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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

3ème séance du mardi 26 septembre 2006

Séance de 21 heures 30
13ème jour de séance, 33ème séance

Présidence de M. Jean-Louis Debré

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La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

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énergie (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif au secteur de l’énergie.

Art. 10 (suite)

M. François Brottes - Rappel au Règlement. Grâce à votre légendaire patience, Monsieur le Président, nous avons pu défendre pied à pied l’ensemble de nos amendements pour permettre à la majorité de se ressaisir. Si M. le ministre donnait des réponses satisfaisantes aux questions que je vais lui rappeler, nous pourrions alors considérer comme défendus tous les amendements jusqu’au 30950 rectifié inclus.

Tout d’abord, M. Dionis du Séjour vous demandait tout à l’heure si vous aviez un « plan B ». Nous présentons des amendements de repli – en vain, certes – mais vous, avez-vous une solution de repli ?

Ensuite, je vous remercie d’avoir répondu à la délicate question du calendrier, mais je souhaiterais lever un doute – sans perfidie aucune de ma part. Les bilans de GDF et de Suez sont-ils clôturés à la même date ? Des dates différentes pourraient en effet affecter la valorisation des actions lors de la fusion.

Enfin, l’encadrement de GDF sera-t-il concerné par les stock-options ? Cette question est d’autant plus importante que la commission des affaires économiques examine en ce moment le projet de loi relatif à la participation.

Je conclurai en précisant à M. le rapporteur qu’il est un trop fin connaisseur de la langue française pour confondre vœux et engagements.

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie Je ne suis pas certain de comprendre à quel plan B vous faites allusion. En août, plusieurs solutions alternatives ont été proposées ici et là, et toutes ont été écartées à juste titre. Quant au Gouvernement, il n’a pas de plan B ; il n’a qu’un seul projet de loi, car c’est le plus valable. L’entreprise Gaz de France a-t-elle, elle, un plan B ? Ce n’est pas l’objet du texte : il s’agit de permettre à GDF d’ouvrir son capital afin de se développer sans s’endetter, car nous ne voulons pas revivre la mésaventure de France Télécom. Cela n’empêche en rien d’envisager ensuite d’autres partenaires que Suez ; on a déjà vu de telles alliances imprévues se conclure, avec Air France par exemple.

D’autre part, je vous confirme que la clôture des comptes de GDF et de Suez se fait à la même date – le 31 décembre.

Enfin, personne ne détient de stock-options chez GDF.

M. Jean Gaubert - Cela va changer !

M. François Brottes - Y a-t-il un projet visant à en créer ?

M. le Ministre délégué – Non, aucun.

M. Jean Gaubert – Que vous disiez que le mariage avec Suez n’est pas totalement certain, voilà qui contribuera peut-être à contenir les ambitions des actionnaires de Suez qui prétendent que leur entreprise vaut plus cher que GDF, mais cela traduit aussi l’embarras où se trouve le Gouvernement, puisque c’est lui qui a le premier évoqué ce mariage. Mais tant mieux pour le contribuable si vous reculez aujourd’hui…

M. François Brottes - Compte tenu des clarifications apportées par M. le ministre, je souhaite que l’on passe au vote sur l’ensemble des amendements 25605 rectifié à 30950 rectifié.

M. le Président – Je vous remercie.

Les amendements 25605 rectifié à 30950 rectifié, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président – J’appelle les amendements 42958 à 47313.

Mme Muguette Jacquaint - Quoi que vous tentiez pour nous rassurer, Monsieur le ministre, nous n’en sommes pas moins bel et bien confrontés à la privatisation de GDF. Vous prétendez que la France se dote ainsi de « manettes », que cela rendrait vaines les inquiétudes que nous avons quant aux tarifs, à la distribution, à l’indépendance énergétique de notre pays, à l’environnement et à une possible privatisation d’EDF. Mais tout dépend de qui est aux manettes ! Or, l’État abandonne GDF à des opérateurs privés et on sait ce que cela signifie : rentabilité, dividendes…

Vous nous reprochez de tout ramener à la politique : c’est précisément notre rôle, ici, de faire des choix politiques et, à ce propos, je souhaiterais que certains collègues silencieux de la majorité défendent leurs positions, qui sont proches des nôtres… Les rapporteurs nous accusent aussi d’inquiéter la population, mais n’est-ce pas vous qui trompez l’opinion publique, par la voix d’un ministre bien connu qui déclarait il y a quelques mois que GDF ne serait pas privatisé ? Si vous vous préoccupiez de l’opinion publique, peut-être tiendriez-vous compte de l’opposition de la plupart des organisations syndicales à votre texte ! En outre, si votre texte comporte réellement toutes les garanties que vous évoquez, pourquoi avoir refusé le débat national qui aurait permis à nos concitoyens de s’exprimer ?

Le Premier ministre, le ministre des finances et les présidents Mestrallet et Cirelli se sont mis d’accord en un week-end pour que M. Mestrallet puisse réaliser son rêve. Heureusement que l'Assemblée nationale est là pour éclairer l’opinion publique ! Continuez donc à prétendre que vous avez raison, votez cet article : vous devrez bien un jour en assumer les conséquences et vous expliquer avec les électeurs.

Nos amendements 42958 à 47313 sont défendus.

M. le Président – Sur ces amendements, je suis saisi par le groupe communiste d’une demande de scrutin public.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire J’ai parlé plus tôt des positions défendues par Mme Bricq en matière énergétique (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Mme Jacquaint sera sûrement intéressée par des conclusions voisines, qui avaient été présentées par un ancien ministre communiste, Charles Fiterman, au Conseil économique et social. Dans un rapport de 1999 sur la future organisation gazière française, il s’était dit favorable à ce que Gaz de France noue des alliances ou des partenariats forts, autant industriels que financiers.

