et en particulier par les conseils généraux, qui assument de plus en plus la précarité, ne peut que porter atteinte aux dispositifs d'intervention. Les moyens vont globalement diminuer, et lorsque le fonds aura aidé une famille pour son logement, il ne fera plus rien en matière d'énergie...

Ensuite, vous nous reprochez de ne pas avoir agi sous le gouvernement Jospin, mais la situation n'avait rien à voir ! C'est Mme Fontaine qui a fait en sorte que l'Europe ouvre le marché à la concurrence pour les particuliers, alors qu'il ne l'était que pour les entreprises ! La péréquation en sera directement affectée. L'opérateur historique, soumis à une pression considérable, négligera ses missions de service public. Le contexte est donc nouveau, sans compter la loi que vous avez votée sur la privatisation progressive d'EDF, et qui renvoie les garanties concernant les missions de service public à un décret. Vous nous avez dit que la matière était devenue contractuelle : justement, nous considérons que le contractuel est moins protecteur que le légal !

Je reconnais vos efforts pour clarifier les rôles ou mieux déclencher l'alerte, mais ce n'est pas suffisant. Les exemples cité par mes collègues montrent que l'action de l'opérateur ne laisse plus aucune place aux sentiments. Interdire les coupures dans les situations d'urgence est le seul moyen d'éviter des drames. Vous nous répondez que cela revient à déresponsabiliser les usagers, mais prenons garde que bientôt le marché ne nous facture l'air que nous respirons ! Vous nous demandez de choisir entre détresse et responsabilité : cela n'a pas de sens ! Nous connaissons tous des situations où c'est le silence qui prévaut, la honte d'être devenu pauvre à cause du chômage ou d'un divorce. On est informé des aides qui existent, mais on ne se fait pas connaître, on veut se faire oublier. Il faut que nous nous rendions compte que certains refusent d'aller demander assistance et charité. Interdire les coupures en situation d'urgence garantit le droit à la décence, à la dignité, à la survie. La loi a pour objet de protéger les faibles. C'est un devoir qui nous est commun. Je vous invite donc à passer à la discussion des articles, car je n'ose penser qu'un débat politicien puisse prévaloir autour de cette question. La loi doit interdire les drames que nous voyons se dérouler mois après mois, surtout pendant l'hiver. Je vous demande, mes chers collègues, de vous ressaisir et de garantir par la loi un droit fondamental pour nos concitoyens.

M. Jean Dionis du Séjour - Ce texte a le mérite de nous rappeler que la précarité augmente et qu'elle est l'antichambre de la chute dans la marginalité. Xavier Emmanuelli invite à ce propos le législateur à agir en amont. C'est un véritable défi national, et ce sont les socialistes qui avaient ouvert le débat lors de la campagne présidentielle, avec le slogan « plus de SDF en France ». Mais je ne vois rien, dans la proposition de M. Kucheida, qui améliore ni la détection, ni l'aide aux personnes. Il ne suffit pas de mentionner une couverture générale !

En ce qui concerne les impayés, le dispositif existant a déjà permis des améliorations considérables et le projet de décret du Gouvernement permettra à EDF d'informer les services sociaux, alors que vous avez vous-même reconnu que la circulation de l'information était au centre de la plupart des difficultés. Et, cerise sur le gâteau, votre article 2 propose la recentralisation de l'action publique : on crée un nouveau machin, le Fonds national d'aide et de prévention... L'UDF préfère faire confiance au terrain et aux élus. Nous voterons donc contre votre texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

A la majorité de 46 voix contre 15, sur 61 votant et 61 suffrages exprimés, l'Assemblée décide de ne pas passer à la discussion des articles : en conséquence, conformément à l'article 94, alinéa 3, du Règlement, la proposition de loi n'est pas adoptée.

Prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 11 heures 45.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE


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