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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

2ème séance du jeudi 21 septembre 2006

Séance de 15 heures
10ème jour de séance, 25ème séance

Présidence de M. René Dosière
Vice-Président

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La séance est ouverte à quinze heures.

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énergie (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif au secteur de l’énergie.

rappels au Règlement

M. François Brottes – Nous sortons de la réunion de la commission des affaires économiques qui s’est tenue, ainsi que nous l’avions demandé ce matin, pour informer les parlementaires sur des éléments qu’ils avaient découverts dans la presse. Je remercie le président de la commission d’avoir accédé à cette demande.

Les ministres nous ont bien expliqué que la publication intégrale des propositions de GDF et de Suez à la Commission européenne ne pouvait être envisagée : l’obligation de confidentialité ne peut être levée. Ce que nous avons appris, c’est que l’ensemble du secteur – transport, stockage, infrastructures, réseaux de chaleur – est concerné par les modifications du périmètre d’activité des deux entreprises, que la réduction du périmètre et du chiffre d’affaires envisagée est notable et que la Commission semble se satisfaire de ces propositions. Elle doit maintenant consulter les concurrents du secteur avant de donner un avis définitif – nous sommes donc loin de la fin du processus. À ce propos, ces concurrents sont-ils ceux du seul secteur de l’énergie, ou aussi de tous les secteurs dans lesquels les deux entreprises interviennent ? Veolia Environnement, par exemple, sera-t-elle consultée par la Commission ? Enfin, nous savons que la réduction des périmètres d’activité peut se faire selon trois cas de figure : la cession pure et simple à un autre opérateur, la filialisation ou encore l’ouverture des infrastructures aux concurrents.

Cependant, le démantèlement de Gaz de France pose le problème des doublons entre ses activités et celles de Suez. D’autre part, réussirez-vous, dans ce contexte, à obtenir la parité entre les actions des deux entreprises ? Le ministre a dit à plusieurs reprises que l’occasion serait donnée aux assemblées générales d’actionnaires de se saisir de cette question. Ce que nous déplorons, c’est que tout cela se décidera après que le Parlement vous aura donné un chèque en blanc.

M. Daniel Paul – Je noterai d’abord un progrès : alors que la lettre de griefs de la Commission européenne était abondamment raturée, la réponse de Suez et de GDF n’était pas expurgée. C’est peut-être une naïveté de ma part que d’y voir le résultat de notre « coup de gueule » d’il y a quelques jours…

Vous nous avez répondu du mieux possible, tout à l’heure en commission, Messieurs les ministres, mais les risques demeurent. La désintégration de GDF est en marche, par le biais de la filialisation de ses activités, et la meilleure preuve en est que vous éprouviez le besoin d’instaurer une action spécifique sur un certain nombre de ces éléments filialisés. Selon vous, l’action spécifique constitue une protection : à condition que vous ayez la volonté et la capacité politique de protéger ! Après tout, en 2004, vous vouliez qu’EDF et GDF restent à 70 % sous le contrôle de l’État. Aujourd’hui, vous nous dites que le monde a changé. Il me semble que ce sera encore le cas dans quelques années et vous pourriez bien alors nous opposer le même argument pour refuser de faire jouer cette protection !

Ce qui est sûr, c’est que nous allons légiférer avant que la décision de la Commission européenne et que les prétentions des actionnaires de Suez à l’égard de GDF ne soient connues. Cette réunion de la commission était donc une bonne chose, et nous vous savons gré d’avoir satisfait notre demande, mais elle ne change rien au fond. Nous restons opposés à ce qu’on privatise GDF, à ce qu’on mette à mal l’entreprise pour la préparer à la fusion avec Suez.

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l’industrie Je remercie le président de la commission des affaires économiques de nous avoir permis, avec François Loos, d’avoir un échange constructif avec les membres de la commission mais aussi, ainsi qu’il l’a souhaité, avec tous les parlementaires qui le désiraient. Le Gouvernement tient en effet à ce que le débat soit de la meilleure qualité possible, ce qui suppose qu’il soit mené dans la clarté.

Je dois rappeler, encore une fois, que les neufs premiers articles du texte sont relatifs à la transposition de la directive énergie, qui est nécessaire afin que nos compatriotes puissent bénéficier, à partir du 1er juillet 2007, des tarifs régulés pour l’électricité et pour le gaz, et que l’article 10 donne la possibilité à Gaz de France de nouer, le cas échéant, des alliances industrielles, dans le cadre d’un grand projet qui réponde aux défis de l’avenir tout en préservant les intérêts de l’État – notamment par le fait que celui-ci détiendra au moins 34 % du capital et disposera d’actions spécifiques sur les actifs stratégiques que sont les terminaux méthaniers, les réseaux de transport et les stockages stratégiques.

Le groupe travaille parallèlement sur un projet sur lequel il appartiendra in fine non pas à l’Assemblée, mais à ses actionnaires, dont, au premier chef, l’État, et à ceux de Suez, de se prononcer. Lorsque le Parlement a voté l’autorisation de privatiser Air France, alors que celle-ci discutait avec British Airways, il n’a aucunement été question de discuter d’une quelconque lettre de griefs, pas plus que pour Renault, qui discutait avec Volvo !

M. François Brottes – Il n’y avait pas de contrat de service public pour Renault !

M. le Ministre – Mais Air France est délégataire de missions de service public. Et l’étude des lettres de griefs aurait été une perte de temps, puisque Renault s’est marié avec Nissan et Air France avec KLM !

Quoi qu’il en soit, le projet de Gaz de France existe, et la Commission en a été saisie. La lettre de griefs a été raturée par la Commission elle-même et nous l’avons transmise telle qu’elle nous est parvenue. Les groupes Gaz de France et Suez y ont répondu hier, et nous sommes très heureux qu’ils aient rendu publiques leurs conclusions par le biais d’un communiqué détaillé – ce qui est rare.

M. François Brottes - C’est un document très synthétique !

M. le Ministre – Vous l’avez déjà dit, et c’est la raison pour laquelle nous nous sommes réunis à votre demande, dans un esprit de transparence. Nombre d’observateurs estiment aujourd’hui que ces propositions sont crédibles et réalistes et qu’elles ne permettent pas de douter de la qualité du projet industriel, bien au contraire. Nous avons franchi une étape et le Gouvernement s’en réjouit. Il faut continuer à aller de l’avant et travailler sur le projet.

S’agissant des remèdes proposés, chacun aura noté que l’intégralité du périmètre de Gaz de France est respecté et que les adaptations envisagées ne concernent, pour l’essentiel, que Distrigaz, en Belgique. Le Gouvernement ne souhaite pas faire de commentaire supplémentaire. Nous sommes satisfaits de la façon dont les choses se déroulent, même si tout cela ne concerne que le troisième temps, celui – après le temps du Parlement – des projets et des assemblées générales.

Soyez convaincus, Mesdames et Messieurs les députés, qu’à chaque fois que le Gouvernement disposera d’une information, il la partagera avec les parlementaires, comme il vient de le faire à la demande du président Ollier (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

ART. 6 (suite)

M. le Président – Nous poursuivons l’examen des amendements à l’article 6.

M. Antoine Herth – L’amendement 137534 concerne l’application du texte aux distributeurs non nationalisés – les DNN. Ce matin, j’ai noté avec satisfaction les déclarations de notre rapporteur tendant à prendre en compte certaines particularités. Reste ainsi à traiter la situation des DNN qui « jouent dans la cour des grands ». À ce titre, il semble opportun qu’on leur permette d’assurer leur position sur un marché qui sera devenu concurrentiel. C’est pourquoi notre amendement demande la modification de l’article 23 de la loi du 8 avril 1946 relative aux sociétés d’économie mixte, de sorte que les collectivités puissent ouvrir le capital des DNN au privé et que des alliances entre DNN deviennent possibles. Cependant, il prévoit aussi que les collectivités pourront conserver 33 % du capital des distributeurs, cela pour leur permettre de vérifier la bonne exécution des missions de service public.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission des affaires économiques – La commission n’a pas examiné cet amendement. Pour en avoir discuté avec le président Ollier et avec ses auteurs, je considère, à titre personnel, qu’il soulève une vraie question, particulièrement sensible dans certaines localités, telles que Strasbourg et Bordeaux. Il faut être attentif au risque de fragilisation du monopole que détiennent les DNN et tenir compte des sensibilités qui s’expriment au plan local. Je suggère que cet amendement soit revu au Sénat et que nous en reparlions en CMP, une fois que la réflexion aura mûri.

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie - Il s’agit manifestement d’un amendement très intéressant, puisqu’il fait un parallèle entre la situation faite à Gaz de France et celle qui pourrait être faite aux DNN…

M. Christian Bataille - Allez, on privatise tout !

M. le Ministre délégué – Il y a 20 DNN gaziers en France et j’ai bien noté que l’amendement était signé par le maire de Bordeaux…

M. François Brottes – Lequel ? (Sourires)

M. le Ministre délégué - …et des élus alsaciens. La demande émane donc principalement de deux DNN. Il faudrait par conséquent organiser une consultation de l’ensemble des DNN et des collectivités qui les représentent, et votre rapporteur a raison de demander qu’on approfondisse la réflexion en mettant à profit le délai qui nous sépare de l’examen du même article au Sénat.

Ce matin, M. Jung a rappelé que je m’étais prononcé à plusieurs reprises pour qu’on maintienne les réseaux dans la propriété des collectivités locales. Mais le présent amendement ne porte pas là-dessus et je confirme à M. Jung qu’en effet, en aucun cas, nous n’envisageons de remettre en question la place des collectivités vis-à-vis des réseaux de distribution. Ici, il s’agit plutôt de la propriété de la société en charge de la distribution et de la fourniture. Cependant, comme, sur cette question, nous pouvons voir les positions évoluer, je pense qu’il serait plus prudent d’avoir, au préalable, consulté l’ensemble des DNN concernés. Je vous propose par conséquent de retirer cet amendement, de sorte qu’il puisse être discuté plus à fond d’ici à l’examen par le Sénat.

M. Armand Jung - J’ai eu l’occasion ce matin de brosser rapidement l’histoire de Gaz de Strasbourg depuis 1914. Cette société d’économie mixte, qui a échappé aux lois de nationalisation de 1946, est aujourd’hui une véritable institution, sociale, économique et culturelle de notre région, au même titre que le régime local d’assurance maladie et que nos autres institutions régies par le droit local progressiste. Le Gaz de Strasbourg, tous les Alsaciens y sont attachés, au même titre qu’ils aiment La Poste ! Quand le releveur du gaz vient dans une famille, il est, comme le facteur, reçu en ami. Je ne puis donc me résoudre aux attaques que l’on entend porter à cette institution. Les syndicats et les associations de consommateurs sont mobilisés et ils considéreraient toute mise en cause de ce régime spécifique comme une véritable agression.

Sur le fond, l’évolution statutaire envisagée ne présente aucun intérêt et n’a pas de justification. Le Gaz de Strasbourg est une SEM, dans laquelle la ville de Strasbourg est majoritaire. Elle vaut, aujourd’hui, 180 millions. La ville de Strasbourg veut réduire sa participation à 33 % du capital – ce qui ne correspond même pas à la minorité de blocage prévue pour Gaz de France. L’objectif serait de faire une opération de trésorerie, permettant de récupérer environ 35 millions en une année. Mais c’est un fusil à un coup. La société rapportant en moyenne 2,5 millions par an à la ville – avec un pic de 7 millions en 2005, les 35 millions que l’on fait miroiter peuvent de fait être recouvrés en quelques années.

Au surplus, le projet national n’implique pas du tout la privatisation de Gaz de Strasbourg et tout le monde s’interroge sur les motivations autres que financières d’une telle réforme. Monsieur le Président, je ne suis pas l’un des ténors de l’Assemblée et je ne prends que rarement la parole, si ce n’est pour défendre avec détermination ce qui concerne ma région et Strasbourg, siège du Parlement européen…

M. le Président – Ne vous défendez pas de défendre l’Alsace !

M. Armand Jung - Même si la loi oblige, quel que soit le statut, à remplir les missions de service public, on peut s’interroger sur le volume des investissements qu’une société privée serait prête à consentir. Le premier réflexe de l’investisseur ne serait-il pas de chercher à rentabiliser au plus vite le capital mis dans Gaz de Strasbourg ? Les 334 salariés de l’opérateur redoutent que l’effectif ne soit pas maintenu, ou, pour le moins, que les départs à la retraite ne soient pas compensés, même si le statut est conservé.

Comme l’a indiqué Jean Le Garrec ce matin, et à Strasbourg plus encore qu’ailleurs, le gaz n’est pas une marchandise ordinaire : il ne faut pas s’en remettre à de simples opérations financières pour s’en occuper.

J’ai noté la proposition du rapporteur et du ministre de renvoyer l’affaire au Sénat, mais je sais qu’elle nous reviendra et que j’aurai l’occasion d’en reparler. S’il y avait un intérêt majeur à privatiser Gaz de Strasbourg, cela se saurait et on pourrait en discuter. Mais il n’y en a aucun ! L’opération est strictement financière. Alors, de grâce, ne touchez pas à cette institution historique qui ne pose de problème à personne.

