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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 102ème jour de séance, 243ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 29 JUIN 2005

PRÉSIDENCE de Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER

vice-présidente

Sommaire

      RAPPEL AU RÈGLEMENT 2

      HABILITATION À PRENDRE PAR ORDONNANCE
      DES MESURES D'URGENCE POUR L'EMPLOI (suite) 2

      MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 7

      ORDRE DU JOUR DU JEUDI 30 JUIN 2005 19

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Maxime Gremetz - Le ministre de l'emploi, le président et le rapporteur de la commission ne sont toujours pas là. J'ai dû courir, moi, pour être à l'heure ! Cela n'empêche pourtant pas la présidence de nous rappeler à l'ordre lorsque nous dépassons de quelques minutes notre temps de parole ! Les députés qui sont à l'heure, il faut les respecter !

La séance, suspendue à 21 heures 40, est reprise à 21 heures 45.

HABILITATION À PRENDRE PAR ORDONNANCE
DES MESURES D'URGENCE POUR L'EMPLOI (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement - Ce projet concerne 1,7 million de personnes qui travaillent seules.

Si on élargit un peu l'approche, le dispositif concernera environ cinq millions de personnes. Qui sont-elles ? En priorité, les travailleurs les plus acharnés de notre pays, leurs compagnons et leurs collaborateurs, qui représentent un peu les oubliés de nos différents mécanismes nationaux d'accompagnement. Je considère pour ma part qu'en prenant ces ordonnances, nous leur tendons la main pour leur manifester notre tendresse et notre profond respect. Oui, ce gouvernement tient en très haute estime les travailleurs français.

Au fond du fond, en écoutant très attentivement les différents orateurs de la discussion générale, je n'ai guère entendu d'arguments propres à me faire douter du bien fondé de cette loi d'habilitation...

M. François Rochebloine - Vous avez mal écouté !

M. Alain Vidalies - Nous allons vous les répéter !

M. le Ministre - J'ai bien entendu quelques commentaires généraux sur la politique gouvernementale et le traditionnel débat sur le recours aux ordonnances...

M. François Rochebloine - Tout de même !

M. le Ministre - Au reste, il m'aurait surpris que tel ne soit pas le cas dans cette enceinte. Il est somme toute assez naturel que certains parlementaires expriment des réserves à ce sujet. Mais, à la suite de M. Geoffroy qui s'y est attaché avec brio, je rappellerai une énième fois que le recours aux ordonnances est constitutionnel et qu'il constitue un gage de rapidité et de méthode. En l'espèce, les ordonnances que tend à autoriser ce projet de loi d'habilitation sont empreintes de pragmatisme : elles ne visent qu'à lever les incertitudes qui ont trop longtemps pesé sur les travailleurs indépendants et sur les responsables des plus petites entreprises.

Alain Vidalies, au fil d'un propos de style professoral mais bien construit et de haute tenue intellectuelle, a tenté de prouver que l'obsession du Gouvernement était de remettre en cause les droits sociaux des salariés...

M. Alain Néri - C'est la vérité !

M. le Ministre - Ce qui est vrai, c'est que vous ne l'avez pas démontré et qu'en matière de droits sociaux, les salariés des entreprises de moins de dix n'étaient pas les mieux lotis ! Votre analyse sélective de la réalité vous conduit à « oublier » que 70% des nouvelles embauches dans les TPE s'opèrent sous le régime d'un CDD : considérez-vous cet état de fait comme un acquis social à préserver ? (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Se perdant quelque peu dans l'exégèse de la convention n°158 de l'OIT, M. Vidalies s'est ensuite livré à une interprétation plus que contestable de la prétendue incompatibilité de notre dispositif avec cette norme. Sans doute aurons-nous l'occasion d'y revenir.

S'agissant enfin du risque de fraude à l'emploi susceptible de s'attacher au chèque emploi, je renvoie au registre unique - indispensable pour combattre le travail clandestin - et aux conventions collectives des secteurs, nullement affectées par le dispositif proposé.

Valérie Pecresse a soulevé le problème crucial du retour à l'emploi des femmes et de la bonne articulation entre vie professionnelle et responsabilités familiales, en se référant notamment à la problématique du « re-travail » des femmes traitée par Tony Blair. Avec le Premier ministre, nous sommes déterminés à conforter et à amplifier la logique de la validation des acquis de l'expérience. C'est un sujet crucial. Grâce aux contrats d'avenir, nous entendons redonner des perspectives aux femmes aujourd'hui titulaires de minima sociaux - RMI, API, etc. - qui, après avoir connu des épisodes de vie souvent difficiles n'aspirent qu'à retravailler. Vous en connaissez tous dans vos circonscriptions ! Quant à la conciliation des responsabilités des femmes à la tête de la « PME familiale » - de la garde des jeunes enfants aux soins aux aînés - avec une activité professionnelle, nous nous en sommes préoccupés dans le cadre de la loi sur les services à la personne, porteuse de bien des réponses pour accompagner les situations les plus variées.

Simon Renucci a principalement évoqué les quartiers difficiles et le SMIC. S'agissant des quartiers, je me réjouis que deux dossiers concernant sa belle ville d'Ajaccio bénéficient enfin du soutien d'un programme national d'envergure. Quant au SMIC, ce gouvernement n'a aucune leçon à recevoir, alors qu'il a hérité de cinq années de modération salariale, des SMIC multiples nés des 35 heures et de plusieurs conventions collectives encore rédigées en francs, certaines branches n'ayant pas négocié depuis huit ou neuf ans... Et n'est-ce pas nous qui avons procédé à des revalorisations significatives et à la convergence par le haut des différents SMIC ?

Jacques Le Guen, posant le diagnostic lucide du bon médecin et tirant le meilleur profit de son ancrage breton, a expliqué de façon très convaincante qu'il était temps de passer d'un système d'allocations à une véritable logique de gestion des ressources humaines. Je retiens aussi son plaidoyer pour le regroupement du service public de l'emploi, pour les aides personnalisées au retour vers l'emploi et pour le guichet unique.

Maxime Gremetz a considéré que le recours aux ordonnances constituait un déni de démocratie, que nous ignorions les partenaires sociaux et que nous diffusions la précarité dans la société française. J'entends lui répondre sur ces différents points. Ignorer la règle démocratique, cela consisterait à mettre en œuvre des mécanismes que la loi républicaine ne prévoit pas. Les ordonnances étant prévues dans la Constitution, je le mets au défi de démontrer que nous sortons du cadre démocratique. S'agissant des partenaires sociaux, Gérard Larcher, Catherine Vautrin et moi-même les rencontrons quotidiennement pour traiter des différents sujets entrant dans le champ de nos compétences. Loin des caméras et des grand-messes symboliques, nous tissons des liens de confiance fondés sur le respect de la parole donnée qui ne manqueront pas de porter leurs fruits à l'avenir.

Jean Le Garrec nous a reproché d'hésiter, tant sur les mots que sur les procédures ou la portée du dispositif. Ne confondons pas, cher Jean Le Garrec, hésitation et respect de l'autre. L'opposition me reproche d'hésiter : en tant que responsable, j'estime qu'il est de mon devoir de tenir compte de l'avis de mes interlocuteurs et d'adapter mes projets initiaux en fonction des justes observations qui me sont faites. M. Le Garrec s'est ensuite cru autorisé à faire état de la « méfiance » de l'UPA. Ne nous trompons pas ! Ne nous y trompons pas. L'UPA pense comme nous que le problème des très petites entreprises est à la fois un problème de capacité de celui qui est en charge à prendre la responsabilité de l'embauche, et aussi un problème d'attractivité pour la taille de son entreprise et le secteur où elle travaille. Il est plus facile de recruter quand on est EADS que lorsqu'on est artisan, commerçant ou tout petit entrepreneur. C'est une erreur de méconnaître cette réalité. Et le nouveau contrat d'embauche qu'a proposé le Premier ministre essaie de répondre à une double question : comment améliorer la situation de ceux qui veulent aller travailler dans ces secteurs, par rapport au CDD par lequel ils y entrent traditionnellement, et comment valoriser ces professions, et permettre à l'entrepreneur de sauter le pas pour cette embauche nouvelle. On a bien vu dans ce débat général, indépendamment des critiques fondées ou non de la politique gouvernementale et des discussions sur notre vision de la société, la difficulté qu'éprouvent les opposants à ce texte à cet égard.

Je reviens à la précarité des contrats, Monsieur Gremetz : aujourd'hui 71% des contrats des très petites entreprises sont des CDD, c'est-à-dire sans aucune garantie et en sachant avant de commencer que cela va se terminer. Quelle merveilleuse perspective de vie ! Vous aurez du mal, Monsieur Gremetz, à soutenir durablement qu'il vaut mieux un contrat à durée déterminée de trois mois - même si vous avez soutenu les CES, qui étaient de trois mois renouvelables : il y a donc dans votre position une sorte de cohérence... - plutôt qu'un CDI avec des conditions de rupture adaptées certes à la taille de l'entreprise, mais qui permettent d'accéder à l'allocation chômage plus vite qu'avant, et d'obtenir des indemnités de rupture qui n'existent pas dans le CDD, indemnités supérieures à celles d'un CDI qui tournerait mal, et de plus payables avant la rupture du contrat !