Plusieurs députés socialistes – Et alors ?

M. le Rapporteur – Il pensait que l’ensemble TotalFinaElf et, éventuellement, d’autres opérateurs européens pourraient être intéressés. Ainsi, selon lui, s’affirmerait un solide pôle public…

M. François Brottes - Un pôle public !

M. le Rapporteur – …ouvert à des alliances et partenariats sains et durables. M. Fiterman prévenait encore que toute stratégie de ligne Maginot, tout statu quo seraient vains et dangereux et M. Pierret lui avait répondu qu’il comptait bien trouver une réponse à cette question majeure en concertation avec tous les acteurs, sans tabou et en privilégiant un réel projet industriel pour GDF, aux côtés d’un futur pétrolier français. Il me semble que ces propos doivent être rappelés à l’attention de l’opposition (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Ministre délégué – Madame Jacquaint, je n’ai jamais dit que je ne faisais pas de politique. Je vous présente un texte politique, mais dont chaque mot n’a pas à être interprété comme une opération politicienne. Je suis par ailleurs d’autant plus attentif à toutes les questions qui me sont posées, de la part de l’opposition comme de la majorité, que je sais que nos concitoyens doivent bien comprendre les orientations que nous choisissons. Je souhaite donc apporter une réponse convaincante à toutes les questions que vous êtes en droit de vous poser.

M. François Brottes - À entendre avec quelle délectation notre rapporteur parle de pôle public, on comprend qu’il exprime au moins un vœu, si ce n’est un engagement. Il est vrai que citer M. Fiterman, évoquant des pôles publics et des partenariats forts, incite à pousser la réflexion plus loin que vous ne l’avez fait.

Puisque le ministre est disposé à répondre à toutes nos questions, pourrais-je savoir si l’État, disposant d’une minorité de blocage, s’opposera à l’octroi de stock-options dans le nouvel ensemble, voire fera en sorte de supprimer celles qui existent ? Si la minorité de blocage ne sert même pas à cela, on peut douter qu’elle serve à autre chose !

M. le Ministre délégué – La question se posera le moment venu au conseil d’administration de la future société.

À la majorité de 57 voix contre 13, sur 70 votants et 70 suffrages exprimés, les amendements 42958 à 47313 ne sont pas adoptés.

M. le Président – Les amendements 95660 à 96319 sont identiques. Madame Jacquaint, puis-je savoir si vous avez l’intention de demander un scrutin public ?

Mme Muguette Jacquaint - Non, pas sur chaque amendement.

La réponse que vous venez de faire, Monsieur le ministre, s’agissant de rien moins que de la privatisation de GDF, est tout de même un peu courte. Il est clair que le caractère évolutif du secteur énergétique en Europe et le mouvement de concentration qui s’est amorcé requièrent une attention soutenue des pouvoirs publics français. Peut-on pour autant admettre que Gaz de France cesse d’être une entreprise publique, afin de favoriser une fusion, avec Suez ou un autre groupe ? Ni la perspective d’une OPA hostile sur Suez, ni la construction d’un second champion national, face à EDF, leader européen et mondial, ne peuvent justifier une telle révision de la loi du 9 août 2004, qui avait résulté d’un débat approfondi de la représentation nationale.

La privatisation va créer un concurrent redoutable pour EDF. Elle ouvre la voie à une privatisation au moins partielle de la filière nucléaire française et soulève donc de grandes inquiétudes en matière de sécurité. Enfin, le contrôle de la fusion, qui s’apparente à une concentration, échoit aux autorités communautaires, qui risquent de demander des contreparties énormes. Les enjeux énergétiques, sociaux et économiques – nous les avons largement exposés – sont cruciaux. Les dégâts industriels qu’engendre la concurrence commencent à apparaître : certaines entreprises se trouvent face à des augmentations exorbitantes qui mettent en péril leur avenir et celui de leurs salariés. Nous ne pouvons donc que réaffirmer notre profonde opposition à l’article 10 et réitérer nos propositions constructives. Cependant, toutes ces propositions se sont heurtées à un refus clair et net des ministres, qui persistent à essayer de nous convaincre des bienfaits que leur texte apportera. Dans ce cas, pourquoi refuser obstinément de le défendre directement devant nos concitoyens ?

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

M. le Ministre délégué - Même avis.

M. Christian Bataille – Mme Jacquaint l’a fort bien dit : il est indispensable de conserver une filière nationale. À quoi sert de dépenser des sommes énormes pour notre défense nationale si, dans le même temps, nous abandonnons nos défenses en matière d’énergie ? Une filière nationale du gaz, garantie par l’État, vaut largement un porte-avions et coûte moins cher ! Nous sommes en train de nous priver de la colonne vertébrale de notre politique. Si tout le monde parle de guerre énergétique, c’est bien que l’énergie est une arme. Au lieu d’en conserver la maîtrise, vous la livrez au secteur privé. Je suis surpris que les gaullistes qui sont parmi vous acceptent de laisser à Suez l’équivalent d’un élément de la défense nationale.

Quelques mots enfin pour répondre aux propos provocateurs de M. Lenoir, qui a confondu à dessein ouverture à la concurrence et privatisation. MM. Juppé et Borotra avaient signé des accords internationaux d’ouverture à la concurrence, nous les avons loyalement reconnus, même s’ils allaient contre notre culture : nous avons respecté la parole de l’État, donnée par nos prédécesseurs au nom de la France. Nous le reprocher, c’est être de très mauvaise foi. En revanche, nous n’avons pas privatisé comme vous êtes en train de le faire !