M. le Président – Compte tenu de la déclaration d’urgence, il n’y aura qu’une seule lecture du texte dans chaque assemblée, Monsieur Jung !

M. Jacques Desallangre - Après une aussi fougueuse défense des intérêts strasbourgeois, j’hésite à défendre ceux de la Picardie et me placerai donc sur un terrain plus général. Cet amendement relève d’une idéologie libérale que nous ne partageons absolument pas. Le rapporteur, comme le ministre, qui savent combien la population est opposée à ces mesures, ont d’ailleurs fait preuve d’une extrême circonspection, renvoyant la balle dans le camp du Sénat. Nous sommes, pour notre part, totalement opposés à cet amendement d’inspiration purement libérale. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean Dionis du Séjour – Je ne suis bien sûr pas aussi concerné par cet amendement que notre collègue Armand Jung qui a défendu avec passion la cause de Strasbourg, et en parlerai avec modestie devant un ministre lui aussi strasbourgeois. Néanmoins, en tant que député aquitain, j’ai eu l’occasion de m’entretenir du sujet avec le maire de Bordeaux.

Le Sénat n’a pas le monopole de ce qui concerne les collectivités locales. Je ne suis pas, pour ma part, favorable à ce qu’il donne le la en la matière. Il est bon que l’Assemblée débatte de ce sujet. L’UDF est favorable à cet amendement qui ouvre la possibilité aux communes d’abaisser de 51 % à 33 % le seuil de leur participation, tout en conservant la propriété des réseaux, ce qui leur garantit de conserver d’importants leviers d’action. Il s’agit seulement pour elles d’un arbitrage patrimonial : si l’affaire est aussi intéressante que le prétend M. Jung, je ne doute pas que les municipalités de Strasbourg et de Bordeaux la conserveront. Pourquoi arbitreraient-elles contre leurs intérêts ? Par ailleurs, c’est une lourde responsabilité pour des communes que d’être responsables de l’exploitation d’un réseau gazier, métier hautement technique. L’amendement de notre collègue Herth est donc tout à fait justifié.

M. Christian Bataille - Cet amendement est purement idéologique ! Il tend à privatiser Gaz de Strasbourg pour le principe, car je n’ai entendu aucun argument sur le fond qui pourrait justifier cette opération. Personne ne peut soutenir que Gaz de Strasbourg fonctionne mal ou que la commune n’est pas capable de gérer cette activité. Notre collègue Armand Jung a au contraire souligné combien ce service, qui revêt une dimension quasi-culturelle en Alsace, marchait bien. Pourquoi renvoyer le problème au Sénat, comme l’a fait le rapporteur ? L’Assemblée doit se prononcer. Si vous êtes, chers collègues, favorables à la privatisation de Gaz de Strasbourg, dites-le, mais dites-le franchement. Pour notre part, nous sommes tout à fait opposés à cette opération de basse politique.

M. Armand Jung – Le réseau de transport de Gaz de Strasbourg vient d’être entièrement refait et remis aux normes par les collectivités, suite notamment aux dramatiques incidents survenus à Mulhouse l’an dernier. Et voilà qu’après avoir supporté la charge de cette réfection totale, elles devraient le céder à un opérateur privé dont on ne sait même pas quel il sera, la ville de Strasbourg ayant chargé la banque Rothschild de trouver un repreneur pour ses parts. Pourquoi ne serait-ce pas Gazprom, pour qui ce serait une bonne façon de mettre un pied en France ?

Notre expérience, reconnue, dans la gestion de ce réseau est telle que je ne vois aucune utilité à sa privatisation.

M. François Brottes – L’Assemblée doit rejeter cet amendement lourd de conséquences. Monsieur Dionis du Séjour, si détenir la majorité donne certes une légitimité, cela ne donne pas pour autant tous les droits devant l’histoire. Une commune qui souhaiterait se séparer d’un quartier dont elle estime qu’il lui coûte trop cher ne le pourrait pourtant pas ! Eh bien, la comparaison vaut en l’espèce. La décision irresponsable de privatiser Gaz de Strasbourg excéderait la légitimité dont peut se prévaloir une majorité municipale, laquelle n’est jamais que transitoire.

En outre, n’y aurait-il pas derrière cette mesure l’idée que la réduction du périmètre des nouvelles entreprises privatisées devrait être compensée par l’acquisition d’actifs sur d’autres marchés, notamment celui des distributeurs non nationalisés ? On est en droit de s’interroger, cette majorité nous ayant donné l’habitude d’avancer ainsi masquée, en plusieurs étapes.

Enfin, Monsieur le ministre, c’est bien parce nous avons eu l’expérience avec Air France d’une mariée qui n’était finalement pas celle prévue, que nous nous montrons prudents en amont. Nous aimerions d’ailleurs – mais nous en reparlerons à l’article 10 –, savoir quel a été le rôle exact de l’Agence des participations de l’État dans le projet de fusion Suez–GDF, un décret de septembre 2004 lui ayant donné compétence s’agissant de GDF.

M. le Président – Sur l’amendement 137534, dont je rappelle que le rapporteur et le ministre ont demandé le retrait, je suis saisi d’une demande de scrutin public par le groupe communiste et républicain.

M. Daniel Paul – Il s’agit bel et bien d’un amendement idéologique, purement dogmatique ! À la première occasion, dans un domaine extrêmement important, de surcroît à Strasbourg, ville-symbole s’il en est, siège du Parlement européen…

M. Jean Dionis du Séjour - Gaz de Bordeaux aussi est concerné.

M. Daniel Paul – Le poids symbolique n’est pas le même. À la première occasion, disais-je, le Gouvernement offre une aubaine à la ville de Strasbourg, et à d’autres, en leur permettant de vendre une partie de leur réseau gazier.

Notre demande de scrutin public sur cet amendement répond à la même logique que celle que nous défendons pour l’ensemble de ce texte. Opposés à l’utilisation du 49-3, nous souhaitons que chaque parlementaire se prononce en personne, de manière publique, de façon que l’on sache quels sont ceux qui auront privatisé Gaz de France, ou ouvert son capital, ce qui revient au même (« Très bien ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. Antoine Herth – Il faut, me semble-t-il, couper court à certaines extrapolations. Tout d’abord, il ne s’agit pas d’un amendement « alsacien », comme en témoigne l’intervention de notre collègue Dionis du Séjour. Il s’agit d’une question de principe. Alors que nous ouvrons le capital de Gaz de France, pourquoi ne pas faire de même du capital des DNN qui, eux aussi, auront à évoluer dans le nouveau contexte concurrentiel ? Pour ce qui est du statut des salariés, il n’est absolument pas remis en cause, non plus que la qualité du service rendu aux usagers.

Monsieur Jung, vous qui défendez avec tant d’ardeur les intérêts de l’Alsace, que n’avez-vous cosigné cet amendement car, pour défendre l’avenir de Gaz de Strasbourg, il faut précisément lui donner toutes ses chances !

Cela étant, j’ai bien entendu les propos du ministre. Il est vrai que la question n’a pas été abordée en commission et que, l’amendement concernant, au-delà de Gaz de Strasbourg et Gaz de Bordeaux, l’ensemble des DNN, il serait bon d’approfondir la réflexion. Pour l’heure, je retire cette proposition sous réserve que le problème soulevé soit examiné lors de l’examen du texte au Sénat ou, au pire, lors de la CMP.

L'amendement 137534 est retiré.

M. Michel Vaxès – À M. Paul, qui défendait avec talent les amendements de suppression de l’article 6, on a opposé par la nécessité d’appliquer les textes européens. C’est se soumettre à une volonté que la majorité des Français ont repoussée en votant contre le traité constitutionnel. Nos amendements 93394 à 93415, de suppression de l’alinéa premier, s’inscrivent au contraire dans une volonté de résistance.

Cet article organise la séparation juridique des réseaux de distribution de gaz et d’électricité au nom du principe général et abstrait, affirmé par les directives de 2003, d’un accès non discriminatoire au réseau. Or ce que les Français reprochent à l’Europe telle qu’elle est, et non telle qu’ils la souhaitent, c’est d’être un rouleau compresseur technocratique. Et quoi de plus technocratique que de légiférer au nom de principes abstraits, sans tenir compte des spécificités du secteur ? Considérer que la distribution d’énergie serait un bien comme un autre relève de l’idéologie !

Allant plus loin encore, dans la logique du discours sur la rupture que tient le président de l’UMP, vous voulez substituer aux valeurs du gaullisme les recettes appliquées hier par Mme Thatcher et M. Reagan. Quel modernisme ! C’est à ce manque d’imagination politique et de sens des réalités que nous nous opposons.

M. le Rapporteur - Rejet, pour une raison qui vaut pour tous les amendements de suppression suivants : si nous ne votons pas l’article 6, les directives s’appliqueront de toute façon. Mieux vaut donc les adapter nous-mêmes.

M. le Ministre – Même avis.

M. François Brottes - L’article 13 du projet qu’a fait voter M. Sarkozy en 2004 a déjà transposé les directives. Aujourd’hui, vous modifiez cet article. Y a-t-il eu une nouvelle directive dont il faille tenir compte ? Nullement. Dès lors, pourquoi accélérer le processus plutôt que de s’en tenir à la loi de 2004 ?

M. le Rapporteur – En réalité, depuis dix ans nous sommes engagés dans un processus qui se développe progressivement, loi après loi, directive après directive. S’agissant des réseaux de transport, on a effectué la séparation comptable en 2000, puis la séparation juridique en 2004. On aurait pu alors faire également la séparation juridique des réseaux de distribution puisque la directive datait de 2003. Mais le choix a été d’agir par étapes pour nous adapter à une organisation fixée dans l’esprit depuis 1996.

Les amendements 93394 à 93415, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président – Nous en venons aux amendements identiques 93152 à 93173.

M. Jacques Desallangre – Ces amendements suppriment les alinéas 2 à 4. Comme l’a rappelé M. Vaxès, il n’y a rien de plus technocratique que de légiférer sur le fondement de principes abstraits. Or séparer la gestion des réseaux de distribution des maisons mères perturbe sans nécessité une organisation qui a fait la preuve de son efficacité. Il est vrai que les mêmes directives, transposées dans la loi de 2004, ont déjà entraîné la filialisation des réseaux de transport. Avec la filialisation de la distribution, on peut craindre le démantèlement des entreprises publiques intégrées, alors qu’on pourrait profiter de synergies pour réduire les coûts de production et assurer des péréquation entre les activités. Mais on va « progressivement » comme dit le rapporteur faire avaler la potion amère jusqu’à la lie !

Si l’on voulait faire un grand champion français de l‘énergie, il fallait rapprocher GDF et EDF. Mais bizarrement, pour la Commission européenne, ce n’est pas le bon choix, alors qu’elle est des plus conciliantes quand il s’agit de la fusion GDF–Suez.

L’obligation faite par la Commission de Bruxelles, soumise au dogme libéral, met en danger un service public efficace et moderne. Nous rejetons donc ce texte. Les arguments du rapporteur sont fallacieux. Rien n’obligeait à aller dans ce sens.

Les amendements 93152 à 93173, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Daniel Paul - En défendant les amendements 93416 à 93437 de suppression de l’alinéa 2, j’insiste sur le fait que vous préparez aussi insidieusement l’ouverture à la concurrence du secteur de la distribution. Sans remettre en cause les concessions en cours, l’article 6 ne conforte pas le système du successeur obligé. Or, aujourd’hui, sans posséder de monopole, puisqu’il existe des DNN, les opérateurs historiques réalisent de réelles économies d’échelle. En décidant que désormais la péréquation ne pourra se faire que dans le périmètre d’action de chaque gestionnaire, vous préparez le terrain pour une disparition de cette péréquation.

Vos décisions sont incohérentes : d’un côté vous favorisez la constitution d’oligopoles et de l’autre la déconcentration du réseau distribution ; vous poursuivez la dérégulation, tout en maintenant les tarifs réglementés, tout cela sans garantir la sécurité d’approvisionnement ni la modération et la péréquation tarifaires.

M. le Rapporteur – Défavorable.

M. le Ministre – Défavorable.

M. François Brottes - Le réseau de distribution, en tant qu’entité séparée, sera utilisé « de façon non discriminatoire », c’est-à-dire par n’importe quel fournisseur de gaz. Le régulateur n’intervient-il que sur le réseau de transport, ou également sur les prix et les modalités d’accès au réseau de distribution ? La libéralisation du réseau ne manquera pas d’avoir un impact sur le prix payé par l’utilisateur.

Pourquoi conserver cet alinéa ? Quelles seront les conséquences de la séparation juridique ? C’est l’utilisation non discriminatoire des réseaux qui est en jeu ! En quels termes ? À quel prix ?

M. le Rapporteur – La loi de 2000 répond à vos interrogations puisque c’est elle qui ouvre les réseaux pour l’ensemble des clients. Le caractère non discriminatoire de l’accès est quant à lui contrôlé par la CRE. Il en va de même concernant la fixation des tarifs d’acheminement, y compris pour le réseau de distribution, lorsque le client y figure en tout cas à son terme – les très gros clients pouvant être seulement concernés par le réseau de transport.