M. Maxime Gremetz - Et sans pouvoir contester le licenciement !

M. le Ministre - En outre, et vous le savez, toutes les conditions de rupture particulières qui correspondent à l'ordre public ou à la coutume française - la discrimination, les travailleurs protégés, les règles de licenciement économique, le handicap, bref tout notre patrimoine républicain - continuent évidemment à être en vigueur dans ce dispositif.

M. Mariton nous a dit pourquoi il était nécessaire d'agir vite. Il l'a dit de plusieurs manières. Il a mentionné de bonnes dispositions : mille euros pour les demandeurs d'emploi de longue durée, mille euros pour les jeunes dans les secteurs en tension, le contrat nouvelle embauche opérationnel le plus vite possible - car une annonce doit entrer en application très vite, sous peine de créer des effets d'aubaine et de contribuer au discrédit du discours politique. M. Mariton a également parlé d'un acte de rétablissement de la confiance pour les quatre millions de personnes qui travaillent dans ce secteur, et qui travaillent dur. Confiance, parce que c'est dans la cohérence des autres dispositifs : apprentissage, contrats de professionnalisation, contrats d'avenir : peu à peu se dessine la cohérence d'une organisation souhaitée par le Gouvernement et soutenue par le Parlement.

Mme Hoffman-Rispal a parlé de l'attractivité de ces entreprises. Sur ce point l'UPA dit deux choses : faites en sorte que nous ayons un contrat qui soit préférable à l'extrême précarité dans laquelle nous sommes, et qui nous empêche d'attirer des salariés qui souhaitent vraiment s'engager ; et aidez-nous à éviter l'inquiétude insensée que nous avons au moment de recruter.

M. Novelli a soulevé le paradoxe qui veut que deux modèles opposés apparemment - on pourrait dire journalistiquement, ou idéologiquement -, le britannique et le danois, réussissent raisonnablement mieux que le nôtre. Pourquoi ? Parce que dans les deux cas on est passé d'un système d'allocations à un système de gestion des ressources humaines. Le débat est moins idéologique que d'organisation de nos forces. Dans les deux cas on a fusionné l'offre publique, on a mis des moyens pour les bilans de compétences, pour le suivi des entreprises comme des demandeurs d'emploi. M. Novelli a d'autre part ouvert le débat qui nous attend dans les mois à venir : celui des exonérations de charges. Ce dossier a pris une dimension gigantesque, à la suite de la décision de partage du travail et des rémunérations : les 35 heures ont exigé la modération salariale des ouvriers français, et elles ont exigé de la collectivité nationale qu'elle compense la perte de compétitivité qu'elles engendraient. Elles l'ont fait de telle sorte qu'il a fallu procéder à la convergence des SMIC : aujourd'hui nous en sommes à 18 milliards. Qui prétendra que ces 18 milliards ont un impact positif direct sur l'emploi ? En revanche, sans compensation à la perte de compétitivité, on n'ose imaginer l'ampleur de la destruction d'emploi qu'elle aurait provoquée... En tout cas nous en sommes là : 18 milliards, et qui constituent une dépense « dynamique », comme on dit à Bercy. Et la question posée aujourd'hui, et que pose Hervé Novelli, est de sortir de ce système, et de distinguer deux types de réduction de charges. Il y a celles qui s'appliquent à des secteurs - en général dans le tertiaire - qui n'auraient pas de modèle économique s'il n'y avait pas de compensation : ce sont les services à la personne dans leur partie non solvabilisée. Et il y a celles qui concernent les secteurs menacés par la délocalisation. Ce débat sur l'assiette globale du coût du travail doit être posé globalement, pour tous les secteurs d'activité et toutes les tailles d'entreprises.

M. Besson a estimé que nous revenions vers un pacte de cohésion sociale que nous aurions eu le tort de démonter : il oublie les sécurités, les réformes si longtemps différées - retraites, assurance maladie et bien d'autres.

Richard Mallié a dit qu'il n'était pas un fanatique des ordonnances : c'est un vrai parlementaire... Il a rappelé la nécessité d'être en ordre de marche le 1er septembre. Et il a dit deux choses importantes. D'abord, que le SMA est une chose formidable : c'est la puissance de formation professionnelle de l'armée française mise au service des populations les plus fragiles. Cela marche outre-mer : il faut que cela marche en métropole. D'autre part M. Mallié a soutenu les deux primes de mille euros.

Permettez-moi, Monsieur Alain Néri, député du Puy-de-Dôme, de corriger certains éléments de votre propos. Tout d'abord vous avez estimé que les emplois de services créeraient de nouvelles charges pour les conseils généraux : je vous renvoie au texte de loi...

M. Alain Néri - C'est surtout la monnaie que je voudrais que vous m'envoyiez !

M. le Ministre - Le texte ne crée aucune obligation financière pour les conseils généraux. Il permet au contraire aux associations qui travaillent dans ce secteur de développer leurs activités pour amortir les frais généraux des secteurs dont vous avez la charge, ce qui devrait entraîner une atténuation de vos contributions. Quant aux contrats d'avenir, il est faux qu'ils soient une charge supplémentaire pour votre collectivité. Comme vice-président du conseil général, vous avez en charge les bénéficiaires du RMI. L'Etat met à votre disposition des sommes considérables pour permettre à ces populations de passer du RMI à un contrat travail-formation. Je pense qu'il n'y a entre nous qu'un problème d'information ; vous avez d'ailleurs eu la gentillesse de dire que votre conseil général s'était engagé dans ce processus. On peut discuter pour ou contre la décentralisation et ses conditions, mais ici nous parlons d'un sujet où l'Etat, qui n'a plus la compétence, met, au titre de sa responsabilité de cohésion républicaine, des moyens complémentaires en sus des transferts pour aider ces populations à avoir un travail et une formation.

M. Alain Néri - Il n'empêche que vous me devez 9 millions pour 2004 pour le RMI.

M. le Ministre - M. Albertini a évoqué des questions importantes. Il a exprimé son intérêt pour la suppression de la contribution Delalande, qui est entre les mains des partenaires sociaux : certains sujets, Monsieur Gremetz, relèvent en effet directement de la négociation entre les partenaires ; au cas où ils n'aboutiraient pas, nous prendrions nos responsabilités.

M. Albertini s'est posé quelques questions pratiques sur le contrat nouvelle embauche : le mode de calcul de l'indemnité de rupture, le niveau du revenu de remplacement. Il a fait des propositions, concernant les emplois francs et un meilleur pilotage du service public de l'emploi. Il a souhaité que l'expérience de Lille et de Rouen aille à son terme et qu'on en tire les leçons. Je suis heureux de lui rappeler que cette expérimentation a été rendue possible par la loi de cohésion sociale, que l'UDF a votée.

M. François Rochebloine - Ce qui est bon, nous le votons !

M. le Ministre - Je pense donc que vous continuerez sur cette voie... Et je pense en effet que cette expérimentation devait être faite, et nous en tirerons les conséquences. Mais cela n'est possible que dans le cadre d'un service public unifié de l'emploi, pas par sous-traitance à divers organismes.

M. Albertini a aussi demandé des précisions sur le contrat nouvelle embauche. C'est tout le but de l'ordonnance que de les apporter. Pour ce qui est de l'allocation chômage, ce sera une aide transitoire de l'Etat, pour laquelle le seuil sera de bien moins que 180 jours. L'indemnité de rupture sera proportionnée à la durée de l'emploi, et, grand progrès, elle sera payée avant la rupture de contrat. Que dans une très petite entreprise, un salarié licencié, qui se retrouve démuni, ait à engager et payer des procédures qui durent de 7 à 24 mois pour toucher quelques indemnités de licenciement, cela n'est pas convenable.

M. François Rochebloine - Et les emplois francs ?

M. le Ministre - Cette proposition de M. Albertini rejoint une question de M. Novelli. Nous avons hérité d'un système où la sécurité - comme l'insécurité - repose avant tout sur le contrat de travail. Il fonctionnait bien au temps du plein emploi théorique, dans les frontières hexagonales, et dans un monde industriel, c'est-à-dire où la masse salariale pesait moins que l'investissement. Il fonctionne de plus en plus mal à mesure que l'économie est plus tertiaire. Pour en sortir, on peut proposer les emplois francs, ou poser le problème du modèle économique comme M. Novelli, mais de toute façon on ne peut plus supporter 56% de charges quand les salaires représentent 90% des coûts. Le modèle est à revoir. L'UDF propose une solution un peu marginale pour l'emploi. Qu'elle participe à la réflexion d'ensemble que nous allons lancer d'ici Noël. Tous les partenaires sociaux, quels qu'ils soient, sont au moins prêts à examiner objectivement deux thèmes : comment protéger l'individu dans une société de mobilité ? Comment faire évoluer le coût et le financement des sécurités sociales ?