M. François Brottes - Au sujet des stock-options, Monsieur le ministre, vous m’avez répondu qu’on réfléchirait, et je peux comprendre que vous ne vous soyez pas encore fait de religion ; mais j’aimerais au moins savoir si, lorsqu’on a une minorité de blocage dans une assemblée d’actionnaires, on peut, le cas échéant, s’opposer à la mise en place de stock-options. C’est une simple question de droit, qui mérite réponse, d’autant plus que nous allons prochainement débattre d’un texte touchant à ces questions : nous sommes ici sur un cas pratique.

Les amendements 95660 à 96319, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président – Je suis saisi des amendements 62758 à 83899.

Mme Muguette Jacquaint - Monsieur le ministre, dans les déclarations que vous citiez tout à l’heure, il était question de pôle public. Ce n’est pas du tout la même chose que la privatisation ! Celle-ci est contraire à l’intérêt national, contraire aux intérêts des salariés et des usagers, et elle affaiblit gravement la maîtrise publique du secteur de l’énergie. Cette fuite en avant dans la politique de libre concurrence va nuire non seulement à GDF, mais aussi à EDF. On nous considère comme archaïques quand nous dénonçons les méfaits du libre marché, mais je ne vois pas ce qu’il y a de moderne à brader des entreprises nationales qui ont montré leur efficacité !

Certains sourient au motif que nous nous répétons, mais nous y sommes bien obligés puisque nous ne vous avons pas convaincus !

Mais vous-mêmes ne nous avez pas davantage convaincus, pas plus que vous n’avez convaincu nos concitoyens. Encore ce soir, les organisations syndicales opposées à ce texte sont réunies pour débattre de la suite qu’elles vont donner à leur action. Elles ont entre les mains les interventions faites par nos collègues socialistes et nous-mêmes, ainsi que celles des ministres. En revanche, elles ne peuvent s’appuyer sur celles qu’auraient pu faire les membres de la majorité hostiles à ce projet, puisqu’ils ne viennent pas… Je le regrette fort, car eux ont compris ce qu’était l’intérêt national !

M. le Rapporteur – Avis défavorable.

M. le Ministre délégué – De même.

M. Christian Bataille - Comme Mme Jacquaint, je veux un État fort, non un État faible comme vous nous le proposez avec le mariage Suez-GDF. Vous ne pourrez plus que constater les décisions prises par l’entreprise, dont la gouvernance va radicalement changer. Les actionnaires chercheront avant tout à rentabiliser leur apport, alors que l’État est soucieux de l’intérêt général et se préoccupe du long terme. En outre, dès lors que l’entreprise va chercher à maximiser sa valeur boursière, l’État risque d’être tenté de vendre ses participations afin de diminuer la dette publique, ce qui aggravera encore le démantèlement du secteur public de l’énergie.

M. Éric Besson – Nos collègues de l’UMP s’apprêtent à voter cet article funeste alors que de grandes ambiguïtés demeurent. Le ministre a dit tout à l’heure qu’il n’y avait pas de plan B, que c’était la fusion avec Suez ou rien. Il existe malheureusement une contradiction flagrante entre de telles affirmations et les propos tenus hier soir par M. Breton et M. Ollier : il ne s’agirait pas, selon eux, de marier GDF et Suez, mais seulement de réduire la participation de l’État dans le capital de GDF.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire - Exactement !

M. Éric Besson – M. Ollier nous disait pourtant, d’un air attristé, que le Gouvernement n’avait reçu qu’une seule offre, celle de Suez. Une telle ambiguïté ne saurait cacher la vérité – ce projet a pour seul but d’autoriser la fusion entre Suez et GDF – mais un minimum d’harmonisation entre vous ne serait pas nuisible !

Plus embarrassant est le silence du ministre sur la question des stock-options. Aux termes de l’article L. 225-177 du code du commerce, les plans de stock-options ne peuvent en effet être décidés que par une assemblée générale extraordinaire des actionnaires, assemblée dans laquelle l’État disposera demain d’une minorité de blocage de 34 %. Que fera alors cet État ? Que M. Loos ne réponde pas à cette question de M. Brottes est d’autant plus surprenant que le président Ollier et M. Balladur, semblent actuellement déterminés à réformer le fonctionnement des stock-options. Est-ce à dire, Monsieur le ministre, que vous allez céder sur ce point au capitalisme financier que vous prétendez combattre dans un autre projet de loi ? Il nous importe d’autant plus de le savoir que, si des stock-options sont attribuées, la participation de l’État sera mécaniquement diluée… Vous nous devez donc une explication franche sur ce sujet.

Les amendements 62758 à 83899, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Ministre délégué – Pour répondre à Mme Jacquaint et à M. Bataille, qui pensent que l’État sera un actionnaire faible, je répète que nous disposerons de nombreux instruments de gestion : la minorité de blocage, l’action spécifique, les tarifs gaziers, mais aussi les obligations de service public. Les moyens d’action ne nous feront donc pas défaut !

Plusieurs députés socialistes – Mais pour combien de temps ?

M. Christian Bataille - Ce sera très vite la loi du marché !

M. le Ministre délégué – S’agissant des stock-options, il faut distinguer deux hypothèses : toute émission de nouvelles actions constitue une augmentation de capital, qui doit être autorisée par une assemblée générale extraordinaire des actionnaires – elle sera donc soumise à l’accord de l’actionnaire détenant la minorité de blocage, c'est-à-dire l’État ; quant à un rachat éventuel des actions en vue d’une distribution aux salariés, elle n’entraîne pas d’effet de dilution du capital, si bien que le conseil d’administration pourra se prononcer lui-même.