Les amendements 93416 à 93437, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président – Nous en venons aux amendements identiques 93438 à 93459.

M. Michel Vaxès – Tout démontre que seule la volonté de privatiser vous motive : le transport du gaz, tout en restant propriété de GDF, sera privatisé ; en matière de distribution, le gestionnaire issu de GDF pourra être détenu par GDF ou tout opérateur privé ; enfin, il est significatif que l’État supprime ses administrateurs au GRT comme au GRD, un commissaire, éventuellement, n’ayant qu’une voix consultative. Votre texte manifeste un zèle démesuré à l’égard des directives, derrière lesquelles vous vous retranchez d’ailleurs souvent. On ne peut qu’être inquiet de cette volonté de privatiser entièrement ce secteur avec, comme corollaire, la privatisation des profits et la socialisation des coûts. Lorsque l’on sait que le schéma actuel de l’organisation de la distribution du gaz relève de la compétence des collectivités locales dans le cadre du régime de l’exploitation en régie ou de la concession, il est aisé de prédire que le futur schéma que vous avez en tête reproduira pour l’énergie ce que nous avons connu pour l’eau. Je tiens à alerter les élus locaux. Nos amendements visent donc à supprimer l’alinéa 3 de cet article.

Les amendements 93438 à 93459, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Rapporteur – L’amendement 88543 est rédactionnel.

M. le Ministre – Avis favorable.

M. François Brottes – Cet amendement n’est pas rédactionnel, il a une portée normative. Le texte dispose que la gestion d’un réseau de distribution d’électricité ou de gaz naturel desservant plus de 100 000 clients sur le territoire métropolitain est assurée par des personnes morales distinctes de celles qui exercent des activités de production ou de fourniture d’électricité ou de gaz naturel. Votre amendement visant à remplacer « d’un réseau » par « de réseaux », faut-il comprendre que la barre des 100 000 clients peut être atteinte lorsque l’on gère plusieurs réseaux, ou bien que les DNN d’aujourd’hui peuvent aller « picorer » dans la gestion d’autres réseaux d’autres DNN en raison d’éventuelles cessions ?

M. le Rapporteur – S’il s’agit de GDF, il n’y a évidemment qu’un réseau, mais dès lors qu’il existe d’autres distributeurs, le pluriel s’impose. Ce n’est pas un pluriel bien singulier ! (Sourires)

M. François Brottes – J’insiste : le pluriel de « réseaux » s’explique-t-il par le fait que la barre des 100 000 clients peut être atteinte si l’on gère trois ou quatre réseaux qui, au total, font 100 000 clients ?

M. le Rapporteur – Oui.

M. François Brottes - Donc, cet amendement n’était pas rédactionnel.

L'amendement 88543, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur – L’amendement 88544, cosigné par M. Dionis du Séjour, précise, dans l’alinéa 3, que la gestion est assurée par « une ou » des personnes morales distinctes.

M. le Ministre – Avis favorable.

M. François Brottes – Cet amendement, qui est en fait de conséquence, implique-t-il qu’il puisse y avoir plusieurs gestionnaires d’un même réseau de distribution ?

M. Jean Dionis du Séjour – Directement inspiré de la directive, il précise qu’il peut n’y avoir qu’un seul gestionnaire de réseaux désigné par l’État membre.

L'amendement 88544, mis aux voix, est adopté.

M. le Président – Nous en venons aux amendements identiques 5202 à 5351.

M. François Brottes – Mon amendement 5202 apporte une précision et manifeste une conviction. Nous souhaitons en effet que les personnes morales distinctes gérant le réseau de distribution – DNN ou GDF – soient de droit public. Nous donnons ainsi la possibilité à M. le rapporteur de faire amende honorable quant à sa volonté de privatiser tous azimuts car ce n’est pas parce qu’une activité de réseaux est séparée ou filialisée qu’elle devra ouvrir son capital ou être privatisée de la même manière. Il est vrai que cela implique une propriété publique au-delà de 50 %. À ce propos, quel avenir pour nos sociétés d’économie mixte ? Je suis persuadé que, demain, vous expliquerez que le capital public n’y pourra excéder 30 %.

M. Christian Bataille – Nos adversaires de l’UMP doivent considérer ironiquement que mon amendement identique 5203 fait très « loi de 1946 », comme si notre groupe était attaché à des principes désuets. Au nom de la modernité, il faudrait oublier tout cela ! « Personnes morales », c’est plus neutre, plus « XXIe siècle » que « droit public », lequel renvoie à des principes républicains, qui plus est à valeur constitutionnelle ! Nous sommes pourtant attachés à cette formule, et nous ne cesserons pas de la marteler. Notre débat sur la privatisation de Gaz de Strasbourg était à cet égard très symbolique de tout ce qui nous sépare. Je suis rassuré que M. le Président de l'Assemblée nationale ait précisé ce matin que nous ne nous sommes entendus que sur un calendrier prévisionnel : sur le fond, nous n’avons en l’occurrence rien de commun. Vous considérez le service public et le droit public comme secondaires mais c’est parce que nous, nous sommes les héritiers de ceux qui, en 1946, ont fondé EDF et GDF que nous sommes très attachés à cette précision !

M. le Rapporteur – Avis défavorable. Outre que cet amendement porte à la fois sur EDF et GDF et que la première entreprise reste publique à 70 %, notre projet vise précisément à privatiser GDF.

M. le Ministre – Même avis. Nous avons en outre consulté le Conseil d’État le 11 mai dernier : il est possible de privatiser des GRD gaziers mais aussi, d’ailleurs, électriques.

M. François Brottes - Vous vous défaussez sur le Conseil d’État d’une responsabilité qui ne lui revient pas : en effet, vous lui avez seulement demandé si vous pouviez réduire la participation de l’État sans courir un risque d’inconstitutionnalité, et il vous a répondu que vous deviez, pour cela, donner à GDF un statut de droit privé. Au mépris de notre Constitution, qui demande que les missions de service public soient accomplies par des entreprises nationales, vous allez donc démanteler le dispositif juridique de GDF !

Vous venez d’ailleurs de préciser votre intention de tout privatiser, le transport, la distribution, mais aussi la production, alors qu’il subsistait encore une incertitude concernant les réseaux de transport – certains députés de la majorité avaient en effet laissé entendre que ces derniers pourraient demeurer entre les mains de la puissance publique.

M. Daniel Paul - Nous ne sommes pas dupes de votre tactique : dès 2004, vous auriez pu faire adopter les dispositions dont nous débattons, et nous aurions pu en rester là. Mais vous préférez avancer par petits pas successifs, dans l’espoir de ne pas effrayer nos concitoyens à l’approche d’une période électorale délicate !

Le Conseil d’État vous a certes obligés d’ajouter des dispositions relatives à la transposition de la directive européenne, mais votre principal objectif est de préparer la privatisation et le démantèlement du réseau en plusieurs tronçons, qui seront autant de « centres de profits », chaque élément devant désormais rapporter de l’argent.

Même si je ne suis pas un partisan de l’amendement de ce texte, car je demande sa suppression pure et simple, je préfèrerais que les personnes morales concernées demeurent de droit public. C’est pourquoi je voterai les amendements de repli du groupe socialiste.

Les amendements 5202 à 5351, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Jacques Desallangre - Les amendements 93460 à 93481 vont me permettre de rappeler certains principes relatifs aux missions de service public, ce qui ne me semble pas inutile tant vous calquez vos positions sur les discours du Medef.

En effet, vous mettez sans cesse en avant les dysfonctionnements et les manquements des services publics, montrant du doigt leurs salariés et leurs statuts, afin de les opposer à ceux du privé. C’est que vous ne reculez devant aucun argument démagogique pour discréditer le service public et préparer sa liquidation !

Vous oubliez pourtant à quel point nos concitoyens sont attachés à l’existence de ces services, en lesquels ils ne voient pas un archaïsme mais le socle de droits et une garantie de justice et d'égalité. Leur soutien augmente d’ailleurs à mesure que vos attaques s’amplifient !

Quel est en effet le sens du service public ? Chacun doit pouvoir disposer d'une ligne téléphonique, du gaz, de l'électricité, de l'eau et d'un service postal ; chacun doit pouvoir être soigné par le médecin de son choix dans un hôpital dispensant des soins de qualité et bénéficier d’un système éducatif public qui offre une scolarité adaptée ; chacun doit enfin avoir accès à la création artistique et à la culture.

Or, dans chacun de ces domaines essentiels, vous avez toujours cherché, soit à grignoter les services publics, soit à les amputer, au point qu’on pourrait vous croire guidés par une véritable obsession ! Et voilà que vous allez filialiser et privatiser la distribution d'énergie !

Qui en profitera ? Certainement pas les Français, car vos logiques idéologiques ont déjà fait la preuve de leur nocivité. Vous prônez la libre concurrence et les privatisations mais vous ne vous souciez même pas de la pertinence économique ou industrielle de vos choix ! Un tel aveuglement est dangereux et nous voulons donc, par nos amendements 93460 à 93481, alerter nos concitoyens sur votre obstination aberrante à ouvrir aux capitaux et aux intérêts privés le réseau de distribution de gaz, sans le moindre motif sérieux à l’appui.

M. le Rapporteur – Avis défavorable.

M. le Ministre – Même avis.

M. Christian Bataille - La privatisation de GDF n’a rien d’un événement anodin : il ne s’agit pas d’une simple mesure d’ordre économique, mais d’une rupture profonde avec une culture qui a contribué à l’équilibre de notre pays. Le système actuel marchait bien, et continue à fonctionner pour la plus grande satisfaction de tous. En effet, entendez-vous des usagers se plaindre de GDF ? Ou soutenir qu’ils paieraient moins cher leur gaz s’il était vendu par des opérateurs privés ?

M. le Président de la commission – Ce n’est pas la question !

M. Christian Bataille – Tous les consommateurs souffrent de la hausse mondiale des prix de l’énergie, mais ils sont contents que l’État joue son rôle en pesant sur les prix. C’est donc un système efficace que vous vous apprêtez à détricoter afin de vous jeter dans l’inconnu. Votre nouveau dispositif ne marchera pas et vous en porterez l’entière responsabilité !

Les amendements 93460 à 93481, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Mme Muguette Jacquaint – La majorité aurait été bien inspirée d’adopter l’amendement de suppression de cet article – mes collègues communistes mais aussi socialistes l’ont bien montré ! Vous ne serez donc pas surpris, Monsieur le ministre, que nous revenions à la charge : alinéa après alinéa, nous allons nous efforcer de disloquer votre article, de la même façon que vous allez détruire les efforts des collectivités locales en favorisant les opérateurs privés au détriment des usagers.

Les conséquences de cette décision seront en effet catastrophiques pour nos concitoyens : les opérateurs privés vont s’établir sur les segments les plus rentables du marché lorsque les contrats de concession viendront à échéance. Que restera-t-il donc à l’opérateur historique, ou à sa filiale de distribution, sinon la desserte des zones les plus difficiles, comme cela passé dans le domaine téléphonique : seule France Télécom maintient un nombre minimal de cabines publiques malgré leur coût relativement élevé ! Dans les zones les moins rentables, il faudra payer « plein pot », faute de péréquation, ou bien renoncer à obtenir un raccordement : les nouveaux opérateurs jugeront l’exercice trop coûteux et l’opérateur historique n’aura plus les reins assez solides pour investir dans ces territoires.

Les amendements 93482 à 93503 tendent donc à supprimer la première phrase de l’alinéa 4, et à garantir ainsi les approvisionnements en gaz sur l’ensemble du territoire national, dans le respect de l’intérêt général et du principe d’égalité.

M. le Rapporteur – Avis défavorable.

M. le Ministre délégué – Même avis.

M. Christian Bataille - Depuis le début de nos débats, l’ensemble des formations de gauche défend pied à pied GDF. Comment ne pas rappeler le scandale qu’est le démantèlement de cette entreprise publique : il y a deux ans à peine, M. Sarkozy s’était engagé à ne pas privatiser GDF, et c’est pourtant ce que vous vous apprêtez à faire ! C’est un véritable reniement de la part de quelqu’un qui aspire aux plus hautes fonctions et les Français jugeront !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiquesPermettez-moi aussi une mise au point : vous faites comme si nous ne pensions pas, nous aussi, que GDF est une belle et bonne entreprise et qu’elle rend les meilleurs services aux consommateurs…

M. François Brottes - Pourquoi la démantelez-vous, alors ?

M. le Président de la commission – La question n’est pas là. (Exclamations sur les bancs du groupe communiste) Par ailleurs, vous accusez à longueur de séance Nicolas Sarkozy de renier sa parole…

M. François Brottes - Oui, il trahit sa parole !

M. Christian Bataille - Parfaitement !

M. le Président de la commission – Évitons les accusations d’ordre personnel !

M. Christian Bataille - Je ne me réfère pas à sa vie privée mais aux paroles de l’homme public !

M. le Président de la commission – D’abord, ce sont aujourd’hui M. Breton et M. Loos qui défendent le projet, mais surtout en deux ans, les choses ont changé ! Les prix du pétrole, sur lesquels ceux du gaz sont indexés, ont été multipliés par 2,5. Et la guerre de l’énergie – à mon avis, la plus dure que nous aurons à affronter dans les décennies qui suivent – a été engagée, des regroupements ont été organisés en Allemagne, en Espagne et en Italie. Vous voudriez que la France reste l’arme au pied et regarde passer le train ?