M. Peiro a dénoncé l'échec de l'apprentissage. Pour en juger, il faut parler du nombre de jeunes qui s'engagent dans l'alternance et de leur fidélité à cet engagement. Prétendre comme il l'a fait qu'il y a 40% d`échecs est complètement faux. C'est vrai, et même supérieur pour la branche hôtellerie-cafés-restaurants, pas du tout ailleurs. Et nous reprocher un échec alors que c'est nous qui avons lancé un plan global pour l'apprentissage avec l'exonération de 1 000 euros par apprenti et que nous signons avec les collectivités territoriales, de gauche comme de droite, des conventions pour améliorer de 40% le nombre de places offertes, est déplacé.

M. Fourgous a brossé une de ces fresques dont il a le secret pour nous faire partager son amour pour ceux qui entreprennent. Il a raison, nous en avons besoin, et même si c'est un discours difficile à tenir dans l'ambiance un peu fermée de cet hémicycle, il y a là un rappel à l'ordre qui ne fait pas de mal.

M. Gaëtan Gorce - Qu'est-ce qu'il y a ici de fermé ?

M. le Ministre - Au total, je retiens de ce débat que la majorité est très détendue à propos de ce texte. Elle est très détendue, car les ordonnances vont permettre de réduire l'écart entre le discours et les actes. Ce que nous annonçons, nous le ferons à la rentrée. Même si certains parlementaires chevronnés préfèreraient travailler le texte, ils en ont bien conscience : pour une fois nous n'aurons pas ce délai infini d'un an, un an et demi de lois en décrets.

M. Maxime Gremetz - Allez-y, supprimez le Parlement !

M. le Ministre - Mais non !

La majorité est détendue aussi car elle sait qu'on va instaurer un meilleur équilibre entre ces forçats du travail que sont les indépendants et leurs salariés. Nous allons leur simplifier la vie. Quant aux 1 000 euros de prime dans les secteurs difficiles, admettons qu'il y ait un effet d'aubaine pour certains, mais c'est surtout un signal pour la France qui travaille. La majorité est heureuse aussi de voir l'armée participer à la formation professionnelle.

Ceux qui disent non, eux, sont bien embarrassés. C'est dire oui aux 72% de CDD dans les très petites entreprises, refuser les 1 000 euros dans les secteurs difficiles et pour les chômeurs de longue durée, la participation de l'armée à la formation. Vous nous taxez d'hésitation, alors que nous sommes à l'écoute et que, modestement, nous avons agi (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et donné des impulsions, sur l'apprentissage, le contrat d'avenir, le contrat nouvelle embauche.

Mais, nous reproche-t-on, que de contrats différents ! Eh bien oui, parce nous traitions les cas dans leur diversité, et elle n'entre pas dans le cadre rigide d'un seul contrat. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Gaëtan Gorce - Rappel au règlement fondé sur l'article 58. Non seulement le ministre ne voulait pas que nous discutions de son plan, mais il qualifie l'Assemblée, c'est-à-dire les élus du suffrage universel, de cercle fermé - pourquoi pas un cercle privé ! - tandis que les affaires publiques se traiteraient ailleurs. Au nom de l'opposition, je proteste contre cette conception inacceptable. Le débat démocratique, c'est ici qu'il a lieu, pas dans les médias, pas seulement à l'Elysée et à Matignon. Depuis trois ans, vous n'écoutez pas les électeurs, et maintenant vous nous dites que le débat ne doit pas avoir lieu dans ce cercle fermé. J'espère que vous retirerez ces propos regrettables.

M. Maxime Gremetz - Rappel au règlement fondé sur l'article 58. Non seulement vous parlez de cercle fermé, mais vous dites qu'il ne faut plus passer des mois à légiférer. C'est grave. Si faire des lois, c'est trop long, supprimons l'Assemblée nationale.

M. le Ministre - On garde le Sénat ?

M. Maxime Gremetz - Si je suis élu, c'est pour élaborer la loi. Après avoir rien fait pendant des années, vous voulez tirer aussi vite que Lucky Luke. Mais dites-le clairement, faites tout par ordonnance. Urgence, urgence, urgence ! Il vous a fallu trois ans pour faire un diagnostic, et tout d'un coup, il faut agir ! Mais comment ? En écoutant ? Vous écoutez tellement bien que vous imposez, contre l'avis unanime des syndicats, votre contrat nouvelle embauche. La CFTC vous promet de grandes manifestations dès la rentrée et FO, la CGT et la CFDT suivront. Quant à l'Assemblée, vous la mettez au rebut !

M. Alain Néri - Rappel au Règlement fondé sur l'article 58. Monsieur le ministre, sur le fond, vos propos témoignent d'une profonde méconnaissance du fonctionnement de nos institutions : le Parlement est le fondement de la démocratie et de la République. Sur la forme, vous n'êtes pas sans savoir qu'un hémicycle est un demi-cercle ouvert et non fermé. (Sourires)

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission.

M. Michel Liebgott - Monsieur le ministre, j'ai presque envie de vous demander pardon de présenter cette motion. A vous entendre, il serait plus utile et plus rapide que le Gouvernement décide seul, sans consulter les syndicats et la représentation nationale. Nous aurions aimé que le nouveau Premier ministre soit présent ce soir mais il est vrai qu'il est peu coutumier du suffrage universel. Pourtant, la France traverse une crise profonde et nous n'avons rien à gagner de l'affaiblissement du Parlement. Il est vrai que vous vous fondez sur l'article 38 de la Constitution, et non sur l'article 16 en vertu duquel le Président de la République peut être investi de pouvoirs exceptionnels, pour justifier votre recours aux ordonnances.

Françoise Giroud qualifiait le chômage de « marée noire qui recouvre l'herbe verte là où elle a repoussé ». Effectivement, le chômage est un fléau, une pandémie qu'il nous faut endiguer. Aussi, dès son arrivée au pouvoir, la gauche plurielle avait proposé de partager le travail avec succès. Après trois ans au gouvernement, vous comprenez enfin que la lutte contre le chômage est une priorité, sans infléchir pour autant votre politique.

Vous avez même bouleversé notre calendrier. Chaque année, nous siégeons en session extraordinaire. Or, cette année, vous refusez au Parlement de débattre sur un sujet aussi important que l'emploi.

Pour justifier le recours aux ordonnances, vous parlez d'urgence. Quelle urgence ? Les élections de 2007 ?

Bref, pour paraphraser Françoise Giroud, la marée est déjà noire et vous n'aurez pas assez de cent jours pour tout nettoyer ! Certains dans votre majorité ont cru bon de déclarer que le taux de chômage repasserait sous le seuil des 10%, ils doivent le regretter aujourd'hui. Et pourtant, vous poursuivez la même politique : votre credo libéral triomphe. Tout à l'heure, nous avons entendu M. Fourgous et M. Novelli. Ils font fonction d'épouvantails. Avec eux, c'est le libéralisme non masqué et le règne de l'entreprise et de la réussite individuelle.

La confiance est la clé de la croissance. Sans visibilité, les acteurs économiques ne peuvent prendre de décisions. Or, cette confiance se gagne goutte à goutte et vous la perdez par litres. C'est une véritable hémorragie ! La croissance est insuffisante, le chômage augmente, le pouvoir d'achat est en baisse et vous accordez des cadeaux fiscaux à une minorité. Un simple jeu de chaises musicales au Gouvernement ne transformera pas la cacophonie en harmonie.

Messieurs les ministres, vous êtes ici aujourd'hui en service commandé mais les véritables instigateurs de cette politique sont les hommes d'entreprise, par nature peu portés à l'interventionnisme, qui se sont succédé au ministère de l'économie et des finances. La gauche plurielle avait au moins eu l'intelligence de placer des ministres politiques à ce poste essentiel ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Vous avez supprimé les emplois aidés que nous avions mis en place. Pourtant, des élus de votre majorité ne sont pas privés d'avoir recours aux CEC, CES et emplois jeunes dans leur circonscription. De même au sein de l'éducation nationale, vous avez refusé, pour des raisons idéologiques et budgétaires, de créer de nouveaux postes. Pourtant, le départ en retraite des baby-boomers aurait dû mathématiquement créer de l'emploi. Votre politique est lourde de conséquences pour ceux qui se retrouvent aujourd'hui sur le marché du travail. Les jeunes ont su souvent se servir des emplois jeunes comme d'un tremplin. Sans compter que les emplois occupés étaient fort utiles à la collectivité. Nombreuses sont d'ailleurs les collectivités qui se sont substituées à l'Etat pour pérenniser les activités lorsque vous avez décidé de ne pas reconduire les emplois jeunes.