J’ajoute que je ne crois guère aux plans B : la proposition de fusionner EDF et GDF est irréaliste, et il n’existe pas aujourd’hui d’autre candidat que Suez – ce n’est donc pas Suez ou rien, mais nous ne savons pas qui pourrait remplacer ce groupe…

M. Christian Bataille - Total, par exemple !

M. Jean Gaubert - Je comprends de moins en moins. Je croyais que ce projet de loi se justifiait par de véritables raisons. Or, non seulement le ministre n’est pas sûr que la fusion se réalise, mais il affirme également qu’il n’a pas de plan B ! Comment allons-nous donc sortir de l’ornière ? Puisque vous n’avez pas cessé d’affirmer que GDF ne pouvait pas demeurer seul face au marché, allez-vous unir cette entreprise au premier venu ?

M. le Ministre délégué – Je ne peux pas croire pas que vous n’ayez pas compris la situation, ou bien que mes propos manquent de clarté. Comment pouvez-vous croire que tout se fera automatiquement dès que la loi sera votée ? Je souhaite effectivement que la fusion se fasse, mais je ne peux en aucun cas vous garantir un tel résultat, et encore moins m’engager sur une date ! Air France s’est en fin de compte unie à KLM alors que nous envisagions plutôt une alliance avec Lufthansa. En vous présentant ce projet de loi, nous souhaitons seulement offrir à GDF la possibilité de nouer des partenariats – et rien de plus !

M. Christian Bataille - A quoi servons-nous alors ?

M. le Président – Nous en venons des amendements 96320 à 96979.

Mme Muguette Jacquaint – Le ministre dit ignorer de quoi sera fait l’avenir, mais il pourrait ajouter que, si la fusion a lieu avec Suez, nous ne sommes pas davantage à l’abri d’une OPA portant sur le nouveau groupe !

Je note par ailleurs que si nos collègues de la majorité nous reprochent sans cesse de nous répéter, ils ne tentent guère de nous persuader du bien-fondé de ce projet : on ne les entend guère… Un tel manque de conviction est bien singulier !

C’est sans doute que cette privatisation prépare de nouveaux reculs. Le Gouvernement nous affirme certes qu’EDF doit rester public pour des raisons stratégiques, mais, il nous soumet un projet qui livrera cette entreprise à la concurrence d’un opérateur privé – le nouveau groupe Suez-GDF! Sollicité par le même Gouvernement, le Conseil d’État a fort curieusement justifié la privatisation par la disparition progressive des différents monopoles, comme si l’ouverture des marchés menait logiquement à la disparition des services publics nationaux ! Ce raisonnement est non seulement fragile, mais également contradictoire avec la position qu’a toujours défendue la France au sein de l’Union européenne : pour gérer des secteurs stratégiques, il est nécessaire de conserver des opérateurs publics car, comme l’histoire des soixante dernières années l’a montré, le secteur public est seul apte à défendre les intérêts de la France.

Le risque est qu’un raisonnement semblable soit demain appliqué à EDF, même si l’on réaffirme que le secteur nucléaire doit rester sous le contrôle de l’État. Alors que le Gouvernement refuse toute fusion entre EDF et GDF au nom de la préservation du parc nucléaire français, il va donner au nouveau groupe la possibilité de se porter candidat à la construction de nouvelles infrastructures nucléaires ! Le secteur sera donc ouvert au privé – Electrabel s’est d’ailleurs dit prêt à cette éventualité.

Le Gouvernement se livre donc à un exercice d’équilibriste pour faire croire que rien ne va changer, alors que la mise en concurrence d’EDF et de Suez-Gaz de France poussera inévitablement à une séparation franche entre EDF et GDF. Elle risque aussi de conduire à des alliances d’EDF avec le privé. Dans le contexte économique que vous créez, l’entreprise publique devra en effet trouver un partenaire gazier, l’offre duale constituant un atout considérable pour les entreprises énergétiques.

M. le Président – Je vous remercie.

Mme Muguette Jacquaint - Permettez-moi d’aller au bout de mon argumentation : je ne prendrai pas la parole sur le prochain amendement.

On peut ainsi se demander qui fera main basse sur ce fleuron de notre économie nationale. Vous viendrez alors nous dire qu’il faut modifier cette loi ! En effet, même si l’article 10 fixe la part de l’État dans le capital d’EDF à 70 %, cela ne constitue pas une garantie pour l’avenir, d’autant que le Gouvernement a démontré le peu de cas qu’il faisait de ses propres engagements. Faut-il rappeler que le ministre d’État avait juré ses grands dieux que jamais Gaz de France ne serait privatisé ? Bref, nous avons quelques craintes pour EDF. Nous tenons donc à renouveler notre opposition à l’article 10.

M. le Rapporteur – Avis défavorable.

M. le Ministre délégué – Même avis.

M. le Président – Sur le vote des amendements 96320 à 96979, je suis saisi par le groupe communiste et républicain d’une demande de scrutin public.