Nous voulons, nous, réagir face à cette évolution du marché mondial. Nous avons vu naguère avec France Télécom ce qu’il en coûtait de ne pas le faire à temps. Le gouvernement d’alors n’avait pas voulu évoluer alors que tout changeait très vite dans le marché des télécommunications. Résultat, l’entreprise était au bord de la catastrophe, avec un endettement de 70 milliards d’euros ! Nous défendons aujourd’hui un vrai projet industriel, qui permettra à la France et à l’Europe de s’adapter aux nouvelles circonstances.

M. Jacques Desallangre - Comme pour Arcelor, sans doute !

M. le Président de la commission - C’est l’intérêt de la France, de l’Europe mais aussi du consommateur ! J’y crois ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre - Je souscris aux propos passionnés du président Ollier. Par contre, Monsieur Bataille, je ne peux pas laisser passer « le scandale du démantèlement ».

M. Jacques Desallangre - Mais si, c’est un scandale !

M. le Ministre – On voit bien que le projet sur lequel travaille Gaz de France est tout l’inverse d’un démantèlement ! C’est au contraire un projet qui le fera grandir !

Je reprends également à mon compte les propos de M. Ollier concernant M. Sarkozy. Compte tenu des évolutions majeures que le président de la commission a rappelées, le Gouvernement propose au Parlement de débattre du problème. M. Sarkozy, homme d’État (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)… C’est une chance pour la France d’avoir des hommes d’État, Monsieur Bataille ! M. Sarkozy, qui est par ailleurs président de notre famille politique, nous a, c’est vrai, incités à aller de l’avant, car il était de l’intérêt de la France de le faire, mais c’est maintenant le Parlement qui légifère. Je souhaite que nous préservions la dignité républicaine de ces débats. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François Brottes - Je crois qu’il n’y a rien d’indigne à rappeler les propos officiels d’un ministre d’État. Cela ne relève en rien de l’attaque personnelle.

Quant à vous, Monsieur Ollier, vous n’avez pas attendu deux ans, mais six mois. La loi promulguée le 14 juillet 2005 disait clairement que c’étaient les entreprises nationales publiques qui étaient chargées de faire en sorte que les missions du service public de l’énergie soient accomplies.

Vous parliez de guerre, Monsieur le président de commission. Le secteur est agité, c’est vrai, mais quand on va à la guerre, il faut avoir des armes. Nous considérons quant à nous que nos meilleures armes étaient les entreprises nationales publiques. Dès l’instant où on les démantèle, elles deviennent « opéables » et peuvent être achetées par n’importe qui ! Le danger est bien réel.

Quant à ce qui s’est passé dans le secteur des télécoms, Monsieur Ollier, vous savez bien qu’il y a eu une période de spéculation considérable et que les autres pays ont connu les mêmes problèmes que nous.

Vous nous avez tout à l’heure demandé en commission, Monsieur le ministre, de ne pas trop en dire sur les détails. Soit. Mais nous ne pouvons pas pour autant laisser dire que tout va bien et que l’entreprise va garder le même périmètre. Non, il y aura réduction de celui-ci…

M. le Président de la commission – Limitée.

M. François Brottes - Tout est dans l’épaisseur du trait. Et on verra ensuite ce qui se passera, quand les concurrents réagiront.

Étant donné que l’ambiance s’anime un peu, Monsieur le Président, et que nos échanges ont été taxés d’indignité, je demande une suspension de séance.

M. le Président – Terminons d’abord la discussion de ces amendements, si vous le voulez bien.

M. Daniel Paul - Il n’y a pas si longtemps, MM. Mestrallet et Cirelli ainsi que MM. les ministres nous déclaraient en commission que cela faisait longtemps que les deux entreprises discutaient. Je n’ose imaginer qu’elles l’aient fait sans que l’État fût au courant et même consentant. Cela veut donc dire que le Gouvernement remettait en cause une décision dont l’encre était à peine sèche, une décision pourtant prise par un ministre d’État. Quelle confiance peut-on avoir dans vos paroles, dans ces conditions ?

Le Gouvernement prétend aujourd’hui que les filiales seront protégées, mais enfin, puisque vous allez privatiser GDF, ces filiales seront privatisées elles aussi. Vous êtes d’ailleurs conscients des risques, puisque vous avez prévu une action spécifique qui est censée être une sorte de Fort Knox. Mais Fort Knox n’est plus ce que c’était, Monsieur le ministre, et je pense que dans quelque temps, vous nous servirez les mêmes arguments qu’aujourd’hui : le monde a changé, nous sommes sur un marché mondial, il faut passer à une autre étape. Nous refusons cette politique opportuniste des petits pas et nous voulons garder GDF entreprise publique, en attendant de la faire redevenir nationale.

Mme Muguette Jacquaint - Très bien.

M. Jean-Pierre Soisson - J’avais cru comprendre ce matin que le débat sur l’article 10 et donc sur la privatisation de Gaz de France s’engagerait lundi et que nous y consacrerions deux ou trois séances. À vous écouter, j’ai le sentiment que vous êtes en train de faire vos gammes, rien de plus ! (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Christian Bataille - Je veux dire à M. Breton, qui nous a appelés à la « dignité républicaine », tout mon respect pour la fonction gouvernementale qu’il incarne, mais je revendique en même temps mon droit à exprimer mon désaccord avec M. Sarkozy. Sortirait-on de la dignité dès lors que l’on mettrait en cause les propos de M. Sarkozy ? Celui-ci serait-il intouchable ? Je n’ai pas fait allusion à sa vie privée : il y a Paris Match pour cela. J’ai fait allusion à des propos publics, prononcés ici-même dans le cadre de ses fonctions, et dont il est comptable devant la représentation nationale.

Je reconnais à ce gouvernement le droit de se tromper. Il lui est aussi arrivé d’avoir raison et j’ai salué certaines décisions qu’il a prises en matière nucléaire.

M. Serge Poignant - Très bien.

M. Christian Bataille - Mais justement, ces décisions ne peuvent produire tous leurs effets qu’avec des entreprises publiques fortes. Or, ce texte les affaiblit. Les instruments de votre politique industrielle seront donc moins bons demain qu’aujourd’hui.

Les amendements 93482 à 93503, mis aux voix, ne sont pas adoptés.
La séance, suspendue à 16 heures 45, est reprise à 17 heures 15.

M. le Président – Nous en venons aux amendements identiques 94054 à 94075.

M. Michel Vaxès - Je note avec satisfaction que le président Ollier revient détendu, mais nous ne sommes pas prêts d’oublier avec quelle passion il a défendu la privatisation de Gaz de France… ce qui n’altère en rien notre calme détermination à la combattre !

M. le Président de la commission – C’est pour cela qu’il y a une majorité et une opposition.

M. Michel Vaxès - Sans doute.

Nos amendements suppriment le quatrième alinéa de l’article. Ce paragraphe est essentiel puisqu’il prépare l’ouverture à la concurrence des opérateurs de distribution d'énergie en définissant le cadre dans lequel ils devront s'insérer ; vous définissez leurs missions pour permettre à de nouveaux entrants de se positionner sur le marché.

Sans doute contesterez-vous cette présentation puisque, pour l'électricité, vous ne remettez pas directement en cause le monopole de distribution. Mais reconnaissez que la rédaction de votre article – avec des formulations telles que « tout gestionnaire de réseau » – joue d'ambiguïté. En outre, pour le gaz, l'article 6 doit être lu à la lumière de l'article 12, lequel ne prévoit rien de moins que la possible ouverture du secteur de la distribution aux acteurs privés. En outre, Gaz de France étant privatisé par la loi, le gestionnaire de réseau le sera également.

Vous arguerez sans doute du fait que d'autres entreprises sont déjà présentes sur le marché de la distribution de l'électricité et du gaz. Mais les DNN ont eu jusqu'alors des périmètres d'intervention limités, qui permettaient aux opérateurs historiques de réaliser des économies d'échelle. Aussi nous est-il difficile de reprendre à notre compte l'avis du Conseil d’État selon lequel Gaz de France n'a jamais bénéficié d'un monopole de la distribution sur le territoire. La filialisation des réseaux de distribution va mettre à mal les entreprises intégrées en les séparant de l’une de leurs activités stratégiques, et elle ouvre le secteur à la concurrence du privé. C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet alinéa.

M. le Rapporteur – Afin que M. Vaxès ne me reproche plus de ne pas suivre les débats avec assez d’attention, je me permets de lui signaler que l’argumentaire qu’il vient de lire ne correspond pas aux amendements appelés. Avis défavorable.

M. le Ministre délégué – Même avis.

M. François Brottes - Interrompant M. Vaxès, le président Ollier a cru bon de rappeler qu’il y avait une majorité et une opposition, comme pour dire qu’en fin de compte, nos arguments ne servaient pas à grand-chose. Monsieur le Président Ollier, issue des urnes, la majorité est légitime pour voter des lois, pas pour brader une part essentielle des intérêts stratégiques de la nation, au mépris de l’intérêt général. Et vous êtes d’autant moins autorisés à le faire que ni le Président de la République ni ses deux Premiers ministres successifs n’ont jamais fait part de leur intention de privatiser l’une ou l’autre des grandes entreprises nationales d’énergie. Je pose donc la question : à quelques mois d’une échéance électorale majeure, une majorité, quelle qu’elle soit, est-elle bien fondée à prendre une décision aussi lourde ? Il s’agit tout de même de démanteler un secteur stratégique et le fait d’être majoritaires ne vous donne pas tous les droits. Du reste, nombre de députés du groupe majoritaire n’approuvent pas ce projet.

Les amendements de nos collègues communistes vous gênent parce qu’ils font une référence explicite à la notion de service public de l’énergie, que vous voudriez voir mise au rebut, alors même que vous avez réaffirmé dans la loi d’orientation pour l’énergie de 2005 que le service public de l’énergie devait être confié aux seules entreprises nationales publiques ! C’est ce retour salutaire aux fondamentaux qui vous embarrasse. Ces amendements mettent en évidence, et de manière éclatante, le fait que vous avez renié vos propres engagements et trahi l’intérêt national…

M. le Président de la commission – Un peu de retenue !

M. François Brottes - Même s’ils vous gênent, ces rappels sont indispensables, comme il est indispensable de redire que M. Sarkozy ne respecte pas ses engagements…

M. Charles Cova – Chaque fois qu’il y a du monde dans les tribunes, vous vous croyez obligé de le répéter ! Seriez-vous en campagne ?

Mme Muguette Jacquaint - C’est M. Sarkozy qui a déjà commencé la sienne !

M. Jean-Pierre Soisson – « Trahir, brader, mettre à bas l’intérêt national »… Les termes qui surgissent dans un débat jusqu’alors serein ont de quoi surprendre. En tout cas, ils ne correspondent en rien à nos intentions. Ce que l’opposition semble perdre de vue, c’est que des directives européennes ont été prises, que nous avons tardé à les transposer et que si nous négligeons de le faire, elles s’appliqueront dans toute leur dureté. Nous avons donc tout intérêt à prendre des dispositions tendant à les concilier au mieux avec nos intérêts…

Mme Muguette Jacquaint - Ne vous cachez pas derrière les directives !

M. Jean-Pierre Soisson - Il faut permettre à Gaz de France de s’adapter aux conditions nouvelles nées de la mondialisation du marché de l’énergie. En outre, le texte prévoit des mécanismes de garantie – comme l’action spécifique – et le maintien d’une participation de l’État au tiers du capital de Gaz de France…

M. François Brottes - Pour le moment !

M. Charles Cova - Ne criez pas avant d’avoir mal !

M. Jean-Pierre Soisson - Loin d’affaiblir Gaz de France, ce texte va le rendre plus fort en l’adaptant à son environnement. Permettez-moi de dire, enfin, que je remercie le président Ollier de m’avoir permis d’assister à la dernière réunion de la commission des affaires économiques. J’en ai conçu le regret de ne pas avoir choisi cette commission, car c’est là que se prennent les décisions qui engagent l’avenir de notre économie…

M. Jacques Desallangre - Demandez plutôt à devenir Commissaire européen !

M. Jean-Pierre Soisson – Cher collègue, en tant que ministre, j’ai eu l’occasion de présider deux ou trois conseils des ministres européens, je n’ai donc pas d’observations à recevoir de vous sur le fonctionnement des institutions européennes. Et c’est parce que je connais Bruxelles que je trouve vos positions souvent obsolètes ! (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean Le Garrec - On ne peut ôter à M. Soisson le mérite de savoir faire rebondir un débat ! Notre critique essentielle porte sur l’incapacité dans laquelle se trouvent le Gouvernement et sa majorité de donner des garanties sur la solidité de l’ensemble qu’ils proposent d’édifier. À terme, cette incertitude est aussi dangereuse pour l’usager que pour nos intérêts énergétiques supérieurs. En outre, l’Europe n’a jamais demandé à la France de revenir sur le statut de Gaz de France. Ce n’est donc pas sous la contrainte que vous privatisez, malgré les promesses de M. Sarkozy…

M. François Brottes - Trahison !

M. Jean Le Garrec - Lorsqu’on noue des alliances sans être en position de force, ce sont les intérêts financiers à court terme qui prennent le dessus. En témoignent la valse-hésitation des financiers de Suez et les positions ambiguës d’Albert Frère. Les conditions devant entourer ce type d’alliance de garanties suffisantes ne sont pas réunies. En définitive, vous sautez dans l’inconnu.