Vous vous êtes également attaqués aux 35 heures, les rognant d'abord insidieusement en relevant par la loi Fillon le plafond légal d'heures supplémentaires, vous dévoilant mieux encore avec la récente proposition de loi visant à réformer le temps de travail dans l'entreprise. Pourtant, comme le confirme l'INSEE, l'application volontariste des 35 heures a bel et bien permis de créer 350 000 emplois entre 1998 et 2002, ce qui, cumulé avec les emplois jeunes, porte à 600 000 le total des créations d'emplois sous le gouvernement Jospin. Ce succès n'est d'ailleurs pas une première pour un gouvernement de gauche. En effet, avant lui, le gouvernement Rocard aussi avait réussi à faire diminuer le nombre de chômeurs. Ce succès dans la lutte contre le chômage explique que la gauche ait été majoritaire lors du premier tour de l'élection présidentielle de 2002 (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) même si le système électoral a pu aboutir, du fait de la dispersion des voix, au résultat que l'on sait - d'ailleurs catastrophique pour le Président de la République candidat qui a recueilli moins de 20% des suffrages, alors même qu'il était quasiment seul candidat dans son camp tandis qu'il y en avait de nombreux à gauche.

Présentées comme contraignantes pour les entreprises, les 35 heures leur ont été en réalité bénéfiques, notamment en matière de productivité - dont les progrès, quoi que vous en disiez, les ont payées pour moitié. Elles ont aussi contribué à relancer le dialogue social. Jamais autant de conventions de branche ni d'accords d'entreprise n'avaient été signés. Sous la contrainte, m'objecterez-vous sans doute, mais j'observe que personne n'a osé remettre directement en question les 35 heures, celles-ci demeurant la durée hebdomadaire légale du travail.

La réduction du temps de travail est incontestablement un outil de politique de l'emploi en période de chômage de masse. Il est donc absurde de prétendre, comme l'a encore fait récemment le ministre d'Etat, ministre des finances du gouvernement Raffarin II, qu'il suffit de travailler plus pour que tous les problèmes soient résolus. A ce type de raisonnement, on comprend qu'il n'ait pas voulu retrouver Bercy !

Défendant la question préalable sur la proposition de loi relative à la réforme du temps de travail dans l'entreprise, je citais l'historien Denis Lefebvre selon lequel le travail n'est pas « un privilège », mais « un droit fondamental à la survie de l'humanité », l'occasion d'un « partage essentiel de nos richesses. » Travailler tous et travailler mieux : telle était la philosophie des 35 heures, choix de société que nous assumons totalement. Alors que nous sommes convaincus, nous, qu'il faut partager le travail, notamment pour enclencher le cercle vertueux d'une consommation soutenant la croissance, vous préférez, vous, permettre à ceux qui ont déjà un emploi de travailler plus.

S'agissant des emplois aidés, constatant ses erreurs, le gouvernement Raffarin, avant même ce plan d'urgence, a bien tenté de réhabiliter les dispositifs supprimés. Mais en vain, car ni les entreprises ni les associations n'avaient plus le moral ! Comment auraient-elles pu croire un gouvernement qui prétendait leur redonner, dans des conditions moins bonnes, ce qu'il venait de leur supprimer ? D'où l'échec patent des CI-RMA et des CIVIS de M. Fillon, dont seulement mille et trois cents ont été respectivement signés !

Votre bilan est sans appel. Voulant à tout prix, par pure idéologie, prendre le contre-pied du gouvernement Jospin, vos gouvernements successifs se sont empêtrés et n'ont pu faire face à la situation économique. Le résultat : 230 000 chômeurs de plus en trois ans, dont 45 000 jeunes, un taux de chômage atteignant 10,2% de la population active, qui place notre pays au 21ème rang sur 25 dans l'Union européenne Alors que dans treize pays de l'Union le chômage reculait en 2004, il augmentait en France de 2,3%. Vos pronostics incessants sur sa baisse imminente sont systématiquement infirmés alors même que par le seul jeu de l'évolution démographique, il devrait refluer. Non contents de ces résultats pitoyables, vous culpabilisez les plus faibles de nos concitoyens, le ministre de l'économie leur expliquant même qu'ils vivaient « au-dessus de leurs moyens », se gardant bien de rappeler que des entreprises pendant ce temps continuaient de bénéficier d'allègements de charges, sans aucune contrepartie exigée en matière de création d'emplois.

Bref, aux deux tiers du quinquennat, 10,2% de chômeurs, plus d'un jeune de moins de 25 ans sur quatre au chômage, 73% d'embauches sous CDD un nombre de érémistes en augmentation de 8,2% l'an passé, une croissance en berne - même si elle n'est pas nulle, contrairement à ce que vous voudriez parfois faire croire pour expliquer vos difficultés à faire reculer le chômage -, une récession industrielle probable : voilà qui n'est guère encourageant ! Et selon le FMI, la croissance française sera dès 2006 inférieure à la moyenne européenne. Depuis trois ans, notre pays voit paradoxalement le chômage augmenter alors même que le PIB croît. Il n'est pas mauvais de vous le rappeler à vous, qui êtes si prompts à nous reprocher d'être de piètres gestionnaires.

Plus grave encore, la croissance est complètement atone, limitée à 0,2% au premier trimestre - l'Allemagne fait cinq fois mieux ! On comprend d'ailleurs mal comment le ministre de l'économie peut maintenir ses prévisions à 2% ou 2,5% et il faut donc s'attendre à de nouvelles déconvenues budgétaires en fin d'année. La demande, tant intérieure qu'extérieure, faiblit. Seule celle de biens d'équipement résiste quelque peu, mais dans tous les autres secteurs, elle est au rouge. Il sera difficile de sortir de ce cercle vicieux.

Pour que notre économie redémarre, il faudrait que nos concitoyens aient le moral. Or, ils l'ont plutôt actuellement dans les chaussettes. Bref, ils n'y croient plus et une spirale dépressive est bel et bien enclenchée, tous les indicateurs sur le moral des ménages en attestent. La première inquiétude de nos concitoyens est le chômage. La première des priorités doit donc par conséquent être l'emploi. Mais pourquoi avez-vous donc tant attendu ? Pourquoi avez-vous démantelé des outils qui avaient fait la preuve de leur efficacité ? Pourquoi n'avez-vous pas écouté les partenaires sociaux qui vous ont alerté sur les dangers de vos choix ? Pourquoi avez-vous persisté dans vos erreurs, empêchant tout retour de la confiance, indispensable à la consolidation de la croissance ?

Au moment où certains souhaiteraient nettoyer la Cité des 4000, je dirai, moi, que c'est votre politique socio-économique qu'il faut passer au karcher ! En effet, le Gouvernement ne résoudra pas les problèmes sociaux récurrents que connaissent de nombreux quartiers si l'opinion ne retrouve pas une certaine confiance dans ses dirigeants, ce qui supposerait que la politique économique de ceux-ci atteigne au moins quelques-uns de ses objectifs. Mais tel n'est pas le cas. Le pouvoir d'achat des Français a en effet beaucoup souffert de cette politique, en particulier celui des plus modestes. L'inflation et la hausse du chômage se conjuguent pour expliquer le tassement des salaires. Les entreprises imposent une austérité salariale qui contraste de façon choquante avec les profits gargantuesques que certaines d'entre elles enregistrent. Mais il est inévitable que, dans un pays qui compte 2,5 millions de chômeurs, le rapport de forces soit défavorable aux salariés. Sans réinventer le marxisme, on peut considérer qu'avec un tel taux de chômage, « l'armée industrielle de réserve » est constituée.

Pour tenter de maintenir leur niveau de vie, les Français ont puisé dans leur épargne. Dans un premier temps, la consommation a ainsi pu soutenir la croissance. Mais il est à craindre que cela ne puisse pas durer. D'où les prévisions pessimistes du FMI pour 2006.

A ce stade, il n'est sans doute pas inutile de rappeler les conclusions d'un audit de la France de 2002, paru dans Les Echos : l'inflation, la croissance, le commerce extérieur, la balance des paiements, tous les indicateurs témoignaient de la bonne santé de l'économie française. « Le gouvernement socialiste laisse la France en bon état », était-il écrit. Quel contraste avec votre triste bilan !

Le plan pour l'emploi est-il de nature à redresser la situation ? Nous ne le pensons pas, car il s'inscrit dans la continuité de la politique menée depuis trois ans, en y ajoutant de nouveaux reculs sociaux en matière de droit du travail. A cet égard, je ne suis d'accord qu'avec une seule phrase du rapport de M. Gaillard, la première, qui dit que l'espérance de vie ne cesse d'augmenter dans notre pays. Au-delà de cette première phrase, je ne suis plus d'accord ! (Sourires)

Première mesure du plan : le CNE et sa longue période d'embauche - puisqu'il ne faut plus dire « d'essai ». L'objet est, nous dit-on, de donner aux très petites entreprises une plus grande souplesse de recrutement. Mais que faut-il entendre par petites entreprises ? Il a d'abord été question de celles qui comptent moins de 10 salariés, puis moins de 20, et l'on sent bien maintenant qu'en votre for intérieur, vous souhaiteriez que toutes les entreprises soient concernées par ce nouveau contrat, qui est en somme l'équivalent, en pire, d'un CDD de deux ans. En pire, car un CDD est tout de même entouré de certaines sécurités jusqu'à l'arrivée du terme prévu, tandis qu'avec cette nouvelle formule, le terme peut arriver n'importe quand ! L'employeur peut rompre la période probatoire à tout moment, sans motif particulier et sans que le salarié puisse s'opposer à cette rupture ni la contester sur le plan de la légalité. C'est un contrat de mise à disposition du salarié.

