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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

1ère séance du vendredi 8 septembre 2006

Séance de 9 heures 30
2ème jour de séance, 4ème séance

Présidence de M. Maurice Leroy
Vice-Président

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La séance est ouverte à neuf heures trente.

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Énergie (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif au secteur de l’énergie.

M. Christian Bataille - La question de l’énergie a longtemps été considérée comme une affaire de spécialistes et, aujourd’hui encore, elle est perçue comme un problème subsidiaire. On ne voudrait retenir que son incidence sur l’environnement. Si cet aspect est de première importance, l’énergie n’en reste pas moins avant tout une dépense primordiale dans le budget des ménages, et elle alimente les inquiétudes sur l’avenir et sur nos approvisionnements. La privatisation de GDF et sa fusion avec Suez remettront en cause les principes fondamentaux d’organisation économique qui ont fait la preuve de leur efficacité dans notre pays, alors que les défis émergents justifient le maintien et même l’accroissement de l’intervention publique. Il faut au contraire enrayer ce processus de privatisation, dont la prochaine étape sera à l’évidence celle d’EDF, fantasme absolu de la droite.

Non seulement le présent projet de loi va démanteler GDF, mais de plus la collectivité nationale, les pouvoirs publics, le Parlement seront dépouillés d’un instrument essentiel de politique économique. Totalement inopportune et contraire aux exigences de l’heure, cette décision représente une menace pour les citoyens et les entreprises.

Le paysage énergétique mondial appelle des politiques publiques fortes. Les tensions sur les approvisionnements sont marquées par l’interdépendance de toutes les formes d’énergie. La demande est en constante augmentation, modérément dans les pays de l’OCDE, de façon explosive dans les pays émergents.

Le prix du pétrole a fait un bond de 40 % en 2005, tendant vers les records atteints lors du second choc pétrolier. L’insuffisance de la production et du raffinage ainsi que la spéculation représentent des menaces géopolitiques qui échappent à l’autorité des États.

Le charbon est l’énergie dont la consommation croît le plus dans le monde. Dans de nombreux pays, il se substitue au fuel pour la production d’électricité. Les prix sont également en augmentation. Un tel constat ne va pas dans le sens de la lutte contre l’effet de serre ; la volonté politique, telle qu’exprimée dans le protocole de Kyoto, s’efface devant le poids du marché.

Le gaz naturel, surtout demandé aujourd’hui par la Chine et l’Inde, est de plus en plus sollicité dans la production d’électricité, son transport étant facilité par les technologies de gaz naturel liquéfié. Son prix est lui aussi à la hausse.

Ces tendances négatives justifient que les pouvoirs publics préservent le contrôle qu’ils exercent sur un marché aussi erratique. Contrairement à ce que d’aucuns prétendent, la dérégulation ne représente pas l’alpha et l’oméga des grands pays : aux États-Unis, seuls quatre États ont ouvert le marché de l’énergie à la concurrence ; les autres ont retardé, suspendu ou abandonné le processus. L’objectif d’uniformisation des prix dans l’Union européenne est sans équivalent dans le monde ; c’est un objectif bureaucratique, défavorable aux consommateurs français du fait de notre avantage concurrentiel dans le domaine de l’électricité lié à notre parc nucléaire.

Dans les faits, l’éligibilité des consommateurs domestiques à la concurrence n’a représenté aucun progrès. L’autorité fédérale américaine de régulation constate dans son rapport de juin 2006 que l’ouverture du marché de l’électricité pour les ménages dans sept États n’a accru ni l’offre de distribution, ni la gamme de services, et que les prix ont augmenté. Un bilan de la déréglementation du secteur dans l’Union européenne s’imposerait pour éclairer le débat.

Les entreprises publiques sont à la base de la compétitivité industrielle et du niveau de vie. L’énergie n’est pas un produit ordinaire. De même que le pain avait acquis une valeur symbolique aux XVIIIe et XIXe siècles, l’électricité et le gaz sont aujourd’hui des produits de première nécessité. Ces ressources conditionnent la compétitivité industrielle et permettent que nos produits soient concurrentiels. Avec l’effacement de l’État, les dépenses domestiques en matière énergétique seront en outre accrues.

Des investissements considérables seront nécessaires dans les années à venir, pour les réseaux de distribution, les centrales nucléaires, la recherche. Ceci suppose une volonté publique allant au-delà du seul souci de la rémunération de l’actionnaire. Or de tels investissements sont hors de portée d’un secteur privé myope. Le libéralisme militant, aujourd’hui abandonné aux États-Unis et au Royaume-Uni, en a produit l’amère expérience : ponts qui s’écroulent, trains qui déraillent, investissement public à l’abandon.

L’énergie est plus que jamais une variable stratégique. Si les économies d’énergie sont une dimension primordiale du dossier, elles ne doivent pas faire oublier les investissements nécessaires, que l’Agence internationale de l’énergie qualifie de gigantesques. Dans les pays développés, il s’agira de renouveler et de moderniser les installations – centrales et réseaux – et d’accroître la part du gaz naturel et des énergies sans carbone. À partir de 2015 se posera de façon récurrente en France la question du renouvellement de nos centrales nucléaires. Par ailleurs, développer des énergies sans carbone implique d’investir et nécessitera des crédits sur le long, voire très long terme.

Le secteur privé croit pouvoir répondre aux besoins d’investissement par l’augmentation des prix, mais si ces prix ne sont pas lissés par la collectivité publique, ils viendront aggraver encore l’augmentation du prix des matières premières. À un univers où la collectivité publique joue un rôle de solidarité et présente une vision à long terme, risque de se substituer un monde brutal où règnera la loi du plus fort, celui qui aura les moyens de payer cher une énergie rendue incertaine par notre imprévision.

Un service public maintenu dans toutes ses prérogatives peut seul maîtriser les évolutions tarifaires. Si nous ne pouvons bien sûr pas tout contrôler, notamment le marché international des matières premières, il est tout aussi clair que seules des entreprises publiques sont capables de développer dans la durée des partenariats avec des entreprises d’extraction et d’exploitation contrôlées par d’autres États. C’est ce que fait depuis longtemps GDF. Les entreprises de Russie et d’Algérie, Gazprom et Sonatrach, ne sont pas des entreprises capitalistes ordinaires ; elles obéissent certes à la loi du profit, mais sont également dépendantes de la volonté politique des appareils d’État qui les contrôlent.

Seules les entreprises publiques non soumises à la tyrannie des marchés et adossées à la volonté politique d’une nation peuvent affronter les enjeux à venir. L’inévitable dégradation des tarifs du gaz – aujourd’hui encore compétitifs en France – provoquera la fuite à l’étranger des industries les plus dévoreuses d’énergie ; même M. Beffa en agite crûment la menace !

Comme en matière industrielle, une politique d’aménagement du territoire digne de ce nom implique la maîtrise des investissements. Pourtant, le ministre concerné, un élu de la Côte d’Azur plus porté au spectacle d’estrade qu’à la gestion de notre réseau gazier, croit plus aux rapports de force qu’à une politique de solidarité territoriale. Depuis des décennies, GDF a mis en place un remarquable réseau jusque dans des territoires ruraux ou des banlieues éloignées peu rentables, mais aidés par des clients plus prospères et des industries.

Notre réseau de centrales nucléaires – dont les lois de 1946 voulues par la gauche et reprises par un pouvoir gaulliste imprégné de l’attachement au service public hérité de la Libération sont l’acte de naissance – illustre parfaitement le bon usage d’une entreprise publique. Cet endettement massif, que d’autres pays ne se sont pas permis, fut un atout dont profitent les générations actuelles. De même, le développement des infrastructures gazières requiert l’investissement public en matière de transport, de stockage et de distribution, afin de garantir une desserte étendue dans les meilleures conditions de sécurité.

Pourtant, tout en affirmant que les centrales électriques au gaz naturel sont une voie d’avenir, le Gouvernement laisse à l’initiative privée le soin d’en choisir les modalités de développement. Le gaz ne serait-il donc intéressant que parce que le temps de retour de l’investissement est – même provisoirement – réduit ?

Qui, de l’entreprise publique GDF ou de l’entreprise privée GDF-Suez sera la plus apte à consentir à l’endettement nécessaire au développement de ce secteur ? Les socialistes font confiance au service public ; vous suggérez que notre avenir énergétique doit passer sous la coupe des capitaux privés.

Enfin, la fusion annoncée privera l’État d’un instrument d’intervention essentiel. Même s’il devient le premier acheteur et le premier fournisseur de gaz en Europe – à hauteur de 20 % du marché – GDF-Suez n’atteindra pas la taille critique qu’exige la concurrence de géants tels que Gazprom et Sonatrach qui, contrôlés par leurs États respectifs, fournissent à eux seuls le tiers du gaz consommé dans l’Union européenne. Le seul remède à la faiblesse relative de GDF est l’augmentation de sa production autonome de gaz, qui ne représente actuellement que 3 % de son approvisionnement – de même que Suez dépend étroitement de ses fournisseurs.

La privatisation modifiera considérablement le rôle de l’État. L’évolution d’EDF l’a montré : même une part minoritaire de capital privé dans une entreprise publique change sa gouvernance, car les dirigeants n’agissent plus que pour complaire aux actionnaires privés qui, naturellement, recherchent le profit maximal. L’État, quant à lui, privilégie l’intérêt général par le lissage des coûts, le maintien des tarifs au niveau le plus bas, le souci des investissements à long terme. Pourtant, ne contrôlant plus l’entreprise dont la valeur boursière est devenue le principal objectif, il pourrait décider d’abandonner sa participation financière pour diminuer sa dette – l’un de nos collègues de la majorité est lui-même de cet avis. On accentuera ainsi le détricotage du secteur public de l’énergie, atout pourtant très compétitif.

Les pouvoirs publics ne contrôleront plus les prix dont décideront désormais des intérêts privés, et le porte-monnaie de la ménagère en sera le premier affecté. Le respect d’objectifs tels que la rénovation du réseau en fonte grise vétuste et dangereux, par exemple, sera plus difficile.