M. François Brottes - Par idéologie !

M. Jean Le Garrec – Souvenez-nous de l’OPA de Mittal sur Arcelor. Qu’a pesé « le patriotisme économique » face aux trente ou quarante milliards d’euros mis sur la table par le propriétaire de Mittal ? Les actionnaires ont choisi en fonction de leur seul intérêt. Il risque de se passer la même chose dans l’affaire qui nous occupe. GDF sera très fragile, l’État n’ayant aucun moyen de protection. L’énergie constituant un bien de première nécessité, mesurez-vous le risque que vous prenez pour l’indépendance énergétique de notre pays et que vous faites courir aux usagers et aux salariés, qui ont toutes raisons de s’inquiéter ?

Notre collègue Armand Jung a évoqué ce matin les spécificités de l’Alsace. Il y a insisté, les Alsaciens sont plus patriotes que quiconque en France, mais ils sont farouchement attachés à ce qui leur a été octroyé par Bismarck, à savoir un système énergétique géré de façon particulière, une protection sociale solide et le concordat. Faisant fi des engagements formels d’un ministre d’État, vous remettez en cause des spécificités qui jusqu’à présent avaient toujours été garanties par la République.

Monsieur Soisson, évitez de nous donner des leçons ! Nous soulevons les problèmes qui se posent dans ce débat, et continuerons de le faire dans les jours à venir. Nous résisterons des quatre fers à la tentation irresponsable de ce Gouvernement.

M. Jean Gaubert - Il est extraordinaire de devoir poser cent fois les mêmes questions, les réponses ne venant jamais (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Si nos concitoyens doutent aujourd’hui de la démocratie dans notre pays, c’est que trop de promesses faites par les hommes politiques – quelquefois de gauche, hélas –, n’ont pas été tenues. Or, M. Sarkozy s’était engagé solennellement à la tribune de l’Assemblée – notre collègue François Brottes avait même enregistré ses propos , à ne pas privatiser GDF. Il a même écrit en ce sens aux salariés de l’entreprise. Et voilà qu’aujourd’hui, on voudrait faire passer cette promesse par pertes et profits.

M. François Brottes – M. Sarkozy va devoir s’expliquer.

M. Jean Gaubert – Décidément, rien n’est fait ici pour revaloriser la démocratie ni la place du Parlement.

M. Jean-Pierre Soisson – Déposer plus de cent trente mille amendements, est-ce respecter la démocratie ? Silence !

M. Michel Vaxès - Ne pas retirer un projet qui fait l’unanimité contre lui, est-ce respecter la démocratie ?

M. le Président – Chers collègues, je vous en prie.

M. Jean Gaubert – Monsieur Soisson, ce n’est pas à vous, mais éventuellement au président de séance, de me faire taire.

M. Jean-Pierre Soisson – Sur ce point, vous avez raison. Mais sur tous les autres, vous avez tort.

M. Jean Gaubert – Nous gagnerions tous ici à ce que la parole des hommes politiques retrouve de la valeur.

Vous entretenez à dessein la confusion autour des directives européennes – en l’espèce, hasard ou non, adoptées quand la droite était au pouvoir, qu’il s’agisse de celle de 1996 ou de celle de 2003. Celles-ci exigent de libéraliser le marché de l’énergie, nullement de privatiser les entreprises publiques. Il y a deux ans, salle Lamartine, lors de son audition dans le cadre de la commission d’enquête sur la gestion des entreprises publiques, le commissaire européen à la concurrence, M. Mario Monti, avait encore redit que la Commission n’avait aucune exigence quant au statut des entreprises du secteur énergétique, souhaitant seulement que la concurrence ne soit pas faussée par des aides indirectes de la part de l’État.

Votre projet de fusion entre Suez et Gaz de France a été motivé, non parce que GDF aurait eu besoin d’alliances, mais par la menace d’OPA d’Enel sur Suez. J’observe d’ailleurs qu’il ne vous gêne pas en revanche que des entreprises françaises tentent des OPA sur des entreprises européennes. On ne peut pourtant pas être européen dans un sens seulement !

M. Jean Le Garrec - Tout à fait.

M. Jean Gaubert – Le seul moyen d’éviter les OPA est de conserver les entreprises dans le secteur public. Chacun sait d’ailleurs que le nouveau groupe fusionné ne sera pas à l’abri d’une OPA.

Tout cela se fait en outre en se moquant de nos amis belges. En effet, les futures concessions se feront toutes sur le dos de la Belgique. Que dirions-nous si c’était l’inverse ?

En vérité, vous vous pincez le nez, vous vous bouchez les oreilles, vous fermez les yeux, vous coupez l’élastique… et vous apprêtez à sauter ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Serge Poignant – Lorsque nous intervenons, nous vous donnerions des leçons alors que lorsque vous intervenez, vous défendez vos convictions. Permettez que nous ayons aussi les nôtres et que nous les défendions, c’est aussi cela la démocratie.

Pour le reste, Monsieur Gaubert, avec tout le respect que j’ai pour vous, sans doute auriez-vous mieux fait de vous abstenir de dire que rien n’est fait ici pour revaloriser la démocratie et le rôle du Parlement…

M. Jean Gaubert - Vous ne répondez pas à nos questions.

M. Serge Poignant – Quand vous posez cinquante ou cent fois la même question, nous vous donnons cinquante ou cent fois la même réponse.

M. François Brottes – La même non-réponse !

M. Serge Poignant - Nous pourrions nous aussi, comme vous le faites sur les déclarations de Nicolas Sarkozy…

M. François Brottes – Il s’agit de promesses faites par un ministre d’État.

M. Serge Poignant - …revenir sans cesse sur celles de vos camarades Fabius ou Strauss-Kahn, anciens ministres, qui n’excluaient pas que l’État descende en dessous de la « sacro-sainte » barrière des 50 % de participation au capital d’EDF.

M. François Brottes - Personne n’a jamais dit cela.

M. Christian Bataille – Les directives européennes prévoyaient seulement une ouverture à la concurrence, c’est-à-dire la fin des monopoles. Avant que soit votée la loi de 2000, certains collègues de droite, comme M. Goulard, ne cessaient de marteler que cette concurrence ferait baisser les prix et nous accusaient de vouloir empêcher les consommateurs de profiter de ces baisses. Or, comme chacun a pu le constater, la dérégulation, et ce sera encore pire demain avec la privatisation, a fait augmenter les prix. Le porte-monnaie des consommateurs sera la première victime de la privatisation de GDF, lancée pour servir certains intérêts financiers. Mais il faut rétablir la vérité : jamais les directives ni les traités européens n’ont exigé qu’EDF ou GDF changent de statut.

M. François Brottes – C’est votre choix, et votre choix seul. Assumez-le.

M. Christian Bataille – La privatisation de GDF, ce n’est pas Bruxelles qui la demande, mais l’Élysée, Matignon et Bercy – Chirac, Villepin et Sarkozy.

M. Jean-Pierre Soisson – L'Assemblée nationale aussi.

M. le Président de la commission – Ayant été mis en cause par nos collègues, je souhaite répondre, et je le ferai de manière sereine. Nous avons eu jusqu’à présent, depuis trois semaines que nous débattons d’un projet de loi de dix-sept articles, un débat respectueux des règles républicaines. Je souhaiterais qu’il puisse se poursuivre dans les mêmes conditions. Monsieur Brottes, vous savez le respect que j’ai pour vous mais je ne peux accepter que vous m’accusiez de trahir l’intérêt national. C’est à la fois blessant et faux. Monsieur Bataille, ce n’est pas le Premier ministre qui privatise GDF, c’est une majorité unie (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) qui s’engage dans un débat parlementaire pour adopter un projet de loi qui comporte, entre autres, la privatisation de cette entreprise.

Ce n’est faire injure à personne que de dire que nous n’avons pas les mêmes valeurs. Je respecte les vôtres, et je ne vous accuse pas de trahir l’intérêt national. Mais nous n’en avons pas la même définition. Respectez aussi la nôtre.

Plusieurs orateurs ont également fait valoir que nous n’avons pas inscrit la privatisation de GDF dans le programme électoral de 2002.

M. François Brottes - Est-ce faux ?

M. le Président de la commission - C’est exact. Mais est-ce faire injure au suffrage universel que de tenir compte, au nom de l’intérêt national, des évolutions qui se sont produites après 2002, et avant tout du triplement du prix du pétrole, sur lequel celui du gaz est indexé, et auquel ni vous ni le Gouvernement ne peuvent rien ? Quant à dire que la privatisation entraînera une hausse des tarifs…

M. Christian Bataille - On verra !

M. le Président de la commission - Le contrôle de GDF à 100 % par l’État signifie-t-il donc l’absence de hausse ? Alors pourquoi M. Jospin a-t-il décidé une hausse de 34 % en 2000 ? Je ne dis pas qu’il avait tort, il a assumé ses responsabilités – et les électeurs en ont tiré les conséquences. S’il l’a fait, c’est que la hausse des prix à la production ne permettait pas de faire autrement. En réalité, le seul moyen de défendre le consommateur, c’est de créer un champion européen, en l’occurrence franco-belge, qui pèsera dans les négociations à l’achat et limitera les hausses pour le consommateur.

En 2004, ce n’est pas M. Sarkozy, c’est un amendement Lenoir-Ollier qui a inscrit le pourcentage de participation de l’Etat à 70 %. Aujourd’hui, le Gouvernement et la majorité doivent, dans un souci de transparence et de vérité, poser le problème d’une façon qui ne se posait pas alors. En tout cas – mais je n’y insiste pas – nous ne voulons pas refaire ce que vous avez fait avec France Télécom.

Enfin, est-ce qu’en 1997, dans le programme du parti socialiste, M. Jospin annonçait la privatisation de l’Aérospatiale ou de Thomson, – et la défense, l’espace, c’est important – l’ouverture de capital de France Télécom ou de Renault, la privatisation de la CNR ou du réseau de transport de gaz du sud-ouest ? Non. S’il l’a fait, c’est, je pense, dans le souci de l’intérêt national, et je ne l’ai pas critiqué pour cela. Alors, ne venez pas utiliser de tels arguments à notre encontre !

M. le Rapporteur – Très bien !

M. le Président de la commission - Et cessez aussi de nous parler d’Arcelor et de Mittal. Car enfin, qui a vendu les parts de l’État dans Arcelor entre 1997 et 2002, ce qui a conduit à la situation que l’on a connue ensuite ? Ce n’est pas trahir les Français que d’agir pour défendre les consommateurs, et je ne vous laisserai pas dire que la majorité trahit les intérêts du pays ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François Brottes - C’est une provocation !

Les amendements identiques 94054 à 94075, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Rapporteur - L’amendement 88545, adopté par la commission à l’initiative de M. Dionis du Séjour, intègre la notion de transparence des règles dans la loi, telle qu’elle figure dans l’article 12 de la directive.

M. Jean Dionis du Séjour - Au passage, je tiens à souligner combien les directives sont lisibles et cohérentes, par contraste avec nos lois qui sont, reconnaissons-le, illisibles même pour les spécialistes qui les font.

En lisant la directive, j’ai constaté qu’un certain nombre d’éléments n’étaient pas repris dans le projet. Je remercie la commission de m’avoir suivi pour rappeler que les règles doivent être « transparentes ». C’est un minimum.

Enfin, pour faire écho à M. Gaubert, j’observe à mon tour que la directive ne dit rien sur la structure du capital des opérateurs dans le secteur de l’électricité et du gaz. Nous allons en débattre à l’article 10, mais ce sera bien une décision nationale, à assumer comme telle. J’en ai un peu assez que l’on essaye toujours de faire de l’Europe un bouc émissaire.

M. le Ministre délégué – Me rendant à la sagesse du rapporteur, avis favorable.

M. François Brottes - Même s’il est un peu redondant de dire que des règles objectives et non discriminatoires seront aussi transparentes, nous n’avons rien contre l’adoption de cet amendement.

En revanche, Monsieur Ollier, j’ai dit qu’il y avait trahison de la parole donnée et je le maintiens, de même qu’il y a trahison de nos textes fondamentaux, dans leurs dispositions sur les entreprises nationales telles que les a voulues le Conseil national de la Résistance. Le Conseil d’État vous a d’ailleurs conseillé de modifier ces dispositions constitutionnelles pour pouvoir les contourner. Je n’ai pas dit que vous étiez un traître, mais bien qu’il y avait trahison de ce qui figure dans la Constitution.