Vous en attendez des résultats très positifs, mais beaucoup d'économistes ne partagent pas cet optimisme, parmi lesquels un dont l'avis est particulièrement autorisé, puisqu'il vous a inspiré cette mesure - même si maintenant il ne reconnaît pas son bébé. Pierre Cahuc écrit en effet dans la revue Challenges du 23 juin dernier que ce contrat ne correspond pas du tout à la philosophie du système qu'il préconisait. Nous voulions créer, dit-il, un contrat unique pour éviter d'avoir une discontinuité entre CDD et CDI et pour protéger les salariés. Le nouveau contrat, poursuit-il, est plus flexible que les CDD et l'on peut s'interroger sur la qualité de l'accompagnement promis aux chômeurs après les deux ans de période d'essai. Sa conclusion est que l'effet du CNE sur l'emploi sera limité.

Nous craignons surtout que ce contrat ne produise un effet d'aubaine et qu'un nombre croissant d'entreprises, pas forcément petites, ne le préfèrent au CDD. D'ailleurs, Renaud Dutreil parle déjà d'étendre le dispositif à d'autres entreprises que celles visées dans le plan. Il est tout de même curieux d'envisager une telle extension avant même que ce nouveau contrat soit en place ! C'est bien la preuve que ce n'est pas son succès que l'on veut étendre, mais bien les facilités qu'il offre aux employeurs.

Il s'inspire, nous dit-on, du fameux système danois de « flexsécurité ». Les économistes, comme d'ailleurs les syndicalistes - François Chérèque par exemple -, ne sont pas opposés à l'idée de stimuler la création d'emplois dans les petites entreprises. On sait qu'1,5 million d'entreprises françaises ne comptent qu'un salarié et il y a donc là un important gisement d'emplois. Pour autant, les garanties apportées aux salariés doivent être suffisantes. Ce n'est pas la création d'emplois que l'on condamne, mais la précarité du contrat que vous mettez en place, la flexibilité qu'il produira et ce modèle danois extra light qui n'est pas à la hauteur des enjeux.

Ne vous en déplaise, et Gaétan Gorce l'a rappelé, ce qui menace la compétitivité des entreprises, ce ne sont ni les charges ni la lourdeur du code du travail, mais la mondialisation, à laquelle les entreprises sont insuffisamment préparées, faute d'investissements en matière de recherche et d'innovation. Ne faisons donc pas du code du travail un épouvantail !

Le Gouvernement prône systématiquement des allégements et la dérégulation, alors que les entreprises ont avant tout besoin de salariés formés et impliqués dans la réussite de leur société. Nombre de chômeurs, nous le savons tous, ne trouvent pas d'emploi, et nombre d'entreprises qui sont à la recherche de gens formés n'en trouvent pas. C'est bien la preuve qu'il faut d'abord travailler à la mise en concordance de l'offre et de la demande plutôt que d'inventer de nouveaux contrats de travail.

La croissance et le développement économique exigent la confiance, tout le contraire de la dérégulation qu'instaure votre nouveau contrat ! Quant au chèque emploi dans les très petites entreprises, la simplification indispensable des démarches administratives ne saurait se faire au détriment des droits des salariés. Les conditions de travail s'en ressentiront ! Avec ce dispositif, c'est tout simplement l'obligation d'établir un contrat de travail qui va disparaître ! Or vous oubliez qu'un tel document contractuel est la condition d'une bonne relation entre le salarié et son entreprise ! Le moins que l'on puisse exiger, c'est de connaître sa rémunération, son temps de travail, la durée de son contrat et la convention appliquée.

S'agissant des seuils sociaux dans les très petites entreprises, vous prévoyez de gommer les effets du seuil de dix salariés au-delà duquel une entreprise voit ses charges s'alourdir. Les allégements de charge, on le sait, n'ont jamais fait la preuve de leur efficacité à créer des emplois, car ils sont décidés sans contreparties, contrairement aux 35 heures. Or, votre dispositif prévoit que l'Etat prenne en charge des cotisations supplémentaires pour l'embauche du dixième salarié et des suivants - soit 160 millions d'euros au seul titre du 1% logement et 420 au titre des indemnités de transport. Il appartiendra donc une nouvelle fois à la collectivité de prendre en charge le coût de ces allégements, sans aucune certitude de résultat !

Par ailleurs, vous entendez ne pas prendre en compte l'embauche des salariés de moins de 25 ans dans le calcul de seuils sociaux. Là encore, vous oubliez que les entreprises de plus de 10 salariés doivent organiser l'élection des délégués du personnel et celles de plus de 50 les élections du comité d'entreprise et la mise en place du CHSCT, de même que la désignation de délégués syndicaux. Cette mesure conduira donc à un véritable recul social ; les salariés de moins de 25 ans serviront d'alibi à certains employeurs désireux d'échapper à leurs obligations. Tout cela constitue une discrimination au regard du droit du travail, et est contraire aux règles édictées par le BIT. Les 90% de salariés de moins de 25 ans qui travaillent dans la restauration rapide seront directement concernés et ne bénéficieront plus de règles protectrices ! Vous ne cessez de mettre en avant la négociation avec les partenaires sociaux et le dialogue social dans l'entreprise mais, dans le même temps, vous mettez en place un système qui limitera la représentation des personnels. Tout cela n'est pas cohérent et nuira au fonctionnement de l'entreprise ! Il s'agit là d'un décalage de plus entre vos paroles et vos actes !

Que dire également des mesures incitatives pour les demandeurs d'emploi et les jeunes de moins de 25 ans ? De véritables gadgets ! Vous vous préparez à verser une prime de 1 000 euros à tout chômeur inscrit depuis plus d'un an et bénéficiant d'un minima social qui reprendra un emploi, comme s'il suffisait d'offrir des avantages financiers pour que les chômeurs de longue durée reprennent un travail. Quant au crédit d'impôt de 1 000 euros pour les jeunes de moins de 25 ans qui prennent un emploi dans un secteur connaissant des difficultés de recrutement, qu'est-ce d'autre qu'une mesurette, qui témoigne d'un déni total des causes profondes du chômage ? Du reste, sur quels critères décider qu'il y a des difficultés de recrutement ?

Tout n'est cependant pas négatif, et votre projet comprend quelques mesures intéressantes, bien que marginales. Le système visant à adapter en métropole le dispositif d'insertion professionnelle sur le modèle du service militaire adapté fonctionnant en outre-mer pourra répondre aux besoins des jeunes en très grande difficulté, sortis du système scolaire sans diplôme et sans qualification. La suppression des limites d'âge pour les concours de la fonction publique permettra une formation et une progression sociale tout au long de la vie, à condition qu'il soit assorti de mesures visant à favoriser le passage des concours par les agents relevant de contrats de droit public et privé. Quant au mode de recrutement permettant aux jeunes de 16 à 25 ans, sortis du système éducatif sans diplôme ou ayant des difficultés d'insertion professionnelle, de bénéficier d'une formation en alternance rémunérée et d'intégrer la fonction publique par voie d'examen professionnel, je n'en méconnais pas non plus l'intérêt. Quelle sera leur rémunération, cependant ? Et la mesure est-elle cohérente avec votre objectif de réduire le nombre des fonctionnaires ? Enfin, sera-t-elle adaptée au cas des jeunes des zones urbaines sensibles ?

J'en viens au plan Borloo et à la montée en puissance des contrats d'avenir. Le renforcement du plan de cohésion sociale évoqué par le Premier ministre dans son discours de politique générale vise à dégonfler les chiffres du chômage en favorisant les emplois à la personne et en multipliant les contrats aidés. Mais ce plan, c'est l'Arlésienne ! Va-t-on sauver le soldat Borloo ?

Quoi qu'il en soit, c'est sans doute par le biais des contrats aidés que vous parviendrez à créer quelques emplois, en jouant sur les taux de prise en charge. En revanche, s'agissant du contrat d'avenir, le bilan est à ce point dérisoire que je croyais avoir été mal informé : à peine mille contrats effectivement validés, cependant que l'ensemble des prévisions est revu à la baisse, le nombre de contrats budgétés pour l'année étant passé de 250 000 à 180 000. A l'évidence, ce n'est pas ainsi que l'on comblera l'abîme du chômage ! Et je souhaite sans ironie que le contrat d'avenir ne connaisse pas le même sort que le RMA ou le CIVIS, ce dernier étant aujourd'hui bel et bien abandonné.