En somme, l’État ne disposera plus d’une autorité suffisante pour faire prévaloir l’intérêt général au sein de la nouvelle entité. Voyez EDF : l’État a beau en contrôler 80 %, c’est le capital privé qui en est le pilote économique. On justifie la hausse des prix par le financement des investissements à venir : mensonge ! On sait bien que l’allongement de la durée de vie des centrales nucléaires au-delà de leur délai de financement de trente ans en fait de véritables vaches à lait dont les bénéfices, qui pourraient servir à d’autres investissements publics, sont, hélas, transformés en dividendes.

N’ayant plus qu’une minorité de blocage, l’État perd tout contrôle sur les prix. La seule véritable solution alternative est un solide pôle public EDF-GDF.

Décidément, 2006 est une année calamiteuse pour la grande industrie française.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire - C’est excessif !

M. Christian Bataille - Après Arcelor, passé sous le contrôle de forces financières qui ignorent l’intérêt général et national, GDF sera livré à des groupes financiers dont la priorité n’est ni la sécurité de notre approvisionnement, ni le contrôle des prix, et encore moins la lutte contre l’effet de serre.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission des affaires économiques – Et qui était le rapporteur de la loi de 2000 qui ouvrait les marchés ?

M. Christian Bataille - Pourtant, les contraintes d’approvisionnement n’ont jamais été aussi lourdes, et les prix jamais aussi incontrôlables. Le Gouvernement prétend adapter notre économie à une nouvelle donne, mais il ne fait que démanteler un à un les instruments de notre politique énergétique qui avaient pourtant fait leurs preuves depuis soixante ans ! Ayant prospéré sur les acquis d’une politique planificatrice qui marque notre originalité dans un contexte européen de laisser-faire, l’actuelle majorité de droite s’apprête désormais à accélérer la libéralisation du marché de l’énergie.

M. Jean-Pierre Kucheida - Ce n’est pas la droite, mais l’ultra droite !

M. Christian Bataille - Nos concitoyens n’auront, dès lors, plus de recours face aux errements des marchés. Au contraire de ce que vous faites, il faut rétablir la confiance de la population et des milieux économiques en affirmant le rôle de la puissance publique par des propositions cohérentes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Dionis du Séjour - L’objet de ce texte est double : achever la transposition des directives européennes relatives à l’ouverture des marchés de l’énergie, et autoriser la privatisation de GDF pour permettre sa fusion avec Suez. L’UDF regrette que ces deux objectifs soient rassemblés en un même texte, car ce sont deux enjeux distincts sur lesquels son appréciation est opposée – ce que ne saurait hélas pas exprimer notre vote final.

Il faut garantir une transposition complète et audacieuse des deux directives qui prévoient que les consommateurs européens pourront choisir librement leurs fournisseurs de gaz et d’électricité à partir du 1er juillet 2007.

Au cœur du projet de l’UDF, il y a l’Europe. L’Europe des grands projets, mais aussi celle du quotidien, dont nous sommes les militants au sein de cette Assemblée. Nous devons construire un espace juridique et un marché intérieurs communs ou chacun peut circuler, travailler et vivre librement, où les marchandises s’échangent dans le cadre d’une concurrence loyale. À cette fin, les directives doivent être transposées : c’est pourquoi l’UDF soutiendra les articles 1 à 9 du texte. Nos amendements tendront à combler les lacunes d’un projet qui transpose parfois les pieds sur le frein : selon nous, le modèle européen qui s’est construit ces cinquante dernières années, influencé par le modèle français de 1946 et aujourd’hui présenté dans la directive, est bon – notamment parce qu’il comporte l’obligation de service public et de service universel. Hélas, la France est de nouveau l’un des derniers pays à transposer. Le projet de loi vise à rattraper ce retard, mais la transposition est partielle : s’il concerne l’ouverture totale des marchés, la protection des consommateurs, la séparation juridique du transport et de la distribution, qu’en est-il du service universel de l’électricité qui rendrait pourtant service à nos PME et aux habitants des zones rurales ? Pire encore : où sont les mesures conférant une autorité centrale à la Commission de régulation de l’énergie, ce nain politique qui devrait être un arbitre puissant ?

L’UDF défendra donc une série d’amendements, réduite, mais sérieuse (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Ces 50 amendements permettront de passer d’une transposition frileuse, un peu honteuse à une transposition offensive de ces deux directives, qui incitent notamment les États membres à une planification à long terme, définissent de larges obligations de service public universel et étendent le pouvoir des régulateurs.

M. Christian Bataille - Il est plus libéral que l’UMP !

M. Jean Dionis du Séjour - Non, l’UDF est plus européenne que l’UMP.

Ces directives renforcent la protection des consommateurs et étendent les bénéfices de la compensation des charges du service public à tous les fournisseurs d’électricité.

Nos amendements, peu nombreux, mais de qualité (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains), ont connu un sort relativement heureux en commission. Nous en remercions le président de la commission et le rapporteur, et nous espérons que l’Assemblée les approuvera à son tour.

Le projet, suivant en cela le cadre européen, sépare nettement les activités libres – production et vente – et les activités régulées – transport et distribution. La vente, donc le problème du tarif final pour le client, reste de la compétence du législateur national. Il faudra s’en souvenir après le 1er juillet 2007, même si cela entraînera sans doute des frictions avec les autorités européennes. Mais que chacun fasse son travail, et les vaches seront bien gardées. Sur le millier d’entreprises qui ont choisi l’éligibilité du fournisseur, beaucoup ont subi des hausses de prix allant jusqu’à 60 %. Pourtant, le projet de loi initial n’introduit pas la possibilité de retour qui existe par exemple en Espagne. Le rapporteur a tenté de rattraper cet oubli, mais d’une façon qui ne nous a pas satisfaits. Charles de Courson a donc présenté un amendement à la commission des finances. Elle a bien voulu l’accepter, et nous espérons que l’Assemblée la suivra. La situation française est spécifique : d’origine nucléaire pour 80 %, notre électricité est bon marché, autour de 35 euros le mégawatheure contre 50 euros sur le marché libre. Cet atout doit-il profiter à EDF et à son actionnaire principal, l’État, aux clients, ou aux deux ? Dans un contexte de hausse des prix de l’énergie, l’action de la France pour garantir des prix raisonnables et pérennes, en premier lieu aux entreprises, est légitime, et « eurocompatible ». C’est le sens de l’amendement très important de Charles de Courson.

Venons-en à l’objectif majeur du projet, la fusion de GDF et Suez, qui passe par la privatisation de GDF. L’objectif est-il pertinent ? Sur ce point, il y a eu débat à l’UDF. Notons d’abord que le futur groupe aura des contours différents après les négociations avec l’Union européenne – nous avons enfin pris connaissance de la lettre de griefs – qui considère avec raison que la concurrence serait mise en cause notamment en Belgique, où le nouveau groupe contrôlerait 95 % du marché de gros du gaz et 94 % de la fourniture de gaz, ses parts étant respectivement de 80 % et 88 % en ce qui concerne l’électricité. Bruxelles imposera donc des cessions d‘actifs dans le secteur du gaz en Belgique, ce qui diminuera les synergies attendues. Cette perspective rend difficile de porter un diagnostic précis sur l’opportunité de la fusion.

Néanmoins, nous proposons de réfléchir à trois questions simples. La fusion est-elle conforme à l’intérêt national ? (« Non ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Renforce-t-elle les deux entreprises et l’industrie nationale ? Est-elle bonne pour les consommateurs et les clients ? (« Non ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Qu’est-ce que l’intérêt national ? Il se trouve que nous l’avons défini récemment en adoptant la loi programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations en matière de politique énergétique. Son article premier dispose que « la politique énergétique repose sur un service public de l'énergie qui garantit l'indépendance stratégique de la nation et favorise sa compétitivité économique. Sa conduite nécessite le maintien et le développement d'entreprises publiques nationales et locales dans le secteur énergétique. »

M. Maxime Gremetz - Et voilà !

M. Jean Dionis du Séjour - Cette politique vise à « contribuer à l'indépendance énergétique nationale et garantir la sécurité d'approvisionnement et à assurer un prix compétitif de l'énergie. »

M. Maxime Gremetz - Écoutez-le !

M. Jean Dionis du Séjour - Qui ne voit la contradiction entre l’article premier de notre loi programme et le contenu du projet ?

D’abord, l'indépendance énergétique nationale est-elle renforcée par cette fusion qui va faire de Gaz de France, aujourd'hui protégée par l'actionnariat d'État à 80 %, une entreprise « opéable » dominée par un actionnariat privé et dispersé détenteur de plus de 54 % du capital ? (« Non ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l’industrie Pas vous !

M. Jean Dionis du Séjour - C’est un point central et les risques d’OPA existent car certains acteurs ont accumulé des réserves impressionnantes grâce à la hausse des prix.

Cette fusion fait courir des risques à notre indépendance énergétique. En revanche, elle sécurise nos approvisionnements par une vraie diversification géographique et technologique. Mais ce n'est pas décisif. GDF est déjà le premier fournisseur de gaz en Europe. Mais passer de 65 milliards à 85 milliards de mètres cubes grâce à l’apport de Suez va-t-il fondamentalement changer la donne ?

M. le Ministre – Oui.

M. Jean Dionis du Séjour - Sur un marché total de 500 000 milliards de mètres cubes, l'impact de la fusion reste, à notre avis, marginal.

L'UDF émet donc un avis d'ensemble négatif sur l'opportunité de la fusion pour l'intérêt national.

Quant à son intérêt pour les deux entreprises, la question est moins importante mais elle n'est pas illégitime. Au sein de notre famille politique, les avis divergent. Nous n’en contestons pas l’intérêt pour renforcer le pôle gaz de chacune des deux entreprises et opérer une vraie convergence entre un électricien, Suez avec sa filiale Electrabel, et un gazier. Cette offre mixte est un atout pour satisfaire à la demande des clients et pour couvrir les période de pointe, ce pour quoi on utilise de plus en plus des centrales au gaz.