Puisque vous êtes revenu sur l’augmentation du prix du gaz par le gouvernement Jospin, je doit me répéter également. Elle a été la conséquence de la hausse du coût de l’approvisionnement, ce qui vaut toujours, fusion avec Suez ou pas. Mais la différence avec la situation actuelle, c’est qu’alors le Gouvernement pour atténuer les conséquences avait souhaité que la marge de GDF diminue, tandis qu’en un semestre, elle vient d’augmenter de 44 %, pour plaire aux actionnaires avec lesquels on veut se pacser, ou pactiser, mais au détriment du consommateur.

M. Daniel Paul - Nous voulons bien qu’on indique que les règles doivent être transparentes, même s’il nous semble que cela va de soi.

Monsieur Ollier, les grands enjeux que sont l’effet de serre, l’épuisement des réserves fossiles, la hausse des prix, sont bien des données objectives. Mais vous proposez comme solution la privatisation et la fusion avec un groupe privé, en disant qu’il faut pouvoir investir plus et donner des armes supplémentaires à un groupe européen. J’ai ici un tableau décrivant les caractéristiques respectives de GDF et de Suez dans le secteur du gaz. En Europe, GDF est le premier fournisseur, le premier réseau de transport, le premier réseau de distribution, le deuxième opérateur de terminaux GNL. Il a, enfin, 12,5 millions de clients ou d’usagers quand Suez, par exemple, n’en a que 5,6 millions. Les deux entreprises, c’est le moins que l’on puisse dire, ne jouent pas dans la même catégorie. La volonté de créer une très grande ou plus grande entreprise sur le plan européen n’est donc qu’un prétexte. J’ajoute qu’il faut savoir à quel prix se fait cette croissance et ici, c’est celui de la privatisation d’un groupe public énergétique, qui plus est pour des raisons dogmatiques. Il y a soixante ans, il existait un consensus de nos prédécesseurs pour préserver l’énergie des intérêts privés, comme le disait Paul Ramadier.

M. le Président de la commission – Le monde a changé depuis !

M. Daniel Paul - Vous êtes en train de remettre ce secteur aux mains des intérêts privés alors que dans le domaine gazier, les fournisseurs, eux, je pense en particulier à la Russie et à l’Algérie, sont sous la coupe des intérêts publics.

L'amendement 88545, mis aux voix, est adopté.

M. Jean Dionis du Séjour – L’amendement 88546 rectifié de la commission vise à préciser que le gestionnaire de réseaux de distribution se doit de fournir aux utilisateurs de réseaux les informations dont ils ont besoin pour un accès efficace aux réseaux, comme c’est d’ailleurs prévu dans la directive.

M. le Rapporteur – Avis évidemment favorable.

M. Jean-Yves Le Déaut – Cet amendement ne mange pas de pain, dès lors, si j’ose dire, que les utilisateurs sauront à quelle sauce ils seront mangés.

M. Jean-Pierre Soisson - Mais non !

M. Jean-Yves Le Déaut – Nous sommes en désaccord avec M. Ollier, qui a d’ailleurs eu le mérite d’être clair même si ses explications sont à géométrie variable. En 2002, vous avez choisi d’ouvrir intégralement le marché : nous ne sommes pas d’accord, pas plus que nous ne le sommes sur l’ouverture du capital de GDF, alors que ce sont des biens « premiers », comme disait M. Le Garrec, qui sont en jeu. Sur le plan européen, nous avons dit que nous n’étions pas opposés à l’ouverture à la concurrence mais à condition que l’Union européenne définisse des obligations de service public et mette en place des organismes de régulation. Or, ce n’est pas le cas. L’information dont il est question dans cet amendement sera d’ailleurs insuffisante. Les entreprises qui ont choisi le marché connaissent les plus grandes difficultés et les dispositifs de retour à des prix régulés sont très complexes. Qu’en sera-t-il avec les particuliers, lorsque l’on pense au récent scandale dans le domaine de la téléphonie où des personnes ont été abusées ? Ce sera pareil ! Lorsqu’elles s’apercevront que les coûts sont plus élevés, elles voudront revenir, mais comment, la loi ne prévoyant pas de système de retour ? Les particuliers ont surtout besoin de savoir s’ils ne subiront pas d’augmentations très élevées.

L'amendement 88546 rectifié, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur – Depuis 1946, les activités de comptage font partie des missions essentielles du gestionnaire de réseau de distribution afin de garantir la transparence et le bon fonctionnement de celui-ci. Or, un arrêt de la Cour d’appel de Paris daté du 13 décembre 2005 a relevé le silence des textes sur ce point et a considéré qu’EDF ne détient pas de monopole sur l’entretien des appareils de comptage. Mon amendement 137616, accepté par la commission, précise que le comptage fait bien partie des missions de service public du gestionnaire.

M. le Ministre délégué – Je souscris à cette idée mais les types de comptage différent grandement, il faudrait que le titulaire du monopole du comptage en tienne compte. Avis favorable, mais il me semble que cette question mériterait d’être étudiée de plus près.

M. François Brottes – Une fois n’est pas coutume mais, au nom du groupe socialiste, je me félicite de cette proposition qui, à l’inverse de beaucoup d’autres, vise à conforter l’entité globale de gestion du réseau. Les propos de M. le ministre délégué, néanmoins, témoignent que cela n’est pas acquis et qu’une ouverture à la concurrence dans ce domaine pourrait être envisagée. J’espère que M. le rapporteur tiendra bon jusqu’à la fin de nos débats.

M. Jean Gaubert – J’approuve aussi cet amendement mais il ne garantit pas qu’EDF ne continuera pas à faire appel à des sous-traitants, mal formés et qui travaillent « aux pièces ». Des consommateurs se sont plaints, parfois, de ne pas savoir quel était le bon releveur de compteur parmi ceux qui se présentent, puisque ce ne sont jamais les mêmes, alors qu’autrefois on avait le même pendant quinze ans. C’est là une brèche par où s’engouffrent un certain nombre de gens mal intentionnés. Le relevé des compteurs doit être fait par des agents d’EDF.

L'amendement 137616, mis aux voix, est adopté.

M. Jean Dionis du Séjour – Je précise que l’activité de comptage concerne à la fois ce que le distributeur livre au fournisseur, mais également ce que livre le fournisseur d’électricité au client. Or, dans la directive, cette activité n’est pas rattachée au distributeur. En votant l’amendement précédent le Parlement a donc pris une initiative. Elle se défend, mais je comprends M. le ministre délégué lorsqu’il estime que le fournisseur doit être impliqué et que cela mérite donc un examen plus approfondi.

Mon amendement 137567 rectifié dispose, comme dans la directive, que le gestionnaire réalise ces missions dans des conditions économiquement acceptables tout en accordant toute l’attention requise au respect de l’environnement. C’est essentiel, lorsque les installations peuvent avoir un impact visuel important.

M. le Rapporteur – Avis défavorable. Outre que cet amendement n’a pas de portée normative, les principes énoncés figurent déjà dans les articles premier et 2 de la loi de 2005.

M. le Ministre délégué – Même avis.

M. Jean-Yves Le Déaut – Je soutiens cet amendement qui apporte une précision importante pour les gestionnaires de réseaux. Avec tous ces amendements, j’ai tout de même l’impression que vous voulez nous faire lustrer les cuivres alors que le bateau coule : on s’attache à des sujets minuscules en plein désastre…

Sur le fond, « veiller au respect de l’environnement dans des conditions économiques acceptables » me semble bien léger…

M. Jean Dionis du Séjour - Ce sont pourtant les termes de la directive !

M. Jean-Yves Le Déaut – C’est qu’elle n’est pas bonne ! Un gestionnaire de réseau pourra toujours refuser d’enfouir une ligne électrique ou une conduite de gaz au prétexte que les conditions économiques ne sont pas acceptables ! Tant que nous n’aurons pas tranché entre les deux impératifs, nous en serons réduits à aller droit dans le mur en chantant : « Tout va très bien, Madame la marquise » ! Il faudrait donc que nous établissions un jour une hiérarchie : est-ce l’environnement qui doit prévaloir, ou les « conditions économiques acceptables » ? Comme le rapporteur, je ne peux que regretter l’absence de normativité de cet amendement, même s’il s’agit d’un premier pas dans la bonne direction.

M. Jean Le Garrec - J’ajouterai une remarque : il se pourrait que le naufrage qui nous attend résulte de la mauvaise qualité de nos rivets, notamment l’entretien des réseaux…

L’amendement de M. Dionis du Séjour a certes un objectif éminemment sympathique, mais je m’interroge : que peut bien signifier « le respect de l’environnement dans des conditions économiques acceptables » ?

M. Serge Poignant – Bonne question !

M. Jean Le Garrec – Il y a en effet une contradiction dialectique entre les deux ! Pour la dépasser, nous devons revoir complètement ce texte.

L'amendement 137567 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Daniel Paul – On pourrait qualifier votre stratégie de saucissonnage, Monsieur le ministre, car vous déstructurez par étapes le secteur de l’énergie. Ainsi, vous démantelez par segments l’entreprise que formait autrefois EDF-GDF, sans doute dans l’espoir que votre opération ne paraisse pas trop scandaleuse et que les intérêts des salariés se trouvent divisés. Dans le même temps, vous videz les opérateurs historiques du cœur de leur activité, les réduisant à des entreprises banales, privées des caractéristiques qui faisaient leur force.

En effet, c’est en grande partie grâce aux synergies entre les différentes activités de la chaîne énergétique qu'EDF et GDF ont pu se montrer aussi performantes. Grâce à l’intégration des activités, l'ancien opérateur historique avait la possibilité de répartir les bénéfices tirés du transport de gaz, relativement lucratif une fois passé le temps des investissements les plus lourds, et financer ainsi d'autres secteurs, comme le stockage ou l'approvisionnement. Les activités de réseau constituent par exemple un tiers du chiffre d'affaire de GDF, mais les trois quarts des bénéfices – on comprend mieux pourquoi certains sont si attachés à la privatisation du réseau de gaz : il y a du « business » à faire !

Naturellement, c’est un modèle que nous ne saurions accepter ! Nos amendements 93504 à 93525 tendent à s’opposer à la remise en cause du principe d’intégration des entreprises dans le secteur énergétique, ce principe offrant la plus grande rationalité économique. C’est pourquoi nous demandons à nouveau la suppression de l’article 6, et en l’occurrence de la dernière phrase de son quatrième alinéa.

M. le Rapporteur – Avis défavorable.

M. le Ministre délégué – Même avis.

M. Jean-Yves Le Déaut - Pour des raisons sans doute différentes, un amendement déposé par notre collègue Michel Bouvard demande lui aussi de supprimer la dernière phrase de l’alinéa 4 de cet article ! Les débats menés au sein de la commission des finances ont en effet bien montré qu’avec l’éclatement des réseaux de distribution du gaz et d’électricité, il n’y aurait plus de développement et d’investissement.

J’ajoute que nous ignorons le contenu du décret en Conseil d’État prévu dans cet article. Nous voulons des explications !

M. le Rapporteur – Vous ne pouvez pas me reprocher de ne pas avoir expliqué la position de la commission sur un amendement qui n’a pas été défendu. Si l’amendement de M. Bouvard était lui aussi de suppression, son souci était autre : il demandait que soit assurée la continuité contractuelle, préoccupation à laquelle l’amendement répondra bientôt.

M. le Président – Si vous donnez des explications sur des amendements retirés, les débats risquent de s’élargir dans des proportions considérables – nous avons suffisamment d’amendements en débat !

M. le Rapporteur – Je répondais à une demande expresse de M. Le Déaut !

Les amendements 93504 à 93525, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Antoine Herth – L’alinéa 4 de l’article 6 précise les missions des distributeurs de gaz, mais nous devons aller plus loin en précisant les obligations des gestionnaires de réseaux qui seront issus de la séparation juridique prévue. Tel est l’objet de l’amendement 137552 que j’ai déposé, avec plusieurs collègues.

M. le Rapporteur – Avis favorable : la définition des missions des distributeurs non nationalisés est effectivement souhaitable et cet amendement a le mérite de bien préciser le domaine de la loi, tout en instaurant une certaine souplesse, en confiant certains aspects au règlement.

M. le Ministre délégué – Même avis.

L'amendement 137552, mis aux voix, est adopté.

Mme Muguette Jacquaint – Par les amendements 39196 à 93217, nous demandons des garanties supplémentaires sur la filialisation des gestionnaires de réseaux de distribution, car vos explications ne nous ont pas convaincus !

Certains prétendent que le développement du marché de l’énergie, la mondialisation et les nécessités de la concurrence nous obligent à modifier les textes en vigueur, notamment pour transposer les directives européennes, mais c’est oublier que d’autres changements ont eu lieu depuis deux ans : lors du dernier référendum, les Français ont en effet rejeté vos conceptions qui tournent le dos à l’Europe sociale qu’ils souhaitent.

J’ajoute que nous ne sommes liés par aucune obligation communautaire en matière de distribution, les directives ne portant que sur la production, la commercialisation et la fourniture de l’énergie ! C’est donc à la seule initiative de ce gouvernement que vous allez brader GDF et ouvrir le marché aux opérateurs privés.