Alors, vous nous reprocherez sans doute de répéter inlassablement le même credo. Effectivement, nous continuons de penser - et nombre d'analystes reconnus avec nous - que le système des emplois jeunes, que vous avez cru bon de supprimer, était à tous égards plus pertinent que le dispositif que vous souhaitez instaurer. Redécouvrant sur le tard les vertus des contrats aidés, vous allez augmenter les participations de l'Etat dans des proportions notables sans aucune assurance quant à l'efficacité de votre démarche. A l'évidence, vous mesurez mal le climat de défiance que, d'incantations vaines en promesses non tenues, vous avez installé dans le pays. Nous en avons débattu cet après-midi même lors des questions au Gouvernement : alors que les crédits de la politique de la ville subissent des amputations sans précédent, comment pouvez-vous espérer que les associations et autres employeurs potentiels de personnes en contrat aidé continueront de vous faire confiance ? C'est là que le bât blesse : la confiance s'est évanouie et vous n'êtes plus en mesure de la rétablir.

Vous souhaitez donner plus de souplesse aux entreprises ; nous craignons que cela se fasse au détriment des salariés. Au final, le catalogue de mesures de dernière chance à caractère électoraliste que vous tentez de nous vendre ne permettra pas de gagner la bataille de l'emploi. L'heure n'est plus aux effets d'annonce ou à la politique d'affichage. Il aurait fallu multiplier les programmes audacieux et les cinq ans dont vous disposiez n'auraient pas été de trop : vous en avez déjà perdu trois et votre plan d'action pour les deux qui viennent nous semble cruellement insuffisant. Comment pouvez-vous faire l'impasse sur la politique industrielle, sur le soutien à la recherche et à l'innovation ou sur la commande publique ? Créer des emplois dans l'hôtellerie et dans la restauration, c'est bien, mais ce n'est pas ainsi que l'on remettra le pays en marche.

Alors, que faire ? Nous ne pensons pas que le chômage se combatte à coups de mesurettes mettant en cause le droit du travail ! Notre pays a besoin d'un plan de développement économique durable, visant au partage et à la redistribution des richesses disponibles, aujourd'hui concentrées dans les mains d'une minorité restreinte. Cette logique eût dû vous conduire à renoncer aux baisses d'impôts au profit des plus riches avant d'y être contraints par la pression des événements et par votre incapacité à boucler vos budgets ! Ce n'est pas en baissant les tranches supérieures de l'impôt sur le revenu ou de l'ISF que l'on relance la consommation populaire, seul soutien valable de la croissance à moyen terme.

Comme vous sans doute, nous sommes attentifs aux exemples étrangers, et, en particulier, au fameux « flex-sec » danois, dont les performances sont incontestables : un taux de chômage ramené à 7,4% de la population active, un taux d'activité de 75% - à peine 63% chez nous - et une durée moyenne de retour à l'emploi limitée à un gros trimestre... Gardons-nous cependant de réduire le modèle danois à sa composante « souplesse » - certains préférant parler de flexibilité... La confiance qu'inspire - et que traduit - le dispositif vient aussi des éléments de sécurisation qu'il comporte et que le corps social a largement intégrés : un système d'assurance chômage éminemment solidaire procurant des taux d'indemnisation records, des programmes de réinsertion extrêmement efficaces et un modèle de formation tout au long de la vie dont chacun gagnerait à s'inspirer. Le « flex-sec » est un « mix » gagnant-gagnant qu'il est abusif de réduire à l'assouplissement des procédures de licenciement.

La maturité sociale dont témoigne le modèle danois a été acquise par des décennies de négociations avec les syndicats, dans un esprit de compromis et de responsabilité. Or que fait le Gouvernement ? Refusant de négocier, il s'en tient à quelques « échanges » ou à des « contacts » avec les partenaires sociaux. Pis, il refuse aujourd'hui le débat parlementaire et passe en force sur les points majeurs.

En Finlande aussi, les résultats sur le front de l'emploi sont spectaculaires - en quelques années, le taux de chômage a été ramené de 16,3% à 8,6% de la population active -, et ils reposent sur un cocktail vertueux de solutions plurielles. A l'exemple de la célèbre société Nokia - où ont été formés nombre de techniciens de France Télécom -, c'est par un savant dosage de mesures innovantes qu'un tel bilan est dégagé : soutien à la recherche-développement, regroupement et territorialisation du service public de l'emploi, création d'une agence dédiée aux demandeurs d'emploi de longue durée, etc.

J'en reviens à la situation française, hélas moins brillante : chacun sait que la consommation ne peut repartir sans une amélioration du pouvoir d'achat des salaires modestes que le chômage tend à faire stagner. Créant une réserve de main-d'œuvre disponible toujours supérieure à la demande, le maintien d'un taux de chômage excessif fait diminuer la part des salaires dans la valeur ajoutée et place les organisations représentatives des salariés en position toujours défavorable dans la négociation salariale. En vingt ans, la part des salaires dans le PIB a diminué de 9%, les 130 milliards d'euros correspondants - soit deux fois le budget de l'éducation nationale et cinquante fois celui du CNRS - allant directement rémunérer le capital alors qu'ils pourraient bénéficier aux salaires et à la consommation.

La stagnation des bas salaires doit d'autant plus nous préoccuper que le phénomène des travailleurs pauvres tend à se diffuser dans notre pays. Ceux-ci, de plus en plus nombreux, n'attendent, croyez-le bien, aucun miracle. Ils ont besoin d'un coup de pouce pour reprendre leur place dans le processus créatif, grâce - entre autres possibilités - à un abondement de la prime pour l'emploi, auquel M. Raffarin a malencontreusement renoncé en 2003.

Nos positions ne procèdent d'aucun préjugé idéologique. Elles nous sont dictées par la réalité sociale telle que chacun peut la percevoir, et telle que la traduit remarquablement le président d'Emmaüs France, M. Martin Hirsch, dans son manifeste pour une nouvelle équation sociale. Parmi ses quinze propositions tendant à prévenir la généralisation des travailleurs pauvres figure la création - à laquelle nous sommes favorables - du revenu de solidarité active. Il n'est en effet pas acceptable que le retour vers l'activité d'un érémiste puisse se traduire par une perte de revenu. Il est impératif de refermer toutes les trappes à pauvreté qui conduisent à des arbitrages défavorables entre assistance et travail. Aider les titulaires de minima sociaux à revenir vers l'emploi dans des conditions acceptables, c'est bon pour l'emploi comme pour la consommation.

Pour M. Saint-Paul, professeur d'économie à l'université de Toulouse, ce revenu de solidarité active s'inscrit dans la même philosophie que la prime pour l'emploi en atténuant les effets de la trappe à pauvreté.

L'urgence de votre plan ne doit pas non plus faire oublier les indispensables réformes structurelles. J'ai évoqué la politique industrielle ; je souhaite dire un mot des efforts nécessaires dans le domaine de la recherche et de l'innovation, parents pauvres de votre politique - les chercheurs vous l'ont maintes fois rappelé. Les investissements dans ce domaine doivent nécessairement être accrus, éventuellement grâce à un traitement fiscal spécifique. Plus généralement, il faut une franche relance de la consommation. L'échec du tout-libéral appelle une politique volontariste d'inspiration keynésienne. Plus que jamais l'Etat doit contenir les excès du capitalisme ; il faut avant tout favoriser l'investissement créateur d'emplois et la croissance.

Pour cela il faut consacrer au traitement du chômage une part plus importante du PIB. Ici encore, la comparaison avec certains Etats voisins n'est pas à notre avantage. Les pays qui allient souplesse et sécurité accordent des moyens bien plus importants que nous à leur service public de l'emploi, à l'aide à la réinsertion et à l'accompagnement individualisé des chômeurs : 1,6% du PIB au Danemark et 1,4% en Suède contre moins de 1% en France. Il n'y a pas de secret ! C'est en mettant plus de monde au travail que l'on redonne confiance aux acteurs économiques, qui par leur consommation et leurs investissements soutiennent la croissance. A court terme, il faudrait également - je le dis avec gravité - que vous cessiez de voter des budgets en trompe-l'œil ; le gel des crédits du ministère de l'emploi ces dernières années n'a pas été un atout pour nos concitoyens. Pour les socialistes, l'emploi a toujours été une priorité absolue.