M. le Ministre et M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis de la commission des finances – Très bien !

M. Jean Dionis du Séjour - Enfin, cette fusion conforte Suez, dont 30 % du capital est un peu trop flottant.

Mais pour ce qui est des consommateurs, à court terme, ce projet, comme l'a noté la Commission européenne, affaiblit nettement la concurrence sur les marchés de l'électricité et du gaz en Belgique et en France. Les oligopoles privés leur profitent rarement. Cependant, à terme, Gaz de France qui posséderait les six centrales nucléaires d’Electrabel et la compagnie nationale du Rhône, deviendrait un vrai concurrent pour EDF, ce qui ne serait pas un luxe pour les consommateurs. Bref, en ce qui concerne leur intérêt, notre appréciation sur le projet est réservée.

Quant au moyen utilisé pour réaliser cette fusion, privatiser GDF et ramener la part de l’État à 34 % du capital, le groupe UDF, pour lequel la privatisation n’est ni un gros mot ni une vache sacrée, y est unanimement opposé pour trois raisons : elle serait contraire à nos engagements ; elle rendrait l'entreprise vulnérable à de futures OPA ; elle diminuerait les leviers d'action de l'État dans le secteur énergétique.

S’agissant de nos engagements, je ne reviens pas sur la contradiction avec ce qu’a dit le ministre de l’économie en 2004. Mais j’insiste sur le fait que nous reviendrions aussi sur la loi programme de 2005 en privatisant. Comment, ensuite, faire croire qu’on ne descendra pas sous la barre des 34 % ? Le cas d'Elf-Aquitaine a laissé un douloureux souvenir, en Aquitaine notamment. Et comment, après ce revirement, faire croire aux salariés qu’on ne touchera pas à EDF ?

M. Maxime Gremetz - Évidemment !

M. Jean Dionis du Séjour - Ensuite, cette privatisation rendrait l’entreprise vulnérable à une OPA. Gaz de France est de taille moyenne, mais en très bonne santé financière et surtout, l’État en est actionnaire majoritaire. Dans le nouveau groupe, le capital irait pour 54 % à un actionnariat dispersé, 34 % à l’État français, et 12 % à des acteurs institutionnels. Brutalement, Gaz de France deviendrait « opéable » dans un secteur où existent des acteurs très puissants.

Ce point à lui seul fonde notre opposition au texte.

M. le Ministre – Comme c’est faux, nous allons trouver un accord.

M. Jean Dionis du Séjour - Vous essaierez de nous le démontrer. Mais 54 % d’actionnaires dispersés, cela pose problème.

Le Gouvernement met beaucoup d'énergie à essayer de nous faire croire qu'il n'existe pas de plan B pour opérer un rapprochement industriel significatif entre Gaz de France et Suez. Il est bien le seul, alors qu’émergent des solutions alternatives, de la participation de l'État garantie à 51 % que propose la CFDT à la suggestion d'actionnaires minoritaires de Suez de réaliser une OPA de Gaz de France sur Suez, financée par l'emprunt et par la cession d'actifs non stratégiques du futur groupe.

M. le Ministre – On ne va pas recommencer comme France Télécom !

M. Jean Dionis du Séjour - ce n’est pas tout à fait la même chose.

M. le Ministre – Pour l’endettement, si.

M. Jean Dionis du Séjour - Bref, il y a visiblement des plans B, C, D. Encore faut-il vouloir les examiner.

Par ailleurs, peut-on être assuré que la part de l’État sera bien, au minimum, de 34 % ? Cette inquiétude a déjà été exprimée hier. Or on nous présente ce seuil et le système d’action spécifique comme une garantie anti-OPA et une garantie de contrôle par l’État des décisions stratégiques. Pourtant, l’actionnaire minoritaire n’a pas d’impact dans la gestion quotidienne du nouveau groupe ; quant aux actions spécifiques, la Commission européenne, confortée en cela par la Cour de justice des Communautés, s’est prononcée à plusieurs reprises contre, notamment dans le dossier Elf-Aquitaine en juin 2002.

M. le Ministre – On vous a répondu hier !

M. Jean Dionis du Séjour – Enfin, cette privatisation diminuerait la capacité d’action de l’État. Elle aurait été mieux comprise dans une période calme ; mais nous vivons une vraie révolution énergétique, avec la fin du pétrole abondant, la montée des exigences écologiques et une demande mondiale qui explose.

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie - Eh oui !

M. Jean Dionis du Séjour - Dans un contexte de risque, où l’énergie est une arme, comme on le voit au Moyen-Orient ou en Ukraine, le principe de précaution exige de conserver une capacité d’action publique forte.

Permettez-moi pour terminer de dire quelques mots de la forme.

137 119 amendements : triste record en matière d’obstruction parlementaire !

M. le Ministre – Hélas !

M. Jean Dionis du Séjour - À peu près mille d’entre eux, et c’est déjà énorme, sont intéressants. Mais 136 000 sont, je maintiens le mot, débiles ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Le débat risque d’être affligeant d’ennui et de bêtise, alors que les enjeux exigent un débat de haute qualité.

M. le Ministre – Absolument !

M. Jean Dionis du Séjour - Grâce aux médias, les Français découvrent, stupéfaits, les tactiques affligeantes utilisées pour arriver à ces chiffres (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste). Qu’on ne vienne pas pleurer après cela sur la montée de l’antiparlementarisme ! Tout le terrain reconquis grâce à la qualité du travail des commissions d’enquête risque d’être perdu par ces bouffonneries (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Nos collègues socialistes et communistes nous expliquent que l’obstruction parlementaire n’a pas été inventée par eux, mais cela ne change rien ! Pour l’UDF, la règle devrait être que l’opposition a droit à des débats prolongés et approfondis, permettant à la réflexion de nos concitoyens de mûrir, mais au bout d’une quinzaine de jours, par exemple, il faut passer au vote. L’opposition a le droit d’imposer des prolongations, elle ne peut pas supprimer le match !

M. François Brottes - Et le CPE, alors ?

M. Jean Dionis du Séjour - La méthode choisie ici n’a pas pour but de convaincre, mais d’occuper le temps parlementaire, même au prix d’un abaissement ridicule de la qualité des débats.

M. Maxime Gremetz - On ne veut même pas nous informer ! On nous cache des documents !

M. Jean Dionis du Séjour - Et tout cela pourquoi ? Nos concitoyens ne se laissent pas abuser, l’esbroufe de l’obstruction ne trompe personne !

Plus grave encore, cette attitude tend à pousser le Gouvernement à la faute, c’est-à-dire à l’utilisation du 49-3, pour pouvoir dire qu’il passe en force. Mais cela ne fait que servir ceux qui, au Gouvernement ou à l’UMP, souhaitent en finir au plus vite : on leur sert le 49-3 sur un plateau ! Au lieu d’être un contre-pouvoir, le Parlement justifie l’évitement du débat.

L’UDF s’opposera de toutes ses forces à cette étrange complicité. Les Français veulent un vrai débat sur l’énergie, qui mérite autre chose que des jeux politiciens. En leur nom, l’UDF demande solennellement à l’opposition de faire preuve de responsabilité et d’entrer dans le débat démocratique, comme elle a su le faire en commission.

Dans ce débat, nous entendons expliquer pourquoi nous sommes favorables à l’ouverture des marchés du gaz et de l’électricité, mais opposés à la privatisation de Gaz de France.

M. Pierre Cohen - C’est faux, vous êtes pour ! C’est une posture électoraliste !

M. Jean Dionis du Séjour – Pour nous, l’enjeu majeur est l’indépendance énergétique ; dans le contexte énergétique actuel, privatiser GDF est une faute. C’est pourquoi nous voterons contre ce texte.

M. Maxime Gremetz - Là, bravo !

M. Alain Bocquet - Laisserons-nous quelques patrons de groupes industriels, dont la plume est tenue par des fonds d'investissement versatiles et âpres au gain, écrire l’avenir énergétique de notre pays ? Tel est l'enjeu de ce projet, fruit de la volonté d'un cercle d'initiés.

Hier, 94 % des salariés de Gaz de France ont dit non à la privatisation.

M. le Ministre – 35 % de taux de participation…

M. Alain Bocquet - L’opinion des élus locaux, des associations de consommateurs est également ignorée. Aucune consultation digne de ce nom n'a été organisée dans le pays.

M. le Ministre – Ma porte est restée ouverte tout l’été, vous n’êtes pas venu me voir !

M. Alain Bocquet - En outre, les représentants de la Nation que nous sommes se voient refuser l'accès à l'intégralité de l'avis transmis par la Commission de Bruxelles. Si donc je partage certaines appréciations de notre collègue de l’UDF, je ne comprends pas son acharnement contre l’attitude de l’opposition !

Voici (M. Bocquet présente une liasse) ce que représentent les amendements déposés par le groupe communiste : 74 pages. Ce n’est pas un arbre, ce ne sont que quelques branches ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre - Onze années de débats parlementaires !

M. Guy Geoffroy - Prenez l’engagement de ne défendre que ceux-là !

M. Alain Bocquet - Oui, je m’y engage !

M. Guy Geoffroy - Donnez-les à la presse !

M. Alain Bocquet – Les 17 articles que vous voulez faire avaliser, Monsieur le ministre, concernent la vie quotidienne des 28 millions d'usagers d'EDF et des 13,8 millions d'abonnés à GDF, c'est-à-dire la quasi-totalité des foyers de notre pays, toutes ses collectivités locales et ses administrations, ainsi que la plupart des entreprises françaises,qui sont préoccupées par le poids de leur facture énergétique. Il s'agit bel et bien de la déréglementation totale du service public du gaz et de l’électricité. Ce qui est programmé, c'est la fin de la maîtrise par l'État des prix de l'énergie, le renoncement au principe de péréquation garantissant un tarif unique sur l'ensemble du territoire.