Pour toutes ces raisons, nous demandons l’insertion de l’alinéa suivant : « Le ministre en charge de l’énergie prend les mesures appropriées pour garantir l’accès au réseau et la continuité de la distribution en gaz naturel et en électricité pour l’ensemble des usagers et, en particulier, ceux des régions les plus reculées. »

M. le Rapporteur – Avis défavorable. Si votre amendement était adopté, il faudrait desservir les régions les plus reculées du territoire.

Mme Muguette Jacquaint - Oui, bien sûr.

M. le Rapporteur – La desserte de l’intégralité du territoire n’est pas une obligation pour GDF.

M. le Ministre délégué – Même avis. J’ajoute que l’Assemblée a voté la loi Engagement national pour le logement qui interdit toute interruption de la fourniture pendant les mois d’hiver.

M. Daniel Paul - Sur les 5 000 communes qui demandent actuellement leur raccordement au réseau de gaz, seules 1 500 semblent avoir reçu un avis favorable. Il y a donc tout de même une marge de progression avant d’aller desservir les régions les plus reculées.

M. le Rapporteur – Ouessant, l’île de Sein…

M. Daniel Paul - Bien sûr, cela coûte cher d’étendre le réseau, mais l’égalité des citoyens est à ce prix.

M. Christian Bataille - Contrairement à EDF, GDF n’a pas une obligation de desserte. En cela, le rapporteur a raison. Reste que, depuis sa création, GDF a joué un grand rôle dans l’aménagement du territoire et n’a pas forcément calculé au franc près certains raccordements. Si cette entreprise a agi ainsi, c’est qu’elle était imprégnée de l’esprit de service public. Je doute qu’un groupe privatisé ait le même esprit.

Les amendements 93196 à 93217, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Michel Vaxès - Nos amendements 93218 à 93239 visent à supprimer les alinéas 5 à 11 de cet article. Pour justifier son action, le Gouvernement a beau jeu d’invoquer les directives à transcrire. Chacun reconnaît là l’air familier du « c’est pas moi, c’est Bruxelles », cher aux gouvernements courageux qui n’assument pas leurs choix ultralibéraux, régulièrement désavoués par notre peuple. Mais l’alibi européen ne trompe plus grand monde, d’autant qu’aucune directive européenne ne vous contraignait à transformer EDF et GDF en sociétés anonymes et à ouvrir leur capital. De la même façon, aucune directive ne vous contraint aujourd’hui à privatiser GDF. Vous faites le choix politique d’aller au-delà de ce qu’elles prévoient.

Nous préconisons pour notre part une renégociation des traités, notamment celui de Barcelone. C’est possible. L’impuissance publique n’est que le fruit de renoncements successifs. Les enjeux énergétiques, énormes, méritent la renégociation que nous demandons. Rien n’est écrit. C’est sans doute pourquoi vous voulez aller vite et engager un processus irréversible de libéralisation. Pour vous, le temps presse, car la conscience progresse partout que l’énergie, l’eau, l’éducation, la santé ou la culture ne sont pas des marchandises et doivent donc être préservées de la course aux profits. Vous nous faites donc discuter de ce projet selon la procédure d’urgence, alors que toute une série de questions restent en suspens.

M. le Rapporteur – Défavorable.

M. le Ministre délégué – Même avis.

M. Jean Le Garrec - Le président Ollier m’a reproché d’utiliser l’exemple d’Usinor et de Mittal, mais nous pouvons tout de même en tirer la leçon suivante – et là, je m’adresse au gaulliste qu’il est : si l’on abandonne les outils de maîtrise, la logique financière s’impose. Et avec des gens qui s’appuient sur des fonds de pension réclamant des rendements de 20 %, cette logique est proprement impitoyable !

Nous sommes très en retard dans l’analyse de ce que nous devrions faire face à cette domination croissante d’un capitalisme purement financier. Lorsqu’il s’agit de biens premiers – je tiens beaucoup à cette expression –, nous ne devrions vraiment pas nous priver de moyens de résistance. Nous allons sinon nous retrouver livrés pieds et poings liés à cette logique financière.

Les amendements 93218 à 93239, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Jacques Desallangre – Nos amendements 93526 à 93547 visent à supprimer l’alinéa 5 de cet article.

L'efficacité économique et technique du système énergétique français réside dans le choix, fait il y a bientôt soixante ans, d'une intégration maximale de l'ensemble des activités nécessaires au fonctionnement et aux investissements de service public.

En France, durant l'été 2003 et la canicule, dans la situation extrêmement tendue de la production électrique, une deuxième catastrophe sanitaire a été évitée parce que les personnels d'EDF ont su travailler avec des réflexes professionnels issus de cinquante ans d'histoire commune et dans un objectif unique : la sécurité. La séparation juridique de la distribution n'est pas une mesure mineure, car elle conduit précisément à renoncer à ce qui faisait la force du service public. Elle est en ce sens contraire à l'intérêt national.

La directive européenne sur le marché de l'électricité définit dans son article 10 quatre critères minimaux à respecter pour le gestionnaire du réseau de distribution : son indépendance managériale vis-à-vis de l'entreprise intégrée ; des mesures protégeant l'indépendance des dirigeants de la filiale vis-à-vis de la maison mère ; des pouvoirs complets de décision de la filiale pour exploiter le réseau et investir ; enfin, des règles strictes permettant à cette dernière d'assurer un accès non discriminatoire au réseau.

Ces quatre critères sont largement assurés par l'organisation actuelle d'EDF et GDF. Les attendus de la directive prévoient dans le paragraphe 8 que la Commission pourra évaluer les mesures d'effets équivalents à la séparation juridique du transport élaborées par les États pour réaliser cet objectif. De la même façon que le gouvernement français n'était pas tenu de séparer juridiquement les activités de transport des maisons mères, il pourrait donc aujourd’hui proposer à la Commission ces mesures d'effet équivalent sans procéder à la séparation juridique des activités de distribution. Or, de cela, il n'est pas question pour des motifs purement idéologiques.

Mes convictions n’ont rien d’obsolète, alors que vos solutions prétendument modernes, qui conduisent chaque fois au recul social, sont en fait conservatrices. Je peux me permettre de le dire, car je n’ai voté aucune privatisation ni ouverture de capital. Accordez-moi au moins le mérite de la continuité dans la défense du service public.

M. Dominique Tian - De l’aveuglement !

M. Jacques Desallangre - Reprochez-moi de n’être pas moderne, à la mode libérale du terme, et je serai heureux du compliment. Le monde change ? C’est vrai, mais s’adapter ne doit pas conduire à renoncer à ses valeurs. Ce sont elles qui nous aident à nous adapter, lorsque le changement est synonyme de progrès.

M. le Président de la commission – La commission est défavorable à ces amendements de suppression, pour les raisons que nous avons déjà exprimées cent fois.

Monsieur Le Garrec, vous avez interpellé le gaulliste que je suis en parlant des biens premiers, et je répondrai au socialiste que vous êtes. EDF et GDF sont dans des situations bien différentes. EDF produit son électricité, grâce entre autres au général de Gaulle, qui a conforté les initiatives prises par les gouvernements qui l’ont précédé : le consensus règne en effet pour soutenir le programme nucléaire, dans l’intérêt national. Grâce à ce programme, notre entreprise nationale, dont nous avons tout lieu d’être fiers, produit de l’électricité et en vend même à l’étranger. Nous avons ouvert son capital pour favoriser son investissement, mais il n’est aucunement question que cette situation change. Gaz de France, en revanche, a besoin d’aller chercher son gaz à l’étranger et de diversifier ses sources, pour assurer notre sécurité d’approvisionnement. La France ne produit plus de gaz depuis les années 1960. Elle est donc confrontée au risque de rareté. Sur le marché mondial, le seul moyen, donc, de fournir les investissements nécessaires et d’avoir accès à des contrats susceptibles de sécuriser l’approvisionnement est la fusion.

Nous sommes donc confrontés à une situation, un marché, des conditions différentes. Nous n’avons pas écrit ce texte par idéologie, mais pour répondre au problème posé pour le seul marché du gaz. Si j’étais un idéologue, je m’opposerais à ce projet.

M. Daniel Paul - Quel aveu !

M. le Président de la commission – Mais le gaulliste que je suis n’est pas heurté par ce texte. L’idéologie fait réagir toujours de la même manière à des événements qui évoluent. Il vaut mieux la remplacer par le pragmatisme, qui permet d’être plus efficace, dans l’intérêt national et européen. Je partage une grande partie de vos propos, Monsieur Le Garrec, et c’est peut-être pour cela que je suis aujourd’hui favorable à ce projet.

M. Jean Le Garrec - Voilà un vrai débat ! Mais, pour commencer, j’aimerais que le mot « idéologie » ne soit pas toujours péjoratif : dans idéologie, il y a idée, et depuis les Grecs on sait qu’il n’y a pas de politique sans bataille d’idées – je me situe sur ce point dans la ligne du grand Cornélius Castoriadis.

Vous avez raison : le problème qui se pose est bien celui de l’approvisionnement. Mais nous ne croyons justement pas que l’accord éventuel – et de moins en moins certain – que passeraient Gaz de France et Suez y répondrait. Si votre préoccupation est réellement l’approvisionnement, vous avez besoin de la force politique de l’État et du poids de votre réseau et de votre clientèle – je ne reprendrai pas à ce sujet les chiffres éclairants de M. Paul – pour discuter avec vos fournisseurs, Gazprom par exemple. La fusion que vous envisagez est contraire à ces impératifs. Le texte ne tient donc compte ni des réalités géopolitiques, ni des besoins, ni des systèmes de pression qui existent.

M. Jean Gaubert – L’argumentation de M. Ollier se tiendrait, dans son genre, s’il avait effectivement recherché le meilleur partenaire possible pour Gaz de France. Mais nous savons bien que l’heureux élu est déjà désigné et qu’il faudrait une catastrophe pour que le mariage ne se fasse pas ! Nous aussi nous préoccupons du rapport de force qui doit s’instaurer entre vendeurs et acheteurs de gaz, mais justement ! Rien ne prouve que le nouveau groupe serait un acheteur de gaz plus important qu’avant.

M. le Président de la commission – Si !

M. Jean Gaubert - S’il faut abandonner une partie des positions en Belgique, la part du groupe constitué n’augmentera guère !

En dénationalisant Gaz de France, vous lui ôtez même des atouts : pour le moment, les relations avec les producteurs de gaz sont en même temps des relations avec les États. C’est le cas pour la Russie ou l’Algérie. Les dirigeants russes ont au moins autant d’intérêts qu’avant, mais personnels cette fois, dans les installations et je sais que vous n’imaginez pas une seconde négocier avec Gazprom sans négocier aussi avec M. Poutine ! Une société nationale a donc plus de poids dans la discussion.

En 2004, nous n’avions guère d’illusions sur l’avenir public de Gaz de France, mais je pensais au moins que vous rechercheriez un accord avec un autre puissant du gaz. Nous n’aurions pas approuvé, mais il y aurait eu une logique stratégique. Or votre projet résulte tout entier du coup de panique de Suez, qui est allé demander aux dirigeants de ce pays de le sauver d’Enel et de lui trouver un mariage. Ce projet a d’ailleurs bien été présenté d’abord comme la contre-attaque au projet d’OPA ! Vous nous présentez une alliance de circonstances, à laquelle personne ne croit vraiment.

Mme Muguette Jacquaint - Les réseaux de distribution sont essentiels. Ils sont un des éléments qui conditionnent le respect du principe d’égalité sur le territoire, grâce aux mécanismes de péréquation internes entre les activités des entreprises. Ainsi, l’usager du fin fond de la Creuse peut bénéficier de la même qualité que dans la capitale. La distribution est en outre une composante du prix final. Mettre la distribution à part, juridiquement, tout en la soumettant aux exigences du marché va évidemment pousser chacun des opérateurs à tirer la marge à lui, sans considération pour le consommateur. Au distributeur qui, après le transporteur, voudra augmenter ses marges, il suffira d’économiser sur les investissements d’équipement et l’entretien, et tant pis pour les pannes ! Cela aura obligatoirement des conséquences sur l’aménagement du territoire et l’égalité entre les citoyens.

M. Christian Bataille – Je soutiens ces amendements et voudrais répondre à M. Ollier, qui veut attribuer, et ce n’est pas le première fois, au seul mouvement gaulliste la réussite du programme nucléaire français.

M. le Président de la commission – Pas du tout !

M. Christian Bataille - Le programme nucléaire français a été décidé sous la IVe République, à l’initiative de Pierre Mendès France. Par la suite, les gaullistes ont eu le grand mérite de le développer et leurs successeurs – je pense notamment à M. d’Ornano – ont fait de même. Quant aux gouvernements socialistes, de ceux de François Mitterrand à celui de Lionel Jospin, ils n’ont pas relâché l’effort en faveur du parc nucléaire industriel. Je suis du reste prêt, Monsieur Ollier, à faire le décompte avec vous : je crois pouvoir dire sans me tromper que les gouvernements socialistes ont inauguré au moins autant de tranches nucléaires que les gaullistes. Évitons les caricatures. Le fait que le parc nucléaire constitue désormais un bien national doit faire consensus.