M. Éric Besson – Si notre discussion ne permet pas de convaincre nos collègues de l’UMP, du moins le Journal officiel gardera-t-il la trace de déclarations qui illustrent toute l’ambiguïté de nos débats. M. Lellouche nous a ainsi expliqué que, s’il était actionnaire de Suez, il trouverait votre projet excellent, mais qu’en tant que fils de la nation, il n’était pas convaincu. Il s’apprête néanmoins, dit-il, à voter le texte, pour ne pas tomber dans le piège qui lui est tendu. Et si Nicolas Sarkozy gagne les élections présidentielles, la nouvelle majorité remettra la politique énergétique française sur ses pieds. Voilà le genre d’arguments qui vous conduit aujourd’hui, vous, représentants de la nation, à voter ce texte ! C’est d’autant plus troublant que les explications des ministres se font plus confuses à mesure que le débat avance. Au départ, il s’agissait de contrer une OPA hostile d’ENEL sur Suez. Ensuite, vous nous avez expliqué que c’était l’intérêt de Gaz de France ; mais vous n’assumez plus totalement la fusion. Vous nous dites qu’il n’y a pas de plan B, mais que d’autres options sont possibles. Et vous citez à l’envi le cas d’Air France – on envisageait Lufthansa et ce fut finalement KLM –, comme si le transport aérien de passagers était aussi stratégique que l’énergie ! Vous faites non pas coup double, mais coup triple : non contents de privatiser GDF, vous déstabilisez EDF et vous créez un monopole privé de distribution de gaz. M. Novelli doit bien souffrir : il est le rapporteur pour avis d’un texte qui crée le premier monopole privé dans l’histoire de l’économie de marché ! Je lui laisse cette responsabilité.

J’en reviens aux stock-options. Vous nous avez éclairés sur le droit, Monsieur le ministre, mais cela ne saurait suffire. Ce qu’on attend d’un ministre, mais aussi du président de la commission et des rapporteurs, c’est qu’ils nous disent ce qu’ils en pensent et qu’ils prennent un engagement clair sur cette question cruciale. Vous pouvez certes vous réfugier dans le silence, mais cela en dit long sur votre force de conviction. Répondez-nous donc ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Christian Bataille - Nous nous reconnaissons tout à fait dans la démonstration pertinente de Mme Jacquaint. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) La dilution du contrôle de l’État va fragiliser encore davantage ses moyens d’intervention. Je devine la lassitude de la majorité, mais il faut bien que je le redise, puisque nous n’avons pas de réponse ! Le contrôle des augmentations de prix demandées par GDF sera encore plus délicat, de même que celui du respect des objectifs que vous prétendez fixer à GDF-Suez. Vous nous avez parlé d’une rénovation des réseaux d’ici à la fin de 2007 : on verra bien ! En réalité, l’État n’aura plus l’autorité suffisante pour faire prévaloir l’intérêt général. Prenons l’exemple d’EDF, dont le capital est encore détenu à près de 80 % par l’État. Selon la direction de l’entreprise, les hausses de prix seraient indispensables pour financer l’investissement. Or c’est faux : EDF dispose de la rente nucléaire. Les centrales nucléaires sont des cash cows, des vaches à lait : leur durée de vie est prolongée au-delà de trente ans, et elles produisent une forme de rente qui sera peut-être confisquée demain. Qu’en sera-t-il si le contrôle de l’État se limite à une minorité de blocage ?

Les contraintes d’approvisionnement en énergie n’ont jamais été aussi lourdes. Le Gouvernement prétend adapter notre économie à cette nouvelle donne, mais en réalité nous assistons au démantèlement progressif de tous les instruments d’une politique volontariste de l’énergie, qui ont fait leurs preuves depuis un demi-siècle.

À la majorité de 69 voix contre 27, sur 96 votants et 96 suffrages exprimés, les amendements 96320 à 96979, ne sont pas adoptés.

Mme Muguette Jacquaint - J’ai défendu les amendements 96980 à 97639.

Les amendements 96980 à 97639, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis de la commission des financesL’amendement 114272 pose le problème du niveau de la participation de l’État dans le capital de Gaz de France. Je précise que je le présente à titre personnel, puisque la commission des finances ne l’a pas adopté.

Une remarque, tout d’abord : il est pénible d’entendre évoquer depuis le début de ce débat le prétendu reniement dont se serait rendu coupable le ministre de l’intérieur (« Le total reniement ! » sur les bancs du groupe socialiste), ancien ministre des finances. Nicolas Sarkozy a compris que le monde avait changé (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) et en a tiré les conséquences (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Pour comprendre que le monde a changé, il suffit de lire l’avis du Conseil d’État du 11 mai 2006, dont la gauche n’a guère fait état.

Mme Muguette Jacquaint - Je viens d’en parler.

M. le Rapporteur pour avis – Qu’a dit le Conseil d’État ? Que Gaz de France était une société privatisable.

M. Christian Bataille – Il a donné à Sarkozy l’autorisation de se renier !

M. le Rapporteur pour avis – C’est très important : dès lors que Gaz de France est privatisable, il appartient au Gouvernement de proposer cette privatisation si elle est utile. Et je constate que nul ici n’a estimé que Gaz de France ne devait pas s’allier avec une autre entreprise – certains ont même dit qu’elle devait s’allier avec EDF. Or l’alliance affecte nécessairement le niveau de la participation de l’État (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Cela n’a rien à voir avec un quelconque a priori idéologique.

J’en viens au fond de l’amendement. Quel est le niveau optimal de la participation de l’État dans une société privatisable ?

La minorité de blocage, qui est la solution du Gouvernement, peut présenter un certain nombre d’inconvénients. D’abord, la distribution automatique d’actions aux salariés, si elle se produit tous les ans comme cela se fait dans les sociétés cotées, risque mécaniquement de diluer la part de l’État, qui peut ainsi passer sous le seuil fixé par le législateur. Dans ce cas, ou bien il faudra voter une nouvelle loi pour modifier ce seuil, ou bien l’État devra ajouter au capital de cette société privatisée, ce qui peut être difficile compte tenu de sa situation financière.