Vous mettez en avant votre titre premier, portant sur le maintien des tarifs régulés et la tarification sociale. M. Daniel Paul montrera l’inconsistance et la duplicité de ces dispositions. Nos concitoyens, qui souffrent déjà des hausses répétées de l’énergie, risquent de faire douloureusement les frais de votre entêtement à privatiser coûte que coûte, par pur dogmatisme. Mais comme disait Mao Zedong, la bouse de vache est plus utile que les dogmes, car on peut en faire de l’engrais ! On attend toujours un début de preuve des bienfaits de la libéralisation ainsi qu’un bilan des premières conséquences des directives européennes d’ouverture à la concurrence. On sait en revanche qu’en Californie, la déréglementation a entraîné des augmentations allant jusqu’à 500 % ! On sait aussi que les industriel français qui ont choisi de quitter les tarifs régulés ont eu à supporter une hausse de 30 % par an.

Ce texte, qui prépare le démantèlement de Gaz de France et sa soumission à la Bourse, qui organise une rivalité meurtrière et destructrice avec EDF, qui livre chaque usager à la jungle de la concurrence dans un marché que domineront des oligopoles avides de profits, ce texte signe l'abandon d'une politique énergétique exercée dans l'intérêt de la nation et torpille une organisation qui a soutenu pendant soixante ans le développement économique et social de notre pays. Le général de Gaulle avait une vision juste et toujours actuelle quand il choisit, en 1946, de protéger le secteur de l'énergie de l'affairisme par la création d'EDF et de GDF.

M. Maxime Gremetz - Très bien !

M. Alain Bocquet - Aujourd'hui, le président Chirac et la majorité UMP bradent l'un des derniers héritages du gaullisme social et mettent en péril l'indépendance et la sécurité énergétique de la France ! Ce sont pourtant les mêmes considérations stratégiques qui avaient, en 2004, conduit M. Sarkozy, alors ministre de l'économie, à inscrire dans la loi une clause maintenant Gaz de France dans le secteur public assortie d’un seuil minimal de détention par l'État de 70 % du capital. Dix-huit mois plus tard, comment M. Sarkozy peut-il justifier son retournement de veste ? Manifestement, les sirènes du MEDEF l'ont davantage charmé que les arguments des organisations syndicales, qui, unanimes, s'opposent à la privatisation de GDF, comme du reste de nombreuses personnalités qualifiées. Je pense en particulier au président d'honneur de GDF, Francis Gutmann, qui note que l’on ne parle plus que de 34 %. « L’État se leurre et nous leurre, explique-t-il, s’il n’a rien trouvé de mieux que ces pourcentages pour sauvegarder l’essentiel… »

M. le Rapporteur – Encore une personnalité issue de l’entreprise !

M. Alain Bocquet - ...Ces pourcentages, dit-il encore, ne sont que des barrières de papier.

M. le Rapporteur – On a vu quand il était président !

M. Alain Bocquet - La logique rentière des actionnaires privés n’est pas celle qui peut garantir des prix abordables pour le plus grand nombre. Depuis l'ouverture de son capital, GDF s'est conformé à cette logique en poussant ses tarifs vers le haut pour alimenter des bénéfices records – 1,7 milliard d'euros l’an passé. Résultat : la facture de gaz a augmenté de 30 % en dix-huit mois et de 70 % depuis 2000.

L'absorption de GDF par Suez, dont le capital est dominé par des fonds spéculatifs, ne fera qu'attiser cette inflation. Or, le gaz n'est pas une marchandise banale, mais un produit de première nécessité, dont la gestion est incompatible avec des politiques financières à courte vue, surtout dans un contexte de tensions internationales sur l'accès aux hydrocarbures. Le gaz réclame des contrats et des programmes d'investissements à long terme, notamment pour assurer une fourniture continue et une fiabilité optimale des réseaux. Or, les règles du jeu boursier ne favorisent ni l’établissement de relations commerciales stables et mutuellement avantageuses avec les pays producteurs, ni la conduite de chantiers de long terme exigeant des investissements lourds et coordonnés.

La maintenance et le renouvellement des conduites de gaz sont des missions impératives qui relèvent de l'aménagement du territoire et de la sécurité publique, comme l’ont dramatiquement rappelé les accidents de Mulhouse et de Dijon. Le niveau de fiabilité des équipements devra-t-il évoluer en fonction des fluctuations du cours de la Bourse ? Comment la France compte-t-elle réduire massivement ses émissions de gaz à effet de serre et sauvegarder l’environnement si elle s’en remet aux seuls critères comptables du marché, des critères qui privilégient les transactions opportunistes – « trading » et « marché, spot » – et qui tirent vers le bas les dépenses de formation et de recherche ?

On nous promet un mariage GDF-Suez équitable. Mais dans cette affaire, Suez, qui pèse trois fois plus lourd que GDF en capitalisation boursière, ferait main basse – sans rien apporter au capital gazier de GDF – sur un fleuron industriel, qui est une des plus importantes compagnies du monde, aux capacités d'autofinancement intactes. Structure intégrée de l'amont à l'aval, GDF possède une dizaine de plateformes offshore et terrestres de production de gaz, deux terminaux méthaniers, quatre navires méthaniers, plus de 150 000 kilomètres de canalisation de transport et de distribution de gaz, treize sites de stockages souterrains totalisant plus de 10 milliards de mètres cubes de gaz en réserve, soit 20 % de la consommation française, quarante-cinq stations de compressions de gaz, sans compter un des plus importants sites de recherche et développement d'Europe.

Quelles seraient les répercussions de ce marchandage gigantesque pour les 200 000 salariés concernés ? Dans les filiales de service concurrentes des deux groupes, on craint des milliers de suppressions d'emploi. Pour autant, la fusion ne protégerait pas Suez d'une OPA ou d'un démantèlement. Mieux vaudrait renforcer son capital via des acteurs publics comme la Caisse des dépôts ou Areva.

Pour ce qui est de GDF, tout plaide en faveur d’une fusion avec EDF. Des rapprochements entre électriciens et gaziers d'un même État membre ont déjà été opérés en Allemagne et en Espagne, sans que la Commission de Bruxelles n'oppose de veto. Une étude d'un cabinet conseil, que je tiens à votre disposition, Monsieur le ministre, démontre la pertinence d’un tel rapprochement. Nous proposons donc que les deux entreprises, redevenues à 100 % public, puissent tirer avantage de leurs synergies pour assurer pleinement leurs missions. On bâtirait ainsi un pôle public de l’énergie, capable de participer au niveau européen à la mise en œuvre d'un véritable droit à l'énergie pour tous.

Votre texte, Monsieur le ministre, ne suscite que rejet, comme en témoignent les milliers de pétitions que nous avons recueillies dans nos circonscriptions. Le 12 septembre prochain, une grande journée de protestation aura lieu, à l’appel de confédérations syndicales, d’associations d’élus locaux, de consommateurs et de citoyens. Les députés communistes et républicains prennent toute leur place dans cette mobilisation et ne ménageront pas leurs efforts pour défendre les intérêts de notre pays et de nos concitoyens. Il est encore temps, Monsieur le ministre, de vous épargner un désaveu aussi cinglant que celui du CPE : retirez sans plus attendre ce projet ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Serge Poignant - Lors du débat sur l'énergie du 14 juin dernier, au moment où se posait la question d'une éventuelle fusion GDF-Suez mais aussi avant l'ouverture complète à la concurrence au plan européen au 1er juillet 2007, j’avais souligné la volonté du groupe UMP, dans la diversité des interrogations de ses membres, de mettre à profit l’été pour approfondir la question de cette éventuelle fusion et celle, préalable, de la privatisation de GDF.

Je tiens tout d'abord, Monsieur le ministre, à vous remercier d'avoir compris cette nécessité. Votre travail de pédagogie et les nombreuses auditions organisées par notre excellent président de la commission des affaires économiques, Patrick Ollier, ont permis d'éclairer nombre de mes collègues et d'apporter des réponses à leurs légitimes questions. Parallèlement, des solutions alternatives ont été étudiées, notamment par notre talentueux rapporteur, Jean-Claude Lenoir. Je ne reprendrai pas en détail l’action du Gouvernement en matière d’énergie, si ce n’est pour rappeler l’immobilisme du gouvernement Jospin. C’est en urgence que le gouvernement Raffarin a dû déposer, en octobre 2002, un projet de loi de transposition de la directive gaz, pour répondre au lancement d’une procédure contentieuse. Quoi que dise l’opposition, il faut se souvenir de la loi de 2000 et des engagements pris au conseil européen de Barcelone de mars 2002 par Lionel Jospin – qui concernaient l’ouverture des marchés pour l’ensemble des consommateurs, contrairement à ce que dit M. Hollande. En novembre 2001, M. Fabius, ministre de l’économie et des finances, affirmait qu’une entreprise investie de missions de service public peut sans tabou nouer des partenariats industriels se traduisant par une alliance capitalistique et que, dans le cadre d’un projet industriel et social ambitieux, il ne serait pas hostile à l’idée de faire évoluer, le moment venu, le statut de Gaz de France. En janvier 2002, M. Strauss-Kahn disait que le changement de statut d’EDF et l’ouverture de son capital étaient compatibles avec le maintien du service public et que la part de l’État devrait être suffisante sans pour autant que le seuil de 50% soit gravé dans le marbre. Il s’agissait bien d’EDF ! Vous imaginez combien nous serons attentifs aux propos de M. Strauss-Kahn tout à l’heure…

De tels propos devaient être rappelés aujourd’hui. L’exposé des motifs du projet de loi plante parfaitement le décor : « la gestion des enjeux énergétiques est un axe essentiel de la politique économique et stratégique de la nation. La France doit faire face à un triple défi : la quasi-disparition des surcapacités de production d’hydrocarbures, le renforcement de la sécurité d’approvisionnement en gaz de l’Europe et le mouvement considérable de consolidation des acteurs européens de l’énergie ». Le projet de loi répond à la fois au problème de notre adaptation à l’ouverture des marchés, au 1er juillet 2007, et à celui de la privatisation de Gaz de France pour lui permettre de nouer des alliances, sachant qu’un projet de fusion avec Suez est en gestation depuis plusieurs mois. Ces deux questions pourraient n’apparaître que partiellement liées mais, d’une part, le Conseil d’État a subordonné la constitutionnalité de la privatisation de GDF à la transposition de la directive gazière et d'autre part, il est légitime de se préoccuper de l'évolution des prix pour les consommateurs français, particuliers ou professionnels.