M. le Ministre délégué – Les amendements communistes nous donnent l’occasion d’un débat de fond…

M. Jacques Desallangre - Merci de le reconnaître !

M. le Ministre délégué – Et je voudrais vous livrer ma vision d’une politique énergétique pour un pays responsable, à même de lui garantir un avenir durable, l’indépendance et la sécurité d’approvisionnement.

Dans la plupart des pays du monde, le sous-sol appartient à l’État et c’est l’État qui décide de l’affectation de ses richesses. Cela correspond à notre propre modèle, tel que le retrace le code minier. J’indique au passage que dans les pays de tradition minière plus récente ou non écrite, la question de la propriété des ressources fait l’objet de discussions sans fin – le Parlement russe en débat depuis plusieurs années –, voire de conflits – comme au Nigeria. La question qui se pose traditionnellement est la suivante : comment assurer une rente aux communautés installées à proximité des gisements ?

Après l’extraction, vient le stade de la production et il est fréquent, au regard de l’ampleur des investissements durables à consentir, que l’État soit très heureux de conclure des contrats de concession de très long terme avec des sociétés privées pour en assurer la maîtrise. La mise en exploitation d’un champ pétrolier ou gazier coûte très cher et il faut l’envisager selon une logique financière de très long terme.

Ensuite, il faut acheminer la ressource, et pour ce faire, investir dans différents modes de transports. Là encore, les compagnies privées sont à même de programmer les investissements industriels nécessaires. Arrivée à destination, la ressource doit être rendue accessible à ses utilisateurs, par le biais notamment d’infrastructures portuaires adaptées. À cet égard, il est certain que la Pologne doit se mordre les doigts de n’avoir pas procédé aux aménagements qui lui auraient permis de recevoir dans de bonnes conditions le gaz liquéfié norvégien. La France possède ce type d’infrastructures, qui sont aujourd’hui la propriété de Gaz de France et il en va de même de la Belgique, avec Suez. Bien entendu, l’État intervient à plusieurs titres dans la programmation et la réalisation de tels investissements. Mais ils procèdent néanmoins d’une logique économique et financière, l’enjeu étant de trouver les sources de financement nécessaires – via l’emprunt ou le recours à des investisseurs privés – et d’assurer une juste rémunération aux contributeurs.

La ressource doit ensuite être acheminée dans des réseaux. La France en dispose et entend garder la pleine maîtrise de leur devenir, grâce au dispositif protecteur de l’action spécifique.

Le stade final de la distribution restera placé sous la responsabilité des communes. Celles-ci sont libres de faire appel à des concessionnaires, mais elles doivent garder la maîtrise des décisions à prendre.

Considérer l’ensemble du processus permet de comprendre qu’il ne faut pas opposer de manière artificielle la logique économique et financière à l’investissement public de long terme. À tous les stades, la puissance publique et les investisseurs ont un rôle à jouer. Il revient au législateur de clarifier les responsabilités respectives et il s’honore à le faire, en l’espèce, dans le cadre de cet article. Avis défavorable sur les amendements.

Les amendements 93526 à 93547, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président – Nous en venons aux amendements identiques 93548 à 93569.

M. Michel Vaxès - M. Loos donne sa vision des choses. Je vais démontrer que l’on peut en avoir une autre, et, puisque le président Ollier nous y invite, tenter d’élever le débat en abordant quelques considérations économiques, avant, dans la défense d’amendements ultérieurs, d’aborder le problème sous l’angle philosophique.

À l'heure actuelle, EDF et Gaz de France sont des entreprises intégrées, horizontalement et verticalement. Intégrations horizontale et verticale vont de pair avec la théorie du monopole naturel, selon laquelle il serait absurde de construire une deuxième infrastructure à côté d'une première non encore saturée. Cela vaut tout aussi bien pour les lignes électriques – ou les voies ferrées – que pour les infrastructures routières.

C'est sur ces bases que la loi d'avril 1946 a été votée et que notre modèle a été bâti, a bien fonctionné et continue de le faire. Las, depuis une vingtaine d'années, les économistes libéraux ne laissent de l’attaquer. Son principal défaut est sans doute, à leurs yeux, de donner satisfaction à tout le monde !

On le sait, les économistes néoclassiques sont de savants théoriciens. Ils adorent les mathématiques et délaissent par contre les sciences sociales. Marx, déjà, mettait en garde leurs aînés en les invitant à ne pas confondre les choses de la logique avec la logique des choses… Pour les tenants de l’école néoclassique, la régulation ne peut compenser les effets néfastes des monopoles. La théorie des marchés contestables affirme que la manière de contraindre un monopole à se comporter dans l'intérêt du consommateur est de rendre son marché contestable. Sur le papier, un marché est dit contestable si l'entrée et la sortie des concurrents y sont libres. Dans des industries de réseau, cela conduit à découper la chaîne en tronçons, avant et après le réseau, pour y injecter de la concurrence : c'est la désintégration verticale.

Pour que la concurrence soit pure et parfaite, il faut forcer les acteurs présents à faire de la place à leurs concurrents, par vente forcée des actifs de production et des clientèles : c'est la désintégration horizontale.

Le modèle théorique qui nous est proposé est censé remplacer avantageusement les échanges au sein de l'entreprise intégrée par des marchés. Le problème, c'est que ce nouveau modèle d'échanges est virtuel, alors que celui qui se fonde sur l'entreprise intégrée démontre son efficacité depuis plus de soixante ans.

L'histoire a aussi montré que des gains importants sont obtenus grâce à la maîtrise publique de la coordination de l'offre et de la demande d'électricité ou de gaz, plutôt que par le libre jeu des marchés. Elle enseigne aussi que la mutualisation dans un réseau intégré réduit le besoin en investissements. Enfin, elle prouve que les choses sont plus difficiles à obtenir quand le régulateur est obsédé par la destruction de la chaîne, son découpage en parties indépendantes et l'annulation de tous les avantages de l'intégration verticale. De surcroît, le découpage de la chaîne et la création des marchés augmentent considérablement le nombre de transactions quotidiennes, ce qui crée des problèmes de gestion majeurs. L'entreprise intégrée peut réduire le coût important de ces transactions mais, dans une chaîne d'entreprises sans finalité commune, ces coûts de production peuvent devenir prohibitifs.

Nous continuerons pendant tout le débat à mettre en évidence ces réalités, confortées par ce qui se passe depuis quelques années dans nombre de pays.

M. le Rapporteur – Avis défavorable.

M. le Ministre délégué – Même avis.

M. François Brottes - Dans sa démonstration sur le fonctionnement du marché énergétique mondial, le ministre a énoncé plusieurs vérités de bon sens et je lui en donne acte bien volontiers. Mais la question que tout cela fait surgir est angoissante : que vaut la loi française face à la loi de la jungle mondiale ? À quoi bon légiférer si toutes les dispositions que nous prenons ici sont demain bafouées par des interactions qui nous dépassent ? Le président Ollier se met en colère lorsque nous reprochons aux partisans de ce texte de sacrifier l’intérêt national. Mais nous ne formulerions pas de telles critiques s’il avait été décidé que l’État resterait majoritaire dans le capital de Gaz de France. Le problème est qu’avec 34 % dans le capital de GDF – combien dans celui du nouveau groupe fusionné ? –, l’État n’a plus aucun outil de contrôle. Nous sommes d’accord avec vous, Monsieur le ministre : l’heure est grave et les évolutions dans le secteur énergétique difficiles à appréhender. C’est précisément pourquoi il ne faut pas lâcher les quelques manettes, peu nombreuses, qui nous restent, au premier rang desquelles la participation de l’État dans le capital des entreprises.

Le projet de loi dispose d’autre part que les contrats de concession ne seront pas modifiés par le transfert à une nouvelle entité et que celui-ci « n’emporte aucune modification des autorisations et contrats en cours, quelle que soit leur qualification juridique, et n’est pas de nature à justifier ni la résiliation, ni la modification de l’une quelconque de leurs clauses.» Que le simple transfert n’ait pas de conséquences, soit, mais la privatisation modifie radicalement la donne. Le changement de statut du concessionnaire ne donnera-t-il pas droit aux collectivités concédantes de lancer un nouvel appel d’offres ?

M. Daniel Paul – Je remercie le ministre de son intervention par laquelle il reconnaît implicitement que, loin de faire de l’obstruction, nous alimentons le débat en défendant nos positions qui divergent totalement des vôtres.

EDF et GDF, entreprises publiques, ont montré, depuis soixante ans, ce qu’elles étaient capables de faire. Dans le pays ruiné de l’après-guerre, elles ont construit une industrie énergétique forte ; dans les années soixante et soixante-dix, elles ont mené à bien le programme nucléaire assurant l’indépendance énergétique de notre pays, et ce tout en veillant toujours aux tarifs. Le résultat est d’ailleurs que notre pays a encore aujourd’hui les tarifs les plus bas d’Europe, même s’ils ont augmenté. Depuis l’origine, l’idée a été de ne pas plomber les prix par la distribution de dividendes. Or, sous la pression libérale qui pousse à chercher toujours de nouveaux espaces où réaliser des profits, vous jetez ces formidables outils aux orties. Ne vous en déplaise, vous cédez. Certes avec quelque difficulté, car il existe incontestablement une culture de service public dans notre pays et nos concitoyens sont attachés à leurs services publics, que l’on a pourtant dénigrés pour les casser. Au moment où les défis économiques et écologiques à relever sont particulièrement difficiles, donner davantage de pouvoir au privé dans le secteur énergétique constitue une grave erreur. C’est d’ailleurs pourquoi nous souhaitons que ce débat soit à un moment sanctionné par un vote où chacun soit amené à se prononcer.

Il est vrai que l’Europe pousse à ces évolutions. Mais permettez-moi de m’inspirer ici de Sénèque pour vous dire que ce n’est pas parce que les choses sont difficiles qu’on ne fait rien, mais parce qu’on ne fait rien qu’elles deviennent difficiles.

M. le Rapporteur – Ce propos fort juste s’applique parfaitement à la gauche !

Les amendements identiques 93548 à 93569, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président – Les amendements 93570 à 93591 sont identiques.

M. Michel Vaxès - Je les ai déjà défendus dans mon intervention précédente.

M. le Rapporteur – Défavorable.

M. le Ministre délégué – Même avis.

M. Jean Gaubert - Je souhaite revenir un instant sur la question des concessions. Attribuées par la loi à une entreprise publique, certes devenue société anonyme mais dans laquelle l’État restait majoritaire, celles-ci vont passer à une société privée. Il y a là une première difficulté juridique. Au terme du contrat, les collectivités pourront-elles resigner un nouveau contrat avec Suez ou devront-elles procéder à une mise en concurrence en bonne et due forme, comme elles le font pour les affermages ou les concessions d’eau ? Je souhaiterais une réponse claire sur ce point important.

M. le Rapporteur – Le problème est différent pour l’eau et pour le gaz car les réseaux de distribution de gaz font l’objet d’un monopole légal. Au terme du contrat, les collectivités n’auront pas le choix. Elles ne pourront que souscrire un nouveau contrat avec l’entreprise détentrice du monopole légal.

M. Jean Gaubert – Je ne suis pas sûr que vous ayez raison et souhaiterais une expertise sur le sujet. Si j’avais bien compris que l’on cherchait à lutter contre les monopoles publics, il m’avait échappé que c’était pour avantager des monopoles privés – lesquels ne semblent, eux, poser de problème à personne ! Mais vous savez comme moi, Monsieur le rapporteur, qu’il y aura des offensives pour les démanteler à leur tour.

M. François Brottes – Avant même qu’on aborde l’article 10, tout cela montre que l’on cherche à donner une rente de situation à des actionnaires privés. Il est inacceptable de bafouer ainsi les intérêts publics en offrant à une entreprise privée un marché captif, et ce pour l’éternité. Notre collègue Jean Gaubert a raison : des concurrents ne tarderont pas à se plaindre de ce nouveau monopole. Que dira alors le régulateur et que deviendront les concessions ? Vous nous aviez, Monsieur le rapporteur, avoué en juillet dernier qu’on nageait en eaux troubles sur ce sujet. Vous affirmez aujourd’hui que les concessions sont éternelles. Toutes les villes, tous nos concitoyens sont concernés et pour eux, votre réponse est lourde de conséquences.

M. Daniel Paul - Certaines collectivités locales ont investi pour le raccordement au réseau de distribution. Cet argent public va-t-il rester aux actionnaires de Suez ou à des fonds de pension, anglo-saxons et un jour peut-être mongols, ouzbeks ou kirghiz ? Ce serait une spoliation pure et simple.

M. le Ministre délégué - Nous abordons ici un nouveau débat de fond. J’ai toujours dit que les communes restent propriétaires des réseaux de distribution et que le monopole continue de fonctionner car, en échange, il y a le contrat de service public avec ses contraintes. L’équilibre est maintenu.

Les amendements identiques 93570 à 93591, mis aux voix, ne sont pas adoptés.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.
La séance est levée à 19 heures 35.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.
Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.
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