Ensuite, avec la définition a priori d’une parité de fusion, résultant de la minorité de blocage, les actionnaires de Suez peuvent considérer, si la part de GDF dans le nouvel ensemble est survalorisée, que l’opération n’est pas aussi profitable que prévu.

L’État doit conserver une part du capital de GDF, ne serait-ce que pour gager l’action spécifique. Mais la minorité de blocage est-elle une parade anti-OPA significative ? J’étais rapporteur de la loi relative aux OPA, et j’avais indiqué à cette occasion qu’une minorité de blocage était importante, car elle permettait d’autoriser des augmentations de capital destinées à lutter contre des OPA hostiles, par l’émission de bons de souscription d’actions. Aujourd’hui, nous décidons d’une minorité de blocage qui empêchera une augmentation de capital, en considérant que c’est également une arme anti-OPA. La situation est donc paradoxale.

Enfin, la minorité de blocage est-elle indispensable ? En Grande-Bretagne, Gazprom, qui avait tenté d’acheter Centrica, dans laquelle l’État anglais ne possédait aucune part, y a finalement renoncé, parce que le régulateur avait annoncé qu’il serait très vigilant et avait les moyens de s’opposer à toute opération contraire aux intérêts du pays en termes d’approvisionnement. Le rôle du régulateur est très important.

J’ai souhaité ouvrir le débat, en proposant de la souplesse, de façon à ce que le niveau de la participation ne soit pas fixé par la loi, et pour prévenir ainsi toute déconvenue.

M. le Rapporteur – La commission a émis un avis défavorable. Nous avons estimé qu’il était nécessaire de fixer à 34 % la participation de l’État.

M. Pierre Cohen - M. Novelli va jusqu’au bout de votre logique !

M. le Rapporteur - Cette minorité de blocage empêchera toute augmentation du capital sans l’accord de l’État. Celui-ci restera le plus gros actionnaire ; le principal actionnaire après l’État dans le nouveau groupe sera Albert Frère, avec 4 % seulement. À la dernière assemblée générale, seuls 45,1 % des actionnaires étaient présents ou représentés, un niveau qui n’a rien d’exceptionnel ; on voit donc le poids que représente une part de 34 %. Enfin, le nombre d’actions dans le nouveau groupe sera de deux milliards. La minorité de blocage est donc de 729 millions. Compte tenu de la parité annoncée, l’État en possèdera 790 millions, c’est-à-dire un nombre bien supérieur à la part fixée par le législateur.

M. le Président – Je suis saisi par le groupe socialiste d’une demande de scrutin public sur l’amendement 114272.

M. le Président de la commission – La minorité de blocage n’est pas à elle seule une garantie contre les OPA ; elle s’inscrit dans un ensemble comprenant en outre l’action spécifique, le noyau dur de 46 % et la capitalisation à 65 milliards d’euros. Je me demande qui pourrait envisager d’acquérir un groupe qu’il ne pourra pas contrôler !

M. François Brottes - Vous croyez au Père Noël !

M. le Président de la commission – Il convient que ces quatre garanties soient réunies dans le projet. Je souhaiterais donc que M. Novelli retire son amendement.

M. le Ministre délégué – Est-il possible, sans minorité de blocage, de conserver la maîtrise de la politique énergétique et de garantir la sécurité d’approvisionnement ? M. Novelli explique, en se servant de l’exemple anglais, que le régulateur peut, par une affirmation de sa volonté, protéger les intérêts nationaux contre des groupes comme Gazprom. Je ne pense pas, pour ma part, qu’une prise de position de la CRE puisse suffire. La minorité de blocage est un élément du dispositif de protection contre les OPA. C’est elle qui fait que l’État reste le décideur ultime pour les choix stratégiques du groupe.

M. Jean-Marc Ayrault - Monsieur Novelli, vous avez le mérite de la cohérence, en allant jusqu’au bout de la logique dans laquelle s’engagent le Gouvernement et la majorité. Je sais que vous êtes proche de Nicolas Sarkozy. Peut-être dites-vous sa vérité. Peut-être nous a-t-il trompés depuis le début. Peut-être n’en pensait-il rien lorsqu’il a dit devant le Parlement que jamais la part de l’État dans le capital de GDF ne descendrait en dessous de 70 %. Peut-être mentait-il à ce moment-là et continue-t-il de mentir aujourd’hui ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Mais vous, vous êtes un libéral et l’assumez totalement ; je rends hommage à ce courage et à cette honnêteté vis-à-vis des Français.

J’observe, en revanche, l’embarras du Gouvernement et du reste de la majorité. Je constate que vous avez peur, Monsieur le président Ollier (M. le président de la commission proteste). Cette peur vous conduit à expliquer qu’il faut conserver une minorité de blocage mais, comme elle ne suffit pas, vous ajoutez que toutes sortes d’autres mécanismes techniques sont également nécessaires. Si, à ce jour, le ministre n’a pas réussi à nous convaincre que les dispositions prévues permettraient à l’Etat de s’opposer avec succès à une tentative d’OPA, notre collègue Dominique Strauss-Kahn a démontré hier de manière percutante le danger qu’il y aurait à privatiser le nouveau groupe, et à ses arguments, le Gouvernement est resté sans réponse.