Le titre premier du projet aborde la question de l'ouverture des marchés de l’énergie et du libre choix des consommateurs. Il transcrit dans notre législation le principe d'éligibilité de tous les consommateurs finals, particuliers compris, leur offrant ainsi des possibilités nouvelles. Il précise, et nous y tenions, qu’ils pourront continuer à bénéficier des tarifs réglementés au-delà du 1er juillet 2007. Un amendement proposera de donner aux nouveaux sites de consommation professionnelle la même possibilité qu'aux consommateurs domestiques. Un autre proposera l'instauration d'un tarif de retour pour l'électricité. La production électrique française connaît en effet une spécificité : comment expliquer qu'avec 80 % de nucléaire et beaucoup moins de rejets de gaz carbonique que d'autres pays européens, nous atteignions le niveau des prix actuel ?

Comment expliquer aux PME PMI qui ont vu leur coût d'énergie augmenter de plus de 60 % après avoir fait jouer leur éligibilité qu'elles ne peuvent revenir au tarif tout en connaissant les besoins en investissement des opérateurs, notamment d’EDF ? Les mois de juillet et août ont permis d’arrêter la rédaction de cet amendement, qui instaure un tarif réglementé transitoire de marché, compatible avec la directive européenne, après discussion avec les opérateurs et sans incidence pour les consommateurs. Nous souhaitions également l'instauration d'un tarif social du gaz, comme il en existe pour l'électricité, indépendant de l'éligibilité, et nous sommes satisfaits que cela figure dans le projet.

Le titre II du projet concerne la séparation juridique des gestionnaires des réseaux de distribution d'électricité et de gaz se trouvant au sein d'entreprises verticalement intégrées desservant plus de 100 000 clients, ce qui est le cas d'EDF et de GDF. Je souligne que l'opération ne remettra pas en cause le service commun à ces deux groupes et que l'organisation de la distribution de gaz restera inchangée. Elle demeurera exercée par GDF et ses filiales. Les titres IV et V traitent de la transposition des directives de 2003. Il faut bien considérer que la question de la protection des consommateurs, après l’époque transitoire, restera fondamentale. Le développement de nouvelles offres commerciales ne peut en effet se faire que dans un cadre de lisibilité et de sécurité bien défini dans le code de la consommation.

Le titre III contient des dispositions relatives au capital de Gaz de France et au contrôle de l'Etat. Les enjeux énergétiques européens et mondiaux sont cruciaux, dans un contexte d’évolution de la population planétaire – qui va passer de 6 à 9 milliards de personnes en quelques décennies – et d’un prix du baril de pétrole durablement élevé. Au vu de l'évolution tendancielle du mix d'énergies primaires dans l'Union européenne, la part du gaz, qui était de 17 % en 2000, pourrait dépasser 40 % en 2030. Les concentrations de gisements dans le monde provoqueront inéluctablement des tensions sur les approvisionnements. Par ailleurs, l’accélération de la consolidation des groupes en Europe depuis 2005 est considérable par rapport à août 2004, date de la loi à laquelle certains n’ont pas manqué de se référer. C’est d’ailleurs dans ce processus de concentration qu'Enel a projeté une OPA hostile sur Suez, début 2006, qui a amené le ministre à engager une concertation avec les protagonistes d'une éventuelle fusion GDF Suez ainsi qu'avec le conseil supérieur de l'électricité et du gaz.

Il fallait d’abord se demander si la constitution d'un nouveau groupe GDF-Suez était un bon projet industriel. Je pense que oui. Le groupe serait puissant en Europe, tant sur le plan gazier qu’électricien. GDF est le numéro un du gaz en Europe et Suez le numéro cinq de l'électricité et le numéro six du gaz en Europe. Le nouveau groupe pourrait être l’unique fournisseur, pour les deux énergies, des clients – qui sont nombreux à le souhaiter. Il pèserait près de 70 milliards et serait leader mondial dans le gaz naturel liquéfié, qui est appelé à jouer un rôle clé dans la diversification des sources d'approvisionnement. Si union il devait y avoir, je souhaiterais qu'elle se fasse entre égaux, en respectant les qualités respectives des deux entreprises. GDF est notamment porteur d’une culture ancienne qui allie compétences techniques, exigence de sécurité et attention portée aux clients.

La seconde question était de savoir comment donner à GDF les moyens d'évoluer dans le monde concurrentiel d'aujourd'hui et de constituer un groupe industriel qui compte en Europe, avec Suez ou avec d'autres partenaires. Une condition est de revenir sur la disposition législative qui fixe un seuil de 70% pour la détention par l’État du capital de GDF. Une grande majorité du groupe UMP soutient cette proposition dans la mesure où est maintenue une participation de l'Etat d'au moins un tiers du capital dans un nouvel ensemble, ce qui correspond à une minorité de blocage. Le groupe UMP se félicite également de la présence dans la loi du dispositif de la golden share, conforme à la jurisprudence communautaire, qui garantit à l'État le droit de s'opposer aux décisions de l'entreprise ou de ses filiales affectant en France les actifs concernant les canalisations de transport, la distribution et les stockages souterrains du gaz naturel et, pour le gaz liquéfié, les installations qui concourent à la sécurité des approvisionnements. Ces mesures, s’ajoutant à la possibilité de nommer des commissaires du gouvernement dans un futur groupe, sont de nature à dissuader toute volonté d'OPA.

Nous avons mis l'été à profit pour étudier des alternatives. Nous avons conclu qu’une prise de participations croisées en maintenant l'Etat à 70 % du capital dégagerait trop peu de moyens pour envisager une alliance structurante et de véritables synergies. Le maintien de l'Etat à 51 % du capital de Gaz de France, qui méritait d'être étudié, ne serait pas non plus à la hauteur pour lui permettre de nouer des alliances majeures. Dans le cas d'une fusion avec Suez par exemple, les seuls scénarios financièrement tenables impliqueraient le démantèlement du groupe Suez et la revente de la branche environnement. La séparation des activités régulées de Gaz de France ne nous est pas non plus apparue comme une solution fiable. Les activités de réseaux resteraient au sein de Gaz de France et les activités concurrentielles seraient apportées au partenaire privé en contrepartie d'une part du capital. Cette solution aurait l'avantage de permettre la survie d'une entreprise GDF publique mais, outre le démantèlement de la structure actuelle, induirait une très faible influence de l'État dans le groupe privé, donc une faible capacité de défense contre une OPA. Quant à l'hypothèse d'une fusion EDF-GDF, elle provoquerait assurément de la part de la Commission européenne des demandes de corrections lourdes. Nos collègues de l'opposition sont-ils prêts à accepter la cession des centrales nucléaires françaises ? Je rappelle que la commission Roulet a rejeté cette hypothèse en 2004 et que la Commission européenne a refusé une fusion entre Électricité du Portugal et Gaz du Portugal.

Il nous restera à expliquer à nos concitoyens qu'il y va de leur propre intérêt à terme que nous légiférions. Il ne faut pas les tromper sur l'évolution des prix et des tarifs du gaz, qui sont liés au prix du baril de pétrole et aux coûts d'approvisionnement, quelle que soit la structure capitalistique du fournisseur. En 2000, sous le gouvernement Jospin, le gaz a bien augmenté de plus de 30 % alors que le capital était à 100% étatique ! Il ne faut pas les tromper sur le sujet du service public, car le contrat de service public sera maintenu. Il ne faut pas les tromper en matière de sécurité car le monopole public de transport demeure. Il ne faut pas les tromper en faisant un amalgame avec l'électricité. GDF achète du gaz à l'étranger et le revend. EDF produit de l'électricité en France, avec une spécificité nucléaire, ce qui justifie qu’elle demeure publique. Il est aussi de notre devoir de considérer l'avenir du personnel de nos entreprises. Pour ce qui est de GDF, je tiens à souligner la qualité et le savoir-faire de son personnel. Le Gouvernement s'est engagé sur le maintien du statut des industries électriques et gazières, qui est lié aux activités principales qu’elles exercent et concerne l'ensemble des entreprises de la branche.

Je ne peux conclure sans m’indigner profondément de l’hyper-obstruction organisée par la gauche, avec ses 130 000 ou 140 000 amendements. Ce n’est plus de l'obstruction, c’est un irrespect total du travail parlementaire. (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Au bout de trois mandats, j'ai toujours, comme la très grande majorité d’entre nous, le même engagement, la même conscience et la même envie de participer à la vie démocratique française et d'expliquer sincèrement la chance de notre pays à nos concitoyens. J'ai toujours respecté les différents avis, dans les débats de fonds, et je n’ai rien contre l'humour que peut montrer un M. Brottes, par exemple. Mais aujourd'hui, vous bafouez les règles de la démocratie et donnez un spectacle affligeant qui dévalorise l'ensemble de l’institution.

Devons-nous subir cette surenchère puérile, cette concurrence entre socialistes et communistes à qui déposera le plus d’amendements ? 40 000 pour les uns, 90 000 pour les autres : c’est parfaitement ridicule ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Car la liasse remise par M. Bocquet au ministre reprend bien 90 000 amendements ; dès lors, son maigre volume démontre s’il en était besoin l’inconsistance de leur argumentaire ! Le débat mérite autre chose qu’un enlisement stérile.

Mme Muguette Jacquaint - Vous disiez la même chose pour le CPE !