M. le Rapporteur - Pour nous aussi !

M. Michel Liebgott - Nous sommes conscients que satisfaire cette obligation aura un coût. C'est sans doute ce qui nous différencie. Vous en faites une priorité, mais vous ne mettez pas les moyens, ce qui exigerait d'abandonner votre credo libéral pour relancer la consommation et permettre aux plus défavorisés de consommer à nouveau. Peut-être allez-vous me rétorquer, comme l'a fait Thierry Breton, que la France vit au-dessus de ses moyens. Voilà une formule lourde de conséquences pour un ancien patron du CAC 40. Sait-il d'ailleurs ce que veut dire vivre au-dessus de ses moyens ? Je vous rassure : je ne redonnerai pas, car nous l'avons fait à l'occasion du projet de loi visant à réformer les 35 heures, les chiffres concernant certains revenus, quelques stock-options, et leur évolution comparée à l'inflation. Vous trouveriez cela un peu lourd peut-être : c'est pourtant ce qui intéresse les Français, et ce qu'eux trouvent lourd, ce sont les charges qui pèsent aujourd'hui sur eux ; ils trouveraient opportun que vous les allégiez. Nous en sommes sans doute loin, et vous êtes plutôt disposés à rester complices, peut-être sans le vouloir, de ces « golden parachutes », tel celui de l'ancien patron du groupe Carrefour.

Sommes-nous déjà dans une société à deux vitesses ? Oui, à l'évidence, et François Hollande l'a dit avec pertinence (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) - comme d'ailleurs tous les dirigeants de notre parti : ne cherchez pas de contradictions là où il n'y en a pas - : « la France est aujourd'hui dans un état de défiance ». Cette crise est profonde, et nous l'avons vu avec le scrutin du 29 mai. Les gouvernements auxquels vous avez participé portent une grande responsabilité dans cette situation. Je ne vise pas spécialement ce gouvernement-ci, résultat d'un jeu de chaises musicales : avant lui, Jacques Chirac avait voulu résorber ce que Marcel Gauchet avait théorisé sous le nom de « fracture sociale » et M. Raffarin avait annoncé qu'il s'occuperait de la « France d'en bas ». Nous en sommes à peu près revenus aujourd'hui à cette problématique ; le seul constat qui s'impose est que la fracture sociale est toujours là, et plus que jamais.

Le message des urnes à l'occasion du référendum sur le traité constitutionnel a été clair et sans équivoque ; il témoigne incontestablement d'une rupture entre plusieurs France. Pourtant vous vous entêtez dans des mesures « libéralisantes » en matière d'emploi. Comme l'écrivait Claude Weill dans le Nouvel Observateur, la géographie électorale de ce scrutin confirme un brouillage des repères : « la carte du non est le calque de la France du chômage, du RMI, des bas salaires, de la crise agricole et de la désertification des campagnes ». Et l'ampleur du « non » montre celle du problème que vous avez à résoudre.

M. le Rapporteur - Que nous avons à résoudre !

M. Michel Liebgott - La France a besoin d'un sursaut, mais sans doute pas celui que propose Michel Camdessus - dont le rapport semble être le livre de chevet de M. le ministre d'Etat, si j'entends bien certaines de ses déclarations... Là ne sont pas les solutions à la crise que nous connaissons. Les « cent jours » du Premier ministre - maintenant quatre-vingts - ne suffiront pas pour redonner confiance au pays.

Pourquoi le renvoi en commission est-il une nécessité absolue ? D'abord parce que certains, dans votre majorité, ne jugent pas cette loi d'habilitation particulièrement opportune. Je ne parle même pas de l'UDF, mais de M. Goasguen qui disait : « A la rentrée prochaine les députés UMP feront sérieusement le bilan des cent jours du Gouvernement ». Attention, les Cent jours se sont achevés à Waterloo ...

Le renvoi en commission est également justifié par un texte empreint d'improvisation, d'hésitations, marqué par des zones d'ombres et des considérations floues et comme tel ne saurait répondre au message émis par les Français. On constate d'ailleurs qu'au fil des jours vous ajoutez des précisions à un texte qui pour autant ne semble toujours pas abouti à vos propres yeux. D'où notre inquiétude ; et c'est avec raison qu'en commission Jean Le Garrec estimait que le Parlement aurait pu siéger quelques jours de plus pour examiner ce projet selon la procédure normale, d'autant que le calendrier s'est allégé en raison des différents reculs du nouveau gouvernement.

Le recours à l'ordonnance ne paraît pas du tout en phase avec les attentes des Français. Ceux-ci veulent un travail de fond, et un examen approfondi de dispositions qui engagent leur avenir. Je note d'ailleurs au passage que notre commission n'a pas bénéficié des meilleures conditions pour accomplir son travail. Ce plan, comme beaucoup d'autres adoptés selon des procédures normales, sera sans doute de peu d'effet. Rien ne sert de courir, mieux vaut arriver à point. Nous craignons que vous ne prolongiez simplement la politique libérale qui inspire ce gouvernement, et qui sans doute fournira sa substantifique moelle à votre candidat pour l'élection présidentielle - ce qui, je l'espère, convaincra les Français de ne pas vous suivre, comme nous ne vous suivrons pas sur ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Ministre - Nous avons été impressionnés par le talent oratoire de M. Liebgott, mais au regard de l'ensemble du débat son propos ne nous semble pas appeler de remarques supplémentaires.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Je souhaite m'élever contre cette motion de renvoi. La commission a consacré trois réunions à ce texte. Elle a mené un réel travail d'étude et d'échanges autour des questions qu'il soulève. Elle a examiné quatre-vingt-dix amendements et en a adopté cinq, qui viennent préciser la portée de l'habilitation. Certaines interrogations ont pu être soulevées, et je remercie les membres de la commission, ainsi que son rapporteur qui a fait un excellent travail. J'éprouve cependant un regret sincère : en l'absence de tout député de l'opposition lorsque nous avons examiné les amendements, les échanges à leur sujet ont de fait été réduits.

M. Gaëtan Gorce - Nos conditions de travail n'étaient pas acceptables.

M. le président de la commission - M. Le Garrec n'a fait que passer et dire trois mots. Il me semble paradoxal de s'indigner du recours aux ordonnances et de ne pas participer aux travaux de la commission, puis de demander un renvoi en commission... C'est en commission que pouvaient être posées les questions qui permettent par la suite de bien établir les intentions du législateur et le contenu de la lettre de mission adressée au Gouvernement.

Deux mots sur votre propos, Monsieur Liebgott. Tout d'abord vous avez évoqué le vote du 29 mai, et la défiance qu'il traduirait envers le Gouvernement. Mais cette défiance ne s'adresse-t-elle pas aussi et en premier lieu au parti socialiste ? Voyez les sondages. D'autre part votre intervention traduit une incapacité à faire des propositions innovantes en matière d'emploi. Vous vous en tenez à des postures classiques, et à l'ambiguïté d'un discours qui essaie en vain de montrer que vous auriez pris la mesure de l'évolution économique. Je le dis sincèrement : nous sommes ici un certain nombre à être inspirés par la dimension sociale du gaullisme (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). Il y a soixante ans, Charles de Gaulle, Pierre Laroque, ministre du travail et de la sécurité sociale, Georges Buisson, rapporteur du projet, avaient lancé ce modèle, notre modèle, qui précisait clairement que la solidarité devait s'appuyer sur le développement économique, c'est-à-dire sur les entreprises, notamment les PME. C'est bien ce qu'ont dit le Premier ministre, M. Borloo et M. Larcher.

Par ailleurs, je comprends mal votre analyse du système danois, car on ne peut comparer notre histoire et notre culture à celles d'autres pays, surtout lorsque les conditions démographiques y sont différentes. Votre discours était incohérent car vous ne tenez pas compte de l'équilibre, difficile mais nécessaire entre développement économique et solidarité. Et nous, gaullistes, n'avons pas de leçon à recevoir.

M. Mansour Kamardine - Très bien.

M. le Président de la commission - Enfin, vous avez été bien seul pendant une heure. Mais la discussion qui s'ouvre permettra, j'en suis persuadé, la poursuite du dialogue. Il est donc tout à fait inutile de reprendre les travaux en commission et d'adopter cette motion (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme la Présidente - Nous en venons aux explications de vote.

M. Richard Mallié - Au terme de cette litanie, ressort toujours le même constat : celui de votre incapacité à tenir compte des réalités politiques et sociales. Votre bilan, quel est-il ? Les 35 heures, c'est-à-dire plus de loisirs et le partage du travail, disiez-vous. Plus de loisirs peut-être, mais avec un pouvoir d'achat en baisse, les gens n'ont pas pu en profiter. Celles qui en ont profité, ce sont les grandes entreprises qui ont bloqué les salaires, utilisé les heures supplémentaires et la flexibilité, tout en prenant les aides de l'Etat.

Nous, nous avons harmonisé par le haut les six SMIC que vous avez laissés : le 1er juillet, l'écart de 11% entre les extrêmes disparaîtra. Vous pratiquiez l'assistance, nous incitons les gens au travail, avec la prime de 1 000 euros.

M. Alain Vidalies - Trois ans pour cela !

M. Richard Mallié - Quant au contrat nouvelle embauche, il est à durée indéterminée.

Mme Martine Billard - Vous n'avez pas compris !