Mon intention n’est pas de trancher entre M. Novelli, la commission et le Gouvernement, mais de dire que la meilleure solution est de ne pas privatiser GDF, car il existe une autre voie, respectueuse de l’intérêt national : travailler au rapprochement entre GDF et EDF (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président – La parole est à M. Jean-Jacques Descamps.

M. François Brottes - Ah ! La voix du Medef !

M. Jean-Jacques Descamps - M. Novelli n’est pas seul. Je trouve son amendement plein de bon sens, prudent et allant dans le sens de l’intérêt de GDF (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). L’État doit probablement garder sa part du capital de l’entreprise un certain temps (Mêmes mouvements) ou même un temps important, mais l’on ne peut préjuger cette durée. La garantie de l’approvisionnement du pays en énergie fournie à un prix acceptable, fixé de manière transparente, n’est pas apportée par le système actuel. Il faut d’abord que la CRE joue pleinement son rôle et, pour cela, elle doit être renforcée dans ses pouvoirs.

M. Christian Bataille - Le débat sur la CRE a déjà eu lieu, Monsieur Descamps ! Il fallait être là !

M. Jean-Jacques Descamps - Si la CRE fonctionne bien, si l’État a une golden share et si l’intérêt des actionnaires, présents ou futurs, est intact, aucune OPA n’est à craindre (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) puisque l’entreprise saura se défendre, ayant été mise dans les conditions économiques et financières qui intéressent ses actionnaires (Mêmes mouvements).

M. Christian Bataille - Et indépendamment de l’intérêt des actionnaires, que faites-vous de l’intérêt de la France?

M. Jean-Jacques Descamps – L’amendement fait prendre conscience que si, en Europe, d’autres alliances sont susceptibles de renforcer le nouveau groupe, il faudra bien accepter une nouvelle dilution du capital de l’État… (Brouhaha sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Président – Je vous prie de conclure.

M. Éric Besson - Laissez-le poursuivre, Monsieur le Président ! Encore, Monsieur Descamps, encore !

M. Hervé Novelli - L’intérêt de l’amendement était de provoquer le débat… (Rires sur les bancs du groupe socialiste)

M. Christian Bataille - Tiens ! On est déjà passé à l’imparfait !

M. Hervé Novelli - ...en montrant que dans le capital d’une entreprise privatisable ou privatisée, on ne peut définir a priori la part optimale pour l’État actionnaire : la définition de ce que doit être sa part ne peut être appréciée qu’à l’aune de ses intérêts à un moment donné. J’ai voulu poser le débat pour éviter que, dans quelque temps, nous ne soyons contraints de trouver les moyens de contrebalancer les effets dommageables d’un dispositif imparfait. Je retire l’amendement car je suis solidaire du Gouvernement (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains), mais je souhaitais que ce débat ait lieu, car il éclaire les enjeux pour l’avenir.

L’amendement 114272 est retiré.

M. Jean-Marc Ayrault – Il me faut donc modérer mon appréciation de la démarche de M. Novelli, puisqu’il n’a pas eu le courage d’aller à son terme…

M. le Président – N’ayez crainte, Monsieur Ayrault, on sait qu’il n’y a pas d’accord politique entre M. Novelli et vous… (Sourires)

M. Jean-Marc Ayrault - Pour autant, ce débat n’avait rien d’anodin car il portait, en réalité, sur l’avenir du modèle républicain français. Nous sommes donc au cœur des choix qui s’exprimeront lors des prochaines élections présidentielles. Ce soir, nous avons constaté que les libéraux qui s’assument ne jurent que par le marché, rien que le marché, avec un mécanisme de régulation. Ce système correspond au modèle anglo-saxon, mais ce n’est pas celui de la majorité des pays européens, et ce n’est pas celui de la France, pays favorable à l’intervention publique dans certains secteurs clefs. M. Novelli a plaidé en faveur d’autre chose, exprimant à haute voix ce qu’une grande partie de la majorité pense sans le dire. Pour autant, je ne dis pas que sa vision fait l’unanimité au sein de l’UMP, où transparaissent des clivages parfois étonnants.

Nous aurions préféré que la question soit tranchée par les Français. Il n’est pas trop tard, car le débat se poursuivra au Sénat, et nous ferons un recours devant le Conseil constitutionnel. Mais, en définitive, ce sont les Français qui décideront. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. René Couanau – J’exprimerai une position personnelle. J’ai dit, au cours de la discussion générale, que je trouvais cet amendement particulièrement éclairant, en raison de la grande compétence de son auteur et de sa parfaite connaissance de l’entreprise privée mais aussi de son exposé des motifs. On y lit en effet que fixer la participation de l’État dans le capital de Gaz de France à 33 % serait une « hypothèque » pour l’avenir du groupe, un « empêchement » pour le développement de l’actionnariat salarié et un « handicap » pour sa capacité d’investissement. Si c’est avéré – et ni la démonstration du ministre, ni celle du rapporteur ne m’ont convaincu –, voilà qui affaiblit singulièrement la portée du projet (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) et je suis contraint de dire que les incertitudes évoquées ne sont pas levées par cette discussion. L’amendement de M. Novelli nous ramène peut-être au cœur du sujet : il s’agit de savoir, devant un projet industriel du moment, auquel il n’est pas proposé d’alternative, s’il ne faut pas mettre en question certaines idées reçues concernant l’intervention stratégique de la puissance publique dans le secteur de l’énergie. Ce problème de fond est posé, et je ne suis toujours pas convaincu. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Président – Si, comme je l’avais souhaité, nous nous étions mis d’accord sur le principe de la globalisation du temps de débat, nous aurions pu débattre sur les sujets de fond…

M. Novelli ayant retiré son amendement, je donne la parole à Mme Jacquaint pour défendre les amendements identiques 99598 à 99817.