M. Serge Poignant - Au terme d’une phase d’analyse et de prise de recul absolument nécessaire, les députés de l’UMP assumeront leurs responsabilités. Dans leur grande majorité, ils voteront le texte, même si quelques avis différents s’expriment librement. Ils le voteront pour servir l’intérêt des consommateurs – particuliers comme professionnels – et pour garantir l’avenir de Gaz de France tout en maintenant à l’État des leviers d’action efficaces…

M. le Ministre – Très bien.

M. Serge Poignant – Pour ma part, j’appelle toujours de mes vœux une politique européenne de l’énergie, prenant en compte tous les aspects stratégiques et environnementaux. Mais pour l’heure, avançons de façon pragmatique et dans l’intérêt de nos concitoyens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Henri Emmanuelli - Puisque M. Poignant a cru bon de nous entraîner sur le terrain de la morale et de la responsabilité politiques, je me dois de lui répondre. J’entends beaucoup le président de l’UMP parler de rupture. En réalité, il n’y a aucune rupture avec les vieux préceptes chiraquiens selon lesquels les promesses n’engagent que ceux qui veulent y croire ! Il y a un an, à cette tribune, M. Sarkozy ne martelait-il pas que jamais la participation de l’État au capital de Gaz de France ne descendrait en dessous de 70 % ? Aujourd’hui, nous en sommes à 34 %, et encore M. Novelli a-t-il sous le coude un amendement tendant à descendre encore plus bas !

M. le Rapporteur pour avis – Disons plutôt que ma proposition envisage cette possibilité.

M. Henri Emmanuelli - La qualité principale de M. Novelli, c’est d’être cohérent dans ses prises de position et tout le monde, dans son camp, ne peut pas en dire autant ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Au reste, et pour en revenir au numéro deux du Gouvernement, parler de rupture lorsqu’on exerce les plus hautes fonctions depuis bientôt cinq ans est proprement comique. C’est une plaisanterie qui ne serait tolérée dans aucune autre grande démocratie au monde. Et puis, quelle conception dévoyée de la démocratie parlementaire que celle qui contraint les élus à aller chercher dans la presse les informations dont ils ont absolument besoin pour débattre au fond ? Hier, à cette tribune, M. Breton a affirmé avec aplomb que le Commissaire européen en charge du marché intérieur et des services avait donné le feu vert de Bruxelles sur les golden shares. À y regarder de plus près, cela n’est pas si simple et la lettre transmise – mais non communiquée aux parlementaires – se borne à rappeler quelques principes généraux qui n’engagent pas l’avenir et laissent en suspens nombre de points importants, notamment pour ce qui concerne les filiales.

Il n’existe pas une autre démocratie au monde où les parlementaires doivent éplucher la presse étrangère pour accéder aux informations dont ils ont besoin pour voter la loi ! Allez-vous vous décider, Monsieur Breton, à distribuer ce courrier aux députés ?

M. le Ministre – Bien entendu !

M. Henri Emmanuelli - Nous verrons bien. Vous admettez donc que, pour l’heure, cela n’est pas fait (Murmures sur les bancs du groupe UMP).

J’en viens aux diverses considérations techniques développées par les uns et des autres. L’on nous dit que le rapprochement Suez-Gaz de France est dans les tuyaux depuis longtemps. C’est faux. C’est une alliance Gaz de France-Total qui était régulièrement évoquée. Las, il y a eu un accident et une grande entreprise française s’est trouvée menacée sans que ses dirigeants, pourtant rémunérés à des niveaux ahurissants, trouvent les moyens de réagir via la constitution d’un noyau dur ou d’un pacte d’actionnaires. Puisqu’ils se répandent aujourd’hui dans la presse en leçons politiques, qu’il me soit permis, à moi qui suis beaucoup moins payé qu’eux – et c’est un euphémisme – de leur renvoyer la politesse. Vous connaissez bien ces sujets, Monsieur le ministre, et je vois que vous ne me contredisez pas.

Pour nous, responsables politiques, le problème n’est pas de savoir comment l’on doit brancher les tuyaux et avec quel partenaire. Le scandale, c’est que dans un contexte de crise énergétique durable, le Gouvernement de la République française décide de confier à des intérêts privés le soin de veiller sur l’approvisionnement de notre pays, sur sa sécurité et sur son indépendance énergétiques.

M. le Ministre – Mais non !

M. Henri Emmanuelli – Mais si ! Et qui va en pâtir ? Le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité de nos entreprises. Les dirigeants que nous avons entendus en commission ne nous ont pas dit autre chose et vous le savez pertinemment.

M. le Ministre – Pas du tout !

M. Henri Emmanuelli - Monsieur le ministre, laissez-moi m’exprimer ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre – Souffrez que je réagisse à vos propos ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. Henri Emmanuelli - Oh, vous pouvez tout faire, et, du reste, vous ne vous en privez pas ! (Exclamations sur les sur les bancs du groupe UMP)

Demain, au conseil d’administration du nouvel ensemble, les actionnaires seront libres de fixer les tarifs les plus conformes à leur stratégie industrielle sans avoir de comptes à rendre à quiconque. (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Messieurs les députés de l’UMP, ne protestez pas, ce que je viens de décrire, c’est ce que répète votre collègue Dominique Paillé, membre de votre groupe, depuis des semaines ! (Même mouvement) Cela semble vous gêner qu’il ait mis le doigt sur ce risque majeur ! Mais je vous mets en garde, lorsqu’on néglige le principe de réalité, on le regrette toujours !

Pour conclure, je voudrais, en m’étonnant que personne ne l’ait fait avant moi, m’adresser aux actionnaires de la future société privée…

M. le Ministre – Réflexe de banquier !

M. Henri Emmanuelli - Mais oui, mon expérience d’ancien banquier dans le privé me permet de parler en connaissance de cause. Mesdames et Messieurs les actionnaires du futur ensemble, je vous le dis, réfléchissez bien ! Vous allez vous retrouver à la table d’un conseil d’administration où l’actionnaire qui détient la minorité de blocage dispose aussi des pouvoirs législatif et réglementaire. Cela fait beaucoup ! Si, avec 34 % et le pouvoir de réglementer l’État français ne trouve pas le moyen de se faire entendre, c’est qu’il aura choisi de biens mauvais représentants ! On vous fait aujourd’hui miroiter le sauvetage de grandes entreprises, mais, demain, quel que soit le gouvernement – et nous avons tout lieu de penser qu’il va changer ! –, vous serez dans une situation impossible. Que ferez-vous si, pour ne pas laisser dériver les tarifs…

M. le Ministre – C’est à la CRE qu’il incombe de les fixer.

M. Henri Emmanuelli - …l’actionnaire public décide de prendre des décisions que vous pourrez juger contraires à vos intérêts directs ? À votre place, je réfléchirais bien car, une fois la décision prise, il sera trop tard pour venir solliciter une nouvelle évolution.

En vue de sauver un management incompétent et de répondre à de fausses exigences, vous allez hypothéquer les marges de manœuvre de tous les gouvernements à venir et créer des actionnaires privés malheureux. Avouez que c’est beaucoup pour un seul ministre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; rires sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre – Merci, Monsieur le président, de me permettre de répondre dès à présent à certains orateurs.

Monsieur Bocquet, il ne faut pas avoir honte de votre démarche. La liasse d’aspect anodin que vous m’avez remise en séance – et que je vais vous rendre – ne représente que l’index de vos amendements. Derrière cet arbre au feuillage modeste, il y a bien la forêt de vos 90 000 amendements et les tonnes de papier qu’ils exigeront : à raison de 134 000 feuilles par député, cela représente 6 754 arbres ! Je respecte ce que vous voulez faire, mais il faut que les Français soient informés ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Monsieur Bataille, vous êtes un connaisseur du dossier et vos constats sont les bons : augmentation des prix, investissements colossaux, enjeux géostratégiques… Toutefois, au moment de la décision, vous devenez plus vague. Que proposez-vous ?

En ce qui concerne les investissements, je rappelle qu’EDF va consacrer 40 milliards d’euros dans les cinq ans à venir au développement de son parc nucléaire. Pour investir, il faut de l’argent, mais aussi un bilan. L’entreprise GDF doit de même disposer des moyens de se développer ; vous dites vous-même qu’elle est trop petite. Il faut donc qu’elle trouve une entreprise avec qui se marier…

Un député socialiste – EDF !

M. le Ministre – Nous avons examiné cette possibilité.

Plusieurs députés socialistes – Non !

M. le Ministre – Vous affirmez, de façon caricaturale, qu’il n’est possible de travailler qu’avec des entreprises publiques. Or, Total investit dans la recherche davantage qu’EDF. Si seules des entreprises à capitaux publics pouvaient distribuer du gaz comme il convient, il n’y aurait plus que la Bulgarie en course ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) En 1946, nos anciens ont pris des décisions courageuses. Soyons à la hauteur de leur héritage.

En droit des sociétés, trois pourcentages sont importants : 50 %, 34 % et 5 %. Si l’État français avait détenu plus de 5 % d’Arcelor, il aurait pu s’opposer à la fusion. Mais M. Strauss-Kahn avait vendu les 7 % qui lui restaient…

M. Henri Emmanuelli - Ce n’est pas souvent, mais ce que vous dites est vrai !

M. le Ministre - Monsieur Dionis du Séjour, le Sommet de Barcelone a effectivement été un point de départ dans l’ouverture du marché de l’énergie, comme l’a rappelé hier le rapporteur.

M. Pierre Cohen - C’est faux !

M. le Ministre – La transposition des directives est une nécessité impérieuse pour respecter nos engagements européens et organiser l’ouverture des marchés. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Si nous ne réalisons pas cette ouverture, ce sont les consommateurs qui en pâtiront, car nous ne parviendrons pas à garantir les tarifs régulés. Chacun doit donc prendre ses responsabilités. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Monsieur Dionis, je prends note de notre accord sur les articles 1 à 9 ; c’est une bonne base. Sur la CRE, nous commençons à différer. Ce n’est pas un nain, mais une institution puissante et respectée. Le gouvernement soutiendra les amendements proposés par le rapporteur à ce sujet. Par ailleurs, je pense que la réversibilité pure et simple n’est pas possible, car elle remettrait en cause les investissements. La proposition de la commission répondra à vos préoccupations.