M. Maxime Gremetz - En voilà une nouvelle !

M. Richard Mallié - Certes, pendant les deux premières années, on peut y mettre fin de part et d'autre...

M. Alain Vidalies - Mais ce n'est rien !

M. Richard Mallié - ...mais quand un petit entrepreneur aura créé un emploi et que les choses marchent bien, pourquoi ne garderait-il pas le salarié ? (Rires sur les bancs du groupe socialiste) Vous êtes des idéologues, nous des pragmatiques. Dans quelques années, faisons une évaluation. Le groupe UMP s'opposera à la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Gaëtan Gorce - Il va de soi que le groupe socialiste votera la motion défendue avec talent et efficacité par M. Liebgott. Mais pour qu'un président de commission avance comme argument que les députés d'opposition n'ont pas siégé, c'est sans doute qu'il n'en a pas d'autre pour défendre un tel texte. Le conseil des ministres a adopté le projet le mercredi matin, et la limite de dépôt des amendements était le soir à 18 heures. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Richard Mallié - Parlons-en, de vos amendements !

M. Gaëtan Gorce - Nous avons eu six heures pour préparer des amendements sur cette mesure phare qui donne délégation au Gouvernement pour remettre en cause une partie du code du travail !

Depuis que vous êtes président de la commission, vous avez accepté de faire discuter de six lois en urgence. C'est une méthode de travail scandaleuse, indécente...

M. le Président de la commission - Je ne peux pas accepter cela !

M. Gaëtan Gorce - Et nous vous rappellerons à l'ordre chaque fois que le Parlement sera abaissé.

Quant au représentant de l'UMP, il préfère revenir sur le bilan d'un gouvernement qui a créé deux millions d'emplois et fait baisser le chômage...

M. Richard Mallié - Dans des conditions différentes !

M. Gaëtan Gorce - ...plutôt que sur celui du gouvernement qu'il soutient.

Le contrat « nouvelle embauche », dans lequel il voit un CDI, est surtout un contrat à garantie indéterminée puisque pendant deux ans, on peut licencier un salarié sans motif...

M. Maxime Gremetz - Quand on veut.

M. Gaëtan Gorce - ...alors qu'il y faut normalement une cause réelle et sérieuse. Vous mettez en place le licenciement arbitraire. C'est un scandale juridique et social ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Les Français en ont assez que vous vous moquiez de leur vote et que votre seule réponse soit d'accroître encore la flexibilité et la précarité. Vous paierez le prix fort en 2007, car votre politique est indécente alors que le pays souffre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Claude Leteurtre - Le lyrisme de M. Gorse a réveillé l'hémicycle, après une heure et demie d'un exposé certes méritant, mais qui a surtout accumulé tous les poncifs (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Alain Vidalies - Vous, on ne vous a pas beaucoup entendus !

M. Claude Leteurtre - Mais en quoi M. Liebgott a-t-il justifié un renvoi en commission ? Que propose-t-il de nouveau ? Moi qui suis un élu local, je connais la réalité...

M. Maxime Gremetz - Pas la même que nous !

M. Claude Leteurtre - Peut-être, mais je rencontre régulièrement des gens au chômage. J'avais mis en place une solution de reprise après la fermeture d'une usine Moulinex, et elle se heurte à un recours du comité central d'entreprise. Il faut donc faire évoluer les choses (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Mais vous discutez du sexe des anges alors que Byzance brûle !

M. le Président de la commission - Bravo !

M. Claude Leteurtre - Qu'on utilise les ordonnances ou un autre moyen, les Français s'en moquent. En tant que parlementaire UDF, la méthode ne me fait pas plaisir. Mais le Gouvernement sera jugé sur les actes. Evitons ce genre de procédure inutile. L'UDF ne votera pas le renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme la Présidente - La parole est à M. Gremetz (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Maxime Gremetz - Il conviendrait de respecter un peu mieux la dignité de l'Assemblée !

Je suis triste pour mon pays. Partout, j'entends dire : « Nous vivons une fin de règne. Nous avons voté non, le Gouvernement a dit qu'il allait nous écouter ».

Plusieurs députés UMP - Le PCF est pessimiste !

M. Maxime Gremetz - C'est l'habitude à l'Assemblée qu'une majorité écrasante se taise - j'ai connu la période des « godillots » du Général dans les années 1960 ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP) Cependant, en privé, les langues se délient davantage et il est clair que personne ne croit à ce plan d'urgence pour l'emploi car il ne comporte aucune disposition nouvelle. La seule nouveauté, c'est l'opiniâtreté avec laquelle le Gouvernement poursuit en l'aggravant une politique que la majorité des Français ont rejetée à plusieurs occasions.

Monsieur le ministre, vous aimez vanter les vertus du dialogue social et de l'écoute. Si vous écoutiez vraiment, vous renverriez ce texte en commission. Mieux, vous le retireriez. Après le 29 mai, vous devriez être un peu plus modeste, un peu moins arrogant. La CFTC, FO, la CGT et la CFDT condamnent ce texte. Avec qui donc dialoguez-vous ? Ce contrat « nouvelle embauche », comme l'analyse M. Voisin, est une régression sociale sans précédent, une grave remise en cause du code du travail. Des millions de personnes vont en pâtir !

Mme la Présidente - Monsieur Gremetz, finissez votre intervention !

M. Maxime Gremetz - Madame la présidente, vous étiez en retard, je vous ai attendue un quart d'heure. Vous pouvez me laisser poursuivre trente secondes !

Mme la Présidente - Votre comportement est inacceptable ! Vous avez dépassé votre temps de parole.

M. Maxime Gremetz - Si ce contrat « nouvelle embauche » est adopté, attendez-vous à une rentrée mouvementée ! Nous voterons la motion de renvoi en commission.

Mme la Présidente - Monsieur Gremetz, je tiens à vous préciser que je n'étais pas en retard. Vous connaissez, comme moi, le fonctionnement de la présidence.

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu, ce matin, à 9 h 30

La séance est levée à 0 heure 20.

              Le Directeur du service
              des comptes rendus analytiques,

              François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU JEUDI 30 JUIN 2005

NEUF HEURES TRENTE : 1re SÉANCE PUBLIQUE

    Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 2403) habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi.

    Rapport (n° 2412) de M. Claude GAILLARD, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

QUINZE HEURES : 2e SÉANCE PUBLIQUE

    1. Projet de loi (n° 2120) autorisant l'approbation de la convention européenne sur la protection juridique des services à accès conditionnel et des services d'accès conditionnel.

    Rapport (n° 2410) de M. Jean-Marc NESME, au nom de la commission des affaires étrangères.

    (Procédure d'examen simplifiée : art. 107 du Règlement).

    2. Projet de loi, adopté par le Sénat (n° 2178), autorisant l'approbation de l'amendement à l'accord portant création de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, signé à Paris le 29 mai 1990, en vue d'admettre la Mongolie comme pays d'opérations, adopté à Londres le 30 janvier 2004.

    Rapport (n° 2409) de Mme Chantal ROBIN-RODRIGO, au nom de la commission des affaires étrangères.

    (Procédure d'examen simplifiée : art. 107 du Règlement).

    3. Projet de loi, adopté par le Sénat (n° 2336), autorisant l'adhésion à l'accord sur la conservation des petits cétacés de la mer Baltique, de l'Atlantique du nord-est et des mers d'Irlande et du Nord (ensemble une annexe).

    Rapport (n° 2411) de M. Guy LENGAGNE, au nom de la commission des affaires étrangères.

    (Procédure d'examen simplifiée : art. 107 du Règlement).

    4. Projet de loi, adopté par le Sénat (n° 2059), autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Estonie relatif au statut et au fonctionnement des centres culturels.

    Rapport (n° 2419) de M. Bruno BOURG-BROC, au nom de la commission des affaires étrangères.

    (Procédure d'examen simplifiée : art. 107 du Règlement).

    5. Projet de loi, adopté par le Sénat (n° 2414), autorisant la ratification de la convention des Nations unies contre la corruption.

    Rapport (n° 2417) de Mme Geneviève COLOT, au nom de la commission des affaires étrangères.

    (Procédure d'examen simplifiée : art. 107 du Règlement).

    6. Projet de loi, adopté par le Sénat (n° 2176), autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et la Bosnie-Herzégovine sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements.

    Rapport (n° 2416) de M. René ANDRÉ, au nom de la commission des affaires étrangères.

    (Procédure d'examen simplifiée : art. 107 du Règlement).

    7. Projet de loi, adopté par le Sénat (n° 2180), autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre dans le domaine de l'enseignement.

    Rapport (n° 2418) de M. Henri SICRE, au nom de la commission des affaires étrangères.

    (Procédure d'examen simplifiée : art. 107 du Règlement).

    8. Projet de loi, adopté par le Sénat (n° 2337), autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Bahreïn sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements.

    Rapport (n° 2420) de M. Jean-Claude GUIBAL, au nom de la commission des affaires étrangères.

    (Procédure d'examen simplifiée : art. 107 du Règlement).

    9. Suite de l'ordre du jour de la première séance.

ÉVENTUELLEMENT, VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 3e SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.


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