Mme Muguette Jacquaint - Je souhaite, auparavant, revenir sur l’amendement défendu par M. Novelli. À chacune de nos interventions, nous avons posé au Gouvernement des questions précises sur le projet industriel et sur les garanties apportées à GDF, et nous avons dit nos inquiétudes sur les conséquences de la fusion projetée. À chaque fois, les ministres nous ont répondu que nos inquiétudes étaient sans fondement, ce que M. Novelli vient de démentir de manière éclatante, en proclamant que ce projet d’essence libérale est tout le contraire de ce que nous souhaitons. Je l’ai rappelé, le groupe fusionné ne sera pas à l’abri d’une OPA, et certains députés de vos rangs sont aussi peu convaincus que nous le sommes du bien-fondé de la privatisation de GDF et de la fusion avec Suez. La seule garantie crédible, c’est la constitution d’un grand service public de l’énergie, par le biais d’un rapprochement entre EDF et GDF. Enfin, l’amendement de M. Novelli donne de bonnes raisons de penser que M. Sarkozy trompait déjà les Français lorsqu’il annonçait solennellement que le Gouvernement ne privatiserait pas GDF.

Les amendements 99598 à 99817, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Christian Bataille – Entre la proposition de M. Novelli et celle de Mme Jacquaint – que nous soutenons – il y a 75 % d’écart ! M. Novelli propose en effet de ramener la part de l’État à 5 %.

M. le Rapporteur pour avis – Je n’ai jamais dit cela !

M. Christian Bataille – Vous souhaitez un État qui se limiterait à quelques missions régaliennes d’ordre juridique, policier ou militaire. De notre côté, nous souhaitons un État fort – dont la part serait maintenue à 80 % – et qui interviendrait dans l’économie. Ce débat, au fond, dépasse nos frontières. En effet, les convictions libérales de M. Barroso n’incarnent en rien les aspirations de la gauche française ! Face à l’État minimal que défendent le ministre et les rapporteurs, nous sommes partisans d’un État largement majoritaire dans GDF !

M. Jean Gaubert - Depuis trois semaines, nous entendons rabâcher les mêmes arguments.

Plusieurs députés UMP - Nous aussi !

M. Jean Gaubert - Personne n’en sort convaincu… M. Novelli nous répète que le monde a changé : bien sûr, il change tous les jours. Faut-il pour autant changer la loi au même rythme ? En outre, vous transposez aujourd’hui une directive de 2003, alors que deux lois ont été votées depuis sans la prendre en compte.

M. Novelli prétend que le Conseil d’État a délié M. Sarkozy de ses engagements. Il me semblait pourtant que les indulgences se pratiquaient plutôt à Notre-Dame… Peut-on donc se délier si facilement d’un engagement pris avec force devant l’opinion et dans cette assemblée ?

Enfin, la majorité est scindée entre, d’une part, le Gouvernement et le rapporteur qui s’évertuent à défendre ce qu’ils présentent comme une solution-miracle, et de l’autre les libéraux de l’UMP qui partagent notre constat sur l’inefficacité de la minorité de blocage et des actions spécifiques mais divergent, hélas, sur les solutions, puisqu’ils en concluent qu’il ne faut surtout pas y laisser l’argent de l’État… Au fond, M. Novelli voit la vérité nue, quand le Gouvernement tente de la couvrir d’un cache-sexe. C’est le premier qui a raison, même si nous désapprouvons ses initiatives.

Les amendements 99598 à 99817, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président – La série d’amendements suivante est-elle défendue ?

Mme Muguette Jacquaint - Naturellement, Monsieur le Président ! M. Novelli, loin d’apaiser mes craintes, n’a fait que les raviver ! Pour justifier le bradage d’une entreprise publique, il nous explique que le monde change. C’est une évidence que nous constatons comme vous. Une chose pourtant demeure : nous restons attachés à un service public qui a fait ses preuves. Décidément, l’aveuglement du Gouvernement devient horripilant ! Vos arguments n’y changeront rien : c’est le service public lui-même que vous remettez en cause en privatisant GDF ! Certains vont jusqu’à considérer que 34 %, c’est encore trop, et souhaitent livrer au privé un fleuron énergétique !

Les amendements 100258 à 100653, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Mme Muguette Jacquaint - Les amendements identiques 114296 à 114317 sont défendus.

Les amendements 114296 à 114317, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président – J’appelle les amendements identiques 114318 à 114339.

Mme Muguette Jacquaint - En privatisant GDF, le Gouvernement fait un nouveau pas dans sa fuite en avant. Pour certains, ce n’est pas encore assez : il faudrait livrer l’ensemble de notre secteur énergétique aux enjeux capitalistiques… Nous ne sommes pas contre la réforme en soi, pourvu qu’elle défende l’intérêt national. C’est pour éviter que GDF parte à vau-l’eau que nous défendons ces amendements !

Les amendements 114318 à 114339, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu demain, mercredi 27 septembre 2006, à 9 heures 30.
La séance est levée à 23 heures 25.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

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ordre du jour
du MercreDI 27 SEPTEMBRE 2006

NEUF HEURES TRENTE - 1re séance publique

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif au secteur de l'énergie (no 3201).

Rapport (no 3278) de M. Jean-Claude LENOIR, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

Avis (no 3277) de M. Hervé NOVELLI, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

QUINZE HEURES - 2e séance publique

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

VINGT ET UNE HEURES TRENTE - 3e séance publique

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.
Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.
www.assemblee-nationale.fr

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