En ce qui concerne le projet de rapprochement EDF-Suez, ne transformons pas notre débat en discussion d’assemblée générale des actionnaires, Monsieur Emmanuelli ! Nous sommes ici au Parlement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) et il s’agit de savoir si nous sommes d’accord ou non pour donner à GDF les moyens de nouer des alliances, comme cela a été demandé à maintes reprises par mes prédécesseurs. C’est la seule question. Le reste n’a rien à voir avec notre débat (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Je pense à cet autre projet, dont le Gouvernement a été amené certes à se saisir, mais dont nous n’avons pas à traiter dans le cadre de cette loi…

M. Pierre Cohen - Cela ne nous regarde pas ?

M. le Ministre – Nous n’avons pas à nous prononcer là-dessus par voie législative.

M. Pierre Ducout - Il en est question dans l’exposé des motifs !

M. le Ministre – La seule question pour nous est de donner à GDF les moyens de traiter à armes égales avec la ou les entreprises dont il pense qu’elles peuvent l’aider à relever les défis qui lui sont lancés.

Cependant, je suis disposé à vous donner toutes les informations, y compris celles qui ne concernent pas le débat parlementaire, comme la lettre de griefs de la Commission – qui n’est en aucun cas conclusive – et le courrier que j’ai reçu du commissaire McCreevy et que je vais transmettre au président de la commission des affaires économiques dès aujourd’hui. J’espère que vous serez plus nombreux à venir les consulter, car vous n’avez été jusqu’ici que neuf députés à prendre connaissance des éléments mis à votre disposition (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

En ce qui concerne les risques d’OPA, il faut un peu revenir au principe de réalité. Pour une OPA, il faut obtenir une majorité en assemblée générale extraordinaire, où 34 % du capital offre un droit de veto. Et, pour une fusion, il faut plus de 95 % du capital ! En outre, la détention d’actions spécifiques permet d’empêcher la cession d’actifs stratégiques. L’ensemble du dispositif protège donc parfaitement le groupe que GDF voudra constituer avec tout partenaire de son choix.

Le tarif social, la sécurisation des tarifs réglementés sont importants. La transposition de la directive est un impératif, sinon ce sont les plus défavorisés qui en feront les frais (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Voilà pourquoi le Gouvernement est déterminé à se battre pour ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Monsieur Bocquet, je ne peux vraiment pas partager votre constat. Vous avez cité Mao ; ce ne sont pas les références du gouvernement, ni celles, je pense, d’une autre gauche.

Monsieur Poignant, je salue le travail que vous avez effectué tout au long des six derniers mois. Nous avons ensemble amélioré le texte et trouvé un équilibre qui permette de recentrer le débat sur les deux questions essentielles : comment transposer cette directive dans l’intérêt des consommateurs ? – le Gouvernement soutiendra vos amendements et ceux de la commission sur ce point – et sommes-nous d’accord pour donner à GDF la possibilité d’avancer, et jusqu’où ? À ce dernier égard, nous avons trouvé un compromis qui préserve les missions de service public tout en permettant à GDF de ne pas être isolé dans la guerre énergétique et tout en maintenant les tarifs régulés, arrêtés par la CRE, sans faire croire à nos compatriotes que c’est parce que l’on détient une action que l’on peut déterminer le tarif. Telles sont les garanties apportées par ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. François Brottes – Rappel au Règlement. Je m’étonne, Monsieur le ministre, de cette intervention à mi-discussion générale : c’est votre droit de le faire, mais ce n’est pas la pratique commune ici (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Je suppose que vous souhaitiez répondre aux éléments que nous avons avancés et qui vous ont gêné, cela quitte à recourir à des arguments discutables, à votre habitude.

Hier, c’est l’ancien fonctionnaire, président de France Télécom, qui dérapait en oubliant son devoir de réserve…

M. le Ministre – Non, pas fonctionnaire !

M. François Brottes - Aujourd’hui, c’est le ministre qui donne des leçons aux parlementaires en décrétant ce dont on peut ou pas parler.

Nous, représentants du peuple français,…

Plusieurs députés UMP - Nous aussi !

M. François Brottes - Nous tous, en effet, devons défendre les actions détenues par le peuple français dans cette entreprise. De même, vous prétendez que les actions spécifiques ne concernent pas notre débat, mais elles sont pourtant bien présentes à l’article 10 ! Avant de nous donner des leçons, vérifiez donc ce dont nous débattons !

J’en viens aux caricatures qu’utilise à l’envi le ministre à propos de l’arbre qui cache la forêt. Nous ferons, en fin de débat, un bilan précis du nombre de pages imprimées pour soumettre nos amendements. Mais puisque c’est un homme de statistiques, le ministre peut-il nous préciser le nombre exact de pages de journaux publiées au cours des derniers mois pour faire de la publicité à cette opération ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Pierre Cohen - Et leur coût !

M. François Brottes - La comparaison vaut d’être établie, d’autant plus que si vous faites aboutir ce funeste projet, bien d’autres pages seront encore publiées pour influencer les actionnaires…

Mme Claude Greff - Et vos amendements ? C’est le contribuable qui les paie !

M. François Brottes - Au surplus, par vos propos, vous pénalisez la sylviculture française, Monsieur le ministre. (Sourires) La forêt française a doublé de surface en un siècle ; afin de lutter contre l’effet de serre, il faut abattre les vieux arbres et faire de la place aux jeunes. L’entretien de la forêt est nécessaire, y compris pour l’environnement ! Renseignez-vous donc, avant d’accréditer n’importe quelle thèse ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Enfin, en vertu de l’article 58, alinéa 3, de notre Règlement, je demande une suspension de séance afin que le ministre nous fasse parvenir une copie de la fameuse lettre du commissaire européen au marché intérieur, qui semble donner son feu vert à la golden share en question.

Mme Claude Greff – N’en avez-vous donc jamais assez ?

M. François Brottes - Nous avons besoin de connaître précisément cette réponse pour la suite de nos travaux.

M. Maxime Gremetz - Je pardonne à M. le ministre d’ignorer les us et coutumes de l'Assemblée nationale.

M. le Ministre – Je ne veux pas que vous me pardonniez ! Pas vous !

M. Maxime Gremetz - Votre ignorance vous fait faire de l’obstruction parlementaire ! (Rires sur les bancs du groupe UMP) Vous nous permettez en effet de faire des rappels au Règlement pendant la discussion générale, bien que cela soit interdit. Peut-être aurez-vous l’occasion d’acquérir un peu d’expérience parlementaire après les prochaines élections…

Plus sérieusement, je suis frappé…

Plusieurs députés UMP - C’est bien vrai !

M. Maxime Gremetz - …frappé, non pas de naissance, comme vous, mais en tant que parlementaire élu par le peuple français, qu’un ministre d’État s’engage comme il l’a fait – à seule fin d’obtenir un accord avec les syndicats – à ce que la participation de l’État dans GDF ne descende jamais en deçà de 70 %, puis revienne sur sa position. C’est la parole du Gouvernement tout entier qu’il avait engagée, ce même Gouvernement qui annonce aujourd’hui que cette part sera de 34 % à peine ! L’ultralibéral M. Novelli lui-même…

M. le Rapporteur pour avis – Je proteste !

M. Maxime Gremetz - …s’inquiète que ce seuil ne soit pas garanti. Vous n’avez pas répondu à cette juste crainte, Monsieur le ministre ! Cessez donc de donner des leçons, car ce faisant, vous faites de l’obstruction.

Nous devons avoir un grand débat national sur l’énergie avec l’ensemble de nos concitoyens, et un référendum. Vous le refusez et nous cachez certains éléments. Nous avons bien fait de déposer tant d’amendements : heureusement que nous sommes là pour garantir que le débat ait lieu malgré tout ! Vous feriez mieux d’écouter plus attentivement les orateurs : auriez-vous donc la science infuse, celle des grands patrons peut-être ? Mais que faites-vous des salariés et des syndicats ?

La séance, suspendue à 11 heures 40, est reprise à midi.

M. Daniel Paul - En défendant la motion de renvoi en commission, j’aurai l’occasion de revenir sur la fusion et la privatisation de GDF. Démontrer que ce projet est contraire aux intérêts des consommateurs et du pays n’est guère difficile. Les arguments avancés pour tenter de justifier ce rapprochement sont confus ou contradictoires. La qualité du projet est sujette à caution et votre précipitation ne vise qu’à satisfaire quelques actionnaires au détriment de l’intérêt général, dont vous feignez de vous préoccuper en prétendant que GDF aurait besoin de Suez après avoir soutenu le contraire il y a quelques mois.

Pour l’heure, j’aborderai l’autre objectif du texte, l’ouverture totale des marchés de l’électricité et du gaz au 1er juillet prochain. Il ne s’agit que de transposer les directives de juin 2003 selon le calendrier prévu, répondrez-vous.

M. le Rapporteur pour avis – Exactement.

M. Daniel Paul - Mais votre zèle est à la mesure de votre aveuglement. Comment prétendre qu’il serait sage de procéder à une ouverture totale des marchés quand leur ouverture partielle a eu tant d’effets néfastes sur les consommateurs, les industriels, l’emploi ? Pour les entreprises qui ont quitté le marché régulé pour le marché libre, après une période dorée de bien courte durée, les hausses ont été vertigineuses, jusqu’à 80 %. Certaines, étranglées, sont contraintes de cesser leur activité. C’est le cas du principal fournisseur d’ammoniac dans notre pays, le groupe Yara, au sujet duquel je vous ai écrit : le prix du gaz représente 87 % de ses coûts de production.

MM. Alain Bocquet et Yves Cochet – Eh oui !

M. Daniel Paul - On comprend les effets d’une hausse de 50 % : 130 emplois supprimés, et l’obligation pour notre pays d’importer de l’ammoniac.

Quant aux prix de gros de l’électricité, ils ont augmenté de 48 % d’avril 2005 à avril 2006. Vos amis du Medef considèrent même que l’ouverture dans ces conditions « conduit tout le monde dans le mur » car elle est faite à court terme, et sans coordination européenne. Dès lors, n’était-il pas plus indiqué d’établir un bilan et de demander le gel des directives et leur renégociation ? Au lieu de cela, vous proposez rien de moins que de soumettre l’ensemble des consommateurs, familles et petites entreprises, au même risque d’explosion de leur facture énergétique. Pour des raisons électoralistes, vous avez prévu quelques mesures afin d’arrondir les angles. Mais cela ne trompe personne. Ainsi, vous affichez la volonté de maintenir les tarifs réglementés et de laisser le choix aux consommateurs. Mais en réalité, vous confirmez le principe d’irréversibilité. Rien d’étonnant à cela, puisque l’objectif de la directive, confirmé par la Commission européenne, par la CRE et par les directions de GDF et de Suez, est de supprimer les tarifs régulés. Mais les protestations sont telles que vous êtes contraints de donner le change, avec un possible retour à un tarif supérieur de 30 % au tarif régulé – le prix libre ayant augmenté de 60 %, on coupe la poire en deux. Mais cela vaut pendant deux ans, pour les entreprises les plus en difficulté. Que se passera-t-il si, au bout de ces deux ans, le tarif dérégulé a encore augmenté de 50 ou 60 %, et que les entreprises sont pourtant obligées d’y revenir ? Cela ne va-t-il pas les pousser à mettre la clé sous la porte et à délocaliser ?

MM. Alain Bocquet et Yves Cochet – Mais oui !

M. Daniel Paul – Quand aux familles, on leur fera des propositions alléchantes et au bout de quelques mois, elle subiront la réalité des prix. On l‘a vu dans la téléphonie, avec un prix « d’accroche » à 29,90 euros. Mais les fournisseurs qui ont promis des résultats à leurs actionnaires obtiendront sans nul doute la compensation de la perte qu’occasionnerait cette baisse des tarifs. Ce matin, M. Mestrallet disait dans la presse que « les actionnaires ne doivent pas souffrir de l’évolution des tarifs ». Je ne crains rien pour eux. La Commission européenne, d’ailleurs, reproche à la France de faire obstacle à l’entrée de concurrents sur son marché parce que les tarifs de l’énergie sont insuffisamment élevés. Et pour que les fournisseurs et les producteurs d’énergie rentrent dans leurs sous, les petits consommateurs, familles et PME paieront ! Ce n’est pas en nous répétant que c’est le ministre qui décide des prix…

M. le Rapporteur – Des tarifs.

M. Daniel Paul - …que vous changerez grand-chose aux pressions des actionnaires et à la logique du marché. Cette politique est dangereuse pour notre économie et pour nos concitoyens. Entre l’intérêt des consommateurs et celui des actionnaires, l’intérêt général et la logique financière, vous avez fait votre choix. Le nôtre est différent. Nous refusons de sacrifier les intérêts du pays et des consommateurs, dont les entreprises, à ceux des actionnaires et des fonds de pension. Nous voterons évidemment contre ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Rapporteur – On nous a interrogés sur la communication de certains documents provenant de la Commission de Bruxelles, comme le courrier que le ministre a reçu ce matin du commissaire McCreevy. Il est possible que d’autres demandes soient faites dans les jours à venir concernant d’autres documents, et, avec le Gouvernement et le président de la commission des affaires économiques, nous avons défini un principe et une procédure : ces documents seront remis au président de la commission des affaires économiques et consultables dans son bureau. Nous répondons ainsi à une demande d’information légitime, et qui vient d’ailleurs de tous les bancs.

M. François Brottes - Rappel au Règlement. Je prends acte du fait que ces documents sont consultables, mais je souhaite qu’il soit précisé que nous pourrons faire copie de ceux qui ne sont pas confidentiels, afin d’en faire état dans les débats. Si le rapporteur ne répond pas à ce sujet, je considère qu’il acquiesce.

M. Alain Bocquet - Faire la queue pour lire les textes à la porte de la commission des affaires économiques ne me semble pas très convenable. D’ailleurs, peu d’entre nous son allés lire la lettre de griefs – pas une lettre d’observations, non, mais de griefs : quel symbole de l’Europe !

Pour une bonne information, il faut d’abord que cette lettre nous soit communiquée complètement, sans passages noircis qui la rendent incompréhensible. Quant aux échanges épistolaires entre le ministre et la Commission, ils sont également indispensables à notre information et le ministre peut très bien nous en donner copie : il n’y a pas de secret en l’espèce !

Si l’UMP a refusé que l’Assemblée siège en comité secret, c’est qu’on veut nous cacher des choses… Afin que nous mettions d’accord sur une méthode permettant enfin à la représentation nationale de disposer des éléments d’information dont elle a besoin pour décider en conscience, je demande au nom de mon groupe une suspension de séance.

M. le Rapporteur – Pour qu’en effet la représentation nationale dispose des éléments dont elle a besoin, nous nous sommes mis d’accord sur une procédure (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains), valable pour la durée du débat. Les documents sont mis à disposition par le président de la commission des affaires économiques ; ils sont consultables intégralement, ce qui ne veut pas dire qu’on puisse faire des photocopies pour les diffuser à l’extérieur.

M. Daniel Paul - Il faut faire la distinction entre, d’une part, les échanges de courrier entre la Commission européenne et le Gouvernement et, d’autre part, la lettre de griefs. J’ai consulté cette dernière : le maquillage des chiffres rend des paragraphes entiers totalement incompréhensibles. Va-t-on nous permettre d’en prendre connaissance intégralement ? Sinon, c’est que vous voulez cacher à la représentation nationale et à nos concitoyens la réalité de ce qui va se passer quand, le Parlement ayant terminé son travail, les actionnaires et leurs représentants à Bruxelles et au Gouvernement feront des coupes claires dans ce qui est une grande entreprise publique et qu’on veut transformer en oligopole privé.

M. Pierre Ducout – Ayant été l’un des premiers à consulter la lettre de griefs, je puis témoigner que ce ne fut pas dans de bonnes conditions. Le président de la commission travaillait en même temps, téléphonant à des journalistes pour leur dire le mal qu’il pensait de notre position ; et, jusqu’à mardi, il n’y avait qu’une seule photocopie… Il serait indispensable que les documents non confidentiels soient directement communiqués à chaque responsable de groupe. Par ailleurs, c’est se moquer de la représentation nationale que de maquiller certaines informations.

M. le Ministre – Je le redis, nous travaillons en toute transparence. Certes, certains éléments peuvent être confidentiels parce qu’il y a des précautions à prendre ; mais la procédure que nous avons définie avec le président de la commission des affaires économiques permet à chacun d’être informé (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). C’est ainsi, Monsieur Brottes, que la lettre adressée par la Commission au ministre est consultable dès maintenant dans son bureau. Mes services demanderont à la Commission si elle ne voit pas d’inconvénient à ce qu’elle soit photocopiée ; je vous ferai part de sa réponse, qui devrait être positive.

M. Alain Bocquet - Je suis indigné ! Le ministre et ses services organisent la rétention d’information ! Jamais vous ne me ferez croire, Monsieur le ministre, que vous ne connaissez pas la lettre de griefs dans son entier, sans passages barrés !

M. le Ministre – Tout ce que j’ai eu, vous l’avez.

M. Alain Bocquet - Je réitère ma demande : s’il le faut, réunissons-nous en comité secret pour qu’on nous lise in extenso le texte de la Commission européenne. Pour qui nous prend-on ? C’est inadmissible ! Si nos collègues de la majorité veulent être des godillots, c’est leur problème (Protestations sur les bancs du groupe UMP), mais il est scandaleux qu’on ne donne pas toutes les informations aux élus du peuple. Je demande une suspension de séance, et je vais faire appel s’il le faut au Président de la République car nous nageons en plein délire ! Qu’est-ce que c’est que cette République du secret ? Le Bureau de l’Assemblée doit être convoqué pour mettre de l’ordre. Je demande d’ailleurs la venue du Président Debré.

M. François Brottes - Je partage totalement l’indignation de M. Bocquet. Certes, nous avons à transposer des directives, mais nous n’avons pas à légiférer en obéissant aux injonctions de tel ou tel membre de la Commission européenne. Il peut y avoir des documents confidentiels, mais la lettre que vous a envoyée le commissaire doit pouvoir être diffusée, et nous n’allons pas attendre l’aval de qui que ce soit : puisqu’on ne veut pas nous en donner une photocopie, je m’associe à la demande de suspension de séance pour que nous ayons le temps de la recopier (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Marc Laffineur - Gardez votre calme, chers collègues de l’opposition… La transparence est totale, puisque tout est consultable (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Ce n’est pas la peine d’injurier le groupe majoritaire et de prendre tous les prétextes pour faire traîner le débat. L’énergie mérite mieux ! (Même mouvement)

La séance, suspendue à 12 heures 30, est reprise à 12 heures 45.

M. Jean-Yves Le Déaut - Rappel au Règlement. Nous ne sommes pas dans de bonnes conditions pour continuer ce débat, Monsieur le président, car M. Brottes est allé recopier la lettre que le ministre refuse de nous communiquer après nous avoir dit qu’il l’avait reçue. Certains nous accusent de faire de l’obstruction mais, si le ministre n’était pas intervenu comme il l’a fait, nous serions sans doute bien plus avant dans la discussion générale à l’heure qu’il est. C’est la méconnaissance des usages parlementaires d’un membre du Gouvernement qui fait qu’aujourd’hui nous en sommes là ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Allons, Messieurs, il y en a parmi vous qui nous le disent en privé ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Quoi qu’il en soit, nous ferions mieux de lever la séance et de laisser à M. Brottes le temps de prendre connaissance de cette fameuse lettre.

M. le Président – Cette proposition conviendra certainement à l’Assemblée.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu, cet après-midi, à 15 heures.
La séance est levée à 12 heures 50.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.
Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.
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